Merhaba Hevalno mensuel n°2 | Mars 2016

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    nouvelles du

    kurdistan

    civils exécutés à Sur 

    au sommaire :Edito  p. 2

    Le mouvement d’autogouvernancekurde au Bakur  p. 3

     Les habitants de Cizre attendent le jourde vengeance p. 6

    Rojava, comment défaire l’Etat  p. 14

    Oubliez l’ONU ! Rencontrez les réfugié.e.s

    autonomes au Kurdistan p. 16

    L’UE nance Daech  p. 19

    Mettre la pression sur le régime turc  p. 21

    Agenda & Newroz p. 22

    Glossaire et plus...  p. 24

    Les habitants de Cizre attendent lejour de vengeance p. 6

    L’autodéfense comme pratique révolu-tionnaire au Rojava p. 10

    Solidarité concrète : des pansementshémostatiques pour le Rojava p. 18

    POUR  TOUTES INFOS,COMMENTAIRES OU SUGGESTIONS :

    [email protected]

    L’Union Européenne finance Daech :

    milliards d’euros donnés à la Turquie !

    Du regard occiden-tal, l’énoncé peutsembler brutal,hâtif, voire carrémentcomplotiste. Mais si on

    écoute les opposantsrévolutionnaires kurdesquand on leur demandece qu’ils pensent de ces 3milliards d’euros promis

    par l’Union européenneà la Turquie pour « aider àl’accueil des réfugiés », etdans quelle mesure Daechpénètre les institutions

    suite p.19

    suite p. 2

    Le couvre-eu est fini à Sur, mais legénocide continue... Ce derniermois a été marqué par les mas-

    sacres à Sur — centre historique d’Amed.Les pelleteuses seraient rentrées dans la vieille ville pour détruire et élargir lesruelles afin que les tanks puissent entreret contrôler le territoire.

    Ça ait maintenant plus de joursque le quartier de Sur de la ville deDiyarbakır (capitale du Kurdistan nord,nommée Amed en Kurde) subit des

    bombardements et une loi martiale im-posée par l’armée turque sous le nom de« couvre-eu ». Le dernier de ces couvre-eux, en cours depuis le décembre, a déjà coûté la vie à plus de personnes. Depuis le évrier, environ personnes se trouvent coincé.e.s

    dans plusieurs sous-sols de la ville. Cequi ait écho aux massacres de Cizre dudébut du mois, quand personnes quiavaient cherché reuge dans le sous-sold’un immeuble se sont ait massacrer parl’armée turque, une trentaine d’entre ellesayant été brûlées vives. oute tentative dela part des civils de Sur de rejoindre lesimmeubles est violemment réprimée.

    Le évrier une grande maniestationa eu lieu dans la ville contre cet état per-manent de guerre et pour exiger la libéra-tion des gens dans les sous-sols. La mani-estation a été violemment réprimée, avecpour résultat la mort d’un jeune hommede ans, Abdullah Yilmaz, tué d’uneballe dans la tête.

    Le mars, des dizaines de milliers depersonnes venant de toute la ville et deses alentours ont marché vers le centre

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    m e n s u e l n ° 2   BAKURVoilà le 2ème numéro mensuel de Merhaba Hevalno !

    La situation au Kurdistan, et surtout au Rojava et au Bakur, abeaucoup changé depuis le premier numéro de Merhaba Hevalno.Dans ce deuxième numéro, nous continuons à parler de Cizre, villeKurde située en Turquie où ont eu lieu notamment les massacresaux armes chimiques de la part de l’armée turque, donton a beaucoup parlé dans le premier numéro. A Cizre,

    comme dans d’autres villes et régions Kurdes en Tur-quie, et notamment à Diyarbakır, la situation conti-nue à évoluer: plusieurs ‘couvre-feux’ ont été levésrécemment et, malgré la forte présence de l’arméeturque, les gens commencent à reconstruireleurs villes et leurs vies. Cependant, dans d’autresendroits, de nouveaux couvre-feux ont été imposés.

    La situation politique en Turquie, sous le contrôledespotique d’Erdogan et de ses loups, continue à évoluervers un système de parti unique et une guerre civile. Dans lesmédias occidentaux, nous avons beaucoup entendu parler de lamise sous tutelle du journal « Zaman ». Ce que nous n’avons pasentendu, tout comme plein d’autres choses, c’est le fait que le

    parti AKP est en train d’essayer de changer la constitution turquepour enlever l’immunité politique des parlementaires du HDP,pour ensuite les expulser du Parlement et les traîner devant la jus-tice pour « appartenance à un groupe terroriste armé ». Erdoganaurait-il pris quelques leçons en changement de Constitution denotre chère fRance et son histoire de déchéance de nationalité ?Vu les forts liens politiques et économiques entre les deux pays,et le fait que le discours d’Erdogan sur ‘un pays, un drapeau, unelangue’ a été tiré directement de la république française, celan’aurait rien d’étonnant.

     Au Rojava (Syrie), la situation de guerre permanente fait quel’on n’a pas beaucoup d’informations autres que celles concernantles batailles ou la diplomatie. Les médias parlent brièvement des ren-contres internationales entre le PYD et les puissances militaires, etc.,mais tout ce jeu d’alliances d’intérêts temporaires n’est pas ce qui

    nous parle le plus. La situation en Syrie et plus particulièrementau Rojava étant très complexe (Etat turc au nord, Daech au

    sud et à l’ouest, embargo de la région autonome kurde

    d’Irak à l’est), et tenant compte de notre compréhen-sion partielle et lointaine, nous ne rentrerons pas dansun discours critique trop virulent. En même temps,nous ne pouvons pas ne pas nous poser des ques-tions sur notre soutien à une révolution qui collabore

    directement avec des Etats impérialistes parmi lesplus puissants au monde. Nous continuons de cher-

    cher des informations, des témoignages, des nouvelles,des analyses et des critiques, pour avoir et pour pouvoir

    transmettre une vision plus complète d’une situation et d’unerévolution très complexe mais qui nous interroge et nous inspire.

    Pour un résumé historique des luttes au Kurdistan, vous

    pouvez regarder dans le premier numéro du Merhaba Hevalnomensuel : sur http://kedistan.net par exemple...

    Bonne lecture!

     ville d’Amed, pour ensuite continuer versle quartier assiégé. Des conrontations violentes entre maniestant.e.s et soldatsont eu lieu. Beaucoup des maniestant.e.sportaient des masques représentants les visages de celles et ceux massacrées à Cizreet Silopi. L’immense oule a réussi à déman-teler des barricades policières, en criant« Le PKK est le peuple, et le peuple est là ».Selahattin Demirtas, co-président du HDP,a appelé les gens à continuer la marche

    malgré les attaques violentes de la police etl’armée : «Le but n’est pas une maniestationd’une heure. Nous essayons de briser le siègede Sur ». Malgré la résistance, l’armée turquea continué a bombarder le quartier.

    Dans un communiqué du HDP publiéle mars et relayé par le CDKF (ConseilDémocratique des Kurdes de France) onapprend que, après des rencontres “lon-gues et ardues avec le gouverneur deDiyarbakır, civils ont été évacués dudistrict de Sur”. Voici des extraits de ce

    communiqué :« Le mars , personnes ont été éva-cuées. Elles ont toutes été incarcérées, à l’ex-ception de Ridvan Tuncer qui, grièvementblessé, a été transéré dans un hôpital.

    Le mars , citoyen.e.s, dont  emmes, enants et hommes ont étéévacué.e.s. Durant l’évacuation, les orcesde sécurité turques ont tiré sur le groupe,tuant une personne du nom de Yunus Suslu.Tandis que des personnes évacuées ont étéhospitalisées, autres ont été incarcérées. enants dont les parents étaient détenus ontété envoyés dans un oyer.

     Aujourd’hui ( mars), nous avons appris,au cours d’une courte communication télé-

     phonique avec des civils à Sur, que les orcesarmées avaient bombardé une maison danslaquelle se trouvait une amille de personnes.La maison a été détruite et, depuis, plus aucuncontact n’a pu être établi avec les occupant.e.s.Le Gouverneur de Diyarbakır et toutes les au-torités concernées ont été inormées des récentsévénements. Il n’y a cependant eu aucuneamélioration de la situation.

     A ce jour, nous n’avons pas d’inorma-tions sur le nombre de civils encore vivantsdans les quartiers placés sous couvre-eu. »

    Depuis le mars, CNN turc et l’agencede presse étatique Anadolu ont annoncé lafin des opérations policières et militaires àSur ; le même jour, le ministre de l’intérieurturc Efan Ala a annoncé que les opéra-tions militaires commenceraient dans les

     jours à venir dans la ville de Gever (Yuk-sekova en Kurde), située dans la région deHakkari. Depuis, des couvre-eux ont étédécrétés le mars à Nusaybin (provincede Mardin), et le mars à Gever où lesunités YPS et YPS-JIN résistent contre lesavancées des véhicules blindés et des pel-leteuses dans les quartiers d’Esentepe etEsenyur.

    En ce qui concerne Sur, l’Etat turc auraitait entendre que, malgré la ‘fin des opéra-

    tions’, le couvre-eu restera en place. Alorsque les ‘opérations policières et militaires’(arrestations, exécutions, massacres etc.)ont eu lieu jusqu’à maintenant sous couverteuphémique de ‘couvre-eu’, on se demandebien ce que l’Etat turc veut exprimer parcette nouvelle annonce, à part son hypo-crisie. En attendant, la population de Surcontinue à ramasser les cadavres dans larue. Le mars encore, les corps de per-sonnes, un homme et deux emmes, ont étéemmenés à l’hôpital de Diyarbakır. Selon

    les rapports médicaux, les visages des deuxemmes n’étaient plus reconnaissables...Et pendant ce temps l’Etat turc négocie

    combien de milliards d’euros l’union euro-péenne va lui donner pour empêcher lesmigrants d’arriver jusqu’en Grèce.

    suite de la p. 1

    Ce bulletin mensuel autour de l’actualité du Kurdis-tan est notamment rédigé depuis la ZAD de NDDL,

    mais pas seulement ! Un certain nombre de camaradesde Toulouse, Marseille, Angers, Lyon et d’ailleurs yparticipent...

    Pour nous contacter : [email protected]

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    Traduction d’une interview avec Haydar Darıcı, cher-

    cheur en histoire et anthropologie à l’Université duMichigan par le site Left East, le déc .

    Rossen Djagalov : Peux-tu nous expliquer les origines du mou-vement d’auto-gouvernance ? 

