MI DICONO CHE SONO - dsaalasout.files.wordpress.com · porte sur les personnels de l’autoroute...

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Contresens. Une erreur de sens, qui va à l’en-contre du sens initial. Une inversion de sens donc pire : un sens opposé.

C’est le mot qui est revenu à plusieurs reprises dans ce reportage et qui a attiré mon attention. Le programme pris en cours, je finis par comprendre de quoi il s’agit : le sujet porte sur les personnels de l’autoroute qui veillent à ce que la circulation soit fluide, et qui en cas d’accident font en sorte de bloquer le moins possible et le moins longtemps possible les voies : les gens paient pour rouler vite sur de longues distances ! ...Or au prix du carburant... Et ce qui fait sensation à cette minute, c’est la découverte d’un homme à vélo à contresens sur la bande d’arrêt d’urgence ! Hor-reur ! Catastrophe ! La durée de vie sur une bande d’arrêt d’urgence est inférieure à quelques minutes... Mais que fait cet homme ? Pourquoi risque-t-il ainsi sa vie ?

C’est la patrouille de gendarmes qui se lance à sa poursuite qui nous l’apprend, tout en essayant, et c’est difficile pour eux, en voiture, d’accéder à la bande d’arrêt d’urgence de l’autre côté de l’autoroute : une caravane a été repérée sur le bord des voies, proba-blement en panne d’essence, et le conducteur a tout simplement pris son bidon pour aller se ravitailler à la station la plus proche ! Les gendarmes bougonnent, ils n’ont pas le choix, il leur faut eux aussi emprunter la fameuse bande d’arrêt d’urgence, et donc mettre leur vie en danger, pour aller verbaliser cet imprudent.

Quand ils parviennent enfin au véhicule arrêté, le conducteur est déjà revenu, et est prêt à repartir, sa compagne monte dans la voiture, et il les accueille avec grande surprise. On lui apprend qu’il est en infraction, qu’il n’a pas le droit de circuler ainsi à contresens et à vélo qui plus est, sur la bande d’arrêt d’urgence, qui comme son nom l’indique, sert à s’arrêter ! Pas à cir-culer ! Il s’excuse, sa petite caravane rondouillarde en arrière plan, et les gendarmes ne verbalisent pas. Pour cette fois. Et bizarrement je me suis demandée si cet homme, tout simplement n’avait pas pensé faire preuve de bon sens, en circulant à contresens, ignorant le sys-tème dans lequel il était, celui de l’autoroute règlemen-tée, pour assurer la sécurité des usagers. Il n’a pas pensé à mal. A-t-il mis en danger le système ? Oui. Il a transgressé les règles. Il a fait preuve d’inconscience. Et il a eu de la chance. Beaucoup de chance. Mais parfois, transgresser, avancer à contresens, peut être une option, quand le système n’est plus au service des usagers, quand le système est au service du système, en tous cas c’est une bonne manière d’alerter, comme en témoignent les articles qui suivent !

Ann Pham Ngoc Cuong Enseignante au lycée Raymond Loewy

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Dans un pamphlet écrit en 1973, le designer italien Ettore Sottsass Jr. se met en scène, incarnant le rôle du designer-martyr. Il tourne en dérision la situation et redéfinit l’engagement social et politique du designer.

Dès son origine le design charrie un projet social : pro- duire des objets de qualité pour le plus grand nombre. Dans les années 1960, il trouve en Europe de l’Ouest, avec l’avènement de la consommation de masse, les moyens de réaliser son objectif initial. Effet pervers, le designer se voit accusé de collaboration avec le Capital. Réponse du designer Ettore Sottsass Jr. :

«A présent tout le monde dit que je suis très méchant, tous disent que je suis vraiment méchant parce que je suis designer, tous disent que je ne devrais pas exer- cer ce métier - que je suis mauvais -, tous disent que si quelqu’un exerce ce métier, c’est au mieux onirique. Tous disent que le designer a « comme seul et unique objectif de s’inscrire dans le cycle de production/ consommation ». Tous disent que le designer ne réflé- chit pas à ce qu’est la lutte des classes, qu’il ne sert pas la cause des gens, et qu’il travaille au contraire pour le système [...] et que le système le mange, le digère et ne s’en porte que mieux. Il engraisse même. Tous disent qu’il n’y a rien à faire, qu’être designer serait comme un horrible péché originel et qu’une fois qu’on l’a commis, il est en nous pour toujours. Ils me désignent comme le coupable de tout ce qui ne va pas. Parce que je suis un designer et étant donné que par définition je travaille pour l’industrie, que l’industrie est l’équivalent du Capital et que ce dernier fait la guerre, etc., ils me rendent donc responsable de la guerre du Vietnam. Ils m’accusent aussi d’être responsable des morts de la route car c’est le Capital qui produit les voitures ; et pour ces mêmes raisons, je devrais aussi assumer la culpabilité des suicides dans les villes.[...] Je suis très méchant parce que je suis un tech- nocrate. Je suis seul à connaître des choses et selon eux, je ne le devrais pas. Tous disent que je devrais en connaître d’autres afin de détruire le Capital. Mais comment peut-on détruire le Capital ? [...] Commentfaire une industrie sans design ? [...] Le problème n’étant pas de savoir si on est méchant ou pas parce qu’on est un designer, mais plutôt de savoir ce qu’on est capable de faire avec ça quand on est un designer. [...] Je voudrais que ceux qui m’accusent viennent près

de moi, ici, autour de cette table à dessin où je travaille et essaient de comprendre ce qu’est mon métier, la nécessité, l’habitude ou parfois l’espoir qui m’habite. [...] Je ne sais pas s’il est vrai que des idées politiques sont à même de déterminer la signification de tous les gestes de la vie ou bien si c’est le contraire et que chaque décision, chaque geste, chaque mot qui prend place dans le temps et l’espace trouve, enregistre et défend une signification politique.[...] Ce que j’essaie d’exprimer ici c’est que si quelqu’un décidait de devenir designer, son choix devrait être motivé parce qu’il se pense en tant que tel et non pas comme un homme politique dont il aurait emprunté le jargon et les méthodes et qui parle, et parle et parle. En effet pendant que j’écris cette histoire, je ne fais pas de design. Que j’écrive une histoire est en ce qui me concerne un travail d’amateur étant donné que mon objectif est d’être un bon designer et c’est tout, c’est cela mon travail. Quant à la politique - la vraie - je l’exprime dans mon design. Si j’écris cette histoire c’est que j’en ai ras le bol que tous me disent que je suis méchant comme si j’avais contracté un péché originel, ce qui est à peu près ce qu’ils disent. J’ai le sentiment de revivre la situation que j’ai connue pen-dant la guerre quand j’étais dans les chasseurs alpins. Les officiers me répétaient que je devais être chas-seur alpin puis ils n’ont eu de cesse de me dire que j’étais un mauvais chasseur alpin parce que j’étais de réserve. Ils me reprochaient de ne pas être suffi-samment sur mes gardes, de ne pas bomber assez le torse, de ne pas avoir l’esprit d’initiative des militaires et de ne rien comprendre à la guerre. Ils me disaient aussi que je n’avais pas l’esprit sportif, c’est ainsi qu’ils l’appelaient, et l’ensemble de leurs reproches semblait faire de moi un cas désespéré de leur point de vue. [...] Ils émettaient ces critiques envers tous les officiers de réserve, mais aussi à tous les chasseurs alpins, et ils hurlaient, ils hurlaient, ils hurlaient que nous étions tous mauvais. Eux, ils restaient dans leurs bureaux, mais finalement, malédiction ! De quels corps sont remplis les camps de concentration et les cimetières si ce n’est de ceux qui ont combattu ?»

