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Le long de la côte atlantique/Manche, l’ONF est responsable de la gestion de vastes espaces dunaires dont une grande partie a été boisée au 19 e siècle. Sur la frange littorale les dunes bordières ont conservé un grand degré de mobilité. La philosophie centrale de la gestion multifonctionnelle de ces dunes non boisées (contrôle souple…) est solidement établie et assez bien acceptée ou partagée par l’ensemble des parte- naires concernés à divers titres. Sur ces milieux emblématiques, le dialogue est permanent avec les scien- tifiques et les acteurs sociaux, et notre pratique est encore amenée à évoluer, dans des aspects particuliers. Ce dossier illustre à partir d’exemples démonstratifs les nouvelles orientations répondant à cette évolution. p. 22 Principes et évolutions de la gestion dunaire par Jean Favennec p. 31 Les dunes de Merlimont – Côte d’Opale : un site d’excellence pour la connaissance et la gestion des milieux dunaires européens par Jean Favennec p. 35 La réserve biologique domaniale de la Côte d’Opale, une exceptionnelle diversité de formes dunaires par Yvonne Battiau-Queney p. 40 Réserve biologique domaniale de la Côte d’Opale, les choix de gestion hier et aujourd’hui par Bruno Dermaux p. 44 La gestion conservatoire des habitats dans la RBD de la Côte d'Opale par Bruno Dermaux et Frantz Veillé p. 50 Réhabilitation des zones humides d’arrière-dune sur la côte atlantique par Loïc Gouguet et Véronique Bertin p. 54 La Pointe d’Arçay, une réserve mouvante entre terre et mer par Loïc Gouguet p. 58 Lorsque la dune devient digue : l’exemple de Noirmoutier par Loïc Gouguet RDV techniques n° 17 - été 2007 - ONF Évolutions de la gestion des dunes Dossier D D

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Le long de la côte atlantique/Manche, l’ONF est responsable de la gestion de vastes espaces dunaires dontune grande partie a été boisée au 19e siècle. Sur la frange littorale les dunes bordières ont conservé ungrand degré de mobilité. La philosophie centrale de la gestion multifonctionnelle de ces dunes non boisées(contrôle souple…) est solidement établie et assez bien acceptée ou partagée par l’ensemble des parte-naires concernés à divers titres. Sur ces milieux emblématiques, le dialogue est permanent avec les scien-tifiques et les acteurs sociaux, et notre pratique est encore amenée à évoluer, dans des aspects particuliers.Ce dossier illustre à partir d’exemples démonstratifs les nouvelles orientations répondant à cette évolution.

p. 22 Principes et évolutions de la gestion dunaire par Jean Favennec

p. 31 Les dunes de Merlimont – Côte d’Opale : un site d’excellence pour la connaissanceet la gestion des milieux dunaires européens par Jean Favennec

p. 35 La réserve biologique domaniale de la Côte d’Opale, une exceptionnelle diversité de formes dunairespar Yvonne Battiau-Queney

p. 40 Réserve biologique domaniale de la Côte d’Opale, les choix de gestion hier et aujourd’huipar Bruno Dermaux

p. 44 La gestion conservatoire des habitats dans la RBD de la Côte d'Opale par Bruno Dermaux et Frantz Veillé

p. 50 Réhabilitation des zones humides d’arrière-dune sur la côte atlantiquepar Loïc Gouguet et Véronique Bertin

p. 54 La Pointe d’Arçay, une réserve mouvante entre terre et mer par Loïc Gouguet

p. 58 Lorsque la dune devient digue : l’exemple de Noirmoutier par Loïc Gouguet

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Évolutions de la gestion des dunes

DossierDDD

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es dunes littorales,comme les déserts, ne

laissent jamais indifférent, répul-sion à certaines époques, fascina-tion à d’autres. Fortementdomestiquées par l’Homme au19e siècle pour piéger le sable« menaçant », les dunes littoralesont cependant conservé en bor-dure de l’océan, une vitalité quien fait un des symboles des pay-sages naturels. Quelle est dans lasociété d’aujourd’hui la place dece formidable ouvrage à la croi-sée du génie de l’homme et desforces de la nature ?

Un milieu original constam-ment remis en mouvementpar l’énergie de la mer et

du vent

Les dunes naissent de la plageavec la complicité de la mer, duvent et de la végétation. Le sableest hérité de périodes géolo-giques antérieures, produit del’érosion terrestre il a été apportépar les fleuves sur le plateaucontinental, puis remonté par lamer lors de la fin de la dernièreglaciation. Le vent transporte unepartie de ce sable de la plage versla terre. La quantité de sédimenttransporté croit avec la richesse

en sable de la plage, la finessedes grains, la vitesse du vent etl’amplitude des marées. Sur lafrange terrestre des formationsvégétales particulières freinent ledéplacement du sable et provo-quent différentes formes d’accu-mulation, nommées dunes.Les dunes naissent et vivent dansle mouvement. Les processusgénérateurs (vent, houle, marée,courants…) sont constammentactifs, de façon irrégulière, parfoischaotiques, et toujours puissants.Quelle que soit l’efficacité stabili-satrice de la couverture végétale,ces flux d’énergie remettent enjeu les équilibres précaires anté-rieurs. Dans l’espace et dans letemps se développent des facièschangeants de stabilisation et dedéstabilisation ; cette mobilitéest un caractère majeur desdunes.

Une liaison entre terre et mer,riche, fluctuante et fragileLa position des dunes à la jonc-tion entre terre et mer est sourcede diversité des paysages et desespèces. Des rudes conditions devie animale et végétale (salinité,mitraillage du sable…) résultentune forte spécialisation desespèces et un fort endémisme.

Citons par exemple la petitebourrache du littoral(Omphalodes littoralis) ou lalinaire à feuilles de thym (Linariathymifolia), toutes deux endé-miques du littoral français : lapremière, espèce prioritaire de ladirective « habitats », vit dans lesdunes grises de la Charente-Maritime au Finistère, la secondeen dune blanche, des Pyrénées àl’île d’Oléron. Mais cet écosys-tème linéaire est étroit, ce quiréduit sa capacité d’adaptation aurecul des rivages, et accroît sa fra-gilité face à la pression anthro-pique… « Toute la richesse maisaussi toute la fragilité de la zonelittorale… s’exprime dans sastructure même d’espace linéairele plus souvent zonalement téles-copés » (J.M. Géhu 1997).

Une solidarité transverse desmilieuxLes principaux flux d’énergie etde matière induisent une succes-sion de faciès morphodyna-miques et végétaux liés à un gra-dient décroissant d’intensité duvent, de transit sableux et de sali-nité, de l’océan vers l’intérieur(figure 1). Ces paysages, organi-sés selon des bandes plus oumoins parallèles, sont interdépen-

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Principes et évolutions de la gestiondes dunes

LL

Omphalodes littoralis Linaria thymifolia

L.Goug

uet,ONF

J.Favennec,O

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dants ; tout changement sur laface externe induit une chaîne deréactions sur la face interne. Unetendance à la stabilisation du cor-don littoral entraîne par exemplela progression d’un front forestierpionnier et inversement, la remo-bilisation des dunes bordièresprovoque le recul de la lisièreforestière.

Tous ces paysages élémentairescorrespondent à des habitatsd’intérêt communautaire réperto-riés à l’annexe I de la directive« habitats » :

L’avant dune résulte d’unephase d’accrétion et se distinguede la dune « blanche » par uneomniprésence de chiendent dessables (Elymus farctus, syn.Agropyron junceum). L’avant-dune correspond à l’habitat« dunes embryonnaires atlan-tiques » (code Corine : 16.211 ;code Natura 2000 : 2110).

Le cordon dunaire est un bour-relet de fort volume très dépen-dant de l’action humaine (remo-delages, entretiens). Pendant lesphases d’érosion marine forte,l’ensemble des faciès du cordonse rattachent aux « dunesblanches ». Lors de phases derépit durables, la partie arrièrepeut être colonisée par unevégétation de dune grise.Cependant la situation la plusfréquente est la subdivision ducordon dunaire en :

- dune « blanche », dans sa partiefrontale où l’oyat et son cortègebloquent le sable en transit ; cefaciès caractérisé par l’omnipré-sence de quatre psammophiles(oyat, panicaut, euphorbe et lise-ron) est à rattacher aux « dunesblanches de l’Atlantique » (Cor.16.2121 ; N 2000 : 2120) ;- dune semi-fixée, dont la végéta-tion regroupe des espèces de ladune blanche et de la dune grise.Quoique non inclus dans la direc-tive habitats, ce faciès correspondà un écosystème bien caractériséet durable, il mérite d’être identi-fié.

L’arrière dune (non boisée) estun « fourre-tout » qui corres-pond assez bien, de la Bretagneau Pays Basque, à l’habitat de« dunes grises de la Biscaye »(Cor. 16.222 ; N 2000 : 2132) de ladirective habitats. En Aquitaine, ilest caractérisé par le groupesocioécologique à omniprésenced’immortelle (Helichrysum stoe-chas) et canche blanchâtre(Corynephorus canescens). EnVendée, la végétation de dunegrise est souvent dominée parune pelouse à éphèdre (Ephedradistachyia) et rosier pimprenelle(Rosa pimpinellifolia).

Des buissons préforestiers mar-quent en général la limite internedes pelouses de dune grise (ourletpréforestier). Si leur extension estforte, on les distingue au titre des« landes et fourrés ».

La dune boisée, enfin, corres-pond au code 2180 de Natura2000 (Cor. 16.29), si l’on admet lesformations concernées commesemi-naturelles.

Le système plage/dune : uneétroite solidarité fonctionnelle,dépendante du bilan sédimen-taire côtierLa dune naît de la plage, la plagepeut aussi se réalimenter dans ladune. De constants échanges ontlieu entre ces deux maillons dusystème plage/dune, qui lui-même doit être replacé dans uneunité fonctionnelle plus large, lacellule sédimentaire (figure 2).

Les cellules sédimentaires litto-rales sont des segments de côte àbilan sédimentaire équilibré, surlesquels circulent des sédimentsselon une direction dominanteunique, entre une zone source(érosion) et une zone puits (accu-mulation). Les cellules sédimen-taires sont délimitées côté mer parla limite d’action des houles sur lefond (limite de « fermeture »),côté terre par les dunes bordièresen interaction avec la plage, et àleurs extrémités par des rupturesde la continuité du transit sédi-mentaire. En principe, chaque cel-lule est indépendante de sa voi-sine, c’est le cas par exemple lorsdes inversions de dérive de part etd’autre d’un cap… Mais souventles limites entre cellules sont per-méables et correspondent à desfreinages de la dérive.

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Fig. 1 : succession type des faciès morphodynamiques et végétaux

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Chaque type de contextesédimentaire est identifiable par laprésence ou l’absence de certainsfaciès. Les falaises caractérisent lesphases de déficit et de recul descôtes, les avant-dunes résultent dephases d’accrétion. On rencontretrois grands types de situation,illustrés par le cas de la cellulecentre Gironde (figure 3) :en secteur à budget sédimen-

taire fortement déficitaire (Naujac),l’érosion marine est forte et conti-nue, et le contact entre plage etdune constamment en falaise ;en secteur où alternent les

périodes d’érosion marine et derépit (Le Porge), des avant-dunescompensent une partie des pertesen comblant les entailles marines ;quand le budget sédimentaire

est équilibré (Lège), le trait de côteest stable et une avant-duneperchée sur le versant externe sedéveloppe.

Dans un contexte de pénurie sédi-mentaire, la tendance évolutivedominante est le recul des côtes :« Le paysage des dunes est condi-tionné par le recul inexorable dutrait de côte. Sur les actions detempête, les dunes perdent duvolume en position frontale. Une

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1. Limite nord de la cellule, correspondant à une inversion de dérive littorale liée auchangement d’orientation de la côte, et au contexte estuarien.

2. Limite sud de la cellule marquée par un freinage de la dérive lié aux passes duBassin d’Arcachon.

3. Tronçon nord de la cellule (Naujac) : grand déficit sédimentaire, côte en reculfort.

4. Centre de la cellule (Le Porge), alternance entre phases d’érosion marine etphases de répit, léger déficit sédimentaire.

5. Sud de la cellule (Lège), budget sédimentaire équilibré, côte stable dans lemoyen terme.

La dérive littorale (flèches noires) résulte de l’incidence oblique des houlesdominantes de nord-ouest. Ce courant de dérive transporte les sédiments le longde la côte, dans le sens nord sud au sud de la pointe de la Négade, dans le senssud nord au nord de cette pointe.

Estuaire dela Gironde

Pointe dela Négade

Passes duBassin d'Arcachon

Cellulesédimentairedu centreGironde

1

3

4

5

2

Fig. 2 : exemple de la cellule sédimentaire du centre Gironde, entre la pointe de la Négade et le Cap-Ferret

Photos aériennes IGN 2004

Physionomie du contact plage / dune à Naujac (Le Pin Sec),

au Porge,

et à Lège

Fig. 3 : trois situations sédimentaires contrastées dans la cellulesédimentaire du centre Gironde

Photos : J. Favennec, ONF

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partie du sable qui leur est arrachéalimente directement la dérive lit-torale. Le vent reprend du sable surl’estran et sur les falaises quiconcentrent l’énergie éolienne.L’ensemble du système subit unetranslation vers l’intérieur. Àchaque moment, de façon trèsmouvante la dune est l’expressiondu bilan sédimentaire entre l’éro-sion et l’accumulation » (P. Barrère,1997).

De la lutte contrel’envahissement des sables à

la conservation des« habitats »

Les champs de dunes littorales ontconnu, au cours de l’histoire, desépisodes de stabilisation et deremobilisation. La dernière phasede grande mobilité correspond à lapériode froide dite du « petit âgeglaciaire », vers les années 1500-1800. Des récits anciens relatent,souvent de façon dramatique, lesconséquences de l’« envahisse-ment » des sables… C’estMontaigne (Essais, 1580) qui fait lapremière allusion au mouvementdes dunes modernes de la côteaquitaine : « En Médoc, le long dela mer, mon frère, sieur d’Arsac,veoid une sienne terre enseveliesoubs les sables que la mer vomitdevant elle… ».

Le 18e siècle a connu de nombreuxessais de maîtrise de ces sablesmobiles, les techniques se met-taient au point. Mais c’est principa-lement au 19e que, sous l’impulsionde l’État, furent engagés de grandstravaux de fixation de ces champsde dunes, principalement enAquitaine, mais aussi en Charente-Maritime, Vendée, Pas-de-Calais…J. Bert, administrateur des Eaux etForêts résume l’action et l’esprit dumoment, à l’occasion de l’exposi-tion universelle de 1900 : « L’océanvomit journellement un volumeénorme de sable qui, sous l’actiondes vents forme des dunes, celles-ci envahissant le littoral et mar-chant à une vitesse moyenne de

18 m par an, ont englouti successi-vement une large zone de forêts etde terrains cultivés. Pour arrêter lefléau, l’opération devait consister àfixer les sables mobiles et lesconvertir en sol forestier, à élever lelong de la mer une digue infran-chissable aux sables qu’elle rejettechaque jour… ». C’est de cetteépoque, marquée par une poli-tique étatique forte et unecroyance en la maîtrise de la naturepar l’homme, que datent lesgrandes forêts dunaires doma-niales de la côte atlantique.

La dune littorale édifiée à la placed’une « succession de petits mon-ticules irréguliers… » (Buffault,1942) était principalement considé-rée comme un piège à sable, ellen’avait pas vocation à s’opposeraux assauts de la mer, cependantcertains acteurs du 19e sontconscients de la menace marine :« La dune est exposée à des quan-tités d’accidents… L’action de lamer est la plus terrible »(Grandjean, 1896).

Au début du 20e siècle, la majeurepartie des dunes est boisée et miseen valeur par la production de boisde pin maritime et de résine. Lelong de l’océan, la dune littoraleprotectrice est entretenue par des« cantonniers de dune ». Parmanque d’entretien lors despériodes de guerre, les dunes litto-rales se sont remises en mouve-ment et, durant les années 1960-1980, d’importants chantiers deremodelage mécanique ont cher-ché à leur redonner un profil consi-déré comme « idéal » : versantexterne en pente douce (de l’ordrede 20 %) suivi d’un plateau tabu-laire.

À la fin du 20e siècle, le regard dela société sur les milieux « natu-rels » évolue fortement, la nature« sauvage » n’effraye plus, elleest même recherchée, souventfantasmée. La prise deconscience de l’intérêt et de lafragilité des écosystèmes infléchit

les modes de gestion des duneslittorales, qui ne sont plus seule-ment considérées comme unpiège à sable de protection, maisaussi comme un « habitat » inté-ressant au titre de sa propre dyna-mique. « Supprimer les déforma-tions inéluctables pour revenirsans cesse à un profil géométri-quement défini conduit à détruireà chaque passage un capital bio-logique qu’il faudra longtemps àreconstituer… » (J. Leblan, 1991).

La directive européenne « habi-tats » de 1992 met en exergue leshabitats côtiers, dont les dunesreprésentent une partie impor-tante. Les Cahiers d’habitats (tome2 : habitats côtiers) offrent à tousles acteurs un langage commun etproposent des pistes de gestionconservatoire. Associée à desmesures de protection contre leseffets de la pression anthropique,la non-intervention y est souventpréconisée ; un nouveau champde réflexion est ouvert sur leslarges portions de dunes doma-niales classées en ZSC (zone spé-ciale de conservation) au titre decette directive.