    Haydar Darici : Avant de commencer à expliquer ce qui se passeactuellement au Kurdistan urc, il y a deux choses que je tiens a diresur la transormation historique des politiques kurdes. Première-ment, le PKK (Parti des ravailleurs du Kurdistan), acteur centraldu mouvement pour la libération du peuple Kurde, avait initié uneguérilla contre l’Etat turc pendant les années .Il a ensuite reçude plus en plus de soutien de la part de la population Kurde. La lutten’avait pas seulement réussi à créer des zones libérées dans les mon-tagnes autour du Kurdistan, mais elle a aussi su politiser et mobiliserles populations Kurdes dans les villes. Ce mouvement définissait laguérilla dans les montagnes et la culture politique des protestationsdans les villes comme un processus de rébellion. Le mouvementconsidérait que, tout comme les montagnes, la libération des villesétait un point décisi pour atteindre la liberté. Cela veut dire que laguerre actuelle sera désormais menée en ville plutôt que dans lesmontagnes. Le mouvement appelle ce nouveau processus, commen-cé depuis près de ans, le processus de construction.

    Le deuxième point est le ait qu’au moment de l’apparition duPKK et pendant les années qui l’ont suivi, le but était la création d’unétat-nation socialiste Kurde. Cependant, les acteurs principaux du

    mouvement Kurde ont commencé, vers la fin des années , àcritiquer l’état-nation ainsi que l’idée même de nation. Il s’agissaitd’une critique nourrie et inormée par les expériences des mouve-ments de résistances anticolonialistes et de l’échec des état-nationsqui en ont émergé. Cette critique a mené à des changements onda-mentaux au sein du mouvement Kurde, renonçant à l’idée de créerun Etat-nation kurde. La question ut posée : Est-il possible pourun mouvement de libération nationale d’aller au-delà de l’idée dela nation et de l’état-nation - idées sur lesquelles le mouvement seondait au départ - et de créer un modèle révolutionnaire qui nelibérerait pas seulement les Kurdes mais aussi le reste du Moyen-Orient ? Ce modèle, ormulé majoritairement par Abdullah Oca-

    lan depuis la prison, s’appelle l’Autonomie Démocratique.Cela ait maintenant quelques années que le mouvement Kurdea commencé à vivre des expériences locales d’autonomie démocra-tique. Ce modèle cherche à créer des zones hors de l’Etat plutôt quede créer un Etat Kurde. Je tiens à ajouter que ce ut les jeunes et lesenants Kurdes qui ont posé les ondations sur lesquelles l’autonomie

    démocratique a pu être construite. A partir de la fin des années la jeunesse a mené une politique radicale dans les rues, vivant desaffrontements quasi quotidiens avec la police, en jetant des pierres etdes cocktail molotovs. A travers cette politique radicale, ces rues ontété transormées en lieux politiques et les jeunes ont réussi à rendreleurs quartiers et leurs villages inaccessibles pour la police.

    L’autonomie démocratique, à travers les communes établies dansles quartiers, cherche à transormer plusieurs domaines de la viesociale : la loi, l’économie, la santé, l’éducation et l’auto-déense,entre autres. Pour donner quelques exemples, les acteurs politiqueslocaux ont créé leur propre système judiciaire pour résoudre desproblèmes au sein de la communauté, sans avoir recours au tri-bunaux de l’Etat. Ils sont actuellement en train de mettre en placedes coopératives dans le cadre de la création d’une économie alter-

    native. Les jeunes qui sont ormé-e-s et armé-e-s dans le cadre duYDG-H (Mouvement Patriotique des Jeunes Révolutionnaires) ontpris en main la responsabilité de l’auto-déense de leurs quartiers.Les emmes sont autant actives que les hommes lors de tous cesprocessus, par le biais de leurs nombreuses organisations. Il existeun système de co-présidence appliqué dans toutes les villes Kurdes,c’est-à-dire que du bas vers le haut et à tous les niveaux, il y unhomme et une emme qui partagent le rôle de président. En ce quiconcerne l’égalité des genres, plutôt que d’essayer par l’éducation deconvaincre des hommes de partager le pouvoir avec les emmes, lemouvement valorise les emmes. Celles-ci ont les mêmes droits etresponsabilités, et sont libres de créer leur propres organisations

    dans lesquelles les hommes n’ont pas le droit d’intervenir. Quel était, selon ce que tu as vu et vécu, le contexte idéologique dumouvement d’auto-gouvernance ? Quelles sont les littératures quisont lu, et les idées qui circulent ? 

    Il y a une variété de littérature qu’on lit et qu’on ait circuler dansles prisons, les campements de guérilla et dans les villes. Il s’agitdes classiques Marxistes et post-Marxistes, anarchistes, les étudespost-coloniales, les théories éministes et écologiques, ainsi que lesœuvres d’Ocalan, publiées majoritairement en prison. Mais je di-rais que, plus précisément, ce sont « Empire et Multitude » de Ne-gri et Hardt ainsi que les livres de Murray Bookchin sur l’écologie etl’autonomie qu’on pourrait considérer comme étant, entre autres,les textes constitutis de cette nouvelle phase du mouvement.

     A quel point as-tu pu observer ce processus ? J’ai habité Cizre pendant un an et demi entre et , où

     j’ai mené des recherches ethnographiques sur les politiques de la

    Le mouvement d’auto-gouvernance kurdedans la Turquie du sud-est 

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     jeunesse kurde. Après avoir terminé mes études, j’y suis retournépour rendre visite.

    Quelles sont les impacts de la création de l’auto-gouvernance lo-cale sur les structures politiques du HDP? Quelle est l’interactionentre ce mouvement et le mouvement d’autonomie au Rojava, del’autre côté de la frontière syrienne ? 

    Le mouvement d’autonomie au Rojava s’inspire des idéologiesormulées par Abdullah Öcalan. Il a vécu longtemps au Rojavaavant son arrestation. C’est pour cela qu’il a une grande influencesur la population là-bas. Malgré le ait que le YPG et le PKK soientdeux organisations différentes, ils partagent la même idéologie.On sait qu’il y a eu beaucoup de combattant-e-s du PKK qui sontparti-e-s rejoindre les combats au Rojava. Lors que je aisais mesrecherches à Cizre, il y a eu beaucoup de jeunes de cette ville quiont rejoint le YPG.

    Actuellement, beaucoup des gens qui se sont battus au Rojava viennent rejoindre la résistance contre l’état turc, à Cizre ou dansd’autres villes. Le processus de construction de l’autonomie au Ro- java a aidé à lancer ce même mouvement au Kurdistan en urquie.Les acteurs politiques au Kurdistan turc passaient régulièrement larontière pour allez au Rojava et y ont appris énormément sur lasituation et l’expérience là-bas. out ça pour dire que le Rojava et leKurdistan turc restent ortement liés.

    Le HDP a aussi été ondé dans le cadre de cette nouvelle phase dumouvement mais il était sensé s’organiser surtout (mais pas exclu-sivement) dans l’ouest de la urquie. Agissant ensemble avec lesgauchistes, anarchistes, éministes et tout autre groupe d’opposi-tion, le HDP cherchait à transposer la lutte au Kurdistan dans lapartie ouest de la urquie. Je dirai que, même si le HDP a eu desbons résultats aux élections, il n’a pas réussi à porter une politiquerévolutionnaire. Il y a beaucoup des raisons pour expliquer cela : le

    HDP transposait ces politiques révolutionnaires sur le terrain pro-blématique du multiculturalisme, et n’a pas réussi à aller au-delàdes discours libéraux concernant la paix et les droits de l’homme.Cette perspective ne leur a pas réussi en ce qui concerne la questionde la violence. Je veux dire par là que, lorsque la jeunesse au Kur-distan était en train de monter une lutte armée et radicale contrel’Etat, le HDP aisait semblant qu’une telle résistance n’existait pas,et qu’il ne s’agissait que de violations des droits de l’homme de lapart de l’Etat turc. Le HDP aisait ace à un dilemme : aire de lapolitique dans deux mondes radicalement opposé.

    Ça ait déjà très longtemps que la population au Kurdistan estpolitisée, alors que dans les régions turques les groupes d’oppo-

    sitions se sont ait majoritairement marginalisés, à l’exception dumouvement Gezi qu’on pourrait considérer comme un point derupture. De plus, le Kurdistan est un pays colonisé où la violenceétatique, tout comme la résistance, est à vi. Mais au lieu de vrai-ment conronter ce dilemme et ensuite trouver des manières des’organiser dans l’ouest (de la urquie), le HDP choisissait le che-min le plus acile, en embrassant le discours du multiculturalisme.

     La société kurde est largement hétérogène. A côté des sympa-thisants de l’autonomie Kurde et du socialisme démocratique,il existe un nombre non-négligeable de Kurdes conservateurs etislamistes, dont certains militent fortement contre tout ce quiressemble au PKK. Et c’est possible qu’il y ait un certain nombre

    d’hommes d’affaires kurdes ou de chefs de tribu qui ne seront pas forcement d’accord avec certaines pratiques de l’auto-gou-vernance locale. Certains de ces éléments ont voté AKP lors lesdernières élections. Certaines régions touchées par le mouvementsont d’ailleurs assez diverses ethniquement parlant, comprenant

    au Bakûr :

     Il semble que l’usage d’armes chimiques est en train dedevenir monnaie courante dans l’armée turque et chezson allié Daech. Le 16 février, quatre membres des YPG/YPJont été tué.e.s lors de bombardements de l’armée turquesur le mont Bagok, dans la région de Sirnak. Les civils quiont essayé de récupérer les corps ont aussitôt présenté lessymptômes d’une réaction allergique : irritations au niveaudes yeux, du nez, ainsi que des irritations de la peau. Lesmédecins de Bagok ont conrmé que ces réactions étaienten eet dues à l’usage d’armes chimiques par l’arméeturque. (Source : kurdishquestion.com)

    Comme si les soldats turcs massacrant les populationsau Kurdistan n’avaient pas assez d’impunité comme ça, legouvernement AKP est maintenant en train de rédigerune nouvelle loi pour légaliser les meurtres commis au

    nom de la « lutte contre le terrorisme ». Si la loi est appli-

    quée, les victimes n’auront le droit d’ attaquer les forcesarmées turques en justice qu’après avoir fait une demandeauprès du ministre de la défense nationale et du premierministre, qui ne sont pas très favorables à ce type d’investi-gation. (Source : anfenglish.com)

    Şırnak. Cemile raconte que, dans les années 1990, elleet ses proches ont dû quitter Bestia pour rejoindre Şırnak(la ville la plus proche). A présent l’Etat turc essaie de leschasser de cette ville. « Les massacres actuels sont équi-valents à ceux des années 90. Mais à l’époque quand l’unde nous mourait, on était en deuil pendant des jours. Alors

    qu’aujourd’hui, tout est différent, nous ne pouvons pas fairele deuil. » (Source : jinha.com.tr)

    Lors des manifestations du 8 mars à Nusaybin, lesgroupes d’autodéfense de femmes (YPJ-JIN) ont rendu unhommage à Sêvê (députée DBP), Pakize (co-présidentede l’assemblée d’habitabt-e-s de Silopi) et Fatma (membredu KJA) assassinées le 4 janvier par l’armée turque. «Ellessont devenues un symbole de la lutte des YPJ-JIN. On appelletoutes les femmes à venir derrière les barricades et à résisteravec nous contre les massacres policiers [...] Les femmescombattent le système colonial et continuent à écrire l’his-toire. » (Source : jinha.com.tr)

    Les murs parlent. « L’Etat turc écrit sa masculinité sur lesmurs de Cizre » écrit Jinha.com. Après le départ des soldatsturcs et la levée du couvre-feu, on pouvait lire ce typede graffitis sur les murs : « Les filles, on est là » ou encore« Vous êtes où les filles ? »

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    les populations turques et arabes. Comment ce mouvement na-vigue-t-il entre ces failles ? 

