Mes mémoires. Une syndicaliste féministe...

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Illustration : deuxième Congrès international féminin ouvrier, Genève, 17 octobre 1921. Jeanne Bouvier est au premier rang à droite. Photo Bibliothèque historique de la Ville de Paris.

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ACTES ET MÉMOIRES DU PEUPLE

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Jeanne Bouvier

Mes Mémoires ou 59 années d'activité industrielle,

sociale et intellectuelle d'une ouvrière 1876-1935

Edition préparée par Daniel Armogathe avec la collaboration de Maïté Albistur

Ouvrage publie avec le concours du Centre national des lettres

LA DÉCOUVERTE/MASPERO PARIS

1983

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© Editions La Découverte, Paris, 1983 ISBN 2-7071-1384-0

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Introduction

La longue patience d 'une militante ouvrière

Sans la découverte du fonds féministe de Marie-Louise Bouglé déposé à la bibliothèque historique de la Ville de Paris j e n 'aurais pas rencontré le visage at tachant de Jeanne Bouvier.

Onzième enfant d 'un briquetier, Marie-Louise Bouglé (1883- 1936), devient, après des études de comptabilité, une militante très active de l 'Union p o u r le suffrage des femmes. Elle est char- gée au sein de ce mouvement de réorganiser la bibliothèque. Après la Première Guerre mondiale, elle adhère à plusieurs grou- pes féministes et suivant leurs activités de près, elle conçoit, la première, le p ro je t d 'une centralisation des documents féminins : « Je résolus d 'amasser tout ce qui concernait no tamment l'acti- vité féminine dans le temps présent. De là à rechercher ce qui la concernait dans le passé, il n 'y avait qu 'un pas. Et lorsque l 'on est pris p a r une passion, c'est terrible. Le capital que j ' ava i s y passa et l'essentiel de mon gain quotidien ! [ . . .] Je n 'avais plus qu 'une solution, me je te r à corps perdu dans les recherches soli- taires. Mais quelle récompense ! » La modeste employée sténo- dactylographe va consacrer sa vie à la collecte de documents :

1. Inventorié et classé par Maïté ALBISTUR ; voir Catalogue des archives Marie-Louise Bouglé, avril 1982, 614 p.

2. Interview in Minerva, 1932.

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« Le temps pressait. Il est de ces collections qui doivent se faire au jour le jour, sous peine de subir une perte irréparable. Je me mis à l'œuvre en me disant que ce que je sauverais serait tou- jours autant. Et alors commença le développement d'une passion que je ne soupçonnais pas en moi. L'utilité de mes recherches, l'intérêt de plus en plus grand que j ' y trouvais, le succès dans mes fouilles, tout y contribua. Je pensais au début ne sauver que quelques documents au jour le jour et voilà que, entraînée, je remplissais toute une pièce de livres, de brochures, de journaux, de documents de toutes sortes, souvent très rares et de très grande valeur et me trouvais ébaucher cette vaste bibliothèque tant souhaitée »

Chaque soir, après son travail, Marie-Louise Bouglé court chez les bouquinistes ; ils connaissent sa demande et lui réservent les documents recherchés. Bien vite, elle se fait une petite noto- riété chez eux et chez les libraires. L'éditeur Marcel Rivière était émerveillé par ses connaissances. Peu à peu se constitue un fonds de grande valeur. La bibliothèque commencée en 1921 compte 12 000 documents en 1923, année où elle s'ouvre à la consulta- tion, rue des Messageries, puis en 1933 rue du Moulin-de-la-Pointe. A la mort de Marie-Louise Bouglé, son mari André Mariani con- tinue son œuvre. Pour plus de sécurité le fonds est transféré pen- dant la guerre à la Bibliothèque nationale. Le 4 juillet 1946, il est déposé à la bibliothèque historique de la Ville de Paris.

Le démon archivistique et la culture sur le tas

Jeanne Bouvier connaissait fort bien les activités de M.-L. Bouglé. Elle était attirée comme elle par le dévoilement de l'his- toire au féminin. Elle avait passé les dernières années de sa vie à rassembler les notices d'un Dictionnaire des femmes célèbres, monument inachevé renfermant 270 000 noms, qu'elle présente ainsi en 1952 à André Mariani : « Je vous avais demandé des précisions sur le lieu et la date de naissance et de mort de M.-L. Bouglé, dans quelle profession elle était occupée, car je

1. Conférence donnée à la Chambre syndicale des sténodactylographes, 1926.

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veux qu'elle figure dans le "Dictionnaire des femmes célèbres" que j 'a i préparé et qui va être déposé à sa bibliothèque [...]. Tous mes manuscrits seront déposés dans sa bibliothèque au mois de septembre. Je vous prie de bien vouloir me répondre le plus tôt possible car je ne vois presque plus pour écrire, car je suis âgée de 87 ans. »

La militante s'est usée à la tâche ; il y a quelque chose de pathétique dans sa lutte contre l'oubli dans lequel on tient les péripéties de l'histoire des femmes. Tout comme chez Hélène Brion, dont les documents réunis dorment pêle-mêle dans les car- tons de l'Institut français d'Histoire sociale.

Outre ce dictionnaire, Jeanne Bouvier rassembla plusieurs élé- ments de Biographies dauphinoises qu'elle chercha à faire publier, sans succès .

Ni l'un ni l'autre de ces factums n'a trouvé d'éditeur. Les années qui précèdent la guerre ne sont pas favorables au dévelop- pement des recherches de femmes ou sur les femmes. Les esprits sont occupés ailleurs. Les études féminines sont inexistantes dans l'enseignement. Les pionnières doivent affronter l'indifférence générale. Ce n'est que bien plus tard, après la guerre, que l'on commencera à comprendre leurs efforts et plus tard encore qu 'on exploitera ces trésors que leur patience et leur compétence nous ont légués.

Pour l'heure, Jeanne Bouvier fait don à la bibliothèque Bouglé-Mariani de trois mètres d'archives, toutes les traces de sa vie personnelle, syndicale et publique. Si un être a jamais été possédé par le démon archivistique, c'est bien elle. Tout est signe, marque énonciatrice de vivant. La conservation, le classe- ment sont ici des actes religieux. Prenons par exemple les 1 200 folios du dossier « Travail à domicile » ; ils rendent compte de quinze années de labeur au sein d'un organisme qui essaya non sans difficultés de lutter contre les, discriminations scandaleuses qui touchent la population féminine. Constitué en pleine guerre, en 1916, l'Office du travail à domicile trouve en Jeanne Bouvier sa « documentaliste » la plus avertie. Toutes les notes et

1. Lettre conservée dans le fonds Jeanne Bouvier. 2. Lettre du 29 avril 1937 à la mairie de Grenoble demandant une subvention

pour publication (fonds Jeanne Bouvier).

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r é f l ex ions , les p r o j e t s d e d i s c o u r s , les i n t e r v e n t i o n s d a n s les mee-

t i ngs e t r é u n i o n s p u b l i q u e s , les r a p p o r t s a u x c o m i t é s d e f é d é r a -

t i o n s ( H a b i l l e m e n t , C h e m i s e r i e - l i n g e r i e , C h a p e l l e r i e . . . ) y s o n t

c o n s i g n é s . L e s ac t i v i t é s d e l ' O f f i c e s o n t r é p e r t o r i é e s , s e l o n u n

o r d r e c h r o n o l o g i q u e , d e 1915 à 1930 : é t u d e d e s s a l a i r e s m in i -

m a u x d a n s les d i f f é r e n t s d é p a r t e m e n t s , s t a t i s t i q u e s s u r l ' e m p l o i ,

r a p p o r t s m i n u t i e u x s u r les a c c i d e n t s d u t r ava i l , i n f r a c t i o n s à

l a lo i e t p r o c è s - v e r b a u x d e s t r i b u n a u x d e p r u d ' h o m m e s , p r o j e t s d e m o d i f i c a t i o n , d ' a m é l i o r a t i o n , d ' a m e n d e m e n t d e l a lo i d e

1915. . . A j o u t o n s à ce la t o u s les b r o u i l l o n s d e c o r r e s p o n d a n c e

a v e c les o r g a n i s m e s off ic ie ls , 225 le t t res , 93 a r t i c l e s d e j o u r n a u x ,

23 t r a c t s d e p r o p a g a n d e , d e s d i z a i n e s d e b r o c h u r e s . . .

J e n e s a i s s i les f e m m e s s o n t p l u s o u m o i n s c o l l e c t i o n n e u s e s

q u e les h o m m e s , m a i s il s e m b l e q u e le g e s t e d e l a c o n s e r v a t i o n

p r e n d ici u n s e n s q u ' o n n e t r o u v e p a s a i l l e u r s d u f a i t m ê m e d e

l ' o p a c i t é d e l ' h i s t o i r e a u f é m i n i n . P r i v é e s d e t o u t t e m p s d u sen t i -

m e n t d e c o h é s i o n e t d ' a p p a r t e n a n c e , c o n t r a i n t e s d ' œ u v r e r , d a n s

l ' i s o l e m e n t d e l e u r consc i ence , a u d é v o i l e m e n t d ' u n e m a t i è r e q u i

r é s i s t e t e r r i b l e m e n t , les f e m m e s « a r c h i v i s t e s » f o n d e n t essent ie l -

l e m e n t e t e x i s t e n t i e l l e m e n t l a t r a m e d ' u n e « h i s t o i r e s a n s q u a l i -

t és ». S a n s j a l o n n i r e p è r e c o m m e n t vivre h ic e t n u n c u n p r é s e n t

q u i s ' é v a n o u i t s a n s cesse, c o m m e n t p o s e r u n f u t u r q u i n e s o i t p a s

r e m p l i d e m e n a c e s ? L e « f i l u t é r i n » q u e ces a r c h i v e s n o u s invi-

t e n t à s u i v r e n o u s r e n s e i g n e e n o u t r e s u r l e s t a t u t c o m p l e x e d ' u n e

e t h n o g r a p h i e d e s f e m m e s : c o m m e n t e t e n q u e l s t e r m e s s e vi t l a

q u o t i d i e n n e t é f é m i n i n e , q u e l s a c t e s o n t ici l e u r i m p o r t a n c e , que l -

les f e m m e s r u s a n t a v e c la n a t u r e , c o n s t r u i s e n t u n e « h i s t o i r e s a n s

le s a v o i r » . L ' u n d e s t r a i t s p e r m a n e n t s d e l e u r c o n d i t i o n es t

l ' e x t r ê m e d i f f i c u l t é q u ' e l l e s é p r o u v e n t à t r o u v e r d e s r e s s o u r c e s

f i n a n c i è r e s p o u r l e u r m i l i t a n t i s m e — o u a p o s t o l a t — c o m m e

p o u r l e u r s i m p l e s u b s i s t a n c e q u o t i d i e n n e . A u r e g a r d d e l a p u i s -

s a n c e f i n a n c i è r e , les f e m m e s — m ê m e les b o u r g e o i s e s e t a fo r -

t ior i les a u t r e s — f o n t f i g u r e d a n s les a r c h i v e s d ' é t e r n e l l e s assis-

tées. L ' u n d e s g r i e f s les p l u s g r a v e s q u e J e a n n e B o u v i e r f o r m u l e

c o n t r e J o u h a u x d a n s s a l e t t r e d u 21 o c t o b r e 1923 f a i t é t a t d ' u n e

s o m m e d ' a r g e n t n o n r e n d u e q u ' e l l e a p r ê t é e , s u r s a d e m a n d e , à

G e o r g e t t e B o u i l l o t , s a « p r o t é g é e ». I l s e m b l e q u e s i les

1. Voir cette lettre dans les Documents annexes.

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hommes ont plus de facilité à « jouer » avec l'argent, les femmes ne voient pas sans un certain écœurement les gaspillages que ce jeu implique, surtout quand les fonds proviennent du travail des classes défavorisées. L'économe et besogneuse Jeanne a la morale des gagne-petit.

Liées naturellement à la situation financière, les difficultés professionnelles s'expriment abondamment dans les archives de femmes. Comment en serait-il autrement quand la I I I Républi- que — Jeanne a 15 ans en 1870 — voit se produire la plus forte mutation que l'histoire contemporaine ait connue sur les plans social et industriel, mutation qui atteint frontalement une popu- lation féminine mal préparée à la vivre. Comment ne pas être ému à la lecture de ces lettres de demande d'emploi de Jeanne qui cherche, à près de 50 ans, une place moins épuisante dans une administration Ces lettres renfermant une angoisse conte- nue n'ont pas été retenues par elle pour les Mémoires, mais con- servées dans le fonds, elles sont comme un appel pour les généra- tions futures, pour nous.

La passion archivistique peut représenter une tentative de sor- tie de l'impasse dans laquelle des femmes sont présentement tom- bées. Ce fu t le cas pour Hélène Brion qui, « désenchantée de la politique active, après les scissions syndicale et politique du mou- vement français, et après ses propres déboires professionnels (exclusion, réintégration difficile, tracasseries administratives pour faire reconnaître ses acquis de carrière)... » se consacre, après la quarantaine, à l'élaboration d'une vaste Encyclopédie féministe en 166 volumes — de l'Antiquité à 1945 — dont il ne nous reste que des « squelettes » . Et cela est vrai aussi pour Jeanne Bouvier, qui trouve dans la recherche historique, comme dans son rapport quasi mystique au document historique une sorte de revanche contre ses déboires personnels et profession- nels. Il est significatif que celle qui passe maintenant ses jours dans ce temple du savoir qu'est la bibliothèque nationale — qui l'émerveille — se préoccupe du sort de ces millions de documents

1. Voir note 19, p. 270-271. 2. Hélène Brion, La voie féministe, préface, notes et commentaires par

Huguette BOUCHARDEAU, Syros, 1978, p. 15. 3. A l'Institut français d'Histoire sociale et à la bibliothèque M. Durand.

