MES AÏEUX DE SAINT-MALO

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M E S A Ï E U X

D E S A I N T - M A L O

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Gine FAVIÈRES

MES AIEUX DE SAINT-MALO

Lettres et Journaux de bord du XVIIIe siècle

Illustré par l 'auteur

NOUVELLES ÉDITIONS DEBRESSE

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A la mémoire de ma mère Thérèse Philomène Herpin, née à Saint-Malo.

Un livre vrai.

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INTRODUCTION

Ce livre n'est pas un roman. C'est une étude histori- que et psychologique, groupant un ensemble de docu- ments qui permettent de reconstituer à la fois l'évolu- tion de la ville de Saint-Malo et celle de ses habitants. Principalement des marins du XVIIIe et du XIXe siècle qui furent mes aïeux. Tout en soulignant l'originalité très particulière de cette petite cité, si petite en surface et si grande en renommée.

D'où la diversité de portraits réels, correspondant aux bourgeois d'une même famille, d'après des manus- crits, lettres et journaux de bord, sauvés de l'incendie de Saint-Malo en 1944.

Ainsi qu'il n'a pas été demandé à Jean de La Bruyère d'écrire des romans, je désire qu'on ne me fasse pas le reproche de n'avoir pas lié mon sujet à une intrigue banale, laquelle, n'aurait pu englober qu'une époque restreinte.

Ce livre groupe volontairement un ensemble de petits faits véridiques qui permettent de reconstituer la vie de chaque jour et de mieux comprendre l'ambiance dans laquelle vécurent ces malouins et l'esprit original qui les anima.

Gine FAVIERES.

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CHAPITRE 1

Petite fille distraite, je trébuchais souvent et m'éta- lais par terre.

Une main nerveuse me soulevait pour me reposer sur mes pieds. Penaude, je continuais à trottiner, sans me soucier de mes genoux couronnés.

La voix sévère de mon père me réprimandait : — Coco, pourquoi regardes-tu toujours en arrière ?

Pourquoi ? Le savais-je moi-même ? Analyse-t-on ses réflexes à quatre ans ? La promenade continuait. Pendant cinq minutes je m'appliquais à regarder

devant moi. Et puis, ma petite tête, alors coiffée d'une énorme « charlotte » à fronces, se remettait à nouveau à regarder, comme une girouette fantasque, dans la direction opposée.

Quel aimant m'attirait donc en arrière, alors que la vie s'ouvrait à peine devant moi ?

Déjà, je me délectais de ce, qu'à mon gré, j'avais dépassé trop vite.

Fatalité ! Toute ma vie je devais revivre ce qui n'était plus.

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C'est ainsi qu'aujourd'hui, les yeux fixés sur le passé, j'essayerai dans ce livre de faire revivre quel- ques aïeux malouins.

Je passais dans mon enfance tous mes étés chez ma grand'mère à Saint-Malo. Cette ville qui ne ressem- ble à aucune autre m'imposait une grande admiration et curiosité.

Aussi, dès que j'eus l'âge d'étudier, ai-je recherché l'histoire de cette cité.

Ce sont d'abord des individus de race paléolithique qui habitèrent la Bretagne. Sur la côte, semble avoir prévalu le type aurignacien et magdalénien, dont on a découvert des squelettes de petite taille.

D'après le Docteur François Tuloup : «En 1880, on a retrouvé à Rochebonne trois mille

silex taillés et en 1905, trois cents haches de quartz à Saint-Servan. »

Différentes tribus occupèrent le pays : Les Ibères, les Kimeris, les Gaulois et les Celtes,

pour ne citer que les principales. Les Celtes fondèrent le ville d'Aleth sur le territoire

actuel de la Cité de Saint-Servan. Cinquante ans avant Jésus-Christ, les Romains s'y

établirent et la ville devint un port important. Les Armoricains voulurent chasser les Romains. Ils

furent battus par Jules César. Paradoxe ! En l'an 418, la Bretagne envahie par les

Huns appela Rome à son secours. Les légions romaines revinrent à Aleth. Au Ve et au VIe siècles, la région fut visitée par de

Saints prédicateurs qui l'évangélisèrent. Les principaux furent : Saint Suliac, Saint Enogat,

Saint Jacut, Saint Lunaire, Saint Briac, Saint Brandan.

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Ce dernier arrivait de Grande-Bretagne où il avait fondé un monastère, dans la région de Bristol. Il y avait baptisé Mac Laww qui devient Maclow puis Malo.

Une légende dit : « Que cet enfant se serait endormi à mer montante

sur un lit d'algues. Mais comme c'était un envoyé de Dieu, pour qu'il ne fût pas noyé, une île jaillit qui le souleva, hors de danger. Saint Malo voyagea d'abord dans les régions polaires où il recherchait le paradis perdu. »

Redescendu ensuite jusqu'au Monastère de Cézem- bre, il y enseigna à l'Ecole Monastique. De là, il évan- gélisa Aleth.