    Le mouvement Kurde est devenu, avec le temps, une puissancehégémonique au Kurdistan ainsi que dans les quartiers popu-laires kurdes dans l’ouest de la urquie. Il a alors réussi à politiseret contenir à la ois des personnes croyantes et non-croyantes. Ilest devenu le seul mouvement en urquie capable d’aller au-delà

    des lignes binaires. En ouvrant de nombreux lieux politiques etsociaux pour des groupes variés, le mouvement a su attirer à la oisles classes populaires et les classes moyennes. Il a aussi reçu du sou-tien des tribus kurdes partout au Kurdistan. Même des amilles deparamilitaires qui se sont battus contre le PKK pendant les années ont commencé à le soutenir.

    L’enjeu en ce moment est le ait que la lutte kurde est en trainde changer de orme, et que certains ont du mal à s’y adapter. Parexemple, la marge de manœuvre des actions politiques civilesest beaucoup plus restreinte ace à l’intensification de la violenced’Etat vis-a-vis du processus d’autonomie. Les classes moyennesdes grandes villes comme Diyarbakır et Van, actives auparavantdans les politiques civiles et les ONG, ont l’air d’hésiter à participeraux mouvements politiques actuels, alors que les quartiers pauvresde ces mêmes villes se sont mobilisés de plus en plus. Dans cer-taines villes où le mouvement kurde était ort mais n’était pas hégé-monique, les gens sont restés largement silencieux dans la mesureoù ils ne pouvaient pas déclarer leur autonomie et du coup n’ontpas soutenu la résistance dans d’autres villes. Ce sont les villes oùle mouvement kurde était historiquement hégémonique (à Cizre,Silopi, Geve, Lice, Silvan, Nusaybin, etc.) qui endossent le nouveauprocessus du mouvement. Je tiens aussi à ajouter que ce ut les jeunes qui ont été les acteurs principaux du mouvement Kurde, etce sont ces jeunes gens qui définissent le rôle de la politique au seinde ce nouveau processus et qui sont les plus efficaces quand il s’agit

    de résister contre l’Etat.Pour en finir, nous sommes au milieu d’un processus où la lutte

    kurde est à la ois en train de monter en puissance dans certainsendroits, et de se aire marginaliser dans d’autres. Mais je crois qu’àlong terme, ces endroits se radicaliseront aussi car l’autonomie esten train de se construire de manière de plus en plus en orte dansd’autres villes.

    Quelles sont les perspectives concernant la propagation du mou-vement de l’auto-gouvernance dans des parties de la Turquie quine sont pas traditionnellement Kurdes ? Une telle expansion est-elle faisable en tenant compte de la hausse du nationalisme turc(anti-kurde) et le rôle que cela a joué dans la dernière victoireélectorale de l’AKP ? Vue l’intensification de la militarisation dela région, est-ce qu’il reste la moindre possibilité de maintenir etde garder en place le mouvement d’auto-gouvernance ? Quellessont les perspectives du mouvement ? 

    Ce mouvement d’autonomie démocratique pose un défi im-mense pour l’Etat turc, étant donné qu’il s’agit d’une zone danslaquelle l’Etat réclame son autorité alors que sur place il y une vieanticapitaliste qui se met en place. De plus, à long terme, ce mou- vement peut potentiellement se propager dans d’autres régions dela urquie. L’année derniere, l’Etat turc a essayé de rentrer dans lesquartiers pour arrêter des gens, dans une tentative de combattrecette propagation potentielle du mouvement. Les jeunes se sont

    alors mis à creuser des tranchées proondes aux entrées des quar-tiers, et à tenir leurs barricades, les armes à la main. Les orces desécurité turques n’ont pas réussi à dégager ces barricades, ni les jeunes qui les tenaient. Suite aux élections générales du mois de

     juin, le gouvernement a déclaré la fin des négociations et a lancédes attaques encore plus brutales contre des villes kurdes.

    Dans beaucoup de villes au Kurdistan des couvre-eux ont étédéclarés, parois durant plusieurs semaines. Les snipers tiraientsur toutes celles et ceux qui n’obéissaient pas. Postés tout autour,des chars militaires bombardaient les villes. N’étant pas capablede réinstaurer son autorité, l’Etat turc a alors tenté de rendre les

     villes kurdes inhabitables. Les blessé.e.es n’avaient pas le droit d’êtreemmené.e.s à l’hôpital. Les mort.e.s n’avaient pas le droit de se aireenterrer. Les gens passaient leurs nuits à mettre de la glace sur lescadavres de leurs proches pour éviter qu’ils ne pourrissent. Mais,malgré tout ça, l’Etat ne pouvait pas entrer dans les quartiers aceaux jeunes qui creusaient des tranchées de plus en plus proondeset qui renorçaient leur arsenal. Pour se protéger des balles de sni-pers, ils accrochaient des énormes draps au-dessus des rues pourbloquer la vue. C’est une stratégie qu’ils avaient appris au Rojava.Ils cassaient aussi des murs entre les maisons et passaient d’unemaison à l’autre, partageant de la nourriture et aidant les blessées,sans mettre un pied dehors. On pourrait dire qu’ils sont en trainde reaire l’architecture des villes pour les rendre plus appropriéesà l’auto-déense. Plusieurs villes kurdes, y compris Cizre, Silopi etNusaybin, sont actuellement sous couvre-eu. Ces villes sont en-tourées de chars et de snipers. Le premier ministre Davutoglu adéclaré récemment en disant qu’ils allaient « purifier » ces villes,maison par maison. L’État essaye de détruire l’autonomie qui semet en place au Kurdistan, au prix de destructions de villes entièreset de meurtres de beaucoup de gens. Et les populations du Kurdis-tan, notamment des jeunes, sont en train de résister contre la mort.

    L’autonomie au Kurdistan, vue l’extrême violence étatique, est-elle viable ? Moi je crois que oui. Parce que l’Etat ne peut pas gagnerune telle guerre, quelque soit le niveau de brutalité. Au début desannées , il n’y avait que les militant.e.s du PKK qui étaient im-

    pliqués dans des conflits armés dans les villes. Mais maintenant, ladifférence entre guérilla et citoyen.ne devient de plus en plus floue.Les civil.e.s sont armé.e.s et se déendent.

    Cette lutte cherche à ne pas transormer uniquement la urquiemais également l’ensemble du Moyen-Orient. C’est-à-dire que lestentatives d’autonomie démocratique ainsi que l’auto-déense encours actuellement au Kurdistan turc, et de manière plus orte auKurdistan syrien (Rojava), pourrait servir comme modèle pourtoute la région et peut-être au-delà. Mais la question qui resteest la suivante : comment ce modèle peut-il se propager ailleurs ?Comme je l’ai déjà dit, le HDP n’a toujours pas réussi à appliquerces politiques dans les régions non-Kurdes de l’ouest de la urquie.

    En Syrie, le mouvement se limite au Rojava. Dans le canton de Ce-zire (Rojava), il y a plusieurs ethnies et groupes religieux qui ontparticipé à la mise en place de l’autonomie en créant leurs propresinstitutions. Cela est une preuve que les politiques de ce mouve-ment ne parlent pas qu’aux Kurdes. Ceci dit, en ce qui concerne laurquie ainsi que le reste du Moyen-Orient, je ne saurai pas dire àquel point l’autonomie démocratique pourrait servir de modèle àl’ensemble de la région.

    Source

     http://www.criticatac.ro/lefteast/kurdish-self-governance/

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    Reportage et témoignage du jour-naliste Osman Oğuz publié le février sur ‘PolitikArt’ et sur son

    blog, sur la résistance de Cizre.Kedistan.net en propose

    la version en français.

    A l’époque où nous étions étu-diants à l’Université de Dicle àAmed (Diyarbakir), nous étionslogés ensemble avec Serxwebûn. Lors desboycotts traditionnellement très animés,des actions quasi quotidiennes du cam-pus, on se saluait, on scandait des slogansensemble. Ensuite, nos chemins se sontséparés, le sien, l’a amené dans le brasier. Leait d’entendre sa voix, des années plus tard,éveille une drôle de sensation…

    Serxwebûn, se trouvait dans sa villenatale Cizre, depuis le début du blocus del’Etat et la résistance pour l’autonomie. Il aété témoin de la barbarie et d’une granderésistance qui se déroulaient dans les ruesoù il est né et a grandi. Les résistants luiont demandé, comme testament, « parle denous », alors il continue à en parler…

    Bien que les paroles soient insuffisantes,nous avons discuté avec Serxwebûn,comme on a pu, de ce qui se passe à Cizre,de la violence d’Etat, de la résistance, et del’identité de ceux qui sont morts. Il y a telle-ment de choses importantes à dire, que pri-

     vilégier certaines d’entre elles serait injuste.Alors, pour bien aire, prêtez l’oreille auxpropos de Serxwebûn, qui a été témoin de

    tout, du début à la fin, et choisissez vous-mêmes les priorités.

    (Vous savez que ceux dont le vrai ennemiest « la vérité », voient comme sort les pirespersécutions, de plus dans une enveloppe judiciaire. Oui, son nom n’est pas Serxwe-bûn[]. Mais ces terres ne s’appellent pas laurquie non plus, alors on est quittes…)

     Avant tout, dans quel état es-tu, com-ment vas-tu ? 

    Comment veux -tu que je sois. J’essaye derécupérer. Je me suis rendu compte qu’ondevrait passer à une période de récupéra-tion. Les personnes qui sont mortes, étaientmes amis très proches. Le ait d’être partide ce sous-sol, de les avoir quitté, était uncomplet hasard. Je suis parti, puis j’allais yretourner, puis la route a été ermée. C’étaitdes camarades infiniment proches. Le plusdésolant est le ait que la majorité étaientdes civils, des étudiants… Une personne

    qui combat, peut mourir dans le combat,c’est aussi douloureux mais différent. Mais,on est encore plus triste pour celui qui n’a jamais combattu, je ne sais pas moi, qui est[] Serxwebûn est donc un alias. Ce joli mot veut dire en kurde« indépendance » et c’est aussi le nom de l’organe de publication duPKK depuis sa naissance.

     juste présent par dévouement, qui ne sedéend pas. Quand on pense comment ilsont été tués, on se déchire.