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v o u é s à la d é c r é p i t u d e e t à l a m o r t . S o n â m e d e c o n s e r v a t r i c e e n

es t p r o f o n d é m e n t c h o q u é e : « C e s l iv res n ' o p p o s e n t a u t e m p s

q u ' u n e r é s i s t a n c e re la t ive . E t a i t - c e u n e idée f a u s s e q u i t r a v e r s a i t

m o n espr i t , o u b i e n la r é a l i t é d ' u n f a i t q u e j e c o n s i d é r a i c o m m e

t r a g i q u e ? Q u o i , les écr i t s m o d e r n e s s e r a i e n t m e n a c é s d e d i s p a -

r a î t r e ? L e s t r a v a u x d e s in t e l l ec tue l s d u t e m p s p r é s e n t s e r a i e n t

p e r d u s p o u r les g é n é r a t i o n s f u t u r e s , les a r ch ives , l ' h i s t o i r e

s e r a i e n t c o n d a m n é e s à d i s p a r a î t r e ? J e v o u l a i s c r o i r e q u e m e s

c r a i n t e s é t a i e n t e x a g é r é e s » O n a l ' i m p r e s s i o n q u e , p a s s é e la s o i x a n t a i n e , J e a n n e B o u v i e r vit d a n s u n a u t r e m o n d e ; e l le veut

t é m o i g n e r d e t o u t , m a i s p a r d o c u m e n t s i n t e r p o s é s ; e l le r e g a r d e

a u x s u j e t s r a r e s , a u x c u r i o s i t é s ; e t elle y t r o u v e u n n o u v e a u b o n -

h e u r , p l u s se re in , p l u s i dée l : « A t r a v e r s ces d i f f i c u l t é s m a t é r i e l -

les, il d e v a i t m e r e s t e r u n e g r a n d e , u n e t r è s g r a n d e s a t i s f a c t i o n :

d e p o u v o i r m e l iv re r à d e s t r a v a u x in te l l ec tue l s e t p l u s p a r t i c u l i è -

r e m e n t a u x r e c h e r c h e s q u i m ' o n t p e r m i s d ' é c r i r e m e s q u a t r e

vo lumes . O n n e p e u t p a s t o u t a v o i r : le b i e n - ê t r e m a t é r i e l e t l a

s a t i s f a c t i o n in te l l ec tue l l e ; j e p r é f è r e d e b e a u c o u p la s e c o n d e . »

C e t i n v e s t i s s e m e n t e s t d ' a u t a n t p l u s i m p o r t a n t à c o m p r e n d r e

q u e J e a n n e e s t p a r t i e d a n s l ' e x i s t e n c e in te l l ec tue l l e a v e c u n p r o -

f o n d h a n d i c a p . S o n i n c u l t u r e es t b i e n réel le . E l l e n ' e s t p e u t - ê t r e

p a s p l u s c r i a n t e q u e cel le d e b i en d e s j e u n e s p a y s a n s d e s o n

t e m p s , ob l igés d e f r é q u e n t e r l ' é c o l e t o u t e n c o n t i n u a n t d ' e x e r c e r

les t r a v a u x d e la f e r m e . D a n s s a m o n o g r a p h i e s u r le D é p a r t e -

m e n t de l ' I s è r e s o u s la I I I R é p u b l i q u e , P i e r r e B a r r a i n o t e : « L a

f r é q u e n t a t i o n s c o l a i r e f u t t r è s d é f i c i e n t e à l a c a m p a g n e [ . . . ] . L a

r e n t r é e n ' e s t g u è r e c o m p l è t e q u e vers le m o i s d e n o v e m b r e [ e t ] d è s le m o i s d e m a r s l a d é s e r t i o n c o m m e n c e . » M a i s s ' a j o u t e n t

p o u r J e a n n e u n mi l i eu f a m i l i a l dé sun i , u n e a f f e c t i o n inex i s t an te ,

u n e p a u v r e t é m a t é r i e l l e b i e n p r o c h e d u d é n u e m e n t . T o u t a u r a i t d û la c o n d u i r e à l ' a b a n d o n d u s e n s in te l lec tue l . E n réa l i té , e t

s a n s q u ' e l l e en f a s s e j a m a i s l ' a v e u , s a vé r i t ab l e i n s t r u c t i o n , elle l a

d o i t a u s y n d i c a l i s m e . E t le f a i t a s u f f i s a m m e n t d ' i m p o r t a n c e

p o u r ê t r e a n a l y s é .

1. Mémoires, p. 235. 2. Ibid., p. 185. 3. Pierre BARRAL, Le département de l'Isère sous la I I I République

(1870-1940), Armand Colin, 1962, p. 291.

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Qui dira combien de militants obscurs ou plus en vue ont trouvé dans l'organisation les moyens de corriger une instruction médiocre, voire inexistante. Un minimum de connaissances est indispensable pour comprendre le fonctionnement de toute struc- ture, mais, en même temps, l'effort pour se tenir au courant ren- force les capacités intellectuelles. Pour savoir traiter les dossiers, il faut une solide habitude de la chose écrite, exigence que les enfants d'ouvriers acquièrent sur le tas non sans difficultés et toujours avec de grosses lacunes Lorsque Jeanne déclare que son éloignement de l'organisation ouvrière lui permet de « travailler en toute tranquillité aux questions d'histoire qui l'intéressent », elle oublie de signaler qu'elle y apporte les méthodes de travail rigoureuses qui ont été les siennes dans le syndicat — et dont on peut vérifier la qualité dans les rapports, études, etc., qu'elle a réalisés à la Fédération internationale des travailleuses ou, plus tard, à l'Office du travail féminin.

Il est aisé de prouver que cette patience et cette rigueur intel- lectuelle se retrouvent dans les ouvrages qu'elle a écrits et tout particulièrement dans La lingerie et les lingères, Les dames employées dans les PTT, et Les femmes pendant la Révolution. Nous avons conservé les documents préparatoires et les fiches de notes pour ces trois ouvrages. Ils témoignent tous d'un authenti- que travail d'historien. Jeanne Bouvier va d'abord, comme il se doit, aux sources originales manuscrites, à la bibliothèque natio- nale, aux archives nationales. Elle rédige des notes à partir de ces sources, en établit le classement, confronte son information avec des sources annexes ou parallèles. Elle lit ensuite les imprimés, brochures, ouvrages, journaux, dont elle rédige des comptes ren- dus et résumés détaillés. « C'est un travail ardu que de recher- cher tous les documents pour composer un livre comme celui-là [La lingerie et les lingères], surtout lorsqu'on veut remonter jusqu'à l'origine de chaque pièce de lingerie, leur valeur, les lois somptuaires qui ont interdit certaines pièces de lingerie, cer- taines garnitures [...]. Pendant plusieurs années, je me suis livrée à des recherches assidues pour me procurer ces documents, sans perdre patience un seul instant ; j'étais intéressée par ce travail

1. Voir la lettre à Léon Jouhaux dans les Documents annexes. 2. Mémoires, pp. 147-148.

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i n t e l l ec tue l q u i c h a q u e j o u r m ' a p p o r t a i t s a t i s f a c t i o n ; j ' a p p r e n a i s

a u s s i t a n t d e c h o s e s i n t é r e s san t e s , d o n t j e ne m ' é t a i s j a m a i s d o u -

tée ; j ' a v a i s t r o u v é u n s i g r a n d n o m b r e d e d o c u m e n t s , s o i t à l a

b i b l i o t h è q u e n a t i o n a l e , s o i t a u x a r c h i v e s n a t i o n a l e s que , l o r s q u e

m o n m a n u s c r i t f u t t e r m i n é e t q u e j e le p o r t a i à G e o r g e s R e n a r d ,

ce lu i -c i m e d é c l a r a q u ' i l é t a i t t r o p i m p o r t a n t , e t q u e j e d e v a i s le

r é d u i r e » J e a n n e a v a i t o u b l i é q u e le n o m b r e d e p a g e s é t a i t

l i m i t é e t q u ' i l n ' e s t g u è r e f a c i l e d e r e t r a n c h e r !

A u s y n d i c a t , c o m m e d a n s la r e c h e r c h e , e l le al l ie u n e m é t h o d e

e f f i c a c e à la p r é c i s i o n e t à l a s û r e t é d e l ' i n f o r m a t i o n . C e s q u a l i t é s

s o n t r a r e s e n c o r e c h e z u n e m i l i t a n t e , a v a n t - g u e r r e .

« Les m a u v a i s b e r g e r s »

L a g r a n d e a f f a i r e d e J e a n n e B o u v i e r c ' e s t s o n i n v e s t i s s e m e n t

s y n d i c a l . I l f a u t d i r e q u e les M é m o i r e s d ' u n e m i l i t a n t e a y a n t a t t e i n t ce n i v e a u d a n s la h i é r a r c h i e s o n t a s sez r a r e s d a n s l ' h i s -

t o i r e s o c i a l e e t p o l i t i q u e c o n t e m p o r a i n e . E t c ' e s t p r é c i s é m e n t

ce t t e r a r e t é q u i a i nc i t é l ' é d i t e u r à p u b l i e r à n o u v e a u ce t o u v r a g e

p a r u il y a 4 6 ans . A v e c el le n o u s t r a v e r s o n s u n q u a r t d e s iècle d e

s y n d i c a l i s m e cégét is te , e t n o u s a s s i s t o n s a u x c o n f l i t s d e p e r s o n -

n e s o u d e t e n d a n c e s , t o u t e s c h o s e s q u i s o n t r a r e m e n t a v o u é e s .

J e a n n e B o u v i e r a p p a r t i e n t à l a F é d é r a t i o n d e l ' h a b i l l e m e n t .

Voi là u n e c h a n c e s u p p l é m e n t a i r e p o u r n o u s . E n e f fe t , o n p e u t

r e g r e t t e r q u e les f é d é r a t i o n s n a t i o n a l e s d e la C G T n ' a i e n t p a s é t é

d a v a n t a g e é tud iées . U n e d e s clefs d e la c o m p r é h e n s i o n d u m o u -

v e m e n t s y n d i c a l se t r o u v e p o u r t a n t d a n s l ' h i s t o i r e a c t i v e e t

« r é a c t i v e » d e ces i n s t a n c e s , d o n t les a r c h i v e s s o n t , il es t vrai ,

t r è s s o u v e n t i nacces s ib l e s o u p e r d u e s . M a d e l e i n e R e b é r i o u x l ' a

b i e n c o m p r i s q u i a d o n n é u n e p r e m i è r e m o n o g r a p h i e s u r u n e

g r a n d e f é d é r a t i o n , cel le d u L ivre , p o u r s o n c e n t e n a i r e (1881-

1981).

L e s M é m o i r e s d e J e a n n e B o u v i e r , les d o c u m e n t s c o n s e r v é s

d a n s le f o n d s , s a n s oub l i e r , e n c o n t r e p o i n t , c e u x d u f o n d s

1. Mémoires, pp. 217-218.

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Henriette Coulmy et ceux de Gabrielle Duchêne constituent une base de départ non négligeable pour entreprendre toute étude sérieuse sur la question.

La Fédération d'industrie des travailleurs de l'habillement sort du vieux mutuellisme comme un ver à soie de son cocon. Le pre- mier syndicat vit le jour à Paris en juin 1868, avec cinq objectifs principaux :

1. Constituer les assurances mutuelles contre le chômage, la maladie, les infirmités et la vieillesse.

2. Organiser le travail, créer des sociétés coopératives de produc- tion, de consommation et de crédit.

3. Traiter les questions de salaires, règlement et salubrité des ate- liers, application de l'expertise du travail, causes de discussions entre patrons et ouvriers, qui pourront disparaître dès que l'on pourra s'en référer à l'appréciation équitable de la Chambre syndicale, enfin tenir au Conseil des prud'hommes des experts arbitres compétents.

4. Organiser l'enseignement professionnel.

5. Etudier les questions d'apprentissage, surveiller paternelle- ment l'exécution des contrats.

A partir de cette date, le mouvement se développe rapidement chez les tailleurs, coupeurs, couturières, chemisiers, lingères... Mais les luttes de tendances y sont aussi très fortes (il y a jusqu'à six organisations syndicales chez les tailleurs à Paris). La Fédéra- tion est créée à l'issue du congrès de Nîmes en 1893. En 1906, les ouvrières en confection de Lyon firent la première grève dont le but était l'établissement de la « semaine anglaise ». La Fédéra- tion oriente alors ses activités vers les points suivants : suppres- sion du travail aux pièces, apprentissage...

Nul n'ignore que les professions de l'habillement sont en

1. Fonds Marie-Louise Bouglé. 2. A la bibliothèque de documentation internationale contemporaine (Nan-

terre).

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m a j o r i t é f é m i n i n e s ( e x c e p t é celle d e s ta i l leurs) . Q u a n t a u x sa la i -

res, b ien d e s é t u d e s o n t m o n t r é l e u r c rue l l e i n s u f f i s a n c e

L ' a t t e n t i o n d e s o b s e r v a t e u r s s ' é t a i t p a r t i c u l i è r e m e n t p o r t é e s u r

les d i f f i c u l t é s r e n c o n t r é e s p a r les s w e a t e d w o r k e r s . L ' O f f i c e d u

t r a v a i l a v a i t f a i t p r o c é d e r à d e s e n q u ê t e s a u d é b u t d u siècle . Ce

t r a v a i l d e r é f l e x i o n a b o u t i r a à la loi d u 10 j u i l l e t 1915, à l ' é l a b o -

r a t i o n d e l aque l l e J e a n n e B o u v i e r a b e a u c o u p c o n t r i b u é à la CA

de la B o u r s e d u t r a v a i l (1901-1906) , p u i s a u S y n d i c a t de la

chemise r i e - l inge r i e , e t à la CA de la C G T . C e t t e loi f u t b ien lo in

d e c o n t e n t e r les p a r t i e s c o n c e r n é e s : « El le p r é s e n t e d e u x a s p e c t s

essen t ie l s : t o u t d ' a b o r d elle i n s t i t ue u n c o n t r ô l e de l ' e m p l o i d e s

s a l a r i é s à domic i l e , p u i s elle t en t e d ' é t a b l i r u n m i n i m u m de

sa l a i r e p o u r les ouvr i è re s . E n voici les p r i n c i p a l e s d i s p o s i t i o n s :

t o u t e m p l o y e u r de m a i n - d ' œ u v r e à d o m i c i l e d o i t o b l i g a t o i r e m e n t

en i n f o r m e r les i n s p e c t e u r s d u t rava i l . L a loi exige d ' e u x la t enue

d ' u n reg i s t re s u r l e q u e l s o n t inscr i t s les n o m s et a d r e s s e s d e s sala-

riés. Ils d o i v e n t a f f i c h e r le p r i x d e f a ç o n d a n s le lieu où se f a i t la

r é c e p t i o n et la d i s t r i b u t i o n d u t r a v a i l e t r e m e t t r e à c h a q u e distr i -

b u t i o n un bu l l e t in i n d i q u a n t la q u a n t i t é de t r a v a i l d o n n é , la d a t e

d e l i v ra i son e t le m o n t a n t de la r é m u n é r a t i o n . D ' a u t r e p a r t , la loi

ins t i tue des c o m i t é s d é p a r t e m e n t a u x de sa la i res , r é u n i s p a r les

p r é f e t s , p o u r c o n s t a t e r les p r i x p a y é s en a t e l i e r d a n s c h a q u e

d é p a r t e m e n t e t d é t e r m i n e r d e s p r i x h o r a i r e s i d e n t i q u e s p o u r les

t r a v a i l l e u r s à domic i le . D e s c o m i t é s d ' e x p e r t s s o n t c h a r g é s d e

c o n s t a t e r le t e m p s nécessa i r e à la f a b r i c a t i o n d e c h a q u e p i è c e

a f i n d e f i x e r la t a r i f i c a t i on . Les s y n d i c a t s p a r t i c i p e n t à ces c o m i -

tés d é p a r t e m e n t a u x e t o n t d r o i t d e c o n t r ô l e s u r l ' o b s e r v a n c e d e

la loi, a ins i q u ' u n c e r t a i n n o m b r e d ' a u t r e s a s s o c i a t i o n s

p u b l i q u e s . »

J e a n n e B o u v i e r , d a n s La l inger ie et les l ingères, s i gna l e ses

i n s u f f i s a n c e s : « El le n e p u t ê t r e q u e r a r e m e n t a p p l i q u é e , o n

1. V o i r e n p a r t i c u l i e r G e r t r u d e WILLOUGHBY, L a s i t u a t i o n d e s o u v r i è r e s d u

v ê t e m e n t e n F r a n c e e t e n A n g l e t e r r e , t h è s e d e d r o i t , P U F , 1926, et F r a n ç o i s e

B LUM, L e s f e m m e s d a n s l a F é d é r a t i o n d e l ' h a b i l l e m e n t d e 1914 à 1935, C e n t r e d e

r e c h e r c h e s d ' h i s t o i r e d e s m o u v e m e n t s s o c i a u x et d u s y n d i c a l i s m e ( m é m o i r e d e

m a î t r i s e ) .

2. S i g n a l o n s a u s s i ce l l e d e G e o r g e s RENARD, L ' o u v r i è r e à d o m i c i l e , R a d o t ,

1927.

3. F r a n ç o i s e BLUM, o p . c i t . , p p . 4 9 - 5 0 .

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s' est heurté à toutes les impossibilités prévues au point de décou- rager les plus fervents défenseurs des ouvrières à domicile. Leur situation morale et matérielle est restée ce qu'elle était avant 1915. »

C'est pou r fa i re appliquer la loi que f u t créé, p a r décret du 24 septembre 1915, l 'Office f rançais du travail à domicile avec Georges Renard à sa tête, et Gabrielle Duchêne comme secrétaire générale. Le principal objectif de l 'Office f u t la révision de la loi. Il n 'aboutit pas.