Texte traduit par Alexandra MidalEttore Sottsass Jr., « Mi dicono che sono cattivo » (1973), in Scritti 1946-2001, Editore Vicenza, Neri Pozza, 2002, pp. 242-245.

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MI DICONO CHE SONO

LA REQUALITFICATION

VICTOR & ROLF

BIENVENUE À GATTACA

YUE MINJUN

INSERVION DES RÔLES

PHILIPPE RAMETTE

PIXEL WATER

LITTLE DOLLS

L’ENVERS DU DÉCOR

THE REAL BEARS

MANGEZ 5 FRUITS OGM PAR JOUR

NO IMPACT MAN

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Les années 60 resteront un jalon déterminant dans l’histoire du Design. En effet, le modèle esthétiques, économiques, sociaux et culturels inhérents au mou-vement « moderniste », directement lié à l’enseigne-ment du Bauhaus (période de Dessau notamment) qui a su s’imposer comme une approche artistique, intellectuelle et industrielle majeure du 20ème siècle, se voit ébranlé par quelques réactions critiques à l’endroit des réflexions menées notamment autour de l’application des nouveaux critères de création, dont le dessein consistait à faire coha-biter les beaux-arts et l’industrie, l’artisanat et la machine, l’innovation créative et la production industrielle à grande échelle, la théorie et la pratique.

En corrélation notamment avec les liens étroits que l’école du Bauhaus entretenait avec le mouvement constructiviste russe ou néerlandais (De Stijl), qui par- tageaient une certaine idée de l’avant-garde, travaillant sur des systèmes formels tendant vers l’art abstrait et non-figuratif, s’est développé une typologie de produits que nous pourrions sommairement reconnaitre comme articulée autour de l’aphorisme « form follows function », énoncé par Louis Sullivan.

C’est en Italie que se manifestera avec le plus de vigueur la réaction à ce modèle. Certains s’insurgeant, de fait, contre l’apparente instrumentalisation du design pour le compte de la grande industrie et des grands groupes commerciaux. Le monde du design entame dés lors une importante remise en question relative aux effets pervers de la société de consommation et du modèle industriel prôné par le modernisme. Ce sont tous les fondements esthétiques, philosophiques, écono-miques et sociologiques qui vont être remis en cause. Des voix s’élèvent contre le « fonctionnalisme froid », contre une forme de modernité devenue quelconque et étouffante, contre une société devenue aliénante.

C’est en ce sens que des designers tels Ettore Sottsass, Joe Colombo ou Verner Panton, pour ne citer qu’eux, vont s’intéresser à re-questionner la dimension sociale et éthique du design. L’essai d’Ettore Sottsass « Mi

dicono che sono cattivo » (« On me dit que je suis très méchant ») reste emblématique de ce questionnement qui constitue les fondements d’une nouvelle approche du design qui se dessine dans les années 60 et qui se fera appeler l’Anti-Design.

L’ANTI-DESIGN

Le mouvement de l’anti-design est donc avant tout une critique du modèle de création dominant dit « mo- derne». Le positionnement des designers adhérant à cette réflexion nouvelle, se traduira par une volonté de radicalité et d’anti-conformisme dans l’acte de créa-tion. Le mouvement introduira également une remise en cause de l’intemporalité du design prônée par le modernisme, en assumant pleinement le caractère éphé- mère du design (exemple du tabouret en carton Spotty de Peter Murdoch) ; la création de modèles uniques viendra contredire les productions exponentielles d’ob- jets conçus pour répondre à l’émergence d’une société de plus en plus consommatrice. Les designers s’atta- cheront à exploiter au maximum le potentiel social, culturel et multiculturel du Design, axe central de la réflexion (Sottsass est extrêmement influencé par les arts indiens, tantriques, les références tribales ...).Le lien avec la culture pop haute en couleurs, sera une façon d’exprimer une autre envie de concevoir le rap- port à l’objet ; notamment en passant par une exaltation du « kitsch », de l’ironie, de la dérision, du mauvais goût, de l’humour, de la distorsion d’échelle sur des systèmes modulaires qui jouent de la flexibilité des formes (qu’offre notamment l’avènement des matières polymères).Le travail de la multi-fonctionnalité, de la mobilité du mobilier, des détournements de fonctionnalité, viennent ajouter au décalage critique.Ettore Sottsass, va fédérer ces idées avec la création en 1980 d’un collectif de designers, qui se fera appe-ler le groupe de Memphis en référence à la chanson de Bob Dylan Stuck Inside of Mobile With The Memphis

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Blues Again de l’album Blonde on Blonde. Le premier ouvrage publié par le groupe : Memphis «The New International Style», assoit de façon claire et affirmée la tendance du collectif de Milan et sa volonté critique et ironisante à l’encontre des préceptes du « Bon Design » qui caractérise alors la période moderne. Le groupe n’aura de cesse de se réapproprier les recettes de ce design qu’ils jugent étouffant et deshumanisant, pour les tourner en dérision, les parodier, les défaire et les réinterpréter sans cesse.Le groupe de Memphis, cette apologie de l’Anti-design, du nouvel artisanat et du postmodernisme annonce des années 80 à la fois débridées et teintées d’un déses- poir sous-jacent, d’une certaine crainte tout autant que d’une incroyable mixité artistique.L’Anti-design s’affirme comme ce désir de prendre le contre-pied de l’ordre établi pour relancer la réflexion autour des modalités de création qui soient en adéquation avec les aspirations de leurs temps, un besoin de s’opposer, de remettre en question, de questionner la légitimité des choses, dans l’intention de retrouver un élan créatif cohérent et innovant.« Pour moi, le design est une façon de débattre de la vie...» Ettore Sottsass.

Cédric Delehelle

Fauteuil B34 Marcel Breuer

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Flying Carpet Armchair d’Ettore Sottsass

Un contre sens est un sens contraire au sens naturel dans le domaine de l’architecture. La re-qualifica-tion pourrait donc être une forme de contre sens, car lorsque nous donnons une nouvelle qualification à un bâtiment, on lui donne une nouvelle fonction, différente de la première.Le fait de re-qualifier un espace, c’est lui apporter une nouvelle fonction en opposition à la réhabilitation. L’action induit une modification de la fonction pour laquelle a été conçu l’espace.

L’action confronte souvent deux époques qui essaient de s’associer en mélangeant des matériaux de même caractère ou parfois, le choix du contraste est fait afin d’accentuer l’inter-vention faite sur le bâtiment. La re-qualification s’exécute à différentes échelles, du renouvellement urbain au conte-neur. Le renouvellement urbain est une nouvelle qualification de la ville où l’on réhabilite des quartiers entiers délaissés à la suite d’une diminution d’activité, comme les docks du Havre. Ceci est une forme de recyclage des ressources bâties, afin de redynamiser le lieu tout en ré-exploitant des es-paces inutilisés. Les conteneurs sont à l’inverse des espaces à des fins de transport. Ils sont ré-exploités en fin de vie en les aménageant en bureau, ou habitat. Une nouvelle qualifica-tion permet de transformer parfois des objets à but fonc-tionnel en habitat. Souvent, cela se rapporte à un monde industriel. Le fait de lui donner une deuxième vie apporte une touche esthétique dans un ensemble qui avait un but premier fonctionnel.

L’architecte met en oeuvre le programme défini destiné à de nouveaux usages au bâtiment afin de lui créer une seconde

fonction, sans masquer l’ancienne. Pour cela, il laisse des indices d’événements passés avec des traces. Cela indique une première fonction du temps passé. Ces traces passées permettent de ne pas effacer entièrement l’identité première du bâtiment et de conserver un patrimoine architectural.