    Depuis quand tu étais à Cizre ? Cela ait pile un an.

     Maintenant, l’Etat dit : « L’opération estterminée avec réussite. » Qu’a-t-elle faitcette opération à Cizre ? 

    A vrai dire, tout le monde voit le résultat,clairement. Les images prises par l’agencede l’Etat, depuis des blindés, mettent à jour,l’état dans laquelle est mise l’inrastructurede la ville, les habitations, les avenues. Mais

    à part cette destruction, il y a bien sur aussi,l’impact que cela a ait sur les gens.L’Etat annonce « J’ai apporté la sérénité  »,

    «  J’ai ait une opération réussie », mais dé-sormais, les gens d’ici, se souviendront del’Etat avec cette épave. De toutes açons,depuis des années, quand on dit Etat, lesgens pensent à ce genre de choses, et pas àautre chose.

    Déjà, la raison qu’une résistance soitorganisée à Cizre aujourd’hui, n’était pasles épaves que l’Etat a crées dans le passé ? 

    Je dis toujours : les jeunes qui résistentcontre l’Etat aujourd’hui sont les jeunesqui lançaient des pierres contre lui. Etantenants ils ont lancé des pierres, mais l’Etatau lieu de comprendre ces enants, ou de

    ENTRETIEN AVEC SERWEBÛNLES HABITANTS DE CIZRE

     ATTENDENT LE JOUR DE VENGEANCE

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    réaliser leur revendications, les a attaquésd’abord avec des gaz lacrymos, ensuite avecdes armes. Ensuite ces enants ont été arrê-tés. Regardez le passé de chacun d’eux, cesont des enants qu’on appellent « victimesde TMK []  » Maintenant ces enants ontgrandi.

    La résistance de Kobanê, comme danstout le Kurdistan, a changé beaucoup dechoses à Cizre aussi. Mais la situation des jeunes de Cizre était un peu différente. usais bien, Cizre, pour le mouvement de li-bération de Kurdistan, est une ville symbo-lique. Les jeunes ont commencé à s’organi-ser ici, depuis . Leur objecti principalétait plutôt protéger au sens général, la villedans laquelle ils vivait, que le combat armécontre l’Etat ou de l’autodéense physique.

    C’est à dire, que faisaient-il ? 

    Ces jeunes, ont stoppé à Cizre, le vol, ladrogue et la prostitution… out le mondele sait dans quel état était cette ville en. C’était comme la période, où les gensne pouvaient même pas traverser les ruesde Diyarbakır, de Bağlar ; l’Etat avait misCizre dans le même état après les opérationcontre le KCK [Koma Civakên Kurdistan,Le groupe des communautés du Kurdistan]en . A chaque coin de rue, il y avaitdes voleurs, des dealers, des prostituées etles jeunes étaient transormés en espions.

    Dans un premier temps, les jeunes ontcommencé à s’organiser comme une réac-tion contre tout cela, et dans la mesure oùils ont réussi, sont devenus le cible de l’Etat.

    Quand est-ce que les premières tran-chées ont commencé à être creusées ? 

    Lors du processus de Kobanê, l’orga-nisation a gagné de la vitesse. Et, les des-centes dans les maisons ont commencé àce moment là. Après, pour empêcher cesdescentes et les arrestations, les tranchées

    ont été creusées. Les tranchées sont res-tées dans la ville pendant un an, l’Etat n’amis personne en garde à vue, il n’y a paseu d’attaques sérieuses. Les choses étaientnormalisées ; l’Etat et les jeunes s’étaient enquelque sorte entendus. Il y avait commeun accord tacite « Tu n’entres pas dans noslimites et nous n’interviendrons pas. »

    out au long de cette année, dans la ville, iln’y a eu aucun mort, ni blessés, ni même d’ac-tions. Un moment il y a eu quelques attaqueset jeunes y ont perdu la vie, mais c’était ar-rivé à cause de la provocation de Hüda Par[].[] Victimes de MK : Dans les villes de Sud Est de la urquie, aprèsla reorme dans la loi, de la lutte contre le terrorisme (MK) en ,des mineurs ont été arrêtés, jugés et incarcérés en prison adultes, en violation des droits d’enants. La plupart ont été arrêtés, sur soupçonsinondés, parce qu’il y avait la marque de pierres dans leur paume, ouils étaient transpirants etc…

    [] Hüda Par : Un parti islamiste et anti-kurde qui attire les sympathi-sants du Hezbollah turc, groupe militant sunnite acti dans les années.

    Dans le premier numéro, nous avionsbeaucoup parler de la ville de Cizre, etsurtout des massacres qui y ont eu lieuau mois de février. Même si le couvre-feuest ociellement levé, l’armée turque

    reste très présente. Les habitant.e.scommencent à revenir et à reconstruireleur ville, dévastée par les bombes d’Er-dogan. Nous avons traduit et publionsdes extraits de textes pour donner laparole aux gens, adultes et enfants, quivivent et reconstruisent la ville actuel-lement. Pour Fidan, Cesur, Bawer etMuhammed.

    FIDAN.Des centaines de civil.e.s ont été

    tué.e.s ici pendant les 79 jours d’at-taques génocidaires commises parl’état turc. Selon certains rapports,des milliers de maisons ont été entiè-rement démolies. La population deCizre soigne ses blessures avec de lasolidarité. « Cizre résiste encore, et sarésistance continuera avec de la solida-rité », dit Fidan Kanlibas,de l’Associa-tion Solidarité et Aide de Rojava. « Toutle monde est en train de travailler sur lareconstruction de Cizre. Tous les gens

    du Kurdistan, de Turquie, et du mondeentier devraient soutenir la reconstruc-tion de la ville ».L’association a été fondée pour lareconstruction de Kobané. Mais elleapporte son aide à Cizre.Ils et ellesétaient venu.e.s a Cizre dés que lecouvre-feu a été levée. Fidan déclareque certain.e.s personnes continuentà vivre dans les maisons démolis. « Lesfamilles qui ont fui la ville sont reve-nues dans leurs maisons. Elles passentleurs nuits autre part, mais la journée

    elles reviennent a leurs maisons, quin’ont ni électricité ni eau.Fidan continue en disant que les forcesde l’état continuent a bloquer les tra-vaux. « Ils empêchent les véhicules o-ciels de la municipalité et nos camionsde distribuer de la nourriture. »

    CESUR et BAWER.Les enfants qui ont vécu sous lesbombes pendant plus qu’un moisnous partagent leurs expériences.

    Cela fait maintenant 4 jours que cesenfants, dont beaucoup ont assistéà des attaques violentes pendant lecouvre-feu, commencent à sortir dansles rues de Cizre. Ils et elles jouent dansles décombres de leurs quartiers, et serappellent ce qu’ont dit leurs parents

    quand ils parlaient des massacres del’État. Ils disent que les combattant.e.stué.e.s seront vengées. Cesur, ungarçon de 12 ans, décrit le conit ainsi :« Erdogan a envoyé l’armée et la policeà Cizre, ils ont bombardé partout, tuantsurtout les enfants. Pourquoi Erdogana-t-il tué des enfants ? Beaucoup de

     gens sont fâchés parce qu’ils ont détruitnos maisons, mais ils ont aussi détruitdes mosquées. Nous nous demandonspourquoi Erdogan a détruit nos maisons,mais il a même détruit la maison de Dieuparce qu’il est l’ennemi de Dieu. »Alors que Bawer, garçon de 10ans,commençait à parler d’un.ecombattant.e qui s’est fait blesser au

    niveau du pied, ses amis l’ont inter-rompu parce que « c’est secret ». Ila continué en disant que les jeunesrésistant.e.s qui protégaient le quar-tier lui manquaient beaucoup. Puis ila promis que lui et ses amis remplace-ront les combattant.e.s tomb é.e.s etempêcheront la police d’entrer dansleur quartier.

    MUHAMMED.Muhammed Tahir ramasse des éclats

    d’obus pour sa collection, et nousmontre un morceau de la bombe quia détruit sa maison. Il dit qu’Erdoganavait détruit des vies de beaucoup degens, et que tout le monde le détes-tait. Il dit aussi que les soldats et lespoliciers détestent les habitant.e.sde Cizre parce qu’ils avaient écrit lesinjures sur les murs dans et autour deson quartier.

    Retour à Cizre 

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    Dans cette période Öcalan a demandé lasuppression des tranchées et les jeunes lesont bouchées en une nuit. Voilà. L’Etat essayemaintenant de les ermer depuis des mois,alors qu’avec une parole d’Öcalan, c’étaitréglé en une nuit. Mais après la suppressiondes tranchées, les jeunes ont continué à aire

    la garde et protéger leurs quartiers.Malgré la suppression des tranchées,l’Etat a continué ses attaques. Les gardes à vue, les arrestations ont recommencé, et les jeunes qui participaient même à la moindremaniestation se aisait tirer dessus. Aprèscela, les jeunes ont recommencé à creuserles tranchées et mettre des barricades enplace. Ils ont renorcé leur organisation àchaque attaque et ils ont commencé à ré-sister de plus belle. A la fin du couvre eude jours, déjà, presque chaque maison dela ville était devenue un lieu de résistance.C’est la raison principale pour que la résis-tance puisse durer aussi longtemps : elles’est étendue à toute la ville, tout le monde arésisté en aisant ce qu’il pouvait.

    Ces jeunes sont ces jeunes là. Les jeunesque l’Etat poussait vers la prostitution,drogue et espionnage… Les jeunes qui voient la réalité de l’Etat et qui se rebellent.

    Nous voyons pas mal de chiffres [sur lesmorts], tous les jours nous nous battonsavec des chiffres. Mais il y a une histoire de vie derrière chaque nombre… u connais-

    sais presque tous, tu es l’enant de là-bas.

    Comment les jeunes résistaient-ils ? Malgré leurs moyens réellement limités,

    ils ont ait une résistance honorable, contredix mille militaires proessionnels d’unEtat qui dit qu’il possède une des meilleurearmée du monde, dotée de toutes techno-logies et une orce extraordinaire. Je peuxdire que cette résistance continuait mêmedans le sous-sol.

    Parois dans la presse turque, on voit des

    nouvelles comme «tant d’armes ont été sai-

    sies », « ils possédaient tant de munitions ».Nous étions là. Nous avons vu, avec quoices jeunes résistaient… Avaient-ils desarmes ? Oui, bien sur. Mais sois-en sûr,l’arme de chaque jeune à terre, était récu-pérée par un.e autre, parce que le nombred’armes qu’ils possédaient était très limité.Les chars avaient encerclé la ville et sanscesse, ils tiraient au canon sur le centre ville. Ensuite ces chars ont essayé de s’intro-duire dans les quartiers. Les jeunes ne pou- vaient pas aire grand chose ace aux chars.