De 1911 à 1920, la profession connaît un grand essor de popu- lation féminine dû au recrutement de la main-d 'œuvre de guerre. En 1921, encore, « sur un total de 1 215 448 personnes dans le travail des étoffes, nous trouvons 146 199 hommes et 1 069 249 femmes 1 ». Mais progressivement les effectifs féminins vont diminuer, au profi t des éléments masculins. « Cette évolution s'inscrit dans une évolution plus générale de la structure de l 'emploi féminin. D 'une par t le nombre global des femmes employées dans l ' industrie subit après la guerre un reflux consi- dérable. Dès 1921, à la suite des licenciements massifs intervenus après la guerre, le pourcentage de femmes occupées dans l'indus- trie est redescendu en dessous du niveau de 1906. La tendance

régressive se poursui t et en 1936 le pourcentage des femmes p a r rapport à l 'effectif industriel total est revenu à 30,08, c'est-à-dire à un niveau voisin de celui de 1866. D 'au t re part , à l ' intérieur même du secteur industriel, une mutat ion s'exerce au détriment des professions féminines, et en particulier du travail des étoffes. Pendant la guerre la f emme a découvert l'usine, sa capacité aussi à occuper des postes qualifiés. Elle investit désormais des indus- tries où on ne la trouvait qu'exceptionnellement jusque là . » C'est à propos de cette crise que Marguerite Thibert souligne : « Le terrain perdu p a r un sexe est donc parfois du moins partiel- lement gagné p a r l 'autre, à moins que la mécanisation ne le fasse perdre aux deux 3 »

La Fédération subit évidemment le contrecoup de ces profon- des mutations. Le creux de la vague se situe très exactement dans

1. Françoise BLU M, op. cit., p. 19, 2. Ibid., p. 21.

3. Crise économique et travail féminin, Genève, 1933.

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les années 1920-21 : de 25 000 adhérents — dont 75 % de femmes — en 1919, le nombre tombe à 7 000 — dont 45 % de femmes — en 1921 . Il y a plusieurs raisons à cette chute brutale. « Il faut tenir compte de la réduction considérable des syndicats groupant les travailleurs de la confection militaire, les ouvrières des entrepôts et ateliers de l'Etat. L'échec des grandes grèves du printemps 1920 décourage une partie des syndiqués. Le chômage, les baisses de salaires entraînent à des luttes souvent vouées à l'échec, des luttes "souvent provoquées et imposées par le patro- nat, entamées pour enrayer une baisse des salaires, facilitées par le chômage". Les dissensions au sein du mouvement syndical et leur aboutissement à la scission ont leur part de responsabilités, touchant essentiellement des effectifs peu politisés ou nouvelle- ment venus au mouvement syndical »

L'organe de la CGT, La Voix du peuple, trouve, pour sa part, trois explications au phénomène :

1. L'élément féminin est difficilement organisable (préjugés, maternité et travaux du ménage, autoritarisme paternel et conjugal).

2. Le travail à domicile est difficilement contrôlable.

3. L'esprit nationaliste des ouvriers français écarte de l'organisa- tion la main-d'œuvre étrangère.

« A ces trois éléments, commente F. Blum, il nous semble essentiel d'en ajouter un quatrième : la structure largement arti- sanale de l'industrie de l'habillement est sans aucun doute un obstacle au recrutement syndical. La possibilité pour le salarié de pouvoir s'installer à son compte n'est certes pas un encourage- ment à la syndicalisation. D'autre part la coexistence de modes de production différents (de l'artisanat à la grande industrie) et la variété des statuts des travailleurs rendent difficile le travail syndical. »

Cette situation crée de vives tensions à l'intérieur des syndicats qui composent la Fédération — ils sont 126 en 1921. En 1920-21

1. Françoise BLUM, op. cit., p. 63. 2. Ibid, p. 64.

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une première fraction d'entre eux adhère aux CSR de l'habille- ment ; elle réclame un congrès extraordinaire pour s'exprimer. On le lui refuse ; elle est exclue après le congrès de Lille. Les majoritaires lui imputent la baisse des effectifs. Le 23 septembre 1921, le Syndicat de l'habillement de la Seine fait scission. Il en entraîne d'autres. Le 13 juin 1922, la direction de la CGT refuse une nouvelle fois aux minoritaires la réunion d'un congrès extraordinaire. Cette année-là, on est donc en présence de deux fédérations : celle des travailleurs de l'habillement et la Fédéra- tion unitaire du vêtement. Celle-ci tient son premier congrès à Bourges en 1923, où elle décide de fusionner avec la Fédération du textile. En décembre 1924 a lieu le premier congrès de la fusion. « Les participants se félicitent de la création d'une vraie fédération d'industrie, conformément aux résolutions de l'Inter- nationale syndicale rouge, tout en constatant pour la petite Fédé- ration du vêtement l'incapacité de lutter efficacement »

De cette histoire tourmentée, nul écho dans les Mémoires de Jeanne Bouvier. Peut-être par discipline syndicale — elle reste du côté des majoritaires — n'a-t-elle pas cru bon d'étaler au grand jour ces difficultés internes. Ses griefs sont soit d'ordre personnel — ils concernent quelques individualités au sein de l'organi- sation — soit alors ils prennent un tour plus fondamental — lorsqu'elle critique les positions officielles en matière de pré- vention sociale, ou sur la question de la syndicalisation féminine.

On connaît les raisons qui l'ont conduite à se méfier de la per- sonnalité de Léon Jouhaux : celui-ci a fait participer sa maîtresse à la délégation officielle du congrès de Washington. Se mêlent ici une éthique du sacrifice et une morale de la pudeur qu'il est inté- ressant d'interroger. L'argent des cotisations est sacré, sou après sou les travailleurs économisent pour que des représentants ouvriers défendent leurs intérêts ; ceux-ci doivent être irré- prochables, incorruptibles. Or Jeanne Bouvier rencontre des hommes, pas pires sans doute que les autres, mais certainement pas meilleurs. La personnalité du leader de la CGT est très

1. Ibid., p. 58. 2. En 1911, pareillement, la militante Angèle Roussel avait accusé certaines

personnes d'avoir gaspillé les finances de la SFIO.

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c o n t r o v e r s é e . A r r i v é p a r h a s a r d à la t ê te d e l ' o r g a n i s a t i o n , ce

ca r r i é r i s t e n ' a p a s f a i t l ' u n a n i m i t é p a r m i ses c o m p a g n o n s d e

r o u t e . E t il es t e x a c t a u s s i q u e s a vie p r i v é e se r é p e r c u t a i t f r é -

q u e m m e n t s u r s a vie p r o f e s s i o n n e l l e I l a f f i c h a i t , semble- t - i l ,

u n e g r a n d e i n d é p e n d a n c e p a r r a p p o r t a u m o d e d e vie b o u r g e o i s .

Bre f , il c h o q u a i t .

D ' a u t r e p a r t , t o u t d a n s l ' é d u c a t i o n d e J e a n n e la c o n d u i s a i t à

la d i s c r é t i o n , à l a p u d e u r , ou , c o m m e el le le d i t s o u v e n t , à la

« h o n t e ». T a n t d e s o u f f r a n c e s r e n t r é e s , t a n t d ' a c h a r n e m e n t a u

t r ava i l , t a n t d e c o n s c i e n c e d ' u n e m i s s i o n à r e m p l i r d e v a i e n t

a b o u t i r à l ' o c c u l t a t i o n d u v o l u p t u e u x ; e l le es t e n t r é e a u s y n d i c a t

u n p e u c o m m e o n e n t r e e n re l ig ion . P o u r elle, s eu le u n e ex i s t ence

f o n d é e s u r le l a b e u r e t l a c o m p é t e n c e d e v a i t p e r m e t t r e d e c o n t r e -

b a l a n c e r les d é s o r d r e s d u s à l a m a u v a i s e o r g a n i s a t i o n s o c i a l e et,

s u r u n p l a n p e r s o n n e l , c o r r i g e r ce q u ' u n e e n f a n c e m a l h e u r e u s e e t

u n e é d u c a t i o n bâc l ée a v a i e n t s e v r é d e d é v o u e m e n t e t d e p l a i s i r s in te l lec tue ls .

F e m m e d o u b l e m e n t m a l c h a n c e u s e , p a r s e s o r i g i n e s e t à c a u s e

d e s o n sexe, e l le a c h e r c h é à é g a l e r les h o m m e s s u r les t e r r a i n s

q u i l e u r s o n t f a m i l i e r s : l ' e f f o r t i n t e l l ec tue l e t l a c o m p é t e n c e

t e c h n i q u e . C e n e s o n t p a s d e s o p é r a t i o n s d e t o u t r epos . Q u ' a p r è s

la c i n q u a n t a i n e , e l le a i t é t é « a ig r i e » n e c h a n g e p a s le f o n d d u

p r o b l è m e q u i es t ce lu i d u s ac r i f i c e d e s o n ê t r e - f e m m e . E t s o n m o r a l i s m e e s t l o i n d ' ê t r e u n c a s i so lé d a n s l ' h i s t o i r e d u m o u v e -

m e n t d e s f e m m e s . Q u a n d o n voi t u n e S u z a n n e Voi lqu in a v o u e r

s o n m é p r i s p o u r les p r o s t i t u é e s o u u n e M a d e l e i n e P e l l e t i e r d i r e

s o n d é g o û t p o u r u n e c e r t a i n e l i be r t é s e x u e l l e , el les q u i s o n t à

l ' a v a n t - g a r d e d u m o u v e m e n t d ' é m a n c i p a t i o n , e t q u e l ' o n a c c u s e

e l l e s - m ê m e s d e l icence, o n c o n v i e n d r a q u e p o u r les mi l i t an tes , l a

r é v o l u t i o n n ' e s t p a s f o r c é m e n t u n j e u , u n e f ê t e o u u n p la i s i r , c ' e s t u n t r ava i l .

L e g r i e f l e p l u s r e m a r q u a b l e q u e J e a n n e B o u v i e r a d r e s s e a u x

r e s p o n s a b l e s d e l ' o r g a n i s a t i o n e s t l e u r r e f u s d e p r e n d r e e n

c o m p t e la c r é a t i o n d ' u n s y s t è m e d e p r é v e n t i o n soc i a l e ( r e t r a i t e s

1. Voir note 32, p. 273. 2. Cf. Souvenirs d'une fille du peuple, réédition F. Maspero. 3. Lettre à Arria Ly, 12 septembre 1932, BHVP, CP. 4248.

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ouvrières, assurances maladie etc...). On sait que d 'un côté l 'adhésion à un tel système — dont le point de départ est la loi de 1910 — revient à cautionner la politique réformiste d 'un gouver- nement bourgeois. De l 'autre côté, celui de Jeanne Bouvier, il s 'agit de protéger les travailleurs usés et vieillis p a r l ' intermé- diaire de l 'entraide sociale. Elle tente d ' adap te r le vieux mutuel- lisme aux conditions de l 'entreprise du XX siècle, ce qui n'est pas simple. Elle ne refuse pas a priori la collaboration Eta t /pa t ronat /c lasse ouvrière. Elle-même s'inscrit dès juillet 1911 au régime des retraites ouvrières. De fa i t la C G T mettra une dizaine d 'années à comprendre que ce système, p o u r imparfait qu 'il soit, constitue tant soit peu un embryon de justice sociale. Le rapport sur l 'unification des retraites que La Voix du peuple publie en mai 1919, soit neuf ans après le vote de la loi, est, à ce titre, significatif du changement d 'orientat ion de la centrale. Si la C G T a mené une violente campagne contre la loi, c'est, est-il dit, non pa r une opposition de principe, mais « p o u r obtenir une meilleure organisation et une répartition plus satisfaisante de ces retraites ». La disparité des régimes est un fac teu r de la division du prolétariat (notamment entre les fonctionnaires, les ouvriers, les paysans) que la centrale condamne vivement.

D 'au t re part , le concept d 'une protection p o u r la vieillesse seu- lement apparaî t insuffisant. Il f a u t lui substituer la notion d'invalidité, laquelle peut intervenir au cours de la vie de travail. « Notre opposition à la loi de 1910 porta i t essentiellement sur l 'organisation même du système. A ce moment nous ne voulions pas de la capitalisation, inéquitable et dangereuse ; nous récla- mions à sa place la répartition des versements effectués. Notre effort de demain devra s'exercer dans le même sens. Nous ne voulions pas davantage d 'un système à la gestion et au contrôle duquel la classe ouvrière demeurait étrangère et qui aboutissait, p a r voie de conséquence directe, à mettre entre les mains de l 'Etat seul les sommes énormes amassées au titre de versements

capitalisés. Demain encore, nous demanderons que les travail- leurs aient leur par t dans l 'administration des caisses d 'assuran- ces sociales . » Ce n'est pas aux travailleurs seuls qu ' incombe

1. Voir note 18, pp. 269-270. 2. La Voix du peuple, mai 1919, n° 5, pp. 326-329.

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l ' o b l i g a t i o n de p a r e r a u x r i sques de la vie p r o f e s s i o n n e l l e , ma i s à l a co l lec t iv i t é d e t r a v a i l t o u t en t i è re .

P e n d a n t q u e la c e n t r a l e m e s u r a i t a ins i le c h e m i n à p a r c o u r i r

p o u r u n e b o n n e lo i d e p r é v e n t i o n socia le , J e a n n e B o u v i e r calcu-

lai t le m a n q u e à g a g n e r d ' u n t r a v a i l l e u r q u i d e p u i s 1910 a u r a i t

su iv i les conse i l s d e s « m a u v a i s b e r g e r s », en r e f u s a n t d ' a d h é r e r

a u s y s t è m e en p l a c e . . . E t on p e u t lui f a i r e c o n f i a n c e q u a n t à

l ' e x a c t i t u d e d u c o m p t e !

