Médecine de précision, médecine de décision

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Annales de pathologie (2014) 34, 347—348 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com ÉDITORIAL Médecine de précision, médecine de décision Precision medicine, decision medicine La mise en place par l’Institut national du cancer des plateformes régionales de géné- tique somatique des tumeurs en 2007 a constitué une réelle avancée en oncologie. Pour la première fois, un test moléculaire reproductible et facile d’accès a permis, pour des patients atteints de cancer colorectal métastatique, d’être mieux sélectionnés pour béné- ficier de thérapies ciblées. Ce test correspondait à la recherche de mutations du gène KRAS, dans le cadre de la prescription d’anticorps ciblant l’Epidermal Growth Factor Receptor (EGFR), en l’occurrence le panitumumab (Vectibix ® ) [1,2]. Les mutations des codons 12 et 13, situés dans l’exon 2 du gène KRAS, lorsqu’elles étaient identifiées, étaient en effet le témoin d’une résistance constante à cette thérapie ciblée, contre-indiquant de ce fait sa prescription [1,2]. Dans la foulée cette même restriction s’est logiquement appliquée au cétuximab (Erbitux ® ), l’autre anticorps monoclonal disponible pour le traitement du can- cer colorectal métastatique [2,3]. Cependant, les mutations des codons 12 et 13 du gène KRAS, recensées dans 40 % des cancers colorectaux, ne permettent d’identifier qu’une par- tie des patients résistants. Parmi les 60 % de patients ne présentant pas de tumeurs KRAS exon 2 mutées (dites « wild-type » ou « sauvages »), la moitié seulement va s’accompagner de réponse objective. L’enjeu de l’après KRAS était donc de démembrer cette population hétérogène, afin de rendre plus efficace l’utilisation des anticorps monoclonaux anti-EGFR. Si 2007 a constitué une étape clé dans la personnalisation des traitements, on peut dire que 2013 a renforcé le concept de la médecine de précision. Plusieurs études ont en effet montré que des mutations supplémentaires à celles des codons 12 et 13 de l’exon 2 du gène KRAS s’accompagnent également de résistance aux anticorps anti-EGFR [4—7]. Il s’agit de mutations affectant les codons 61 (situé sur l’exon 3), 117 et 146 (situés sur l’exon 4) du gène KRAS et les codons 12, 13, 61, 117 et 146 du gène NRAS 1 . L’ensemble de ces nouvelles mutations de résistance est présente dans environ 17 % de la population initialement défi- nie comme KRAS sauvage, c’est-à-dire non mutée pour les codons 12 et 13 de l’exon 2. Ces éléments permettent d’identifier maintenant des tumeurs dites « super wild-type » ou « RAS sauvages », c’est-à-dire sans mutations supplémentaires des gènes KRAS et NRAS, précédemment mentionnées. Rapportée à la population globale, les tumeurs RAS mutées représentent maintenant environ 50 % des effectifs, modifiant le ratio précédent 40 % de tumeurs KRAS mutées/60 % de tumeurs KRAS sauvages. Par conséquent, la sélection des patients candidats aux anti-EGFR s’affine. 1 Les gènes KRAS et NRAS appartiennent à la famille RAS et présentent une forte homologie de séquence : aussi les points de mutation de NRAS se retrouvent situés exactement aux mêmes codons, c’est-à-dire aux codons 12 et 13 de l’exon 2, codon 61 de l’exon 3, 117 et 146 de l’exon 4. http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2014.09.002 0242-6498/© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.

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Annales de pathologie (2014) 34, 347—348

Disponible en ligne sur

ScienceDirect

www.sciencedirect.com

ÉDITORIAL

Médecine de précision, médecine dedécision

Precision medicine, decision medicine

La mise en place par l’Institut national du cancer des plateformes régionales de géné-tique somatique des tumeurs en 2007 a constitué une réelle avancée en oncologie. Pourla première fois, un test moléculaire reproductible et facile d’accès a permis, pour despatients atteints de cancer colorectal métastatique, d’être mieux sélectionnés pour béné-ficier de thérapies ciblées. Ce test correspondait à la recherche de mutations du gène KRAS,dans le cadre de la prescription d’anticorps ciblant l’Epidermal Growth Factor Receptor

