09/01/2016

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LesmardisdelaPhilo1er semestre2016

Mimèsis, mentir-vraiet faux-semblants (I)

FrankPierobon

Lamimèsis,uneévidenceetunmystère

Visagesetmasquesdelathéâtralité

• Mimèsis:traduitusuellementpar« imitation »ou« représentation ».

• Faux-semblant:L’ambiguïtédecetermeserévèlequanton lecompareauvrai-semblable.Lefaux-semblants’évertueàparaîtrevrai,tandisquelevraisemblablelaissesubsisterledoute.

• Mentir-vrai:lacapacitéparadoxalededirelevrailorsqu’onyaenfinrenoncé.

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L’enversducogitocartésien• SiDescartesaraison– cogito,sum – alorslathéâtralité(àlavillecommeàlascène) estincompréhensible, carelleestalorsàlafoistrompeuseetfalsificatrice,sejustifiantàpeinedeparunplaisirperversprisàsedonnerenspectacleouàcespectaclelui-même.

• Enrevanche,sil’êtredel’êtrehumainesttoutautrechose quecetêtrequenous prêtonsàlaréalitédeschoses, alorsdanscetécartentrel’êtreetpas-toutàfaitl’être,ilyadelaplacepourdesfictions quisontàlafoisfausses etvraies,déjantées, décalées…Ilyasurtoutdelamargepourpenserl’être(humain)commeunefictionquiparfoisestvraie…

Qu’est-cequiestvrai?

Nouspensons parimagesetnous utilisons cesimagespourparler d’autreschosesquisontégalementdesimages…Oronexigequelaréalitéetlavériténefassentqu’un aveclaconsistancedelapierre,plutôtqu’aveclanébulositéauxcontoursimprécis.

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Est-cequeje suisaussi réelquelapierre?Oucommeelle?

• Leréeletl’irréelnesontpasdansunerelationd’oppositionlogiquecommelevraietlefaux.

• Parrapportauréel, l’irréel (cequin’estpasréel)alasignificationdetoutcequidiffèreduréel,légèrementouradicalement. Parexemple: lavie

Parquelschemins…?

Lacritique(kantienne)duréalismeinclutunedéconstructionradicaleducogito:l’onnepeutpasse« sentir »soi-même et leconceptd’unMoi estvide.Parailleurs,sil’objetdelapsychologierationnelle(leMoi)est,selonKant,uneillusion,lecogitocartésienestàlafoisleMalinGénieetsonœuvre(unmonded’illusions).

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Laconclusion« cogito,ergosum»n’estpasdirecte:Descartesinventeun

…inventeur(leMalinGénie)quiinventeunmondeoùjesuispiégé.Si“je”(enfait,

Descarteslui-même)révoquelemondeàlafoisperçuetimaginé,jenepuis

révoquerlefaitquejerévoque…

Unmondefaux,unêtrevrai

Lecogitoetsondétourparunefiction

• LeMalinGénieestl’hypothèseindécidable– peut-êtrequejerêve,peut-êtrequec’estréel– etletourdeforceestdeseretrouveraprèslalevéedel’hypothèque/thèse: peut-êtrequejemerêve,peut-êtreque jesuisréel.

• SiDescartesaraison,ildemeurequ’ilaeubesoind’unefictionàlafoisformelle(leGénie)etmatérielle(l’œuvreduGénielui-même,c’est-à-direunmonde).

• OrDescartesatort: lecogito peuts’imaginerseulaumonde,ilcommuniqueaveccequin’estpaslui,parlapensée(cogitare)etdoncparlaparole.Lecogito estuneœuvredontiln’estpasleseulauteur.

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Uncogitoquiparleraitseraitparléenretour

• Toutestlà:pourKant(maisnonpaspourHusserl),ilfautlemondeentierpourqu’ilyaituncogito.PourMerleau-Ponty,ilfautquececogitoparle,cequiestencoreplusimportant.

• Parcequedèsquel’onparle,onparleàautruietl’onestparléàlafoisparlelangagelui-mêmeetparcequel’oncroitqu’autruiattenddenous…Noussommes,chacunpoursoiettoutlemondepourtoutlemonde,un“malingénie”dontlefauxressembleauvrai...

lementir-vrai

• Nousfinironsparlementir-vrai(Aragon)maisnousnecessonspasdenousorienterverslui.