L ' a u t r e g r i e f i m p o r t a n t c o n c e r n e la s y n d i c a l i s a t i o n f é m i n i n e et

les r e s p o n s a b i l i t é s d e s h o m m e s d e l ' o r g a n i s a t i o n d a n s cel le

a f f a i r e . « P e n d a n t la g u e r r e , les f e m m e s q u i a d h é r è r e n t au synd i -

ca t d e l e u r p r o f e s s i o n f u r e n t t rès n o m b r e u s e s . Un c o m i t é d u tra-

vail f é m i n i n a v a i t é t é c o n s t i t u é p o u r la p r o p a g a n d e , a f in d 'enga-

g e r les o u v r i è r e s à se s y n d i q u e r . P a r m i les n o u v e l l e s recrues , cer-

t a ines se m e t t a i e n t à l ' a v a n t - g a r d e d u s y n d i c a t e t ne d e m a n d a i e n t

q u ' à f a i r e d e l ' a c t i o n soc i a l e e t synd ica le . Ce r e n o u v e a u menait

r e n f o r c e r l ' a c t i o n s y n d i c a l e d ' a v a n t - g u e r r e . J e p e n s a i s q u e les

h o m m e s , en r e n t r a n t d a n s la vie civile, s a u r a i e n t a p p r é c i e r ce que

les f e m m e s a v a i e n t f a i t en l e u r a b s e n c e . J ' e s p é r a i s auss i q u e les

a n n é e s p a s s é e s d a n s les t r a n c h é e s a u r a i e n t f a i t d i s p a r a î t r e le sec-

t a r i s m e de ceux qui , d e 1910 à 1912, a v a i e n t f a i t une g u e r r e

a c h a r n é e a u x s y n d i c a t s f é m i n i n s q u i s i éga ien t à la B o u r s e d u tra-

vai l d e P a r i s [ . . . ] . L e s synd ica l i s t e s q u i r e v i n r e n t de la gue r r e

f u r e n t a u s s i s ec t a i r e s q u e leurs d e v a n c i e r s »

E n ce q u i c o n c e r n e la seu le f é d é r a t i o n de l ' h a b i l l e m e n t ,

F. B l u m a b ien m o n t r é d a n s s o n é t u d e q u e les a n a l y s e s de J e a n n e

B o u v i e r é t a i e n t f o r t j u s t e s : « P e n d a n t la guer re , une i m m e n s e

p r o p o r t i o n de la m a i n - d ' œ u v r e f é m i n i n e béné f i c i e à l ' e n s e m b l e

d u m o u v e m e n t synd ica l . A p r è s la gue r re , le r e t o u r des h o m m e s

c h a n g e la s i t u a t i o n e t d é t e r m i n e u n e a m b i a n c e g é n é r a l e de

c o n t r e - o f f e n s i v e [ . . . ] . L a sc i ss ion t o u c h e p a r t i c u l i è r e m e n t une

m a i n - d ' œ u v r e f é m i n i n e p e u po l i t i s ée . L e s crises, le c h ô m a g e

a f f e c t e n t p l u s p r o f o n d é m e n t la m a i n - d ' œ u v r e f é m i n i n e et, p a r

r é p e r c u s s i o n , le s y n d i c a l i s m e f é m i n i n . S u r d e s sa la i res d é j à insu f-

f i s a n t s , les ba i s ses s o n t d e p l u s g r a n d po ids . Les g r a n d e s greves

(1917, 1919, 1923. . . ) s o n t d e s m o m e n t s pr iv i lég ies où le s y n d i c a t

a t t e i n t e n f i n u n e o u v r i è r e a b s o r b é e d a n s la lutte. Mais les

1. Mémoires, pp. 13 7 -13 8.

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brusques flambées qui les accompagnent sont également suivies de retombées aussi brutales, surtout évidemment, et comme c'est le cas en 1923, si ces grèves sont partiellement des échecs »

L 'affiliation à un syndicat pose aux femmes les mêmes problè- mes qu'avant guerre : le montant de la cotisation impose un lourd sacrifice, le temps manque pour assister aux réunions, la culture politique fait défaut. Jeanne, elle-même, n'est-elle pas fortement désorientée à ses débuts au syndicat ? « Je fus dési- gnée dans une, puis dans plusieurs commissions. J'écoutais ce qui se disait. J 'y apportais toute mon attention : j 'avoue que je n'y comprenais rien, mais les autres auditeurs applaudissaient et je faisais comme eux. Lorsqu'il y avait de grandes réunions, j 'y assistais toujours et j'étais très attentive ; je tâchais de saisir la portée des nombreux discours que j'entendais. A cette époque il était presque toujours question de révolution, de grève générale, d'expropriation, de suppression du salariat. Je ne savais pas au juste ce que tout cela voulait dire, mais pour avoir l'air d'une "syndiquée à la hauteur" j'applaudissais aussi fort et avec autant de conviction que ceux qui m'entouraient . »

Si l'on se rapporte au seul critère de la composition des déléga- tions féminines aux congrès fédéraux, on constate que, tout comme la baisse du nombre des cotisations , la période qui débute en 1921 va connaître un recul considérable de la partici- pation des femmes. Au congrès de 1921, par exemple, on trouve 6 femmes déléguées pour 34 hommes, alors qu'à celui de 1919, on comptait 17 femmes pour 26 hommes. Tout conduit à penser que la CGT après la guerre a été très réticente devant l'entrée des femmes dans l'organisation « par peur sans doute de créer une organisation parallèle, susceptible de s'opposer aux décisions de la centrale, par peur sans doute de diviser une classe ouvrière qui pourtant l'est déjà objectivement . » Les prises de positions très « habiles » d'un Jouhaux donnent raison aux critiques amères de Jeanne Bouvier. Il est hostile à la création de comités féminins qui seraient des ferments de division à l'intérieur de la CGT. « Il

1. Françoise BLUM, op. cit., pp. 67-68. 2. Mémoires, p. 105. 3. Voir note 39, p. 274. 4. Françoise BLUM, op. cit., p. 106.

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p r é c o n i s e l a p r é s e n c e d e d é l é g u é e s d e l ' o r g a n i s a t i o n s y n d i c a l e a u

se in d e s a t e l i e r s r e g r o u p a n t d e s f e m m e s , l a c o n s t i t u t i o n d ' u n

c o m i t é d e p r o p a g a n d e f é m i n i n e p l u s p a r t i c u l i è r e m e n t c h a r g é

d ' a p p l i q u e r les d é c i s i o n s c o n f é d é r a l e s en m a t i è r e d e p r o p a g a n d e

f é m i n i n e » I l d é c l a r a i t , d a n s u n e d i s c u s s i o n in t e rne , le 2 0 sep-

t e m b r e 1924 : « I l f a u t c r é e r s u r u n p l a n s o l i d e n o s g r o u p e m e n t s

d ' a c t i o n g é n é r a l e e t q u ' i l y a i t d a n s c h a q u e u n i o n d é p a r t e m e n t a l e

ce q u i a é t é c r é é à l ' U n i o n d e s s y n d i c a t s d e la Seine, s o u s u n e

f o r m e p l u s c o n c r è t e p e u t - ê t r e , p l u s s i m p l e e n c o r e , d e s o r g a n i s a -

t i o n s q u i p e r m e t t e n t l ' é d u c a t i o n m i x t e d a n s le c a d r e d e s o r g a n i -

s a t i o n s synd ica l e s , q u i r e s t e n t c o n t r ô l a b l e s e t c o n t r ô l é e s p a r les

o r g a n i s a t i o n s synd ica l e s , o r g a n i s m e s q u i n ' a g i s s e n t q u ' e n r a i s o n

d e s d é c i s i o n s d e s o r g a n i s m e s r é g i o n a u x . J e c ro i s q u e c ' e s t s u r ce

t e r r a i n q u ' i l f a u t a l o r s se s e r v i r d e s m i l i t a n t e s f r é q u e n t a n t ces

g r o u p e m e n t s s p é c i a u x p o u r la p r o p a g a n d e p a r t i c u l i è r e a u x

f e m m e s . I l f a u t e s s a y e r [ . . . ] d ' a v o i r n o n p a s le m ê m e j o u r n i

d a n s la m ê m e s e m a i n e , m a i s à c e r t a i n e s é p o q u e s d e l ' a n n é e ,

u n e p r o p a g a n d e g é n é r a l e p l u s p a r t i c u l i è r e m e n t d i r i gée vers

l ' o r g a n i s a t i o n d e s f e m m e s , p r o p a g a n d e p o u r l a q u e l l e n o u s n o u s

s e r v i r i o n s d a n s l a p l u s l a r g e m e s u r e d e s é l é m e n t s f é m i n i n s d o n t

n o u s d i s p o s o n s , a p r è s a v o i r t r a c é le p r o g r a m m e d e ces mi l i t an -

tes, n o n p a s q u e n o u s d u s s i o n s les e n f e r m e r d a n s le c a d r e é t r o i t

d u p r o g r a m m e t r a c é p a r n o u s , m a i s n o u s d e v o n s l e u r d o n n e r les

p r i n c i p e s g é n é r a u x s u r l e sque l s e l les d o i v e n t é t a b l i r l e u r

a r g u m e n t a t i o n . »

A u f o n d d u p r o b l è m e , il y a l a c r a i n t e q u e la p r o p a g a n d e f é m i -

n i s t e e t s e s t h è m e s f a v o r i s ( s u f f r a g i s m e , d r o i t a u t r a v a i l

f é m i n i n . . . ) n e g a g n e n t d u t e r r a i n à l ' i n t é r i e u r d u synd ica t . C e f u t

é v i d e m m e n t le c a s p o u r J e a n n e B o u v i e r , d o n t o n voi t b i en à t ra- vers les M é m o i r e s le c o n s t a n t b a l a n c e m e n t e n t r e u n e c o n c e p t i o n

idéa l i s t e e t r é f o r m i s t e d u f é m i n i s m e e t l a f i d é l i t é , t o u t e s e n t i m e n -

ta le , a u c o n c e p t d e l u t t e d e classe, a v e c u n e é v o l u t i o n m a r q u é e

vers u n e s o r t e d ' é t h i q u e d e la b i e n f a i s a n c e socia le . C ' e s t p a r

l a F r o n d e , f i e f d e s f é m i n i s t e s b o u r g e o i s e s q u ' e l l e a r r i v e a u syn -

d i c a t r é v o l u t i o n n a i r e . E t elle y s o u t i e n t t rès vite d e s c a u s e s q u i

s o n t lo in d ' ê t r e p a r t a g é e s p a r l a C G T : r e f u s d ' u n s y s t è m e de

1. Ibid., p. 107. 2. La Voix du peuple, nov.-déc. 1924, cité par Françoise BLUM, p. 106.

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protection des f emmes travailleuses , nécessité du droit de vote : « j e compris alors dès 1899 que le féminisme est un tout : si telle question n'intéresse qu 'une catégorie de femmes, la solidarité doit exister p o u r obtenir les améliorations qui seront utiles à tou- tes ; le droi t de vote est indispensable p o u r fa i re cesser ces anomal ies . » E t c 'est au féminisme idéaliste qu'elle retourne après ses « 59 années d'activité industrielle, sociale et intellec- tuelle ». Les œuvres de bienfaisance et de charité att irent mainte- nant davantage celle qui était at tachée en 1910 à la promulgat ion d 'une bonne loi ouvrière sur les retraites et les assurances socia-

les. Le chemin parcouru est grand, mais il revient au po in t de départ. E t c 'est cet itinéraire qui, f inalement, nous est le p lus précieux. Jeanne Bouvier représente ce cas à peu près unique d 'une ouvrière inculte et isolée entrant à la CGT pa r les effets de la p ropagande féministe, y occupant un poste de responsabilité, y é tant souvent et longtemps écoutée, puis devenue suspecte en

de ses attaches sentimentales au milieu f é m i n i n . I l est permis d ' in terpréter ce chemin comme la tentative — à

moitié réussie — de récupérer toutes les fo rces polit iques et syndicales susceptibles de construire au tou r de la classe labo- rieuse un système global de défense contre les iniquités naturelles auxquelles les hasards de la naissance soumettent les individus. La mutuelliste de 1880, la gestionnaire de la loi de 1915, l 'adhé- rente au régime de la loi de 1920, la sympathisante des œuvres de bienfaisance féminine sont une seule et même f e m m e qui veut jeter, un p o n t entre deux mondes qu'elle essaie de réaccorder, celui du paupérisme et celui de la protect ion sociale, le second étant appelé à éliminer progressivement le premier. Aussi bien la relative sécurité qui entoure la vieillesse de Jeanne, si elle ne représente pas la situation qu'elle avait rêvée, lui permet du moins de mesurer le chemin parcouru sur le terrain social entre 1870 et 1940. E t ce n 'est pas sans émotion que l 'on relit ces

1. Voir note 26, p. 271. 2. Voir le chapitre inédit « Comment je suis devenue féministe » en annexe.

Ces divergences avec la ligne de la centrale n'expliquent-elles pas qu'elle ait renoncé à publier ce chapitre ?

3. Il faudrait considérer aussi ses plaidoyers féministes, contenus dans Les femmes pendant la Révolution.

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Lettres de Marie Guillot à Jeanne Bouvier

25 janvier 1920

Chère camarade, Vous êtes la seule femme qui fasse partie de la commission

administrative de la CGT. Je porte à votre connaissance la réponse suivante que je reçois de la CGT. « Sur la proposition de notre camarade Dumoulin, la CA de la CGT devra examiner dans une des ses prochaines réunions les modalités d'action de propagande à organiser, y compris l'organisation féminine. » Je ne doute pas de la bonne volonté de nos camarades hommes, mais il vous appartient plus particulièrement de veiller à l'exécu- tion des promesses de Lyon. Vous avez collaboré avec nous à Lyon à l'établissement de notre liste de revendications. Vous trouverez au numéro de septembre de La Voix du peuple, pp. 569-572 le rapport que j'ai présenté à la CGT après entente entre nous tous. J'espère que vous voudrez bien nous tenir au courant des discussions et des résultats ; cette question, d'une importance sociale extrêmement grande, nous tient à cœur, vous le savez. Amical bonjour.

8 juin 1920

Chère camarade, Revoilà un Congrès confédéral. Il s'agit de savoir où nous en

sommes au point de vue féminin. Vous qui êtes dans la place,

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voulez-vous établir notre bilan depuis septembre, en considérant ce que nous avions demandé. Vous me l'enverrez. On le publie- rait dans les journaux que lisent les syndiqués : chacun de son côté. Vous me direz si je dois dire qu'il vient de vous. Et on dirait ce qui reste d'urgent à obtenir. Je crois que le bilan est... mince. Non ? Voulez-vous faire ce petit recensement ? Joignez-y les réflexions qui seront utiles. Naturellement, nous considére- rons les choses uniquement du point de vue féminin, sans y mêler les questions de tendance. Bonne poignée de main.

Lettre de Jeanne Bouvier à Léon Jouhaux*

Paris, 21 octobre 1923

Monsieur Léon Jouhaux, Plusieurs camarades m'ayant fait des reproches de rester éloi-

gnée de la commission d'études féminines de l'UD de la Seine, je me suis fait déléguée par le Syndicat de la chemiserie-lingerie, cette délégation pourtant très naturelle, car il me semble que les syndicats ont le droit de déléguer la personne qui leur plaît à tel ou tel fonctions, quelque soit la nature de cette délégation, elle na pas eu le dont de plaire à une équipe qui s'emploie à m'éloi- gner de l'organisation ouvrière.

Aussitôt des combinaisons sont envisagées contre la déléguée de la chemiserie-lingerie. Les résultats de ces combinaisons sont communiquées par votre protégée Mlle Bouillot au bénéfice de laquelle vous m'avez fait dépenser 1 140 francs, c'est dire que votre protection est sans limite pour cette petite personne. Je dis donc que les combinaisons faites par Mlle Bouillot, d'accord avec le bureau de l'UD de la Seine, sont communiquées à une femme honnête, intelligente, courageuse, il faut qu'elle ait un certain courage pour oser élever la voix contre ceux qui commet- tent des malpropretés contre moi, cette femme c'est Marguerite Prévost, elle a protesté contre le procédé d'une équipe, elle a dit

* L 'or thographe a été respectée.

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aux membres présents et à Mlle Bouillot en particulier qu'elle préviendrait du mal que l'on voulait me faire. Madame Prévost ma demander de ne pas venir à la commission, elle ne pourrait pas continuer à venir à une commission où quelcun ce permet- trait de me faire des sottises. Cette femme courrageuse donne des leçons d'honnêteté à cette équipe qui deffend si apprement vos maîtresses puisque cet pour vos maîtresses à vous et à Dumoulin que toutes les saletés mont été faites.

Mi se au courrant des tartuferies de vos defenseur je nirais pas à la reunion de la commission d'études féminines qui se réunie le lundi 22 octobre. Je veux mettre le Syndicat de la chemiserie- lingerie au courrant des procédés que cette équipe emploie contre la déléguée de ce syndicat.