Une gestionmultifonctionnelle, répondant

aux attentes de la société

La gestion des dunes littoraless’inscrit dans les grands principesde la gestion multifonctionnelle :concilier les fonctions écono-miques, écologiques et sociales.Le gestionnaire des dunes litto-rales vise à répondre de façonconjointe à plusieurs objectifs :Protection contre le risque

d’ensablement ; c’est la pour-suite du rôle historique de « fixa-tion » des dunes, mais fortementinfléchi par les autres attentes.Conservation de paysages

naturels rares et originaux ; leprofesseur Géhu (1997) rappelle larichesse et le rôle des dunes enmatière de conservation (« 1/10 dela flore française sur 0,5/1000 duterritoire »), il met en exergue leur

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phytodiversité floristique et coeno-tique (« sur les 400 taxons vascu-laires littoraux, quelque 150 sontpréférablement dunaires, et 60 lesont exclusivement… »), il rap-pelle la richesse particulière desarrière-dunes et en déduit desprincipes de gestion qui associentle maintien de pelouses ouvertes(limitation de la dynamique fores-tière) et la réduction de la mobilitédes dunes vives («… il faut aussiprotéger les pelouses de l’avancéedes dunes meubles… »).Modération de l’érosion marine,

par soutien du bilan sédimentairedu système plage/dune ; la prise deconscience, et le ressenti croissantdu « risque » érosion marine élargitla palette des motivations ; il nes’agit plus seulement d’éviter l’ensa-blement de l’arrière-pays, mais deréduire le déficit sédimentaire de laplage, principale cause du recul descôtes.

Les nouveaux regards et attentesrendent nécessaires des inflexionsmais sous-tendent toujours lanécessité d’actions… Les attentessont parfois contradictoires (fixer /mobiliser), l’un des points cruciauxdes travaux sera de choisir le degréde mobilité laissé aux dunes, ilpourra différer selon les sites.

D’autre part se pose la question dufinancement de ces attentes… Les« externalités positives » de l’ou-vrage sont fortes mais ne génèrentpas une source budgétaire directe.Les services apportés par les dunes

sont difficilement quantifiables enterme financier, ils touchent cepen-dant à l’essentiel : conservation despaysages et de la biodiversité,espace de rêve et de ressource-ment… et constituent un élémentimportant du développement tou-ristique.

La bonne réponse technique auxattentes sociétales demande doncen permanence un arbitrage tech-nique (ni trop, ni trop peu d’inter-vention), un arbitrage financier (rus-ticité pour limiter les coûts), et unedémarche de communicationauprès des responsables de l’amé-nagement du territoire, concernéspar les retombées de l’action, etfinanceurs effectifs ou potentiels.Sous le chapeau « contrôle souple», les interventions menées sur lesdunes littorales domaniales s’inscri-vent dans la logique des processusdynamiques naturels, et privilégientles savoir-faire de génie écologique.

Le « contrôle souple » :modérer l’érosion éolienne,

conserver les écosystèmes etménager la ressource

sédimentaire

Le contrôle souple des dunes litto-rales vise à réduire l’érosionéolienne par différents moyenstechniques : couvertures de bran-chages, rideaux brise-vent, planta-tions… L’énergie du vent est aussimise à profit pour aider au déve-loppement de formes aérodyna-miques d’auto-stabilisation. Toutes

les interventions cherchent égale-ment à limiter les pertes éoliennesdu système plage/dune : le sableretenu au plus près de sa source, laplage, reste dans la cellule sédi-mentaire littorale, il permettra deréalimenter la plage en phased’érosion marine.

Pour tenir compte de la forte soli-darité transverse des faciès sous levent par rapport aux faciès au venton travaillera aussi en « amont »que possible ; l’effet se répercuterapidement à l’aval, sur la partieinterne.L’action est précédée d’une ana-lyse du contexte dynamique desdifférents segments de côte. Auxtrois grands types de situationsévoqués précédemment corres-pondent trois types de réponses.

Dans un secteur en érosion marinecontinue et forte, il s’agit d’orga-niser la translation. Lors desphases de forte érosion marine, ladéflation éolienne est exacerbéepar la falaise, le cordon dunaire seremet en mouvement ; l’actionfrontale n’est ni possible, ni souhai-table. Sur le versant externe il estpréférable de laisser se dévelop-per une pente d’équilibre dyna-mique facilitant l’écoulement duvent et réduisant l’épaisseur (doncle volume) de sable dunaireemporté par les entailles marines.La pose de rideaux brise-vent surle versant interne limite l’envahis-sement de l’arrière-dune, et per-met de maintenir une bonne assise

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1. Entaille d’érosion marine2. Éolisation de la falaise (sifflevents,caoudeyres, couloirs…)

3. Talus d’envahissement et pourrières4. Pose de rideaux brise-vent

Fig. 4 : dans un secteur en érosion, organiser la translation

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à la dune littorale (figure 4).Dans un secteur où alternent lesphases d’érosion marine et derépit, on aide à la reconstitutiondes avant-dunes. Pendant lesphases de répit de l’érosion marinedes travaux peuvent être engagéspour stocker une partie du sable auplus près de sa source et activer ledéveloppement des avant-duneset d’un versant externe aérodyna-mique (figure 5).

Enfin les secteurs à budget sédi-mentaire équilibré offrent uneopportunité de laisser faire ladynamique éolienne. Sous réserved’y empêcher le piétinement, lestravaux de contrôle peuvent y êtrede très faible ampleur.

Au-delà de ces adaptations auxdynamiques transversales et longi-tudinales, il faut s’assurer de lacohérence de gestion entre plageet dune. L’interface dune/plage estle lieu de permanents échangesd’énergie et de matière, ils ne doi-vent pas être interrompus. En casde déficit sédimentaire chronique,la possibilité de translationconjointe de la plage et de la dunevers l’intérieur des terres est certai-nement le moyen le plus efficace,et le plus économique, de conser-ver ces milieux et leurs fonctionssociales.

Il faut aussi éviter une fixationexcessive des parties frontales dela dune… « La fixation continue dusable par les plantes psammo-philes… provoque à terme une

augmentation d’altitude de ladune, exacerbant l’action éolienneet pouvant faire perdre la maîtrisede la dynamique globale »(P. Barrère, 1997).

Quels indicateurs pourévaluer l’état des dunes ?

La puissance publique de tousniveaux, ainsi que la population engénéral, demandent des informa-tions fiables sur l’état de l’environ-nement, et sur le bon usage desmoyens engagés. Sur les dunesaussi, des indicateurs doivent êtremis en place :- des indicateurs d’état qui sontplutôt qualitatifs (état de conserva-tion, qualité paysagère, rési-lience…),- des indicateurs de réalisation quisont plutôt quantitatifs (créditsconsommés, km de brise-ventposés…),- des indicateurs de résultat quipeuvent être quantitatifs et qualita-tifs.La découverte d’indicateurs sim-ples, universels et peu coûteux estillusoire. On ne peut répondre cor-rectement aux attentes qu’enadaptant les indicateurs auxthèmes prioritaires, aux échellesd’espace et de temps concernés…et à des coûts acceptables par ledemandeur. Nous n’en donneronsici que quelques exemples.

Autant de visions du bon étatque de cadres socioculturelsSuivant les époques, et suivant lechamp d’intérêt et de compétence

de l’observateur, le concept de« bon état » ne recouvre pas lamême réalité, les visions peuventmême être contradictoires. C’esttypiquement le cas de la mobilitédes dunes qui, pour certains, estl’attribut majeur des dunes dont ondoit conserver — voire recréer — lamobilité, alors que d’autres souhai-tent une fixation des dunes.

La fixation des dunes, attentedominante du passé, est fortementdiscutée aujourd’hui d’autantqu’une grande partie des dunesintérieures est déjà fixée, soit parl’action de l’homme (boisement),soit par des processus naturels decolonisation (dopés par les dépôtsatmosphériques). De plus, la prisede conscience récente du rôle desdunes comme régulateur du bilansédimentaire et la probable accé-lération de la montée du niveaudes mers obligent à admettre leconstant réajustement des formes,donc un certain degré de mobilité.

L’optimisation de la biodiversitéest une attente croissante, elle semanifeste notamment par le désirde laisser agir librement les pro-cessus naturels. « L’évolutionpourrait être laissée totalementlibre sur des segments du littoralconsidérés comme exemplaires dupoint de vue des formes et de larichesse des groupements végé-taux » (P. Barrère, 1997). La mise enpratique se heurte aux attentescontradictoires, et au poids deshabitudes. Ce principe de gestionest cependant retenu dans la

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Fig. 5 : en cas d’alternance érosion/répit, reconstituer l’avant-dune en phase de répit

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réserve biologique domaniale(RBD) de la Côte d’Opale àMerlimont, il est aussi envisagédans divers sites Natura 2000.

Le développement récent de stra-tégies de prise en compte desrisques dans l’aménagement duterritoire est également de natureà modifier le mode de gestion desdunes littorales. Il faut ici bien pré-ciser que les dunes sont plus unindicateur de l’aléa érosion, et unoutil de mitigation de l’érosion,qu’un risque. Le risque proprementdit vient de la réalisation d’équipe-ments dans des secteurs inadap-tés. Les principaux risques littorauxémanent du risque d’érosionmarine, et de submersion de frontsurbains trop « aventurés ». Lesdunes jouent un rôle tampon demodération de l’érosion marine, etdans certaines zones géogra-phiques, elles peuvent être consi-dérées comme des digues etgérées dans ce sens (voir l’articlede L. Gouguet sur l’exemple deNoirmoutier).

Un indicateur d’état : la compo-sition de la mosaïque paysagèrede la dune littorale non boiséeCet indicateur s’appuie sur l’ana-lyse de la mosaïque paysagère encomparant l’état observé avec unétat optimal préalablement défini.Dans la logique du contrôle soupleappliqué par l’ONF, cet écosys-tème de référence correspond àla succession la plus complète pos-

sible des faciès écodynamiques.C’est cette mosaïque qui donneaux dunes une meilleure résilienceface aux perturbations (naturellesou anthropiques) et qui génère despaysages attractifs et variés.L’indicateur sera principalementbasé sur la présence ou l’absencede différents faciès, mais aussi surleur importance spatiale relative :voir exemple figure 6.

L’écosystème de référence ne peutse concevoir qu’à des échellesspatiales suffisamment étendues.Pour les grands systèmes dunairesatlantiques, par exemple, un éco-système de référence est envisa-geable par tronçon de l’ordre de20 à 30 km. En matière d’évalua-tion du milieu, l’unité d’analysedoit également être suffisammentétendue, par exemple de l’ordrede 1 km de long.

Indicateurs de résultats : desrecherches et des pistes autourdu degré acceptable d’érosionéolienneDans le cadre de la mission d’in-térêt général (MIG) de « protec-tion et de contrôle de la mobilitédes dunes littorales du domaineprivé de l’État », le ministère del’Agriculture demande à l’ONF demettre en place une méthoded’évaluation de l’impact desactions menées.Les indicateurs de résultatsrecherchés doivent répondre àl’objectif central de cette MIG, la

réduction de la mobilité. La mobi-lisation sur laquelle nous pouvonsagir est celle qui provient del’érosion éolienne, c’est doncdans l’analyse de ces processuséoliens que seront recherchés desdescripteurs susceptibles deconstituer des indicateurs derésultats.

Une forme d’érosion éoliennen’est pas en soi un indicateur demauvais état : ce n’est qu’un cer-tain stade ou degré d’évolution,préalablement discuté, qui peutêtre considéré comme indicateur.Pour chacun de ces processusérosifs, on peut identifier diffé-rents stades évolutifs, et recher-cher le stade auquel l’action cura-tive est optimale en terme de rap-port coût/efficacité, et le stadeau-delà duquel on peut considé-rer que la forme d’érosion est unindice de mauvais état.

À titre d’exemple observons enfigure 7 le cas des caoudeyresfrontales (stade 1) qui sont lasource de la remobilisation desdunes littorales. La falaise ainsientamée s’éolise jusqu’à prendreun profil à pente douce sur plusde la moitié du versant, avec pré-sence de nouvelles avant-dunes :c’est le stade 2, optimal pourengager les travaux. Au-delà, lescaoudeyres deviennent coales-centes, tout le bourrelet dunaires’est remis en mouvement : lestade de l’action optimale est

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AD : Avant-dune DSF : Dune semi-fixée LG : Lette griseDB : Dune blanche DG : dune grise OP : Ourlet préforestier

État de référence optimal : pré-sence de tous les faciès potentiels etrapport largeur B/largeur A supérieurà 1/2.

État défavorable : présence demoins de 4 faciès ou largeur B/lar-geur A inférieur à 1/2.

Fig. 6 : exemple d’indicateur de l’état de conservation d’un tronçon de dune littorale basé sur la composition dela mosaïque paysagère et la proportion des différents faciès

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dépassé.L’ONF partenaire d’un projetLiteau retenu en juillet 2007Suite à un appel d’offres Liteau IIIlancé par le ministère de l’Écolo-gie, le projet d’« Aide à la gestionmultifonctionnelle des dunes litto-rales atlantiques par l’évaluationcartographiée de leur état deconservation » présenté par l’uni-versité de Nantes en partenariatavec l’ONF, l’université de Rennes,le Conservatoire du Littoral etEUCC-France a été retenu. Ce tra-vail de recherche appliquée menésur 3 ans s’appuiera sur plusieurssites pilote, de la Bretagne à laVendée. Il associera plusieursapproches, étude pointue desimages satellitaires, écologie du

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1. Falaise récente, en début d’éolisation

3. Larges caoudeyres coalescentes2. Falaise fortement éolisée

Fig. 7 : différents stades évolutifs de la remobilisation éolienne d’un front de dune

Photos : J. Favennec, ONF

La gestion intégrée des zones côtières (GIZC)

S’appuyant sur « Les enseignements du programme de démonstration de laCommission Européenne sur l’Aménagement Intégré des Zones Côtières », laDG Environnement de la Commission publie en 1999 un document de réflexion« Vers une stratégie européenne d’aménagement intégré des zones côtières »qui constate les carences : détérioration de l’environnement et des conditionsde vie, déclin des secteurs traditionnels durables au profit d’activités non dura-bles, érosion côtière et lutte inadaptée… et propose des principes clés debonne gestion :

- une approche large pour prendre en compte la complexité des systèmes fonc-tionnels, institutionnels et socio-économiques,

- une prise en compte des conditions locales,

- une synergie avec les processus naturels,

- des décisions qui ne ferment aucune porte pour l’avenir,

- le recours à une planification participative…

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paysage, relations homme-nature… pour proposer des cri-tères opérationnels d’évaluationde l’état des dunes et de la perti-nence des actions de restauration.

S’inscrire dans une logiquede gestion intégrée des

zones côtières

L’approche multifonctionnelleactuelle de la gestion dunaire etle contrôle souple qui en découles’inscrivent bien dans le nouveauconcept de gestion intégrée deszones côtières (voir encadré) ;mais il reste à affiner et complétercertains aspects pour répondreencore mieux aux attentes de lasociété d’aujourd’hui et dedemain :

Augmenter le degré de « natu-ralité » des dunes littorales : ils’agit d’abord de développer lesexpériences de dunes libresassorties d’un solide volet de suiviscientifique, à l’exemple de ce quise fait aujourd’hui dans la RBD dela côte d’Opale ; on chercheraaussi à réhabiliter les zoneshumides originales d’arrière-dune, à lutter contre la progres-sion des espèces exotiques enva-hissantes (voir à ce sujet l’articlede L. Gouguet et V. Bertin).

Développer des plans de ges-tion des sédiments. La cause fon-damentale de l’érosion des côtessableuses est la pénurie de sédi-ments. Dans un contexte de ten-dance à la remontée du niveaumarin, cette pénurie sera crois-sante, et le stock de sable dunaireprendra de plus en plus d’impor-tance stratégique. Le projet euro-péen Eurosion (living with coastalerosion in Europe, terminé en2004) préconise la mise en placede plans de gestion des sédi-ments ; l’intégration des dunes lit-torales dans cette gestion concer-tée par façade maritime, et parcellules sédimentaires, sera cer-

tainement une source de réexa-men de nos techniques. Dans leszones basses menacées de sub-mersion, le rôle de digue desdunes se développera.

Recréer des dunes littorales ?Sur un certain nombre de frontsurbains qui sont actuellementmenacés par le recul des côtes, etpour lesquels le coût de ladéfense — nettement supérieur àla valeur des biens défendus —ne sera plus supportable par lacollectivité, il est possible quesoit effectué à moyen terme unchoix de réalignement straté-gique ; alors s’ouvriront des chan-tiers nouveaux de re-création dedunes littorales…Plus que jamais, il est donc néces-saire de poursuivre, et enrichir, ledialogue entre les différentsacteurs, en établissant des pontsentre les réseaux de l’ONF et lesréseaux externes comme celui deEUCC-France. Membre de EUCC-France depuis 1997, l’ONF parti-cipe au dialogue entre scienti-fiques, praticiens et élus, socle dela gestion intégrée des zonescôtières.

Jean FAVENNECChargé de mission « Littoral »

ONF, direction de l’environnementet du développement durable

Bibliographie

BARRERE P., KOECHLIN J., 1997.Rapport préliminaire en vue del’étude de suivi du cordon dunairedu littoral aquitain. Bordeaux :ONF. 191 p.