A travers le travail de Herzog et de Meuron, nous avons l’exemple type de création de nouvelle qualificationCe sont deux architectes connus dans le domaine de la re-qua-lification grâce en partie à la Tate Modern à Londres ou encore par le Caixa Forum à Madrid. Les particularités des ces bâtiments sont qu’ils étaient autrefois des centrales électriques qui, à la suite de l’évolution de production d’électricité vers le nucléaire, ont cessé de fonctionner. Ainsi, ces architectes ont décidé de ré-exploiter ces espaces afin d’en faire des lieux vivants, de passages tout en conser-vant la peau du bâtiment et son identité forte représentant son passé industriel.

Lorsque l’architecte apporte une nouvelle qualification à un espace, il essaie de mettre en avant des matériaux contemporains qui reflètent le passé des architectures en apportant au lieu une touche de modernité sans dé-valoriser son histoire passée. L’acier Corten fait partie de ces nouveaux matériaux exploités à des fins de valori-sation du passé, avec une patine donnant l’effet d’un matériau ancien comme de l’acier rouillé.

Cela permet de continuer à faire vivre le bâtiment à travers une nouvelle fonction, d’exploiter un lieu abandonné, en lui apportant une deuxième vie. Ceci amène vers l’exploitation d’un espace en friche, et de conserver une trace du savoir-faire passé, au lieu de le détruire et de reconstruire.

La re-qualification est une forme de recyclage dans le monde de l’architecture. Cela est un contresens dans la façon de donner une nouvelle identité à l’espace qui est à l’inverse de sa première utilité (exemple : une usine qui devient habi-tat apporte un geste d’éco-concepteur en revalorisant un espace inutilisé, au lieu d’exploiter un terrain vierge.) Alexis André

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http://architecture.about.comTate Modern, Londres, 2000, Herzog et de Meuron.

http://en.wikipedia.orgCaixa Forum, Madrid, 2008, Herzog et de Meuron.

http://www.murvegetalpatrickblanc.comCité U, Le Havre, 2010, New Den Design.

http://visle-en-terrasse.blogspot.frDock Vauban, Le Havre, 2009, Bernard Rei-chen

http://www.pss-archi.eu.

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Victor & Rolf sont certainement les couturiers les plus conceptuels et théâtraux de leur génération. Afin d’en-tretenir leur réputation, ils conçoivent en 2005 et en collaboration avec l’architecte SiebeTettero, une bou-tique « à l’envers ».

Le « Contresens » illustré ici est un contresens phy-sique et spatial appréhendé dans le premier sens du terme : « le sens inverse ». Marchant sur la chic Via Sant Andrea à Milan, l’élégante contemporaine ne manque pas la boutique Viktor and Rolf. Le premier signe vient en ouvrant la porte : elle est posée à l’en-vers. Un monde «renversé » s’offre à elle, un monde ou le parquet est au plafond, où les lustres poussent hors du plancher, où les miroirs et bouquets de fleurs sont têtes en bas, les cheminées suspendues et les chaises pendues, le tout défiant les lois de la gravité.

Le décor néoclassique est sophistiqué, parfaitement symétrique et chaque chose est millimétrée. Une nouvelle perspective s’offre au néoclassicisme : prendre un décor historique et parfait, en bousculer les codes, et offrir une nouvelle perception spatiale. La torsion des éléments traditionnels les fait se heurter. Les voûtes, les corniches…sont des éléments architecturaux par-faitement reconnaissables. Dans ce type de décor où tout se doit de respecter les codes historiques , l’insolite vient se confronter, allant à l’encontre des conventions: un « déconvenu » construit. L’espace se pratique et est perçu différemment : s’asseoir dans le creux d’une voûte, marcher au plafond....Tout est propice à nous faire tourner la tête et nous faire perdre nos repères afin de donner la sensation que notre corps défie les lois de l’apesanteur.

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Le contresens est le sens inverse des choses habi-tuelles, ici d’un espace aux caractéristiques historiques. Nos repères sont déstabilisés par ce retournement de situation, dans un espace vertigineux où rien ne ressemble à ce qu’il devrait être.

Chaque geste, chaque pas prend une autre valeur. Pour que le contresens agisse, il faut user des codes du reconnaissable et du familier, afin de créer le choc du renversement. Y-a-t-il une marche à suivre, tout doit-il être convenu ? Il s’agirait de défier les lois de la Nature, de casser les codes instaurés, de tout mettre à l’envers afin d’observer de nouvelles choses, d’un point de vue différent.

Amandine Guicheteau

La boutique à l’envers Victor & Ro

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«Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait.» Mark Twain

Bienvenue à Gattaca est un film américain réalisé par Andrew Niccol, sorti en 1997. Dans un monde idéal, les parents peuvent choisir le génotype de leurs enfants. Dans cette société à la pointe de la technologie qui pratique l’eugénisme à grande échelle, les gamètes des parents sont triées et sélectionnées afin de concevoir in vitro des enfants ayant un patrimoine génétique avantageux, limitant par exemple les maladies cardio-vasculaires, la calvitie ...etc.Vincent Freeman est condamné de par son patrimoine génétique à travailler comme homme de ménage ; mais le rêve de Vincent n’est pas de finir sa vie à nettoyer des vitres ou à lustrer des sols, non, Vincent veut intégrer le centre d’études de Gattaca pour ensuite partir dans l’espace, vers un ailleurs sans loi, sans restriction. Car l’unique rêve de Vincent est de quitter ce monde qui depuis sa naissance ne cesse de le rejeter, rejet qu’il doit à ses gènes. En effet il a été conçu de manière «naturelle» à l’arrière de la banquette d’une Buick Riviera. À sa naissance, le diagnostic tombe, affection neurologique 60% de probabilité, hyper activité 89% de probabilité, troubles cardiaques 89% de probabilité, risque de mort prématurée, espérance de vie 30 ans et 2 mois. Son destin est scellé d’avance. Mais Vincent ne renonce pas à son rêve, et décide de se battre contre le sens des fondements de sa société.

«Mais quelque chose était très différent cette fois ce jour là. À chaque fois qu’Anton essayait de me distancer, il me trouvait juste derrière lui. Jusqu’au moment où enfin, l’impossible arriva.»

Cette volonté est renforcée le jour où il bat son frère Anton, conçu par sélection des gènes et donc considéré comme supérieur, au jeu de «poules mouillées», jeu consistant à nager le plus loin possible vers le large, le premier qui abandonne a perdu. C’est cette volonté brûlante qui anime le personnage principal de l’histoire, ce désir insatiable de réaliser son rêve qui le pousse à être dans l’abnégation à

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prendre tous les risques pour parvenir à ses fins. Il prend alors l’apparence de Jérôme Eugène Morrow, candidat idéal, qui a vu sa vie détruite par un accident, paralysé des jambes, il ne peut donc, lui non plus, intégrer Gattaca. Un processus s’engage alors : prendre la place de Jérôme grâce à un stratagème bien ficelé, lentille pour la couleur des yeux, opération des jambes pour la taille, poche d’urine, de sang, d’échantillon capillaire pour les contrôles d’identité. Il devient alors un pirate génétique, un dé-gène-éré. Il s’épuise chaque jour à falsifier son identité par des procédés fastidieux, à vivre dans l’abnégation, à se révolter pour prouver son existence, mais c’est ce qu’a choisi Vincent pour arriver à atteindre son rêve, celui de partir loin de ce monde qui le rejette depuis sa naissance. Il porte le fardeau de ses gènes, de son rêve aussi, le fardeau de la perfection, de la vie.Vincent déjoue donc les règles de Gattaca, et, est finalement admis, il décroche même quelques temps plus tard, une mission en provenance vers l’un des satellites de Jupiter, Titan. Mais son directeur de mission est assassiné, une enquête est donc menée, mettant en péril le secret de l’identité de Vincent et son rêve de partir dans l’espace avec.