Maintenant je vous demande de vous reporter à une année de distance où nous avions une discussion sur les mêmes sujets que ceux qui font agir l'équipe en question, je vous disais tout ce qu'il y avait d'injuste, de malpropre de commettre de telle injus- tice a légard d'une femme qui a vieillie dans l'organisation ouvrière, qui a apportée là ce qu'elle pouvait, me laisser brimer, bafouée, mettre sur le pavé était une honte pour le prolétariat organiser car le plus abject des patrons ne font pas ça surtout que personne jusqu'à présent ne ma fait aucun reproche au point de vu syndical, j'ai toujours rempli tous mes devoirs de syndi- quée. Je suis probablement la plus ancienne syndiquée de la Con- fédération générale du travail, toutes les infamies sont bonne pour moi, l'équipe a remporter une grande victoire sur une vieille femme, cette victoire fait honte à la classe ouvrière. Vous me disiez dans cet entretien d'il y a un an que l'organisation ouvrière ferait son devoir, tout son devoir et vous ajoutiez dans un mois nous reparlerons de tout cela. Un mois une année ce sont passé vous n'avez pas trouver moyen de me reparler de tout cela, l'organisation est rester aussi muette que vous, seule l'équipe a montrée une très grande activité elle a même réussi dans bien des cas. Mais esque vous prendriez l'action et les réussites de cette équipe comme le devoir tout le devoir de l'organisation ouvrière, je vous demande quelques précisions à ce sujet.

Pendant cette même discution vous me proposiez de me rem- bourser les 1 140 francs que j'ai dépensé pour Mlle Bouillot, cette dépense étant faite sur votre intervention, je refusais en

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pensant que se refus qui représentait un très grand sacrifice de ma part, moi vieille et ne pouvant plus travailler, qu'il vous inci- terait à me deffendre contre les hostilités qui se manifestaient contre moi, hostilité qui n'avaient pas d 'autres motifs que la question de vos maîtresses, celle de Dumoulin et la vôtre. Vous n'avez rien faits pour moi, tout a été possible contre moi. Aujourd 'hui la mesure est comble. Je suis tellement écœurée de votre protégée que je ne peu plus supporter avoir dépensé tant d'argent sur votre intervention, moi qui suis obligée de me pri- ver. Je vous demande de me rembourser les 1 140 francs que vous me proposiez l 'année dernière.

Dans l 'attente d 'une prompte réponse recevez mont salut syndicaliste.

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Notes

1. L'acte de naissance de Jeanne Bouvier comporte une rature : 1855 est changé en 1865, mais il s'agit d'une erreur de transcription (fonds Bouvier, boîte 21 ).

2. Cette historiette naïve trouvera un écho lors de la vieillesse de Jeanne. Pen- dant son séjour à la maison de retraite de Neuilly, une de ses amies pensionnai- res, Hedwige Chrétien, met en musique cet événement :

Ma mère avait fait emplette D'une blanche statuette Mais moi petite Jeannette L'ai trouvée un peu pauvrette Lors je courus au jardin Pour chercher de belles fleurs Mais n'en trouvant pas un brin Suis revenue tout en pleurs.

Ce document, paroles et musique est conservé dans le fonds Bouvier, boîte n° 20, « divers », dossier n° 2.

3. Le goût de Jeanne pour les précisions chiffrées ne se dément jamais ; femme de dossiers, elle ne nous livre rien qui ne soit appuyé sur des éléments quantifiés ; cela donne au contenu narratif une caution non négligeable d'authen- ticité. L'auteur écrit cette partie en mai 1914, avec les préoccupations de vérité et de dévoilement qui sont les siennes à ce moment-là.

4. « L'agriculture dauphinoise vécut donc une période de prospérité jusqu'en 1873. Une crise survint alors, plus accentuée pour le blé que pour le vin. Elle s'interrompit vers 1878 et l'année 1882 fut exceptionnelle, pour les prix unitaires comme pour les valeurs globales. Succès sans lendemain, car la période 1882- 1895 connut une dépression profonde. Tous les produits furent touchés. La poly- culture ne fut donc pas un abri [...]. Pour la vigne cette diminution prit l'aspect d'une catastrophe car les destructions du phylloxéra s'ajoutèrent aux difficultés économiques. » (Pierre BARRAL, Le département de l'Isère sous la I I I Républi- que (1870-1940), Armand Colin, 1962, p. 124).

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5. De Bourgoin à Rives, la soierie recherchait au contraire la qualité la plus chère. Le département possédait la moitié des métiers contrôlés par la fabrique lyonnaise et une bonne part de l'impression [...]. La soierie dut faire face à une évolution brutale de la mode qui favorisait la laine. On adopta le "teint en piè- ces" ; on recourut aussi à la mécanisation, tout à fait selon le thème célèbre de Simiand (4 700 métiers mécaniques en 1878, 15 315 en 1900). Après une très mauvaise période, la décennie 1885-1895 connut un certain redressement » (P. BARRAL, op. cit., pp. 153-160).

6. Le « complexe du juridisme » trouve sans doute son origine dans ces peurs de l'enfant pauvre en face du visage implacable de la loi (du plus fort).

7. Entre 1850 et 1914, on compte environ un million de domestiques en France. Les domestiques femmes représentent 29 % des femmes actives en 1866, 38 % en 1896, 45 % en 1901 à Paris.

Voir sur cette question Theresa MAC BRIDE, The Domestic Revolution, Lon- dres 1976, Pierre GUIRAL et Guy THUILLIER, La vie quotidienne des domestiques en France au XIX siècle, Paris, Hachette, 1978 ; Anne MARTIN-FUGIER, La place des bonnes, Paris, Grasset, 1979 : Geneviève FRAISSE, Femmes toutes mains, Paris, Seuil, 1979 ; dossier « Employées de maison » à la bibliothèque Marguerite-Durand.

8. Louise Michel arrive en France par l'express de Dieppe le 9 novembre 1880. Malgré tous les efforts du préfet Andrieux pour contenir une foule exaltée, c'est presque une émeute. Incidents à la gare du Nord, à la Chaussée-d'Antin, échauf- fourées, arrestations. Tout le récit de Jeanne Bouvier indique la fascination qu'exerce sur elle le souvenir du Paris révolutionnaire. Mais c'est à titre de souve- nir exclusivement.

9. De son mariage avec la passementière Euphrasie Piégard, P.-J. Proudhon eut deux filles. Il s'agit sans doute ici de l'aînée, Catherine, née le 15 octobre 1850 et morte en 1947. Dans ses Carnets l'écrivain note : « Mes petites filles vont bien ; Catherine prend des forces [...] l'aînée a gagné régulièrement [...]. Ma fille aînée est un enfant de petit bois, nerveuse et lympathique, grimacière, espiègle, etc. La deuxième est grasse, sanguine, membrue » (cité par Daniel HALÉVY, Le mariage de Proudhon, Stock, 1955).

10. Victor Hugo ne mentionne pas cette rencontre dans ses Carnets pour cette période. Les rapports entre Proudhon et le poète furent tièdes. Le premier repro- chait au second son idéalisme républicain mais aussi son « immoralisme » (cf. Carnets de Pierre-Joseph Proudhon, tome 4, pp. 343-344) ; pour sa part, au 21 janvier 1865, V. Hugo écrit : « Proudhon est mort. Vrai talent, esprit faux. Il n'avait jamais fait que du tort à la République et du mal à la Révolution. Sa mort est une perte ; ce n'est pas un malheur. M. Proudhon, candidat sénateur évincé. Fruit sec de la turpitude » (Choses vues, Gallimard, Folio, tome 3 (1849-1869), 1972, p. 423).

II. Métier hautement qualifié, héritier d'anciennes traditions, la chapellerie nous est bien connue, dit Michelle PERROT, car les chapeliers sont des « travail- leurs férus d'archives et experts à l'écriture » (Les ouvriers en grève, tome 1, p. 374). La crise qui agite la profession à partir de la grande grève de Lyon de 1876 est due au remplacement du feutre par la laine et ensuite par la paille comme matériaux de confection. La Fédération nationale CGT de la chapellerie

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fut fondée en 1789. Elle progressa régulièrement jusqu ' en 1887 où elle comptai t 62 sections de 2 600 cotisants. Cette année-là, une grève éclata chez les chapeliers

de Romans qui constituaient le plus gros contingent de la profession. Elle

échoua. C'était alors une profession aux pièces, à dominante féminine. En 1925, les salaires iront « de 1 franc de l 'heure pour certaines catégories d 'ouvrières

(garnisseuses) à 4 et 5 francs pour certains travaux qui s 'exerçaient à Paris » (La C G T et le mouvement syndical, L 'Act ion internationale, 1925).

12. La loi du 2 novembre 1892 fut votée après 5 ans de discussion et de va-et-

vient entre les Chambres . Elle réglemente la durée de la journée de travail pour

les enfants et les adultes. Quelques mesures concernaient particulièrement les femmes : interdiction du travail de nuit, horaire maximum fixé à 11 heures quoti-

diennes entrecoupées de pauses d ' une durée totale de 1 heure (pour les femmes de

plus de 18 ans), extension aux femmes du repos hebdomadaire . La loi fut très inégalement respectée.

13. On peut évaluer avant la Première Guerre mondiale à environ 150 000 le nombre d ' individus emportés chaque année par la tuberculose. « Si, au XIX siè- cle le choléra a coûté à la France 400 000 citoyens, si la guerre depuis Marengo jusqu 'au Tonkin nous a enlevé 2 millions d ' hommes , pendant ce laps de temps, la tuberculose a détruit plus de 9 millions d ' hommes » (D'Haussonvil le , Défense individuelle contre la tuberculose). Après la guerre, la CGT se préoccupa de ce grand fléau social. Le Comité confédéral met cette question à l 'ordre du jour au début de 1919, et il en sera largement débat tu au X I V Congrès (Lyon, septembre 1919). Hazemann, directeur du dispensaire ant i tuberculeux de la Bataille, secré- taire du Syndicat de médecine sociale, dans une enquête de La Voix du peuple sur les fléaux sociaux (août 1919, n° 8), insiste sur les bases sociales de cette maladie

et propose quelques remèdes sociopolitiques pour l 'enrayer : « La disparit ion de la tuberculose [...] ne pourra être obtenue que par la suppression de l 'alcoolisme et de la syphilis, l 'application de la journée de 8 heures, l 'a t t r ibution d 'un mini- mum de salaire, l 'hygiène de l'atelier et du magasin, l 'utilisation rationnelle des loisirs, l 'habitat ion ouvrière disséminée à l 'air et au soleil. »

14. Marguerite Durand poussait à la syndicalisation des femmes, soit par leur entrée dans les organismes existants, soit par la création de syndicats spécifique- ment féminins, là où il n 'en existait pas. Elle a elle-même contribué à la création

de syndicats corporatistes qui furent d 'emblée suspects aux yeux des syndicalistes organisés. Voir en particulier les articles d 'Aline VALETTE (décembre 1896-janvier 1897) et de Clotilde DISSART (mars et septembre 1898) dans La Fronde, ainsi que la chronique de Marie BONNEVIAL.

15 Par la loi de 1884, les pouvoirs publics autorisent les syndicats à former des unions et des fédérations, mais obligation leur est faite de donner les noms des dirigeants. Des subventions sont ainsi allouées aux diverses Bourses du travail

pour assurer leur fonct ionnement . En 1890, les services de la Bourse sont complè- tement organisés, son budget annuel s'élève à 20 000 francs. Mais le droit de

regard de l 'Etat sur le f inancement, sa volonté de traquer les syndicats illégaux, sa tentative de janvier 1891 de nommer les candidats ouvriers, jusque-là élus, ren- dirent bientôt les relations très difficiles entre les partenaires. En 1892, après la constitution de la Bourse centrale (22 mai), une affiche révolutionnaire placardée sur les murs de Paris mentionne l 'affiliation de 270 syndicats ; or, 150 seulement

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s ' é t a i e n t c o n f o r m é s a u x p r e s c r i p t i o n s d e 1884, ce q u i r e n f o r ç a la s u r v e i l l a n c e d e

l ' E t a t . L e s m a n i f e s t a t i o n s d u 1 m a i 1893 m i r e n t le f e u a u x p o u d r e s : « L e p r é f e t

d e l a S e i n e i n v i t a les s y n d i c a t s à se c o n f o r m e r a u x p r e s c r i p t i o n s d e c e t t e loi . Il

l e u r d o n n e j u s q u ' a u 5 j u i n p o u r se s o u m e t t r e . Les s y n d i c a t s r e f u s e n t . P a r o r d r e

d u g o u v e r n e m e n t l a s u b v e n t i o n m e n s u e l l e d e j u i n n ' e s t p a s v e r s é e . L ' a g i t a t i o n

r é v o l u t i o n n a i r e c o n t i n u a n t , le m i n i s t r e d e l ' I n t é r i e u r , M . D u p u y , f e r m e la B o u r s e

l e 6 j u i l l e t 1893 . E l l e n e f u t r é o u v e r t e q u e le 11 a v r i l 1896 . D u r a n t c e t t e p é r i o d e

les s y n d i c a t s f o r m e n t u n e B o u r s e i n d é p e n d a n t e , d o n t le s i è g e est r u e d e B o n d y .

E l l e v é c u t d ' u n e v ie m i s é r a b l e e t n e g r o u p a q u ' u n e t r è s f a i b l e p a r t i e d e s s y n d i c a t s

p a r i s i e n s : 6 6 e n 1895 , 7 2 e n 1896 . L e 7 d é c e m b r e 1895 p a r a î t u n d é c r e t s t a t u a n t

s u r l ' o r g a n i s a t i o n d e l a B o u r s e d u t r a v a i l d e P a r i s . C ' e s t u n e s e c o n d e p é r i o d e q u i

c o m m e n c e : u n e p é r i o d e d e t u t e l l e g o u v e r n e m e n t a l e et m u n i c i p a l e , q u i su i t u n e

p é r i o d e d ' a u t o n o m i e p r e s q u e c o m p l è t e » ( C h a r l e s FRANCK, L e s B o u r s e s d u t r a -

v a i l e t l a C o n f é d é r a t i o n g é n é r a l e d u t r a v a i l , G i a r d e t B r i è r e , 1910, p p . 3 8 - 3 9 ) .

16. C ' e s t le c o m p a g n o n T o r t e l i e r q u i f i t le p l u s p o u r r é p a n d r e l ' i d é e d e g r è v e

g é n é r a l e d a n s les a n n é e s 1 8 8 7 - 1 8 9 0 . E n s u i t e le t h è m e f u t l a r g e m e n t r e p r i s p a r

F e r n a n d P e l l o u t i e r a u c o n g r è s o u v r i e r d e T o u r s d e s e p t e m b r e 1892 et l a m ê m e

a n n é e p a r A . B r i a n d a u V C o n g r è s n a t i o n a l d u P O F . P e l l o u t i e r e t B r i a n d r o m -

p e n t a v e c le P O F s u r c e t t e q u e s t i o n .

