Maze Magazine - n°46 - Décembre 2015

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Numéro 46 • Décembre 2015 RENCONTRE AVEC TOUT EST MAGNIFIQUE JACQUES

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En couverture, notre rencontre avec Jacques, trublion de la musique techno. Nous avons également parlé musique avec Superpoze, Dream Koala et Code ou littérature avec Eric-Emmanuel Schmitt. En résumé, la rencontre est au cœur de ce numéro, pour votre plus grand plaisir.

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Numéro 46 • Décembre 2015

RENCONTRE AVEC

TOUT EST MAGNIFIQUE

JACQUES

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Directeur de la publicationDirecteur de la rédactionBaptiste Thevelein

Directeur-adjoint de la rédactionBenoît Michaëly

Directrice artistiqueChristelle Perrin

Directeur de la communicationAntoine Demière

Directrice-adjointe de la communicationSofia Touhami

Secrétaire de la rédactionKevin Dufrêche

Coordinatrice générale de la rédactionAmélie Coispel

Coordinatrice de la correctionLisette Lourdin

Rédaction en chef des rubriquesManon Vercouter, actualitéMarie-Madeleine Remoleur, musiqueEmma Pellegrino, cinémaBasile Imbert, littératureEloïse Prével, styleEnora Héreus, écransLouison Larbodie, art

RédactionAdam GarnerAlénice LegouxAlexandre CarettiAlice MillotAlison RoiAmélie JamesAnna FournierAnne-Flore RouletteAriel PonsotArthur SautrelAstrig AgopianBasile FrigoutBasile ImbertCassandre RoseCéline JollivetJulia CoutantJune de WittCharlotte GaireClaire LeysClara BoulayClément WibautConstance MichaëlyDearbhla O’HanlonDorian le SénéchalEloïse BouréEmma BonneaudEmily LingatEtienne MeignantFabien RandrianarisoaFlorine MorestinFrançois LeclincheGuillaume AndréHugo PrévelJason StumJenifer WinterJérémy TrombettaJulien Hardouin

Juliette KrawiecLaura FigueiredoLauranne WintersheimLaure ChastantLisa TigriLisha PuLoïc PierrotLudovic HadjerasMargot LadirayMarie BeckrichMarie DaoudalMarie PuzenatMarine RouxMarion DanzéMaureen GuillevicMelaine MeunierMélanie SoaresMaurane TellierMyriam BernetNicolas RenaudNicolas CuryNicolas FayeulleNiels EnquebecqNoa CoupeyOksana BaudouinPablo MorenoPhilippe HussonRoxane ThébaudSalomé LahocheSolène LautridouThibaut GalisThomas PesnelThomas PhilippeTom Vander BorghtVictor Jayet BesnardVictor LepoutreYannis Moulay

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Secrétariat de rédactionAnaïs AlleEmma PellegrinoEmma HenningJohanne Lautridou

Kevin DufrêcheMarion BothorelMarion ZitoliSarah FrancesconiThomas Sanchez

ÉDITOC’est un phénomène impalpable et pourtant si concret, une histoire si dingue et pourtant si réelle. Il semblerait que nous y soyons. Au moment où nous bouclons ce numéro, le Front National est arrivé en tête dans six régions aux élections de décembre, et est en passe d’emporter au moins deux, peut-être trois, présidences de conseils régionaux. Depuis sa création, Maze est politique, notre projet, les valeurs que nous portons, se réfèrent au progrès, à l’ouverture au monde, à une certaine idée de l’humanisme. Dans un paysage politique français en décomposition, en attente d’une hypothétique recomposition, il nous incombe aujourd’hui de nous élever contre ce qui se passe autour de nous.

Comment faire ? Certainement pas en prenant les électrices et les électeurs frontistes pour les demeurés qu’ils ne sont pas (tous), ni en sortant des sondages et études tous plus ineptes les uns que les autres pour prouver que ces personnes ne sont pas normales. Peut-être pourrions-nous essayer de réfléchir, d’étudier et de vérifier, point par point, les programmes ou l’absence de programme des candidats ? Peut-être aussi pourrions-nous essayer d’écouter un peu les doléances de ceux qui font le choix de mettre le bulletin bleu marine dans l’urne ?

Tout cela explique de se poser un peu, de mettre de côté notre frénésie, et de demander, à celles et ceux qui sont aux responsabilités, de parler de politique et de ne pas cristalliser le débat autour d’un positionnement avec ou contre le Front National. Arrêtons de fléchir, commençons à réfléchir.

Baptiste TheveleinDirecteur de la publication et de la rédaction

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SOMMAIRE LABYRINTHIQUE

SPECTRE

ÉTONNEZ MOI ! PHILIPPE HALSMAN

COUP DE CŒUR

RENCONTRE AVEC CRI

THE OTHER SIDE

RENCONTRE AVEC JACQUES

UNNO

LA TÊTE PLEINE D’ART - NOTRE ANNÉE

RENCONTRE AVEC LOUD LARY AJUST

RENCONTRE AVEC WE ARE MATCH

LE FN EN GUERRE CONTRE LA CULTURE

DÉGRADÉ

CE QU’ON A AIMÉ LIRE EN 2015

RENCONTRE AVEC ALBERT HAMMOND JR.

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RENCONTRE AVEC JACQUES« Dans mon travail de musicien, plutôt que spirituel je dirais qu’il y a un aspect animiste, quand je vais entendre un bruit je vais me demander quel est le « mojo », le « spirit » qui est derrière ce bruit. »

RENCONTRE : SUPERPOZE & DREAM KOALA & CODE« On ne voulait surtout pas faire le concert symphonique de Julien Clerc. »

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Le magazine Maze est gratuit et est édité par l’association loi de 1901 Inspira-Maze, déclarée le 11 mai 2012 à la sous-préfecture de Cherbourg-Octeville et parue au journal officiel le 26 mai 2012. Le siège social de l’association est situé au 33 rue de Trottebec, 50100 Cherbourg-Octeville. Adresse de gestion : 6 rue de l’Hermine, 35000 Rennes.

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Mise en page : Christelle Perrin, Niels Enquebecq.

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SNØHETTA

DE L’USAGE D’INSTAGRAM

LA CULTURE PLUTÔT QUE LES BOMBES

TOP DES ALBUMS DE 2015

RICHARD III

RENCONTRE : SUPERPOZE & DREAM KOALA & CODE

LE PONT DES ESPIONS

JE SUIS ÉTUDIANT EN ART

HYACINTHE MAGNIFIE LA NOIRCEUR

RENCONTRE AVEC BETTY THE NUN

ERIC-EMMANUEL SCHMITT

KNIGHTS OF CUPS

L’ANNÉE MAZE

RICHARD III« Quatre heures de conspirations, de trahisons, d’afflictions, de meurtres, de séduction puis de jubilation sans jamais laisser de place à l’ennui. »

DÉGRADÉ« Quitte à mourir, autant mourir en faisant quelque chose que j’aime. »

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Vous avez quelque chose à nous dire ? [email protected]

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Cinéma

SPECTRE Routes du vin dans le Périgord

Il est 13H00, depuis une heure déjà le monde se presse, les silhouettes s’accumulent. Des murmures d’excitation bruissent sur les murs en moquette et le sol regorge de pop-corn démoli sous les pieds de la foule sentimentale. La salle ouvre, tout le monde se pousse pour avoir le siège du milieu, the place to be. Après mille ans de publicité M&Ms les lumières s’éteignent. Un costume noir. Tintintinlin. Voici Bond, James Bond de retour dans les salles noires.

h le retour aux classiques, l’impression de trouver en face de soit une rare pépite culte qu’un jour les enfants regretteront de ne jamais avoir pu voir autrement que sur leurs tablettes. Skyfall semblait avoir rassemblé les cinéphiles de tous bords

et chacun s’accordait pour dire qu’il sera dur de faire aussi bien pour le prochain. Et ils avaient bien raison. A moins que bourde monumentale il y ait eu au moment d’envoyer le scénario (un des écrivains se sera forcément cassé la patte et son collègue aura envoyé le brouillon), les scénaristes du film semblent

avoir royalement perdu la boule (aucun spoil, don’t worry) : l’intrigue est que tous les méchants que Daniel Craig a anglaisement envoyé au paradis ne sont en fait que les disciples d’un méchant méchant triplement méchant. Dur. Parce que là, Daniel sent que ça va pas être de la tarte et que sa montre Oméga risque bien d’y passer. Mais, portant toute la misère du monde sur ses -jolies- épaules, il se décide à l’affronter. Attention, ça saigne.

Ce merveilleux scénario permet ainsi un joyeux voyage dégustation offert par tonton Mendes qui passe de Mexico en pleine fête des morts à l’Autriche en passant par Rome et Tanger. La ballade touristique est très agréables avec quelques attractions, courses poursuites en voiture, en moto, à pied ou les trois

A© Sony Pictures Releasing France

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Cinéma

en même temps. A reconnaître cependant le plan séquence qui ouvre le film pendant cinq minutes et qui est tout à fait incroyable. C’est tristement ça le plus dommage, Bond a les moyens de faire mieux. Le travail sur l’image est inédit avec des plans très soignés et des ambiances différentes, une modernité et en même temps la continuité esthétique des précédents. C’est une série plurielle qui évolue avec le cinéma, qui recèle une histoire et qui regorge d’intrigues et de fantasmes. Mais la facilité commerciale semble avoir eu raison de la qualité cinématographique. Tandis que dans Skyfall les bases des premiers Bond étaient retrouvées avec la malice des gadgets, dans Spectre c’est le film d’action qui l’emporte. Malheureusement, pour l’agent secret kamikaze, il y a déjà Ethan Hunt avec Mission Impossible.

De plus, si le côté réactionnaire du secret agent trouve souvent un petit charme, ici les innovations sont synonymes du diable et il n’y que les méchants pour les employer à leurs vils objectifs au détriment des nombreuses possibilités de gadgets avec lesquels Bond aurait adoré s’amuser. M se trouve d’ailleurs très intelligent de penser que les nouvelles technologies c’est bien, mais l’homme sur le terrain c’est mieux, parce que ça vous sauve une démocratie. Comme c’est chou. Chou et puis vu, revu.

Sauvons tout de même Léa Seydoux qui s’essaye à un nouveau genre avec bravoure et qui relève à merveille le défi : simple et sensuelle, elle ne joue pas la potiche sous le charme de l’English. Pour Christoph Waltz, son rôle est loin d’être à sa hauteur et il aurait mérité beaucoup plus de temps à l’écran. La production semble avoir préféré donner ce temps aux placements de produits qui, s’ils ont toujours été là, prennent ici une place incommensurable.

Spectre est donc une sorte de farce géante atomisant tout le potentiel de cette série mythique. Une image et des courses poursuites ne suffisent pas à faire de James Bond l’homme de la situation et si Daniel Craig ne vieillit pas, les scénaristes eux, semblent hors jeu.

Emma Pellegrino

© Sony Pictures Releasing France

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Etonnez-moi ! Philippe Halsman s’expose au Jeu de

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Philippe Halsman, c’est une carrière photographique impressionnante de richesses et de diversités : 101 couvertures du magazine LIFE, des collaborations avec les célébrités les plus influentes de son temps (le point culminant de ces rencontres artistiques étant sans doute Salvador Dali), et un large panel de domaines explorés (portraits, reportages, mode, expérimentations plastiques…). Et Philippe Halsman c’est aussi, et surtout, une bonne dose d’humour et de positivité, directement injectée aux visiteurs ; et par les temps qui courent, ça fait un bien fou.

i l’humour et la légèreté sont maîtres dans l’œuvre de Philippe Halsman, sa jeunesse n’est pas dépourvue de tragique puisqu’en 1928, lors d’une randonnée avec son père, celui-ci meurt des suites de graves blessures, et Halsman est alors accusé de parricide. Libéré quelques années plus tard, sommé de quitter l’Autriche, il arrive à

Paris et entame sa carrière photographique (profitant du développement des magazines et de la photographie comme support publicitaire), carrière qui le poussera à devenir l’un des photographes les plus influents de son siècle.

Il commence par ce qui deviendra par la suite sa marque de fabrique : des portraits de personnalités influentes, d’abord issues d’un milieu plutôt artistique (des acteurs, des cinéastes, des musiciens) puis même des sportifs et politiques. Parmi ses célèbres sujets on compte pêle-mêle Marilyn Monroe, Audrey Hepburn, Mohamed Ali, Louis Armstrong, Andy Warhol, Alfred Hitchcock, Fernandel ou Winston Churchill. La particularité de

Halsman, c’est le souci et l’attention extrême qu’il porte à la personnalité de ses modèles, qu’il cherche à cerner au mieux pour la délivrer judicieusement à travers l’image. La jumpology, concept de son invention qui consiste à photographier le sujet en plein saut, en est un exemple parlant. Pour Halsman, c’est le moyen parfait de saisir les personnalités qu’il photographie en pleine désinhibition, dans un instant de vérité et de malice.

Les différentes personnalités s’y prêtent avec un plaisir manifeste et contagieux (mention spéciale au duc et à la duchesse de Windsor, en lévitation dans une dignité toute britannique pleine d’humour). L’humour, c’est d’ailleurs la carte préférée du photographe, dans son œuvre comme dans la vie : même les cartes de vœux annuelles sont des mises en scènes délicieusement loufoques de la famille Halsman.

Philippe Halsman, en véritable autodidacte, se sert du studio comme espace d’innovation et d’expérimentation constante à travers le médium photographique. Il joue avec la lumière artificielle (il emploie par exemple la technique nouvelle de la lumière stroboscopique

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qui produit des flashs intermittents), avec les possibilités infinies du photo-montage.

Son inventivité débordante atteint des sommets dans sa collaboration fructueuse avec Salvador Dali, avec lequel il partage de nombreux points communs. Halsman est à l’origine du projet Dali’s Mustache, un livre-interview dont les réponses sont des portraits photos légendés de l’excentrique peintre. Ensemble, ils livrent des œuvres (photographiques et filmiques) d’un surréalisme jouissif qui nous entrainent dans des mises en scènes fascinantes où les chats font des vols planés et les corps féminins s’assemblent en vanités.

C’est donc une œuvre basée sur l’art de surprendre et d’innover, de jouer et d’amuser pour tirer le meilleur de son sujet, qu’on découvre dans toute sa diversité à travers l’exposition du Jeu de Paume. Etonnez-moi ! , c’est ainsi que le photographe résume son propos artistique, à travers cette phrase volée à Serge de Diaghilev. Le pari est réussi : Philippe Halsman, en effet, n’en finit plus de nous étonner.

Philippe Halsman, Etonnez-moi ! Jeu de Paume, Paris20 oct 2015- 24 janvier 2016

Eloïse Bouré

© Philippe Halsman

« Halsman a le souci de [...] saisir les personnalités qu’il photographie en pleine désinhibition, dans un instant de vérité et de malice. »

© Philippe Halsman

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Cinéma

Coup de cœur le chef d’oeuvre oublié

de F. F. Coppola

Il est relativement fréquent que, dans la filmographie de grands auteurs, quelques petits bijoux passent à la trappe, devenant ainsi ce qu’on pourrait appeler des chefs d’œuvres oubliés. On pourrait parler de La Fille de Ryan, de David Lean, ou encore de Trois Sublimes Canailles, de John Ford, mais il est ici question d’un film un peu plus récent : Coup de cœur, de Francis Ford Coppola. Coppola, tout le monde le connaît. Réalisateur de la célébrissime trilogie du Parrain, deux fois palmé à Cannes, pour Conversation secrète (1974) puis Apocalypse Now (1979)… Il est la figure emblématique du Nouvel Hollywood, et probablement l’un des plus grands cinéastes américains. Pourtant, personne ne semble avoir prêté attention à Coup de cœur. Sorti en 1982, soit trois ans après son précédent film, le mythique Apocalypse Now, Coup de coeur (One from the heart en anglais) raconte comment Frannie et Hank vivent leur séparation après cinq ans de vie commune.

Rétrospective

© Pathe Distribution

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Cinéma

a trame est très classique, et jamais Coppola ne cherchera à la rendre compliquée. Il se contente de cette histoire simple et décide de concentrer toute son énergie sur la mise en scène. Car c’est là que réside tout l’intérêt de Coup de coeur. Ce film est une sorte d’orgie visuelle permanente. Dès

la scène d’introduction, on voit des néons rouges et bleus s’allumer puis s’éteindre, grâce à de brillants jeux de lumières. Puis ces effets laissent place à d’autres expérimentations, à base de fondus, de miroirs… Le tout accompagné de plans séquences géniaux, dans lesquels on voit régulièrement les personnages se croiser. Coppola s’amuse, et ça se ressent ! Il s’amuse aussi dans l’écriture d’ailleurs, puisque le film s’apparente à une sorte de pastiche de comédie musicale. Les dialogues sont parfois guimauves, et régulièrement rythmés par des rimes bien senties, et les références au genre sont nombreuses, à commencer par « tu voudrais que je chante ? Mais je ne sais pas chanter ! », de Hank. Le cinéaste jongle habilement entre la parodie et l’hommage, et livre une œuvre d’une virtuosité formelle ahurissante et d’un avant-gardisme surprenant !

Mais pour appréhender au mieux Coup de cœur, et le juger à sa juste valeur, il faut établir le parallèle avec Apocalypse Now. Car l’un est en quelque sorte l’alter-ego de l’autre. Pour son chef d’œuvre palmé, F. F. Coppola a puisé dans ses ressources. Il a poussé la démesure à un tel point qu’il a atteint une certaine forme de folie, à l’image du personnage principal, interprété par Martin Sheen. Son film l’a tant épuisé

qu’il a eu besoin d’un élan libérateur, d’une démesure inverse, pourrait-on dire. Et cet élan libérateur, c’est Coup de coeur. C’est le film qui lui a permis de se remettre d’Apocalypse Now et de repartir sur de bonnes bases pour la suite de sa carrière. D’ailleurs, il est intéressant de constater à quel point les deux œuvres se ressemblent tout en étant radicalement opposées. Le fait de vouloir raconter une histoire d’amour, simple qui plus est, après avoir réalisé un film de guerre sur un conflit aussi complexe que la guerre du Vietnam, c’est très significatif. Tout comme le fait de faire jouer des acteurs relativement peu connus juste après avoir offert un immense rôle à la star Marlon Brando. Dans Apocalypse Now, tout était grand, géant même. On voyageait dans des hélicoptères au son de La Chevauchée des Walkyries, on se perdait sur le fleuve d’une jungle brumeuse… Ici, on ne quitte jamais l’espace confiné des studios hollywoodiens. Et tandis que les couleurs étaient sombres et ternes dans son précédent film, celles de Coup de Coeur sont flashies et saturées. Comme si Coppola avait besoin de revenir aux fondamentaux (l’histoire d’amour classique, les studios hollywoodiens), tout en conservant sa folie des grandeurs, lui permettant ainsi de réaliser un objet d’art fourmillant d’idées visuelles plus étonnantes les unes que les autres.

Ainsi, Coup de coeur est une œuvre majeure de la filmographie de Francis Ford Coppola, de part son aspect charnière, et son importance dans la carrière du réalisateur. Peut-être que sans elle, nous n’aurions jamais connus d’aussi bons films que Le Parrain III, Dracula ou Tetro, au rayonnement bien plus fort que ce chef d’œuvre injustement oublié....

Melaine Meunier

« C’est le film qui lui a permis de se remettre d’Apocalypse Now et de repartir sur de bonnes bases pour la suite de sa carrière. Il il est intéressant de constater à quel point les deux œuvres se ressemblent tout en étant radicalement opposées.»

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Musique

© Imperial War Museums

Esthétique de la musique électronique -

rencontre avec CRi

Rencontre

CRi du cœur, à défaut d’écrire un «coup de cœur» trop bateau. Mais quels autres termes employer à l’écoute des productions de ce montréalais programmé à M pour Montréal en novembre dernier ? Nouveautés auditives, et discussion constructive,

rencontre avec Christophe, mains habiles derrière le projet à la beauté travaillée.

Alors, qu’est-ce que c’est, CRi ? Qu’est-ce que c’est ? Eh bien, c’est moi, c’est tout. C’est mon premier projet de musique électronique. J’ai commencé il y a 3 ans et maintenant je collabore quand même très souvent avec Ouri. C’est elle qui joue avec moi les Lives. Je collabore aussi souvent avec la même chanteuse qui est Odile. Donc en bref, CRi c’est moi, mais en live il y a un band avec Odile et Ouri qui sont dedans aussi. À l’instar de Caribou qui est comme Daniel Snaith, mais qui a un band de huit membres en live. C’est un peu ça l’idée.