    Ils prenaient des couvertures et plaids et les jetaient sous les chenilles pour les bloquer.Plusieurs d’entre eux on été blessés en jetantdes couvertures. Les chars ne pouvant pasavancer sur des couvertures, continuaient à

    tirer au canon, de là où ils étaient bloqués.Des blindés venaient pour les débloquer etles jeunes résistaient en lançant des cock-tails Molotov sur ces véhicules.

    Ils n’ont jamais eu des conditions égales.Ils avaient abriqué des « gilets-livres pare-balles» pour se protéger des tirs. Ils entou-

    raient des gros livres de tissus, les cousaientensemble en orme de gilet. ous les résis-tants et les civils qui vivent en ville utilisentces gilets-livres pour aller d’un endroit àl’autre. Les balles, sont retenues, plantéesdans les livres.

    Par ailleurs, ils jetaient de la peinture surles vitres des véhicules blindés. Ils avaienttoujours une méthode alternative pourcontrer chaque type d’attaque. Ils ont résistécomme ça.

    Ils sont restés affamés des jours et des jours. Il y a eu beaucoup de difficulté denourriture lors du blocus qui a duré desmois. Mais malgré cela, dans les barricades,dans les rues, en déendant maison parmaison, ils ont essayé d’empêcher que l’Etatavance.

     Mehmet Tunç est un nom important dela résistance et il est devenu un symbole.Comment le connaissais-tu ? Quel genre de

     personne il était, et comment est-il devenuun pionnier ? 

    Je connaissais Mehmet unç depuis mon

    enance. Après, en il ést devenu pré-sident de la commune. C’était quelqu’un quiprenait toujours place dans la lutte. Quand je suis sorti de la prison, on a recommencéà se voir.

    u peux demander à n’importe qui dete parler de Mehmet unç, il te dira lesmêmes choses. C’était une personne coura-geuse, qui ne aisait pas de concessions, quipouvait mobiliser les gens, un pionnier. Passeulement dans cette dernière période, maisen , aussi… Dans les périodes les

    plus difficiles, Mehmet unç il était capable,rien qu’en passant d’une maison à l’autre, demobiliser les masses pour la résistance.

    Il avait ait cela plusieurs ois auparavantet pendant le couvre-eu de jours aussi…Le quartier Nur était sur le point de tom-ber, te souviens-tu, Mehmet unç a parlé enliaison téléphonique en direct à la télé. Undiscours bouleversant qui disait « le cercles’est resserré   ». La raison de ce discoursémouvant était la désolidarisation de cer-tains politiques, des jeunes. Les politiquessur place disaient « Nous sommes obligés

    de nous séparer des jeunes. Soit les jeunesquittent les lieux, soit c’est nous qui parti-rons  ». Mais Mehmet unç a ait un dis-cours là bas et il a dit qu’il bougerait avecles jeunes, qu’il quitterait la maison où les

    politiques se trouvaient. Ensuite, il a parléavec les jeunes avec une telle verve qu’ilsont réussi à casser le blocus. Et c’est encoreles jeunes qui ont sauvé ces politiques.Sinon, l’Etat, allait tuer dans cette périodede jours, au moins trois, quatre députésdu HDP. ous les tirs de canon visaient

    les maisons dans lesquelles les députés setrouvaient. Ils essayaient de mettre la maindessus. C’est grâce à la résistance des jeunesque les députés du HDP ont pu sortir decette maison. Et c’est les paroles de Mehmetunç qui a donné la motivation aux jeunes.

    Je voudrais raconter un autre souvenirqui me traverse l’esprit. Mehmet unç mel’avait raconté : Quand il était jeune, à ans, les guérillas viennent dans son village.Les jeunes se réunissent. Ils disent « on veutse joindre à vous  ». Ils les prennent tous,sau Mehmet unç. Il demande « Vous avez pris tous mes camarades et vous me lais-sez… pourquoi ? Moi aussi je veux venir !  »Le commandant répond « Ne viens pas. Toi,tu es déjà avec nous. Tu nous es nécessaireici. L’Histoire va te demander de aire des grandes choses.  » Sa amille l’a marié aus-sitôt après cet événement. Il m’a racontécette histoire il y a , jours, quand jele voyais pour la dernière ois et il a ajouté« j’ai attendu des années, en me demandantquand le moment dont le commandant par-lait, allait arriver. Pendant cette résistance,

     j’ai compris que ce moment est ce moment. »Voilà Mehmet unç, un homme, avec sa

    grosse voix, apparaissant d’un coup sur untoit, un autre instant dans un salon, dans larue, remontant le moral à tout le monde. Ilne aisait pas que parler, il était aussi tra- vailleur. Mehmet unç était aussi celui quiportait du sable aux barricades, qui cui-sinait, qui essayait de soigner la blessured’un.e jeune…

    Tu as connu beaucoup de personnes,et tu as plein d’histoires dans ta tête, jesais, mais si on te demande de nous en par-ler d’une, à qui penserais-tu ? 

    Je suis touché par toutes les histoires,mais je voudrais parler de Ramazan. Il a étémassacré, lui aussi dans ce sous-sol.

    Ramazan était un gamin qui vivait dansle quartier Yaes. Pendant la résistance deYaes, il était là, il se balladait d’un barri-cade à l’autre. Il n’était pas un combattant,il n’avais reçu aucun entrainement. Mais,ace à tout ce dont il était témoin, il voulaitaire quelque chose. Puisqu’il n’avait que

    ans, les jeunes ne l’acceptaient pas au ront.Et, lui, il arrivait chaque ois à trouver unmoyen pour venir près des jeunes. Il de-mandais «  Je veux aire quelque chose, moiaussi. » A la fin, ils lui ont donné le devoir

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    de transérer les repas. Ils baladait alorsla nourriture. Quand quelqu’un essayaitd’aller au quartier, il les aisait passer parles endroits les plus sécurisés. Ils maîtri-sait chaque coin, chaque passerelle de Yaespour éviter les snipers positionnés. Rama-zan était devenu le guide du quartier.

    Quand le quartier Yaes est tombé, leshabitants ont quitté la ville, mais Ramazana dit : « Je ne viens pas avec vous. Nous noussommes retirés ici, mais je vais aller à Cudiet continuer là-bas. » Quand il s’est rendu àCudi, les jeunes lui ont dit eux aussi, qu’ilétait beaucoup trop jeune et n’ont pas voulude lui, mais ils les a également convaincus.Cette ois ils ne lui ont pas attribué de rôle,alors il est allé à la Commune de Santé. Enpassant son temps dans cet endroit, il aappris les techniques de soins. Les derniers vingt jours, puisque les autres étaient tousmassacrés, il ne restait plus que Ramazanqui était capable d’intervenir pour les bles-sés. A ans, il était devenu leur médecin.Il soignait tous les blessés.

    Qui étaient ceux qui ont été massacrésdans ce sous-sol ? On dit que la majoritéétait des étudiants…

    du groupe était des étudiants. C’étaitdes jeunes qui étaient sorti du congrès deDEM-GENÇ [Fédération Démocratiquedes Jeunes] la veille du couvre-eu, et qui

    n’avaient pas pu sortir de la ville à cause del’interdiction. D’abord ils se sont dispersésdans tous les quartiers, et petit à petit, quandles quartiers sont tombés un par un, leurzone s’est limitée et ils se sont réunis à la fin àCudi. Un autre groupe de jeunes étaient hé-bergés au centre ville, la police a ait une des-cente et les a arrêtés. Et ce groupe, craignantl’arrestation, est allée au quartier Sur. Ils sontrestés plusieurs jours là bas. Quand la résis-tance a glissé vers ce quartier, les maisons oùils logeaient depuis le début se sont trouvées

    au milieu des affrontements. Quand la po-lice a appris qu’ils y avait des occupants, il y aeu ce massacre. Si ces jeunes étaient venus aucentre ville, ils auraient été effectivement ar-rêtés, c’est pour cela qu’ils ont senti le besoinde rester dans le quartier Sur. Ils restaientensemble, ils pensaient que le couvre-euse terminerait et qu’ils partiraient. per-sonnes étaient dans un immeuble et dansun autre. La majorité des dépouilles sortiesà la suite des bombardements, étaient cellesde ces jeunes.

     Actuellement, après tant de vécu, queressentent les habitant de Cizre ? 

    Bien sûr dans la ville, une atmosphèrede tristesse et de douleur règne. Les gensont encore du mal à réaliser. Mais je dirai

    aussi ceci : les gens sont actuellement déci-dés. Dans cette ville près de personneson été tuées. La majorité des derniers tuésétaient des étudiants, et avant, il y a eubeaucoup de morts, jusqu’à des enants de- ans. La plupart de ceux qui ont ététués, étaient enants de cette ville, et résis-

    taient derrière des barricades. Parce qu’ilsavait perdu eux-même leur proches et ilsavait reçu cet héritage et étaient passés à larésistance. Maintenant, la seule chose quela plupart des habitants de la ville veut,c’est la levée du couvre-eu, puis récupéreret renorcer la résistance. out le mondepense « Comment pourrons-nous organiserune résistance plus efficace ?  » Peu importeavec qui je parle, ils disent « Comment puis-je revenir sur Cizre ?   », « Comment peut-on mener un combat, pour demanderdes comptes pour nos rères ?  »

    Je peux dire que dans la ville il y a uneambiance de vengeance qui règne. Les gensont de grandes attentes du Mouvement dela Libération kurde, mais si leurs attentesne se réalisent pas, il peut y avoir mêmedes vengeances personnelles, et c’est ortpossible. Il y a des amilles qui ont perdudeux, trois proches. rois rères et soeurstués ensemble, ou des cousins, cousines…Je peux exprimer clairement que tout lemonde attend les jours de vengeance.

    Y-a-t-il un sentiment d’être battu ? Non, parce que pour la plupart des gens,

    la mère, le père de ces gamins, leur amilleont vécu les années … Puisqu’ils ontpayé le prix dans ces années là aussi, ilssavent qu’on peut avancer sur ce chemin,même si on trébuche ou tombe parois. Cesont des gens qui savent bien, qu’après descentaines de morts, cette lutte ne se termi-nera pas. Cizre est une ville qui a connu desmassacres périodiques durant ces quelquesannées mais qui arrive à résister chaque

    ois. C’est pour cela, que ces gens disent,comme je raconte, « récupérons et deman-dons des comptes sur nos proches qui ont étémassacrés. »

    Et toi, comment cela t’a-t-il affecté ? J’étais revenu sur Cizre, il y a un an, après

    des années d’absence et les changementsque j’avais vus m’avaient rendu heureux.La ville que j’avais quittée était une villealtérée dont chaque rue était scène demauvaises choses. Mais ces jeunes avaitconstruit une telle vie dans cette ville, que

    tu pouvais te comporter dans la rue, libre-ment, aisément. Les problèmes de la villeétaient devenus aciles à résoudre en peu detemps. à la moindre mésentente, les jeunesintervenaient et dénouaient la situation. J’ai

    même observé qu’il n’y avait plus une seulebagarre dans les quartiers.