D'après R. Vercel : « Il fit son premier miracle sur une truie qu'il trouva

morte au détour d'un chemin avec ses petits déjà glacés sous elle.

L'esclave chargé du troupeau se lamentait près du cadavre et n'osait retourner-chez son maître.

Saint Malo fit un signe, et la truie se ranima, les porcelets goulus se jetèrent sur ses mamelles regonflées.

Un autre jour le Saint avait oublié son manteau sur le sol. Quand il revint le chercher, il y trouva un roi- telet qui y avait pondu et couvait déjà. « Si je reprends ce vêtement, pensa le bon Saint, l'oiseau perdra ses oeufs ! »

Il le laissa donc. Au-dessus du manteau, le ciel demeura serein, même les jours de tempête et de pluie, jusqu'à ce que la couvée eût pris son vol. »

Saint Malo enseigna dans la région pendant qua- rante ans. Puis, fatigué, il rejoignit l'ermite Aaron qui s'était établi avec quelques moines sur une plate-

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forme rocheuse. Il y construisit une chapelle ou Aaron fut enterré.

Puis il se retira en Saintonges où il mourut en 657. La région malouine a subi bien des changements

au cours des périodes géologiques. Autrefois, la Grande-Bretagne se rattachait au Con-

tinent et la région de Saint-Malo était à la fois recou- verte de vertes forêts et de marécages.

La mer se mit petit à petit à grignoter certains terrains.

En l'an 700 se produisit un terrible effondrement. Chateaubriand nous dit : « Dessous Avranches, était la forêt de Quokelunde,

remplie de cerfs, mais où il n'y a plus à présent que des poissons. »

Cette forêt était aussi appelée la forêt de Sciscy et fut ensevelie lors de la catastrophe dite « Déluge du Clos Poulet ».

Ce fait est relaté dans maintes légendes. Au VIIIe et au IXe siècle, des habitations s'élevèrent

groupées au bord de la Rance. Plusieurs fois rasés par les Saxons, les Frisons, et les

Wikings, les habitants durent demander asile à Aleth où ils se réfugièrent sur le rocher de Saint-Malo.

En l'an 1000, de nombreuses luttes entre seigneurs ensanglantèrent la région. La famine qui ravageait la France atteignit aussi la Bretagne.

D'après Esnoul le Sénéchal : « On vit des hommes se résoudre à manger des cadavres. Le voyageur assailli sur la route succombait sous les coups furieux d'affamés qui se partageaient ses membres. D'autres présentaient à des enfants un œuf ou une pomme pour les attirer à l'écart et les immolaient à leur ventre.

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Pour échapper à la mort, on mangeait l'écorce des arbres et l'herbe des ruisseaux. »

Ceci ajouté au Mal des Ardents, anéantit la moitié de la population : « Les corps tombaient en lambeaux. En une seule nuit un homme de bon aspect était trans- formé en un hideux squelette où pendaient des lam- beaux de chair. »

Après tous ces désastres il fallut tenir tête aux Nor- mands et à leur chef Harold.

Saint-Malo en l'îsle se trouva anéanti, son église brûlée, ses couvents pillés, ses moines en fuite.

Les bénédictins se réinstallèrent à Aleth. Quelques marins revinrent à Saint-Malo pour y

commercer. Des habitations se construisirent. Il faut attendre le XII' siècle pour que Jean de Châtillon, émule de Saint Bernard, s'installe à Saint-Malo et fasse élever des murailles protectrices. Il acheta de plus quelques navires pour transporter dans la nouvelle ville ce dont elle avait besoin. La peste s'étant déclarée à Aleth, de nombreux habitants rejoignirent Saint- Malo.

Avec Jean de Châtillon, les pouvoirs écclésiastiques s'étendirent de Dol à Saint-Brieuc, l'évêché de Saint- Malo fut créé réunissant les pouvoirs religieux et les pouvoirs civils, une certaine aisance revint dans la cité grâce à ses navires de plus en plus nombreux. Au Xnie siècle, Saint-Malo est vraiment devenu une ville maritime qui commerce jusqu'en Orient, d'où ses bateaux rapportent d'ailleurs la lèpre. Ce qui oblige les autorités à construire une Léproserie en dehors des murs.

Après avoir participé à la 76 et 86 Croisades, les navires malouins soutinrent le fils de Philippe Auguste

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contre l'Angleterre. Mais Saint-Malo voulait rester libre, préférant même dépendre plutôt du Pape que du Roi !

Au XIVe siècle, Du Guesclin prit la ville. Il ne put la garder. Les Anglais à leur tour firent en vain plu- sieurs expéditions, espérant réduire ces corsaires qui attaquaient leurs navires, Il fallut en 1491, le mariage d'Anne de Bretagne avec le roi de France Charles VIII pour annexer enfin Saint-Malo au Royaume. Cette bonne reine s'attacha à la construction du château dominé par la tour Quic-en-Grogne.

Elle fit planter du blé noir, qui s'avéra très bien pous- ser sur les terrains marécageux gagnés sur la mer. Elle fit remplacer les moulins tournés par des ânes par des moulins à vent.