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(EGFR), en l’occurrence le panitumumab (Vectibix ) [1,2]. Les mutations des codons 12 et13, situés dans l’exon 2 du gène KRAS, lorsqu’elles étaient identifiées, étaient en effet letémoin d’une résistance constante à cette thérapie ciblée, contre-indiquant de ce fait saprescription [1,2]. Dans la foulée cette même restriction s’est logiquement appliquée aucétuximab (Erbitux®), l’autre anticorps monoclonal disponible pour le traitement du can-cer colorectal métastatique [2,3]. Cependant, les mutations des codons 12 et 13 du gèneKRAS, recensées dans 40 % des cancers colorectaux, ne permettent d’identifier qu’une par-tie des patients résistants. Parmi les 60 % de patients ne présentant pas de tumeurs KRASexon 2 mutées (dites « wild-type » ou « sauvages »), la moitié seulement va s’accompagnerde réponse objective. L’enjeu de l’après KRAS était donc de démembrer cette populationhétérogène, afin de rendre plus efficace l’utilisation des anticorps monoclonaux anti-EGFR.

Si 2007 a constitué une étape clé dans la personnalisation des traitements, on peut direque 2013 a renforcé le concept de la médecine de précision. Plusieurs études ont en effetmontré que des mutations supplémentaires à celles des codons 12 et 13 de l’exon 2 du gèneKRAS s’accompagnent également de résistance aux anticorps anti-EGFR [4—7]. Il s’agit demutations affectant les codons 61 (situé sur l’exon 3), 117 et 146 (situés sur l’exon 4) dugène KRAS et les codons 12, 13, 61, 117 et 146 du gène NRAS1. L’ensemble de ces nouvellesmutations de résistance est présente dans environ 17 % de la population initialement défi-nie comme KRAS sauvage, c’est-à-dire non mutée pour les codons 12 et 13 de l’exon 2.Ces éléments permettent d’identifier maintenant des tumeurs dites « super wild-type » ou« RAS sauvages », c’est-à-dire sans mutations supplémentaires des gènes KRAS et NRAS,précédemment mentionnées. Rapportée à la population globale, les tumeurs RAS mutéesreprésentent maintenant environ 50 % des effectifs, modifiant le ratio précédent 40 % detumeurs KRAS mutées/60 % de tumeurs KRAS sauvages. Par conséquent, la sélection despatients candidats aux anti-EGFR s’affine.

1 Les gènes KRAS et NRAS appartiennent à la famille RAS etprésentent une forte homologie de séquence : aussi les points demutation de NRAS se retrouvent situés exactement aux mêmescodons, c’est-à-dire aux codons 12 et 13 de l’exon 2, codon 61 del’exon 3, 117 et 146 de l’exon 4.

http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2014.09.0020242-6498/© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.

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L’étude la plus emblématique pour illustrer l’impacte ces mutations est certainement celle parue dans Newngland Journal of Medicine en septembre 2013 et coor-onnée par Jean-Yves Douillard [4]. Cette étude de phase IIIvait initialement montré un gain en termes de survie sansrogression d’une chimiothérapie par FOLFOX associé auanitumumab versus FOLFOX seul, en première ligne méta-tatique au sein d’une population KRAS sauvage [8]. Aprèsnalyse rétrospective du statut RAS complet, les patientsyant des tumeurs « super wild-type RAS » présentaientne survie sans progression encore meilleure par rapportcelle objectivée dans l’étude princeps et une survie glo-

ale significativement plus élevée en cas de traitementvec le panitumumab. Par la suite, les études concernante cétuximab en première ligne métastatique en combinai-on avec une chimiothérapie de type FOLFOX ou FOLFIRI ontonfirmé un meilleur taux de réponse et de survie globalehez les patients RAS non mutés [9,10]. Il faut enfin soulignerue l’effet délétère de l’association FOLFOX-panitumumabu FOLFOX-cetuximab chez les patients porteurs de muta-ions KRAS a été confirmé en présence de mutations RAS4,9,10].

Quelle est la conséquence de ces données biologiques ?e rôle des plateformes d’oncogénétique s’étoffe naturelle-ent, en ayant pour mission d’établir un statut RAS précis,

t non plus simplement KRAS, dans des délais compatiblesvec une prise en charge adaptée [2]. Il s’agit là de donnéesncontournables dans la stratégie thérapeutique du cancerolorectal en première ligne métastatique, devant aboutir àdentifier les patients pouvant bénéficier au mieux des thé-

apies ciblées anti-EGFR et à écarter ceux pour qui aucunvantage n’existe, ou pour lesquels un effet délétère, enas de mutation RAS et d’association avec l’oxaliplatine,eut survenir. C’est tout l’enjeu de la médecine de précisionans un contexte médico-économique de plus en plus exi-eant et contraint. L’autre challenge concerne sans doute lemonitoring » du statut mutationnel RAS qui peut varier en

onction de la localisation et de l’évolution du cancer colo-ectal, notamment sous la pression thérapeutique [11,12].e « monitoring » devrait s’imposer progressivement et sansoute reposer sur des méthodes fiables et non agressives,elle que la « biopsie liquide », permettant la détection deutations sur l’ADN tumoral circulant [13]. C’est l’un des

hallenges de 2015 !