BUFFAULT P., 1942. Histoire desdunes maritimes de la Gascogne.Bordeaux : Delmas. 446 p.

FAVENNEC J. (dir.), 2002.Connaissance et gestion durabledes dunes de la côte atlantique.Coll. « Dossiers forestiers del’ONF », n° 11. Paris : ONF. 394 p.

GEHU J.M., 1997. Phytodiversitéet intérêt patrimonial de la végé-tation des dunes littorales fran-çaises. Biodiversité et protectiondunaire, coord. Jean Favennec,Paris : Lavoisier Tec et Doc, pp.158-164

LEBLAN J., 1991. L’Office nationaldes forêts et la dune du littoralaquitain : une gestion résolu-ment tournée vers l’écologie.Arborescences, n° 34, pp. 48-50

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L’EUCC (union européenne pour la conservation des côtes)

C’est une association fondée en 1989 pour promouvoir la gestion raisonna-ble des littoraux, en rapprochant les scientifiques, les environnementalistes,les techniciens et les décideurs. Elle est implantée dans 40 pays. La branchefrançaise, mise en place par le regretté Roland Paskoff, est aujourd’hui pré-sidée par Marie-Claire Prat, géographe de l’université de Bordeaux. JeanFavennec, chargé de mission Littoral de l’ONF en est le vice président.L’EUCC-France organise deux fois par an des « ateliers de terrain » pourpermettre un dialogue sur des cas concrets, entre tous les acteurs concer-nés. Le premier de ces ateliers fut organisé par l’ONF sur les dunes deMerlimont (Pas de Calais) en 2000. Voir résumé des ateliers surwww.eucc.net.

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n bordure de la Manche,entre le Boulonnais et la

baie de Somme, la côte d’Opalequi longe la plaine maritimepicarde recèle un ensemble remar-quable de dunes dites de typepicard. L’orientation nord sud de lacôte, les vents dominants perpen-diculaires au rivage et la forte dis-ponibilité en sédiments sableuxont permis la formation d’une sériede larges cordons séparés par desdépressions humide. Ces systèmesdunaires sont relativement récents,les dunes les plus anciennes datentdu Haut Moyen-Âge, soit environ1 000 ans. Ils ferment la plainemarécageuse des « bas champs »,comblement naturel, lors de laremontée marine postglaciaire dudébut de l’Holocène (environ 7 000ans), des estuaires des petitsfleuves côtiers creusés dans lafalaise aujourd’hui « morte » duplateau crayeux.

Entre les stations touristiques deBerck et Merlimont, un importantmassif dunaire de plus de 800 ha,préservé de l’urbanisation, estreprésentatif de la diversité de cesdunes picardes. Il dépendaujourd’hui de trois propriétés, ladune communale vers l’intérieurdes terres, la dune domaniale et ladune du Conservatoire du littoralen bordure de la mer (figure 1).L’ONF assure la gestion de la dunedomaniale (450 ha), Réserve biolo-gique domaniale dirigée (RBD)dite « de la côte d’Opale » depuis1985, et apporte un soutien tech-nique à la gestion de la dune com-munale (partie sud, 150 ha) et dela dune du Conservatoire (290 ha)dans le cadre du régime forestier.

Le projet Life-Environnementde 1992 : des études

multidisciplinaires préalables

Remarqué pour sa richesse enterme de biodiversité et sa repré-sentativité, le massif des dunes deMerlimont à Berck a été choisicomme l’un des sites pilotes duprojet européen Life 92 de« Biodiversité et protection dunaire »centré sur la gestion des dunes lit-torales non boisées de la côteatlantique.Ce projet a permis de réunir tous lesacteurs concernés, gestionnaireslocaux et un large éventail de spé-cialistes thématiques, autour d’undéchiffrage du fonctionnement de

ce site. Un fructueux dialogue a per-mis d’identifier et comprendre lesprocessus qui conditionnent ladiversité paysagère et écologiquede ce complexe dunaire. Ces ensei-gnements ont été publiés sous letitre Biodiversité et protectiondunaire aux éditions Lavoisier TECet DOC en 1997.

La reconstitution des paysagesdu passé : un déficit de connais-sance avait été noté dans certainsdomaines, notamment celui desorigines de la formation des dunes,pour éclairer la compréhension desphénomènes actuels. Le BRGM acomblé ce manque en proposantdes « scénarios géoprospectifs »

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Les dunes de Merlimont – Côte d’Opale,site d’excellence

pour la connaissance et la gestion desmilieux dunaires européens

EE

Fig. 1 : les dunes de Merlimont – Côte d’Opale, situation et statut foncier

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de l’évolution dunaire dans uneétude (1997-2000) d’« Évolutiongéologique du système côtierpicard entre Berck et Merlimont(62) au quaternaire », travailrésumé en 2001 sous le titre « Lepaysage, de Berck à Merlimont,du Pléistocène à nos jours »(extraits en figures 2 et 3).

Une étude de géomorphologiecentrée sur le système dunaireexterne, secteur le plus dyna-mique, a démontré la richessedes formes et des processus, lesbases de gestion et de suivi à

long terme ont été posées. Lacaractérisation morphodyna-mique des différentes unités dedunes, enrichie par des observa-tions et des suivis récents, estreprise par Yvonne Battiau-Queney dans l’article suivant.

Une « étude édaphologique dela RBD de la côte d’opale »(Carole Ampe sous la directiondu Prof. Langohr de l’universitéde Gand, 1998) a mis en évi-dence des mécanismes particu-liers de fonctionnement de cessols sableux. À partir d’un maté-

riau meuble, les fluctuations dela nappe phréatique peuventengendrer un horizon compactimpénétrable par les racines etc’est le lapin qui, en décompac-tant cet horizon par ses fouilles,le rend de nouveau exploitable.Un phénomène méconnu estégalement mis en relief : l’hy-drophobie du sable, provoquéepar une pellicule de matièreorganique microscopique enro-bant les grains de quartz. Cephénomène accroît la sécheresseet limite la dynamique de coloni-sation de l’argousier.

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Fig. 2 : quatre formations se superposent… (BRGM, 2001)

Fig 3 : deux phases des paysages dunaires du passé (BRGM, 2001)

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Une étude hydrogéologique (B.Louche et N. Crampon, Universitéde Lille), très déterminante pourles choix et les modalités de ges-tion, met en évidence la présencede deux aquifères : la nappe libreperchée des dunes alimentée parles précipitations et la nappe semicaptive de la craie, avec des phé-nomènes de « drainance » del’une vers l’autre. Dans ce dossier,B. Dermaux et F. Veillé mettent enexergue le rôle primordial duniveau et des fluctuations de lanappe des dunes, et en déduisentdes pratiques de gestion.

Les formations végétales, toutparticulièrement celles des dunesgrises et de la plaine humide inter-dunaire ont fait l’objet d’une carto-graphie précise (FrançoiseDuhamel, Conservatoire botaniquenational (CBN) de Bailleul). Tous lesfacteurs du milieu précédents ontdes effets qui se traduisent dans lamosaïque végétale qui s’organiseen deux séries majeures de végé-tation :

- la xérosère, qui concerne ladune bordière et les dunessèches,- l’hygrosère, qui recouvre lesdépressions creusées dans lesdunes (pannes) et la plaine inter-dunaire.Ce premier état des lieux adémontré une exceptionnellerichesse (61 habitats, dont 51assez rares ou exceptionnels àl’échelle nationale ou euro-péenne) et identifié des pistesd’interventions nécessaires aumaintien de certains habitats etespèces, notamment la réhabilita-tion de pratiques de gestionextensive traditionnelles, seulesgarantes de la conservation desbas-marais, prairies tourbeuses etpelouses oligotrophes… Avecl’appui du CBN, ces actions ontété engagées avec succès (voirarticle de B. Dermaux et F. Veillésur la gestion conservatoire).

Le poids de l’histoire marqueaussi ce travail interdisciplinaire,qui a démontré le fort impact des

usages humains sur l’évolution dece paysage de dunes : avant laRévolution des « garennes » uti-lisées pour le pâturage et lachasse, mobilisation des sablesde la période de crise de la fin del’Ancien Régime (probablementaggravée par le climat froid du« petit âge glaciaire »), nouvellephase de forte mobilité durant laseconde guerre mondiale…

À l’issue du projet Life, desprincipes concertés degestion conservatoire

Tous ces apports scientifiques ontétayé l’élaboration concertée deprincipes de gestion conserva-toire applicables sur l’ensembledu site. Le principal objectif est lemaintien et le développement dela biodiversité. Il nécessite deconserver, ou recréer, les proces-sus - les perturbations - qui sontsources de cette biodiversité :mobilité du cordon dunaire litto-ral, mise en lumière des pelousesde dunes grise, débroussaille-

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- Dynamique libre du système dunaire externe.- Préservation et reconstitution de pelouses rases de dune grise (arrière dune du système externe)- Diversification maximale de la plaine humide : extension et restauration des habitats en régression (prairies etbas marais tourbeux, dépressions inondables…), suivi de l’évolution naturelle des boisements climaciques…

- Sur le système dunaire interne, aide à la dynamique naturelle de la forêt potentielle à base de feuillus qui vien-dra diversifier et renforcer le rôle de protection joué par ce cordon en partie planté de conifères.

- Partout : limitation de l’accueil à des visites guidées, pratique raisonnée de la chasse.

Fig. 4 : principaux choix opérationnels de gestion, pour les différents éléments du complexe dunaire

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ment des prairies humides… Il nes’agit pas de conserver des pay-sages figés, mais de maintenirune mosaïque évolutive en s’ap-puyant sur les « attributs vitaux »des écosystèmes : laisser agirceux qui entretiennent une dyna-mique active (érosion éolienne,fluctuations de la nappe phréa-tique…) et freiner ceux qui sontsource de banalisation (expansionde l’argousier, anciens fossés dedrainage…).

Ces principes de gestion conser-vatoire se sont immédiatementtraduits en termes opérationnelsdans le plan de gestion de laréserve biologique domaniale dela Côte d’Opale (pour la période1996 2005) dont les principauxchoix sont résumés figure 4.

Un dialogue suivi entrepraticiens de terrain,

chercheurs, usagers et élus

Tous les travaux de restaurationsont dotés de protocoles de suivi,ainsi les essais et erreurs de miseen œuvre permettent de tirer desenseignements généralisablesbien au-delà du site lui-même.Dès maintenant, une étroite colla-boration est établie avec leConservatoire du littoral en vued’harmoniser la gestion de la glo-balité du site, en s’appuyant surles itinéraires techniques testéssur le terrain domanial.

Avec le concours des universi-taires qui siègent au comité scien-tifique consultatif de la réserve,des travaux de recherches et desinventaires sont mis en œuvrechaque année. La géomorpholo-gie dunaire est bien sûr particuliè-rement suivie. Dans un autredomaine, en lien direct avec lesprincipes de gestion conserva-toire arrêtés pour le site, le CBNde Bailleul utilise volontiers laRBD comme terrain d’expérimen-tation des techniques de gestionou de conservation des espècesvégétales emblématiques des

milieux dunaires (liparis deLoesel, parnassie des marais…) etassocie l’ONF à ses programmesde travaux. Une étude sociolo-gique (« Perception et aménage-ment des zones humides : l’ap-port de l’étude des représenta-tions dans la gestion d’une zonenaturelle menacée. » MarionAmalric et al. — UST Lille-2003) aégalement permis de prendre enconsidération le point de vue desusagers et des élus sur l’utilisationde ce territoire.Les inventaires réalisés portentsur toutes les espèces vivantes :fonge (plus de 1 000 espècesrecensées à ce jour), flore (inven-taire des bryophytes en cours) etfaune, notamment avifaune etentomofaune (en cours : inven-taires des insectes saproxyliques).L’objectif n’est pas simplement dedresser des listes d’espèces maisbien, d’une part, d’améliorer lesconnaissances sur leur autécolo-gie et, d’autre part, d’établir lesrelations entre les espèces pré-sentes et les milieux qu’elles fré-quentent afin de dégager parmielles des indicateurs de la qualitédes milieux. C’est en matièred’ornithologie que le suivi est leplus approfondi avec séancesrégulières de bagage sur le siteoù ont également été installés unSTOC « ROZO » et un STOC« Forêt » (STOC : suivi temporeldes oiseaux communs, piloté parle Muséum d’histoire naturelle).

Le site est le support régulier destages d’étude et de formationsdiverses centrés sur la gestion desmilieux naturels. La diversité etl’originalité des milieux présentsainsi que la gestion menée enfont un lieu de visite pédago-gique apprécié par les ensei-gnants ou les gestionnaires demilieux similaires. Deux ateliersde terrain de EUCC-France sesont appuyés sur la RBD de lacôte d’Opale, en 2000 et en 2006,on en trouvera les comptes ren-dus sur www.eucc.net.

Un site d’excellence

L’objectif ambitieux de faire dusite des dunes entre Merlimont etBerck un site d’excellence pour laconnaissance et la gestion desmilieux dunaires au niveau euro-péen est en bonne voie… BasArens, spécialiste des Pays Bas,considère que ce systèmedunaire, qu’il a visité à de nom-breuses occasions, constitue unmodèle de démonstration desprocessus de dynamique libre.C’est aussi un espace de dialoguelibre entre les porteurs desdiverses attentes sociales.

Jean Favennec,Chargé de mission « Littoral »

ONF, direction de l’environnementet du développement durable

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a plaine maritime« picarde » s’étend

d’Ault-Onival à Equihen, à cheval surles Régions de Picardie et du Nord-Pas-de-Calais. Elle s’est formée parl’accumulation de sédiments fluvia-tiles et marins, en bordure d’unemer dont le niveau a connu desvariations de plus de 100 m auQuaternaire récent. Dans sa partiecentrale, sur les communes deMerlimont et de Berck, le systèmedunaire s’étale sur 2 à 3 km delarge, formant un vaste ensembled’un seul tenant sur plus de1 000 ha, dont près de la moitiéappartient à la RBD. Il est séparé dela bordure du plateau crayeux parun ancien marais maritimeaujourd’hui poldérisé, situé sous leniveau des plus hautes mers (voirarticle précédent, figures 1 à 3).

Ici, le fonctionnement de la dyna-mique dunaire sous la triple actionde la mer, du vent et de la végéta-tion est particulièrement lisible dansla morphologie, faisant de ce site unvéritable musée de formeséoliennes, sans doute l’un des plusriches en Europe. À lui seul, il pour-rait servir de référence pour définirla terminologie des dunes en milieulittoral océanique tempéré. Il estd’autant plus remarquable au planpédagogique et scientifique que,grâce aux choix adoptés par les ges-tionnaires de la RBD, les processusnaturels n’y sont pratiquement pasperturbés par les interventionshumaines.

L’organisation et la mise enplace du système dunaire

On y distingue trois sous ensem-bles : deux cordons dunaires allon-gés nord sud parallèlement à la

côte, séparés par une vastedépression sableuse, la « plaineinterdunaire », où le modelééolien est difficile à déchiffrer sur leterrain, bien qu’on y on distinguesur photo aérienne des ébauches

de dunes paraboliques. Dans cetteplaine interdunaire de vrais pod-zols ont eu le temps de se former.Au sud-est de la RBD, un niveautourbeux sous-jacent à la duneinterne a été daté du 11e siècle,

RDV techniques n° 17 - été 2007 - ONF���������

La réserve biologique domanialede la Côte d’Opale : une exceptionnelle

diversité de formes dunaires

cordon dunaire interne

caoudeyre

pourrière

cuvettes de déflation

plaine interdunaire

couloir

transportdu sable

zone de formation des dunes embryonnaires

avant-dune (dune blanche)

grande duneparaboliquetête

panne

mur dedéflation

talusd'envahissement

nappeaffleurante

avant-dune naissante

dune grise (argousiers)

HMVE

1 2 3 4 5

plage

avant-dune

niveau de la nappedunaire (eau douce)

arrière-dune

panne

plaine humide

interdunaire

système dunaire externe

pourrière

tête de dune parabolique

LL

1. Dune embryonnaire en haut de plage, nebkas à caquillier et chiendent dessables

2. Avant-dune naissante, banquette à chiendent des sables3. Avant-dune établie, cordon de dune blanche à oyat4. Arrière-dune semi-fixée et fixée, dune grise, formes de type paraboliquecréées par une dynamique éolienne faiblement entravée par la végétation

5. Plaine interdunaire

Fig. 1a : principales formes dunaires observées sur la RBD (photo 1995)L’avant-dune naissante est beaucoup plus développée aujourd’hui. Ce document montre bien les relationsentre la plage, les couloirs et les pourrières.

Fig. 1b : transect schématique des dunes du système externe

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mais, plus au nord, vers le Touquet,des dunes plus anciennes (2000 -2500 ans par comparaison aveccelles du nord de la Canche) contri-buent peut-être au substrat de laplaine. Par contre les deux cordonsdunaires, interne et externe, appar-tiennent à une génération plusrécente.