Dès lors, une flotille de pêche partit tous les ans pour Terre-Neuve, la morue fut une nouvelle ressource pour le pays. Le XVIe siècle marqua le déclin du pouvoir écclésiastique. On reprocha au clergé la mauvaise tenue de l'Hôpital dit de La Licorne et les malouins construi- sirent l'Hôtel-Dieu.

A cette période, nouveau ravage de la peste et du choléra.

Ce qui n'empêcha pas les corsaires de faire de bonnes prises, et de s'aventurer jusqu'aux Indes.

Jacques Cartier, natif de Saint-Malo atteignit le Canada et conquit le Labrador.

Pendant les guerres de religion, Saint-Malo s'érigea en République. Celle-ci dura trois ans.

Le manque d'hygiène ramena plusieurs fois la peste. Obligation fut « d'enfermer les pestiférés chez eux, avec leur famille, en marquant leur porte d'une croix blanche. Tous les matins, on entendait une sonnerie de

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trompettes, c'étaient les sergents qui s'arrêtaient devant les maisons où se trouvaient les malades. Quelqu'un de la famille ouvrait la fenêtre, il descendait au bout d'une corde un panier que le service municipal remplis- sait des vivres nécessaires et des remèdes.

Au chevet des malades, se trouvaient cadenassés avec eux des religieuses, des parents et nombre de sain- tes personnes qui se dévouaient aux mourants.

Les navires avaient ordre de rester dans le port sur leurs ancres sans toucher les quais. Des pavillons d'alarme hissés à l'entrée du port indiquaient le danger ».

Si quelques formidables tempêtes n'avaient pas dissi- pé les miasmes, toute la population y serait passée ! Les uns disaient que la maladie venait des vases et marais qui stagnaient autour de Saint-Malo, les autres disaient que c'était l'eau qui était contaminée par les déjections et les fosses à purin.

Le mal cependant venait sans doute des rats qui pul- lulaient dans les greniers et entrepôts bourrés de céréa- les. L'épidémie dura plus d'un an. Il n'y eut pas d'exé- cution à Saint-Malo lors du massacre de la Saint-Bar- thélémy.

Les magistrats responsables se cachèrent et ne réap- parurent que quand l'opinion fut calmée.

Au XVIIe siècle, les malouins soutinrent Louis XIV contre Guillaume d'Orange, puis contre la Ligue d'Augs- bourg où ils retrouvèrent leurs ennemis héréditaires, les Anglais et les Hollandais. En 1771, ils prêtèrent trente millions à Louis XV. Le roi qui avait besoin des cor- saires leur attribua des lettres de marque qui leur donnait droit de capture sur les vaisseaux ennemis avec de fortes parts sur les prises.

Les corsaires de Saint-Malo devaient ramener au

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port le navire capturé. L'amiral de France envoyait une commission qui jugeait « de la légitimité de la capture » et s'occupait des prisonniers qui, à Saint-Malo étaient bien traités. Mais les corsaires s'arrangeaient souvent pour tromper le Conseil des prises. A la fin du siècle, la course devint de moins en moins rentable. Les marins préféraient s'embarquer sur les bateaux de la Marine Royale où commercer.

Les recrues des derniers corsaires n'étaient même plus dignes de ce nom :

« C'étaient des nègres, des vauriens, des hors-la-loi, des têtes sautées ayant plus ou mois reçu aux colonies le " coup de bambou des tatoués, des balafrés, des déserteurs, des éclopés. Cette racaille, les racoleurs allaient la quérir dans les auberges mal famées à la Crevaille ou au Tambour défoncé ».

Sous le Grand Siècle, Saint-Malo continua de se for- tifier contre la menace extérieure et la tour Bidouane fut édifiée.

A cette époque, un gigantesque incendie ravagea les maisons de bois de la ville. Il y en avait très peu en pierres.

C'est dit-on, la veuve d'un apothicaire qui, en chauf- fant de la térébenthine, mis le feu dans la Grande-Rue. Cette rue était pleine de petits magasins à l'usage des marins, contenant des matières inflammables tels du soufre, du suif, du goudron, des cordages et même de la poudre d'où l'extension rapide du sinistre. Le vent s'étant levé porta des étincelles jusqu'au Couvent de la Sainte-Victoire qui prit feu à son tour. On entassa sur les grèves ce que l'on put sauver.

Après, il fallut bien reconstruire d'autres demeures. Pour cela, les habitants furent autorisés à prendre

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des pierres autour du Grand Bey. Les beaux hôtels malouins s'élevèrent le long des « Murs » et dans les rues principales. L'Eglise fut agrandie. De nouveaux remparts réunirent le bastion Saint-Philippe au bastion Saint-Louis. Garengeau fortifia le Petit Bey.

Au XVIIIe siècle, Saint-Malo devint une grande ville commerçante, grâce à la Compagnie des Indes, les armateurs s'enrichirent. Mahé de la Bourdonnais tra- vailla pour cette Compagnie qui le nomma, premier lieutenant. Il aménagea l'île Bourbon.