    Après, avec les attaques, j’ai été témoin dela açon dont les jeunes résistaient. Quand je les voyais résister derrière les barricades,dans des conditions très lourdes, je leurdisais « Comment je peux parler de vous

    comme vous le méritez ?  ». Il se tournaient vers moi et exprimaient toujours la mêmechose : « Nous, ici, nous résistons. Nousécrivons l’Histoire. Oui, on peut être tués, etnous n’avons pas la chance de créer beaucoupde miracles ace à la orce de l’Etat, mais tudois parler de nous. La seule chose que nouste demandons, est de raconter comment les jeunes de Cizre résistent.  » Voilà le testa-ment que la plupart m’ont confié.

    Bien sur que je suis affecté, comment nepas l’être ? Mes meilleurs amis, des amis quim’ont aidé, avec lesquels j’ai marché conti-nuellement côte à côte, avec lesquels j’ai ré-sidé ensemble dans toute cette période, ontperdu la vie. J’ai été obligé de quitter le sous-sol, juste pour envoyer une image, ensuite je n’ai pas pu y retourner, et eux, là-bas, ilsont perdu leur vie. Je suis resté affecté plu-sieurs jours, à ne pas pouvoir répondre auxappels. Mais quand je repense… Quandnous parlions [au téléphone depuis lessous-sol où ils étaient coincés et condam-nés] , ils disaient tous « Que personne nesoit triste pour nous. Ceux qui veulent aire

    quelque chose, qu’ils s’approprient notre lutte pour laquelle on meurt, qu’ils prennent le flambeau.  » Ils disaient tous, cela, chaqueois qu’on parlait. « Ceux qui ne partagent pas notre résistance, qu’ils ne partagent pasnotre douleur non plus, qu’ils ne viennent pas à nos unérailles. » Il ont répété cela aus-si chaque ois : « Nous ne voulons personne,que personne ne pleure pour nous. Si nousrésistons jusqu’à la dernière balle, si nous nerendons pas, ceux qui s’attristent pour nous, prennent exemple de nous, et qu’ils assentquelque chose, qu’ils étendent la résistance.

     »Je suis affecté de mon côté, mais j’ai com-pris que je dois aire ce que je peux, pourrendre réels, leurs rêves, leurs espoirs. Monobjecti est de parler du massacre, et de leurdonner de la visibilité.

    Comme aimait répéter Mehmet unç,« Cette lutte est une lutte de longue durée.Elle n’a pas commencé hier, elle ne se termi-nera pas aujourd’hui. »

    Je porte aujourd’hui en moi une part dechacun, un souvenir particulier, une pos-ture personnelle.

    Source

    kedistan.fr

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    L’auto-défense comme pratiquerévoLutionnaire au rojava, ou comment défaire L’état 

    Traduction d’un texte de NazanÜstündağ, sociologue àl’Université de

    Boğaziçi, Istanbul, rédigé à l’hiver .

    Vivre dans un pays comme la urquie, oùune guerre de aible intensité entre l’Etatturc et le PKK a coûté la vie à quelques personnes, demande de se ques-tionner sur la violence au quotidien.Certaines de ces questions sont soulevéesréquemment, comme celles concer-nant l’Etat et ses atrocités et commentla violence construit des subjectivités etdes communautés. D’autres en revanche,qui interrogent la violence, sont restéestaboues car elles conduiraient inévitable-ment à abandonner le conort d’une posi-tion humanitaire. Les questions les plusimportantes parmi celles-ci concernentles rapports entre violence et résistance et violence et révolution :

    — Est-ce possible d’atteindre unesociété, une politique, et une économiealternative sans l’usage de la violence ?

     — Est il possible de déendre ce que l’ona accompli sans une organisation militaire ?

    Suite aux observations et interviews que j’ai pu aire dans le canton de Cêzirê[], je

    considère que l’exemple de la Révolutionau Rojava en Syrie, et la manière dontl’auto-déense et la justice sont misesen pratique, poussent les éministes, les[] Le mot ‘Rojava’ veut dire ‘ouest’ en Kurde et désigne les zones peu-plées de Kurdes en Syrie. Il est composé des trois cantons de Kobanê,Arin et Cêzirê.

    socialistes et d’autres groupes d’oppositionà repenser la violence et la loi ainsi qu’unerépartition anti-militariste de la violence etde la justice.

    La révolution du Rojava, à travers sonautonomie démocratique, pose le challenged’une politique de souveraineté et de bio-politique[]. Alors que l’autonomie démocra-tique suggère l’institutionnalisation d’unedémocratie radicale, il aut la déendrecontre les attaques du capital, de l’état et dupatriarcat. La question du comment cettedéense peut s’organiser sans reproduire lamagie de l’Etat (aussig ) et de la loi estcruciale pour la révolution. [...]

    Apprendre de la guerre

    Les idées d’Öcalan ne se sont pas or-mées uniquement par ses lectures maiségalement par ses expériences positiveset négatives dans la lutte armée pour laliberté des Kurdes, initiée à la fin desannées . Selon les écrits d’Öcalan etles emmes de la guérilla que j’ai inter- viewées, la guérilla du PKK n’était pas loinde se transormer en un groupe mafieuxou paramilitaire au tout début des années

    , quand la guerre au Kurdistan étaitdes plus intense. Les leaders de la gué-rilla qui monopolisaient le pouvoir, lesarmes, les routes commerciales, l’inor-[] Biopolitique est un néologisme ormé par Michel Foucault pouridentifier une orme d’exercice du pouvoir qui porte, non plus sur les ter-ritoires mais sur la vie des gens, sur des populations, le biopouvoir. [Nd]

    mation et les relations avec les villageois,compromettaient la voie gauchiste versla libération. Les emmes et leurs luttesont maintenu ces risques sous un certaincontrôle tandis qu’elles commençaient àdéfier les structures patriarcales du PKK.Öcalan a acilité les luttes des emmes enles encourageant à ormer une armée etdes institutions indépendantes en .L’armée et les institutions des emmes n’ontpas seulement garanti la protection desemmes contre les hommes dans l’arméeturque et la guérilla, elles ont aussi per-turbé les canaux du secret, transormé lesrelations avec les locaux et développé uneopposition efficace à l’abus de pouvoir.

    Un autre développement de la guerredans les années a contribué à cequ’Öcalan asse le point sur l’auto-déense.L’une des stratégies de guerre de l’arméeturque était de terroriser les civils aumoyen de déplacements orcés, de dispa-ritions et de meurtres extra-judiciaires. Lebut de l’État était de dépeupler le Kurdis-tan et d’empêcher la guérilla de recevoirun soutien logistique. Dans ses écrits,Öcalan critique durement cette période,expliquant que c’était une erreur que le

    PKK dépende exclusivement des villageoispour la logistique et les laisse ensuite sansdéense quand l’État les rappaient. Durantcette période, le PKK a souffert du ait qu’iln’avait pas organisé les villageois en unitésd’auto-déense, tant sur le plan idéologique

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    que militaire. Pire, certains guérilleros duPKK ont échoué à se suffire à eux-mêmesde açon indépendante et se sont rendusdépendants des produits et de la nourri-ture des villageois, ce qui amenait ces der-niers à prendre de grands risques. Resterà l’écart de la production et d’un travail

    d’autosuffisance a ait que ces membres duPKK sont devenus des sortes de seigneursde guerre avec une souveraineté partielle.

    La conséquence des critiques d’Öcalanet des luttes à l’intérieur du mouvement, aété, dans les années , la création parle PKK d’une structure organisationnelleet idéologique qui empêcherait la réé-mergence de telles approches et pratiquesautoritaires au sein des unités de guérilla.Pendant cette période d’autoréflexionagitée, l’autorité idéologique du PKK adiminué et s’est transormée en une orcemythique dans la vie des gens (Üstündağ) : il vivait en tant que nom auquel denombreuses mémoires, histoires, désirset envies étaient attachées. Les Kurdes,aussi bien ceux qui quittèrent le Kurdistanque ceux qui y restèrent, se retrouvèrentdevinrent nostalgiques de la perte de leuroyer et/ou de l’éthique du PKK, cettedernière ne pouvant être reconstruite uneois que le PKK avait cessé d’être physique-ment présent dans leur vie[]. Autrementdit, bien que le PKK ût efficace dans sa

    guerre contre l’Etat, il avait échoué à créerun corps social autonome moralement etpolitiquement.

    Cependant, il y avait aussi des leçonspositives à tirer de la guerre. Certaines desstratégies militaires victorieuses du PKKdurant les années sont devenues unesource idéologique et matérielle depuislesquelles le récent paradigme de l’auto-nomie démocratique a pu orger les idéesd’auto-déense.

    Éparpillées parmi les vastes montagnes

    du Kurdistan, chaque unité de guérilla estpartiellement autonome et doit dépendred’elle-même pour la survie. Ces uni-tés doivent être capables d’intégrer denouvelles recrues, construire des abris,compter sur un armement léger, s’entraînerelles-mêmes militairement et idéologique-ment, et se déendre elles-mêmes ace auxlourdes attaques aériennes coordonnéesde l’Etat turc. La connaissance intime desguérilleros de leur environnement et deleurs quelques possessions, ainsi que leursrelations étroites les uns avec les autres,

    sont souvent les seules déenses dont ilsdisposent.

    [] Cette nostalgie est devenue une orce productive donnant de laorce à la lutte des Kurdes pour leur visibilité et leurs droits dans leszones urbaines et auprès du gouvernement. C Üstündağ .

    Par exemple, quand l’armée turquea commencé à utiliser des drones pen-dant les années et causé un grandnombre de victimes au sein de la guérilla,quelques-unes de ces unités autonomesont découvert accidentellement que secouvrir sous des parapluies noirs les

    prémunissaient d’être détectées. Ce savoirs’est répandu très rapidement parmi lesunités et est devenu une stratégie com-mune jusqu’à ce que l’armée découvrel’astuce. De tels exemples sont devenus destémoignages circulant largement au seind’un peuple débrouillard sans Etat, qui doitcompter sur ses propres moyens pour sadéense et son auto-gouvernement.