• Dèsquenousparlons,noussommesdoublementtravaillés:parledésird’êtrecompris« objectivement »etledésird’êtreaimé« subjectivement »etd’existerdansleregardd’autrui.

• Convaincreautruipourseconvaincreàsontourdesespropresbobards…

LouisAragon,1897-1982)

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Lementir-vraiestsurtoutunequestionquiconcernel’écrivain

• L’on imaginevolontiersqueceluiquimentconnaîtlavérité.Cen’estpasvrai…Nousfaisonstouscommesinouspouvionsnoussaisirdelavérité.Nousfabriquonsdelavérité(c’est-à-direenfait:dusens)quenousfaisonsensuitepasserpour lavérité,cellequ’aucunMalinGénien’auraeuàinventer...

• ...Etnousavonsraisonquantauréel:ilestnotre«monde »(termephénoménologique)…

• …Etlafalsifications’avèrelorsqu’ils’agitnonpasdeschosesmaisdesêtres,ceux-làmêmequisedisent humains.Dèsquel’onparle,oninvente.Ordinairement,c’estlapremièrechosequel’ons’efforced’oublier,commesilaparoleétaittotalementtransparenteàcequ’elledit.

Toutécrireestunmentir-vrai

• Parlern’estpasécrire.L’inventioncontinuelled’un« monde»parlaparoleestenmêmetempssonévanouissementcontinu.Avecl’écriture,autrechose enplusestpossible etl’écritdemeure,quientreenconcurrenceaveclemondequipasse.

• Lapossibilitémêmedel’écriturenecomportepascelledelalittérature.Onpeutresteruncomptableduréel.

• « L’artduromanestdesavoirmentir »(LouisAragon,J’abatsmonjeu,1959).

• Dupointdevuedel’écrivain(plutôtquedeceluidesonlecteur),ilestimpossibled’écrirelevrai,leréel,toutsimplementparcequel’écritureestentrop.Etquandonécrittoutletemps,c’estcelamême– leréel,levrai– quiestentrop.

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lesfaux-semblants

Définitiondufaux-semblant:Apparencetrompeuse,affectationdesentimentsquel'onn'éprouvepas.

Lefaux-semblantestunequestionpolitique• Commeprécédemment,l’onimaginevolontiersqueceluiqui

feintmentàpartirdesentimentsqu’ilseconnaît.Cen’estpasvrai…Nousensommestousàfairecommesinoussavionsàl’avancecequenousressentonsexactementetcommentréagir...

• ...Lorsquenousavonsfroidouquenousnousbrûlons,nousn’avonspasdetelsproblèmes:« lessensnemententpas »,mêmesinousnesavonspasquelleestl’attitudequ’ilfautadopterfaceàladouleuretàtoutcequiestphysique(l’appétit,lafatigue,ledésir,etc.)…

• …L’êtrehumains’embarquedansuneréactionémotionnellequiestpourmoitiéuneaffairedeclichésetderépertoireetpourmoitiéuneaffaired’improvisation…

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Mentirsuppose desbuts,unprojet,cequelasincériténerequiertpas

• Paraîtreà laCour(tellequecelledeLouisXIV),c’estyambitionnerunclassement, celuidelafaveurplusoumoinsmarquéedumonarque,quivautontologie.Onsaitquionest lorsqu’onperçoitclairementquil’onestpourautrui,etsurtoutpourlepouvoirenplace,surtouts’ilestsymboliquementfort.

• Feindreunsentiment danscecontexteestvéniel,tantl’ambitionestunsentimentsincère.L’onnepeutpasfeindrel’ambitionpolitique.Toutaupluspeut-onlacacher.

Lavraiepolitiqueestthéâtrale,levraithéâtreestpolitique

• Lathéâtralitépolitique(celleduquotidiencommecelledelacommunicationpolitique)estdel’ontologieconcrète.Tout sepassecommesilepouvoirétaitlamanifestationlaplusclairedelatranscendanceenfinrendueaccessible.

• Lessociétésarchaïquesetantiques(laGrèceclassiqueethellénistique,Rome,Constantinople,etc.)sontprofondémentthéâtrales:toutdépenddelaperformanceparlaquelleonimposelerespectetl’onmanifestesonautorité(procheenceladu répertoirethéâtraldelavirilitéetdesacontrepartie,laféminitédanssonrôlerésiduellementdécoratif).