Le plus ancien, l’interne, s’est misen place dans sa position actuelledepuis moins de 500 ans : un solenseveli sous une grande duneparabolique a été daté au 14C entre

1470 et 1660. Il faut imaginer degrandes dunes transgressives trèsmobiles en forme de paraboles, sedéplaçant vers l’intérieur desterres. Le sable venait de la plage,transporté par les vents de secteurouest. Les habitations, localiséesen bordure interne de ces dunes,étaient constamment menacéesd’ensablement. Les archivesconservent les témoignages dequelques épisodes spectaculaires,comme celui de 1534 où le ventsouffla en tempête pendant 15jours et ensabla le village de

Merlimont. Cette période degrande mobilité dunaire est à met-tre en relation à la fois avec le cli-mat (Petit Âge Glaciaire entraînantune végétation moins vigoureusequ’actuellement et un moindredéveloppement de la végétationpionnière en haut de plage) et avecdes facteurs biologiques (proliféra-tion du lapin) et anthropiques (arra-chage des oyats qui fournissaientle combustible nécessaire). Lesboisements opérés au 19e siècleavaient pour but de fixer cesdunes.

RDV techniques n° 17 - été 2007 - ONF���������

Merlimont, 2 mars 2006coefficient 116

anciennefalaise marine

bourrelet éolienlaisse de

mer avant-dune

avant-dune

dunesembryonnaires

bourrelet éolien

falaise marine

traces de swashancien

Merlimont2 mars 2006coefficient 116

bourrelet éolien

falaise marine du 20 mars 2007

avant-dune

dunes embryonnaires

couloir éolien

plage le 27 mars 2007

6,75 m

bourrelet éolien créé depuis 1995

versant dunaire

en 1994

falaise marinecréée le 20 mars 2007

bunkers allemands de 1943

Fig. 2a : vue d’ensemble de la plage bordant la RBDOn y lit l’évolution récente du trait de côte enregistrée par les formes dunaireset de haut de plage.

Fig. 2b : état du haut de plage à l’entrée d’un couloirproche de la limite nord de la RBD

La tempête du 20 mars 2007 (mer forte et coefficient de 116) a entaillé, sans le fairedisparaître, le bourrelet éolien formé antérieurement. Cette plage possède unetrès forte résilience en raison des volumineux apports éoliens constituant un stockde sédiment réutilisable par la mer en cas de tempête.

Fig. 2c : juxtaposition de formes dont la duréede vie diffère

L’avant-dune est doublée à son pied par des accumulations éoliennes récentes(dunes embryonnaires et placage à agropyron). La photo illustre la complexitédes processus marins créant la falaise marine haute localement de plus d’unmètre. Les traces de swash montrent que les vagues ont déferlé au-delà de lafalaise au moment de la pleine mer.

Fig. 3 : les blockhaus, des marqueurs robustesde l’évolution du trait de côte

Le bunker allemand, construit en position frontale de l’avant-dune de l’époque,permet aujourd’hui (photo du 27 mars 2007) d’évaluer le recul maximum du trait decôte à une vingtaine de mètres en 64 ans.

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Le cordon externe est encore plusjeune. Pendant la dernière guerremondiale, des dunes paraboliques,aujourd’hui en position d’arrière-dune, étaient alimentées directe-ment à partir de la plage, tandisque l’avant-dune, discontinue, selimitait à des îlots sableux peu éle-vés que les Allemands ont proba-blement choisis pour localiser leursbunkers. La dune bordière à oyat,telle qu’on la voit aujourd’hui, estapparue dans les vingt années quiont suivi la guerre. D’abord favori-sée par la pose de fascines et defilets, elle s’est ensuite développéenaturellement grâce à d’abondantsapports de sable depuis la plage.Les interventions humaines desannées 50 et 60 du 20e siècle onteu pour conséquence un exhaus-sement notable de l’avant-dune,qui forme une barrière difficile-ment franchissable par les fluxéoliens, en dehors des couloirstransversaux. De ce fait les dunesparaboliques situées en arrière del’avant-dune ne sont plus alimen-tées par la plage : elles évoluenten circuit fermé, avec un stock desable pratiquement inchangé.Actuellement, elles ont tendanceà se stabiliser et à se végétaliser.Les pannes humides sont de moinsen moins sujettes à la déflationéolienne, bien que la nappe phréa-tique soit plutôt basse. Ceci va àl’encontre du schéma classique quivoudrait que l’abaissement de lanappe favorise le creusementéolien jusqu’au niveau de la nappe.Il faut en effet tenir compte de lavégétation. On assiste depuis 10ans à une prolifération des argou-siers et autres espèces buisson-nantes, qui envahissent même lestalus des pourrières. Les caou-deyres se végétalisent aussi, frei-nant considérablement la dyna-mique éolienne. La périodeactuelle est donc marquée par unenette tendance à la stabilisationdes dunes externes.

Le contact entre l’avant-dune et laplage est extrêmement mobiledans son modelé. Il fonctionne

sous la double influence des dyna-miques marine et éolienne. C’estun lieu d’échanges sédimentairesincessants entre plage et dune oùla morphologie enregistre fidèle-ment cette double dynamique,avec laquelle interfère en outre lavégétation. La situation « instanta-née », celle qui est observée à uninstant t, est complexe car elle jux-tapose des formes dont la duréede vie est inégale : les rides desable indiquent la direction et laforce du vent du dernier épisodeventeux. Les dunes embryonnairessont la résultante de la dynamiqueéolienne pour toute la périodepostérieure à la dernière grandemarée ou/et à la dernière tempête.Les falaises sableuses entaillantl’avant-dune sont l’œuvre de ladernière « agression » marine.Selon que celle-ci est récente ouancienne, ces falaises sont fraîchesou déjà en partie masquées sousune nouvelle accumulationéolienne (figure 2). La « lecture »morphologique du contact del’avant-dune et de la plage permetdonc de reconstituer toute uneséquence d’événements marins etéoliens, traduisant tout simple-ment la « respiration » naturelledu système côtier, quand aucuneintervention de l’homme ne vientla perturber. À Merlimont, un suivirégulier permet d’affirmer quecette extrême mobilité d’échelleinstantanée va de pair, à l’échelledécennale, avec une stabilité dutrait de côte, voire même son avan-

cée, et à l’échelle pluridécennale, àun modeste recul de moins de20 m en 60 ans (figure 3). Il fautdonc être très prudent quant à l’in-terprétation d’une situation instan-tanée, par exemple à partir d’unevisite de terrain ponctuelle oud’une photographie.

Les formes dunairesélémentaires et leur

évolution morphologique

Le long de la plaine maritime« picarde », la direction des ventsdominants, l’existence d’un vasteestran (de 600 à 900 m), un stockde sables moyens (médiane de250 μ), une végétation psammo-phile abondante, créent un envi-ronnement particulièrement favo-rable à la dynamique dunaire. LaRBD permet d’observer dans desconditions optimales l’évolutiondes dunes à tous les stades deleur développement.

Sur le haut de plage, les pre-mières accumulations éoliennessont qualifiées de dunes embryon-naires ou naissantes. Ce sont des« nebkas » (dunes d’obstacle) :le sable se dépose derrière undétritus et va très vite être colo-nisé par des plantes pionnières.Les dunes prennent une formeallongée ou plus massive, selonles cas (figure 4). Une fois nées,leur durée de vie est aléatoire.Elles peuvent disparaître à la pro-chaine grande marée, si la mer est

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Fig. 4a : naissance d’une nebkasur la plage

Le sable se dépose en arrière de l’obstacle.

Fig. 4b : dunes embryonnaires àCakile maritima

Ces dunes ne se voient qu’en fin d’été et surtout àl’automne.

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forte. Mais beaucoup vont survi-vre, surtout si elles sont arméesd’un lacis dense de racinesd’agropyron (Elymus farctus) quirésistent bien aux vagues. Parcoalescence, ces nebkas vonts’agglutiner pour donner unebanquette ou un bourrelet colo-nisé ici principalement par l’agro-pyron (figure 5). C’est l’embryond’une nouvelle avant-dune.

Si l’accumulation éolienne sepoursuit, apparaît ce que RolandPaskoff appelait l’« avant-duneétablie », colonisée par l’oyat(Ammophila arenaria). La végéta-tion joue un rôle fondamentaldans l’établissement d’une avant-dune. Avant la dernière guerre etjusqu’aux années 1950, le cordonbordier se réduisait à des formesbasses et discontinues qui neméritaient pas vraiment le qualifi-catif d’avant-dune. Le ventemportait le sable de l’estran àl’intérieur des terres, sans êtrefixé près de la plage. La proliféra-tion des lapins serait l’une desexplications. Toujours est-il que lanaissance et l’exhaussementrapide de l’avant-dune s’obser-vent à partir des années 1950,facilités au départ par la pose defascines et de filets et probable-ment aidés par la maladie dulapin. En bordure de la RBD,l’avant-dune a une quinzaine demètres de haut. Son évolution esttotalement naturelle depuis plusde 15 ans. Son versant maritime,assez raide dans l’ensemble, pré-sente des ruptures de pente tra-duisant l’accrétion de bourreletséoliens successifs (figure 6). Il estaccidenté de petites cuvettes dedéflation et de couloirs transver-saux creusés par le vent. La situa-tion actuelle (en 2007), comparéeà celle du dernier levé géomor-phologique détaillé en 1994,montre que ces couloirs ont eutendance à se fermer. Quelques-uns sont complètement décon-nectés de la plage, bien que tou-jours façonnés par les flux éoliens.D’autres restent ouverts sur la

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Pourrières

talus d'envahissement

Est Ouest

vent dominant

Fig. 9 : Pourrières proches de la limite nord de la RBD (27 mars 2007)Chaque pourrière est associée à un couloir par où transite le sable de la plage. La partie distale, avec le talusd’envahissement, et les flancs de chaque pourrière sont une « zone de combat » entre la végétation et l’ac-cumulation éolienne.

Fig. 7 : couloir transversal dansl’avant-dune (15 février 2007)

On note les contrastes de modelé, reflétant lacomplexité des flux éoliens zigzagant entre lesparois. Une partie du sable qui transite dans lecouloir provient de la plage mais les parois évo-luent sans cesse entre érosion et accumulation.

Fig. 8 : traces d’intrusion marinedans un couloir, une semaine après

la tempête du 20 mars 2007La mer a pénétré dans le couloir, y laissant quelquesdétritus (cercle bleu), mais sans en modifier sensible-ment le modelé.

avant-dune

banquette à Agropyron

bourrelet d’accrétion éolienne

nebkas

Merlimont 15-02-2007

entrée marinele 20 mars 2007

vent dominant

Fig. 5 : les différents stades dedéveloppement dunaire

On voit de petites nebkas naissantes, une banquetteà gropyron, un bourrelet éolien encore coloniséessentiellement par l’agropyron préparant une nou-velle avant-dune qui précède l’avant-dune « éta-blie » colonisée par l’oyat.

Fig. 6 : profil type de l’avant-dune(15 février 2007)

On distingue une étroite banquette à gropyron, enhaut de plage, et de gros bourrelets d’accrétionplaqués contre l’avant-dune « établie ».

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plage mais leur plancher est par-tiellement obstrué de langues desable nu très mobiles, alimentéesautant par les parois du couloirque par la plage (figure 7). Aulendemain de la tempête du20 mars 2007, survenue avec uncoefficient de marée de 116, unseul couloir avait été envahi par lamer. Encore ne s’agit-il que d’uneintrusion très ponctuelle, sanseffet morphologique notable(figure 8).

Le sable transitant dans les cou-loirs et arraché à leurs parois va sedéposer à leur sortie en formantdes pourrières. Leur forme d’en-semble a peu changé en 12 anscar elle dépend de la directiondes vents dominants et donc descouloirs. Par contre, dans ledétail, leur morphologie est trèsmobile. Quand le couloir n’estpas obstrué, le sable de la pour-rière est nu sauf sur ses flancs etson talus terminal, qui sont devéritables zones de combat entrela végétation et le vent (figure 9).

En arrière de l’avant-dune, onpénètre dans un domaine com-plexe où l’argousier (Hippophaerhamnoides) a tendance à toutenvahir. Néanmoins, cette inva-

sion végétale n’occulte pas unemorphologie dunaire encore trèslisible dans le paysage ; ce sontessentiellement des formes para-boliques et des caoudeyres. Lescaoudeyres du système dunaireexterne ont une nette tendance àse combler. C’est le cas de celleque nous avions appelée en 1995,la « grande caoudeyre ». Sesflancs et son plancher sont enva-his par la végétation, en faisantune forme relique (figure 10).En bordure nord de la RBD, unegrande dune parabolique est unexemple unique par sa taille etson fonctionnement morpholo-gique toujours actif. Située enpartie sur territoire communal, sabonne gestion nécessite uneétroite concertation des deuxpropriétaires. Les fluctuations dela nappe d’eau douce du systèmedunaire se traduisent ici parl’inondation ou l’assèchement dela panne centrale (figure 11). Latête de cette grande dune para-bolique, désormais mal alimentéeen sable à cause de l’obstacle del’avant-dune, continue à évoluer :son versant ouest, très raide, estun véritable mur de déflationdont le sable va se déposer surson sommet et son revers, tousdeux colonisés par l’oyat. De ce

fait, la dune a tendance às’exhausser à la façon d’une dune« perchée ». Une cuvette dedéflation et un couloir étroit sesont creusés depuis une dizained’années en bordure du brasnord, préparant peut-être unebrèche dans la tête de la para-bole.

Les dunes du système internesont en grande partie végétali-sées. Néanmoins il reste desdunes paraboliques encoreactives et de vastes étendues desable nu. Ici le stock n’est pasrenouvelé. Ces dunes sont lesplus hautes du système dunaire,car elles fonctionnent comme desdunes perchées. Proches dezones habitées, elles sont beau-coup plus fréquentées et piéti-nées que celles du systèmeexterne.

Yvonne BATTIAU-QUENEYProfesseur émérite

Université des Sciences etTechnologies de Lille

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Fig. 10 : grande caoudeyre au sud de la limite nord dela RBD (11 mars 2005)

On reconnaît bien la cuvette et son bourrelet d’accumulation associé, le vent domi-nant soufflant du bas vers le haut de la photo ; mais il ne s’agit plus que de formesreliques. Le plancher et les parois de la cuvette sont densément végétalisés, inhi-bant la dynamique éolienne. Cette caoudeyre était encore active en 1994.

Fig. 11 : grande dune parabolique au nord de la RBD(27 mars 2007)

1. Mur de déflation ; 2. Cuvette de déflation ; 3. Brèche ; 4. Panne centraleavec affleurement de la nappe dunaire (eau douce) ; 5. Tête de pourrière.

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D’abord le souci de préserva-tion d’un milieu naturel…

Au début des années 70, alors que ledéveloppement des activités écono-miques et touristiques sur le littoralfait craindre la disparition des milieuxnaturels dunaires, une politiquevolontariste d’acquisition de cesespaces par l’État est mise enœuvre,s’inspirant de l’idée néerlandaise du« tiers sauvage » qui préconise lemaintien à l’état naturel du littoralpour une part égale à celle concédéeà l’industrie ou au tourisme.

En région Nord — Pas de Calais,cette politique se traduit par l’opéra-tion « Fenêtres vertes sur la Côted’Opale » qui se concrétise par l’ac-quisition d’environ un millier d’hec-tares de dunes en trois ensembles,dont celui deMerlimont-Berck, par leMinistère en charge de l’Agriculture.

C’est ainsi que, dans ce massif, futconstituée la dune domaniale de laCôte d’Opale, fusion de quatre pro-priétés achetées entre 1972 et 1985,et résultat d’une volonté politiqueforte de préservation du littoral.

Cette volonté est cependant à repla-cer dans le contexte des préoccupa-tions et attentes de l’époque et doitêtre entendue comme volonté depréserver le littoral de l’appétit despromoteurs ou des grands groupesindustriels et, en 1974, si le but estbien d’épargner des espaces denature, le souci de biodiversité nefigure pas parmi les objectifs du nou-veau gestionnaire — l’Office nationaldes forêts.

… façonné par l’homme

L’aspect que la dune domaniale de laCôte d’Opale présente aujourd’huiest le résultat d’une interaction per-manente entre l’expression des fac-teurs écologiques et l’impact desactivités humaines. Dans cette

recherche permanente de valorisa-tion des espaces disponibles,l’homme a pratiqué sur le sitediverses activités qui ont toutes mar-qué le paysage. Cette valorisation,qui s’organise en quatre étapes chro-nologiques, évolue au fil du temps,parallèlement aux préoccupationssociétales du moment.Valorisation agricole d’abord, avecune activité pastorale pratiquée parle passé qui a contribué à limiter ledéveloppement des formationsarbustives et arborées tout en favori-sant l’expression des divers types depelouse.Valorisation cynégétique ensuite,avec l’aménagement du site pourl’exercice, au profit de quelques privi-légiés, de différents types de chasse.C’est de cette époque que datent lacréation desmares, pour la chasse augibier d’eau, et le creusement desfossés, pour les alimenter et, enmême temps, « assainir » la plaineinterdunaire.D’autre part, la chasse au petit gibieret notamment au lapin de garenne,cumulée aux effets de la myxoma-tose, a fortement favorisé la dyna-mique forestière (photos) qui abou-tira à la forêt littorale du Ligustro-Betuletum, aux dépens des milieuxouverts : pelouses et prairies.Valorisation sylvicole après l’acquisi-tion du site par l’État et sa gestionconfiée à l’ONFqui envisage dans unpremier temps, à l’image de ce quis’était fait en Aquitaine, de fixer ladune et de planter massivement de

pins la plaine interdunaire aprèsl’avoir drainée, l’objectif final étantd’aménager ensuite cette pinèdeartificielle pour accueillir le public.Ces premiers projets se traduirontpar la plantation, entre 1975 et1981, d’une quinzaine d’hectares depins laricio et, jusqu’en 1992, par destravaux de fixation du cordon littoral.Valorisation écologique enfin, miseenœuvre à partir des années 80, avecla prise de conscience de la valeurbiologiquedu site par le gestionnaire– fortement aidé en cela par la com-munauté scientifique régionale – etpar le classement la dune domanialede la Côte d’Opale, en 1985, enréserve biologique domaniale diri-gée (RBD).