    Il est également devenu clair que lesunités autonomes de guérilla, en plusde causer d’énormes dommages à l’Etat,pouvaient avoir un impact social immensedans la région. Par exemple, après [],des assemblées villageoises initiées par laguérilla ont de plus en plus remplacé lesmédiateurs traditionnels et les anciennesmanières de résoudre les conflits, et lesemmes de la région ont commencé às’appuyer sur des collectis organisés pardes unités militaires non-mixtes émi-nines pour se déendre de la violence, desmariages orcés et des crimes d’honneur.[] A Lice, Yüksekova, Nusaybin, Cizre etDersim, des assemblées villageoises, de

    concert avec la guérilla armée et desmilices se sont elles-mêmes déendues enutilisant différentes tactiques contre lesattaques de l’armée, incluant la construc-tion de rontières ortifiées entre la Syrie etla urquie et l’édification de barrages et depostes militaires. Ainsi, bien avant la révo-lution du Rojava, le nouveau paradigmede l’autonomie démocratique était déjàintériorisé et pratiqué par le mouvementaux confins de la urquie, qui est le coeurdu Kurdistan.

    Enfin, le mouvement a également réaliséque la répartition du Kurdistan sur quatreEtats pouvait être vue comme une orceplutôt qu’une aiblesse. Abandonnant sondésir de ormer un Etat-Nation séparé, lemouvement a redéfini ses buts en consi-dérant l’introduction de la démocratie, del’égalité et de la liberté au Moyen-Orientcomme un tout. Après l’enclenchementdu processus de paix avec la urquie en, des rencontres se sont tenues avec les

    [] L’année est un tournant dans la lutte des Kurdes. Quanddouze guérilleros ont é té tués par l’Etat turc, s’en est ensuit un largemouvement de rébellion régional protestait contre l’Etat mais aussicontre l’émergence des classes moyennes et des élites politiques auKurdistan. Par la suite, la visibilité des guérilleros et leur impact dansles marges et les montagnes du Kurdistan s’est également accru.

    [] Un rapport publié en par Barış için Kadınlar (Femmes pour laPaix) montre que lorsque les guérilleros ont décidé de se retirer suite auprocessus de paix, les emmes de la région se sont rendu compte qu’ellesne seraient pas capables de se déendre elles-mêmes et que la violencecontre les emmes augmenterait dans la région.

    Kurdes de différents Etats et avec les orcesdémocratiques en urquie et en Europepour des groupes et des réseaux édérantles différentes actions en aveur des luttesécologiques, des droits des emmes et dela démocratie. Les associations pour lesdroits civiques des Kurdes, les emmes et

    les partis politiques ont accru leurs rela-tions régionales, nationales et internatio-nales et ont de plus en plus adopté un dis-cours qui insiste sur les principes éthiquesd’avenir ainsi que sur la souffrance passéede multiples groupes ethniques.

    out comme les idées d’Öcalan n’ont pasété développées sur place dans le vide, larévolution au Rojava ne s’est pas dévelop-pée comme un événement auto-explicati,un événement de vérité instantanée. Il étaiten gestation depuis au moins trente ans.

    Des plaines du Nord aux plaines del’Ouest: la révolution au Rojava

    La révolution au Rojava a commencé en juillet à Kobanê et s’est répandue im-médiatement vers Arin et Jazira. D’aprèsles interviews que j’ai réalisées à Kobanêet Jazira, la révolution a commencé par ladésobéissance civile. Lorsque des milliersde personnes se sont soulevées et sontallées au-devant des postes de l’armée gou- vernementale, le petit nombre de soldatsqui les gardaient s’est rendu sans objection.En janvier , les cantons ont publié la

    Constitution du Rojava, dont l’accueil a ététrès avorable. Ce texte se veut un accordsocial volontaire entre les collectivités desdifférentes ethnies, sectes et religions.

    Deux co-présidents de gouvernement,un parlement du peuple avec à sa tête unprésident et deux vice-présidents, dirigentchaque canton. Ces derniers, ainsi que lesresponsables du ministère, sont nom-més par le Mouvement pour une SociétéDémocratique (EVDEM)[], une coalitionde différents groupes politiques qui est le

    principal acteur de la révolution. En or-mant ces gouvernements, EVDEM prendsoin de s’assurer que toutes les sensibilitéspolitiques, les groupes religieux et eth-niques soient représentés dans les gouver-nements de canton et que l’égalité homme/emme soit atteinte à tous les postes dedirection.

    L’autonomie démocratique ne nie pas lalégitimité des États déjà existants. Alorsqu’aujourd’hui la présence de l’État centrala diminué — et qu’à Kobanê elle a complè-tement disparu —, les gouvernements de

    canton eront partie d’une double structurede pouvoir une ois la guerre terminéeet l’État syrien rétabli. Les assemblées,

    [] EVDEM est une organisation de coordination pour les différentspartis et organisations du Rojava qui participe à la réalisation de larévolution.

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    les communes et les académies sont plusimportantes, car elles constituent ensembleune troisième structure de prise de déci-sion pour les questions de production, dereproduction et de déense. Ce que je peuxdéduire des interviews menées auprès desmembres du EVDEM c’est que le lien

    qui unit le gouvernement du canton et lesassemblées n’est pas conçu en terme dedélégation mais comme de l’auto-déense.Cela signifie que l’objecti premier n’est pasd’obtenir que les assemblées soient repré-sentées au sein du gouvernement, mêmesi ça pourrait être le cas. Les assemblées,les académies et les communes serontplutôt les moyens par lesquels les localitéspourront maintenir leur autonomie contreles gouvernements de canton, déaire lesrevendication étatiques de ces derniers etéventuellement s’approprier leurs onc-tions, les rendant ainsi obsolètes.

    L’organisation de la Défense

    et de la Justice au Rojava

    Les Asayis. J’ai rencontré pour la pre-mière ois les Asayiş[] (sécurité) en juillet quand j’ai ranchi la rontière de l’Irak vers la Syrie ou plutôt du Bashur versle Rojava comme l’appellent les kurdes.Depuis que le gouvernement édéral kurded’Irak est réticent à octroyer des docu-

    ments officiels à l’entrée du Rojava et gardela rontière ermée, beaucoup de personnescomme moi sont contraintes d’utiliser desmoyens et des connections inormellespour accéder à Cêzirê. C’est là que déjà, aumoment de ranchir la rontière, alors queles documents valent moins que la volontéet les relations inormelles, l’on se rendcompte de l’absence d’État au Rojava.

    Mes contacts m’ont aidée à accéder àJazira de nuit via le fleuve igre sur unpetit bateau. Après nous avoir accueilli.e.s

    par des poignées de main ermes, descombattants des Unités de protection duPeuple (YPG)[] et des Unités de protec-tion des emmes (YPJ) qui surveillaientla rontière nous ont conduit.e.s à l’aca-démie des emmes, où les emmes quiparticipent aux assemblées, aux comités,au gouvernement, aux communes localeset aux académies reçoivent une ormationrévolutionnaire à propos de la liberté desemmes et du peuple. Cette académiede emmes, ainsi que l’académie d’asayis voisine, sont devenues la maison où j’allais

    [] Les Asayiş sont des unités de déense responsables de la paix et dela sécurité dans les villes et les villages. Les gens s’abstiennent de lesappeler policiers dans la mesure où les membres de s asayiş ont eu desennuis avec la police.

    [] Les YPG et les YPJ sont librement associées au EVDEM et auxgouvernements des cantons et incorporent quiconque veut participerà la déense du R ojava, sans considération d’affiliation politique ouidéologique.

    passer les jours suivants et depuis laquellemes rendez-vous avec différents groupesallaient être organisés.

    À l’époque du gouvernement syrien,Rimelan était le quartier général dugouvernement et les espaces à présentoccupés par les académies étaient inac-

    cessibles pour la plupart des gens à moinsd’y être conduits dans le cadre d’enquêtesou s’ils étaient convoqués par les autorités.Malgré le ait que la nouvelle dispositiondes lieux à Rimelan comporte toujours denombreux checkpoints afin de protéger lapopulation des attaques suicides de Daech,les académies sont ouvertes à toutes celleset ceux qui veulent y prendre part ou les visiter.

    Nombre de jeunes recrues qui parti-cipent aux académies ont été torturéesdans ces mêmes lieux où ils suivent àprésent une ormation; elles pointaientl’ironie qu’il y a d’être à Rimelan en tantqu’étudiant.e.s et uturs “agents de police”.Un endroit qui était auparavant principa-lement considéré comme luxueux et richeest devenu un symbole de modération, un“lieu collecti” où enseignants, étudiantset même officiers de tous grades ont lacuisine, mangent, travaillent, nourrissentles animaux, cultivent des potagers et des jardins et rient ensemble. Beaucoup témoi-gnaient du ait qu’occuper des lieux où ils

    et elles avaient auparavant été humilié.e.set violenté.e.s était un rappel constant dece qu’ils et elles ne souhaitaient pas deve-nir. Comme l’un d’eux l’a ormulé : « nousagissons dans une logique de revanche. Mais la révolution a trop de valeur pourqu’elle puisse être sacrifiée pour des senti-ments personnels » (personne anonyme, juillet ).

    Dans leur imposant ouvrage sur lacréation de l’État dans la vie quotidienne,Akhil Gupata et James Ferguson ()

    avancent que dans la vie sociale, l’Étatest constitué à travers une organisationde l’espace symbolisée par la hauteur desbâtiments, les barrières et les checkpoints.L’existence matérielle et imatérielle del’État comme entité séparée est toujoursd’abord dépendante d’une appropriationde l’espace. Aussi, l’une des manières parlesquelles les Asayis tentent de ne plus etreperçus comme étant des agents de l’État,passe par l’appropriation de l’espace : leschiens, les fleurs et les plantes sont lesbienvenu.e.s ; la moitié des résident.e.s

    de l’académie sont des emmes ; lesétudiant.e.s et les enseignants cuisinent etmangent au même moment. C’est cela quirend Rimelan accessible au peuple.

    Ce qui capte directement l’attention, àRimelan comme dans le reste du Rojava,c’est que la population locale salue etdiscute avec les hommes et les emmesen uniorme - qui marchent dans la rueou gardent un checkpoint - avec fierté etempathie. En Syrie, une majorité de la

    population kurde n’avait pas la citoyennetéet par conséquent n’occupaient jamaisaucune onction gouvernementale.

