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Bien que nécessaire, l'argu- mentation rationnelle au sujet du spécisme a quelque chose de frustrant. Car nos adversaires, eux, ne s'embarrassent guère de chercher des arguments qui tien- nent debout ; et ils s'occupent peu d'examiner les nôtres. Pour eux, le spécisme se passe de justi- fications rationnelles. Il m'est arrivé récemment de presque supplier, de dire : «Mais dis-moi, pourquoi, donne-moi un seul argument, pourquoi forcément tu considères que la souffrance des poules en batterie est un sujet secondaire...» Sa seule réponse : «Pour moi, c'est comme ça.» (texto). Pourquoi ? Parce que. Le caractère évident du spécisme, . Qu’est-ce que le spécisme ? David Olivier Cahiers antispécistes n°5 L'article reproduit ici est une version légèrement modifiée d'un texte publié en avril 1991 dans la revue Informations et Réflexions Libertaires, dans la rubrique «Antispécisme» que nous y tenions. le fait que l'immense majorité des humains font partie des oppresseurs, est l'obstacle princi- pal auquel se confronte l'antispé- ciste. Il s'agit encore une fois d'être du côté de ceux qui sont mépri- sés et opprimés - en sachant que le mépris rejaillit sur celui qui les défend. Il fut un temps où le Blanc défenseur de «nègres» pouvait être traité comme un «nègre». Il est relativement facile aujourd'hui d'être antiraciste ou antisexiste en France, au moins en opinion ; cela n'a pas toujours été le cas. Aujourd'hui, au moins dans les milieux de gauche, c'est l'antiracisme et l'antisexisme qui

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Bien que nécessaire, l'argu-mentation rationnelle au sujet duspécisme a quelque chose defrustrant. Car nos adversaires,eux, ne s'embarrassent guère dechercher des arguments qui tien-nent debout ; et ils s'occupentpeu d'examiner les nôtres. Poureux, le spécisme se passe de justi-fications rationnelles. Il m'estarrivé récemment de presquesupplier, de dire : «Mais dis-moi,pourquoi, donne-moi un seulargument, pourquoi forcémenttu considères que la souffrancedes poules en batterie est un sujetsecondaire...» Sa seule réponse :«Pour moi, c'est comme ça.»(texto). Pourquoi ? Parce que. Lecaractère évident du spécisme,

.Qu’est-ce que le spécisme ?

David Olivier Cahiers antispécistes n°5

L'article reproduit ici est une version légèrement modifiée d'un textepublié en avril 1991 dans la revue Informations et RéflexionsLibertaires, dans la rubrique «Antispécisme» que nous y tenions.

le fait que l'immense majoritédes humains font partie desoppresseurs, est l'obstacle princi-pal auquel se confronte l'antispé-ciste.

Il s'agit encore une fois d'êtredu côté de ceux qui sont mépri-sés et opprimés - en sachant quele mépris rejaillit sur celui qui lesdéfend. Il fut un temps où leBlanc défenseur de «nègres»pouvait être traité comme un«nègre». Il est relativement facileaujourd'hui d'être antiraciste ouantisexiste en France, au moinsen opinion ; cela n'a pas toujoursété le cas. Aujourd'hui, au moinsdans les milieux de gauche, c'estl'antiracisme et l'antisexisme qui

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sont devenus des évidences, pres-que des lieux communs se pas-sant d'arguments. La nouvelledroite a eu la partie belle, face àun antiracisme qui, à «Pourquoi ?»,répondait «Parce que.», d'appa-raître par contraste comme desgens qui pensent.

Pourtant, à un niveau mon-dial, et au cours de l'histoire, c'estbien le racisme, et non l'antira-cisme, qui, tout comme le spé-cisme et le sexisme, est, et a tou-jours été, la pensée dominante.Les oppressions et massacresinterethniques sont monnaiecourante dans l'histoire passée etprésente de tous les humains. Sibeaucoup de peuples aujour-d'hui peuvent paraître faire partiedu camp antiraciste, c'est d'abordparce qu'ils s'opposent eux-mêmes au racisme dominant,celui de la culture occidentale,qui gomme leurs différences, etleur culture, pour ce qu'elle a demeilleur, et aussi de pire. Noussavons très bien que la culturekanake est, dans l'ensemble,sexiste, mais, chut !, il ne faut pasle dire. Il faut «respecter leur cul-ture comme elle est». Est-ce res-pecter des gens que de ne rienleur dire ?

Nous avons, face à l'immenseprévalence du racisme, dusexisme et du spécisme, non pasà nous contenter de nous scan-daliser et de nous référer à des«évidences», mais à réfléchir et àargumenter ; sans craindre d'êtredu côté des «nègres», des «gon-zesses», ou des chiens.

Un peu de vocabulaire

Spécisme : le spécisme (ouespécisme) est à l'espèce ce que leracisme est à la race, et ce que lesexisme est au sexe : une discri-mination basée sur l'espèce, pres-que toujours en faveur des mem-bres de l'espèce humaine (Homosapiens).