A cette époque, les malouins soutinrent contre l'Angleterre une lutte désastreuse. Les Anglais attaquè- rent plusieurs fois Saint-Malo, mais toujours en vain. Le Sillon fût construit et l'on continua à édifier de riches demeures.

Les hôtels particuliers et les Malouinières (maisons de campagne) furent meublés avec raffinement et s'énorgueillirent de bibelots exotiques, de porcelaines chinoises et de tentures indiennes qui donnèrent bientôt à la France entière ce goût de l'exotisme qui dura jusqu'au début du XX6 siècle.

Pendant la Révolution elle-même, le sang ne coula pas à Saint-Malo. On n'eut à regretter ensuite que des fusillades de Chouans.

Les dégâts matériels furent grands surtout dans les églises et couvents. Le blason de la Duchesse Anne fut martelé, et les batteries qui semblaient menacer la population, enlevées.

En 1789, les biens ecclésiastiques devinrent des biens nationaux, ce qui porta un coup terrible au clergé omnipotent de la région.

On essaya d'abord de dissimuler, mais ce fut peine perdue.

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La Seigneurie écclésiastique fut rayée, ses biens confisqués.

L'Evêque dut s'enfuir à l'étranger. Les prêtres dits réfractaires se cachèrent dans les campagnes et célébrè- rent la messe en cachette.

Le commerce se ressentit des troubles politiques. Les rues s'emplirent de mendiants et d'affamés.

Madame des Bas-Sablons fonda un bureau de Cha- rité et fit soigner les malades.

Beaucoup de riches malouins hostiles au régime eurent aussi les biens confisqués et émigrèrent.

Après le 9 thermidor, la liberté du culte fut rendue et le Commandement de la garde nationale confié à mon aïeul Dolley.

En 1793 un groupe de malouins se joignit aux insurgés royalistes vendéens, commandés par Jean le Chouan.

Les Chouans furent battus à Dol. On fusilla des groupes de prisonniers sur les grèves

de Saint-Malô les enterrant à même le sable. Au début du XIXe siècle, nouvelle alerte au Choléra. La Municipalité fit passer tous les soirs de petites

charrettes dans les rues pour ramasser les immondices. On se mit à filtrer l'eau et à creuser des fosses d'aisance.

La prospérité revint grâce à la construction de plu- sieurs chantiers navals et à l'intensification de la pêche à Terre-Neuve.

Puis l'on commença à penser à l'aménagement des grèves pour le Tourisme.

Mon Oncle l'avocat et poète Eugène Herpin, parla le premier des charmes de la « Côte d'Emeraude ».

A partir de 1875 ce fut la construction du Grand Hôtel, de l'Hôtel Chateaubriand et du Casino suivi de

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la construction d'une multitude de villas destinées sur- tout à recevoir des Parisiens.

La mode des bains de mer s'étant rapidement propa- gée, ce fut la « belle époque », le tourisme tendant à devenir la plus grande ressource du Pays.

Notons également qu'au XIXe siècle un mouvement littéraire prit naissance à Saint-Malo grâce aux écrits de Chateaubriand et de Lamennais.

Les bassins furent agrandis et le commerce avec l'Angleterre intensifié.

Hélas, en 1944, les Allemands sous le commande- ment de Auloch mirent le feu à Saint-Malo en jetant des plaquettes incendiaires dans les maisons.

Les dégâts de l'incendie joints à ceux des bombarde- ments furent considérables. Les trois quarts de la ville furent anéantis.

On a reconstruit Saint-Malo, mais trop de vieilles demeures se sont retrouvées, faute d'argent, en style H.L.M. Les petites rues « coupe le vent » agrandies ont perdu leur charme.

Ces quelques mots sur l'histoire de Saint-Malo nous permettront de mieux situer les événements relatés dans les lettres et mémoires qui vont suivre.

Aujourd'hui, les yeux toujours fixés sur ce passé, j'essayerai de faire revivre quelques aïeux malouins.

Mes ancêtres se divisent en deux grandes familles : Les Dolley et les Herpin. Parlons d'abord des premiers : La tradition orale fait remonter la famille Dolley aux

comtes d'Oilly qui au XI' siècle suivirent Guillaume le Conquérant en Angleterre. Il y a encore des Dolley à Londres.

Quand j'admire les pittoresques silhouettes, que la

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reine Mathilde a fait broder sur la Tapisserie de Bayeux, je ne peux m'empêcher de penser que l'un de ces cheva- liers est peut-être mon lointain aïeul !

La famille Dolley établie de longue date en Norman- die, a donné son nom à un petit hameau, non loin de Villedieu : « Les Dolley », nom qu'il a conservé encore de nos jours.

Cette branche avait des parents en Irlande : les O'Dolley, qui lassés des persécutions religieuses dont ils étaient l'objet, rejoignirent leurs cousins en Norman- die.