Comment en es-tu arrivé à la musique électronique ? Avant je faisais un peu de piano, je chantais aussi un peu, mais ce n’était pas vraiment sérieux. J’ai juste décidé un jour de commencer la musique avec les ordinateurs. Puis ça s’est fait tout seul. J’ai commencé à en faire vraiment beaucoup puis je me suis inscrit en musique numérique à l’Université de Montréal en 2013 où j’ai étudié tout le son et toute la théorie autour de ça. Après j’ai juste continué là dedans.

Ça aide la théorie avant de passer

à la pratique ? Ça peut aider, mais la théorie ne forme pas à la pratique en soi. Il faut vraiment être dedans pour progresser et en faire tout le temps pour développer quelque chose de solide. Mais c’est sûr que la théorie va t’amener à mieux comprendre les concepts et les outils avec lesquels tu travailles, même si ça n’aide pas trop à la création.

Tu connais donc Superpoze, Thylacine ou Fakear. Je trouve qu’il y a quelque chose qui vous unit dans la musique. Pourrais-tu me parler de tes influences ?C’est clair que mes influences musicales proviennent beaucoup d’Europe. Tu sais, des gars comme Caribou ou Bonobo sont également de grosses influences pour moi. Il y a aussi Machinedrum. C’est quand même assez diversifié au sens de la provenance.

Et tu as un label de prédilection ? Il y a le classique Ninja Tune. C’est vraiment fou là, c’est une institution ! Sinon, il y a Warp aussi. Warp Record c’est vraiment important ! Mais il y en a tellement ... J’ai de la misère à pointer qui fait les meilleurs sons. Il y a même des

labels rock qui portent des projets de musique électronique et qui font des trucs super cool. Je ne pourrais pas dire que j’ai un label de prédilection même si Ninja Tune reste la référence.

Il me semble que Ghislain Poirier est d’ailleurs le seul québécois chez Ninja Tune ...Oui, Poirier est dessus ! D’ailleurs, c’est un peu comme un mentor pour moi. Il m’a conseillé plusieurs fois quand j’avais des questionnements sur la musique. Comment fonctionnent le métier de musicien, producer, DJ et tout ça.

D’ailleurs, qu’est-ce que tu penses de la scène électronique montréalaise, avec des mecs comme Kaytranada entre autres ? Il y en a beaucoup et ce qui est caractéristique de Montréal c’est que c’est très diversifié. Ce n’est pas comme Chicago et le house ou Détroit et Berlin et le techno. À Montréal il n’y a pas un son particulier de musique électronique. Il y a autant des gars comme Kaytranada que comme Jacques Green qui vient de Montréal et qui a un son complètement différent ; comme Lunice aussi. C’est différent, mais

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Musique

© Imperial War Museums DR

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Musiquec’est de haut calibre, et c’est ce qui pourrait caractériser Montréal.

Et c’est l’effervescence de la ville qui peut aider à créer des projets ...Je pense qu’il y a une sorte de spotlight là et que les gens regardent ce qu’il se passe à Montréal. Mais il n’y a pas une culture définie. En Europe ça l’est plus, c’est plus clair. Il y a de la diversité aussi, mais je trouve qu’en France ils ont leur propre son, les Allemands aussi. Après, la vraie identité de Montréal se retrouve dans le indie rock.

Donc, parlons de CRi, pourquoi cette typographie, ces deux majuscules ?C’est juste pour se distancier du mot «cri». Ça n’a pas rapport avec cette action ce nom. Les majuscules n’ont pas vraiment de symbolique, c’est plus esthétique. Puis, je m’appelle Christophe et mon surnom a toujours été Cri. Il n’y avait pas meilleur nom, on m’a toujours appelé comme ça, et c’est court, c’est simple.

J’ai regardé le clip de Pearl et je suis demandée si tu étais exclusivement intéressé par la musique ou si ta curiosité se portait sur l’ensemble des arts. Ouais, j’aime pas mal tous les arts et c’est sûr que je m’investis. Pour moi, c’est important le support visuel, surtout dans le type de musique que je fais. Ce n’est pas une musique que je considère comme autosuffisante et aussi puissante seule. Dernièrement, j’ai intégré des projections durant mes Lives et ça apporte vraiment le spectacle ailleurs. Les gens sont plus portés à être captivés par les sons. Ma musique peut-être dansante, mais c’est quand même très ambiant et introspectif alors quand c’est soutenu par des images, ça permet de faire

encore plus la fusion entre les spectateurs et la musique. Donc, oui je m’intéresse beaucoup aux arts visuels comme la photo, les vidéos, le vjing, les projections, la 3D, etc.

Puis dans Pearl, la danse est importante ! La danse contemporaine, ça te parle ?Oui complètement ! Je viens d’un milieu d’artistes, ma sœur est actrice, ma mère est peintre, mon père a fait des films. C’est quand même quelque chose d’important pour moi l’art, puis j’ai toujours été sensible à la danse. Le jeu des pas, c’est vraiment intéressant. Je crois que je suis intéressé par toutes les formes d’art, il n’y en a pas une que je n’aime pas.

C’est une discussion qui revient maintenant régulièrement, que penses-tu de la dématérialisation de la musique ?J’en pense du bien et j’en pense du mal. Je crois que c’est bien dans le sens où cela permet la démocratisation de la musique, et que ça amène à ce que tout le monde puisse sortir une musique qui peut potentiellement être écoutée par un large public ce qui est vraiment pertinent. En même temps, ça permet aussi l’émergence de beaucoup de trucs sans réelle substance, un peu fade. Il y a beaucoup de musiques qui se répètent, qui sont toutes pareilles dues au fait de cette facilité de publication. Tu n’as plus nécessairement besoin de faire appel à une maison de disque pour que ta musique soit écoutée par un large public. Avec des sites comme soundcloud n’importe qui de son sous-sol peut faire n’importe quoi. Il y a de quoi de magique là dedans, mais on entend aussi souvent les mêmes choses. Ça, ce serait les désavantages du côté de

l’auditeur, mais du côté de l’artiste je ne crois pas qu’il y en ait vraiment.

Toi tu as commencé par soundcloud justement ? Ouais, mais ce qui fait qu’aujourd’hui j’ai un petit auditoire c’est vraiment grâce aux vidéoclips. Des gens les voient, se reconnaissent et sont touchés par ça. Comme je disais tout à l’heure, la musique a besoin d’être accompagnée de ce visuel.

Quels sont tes projets maintenant ? Ça fait déjà un certain temps que je sors de la musique originale, mais j’ai sorti un nouveau titre il y a un mois. Sinon, je travaille sur un EP qui va bientôt être disponible. Sinon plein de projets, mais j’aime bien rester mystérieux, ne pas trop en dévoiler et garder le suspense le plus possible. J’essaie de conserver une approche minimaliste et d’y aller très lentement. Ce n’est pas dans ma démarche de publier des choses nouvelles chaque semaine.

Une envie pour ce qui va venir ?Oui, jouer en Europe ! C’est vraiment ça mon objectif ! Et, justement avec des festivals comme M pour Montréal, ça ouvre vraiment des opportunités puisqu’il y a des gens de partout dans le monde qui peuvent écouter ta musique en live. Ça augure juste bien !

Et, ça s’est bien passé ton show de mercredi ? C’était la première fois qu’on avait un VJ et ça a changé toute la dynamique. On dirait que les gens ont vraiment embarqué même si c’était tous du monde de l’industrie.

Propos recueillis par Louison Larbodie

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Cinéma

© Cypress music

The Other Side La face cachée des Etats-UnisThe Other Side, documentaire fiction de l’italien Roberto Minervini (Le cœur battant), nous présente les côtés sombres de la Louisiane et du Texas. Entre toxicomanes et milices armées, c’est une population raciste et anti Obama qu’on l’on retrouve. Gêne, malaise, mais aussi fascination sont les émotions que l’on ressent à l’égard de ces gens défavorisés, à l’égard de cette triste réalité. Plusieurs personnes ont quitté la salle de cinéma.

e film est divisé en deux parties. Dans la première, ce sont Mark et Lisa, junkies de West Monroe (ville pauvre gorgée d’alcooliques et de drogués) qui en sont le fil conducteur. On découvre à travers l’entourage de ce couple, une population que l’on a peu l’habitude de voir à l’écran. Méthamphétamine

faite maison, mode de vie misérable, prostituées enceintes qui se piquent, vétérans complètement bourrés, enfants certainement déscolarisés... la liste est longue. Mais le fait est que -et c’est ce qui fait le lien avec la deuxième partie-, ce qui compte pour eux, c’est la famille, les proches. Protection et solidarité sont leur devise. On le voit d’ailleurs par l’amour que porte Mark à sa mère ou encore à sa grand mère. Ces moments qu’il passe avec elles amènent un peu de tendresse dans ce film de quête perpétuelle vers un avenir meilleur.

Sans qu’on ne s’y attende, le film change complètement d’endroit, et nous voilà dans la deuxième partie -plus courte- qui se déroule au Texas. Le changement est presque un peu trop brutal, on ne comprend pas tout de suite. Nous arrivons au cœur d’un groupe de paramilitaires qui se préparent pour une guerre civile contre le reste du pays. «Ils partagent cette volonté de protéger à tout prix la famille, et d’aller à l’encontre des institutions pour préserver leurs libertés. Pour moi, il était nécessaire de diviser le film en deux parties afin qu’elles puissent politiquement dialoguer entre

elles, que des échos et résonances adviennent.» Voilà ce que nous dit -et qui explique avec brio ce docu-fiction- Roberto Minervini qui a déjà eu l’occasion de tourner plusieurs films au Texas.

La première partie du film est beaucoup plus forte que la seconde. Bien sûr, les deux parties ne sont pas construites de la même façon, mais la façon dont l’est la première fonctionne beaucoup mieux. On oscille entre empathie -on comprend vraiment les émotions de Mark- et distanciation. Le fil conducteur apporte beaucoup. Et là est toute la complexité de The Other Side : la barrière entre mise en scène et documentaire est infime ! Le réalisateur avoue avoir été mal à l’aise en tournant certaines scènes et les «acteurs» ont parfois refusé d’être filmés lors de scènes un peu trop intimes. Ce qui fait mal, c’est ce triste constat... Mark et Lisa ne sont pas une fiction, on est au cœur de leur mode de vie. «Cette année j’espère que j’irai pas en prison», voici ce que souhaite Mark au milieu d’un repas, et on lui répond «au moins on s’occuperait de toi».

Brillamment filmé, The Other Side montre l’envers du décor des États-Unis à travers un cadre et une lumière remarquables. La lumière naturelle est un véritable atout, elle donne au film tout son douloureux naturel. Minervini a réussi à donner de la beauté à ces marginaux qui affirment qui ils sont et qui l’affirmeront jusqu’à ce qu’ils puissent encore le faire. Agressivité, excès, mais aussi romance et douceur se mêlent dans un film dérangeant mais réussi.

Noa Coupey

L

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Musique

Crête inversée ou calvitie volontaire ?

Rencontre avec Jacques

Jacques, c’est la musique des normaux et des bizarres qui dansent et déambulent ensemble. Jacques, c’est aussi le prénom de celui que nous avons rencontré, quelques heures avant son concert dans un hall impersonnel et gigantesque du parc des expositions de l’aéroport de Rennes, pour les Trans Musicales. Sa musique, son travail, tout chez lui est transversal et se présente comme tel, il compose ses sets « en direct » et en public, en jouant tour à tour avec des sonorités travaillées et des bruits impulsifs, se fondant dans un ensemble curieux de techno.

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MusiqueSalut Jacques, alors, comment ça va ?

Eh bien, ça va bien, disons que c’est stressant. Je suis bizarrement stressé par rapport à ce soir, quand j’y pense c’est comme des papillons dans le ventre et après quand je n’y pense plus alors je pense à autre chose, en même temps il y a les scénarios catastrophe, des appréhensions.

Qu’est-ce qui pourrait se passer ce soir ?

Je ne sais pas, des gens pas tolérants, moi qui dit de la merde, des choses un peu vicieuses.

Est-ce que tu dis ça par rapport à ta crête inversée ?

Non, là dessus j’ai totalement confiance. J’ai tellement l’habitude de la porter maintenant, disons que je n’ai aucune partie de mon appréhension liée à ça. Au contraire, je trouve que c’est plutôt une exhibition d’humilité dans le sens où j’ai l’impression de me ridiculiser.

Le programme des Trans Musicales qualifie cette coupe de « calvitie volontaire », tu préfères quel terme ?

Dans crête inversée, il y a un côté « réaction à quelque chose », alors que dans le côté « calvitie volontaire » il y a un côté qui n’est pas de l’ordre de la réaction mais plutôt de l’action, donc je préfère ça, c’est volontaire. La calvitie pour moi elle est symbole de la sagesse, parce que même si on trouve des vieux cons, il y a plus de sages chez les vieux. Quoi que en fait, il y a des gamins et des gamines qui sont hyper sages, c’est incroyable. L’autre fois j’ai vu un mec de treize ans, il a fait un court-métrage sur la condition humaine, c’était énorme.

Ton concert de ce soir c’est un concert « en direct », comment ça va se passer, qu’est-ce que ça va changer ?

Ce concert là n’est pas plus « en direct » que d’habitude. Je suis le seul a être écrit « en direct » sur le programme, les autres c’est différent, moi tu arrives, direct, il y a moi. C’est le direct. C’est rigolo car j’aime bien jouer avec les appellations, on dit tout le temps « live », « DJ show », « DJ set ». DJ set c’est quand il n’y a rien, maintenant tu as les DJ show, c’est quand tu as des lumières, de la fumée, c’est tous les mots que tu inventes pour valoriser ton bordel. Je me suis demandé ce qu’était mon concert, ce n’est

pas un live car pas d’instruments live ni rien, ce n’est pas non plus un DJ set car je ne passe pas de disques, donc je me suis dit que j’allais faire ma musique en direct. C’est comme si je passais vingt disques en même temps.

Et tu t’y prends comment ?

J’ai prévu des choses à l’avance avec toutes les rythmiques, par dessus j’ai une guitare, ma voix, et tout un tas d’objets. J’ai une plaque en métal, j’ai un loquet, un truc pour serrer les sangles, une gélatine, de l’aluminium, plein de verres.

Est-ce que ton travail est une performance artistique, plus que forcément musicale uniquement ?

Ce soir ce sera forcément plus musical, parce que je me suis vraiment mis la pression dessus. J’ai envie de délivrer quelque chose d’un peu pop, un peu plus accessible, parce que je considère aussi que la performance elle est marrante quand tu peux la voir de visu, ce qui ne sera pas le cas ce soir. Dire que c’est une performance, non, ce serait une promesse qui dépasserait un tout petit peu la réalité, ceci dit en substance il y a un peu de performance, sur une partie du concert je ne sais pas du tout ce que je vais jouer.

En dehors de tes projets musicaux, tu fais d’autres choses, tu as une chaîne YouTube, est-ce que tu peux nous en parler ?

Ah, le centre national de recherche du Vortex, tu connais ? Oui, j’ai un projet en ce moment avec un pote, c’est un projet de recherches à la fois scientifique et spirituel, c’est un projet complètement absurde, mais à côté de ça je découvre de vrais trucs. Le vortex c’est une façon d’appeler la vie, on fait des recherches sur le schéma du vortex qui est une dynamique auto-alimentée, il y a deux énergies qui créent ensemble un vortex. Ce sont des choses qui ne s’arrêtent jamais. Comme je suis assez débridé sur les questions spirituelles je peux en parler autour de moi, et à force d’en parler, de faire des rencontres, je n’ai plus du tout le complexe que j’ai pu avoir avant sur la religion, la spatialité, l’infini. J’ai donc commencé à faire des recherches et dans le cadre de ces recherches nous avons donc percé des perceuses, meulé des meuleuses, lavé des savons, tipexé des tip-ex, pesé des balances, postulé à l’ANPE, envoyé un timbre à la poste. Nous avons fait toutes

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Musiquesortes de choses qui n’ont pour beaucoup de gens aucun sens mais qui pour nous nous permettaient de nous rendre compte de toutes les dispositions que l’on doit prendre avant et après nos actions. Tout cela m’a amené à une réflexion sur l’utilité des objets, et j’ai essayé de calquer le schéma du vortex à tout, donc une imprimante 3D qui imprime une imprimante 3D, un magazine qui parle de magazines, un panneau qui dit « attention au panneau », des choses comme ça. J’ai divisé les formes de vortex, je les ai classifiés et voilà l’objet de nos recherches. C’est pas pareil un vortex créateur, par exemple un stylo qui dessine un stylo, une imprimante qui imprime une imprimante ou un Homme qui fait un enfant. C’est différent de ce que l’on pourrait appeler un vortex « féminin », plus récepteur, qui serait par exemple prendre la température d’un thermomètre, si tu veux faire ça ou exploser un pétard, tu fais déjà ce que fais le pétard. Il y a des choses qui sont des vortex incarnés, certains vortex sont statiques, d’autres sont en mouvement.

On sent que le spirituel a une place assez importante dans ton travail ...

C’est un élément qui se rejoint, dans la vie de tous les jours, avec le scientifique. Dans mon travail de musicien, plutôt que spirituel je dirais qu’il y a un aspect animiste, quand je vais entendre un bruit et je vais me demander quel est le « mojo », le « spirit » qui est derrière ce bruit. L’autre jour, avec un synthétiseur, on faisait des sons, qui donnaient des bruits genre ninja, donc ça c’est un « spirit », et si tu mets des choses comme celles là dans ta chanson c’est pas pareil que si tu mets des sons qui ressemblent à des gouttes. Faire attention à ce à quoi ressemble le son, c’est déjà spirituel, ça ne va pas plus loin le spirituel, c’est juste tout ce qu’il y a autour des choses solides.

Pour arriver à ça tu as eu des expériences ?

Oui, j’ai fait tout ça moi même, comme un grand. Je suis allé essayer tout ce qu’il y a de possible en termes de psychotropes, et après j’ai fait des méditations. J’ai arrêté de prendre des trucs, parce que quand tu te rends compte que la foncedé te fais prendre conscience qu’elle même est absurde, tu ne peux juste plus en prendre. Tu vas en prendre pour arriver dans l’état où tu sais qu’il ne faut plus que tu en prennes. Tu fais la boucle cinq ou six fois et à la fin tu ne veux plus être un tocard donc tu sors de ça et tu vas de pencher sur des choses extrêmes, mais

différentes. J’ai essayé de m’intéresser à la pensée juste, le vœu de silence, ou le jeûne, ce que je n’ai pas encore fait mais que j’aimerai bien faire. L’intéressant c’est la maîtrise des pulsions basiques, il y a beaucoup choses que l’on accepte dans notre vie sans en avoir décidé nous-même, comme certains objets. L’autre fois j’étais chez moi et je me suis dit « dans tous ces objets, lesquels me font du bien, lesquels ne me font pas du bien, lesquels me font du mal, lesquels j’ai apporté ici, lesquels j’aime ? », admettons que tu te retrouves avec un vieux journal, la question c’est « mais qu’est-ce que tu fous chez moi ? », qu’est-ce que j’en ai à foutre de t’avoir chez moi ? Juste tu le jettes, car sinon ça t’encombre, dans l’esprit aussi. C’est des métaphores tout ça, ça n’a rien à faire chez toi, faire le tri dans les objets c’est une première étape, après il faut le faire dans les projets. Le pire, c’est quand tu as un projet, il y a un gars qui arrive « ah ouais trop bien » et finalement au fur et à mesure des semaines il te laisse passer une ou deux idées et six mois après tu te dis que le projet n’était pas celui là. Le problème là-dedans c’est l’argent, faire des concessions, moi j’ai décidé de ne plus en faire. Ce qui t’oblige à faire des concessions, c’est des envies de manger ce que tu veux et quand tu veux, d’habiter où tu veux, d’avoir les fringues que tu veux, c’est que des trucs de psychopathes, de névrosés, de bébés. Quand tu t’en branles de ce que tu portes, d’où tu habites, de ce que tu bouffes, tu kiffes tout, t’as plus besoin de faire de concessions.

Internet, ça prend une place importante dans ta vie et dans ta création artistique ?