Animaux : le langage n'est pasneutre, et notre langue couranteappelle «animaux» tous les ani-maux sauf les humains, mettantainsi une barrière entre des êtresaussi proches qu'un humain etun gorille, et mettant dans lemême sac un gorille et une huî-tre. Conformément à l'usagescientifique, amplement justifié,j'appellerai «animaux» tous lesanimaux, humains ou non, et«animaux non humains» ceuxqui n'ont pas l'honneur d'être«bien nés».

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Ma position

Je soutiens qu'il ne peut y avoiraucune raison - hormis le désir égoïste

de préserver les privilèges du groupeexploiteur - de refuser d'étendre

le principe fondamental d'égalité de considération des intérêts

aux membres des autres espèces.Peter Singer, Animal Liberation,

1975 1

Faut-il être antispéciste ? Eh bien, faut-il être antiraciste ?C'est évident que oui ? Ce n'estpas évident pour tout le monde ;et il ne semble pas que tous lesantiracistes soient antiracistespour les mêmes raisons. Maposition est que l'antiracismen'est justifié ni parce que (pres-que) tous que les humains sontégalement intelligents, ou ont unlangage articulé, ou sont sociaux,etc. ; l'antiracisme et l'antispécismesont justifiés parce qu'un être sensibleopprimé souffre et que la souffrance etle bonheur de tout être sensible, c'est-à-dire susceptible de souffrir ou d'êtreheureux, ont la même importance etdoivent par conséquent être pris encompte avec un poids identique.

Je ne suis pas plus «défenseur desanimaux» que ceux qui luttaientcontre l'esclavage des Noirsn'étaient des «défenseurs desNègres», comme les appelaientles racistes ; je défends des ani-maux opprimés, humains ounon, non par lubie, non parvocation, non parce que «j'aimeles animaux» comme d'autres«aiment les fleurs» ; je défendsles animaux et en particulier lesanimaux non humains parce quemon intention est de défendretous les êtres sensibles, quelsqu'ils soient ; parce que le seulcritère qui justifie de prendre encompte les intérêts d'un être estqu'il ait des intérêts, et parce quele phénomène de la sensibilité selimite vraisemblablement auxanimaux, les plantes n'ayant nisensations ni intérêts. Monopposition au spécisme est uneopposition à une idéologie quisert à justifier la souffrance igno-ble et la mort que la quasi-tota-lité des humains infligent sciem-ment, délibérément, quotidien-nement, à des milliards d'êtresaussi sensibles qu'eux.

Racisme et spécisme

Les arguments racistes ne sontsouvent que de mauvais prétex-

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1. Traduction française La Libérationanimale, Paris, Grasset, 1993.

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tes ; mais cela ne dispense pas deles examiner. Il ne suffit pas dedénoncer les méchants racistes,qu'à moins de supprimer il fautpouvoir convaincre. Et aussi,dans le cas du spécisme, le rôlede méchants est tenu par pres-que tous les humains, qui usentdes mêmes arguments que lesracistes pour justifier la supréma-tie qu'ils s'octroient à eux-mêmes.

Le racisme et le spécisme sontdes idéologies étroitement imbri-quées, et leur ressemblance seraitévidente à tous si n'était que, jus-tement, les antiracistes sont pourla plupart spécistes et ont doncfortement intérêt à ne pas la per-cevoir. La volonté qu'ils ont decombattre le racisme sans mettreen danger le spécisme les amèneà vouloir à tout prix défendre des

positions indéfendables, qu'ilsprésentent pourtant commeessentielles à l'antiracisme. L'idéed'égalité animale étant pour euximpensable, c'est contre les autresanimaux qu'ils veulent fonderl'égalité humaine.

Qu'est-ce que le racisme ?

Quand l'antiraciste parle decette égalité humaine, que veut-ildire ? En mathématiques, on dit«Paul = Jean» si ce sont deuxnoms pour la même personne. Ilne s'agit pas de cela. Les Noirs etles Blancs ne sont en général paségaux par la couleur de leurpeau, puisque justement elle estdifférente. L'égalité dont parlel'antiraciste s'oppose à l'inégalitéde traitement dont sont victimescertains en raison de la couleurde leur peau.

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Les Français d'abord !

Dieu a donné la supériorité aux Blancs.Nous nourrissons et protégeons les nègres. Les nègres sont moins sensibles que nous. Les nègres accordent peu de valeur à la vie. Les nègres sont de grands enfants.Les indigènes se font la guerre entre eux. Les nègres se ressemblent tous. Raciste, moi ? J'ai un ami arabe.Battre sa femme est un choix personnel.

Les humains d'abord !

Dieu a donné la supériorité aux humains.Nous nourrissons et protégeons les bêtes.Les animaux ne savent pas qu'ils souffrent.Les animaux ne savent pas qu'on va les tuer.Les animaux n'agissent que par instinct.Les animaux se mangent entre eux.Les animaux n'ont pas de personnalité.J'aime les bêtes, je ne mange pas de cheval.Manger de la viande est un choix personnel.

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Mais l'expression «inégalité detraitement» est elle-même insuf-fisamment claire. Si j'étais méde-cin, je traiterais parfois Noirs etBlancs différemment : comme lapeau noire absorbe moins lesoleil, les Noirs dans un paysdonné risquent moins le cancerde la peau. Constater cela n'estpas raciste, pas plus que ne seraitconstater, si tel était le cas,qu'une certaine couleur de peaun'a que des avantages sur uneautre. L'antiracisme ne peut êtrefondé sur l'hypothèse hasardeused'une distribution équitable desfaveurs de «Mère Nature» entreses «enfants» ; car ce genre d'hy-pothèse, on va le voir, n'a aucuneraison d'être vraie, et, de fait, leplus souvent, est fausse.