On retrouve la trace en 1763, de leur descendant Charles Dolley à Saint..JMalo, où il se maria avec ma triaïeule Manon.

Cette dernière écrivit son journal à 59 ans. Ces mémoires ont échappé par miracle à l'incendie

de Saint-Malo en 1944. Le manuscrit a été retrouvé dans le secrétaire des

vieilles cousines Dolley, qui habitaient la maison de Manon, rue des juifs, dans la maison voisine de celle où naquit Chateaubriand.

Cette maison, vrai sanctuaire de granit, à haute toi- ture d'ardoises, au rez-de-chaussée rempli d'ombres, faisant contraste avec les étages supérieurs qui don- naient par-dessus les remparts, sur l'immensité du ciel et des vagues.

Manon était le fille de Perrine Loyson de la Rondi- nière, fille du fameux corsaire du même nom, et de noble homme Pierre-Henry Gaultier du Parc, négociant arma- teur. Son mari Charles Dolley fut également armateur (il possédait plusieurs navires), puis lui-même capitaine au long cours.

Dans son récit, Manon nous dévoile une âme sensi-

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ble et courageuse, passionnée et tourmentée. Un cœur aimant. Son caractère romantique et ses abus de piété doivent être considérés, et replacés dans leur époque.

Le roman de Manon : J'étais née de parents honnêtes, remplis de probité. Mon père était dans le commerce. (Manon oublie de nous dire quel commerce ? Il

devait vraisemblablement s'agir de commerce avec les armateurs, pacotille, épices, morues, très florissant alors à Saint-Malo.

Ma mère n'ayant point d'enfant fit un vœu pour en avoir.

Elle fût bien exaucée ! En quatorze ans, elle eut treize enfants dont j'étais A l'aîn'ée.

Mes premières années, je les passai chez mon aïeule maternelle avec mes parents et les deux sœurs de ma mère.

Une de mes tantes qui était douce et pleine de reli- gion, me prit en amitié.

Elle me racontait des histoires de saints et me chan- tait des cantiques d'une voix si suave, qu'elle m'a sou- vent émue jusqu'aux larmes.

Grâce à elle, mes poupées avaient des robes char- mantes.

Dans les temps de Noël, nous confectionnions ensemble de petites bergeries aux moutons frisés, des moulins à vent en papier, des ruisseaux pour la crèche en morceaux de verre et des plaques de neige avec du coton.

Mon aïeule me gâtait trop, ne voulant qu'on me contrarie en rien.

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Mon caractère était violent et capricieux, mais j'avais bon cœur.

Je gardais des friandises pour les pauvres. Un jour de Chandeleur, j'eus une conduite scanda-

leuse : Chargée à l'église de ramasser les cierges, une de

mes sœurs refusa méchamment de me donner le sien... Je lui arrachai, le jetai par terre et le piétinai. On me punit sévèrement. Tous les plaisirs de l'enfance nous étaient procurés. Nous avions des oiseaux d'espèces différentes, De nombreuses amies. Nous prenions des leçons de musique et de danse. Mon père était persuadé qu'il était sain de faire de

l'exercice. Aussi nous laissait-il courir et nous détendre à notre aise. Mes parents avaient une campagne où nous allions en voiture à âne. Quelles bonnes parties d'escarpolette et de croquet nous y avons faites !

Toute ma vie, j'eus des prémonitions. Encore enfant, un rêve m'annonça la mort de mon

aïeul. Ce dernier était allé à Lorient pour une vente de la

Compagnie des Indes. Je rapportai ce rêve à mes sœurs qui se moquèrent

de moi. Quelques jours après, j'appris que mon grand-père

était mort subitement en sortant d'une auberge. Cette même semaine, il me sembla la nuit entendre

sa voix qui m'appelait. Comme j'étais très peureuse, je me cachai la tête sous

les couvertures en claquant des dents. Mon plus gros défaut demeurait la vivacité.

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Dans une colère, je jetai une fourchette d'argent qui resta plantée entre les côtes d'une de mes sœurs.

Ma mère en fut avertie. Comme nous ne rapportions jamais les unes contre

les autres, je demandai qui avait dit cela. — C'est moi, reprit la domestique. Furieuse, je lui administrai un violent soufflet en

tapant du pied. La pauvre fille pleura. Ayant la foi la plus simple et la plus entière, je

regrettais mes fautes. Mon entêtement demeurait incorrigible. Pour me punir, on m'enferma un jour dans ma cham-

bre avec du pain sec et de l'eau. Je trempai mon pain dans l'eau et criai par le trou

de la serrure que c'était excellent. Puis, je fis constater à mes parents que je m'étais

échappée... On m'y remis, en fermant la porte au taquet. Je traînai alors un petit lit, à tombeau, sur lequel

je couchais et réussis encore à ouvrir la porte. Ne voulant pas, dans mon entêtement que j'eusse le

dessus, mes parents firent clouer la porte pour deux jours.

A l'âge de douze ans, je frappai durement une de mes petites sœurs parce qu'elle émiettait du pain.