17. L e 2 0 j u i n 1901 l o r s d ' u n e r é u n i o n p r é p a r a t o i r e à l a m a i r i e d u L u x e m -

b o u r g , u n c o m i t é d e p a t r o n a g e et d e p r o p a g a n d e se c o n s t i t u e e n v u e d ' o r g a n i s e r

à P a r i s u n e E x p o s i t i o n i n t e r n a t i o n a l e d e s a r t s e t m é t i e r s f é m i n i n s . P a r m i les

7 6 m e m b r e s , h o m m e s et f e m m e s , d u c o m i t é , o n t r o u v e des f é m i n i s t e s b o u r g e o i -

ses c o m m e A s t i é d e V a l s a y r e , L y d i e M a r t i a l , J e a n n e S c h m a h l , a u s s i b i e n q u e d e s

f e m m e s p l u s e n g a g é e s à g a u c h e c o m m e C a r o l i n e K a u f f m a n n , p r é s i d e n t e d e

« S o l i d a r i t é d e s f e m m e s » e t m ê m e L o u i s e M i c h e l ( P a u l i n e S a v a r i , l a s e c r é t a i r e

g é n é r a l e d e l ' E x p o s i t i o n lu i d e m a n d e s a p a r t i c i p a t i o n d a n s 2 l e t t r e s c o n s e r v é e s à

l ' I n s t i t u t i n t e r n a t i o n a l d ' h i s t o i r e s o c i a l e d ' A m s t e r d a m ) . Il y a des l e t t r e s d e P a u -

l ine S a v a r i à J e a n n e B o u v i e r r e l a t i v e s à c e t t e m a n i f e s t a t i o n ( b o î t e 17, c o r r e s p o n -

d a n c e ) . L ' E x p o s i t i o n e u t l i eu à P a r i s d e m a i à o c t o b r e 1902. V o i c i l ' e x p o s é des

m o t i f s :

« — R e l e v e r le n i v e a u d e n o s i n d u s t r i e s p a r l ' é d u c a t i o n a r t i s t i q u e d e s a r t i s a n s ,

p a r l ' é m u l a t i o n c o n s t a n t e q u i r é s u l t e r a p o u r e u x d ' u n e e x p o s i t i o n p e r m a n e n t e , et

p a r le r e n o u v e l l e m e n t d e s p r o c é d é s a r t i s t i q u e s q u ' o n t d é p r i m é s l a c e n t r a l i s a t i o n

i n d u s t r i e l l e e t l a d i v i s i o n d u t r a v a i l ;

[ . . . ]

« — P r o t e s t e r c o n t r e c e t t e a r b i t r a i r e h i é r a r c h i e q u i p l a c e l ' o b j e t d ' a r t d ' u n

u s a g e c o u r a n t , c ' e s t - à - d i r e u t i l e , a u - d e s s o u s d e l ' œ u v r e d ' a r t s t r i c t e m e n t o r n e -

m e n t a l e ;

« — P r o t é g e r l a p r o d u c t i o n i n d u s t r i e l l e c o n t r e la d é p r é c i a t i o n p r o g r e s s i v e q u i

r é s u l t e d e l a g é n é r a l i s a t i o n e m p i r i q u e d u m a c h i n i s m e et d e s a b u s d e l a s p é c u l a -

t i o n q u i p o u s s e d e p l u s e n p l u s à la s u r p r o d u c t i o n , a u x d é p e n s d e la q u a l i t é d e s

p r o d u i t s et d e l ' i n t é r ê t g é n é r a l , t a n t c e l u i d e s p r o d u c t e u r s d o n t le s a l a i r e s ' a v i l i t ,

q u e c e l u i d e s c o n s o m m a t e u r s t r o m p é s s u r l a v a l e u r r ée l l e des o b j e t s ;

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« — R e s t a u r e r d a n s t o u t e s les i n d u s t r i e s et s p é c i a l e m e n t ce l les d u t i s s u et d u

m o b i l i e r l ' e m p l o i des c o u l e u r s o r g a n i q u e s si be l l e s , si d u r a b l e s q u e les s ièc les n ' e n

a l t è r e n t p a s l ' é c l a t , e n les s u b s t i t u a n t a u x c o u l e u r s c h i m i q u e s à la m o d e q u i s o n t

f u g i t i v e s , f a u s s e s p a r f o i s et t o u j o u r s t o x i q u e s , a u g r a n d d a n g e r des o u v r i e r s q u i

les e m p l o i e n t et d e s c o n s o m m a t e u r s a u x q u e l s elles s o n t d e s t i n é e s ; [ . . . ]

« — R e n d r e e n c o r e à n o t r e c o l o n i e a l g é r i e n n e la s p l e n d e u r q u ' e l l e a t t e i g n i t

s o u s l ' è r e m u s u l m a n e p a r la r e s t a u r a t i o n d e s i n d u s t r i e s i n d i g è n e s , la c é r a m i q u e ,

le t a p i s , l ' o r f è v r e r i e , la c u l t u r e d e s p l a n t e s t i n c t o r i a l e s , l ' é l e v a g e d e s m o u t o n s et

le t r a v a i l d e la l a i n e , i n d u s t r i e s p a t r i a r c a l e s , q u e l ' i n d i g è n e m e n a i t d e f r o n t , a u

v i l l age o u s o u s la t e n t e et a i n s i p a c i f i e r l ' A l g é r i e p a r le t r a v a i l ;

« — P l u s p r è s d e n o u s , a p p o r t e r , i m p o s e r a u t r a v a i l d e s c o n d i t i o n s p l u s é q u i t a -

b les , p lu s d i g n e s d ' u n e n a t i o n d é m o c r a t i q u e ;

« — A m e n e r , d a n s t o u t e s les i n d u s t r i e s q u i s ' y p r ê t e n t , u n r e n o u v e a u d ' a t e l i e r s

d e f a m i l l e , d e t r a v a i l a u f o y e r , e n f ace d e s a t e l i e r s c o m m u n s d e l ' u s i n e , d e s t r u c -

t i fs d e la s a n t é m o r a l e et p h y s i q u e , c o n t r a i r e s à t o u t e i n i t i a t i v e , à t o u t e i n d i v i d u a -

li té ;

« — P e r m e t t r e à l ' o u v r i e r et à l ' o u v r i è r e h a b i l e s , i n g é n i e u x , d e t r o u v e r d e s

d é b o u c h é s a u x p r o d u i t s d e l eu r i n t e l l i g e n c e et d e l eu r h a b i l e t é p r o f e s s i o n n e l l e s ,

les m e t t r e à m ê m e d e se d é f e n d r e c o n t r e l ' i n t e r m é d i a i r e o n é r e u x , d e s p o t i q u e , d e

g o û t d é p l o r a b l e et a s s u j e t t i s o u v e n t à d e s i n f l u e n c e s é t r a n g è r e s à l ' a r t ;

« — A s s u r e r e n f i n l ' i n d é p e n d a n c e é c o n o m i q u e d e l ' i n d i v i d u q u e l q u e soi t s o n

sexe et r é a l i s e r a i n s i ce t a r t i c l e f o n d a m e n t a l d e n o s C a h i e r s f é m i n i s t e s : A t r a v a i l

é g a l , s a l a i r e éga l ;

« — E n u n m o t r é p a n d r e u n p e u d e j u s t i c e et d e s é r é n i t é s u r ce m o n d e d u t r a -

vai l si m é c o n n u , si d i g n e d ' i n t é r ê t , q u i es t le g r a n d f a c t e u r d e la g r a n d e u r m o r a l e d e la F r a n c e . »

V o i r é g a l e m e n t en a n n e x e le p l a n m é t h o d i q u e d e l ' E x p o s i t i o n .

18. C e t t e q u e s t i o n e x t r ê m e m e n t c o m p l e x e d e s r e t r a i t e s o u v r i è r e s m é r i t e r a i t d e s

p a g e s d e d é v e l o p p e m e n t . E s s a y o n s d ' a l l e r à l ' e s s e n t i e l .

Il est c l a i r t o u t d ' a b o r d q u e les l e n t e u r s f r a n ç a i s e s d a n s l ' o r g a n i s a t i o n d ' u n e

l é g i s l a t i o n d e p r o t e c t i o n o u v r i è r e ( l ' A l l e m a g n e et d ' a u t r e s p a y s e u r o p é e n s s o n t e n

a v a n c e s u r n o u s ) p r o v i e n n e n t des c o n d i t i o n s t o u t à f a i t s p é c i f i q u e s d e n o s l u t t e s

s o c i a l e s et d e s r a p p o r t s t r è s p a r t i c u l i e r s q u i e x i s t e n t e n t r e le p a t r o n a t , l a c l a s s e

o u v r i è r e et l ' E t a t . Les p e n s e u r s l i b é r a u x , les é c o n o m i s t e s b o u r g e o i s c r a i g n a i e n t

q u ' u n s y s t è m e d ' a s s i s t a n c e o r g a n i s é e n e c o n d u i s e , s e l o n l a loi m a l t h u s i e n n e , à

l ' a p p a u v r i s s e m e n t g é n é r a l d e la c l a s s e l a b o r i e u s e . C e r t a i n s , p l u s m o r a l i s t e s , y

v o y a i e n t u n e n c o u r a g e m e n t à la p a r e s s e , d ' a u t r e s p a r l a i e n t d e v i o l a t i o n d e l a

s a c r o - s a i n t e l i b e r t é i n d i v i d u e l l e , d ' a u t r e s , e n f i n , c r a i g n a i e n t p o u r l e u r s f i n a n c e s ,

le s y s t è m e d e v a n t ê t r e f i n a n c é à la fo i s p a r d e s c o t i s a t i o n s p a t r o n a l e s et des c o t i - s a t i o n s o u v r i è r e s .

A g a u c h e , si la m é f i a n c e es t q u a s i g é n é r a l e e n f a c e d ' u n e i n t e r v e n t i o n d e l ' E t a t

et d u p a t r o n a t d a n s les p r o f e s s i o n s , c e r t a i n e s f o r c e s a c c e p t e n t d e j o u e r le j e u et

d ' a u t r e s r e f u s e n t a p r i o r i l e u r c o l l a b o r a t i o n .

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Ainsi verra-t-on un Vaillant, un Jaurès apporter un soutien très critique, mais un soutien tout de même au projet de loi de 1901, puis de 1910. Ils pensaient que la loi n'était pas excellente, mais qu'il leur appartenait de la faire voter pour pou- voir ensuite l'améliorer. En revanche, la CGT, comme l'indique Jeanne Bouvier, y est particulièrement hostile. Voici la réponse de la centrale à l'enquête organisée par le ministre du Commerce Millerand en juillet 1901, alors que le projet des retraites ouvrières est en discussion à la Chambre :

« [...] Le conseil de la Confédération générale du travail déclare :

1. Que le premier devoir d'un gouvernement démocratique est d'assurer l'exis- tence des travailleurs des deux sexes, âgés ou dans l'incapacité de travailler ;

2. Que le projet actuellement en discussion à la Chambre ne saurait en aucune façon donner satisfaction aux légitimes aspirations du prolétariat en raison des charges considérables qu'il fait peser sur ce dernier ;

3. Repousser — étant donné l'insuffisance générale des salaires — tout projet basé sur les cotisations ouvrières et patronales ;

4. Repousser tout projet qui ne serait pas applicable aux étrangers résidant en France ;

5. Laisser au législateur le soin de trouver les ressources nécessaires pour instituer les retraites ouvrières et attendre le dépôt d'un autre projet de loi pour se pronon- cer à nouveau. » (In Paul GUIEYSSE, Documents sur l'enquête, 1901, cité par Henri HATZFELD, Du paupérisme à la Sécurité sociale, Armand Colin, 1971, p. 232).

Même attitude en 1909, alors que les travaux parlementaires touchent à leur fin — la loi sera votée le 5 avril 1910. Une campagne se développe contre la loi : « Circulaire invitant les organisations confédérées à se prononcer contre le projet de loi ; affiches et tracts ; meetings de protestation organisés dans plus de 70 vil- les ; numéros spéciaux de La Voix du Peuple ; affiche dessinée par Grandjouan et éditée ensuite sous forme de carte postale » (H. HATZFELD, op. cit., p. 236). On pouvait lire sur cette affiche, en gros titre « L'escroquerie des retraites ! », une longue explication chiffrée sur l'escroquerie de la taxe patronale « fournie par le travail exploité », une dénonciation de la capitalisation, de l'âge trop avancé de l'entrée en jouissance et du taux dérisoire de la retraite.

Au XVII Congrès de la CGT (Toulouse, 3-9 octobre 1910), c'est la motion Jouhaux hostile au projet qui recueille une écrasante majorité (1 049 voix). La motion Niel n'en totalise que 231.

Comme le dit justement H. HATZFELD, « le problème des retraites est apprécié dans le cadre d'une idéologie globale. C'est elle qui entraîne à dire — a priori en quelque sorte — qu'il n'y a rien à attendre de la démocratie bourgeoise et que les meilleures réformes qu'elle soit capable de faire, n'auront d'autres résultats que de tromper les ouvriers et de les détourner de l'action révolutionnaire, unique voie de salut pour eux » (op. cit., p. 241).

19. Jeanne est alors tout entière tournée vers l'amélioration de sa situation personnelle, mais elle n'en parle pas dans ses Mémoires. Dès 1913, elle multiplie

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lettres et démarches pour obtenir un emploi dans une administration : février 1913, elle sollicite un emploi de dame téléphoniste ; 25 juin 1913, elle demande un emploi de gérante de cabine téléphonique ; le 28 juin, un emploi à l'Atelier du timbre ; le 21 février 1914, elle postule pour un emploi de dame visiteuse et le 23 juin 1915, elle demande l'attribution d'un débit de tabac. Dans tous les cas, l'administration lui oppose un refus. Mais toutes ces demandes vont dans le sens permanent d'une recherche de la sécurité chez elle (fonds Bouvier, « Correspon- dance »).

20. Jeanne Bouvier retient peu de chose de l'activité féminine syndicale et poli- tique contre la guerre, c'est l'aspect humanitaire seulement qui l'intéresse. Elle ne dit rien des minoritaires pacifistes de la CGT, rien sur les institutrices pacifistes qu'elle a dû rencontrer à la LIFPL, etc.

21. Il y a des lettres de Jeanne Bouvier à Mary Dingman dans le fonds, et des lettres adressées à elle, datées de 1921, 1924, 1927 et 1936 (boîte 17, « Correspon- dance »).

22. C'est la Ligue syndicale nationale des femmes d'Amérique qui, lors de son VII Congrès (2-7 juin 1919) décida d'appeler à un Congrès international du tra- vail féminin dans le cadre de la Conférence internationale du travail réunie à Washington du 28 octobre au 30 novembre 1919.

23. A l'issue du Congrès fut constituée une Organisation internationale du tra- vail féminin présidée par les Américaines Raymond Robins et Maud Swartz. 5 vice-présidentes furent élues, dont Jeanne Bouvier.

24. Il s'agit de la troisième question de l'ordre du jour de la Conférence, trai- tée ici en Congrès. En voici quelques détails.

Travail des femmes (III question de la Conférence de Washington). Emploi des femmes avant et après l'accouchement. Législation et coutumes présentes :

1. a) Quelles restrictions sont présentement imposées par voie légale ou adminis- trative ? b) A quelles sortes d'emplois s'appliquent ces restrictions ? c) Quelle est la période de restriction prévue pour chaque cas particulier ?

2. Quelle réglementation, s'il y en a, est prévue pour les soins de la mère et de l'enfant pendant la période à laquelle s'appliquent les restrictions ? On demande que tous les détails sur de telles réglementations puissent être donnés, en particu- lier en ce qui concerne les allocations sur les fonds publics ou selon un système d'assurances d'Etat, ou de tout autre manière ; la nature même de la réglementa- tion ; les conditions auxquelles elle est soumise, etc. Propositions envisagées en ce moment.

3. Prière de fournir tous les renseignements relatifs à tout projet de législation nouvelle qui aurait pu être présenté par les pouvoirs publics au Parlement, avec le texte de ces propositions. Observations. (La Voix du Peuple n° 8, août 1919).

25. La première mission internationale de Jeanne Bouvier est pour elle l'occa- sion de multiplier les contacts avec les déléguées étrangères. Voir à ce sujet son importante correspondance internationale dans le fonds (boîte 17, dossier n° 3).

26. C'est la partie B de la I I I question vue précédemment (note 24). Elle était formulée ainsi : la Convention de Berne (1906) a-t-elle été ratifiée ? Sinon, le gouvernement est-il disposé à y adhérer (La Voix du peuple, n° 8, août 1919). Il

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est fondamental de comprendre ici que cette question de l'égalité entre travailleu- ses et travailleurs en matière de protection, sépare catégoriquement les milieux syndicalistes et les milieux féministes. Jeanne Bouvier se rapproche beaucoup de ces derniers lorsqu'elle n'accepte pas que l'on écarte les femmes de certains emplois sous prétexte de protection. Elle déclare au Congrès CGT de 1919 : « Il y a eu le travail de nuit pour les femmes, nous sommes pour la suppression de tous les travaux de nuit, quel que soit le sexe qui doit l'exécuter ; il est pénible de pen- ser que nous avons en France certains métiers qui sont interdits aux femmes parce qu'ils sont des métiers de nuit. Je ne fais pas de distinction ; s'il est insalu- bre, il doit être interdit de jour et de nuit » (Compte rendu du X I Congrès de la Fédération d'industrie des travailleurs de l'habillement, cité par Françoise BLUM, Les femmes dans la Fédération de l'habillement de 1914 à 1935, p. 122).