«Nous avons maintenant fait de la science une discrimination.»L’eugénisme est donc l’ensemble des méthodes et pratiques visant à transformer le patrimoine génétique de l’espèce humaine, dans le but de le faire tendre vers un idéal déterminé. Telles sont les lois de Gattaca, qui ne sont pas sans rappeler les discriminations mises en place par

les régimes totalitaires, remplis de certitudes, réduisant la diversité, ciblant l’individu. Je pense ici particulièrement au programme eugéniste nazi, mis en place dès 1933 dans une Allemagne en pleine crise économique, dont les objectifs essentiels était de favoriser la fécondité des humains considérés comme supérieurs, prévenir, par stérilisation, la reproduction des humains considérés comme inférieurs et socialement indésirables (les criminels, handicapés, homosexuels, sourds, aveugles, alcooliques) ou radicalement «impurs» (Juifs, Tziganes, Noirs ou Slaves). Et qui se traduisit par la suite par l’extermination de ces êtres dit «inférieurs», cette minorité qui dérange.

«- Vous maintenez votre poste de travail, dans un tel état de propreté, Jérome.- C’est le signe d’une conscience sans tache»

Cette notion hygiéniste, perfectionniste, et technologique est traduite dans le film à la fois par les décors et par les costumes. Le Centre municipal du comté de Marin (siège de Gattaca) ouvrage réalisé par l’architecte américain Frank Lloyd Wright en 1957, qui fait partie du mouvement moderne, défini par des lignes pures, des formes minimales, par une sublimation de la rationalité, déployant des nouvelles techniques et des nouveaux matériaux, est en phase au niveau esthétique avec la philosophie de Gattaca. Les voitures utilisées traduisent aussi cet avant-gardisme, une Citroën DS décapotable française et une Studebaker Avanti américaine, symboles en leurs époques de la modernité et de la pointe de la technologie en matière de transport. Les costumes et l’hygiène des protagonistes sont aussi impeccables que leurs gènes, cheveux bien plaqués, gominés, costumes cravates, tailleurs noirs. Ils marchent tous en rang, avec un regard indifférent sur leur vie, vers la voie à suivre.

Ces anachronismes font du film une oeuvre intemporelle, ainsi l’eugénisme apparaît à la fois comme quelque chose appartenant au passé et à la fois comme un sujet qui reste encore très actuel.Cette oeuvre cinématographique nous démontre donc avec

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lucidité, au travers du personnage principal, et renforcé par une bande son appuyée, signée Michael Nyman, qu’il faut continuer à lutter contre les certitudes, les idées reçues, contre l’aveuglement de la conscience et les idéologies visant à réduire et à contrôler les libertés de vivre, de croire et de penser.

«Pour quelqu’un qui n’avait jamais été fait pour ce monde, je dois avouer que j’ai soudain du mal à le quitter. Bien sûr on dit que chaque atome de notre corps faisait autrefois partie d’une étoile. Peut-être que je ne pars pas. Peut être que je rentre chez moi.» dit Vincent alors qu’il s’élance vers l’espace.

À nous de sortir des cases dans lesquelles on nous contraint. Le bon sens parfois, c’est d’aller à contresens, car qui sait ce que nous pouvons faire.

Jean Baptiste De Azevedo

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Le contre sens signifie le sens contraire, l’inter-prétation opposée à l’information réelle, à la véritable signification. Il agit en opposition à la réalité. Cette er-reur, peut être voulue dans l’espoir de mettre en évidence des aberrations. Le contresens s’affiche alors comme un moyen de dénonciation. Les arts visuels font parfois appel à celui-ci afin d’amplifier le message délivré.

L’œuvre de l’artiste Yue Minjun, né en 1962, dans la province de Hei-longjiang en Chine illustre cela. Cet artiste chinois est connu pour ses toiles où il se met en scène. Son œuvre est principalement composée d’au-toportraits hilares, où les visages sont constamment habillés d’un rire extrême.Le rire en son sens premier est détourné pour renforcer

le regard dénonciateur porté sur la politique répressive de son pays. Ceci peut s’apparenter à de l’ironie, puis- que l’ironie consiste à dire le sens contraire de ce que l’on souhaite faire entendre. Ces rires défigurant son visage procurent un sentiment dérangeant et énigmatique. La gamme colorée pale et terne renforce la sensation d’étrangeté. Pourtant la touche pourrait s’apparenter à une recherche de réalisme. Son visage rose est dé-formé par ce rire de façon très caricaturale. Il est étiré, tendu et apparaît comme l’élément principal de ses toiles. Ces rictus rigides et littéralement figés dans une saturation des visages témoignent d’une contrainte plutôt que d’une réaction naturelle. L’hilarité forcée est en décalage total avec les scènes qui se jouent dans ses toiles et forme une expression corrompue car non adaptée à la situation.

Son tableau The execution de 1995 montre ce déca- lage et le poids du rire dans des situations où il apparaît comme irraisonné. De prime abord, Yue Minjue ne donne à cette expression répétitive aucune raison per-ceptible de s’exprimer de la sorte, aucune relation de cause à effet. Il apparaît donc dans ses toiles comme opposé au bon sens, à la raison.

Pourtant la critique de son pays est présente, et d’ail-leurs subtilement amenée. Cette critique passe par une satyre de la propagande communiste en reprenant ses codes : personnages en gros plans avec un décor d’un monument représentant, en arrière plan, le pouvoir en place. Par exemple dans The execution, on entrevoit La Cité Interdite traitée le plus simplement possible, sans détail, seules les masses de couleurs sont en effet posées.

Dans cette toile, et décrite la situation qui s’apparente à une «banale exécution». Cependant l’ensemble des acteurs est habillé de ce rire comme pour mieux stigmatiser le drame qui se joue. Il montre ainsi la dureté du régime politique chinois actuel envers son peuple qui ne doit à aucun moment se montrer mécontent. Le rire devient un masque synonyme de coopération contrainte et de

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déshumanisation. D’ailleurs, pour The execution l’artiste a été inspiré par les manifestations de la place Tien an men de 1989. Ces manifestations sont connues pour leurs répressions sévères.

Son œuvre permet de dénoncer un contre sens réel sur une politique qui cultive les inégalités et qui oblige son peuple à ne pas se plaindre, ceci dans le but de donner une image positive du régime aux autres puissances importantes. Cette ambiguïté lui permet ainsi de passer outre la censure exercée par le pouvoir actuel puisque que sa critique n’est pas directe. Le contresens est dès lors une puissante arme de contestation politique retournée contre son propre détenteur.

Baptiste Bodet

The execution . Yue Minjun

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http://fondation.cartier.com/#/fr/art-contemporain/26/expositions/800/yue-minjun-l-ombre-du-fou-rire

Pour la thématique « contresens », il m’a semblé pertinent de travailler sur le revers d’une pratique - la photographie - où l’artiste ne nous montre pas ses clichés mais son procédé. Donc, le travail qu’il présente est une série de vidéos de sa pratique de la photo. Intéressant également, la confusion des rôles des différents acteurs, spectateurs, artiste, paysages. C’est le parti pris que j’ai choisi d’explorer.

Noah Kalina est un artiste photographe New Yorkais qui a gagné sa célébrité en 2006 grâce à sa vidéo publiée sur internet, intitulée Everyday. Dans celle-ci, il se prend toutsles jours en photo, du 11 Janvier 2000 à l’âge de 19 ans, au 31 Juillet 2006, soit 2356 jours. Succès retentissant, à tel point que la série animée « Les Simpsons» s’appropriera son travail, en clin d’oeil à l’artiste, dans l’épisode 9 de la saison 19, dans Eternal Moonshine of the Simpsons Mind, Homer tentera de se suicider, et verra sa vie défiler à la manière de la vidéo de Noah Kalina, avec la même musique de fond.

