Matières et supports Portraits de fonctionnaires

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Matières et supports Les textes les plus importants de l’Antiquité qui nous sont parvenus furent pour la plupart écrits sur des supports précieux et onéreux, plastrons de tortue que l’on faisait venir de loin ou vaisselle de bronze. Plus tardivement, les princes et les empereurs n’hésitèrent pas à fixer des textes sacrés sur du jade, matière précieuse s’il en fut. On inscrivit aussi des épitaphes sur de grandes dalles de pierre. Tous ces supports extrêmement coûteux nécessitant un investissement collectif important étaient réservés au domaine rituel. Mais c’est surtout sur la soie et le papier, développés très précocement en Chine, que va s’exercer cet art du trait. L’usage de la soie comme support de l’écriture ou de la peinture a perduré tout au long de l’histoire. Fabriquée depuis le néolithique, l’étoffe de soie était enduite et préparée. Elle était conservée roulée ; elle pouvait également être découpée et montée en album. Les textes séculiers étaient surtout notés sur des supports plus ordinaires, tels que le bois, le bambou et plus tard le papier, qui remplaça la plupart des matériaux antérieurs, et permit aussi la diffusion massive de ces textes grâce aux techniques de l’estampage et de la xylographie. Le rôle des empereurs est ici capital. Certains, tel Tang Taizong, furent d’excellents calligraphes, d’autres n’hésitèrent pas à affirmer leur puissance politique en faisant réaliser des rouleaux ou des livres d’art de grand luxe : c’est le cas des « Fils du Ciel » de la dynastie mandchoue, Kangxi, qui selon Diderot était « le Marc Aurèle de la Chine par sa sagesse et son Louis XIV par le despotisme et la durée de son règne », ou bien encore Qianlong, son petit- fils, auteur d’un très célèbre éloge de la ville de Moukden, berceau de la dynastie. Portraits de fonctionnaires, xix e siècle, BNF, Manuscrits orientaux, Estampages Pelliot 171 L’empire en images J’arrivai à l’endroit où était autrefois le siège de notre famille […] À cette occasion je fus frappé de la grandeur et de la force des montagnes et des rivières, de la droiture et de la soumission du peuple et de toutes les créatures, de la fertilité et de la fécondité des champs, et de toutes les sortes de richesses et de biens. Je compris que c’était véritablement le royaume favorisé par le ciel et un pays propre à produire des empereurs. Éloge de la ville de Moukden par l’empereur Qianlong en 1743, traduit par Julius Klaproth, 1828

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Matières et supports

Les textes les plus importants de l’Antiquité qui nous sont parvenus furent pour la plupartécrits sur des supports précieux et onéreux, plastrons de tortue que l’on faisait venir de loinou vaisselle de bronze. Plus tardivement, les princes et les empereurs n’hésitèrent pas à fixerdes textes sacrés sur du jade, matière précieuse s’il en fut. On inscrivit aussi des épitaphessur de grandes dalles de pierre. Tous ces supports extrêmement coûteux nécessitant uninvestissement collectif important étaient réservés au domaine rituel. Mais c’est surtout surla soie et le papier, développés très précocement en Chine, que va s’exercer cet art du trait.L’usage de la soie comme support de l’écriture ou de la peinture a perduré tout au long del’histoire. Fabriquée depuis le néolithique, l’étoffe de soie était enduite et préparée. Elle étaitconservée roulée ; elle pouvait également être découpée et montée en album. Les textesséculiers étaient surtout notés sur des supports plus ordinaires, tels que le bois, le bambouet plus tard le papier, qui remplaça la plupart des matériaux antérieurs, et permit aussi ladiffusion massive de ces textes grâce aux techniques de l’estampage et de la xylographie.Le rôle des empereurs est ici capital. Certains, tel Tang Taizong, furent d’excellentscalligraphes, d’autres n’hésitèrent pas à affirmer leur puissance politique en faisant réaliserdes rouleaux ou des livres d’art de grand luxe : c’est le cas des « Fils du Ciel » de la dynastiemandchoue, Kangxi, qui selon Diderot était « le Marc Aurèle de la Chine par sa sagesse et sonLouis XIV par le despotisme et la durée de son règne », ou bien encore Qianlong, son petit-fils, auteur d’un très célèbre éloge de la ville de Moukden, berceau de la dynastie.

Portraits de fonctionnaires,xixe siècle,BNF, Manuscrits orientaux,Estampages Pelliot 171

L’empire en images

J’arrivai à l’endroit où était autrefois le siège de notre famille […]À cette occasion je fus frappé de la grandeur et de la forcedes montagnes et des rivières, de la droiture et de la soumissiondu peuple et de toutes les créatures, de la fertilité et de la féconditédes champs, et de toutes les sortes de richesses et de biens.Je compris que c’était véritablement le royaume favorisé par le cielet un pays propre à produire des empereurs.

Éloge de la ville de Moukden par l’empereur Qianlong en 1743, traduitpar Julius Klaproth, 1828

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La porte Tian’anmen, porte dela Grande Paix céleste, est l’entréeméridionale de la Cité impériale.