27. C'est le chapitre XIII du traité de Versailles qui réglemente l'Organisation internationale du travail (OIT), et propose les réformes à réaliser dans le futur dans les domaines de la journée de travail, du salaire, de la garantie de l'emploi, des libertés syndicales... La participation de Léon Jouhaux à la rédaction des articles de ce chapitre est importante. « C'est au développement de l'OIT qu'à partir de 1919 il rattache ses efforts de transformation des rapports sociaux » (B. GEORGES, D. TINTANT, M.-A. RENAULD, Léon Jouhaux dans le mouvement syndical français, PUF, 1979, p. 66). Bien que ce fût Albert Thomas qui ait été nommé directeur du Bureau international du travail (BIT), c'est L. Jouhaux qui participera à la Conférence de Washington ; « Il donnait volontiers à entendre que le BIT était son œuvre » (ibid., p. 66).

28. Voilà donc le point de départ de la brouille entre Jeanne Bouvier et le secrétaire général de la CGT.

29. Les statistiques officielles du ministère du Travail font état en 1920 de 239 000 syndiquées, soit 15 % du taux général de syndicalisation contre 8,7 en 1914 (statistiques bibliothèque Marguerite Durand et Madeleine Guilbert, Les

femmes et l'organisation syndicale avant 1914, CNRS, 1966, p. 29). 30. C'est grâce à Marguerite Durand et ses amies de La Fronde que le concept

de syndicalisme féminin progressa, avant-guerre. Les féministes présidèrent à la création de 4 syndicats féminins autonomes : femmes typographes, sténodactylo- graphes, caissières-comptables et fleuristes-plumassières. L'attrait qu'exerce le modèle américain sur Jeanne Bouvier indique clairement qu'elle est favorable à ce type de syndicalisme, mais elle se place du même coup en marge de l'organisa- tion. Au Congrès confédéral de Lyon (septembre 1919), Marie Guillot, Jeanne Bouvier et quelques autres déléguées femmes avaient rédigé un cahier de revendi- cations à satisfaire dans le cadre syndical. Marie Guillot avait préparé un rapport sur l'organisation syndicale des femmes. Habilement présenté, il donnait l'illu- sion d'une certaine autonomie tout en maintenant les troupes au bercail. L'annee suivante, dans 2 lettres à Jeanne Bouvier (voir en annexe), Marie Guillot la relance sur cette question, tout en constatant l'échec relatif de la prise en compte des intérêts féminins au sein de la CGT. En 1922, la Fédération syndicale interna tionale adresse à la centrale un questionnaire sur l'organisation du travail fémi- nin. La question principale est la suivante : « Jugez-vous recommandable la créa- tion d'un Secrétariat du travail féminin, non sous la forme d'organisation auto- nome, mais sous celle d'organes consultatifs des centrales nationales ? »

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De même, à l'issue du Congrès international des femmes travailleuses tenu à Genève en 1922, un mémoire cégétiste fait le point sur la position officielle de la centrale, dénonçant les tentatives de syndicalisation autonome des femmes. « Son désir est de voir les hommes et les femmes organisés ensemble dans les mêmes

syndicats » (La Voix du Peuple, août 1922). On voit que la situation a peu évolué depuis la fin de la guerre.

31. Des documents sur ce Congrès se trouvent dans la boîte n° 23, dossiers 2 et 3. Mais la documentation la plus complète se trouve dans le sous-fonds Henriette Coulmy qui, comme Jeanne Bouvier appartenait à la Fédération de l'habille- ment. Sur les rapports J.-B. Coulmy-Jeanne Bouvier, voir la correspondance de cette dernière.

32. Jusqu'à quel point peut-on suivre Jeanne Bouvier dans ce raisonnement ? N'est-elle pas victime d'une espèce de sentiment de persécution ? Signalons d'une part que la personnalité de Léon Jouhaux est des plus controversées. Son machisme a été confirmé par de nombreux témoins et ses biographes parlent de l'aspect contradictoire de sa personnalité. « Il affiche, parfois volontairement, un comportement en dehors des règles de vie de la société bourgeoise » (B. GEOR- GES, D. TINTANT, M.-A. RENAULD, op. cit., p. 25). Il vit longtemps en union libre avec une ouvrière d'Aubervilliers, Catherine Metternich, dite « Louise », qu'il épousera en 1904, puis qu'il quitte en 1919 et dont il ne divorcera qu'en 1945. Entre-temps de nombreuses liaisons orageuses attirent l'attention sur sa vie privée. Il épousera Augusta Bruchlen qui détient toujours les archives personnel- les consultées par ses biographes.

33. Sur la liste des 35 membres titulaires et 7 suppléants à élire à la CA pour le XXIII Congrès national corporatif (XVII de la CGT) réuni les 30 janvier- 2 février 1923, Jeanne Bouvier figure effectivement comme sortante, mais ce qui est intéressant à noter, c'est que lors de l'élection, sur 100 votants, bien que sor- tante, elle recueille 35 voix, ce qui semble confirmer que son audience était restée intacte parmi les militants (Jeanne Chevenard n'obtient qu'une voix). A la même élection, Reingenbach obtient 94 voix ; il sera élu secrétaire de la Fédération de l'habillement. L'original de la lettre citée ici se trouve dans le fonds au dossier « Correspondance syndicale ».

34. Il est bien vrai que c'est la non-réélection de Jeanne à la CA qui inaugure la série de ses évictions, car, en décembre 1922, elle fait encore partie de la délé- gation pour le Congrès de la Paix de La Haye, au titre de la Fédération interna- tionale des travailleuses (La Voix du Peuple, janvier 1923). Sur ses relations per- sonnelles avec Léon Jouhaux, les archives renferment une lettre fort importante que nous donnons en annexe.

35. Les femmes déléguées par la CA au Congrès de Vienne sont Jeanne Cheve- nard et Suzanne Lion. La première est la vraie « concurrente » de Jeanne Bou- vier ; c'est une femme d'envergure. Pacifiste radicale, elle fait ses premières armes lors de la grève des midinettes à Lyon en 1917 : elle se couche sur les rails pour empêcher les trains de partir au front. Au sein de la CGT, elle est déléguée à la propagande féminine et rapporteur des questions féminines aux Congrès de la Fédération. Elle écrit dans le journal L'ouvrier de l'habillement et elle est mem- bre de la SDN. Dans plusieurs de ses lettres, Jeanne Bouvier lui reproche de ne pas traiter les questions à fond. Quant à Suzanne Lion, Françoise BLUM (op. cit.,

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p. 85) la présente comme une véritable « femme de masse, déléguée à la propa- gande [et qui] joue un rôle considérable lors des grandes grèves de la couture parisienne de 1923 ».

36. Jeanne Bouvier est une pacifiste sentimentale. Bien qu'elle ait appartenu à la section française du Comité international pour une paix permanente (qui deviendra ensuite la LIFPL) fondé en 1915 à l'issue du Congrès de La Haye, elle n'y a jamais joué un rôle militant ; c'est sans doute son amitié pour la présidente Gabrielle Duchêne qui lui vaut de se trouver là. Il y a des lettres de Jeanne Bou- vier à Gabrielle Duchêne dans le fonds mais elles sont tardives (1931- 1935) et des lettres de Gabrielle Duchêne à Jeanne Bouvier (sans date). La correspondance de Gabrielle Duchêne se trouve dans le fonds qui lui est réservé à la BDIC de Nan- terre.

37. Jeanne Bouvier a 42 ans. Cette remarque en dit long sur sa situation affec- tive au sein du mouvement. Elle est en général assez avare de confidences.

38. On trouvera des précisions supplémentaires sur cette question dans la cor- respondance de Jeanne Bouvier avec Marion Philipps, secrétaire de la Fédération internationale des travailleuses (1922-1923, dossier n° 3, « Correspondance syndicale internationale »).

39. C'était, on l'a vu, la position médiane, prudente, des « féministes » de la CGT. « En 1917, note Françoise Blum, le Bureau fédéral comporte une femme sur 6 membres. Mme Geoffroy est trésorière. C'est peu, d'autant plus que nous sommes, avec la guerre, à un moment où la présence féminine ne peut que s'accentuer. La commission administrative provisoire, désignée au lendemain de la réorganisation fédérale compte une majorité de femmes : 5 femmes sur 9 mem- bres, soit Jeanne Bouvier (chemiserie-lingerie), Mme Dussauge (ganterie en tis- sus), Mme Bouillot (broderie), Marie Dumas (parapluies), Mme Rougé (fleurs et plumes). En 1919, aux lendemains de la guerre, le Bureau fédéral comporte encore une femme trésorière, Jeanne Philippe. Au Conseil national fédéral tenu à Paris les 11 et 12 avril 1920, sur 11 délégués régionaux, 4 sont des femmes : Augier, Chevenard, Lion, Bouvier. La proportion est nettement plus réduite en ce qui concerne la commission exécutive (avril 1920). On y trouve 2 femmes seu- lement sur 9 délégués, ces 2 femmes étant Geoffroy et Bouillot. Toujours à la même date, la part faite aux femmes parmi les délégués régionaux est encore plus minoritaire ; 3 femmes seulement sur 12 (Augier, Lion, Bouvier). A la Fédéra- tion, on est cependant conscient du faible pourcentage de femmes présentes dans les organismes dirigeants, et, tout au moins dans les Congrès dépouillés ce sont des femmes qui se soucient le plus de la représentation féminine, qui parlent en tant que femmes, pour des femmes. Ainsi intervient Jeanne Chevenard au Con- grès de 1921, à propos de la représentation féminine à la Fédération : « Je for- mule un vœu. Dans les organisations où l'envoi de 2 délégués pourra se faire, je demande qu'une femme soit désignée comme déléguée suppléante. » D'ailleurs on va effectivement retrouver plus de femmes suppléantes que déléguées à part entière. En 1919, le rapport sur l'organisation de la propagande demande la nomination de 2 délégués dont 1 femme, guidé par la préoccupation constam- ment mise en avant par les militantes que les femmes touchent, atteignent mieux les femmes » (op. cit., pp. 72-73).

40. Cette tirade montre, s'il en était encore besoin comment aux alentours de

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1925, le féminisme de Jeanne Bouvier se radicalise, en même temps qu'elle s'éloi- gne de l'organisation. La position de sexe prend le dessus sur la situation de classe. Voir le chapitre inédit de ses Mémoires, en fin d'ouvrage « Comment je suis devenue féministe ».

41. La constitution des archives de l'Office du travail à domicile est la grande affaire de Jeanne Bouvier à ce moment-là. Personne ne connaît mieux qu'elle les dossiers à partir de 1915. Signalons cependant qu'elle n'est que simple membre de l'Office. Avec Gabrielle Duchêne, qui dirige en 1913 la section Travail au Conseil national des femmes françaises, elle est à l'origine de la loi de 1915 qui crée l'Office. Les boîtes 18 et 19 du fonds renferment plus de 1 200 folios sur cette question qui mériterait à elle seule un volume. Voici l'inventaire sommaire de ces boites :

Boîte 18 : notes et réflexions — projets de discours — réunions publiques, meetings — préparation de la loi de 1915 — création et activités de l'Office jusqu'en 1930 — projets d'amélioration de la loi de 1915 — brouillons de corres- pondance avec les organismes officiels.

Boîte 19 : correspondance ayant trait à l'office (1915-1933) — loi de 1915, documents parlementaires et ministériels — 93 articles de journaux — enquête sur le travail à domicile (1913-1914) — statuts — jugements de prud'hommes — papiers divers.

On consultera aussi en contrepoint à la BDIC de Nanterre le fonds Gabrielle Duchêne Fol. X Rés. 214 et 215 (travail des femmes 1908-1920 et 1909-1923). Fol. X Rés. 261/1-6 (travail 1913-1931).

Sur la loi de 1915 elle-même, il existe une bonne documentation imprimée, voir Jeanne ODRY, Application de la loi du 10 juillet 1915, thèse pour le doctorat en sciences politiques, Paris, 1924. Jeanne Bouvier est en correspondance avec J. Odry.

Sur le fond, on peut être d'accord avec l'analyse de Françoise Blum : « Cette loi est fondamentalement nouvelle, mais n'en a pas moins un certain nombre de faiblesses. Elle se présente un peu comme une mesure d'exception liée aux cir- constances, sans que des sanctions sévères soient prévues pour sa violation. Elle est difficilement applicable, ne serait-ce qu'en ce qui concerne l'établissement des prix de façon et subira de multiples entorses. Cependant, il faut souligner l'importance de l'existence même de la loi, première législation en faveur des ouvrières à domicile. S'il est possible de l'étendre par décret à d'autres industries, et d'en faire bénéficier par extension les salariés masculins, elle concerne au départ les seules ouvrières. Elle est insuffisante certes, mais c'est son insuffisance même qui va en faire le pivot des revendications syndicales en matière de travail à domicile. C'est de plus la seule mesure importante concernant les ouvrières à domicile de toute la période 1914-1945 [...] mais elle a un impact pratiquement nul sur les salaires des ouvrières en atelier » (op. cit., p. 50).

42. Il s'agit de Gaston Reingenbach, celui qui remplaça Jeanne Bouvier au secrétariat de la Fédération de l'habillement à la suite du Congrès de 1923 (voir note 33). Il y a une lettre de Jeanne à Reingenbach dans le fonds (boîte 19, dos- sier 1). Voir également dans le fonds Henriette Coulmy la correspondance Reingenbach-Coulmy, ainsi que le rapport de la Fédération de l'habillement signé Reingenbach (1920) dans le dossier « circulaires ».

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43. Sur cette question, voir dans le fonds Bouvier (correspondance) 4 lettres aux autorités militaires datées de 1935-1936, 14 lettres à Mme Bérouard, secré- taire de la Fédération des ouvrières confectionneuses militaires (1929-1932).

44. Voir la note 19.

45. Il y a une note dans les papiers de Jeanne Bouvier dressant une liste de « ce que l'on voit défiler devant une commission paritaire : des souteneurs, des prostitués des 2 sexes, des voleurs libérés, des malades, des aliénés en convales- cence, des veuves et des divorcées, des femmes abandonnées, des filles-mères, des mineurs, des vieux, des ivrognes, des gens qui ont des moyens d'existence, des gens venant de la province, des industriels et commerçants en déconfiture après avoir tanter (sic) la fortune ».