1 - vidéo 1 - durée : 9’14

L’artiste propose pour le moment, deux vidéos, une où sur une plage et l’autre, dans un bosquet. La vidéo est sa pratique intermédiaire, autre médium lié à son approche plastique et artistique. Aujourd’hui, on trouve des vidéos dans lesquelles il se met en abîme : sorte d’autoportrait à travers sa pratique. À travers son projet, Noah Kalina nous propose une immersion au coeur de son processus photographique. Tout au long des vidéos nous lui faisons face et l’observons s’exécutant à son travail photographique de paysage. Nous le voyons ouvrir son trépied, installer son appareil, se déplacer dans l’espace pour changer de point de vue... Il est « face » à nous. Le paysage se trouve alors « derrière » nous. Nous sommes spectateur du processus photographique. L’artiste devient alors le sujet. Ou, nous, spectateurs, sommes l’oeuvre de son travail ? Il expose la manière dont il travaille dans l’espace et peut-être nous tire-t-il le portrait ? C’est peut-être une manière de dire que nous sommes un composant de ses photographies, que sans notre regard, sans nos interprétations (comme l’essai, sur le travail de Noah Kalina, auquel je m’exerce actuellement), ces photos n’ont plus d’intérêt. Qui est l’oeuvre ? Qui est le sujet ? Nous nous doutons que l’artiste réalise un portrait du paysage qui se trouve devant lui, enfin, derrière nous. Grâce au médium « vidéo », Noah Kalina donne un autre aspect du temps, il provoque une toute autre temporalité contrairement à la photographie - le paysage défile, les nuages en sont les témoins, ils passent, très lentement, la lumière du soleil s’en échappe, on perçoit l’assombrissement et éclaircissement du relief. Ces éléments nous donnent à contempler une plus large temporalité, ou non (toujours vis à vis de la photographie) car, les cadres spatio-temporels de la photographie et de la vidéo ne sont pas les mêmes. Cette fois, l’artiste nous offre une contemplation du temps sur la durée de ces vidéos, contrairement à la photographie qui fige les éléments de l’image et le temps (à débattre en effet). Alors que prend-t-il réellement en photo ? Porte-t-il au sujet une réelle importance ?

Le médium de son oeuvre est la vidéo. Sa performance est le produit de cette oeuvre. Le paysage, comme nous le percevons, prend une place moins importante pour

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le photographe, ou alors tout au contraire. Au coeur du processus, nous sommes amenée à penser que Noah Kalina propose une émulation entre son travail photographique et son procédé, le contexte dans lequel il travaille.

2 - vidéo 2 - durée : 5’37

Il nous donne ensuite, tout de même à voir une photographie qu’il a prise pendant qu’il se filmait. En effet et logiquement, Noah Kalina faisait face à un paysage. Mais qu’est-ce que le paysage ? Serions-nous, son paysage ? Habituellement sujet du photographe, Noah Kalina nous attribue cette place en substituant son paysage au visiteur.Noah Kalina tend à renverser sa pratique photographique, en dévoilant l’ossature de son travail. La vidéo, met en valeur sa pratique. Il nous offre le temps, le temps d’un

processus de fabrication de l’image dont nous serions potentiellement le sujet.

Serait-ce une sorte d’hommage à la photographie ? Une réflexion quant à la place du visiteur qui est le tout d’une partie ? Ou la partie d’un tout ? Une variante de la photographie, une composante auxiliaire contemplative...?

Matthieu Mawlanazada

http://vimeo.com/noahkalina

http://noahkalina.com> Projects> Process Photo (In progress)

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Le contresens est un concept évoquant l’idée d’un inversement. Aller à contre-courant, prendre un sens interdit. L’endroit et l’envers sont des termes qui constituent cette notion.Il peut également évoquer l’idée d’antinomie, d’oxymore, ou de paradoxe dans le langage quand deux termes s’opposent. C’est aussi une malinterprétation ou une compréhension inexacte de quelquechose.

Ici, la notion de contresens se manifeste par le pivotement de l’image.Qui n’a pas rêvé un jour de pouvoir marcher sur les murs ou au plafond ? Imaginez voir basculer notre univers de façon parallèle ou perpendiculaire, où la réalité qui nous entoure prendrait un tout autre sens.Que nos murs et nos plafonds deviennent support au déplacement, que le ciel devienne un gouffre interminable, dans lequel on pourrait choir.Pouvoir marcher sur une surface spéculaire à notre sol, déambuler dans une autre dimension de notre espace.C’est ce que nous propose Philippe Ramette, plasticien et photographe français. Cet artiste, né en 1961 a déjà acquis au fil des années une certaine notoriété en se mettant en scène dans des postures improbables. Ainsi on

le voit souvent posté au bord d’un précipice infini devant un paysage inversé ou pivoté, regardant droit devant lui vers un horizon nouveau. Le personnage qu’incarne Philippe Ramette dans ses photographies porte un regard contemplatif sur notre monde, comme le Voyageur audessus de la mer de nuages de Friedrich.

On sent dans ses œuvres une recherche d’esthétisme, une quête de l’élégance par le choix d’un panorama et d’une tenue vestimentaire décalés qui renforcent cette idée de contresens.Ses photos nous plongent dans une nouvelle perception de notre univers, le rendant méconnaissable, en nous proposant de le regarder sous un autre angle.L’artiste se positionne sur le site et réalise des performances acrobatiques, puis retourne la photo pour changer notre sensation face à la perception de l’image, du lieu créant un monde en apesanteur. On retrouve cette sensation dans la boutique milanaise de Viktor and Rolf dont l’architecture est dessinée à l’envers, créant pour le visiteur l’impression de

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Marjolaine Lasnier

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marcher au plafond.C’est grâce à ses « prothèses », c’est ainsi que Philippe Ramette les nomme, que celui-ci arrive à se contorsionner dans des positions aussi invraisemblables. Des câbles et des dispositifs de harnais qui le retiennent sont disposés de façon à ce que l’on ne les remarque pas. Il lui arrive également de les révéler lors d’expositions, mettant ainsi en valeur “l’envers” de ses photos.Marc Domage est le photographe qui immortalise les performances de Ramette. Ses photos sont très rarement truquées, les seules techniques de retouche numérique de l’image sont exceptionnellement utilisées pour gommer un câble qui retiendrait l’artiste.

En faisant simplement pivoter la photo, Ramette réussit à nous ouvrir une porte sur une autre dimension, vertigineuse, aérienne, et chamboulante. L’impression de vertige qui en résulte déconcerte le spectateur et remet en question notre perception naturelle du sens de l’orientation.En changeant les lois de la gravité dans ses photos, nous

perdons l’équilibre et nous retrouvons déboussolés.

Ramette renverse notre monde à quatre-vingt dix degrés et défie les lois de l’apesanteur allant à contresens de notre discernement tout en portant un regard décalé sur notre environnement.

Marjolaine Lasnier

Kelly Goeller récemment diplômée de l’école NYU’S Tisch School of the Arts de New-York est une artiste américaine affiliée à plusieurs mouvements comme le Street Art ou le Pixel Art.

Elle a réalisé en 2008 , une installation urbaine in-situ Pixel Water à New York dans le Lower East-Side. Elle investit une sortie d’eau en pleine rue et en fait sortir de l’eau virtuelle. Pour ce faire, elle associe différents carrés avec diverses nuances de bleus afin de créer un écoulement, une flaque d’eau. Elle ne modifie pas l’usage de la sortie d’eau mais réalise une association entre virtualité et réalité déran-geante, qui sonne comme une erreur, un bug, un contre sens. Elle réitère cette installation en 2011, avec des pixels en 3D cette fois-ci. Son œuvre prend alors un aspect plus réaliste peut-être afin de réussir à interroger, sensibiliser encore plus le comportement humain ?