Un site naturel d’un intérêtexceptionnel…

La réserve biologique domaniale dela Côte d’Opale fait partie d’un mas-sif dunaire de plus de 800 hectaresqui forme un ensemble particulière-ment représentatif des systèmesdunaires de la plaine maritimepicarde caractérisés, notamment, parleur morphologie : sous l’effet de ladynamique dunaire, une successionde larges cordons plus ou moinsparallèles de dunes s’est mise enplace, isolant de vastes dépressionsinterdunaires inondables. La RBD,d’une surface de 450 hectares, recou-vre la plus spectaculaire de cesplaines humides (photo), s’inscrivantentre un cordon de dunes littorales

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Réserve biologique domaniale de la Côted’Opale, choix de gestion hier et aujourd’hui

J.Favennec,O

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Colonisation forestière amorcéepar « nucléation » à base de

saules

Forte dynamique du bouleau…La bétulaie est la principale

formation forestière

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où s’exprime une dynamique encoretrès vive et un cordon interne plusancien, culminant à plus de 40 m. Letout forme un des plus beaux ensem-bles de dunes encore fonctionnellesdu littoral de la Manche.Le fonctionnement hydrologique dela réserve dépend entièrement d’unenappe dunaire superficielle, exclusi-vement alimentée par les précipita-tions. Cette nappe dunaire joue lerôle deplancher dedéflation dans lesdunes non fixées par la végétation etapparaît au fond des creux provo-qués par le vent, formant de nom-breuses « pannes » humides.

En relation avec les grands traits de lagéomorphologie, deux ensemblesd’habitats peuvent être distingués :un ensemble xérophile, la xérosère,qui se développe sur les cordons dedunes et un ensemble d’habitatsoccupant les pannes et la plaineinterdunaire inondable formant l’hy-grosère.Dans la plaine centrale, la complexitéde la microtopographie, résultat dela dynamique dunaire passée,explique la diversité phytocénotiquede l’hygrosère : toutes les commu-nautés végétales potentielles peu-vent s’y exprimer, depuis les habitatsherbacés pionniers sur sables miné-raux des pannes actives jusqu’auxbas-marais tourbeux et à la forêtdunaire hygrophile naturelle domi-née par le bouleau pubescent.Une soixantaine d’habitats différentsont été recensés dont les deux tiersrelèvent de la directive européenne92/43, directive « Habitats ». Sixd’entre eux, caractérisant la « dunegrise », sont considérés commeprioritaires. À cette diversité biocé-notique répond une diversité floris-tique exceptionnelle pour la région :près de 500 espèces végétales ont

été inventoriées dont 44 sont proté-gées au niveau régional, 7 au niveaunational et une, le liparis de Loesel,figure en annexe II de la directive« Habitats ». Cette variété demilieuxinflue également sur la diversité desautres règnes du vivant : richessefaunistique, notamment fauneaviaire, et richesse mycologiqueavec, à ce jour, plus de 1 000 espècesde champignons recensées.

… dont il faut comprendre lefonctionnement pour bien le

gérer

En 1992, la RBD de la Côte d’Opaleest retenue comme un des chantierspilotes du programme LIFE« Biodiversité et protection dunaire »piloté par la mission « Littoral » del’ONF et, à ce titre, la réserve bénéfi-cie d’une série d’études qui mettenttoutes en évidence les multiples inté-rêts de cet éco-complexe dunaire.Les conclusions de ces études et lespropositions de travaux, une fois syn-thétisées, ont servi de base à la miseen œuvre d’une réelle gestionconservatoire du site, avec, commeobjectifs prioritaires, le maintien et ledéveloppement de la biodiversité,ainsi que le maintien et l’étude desprocessus évolutifs que sont la dyna-mique dunaire et la dynamiquevégétale, la volonté étant de faire dusite un véritable laboratoire « gran-deur nature ». En adéquation avecson statut de réserve biologique diri-gée, la dune domaniale de la Côted’Opale se révèle être le lieu idéal oùdéfinir et mettre au point desméthodes de gestion adaptées àl’écologie et à la dynamique desmilieux dunaires.Découlant de ces objectifs, les choixde gestion retenus pour la réservesont aujourd’hui :- la libre expression de la dynamiquedunaire ;- le maintien ou la restauration d’ha-bitats à forte valeur patrimoniale ;- le suivi et le contrôle régulier del’évolution dynamique du site.

La mise en œuvre de la gestion choi-sie se fait en concertation avec lecomité scientifique consultatif de la

réserve. Ce comité, constitué autourdes universitaires ayant participé auprogramme LIFE « Biodiversité etprotection dunaire » et élargi à d’au-tres compétences est le conseillerpermanent du gestionnaire Il estl’instance où s’échangent les idées,où se montent les projets et où s’or-ganisent les programmes annuels detravaux. Les disciplines majeures del’étude du milieu naturel y étantreprésentées, aucune décision degestion ne se fait au détriment desautres et, au contraire, des synergiessont souvent dégagées, satisfaisantplusieurs intérêts à la fois.

« Contemplation active » dela dynamique dunaire…

Parmi les choix de gestion retenus, ladécision novatrice de laisser la dyna-mique dunaire s’exprimer sanscontraintes est celui dont est attendule plus d’enseignements. L’étenduede la RBD, son développementouest-est notamment, et l’absenced’équipements qui auraient pu êtremenacés par la progression du sableont rendu ce choix possible dont lebut premier est de comparer, dans uncontexte d’érosionmarine, l’efficacitéd’un cordon « souple » de dunes,que l’on laisse se mouvoir librement,par rapport à celle de cordonsdunaires entravés par de coûteux tra-vaux de fixation. En même temps cechoix permet d’étudier l’évolutionnaturelle des formes dunaires etlaisse espérer, à terme, la mise enplace d’une « collection » de cesformes géomorphologiques (pho-tos), un musée naturel à vocationscientifique et pédagogique.D’autre part, la mobilité d’une partiedu site liée aux déplacements de ladune, en influant constamment surles facteurs du milieu, garantit lerenouvellement et la diversité desbiotopes et donc des habitats et desespèces qui leur sont associées.

Depuis 2000, un suivi photogra-phique de l’évolution naturelle de ladune est assuré trimestriellement àpartir de différents points soigneuse-ment repérés et choisis de manière àcouvrir l’ensemble du cordon littoral.

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Une vaste plaine humideinterdunaire

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Ce suivi, uniquement qualitatif, per-met de visualiser les transformationsque subissent les dunes sous l’effetdu vent.

… et interventionnismecalculé dans la dynamique

végétale

Avec le suivi attentif de l’évolution ducordon dunairemaintenant « libéré »,l’effort de gestion porte prioritaire-ment sur la restauration puis l’entre-tien des différents types d’habitats dela réserve, le maintien en bon état deces milieux variés étant le meilleurgarant de la diversité floristique, fau-nistique et mycologique du site.

Dans la xérosère, à l’arrière desdunes évoluant sans contraintes, l’ef-fort de restauration porte sur lespelouses de la dune grise autrefoisnaturellement entretenues par lelapin de garenne et étoufféesaujourd’hui par le développement del’argousier (photo). Ces pelouses, enrégression généralisée, sont deshabitats prioritaires aux yeux del’Europe. Au sein de la xérosère, leshabitats humides des pannes fontégalement l’objet d’une attentionparticulière au vu de la biodiversitéqu’ils hébergent. Lamenacepour cesmilieux est encore l’argousier quienvahit progressivement les pannes,lentement lorsque le niveau de lanappe est haut et limite son dévelop-pement mais très rapidement si plu-sieurs années sèches se succèdent.

Dans la plaine interdunaire, la prioritéd’action va vers les prairies humideset les bas-marais alcalins colonisés desaules et trembles. Comme dans laxérosère, la dynamique de l’eauconditionne la colonisation desmilieux ouverts par les espèces arbo-rées. La compréhension du fonction-nement hydrologique du site estdevenue en soi un objectif qui, unefois atteint, permettra de tirer lemeil-leur parti de ce puissant facteur limi-tant de la dynamique végétale.

Deux principes s’appliquent systé-matiquement avant toute premièreintervention : ne pas restaurer plusde surface d’habitat qu’on ne sauraitensuite en entretenir et choisir leszones d’intervention de manière rai-sonnée pour créer, ou conserver, unecontinuité écologique.Le premier principe, qui permetd’éviter gaspillage d’énergie et demoyens, amène à réfléchir constam-ment aux méthodes d’entretien àmettre enœuvre et à vérifier leur effi-cacité. Le suivi régulier de l’impactdes travaux réalisés est égalementinscrit dans les objectifs du gestion-naire pour permettre l’optimisationconstante du rapport coût/efficacitédes interventions.Le second principe s’impose logi-quement pour respecter le fonction-nement écologique du site, leséchanges et les interactions entre lesmilieux et entre les espèces et pourmaintenir les connexions. Quitte àintervenir pour préserver des milieux,autant façonner le paysage demanière raisonnée pour servir plu-sieurs intérêts : un bouquet desaules aumilieu d’une prairie humideest un îlot de diversité particulier, lemaintien d’une haie de trembles àproximité d’une voie d’accès garantitune certaine tranquillité à la faune,aviaire notamment.

Objectif à plus long terme :s’ouvrir vers l’extérieur…

Les 450 hectares de la réserve lais-sent évidemment de quoi s’occupermais le souci de création ou demaintien de corridors écologiques,pour être pleinement efficace,pousse à la concertation avec lesgestionnaires de milieux similairesdans les propriétés riveraines. LaRBD n’est qu’une partie d’un massifdunaire plus vaste et un nouvelobjectif est apparu récemment : larédaction, à moyen terme, d’undocument de gestion unique pourl’ensemble du massif qui, tout enpermettant de dégager des syner-gies, gagnera en pragmatisme et enefficacité. Cet objectif de collabora-tion technique, au-delà des limitesadministratives, ne peut, parce queles préoccupations de gestion sontles mêmes, que servir l’intérêt de labiodiversité du massif dunaire deMerlimont – Berck.C’est également la premièreétape vers la gestion globale d’unterritoire exceptionnel maisencore réservé (comme son statutl’indique d’ailleurs…) et d’où estexclu le public, les habitants descommunes de situation notam-ment, Berck et Merlimont. Sansperdre de vue les objectifs de ges-tion retenus pour la RBD, il appa-raît nécessaire aujourd’hui d’envi-sager une plus large concertationautour de la gestion du site enassociant les élus locaux aux déci-sions pour passer du concept de« partage de l’espace », avec d’uncôté des dunes ultra-fréquentéeset de l’autre des dunes ultra-pro-tégées, au concept d’« espacepartagé » où la fréquentation dusite par le public ne compromet-trait en rien le maintien de la bio-diversité ni ne contrarierait lesexpérimentations menées.

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Une collection de formes « vivantes » Photos : J. Favennec, ONF

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Les dunes grises en voie decolonisation par un fourré à base

d’argousier

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… après sensibilisation dupublic aux objectifs premiers

de la réserve

Cela passe bien sûr par la nécessitéd’informer, d’éduquer même lepublic. Cette sensibilisation est encours et s’adresse d’abord auxenfants depuis lamise enplaced’unecollaboration efficace entre les ensei-gnants des écoles primaires de Bercket de Merlimont et le personnel deterrain. S’appuyant sur des projetspédagogiques établis après concer-tation, et qui ont pour thème centralles milieux naturels, les instituteurs(trices) abordent tout au long de l’an-née scolaire avec leurs élèves la bio-diversité et sa gestion à partird’exemples tirés des actions menéesdans la RBD. Le projet annuel seconclut par une journée dans laréserve où les enfants participent à larestauration des milieux, le plus sou-vent la remise en lumière d’unemicromare (photo). Cette occasionpour eux de devenir acteur de la ges-tion du site, en même temps qu’il ledécouvre, les amène à se l’appro-prier, étape indispensable pourmieux le respecter.

Des objectifs précis mais unelarge place aux initiatives

Les choix de gestion retenus pour laRBDde la Côte d’Opale sontmainte-nant clairement établis. Ils sont laligne directrice qui guide l’actionquotidienne du gestionnaire.L’étendue du site permet de menerde front des interventions qui entrenttoutes dans les objectifs fixés. Enmême temps, une large place estlaissée aux initiatives. En effet, si d’uncôté, la réalisation du programmed’actions dépend directement desfinancements extérieurs obtenus et

reste aléatoire, de l’autre, les compé-tences du comité scientifique et dupersonnel de terrain et leur investis-sement dans la gestion de la réserveont toujours permis de tirer le meil-leur parti des moyens disponibles etd’adapter les interventions en consé-quence.D’autre part, des moyens limités sontunmoteur puissant dans la recherchedumeilleur rapport coût/efficacité et,dans ce domaine, les techniques degestion aujourd’hui employées, sou-ventmises au point sur le terrain avecles ouvriers forestiers, ont permis deréduire considérablement le coût destravaux de restauration ou d’entre-tien. Cette situation explique la placelaissée aux initiatives de gestion qui,sans pour autant relever de l’improvi-

sation et respectant pleinement lesobjectifs fixés par l’aménagement,s’écartent en partie du plan d’actionsétabli.Dans le contexte défini ci-dessus, legestionnaire a su, avec l’appuiconstant du comité scientifique, semontrer opportuniste et, n’hésitantpas à remettre en question certainschoix de méthodes d’interventionprédéfinies par le plan d’actions, a pumettre en œuvre sur le site une ges-tion conservatoire particulièrementefficace.

Bruno DERMAUXONF, chargé d’études biodiversité

DT Ile-de-France – [email protected]

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Projet pédagogique

L’ONF est un excellent partenaire…Voilà les quelques propos que j’ai pu tenir à la presse au démarrage d’une matinée denettoyage, sur la plage, aux abords de la réserve biologique domaniale, sur la Communede Merlimont : opération mise en place par l’Office National des Forêts et la Commune deMerlimont.Belle image, mais aussi symbole de cette entente partenariale qui existe depuis denombreuses années entre les deux structures. Chaque projet, chaque action, sontconcertés, gage de la réussite des opérations lancées, qu’elles soient d’entretien, desensibilisation ou d’organisation.Les échanges sont réguliers et nombreux sur un territoire regroupant deux espacesformidables : la réserve biologique domaniale de la Côte d’Opale et la forêt communalede Merlimont, soit plus de 450 hectares. Ces deux espaces, à l’intérêt écologique régional,parfois national sur certains sites, suscitent un entretien particulier et une attentionintensive, avec des modes de gestion douce. Ainsi, une grande opération de débardage àcheval, éveillant toutes les curiosités, doit se mettre en place.

Certes, la qualité de tels sites inspire aussi les convoitises, et, l’interdiction d’accès aupublic, notamment sur la réserve biologique, n’est pas sans créer de problèmes ni dediscussions avec les populations souhaitant y accéder. Peut-on accepter que de tellesrichesses écologiques et faunistiques soient gardées si secrètes ? Oui, je le crois, il en vade la préservation. Néanmoins, on ne peut accepter qu’à « l’ère de la connaissance »,nous ne puissions en faire profiter nos contemporains.

Ainsi, la volonté de réaliser un sentier dunaire bordant la réserve biologique domaniale,avec les mêmes caractéristiques environnementales que celle-ci, devrait voir le jour,associant à cette occasion, outre la Communauté de Communes Mer et Terres d’Opale, laRégion Nord-Pas-de-Calais et, pourquoi pas, une nouvelle forme de mécénat. Notresouhait est de pouvoir avancer sur cette action, dont nous ne négligerons pas lesfondements humains, puisqu’à quelques kilomètres de là, se trouve, la station de Berck-sur-mer, qui compte, parmi ses centres hospitaliers, des centres de rééducation pourhandicapés moteurs, de renommée nationale.L’accès de notre patrimoine naturel aux personnes à mobilité réduite est donc unchallenge.Nous mettons nos moyens et notre énergie pour aboutir…

Jean-François RapinConseiller régional, maire de Merlimont

Trésorier de l’Association Nationale des Élus du Littoral

F.Veillé,ONF

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ès le premier plan degestion de la RBD de

la Côte d’Opale rédigé en 1996, unprincipe de base était énoncé :rétablir l’ouverture du milieu parenlèvement des ligneux, arbres etarbustes, et entretenir régulière-ment pour la maintenir avec, danstous les cas, exportation des pro-duits hors du site pour éviter l’eu-trophisation et donc la banalisa-tion. Mais, si le principe est connu,beaucoup de questions se posentquant aux modalités de traitementà appliquer aux différents milieux :quelle méthode d’intervention ? àquelle fréquence et à quelleépoque de l’année ? pour quelrésultat ? et à quel coût ?Pour répondre progressivement àces questions, le plan d’actionsmettait alors l’accent sur deux axesparallèles au programme de tra-vaux : l’axe « amont » consistant àaméliorer la connaissance du siteet de sa biodiversité en précisantson fonctionnement, l’axe « aval »concernant le suivi et l’évaluationde l’efficacité des travaux réalisés.