    Beaucoup de ceux qui occupaient cesonctions ont quitté la région en mêmetemps que les groupes les plus riches aprèsla révolution. La fierté et l’empathie quiest témoignée aux personnes en uniormeprovient de l’effacement de la différencecoloniale qui constituait l’État et la vieau Rojava sous le régime d’Assad et dusentiment que “ceux-là ont partie de notrepeuple”. Plus encore, de telles pratiquesde réciprocité effacent de la vie des gensla présence réifiée et antasmée de l’Étatsyrien, symbolisée par les uniormeséclatants portés par les militaires, leursexpressions ouvertement virilistes et parles palais où ils logeaient.La première tâche des unités d’auto-dé-ense des YPG et des YPJ est de protégerle Rojava des offensives du gouvernementet des organisations islamistes telles queAl-Nusra et Daech. C’est principalementelles qui ont protégé les Yezidis menacés

    de massacre par Daech en Irak et qui ontsécurisé leur évacuation. Cela a constituépour ces unités une étape importante cardepuis, non seulement elles ont endosséavec succès un rôle de déense au-delà desrontières mais elles ont également acquisune légitimité au sein d’autres sociétés etcommunautés. Plus tard, pendant la guerrede Kobanê, les YPG et les YPJ ont appro-ondi cette position internationaliste eninvitant les communistes, les éministes etles démocrates du monde entier à prendre

    part à la guerre contre Daech.Alors que les YPG et les YPJ s’interna-tionalisent de plus de plus, l’objecti desAsayis est de s’implanter en proondeur.Dans une conversation que nous avonseues avec le che des Asayis à Jazira et lesdeux ches (homme et emme) de l’aca-démie des Asayis à Rimelan, on nous arenseigné.e.s sur leurs plans uturs pourl’auto-protection du Rojava. Leur réclama-tion la plus appuyée concerne les armeslourdes et très visibles qu’ils portent.Ils espèrent les remplacer par de petites

    armes et éventuellement de se passer deces armes complètement. Dans un uturpas si lointain, ils projettent que la déensesoit totalement démocratisée et que les

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    assemblées locales prennent ces tâches encharge.

    La création de milices locales dans lecanton de Cêzirê sous le controle du quar-tier et des assemblées de village se ait à unrythme lent. Selon le paradigme de l’auto-nomie démocratique, ces unités de protec-

    tion de quartier composées d’hommes etde emmes de différents âges remplaceronttous les autres unités de déense centrali-sées. Alors que les YPG/YPJ et les sectionsde protection du PKK endossent un rôlehumanitaire et international de plus enplus important dans la protection desopprimé-e-s contre les attaques militairescoloniales, capitalistes et destructrices,ces unités locales seront en charge desproblèmes internes comme la violenceenvers les emmes, les conflits tribaux ou latoxicomanie. Les membres du EVDEM,les responsables de canton, et les membresdes Asayis insistent cependant sur le aitque le Rojava ne réalisera pas cet idéal tantque l’éducation révolutionnaire du peuplen’est pas achevée.

    En effet, chacun.e au Rojava estime quel’éducation et ce que tout le monde appelleune révolution mentale à travers la pra-tique pédagogique sont les ingrédients cléspour soutenir une révolution concrète. Lecolonialisme et l’occupation ont créé unepersonnalité particulière chez les Kurdes

    Syriens, que les acteurs révolutionnairesdéfinissent comme aliénés et égoïstes.L’éducation est un moyen de cultiver unenouvelle subjectivité éthique contrecarrantces personnalités colonisées.

    Une part importante de l’éducationdes asayiş n’est pas technique et traitede sujets comme l’histoire des emmeset leur libération, l’histoire du Moyen-Orient, l’histoire du Kurdistan, l’Etat, la vérité et la diplomatie. Loin d’être unique-ment conceptuelles, les leçons sont aussi

    pratiques, impliquant des enseignementssur la vie dans la nature et comment gérerles situations de pénurie auxquelles lesétudiant.e.s sont conronté.e.s en extérieuret on leur apprend à vivre sans électriciténi nourriture. L’auto-réflexion et l’autocri-tique constituent une autre part impor-tante de ces enseignements : les personnessont invitées à observer collectivementleurs envies de pouvoir, de vengeance et deconormité.

    Une ois que les membres des asayişprennent leur poste, on attend d’eux qu’ils

    aient un comportement égalitaire avec lesgens et qu’ils ne soient pas trop présentsdans leurs vies. Il y a de nombreux cas oùdes plaintes du public ont mené certainsmembres des asayiş à être punis. La

    punition a plutôt un rôle éducati et il n’estarrivé que rarement que des personnessoient exclues de leurs postes. En effet, lapunition et l’application de la loi sont tou- jours débattues au Rojava, dans la mesureoù c’est la loi qui produit et maintient la violence.

    La démocratisation de la Loi : Mai-

    son du Peuple et Maison des Femmes

    Les révolutionnaires du Rojava pensentque la démocratisation de la violence doitaller de pair avec la démocratisation dela justice. Ils rêvent d’une société où il n’yaurait plus besoin de juges, d’avocats nide procureurs, et ils ont ait des progrèsconsidérables pour parvenir à ce but.outes les assemblées de quartier ont descomités de paix et de justice chargés derésoudre les conflits. Si les conflits ne sontpas résolus à ce niveau, ils sont transérésaux maisons du peuple et aux maisonsdes emmes dans les villes et centre-villes.Les maisons des emmes s’occupent des violences contre les emmes : polygamie,mariages orcés et autres crimes impli-quant des emmes.

    Les maisons du peuple et les maisons desemmes du Rojava accomplissent la démo-cratisation et la proanation du jugement via la conversation, l’argumentation et la

    négociation, prenant des décisions au caspar cas et impliquant la communauté dansle processus de prise de décision. Je meréère à la conceptualisation de la proana-tion de Giorgio Agamben () et je veuxla juxtaposer avec la magie de l’État, Étatqui s’approprie de manière exclusive la loiet la violence et ainsi s’impose de manièreantasmatique dans la vie des gens. PourAgamben, l’idée de la proanation estde dépasser les séparations sociales etd’amener tout ce qui est réifié par l’État et

    le capitalisme aux gens pour qu’ils puissentl’utiliser librement. Cela mène, au Rojava,à une orme de magie différente : les gensse sentent attachés à la révolution et, ceaisant, se recréent eux-mêmes.

    Certains membres des maisons dupeuple et des maisons des emmes sontsélectionné.e.s par les assemblées dequartier, tandis que d’autres sont des pro-essionnels du droit et diplômés de l’écoledu droit de Mésopotamie où ils reçoiventsix mois de ormation, et enfin d’autressont des membres anciens et respectés dela société. Les décisions des maisons dupeuple et des maisons des emmes ne sontpas incontestées. Parois leurs membressubissent des menaces. D’autres ois,quand elle est insatisaite du résultat, l’une

    des parties impliquée saisit les institutions judiciaires officielles du canton. Beau-coup d’affaires criminelles sont directe-ment amenées au tribunal officiel. Dansl’ensemble, les statistiques de l’école dudroit de Mésopotamie montrent que des affaires sont résolues dans les conseils

    communautaires et les maisons du peuple.

    La Scène : Guerre, Embargo,

    et Reconnaissance

    Dans cette partie, je vais associer deuxréflexions. La première est que, au milieude la guerre et des troubles, la révolutiondu Rojava peut nous ournir des moyensde repenser la question de la violence et dela loi. L’expérience du Rojava, açonnée partrente ans de guérilla menée au nom d’unpeuple colonisé, suggère une voie à suivrepour réaliser la proanation de la violenceet de la loi par leur démocratisation radi-cale plutôt que par une adhésion irréalisteet libérale à la non-violence. Cela se pro-duit à deux niveaux. D’un côté, à traversles PKK, YPG, et YPJ, des orces arméesnon-nationales et anticoloniales sontcréées qui entendent garantir la sécuritéde tous les peuples opprimés du Moyen-Orient. De l’autre côté, l’auto-déense estproondément localisée et son influences’est étendue via les assemblées de quartier,

    les académies et les communes. Un pro-cessus similaire se produit dans le domainelégal. Alors qu’une constitution non-eth-nique, écologique et prônant la liberté desemmes influence le cadre des pratiques,c’est au niveau local que la justice et la paixsont négociées et débattues.

    Ma seconde réflexion trouve sa sourcedans la recherche en anthropologie del’Etat, qui affirme que l’Etat est orméet reormé au quotidien. Par exemple,Michel-Rolph rouillot ( : –)

    considère que l’Etat est créé par ses effets,notamment par ses effets d’”isolement”,d’”identification” et de “lisibilité”. Arad-hana Sharma et Akhil Gupta ()soulignent que la pratique quotidienne dela bureaucratie et la représentation sontconstitutives de ce que nous appelonsl’Etat. Dans chacun de ces schémas, l’Etatprend une orme antasmatique, il devientun script pour l’exercice du pouvoir etenglobe la société, séparant le social dupolitique. La politique est ensuite coloni-sée par la technique (le bio-pouvoir) et lamétaphysique (la souveraineté). Appliquercela à la terminologie d’Öcalan signifie-rait que c’est à travers la création de l’Etaten tant qu’entité séparée ayant des effetsconcrets que la société est affaiblie et que la

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    Extraits d’un texte écrit à l’hiver par Alex de Jong, éditeur du

     journal Grenzeloos, de la IVe inter-nationale-section hollandaise.

    Nous reproduisons des extraits cetexte parce ce que nous voulons

    construire des liens de solidariténon pas dans l’angélisme ou le roman-tisme mais dans la construction communed’un mouvement qui sait se remettre enquestion, qui sait entendre et ormuler descritiques. Dans le texte suivant l’auteurdoute notamment du ait que le modèle deconédéralisme se propage dans la région enraison des tensions existantes entre PYD et groupes arabes, et qui sont liées aux choixdu PYD ace à Bachar al-Assad.

    Classe et économie au Rojava

    […] Le système capitaliste n’a pasbeaucoup progressé au Rojava. C’estessentiellement une région agricole avecla présence d’une petite classe ouvrière

    moderne. Mais le Rojava reste une régiontrès productive. Dans la Syrie ba’athiste,le Rojava pouvait être comparé à unecolonie intérieure. La région produisaitdes matières premières comme le blé et lepétrole qui était transormées ailleurs.[] Öcalan a décrit la situation socio-écono-

    mique du Rojava comme étant composée,d’une part, d’unités économiques baséessur la amille, et d’autre part, d’une écono-mie d’Etat.[]

    La vision d’Öcalan d’une alternativesocio-économique de ces conditions peutêtre décrite comme social-démocrate :« selon moi, la justice exige qu’un travailcréati devrait être comptabilisé en onctionde sa contribution au processus total de production. La rémunération du travailcréati, qui contribue à la productivité de la

    société, devrait se aire proportionnellementaux autres activités créatives. Garantirun emploi à chacun.e devrait devenir unetâche publique générale. Tout le monde

    [] Ismail Küpeli (ed.), Kamp um Kobanê. Kamp um die Zukunf desNahen Ostens, Műnster, , p. .

    [] Quoted in RSL, p. .

    Une Commune au Rojava ?

    au Rojava :

     Coincé entre Daech et l’AKP. Le 19fevrier, les QSD ont libéré la ville deAl-Shaddadi (Şeddadê), point straté-gique pour Daech et leurs attaquescontre les régions de Til Kocer, TilHemis, Serekaniye, entre autres. Ils’agit aussi d’une région qui avait ététransformée en marché aux jeuneslles et femmes yezidis kidnappéesdans le but des vendre aux combat-tants de Daech. (Sources : kurdis-hquestion.com et kurdpress.ir