Cette installation met en avant la matérialisation, l’in-vasion des technologies, des images, des pixels dans notre société. Nous sommes entourés d’affiches, de publicités, de signalétiques, de codes mais tout ceci est devenu banal.

Or ici, en opposant réel et virtuel le contraste devient saisis-sant. Ainsi le pixel n’est plus caché mais bel et bien au premier plan, afin peut-être de nous amener à réfléchir sur notre mode de vie, de consommation. Résonnances vis-à-vis des gaspillages quotidiens (écoulement lors du brossage des dents, de la vaisselle, bains…) toutes ces choses que l’on pourrait minimiser avec un soupçon d’organisation.Mais elle peut également être un clin d’œil à l’eau virtuelle que l’on utilise mais qui n’est pas matérialisée. En effet, énormément d’eau est utilisée dans les process de fabrication pour des objets, des vêtements…

On peut y voir également un écho au fait que l’eau soit une ressource rare, précieuse tout comme le pétrole. Cependant, les populations ne sont pas mises au courant, où alors elles préfèrent fermer les yeux et satisfaire leurs moindres désirs, tant qu’il en est encore temps. Car en effet, l’eau tend à disparaître, l’accès à l’eau potable sera de plus en plus compliqué car l’utilisation désastreuse de celle-ci rend sa consommation dangereuse pour la santé. De plus, la privatisation par les grands distributeurs et les dérègle-ments climatiques à venir ne vont rien arranger, même s’il restera tout de même toujours l’eau salée. Alors cette ins-tallation est peut-être tout simplement la vision d’un paradis perdu, d’une eau potable figée là, sous nos yeux, comme un lointain souvenir ... (référence au supplice de Tantale : fait d’être incapable d’assouvir un désir ou un besoin alors que la chose convoitée et à portée de main).

Mylène Vannier

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http://work.kellotron.com/Site internet de Kelly Goeller

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Alain DELORME, photographe, a remporté le prix Arcimboldo avec sa série “Little Dolls” en 2007.

La série « Little Dolls » met en scène différents portraits de petites filles avec un agencement identique. Ainsi, chaque photographie d’enfant est quasiment similaire, que ce soit au niveau de la composition ou du cadrage, rappelant ceux des publicités. Sur ces images, on peut donc voir des jeunes filles prises en photographie face à leurs gâteaux d’anniversaire, figées, avec le sourire et des attitudes forcées, gardées sous l’influence d‘un adulte, et ayant pour seul environnement un bout de table et un mur. Cette évocation de l’événement par un cadrage serré, un environnement juste signifié, crée une sensation d’étouffement chez le spectateur.

Toute cette mise en scène participe au fait que notre regard est immédiatement attiré par le visage poupin de ces filles. La ressemblance frappante entre les différents portraits met en évidence le sujet majeur de la photographie, c’est-à-dire la standardisation du monde et plus particulièrement celle de nos enfants. Ainsi le décor, la posture, les proportions, les dents, la couleur des yeux … sont standardisés. Aucune partie du visage n’y échappe. Par ce projet, Alain Delorme met en abîme une des discordes de la société. En effet, notre société actuelle prône le culte de l’affirmation d’une identité propre, d’une unicité ; mais en réalité elle se révèle plutôt encourager une standardisation de masse, comme nous l’illustrent ces « Little Dolls ». De ce fait, un non-sens peut déjà être perçu puisque nos idéaux, nos fantasmes sont contradictoires avec l’influence de la société actuelle, qui tend à nous soumettre à des normes universelles.

Bien que ce soit la représentation de jeunes filles réelles, un aspect dérangeant est perçu sur leurs visages. On a l’impression d’avoir, en face de nous, une poupée, une Barbie stéréotype du jouet pour petite fille, plutôt qu’un personnage existant. Par conséquent, la limite entre le réalité et artefact se trouble et nous trouble, évoquant un contresens évident entre naturel et artificiel, entre réalité et fiction. Ce sont donc des images d’une « inquiétante étrangeté », des photographies qui nous séduisent et nous gênent à la fois. Le résultat perturbe. Les 21 clichés montrent le saccage de l’enfance au profit des dictats de la société, notamment celui de la perfection féminine : Barbie.

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Tout ceci est possible par le biais d’un procédé numérique grâce auquel Alain Delorme applique un masque à l’image d’une Barbie sur le visage existant des enfants. La mutation et l’hybridation des corps, permettent de faire une critique de l’utilisation de l’image des enfants, soumise au dictat publicitaire faisant d’eux des objets de consommation avant tout.

La série « Little Dolls » s’inscrit, par conséquent, dans une réflexion autour du phénomène « Lolita » de nos sociétés. Ambiguë, elle permet de se questionner et de remettre en question la place que l’on donne à nos enfants dans notre civilisation... Ainsi, à la limite entre la photographie de famille et l’image publicitaire, entre une sexualisation précoce et la réalité, entre l’enfance et le monde des adultes, les « Little

Dolls » proposent de nombreux contresens.

À la fois fillettes, femmes et poupées, elles montrent un futur relativement inquiétant où l’enfant risque de devenir un véritable objet, maniable et transformable à souhait. Cette réalisation se veut donc, avant tout, le miroir de notre société post moderne.

Oriane Fournier

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Le contresens est par définition une interprétation erro-née d’un mot, d’un texte, ou d’une phrase, au contraire de sa vraie signification. Mais le contresens signifie aussi lorsque l’on parle d’autres éléments que de textes, le sens contraire à celui où ils doivent être. Par exemple « remonter une autoroute à contresens ». Dans ce cas, l’utilisation du mot se définit de façon plus formelle et littérale.

Les affiches publicitaires créées ici en sont également un exemple. C’est pour la marque LG Electronics qu’a été imaginée une campagne de communication des plus innovantes et qui reprend l’idée du contresens. En mars 2012 a été publiée au Brésil la campagne de publicité pour le Home theater 3D sound LG. Le der-nier home cinéma commercialisé par la marque arbore comme slogan : « Every side of the sound ».

C’est l’agence Young & Rubicam de São Paulo qui s’est vue chargée de créer la communication du produit des-tinée à la vente au Brésil. Le nouveau home cinéma a inspiré une campagne de publicité plutôt originale et encore peu explorée. En effet le produit envoie un son dans les trois dimensions de l’espace et c’est de là que

provient l’idée forte de ces affiches publicitaires.Les affiches reprennent des affiches cinématogra- phiques de films très connus qu’elles détournent à leur avantage. Les films Kill Bill, Forrest Gump et Pretty Woman sont utilisés pour la création de la campagne de publi-cité. Les affiches cinématographiques de ces derniers sont travaillées par leur envers. L’agence Y&R a recréé ces visuels vus par l’arrière.

En prenant le contre-pied des conventions habituelles, l’agence attire la curiosité des spectateurs toujours avides d’éléments nouveaux à propos des films qu’ils préfèrent. C’est en disant que l’on ne verra pas le simple film mais des éléments supplémentaires que l’agence souhaite réussir à vendre le produit. Le premier enjeu est bien évidemment de vendre, mais la réali-sation de la campagne publicitaire est à prendre en compte car très interessante. Le home cinéma créé un son audible tout autour de nous et la publicité fait de même en ne nous montrant pas juste la face lisse d’une affiche mais son envers. Le sens habituel d’une affiche a été inversé pour lui apporter un plus. L’image paraît ainsi plus complète dans l’espace.