Ma mère me gronda. Je lui répondis très mal, allant dans ma colère

jusqu'à lui dire que je la haïssais... Désespérée, ma mère voulut me mettre au couvent. Toute la famille plaida ma cause. Finalement, la bonne tante qui m'avait en partie

élevée me prit chez elle pour quatre mois.

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Manon Dolley

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Les torts que j'avais eus avec ma mère me causèrent un chagrin inexprimable.

Dès lors, je me fis violence pour modérer ma viva- cité.

Pour fêter mon retour, mes parents donnèrent un souper d'amis.

Je fus très gaie. Je causai beaucoup et jouai de la guitare. J'amusai si bien la compagnie que l'on complimenta

ma mère d'avoir une si aimable enfant. Quand j'eus atteint l'âge de quatorze ans, mes parents

reçurent chez eux des jeunes gens. Nous jouions aux gages et aux jeux de société. Ces jeunes gens avaient envers nous le ton le plus

honnête, jamais on ne nous disait des mots équivoques. A l'âge de quinze ans, je fus demandée par un fils

unique. Mes parents le refusèrent, parce que ce jeune homme

n'avait pas une bonne conduite. La même année, un avocat assez riche me demanda

également. Quoiqu'il parut m'aimer éperdûment, il ne me plaisait

pas et je n'en voulus point. J'eus cependant un certain chagrin de lui en faire. Un capitaine, me demanda pour le retour de son

voyage. Mes parents ne voulurent point prendre d'engage-

ment. A présent que j'ai cinquante-neuf ans, je crois pou-

voir parler des agréments de ma jeunesse ! Je ne me croyais pas jolie, mais j'étais bien faite et

je faisais tout avec une grâce naturelle. Mon visage avait beaucoup d'expression.

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Bientôt dans mon entourage, je me trouvai plusieurs amoureux. Le jeune avocat qui m'avait demandée avait un cousin âgé de dix-huit ans, d'une figure charmante, rempli d'esprit, fils unique et riche par surcroît.

Il était aux petits soins de moi et me faisait des com- pliments si bien tournés, que son père inquiet l'envoya passer quelque temps à Lorient. Il ne m'oublia pas pour cela et écrivit à ma tante de ne me promettre à personne, parce qu'il me voulait.

Mon amoureux revint au bout de six mois. Ce jour-là, j'étais dans notre salle, devant une grande

glace, en train de rajuster ma coiffure. Monsieur Dolley était derrière moi à m'examiner

sans que je l'eusse aperçu. Il se rapprocha de moi, me saisit par la taille et me

demanda la permission de m'embrasser. Nous en éprouvâmes bien du plaisir ! Il me déclara son amour. Sa mère vint me demander en mariage. Je n'avais que seize ans. Mes parents répondirent que notre mariage ne se

ferait que dans trois ans. Mon père m'emmena en Basse-Bretagne faire un

voyage. A tous les courriers, je trouvais une lettre de mon

cher Dolley. De retour, je trouvai Dolley languissant, sa santé

commençait à s'altérer. Ses parents demandèrent à avancer la date de notre union. Le terme de trois ans fut réduit à six mois.

C'est alors que mon mariage pensa manquer. Mes parents me donnaient douze mille francs de

dot et voulaient que la famille Dolley en fit autant.

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Ils ne voulurent pas, disant que mon mari étant fils unique, il aurait plus tard tout leur bien.

Mon ami en eut du chagrin. Il se retira dans sa chambre accablé et se coucha

au milieu de la journée. Je lui écrivis que je l'épouserais même s'il ne rece-

vait rien de ses parents. Finalement, ses parents accor- dèrent la somme désirée.

Nous nous mariâmes à onze heures du matin. Notre mariage fut charmant. J'étais l'aînée de douze enfants tous vivants. On fit venir mes deux derniers petits frères, qui

étaient encore en nourrice. Parents et amis, nous étions nombreux, il y avait

beaucoup de chaises à porteurs. Le public qui aimait nos deux familles, se réjouit

à la vue de notre jeune couple. Mon époux n'avait que vingt ans et moi dix-sept. Malheureusement, au début, je fus obligée de

demeurer chez ma belle-mère. J'eus à souffrir de son caractère susceptible et exi-

geant. Un jour que je venais de la quitter depuis un quart

d'heure, elle se fâcha parce que je ne lui avais pas dit bonjour.

Un autre soir, elle entra dans une grande colère du fait que j'avais pris la clef de mon armoire où j'avais enfermé mes douze mille francs.

Après dix mois de mariage, j'accouchai d'un petit garçon, ce qui enchanta mon cher Dolley.

Je voulus allaiter mon fils. Ayant beaucoup de lait, j'y aurais réussi. Il vint un médecin me voir qui m'empêcha, disant

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que j'étais trop jeune et trop frêle, qu'il fallait éloigner le petit.

La fatalité voulut, que mon chirurgien donnât le même avis !