Connaître, comprendreavant d’agir

Intervenir en faveur de tel ou telhabitat suppose de les avoird’abord situés, quantifiés et quali-fiés, d’où cette autre série de ques-tions : quelles surfaces ? en quelétat de conservation ? répartiescomment ? Pour y répondre, leplan d’actions de 1996 s’appuyaitsur une carte au 1/5 000 des com-plexes d’habitats (photo), établiepar Françoise Duhamel duConservatoire botanique national(CBN) de Bailleul. À ce précieuxdocument furent associés diffé-rents inventaires (floristique, faunis-tique, mycologique) qui, au-delàdu simple recensement des

espèces, ont amélioré les connais-sances sur la répartition spatiale etl’autécologie de diverses espècesphares, comme le triton crêté(Triturus cristatus) chez les animauxou le liparis de Loesel (Liparis loe-selii) chez les végétaux ; on pouvaitainsi mieux cibler les interventions,tant dans leur mise en œuvre quedans le choix des zones à traiter.En instance de publication, la car-tographie au 1/2 000 des habitatsdu massif dunaire de Merlimont-Berck, également réalisée par leCBN de Bailleul et financée dans lecadre de la mise en œuvre de ladirective « Habitats », permettrad’encore affiner la gestion.

Dans ce même axe « amont »,l’étude du fonctionnement desécosystèmes dunaires a permisd’expliciter, entre autres, le rôledes différents facteurs du milieudans la dynamique de colonisationpar les ligneux ; en repérant les fac-teurs limitants et en s’appuyant surleurs effets, on gagne en efficacitéet on réduit les dépenses.Parmi les facteurs limitants, il en est

un de primordial : l’eau ou, plusprécisément, le niveau de la nappequi, s’il est assez haut, empêchel’installation des espèces indési-rables. Sachant que la nappedunaire n’est alimentée que parles précipitations et que, d’autrepart, un phénomène de drainanceest possible de la nappe dunairevers la nappe de la craie sous-jacente, la seule intervention pos-sible – et qui reste limitée – sur lerégime hydrique est de contrôlerles écoulements de surface par lapose de seuils sur les anciens fos-sés d’assainissement ; il s’agit demaintenir le plus longtemps pos-sible la nappe à son plus hautniveau en ralentissant l’évacua-tion de l’eau. Mais ce contrôlepartiel n’est réalisable et efficaceque les années où la pluviométrieest au moins normale sinon excé-dentaire. Une année humide pro-voquant la submersion d’unezone juste restaurée par débrous-saillage, permet d’économiser un,voire deux passages en entretienalors que le rythme de progres-sion de l’argousier dans les

RDV techniques n° 17 - été 2007 - ONF

La gestion conservatoire des habitatsdans la RBD de la Côte d’Opale

Les complexes d’habitat

DD

Ano

nyme(“prépa”

d’Amiens)

Page 25: Mise en page 1 - ONF

pannes dunaires, par exemple,s’accélère brusquement en annéesèche.Inversement, les années sècheslimitent l’embroussaillement despelouses bryo-lichéniques de ladune grise par ce même argousier.L’étude édaphologique de 1998apporte beaucoup d’éléments decompréhension du fonctionne-ment des sols dunaires et expliqueen partie la dynamique de la végé-tation, avec une incidence directesur la gestion. Ainsi, les conditionsxériques dans lesquelles se déve-loppent les habitats de la dunegrise autorisent à penser que detels habitats, pour peu qu’ils soientsuffisamment étendus, sont parti-culièrement stables dans la mesureoù l’embroussaillement par l’ar-gousier ne peut se faire qu’à partirde leur périphérie, la trop faible ali-mentation en eau du sol ne per-mettant pas, dans ce type demilieu, une colonisation directe.En conséquence, la restauration dece type d’habitat peut s’envisagerpar intervention ciblée sur les plusgros argousiers, ceux d’où partentdes racines transversales alimen-tant les pieds envahissants.Compte tenu de la difficulté dudébroussaillement dans l’argousieret de la fragilité du milieuconcerné, une opération ne consis-tant qu’à couper le « cordon ombi-lical » entre un pied mère et sesrejetons est un gain précieux detemps et d’argent.

Des techniquesd’intervention en constante

évolution, pour larestauration…

En même temps que la compré-hension du fonctionnement dumilieu, les contraintes de chantierfaisaient évoluer les techniquesd’intervention vers des méthodesspécifiques adaptées à la gestiondes habitats dunaires.Le classique gyrobroyeur forestierne permettant pas l’évacuation desproduits de débroussaillement, le

choix du matériel à utiliser s’estporté sur un broyeur à axe horizon-tal similaire aux ensileuses utiliséesen agriculture, le Taar-up®, effi-cace dans les zones arbustivesmoyennement développées maisnécessitant pour sa mise en œuvreun second tracteur avec sa benne.Ce double attelage (photo) n’estdonc utilisé que là où l’espace estsuffisant, ce qui exclut son emploipour la restauration des pannes etdes pelouses dunaires, trop diffi-ciles d’accès et par ailleurs, pourles pelouses (photo), trop fragilespour supporter le passage d’en-gins ; il est donc limité aux inter-ventions dans les zones méso-philes de la plaine interdunaire.

Ce besoin d’espace a amené lesgestionnaires à accélérer le défri-chement des bouquets de sauleset de trembles colonisant les prai-ries embroussaillées pour amélio-rer le rendement du Taar-up®.Mais l’exploitation de ces produitsnon commercialisables, leur façon-nage et la contrainte d’exportation

étaient d’un coût prohibitif qui limi-tait les possibilités d’intervention.L’évolution est venue des ouvriersforestiers qui passèrent d’uneexploitation par arbre à une exploi-tation par bouquet : d’abord cein-turé sur pied par un câble dedébardage, le bouquet de saulesou de trembles – soit quinze àvingt brins – est abattu et l’ensem-ble tracté en une seule fois jusqu’àune place à feu centrale où les cen-dres peuvent être facilementramassées puis évacuées. Premiergain considérable en efficacitéet… premiers contacts avec les ser-vices d’incendie de Merlimont aler-tés par l’intensité du brasier ! Resteque l’incinération totale des bou-quets exploités n’est pas très satis-faisante en soi, dans une RBD quiplus est. C’est pourquoi, chaquefois que le bouleau se mêle ennombre suffisant aux saules ettrembles, des petits lots sont dési-gnés et délivrés en menus pro-duits, pour un montant symbo-lique, à quelques riverains recon-nus pour leur sérieux et la qualitéde leur travail, ce qui réduit sensi-blement les coûts. En outre, cettecollaboration sensibilise lesMerlimontois aux actions menéesdans cette partie du territoire com-munal classé en réserve.Autre évolution complétant lesprécédentes, la collaboration avecdes établissements scolaires pré-parant aux métiers forestiers etavec les associations organisatricesde « chantiers nature » : les pre-miers recherchent des sites où réa-liser des travaux pratiques (photo)de maniement de la tronçonneuseou de la débroussailleuse et lessecondes participent bénévole-ment aux travaux de restaurationen contrepartie d’une visite guidée(photo) – autre moyen de commu-niquer sur les actions menées. Cescollaborations n’ont pas le rende-ment des travaux réalisés en régiemais permettent, ares après ares etpour un coût pratiquement nul, larestauration d’habitats à fortevaleur patrimoniale.

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F.Veillé,ONF

Taar-up® en action

F.Veillé,ONF

Pelouse de dune grise à mousses(Tortula) et lichens, en cours

d’embroussaillement

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…comme pour l’entretiendes zones restaurées

Les travaux de restauration ne sontque la première étape de la recon-quête des milieux. Cet investisse-ment initial coûteux serait viteperdu sans un entretien régulier,notamment dans cet écosystèmedunaire où la dynamique végétaleest particulièrement vive. C’estpourquoi, l’étendue des surfacesque le gestionnaire choisit de res-taurer est directement dépendantede la surface qu’il lui sera financiè-rement possible d’entretenir ulté-rieurement.C’est encore le Taar-up® qui futd’abord utilisé dans la plaine inter-dunaire. Les produits de faucheétaient entassés en quelquesendroits faciles d’accès avant éva-cuation en décharge. La rencontreavec un agriculteur d’Étaples quirecherchait des prairies de faucherépondant au cahier des chargesdu label « Agriculture biologique »,permit d’engager une collabora-tion à bénéfice mutuel. À partir de2001, sept hectares de prairiesmésophiles déjà restaurées ont étéproposés à l’agriculteur, M. Trollé,pour être fauchées à la barre de

coupe chaque année. Comptetenu des contraintes imposées parl’ONF, notamment la période d’in-tervention définie en fonction del’intérêt écologique et non écono-mique, et de la qualité trèsmoyenne du fourrage récolté, unesomme de 150 € lui est versée parhectare fauché. Ce qui divise parquatre le coût de l’entretien et sup-prime complètement la charge del’évacuation des produits.Cette méthode n’est cependantutilisable que dans les prairies lesmoins humides où ne subsisteaucun arbuste et où les souchessont parfaitement arasées (la barrede coupe étant à 5 cm du sol).C’est pourquoi l’ordre actuel desopérations est d’entretenir d’abordles surfaces restaurées au Taar-up®pendant quelques années pourépuiser les rejets ligneux avant deles faire faucher par M. Trollé.Depuis 2005, la méthode a encoreété améliorée par le passage d’unbroyeur lourd l’année suivant lestravaux de restauration, ce qui dis-pense d’un ou deux traitements auTaar-up® et garantit l’arasementdes souches.Le recul progressif des espècesbanales dans les prairies ainsi

entretenues témoigne de l’effica-cité de la méthode, ce qui permetaujourd’hui d’espacer les entre-tiens. Et comme, parallèlement, lasurface restaurée continue des’agrandir, c’est une quinzained’hectares qui sont maintenant misà disposition de M. Trollé pour luipermettre de continuer à faucher 7à 8 hectares chaque année.Cette collaboration a débouchésur la gestion de milieux plus dif-ficiles d’accès ou plus humidespar le pâturage. En effet, plutôtque de transporter les balles defoin de la RBD à Étaples, pour-quoi ne pas amener le bétail surplace ? Du bétail rustique restanttoute l’année sur la réserve grâceà un complément de foin prove-nant de la réserve en hiver(photo). Après une étude écono-mique évaluant la rentabilité decette opération pour l’agriculteur,il fut décidé que la charge d’en-clore les prairies à pâturer revien-drait à l’ONF tandis que les fraisliés à la constitution du troupeau,son entretien et son suivi sanitaireseraient assurés par M. Trollé.Cette méthode de gestion futapprouvée par le comité scienti-fique consultatif de la RBD.

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Ano

nyme(“prépa”

d’Amiens)

Visite guidéeF.Veillé,ONF

Chantier avec le lycée agricoled’Abbeville

F.Veillé,ONF

Vaches rustiques « Highland Cattle » au pré…

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D’autre part, l’application ducahier des charges « AgricultureBiologique » garantissait l’inno-cuité des traitements vétérinairessur le milieu.Pour un investissement initiald’environ 15 000 €, deux encloscontigus de 6 et de 10 hectaresont donc été installés dans leszones méso-hygrophiles de laplaine interdunaire pour accueillirun petit troupeau de 5 vaches derace « Highland Cattle ». Un troi-sième enclos doit être prochaine-ment construit qui permettrad’isoler du troupeau, aprèssevrage, les jeunes nés sur le site.En attendant l’équilibre financierde ce petit élevage qui se réali-sera (normalement en 2008) avecla vente d’animaux et de repro-ducteurs ou la commercialisationde la viande, l’ONF participe auxfrais d’exploitation en versant unecontribution qui revient à 70 €parhectare.

Au total, par cette collaborationappelée à encore se développer,et compte non tenu de l’amortisse-ment des clôtures, ce sont actuel-lement plus de 30 hectares de prai-rie restaurée qui sont entretenuspour un coût moyen par hectare de70 €/an – coût qui devrait diminuerde moitié dès 2008 – soit dix foismoins qu’une intervention enrégie. L’exportation des produitsde fauche n’est plus une dépensepour le gestionnaire, elle est aucontraire valorisée par un débou-ché agricole. Cette valorisation et,au delà, le transfert d’une action degestion écologique de milieuxpatrimoniaux vers la filière écono-mique est en soi une belle illustra-tion du concept de gestion et dedéveloppement durables.

Un suivi régulier de l’impactdes interventions

Autant l’objectif de restaurationde milieux dunaires ouverts est« intangible », autant lesméthodes, elles, sont sujettes à

remise en cause et le gestionnaires’est toujours préoccupé de maî-triser au mieux le coût de sesinterventions tout en s’assurantcontinuellement de l’efficacitédes travaux réalisés.En même temps que commen-çaient les premiers travaux, undispositif de suivi était mis enplace avec le concours du CBN deBailleul : pour chaque méthodede gestion et chaque type demilieu géré, une petite zonetémoin est conservée en l’état etdeux quadrats de 1 m² sont instal-lés (photo), l’un dans la partiegérée, l’autre dans la zonetémoin. Une soixantaine de qua-drats, à peu près égalementrépartis entre habitats de la xéro-sère et habitats de l’hygrosère,sont ainsi actuellement en place.Un relevé phytosociologique pré-cis des quadrats est effectuérégulièrement — une année dansla xérosère, l’année suivante dansl’hygrosère — et les données déjàrecueillies mettent en évidencedes variations floristiques proba-blement imputables au principede l’exportation qui induit unediminution progressive desespèces banales dans la composi-tion du tapis végétal. Cependant,quelques années seront encorenécessaires pour mesurer pleine-ment l’impact des différentsmodes de gestion sur le milieu etpermettre d’optimiser techniqueset coûts : à ce jour, les variationsconstatées dans les quadrats peu-vent tout aussi bien être attri-buées aux fluctuations clima-tiques et le recul suffisant manqueencore. Les informations fourniespar la station météorologiquedont est dotée la réserve seront,là aussi dans un futur proche, unprécieux apport pour une analyseprécise de l’évolution des milieuxgérés.À côté des enseignements atten-dus de ce suivi par quadrats, uneobservation attentive de la struc-ture et de la composition floris-tique des zones régulièrement

fauchées ou pâturées (photo) per-met déjà une première évaluationdes effets de la gestion. Chaquetournée du comité scientifiqueconsultatif est l’occasion de dis-cuter de l’évolution des milieux,de décider ou non d’un passageen entretien ou de modifier lapression de pâturage dans lesenclos en déplaçant le bétail del’un à l’autre.Des différentes méthodes d’en-tretien utilisées pour la gestiondes prairies mésophiles à hygro-philes de la plaine interdunaire, lepâturage est celle qui sembledonner le plus rapidement desrésultats et avoir le plus d’effetssur la structuration de la végéta-tion. Si l’on ajoute l’impact positifde la présence de bovins sur d’au-tres éléments de l’écosystème etdont profitent, notamment, l’avi-faune ou la fonge, c’est cettetechnique de gestion qui estappelée à se développer sur lemassif pour retrouver, au final, lesanciennes pratiques agricoles àl’origine de nombreux milieuxouverts.

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F.Veillé,ONF

Lecture de quadrat

F.Veillé,ONF

Effet du pâturage dans la plaineaux aubépines

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Des techniques d’intervention adaptées aux différents ensembles d’habitats

Restauration et entretien des habitats de la plaine interdunaire (prairies humides, roselières, bas-marais)

Les premiers travaux de restauration comprennent trois étapes :• L’exploitation des bosquets arborés. Lorsque ces bosquets ont une valeur marchande, on vend le bois de chauffage (5 à10 €/stère) : recette de 50 à 200 €/ha. S’ils sont sans valeur marchande, on exploite en régie, avec brûlage et évacuation desrémanents : coût de 5 000 à 6 500 €/ha.• Le traitement des souches. Une fois la végétation arborescente éliminée, un passage croisé de broyeur forestier est effec-tué l’année n + 1 pour éliminer les souches et faciliter les entretiens ultérieurs par fauchage : coût de 800 à 900 €/ha.• Le fauchage. Les deux années suivant le broyage de souches, une fauche exportatrice est effectuée au Taar-up® : coût de750 à 850 €/ha.Des entretiens ultérieurs sont nécessaires. Après les 4 à 5 années de travaux de restauration, trois possibilités d’entretienpeuvent être mises en œuvre sur le long terme : la fauche exportatrice au Taar-up® avec compostage (coût : de 600 à750 €/ha), la fauche à la barre de coupe par un agriculteur avec valorisation du foin pour le bétail (coût : 150 €/ha), le pâtu-rage par le troupeau de « Highland Cattle », propriété de l’agriculteur (coût : 70 €/ha mais nul à compter de 2008).

À ce jour, environ 65 ha de la plaine interdunaire ont été réouverts dont 35 ha de bas-marais et de roselières et 30 de prai-ries plus mésophiles.

Restauration et entretien des habitats des pannes dunaires (végétation amphibie, bas-marais pionnier…)

Les pannes sont principalement menacées d’embroussaillement par le saule rampant et l’argousier. Les arbustes sont cou-pés à la débroussailleuse manuelle, mis en andins et évacués par quad et remorque, seul engin motorisé utilisable dans cesmilieux fragiles : coût de 3 500 à 4 500 €/ha.L’entretien des pannes restaurées se réalise de la même manière mais les travaux sont beaucoup plus rapides et, menésannuellement, les coûts sont de 1 500 à 2 200 €/ha.