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En offrant une vision en relief et même une vision inversée des films, on vante les performances acoustiques du home cinéma (3 dimensions). Le choix des affiches a certainement été fait en fonction des affinités avec le peuple Brésilien mais également par ces affiches très reconnaissables pour que tout un chacun puisse faire le lien avec le film présenté. Quelques détournements ont quand même été effectués pour ne pas rester dans la simple reproduction. Par exemple la combinaison jaune d’Uma Thurman est très facilement reconnais-sable mais sa position a légèrement été modifiée. Il en est de même pour la position de Julia Roberts et Richard Gere et pour le banc de Forrest Gump. Les constantes sont les couleurs et les personnages de base alors que les variantes sont leurs positions ou des éléments moins importants et marquants dans le visuel. Certes l’objectif est ici de vendre le produit de la marque LG mais la façon d’étudier l’affiche est innovante car elle crée un lien entre le spectateur et elle-même. Le contresens visuel est mis en avant par la compréhension du spectateur.

Le contresens est ici accentué formellement par le choix de l’agence Y&R qui a voulu montrer l’envers des affiches cinématographiques. En montrant l’arrière des ces dernières, on leur ajoute une autre dimension jusqu’alors inconnue. De plus les affiches nous offrent

le contresens des éléments communément acquis, c’est à dire que l’on nous offre une nouvelle vision de ce qu’est une affiche publicitaire en retournant les prin- cipes de base, c’est à dire une nouvelle vision qui ne fait pas juste appel à notre sens visuel, mais également à notre curiosité d’amateur de cinéma qui souhaite en apprendre plus sur tel ou tel film. Le spectateur est placé en tant qu’acteur qui découvre l’envers du dé-cors. Le sens de lecture conventionnel d’une affiche est donc remis en question pour offrir une autre sens de lecture au spectateur.

Gaelle Martin

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The Real Bears est un court-métrage d’ani-mation réalisé par Lucas Zanotto pour le Center for Science in the Public Interest. Cette campagne de sen-sibilisation fait référence à l’ours blanc utilisé dans les publicités Coca-Cola pour dénoncer de façon crue les risques de la consommation excessive de sodas dans l’alimentation américaine.

Merci ! La recherche a prouvé une relation directe entre la consommation de boissons sucrées et une augmen-tation de l’obésité, qui favorise le diabète, les maladies cardiaques et beaucoup d’autres problèmes de santé. Il était temps qu’une jolie petite vidéo fort bien romancée, vienne illustrer tout cela pour que cela rentre bien dans la tête, dans Fast Food Lovers.

« Ce n’était pas encore trop grave quand les sodas n’étaient qu’un petit plaisir occasionnel. Mais au- jourd’hui les boissons sucrées représentent la source de calories numéro un dans le régime alimentaire d’un américain. Avec un tiers des américains considéré en surpoids et un deuxième tiers considéré obèse, c’est incroyable que qui que ce soit veuille bien encore ava-ler ce que vendent les sociétés productrices de sodas.Les plus grosses de ces sociétés dépensent des milliards de dollars pour nous raconter leurs histoires, mais nous, nous nous avons les uns les autres ?Oh, et nous avons aussi la vérité.» Publiée le 9 octobre 2012 sur Youtube par CSPITV.

Le film d’animation « The Real Bears » met en scène une famille d’ours blancs victimes de tous les effets néfastes des sodas ( il y a un autre ours blanc qui ne doit pas aimer ). Contresens : voici comment sont les vrais ours de notre bien-aimée publicité Coca-Cola : des ours polaires sur la banquise qui boivent trop de sodas, grossissent, ont des problèmes de diabète, perdent leurs dents et un se fait même amputer un pied. Mais où est donc passé l’ours qui semblait pour-tant heureux et en bonne santé ?

C’est amusant comme cette petite animation de trois minutes et demi apporte aussi bien le malaise, la gêne, la peur, la révolte et la douleur. Mais c’est pourtant la vérité, la vérité sur nous-mêmes. On se retrouve confrontés à notre vrai reflet que pourtant certains continuent à nier. En effet « il n’y a que la vérité qui blesse » mais grâce à cette parodie de la mascotte phare de Coca-Cola, certains vont pouvoir enfin réaliser qu’ils mettent leur vie en danger en abusant de sodas, d’autres, peut-être cesseront simplement de se voiler la face.

Le site therealbears est plein de statistiques sur le sujet et ils n’y vont pas de main morte :« Drinking one or two sugary drinks per day increases your risk for type 2 diabetes by 25% »« Two-thirds of American adults and one-third of children are overweight or obese. »La vidéo frappe, et cela juste par la simplicité et l’épuration d’un graphisme doux accompagné d’une certaine froi-deur. Les images glaciales et crues, voire même morbides nous donnent des frissons, totalement à contre sens d’une ordinaire (et mensongère donc ?) publicité de Coca-Cola qui prône le bien-être grâce à l’énergie de la boisson.

L’objectif de l’animation est de faire en sorte que nous nous sentions démunis, de nous forcer à admettre que notre bien-aimé ours n’est en fait qu’un obèse, édenté, estropié et qui plus est malheureux. Malgré tout, on ne

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perd pas espoir, il se reprend en main (un peu tard mais bon, il vaut mieux tard que jamais). Il en a assez de souffrir, d’être malheureux à cause de tous ses pro-blèmes de santé et (peut-être aussi) songe à celle de sa famille, en bonne voie pour se retrouver comme lui.

Les sodas sont vidés jusqu’à la dernière goûte dans l’océan. Voilà une bonne chose de faite ! Bonne ? Non, pas totalement. Et oui ce n’est pas la meilleure idée qu’ils aient trouvé pour se débarrasser de ces boissons aussi toxiques pour l’homme que pour l’environnement. On a pensé au réfrigérateur pour conserver les sodas, à la télé pour s’abrutir mais pas aux éviers. Enfin... la santé de l’Américain avant tout ! Une chose à la fois, c’est déjà bien.

Marie Casaÿs

Pays : États-UnisAnnée : 2012

Secteur d’activité : Grandes causes(Thème : Tartes à la crème et gamelles) Agence

: Common (Boulder, Colorado) Réalisateur : Lucas ZA- NOTTO

Bande son : «Sugar», Jason Mraz and MC Flow

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La tomate est un fruit, connu et consommé par tous, tout le temps, sous de nombreuses formes. Notre ami Google nous informe, lorsqu’on lui demande : « vertus + tomates ? », que la tomate pourrait contribuer à la prévention des maladies cardiovasculaires et de cer-tains cancers, notamment celui de la prostate. Plus exac-tement, « Les composés présents dans les produits à base de tomate augmenteraient la résistance des cel-lules à l’oxydation et préviendraient ainsi le dévelop-pement de ce type de cancer », également, la forte présence d’antioxydants, comme le lycopène, serait associée à une plus faible « incidence de maladies cardio-vasculaires ». Google nous annonce également que la tomate est la dernière venue sur la liste des aliments d’importance commerciale mondiale, mais « vic-time » de son succès, elle a perdu, au cours de la deu-xième moitié du XXe siècle, les qualités qui la carac-térisaient auparavant, afin de satisfaire aux exigences de la production industrielle, cette même pro- duction qui nous permet de consommer des tomates en toute saison.Un organisme génétiquement modifié est, quant à lui, toujours selon google, « un organisme vivant dont le patrimoine génétique a été modifié par l’homme », «affecté d’un ou plusieurs gènes qu’il ne possède pas naturellement », les plus connus et controversés étant créés pour l’agriculture et pour résister aux insectes et aux maladies, pour tolérer les herbicides et pour réus- sir à se développer dans des conditions climatiques extrêmes. Par exemple, on va prendre une tomate, et lui administrer des gènes d’une plante communément ap-pelée Gueule-de-loup, afin, selon les experts, d’activer les antioxydants présents dans la tomate et en faire un alicament, une «super tomate» qui serait « capable d’empêcher l’apparition du cancer, de prévenir les mala-dies cardio-vasculaires et d’avoir des effets anti-âge grâce aux effets bénéfiques des nombreux antioxydants qu’elle contient ». Quelle magnifique innovation ! Quel sombre contresens.À l’heure où les débats fusent autour de la mise sur le marché (Européen) d’espèces OGM, où l’étude choc

du biologiste Gilles-Éric Séralini sur le maïs NK603, ainsi que ses terribles images de rats étouffants dans leurs tumeurs ont irrévocablement marqué l’opinion publique, pas de problème, la voilà ! La super tomate, accompagnée de « Qui a dit que les OGM, c’était le diable ? », ou encore de « Cette découverte montre que la science est en marche et que les OGM ne sont pas que nuisibles ».