Oui. Depuis que j’ai sorti ma musique je me suis rendu compte que je deviens accro, tous les soirs je vais voir à combien j’en suis de followers et de vues. J’analyse le kiff que j’ai à faire ça, et le kiff de ça c’est juste de se réjouir que des gens écoutent mon son, c’est tout. Après quand j’y retourne et qu’il n’y a rien, je me dis « t’es un tocard », exprès je ne mets pas les notifications, sinon j’en reçois tout le temps et du coup je les regarde de temps en temps, ça a pris une place, un peu comme la clope. Comme la clope, internet c’est un rendez-vous. Un rendez-vous avec toi-même, enfin pas internet, les réseaux sociaux. Soi-disant c’est un truc social, mais en fait tu es tout seul avec ton désir personnel, mais c’est réversible. Après internet, oui, moi je n’existe que par internet, si demain internet s’éteint moi aussi, mais ça ne me dérange même pas, c’est une réalité. Mon CD existe en vinyle en trois-cent exemplaires, si internet s’éteint, ce qui peut arriver, il n’y a plus que trois-

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Musiquecent mecs qui peuvent écouter mon son. Mais ça ne me dérange pas, c’est la direction du monde, ça me va très bien. J’ai un rapport toujours un peu spécial avec la technologie, c’est un peu difficile de savoir quoi penser. Par exemple Google, tu vois on dirait qu’il y a une erreur de raisonnement quelque part, ils veulent adapter les concepts spirituels mais dans la matière. La réalité augmentée c’est un peu comme la psychométrie, rentrer dans un objet pour en retirer sa substance. Google c’est un peu ta mémoire. Ils parlent d’immortalité, ce qui veut dire descendre l’éternité dans un Homme, ce qui est absurde puisque l’éternité c’est quelque chose de global. Il y a un truc spécial, mais en même temps j’ai du mal à me dire « c’est des enfoirés d’illuminati de merde », il y a des trucs à observer. J’aimerai bien aller voir le mec de Google pour lui demander quel est son délire, où il veut nous emmener et savoir si j’ai envie de le suivre. Google est à l’échelle de l’humanité la capacité que tout le monde a d’aller chercher dans son cerveau. Google c’est un peu comme la

grosse bête dans Kirikou, qui pompe à la source, ils grossissent et nous en tant qu’artistes-psycho-philosophes on a des flèches en plume et on ne peut pas lutter. Mais est-ce que seulement on veut lutter ? Quand Kirikou il fait le trou, après il a failli mourir, et d’ailleurs à ce moment là quand il va chercher le tisonnier pour aller trouer la bête il est obligé de le voler, donc de commettre un crime. Pendant un court laps de temps, il passe pour un voleur. Pensez à ça, parce que c’est quelque chose qui va se passer, même si c’est peut-être pas l’époque de dire ça, aujourd’hui des ennemis on en a, nos ennemis aujourd’hui, est-ce que c’est vraiment des ennemis ? Parfois on assiste à des retournements de situation qui sont absurdes, comme dans un film, le connard l’a été pendant un temps parce qu’il voulait juste dire quelque chose qui a tout changé. C’est pour ça que je relativise tout ce qu’on peut me faire bouffer, après je ne veux pas non plus inverser la réalité.

Propos recueillis par Solène Lautridou et Baptiste Thevelein

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Musique

UNNOles nouveaux venus au pays des Merveilles de Nowadays Records

Il est des moments où la musique offre une porte salvatrice, un monde à part dans lequel se réfugier, en dehors du temps et de l’espace, où l’on se sent en sécurité. Si finalement rien n’est épargné, la musique fait vivre, inspire et doit rester, résister et donner de l’espoir. Artistes et labels sont là pour relayer cet amour, cette antre de partage et de renouvellement. De jeunes labels comme Nowadays Records permettent ce renouveau en proposant des artistes à l’approche musicale originale. Avec neuf groupes au sein de la famille, les possibilités sont multiples. Si la cuisine auditive est bien propre à chaque cellule, les sonorités qui se mélangent sont aussi liées. Cousins ou frangins, on ne sait trop bien... Mais quand des nouveaux venus font leur apparition on se dit que ça vaut la peine de s’y intéresser.

UNNO, trio formé en 2011, a donc rejoint cette joyeuse bande et a sorti un EP tout frais le 30 octobre, au beau milieu de l’automne. En seize minutes, ils nous livrent une introspection dans un lieu unique. Celui de leurs productions, de leurs créations, et par la même occasion de leur créativité et de leur inventivité. Si les influences électroniques sont incontestables, d’autres sont palpables, et à force d’écoute répétées, trouvables. Effectivement, dans As We Land, les liens se font et se défont. Le fond des quatre réalisations est commun, le tout est planant et divers. Pas éclaté, juste éparpillé, dans un univers parallèle dans lequel on déambule en

découvrant sans cesse de nouveaux recoins. Un pays des merveilles dont on n’a pas envie de revenir et qui s’installe de lui même dans nos oreilles.Sur Blue Leaf on croise dans tout ce dédale un léger côté Breton, époque December ou Edward The Confessor. En plus doux sûrement. Avec une approche différente sans aucun doute. Sitôt la dernière note lâchée, le chapitre suivant s’entame ouvrant une embrasure vers un autre niveau.The Miles puise son penchant épileptique d’une instru arrière à la Kap Bambino, aspirée par une juxtaposition aérienne à la Metronomy et un flow inspiré par un léger relent hip hop.Walls s’opère dans une harmonie du décalage, de la diversité des sonorités. Indie, pop et électro, un trio efficace qui n’est pas sans s’acoquiner avec du James Blake.Le conte se continue et la traversée revêt encore un nouvel atour sur Welayhigh. Mélancolique, la fin paraît proche mais comme dans un cycle éternel Blue Leaf reprend, telle une histoire sans fin dont on connaît pourtant l’issue et le recommencement.

Si As We Land s’exprime dans un modèle restreint, on souhaite fort que les pérégrinations du trio n’en sont qu’à leur balbutiement et que l’intrigue sera faite d’encore plusieurs rebondissements

Louison Larbodie

Nowadays Records, jeune label de cinq ans d’âge, offre une panoplie électronique fascinante. Deux membres de La Fine Équipe, Oogo et Chomsky, auteurs du projet, ont accueilli sous leur aile de nombreux artistes talentueux. Après Fakear, Everydayz et Phazz ou Hoosky : UNNO, produit hybride.

© Pierre Volot

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Art

La tête pleine d’art, une nouvelle

année s’achèveUne nouvelle année, forte en émotions, se retire pour laisser la scène à une nouvelle ère. La suivante fait déjà sentir son flot de prédictions, mais en attendant l’heure est au bilan. Nos rédacteurs se sont laissés aller au jeu des souvenirs et des choix cornéliens pour vous donner un aperçu de leur vision de l’art en 2015. Petit retour en ordre presque alphabétique.

vènements, expositions, pièces, chacun en est allé de ses mots forcément trop limités pour résumer les idées qui se bousculent, la tête emplie de fragments d’art. Pour Christelle, 2015 restera sous l’égide de Thomas Jolly et de son Richard III qui, selon ses dires plus détaillés dans un article à paraître,

«est un éveil créatif, une tempête d’émotions, un spectacle complet d’une richesse rare qui m’a fait redécouvrir le plaisir du théâtre.» D’un autre côte, la biennale de design de Saint Étienne lui a paru être un «bouillonnement d’idées et de réflexions pour une meilleure qualité de vie, [additionné] d’une exposition d’objets dans différents sites de la ville de Saint-Etienne qu’il est possible d’apprécier qu’on soit professionnel comme amateur.»

Pour Dorian, c’est une autre biennale qu’il faut retenir, celle de Venise dont le thème «est vraiment en

adéquation avec le contexte actuel : «All the World’s Futures». C’est le fait que le futur soit au pluriel surtout, car cela montre qu’il n’y a pas qu’un unique chemin tout tracé...». Une œuvre de la biennale l’a en particulier marqué : «The Key in the Hand» de Chiharu Shiota. Il «trouve que l’installation projette vraiment le spectateur dans le monde de l’artiste.» Et qu’elle est également symbolique puisque rassembler la mémoire de plusieurs centaines d’anonymes par la biais de clés crée vraiment une interaction entre l’auteur et le public.

Hugo apporte une autre dimension au regard posé sur cette année en art. Ce qu’il retient de cette année est Primera carta de San Pablo a los Corintios de Angelica Liddell joué à l’Odéon de Paris. Il décrit le spectacle comme un «malaise face à l’amour fou d’une femme transcendée par la foi.» Il retient également une exposition, HEY!, à la Halle St Pierre qui porte «un regard sur un art singulier d’une pop culture sombre qui dérange.»

É

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ArtAu tour de Ludovic de s’exprimer sur le sujet. S’il doit conserver une exposition parmi toutes celles qui l’ont marqué ce sera Studio d’Oscar Tuazon au Consortium de Dijon. «C’était une véritable découverte des matériaux, un voyage au coeur même de la matière, que l’artiste nous a invité à toucher, à regarder, à penser, et c’est pour ça que je classe cette exposition parmi les meilleures de 2015.»

Pour moi, David Altmejd, a été la découverte artistique de l’année. Pour Myriam, ça a même été «l’une de [s]es plus belles et marquantes découvertes artistiques» tout court. Pas que l’artiste ait commencé son aventure créatrice récemment, mais pour avoir rencontré ses œuvres pour la première fois lors d’une exposition au MAC. Un voyage dans les profondeurs de ses pensées a été suffisant pour voir l’ampleur ahurissante de son travail et de ses idées effarantes. Malgré tout, il est impossible de délaisser l’exposition Rodin au Musée

des Beaux Arts de Montréal qui a aussi été l’occasion d’être émerveillée par une compréhension plus grande du travail du sculpteur, et de son obsession pour les mains.Après avoir été immergée dans la puissance véhiculée par la danse face à Kaguyahime de Jiří Kylián aux grands ballets Canadiens de Montréal, l’évènement marquant a sans aucun doute été Muséomix. Myriam la résume simplement : «une belle expérience, très stimulante.» Pour elle, il y a aussi eu la représentation du Petit Prince par Didy Veldman aux grands ballets montréalais «parce que c’était un ballet magnifiquement orchestré à tous les niveaux, que ce soit la chorégraphie, les éclairages ou la musique.»

Cinq approches diversifiées où se mêlent les médiums pour un futur encore plus hors norme. Au revoir 2015, bienvenue 2016.

Louison Larbodie

© Arttribune © United Stares of Paris

© Auriol Gineste© Supakitch

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Musique

Créole montréalais et souci artistique,

entrevue avec

Loud Lary Ajust

Plongés dans le flou de l’ivresse d’une soirée automnale, perdus dans la découverte d’un nouveau festival, M pour Montréal, nous avons assisté au concert montréalais de Loud Lary Ajust, mieux connu sous l’abréviation LLA.

Rythmé par un flow franglais à l’addiction enivrante, le show a transporté un public réceptif, à l’agitation transite et à la voix mobilisée pour chanter, si ce n’est crier, les couplets et les refrains. Transportés et déjà conquis, c’est avec plaisir et curiosité que nous avons rencontré Simon ou Loud et Laurent aka Lary.

On ne peut pas dire que Loud Lary Ajust est connu en Europe ... Plutôt que de me référer à une page Wikipédia, je préfère vous poser des questions de «base». Vous êtes Montréalais tous les deux mais en quelle année vous êtes-vous formés ?

Simon & Laurent : En 2011 !

Et vous faisiez quoi avant 2011, de la musique ?

Laurent : Ouais, enfin lui et moi on faisait déjà de la musique ensemble depuis qu’on avait comme 14 ans et on a rencontré Ajust par la suite.Simon : Ajust qui est comme le producteur, celui qui fait la musique.

14 ans, ça fait une dizaine d’années que vous travaillez ensemble ça veut dire ? Vos âges on les retient, il faut dire que vous les rappez quand même souvent ...

Laurent : Oui, ça fait 12-13 ans. Ah ouais, tant que ça ? Quand on parle de la jeunesse ?Simon : Tu sais quand tu dis «J’ai 26 ans ...»Laurent : Ah ouais, peut être ! Ça m’arrive (rire)

Et le nom de Loud Lary Ajust ça vient d’où ?

Simon : C’est très simple, ce sont nos noms en solo, lui c’était Lary Kid, moi Loud Mad et Ajust Ajustice. Le trio c’est vraiment nos trois noms.

Vous êtes donc un groupe montréalais qui chante en franglais, pourriez vous expliquer le concept à un public européen ?

Simon : Ici c’est assez commun, quoi pas commun, mais ça existe depuis longtemps. C’est un peu un créole montréalais de mélanger l’anglais et le français.Laurent : Mais c’est quand même strictement artistique dans le sens où les gens ne conversent pas dans la vie de tous les jours en franglais nécessairement. Pas autant que ça laisse croire en tout cas.Simon : Nous les francophones on ne va pas parler à quelqu’un qu’on ne connaît pas en franglais, c’est vraiment un petit luxe que les montréalais se payent entre amis, mixer les deux langues. Même si sinon c’est majoritairement francophone, on évolue dans une culture qui est affectée par l’anglais et Montréal est une ville bilingue. C’est juste naturel.

Et sinon, quelles sont vos influences ?

Simon : C’est assez large, et ça varie tout le temps. C’est comme un mélange de trucs plus classiques de notre jeunesse, de rap et vraiment de ce qui se fait en ce moment. Évidemment aux États-Unis beaucoup ...Laurent : Le rap c’est américain là !Simon : Le rap c’est la source. On écoute beaucoup de

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Musiquerock aussi, et on écoutait beaucoup de punk quand on était jeune, ce genre de musique des années 1980.Laurent : Ça ressort aussi beaucoup dans nos spectacles tout le côté des années punk et rock, de nos années punk et rock.

C’est pour ça qu’il y a une batteuse à vos côtés ?

Simon : Entre autres, c’est vrai qu’il y a Andrea Silver qui fait le drum. Puis il y a une guitare ! Mais oui, ça vient accentuer ce côté-là qui découle clairement du rock là. C’est vraiment plus une performance à haute intensité.

Et vous, quand vous avez commencé la musique ensemble ça a toujours été du rap ?

Simon : Ouais ...Laurent : On a enregistré quelques pistes de guitare piano là des fois, mais ...Simon : ... rien de notable, non.

Il y a quand même des thèmes récurrents dans vos lyrics : la jeunesse ... Qui est-ce qui écrit les textes ?

Laurent : On écrit chacun nos paroles respectives. Les refrains vont être écrits à deux des fois. Sinon nos couplets c’est vraiment lui qui écrit les siens et moi les miens.

Et après vous voyez si ça colle et vous faites des ajustements ?

Laurent et Simon : Ça colle toujours !Simon : Et puis si ça ne colle pas tout à fait, ça peut être intéressant aussi. Mais on s’en parle, puis on échange un peu autour de ce qu’on va faire et on s’arrange pour que ça fonctionne, mais en général ça va un peu de soi, sans qu’on insiste.Laurent : Les trois gars qu’on est dans le groupe, on perçoit les trucs de la même façon fait qu’il n’y a pas besoin de beaucoup de briefing avant. La plupart du temps, nos trois trucs fonctionnent bien ensemble sans que l’on ait besoin d’avoir trop de discussions dessus.

Et Ajust fait les instrus avant, après, pendant ? Comment ça se passe ?

Simon : Il les fait toujours avant, en premier, puis nous on écrit dessus. Ensuite, il les retravaille avec Rough Sound, qui est un autre de nos collaborateurs et qui fait des arrangements sur toutes nos chansons.

Vous avez des clips travaillés, on pourrait évoquer celui d’Automne notamment, en collaboration avec Karim Ouellet. Vous avez un intérêt particulier dans le développement d’un visuel ?

Laurent : On a un intérêt pour l’art donc très certainement. On a un souci esthétique, ça doit se jouer là dedans. Ça fait partie de l’emballage !Simon : La mode, le visuel, les photos, ce sont tous des intérêts connectés ...Laurent : ... connectés à la réalité de la musique aujourd’hui ! Il te faut un visuel fort ! C’est plus juste au niveau auditif que ça se passe à mon avis.

Ce que l’on voit notamment avec les derniers clips de Kendrick Lamar, comme Alright ...

Laurent : Exactement, ce sont des courts métrages presque !! Le message sous-jacent de Alright est vraiment fort !

Vous rentrez dans des personnages pour LLA, en vous dissociant de votre musique dans la vie de tous les jours ou finalement une part de vous-mêmes est toujours dans le groupe ?

Simon : On ne quitte jamais complètement nos personnages. On ne peut s’en dissocier totalement parce qu’au final c’est quand même assez proche de qui on est. Parfois, c’est même exactement ce que l’on dit et ce que l’on vit.Laurent : C’est de la réalité augmentée. Ça reste dans le fond vrai et trop important pour que l’on s’en détache complètement ! C’est sûr que le dimanche quand je fais mon épicerie j’y pense pas là, mais sinon je suis toujours un peu dedans.

Vous collaborez beaucoup avec des artistes montréalais ? D’ailleurs, est-ce qu’il y a une grosse scène hip-hop à Montréal ?

Simon : On ne collabore pas avec beaucoup d’artistes. Dans la plupart de nos albums on n’a aucun ou très peu de featurings, mais des artistes montréalais dans le rap il y en a quand même quelques-uns avec qui on fait des spectacles, avec qui on fait des tournées, avec qui on échange. Est-ce que tu connais Eman et Vlooper ? C’est vraiment un truc à suivre ! Sinon, il y a Alaclair Ensemble ou Koriass avec qui on travaille aussi. Ce ne sont pas tous des artistes montréalais, mais ce sont tous des artistes du Québec.

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Musique

D’ailleurs vous avez trois artistes québécois à conseiller, à faire découvrir ?

Laurent : Cœur de Pirate, Pierre Lapointe et Garou pis voilà (rires). Trois extraordinaires artistes !Simon : Ah oui, Notre Dame de Paris ...Laurent : Non, pour vrai, Eman et Vlooper, Chocolat, Elliot Maginot.

Et des lieux où sortir, puisque le Salon Officiel a malheureusement mis la clef sous la porte ...

Laurent : Ah oui, tu y allais ? Nous on était tout le temps, mais vraiment tout le temps là ! Ça a fermé, oui, c’est triste ... Pour sortir, il y a le Ping Pong sur St Laurent / Bernard.Simon : Il y a le Majestic dans un autre esprit que le Salon Officiel, c’est moi la débauche, mais c’est vraiment agréable.Laurent : Il y a la buvette à Simone sur Parc aussi. Pas mal dans ce coin donc, Parc, St Laurent, Bernard !

Bon, et les projets pour la suite ? Il y a un single, 1 jour, qui est sorti il y a peu, il me semble.

Simon : Oui, on prépare un EP. Donc un album court de cinq chansons qui va sortir en début 2016 !

Vous ne jouez qu’au Canada, mais est-ce vous aimeriez aller jouer à l’étranger ?

Laurent : Oui ! S’il y a une demande on va y aller, mais on ne va pas essayer de percer un marché qui n’existe pas. Je crois personnellement qu’il y en a un. Si à Paris Travis Scott peut marcher nous aussi !Simon : En France, le rap est une musique plus importante qu’au Québec qui plus est.Laurent : Elle est plus reconnue en tout cas !Simon : C’est la musique la plus écoutée au monde il me semble.

Finissons en beauté, Loud Lary Ajust en trois mots, en excluant ceux-là ?

Laurent : Liberté, Égalité, Fraternité.Simon : Ce n’est pas à prendre sur le ton de l’humour. C’est plutôt parce qu’après ce qu’il s’est passé, c’est une pensée pour vous français.

Propos recueillis par Louison Larbodie dans le cadre du festival M pour Montréal le 19 novembre 2015.

© John Londono

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26 | Maze | Décembre 2015

Musique

Vous revenez aux Bars en Trans, deux ans après votre premier passage. Qu’est-ce-que ça vous fait ?

C’est un peu bizarre, c’est un peu une sorte de retour à la case départ. Sauf que justement, on va avoir beaucoup de choses à prouver. On nous a mis ici pour qu’on montre que le projet avait mûri, qu’il avait pris de l’épaisseur. On va essayer de défendre notre avancée à nous, ça va être chouette. On a un très bon souvenir de notre premier passage. On était jeunes sur scène et il faisait très chaud, mais c’était génial.

Votre rencontre remonte à longtemps : comment s’est formé le groupe ?

On (Simon) s’est rencontré quand on était tout petits, en classe de CE2. A la base, on faisait du dessin et c’est comme ça qu’on a commencé à s’apprécier. On a tous grandi chacun de notre, côté, fait de la musique chacun de notre côté, sans vraiment se montrer. Par exemple, je faisais la collection d’instruments, j’ai appris les cuivres. Chacun faisait son projet personnel dans sa chambre et les mettait sur Myspace ou des sites de ce genre. Un weekend, on s’est revu dans la ferme de mes grands-parents en Normandie. On s’est dit qu’on allait juste passer

une semaine comme ça tranquille et finalement on a composé un EP tout le weekend, ensemble. C’est venu très naturellement. A l’époque on était quatre, on chantait tous ensemble et ces harmonies sont venues naturellement. Finalement, on s’est re-rencontrés là-bas, après 18 ans d’existence amicale.

Shores votre premier album est sorti en septembre 2015, presque 2 ans après la sortie de votre EP. Pourquoi tout ce temps ?

On a voulu prendre notre temps et on s’est découverts nous-même. Pendant un an, pour composer cet album, on est parti dans une maison dans une forêt tous ensemble. On s’est enfermé en autarcie et ça nous a permis de nous retrouver amicalement et musicalement pour se concentrer sur nous-même.