Contre mon gré, l'enfant me füt enlevé. Mon fils bien-aimé pâtit. Quand on me le rapporta, il était si affaibli qu'il ne

put me prendre. On fit venir une autre nourrice. Le nouveau lait ne convenait pas mieux. Il fut pris des tranchées rouges. Je perdis mon bel ange... Jugez de ma douleur ! Mon Dolley était au désespoir. Je le vis se frapper la tête contre les murs. Quant à moi, chaque fois que je voyais un bébé du

même âge, il me prenait une crise de larmes. Jeunes femmes, n'écoutez pas les médecins ni les

conseils de ceux qui viennent voir l'accouchée. Les uns disant ceci, les autres cela. Il faut suivre l'exemple de la nature. Les bêtes ne

nous donnent-elles pas l'exemple d'allaiter leurs petits ? Ayez de la constance et du courage, surtout si le

sein vient à s'écorcher. Pour me consoler, j'allais souvent faire des prome-

nades avec mon mari. Un matin, nous étions sortis avant le lever du soleil. Il avait pris son fusil, ayant l'intention de tirer des

alouettes. Je fus témoin de l'amour de ces oiseaux, qui chantaient si bien, que j'eusse été désespérée que mon Dolley en tue un seul.

Chaque fois qu'il voulait tirer, je mettais la main sur son bras pour le faire rater...

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Il ne put jamais tuer une de ces jolies créatures. Le plaisir de la promenade n'en fut point troublé. Mon époux me donnait à chaque instant des preuves

de son amour. Un jour, où il avait accompagné mon père dans un

voyage, il revint à Saint-Malo par un temps terrible. J'étais à la campagne. Il arriva la nuit. Pressé de me rejoindre et ne

voulant pas réveiller la maison, il monta par-dessus le mur du jardin qui était très haut et sauta dans les massifs.

S'étant emparé d'une échelle, il vint frapper à la fenêtre de ma chambre en m'appelant sa douce Manon.

J'ouvris à mon tendre ami et nous fûmes heureux. Un an après la mort de mon fils aîné, j'eus un second

garçon très fort. Je le nourris facilement, défendant qu'aucun méde-

cin n'entre dans ma chambre. En nourrissant mon petit Charles, je goûtai le plus

grand des plaisirs. Il était si frais, si rose, si potelé, que je donnais

l'envie aux autres femmes de mes amies, d'allaiter. Deux ans après, naquit mon troisième fils. Je le nommai César. C'était un beau brun plein de santé. Quand il commença à parler, il annonça beaucoup

d'esprit et de sensibilité. Il devait se consacrer plus tard au dessin et à la peinture.

Trois ans après, encore un fils, le quatrième... A cette époque, mon mari avait placé quinze mille

francs sur un navire qui se perdit. Notre situation pécuniaire s'aggrava. Nous mangeâ-

mes peu à peu les douze mille francs de ma dot.

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Mon Dolley décida de partir pour l'Isle de France (l'Ile Maurice).

Ses parents lui prêtèrent vingt mille francs. J'étais encore dans le début d'une grossesse... Mon mari désirait beaucoup une petite fille. Mon époux ne savait pas comment s'y prendre pour

m'annoncer son projet de voyage. Il choisit une promenade à la campagne pour me

faire part de son dessein. Je versai un torrent de larmes. Le lendemain, je fus à la messe dans une petite

chapelle et je me remis à pleurer si bien que je fus prise d'une hémorragie nasale. Devant ma figure barbouillée de pleurs et de sang, Dolley me gronda. Disant que l'enfant que je portais allait se ressentir de mon état. Je résolus de ne plus parler de ce fatal départ.

Mais j'avais le cœur brisé et je demeurais souvent la tête sur l'épaule de mon mari sans parler.

Pour rester à mon accouchement, il retarda son départ.

Je mis au monde une petite fille que je nommai Marie et dont le surnom devait être Manette.

Mon ami était près de moi. Il ne me quittait jamais dans ces circonstances cri-

tiques. — Chère Manon, une petite fille ! quel bonheur. La joie était peinte sur son visage. Il m'embrassa, me serrant dans ses bras, prévoyant

que cette enfant serait un jour ma consolation et mon soutien.

Le jour du départ pourtant approchait... Il tenait la date secrète et je la croyais encore

éloignée.

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Mon mari ne m'avait jamais marqué plus d'amour. J'ai su par son père qui lui demanda à cette époque : — Dolley, aimes-tu toujours bien ta femme ? Il lui répondit : — Mon père, encore plus qu'au premier jour. Nous convinmes tous deux que nous préférerions la

mort plutôt que de manquer à ce que nous nous devions l'un à l'autre.

Dolley fit sa malle en cachette. Je ne fus pas dupe et je pensai que l'instant approchait où j'allais être séparée de mon mari.

Je rêvai ensuite qu'il pleuvait des oiseaux noirs dans notre rue et qu'il en tombait un dans mon sein...

Le matin qui suivit ce songe funeste, mon cher Dol- ley m'embrassa longuement ainsi que la petite Manette.