• Lesgrandesintriguestragiquesdelapériodeclassique(Shakespeare,Racine,Corneille,etc.)sontpolitiques.

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Théâtreetthéâtralitéàl’heuredudésenchantement

• Lathéâtralitéspectaculaireouquotidiennedépend toujoursdudépartageentrelesmondesdivins(cautiondupolitique),politique(cautiondel’humain)etnon-humain(laviesauvageoùl’on retrouveledivindanssapartiemagique).

• ÀpartirdelaModernité(etdanslaPostmodernité),ledésenchantement(MaxWeber)atteintlespectaclelui-mêmeetlecinémaimposesescodesàlafoisauthéâtretraditionneletàlathéâtralitévécueauquotidien. Lerôlesocialsefigeenune« image »,un look,dontlaphénoménologiepropreestcelledelaphotographieetducinéma.L’imaginaire(cinématographiqueparessence)peineàcolorerlemondeentier:subsistele« désertduréel »(S.ZizekcitantMatrix).

la mimèsis

• Lamimèsis renvoieordinaire-mentàunenotiond’imitation,dereprésentation,decontamination(lebâillement).

• Sonsensleplusancienestceluidel’inspirationdivinequisaisitlerhapsoderécitantdesversd’Homère.

• Ladistinctionclassiqueentrediégèseetmimèsis situetoutlethéâtredansladernièrecatégorie…nonsansdifficulté.

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Lamimèsis,uneévidenceetunmystère

• Lasignificationlaplusordinairedu« mimétisme»appartientauregistredelavueetdelaressemblance:imitation,représentation…

• Lasignificationlaplusancienneetlaplusenduranteestcelledurhapsode,quiredonneunevoixauxancienshéroshomériques.Lamimèsis oraculaire(durhapsode,dumusicien,duchanteur,…duconférencier)résisteàl’écriture.Elleestendeçàetau-delàdutexte.

• C’estleproblèmefondamentalduthéâtrelui-même(celuidesacteursetdupublic):commentretrouverlechocmagiqueetmagnétiqueetlepartager?

Lamimèsis selonSocrateSocrate: « Dis-moi,tusaispar cœurlespremiers versdel’Iliade,oùlepoète ditlaprière deChrysès àAgamemnonpourquesa filleluisoitrendue, l’irritationduRoi,aprèsl’échec desa demande, lesimprécationsadressées parleprêtre auxDieuxcontrelesAchéens ?(…)Alors,tusais que,jusqu’à cesvers«etilsuppliaittouslesAchéens (…) »,c’est lepoète enpersonne quiparle etqu’iln’entreprend mêmepasdetourner d’unautre côténotrepensée commesic’étaitunautre queluiquiparlait,tandisqu’après cesvers ilparlecomme silui-même ilétaitChrysès, etilessaie de nousdonner, leplusqu’ilpeut, l’impressionqueceluiquiparlen’est pasHomère, maisque c’estleprêtre, unvieillard. »

Rép.392d-393b.

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Lamimèsisinspirée

• Dansundialoguedejeunesse, Ion,Socrateridiculiselavanitédurhapsode (quirécite,dansdevéritablesspectacles,HomèreouHésiodeetquil’expliquedoctement…)maisilrespectelasourcedesaperformance,àsavoirl’inspiration divine (lesMusées,Orphée), dontilcomparel’efficacitéaumagnétisme(lapierred’Héraclée).

• Cettecomparaisondumagnétismenepermetpourtantpasdecomprendrepourquoi celapeutparfoisnepas« marcher ».

Ladouleuretleridicule

« Ion …chaquefoisquejedisquelquechosequisuscitelacompassion,mesyeuxseremplissentdelarmes ;mais,quandc’estquelquechosed’effrayantoudeterrible,lapeurmefaitdresserlescheveuxetmoncœursemetàsauter.(…)Soc. Or,sais-tuquevousproduisezlesmêmeseffetsdontjeviensdeparlersurlaplupartdesspectateursaussi ?Ion Etcomment !Jelesaisbien !Carjelesvois,àchaquefois,duhautdemonestrade,entraindepleurer,delancerdeterriblesregards,toutfrappésdestupeurenm’entendantparler.Carilfautquejefasseattentionàeux,etmêmetrèsattention !Eneffet,sijelesfaispleurer,c’estmoiquiseraicontentenrecevantmonargent,maissijelesfaisrire,alorsc’estmoiquivaispleurer,enpensantàl’argentquej’auraiperdu !»<535d-e>,pp.105-106