Récemment, vous déclariez aux Inrocks qu’avec Shores vous vouliez «changer les règles du jeu» ?

Ça signifie qu’on essaye de changer les règles du jeu à chaque opus. Pour notre EP, on a enregistré dans une ferme en Normandie et on a fait ça naturellement. Pour l’album, on a voulu changer les règles de composition, de création de titres. C’est

We are Match :

«On se met en difficulté pour pouvoir créer de nouveau»

A l’occasion de la édition des Bars en Trans de Rennes, nous avons rencontré Gwenaël et Simon du groupe We are Match, quelques heures avant leur passage au bar La Place.

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27

Musique

«En tant que musiciens, on se considère vraiment comme des artisans : on crée tout, on crée la matière

de base avec n’importe quoi.»

pour ça qu’on s’est enfermés dans une maison en autarcie. On a voulu changer la manière de composer et d’enregistrer, on a voulu composer hors de Paris. On s’est dit qu’on allait construire un studio, et faire ça spécialement parce qu’on voulait mélanger l’organique et l’électronique. Quand on dit qu’on change les règles c’est qu’on change celles du jeu de la base de nos chansons. Par exemple, là, on est partis sur carrément autre chose. C’est juste qu’on se met en difficulté pour pouvoir créer de nouveau, ne pas faire les mêmes choses.

L’isolement n’a pas été dur ?

On avait besoin d’aller au bout du processus. Le weekend, on s’accordait des vacances. Le fait d’être tous ensemble tout le temps, ça a fait qu’on a écouté la même musique, partagé les

mêmes films, regardé les mêmes choses, vécu l’actualité sous notre angle à nous. Au final, on arrivait à un consensus tant dans la vie de tous les jours qu’au niveau musical. Maintenant on peut vivre n’importe quoi, on a quelque chose qui fait qu’on est désormais inséparables.

Vous avez tout produit et enregistré vous-même. Pourquoi ce besoin de faire artisanal ?

En tant que musiciens, on se considère vraiment comme des artisans : on crée tout, on crée la matière de base avec n’importe quoi. Sur notre album, on n’a pas forcément utilisé des instruments de musique à chaque fois. On a utilisé des bruits différents comme par exemple des presse-agrumes. Si on a choisi de tout faire nous-même, c’est parce qu’on a voulu partager quelque

chose qui venait vraiment de nous, pas d’un producteur à côté. On a vraiment envie que tout le monde s’exprime dans le groupe. Même si on fait des erreurs, si tout n’est pas parfait dans l’album, au moins il est vraiment sincère. Il vient de nous et on en n’aura pas honte.

Qu’est ce qui est prévu pour la suite ?

On ne peut pas trop parler de nos projets, mais ce qu’on peut dire c’est qu’on continue à avancer et à changer les règles du jeu, comme on a pu le dire auparavant, et ça donne de nouvelles choses. On est donc très pressé donc. On va avoir une super surprise pour le début de l’année 2016 (janvier-février).

Marie-Madeleine Remoleur

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28 | Maze | Décembre 2015

Art

Le Front National en guerre contre la culture

Le Front National s’est toujours opposé à l’art contemporain et à la culture en général. Quand Jean-Claude Philipot, conseiller municipal de Reims, publie sur son blog deux textes fustigeant l’art contemporain – « Un écrin pour de la merde » le 27 novembre 2014 et « Ils ne manquent pas de culot certains représentants de la gauche » le 2 décembre 2013 – il y décrit un art faussement intelligent, devant lequel les « bobos gauche caviar » s’extasient « pour faire branché ». Le président du groupe FN au Conseil Municipal de Reims se représente les FRAC comme des lieux où sont exposées des œuvres « pouvant être réalisées par un enfant de 5 ans, voire un animal ». Notons quand même qu’il y parle de « l’urinoir de Deschamp » (en voulant certainement parler de Fontaine, de Marcel Duchamp). Le message est clair. Mais à l’occasion des élections régionales, le Front National adopte un nouveau discours.

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Art

e discours illusoire de Marine le Pen

Ce 1er décembre, Marine le Pen,

candidate pour les régionales

de 2015, publie sur son site une

lettre ouverte aux artistes, dans laquelle « [elle]

s’adresse directement à [eux] », les caressant dans

le sens du poil. Elle y décrit son programme culturel

pour la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie en cas

de victoire. Accompagnée de Sébastien Chenu,

qu’elle place au rang de Vice-président chargé de la

culture, elle projette de construire de nombreuses «

pépinières d’artistes », qui fonctionneraient comme

des résidences, dans lesquelles seraient accueillis

des créateurs contemporains « de tout âge » et

de « tous domaines : sculpture, peinture, musique,

artisanat... ». En plus d’être accueillis, ces artistes

seraient soutenus, de la conceptualisation de leurs

travaux à leur exposition « dans des lieux préstigieux

comme le Grand Palais », le tout en étant logés

et en disposant d’ateliers. Une opportunité pour

les jeunes artistes ! Mais ce discours est faussé

et faussement idéal, Marine le Pen ne s’en cache

pas : « […] nous souhaitons rompre avec la logique

actuelle des Fonds régionaux d’art contemporain [...]

». L’art contemporain ne plairait-il pas aux dirigeants

du FN ? Ce parti préfèrerait promouvoir des artistes

régionaux et nationaux, ‘’les vrais artistes’’ en

quelque sorte, les représentants du «beau et du

bien fait», allant dans le droit chemin de la pensée

du parti et ne s’écartant pas vers un ‘’art dégénéré’’

et faussement intello. En résumé, le FN souhaite

cadrer les artistes dans des lieux bien spécifiques

– rappelant ainsi la logique de Platon qui ne savait

que faire des artistes au sein de la société – tout

en les contraignant à une ‘’création’’ vaine et

culturellement pauvre. Attirer le milieu de la culture

pour mieux le faire taire.

Des propos menaçantsLe 6 novembre, la Coordination Nationale des

Enseignants et des Écoles d’Art envoie aux différents

candidats aux élections régionales une lettre,

demandant aux partis comment ils envisagent

l’avenir des écoles d’art en cas de victoire. Le

25 novembre, Christophe Boudot, candidat FN

pour la région Auvergne-Rhône-Alpes, donne sa

réponse. Enfin... il énonce sa politique plutôt que

de répondre aux questions de la CNEEA. « Nous

voulons une culture de l’art et non une ‘’cul-ture’’

du ‘’canul-art’’. » Toujours le même problème, le

FN n’aime pas la création contemporaine, qui y voit

une culture « élitaire » qui ne profite qu’à des « «

artistes » médiocres », sortes de parasites de la

société, profitant des impôts du peuple pour vivre,

et nuisant à la reconnaissance des « vrais artistes

». Alors, M. Boudot, comment envisagez-vous l’art

contemporain et son enseignement ? Il prône un art

libéré des institutions contemporaines, pour mieux

se concentrer sur son territoire, un art « de la culture

populaire locale ». Une façon de faire auto-centrée,

qui n’interrogerait en aucun cas les questions du

monde contemporain. Et si, par malheur, les écoles

ne correspondent pas aux critères du parti, elles se

verraient « refuser le soutien [de la région] » en cas

d’élection. Entendez que les écoles sont menacées

de fermeture et de coupures budgétaires. Une

aberration pour quelqu’un pour qui la « liberté

artistique » compte.

Le discours du Font National a changé. Pourtant, le

propos est à peu près le même : l’art contemporain

doit être éradiqué pour laisser place à un art

territorial, populaire, incarnant les valeurs du parti

d’extrême droite. Cependant, ces intentions sont à

moitié cachées, elles peuvent sembler aguicheuses.

En parallèle, les dirigeants du FN profitent de

l’opinion peu favorable à l’art contemporain pour

rassembler de nombreux frustrés, utilisant une

rhétorique populiste et pleine de clichés, rabaissant

les artistes à des imposteurs. Face à de tels discours,

à la promotion d’une telle médiocrité culturelle,

il est important d’agir. De nombreux artistes et

personnalités du monde de l’art se sont réunis pour

signer une lettre-ouverte à Marine le Pen. Mais

l’action doit également passer par les urnes, et c’est

pourquoi il est important d’aller voter, pour ne pas

laisser le pouvoir à ces détracteurs de la culture.

Ludovic Hadjeras

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30 | Maze | Décembre 2015

Art

« S’émerveiller devant deux points rouges sur une toile »

C’est avec ces mots que Marion Maréchal-Le Pen définit l’art contemporain. En effet, lors de la clôture des universités d’été du Front National à Marseille, l’élue a affirmée qu’en cas de victoire aux régionales, elle ne subventionnera plus les structures dédiées

à l’art contemporain dans sa région. Une affirmation qui n’a pas laissé les artistes de marbre, comme en témoigne par exemple les actions du collectif Friche Belle de Mai. Retour sur une initiative marseillaise pleine de répondant, ainsi que sur l’histoire des fameux « deux points rouges sur une toile ».

« Dix bobos qui font semblant de s’émerveiller devant deux points rouges sur une toile, car le marché de la spéculation a décrété que cet artiste avait de la valeur, n’est pas franchement ma conception d’une politique culturelle digne de ce nom”, a déclaré la candidate en région PACA pour le Front National, avant d’ajouter que cette “idéologie de l’absurde qui conduit à déverser dans des expositions des sommes inversement proportionnelles au nombre de visiteurs. » Durant la campagne régionale, les attaques de la candidate FN se sont accumulées, que ce soit contre le planning familial ou l’art contemporain. Rien de nouveau certes pour ce parti dont les propositions appellent à un replis sur soi et à un certain conservatisme. Mais c’est bien la première fois dans l’histoire politique française que ces menaces pourraient voir le jour, que ce soit en PACA ou dans le Nord. Marion Maréchal-Le Pen souhaite alors un retour « à la culture populaire où notre patrimoine et notre identité seront mis en valeur ».

Ses inquiétantes déclarations n’ont pas manqué de faire réagir le monde culturel, notamment dans la première région visée, en PACA, où de nombreux festivals et lieux culturels essaient déjà tant bien que mal de continuer à exister. Parmi les réactions, il y a eu l’initiative de la Friche la Belle de Mai à Marseille. Cette immense fabrique artistique qui accueille de nombreuses structures d’art contemporain, mais aussi des salles de spectacles et des studios de tournage, est un des plus important espace de vie et de culture dans la cité phocéenne. Suite aux déclarations de la candidate FN, La Friche à alors eu l’idée de lancer « Une journée du Point rouge ». Une formule intelligemment tournée face à des propos pour le moins réducteurs, et surtout, une journée citoyenne sous le signe de l’échange et … des points rouges ! D’ailleurs, le collectif a également publié un manifeste

« De la nécessité des points rouges » qui réunit déjà de nombreuses signatures. Kofi Annan a affirmé, « c’est l’ignorance, et non la connaissance, qui dresse les hommes les uns contre les autres ». Une piqure de rappel utile en ces temps où l’obscurantisme tente de se frayer un chemin pour se faire une place dans notre société. Alors, afin d’en savoir plus, et peut être tenter de comprendre le mouvement artistique visé par les propos de la députée de la troisième circonscription de Vaucluse, voici un petit retour historique.

C’est un rond noir sur fond blanc, ainsi que toute une série de tableaux exposés en 1915 à Saint-Pétersbourg par le peintre russe Malevitch, qui va bousculer à cette époque le monde de la peinture. Une transgression qui s’est inscrite dans l’histoire de l’art sous le nom de suprématisme. Un tournant incontestable, désormais exposé et visité dans les musées du monde entier. À travers son œuvre, Malevitch était à la recherche de l’abstraction totale, et a engagé son travail vers une réduction minimale à la couleur seule. Ainsi, uniquement celle-ci subsiste, et la peinture peut alors exister par elle-même. Se détacher du passé de la peinture pour se raccrocher plus sensiblement au monde. Il est à la recherche de l’équilibre parfait, entre formes géométriques et couleurs, il cherche l’épuration. Un coup de pied dans la fourmilière des peintres du début du XXème siècle. Un coup de pied et un coup de maître, dont la sensibilité et la subtilité ne touche certes pas tout le monde, mais qui mérite sa place dans des lieux dédiés. Et c’est tout autant le cas pour les nombreux artistes qu’une décision de coupure de subventions toucheraient en pleine âme et qui représenterait une perte culturelle immense pour notre pays.

Myriam Bernet

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Cinéma

DégradéLe bijou venu de Palestine

Tarzan et Arab Nasser, sont deux grands jeunes hommes qui font penser à Khal Drogo de Game Of Thrones... Si tu les croises dans la rue, l’idée que ces deux jumeaux sont des apprentis cinéastes de talents ne te vient pas à l’esprit une seule seconde.

ais c’est pourtant bien le cas, ces deux personnages hauts en couleurs et pétillants sont les réalisateurs et scénaristes de Dégradé, leur premier long métrage très

remarqué à la semaine de la critique du festival de Cannes. Au Cinemed (festival du film méditerranéen de Montpellier, où il a remporté le prix jeune public et une mention spéciale du jury) les jumeaux se sont confiés quant à la genèse du film :

« J’étais avec ma mère sur Skype, j’entendais les bombes qui tombaient en dehors de chez elle, et elle faisait le ménage... Je lui ai demandé comment elle faisait pour faire le ménage alors que des bombes tombaient dehors. Elle m’a répondu : quitte à mourir, autant mourir en faisant quelque chose que j’aime. » C’est cette discussion qui leur a donné l’idée de Dégradé.

Dégradé c’est quoi ? Un lion a été volé au zoo de Gaza par un groupe de rebelles qui décide de prendre place devant le salon de coiffure de Christine. Le Hamas décide d’intervenir face à cette provocation du groupe rebelle.

Dans le salon de coiffure, treize femmes d’univers et de classes sociales complètement différents se regroupent pour prendre soin d’elles (coupe

de cheveux, épilation...) Les affrontements qui se déroulent à l’extérieur vont nous bloquer dans ce salon avec un combo féminin explosif dans lequel nous pouvons retrouver une future mariée, une femme enceinte, une divorcée aigrie ( jouée par la talentueuse Hiam Abbass).

La présence de cette chorale féminine de différents horizons dans ce salon va être un prétexte pour se quereller et nous faire mourir de rire, mais aussi, et surtout, l’occasion pour elles d’évoquer la difficulté d’être une femme en Palestine, les conditions de vie dans ce pays en guerre, les coupures d’électricités à longueur de journée qui rend le quotidien anxiogène.

Il y a dans ce film une vraie volonté de s’émanciper de ce qu’on pourrait attendre de cinéastes palestiniens en décidant de mettre en avant la vie, ou plutôt de la faire cohabiter avec la guerre, car cette émancipation n’aura qu’une seule limite, celle de la réalité. Une nouvelle image va être assignée aux personnes qui subissent ce conflit, loin de celle donnée par les médias. En ce posant une simple question : Que se passe-t-il réellement dans les maisons pendant que des bombes tombent dans la rue ? Et c’est donc avec virtuosité que les deux cinéastes vont nous ouvrir une fenêtre vers un nouveau cinéma palestinien qui filme la vie qui se cache au milieu cette guerre.

Dégradé, un film intelligent, d’une incroyable justesse, à voir absolument, sortie en salle le 10 février 2016.

Florian Salabert

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Cinéma

© Le Pacte

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Littérature

Ce qu’on a aimé lire en 2015C’est l’heure du bilan pour la rubrique littérature après les milliers de pages lues cette année !

CHECK POINT, JEAN-CHRISTOPHE RUFIN

J’ai toujours beaucoup aimé les livres de Jean-Christophe Rufin. Rouge Brésil, Globalia, Le parfum d’Adam, autant de romans qui se distinguent par une écriture agréable et par des réflexions profondes sur nos sociétés. Cette année, l’académicien a sorti un nouveau roman, Check-Point, qui décrit le périple de Maud, jeune bénévole engagée dans un convoi humanitaire. On est en 1995, les guerres de Yougoslavie font rage, et ce groupe de bénévoles et d’anciens casques bleus traverse les paysages désolés bosniaques pour livrer des médicaments. Ce qui m’a plu dans cet ouvrage, ce n’est pas seulement l’écriture agréable de l’auteur, ni la façon dont il décrit en détail le point de vue de Maud. Non, ce qui m’a plu, c’est surtout la manière dont il aborde son sujet. L’humanitaire est un thème des plus personnels pour J-C Rufin. Médecin de formation, auteur d’un essai intitulé Le piège humanitaire – Quand l’humanitaire remplace la guerre, Rufin a donné en juin dernier une conférence intitulée « L’aide humanitaire en question » à Lyon. Il a participé à la création de Médecins sans frontières , a beaucoup voyagé et a notamment travaillé pour la Croix-Rouge ainsi que dans des ONG situées dans les Balkans. C’est donc un sujet qu’il connait et qui pose les problèmes qu’il aborde dans cet ouvrage. Plusieurs questions sont formulées : Quelles sont les motivations de ces bénévoles qui s’engagent dans cette étendue gelée ? Dire « l’altruisme » ne semble pas suffire à répondre à cette question. La question de l’engagement est donc centrale. Et surtout : Face à l’horreur de la guerre, peut-on et a-t-on le droit de se dire « neutres » ? J-C Rufin évoque ces problématiques tout au long d’un récit de fiction haletant. Des personnages plus ou moins attachants, des paysages glaciaux et une atmosphère de guerre qui, derrière l’intrigue, aborde des problèmes qui se posent de plus en plus aujourd’hui. A lire !

Mary Laduoad

UN BALCON EN FORÊT, JULIEN GRACQ

Il n’est de lecture mémorable que celle qui nous touche. Un balcon en forêt, publié en 1958 par Julien Gracq, figure à ce titre parmi mes coups de cœur de l’année. Suivre l’aspirant Grange, affecté à l’automne 1939 dans une maison-forte des Ardennes, a été une expérience formidable. Le jeune homme, saisi par cette sorte d’insouciance propre à la drôle-de-guerre, s’évade de son fortin et goûte à la vie. Il y a les bois et les chemins mélancoliques ; il y a le village de Moriarmé et la belle Mona ; il y a les boucles de la Meuse, les hommes et les méditations. Et il y a cette guerre qui rôde, et qui pourtant n’a jamais été si irréelle. Grange succombe à l’appel onirique du monde – ce monde qui devient le sien. L’Ardenne et l’amour offrent leur beauté aux yeux de l’aspirant rêveur. La vie est en suspens. Mais lentement elle s’écoule vers la rupture du 10 mai 1940, vers les obus qui éclatent alors qu’on les croyait si loin. C’est la fin de la drôle-de-guerre. La fin d’un monde. La fin d’un rêve. Et Gracq d’écrire : « La vie retombait à ce silence douceâtre de prairie d’asphodèles, plein du léger froissement du sang contre l’oreille, comme au fond d’un coquillage le bruit de la mer qu’on n’atteindra jamais ».

Loïc Pierrot

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Littérature

PALMYRE, L’IRREMPLAÇABLE TRÉSOR, PAUL VEYNE

Palmyre, mon coup de cœur de 2015, est définitivement l’un de ses ouvrages qui me fascine par les nombreuses dimensions qu’il ouvre pendant et après la lecture ! En effet, si on le lit quasiment d’une traite, il est difficile de savoir où classer Palmyre lorsque s’achève notre lecture. C’est d’abord un essai d’Histoire méthodique et documenté sur la cité syrienne, dans la mesure où il traite d’une ville antique qui n’est plus, joyau de l’humanité dans la vie et dans la mort, aux ruines sauvagement détruites cet été par les barbares de Daech. C’est en même temps un livre engagé, écrit par un spécialiste incontestable de l’Antiquité gréco-romaine du haut de ses quatre-vingt-cinq sous la pression du « devoir », un sincère plaidoyer pour la tolérance qui ne tombe jamais dans un gnangan moraliste et moralisateur. C’est enfin un vrai roman, tant la vie quotidienne de celles et ceux qui furent nos semblables d’un autre temps, l’épopée des héros palmyréniens comme Zénobie ou les luttes de pouvoir dans une cité qui se veut romaine par universalisme et orientale par chauvinisme prennent une force qui nous parle d’homme à homme. C’est enfin une sorte de paradoxe : Palmyre n’est plus, et même si elle sera peut-être reconstruite un jour, les générations futures ne pourront la découvrir vraiment qu’à travers ce genre de livre, à l’écriture précise et implacable. C’est un livre qui rend les mots plus forts que la réalité, et ça ne peut que nous émouvoir. Les photographies au centre de l’ouvrage, savamment choisies, accompagnent magnifiquement le propos. On ressort grandi de la lecture d’un tel ouvrage, qui gagne à être lu.