Je lui racontai le rêve que j'avais eu. Ce rêve le troubla si fort, qu'il tomba en faiblesse... Je le ranimai et lui demandai ce qu'il comptait faire

dans la journée : — Je vais à la campagne dîner chez mes cousins,

me répondit-il. Je sortis promener mes enfants pleine d'un funeste

pressentiment. En rentrant chez moi, je trouvai mon père et ma

mère avec des mines sinistres. Je leur demandai s'ils avaient perdu le procès d'où

dépendait leur fortune ? Ma mère me répondit que non mais que mon mari

était parti. Cette réponse fut pour moi comme un coup de fou-

dre... Parti sans me prévenir !

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Je m'enfermai dans ma chambre et gémis toute la nuit.

Mon ami ne m'avait laissé que neuf cents francs. Dans un mot griffonné avant son départ, il me disait

qu'il avait hésité à me laisser une plus forte somme. Mais le désir de gagner pour me rejoindre plus vite

l'avait fait emporter nos économies qui s'élevaient à vingt-mille francs.

Qu'il partait en m'aimant, qu'il reviendrait pour m'aimer.

Avant d'appareiller à Bordeaux, il m'écrivit encore plusieurs fois. Je lui répondis de même, faisant faire une petite lettre à notre fils aîné qui avait déjà sept ans, ce qui lui fit plaisir.

Le bateau leva l'ancre. Je n'eus plus de lettre. Je m'affligeai et ma santé finit par succomber. Je fus prise d'une fièvre putride et bilieuse. Dans mon délire, je croyais à chaque instant que

l'on frappait à la porte et que mon époux revenait. Mes parents voulurent m'enlever ma petite fille. Je les prévins que si on la mettait en nourrice,

j'allais faire un scandale. Ne mangeant pas, je perdais mes forces. Ma mère

m'acheta du quinquina, ce qui me fit grand bien et je fus bientôt en état de reprendre quelque activité.

Mes beaux-parents qui étaient égoïstes ne voulurent plus m'héberger, les enfants les fatiguaient.

Ils m'installèrent dans une mansarde au troisième étage de leur maison avec une servante.

Mes parents nous reçurent l'été dans leur campagne. C'est là que je commençai à m'occuper de l'éducation

de mes enfants, leur apprenant à lire et à écrire. Trêve de courte durée !

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Je fus reprise de ma mauvaise fièvre, qui me tint confinée quatre mois. Le moral était mauvais et je refu- sais d'aller dans toute société.

Un nouveau malheur survint. Mes quatre enfants furent pris de la petite vérole. Seul le troisième de mes fils resta marqué, ce qui

était désolant à voir sur sa charmante figure. Pendant ce temps mon cher Dolley était arrivé à l'Isle

de France. Je lui écrivis que j'étais malade. Il me répondit : Chère Manon, malade ! Quel désespoir ! j'en suis

peut-être la cause ? — Mon mari avait gagné 80 mille francs.

Au lieu de revenir il espéra encore gagner davantage. Il arma un navire en s'associant avec un étourdi. Les voici partis acheter des ânes pour les transpor-

ter à Pondichéry. Ils arrivèrent en Indes sans encombre. Mais en vue du port survint une tempête. Une voie d'eau se déclara et les ânes furent noyés.

L'équipage parvint à s'en tirer par miracle ! Le navire réparé ils s'en furent à la traite des noirs. Mon mari revint d'avance à l'isle Maurice. Pendant ce temps les nègres furent pris de la petite

vérole. Le capitaine aurait dû relâcher aux îles Chéchet pour y traiter les nègres.

Au lieu de cela, il poursuivit sa route et entra avec sa cargaison qui contamina toute la colonie.

Des esclaves sans nombre moururent. Les autorités arrêtèrent le capitaine et voulurent le

faire pendre. Mon mari lui aida à s'évader. Après quatre années d'absence et de chagrin, je reçus

une lettre de mon ami qui m'avouait avoir tout perdu.

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Ce livre est un livre vrai, qui sent bon la mer, le goëmon, le vent du large.

C'est l'histoire d'une famille malouine, incarnant à elle seule l'esprit breton et tout le romantisme du XVIIIe et du XIXe siècles.

Corsaires, navigateurs, tempêtes, désastres et joies se trouvent mêlés à maints faits historiques.

Aux gais lurons de la mer, s 'opposent la gente féminine, quelque peu janséniste, mais toujours pleine d'indulgence et d'admiration pour ses valeureux maris.

L'auteur — Gine Favières — y raconte ses souvenirs d'enfance, joints à des recherches historiques, sur le pays de ses ancêtres.

Déjà paru du même auteur :

« Bouillon d'cil », le roman du Mont Faron.

(Ed. la Pensée Universelle).

A paraître :

« Les gaudes brûlent », étude sur les paysans Franc- comtois.

« Le lycée Braque », souvenirs personnels de l'enseigne- ment du dessin.

« Noélie Trotobas », roman provençal.

« Une de 1912 », vers libres.

« Sous le signe de Véga », poèmes.

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