Ce serait certainement raciste,par contre, d'accorder plus oumoins d'importance aux intérêts -à la santé par exemple - desNoirs qu'à ceux des Blancs. Ceserait raciste de dire : la couleurde la peau d'un être justifie de ledéfavoriser, c'est-à-dire d'accordermoins d'importance à ses intérêts.

Si telle était la position desracistes, si elle ne se basait quesur la couleur de la peau, elleserait facile à contredire ; mais ce

n'est pas le cas. J'ai lu une his-toire il y a quelques années surune Blanche noire sud-africaine.Une maladie avait rendu la peaude cette dame blanche toutenoire. La honte face aux voisins !Il a fallu, pour qu'elle puisseaccéder aux bus pour Blancs,etc., que les autorités lui déli-vrent une carte spéciale certifiantque bien qu'elle était noire, elleétait blanche.

Ce n'est donc pas, pour lesracistes, la couleur de la peau quijustifie la discrimination. Qu'est-ce qui justifie la discrimination,dans ce cas ? Que dit donc leracisme ? Pour contredire uneidéologie il faut déjà qu'elle soitdite ; et la puissance de l'idéologieraciste doit sans doute beaucoupau fait qu'elle n'est jamais vrai-ment dite, donc jamais vraimentcontredite.

Qu'est-ce qu'un Noir ?

Il importe beaucoup au racisteque la frontière qu'il trace lemette du bon côté, définitive-ment. La race est un bon critèrepour cela, car né blanc, on resteblanc, sauf exception. Mais avoirune frontière ne suffit pas, il fautencore que la définition de cette

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frontière paraisse justifier la dis-crimination. La couleur de peauest un critère bien trop mince, ilfaut donner une substance, uneépaisseur à l'idée de race elle-même. Un Noir doit être noirjusqu'à l'os. La race d'un indi-vidu doit être perçue comme savérité profonde, comme sa nature.Noir ou blanc, un Noir né deNoirs doit être un Noir. De sangnoir. Le raciste ne justifie pas ladiscrimination par la couleur dela peau. Il parle de la couleur, maisen fait pour lui importe la nature,dont la couleur n'est qu'un signe.

Si le racisme se basait sur desdifférences réelles, son intensitéserait proportionnée à leurintensité ; mais la violence del'antisémitisme nazi montre lecontraire. La quasi-inexistencede différences repérables entreJuifs et «Aryens» était simple-ment un signe de plus, le signe dela duplicité des Juifs. Les nazis,en parlant du «nez juif», ne par-laient pas de «la forme de nezque les Juifs possèdent plus sou-vent que les autres» ; le «nez juif»n'était pas simplement le nez desJuifs, c'était le nez signe de l'es-sence juive, et c'est cette essence,cette nature, qui, aux yeux desnazis, justifiait le meurtre.

On dit aussi que le roi est roiparce qu'il a une couronne sur latête, tout en sachant qu'il arrivequ'il ne la porte pas, et que cen'est pas à cause d'elle qu'il estroi ; pour le royaliste, le roi est roiparce qu'il est de sang royal, denature royale ; la couronne n'enest que le signe.

N'importe quoi peut être signed'une nature, peut être interprétécomme tel. C'est pourquoi lesdiscussions avec les racistes sontsi frustrantes. Le raciste s'occupepeu d'examiner et de produiredes arguments qui tiennentdebout ; tout argument est pourlui superficiel, ne concerne queles signes, ne peut atteindre lanature, car la nature se passed'arguments. De la couleur, de lataille (les Noirs sont trop petits,ou alors trop grands, ça dépenddes régions), de l'accent, de laforme du nez, de tout cela leraciste veut bien discuter, il sefiche d'en discuter : de toutefaçon, pour lui, la naturedemeure.

Pour le raciste, c'est la naturedes êtres qui justifie la discrimi-nation : littéralement, l'affirma-tion de leur différence. Il n'a pasbesoin de postuler l'infériorité ;

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entre êtres de nature différentetoute comparaison est impossi-ble. L'apartheid, c'est le dévelop-pement séparé : chacun à saplace. Le raciste sud-africainniera que les Noirs soient défavo-risés : comme ils sont de naturedifférente, cela n'a pas de sens.Les bidonvilles sont aux Noirs ceque les logements confortablessont aux Blancs. Aussi étonnantque cela paraisse, je parierais fortque les marchands d'esclaves duXVIIIe siècle niaient que poureux, les Noirs fussent inférieurs ;car, aussi étonnant que celaparaisse, j'ai trop entendu demangeurs de viande niant quepour eux, les «animaux» soientinférieurs - «pas inférieurs, non,différents».

Le discours sexiste se fonde luiaussi explicitement sur l'affirma-tion de l'existence de deux natu-res différentes, féminine et mas-culine, et sur l'éloge de laFemme, de la Mère, de l'Épouse,de celle dont le bonheur et l'hon-neur est de fonder les nations enlavant les casseroles. «Moi j'aimeles femmes !», dit le sexiste (ou«les dindes» ou «les poules»).