Basile Imbert

© lesbavardagesdemarion.com

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36 | Maze | Décembre 2015

Musique

Rencontre

Ayant sorti son 3e album studio en juillet dernier, Albert Hammond Jr. ne cesse faire parler de lui. Le guitariste des Strokes venait défendre son petit bijou, Momentary Masters, au Trabendo à Paris le 29 novembre. C’est dans les loges que nous rencontrons Albert, dans un cadre intimiste.

Albert Hammond Jr. «Il faut être excité à l’idée de ne pas toujours réussir, mais quand tu réussis, tu le sais»

© Jason McDonald

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MusiqueRécemment, tu as sorti ton 3e album, Momentary Masters, où chaque chanson est différente l’une de l’autre, et ce que j’aimerai savoir, c’est quelles sont les influences sur cet album ?

Quand je m’y suis mis, c’est pas comme si j’écoutais un album en particulier, mais il y avait quelques groupes il y a quelques années, qui m’ont boostés, Wipers, Wire, Stevie Moore, Misfits, Adam and the Ant, il y avait une sorte d’excitation que tu trouves quand tu as 15 ans avec ces groupes là, moi je l’ai trouvée quand j’avais 31 ou 32 ans, je ne voulais pas que ma musique ressemble à la leur, mais je voulais cette excitation, après j’ai fait mon EP, où là il y avait l’excitation, et après pendant la tournée on a formé un groupe, et ce groupe a été la plus grosse influence pour moi à ce jour. Toutes ces idées que j’avais que je pouvais mettre dans une chanson, et bien ils ont fait la même chose, mais en mieux, ce qui m’a forcé à faire mieux, toute cette influence s’est déroulée très rapidement, comme un match de tennis, un va-et-vient, donc c’était pas vraiment le fait d’écouter une chanson et vouloir faire la même chose.

Pourquoi as-tu décidé de seulement sortir un EP en 2013, laissant un espace de 7 ans entre 2 albums ?

J’ai sorti 2 albums des Strokes et je suis allé en cure de désintox entre temps, donc c’est pas comme si c’était voulu, c’était le seul moment où j’avais le temps de composer. J’ai commencé à écrire une chanson, je savais pas ce que le groupe allait faire, je pensais qu’on irait en tournée, et finalement non et je me suis retrouvé avec 5 chansons, je me suis dit « je vais sortir ça ». Après, en faisant la tournée de cet EP, je savais que je voulais faire un nouvel album, parce qu’un EP n’attire pas autant d’attention qu’un album.

Pourquoi as tu repris Don’t Think Twice de Bob Dylan au milieu de ton album ? Est-ce que cette chanson a une importance pour toi ?

Non même pas, c’est rigolo parce que mes amis tiennent un festival, le Dylan fest, ou le Petty fest, et ils en faisaient un à Dublin, ils m’ont donné une chanson à choisir parmi huit pour la jouer. Donc j’ai choisi celle là, j’ai fait une démo à ma façon, et quand je suis rentré chez moi, j’ai tellement aimé la démo que je l’ai finie, c’était encore pendant la tournée du EP, et je trouvais que ça rentrait parfaitement au milieu de l’album.

J’aimerai parler de ton évolution musicale, de Yours to Keep à Momentary Masters, qui part d’une composition calme à une composition plus brutale, on peut entendre que tu veux te démarquer musicalement des Strokes, tu montres que c’est ton projet à toi, avec ton propre son, qui donc s’améliore petit à petit, est-ce que tu sens qu’avec cet album tu as atteint le son que tu voulais, ou te vois tu expérimenter un peu plus avec ta musique ?

Je ne dirai jamais que je n’essaierai rien de nouveau, ça arrive naturellement. Notre guitariste joue du saxophone, et j’aimerai bien voir si on pourrait caler ça dans mes futurs sons, mais j’aime beaucoup la batterie, guitare, basse, parce qu’après faut quand même aller jouer sur scène, maintenant on fait du groove au milieu des chansons, on s’amuse dessus, j’aime pas laisser traîner les chansons jusqu’à 8 minutes, c’est pas mon truc, je préfère m’amuser plutôt au milieu de la chanson, ça donne une pause à ton oreille. J’ai toujours senti que j’avais mon propre son, quand on compare ma musique à celle des Strokes, au final je suis bien un cinquième de ce groupe, donc j’aurai toujours cette influence, mais je l’ai toujours pris comme un compliment parce que j’ai toujours trouvé a un bon son. Sinon oui, mes chansons sont de plus en plus brutales, les anciennes sont toujours aussi cools, elles ont été écrites avec une guitare rythmique, alors que maintenant tout se fait bout par bout, on rajoute des mélodies par ci par là, mais je me dis que si j’étais toujours au même stade qu’au premier album, je serais dégoûté, mais c’est bien parce que je ne pourrai plus jamais être à ce stade là.

Est-ce que composer avec les Strokes a influencé tes albums ? Et comment ?

Rien que le fait d’être dans ce groupe, a influencé tellement de choses dans ma vie, parce que tous les gens autour de moi ont beaucoup de talent, quand tu traînes avec des gens tu vas forcément apprendre de nouvelles choses, tu apprends comment être dans un groupe, à jouer de la musique...

Es-tu satisfait de tes premiers albums, ou si tu pouvais changer quelque chose, ce serait quoi ?

Mon deuxième album comporte pour moi de très bonnes chansons, mais je l’ai fait quand je n’étais pas bien, donc au final j’ai pas pu lui donner assez

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Musiquede temps, je sens que j’aurai pu faire quelque chose de meilleur avec cet album. C’est triste mais c’est pour ça que j’aime aller en tournée puis enregistrer. Ce deuxième album est à l’issue du premier, j’en avais marre que les gens me voient comme le gars avec une guitare acoustique, parce que si tu voyais les concerts du premier album, c’était très lourd, fort et amusant mais le deuxième album est un peu contre ça, et c’est pour ça que c’est intéressant de savoir ce que je vais faire par la suite, après cet album là. Je n’ai rien à lui reprocher mais j’aimerai bien savoir où ça va me mener, j’aime bien la transition sur scène/chez toi, parce que si t’es chez toi trop longtemps, tu ne peux pas donner toutes tes émotions, tu dois les prendre et les retranscrire afin que le public l’accepte, enfin moi je vois ça comme ça. Ce qui rend tout ça entraînant, intéressant... Sauf si t’es très bon et tout se fait naturellement mais moi j’ai encore beaucoup de travail à faire là dessus. [rires]

Comment composes-tu en studio ? Tu as des musiciens additionnels avec toi ?

Pour Momentary Masters, j’ai composé avec mon groupe que j’ai sur scène, on a tous composé pendant 3 semaines, ensuite pendant 2 semaines j’ai fait les paroles et les mélodies. L’EP c’était juste Gus et moi, sinon pour les 2 premiers albums, j’invitais des amis à composer avec moi, mon ami Matt à la batterie, puis Gus aussi, comme ça je n’avais pas tout à faire moi même... [rires]. Maintenant c’est différent, avec le groupe, ils me laissent plus d’espace, ils peuvent changer mon travail et le rendre meilleur, ou donner de nouvelles idées qui vont améliorer la chanson, ce qui est génial... alors que quand tu le fais tout seul, tu dois le refaire à plusieurs reprises, tu perds en perspective, alors que quand quelqu’un le reprend, il ajoute à la chanson, quelque chose à quoi tu n’avais pas forcément pensé, c’est génial parce que ta chanson a un nouveau sens, ça se fait direct, pas 3 mois plus tard quand tu réalises que tu dois changer ceci ou cela, c’est super.

Parfait, ça rejoint ma prochaine question, quel est le moment le plus intéressant quand tu composes, maintenant que tu as une certaine liberté en studio ?

IIl y a des hauts et des bas, c’est comme quand tu atteints un sommet, ça veut dire que ça va rendre quelque chose d’autre moins bien, et tu auras à le

réparer mais ça marche très bien pour moi, il faut être excité à l’idée de ne pas toujours réussir, mais quand tu réussis, tu le sais.

Ça fait quoi de jouer avec The Strokes et ton groupe à la fois ? Car vous avez fait les mêmes festivals, dont un où tu as joué avec les 2 le même jour.

C’est très facile de jouer avec The Strokes, car tu as tes fans qui sont là pour toi, alors que moi j’essaye d’impressionner les gens... Mais bon, ce sont deux groupes de rock, je suppose que je fais le changement assez facilement, c’est pareil et différent à la fois... mes concerts sont plus amusants. [rires]

Vraiment? Parce que c’est ton projet ?

Pas forcément, c’est parce qu’on est plus connectés.

Ah oui, et puis c’est nouveau aussi.

Oui exactement.

Qu’est-ce que tu écoutes en ce moment ?

Je viens de télécharger une chanson de Buddy Guy, on écoutait ça sur la route, je sais pas, de tout, The Velvet Underground, Nick Drake...

Et pour finir, qu’en penses-tu du public français, comparé au public américain ?

Ça dépend toujours d’où tu vas, mais j’ai joué à Tourcoing et Nantes récemment, et c’était génial, une super ambiance, tu peux tenter de nouveaux trucs et tu vois qu’ils aiment ça, je sais pas comment le décrire... quand tu es sur scène il y a pleins de choses à prendre en compte, ce que tu écoutes, où tu es mentalement, ça peut tout changer. Tout le monde est pareil, mais différent à la fois, si tu vois ce que je veux dire.

As-tu un message pour tes fans français ?

Oui ! J’espère un jour tourner en France, faire 8 ou 10 dates, pas juste Paris. C’est la première fois que je joue en dehors de Paris, et c’était génial. J’adore la France, en fait je veux juste voyager, faire le tour de la France rien que pour m’amuser. [rires]

Propos recueillis par Dearbhla O’Hanlon

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Musique

© Chris McKay / Getty Images

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Art

Snøhetta se réinventer, continuellement

Si le nom de Snøhetta ne vous évoque pas grand-chose, Times Square, l’opéra d’Oslo ou encore le Grand palais vous parleront peut-être plus. Leur lien avec Snøhetta ? Eh bien c’est ce cabinet d’architecture et de design qui a, avec brio, apposé sa patte dans ces monuments. Un réaménagement à Times Square, une restauration au Grand Palais et une conception complète pour l’opéra d’Oslo. Récemment, le groupe Le Monde a annoncé qu’il confirait à ce même cabinet la construction de son futur siège. Plus tôt, c’est la Banque de Norvège qui l’a choisi pour coréaliser ses billets de banque.Ce mois-ci, Maze a pu poser quelques questions à Kjetil T. Thorsen cofondateur de Snøhetta et Martin Gran, directeur du Branding de l’agence.

Êtes-vous toujours Snøhetta, la petite agence d’architectes norvégienne, ou Snøhetta, celle que l’on a sélectionné pour recréer Times Square ?

Petite est peut-être le mauvais terme,

il y a quelque temps, nous étions petits.

Mais oui, nous fonctionnons toujours

comme un studio où tout le monde est

impliqué le plus possible. Nous avons

aussi conservé le même processus pour

arriver à nos objectifs. Nous utilisons

l’approche transdisciplinaire que l’on

définie chez nous par le processus

de transposition [NDLR : Prendre des

éléments d’une discipline pour les

intégrer dans une autre], et qui reste

notre principale méthode de travail.

L’implication de différentes professions

et de différentes personnes est toujours

un élément moteur de notre processus

de création.

Quelle a été votre réaction lors de votre sélection sur le projet de la librairie d’Alexandrie ? A ce moment c’était quelque peu David contre Goliath, quelle était le « one more thing » qui a fait la différence ?

Tout d’abord, il faut rappeler que

c’était notre première compétition

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internationale. Nous donnons toujours le meilleur de

nous-même, mais gagner une telle compétition était

au-delà de toutes nous espérances. Nous savions que le

projet était solide, logique et avait un concept fort, mais

ce type de compétition dépend de nombreux facteurs. J’ai

décalé un voyage le week-end de la décision simplement

par ce que pour nous le projet était suffisamment bon pour

gagner un prix. Mais quand j’ai reçu l’appel d’Alexandrie,

ça a été difficile de comprendre ce qui était dit à cause

de la mauvaise connexion. J’ai compris que nous étions

troisièmes. C’est seulement après un second appel que j’ai

compris que nous étions premiers. Notre vision du futur

a changé en quelques secondes. Des nouvelles pareilles,

ça n’arrive pas tous les jours. Ça déboule et c’est dur de

prendre du recul sur de telles informations en quelques

instants. On réalise avec le temps.

Le « one more thing » a surement été la combinaison de

plusieurs choses comme le concept, l’aspect fonctionnel,

l’expression artistique et le contenu. Bien évidemment,

notre approche contextuelle a aussi aidé.

Comment décririez-vous Snøhetta en un mot ?

Il nous faudrait plutôt trois mots : People, Processes and

Projects. (Des hommes, des processus et des projets) Dans

cet ordre.

C’est Martin Gran qui a accepté de répondre à nos questions sur le projet que l’agence a présenté à la banque de Norvège lors du concours visant à sélectionner les futurs billets du pays.

Êtes-vous totalement satisfaits d’avoir gagné le concours ou auriez-vous préféré gagner le concours pour les deux faces des billets ?

Nous cherchons toujours à créer de manière Holiste, que cela soit en architecture ou en design graphique. Toutes les faces doivent donc être considérées comme une partie de l’ensemble. Dans ce cas, nous avons le privilège de co-créer avec The Metric System Studio et la banque de Norvège. Nous espérons non seulement créer un billet au design innovant, mais aussi ouvrir les possibilités d’alliances de design pour interconnecter notre industrie.

Avez-vous eu des retours sur votre projet ? Ces billets sont surprenants comparés aux autres billets que l’on peut trouver dans le monde.

Nous avons créé un concept avant de choisir le design : “The beauty of Boundaries” (la beauté des liens). Notre design est une interprétation de comment nous pouvons conceptualiser les objectifs définis par la banque de Norvège. Nous comprenons que ce n’est pas une forme générique de billets, mais nous la considérons comme le meilleur concept de communication. Ainsi, nous nous sommes en quelque sorte auto designés hors de la catégorie des billets de banque traditionnels. Nous pensons que le concept a surpassé le besoin de créer quelque chose de traditionnel.

Ce genre de projets est plutôt différent de ce que les agences de Branding font habituellement, pourquoi entrer dans cette compétition ?

Chez Snøhetta, nous avons un large éventail de projets. Nous créons des bibliothèques à travers le monde, faisons du packaging en Europe, des bâtiments culturels, des espaces de vente, nous créons aussi des identités visuelles et des paysages à New York. En Norvège, nous faisons des billets de banque ! Ce qui connecte tous ces projets entre eux, c’est notre croyance dans la création transdisciplinaire et l’espoir d’améliorer les interactions sociales grâce à notre travail. Réaliser ce projet de billets, un objet qui passe par un nombre incalculable de mains, est peut-être le projet le plus social que Snøhetta ait jamais réalisé ?

Avez-vous eu besoin d’une formation “comment-faire-des-billets” ou avez-vous eu immédiatement des idées sans aide extérieure ?

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ArtLa banque de Norvège nous a apporté un précieux support lors de ce projet. Tous les participants ont été invités à un séminaire ou l’on nous a expliqué le design des billets de banque et la manière d’intégrer les nombreux éléments de sécurité nécessaires à ceux-ci.

Plutôt peu médiatisé, le projet du futur siège du groupe Le Monde, n’a pas fait les unes en français. Cependant, celui-ci est un des plus grand projets que le groupe de presse ai réalisé ces dernières années. Retour avec Kjetil T. Thorsen pour évoquer le futur du journal du soir.

Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce projet, quel aspect de celui-ci vous a donné envie d’imaginer ce bâtiment ?

Le Monde est un des plus grands groupes de presse au monde. Notre intérêt principal était de voir si nous pouvions traduire la vision et la culture du groupe dans un environnement architectural. Un reflet des personnes, qui y travaillent, et y ont travaillé. Un reflet aussi, de l’impact de ce travail sur la société.

A-t-il été facile d’intégrer ce bâtiment dans l’architecture Parisienne ? Et plus généralement, pensez-vous que le « vieux » Paris est apte à la construction de bâtiments modernes ?

Il n’est jamais facile de faire de l’architecture, en particulier dans des environnements avec un passé et un contexte local fort. Cependant, nous avons passé du temps dans Paris. Avec notre client [Le groupe Le Monde], mais aussi avec d’autres membres de l’équipe pour créer une atmosphère qui selon nous représente Le Monde et le lieu choisi pour le futur bâtiment.

Les éléments typiques de l’architecture Parisienne sont les arches et les voûtes. Elles connectent différentes situations et s’étendent au-dessus des espaces et des rivières. Quand les sphères, comme dans notre cas, créent ces différentes connexions, elles sont alors à la fois contextuelles, c’est-à-dire partie intégrante du bâtiment, mais aussi globales car elles restent un symbole universel des connexions.

Ainsi, dans à peu près tous les lieux, il y a une place pour de nouveaux bâtiments. Mais cela dépend de la qualité et des efforts que l’on met à leur conception.

A propos de Paris, que pensez-vous de l’architecture haussmannienne ?

Le plan urbain haussmannien et son architecture étaient pertinents et un renouveau dont Paris avait besoin lors de sa mise en place. Le plan est centré autour des conditions de vie des habitants avant tout. Je pense qu’il nous dirige aussi vers une approche moderne de l’air et de la lumière.

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Enfin, retour sur un autre projet d’ampleur pour l’agence : l’aménagement de tout un quartier, le quartier gouvernemental d’Oslo.

Pourquoi des formes si « brutes » ? Dans les images du projet qui ont été publiées, les futurs bâtiments tranchent avec le reste de la ville.

La commission des bâtiments gouvernementaux d’Oslo avait pour but de tester certaines positions architecturales de ces lieux en particulier, le quartier gouvernemental]. Nous avons, de nous-même choisit de présenter un concept totalement intégré et durable au niveau environnemental. Il suit le principe “Forms follow environment” (les formes suivent l’environnement) et est négatif en CO2. Pour cela, les formes ont été créées avec une volonté d’optimisation de la production et de la consommation énergétique, tout en laissant autant de surface que possible au grand public.

Avez-vous essayé de conserver l’esprit des bâtiments précédents, ou est-ce que le concept est un renouveau total ?

Seulement deux bâtiments nous ont intéressé : L’ancien poste de police et ce que l’on appelle le H-Blokka. Tous deux ont gardé leur importance dans notre proposition et la station de police est devenue la porte d’entrée des futurs bâtiments.

Le choix a-t-il été unanime ou aviez-vous d’autres concepts ?

Tous les concepts étaient des recommandations pour le développement futur d’un projet de nouveau siège du gouvernement. Dans l’année qui va suivre, un nouveau plan général va être développé pour ces lieux.

Avez-vous des plans particuliers pour le futur ? Vous étendre, vous concentrer sur un domaine particulier ? Continuer tel quel peut-être ?

Nous souhaiterions évoluer et mettre l’accent sur nos

processus, et notre perception de l’architecture et du design comme d’excellents outils pour créer des sociétés meilleures. Dans cette optique, nous souhaiterions nous étendre au-delà de l’architecture, de l’urbanisme, du design d’intérieur et du design graphique vers de design industriel. Notre spécialisation est horizontale.

“Architecture can do whatever it wants to do and whatever we want to, if we have the right angle to look at it.”- Kjetil Thorsen(L’architecture peut faire tout ce qu’elle veut, et tout ce que l’on veut. Il suffit d’avoir le bon point de vue)

Au-delà de la simple conception de marques ou de bâtiments, Snøhetta réussi donc à prouver à chaque nouveau projet que l’architecture, loin d’être immobile, est, au contraire changeante et sait s’adapter aux circonstance. La firme a su conserver son organisation collaborative tout en devenant un mastodonte de l’architecture internationale. Ce travail et cette continuité ont été récompensés de nombreuses fois par les plus prestigieux prix architecturaux.

En ce qui concerne la France, un rendez-vous est fixé : 2017 qui, si les délais sont tenus, marquera l’inauguration du nouveau siège du groupe Le Monde.

Dorian Le Sénéchal

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Actualité

De l’usage d’Instagram

L’usage que nous faisons quotidiennement des réseaux sociaux a été particulièrement passé au crible ces derniers temps… Dans l’immédiat des attentats, chacun, en

découvrant son fil d’actualité sur Facebook, s’est interrogé sur la mise en scène - et donc en image - de ses émotions. Chacun de nos amis se montre profondément affecté, partageant un article sur le financement de Daech, se signalant « en sécurité » ou en accolant sur un sourire, encore ensoleillé par une tequila sirotée les pieds dans l’eau, le drapeau français. Alors quand on se connecte, on s’interroge : on est touchés, comme tout le monde. Cette mobilisation massive ne peut que nous entraîner à y prendre part, à afficher notre soutien.