46. Les dispositions de l'article 340 du Code civil interdisent la recherche de la paternité, sauf en cas de rapt et enlèvement, mais la jurisprudence a pu atténuer les rigueurs de la loi, notamment par l'octroi d'une réparation pécuniaire du séducteur à la victime. Cependant, vers la fin du siècle, la législation ne corres- pond plus à l'évolution des mœurs qui demande que l'on se préoccupe davantage de l'enfant, puis, plus tard, de la mère (on connaît le rôle joué par Alexandre Dumas fils dans ce débat). En 1878, le sénateur Béranger déposait au Sénat un premier projet de loi visant à étendre les cas légitimes de recherche. En 1883, Gustave Rivet, jeune député de l'Isère, dépose, à son tour un projet, sans succès. Il le représente à la Chambre en 1890 puis en 1895. En 1900, Viviani est favorable au projet, mais aucune suite n'est donnée. En 1903, un autre projet est déposé par Marcel Sembat d'après des vœux émis par le Groupe français d'études fémi- nistes et par le Conseil national des femmes. C'est finalement le projet Rivet réa- ménagé qui aboutit à la loi votée le 10 novembre 1912. Par elle la recherche de paternité est permise dans des cas très précis : viol, enlèvement et séquestration. Des preuves écrites sont exigées, à moins de concubinage notoire. Enfin est régle- mentée la contribution pécuniaire du père à l'entretien de l'enfant. Ajoutons que cette loi très insuffisante excluait les femmes indigènes des colonies et pouvait aboutir à l'inculpation du plaideur en cas d'insuffisance de preuves (assimilation au chantage). Ces dispositions restrictives amenèrent nombre de féministes à ne pas cautionner la loi (voir entre autres les grands Congrès du début du siècle, en particulier celui du Droit civil et du suffrage des femmes de juin 1908).

47. Une note manuscrite trouvée dans le fonds Bouvier cite quelques exemples de certificat de complaisance : « Un chômeur muni d'un certificat de valet de chambre d'hôtel, délivré par son père, propriétaire de l'hôtel qu'il vient de ven- dre avec 80 000 francs de bénéfice ; ce chômeur serait un révoqué du service douanier ; l'enquêteur l'a vu dans ce costume. Une chômeuse, ne pouvant four- nir de certificat au début d'octobre, la commission supérieure du chômage con- firme la décision de la commission paritaire. Vers décembre, cette même chô- meuse se présente à nouveau pour se faire inscrire au chômage ; elle est envoyée devant la commission paritaire parce qu'elle produisait un certificat de juillet. Or, de 2 choses l'une : ou elle travaillait pendant qu'elle demandait le chômage ou son certificat était un certificat de complaisance. Une chômeuse se présente munie d'un certificat en règle ; or, le résultat de l'enquête, figurant à son dossier, portait : "Se livre à la prostitution et vit avec un souteneur." Un industriel n'avait donc pas hésité à faire un certificat de complaisance à cette prostituée. »

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Jeanne Bouvier n'a pas cru bon de reproduire ces exemples dans ses Mémoi- res ; ne se sent-elle pas coupable de trop d'intransigeance ?

48. Un tract émanant de la cellule communiste du Haut Montmartre (la Butte rouge), datant de juillet 1933 lui impute la responsabilité directe dans le suicide d'une chômeuse. Elle n'en parle pas ici (fonds Bouvier).

49. Voilà donc le fond de l'histoire : légalisme forcené contre démagogie ! Qui a raison ? Et pouvons-nous seulement juger ? J'ai retrouvé dans les archives de Jeanne Bouvier une de ces fameuses instructions de l'Assistance publique, visant à la « détermination de la qualité de chômeur ». Voir ce document en annexe.

50. C'est ici le moment le plus violent de la querelle. Un tract de la même cel- lule communiste de la Butte rouge atteint, en mars 1934, les sommets de l'indé- cence ; on peut y lire : « Le 10 bis de la rue Antoinette est un repaire de bandits fascistes [...] émules déguisés d'Hitler », et en conclusion : « Chassons les vipères fascistes de notre quartier ! » (ces pièces sont conservées dans la boîte 22).

51. Georges Renard (1847-1930) était secrétaire du délégué à la Guerre Rossel pendant la Commune de Paris. Il eut ensuite une brillante carrière de professeur au Conservatoire des arts et métiers où il eut comme auditeurs François Simiand, Charles Péguy, Albert Thomas... Sa grande œuvre est une Histoire du travail à Florence en 15 volumes. Il dirigea la collection de la Bibliothèque universelle du travail et la série de la Bibliothèque sociale des métiers à laquelle collabore Jeanne (cf. Dictionnaire biographique... de J. MAÎTRON).

52. Il s'agit de Gaston Doin & Cie. 53. Il y a quelque injustice à accuser l'organisation d'être responsable de

l'inculture de la classe ouvrière ; les responsables syndicaux sont nombreux aussi à se désoler de cette situation. Mais la culture est le genre de conquête qui ne dépend pas de la seule bonne volonté militante. D'autre part, s'il est vrai que le livre des Lingères n'a pas marché, c'est ni plus ni moins que les autres titres de la collection : « La Bibliothèque des métiers n'a aucun succès », lui écrit Gaston Doin le 11 avril 1927 (fonds Bouvier).

54. Le contrat d'édition de Deux époques, deux hommes est signé avec la mai- son Radot, le 20 juillet 1927 (le document est conservé dans le fonds).

55. Le contrat de Histoire des dames... est signé aux PUF le 26 avril 1930. Jeanne Bouvier s'était engagée à payer la plus grosse partie des frais d'édition, soit 15 000 francs sur les 21 000 coûtants. Le tirage initial était de 2 500 exem- plaires. Du 30 juin 1938 au 30 juin 1940, 30 exemplaires seulement furent vendus. Au 28 décembre 1943, on comptait 150 exemplaires vendus.

56. Rappelons que les Françaises ne participent pas au Congrès de la paix de La Haye (28 avri l - 1 mai 1915) à cause de la présence des déléguées allemandes et de conditions de participation très dures. Cette absence fut très discutée en milieu féministe. Voici par exemple la position de Nelly Roussel : « Je retrouve là, hélas ! l'affreuse mentalité qui me désole depuis le début de la guerre : désir de mettre désormais l'Allemagne tout entière "en dehors de l'humanité" ; obstina- tion à ne pas vouloir comprendre qu'un peuple de 65 millions d'êtres se compose d'éléments variés à l'infini qui ne sont pas tous méprisables ; négation furieuse de toute possibilité de réconciliation future avec l'ennemi vaincu » (La libre pensée internationale, 15 mai 1915, repris dans Derniers combats, Paris, L'Emancipa- trice, 1932, p. 71 ).

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57. Ce chapitre inédit retrouvé dans les archives de Jeanne Bouvier n'a pas été inclus aux Mémoires. Remords, regret, censure de l'éditeur, on peut épiloguer longtemps. Disons seulement qu'il nous est précieux pour faire la part de ce qui en elle ressortit à un certain féminisme de ce qui la rapproche de l'organisation. Ce chapitre est contemporain de la rédaction de la fin des Mémoires.

58. Faubourg Saint-Denis, Jeanne Bouvier croise l'infirmerie de Saint-Lazare où l'on soigne les prostituées atteintes de maladies vénériennes. Mais la structure de l'établissement inclut aussi une prison où sont détenues, outre des prostituées, des prisonnières de droit commun et aussi des « politiques » (Louise Michel y fait un séjour qui l'a beaucoup marquée). Sur l'ensemble de l'établissement péniten- tiaire de Sainte-Lazare, consulter Alain CORBIN, Les filles de noce, Aubier, 1978, p. 142-143.

59. « L'œuvre des libérées de Saint-Lazare » fut fondée en 1870 et reconnue d'utilité publique par décret du 26 janvier 1885. Elle fut dirigée jusqu'en 1883 par Pauline de Grandpré, puis jusqu'en 1887 par Mme de Bareau, et par Isabelle Bogelot jusqu'en 1889. Son but est de venir en aide aux prostituées sortant de prison. Le rapport que Mme de Barrau présente au Congrès de Londres sur son institution (juillet 1886) donne quelques chiffres intéressants :

1882 1 100 libérées secourues 1883 1 224 1884 2 400 1885 2 195

Et 11 939 bons de nourriture distribués, 788 pièces d'habillement, 1 129 francs de secours en argent.

Sur cette institution on pourra consulter la brochure d'Aline VALETTE (1850- 1899), inspectrice du travail des femmes pour la Seine et future guesdiste, L'Œuvre des libérées de Saint-Lazare (Alençon, 1889).

Egalement, les articles d'Avril de SAINTE-CROIX (Savioz) dans La Fronde (« Les femmes de Saint-Lazare », 15-17 avril 1897). Jeanne Bouvier confond cette institution avec le Patronage des détenues et des libérées fondé par Mme de Witt-Guizot et Mme d'Abbadie d'Arrast en 1889.

60. Avril de Sainte-Croix fonde en 1901 l'Œuvre libératrice pour « venir en aide à la jeunesse moralement abandonnée. Les jeunes filles mineures, qu'une première faute conduit fatalement à la prostitution, sont recueillies et remises dans le droit chemin. A celles qui sont tombées plus bas encore, on procure le logement, le travail nécessaire pour les délivrer de la "carte" et de l'esclavage ». En 1901, la fondatrice dispose d'une petite maison à Auteuil pouvant recueillir tout juste 8 pensionnaires ; en 1939, l'organisation est puissante, dispose de grands immeubles et d'un domaine transformé en ferme-école en Eure-et-Loir.

61. En avril 1870, la Société pour la revendication des droits de la femme (Maria Deraismes, André Léo, Paule Minck, Louise Michel) fusionne avec la Société pour l'amélioration du sort de la femme fondée par Léon Richer et Maria Deraismes pour donner l'Association pour le droit des femmes (Victor Hugo et Victor Schœlcher en sont membres). En 1878, elle devient la Ligue française pour

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le droit des femmes, avec pour président d'honneur René Viviani, et comme pré- sidente Maria Verone.

62. La section française de l' Union internationale pour le suffrage des femmes fut fondée en 1909 à l'initiative de Jeanne Schmahl. Cf. Le suffrage des femmes en France, Paris, Marcel Rivière, 1910.

63. Il y a quelque exagération à prétendre que les débats à l'intérieur des con- grès et assemblées féministes se déroulent paisiblement. Qui a approché les comp- tes rendus de ces réunions se convaincra aisément du contraire. La vérité est qu'ici comme ailleurs les débats idéologiques, les conflits de personnes, les inté- rêts divergents composent un tableau qui n'a rien d'idyllique.

64. La Fédération du livre, étudiée par Madeleine Rebérioux se désigne effecti- vement à nous comme la plus ouverte aux œuvres sociales et secours divers. Elle organise très tôt le service de la grève, le viaticum et plus tard les caisses de chô- mage, de retraite, de maladie. « Alors que le thème de la prévoyance sociale com- mençait à pénétrer le discours officiel, on débattait dans la presse typographique d'une caisse de retraite. Le syndicalisme du Livre avait finalement mis ses pas dans ceux du vieux mutuellisme et lui avait donné sa dimension nationale qui lui avait toujours manqué » (Madeleine REBÉRIOUX, Les ouvriers du Livre et leur Fédération, un centenaire 1881-1981, Temps actuels, 1981, p. 114). En revanche, la Fédération, pour des raisons complexes, se présente comme l'une des plus anti- féministes de l'organisation.

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B i b l i o g r a p h i e

Les archives de Jeanne Bouvier à la bibliothèque historique de la

Ville de Paris (état sommaire)

Boîtes 1 à 7 : Dictionnaire des femmes (un exemplaire manus- crit, un exemplaire dactylographié ; suppléments, 7231 folios).

Boîte 8 : Biographies dauphinoises (manuscrit) et notes. Boîte 9 : Deux époques, deux hommes (dactylographié). Notes

et documents. Mes Mémoires (manuscrit). Boîtes 10 à 12 : La lingerie et les lingères (manuscrit). Notes et

documents.

Boîtes 13 et 14 : Les femmes et la Révolution (manuscrit). Notes et documents.

Boîtes 15 et 16 : L'Histoire des dames employées dans les Pos- tes (manuscrit). Notes et documents.

Boîte 17 : correspondance : de Jeanne Bouvier / à Jeanne Bouvier (735 lettres).

Boîte 18 : « Le travail à domicile » (voir descriptif dans la note 41).

Boîte 19 : « Le travail à domicile » : correspondance (226 let- tres). Documents.

Boîtes 20 à 23 : divers, rapports, brochures, articles de Jeanne Bouvier, revue de presse, notes et réflexions.

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Ouvrages de référence

Albert AFTALION, Le développement de la fabrique et le travail à domicile dans les industries de l'habillement, Paris, Larose et Thénin, 1906.

Pierre BARRAL, Le département de l'Isère sous la I I I Républi- que (1870-1940), Paris, Armand Colin, 1962.

La Bataille syndicaliste, fondée en 1911. Charles BENOIST, Les ouvrières de l'aiguille à Paris, Paris,

P. Chailley, 1895. Camille BLOCH, Bibliographie méthodique de l'histoire écono-

mique et sociale de la France pendant la guerre, Paris, 1925. Françoise BLUM, Les femmes dans la Fédération de l'habille-

ment de 1914 à 1935, mémoire de maîtrise, sd. Louis BONNAFOUS, Les œuvres d'amélioration sociale réalisées

par les syndicats ouvriers en France, Paris, 1924. L. BO NNEVAY, Les ouvrières lyonnaises travaillant à domicile.

Misères et remèdes, Paris, Guillaumin, 1896. Robert BRECY, Le mouvement syndical en France (1871-1921 ).

Essai bibliographique, Paris, Mouton et Cie, 1963. Journal de Chemiserie-lingerie. Ed. et F.-E. COMBAT, Le travail des femmes à domicile, textes

officiels et étude générale sur les salaires féminins, Paris, Berger- Levrault, 1916.

Marie-Louise COMPAIN, La femme dans les organisations ouvrières, Paris, Giard, 1910.

Ludovic de CONTENSON, Les syndicats professionnels féminins, Paris, Blond, 1909.

Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maîtron (notice Jeanne Bouvier dans les tomes sous presse).

Charles FRANCK, Les Bourses du travail et la Confédération générale du travail, Paris, Giard et Brière, 1910.

Madeleine GUILBERT, Travail féminin et travail à domicile, Paris, CNRS, 1956.

— Les femmes dans l'organisation syndicale jusqu'en 1914, Paris, CNRS, 1966.

Henri HATZFELD, Du paupérisme à la Sécurité sociale (1850- 1940), Paris, Armand Colin, 1971 (bibliographie).

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BIBLIOGRAPHIE

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L'Humanité (fondé en 1904). Le Journal de l'habillement (fondé en 1916). KLATZMANN, Le travail à domicile dans l'industrie parisienne

de l'habillement, Paris, Armand Colin, 1957. Annie KRIEGEL, La croissance de la CGT (1918-1921), Paris,

Mouton, 1966. Jeanne ODRY, Application de la loi du 10 juillet 1915, thèse de

sciences politiques, Paris, 1924 (bibliographie). L'Ouvrier de l'habillement. L'Ouvrier des deux Mondes, organe officiel des Bourses du

travail de France et des colonies (1897-1899). Le Peuple. Georges RENARD, L'ouvrière à domicile, Radot, 1927. Louis REYBAUD, Rapport sur la condition morale, intellectuelle

et matérielle des ouvriers qui vivent dans le travail de la soie, Paris, Didot, 1860.

Mario ROUSTAN, Rapport sur le travail de nuit des femmes, 2 décembre 1924 (Sénat).

Léon de SEILHAC, Syndicats ouvriers, Fédérations, Bourses du travail, Paris, Armand Colin, 1902.

Marguerite THIBERT, Crise économique et travail féminin, Genève, 1933.

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Aline VALETTE, L'Œuvre des libérées de Saint-Lazare, Alen- çon, 1889.

Jean VIAL, La coutume chapelière. Histoire du mouvement ouvrier dans la Chapellerie, Paris, F. Loviton, 1941.

La Vie ouvrière (fondé en 1909). La Voix du Peuple (fondé en 1900). Gertrude WILLOUGHBY, La situation des ouvrières du vêtement

en France et en Angleterre, thèse de droit, PUF, 1926. Mme ZYLBERBERG-HOCQUART, Féminisme et syndicalisme en

France avant 1914, thèse de 3e cycle, Tours, 1973.

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DANS LA C O L L E C T I O N

ACTES ET MÉMOIRES DU PEUPLE