Depuis le «je ne suis pasraciste» populaire jusqu'à l'«élo-ge de la différence» nouvelle

droite, c'est toujours l'idée de dif-férences de nature qui fonderacisme et sexisme. Et ces idéolo-gies sont fausses, non parce quela peau blanche «égale» la peaunoire, mais parce cette naturen'existe tout simplement pas.Mais elles sont d'autant plus cré-dibles que presque tous, encachette, en acceptent le prin-cipe, et, je le pense, ils l'acceptentparce que la survie du spécismeest à ce prix. Pour maintenir lespécisme, tous acceptent l'idéed'une nature animale, et tous,malgré eux, acceptent doncl'idée d'une nature humaine. Etc'est là que commence la gym-nastique intellectuelle des antira-cistes spécistes.

Même principe, même dis-cours : «Je ne suis pas spéciste» et«les animaux ne sont pas infé-rieurs, ils sont différents». «Êtremangés, c'est leur rôle naturel».Le signe de cette nature, c'est qu'ilsse mangent entre eux. Ils en sontheureux : les cochons sourientsur les vitrines des charcuteries.

On peut être antiraciste touten étant sexiste, on peut êtreantiraciste et antisexiste en étantspéciste. Vous pouvez très bienme dire : «tout ça est vrai, maispour les animaux, ce n'est pas

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comparable : car les humainssont égaux, mais les animaux,eux, sont différents».

Et il y en a un paquet, de dif-férences entre l'homme et l'«ani-mal» ! C'est qu'on n'a pas lésinésur les moyens pour les réperto-rier, comme en témoigne cetaveu tranquille :

Longtemps les moralistes, les philo-sophes et, plus tard, les chercheurs ensciences humaines ont eu pour souciprincipal de rejeter toute appartenancede l'Homme au monde des bêtes, ou,pour le moins, de lui trouver unedimension spécifique qui le sorte d'unefamille honteuse, d'une promiscuitégênante.

J.-M. Bourre, Diététique du cerveau

Mais les humains aussi sont dif-férents les uns des autres, chacunle sait bien. En disant qu'ils sontégaux, on ne dit qu'une chose :qu'ils sont égaux en nature. Et queles «animaux» en diffèrent, nonpar le nombre de pattes, mais parleur nature.

«La raison est le propre del'homme». La «raison» est le signedominant pour le spéciste, et c'estpour cela – et uniquement pourcela – que je m'attarderai ici sur la

question de l'égalité d'intelligence– question qui en fait, avouons-le,me préoccupe fort peu. C'est parcontre une question qui a beau-coup agité les spécistes racistes etantiracistes.

Pour certains, l'intelligence estsigne de l'âme, et l'âme est lanature des humains. Mais pour lesautres, qu'est-ce que la nature deshumains ?

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Photo de présentoir devant une charcuterie

Les cochons sourient devant lesvitrines des charcuteries, montrantbien ainsi que leur rôle, leur voca-tion intime, leur nature, est dedevenir du jambon.

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Qu'est-ce qu'un humain ?

La nature des êtres a beau-coup servi à justifier beaucoupde choses : le racisme, la guerre,l'ordre social établi. «Être dedroite, c'est penser que l'Hommea une nature immuable» (Jean-Marie Le Pen, cité de mémoire).Pour les chrétiens, l'âme vient deDieu ; pour les autres, la naturedes êtres vient de Nature, duDieu Nature que tous adorent etdont les écologistes sont les prê-tres. La nature d'un être, ce seraitl'«inné», ce qu'avant la naissanceNature a donné.

Les gens de gauche, eux, nepeuvent pas accepter tel quel cediscours sur la nature humaine ;ils disent : «l'humain est issu de lanature, mais celle-ci s'est effacée,laissant le champ libre au pro-prement humain, à l'Histoire, auCulturel, au Social ; l'Hommereste un animal, dans ses fonc-tions animales ; dans ses fonc-tions hautes, telles l'intelligence,il est radicalement autre.»

Ainsi, pour eux, la nature del'Homme se trouve définie parl'absence de nature ; les «ani-maux», eux, en auraient une –chaque «animal» selon son

espèce, donc, avant tout, tousauraient la «nature animale» =la nature d'avoir une nature. Et sicela revient à fonder l'égalitéhumaine sur l'écrasement desautres animaux, ce n'est pas unhasard ; c'est qu'à gauche on estantiraciste, mais surtout pas antispé-ciste. Une critique réelle de lanotion de nature d'un être, véritéprofonde et rôle assigné parNature, cette critique qu'ils segardent bien de faire minerait leracisme – mais aussi le spécisme.

L'antiraciste spéciste a ce pro-blème : justifier le spécisme, sansjustifier le racisme ; maintenirl'idée de nature, fondée sur lanaissance ; l'idée que Nature adonné à l'Homme la plus hautedes naissance, la nature d'êtrelibre (rien d'«inné» au-dessus dela ceinture). Aux «animaux» parcontre, la nature d'esclaves sou-mis à l'instinct. Le raciste n'a pasce problème ; le Blanc et le Noir,le chat et la souris, chacun a sanature, sa place et son rôle dansl'harmonie naturelle et sociale.Le raciste peut, bien plus facile-ment que l'anti-, faire le paterna-liste et militer à la «défense ani-male», pour un bon traitementdes animaux de boucherie.