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Actualité

© Hugo Lamy

C’est là qu’intervient le problème : comment ? On avale des articles par centaines, assoiffés par la volonté de comprendre, lequel choisir ? Il faut éviter un troll mal placé d’un « ami » presque oublié et ménager toutes les sensibilités. Bon, pas d’article, on évite soigneusement la polémique, surtout qu’on n’y connait pas grand-chose finalement…C’est décidé, on va se draper le profil de nos couleurs nationales. Fait. Quoique… En y réfléchissant, ça nous gêne un peu, que ce soit Facebook qui nous le propose. Ce drapeau, est-ce qu’il recouvre réellement toutes nos questions, nos angoisses ?

Décidément, pas évident de partager ce que l’on ressent réellement. Parce que nous sommes tous touchés, directement, dans notre quotidien. Contre la crispation ambiante à la première sirène qui retentit dans le silence, on décide de montrer combien la vie est belle, qu’elle continue. Armés de notre portable, on photographie un monument, une bouteille de vin ou l’amour. Et on partage, #prayforparis.

Nous tous, artistes potentielsC’est ce que nous permet Instagram : ajouter notre pierre à l’édifice, notre petite contribution, notre création. Eh oui, une création. C’est une composition, un agencement de notre quotidien, une mise en scène à laquelle on ajoute filtres, saturation, orientation, nuances, touches de couleur, textes… Le potentiel de création de tout un chacun s’étend à l’infini. Chaque profil est un espace d’expression personnel, c’est notre fenêtre sur le monde.

Car contrairement au discours ambiant – vous savez, celui des générations précédentes, qui n’ont pas « grandi avec Internet » - tout n’est pas à jeter dans nos usages des réseaux sociaux. Instagram est une porte d’entrée dans des communautés mondialisées et aux intérêts les plus divers. A la manière de Pinterest, on suit des influenzers (un vrai métier) dans tous les domaines : « gastronomique » pour nous faire rêver devant notre plat de spaghettis, déco pour donner une seconde vie à notre mobilier

Ikea (#inspinterior), mode pour bousculer notre dressing défraichi (la réussite incroyable de Betty Auttier ou de KenzaSMG) et bien sûr, sportif pour nous faire bondir de notre canapé.

De l’information à la publicitéC’est une mine d’informations et de motivations. Des tendances s’y dessinent, nous sollicitant à des causes éloignées de notre quotidien : une telle se laissera tenter par l’aventure vegan (comme FullyrawCristina ou Rawavana), un autre osera publier ses clichés plutôt talentueux (à l’image du goûter de Merys), deux autres entreront avec fracas dans la fitfam (les fameuses photos avant/après des méthodes Kayla Itsines, de Katrina et Karena de Toneitup ou de Tiboinshape au masculin). On se laisse tenter : on pourrait tout changer, manger mieux, bouger toujours plus, être plus heureux.

C’est un mantra publicitaire dont il faut se prévenir. La répétition d’hashtags (mots-clefs pardon), de reposts, de profils… a valeur d’incitations, jusqu’à l’addiction. On retombe invariablement sur l’impossibilité d’imiter au quotidien ses mentors. C’est un fait : on ne pourra jamais cuisiner vegan quatre heures par jour, lire deux bouquins entre notre séance de crossfit quotidien d’1h30 et notre cours de yoga. Cet aveu de faiblesse implique que ce soit un métier à plein temps, incompatible avec la vie de Monsieur-Tout-le-Monde. Et quand ils se retrouvent au centre des critiques, ces influenzers sont les premiers à le souligner : derrière les profils, il y a des hommes. Cette nécessité de le rappeler démontre qu’ils diffusent une image faussée de la réalité. Leur construction constante et savamment agencée nous renvoie, comme un mauvais miroir, à une image faussée de nous-mêmes. Derrière chaque post, il y a, grande révélation, bien souvent des intentions commerciales.

Instagram, véritable entrepriseCar Instagram, c’est un métier : il s’agit concrètement de nous vendre du rêve. Un seul exemple : la vie

« Instagram, [c’est] ajouter notre pierre à l’édifice, notre petite contribution, notre création. [...] Le potentiel de création de tout un chacun s’étend à l’infini. Chaque profil est un espace d’expression personnel, c’est notre fenêtre sur le monde. »

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Actualitéde Jay Alvarrez et Alexis Ren, tous deux mannequins, est largement étalée sur leur deux profils, à coups de brûlantes enlaçades sur sable fin, sauts en hélicoptères au-dessus de lagons et rencontres avec des raies mantas en microbikinis. Grâce aux revenus issus du placement de produits, certains sont payés plusieurs milliers d’euros par photo. Netflix appelle « grammasters », ceux dont l’audience et donc l’influence est avérée par le nombre de followers, ceux dont les avantages sont démultipliés en voyages, fringues…Certains parviennent à gagner leur vie grâce à Instagram.

Toutes les marques sont présentes sur le réseau social et on suit tous une de leur page, fan de leur « univers », que ce soit dans la mode, le luxe, les nouvelles technologies... La récente polémique Essena O’Neill fait état de la mise en scène constante à laquelle s’astreignent les stars du réseau… pour finalement faire de l’autopromotion pour son blog. Cette jeune star tous réseaux confondus disait : « Je vais quitter Instagram, YouTube et Tumblr. Je viens de supprimer plus de 2000 photos qui ne servaient qu’à m’auto-promouvoir. Sans m’en rendre compte, j’ai passé la majeure partie de ma vie d’adolescente à être accro aux réseaux sociaux, et à être focalisée sur mon statut social et mon apparence physique ». Pour elle, « ils ne représentent pas la vraie vie, ils ne sont faits que d’images artificielles ». Avec plus de 300 millions d’utilisateurs actifs par mois, Instagram n’a pas échappé à la monétisation, les photos sponsorisées sont désormais directement insérées dans notre fil d’actualité. Racheté par Facebook, cette fusion est à même de nous proposer des contenus publicitaires encore plus ciblées.

Encore une fois, tout n’est pas à jeter avec Instagram, c’est un moyen pour les artistes de faire reconnaitre leur travail, de la manière la plus simple qu’il soit. Derrière une image, il y a tout une équipe qui travaille, les suit, les guide, les conseille, traquant l’évolution des trends, de likes… L’image reste le vecteur le plus efficace pour créer des émotions, à l’échelle la plus vaste. Une image publiée sur Instagram génère 60 fois plus d’engagement qu’un contenu posté sur Facebook, d’après le Mediateur.

Cessez donc de les idéaliser et de les envier, sachez vous en inspirer intelligemment. Tous vos ratés culinaires, votre dimanche à zoner en pyjama, vos partiels qui approchent à grand pas, votre vie un peu… banale finalement, c’est ça qui compte. Coupez votre téléphone, courrez prendre un verre de rouge en terrasse – ni healthy ni bio pour le coup – et profitez de la vraie vie, la vôtre..

Marion Bothorel

La culture plutôt que les

bombesLe chef du gouvernement italien Matteo Renzi a annoncé peu après les attentats de Paris que pour chaque euro investi dans la sécurité, un euro viendra s’ajouter au budget de la culture. Une autre manière de combattre l’obscurantisme.

La guerre semble être devenu l’horizon indépassable des déclarations politiques en France depuis les attentats qu’a connu Paris le 13 novembre dernier. En Italie, il n’en est rien. Dans un discours au siège de la mairie de Rome le 25 novembre dernier, le Premier ministre italien Matteo Renzi a tenu lui, un tout autre langage :

« Pour chaque euro supplémentaire investi dans la sécurité, il faut un euro de plus investi dans la culture.»

Un milliard d’euros sera consacré à la cyber-sécurité, aux forces armées italiennes, ainsi qu’à la modernisation des forces de police. Parallèlement, un budget de 500 millions d’euros sera alloué aux villes et à leurs périphéries, par le biais de projets culturels proposés par ces dernières. Enfin, 500 autres millions déboucheront sur la création d’une « carte culture » d’un montant de 500 euros, remise à chaque jeune Italien de 18 ans.

Dans le Capitole, la salle où a été signé le traité de Rome qui créa en 1957 la Communauté européenne, le chef du gouvernement italien adressait un message non seulement à tous ses concitoyens, mais surtout à l’ensemble de ses partenaires européens. Matteo Renzi, qui se refuse à adopter un vocabulaire guerrier, semble penser aux réponses de fond à la menace terroriste, tout en apportant son soutien à l’offensive diplomatique française pour régler la situation en Irak et en Syrie.

Kevin Dufrêche

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Musique

Le top de la rédaction meilleurs albums de 2015

Nicolas Fayeulle1. Foals - What Went Down« Deux ans après le très réussi Holy Fire, Foals nous adresse un O.V.N.I. de 10 titres, symbole d’une construction musicale majestueuse et d’un éclectisme sonore. Très direct et tout aussi sauvage, ce quatrième opus transmet tout l’explositivité d’un des groupes les plus surprenants et influents de ces dernières années. »2. Tame Impala - Currents3. Muse - Drones4. Hyphen Hyphen – Times5. Nekfeu - Feu

Sofia Touhami1. Sufjan Stevens - Carrie & Lowell2. Balthazar - Thin Walls3. Alice Sara Ott & Olafur Arnalds - The Chopin Project4. Of Monsters and Men - Beneath the Skin5. Prince - Hit n Run

Guillaume André1. Georgio - Bleu Noir2. PNL - Le monde Chico3. Hyacinthe - SLRA 24. Espiiem - Noblesse oblige5. Kendrick Lamar - To Pimp a Butterfly et VALD - NQNT 2

Marie-Madeleine Remoleur1. Superpoze - Opening« Alchimiste des sons et architecte du rêve, Superpoze nous offre sur ce premier album des couches de nappes électroniques brumeuses, aériennes et contemplatives. »2. Gomina - Prints3. Rhum For Pauline - Leaving Florida4. Foals - What Went Down5. Jamie XX - In colour (Ep)Clip : Gandi Lake de Gandi Lake (Official Extended Video) réalisé par Polaires Noires Productions (Nancy Tixier et Arthur Shelton).

© Laurent Lamarca

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Musique

© Laurent Lamarca

Antoine Delcours1. Soapkills -The Best of Soapkills« Dix ans après la fin la fin de leur collaboration, Yasmine et Zeid Hamdan se retrouve pour donner le meilleur de Soapkills, avec des titres réenregistrés et inédits. Une douceur libanaise, arabe, universelle. »2. Bagarre - Musique de club (EP)3. Omar Souleyman - Bahdeni Nami4. Vald - NQNT 25. Ex æquo : Feu - Nekfeu / La Grande Sophie - Nos HistoiresClip : Barbara Carlotti ft. Tristesse Contemporaine - Vague à l’âme (même si beaucoup d’hésitations avec Borders de M.I.A)

Louison Larbodie1. Jamie XX - In Colour«Comme dans un songe, Jamie XX nous transporte au gré de ses pérégrinations sonores, toutes plus savoureuses les unes que les autres, le temps d’un album à la construction irréprochable.»2. Kacem Wapalek - Je vous salis ma rue3. Fakear - Asakusa (EP)4. Naâman - Know Yourself5. Ex æquo : Major Lazer - Peace Is The Mission / Louis-Jean Cormier - Les grandes artèresClip : Alright de Kendrick Lamar réalisé par Colin Tilley

Lauranne Wintersheim1. Ratatat - Magnifique« Pas une adepte de la musique electro, Ratatat m’a fait aimé danser sur ses rythmes entraînant. Un énorme coup de coeur pour ce groupe qui m’a fait découvrir un nouvel univers musical qui promet d’évoluer encore et de devenir encore plus impressionnant ... »2. Benjamin Biolay -Trenet3. Charlie Winston - Curio City4. Asaf Avidan - Gold Shadow5. Lana Del Rey - HoneymoonClip : Hello de Adele réalisé par Xavier Dolan.

Cassandre Rose1. Odezenne - Dolziger Str. 2 « Plus noir et peut être plus poétique qu’à leur habitude, les trois artistes Odezenne s’illustrent ici à différents niveaux : une plume plus fine mais toujours aussi perçante, des instrus plus travaillées et des clips qui nous transportent dans leur univers. »2. Mansfield.TYA - Corpo Inferno3. Boy - We Were Here 4. St Germain - St Germain 4. Ratatat - Magnifique

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Art

Richard III,écrit en 1592, viscéralement actuelRichard III, mise en scène de Thomas Jolly. Richard III, est une pièce de théâtre de quatre heures, adaptation d’un texte de Shakespeare. Un moment comme celui-là vous rappelle à quel point la pièce de théâtre est faite pour être jouée, pour être vue, et non pour être lue.

ever de rideau. Une trappe s’ouvre d’un claquement. Lentement, péniblement, s’extrait Wdu sol une silhouette décharnée et courbée, à la voix rauque, aux accents malicieux. Le charisme du protagoniste opère en quelques instants malgré son dos bossu, ses mouvements lents et

saccadés, sa jambe trainante. Il est captivant, isolé sur scène et pourtant, par sa simple éloquence, il prend possession de tout l’espace. Les autres comédiens entrent sur scène après ce monologue, se succèdent, et pourtant on ne voit toujours que lui, celui qui deviendra Richard III.

Et c’est là toute l’astuce de la pièce ; on se raccroche à Richard, malgré nous. On adhère à son personnage pour ses qualités d’orateur, pour sa présence et son charisme et ce, bien qu’il s’agisse objectivement du personnage le plus infâme et le plus odieux. Machiavélique, être vil et délétère, il ne recule devant aucun crime, aucune abomination, ayant même délaissé sa nature humaine pour parvenir à ses fins : accéder au trône d’Angleterre.

Quatre heures de conspirations, de trahisons, d’afflictions, de meurtres, de séduction puis de jubilation sans jamais laisser de place à l’ennui. Les scènes et décors s’enchaînent avec un rythme effréné, dans une énergie bouillonnante qui vous tient en haleine, accroché au bord du siège. La scénographie est au service de cette mobilité, les éléments sont mouvants et constamment changeants. Les éclairages, parfaitement maîtrisés, transforment chaque scène,

chaque plan en une photographie. Les ombres découpent, tranchent, cisaillent les personnages, redessinent les traits horrifiés ou triomphants de leurs visages. Les lumières vacillantes ou stroboscopiques ralentissent ou précipitent la vitesse de l’action, couplées à une bande son puissante et stimulante.

Et que dire de cette fin de premier acte, aboutissant sur un rock endiablé, chanté par Richard III lui-même ? Vainqueur, ayant atteint son objectif suprême, il se targue d’être abominable, rabâchant sans se lasser « I’m a dog, I’m a toad, I’m a hedgehog » (je suis un chien, je suis un crapaud, je suis un hérisson). L’audace est belle, et souligne un point important de cette mise en scène : sa modernité. Certes, le texte a gardé tout de son intégrité, mais quelques injonctions greffées çà et là, une paire de lunettes de soleil, et ces costumes nous rappellent que nous sommes bien en 2015, et que la pièce a conservé toute son actualité dans nos problématiques d’aujourd’hui, qui sont finalement les mêmes dans une période de transition et de doute, d’incertitude sur l’avenir, d’escalade de la violence, de soif de pouvoir.

Richard III est une délicieuse claque, qui vous secoue aux tréfonds de vous-même, vous envoûte et vous laisse à regretter que, contrairement à Henry VI, la pièce ne dure dix-huit heures.

Richard III est en tournée jusque fin mai 2015, vous pouvez retrouver les dates sur le site de la troupe La Piccola Familia.

Christelle Perrin

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Musique

Superpoze Dream Koala Code

Trans Musicales - Rencontres

Conçue et présentée en exclusivité dans le cadre des 37èmes Rencontres Trans Musicales de Rennes, l’association de la musique orchestrale de Code, de l’électronique de Superpoze, et de l’expérimentation pop de Dream Koala a

fait couler beaucoup d’encre. À quoi s’attendre ? À vrai dire, même les programmateurs du festival n’en avaient pas la moindre idée. À quelques heures d’un set qui a mis tout le monde d’accord, nous avons rencontré Jérémy, du collectif Code, et ses deux collègues d’un soir, Superpoze et Dream Koala.

© Arte Concert

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Musique

Superpoze Dream Koala Code

C’est assez inédit de vous voir ensemble, vous êtes là pour un projet que vous allez présenter ce soir aux Trans Musicales, qu’est-ce qui vous a poussé à monter cela ?Dream Koala : on se connaît depuis un moment avec Gabriel et, même si au moment de notre rencontre nos musiques étaient assez différentes, avec le temps je crois que nous nous sommes rapprochés musicalement. On a trouvé un point de convergence et eu de plus en plus envie de bosser ensemble ; on a toujours eu envie, mais on n’a jamais réussi.

Superpoze : déjà il y avait ça qui traînait depuis des années, une envie de bosser ensemble mais on ne savait pas trop comment. Yndi (Dream Koala) m’avait remixé mais ce n’est pas vraiment travailler en commun, et en parallèle il y a eu la rencontre avec Jérémy et l’ensemble Code (ils sont 12), le but premier de Code c’est d’arranger et recomposer, d’apporter du classique sur des musiques actuelles. Ils avaient retravaillé nos morceaux à Yndi et moi et donc ça collait bien, on s’est dis : faisons un concert.

Dream Koala : on avait aussi envie de sortir de ce format mp3, de faire quelque chose de vraiment vivant.

Superpoze : on parlait souvent d’avoir un groupe, de faire des choses comme ça. Au début, j’avais proposé à Yndi d’être musicien live de ma tournée, c’était pas possible en termes de planning mais on avait l’idée et on s’est retrouvés autour de Code.

C’est un projet exclusif aux Trans Musicales ou c’est quelque chose qui pourrait être amené à se reproduire pour d’autres occasions ?Superpoze : pour l’instant oui, c’est exclusif aux Trans Musicales, après je pense qu’on souhaite tous pouvoir le rejouer mais ce n’est pas un projet qui pourra tourner comme on tourne tous les deux. On part à deux ou trois d’habitude et là on prend tout le wagon dans le train (rires). L’envisager en one shot ça a été aussi un moyen de moins appréhender, on proposer un événement, un truc ponctuel, un moment, et on verra si celui-ci se prolonge.

Pourquoi les Trans Musicales ?Code : parce que c’est cool ! Ils nous ont repéré via Gabriel et c’est eux qui sont venus vers nous sans même savoir que nous préparions réellement un truc. On avait déjà enregistré des sessions live mais personne n’était au courant, on n’avait fait aucune communication, dans l’idée c’était une manière de présenter le projet pour que naisse ce genre d’idée.

Superpoze : planètes alignées !

Donc on ne doit pas s’attendre à retrouver, dans votre prestation, vos sets, séparément ?Superpoze : on n’a pas recomposé de musiques parce qu’on avait pas le temps, concrètement, de le faire, donc c’est des morceaux de Superpoze et de Dream Koala mais qui sont réarrangés, réecrits, retravaillés par Code.

Code : ce n’est pas que de l’arrangement, on a aussi retravaillé les structures, la base, en termes de concert. On a pensé le truc comme

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Musiqueun tableau d’exposition. C’est ce qu’on appelle un programme en musique classique, un poème symphonique. Des oeuvres à la fin du XIXe font un peu comme ce qu’on fait là, il y a beaucoup d’instrumentaux et d’un coup une voix qui sort, un air, une forme de chanson quelque part, et le développement electronique des musiques de Yndi fait penser à ça. On peut passer à un moment d’un instrumental à l’autre, il y a des micro-thèmes qui passent d’une région à l’autre, on retrouve des thèmes au travers du set.

Superpoze : c’est vraiment quelque chose qu’on retrouve en musique classique, dans mes morceaux je fais souvent ça, faire revenir un sample, une sonorité d’un son à un autre, créer des rappels. C’est le principe classique du thème développé.

Code : c’est quelque chose qui n’existe pas du tout en chanson, ça ne se fait jamais et c’est assez intéressant d’apporter la couleur orchestrale et de s’en servir pour ça. On apporte cette particularité de l’orchestre dans la musique électronique, on cherche les points communs.

Dream Koala : je pense que le plus intéressant du projet c’est ce mélange de langages, de sonorités, que ce soit entre classique, musique électronique, moi un peu plus pop/chanson, même au niveau des sonorités. Il y a des moments où on retrouve du piano-voix, d’autres avec des sons plus expérimentaux qui s’approchent presque du noise.

Superpoze : c’est en cela aussi que ce n’est pas qu’un medley simple, on essaye de trouver du liant et de faire le lien entre nos sonorités, nos morceaux.