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Lamimèsis dontusePlaton• PlatonécritqueSocrateditàGlaucon:« Dis-moi,tu

saisparcœurlespremiersversdel’Iliade,oùlepoèteditlaprièredeChrysès…»…C’est-à-direquePlatonmetenscèneSocrate,mettantenscèneHomère,mettantenscène Chrysès…

• Pourtant,tantSocratequePlatondévaluentl’imitationd’énième degré,lacopiedecopie,c’est-à-direla« ressemblance ».LamimèsisdontusePlatondanssesinnombrablesdialoguesconsisteàfairerevivreSocrateenlemontrantàl’œuvre,parlant,questionnant,répondant,etc.Elleannuletouteslesdistancesquiconstituentla« copie »…

L’ambiguïtédePlaton(I)• Lamimèsis peutdoncêtrelarestitutionbouleversante

d’uneprésencevenued’ailleurs–lesouvenir,lesmorts,ledivin,Orphée–comme sondécalquedeplusenpluslointainetdésincarné.Ladénonciationdelamimèsis viseledésancrage del’image parrapportàsonoriginal(c’est-à-direlefaux-semblantouletrompe-l’œil).

• Lesdialogoi sokratikoimarquentlevéritabledébut(théâtral)delaphilosophie,aprèsunemutation:toutd’abordl’écrituresertàfairerevivreSocrateetsapensée,ensuiteellesusciteungeyserdepensée,…quePlatonattribueàSocratealorsqu’ilenest levéritableauteur.

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L’ambiguïtédePlaton(II)• Danslamimèsis philosophique,l’ancrage

nevapasdesoi: ilsereconstitueparlavertupédagogiqueetcommémorative d’untextequiredonnevieàSocrate.

• Enoutre,ladénonciationplatoniciennedelamimèsis viseenparticulierlafarce,leburlesque…– SocrateensilènecommechezAristophane(LesNuées, lesGrenouilles).Leridicule(lecomique)semblepluspuissantquel’évocationrespectueuse, qui,avecSocrate,revêtunedimensiontragiqueetcathartique.

L’ambiguïtédePlaton(III)

• Lamimèsis detypethéâtralestcondamnablelorsqu’ellepermetledevenir-autre,plutôtqueledevenir-meilleur… cen’estdoncpasunmiroir,auquelcasonrisqueraitdetrouveruneimagefixedesoi-mêmemouvantetdelaprendrepourmodèle…

• LedispositifthéâtralestcondamnéensonprincipeparPlaton(etàsasuiteparSaintAugustinetl’Eglise),parcequ’ilrompt,avecdunon-êtrelacontinuitédel’être.

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Larupturearistotélicienne• AveclaPoétique,Aristoteréinventelethéâtretragique,réduitautexteetdontlalectureéquivautàlaperformance.

• FlorenceDupontpourcetteraisonledénoncecommele« vampireduthéâtreoccidental »(2007).

• Aristotefaitbasculerlachosethéâtraleducôtédutexte,c’est-à-diredumuthos, del’intrigue.C’estunautretypedemimèsis:lamimèsispraxeos.L’intrigueinstalleundilemme quifaitdupersonnagecentralàlafoisl’agentetlepatientdesapropreaction.Lapsychologie despersonnagesdevientsecondaire…

Leparadoxeduplaisirtragique

MariaCasarèsetLouise LeMarchanddansPhèdredeRacine(1958)

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SaintAugustin« Maispourquoi l’hommeveut-ils’apitoyerauspectacled’aventureslamentablesettragiques :ilnevoudraitpaslui-mêmelessouffrir,etcependant, spectateur,ilveut,decespectacle,éprouverdeladouleur,etcettedouleurmêmeestcequifaitsonplaisir.(…) …quelleestcettecompatissanceàproposdefictionsscéniques ?Lespectateurn’estnullementprovoqué àsecourirautrui.Non,(…)ilgoûtel’auteurdecesfictionsàproportion deladouleurqu’ilenreçoit.Etsilareprésentationdecesinfortunes(…)lelaissesansimpressionsdouloureuses, ils’enva,leméprisetlacritiqueàlabouche.Est-ildouloureusementému,ilrestelà,attentifetcontent. »Confessions

Leparadoxeduplaisirtragique