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Au cri de «Nature avec nous»,spécistes racistes et anti- débat-tent sur l'«inné» et l'«acquis», sedisputant sur les signes : leshumains ont-ils tous la même

intelligence ? Et surtout : les dif-férences d'intelligence sont-ellesinnées ? La hiérarchie entrehumains est-elle voulue parNature ? A la recherche des

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Les signes qui montrent la présence de l'âme, d'après l'Abbé Bouvet,dans Premières Notions d'instruction religieuse et Leçons de choses

religieuses, 1938.

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signes les anciens interprétaientle foie des génisses, les modernesinterprètent notre cerveau.

La croyance rend aveugle et cedébat peut durer. Mais pour lenon aveugle la réponse est vitevue : 1. les humains ne sont pasplus égaux en intelligence qu'enautre chose ; 2. l'intelligencerésulte, comme toute caractéris-tique d'un être vivant, d'uneconjonction de causes génétiqueset environnementales, et donc lesgènes peuvent causer des diffé-rences d'intelligence. Les faitssont connus de tous. Et s'ils justi-fient le racisme, alors le racismeest juste et le spécisme l'est aussi.S'ils ne justifient pas le racisme,alors rien ne justifie ni leracisme, ni le spécisme.

Les humains ne sont paségaux en intelligence

Ce n'est pas que je tienne par-ticulièrement à définir l'intelli-gence. Si on préfère ne pas enparler en considérant qu'elle nepeut pas se définir, qu'on n'enparle pas, ni pour comparer leshumains entre eux, ni pour com-parer les humains et les autresanimaux. D'un autre côté, onpeut bien aussi en parler, sansavoir besoin d'une définition en

béton. Je n'ai pas besoin de défi-nition précise de la longueur ducou pour comparer celle desgirafes à la mienne. Et pour peuque l'on veuille donner le moin-dre sens à ce mot, il est clair quecertains humains sont plus intel-ligents que d'autres.

Il existe de nombreux humainshandicapés mentaux profonds.On me dira peut-être, pensantles sauver du mépris, qu'ils sontintelligents à leur manière. Maissi on veut dire cela, ce ne peutêtre avec le sens où le mot «intel-ligence» est employé dans lesdébats sur son égalité entre Noirset Blancs.

Il est difficile de comparer l'in-telligence d'un chat et d'unchien, et de même d'un humainhandicapé mental et d'un chien ;mais il est clair que, quel que soitle critère qu'on voudra prendre,il existe des humains moins intel-ligents que la plupart des chiens.

Si l'intelligence des humainsjustifie qu'on ne les traite pascomme des chiens, commenttraite-t-on les humains qui sontmoins intelligents que les chiens ?Mal, assurément, mais moinsmal qu'on ne traite les animaux

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non humains. Les handicapésfont un peu trop penser aux«animaux», tout comme cetteBlanche avait honte de ressem-bler à une Noire ; mais pour lesspécistes, racistes ou anti-, l'intel-ligence n'est qu'un signe, ce quiimporte est la nature : les handica-pés, «ce sont quand même deshumains». On tiendra pourscandaleuse l'idée même de lesdécouper pour la recherche oude les abattre pour la bouffe – ceque subissent tous les jours desmillions d'autres animaux.

L'existence des humains han-dicapés mentaux suffit en elle-même à justifier mon intertitre.On me dira que le débat portesur l'intelligence des Noirs et desBlancs. On oublie facilement leshandicapés, «cas marginaux»,un peu comme on oublie les nonhumains : ils ne manifestent pasdans la rue. Mais leur cas est per-tinent : si les spécistes racistes etanti- débattent sur l'intelligencedes Blancs et des Noirs, c'est quepour eux l'intelligence a un rap-port avec le droit au respect ; ils'ensuit que pour eux les handi-capés n'ont droit qu'au mépris.

Pour les Noirs et les Blancs (oules Français et les Belges), leschoses sont moins claires. On ne

peut parler que de moyennes :pour les individus, la question estréglée, puisque dans chaquegroupe il y a des handicapésmentaux et d'autres qui ne lesont pas. Mais des moyennes dequoi ? Il existe des tests de QI ;on peut les contester, construired'autres critères, mais, saufhasard improbable, aucun nedonnera la même moyenne chezdeux groupes donnés. Onpourra peut-être trouver des cri-tères qui donnent aux Noirs unemoyenne supérieure aux Blancs,et d'autres l'inverse ; mais àmoins de décider que le critèreprécis construit pour donner lesmêmes moyennes est par défini-tion «le bon test», on aura tou-jours ceci : quel que soit le sensdu mot, l'intelligence des deuxgroupes n'est pas égale.

Les gènes provoquentdes différences d'intel-ligence entre humains

Personne ne contestera que ladifférence d'intelligence entre unchien et un humain n'ait des cau-ses génétiques, et donc qu'il y aitun rapport entre l'intelligence etles gènes ; mais c'est entre humainsqu'on voudrait que les gènes s'ef-facent. Pourtant, là encore, on

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sait le contraire : il y a les «casmarginaux».