Voilà, quoi de plus logique qu’une espèce hybride présentée comme révolutionnaire en terme d’apports nutritionnels et de prévention des maladies, alors que l’espèce traditionnelle possède tous ces « apports », et qu’aucune espèce génétiquement modifiée n’a encore réussi à prouver son innocuité ?

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Quoi de plus logique que le non-fondement ou réelle « pertinence » d’une étude réalisée sur 2 ans et 200 rats, dont le but était de révéler les effets néfastesd’espèces OGM, face aux très professionnelles études « d’équi- valences en substances » menées sur 3 mois et bien moins de rats, permettant de mettre ces mêmes OGM sur le marché ?Quoi de plus logique que la remise en question de la neutralité de l’étude de Mr Séralini, face au fait que toutes ces études d’équivalences sont toujours financées ou même menée par les industriels qui ont pour but de commercialiser le produit ?

Outre les conflits d’intérêts, les débat sur la réelle nocivité de produits génétiquement modifiés (où le grand public n’a pas souvent la parole, en témoigne, par exemple, la désactivation ou censure, de tout com-mentaire néga- tif sur toutes les vidéos publiées par Monsanto sur sa chaîne YouTube «monsantoco»), les conflits scientifiques incompréhensibles du grand pu-blic, le fait est que l’absurdité est devenue la norme dans la conscience collective. Il est devenu naturel de manger des tomates en hiver, on ne s’étonne que cer-taines personnes ne savent pas comment laver une salade, qu’au lieu de simplement arrêter d’acheter des fruits et légumes « élevés » au round-up & co, une bonne ménagère se doit de nettoyer ses légumes avec du veggie wash ou encore que le GNIS nous présente pas moins de 10 variétés de tomates (il en existe plus de 150).Notre société continue d’attribuer la parole divine aux experts de toute sorte, ces mêmes experts qui nous vendent des tomates magiques, aux incroyables vertus mé- dicinales. Ce contresens évident n’est qu’un maillon d’une usine de contre-sens grandissante, et le plus grand d’entre eux est qu’ils réussissent à persister.

Lucie Bonne

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C’est l’histoire d’un New-Yorkais qui un jour, en a eu assez de se plaindre de la pollution sans ja-mais lever le petit doigt. Comme beaucoup de gens aujourd’hui, Colin Beavan se sentait très concerné par l’urgence environnementale ; il achetait des produits ménagers écologiques, ne laissait pas couler l’eau du robinet, triait ses déchets. Mais trop peu convaincu de la réelle portée de ces gestes, il voulu avoir un réel impact, à son échelle, sur la planète. Le projet était, pour ainsi dire, assez audacieux ; il s’agit du projet No Impact Man : pendant un an, Colin Beavan, sa femme Michelle Conlin et leur fille Isabella, ont changé leur mode de vie pour tendre vers le 0 impact sur l’environ-nement. A contre-courant de la société consumériste, cette famille s’est interdit les véhicules consommant du carbone, l’achat de produits neufs, l’électricité, les aliments d’une provenance de plus de 400 km, tout produit à base de papier... Le projet semble surréaliste et irréalisable, mais pourtant ils se sont bien éclairés chaque soir à la bougie, ont fait leurs courses au marché, sont allés au travail en vélo ou en trottinette, et ont fait sans réfrigérateur, pendant un an.

Ne générer aucun impact sur l’environnement implique avant tout de se questionner sur ce qui est nécessaire, et ce qui ne l’est pas. Car pour devenir No Impact Man, il faut abandonner bien des habitudes qui meublent confortablement notre vie quotidienne. Ainsi, Colin Beavan et sa famille abandonnent supermarché, restaurants, cinéma, télévision, plats à emporter... des petits plaisirs jusqu’à ce qui nous semble essentiel comme la lumière, le réfrigérateur, et même le papier toilette.

Les débuts étaient difficiles, et les sacrifices nombreux. Bien que le projet soit avant tout celui de Colin, il entraîne avec lui toute sa famille dans l’aventure. Sa femme Michelle, n’a pas très bien vécu les premiers mois, voyant davantage ce qui lui était interdit plutôt que l’objectif du projet « I can’t eat all that taste good... » « Je ne peux rien manger de ce qui a bon goût... ». Pour une femme accro au shopping, à la télé-réalité et à la caféine, le projet était difficile à envisager et à vivre, d’autant plus qu’au départ, ce n’était pas le sien. Mais malgré les privations douloureuses et les changements contraignants dans la vie quotidienne, la famille a tenu bon. Même lorsque sur son blog, Colin a essuyé des commentaires plus négatifs les uns que les autres, jugé irréaliste, irresponsable, fou d’être à contresens d’un mode de vie dicté par la société de consommation.

Pourtant on se rend bien compte, pendant les 90 minutes de visionnage du film No Impact Man, que toutes ces privations amènent à des rapports humains plus forts, lavés de toute interférence télévisuelle, et des habitudes qui nous coupent des moments en-semble. Les soirées entre amis se font à la bougie, les plats à emporter sont remplacés par un dîner préparé par maman, qui utilise pour la première fois la gazinière. Et lorsque l’on a trop chaud le soir, sans air conditionné dans l’appartement, on sort dans le parc d’en face et on y découvre une ambiance conviviale entre voisins et inconnus qui sortent se rafraîchir, un moment que l’on

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n’aurait pas soupçonné enfermé chez soi. Se couper de certaines facilités a amené la famille new-yorkaise à re-découvrir les moments de plaisirs simples, et à re-considérer ce qui est réellement nécessaire.

Dans une conférence, Colin Beavan commence en se demandant ce qu’est le progrès. Le vrai progrès. Aujourd’hui, l’objectif est de trouver comment consommer, mais sans épuiser nos ressources. Est-ce cela, le pro-grès ? Colin Beavan donne des exemples : la voiture électrique ne rejette certes, plus de carbone, mais n’enlève pas les trois heures coincé tout seul dans son véhicule à l’heure de pointe. Le sachet de chips com-postable n’enlève pas le problème de l’obésité. Et ainsi de suite. Le progrès est perçu comme l’élévation et le perfectionnement de ce qui existe, pour que cela fasse moins mal à l’environnement qu’avant. La croissance des chiffres et les emballages recyclables, les téléphones toujours plus fins. Mais ce qui est mieux, ne signifie pas que c’est le meilleur, « Less bad # more good ». Peut-être que nous devrions re-considérer nos besoins. Peut-être qu’au lieu de croire qu’il faut consommer encore et encore mais durablement, il faudrait se demander si consommer, c’est vraiment ce qui nous rend heureux. Elise Noël

Photographie de Colin Beavan et sa femme Michelle dans leur appartement à Manhattan (sur la page de gauche)

Couverture du livre No Impact Man de Colin Beavan (2009) (sur la page de droite)

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