À ce jour, environ 5 ha de pannes dunaires ont été réouverts.

Restauration et entretien des habitats des pelouses dunaires sèches

Autres habitats remarquables, les pelouses dunaires se ferment et disparaissent suite à la colonisation arbustive essentielle-ment à base d’argousier et de troène. On distingue deux types de situation :• Les pelouses du complexe dunaire interne, qui présentent encore de grandes surfaces, notamment dans la dune commu-nale de Merlimont, en bordure est de la RBD. À partir des lisières du massif boisé de la plaine interdunaire, l’érable sycomorecolonise rapidement les pelouses. Sur ces lisières sont réalisés exploitation des érables avec mise en tas des stères et éva-cuation des branchages par le quad, traitement chimique des souches, arrachage des semis dans les zones ouvertes : coûtde 3000 à 4000 €/ha.• Les pelouses du complexe dunaire externe, fortement colonisé par les formations à base d’argousier : les pelousesdunaires n’y représentent plus qu’une faible surface. Fragiles et habitat prioritaire de la directive européenne, ces dunesgrises nécessitent un gros effort de restauration. Avant travaux, trois cartes ont permis de délimiter les zones à restaurer : celledes pelouses d’intérêt communautaire les plus remarquables, celle des formations de l’arrière-dune (en différenciant leszones encore ouvertes, faiblement ou fortement colonisées et les zones arbustives) et celle des garennes encore présentesdans les dunes (le lapin est un acteur principal du maintien naturel des pelouses). Les secteurs de pelouses faiblement colo-nisées sont travaillés en priorité. La proximité de garennes est un critère important de choix, en vue de l’entretien futur par« la dent du lapin ». Les ligneux sont arrachés ou coupés (principalement l’argousier, mais aussi le troène ou le sureau) et éva-cués par quad ou incinérés : coût de 5 500 et 7 500 €/ha.

Pendant les deux années qui suivent un entretien est effectué : arrachage des rejets d’argousier dans les pelouses bryo-liché-niques et fauchage des pelouses à structure herbacée dominante : coût de 1 500 à 2 200 €/ha/an.Ces milieux sont ensuite régulièrement suivis et, si la présence de lapin ne suffit pas à maintenir la structure pelousaire, d’au-tres passages en entretien sont programmés.

À ce jour, environ 5 ha de pelouses ont été réouverts, 1 ha sur le cordon interne, 4 ha sur le cordon externe.

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Un laboratoire de nature

À côté de ces travaux annuels quiconstituent maintenant la ges-tion « ordinaire » des habitats dela réserve, des opérations ponc-tuelles sont menées en faveur dedifférentes espèces qui, par leurcôté souvent expérimental, s’ins-crivent tout à fait dans la volontéde faire de la RBD un laboratoire« grandeur nature ».

Pour le règne végétal, cesactions se font en partenariattechnique et financier avec leConservatoire botanique deBailleul, le plus souvent dans lecadre de programmes européensInterreg. La réserve sert alors deterrain d’expérimentation pour lamise en œuvre, au profit d’es-pèces à forte valeur patrimo-niale, de méthodes de gestionqui, une fois leur efficacitédémontrée, peuvent ensuite êtreappliquées dans d’autres sites.Des travaux d’étrépage dans lespannes ont ainsi fait exploser lapopulation de germandrée desmarais (Teucrium scordium) et lemême résultat a été obtenu dansles prairies hygrophiles au béné-fice de la parnassie (Parnassiapalustris) (photo). La dernièreopération d’étrépage concernela littorelle (Littorella uniflora) etdes résultats similaires sontespérés.La recherche a aussi sa placedans la réserve avec un pro-gramme d’étude de l’autécolo-gie du liparis de Loesel directe-ment mené par le CBN deBailleul à partir d’une station decette espèce, présente dans lapanne interne de la grande duneparabolique (photo), qui offre enmoyenne chaque année plus de1 000 individus aux investigationsdes botanistes.

Concernant le règne animal, leprincipe de base est d’abord degérer au mieux les habitats,considérant que cette gestionpermet de créer les conditionsfavorables au bon développe-ment des espèces présentes.Avec l’accumulation progressivedes données concernant les dif-férents groupes d’espèces, lagestion pratiquée prend de plusen plus en compte leurs exi-gences. On s’est ainsi renducompte, grâce à des opérationsde baguage, que les fourrés d’ar-gousier, redoutable « envahis-seur » des milieux ouverts, abri-

tent et nourrissent une popula-tion impressionnante de petitspassereaux, ce qui amène à rai-sonner la place de cet arbuste età ne plus le considérer automati-quement comme un problème.Dans ce cas de figure, c’estl’étendue de la réserve qui auto-rise le gestionnaire à choisir leszones de pelouses à restaurer etcelles à laisser embroussailléesau profit des oiseaux.Cet exemple montre bien lanécessité de faire constammentévoluer la gestion en intégrantdans la réflexion toutes les com-posantes du fonctionnement del’écosystème. Cela passe par unecollaboration active avec lesscientifiques et les universitaires,mais aussi avec les gestionnairesde milieux similaires, pour uneamélioration continue desconnaissances permettant d’ef-fectuer les bons choix.

Le plan de gestion révisé en 2006reconduit les choix initiaux quedix ans d’expérience ont permisd’affiner. Inventaires, études etsuivis vont se poursuivre car laRBD de la Côte d’Opale estdevenue un vaste domaineouvert à toutes suggestionsd’études et de travaux pour peuqu’elles viennent compléter, cor-riger ou renforcer les mesures degestion conservatoire qui y sontappliquées.

Bruno DERMAUXONF, chargé d’études biodiversité

DT Ile-de-France – [email protected]

Frantz VEILLÉONF, agent patrimonial biodiversité,

UT littoraleDT Ile-de-France – Nord-Ouest

[email protected]

B.D

uport,O

NF

Parnassie

F.Veillé,ONF

Liparis de Loesel

F.Veillé,ONF

Étrépage en faveur du liparis deLoesel

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’Office national desforêts gère, en régions

Bretagne, Pays-de-la-Loire etPoitou-Charentes près de 17 000hectares de forêts dunaires litto-rales, comprenant plus de 2 100hectares de dunes bordières nonboisées. Le fonctionnement desmilieux dunaires a bénéficié denombreuses expérimentations etétudes, cependant les zoneshumides ponctuelles qui occupentpeu de surface, mais jouent un rôleimportant en matière de biodiver-sité méritent une attention particu-lière. La mise en place par l’ONFdu fonds pour l’écologie et ledéveloppement durable (FEDD) apermis de mener, en lien avec lacommunauté scientifique, des pro-jets d’étude et de restauration deces milieux associés, de faibleextension, mais de haute valeurpatrimoniale.

Un contexte écologique rareet original : des zoneshumides en milieu sec !

Les dunes littorales renferment unenappe d’eau douce superficielle,cette accumulation de sédimentsquaternaires constitue aussi unaquifère. Cette nappe phréatiquedunaire ne varie qu’en fonction desprécipitations et ne fluctue passelon les marées, contrairementaux nappes plus souterraines.Toutefois des infiltrations ou desapports de sel lors des tempêtespeuvent rendre l’eau plus ou moinssaumâtre.Selon le contexte : géomorpholo-gie (dunes perchées, duneslibres…), hydromorphie (présenced’un horizon imperméable, bat-tance de la nappe…), éloignementde la mer, présence ou absenced’un couvert forestier, divers typesde zones humides se répartissententre deux pôles : les stations

« fraîches » de faible humidité (leRubio peregrinae-Salicetum arena-riae) et les stations humides(l’Holoschoeno-Schoenetum nigri-cantis), avec tous les stades inter-médiaires.Ces dépressions arrière dunairessont soit d’origine naturelle, soitd’origine anthropique : ancienspoints d’eau creusés pour les ani-maux domestiques qui pâturaientdans les dunes ou à proximité,anciennes carrières de sable outrous de bombes.

Des milieux transitoires,riches mais éphémères

Ces écosystèmes présentent unediversité écologique maximalelorsque le milieu reste ouvert. Or,leur dynamique, comme celle de lagrande majorité des milieuxhumides, se traduit par une coloni-sation par les ligneux. Cette ferme-ture entraîne homogénéisation etbanalisation de la flore, puis le boi-sement ; elle est accélérée par leslongues périodes sèches.Certaines plantes, telles que lesaule des dunes (pourtant long-temps protégé au niveau national),menacent par leur expansion fortela présence d’espèces plus rares.

Cette dynamique est la principalecause de disparition des espècesanimales et végétales spécifiques(et rares). Cependant, de nom-breuses menaces anthropiques,notamment dans les sites privés,contribuent à la dégradation deszones humides : comblement,urbanisation, pollutions… Une tropforte fréquentation, ou bien uneutilisation comme décharge de cesmilieux considérés comme délais-sés, entraînent irrémédiablementleur comblement et leur perte d’in-térêt pour la biodiversité.L’exiguïté et la dispersion de ces

zones laissent également augurerune disparition si des actions deréhabilitation ne sont pas enga-gées.Un autre phénomène est à prendreen compte : la dynamique desespèces invasives. Certainesplantes d’ornement introduites surles dunes sont envahissantes, ellesentrent en concurrence avec lesespèces indigènes et entraînentune altération des milieux.Ces différents constats, ainsi que laprise de conscience du rôle pri-mordial des espaces naturelsdomaniaux dans la conservation insitu d’espèces et de milieux mena-cés, ont incité les services locauxde l’ONF à engager des actions depréservation.

Des objectifs identifiés… etd’heureuses surprises !

Le degré de rareté de ces zoneshumides, leur faible extension, etleur état de dégradation ont guidénos objectifs et nos priorités. Desscientifiques ont été associés dèsle lancement des projets pour gui-der l’ONF dans la conduite desactions 2005-2006. Des expé-riences et des travaux antérieursavaient permis d’orienter les pistesde réflexion. Les opérationsmenées pour la préservation deces milieux s’articulent autour dequatre objectifs principaux :

1 - La sauvegarde de stationsbotaniques signaléesSur l’île d’Oléron (Charente-Maritime), dans une zone humidepropice à la spiranthe d’été(Spiranthes aestivalis), orchidéeprotégée au niveau national, ontété engagés en 1995 des débrous-saillements et de la fauche avecexportation. Le résultat fut trèssatisfaisant et l’action poursuivie…et couronnée d’une heureuse sur-

RDV techniques n° 17 - été 2007 - ONF

Réhabilitation des zones humidesd’arrière-dune sur la côte atlantique

LL

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prise en juin 1997 avec l’apparitiondu liparis de Loesel (Liparis loese-lii), jamais rencontré auparavant surl’île.

Une autre expérience remarquableconcerne la sauvegarde de lapyrole des dunes (Pyrola rotundifo-lia subsp. maritima), dont la seulestation connue en Bretagne (et unedes rares stations françaises) estsituée en forêt domaniale deSantec (Finistère nord). Cetteaction souligne tout particulière-ment le rôle de l’ONF dans la pré-servation des espèces menacées insitu.

2 - La lutte contre des espècesinvasivesLe séneçon en arbre ou baccharis àfeuilles d’arroche (Baccharis halimi-folia) est la plus menaçante : cetteespèce d’origine nord américaineau fort pouvoir colonisateur (unpied femelle fournit en moyenne

1 million de graines) a tendance àfaire disparaître la flore indigène.Le faux vernis du Japon (Ailantusaltissima) par sa force de propaga-tion végétative, et l’Herbe de laPampa (Cortaderia selloana) fontégalement l’objet d’une luttecontre leur expansion. Différentestechniques ont été utilisées : arra-chage manuel ou mécanique, avecou sans traitement de la souche.La lutte contre les plantes invasivesnécessite des interventions répé-tées, le risque étant, sinon, de voirproliférer des espèces indésirables,au détriment des espèces patrimo-niales. Pour les gestionnaires, il estdonc capital de détecter précoce-ment tout début de colonisation,et éventuellement de porter lesefforts sur les milieux à fort intérêtpatrimonial. Parallèlement, et dansl’attente de mesures législatives,une sensibilisation doit être faiteauprès des utilisateurs potentiels(élus, donneurs d’ordre, entre-prises de paysage, propriétaires…)pour cesser la plantation d’espècesenvahissantes dans les nouveauxaménagements et les jardins.

3 - La restauration de milieuxhumides jugés propices à la bio-diversitéEn Vendée, une expérimentationréussie date de 1999 (Olonne sud,site des Grands chevaux), et troisautres sites ont fait l’objet de travauxd’ouverture de la végétation en

2005-2006 (voir tableaux 1 page sui-vante). Ils donnent un bon aperçudes différents types de zoneshumides présents dans descontextes dunaires différents (intra-forestier ou non). Le Conservatoirebotanique national (CBN) de Brest aparticipé au choix de ces sites, réa-lisé un état zéro et mis en place unprotocole rigoureux de suivi.

L’état initial réalisé en 2006 par leCBN sera complété par unedeuxième série de relevés phytoso-ciologiques en 2008 pour tenircompte de la variabilité naturelle dela flore d’une année à l’autre, indé-pendamment des travaux. Un suivide l’évolution de la végétation tousles 5 ans permettra par ailleurs demesurer l’impact des interventionssur la biodiversité végétale.

4 - La préservation d’espèces ani-males inféodées aux zoneshumides

RDV techniques n° 17 - été 2007 - ONF

Y.Wilcox,SFO

Liparis de Loesel

Y.Wilcox,SFO

Spiranthe d’été

CBNdeBrest

Pyrole des dunes

P.Po

uvesle,O

NF

Arrachage d’un pied de baccharis

L.Goug

uet,ONF

Pélobate cultripède s’enfouissantdans le sable

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V.Bertin,O

NF

Olonne : zone débroussaillée(panne D)

V.Bertin,O

NF

Olonne : station humide (panne C)

V.Bertin,O

NF

Olonne, creusement d’un pointd’eau libre (panne D)

Sites de Olonne (les Grands chevaux, sud de la dune domaniale)zones humides ouvertes en 1999 et en 2005-2006, en dune grise à 200 m de la mer

Caractérisation Actions réalisées Résultats/enseignements

Deux pannes (B et C), une des zones les plushumides de l’arrière dune : présence deSchoenus nigricans, Juncus maritimus,Calamagrostis epigeios…

En 1999 :- Déboisement de la lisière- Débroussaillement et creusement de maresNB ; un fauchage partiel de la bordure d’unemare a été réalisé l’hiver 2006-2007 en faveurdu Spiranthe d’été.

Cette ouverture ancienne a donné de bonsrésultats : présence de Spiranthes aestivalis(protection nationale), même en année sèche,sur la berge en pente douce de la mare.Dans ce cas le débroussaillement de départ asuffi, il mérite cependant d’être repris partiel-lement en 2007.

Deux pannes humides (creux interne de para-boliques), une (A) au nord de celles de 1999,une (D) au sud.

En 2005-2006 :- Suppression de lisière à aulne de Corse(panne A), dessouchage et décapage prévuen 2007

- Coupe des buissons ligneux avec exporta-tion (brûlage sur une place à feu à proximité)

- Étrépage et creusement de deux pointsd’eau (panne D)

Au vu des expériences précédentes, il estchoisi d’ouvrir fortement dès le départ, avecdécapage et création de zone en eau libre.

Tab. 1 : récapitulatif des opérations de réhabilitation en Vendée

Site de La Barre de Monts : zone fraîche intraforestière

Caractérisation Actions réalisées (2005-2006) Premiers résultats/enseignements

- Dune boisée (pin maritime et chêne vert,sous bois à troène) à 1,3 km de la mer

- Zone fraîche (humidité à peine prononcée àscirpe jonc et saule des dunes)

- Présence d’Epipactis phyllantes en zonetémoin boisée

- déboisement- débroussaillement avec exportation

- Tendance évolutive forte vers un fourré bas àgarance voyageuse et saule des dunes

- Il sera difficile de maintenir une pelousehumide dans ce type de station fraîche intra-forestière

- Nécessaires précautions pour éviter dedétruire la rare orchidée liée au couvert fores-tier, Epipactis phyllantes

Site de Saint-Hilaire-de-Riez : zone fraîche et zone d’humidité intermédiaire,en dune grise et lisière forestière, à 200 m de la mer

Caractérisation Actions réalisées (2005-2006) Résultats/enseignements

Zone 1 : dépression ouverte à fourré bas desaule des dunes et troène, avec baccharis.Légèrement plus humide que La Barre deMonts : présence de Schoenus nigricans

- Fauchage avec exportation (qui sera pour-suivi sur une partie)

- Décapage localisé

- Explosion de semis de baccharis après ouver-ture : l’élimination de Baccharis halimifoliaest impérative, même dans la zone décapéequ’il était prévu de laisser sans intervention.

Zone 2 : cuvette fermée par un boisementpionnier à pin maritime, ajonc d’Europe… etaussi baccharis

- Déboisement- Débroussaillement avec exportation desligneux (qui sera poursuivi sur une partie)

- Après déboisement, très faible présenced’espèces liées aux prairies et aux bas maraisfrais à humides : nécessité de diagnostic finavant intervention.

Zones 1 et 2 Creusement de deux mares - Colonisation escomptée par des Characéesen eau libre et par une pelouse hygrophilesur leurs grèves.