De nombreux handicaps men-taux ont une cause génétique.Par exemple, un certain gène faitnaître certains humains phényl-cétonuriques. Ils deviennentalors handicapés mentaux pro-fonds et meurent jeunes – saufqu'aujourd'hui on connaît unrégime alimentaire faisant qu'ilsse développent comme tout lemonde. D'où mon affirmation :l'intelligence résulte, comme toutcaractère, d'une conjonction decauses, qu'on peut classer, si onveut, en gènes et environnement.Pour les phénylcétonuriques, onconnaît un environnement(régime alimentaire) faisant sedévelopper leur intelligence ;pour d'autres humains, commepour les chiens, on n'en connaîtpas. Mais en quoi cela change-t-il leur nature ? Un phénylcétonu-rique est-il par nature plus pro-che d'un humain normal ou d'unchien ? Sa nature dépend-elle deses gènes ou de son régime ali-mentaire ? Ou la nature des êtresn'est-elle pas une chimère ?

Et les Blancs et les Noirs ? Legénôme influe – nul ne leconteste – sur la pigmentationdes Noirs. Un grand nombre deNoirs vivent dans des régionspeu ensoleillées, où cette pig-

mentation peut entraîner uneproduction insuffisante de vita-mine D, donc un risque de rachi-tisme. Il est possible que le rachi-tisme perturbe le développementde l'intelligence. Auquel cas, cer-tains Noirs sont moins intelli-gents pour des causes génétiques,et la moyenne d'intelligence desNoirs est abaissée par des causesgénétiques.

Il s'agit là d'une hypothèse, etsi elle existe, l'influence en ques-tion est probablement faible. Unsupplément alimentaire de vita-mine D la supprimerait. Mais cetexemple encore est pertinent : sion veut démontrer que la diffé-rence génétique entre Blancs etNoirs n'a aucune incidence surleurs moyennes d'intelligence, ilfaut pouvoir éliminer tout chemincausal menant de leurs différences géné-tiques à l'intelligence – et c'est celaqui est totalement invraisembla-ble. En dix minutes je peux enimaginer dix, pour les Blancs etles Noirs ou pour les Français etles Belges. Il faudrait avoir beau-coup confiance en la bonté, en lavolonté antiraciste farouche deMère Nature pour croire qu'au-cune de ces raisons ne se vérifieeffectivement, ou que, parenchantement, elles se compen-sent toutes.

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L'idée de l'«égalité génétique»des groupes humains est fausse.Et quel intérêt y a-t-il à la défen-dre ? Quel rapport avec leracisme ? Le racisme serait-il jus-tifié si d'aventure gènes entraî-nent pigmentation entraînemanque de vitamine D entraînerachitisme entraîne moindreintelligence ? Le niveau d'intelli-gence devient-il une nature dèslors qu'il est causée par les gènes ?

On me dira que ce n'est pas decela qu'on parle quand on débatsur l'égalité génétique de l'intelli-gence. Effectivement ; justement !La génétique réelle, celle dont jeparle, c'est une cause et une suitede conséquences ; celle dont onparle habituellement, c'est lagénétique mythique, celle où legène est notre nature, est notreêtre, notre vérité, notre essence ;notre destin, l'inaltérable, l'irré-médiable, le voulu par Nature.On voit en la génétique laconcrétisation «scientifique» dela mystique ancestrale du sang,de la naissance. Cette génétique-làn'existe pas, n'existe que dansl'esprit des racistes, des sexistes,des spécistes, qui tous veulentdébattre de savoir si la nature desNoirs est ou non plus animaleque celle des Blancs. Ils peuvent

bien continuer à débattre là-des-sus entre eux pendant des siècles.Les Noirs sont des animauxcomme les Blancs. L'intelligenceinnée n'existe pas. Il n'y a qu'uneintelligence réelle, les gènes eux-mêmes ne sont pas intelligents,ils n'ont ni volonté ni intention,malgré les tentatives à peine voi-lées – spécialité des sociobiolo-gistes – pour leur accorder uneâme.

Et alors ?

Ils parlent de cette chose dans latête [...]. Quel rapport avec les droits

des femmes ou les droits des Noirs ?Si ma tasse ne tient qu'une pinte et lavôtre un litre, ne serait-ce pas méchant

de votre part de ne pas me permettrede remplir ma petite demi-mesure ?

Sojourner Truth, féministenoire, devant une convention

féministe aux États-Unis en 1850,citée dans Animal Liberation

Pourquoi donc accorde-t-ontant d'importance à l'intelligence ?

Pour son importance réelle, pra-tique ? On justifie l'accent mis surelle en disant que la force physi-que, aujourd'hui, n'a plus grandeutilité. L'intelligence est censée

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rendre un individu utile à lacommunauté, on la récompense-rait par la considération sociale.