Le travail de trouver une cohérence, une alliance, entre la musique électronique et un côté plus classique, plus orchestral, ça s’est fait comment ?Code : concrètement je crois que ça s’est fait assez naturellement, avec Léo, mon pote avec lequel j’arrange pour Code, c’est un truc qu’on a envie de faire depuis qu’on est ados. C’est quelque chose qui a germé depuis longtemps, qui a vraiment mûri, quand on s’est retrouvés à écouter la musique de Yndi et Gabriel il y a naturellement des choses qui nous sont venues dans les oreilles. On ne s’est pas trop posés de questions, après c’est normal il y a quelques trucs sur lesquels on a buté, on s’est demandés comment faire, mais ça a été assez naturel au final.

Dream Koala : on avait déjà, avant de se rencontrer pour travailler, beaucoup d’influences communes, on écoute pas mal de classique, on cherche dans le post-rock, le rock psychédélique, ça vient vraiment de nos inspirations.

Superpoze : le lien entre tout ça, et sans parler de texture, même si ça en fait partie, c’est le principe de musique progressive. Même si Yndi se rapproche le plus de la « chanson » avec des couplets et des refrains, on est tous fans de la progression, de laisser le temps à la progression, à la musique.

Vous vous êtes inspirés d’autres initiatives similaires ou vous êtes partis de nulle part ?Superpoze : pas directement, je crois qu’on a plutôt essayé d’éviter des choses.

Code : on ne voulait surtout pas faire le concert symphonique de Julien Clerc, ça se trouve c’est très bien mais c’est juste pas ce qu’on voulait faire.

Superpoze : on ne voulait pas faire « Dream Koala et Superpoze en grand », on ne voulait pas faire ça pour amplifier ce qu’on fait. On veut juste faire autre chose.

Code : on est autant influencés par des trucs discos que du hip-hop genre Kendrick Lamar, qui utilisent beaucoup de samples de cordes qui nous donnent des idées, et sinon on est hyper inspirés de Philippe Glass. Plus particulièrement, on aime la musique très orchestrale de la fin du XIXe qui compose toute l’influence des musiques hollywoodiennes aujourd’hui, avec Hans Zimmer etc. Il y a des influences de Strauss, de Wagner, de Mahler, qui sont évidentes. C’est exactement ça, mais en moderne. Dans les idées qu’on a eu avec Gabriel et Yndi, il y a beaucoup de ça.

Les musiques classiques et électroniques sont donc beaucoup plus liées que ce qu’on peut imaginer ?Dream Koala : c’est assez large le classique, évidemment, entre Bach et Steve Reich il y a tout un monde.

Superpoze : la scission se trouve plus dans ce qu’on peut qualifier de « musique académique ». Derrière la musique classique il y a des institutions, des académies, des méthodes à respecter. Typiquement, même si on a appris la musique, dans mon cas au conservatoire, c’est parti assez loin et c’est des musiques qui sont autodidactes, basées sur l’instinct.

Code : c’est la manière d’aborder la musique qui est importante. Les musiciens classiques ont des manières très différentes de faire les choses.

Propos recueillis par Baptiste Thevelein

et Solène Lautridou

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Musique

© Maze

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Cinéma

Le Pont des espions La Guerre des mondes

Depuis la fin des années 90, la filmographie de Steven Spielberg a radicalement changé. Il tend à délaisser le cinéma tout public pour s’atteler à des films, même si toujours aussi divertissants, plus adultes. Que ce soit avec un petit robot, une attaque d’extraterrestres, ou une figure iconique de l’Histoire des Etats-Unis, le cinéaste semble établir des liens politiques avec notre époque. Et si son nouveau film, Le Pont des espions, dépassait le simple traitement de son contexte historique de la Guerre froide pour poser des questions plus contemporaines ?

ans le dernier acte de Cheval de guerre une scène voyait deux soldats anglais et allemand collaborer pour libérer un cheval au milieu du no man’s land. Le dialogue qui en résultait renvoie directement au cœur de la deuxième partie du Pont des espions.

Ici l’avocat d’assurance, joué par Tom Hanks, se retrouve face à un employé de l’URSS pour négocier l’échange entre les deux pays de prisonniers. Il est alors constataté que c’est le peuple qui subit en première ligne les agissements irresponsables de leurs gouvernements respectifs. C’est donc sur lui (et non sur les élites) que repose la seule chance de renouer le dialogue qui va pouvoir résoudre la situation. Steven Spielberg appelle alors les citoyens à reprendre les choses en mains en renouant la communication entre les nations. Le film raconte donc la résolution d’une situation critique (l’échange

entre deux nations ennemies) par un personnage qui va se battre contre les institutions américaines : la Justice et la CIA. On est effectivement bien loin de la caricature simpliste que sous-entend depuis des années la critique qui voit en Spielberg un véhicule de propagande pro-gouvernement américain.

Par ailleurs le scénario, écrit par les frères Coen, pointe du doigt la versatilité du peuple américain. Celui-ci préfère juger selon l’émotivité qui est suscitée par un événement, et non par rapport aux faits eux-mêmes. Alors que dans nos sociétés l’émotion fabriquée par les médias - ici il est mis en avant la propagande dans les écoles, la presse et la télévision - guide toutes nos réactions, le film nous pousse à nous réapproprier le jugement rationnel. D’ailleurs ce pragmatisme est incarné par le prisonnier soviétique qui ne cesse de répondre « would it help ? » à la question de savoir s’il a peur.

Que ce soit avec Amistad, La Guerre des mondes ou Lincoln récemment, Steven Spielberg ne cesse de

D© Twentieth Century Fox France

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Cinémaquestionner l’identité américaine. Qu’est-ce qu’être américain ? Est-ce les élèves qui chantent de concert l’hymne américain face aux drapeaux (un plan qu’on croirait sorti d’une propagande et suivi ironiquement par une bombe nucléaire) ? Ou est-ce le citoyen qui revient à la Constitution comme fondement de la création des Etats-Unis, quitte à tenir tête au système ? Le film opère donc une remise en perspective des valeurs américaines. Le pilote américain a la physique typique des héros américain, va-t-en guerre et sur-héroïque, des anciens films de guerre de la jeunesse de Spielberg. Face à lui se trouve en totale opposition le personnage de Tom Hanks qui représente un héroïsme intellectuel, pragmatique. Deux visions de valeurs héroïques, l’une surannée et l’autre plus actuelle et plus que jamais nécessaire.

Conforme à la vision classique du cinéma (proche de celle de Frank Capra), le sous-texte chez Spielberg n’est jamais asséné par les dialogues. Toutes les idées présentées sont véhiculées par les émotions passant par le biais de la mise en scène, à la fois sophistiquée et invisible, embellie par la photographie de Janusz Kaminski (déjà à l’œuvre sur notamment le Soldat Ryan, La Guerre des mondes, Minority Report ou Cheval de Guerre). L’efficacité immédiate du savoir-faire de Steven Spielberg se constate dans l’aisance par laquelle il parvient à nous faire identifier à l’étudient américain, visible en une poignée de plans seulement. Filmant en grande partie de scènes de dialogues, le cinéaste de 68 ans ne succombe jamais à la facilité des champ-contrechamps télévisés. Au contraire il les dynamise et les complexifie, comme avec ce jeu sur les travellings avant lors d’un échange, qui souligne le duel de persuasion que se livrent les deux personnages.

Plus il vieillit, plus Steven Spielberg se met en danger en sortant de sa zone de confort de Maître de l’Entertainment hollywoodien. Une chose est sûre, il n’est pas prêt à rendre les armes et c’est tant mieux, le meilleur de sa carrière est loin d’être derrière lui.

Nicolas Renaud

© Twentith Century Fox France

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Art

Je suis étudiant(e) en art

Depuis peu de temps, vous avez peut-être vu bon nombre de gens arborant un sac en toile avec écrit dessus ‘’JE SUIS ÉTUDIANT EN ART’’. Que signifie réellement ce message, et pourquoi pose-t-il problème ?

utre le fait que plus de la moitié des étudiants en art soient des femmes, cet accessoire renvoie une image fantasmée de l’artiste et de ses études, en le présentant comme une mode, ou pire même comme un accessoire de mode.

Une image erronée

Même si la phrase peut sembler être valorisante pour les étudiants en art, il donne une image cool de ces études, de cette pratique, qui dans l’imaginaire commun, se résume à dessiner, avoir les mains dans la peinture et fumer des joints. La réalité est bien loin. Même si les études que nous faisons peuvent sembler plus agréables, parce qu’elles nous offrent, d’un certain côté, une plus grande liberté, et représentent moins de cours magistraux, le travail n’est pas juste cool. Au contraire, il demande un investissement total. L’image que l’on a des études d’art est erronée, ou du moins, ces études sont mal connues et représentent une sorte de fantasme : nous ne sommes pas dans un centre aéré pendant cinq ans.

Un message mal porté

Et si les étudiants en art portent ce message

fièrement ? Le premier problème est que ce message est apparu comme un produit de consommation, un accessoire d’une « mode », et porter un tel objet reviendrait donc à dire que les études en art sont un effet de mode. Pourtant, dans l’opinion publique, le monde de l’art est loin d’être « à la mode » en France. Ce à quoi nous sommes formés repousse davantage de gens qu’il n’en attire : l’art contemporain. Nous faisons ces études dans le but de devenir des plasticiens capables de nous exprimer dans le monde actuel.Le second problème est de privilégier les études d’art par rapport aux autres, en mettant presque les étudiants sur un piédestal, et en les montrant comme des objets fantasmés : le mythe de l’artiste romantique. À moins de voir apparaître prochainement des sacs « Je suis étudiant(e) en médecine / droit / langues / etc. », le message provoque une mise l’écart de l’artiste et de ses études par rapport au reste. Mise à l’écart qui peut sembler valorisante mais qui devient stigmatisante.Pire encore, porté par des personnes dans un autre cursus, le message devient clairement un accessoire de mode pour se démarquer du reste de la population, qu’on arborerait avec autant de panache que l’on porterait une marque, tout en étant un plat mensonge.

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ArtCe message fausse la réalité et joue sur des idées reçues. Pour qu’il puisse être accepté, il faudrait que la conception de ces études et du monde de l’art change aux yeux du grand public.

Des études sérieuses

En France, 46 écoles publiques d’art proposent ce cursus. Et pour y rentrer, il ne suffit pas de savoir dessiner. L’entrée aux écoles est principalement basée sur la motivation, l’intérêt et l’engagement dans l’art. Références et réflexion approfondie sont donc exigées. Environ la moitié des étudiants arrivent de classes préparatoires, publiques ou non, qui permettent d’avoir déjà une certaine approche de ces études, et de savoir ce à quoi elles engagent.Dans la plupart des écoles, la première année est une année générale, qui permet de toucher à beaucoup de médiums différents, tout en étant encadré par les professeurs. Dès la deuxième année, le choix d’une spécialisation est imposé, chaque école ayant ses propres spécialités (illustration, communication graphique, peinture, volume, photographie, etc.), pour arriver au Diplôme National d’Arts Plastiques

à l’issue de la troisième année (équivalent d’une licence). La quatrième année est consacrée à un voyage Erasmus, ou à un stage, tandis que les étudiants doivent rédiger un mémoire pendant la cinquième année, pour enfin arriver au Diplôme National d’Expression Plastique (équivalent d’un master). Les quatre derniers semestres doivent être utilisés par l’étudiant pour se consacrer à une approche plus personnelle de sa pratique, toujours avec l’aide des professeurs. Ce sont donc des études sérieuses, qui demandent un réel engagement, et il faut se rappeler que nous ne faisons pas ça par loisir, mais par ambition d’en faire un métier, un vrai.

Ce n’est pas par esprit réactionnaire que bon nombre d’étudiants et d’écoles se sont indignés, sur le Tumblr www.noussommesetudiantsenart.tumblr.com par exemple, mais pour contribuer à une image plus vraie des études d’art et de l’artiste. L’art contemporain est peu reconnu en France, il ne doit pas être élitiste, et c’est en démontant certains préjugés que la démocratisation de l’art se fera.

Ludovic Hadjeras

© EESAB-site de Rennes

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Musique

Hyacinthe magnifie la noirceur

Comparse de L.O.A.S dans le collectif DFHDGB (Des Faux Hipsters et Des Grosses Bites), Hyacinthe a sorti mi-novembre Sur La Route de L’Ammour 2 : Mémoires De Mes Putains Tristes. Une ode à la destruction de soi et à la mort. Tout ceci sur fond de mélodies enivrantes.

Un peu de mythologie pour commencer. Hyacinthe est un jeune homme beau et aimé d’Apollon et de Zéphyr. Il meurt accidentellement, touché par un disque en pleine tempe. De son sang qui coule de son corps sans vie,

naît une fleur. Voilà pour le Hyacinthe mythologique. En ce qui concerne le Hyacinthe « rapologique », celui-ci s’est fait remarquer en lâchant un couplet de huit mesures sur l’émission Master Classe devant les yeux stupéfaits d’Annick Cojean, reporter au journal Le Monde.

Ce qui ressort le plus de SLRA 2, c’est ce goût prononcé pour la mort. Ainsi, à peine 10 secondes après avoir pressé le bouton play sur Maldoro, Hyacinthe dépeint ce qu’il voit au moment d’une gâterie : le visage de la faucheuse. Il fait également allusion à une horde de corbeaux qui lui tournent autour sur le titre éponyme de l’album.

A côté de ces élucubrations morbides, Hyacinthe sait également apprécier les douceurs de la vie. Notamment, le sexe et la drogue. Être MDMA, cocaïne et allusions sexuelles, aucun morceau de SLRA 2 ne manque à l’appel quand il s’agit de faire l’apologie de ces plaisirs de la vie.

La vie et ce qu’elle comporte en terme de destinée et de futur, Hyacinthe la perçoit avec noirceur. « Et si le destin a une bouche qu’il l’ouvre bien grande pour que je pisse dedans », « L’avenir est sombre et j’suis pas sûr que mes choix le péroxyde » sur Maldoro ou encore « J’ai mon destin entre les mains. Il ne respire plus, j’ai dû serrer trop fort le cou de ce fils de pute » sur Meurs à la fin illustre bien cette vision.

Le diable se joint également à cette dark party

qu’est SLRA 2. Hyacinthe se vante de lui avoir volé sa haine et attend qu’il se décide à lui donner son adresse. Un titre résume à lui seul cet attachement porté à la mort, au diable et au sexe : « Meurs à la fin ». Tout est dans le titre pour la première notion. Pour les deux autres cette phase « J’parle que c’que j’connais, de hargne, de haine, de Diable et d’teucha » suffit.

Le meilleur rappeur de sa génération

Hyacinthe ne respecte rien ni personne ainsi, sur Meurs à la fin, Hyacinthe, sur un beat rapide il se dit « meilleur rappeur de (sa) génération et de celle d’après aussi ». Rien que ça. Bien qu’il dédaigne ses confrères et le rap des années 90 comme il le confiait dans une émission spécialisée, cela ne l’empêche pas de présenter sur la tracklist Retour aux pyramides. Les connaisseurs auront tout de suite saisi le rapprochement avec les X-Men et leur classique présent sur la bande son de Ma 6-T Va Crack-Er.

Mais s’il ne devait rester qu’un seul titre de ce très beau projet tant au niveau des productions que des envolées lyriques, L’ennui remporterait, haut la main, la palme. Sur une production magnifique signé Holos Graphein et Krampf, Hyacinthe met de côté le rap pour se laisser à une ballade au cœur de la nuit où il nous fait part de son spleen et de l’ennui que lui procure sa belle et douce qu’il trompe.

SLRA 2 se révèle être la fleur qui pousse à la mort du personnage mythologique auquel Hyacinthe emprunte son nom. Aidé par une voix et une faculté à mélanger chant et rap sur des instrus calibrées pour accueillir ses déblatérations, Hyacinthe arrive à sublimer ce qu’il y a de plus sombre sur cette terre.

Guillaume André

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Musique

© Pierrerae

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Musique

« Max a commencé à jouer l’air de J’ai Demandé à La Lune d’Indochine »

Betty The NunBetty The Nun, quatre jeunes hommes vannetais exilés à Rennes, ont fait leur rentrée avec les normands de Beach Youth et Mannequins le 14 octobre au 1988 Live Club. Ayant récemment sorti un nouveau single, il est temps de faire un point sur le groupe qui n’avait pas donné de nouvelles depuis le printemps. C’est dans les loges du 1988 Live Club, face à une bouteille de vodka entamée, que je rencontre les deux membres fondateurs du groupe, Benjamin et Lucas, pour parler musique.

our ceux qui ne vous connaissent pas, parlez-nous de vos débuts, comment vous vous êtes rencontrés, tout ce que vous avez fait jusqu’à aujourd’hui.

J’ai rencontré Lucas pendant les

années lycée, on avait déjà chacun

un groupe, lui il faisait plus du punk

et moi plus de la folk, on en avait tous les deux

marre de notre groupe, puis on s’est rencontrés

en soirée et on s’est dit qu’on devait monter un

groupe, et ça a commencé comme ça. A répéter

dans un garage, dans nos chambres, tous les

deux, c’était très intime, puis on a trouvé deux

autres membres, on a changé deux fois de

bassiste et trois fois de batteur. Et donc ça fait

deux ans que les membres ne bougent plus, avec

Maxence à la basse, et Guilherm à la batterie.

Et ça fait ça fait combien de temps que vous êtes ensemble ?

Cinq ans, on en a passé des étapes !

D’où vient votre nom ?

Un peu de nulle part... (rires). Betty The Nun... Betty c’est pour le

côté un peu anglais, pour représenter notre musique, très beau nom féminin, et The Nun... c’est vieux ça, pour faire la fille sage, mais ça date des années lycées et on l’a gardé.

Du coup vous avez récemment sorti un single, Inside/Outside, où l’on entend un changement musical par rapport à ce que vous faisiez avant, (même si vos influences restent les mêmes), pourquoi ce changement ?

Ça nous représente plus je pense, on a plus travaillé notre son, et puis en faisant ce style là je pense que le set est plus collant là dessus, sur ce style de musique, on veut créer quelque chose de plus nerveux, après ça reste pop, propre aussi, mais on fait quand même des refrains plus rythmés. Est-ce que vous avez un but à atteindre en tant que groupe ?Pour faire Gallagher... être plus célèbre qu’Oasis ! (rires) Non je rigole. Le but serait de tourner un maximum, sortir un album, et se professionnaliser au max, parce qu’on aimerait bien être connus quoi. On aimerai juste vivre de notre musique, pas forcément se faire beaucoup d’argent derrière, mais pas non plus

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Rencontre

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Musique

© Gilles Pensart

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Musiqueour ceux qui ne vous connaissent pas, parlez-nous de vos débuts, comment vous vous êtes rencontrés, tout ce que vous avez fait jusqu’à aujourd’hui.

J’ai rencontré Lucas pendant les années lycée, on avait déjà chacun un groupe, lui il faisait plus du punk et moi plus de la folk, on en avait tous les deux marre de notre groupe, puis on s’est rencontrés en soirée et on s’est dit qu’on devait monter un groupe, et ça a commencé comme ça. A répéter dans un garage, dans nos chambres, tous les deux, c’était très intime, puis on a trouvé deux autres membres, on a changé deux fois de bassiste et trois fois de batteur. Et donc ça fait deux ans que les membres ne bougent plus, avec Maxence à la basse, et Guilherm à la batterie.

Et ça fait ça fait combien de temps que vous êtes ensemble ?

Cinq ans, on en a passé des étapes !

D’où vient votre nom ?

Un peu de nulle part... (rires). Betty The Nun... Betty c’est pour le côté un peu anglais, pour représenter notre musique, très beau nom féminin, et The Nun... c’est vieux ça, pour faire la fille sage, mais ça date des années lycées et on l’a gardé.

Du coup vous avez récemment sorti un single, Inside/Outside, où l’on entend un changement musical par rapport à ce que vous faisiez avant, (même si vos influences restent les mêmes), pourquoi ce changement ?

Ça nous représente plus je pense, on a plus travaillé notre son, et puis en faisant ce style là je pense que le set est plus collant là dessus, sur ce style de musique, on veut créer quelque chose de plus nerveux, après ça reste pop, propre aussi, mais on fait quand même des refrains plus rythmés. Est-ce que vous avez un but à atteindre en tant que groupe ?Pour faire Gallagher... être plus célèbre qu’Oasis ! (rires) Non je rigole. Le but serait de tourner un maximum, sortir un album, et se professionnaliser au max, parce qu’on aimerait bien être connus quoi. On aimerai juste vivre de notre musique, pas forcément se faire beaucoup d’argent derrière, mais pas non plus s’embêter à bosser à côté.

Est-ce qu’il y a un album qui vous a marqué, voire influencé, en tant que groupe ?

Gemini de Wild Nothing, tous les albums de Beach House, mêmes s’ils ne font pas partie de nos influences, Oshin de DIIV aussi, les débuts de Captured Tracks quoi, du coup le premier de Beach Fossils, même le dernier, tout ce qui rejoint nos influences en fait.

Avez-vous une anecdote sympa à nous raconter qui s’est déroulée lors d’un concert ?