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Le pélobate cultripède (Pelobatescultripes), crapaud méditerranéen,voit son aire de répartition remon-ter sur le littoral atlantique, avec sastation la plus septentrionale surl’île de Noirmoutier. Face auxmenaces pesant sur des maressituées en parcelles privées, destrous d’eau favorables à sa repro-duction ont été aménagés en zonedomaniale. Les derniers comp-tages nocturnes réalisés en octo-bre 2005 font état d’une popula-tion jamais égalée depuis le débutdes suivis en 1998 (parl’Association de défense de l’envi-ronnement en Vendée).

Des enseignements et unpartenariat fructueux…

Le succès dépend d’un bon choixinitial des zones humides à réha-biliterLe maintien durable de zones peuhumides est trop coûteux par rap-port au résultat, il faut donc écarterles investissements dans ce typede milieu. En collaboration avec leCBN, les associations et les univer-sités, un guide de reconnaissancedes divers types de zones humidessera réalisé pour aider à ce néces-saire diagnostic préalable à l’ac-tion.

Porter l’effort sur les zones lesplus humidesLes zones les plus humides, à lavaleur patrimoniale la plus forte,sont par contre susceptibles derestauration efficace. Ces zonessont peu nombreuses, on en effec-tuera donc une cartographieexhaustive en vue de leur restaura-tion générale.

Des techniques de réhabilitationet d’entretien finement adaptéesau contexte localPas de recette générale, mais denombreux « tours de main » sont àconnaître. Ainsi par exemple ilexiste un dosage subtil entre unefauche excessive qui orienterait lemilieu vers une prairie banale etune intervention trop faible qui

laisserait place à la généralisationd’un fourré haut et fermé. On doitégalement éviter une généralisa-tion du même type d’interventiondans chaque zone ; l’optimum estune mosaïque équilibrée entreprairie basse, buissons et lisièrepériphérique, équilibre entreombre et soleil…

Un manuel technique récapitulantces savoir-faire sera élaboré.

Un large partenariat au bénéficede tous…De forts partenariats se sontconstruits, et consolidés, autour dela mise en œuvre de ces pro-grammes, avec le Conservatoirebotanique national de Brest, laSociété française d’orchidophiliePoitou-Charentes et Vendée et la

Faculté des sciences de Rennes.D’autre part, dans ces zones où lespressions sur les milieux naturelssont fortes et variées, il faut noterl’importance du soutien des orga-nismes publics et des associations.Les premiers résultats très encou-rageants démontrent à nouveautout l’intérêt de la collaborationentre usagers, scientifiques et ges-tionnaires.

Loïc GOUGUETChargé de mission « milieux littoraux »

ONF, DT [email protected]

Véronique BERTINDirection Forêt

ONF, DT [email protected]

Bibliographie

WILCOX Y., 2007. Forêt domanialed’Olonne-sur-mer (85), gestionONF : stations d’orchidées proté-gées. Suivi 2006. Rapport de laSociété Française d’OrchidophiliePoitou-Charentes et Vendée, 5 p.

Conservatoire Botanique Nationalde Brest, 2006. Suivi floristique etphytocoenotique de chantiersexpérimentaux de restauration dezones humides arrière-dunairesconduits par l’ONF sur le littoral deVendée. Rapport interne ONFNantes.

Le cas du saule des dunes

Salix arenaria, espèce longtempsprotégée au niveau national du faitde sa rareté, a désormais unedynamique forte, au détriment deszones humides arrière dunaires.Dans le cadre de la restauration deces habitats, la tentation premièreest de supprimer cette espèceponctuellement envahissante. Ilest toutefois primordial deconserver quelques pieds desaules. Lors de leur floraison, ilsattirent de nombreux insectespollinisateurs qui auront un rôle àjouer dans la reproduction desorchidées présentes.

Les dépressions dunaires et les orchidées...

L’ONF, grâce à un dialogue avec les associations locales, l’ADEV, l’APNO et laSFO-PCV, puis dans le cadre de Natura 2000 avec la Commune d’Olonne sur Mer,a prévu un programme de réhabilitation de dépressions dunaires favorables auxplantes hygrophiles et aux batraciens.La Spiranthes aestivalis (Protection Nationale) n’était connue en Vendée quedans de rares dépressions dunaires et n’avait pas été observée depuis 2002. Lasécheresse de ces dernières années avait entraîné sa raréfaction. Les mesuresprises de restauration des milieux favorables ont permis sa réapparition en 2006(seule observation de Vendée).

Yves WILCOXSociété Française d’Orchidophilie Poitou-Charentes et Vendée

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ituée au sud du littoralvendéen, la réserve de

la Pointe d’Arçay est représenta-tive d’espaces littoraux en perpé-tuelle évolution : vasières, préssalés, plages et dunes allant del’état mobile (dune blanche) àl’état fixé et boisé.

Un contexte naturellementtrès dynamique…

La Pointe d’Arçay est ce que lesgéographes appellent une flèche àpointe libre : accroché à son extré-mité nord, ce cordon dunaire sedéveloppe vers le sud, sans parve-nir à un autre point d’appui. C’estune forme jeune et instable.

Son allongement vers le sud, de5 km en deux siècles, se produitpar accolement de « crochons »successifs, crêtes sableuses appor-tées par une dérive littoralenord/sud riche en sédiment. Sur lelittoral atlantique, peu de sites pré-sentent une telle dynamiquerapide d’accrétion (figure 1). Cesphénomènes se produisent et sereproduisent à différentes échelles,de l’ordre kilométrique à l’ordredécamétrique. Le dernier crochonprésente un secteur en érosion (aunord), un secteur stable (au centre)et un secteur en accrétion, au sud.Ces changements rapides etconstants induisent une mosaïquede milieux terrestres et marins. LaPointe est un vaste complexe dedunes que prolonge un immenseestran1 sablo-vaseux. Entre lescrêtes de sable, la mer peut avan-cer en fonction de la marée. C’estainsi que les contacts entre habi-tats dunaires et habitats vaseuxgénèrent une richesse floristiqueexceptionnelle. De la mer à ladune, on trouve des vasières(slikke, schorre) et toute la palette

des milieux dunaires ; 39 associa-tions végétales ont été recensées,permettant d’identifier 8 habitatsd’intérêt communautaire :- végétation annuelle des laissesde mer,- végétations pionnières à Salicornedes zones boueuses et sableuses, dela partie supérieure de la slikke aucontact avec le schorre,- prés à spartine (Spartinon mariti-mae),

- prés salés atlantiques (Glauco-Puccinellietalia maritimae), auniveau du schorre,- fourrés halophiles méditerra-néens et thermo-atlantiques(Sarcocornietea fruticosi),- dunes mobiles embryonnaires,- dunes mobiles du cordon littoralà Ammophila arenaria (dunesblanches),- *dunes côtières fixées à végéta-tion herbacée (dunes grises).

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La Pointe d’Arçay : une réserve mouvanteentre terre et mer

Fig. 1 : vue aérienne de la Pointe d’Arçay (orthophoto IGN 2001) et évolutionLes repères indiquent la position de l’extrémité de la Pointe selon les années. En rouge : limite de la réservede chasse et de faune sauvage.

1 Estran : ensemble des terres qui subissent les mouvements de la marée.

SS

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Mais la particularité et l’intérêtpatrimonial du site de la pointed’Arçay résident non seulementdans la présence de deux grandsensembles d’habitats d’intérêtcommunautaire – le complexe deshabitats dunaires et celui desmarais littoraux – mais aussi dansleur imbrication complexe et évo-lutive source d’une grande diver-sité au sein des végétations ducontact pré salé/dune.

Ce site est aussi très propice à l’avi-faune qui trouve ici zones de nour-rissage et de repos. Son emplace-ment géographique, au milieu dela façade atlantique sur une desprincipales voies migratoires desoiseaux de la zone paléarctique, etau croisement d’un complexe dezones protégées complémentaires(lagune de la Belle Henriette,réserve naturelle de la Baie del’Aiguillon, marais de Saint Denis

du Payré, île de Ré…) fait de laPointe d’Arçay un lieu de passagemigratoire et de halte hivernale detoute première importance. Si desoiseaux profitent des vasières pours’alimenter à marée basse, d’autresespèces se nourrissent la nuit surles prairies humides du MaraisPoitevin et utilisent la réservecomme remise diurne. La Pointed’Arçay est remarquable par sarichesse avifaunistique : 224

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C.B

oug

ault,CBNB

J.Favennec,O

NF

J.Favennec,O

NF

J.Favennec,O

NF

J.Favennec,O

NF

LGoug

uet,ONF

Annuelles de haut de plage (Cakile maritima) typiques des dunes mobilesembryonnaires

Avant-dune établie à chiendent des sables et oyat : elle associe dune embryon-naire et dune blanche

Pelouse de dune grise inondée en période hivernale : l’immortelle des dunes ysubit des nécroses

Prés salés et fourrés halophiles : mosaïque à salicornes et obione (Halimioneportulacoides — bas schorre)

Pelouse à armérie maritime, au contact entre haut schorre et dunes Imbrication des zones de prés salés et de forêt

Fig. 2 : quelques exemples de la mosaïque des habitats

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espèces d’oiseaux recensées sur lesite dont près de 70 espècesnicheuses, 51 espèces menacéesen France et/ou inscrites à l’an-nexe I de la directive « Oiseaux ».

Une gestion conservatoire etpartenariale…

Une histoire particulière, uneprotection forteDès 1951, une réserve de chasse(devenue réserve de chasse et defaune sauvage) a été créée sur unpeuplus de 1 000 hectares demilieuxterrestres et maritimes. La partie ter-restre, constituée de dunes et forêtdomaniales fut interdite d’accès pourla sauvegarde des oiseaux. Fait raris-sime sur le littoral, cette clôture a étéentretenue et maintenue depuismaintenant plus de 55 ans…

La flèche sableuse de la Pointed’Arçay bénéficie de plusieurs sta-tuts de protection. Outre la créa-tion de la réserve biologiquedomaniale en 1982 sur la partie ter-restre, la Pointe d’Arçay est unespace remarquable au titre de laloi littoral et est intégrée au parcinterrégional du Marais Poitevin.Elle fait partie de la ZPS2 (directiveOiseaux) et de la ZSC3 (directiveHabitats) « Marais Poitevin », aprèsavoir été un des sites du projet Life« 35 sites pilotes Natura 2000 ».

Imbrication spatiale et fonction-nelle des propriétés comme desmilieuxL’extrémité de la Pointe d’Arçay est,pour sa partie terrestre, cadastréecomme propriété privée de l’État,par l’ONF : il s’agit donc de dunes etforêts domaniales. Mais commentarrêter la gestion aux limites toutesthéoriques du cadastre, alors que laprogression est de 20mètres par an ?Il est nécessaire de gérer le site entenant compte de cette évolutionpermanente, et de la forte imbrica-tion des milieux. Protéger le sitenécessite une grande concertationentre les différents acteurs. Pour évi-ter que les limites administratives

prennent le pas sur les transitionsnaturelles, des réponses techniquesdoivent être recherchées, en adap-tant les modalités d’intervention.

Des objectifs concertésDans la continuité de la gestion del’ancienne réserve de chasse, l’ONFgère la réserve biologiquedomanialedirigée (RBD) en collaboration étroiteavec l’autre acteur “historique”qu’est l’Office national de la chasseet de la faune sauvage (ONCFS).

L’objectif actuel de la RBD est d’assu-rer la conservation du milieu, en res-pectant les dynamiques naturelles,pour y préserver les habitats et lesespèces. La gestion globale et dura-ble du site suppose demaintenir sonintégrité en y contrôlant strictementla fréquentation, et en luttant active-ment contre les invasives, ou « pestesvégétales ». Ainsi, la RBD est en par-tie enclose et des visites guidées ysont organisées durant l’été. Elle joueégalement un rôle pour la recherchescientifique (universités de Nantes,La Rochelle, Rennes…). Ce site per-met l’observation « grandeur nature »d’une dynamique naturelle rapide etnon perturbée.

Pour la partie forestière de laréserve, en cohérence avec le docu-ment d’objectifs Natura 2000, unegestion en futaie par parquets vise àirrégulariser les peuplements en unemosaïque de d’âges et de composi-tions variés qui permette l’expressiondes feuillus et des stades de sénes-cence (îlot de sénescence). La phy-sionomie forestière est encore mar-quée par la sylviculture passée,conditionnée par un objectif priori-taire de protection physique dumilieu (fixation des sables par semisde pins maritimes), qui prévaut tou-jours au voisinage de l’aggloméra-tion de la Faute-sur-Mer. La tempêtede décembre 1999 a ouvert les peu-plements ordinairement les moinsexposés, car les arbres les plusproches de la mer, déjà façonnés parle vent (anémomorphosés), ontmieux résisté, et ont formé une

rampe d’accélération, défavorableaux arbres situés en arrière de cettepremière ligne.

Pour la partie non boisée, il a étédécidé de laisser libre cours à ladynamique du cordon littoral(développement de la flèchesableuse, surveillance du cordondunaire en laissant une évolutionlibre de la dune blanche…). Pourcertains milieux ouverts (prairieshumides, schorres…), une gestionconservatoire active est réalisée(fauchage avec exportation, creu-sements de mares…). On y lutteactivement contre les espècesinvasives (baccharis, yucca).L’ONCFS assure en outre un recen-sement annuel sur les oiseauxmigrants depuis 1970, anatidés etlimicoles. Le recensement de jan-vier permet d’alimenter unebanque de données internationale.

Études et suivis scientifiques, éva-luationsLes études scientifiques et suivis réa-lisés dans la réserve de la Pointed’Arçay portent principalement surl’avifaune et concernent égalementl’entomofaune, les batraciens, lesmousses et lichens, les espècesvégétales invasives et la géomorpho-logie dunaire.La faune remarquable n’est pas limi-tée aux oiseaux. Ainsi, deux espècesanimales mentionnées dans la direc-tive Habitats sont très significativesde la diversité des milieux : la rosaliedes Alpes (coléoptère saproxyliqueinscrit à l’annexe II), et le pélobatecultripède (amphibien fouisseur desmilieux sableux inscrit à l’annexe IV).

À la demande de l’ONF (FEDD), leConservatoire botanique de Brest aréalisé en 2006 une cartographiedes complexes végétaux (figure 3).Ces prospections ont permis detrouver Hymenolobus procumbens(L.) Nutt., espèce des pelousesdunaires au contact des prés salésqui trouve sa seule station des Pays-de-la-Loire sur le site de la pointed’Arçay. Les habitats sont générale-

RDV techniques n° 17 - été 2007 - ONF

2 Zone de protection spéciale3 Zone spéciale de conservation

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ment dans un très bon état deconservation, seules quelquesdégradations liées à l’extension despins (semis naturels) et à quelquesplantes invasives sont constatées.

Pour une harmonisation avecles divers gestionnaires desespaces terrestres et marins

Outre les liens étroits avec l’ONCFS,la gestion de la Pointe d’Arçayrequiert de nombreux contacts avecdes interlocuteurs parfois assez inha-bituels pour l’ONF : AffairesMaritimes, DDE maritime, ostréicul-teurs, en tant que « riverains ».Les collectivités locales, bien sûr,sont associées et informées desactions concernant ce site : lemaintien en réserve clôturée doitaussi être justifié et expliqué,devant la forte pression touristiquesur le littoral vendéen (plus dedeux millions de visiteurs par an).En se voyant attribuer le domainepublic maritime (DPM)4 entourant la

réserve, le Conservatoire de l’es-pace littoral et des rivages lacustresdevient un acteur important du site.En vue de conforter le rôle de pôlenaturel du littoral sud vendéen de laPointe d’Arçay, le Conservatoireprojette de transformer uneancienne concession ostréicole encentre d’accueil. Lors des premièresréunions de concertation dans lecadre de la charte de partenariatentre l’ONF et le Conservatoire dulittoral, il a été décidé conjointe-ment de faire abstraction des limitesde propriété pour viser une unité degestion. La réalisation d’un plan degestion unique, incluant la réservebiologique domaniale, la réserve dechasse et de faune sauvage et lesterrains du DPM sera le premier actede cette collaboration.

Loïc GOUGUETChargé de mission « milieux littoraux »

ONF, DT [email protected]

Pour aller plus loin

PINOT J.P., 1998. La gestion du litto-ral. Paris : Institut Océanographique

VERGER F., 2005. Marais etestuaires du littoral français. Paris :Belin. 335 p.

BOURNERIAS M., POMEROL C.,TURQUIER, 1987. La côte atlan-tique en Loire et Gironde. Coll.« Les guides naturalistes des côtesde France ». Lausanne : Delachauxet Niestlé. 268 p.

Conservatoire Botanique Nationalde Brest, 2006. Étude de la flore etde la végétation de la réserve dechasse et de faune sauvage de laPointe d’Arçay (la Faute-sur-Mer,85)

RDV techniques n° 17 - été 2007 - ONF

Fig. 3 : carte des grands types de milieux dressée par le Conservatoire botanique national de Brest

4 DPM : Domaine public maritime, constitué du sol et sous sol de la mer, compris entre la limite haute du rivage, c’est à dire celle des plus hautes mers en l’absencede perturbations météorologiques exceptionnelles, et la limite, coté large, de la mer territoriale, des étangs salés en communication avec la mer, des lais et relais demer; le DPM est inaliénable et imprescriptible, et cela depuis l’Edit de Moulins (1566).