Ceux qui sont en haut del'échelle sociale sont-ils les plusutiles à la communauté ? Je pré-fère retourner l'explication : dansune société conflictuelle, l'intelli-gence est une arme. On a dit que«la libération des opprimés seral'oeuvre des opprimés eux-même», et malheureusement il ya là du vrai. La libération desNoirs américains doit beaucoupà leur propre action, qui n'auraitpas été s'ils n'avaient que l'intelli-gence des poules. De même,l'idée que les Noirs sont moinsintelligents que les Blancs sert àles démoraliser dans leur luttepour l'égalité sociale.

Une telle inégalité d'intelli-gence, qu'elle soit «innée» ou«acquise», serait une mauvaisenouvelle – elle rendrait plus diffi-cile la lutte antiraciste. Mais ellene la rendrait pas injuste. Notreculture mêle un peu trop force etdroit au respect. Les Noirs amé-ricains ne sont plus esclaves, lespoules le sont encore ; l'intelli-gence des Noirs explique en partieleur libération, ce n'est pas ellequi la justifie.

L'intelligence permet de «sefaire respecter» ; mais surtout,elle a un rôle magique : commeprincipal signe d'humanitude. LesNoirs sont noirs, les bêtes sontbêtes. Et l'humain tient par des-sus tout à son rang d'humain.L'énormité de la souffrance et de la misère que les humains

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Le signe qui montre qu'on a le droit de les manger, d'après Ch. Szlakmann,dans Le Judaïsme pour débutants, éd. La Découverte, 1985.

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infligent aujourd'hui aux autresanimaux est connue de tous. Ce n'est que grâce au spécismeque les humains parviennent à la tenir pour sans importance. Il faut que les bêtes soient totale-ment autres ; que nous soyonsintelligents. Et le fait même quel'intelligence soit une arme depromotion sociale la désignecomme signe : la société elle-même se définit contre les ani-maux non humains, et la promo-tion sociale comme une preuved'humanitude.

Signes à la pelle

On évoque beaucoup de rai-sons pour justifier ce que leshumains font aux autres ani-maux ; beaucoup trop. Pourleurs inventeurs, la vérité àdémontrer est donnée d'avance.Le spéciste les évoque l'une aprèsl'autre ; aucune ne tient debout.N'importe ; dans notre cultureprofondément spéciste chacuneappelle les autres et y puise sonsoutien, sans que personne nesoupçonne que l'ensemble tientdans le vide.

Ces raisons ne sont pas des rai-sons, ce ne sont que des signes.Bien sûr personne ne se fatigue

trop à montrer en quoi ils justi-fient la domination des humainssur les autres. Et peu importeque tous aient le même défaut,celui de ne pas inclure tous leshumains, sous peine d'inclureaussi des non-humains.

Innombrables sont les signes.Tout caractère peut servir,pourvu qu'il semble «noble» etpropre aux humains. L'outil était«le propre de l'Homme», jusqu'àla découverte d'un oiseau qui enutilise aussi. Comme il possédaitle propre de l'Homme, on adéclaré que la vie de cet oiseauétait sacrée comme celle d'unhumain. Non, bien sûr, je plai-sante ! On aura compris. Enmangeant l'oiseau, on a dit :seuls les humains fabriquent desoutils. Mais certains chimpanzésen fabriquent aussi, et ce filontombe à l'eau.

Autre filon : le langage. On adit que les animaux n'avaient pasde langage, mais, comme leschiens savent hurler, on a précisé :langage articulé. Depuis, on aappris à certains singes le lan-gage gestuel des sourd-muetshumains, avec syntaxe et tout ça(ils sont moins doués que nous,mais le principe y est), et on aabandonné aussi ce filon-là (on a

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évité de préciser langage sonore,car les sourds-muets, contraire-ment aux autistes, savent sedéfendre eux-mêmes).

Et comment l'absence de lan-gage justifie-t-elle le massacre ?On m'a expliqué que si un êtrene peut pas dire qu'il souffre, onne peut pas le savoir. Pourtanttous les mammifères montrentles mêmes signes de souffranceque les humains ; ce serait éton-nant que des phénomènes aussisemblables n'aient pas la mêmecause. Peu de sciences seraientpossibles si l'on exigeait que leurobjet soit doué de parole. Aussi :«Si un être ne peut conceptuali-ser sa souffrance, celle-ci n'existepas, elle est purement physique.»Les féministes ont bien montréque pendant des siècles, les fem-mes ont souffert en silence, parceque les concepts pour exprimerce qu'elles ressentaient man-quaient. Un pas décisif dans leurlibération a été de réussir à for-ger ces concepts pour dire etpenser ce qu'elles vivaient. Avantcela, leur souffrance était-elle«purement physique» ?

Critères suivants : «l'animalsait, l'homme sait qu'il sait»(Teilhard de Chardin) ; «l'animal

n'a pas la conscience de soi» ;«les humains seuls ont une per-sonnalité unique». Faux, flou, oules deux, rien de ça ne résiste àl'examen scientifique le plus sim-ple. Et de toutes façons, ça chan-gerait quoi ? Est-ce savoir qu'onsait ou la «conscience de soi» oula «personnalité» qui donne savaleur à la vie ? Ce sont ces «jene sais quoi» – ces natures – quijustifient les massacres, des pou-les comme des Juifs.