Au Bus Palladium ! Lucas avait cassé une corde en plein concert donc il a dû sortir de scène pour la changer, et Max s’est assis tout seul en plein milieu de la scène et a commencé à jouer le rythme de J’ai Demandé à La Lune d’Indochine... on n’en est pas très fiers. [rires] Sinon lors d’un de nos premiers concerts, au Vieux Safran un bar à Vannes, Benjamin a sauté, et s’est fait déchirer son t-shirt par toutes les meufs au premier rang, c’était n’importe quoi ce concert on se prenait le micro dans les dents tellement le public avançait vers nous... Mais maintenant moins, parce qu’on est pro ! (rires)

Quel a été votre meilleur concert ?

En janvier en première partie de Totorro au 1988 live club, on a joué vers 21h, le public était trop chaud, nous aussi, on était trop bien, je trouve qu’on a bien assuré ! I’m From Rennes aussi l’année dernière, on faisait l’ouverture le jeudi à l’Antipode, c’était blindé, les gens pouvaient plus rentrer dans la salle, le public était ouf, ça faisait vraiment plaisir.

Et le pire ?

Fête de la musique à Vannes en 2013, sur le port, il y avait 2000 personnes, on était bien éméchés, ça se voyait sûrement, on était encore jeunes, on était tout rouges, et on a joué comme des merdes. Ya des vidéos sur internet si ça intéresse...

Pour finir, qu’en est-il pour la suite du groupe, un autre single, voire album ?

On veut faire une pause, se donner le temps de composer de nouveaux titres, de chercher des subventions pour ensuite pouvoir enregistrer au calme à la campagne, on veut faire ça bien et tranquillement.

Dearbhla O’HANLON

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Littérature

Il était une foi(s), avec

Eric-Emmanuel Schmitt

A l’occasion de son nouveau livre La nuit de feu, dans lequel il partage son expérience mystique lors d’un voyage dans le désert, Éric-Emmanuel Schmitt a tenu une conférence à l’Auditorium de Lyon ce

mercredi 11 novembre. Retour sur une conférence animée par la joie, la légèreté et l’humour.

« Qu’est ce que je vous chante ? » Première apparition d’Éric-Emmanuel Schmitt qui annonce la couleur : c’est un homme plein de vie, de joie et de légèreté même (et surtout) lorsqu’il s’agit de parler des sujets les plus complexes tels que l’expérience mystique, la religion, la vie et la mort.

LA NUIT DE FEU

Le titre de son nouveau roman fait référence au philosophe Pascal, fervent croyant en Dieu. Pendant une période, celui-ci avait perdu la foi et la retrouve, une nuit lors d’une expérience mystique (C’est-à-dire une expérience spirituelle en contact ou communication avec une réalité transcendante).

Éric-Emmanuel Schmitt nous raconte : « Suite à cela, il écrit une phrase sur un papier qu’il va garder toute sa vie sur lui, cousu dans la doublure de son manteau. Lorsqu’il meurt on

retrouve ce papier ou il y était écrit « Nuit de feu ». [...] Le feu renvoie à la nuit mystique, parce qu’il y a la nuit mais aussi la lumière, et c’est tout l’aspect paradoxal d’une nuit mystique. »

Alors qu’il a déjà écrit une quarantaine de volumes, c’est le premier où il choisit d’utiliser le pronom « Je ». Il nous explique ce choix : « Quand on dit « je » on commence à mentir, on invente un personnage. Moi je prends les masques des personnages pour raconter la vie. […] Si j’ai choisi d’utiliser le « je » dans ce livre, c’est pour donner du poids à l’histoire, un poids de réalité. »

SON EXPÉRIENCE DU DÉSERT

Alors âgé de 28 ans, Éric-Emmanuel Schmitt signe un contrat de scénariste pour tourner un film sur Charles de Foucauld et se lance sur les traces de ce missionnaire converti à la religion chrétienne

et parti vivre dans une population touareg d’Algérie. Il participe à un voyage de dix jours dans le désert. Il nous raconte :

« Quand on part dans le désert, on sait qu’on a rendez-vous avec l’essentiel. […] Soit on en revient déprimé soit on en revient enthousiasmé, mais on en revient pas comme on est venu. L’expérience du désert c’est quitter le moi qui habite dans un univers d’objets. C’est n’être plus qu’un corps dans la nature, une nature hostile. C’est quitter le moi socialisé, et vraiment larguer les amarres. Plus qu’une expérience physique, c’est une expérience métaphysique. C’est partir à la rencontre de son moi déshabillé de ses oripeaux sociaux et objectifs. […] C’est aussi faire l’épreuve de plusieurs infinis. L’infini du ciel, sans pollution lumineuse, où on a l’impression qu’on pourrait cueillir les étoiles comme des pommes. L’infini de

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Littératurela terre et surtout l’infini du silence, qui nous est inconnu. C’est un rendez-vous avec un dépaysement. Il ne faut pas avoir peur de ce qui fait peur.[…] C’est aussi entendre son propre corps, se sentir à la fois vivant et fragile. C’est ce que les romantiques appellent le sublime. Se sentir petit, écrasé et vulnérable. »

L’EXPÉRIENCE MYSTIQUE

Tout au long de la conférence, Éric-Emmanuel se réfère à Pascal. Tout comme lui, c’est le fait qu’il ait frôlé la mort qui a déclenché ce phénomène mystique. Pendant le voyage, le groupe se retrouve un jour au pied d’une montagne pour bivouaquer. Une partie du groupe, dont fait partie l’auteur, se sépare du reste et décide de grimper au sommet pour admirer la vue. Au moment de redescendre Éric-Emmanuel Schmitt se lance devant, seul. Récit :

« Je commence à dévaler la montagne sans aucun sens de l’orientation. J’avais ce sentiment de joie qu’on ressent quand on est bien dans son corps, mon cerveau était dans mes cuisses et mes cuisses étaient contentes. En arrivant en bas de la montagne je vois le rocher derrière lequel se trouve le bivouac, je le contourne mais pas de bivouac ! Et pareil pour tous les autres rochers alentours. Je me rends compte que je me suis perdu. » Or les nuits de février dans le désert sont glaciales et il n’a quasiment plus d’eau.

« Je pense qu’il faut passer par le désarroi et la peur pour que

quelque chose arrive. Il faut reconnaitre sa faiblesse. Il faut arrêter de vouloir dominer ses pensées, tout maitriser et contrôler. C’est ca qui est resté dans le sable ce soir la, cet intellectuel qui voulait tout contrôler et maitriser. » Comme il l’explique, dans son livre c’est un passage du récit ou il a pris une attention particulière, où tous les mots sont pesés entourés de silence.

« Un autre corps se détache du mien, qui est appelé par une force, quelque chose de puissant. Il va se détacher du temps, de l’espace et va à la rencontre de cette force qui l’appelle. Il y a un sentiment de bien être et d’harmonie qui se fond dans cette force (comme s’il fondait dans du feu). Lorsque la force redépose ce corps dans le sable, quelque chose a changé. Il y a une lumière, une trace. L’épreuve de la transcendance laisse une trace. »

Cette expérience fut une révolution pour lui, en tant que philosophe il explique son bouleversement :

« A partir de ce moment là j’ai changé de philosophie. Tout a un sens et tout est justifié. Je suis passé de la philosophie de l’absurde à la philosophie du mystère. La philosophie de l’absurde c’est de se dire : je ne comprends pas, c’est injustifié donc ça n’a pas de sens. […]Maintenant l’absurde c’est les limites de mon esprit. »

Le lendemain il se rend compte qu’il était du mauvais côté de la montagne, il retrouve le groupe en rebroussant chemin.

© Catherine Cabrol

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LittératureTÉMOIGNER CE N’EST PAS CHERCHER À CONVERTIR

Son livre ne cherche pas à convaincre les lecteurs de l’existence de Dieu et c’est plutôt l’humilité qui est à l’œuvre dans l’ensemble du roman. En effet pour Éric-Emmanuel Schmitt croire ce n’est pas savoir, « croire c’est une façon d’habiter l’ignorance. […]Pour moi dieu est une question posée à tout Homme et à laquelle chacun à sa propre réponse ».

Ce roman est une manière de répondre à la figure grimaçante de la foi qui est donnée dans les médias. Aujourd’hui, la vision que l’on a de la religion est faussée par le mise en avant d’actes extrémistes et terroristes. Mais M. Schmitt, explique son point de vue, tout en pesant ses mots, avec une justesse et une simplicité incroyable : « Le socle commun de tous les hommes c’est de ne pas savoir, nous sommes frères dans l’ignorance. Et c’est au nom de cette ignorance que l’on doit être tolérant. Sinon on ne peut pas vivre ensemble. Le problème commence quand quelqu’un dit « Je sais » […] Une vérité qu’on voudrait imposer n’est pas une vérité, sinon elle s’imposerait d’elle-même. »

Cette expérience mystique racontée dans ce livre n’est pas un contact avec un certain dieu, avant d’être une expérience religieuse, c’est une expérience spirituelle. Éric-Emmanuel Schmitt se justifie : « Comme le dit si bien Bergson, il y a un noyau de feu, « l’expérience mystique » qui fonde les religions. Chaque religion c’est un bout de refroidissement de ce noyau. » Et pour lui, qu’il s’agisse du dieu de Mahomet ou de Moïse, le feu est le même, c’est cela que l’on ressent.

C’est dans ce roman qu’Éric-Emmanuel Schmitt partage, vingt-sept ans après les faits, son expérience du désert. Il parle avec la générosité de celui qui ne cherche pas à convaincre de son expérience, et avec l’humilité d’un enfant qui accepte que certaines choses restent à l’état de question, sans réponses. Son nouveau roman La nuit de feu, est le premier qui se rapproche d’une autobiographie même si, on le sent, derrière chacune de ses œuvres se cachaient un peu de ses interrogations, de ses angoisses et de sa sensibilité. L’auteur de Oscar et la dame rose, n’était pas seulement venu partager avec nous le lancement de son dernier roman, il était venu nous parler de la vie, avec légèreté, simplicité et humour.

Sarah Francesconi

© Lesbavardagesdemarion.com

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Cinéma

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Après Tree of Life en 2011 et A la Merveille en 2013, Terrence Malick revient avec Knight of Cups et poursuit sa quête pour atteindre son inaccessible étoile. Il nous plonge dans

ses considérations métaphysiques, un mouvement plus radical et concret que jamais. En dépit d’un égocentrisme exacerbé, la poésie audiovisuelle unique de Malick nous emporte dans une monde oscillant entre rêve et réalité, vérité et mensonge. Là où Knight of Cups diffère de ces prédécesseurs c’est par cette ancrage dans le présent qui lui permet d’avoir une vision critique lui-même en tant qu’œuvre, nous questionne en tant que spectateur et interroge le monde dans lequel on vit. Dans les profondeurs d’une métaphysique du mensonge.

Une métaphysique du quotidien.

Une voix off nous narre la parabole biblique du pèlerin en quête de la perle sacrée. Ce pèlerin c’est Rick (Christian Bale), scénariste en pleine crise existentiel, voguant sur les berges de sa conscience, bercé dans par les flots de sa mémoire. Il y rencontre la/les femme(s) de sa vie, revient sur sa relation avec son père et ses frères. Il est à la recherche d’une perle ; que ce soit la foi, l’amour tapi dans les profondeurs du désir dont l’aboutissement serait la nativité, ou enfin la mort, omniprésente.

Ce matériau métaphysique, donne lieu aux plans malickiens, cette nature infinie comme métaphore de la conscience et cette caméra légère comme la vie. Une fois de plus il nous présente sa vison radicale d’un cinéma-poésie. Des décors vides et symboliques, un montage tourbillonnant et un art de l’ellipse nous emporte dans un torrent de poésie. On comprend ce que Bresson voulait dire dans son fameux aphorisme : « Ne cours pas après la poésie. Elle pénètre toute seule par les jointures (ellipses) ». Mais la singularité de ce film est son ancrage dans le prosaïque, le quotidien et l’autobiographique En effet Malick se met en scène par ce scénariste perdu dans l’ennui. S’il nous avait habitué à développer une poétique de la nature métaphysique, on le connaît moins quand il s’immisce dans les méandres du capitalisme. Néanmoins à chaque instant de la narration, le plus banal soit-il, tout peut basculer et devenir une escapade poétique, un égarement vers une métaphysique du quotidien. Le « spectacteur » ; spectre de l’acteur comme spectateur.

Avec Weerasethakul, Malick est l’un des rares en 2015 à proposer un film contemplatif, à considérer la cinéma comme un art désintéressé. On prend conscience qu’on regarde une œuvre ce qui nous offre une distance réflective. C’est beau au sens kantien. Mais ce jugement est schismatique car il une « distinction » entre le goût des esthètes et le goût populaire. Ce film est esthétique et hermétique ; il privilégie la beauté à la compréhension ce qui conduit indubitablement à l’ennui. Dans une ennuyante incertitude on oscille à tout moment entre le rêve et la réalité, on doute à tout moment car comme on l’a dit la plus prosaïque des situations est prétexte à des envolés lyriques et des réflexions poético-métaphysiques.

Mais le doute et l’ennui dans lequel le spectateur est plongé c’est le même

© AFP

© Docks 66

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Cinémadoute qui englobe le personnage, son incertitude quant à la tangibilité du monde dans lequel il vit, monde du superficiel et de la représentation. C’est à ce niveau-la que le spectateur aspiré dans le film ; l’identification se déploie dans l’incompréhension et la réticence face à ce qu’on voit. Car oui, le regard que Malick pose sur notre présent est traversé par le topos de la « société du spectacle » Rick évolue dans le monde du cinéma. Tout est faux, c’est un film. Malick joue d’un va-et vient avec la réalité. Christian Bale ne cesse d’être Christian Bale évoluant dans un film Malick. Il déambule comme un spectre souriant qui revient sur sa vie, il regarde comme un spectateur ce qui est censé être son existence. Des voix off nous présentent une histoire dans laquelle ils sont les protagonistes. C’est un « spectacteur » : le spectre de l’acteur comme spectateur.

Expérience submersive.

Ce film est un culte à la beauté. La beauté des corps et des décors. Chaque plan est un tableau; le travail sur le lumière est mystique. Les femmes ne sont que des mannequins, des jeunes filles en fleurs dansant nues autour de nous dans bal érotique. C’est une œuvre sensitive qui fait appelle à tout nous sens. Pour ce faire Malick use d’une richesse de media assez prodigieuse. Il prend plaisir à représenter toutes les formes artistiques, de l’art plastique à la danse en passant par le théâtre, pour élever le cinéma au rang d’art total. Et, enfin, il ose travailler différents formats et supports d’images délaissant par moment ces plans à la plastique lisse et parfaite pour s’intéresser à la rupture. Le spectateur est pris dans un mouvement de submersion et comme le personnage il va tenté de sortir des flots esthétiques de ses désirs. La caméra semble flotter dans l’eau, comme cette bande sonore hypnotique et répétitive. Par un travail remarquable sur le rythme et la rupture, Malick submerge et perd la spectateur d’une surabondance d’informations et de signes. Cette submersion rappelle celle dans laquelle Rick est plongé. Le film est ponctué de plans aquatique, marquée par un mouvement d’élévation, trouvant une finalité dans l’adéquation entre le corps et l’esprit. Une expérience submersive.

Hugo Prevel

© Docks 66

© Metropolitan FilmExport

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Littérature

L’année Maze comme elle ne s’est (presque) pas passée – Saison 3

Ce numéro étant le dernier de l’année deux mille quinze, il m’a semblé judicieux de dresser un bilan de ces douze mois à la rédaction.

JANVIERLa rubrique littérature vous conseille la lecture de L’Année Terrible de Victor Hugo.

FÉVRIERAmélie, notre coordinatrice de la rédaction, anime, en partenariat avec Maze, une conférence pour l’association « les ami(e)s de Christine and The Queens » sur « le néo-existentialisme dans l’œuvre de Queen Christine, entre choix personnels et messages du moi intérieur cachés ». Beaucoup de rédacteurs s’y rendent pour obtenir les bonnes grâces de notre coordinatrice, mais certains ne peuvent retenir quelques bâillements qu’Amélie ne pardonnera pas.

MARSBaptiste, notre rédacteur en chef bien aimé, est candidat aux départementales sur le sixième canton de Normandie. Son slogan « Cherbourg Refondation » parle « aux vrais gens » et derrière ses lunettes et sa chevelure frisée légendaire, Baptiste peut constater que sa campagne prend une agréable dynamique. Malheureusement, comme aux dernières municipales, un scandale lancé par ses adversaires autour d’un détournement de fonds de retraite des rédacteurs bénévoles du magazine éclabousse sa campagne. Une fois encore, la présomption d’innocence ne suffit pas. « Les puissances occultes ont œuvré pour détruire ma campagne, mais je reviendrai aux régionales, je vous en fais le serment ! », lance-t-il à l’issue d’une conférence de presse mémorable. À peu près au même moment, trois rédacteurs de Maze profitent

de l’éclipse tant attendue pour se sauver d’incas adorateurs du grand Pachacamac qui désirent les immoler sur un bûcher.

AVRILL’enquête « Maze au Temple du Soleil », rédigée par les trois rédacteurs revenus du Pérou, est un véritable fiasco : publiée le premier du mois, tout le monde la considère comme un poisson d’avril, et le magazine perd cruellement de sa crédibilité.

MAIUne fois n’est pas coutume, Maze envoie ses émissaires au festival de Cannes, et une fois n’est pas coutume, l’immense majorité des rédacteurs qui ne sont pas envoyés spéciaux sur la croisette se déclarent à 37% « très jaloux » et à 58% « juste jaloux », selon un sondage interne. La chasse aux selfies avec les stars est en revanche moins réussie que durant les autres éditions. C’est donc un bilan mitigé pour le magazine qui attend l’année prochaine pour se refaire.

JUINLes scandales à la FIFA remuent le magazine. Pointée du doigt par certains sycophantes dans la paranoïa générale, l’amicale des joueurs de ballon prisonnier de la rédaction – association loi 1901– publie ses comptes pour montrer que « tout est clair ». Amélie ne passe cependant pas le contrôle antidopage.

JUILLETLe treize du mois est marqué par la soirée

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Littérature

d’anniversaire de Philippe Husson, de la rubrique cinéma, auxquels sont conviés collègues, rédacteurs et intimes. Cet événement parisien marque durablement les esprits et se termine, en cette veille de fête nationale, au bal des pompiers. Le premier jalon du complot contre Baptiste, qui écume pendant ce temps là les festivals, est lancé ce soir là, et il se murmure que rien ne pourra plus l’arrêter. Le même mois, un rédacteur de Maze rend folle de rage Amélie, notre coordinatrice de rédaction, en quittant, exaspéré par l’ennui de l’événement, un concert de Christine and The Queens à la troisième chanson (ou plutôt au milieu de la deuxième selon les versions des différents protagonistes).

AOÛTL’Hermione est de retour en France, après une traversée aller-retour de l’Océan Atlantique, et les rédacteurs socialistes de Maze font quant à eux l’aller-retour à la Rochelle pour l’université d’été du parti socialiste. Les rédacteurs de droite trouvent quant à eux leur bonheur dans la série « un été avec Michel Houellebecq » du Figaro Magazine.

SEPTEMBREC’est la rentrée pour le magazine, et la rubrique littérature propose un dossier sur les biographies, qui fait date. Si Philippe Husson avait terminé sa biographie de Meryl Streep en temps et en heure, elle aurait pu être chroniquée. Quant à celle de Baptiste, rappelons que son auteur n’est pas encore né.

OCTOBRELa soirée Halloween d’Amélie est un échec mémorable ! Tous les rédacteurs se sont déguisés en Amélie tant la simple évocation de notre terreur de la rédaction suffit à vous glacer l’échine, et chacun est frustré de voir que son déguisement n’est pas aussi original que prévu. Amélie s’est quant à elle déguisée en Baptiste, et c’est très réussi. L’ambiance est plombée.

NOVEMBRELa rubrique littérature vous conseille de nouveau la lecture de L’Année Terrible de Victor Hugo.

DÉCEMBREÀ l’heure où nous bouclons ce magazine, le premier tour des régionales n’est pas encore passé. La liste « Normandie Refondation », tirée par Baptiste est créditée d’un score non négligeable au premier tour. Le traditionnel bal de Noël du magazine est annulé, et les mauvaises langues en concluent que tout l’argent est parti dans le financement de la campagne.

Chers lecteurs, très chères lectrices, Cherbourgeois, voici la fin de ce bilan annuel. Il y aurait encore beaucoup de choses à dire, mais le monde n’est pas encore prêt à tout savoir sur la machine Maze. Nous vous souhaitons donc de bonnes fêtes de fin d’année. Promis, 2016 sera pleine de bonnes surprises !

Basile Imbert

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