éférences

[1] Amado RG, Wolf M, Peeters M, et al. Wild-type KRAS is requiredfor panitumumab efficacy in patients with metastatic colorec-tal cancer. J Clin Oncol 2008;26:1626—34.

[2] Bonnes pratiques pour la recherche à visée théranos-tique de mutations somatiques dans les tumeurs solides.Institut national du cancer. http://www.e-cancer.fr/soins/plates-formes-hospitalieres de génétique moléculaire.

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Éditorial

[3] Van Cutsem E, Köhne CH, Láng I, et al. Cetuximab plus irino-tecan, fluorouracil, and leucovorin as first-line treatment formetastatic colorectal cancer: updated analysis of overall sur-vival according to tumor KRAS and BRAF mutation status. J ClinOncol 2011;29:2011—9.

[4] Douillard JY, Oliner KS, Siena SJ, et al. Panitumumab-FOLFOX4treatment and RAS mutations in colorectal cancer. N Engl J Med2013;369:1023—34.

[5] Schwartzberg LS, Rivera F, Karthaus M, et al. Analysis ofKRAS/NRAS mutations in PEAK: A randomized phase II studyof FOLFOX6 plus panitumumab (pmab) or bevacizumab (bev)as first-line treatment (tx) for wild-type (WT) KRAS (exon 2)metastatic colorectal cancer (mCRC). J Clin Oncol 2013;31[Suppl. abstr 3631].

[6] Peeters M, Oliner KS, Parker A, et al. Massively parallel tumormultigene sequencing to evaluate response to panitumumab ina randomized phase III study of metastatic colorectal cancer.Clin Cancer Res 2013;19:1902—12.

[7] Patterson SD, Peeters M, Siena S, et al. Comprehensive analysisof KRAS and NRAS mutations as predictive biomarkers for singleagent panitumumab (pmab) response in a randomized, phase IIImetastatic colorectal cancer (mCRC) study (20020408). J ClinOncol 2013;31 [Suppl. abstr 3617].

[8] Douillard JY, Siena S, Cassidy J, et al. Randomized, phaseIII trial of panitumumab with infusional fluorouracil, leuco-vorin, and oxaliplatin (FOLFOX4) versus FOLFOX4 alone asfirst-line treatment in patients with previously untreatedmetastatic colorectal cancer: the PRIME study. J Clin Oncol2010;28:4697—705.

[9] Bokemeyer C, Kohne CH, Ciardello F, et al. Treatment outcomeaccording to tumor RAS mutation status in OPUS study patientswith metastatic colorectal cancer (mCRC) randomized to FOL-FOX4 with/without cetuximab. J Clin Oncol 2014;32:5s [Suppl.

abstr 3505].

10] Ciardiello F, Lenz HJ, Kohne CH. et al (2014) Treatment out-come according to tumor RAS mutation status in CRYSTAL studypatients with metastatic colorectal cancer (mCRC) randomizedto FOLFIRI with/without cetuximab. J Clin Oncol 2014;32:5s[Suppl. abstr 3506].

11] Kopetz S, Overman MJ, Chen K, et al. Mutation and copy num-ber discordance in primary versus metastatic colorectal cancer(mCRC). J Clin Oncol 2014;32:5s [Suppl. abstr 3509].

12] Graham DM, Arseneault M, Sukhai MA, et al. Analysis of clonalevolution in colorectal cancer. J Clin Oncol 2014;32:5s [Suppl.abstr 3510].

13] Bardelli A, Corso S, Bertotti A, et al. Amplification of the METreceptor drives resistance to anti-EGFR therapies in colorectalcancer. Cancer Discov 2013;3:658—73.

Frédéric Bibeaua,∗,Jean-Christophe Sabourinb

a Service de pathologie, unité de biopathologie,institut du cancer de Montpellier,

34298 Montpellier, Franceb Plateforme d’oncologie moléculaire, service depathologie, CHU de Rouen, 76000 Rouen, France

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected]

(F. Bibeau)