Il y a aussi «l'instinct animal»opposé à «la raison humaine».Cette façon de poser le problèmetémoigne surtout de l'ignorancecrasse que les humains ont desautres animaux, de leur connais-sance faite de stéréotypes remâ-chés. Les racistes aussi en géné-ral ne savent rien de ceux qu'ilsméprisent ; mais les fables racis-tes et spécistes ne sont que cela :des fables, des façons de dire l'in-dicible, la nature.

Une idée comme une autre

Il serait très possible d'éleverdes enfants humains dès la nais-sance dans un isolement rela-tionnel et sensoriel tel qu'ils nedévelopperaient aucune des sinobles qualités «proprement

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humaines». Élevés dans cesconditions, équivalentes à cellesque souffrent les veaux, ils pour-raient alors subir le même sort,«parce qu'ils ont été faits pourça» («n'ont jamais connu autrechose»). En quoi devrait-on sesoucier du sort de tels êtres aso-ciaux incapables de parler, d'uti-liser des outils, sans liens affectifset qui ne savent même pas qu'ilssavent ? Si vous trouvez celascandaleux, je suis d'accord avecvous ; mais si vous ne trouvez pastout aussi scandaleux ce qu'on faitaux veaux, alors vous êtes spé-ciste. Vous ne voulez pas que l'onfasse cela aux humains, parcequ'ils sont de votre espèce. Quelsarguments pourrez-vous alorstenir sérieusement contre unraciste, qui, lui, refuserait quel'on fasse ça à ceux de sa race ?

Les natures cachent le réel

En quoi devrait-on se soucierdu sort d'un être quelconque ?Qu'est-ce qui importe pour diresi on doit s'abstenir de lui fairedu mal ?

Rien, si on veut. On peut, sion veut, tuer et torturer qui onveut. On peut décider de ne tor-

turer que les Noirs ou les droi-tiers, si on veut. On peut déciderde se torturer soi-même ; maiscela, on le fait rarement.Pourquoi ? parce que ça faitsouffrir, ça va à l'encontre de sespropres intérêts.

Éviter de faire mal à autrui,c'est décider d'étendre la consi-dération que l'on a pour ses pro-pres intérêts à ceux d'autrui.L'éthique, ce n'est pas autrechose. Et qu'est-ce qui doit déter-miner de qui on prendra encompte les intérêts ? Des Blancsseulement ? Pourquoi des Blancs ?Des êtres intelligents seulement ?Ou sociaux ? Quand on prenden compte ses propres intérêts,on ne se demande pas si on estintelligent ou social. Cela n'arien à voir avec le problème.Avoir mal ça fait mal, qu'on soitsocial ou non.

À chaque chose réelle sesconséquences réelles. L'intelli-gence d'un être importe pourbien des choses, mais n'a aucunrapport avec le fait que c'estgrave ou non de lui faire mal.Alors, qu'est-ce qui importe pourcela ?

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À chaque chose réelle sesconséquences réelles. Au faitqu'un être puisse avoir mal saconséquence : éviter de lui fairemal. Ceci indépendamment detoute autre caractéristique de cetêtre. L'éthique non raciste, nonsexiste, non spéciste, c'est celle-là.

Si un être est sensible, peutsouffrir ou jouir, sa souffrance etsa jouissance ont la mêmeimportance que celle de toutautre. Toute différence d'impor-tance attribuée aux intérêts dedeux êtres est nécessairementarbitraire puisque fondée surquelque chose sans rapport avecla raison pour laquelle on prenden compte ces intérêts, car cetteraison est tout simplement leurexistence.

La souffrance, c'est la souf-france, le plaisir, c'est le plaisir :c'est là la seule égalité qui m'im-porte. Si les pierres peuvent souf-frir ou jouir, nous devons pren-dre en compte leur intérêt à nepas souffrir et à éprouver le bon-heur – que chaque pierre ait ounon une «personnalité unique».Si les pierres ne peuvent souffriret jouir, comme c'est très proba-blement le cas, il n'y a rien àprendre en compte.

En pratique, que faire ? A nousqui ne mangeons pas de viande,on reproche souvent avec unsourire narquois de mépriser lesplantes ; mais ceux qui si brus-quement exhibent leur sympa-thie pour les plantes en mangentdix fois plus que nous, à traversles animaux qu'ils font éleverdans une vie de misère et tuer.N'importe ; nous ne méprisonsni les plantes ni les pierres. Lemépris est une attitude raciste enelle-même. Le mépris juge infé-rieure la nature d'un être ; moi,m'importe le réel. Le caractèresensible ou non d'un être est uncaractère réel. Il m'importe doncde savoir : qui le possède, quipeut souffrir ?

Comment savoir si les plantesou les pierres peuvent souffrir ?C'est une question difficile àrésoudre dans l'absolu, maisdans la pratique il est faciled'aboutir à des conclusions sim-ples. Tout esprit non spécistesera déjà d'accord avec moi surceci : la capacité à souffrir desoiseaux, poissons et mammifèresnon humains est aussi vraisem-blable et assurée que celle deshumains. Ceci détermine la pre-mière et la plus simple consé-quence : cesser de les manger.

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Brochure éditée par "un réseau contre le spécisme"20 rue Cavenne, 69007 Lyon

Contact : [email protected] tél. 04 75 21 44 91

octobre 2013