L’empereur Taizong des Tang et sesnombreux successeurs ont souventimposé leur vision esthétique. Au xxe

siècle, le président Mao affirmait lui aussil’entière dépendance de l’art mis auservice de la révolution et du pouvoirpolitique. Mais c’est surtout sous la dynastiemandchoue des Qing que les souverainsimposent des projets encyclopédiqueset font œuvre de mécènes : il s’agitpour eux d’entreprendre ou de faireentreprendre les catalogues de toutesleurs collections, des recueils de bronzesou de sceaux impériaux, des tableauxdes peuples tributaires, des peintures etplans de leurs palais et capitales ; toutes

ces publications de prestige étaientdestinées à montrer l’étendue de leurpouvoir, à la tête du plus formidableempire du monde, celui du « Milieu ».Une production d’État est réalisée dansdes ateliers impériaux qui impriment àgrande échelle des œuvres prestigieuses.Des autographes impériaux diffusés parla xylographie renforcent la puissancedu message politique : il s’agit avant toutd’affirmer par l’écrit la légitimité del’accession au pouvoir, particulièrementpour la dynastie mandchoue, longtempstenue pour une dynastie étrangères’étant imposée par la force.

Plan manuscrit de Pékin, xviiie siècle, BNF,Cartes et Plans, Ge C 5355

Le rôle politique de l’art

La représentation d’un État bien gouvernéCentre politique du pays, cœur de l’Empiremandchou, Pékin (Bei jing, la « capitale duNord ») fut édifiée à partir de 1406 et habitéepar les vingt-quatre souverains de la dynastieprécédente des Ming. Les règles de symétriede l’urbanisme chinois sont visibles ici : la villeest sectionnée par de grands axes etdécoupée en « quartiers » géométriques.

Au centre, la « Cité interdite » ou « villepourpre interdite », large surface de 72hectares, est laissée vide sur le plan. C’estle palais impérial, véritable cité dans la cité.Les grandes bâtisses qui le composent(palais d’apparat, palais de l’empereur, del’impératrice, des princes impériaux, etc.)ne sont pas dessinées. La couleur pourpre,symbole de joie et de bonheur, est aussi cellede l’étoile Polaire, centre de l’Univers selonla cosmologie chinoise.

Le palais est protégé par une triple enceinteconcentrique : la première enceinte longuede 960 mètres sur 750 est doublée d’unelarge douve de 50 mètres qui enserrele quadrilatère réservé aux palais officielset privés. Elle est percée de quatre portesouvrant dans les quatre directions, ou quatreorients, et dispose de quatre tours d’angle.

Au sud s’étendent deux complexes de temples,le Tiantan, ou temple du Ciel, et le Xiannongtan,ou temple de l’Agriculture, dont les aires sacréesne sont pas figurées par des élémentsarchitecturaux mais par de la végétation.

Le passage entre les deux villes estménagé par trois portes fortifiées,la plus centrale et la plus imposante,la porte du Soleil de midi donnedirectement accès à la Cité interditepar une voie protégée.

La « Cité impériale » à proprement parlerou Huangcheng est plus spécialementoccupée par la cour, les ministères etleurs services. C’est un vaste espacefortifié de 500 hectares. Il englobeà l’ouest trois plans d’eau (les lacs duNord, du Centre et du Sud) indispensablesà sa protection et à la vie de la Cité.

Au nord, la colline de la Vue(Jingshan) ou colline du Charbon(Meishan) a été élevée avec lesdéblais provenant des fossés de laCité impériale ; elle est occupée pardes jardins réservés à l’empereur.

« carte » « complète » « ville » « capitale » (jing)

Au sud, la ville extérieure est à peu prèsrectangulaire : c’est la ville chinoise. Depuis1648, un édit impérial impose la séparationdes deux communautés, mandchoue etchinoise. Les Chinois peuvent se rendredans la ville intérieure pendant la journée,mais il leur est formellement interdit d’ydemeurer le soir. L’empereur allait danscette partie chinoise lorsqu’il devait rendreun culte au temple du Ciel. De largesavenues rectilignes enferment les quartiers,elles servent de coupe-feu en casd’incendie, ce compartimentage permettantde surveiller et de barrer facilement lesaccès la nuit. Cette ville est divisée par troisaxes sud-nord et un grand axe est-ouest.

La ville intérieure au nord : c’est la vraiecapitale. Désignée comme « ville tartare »par les Européens, elle est habitée parles soldats mandchous et leurs famillesréparties en huit « bannières » ou par desChinois à leur service. La ville intérieureest ainsi divisée en neuf enclaves, huitsont occupées par les bannières adoptantchacune une couleur correspondanteà celle de leur uniforme (la bannière jaune-uni du clan Lai se trouvant au nord-ouest).La neuvième est réservée à la familleimpériale. Elle se conforme ainsi aumodèle de l’Empire chinois divisé en neufzones géographiques ou à la configurationparfaite d’un terrain représentée par lecaractère du puits, jing. Y étaient aussitolérés les prêtres bouddhistes, taoïsteset les missionnaires chrétiens, à quil’empereur Kangxi avait attribué un terrainpour y édifier le Bei tang, l’église du Nord,près du lac du Centre.

Elle est entourée d’une muraille percéede neuf portes, le même nombreque celui des provinces de l’empire,le 9 représentant la puissance du principeyang à son maximum.

Un axe médian s’étendant du sudau nord assure la continuité entreles deux villes.

Un second rempart entoure cet espace :selon la règle propre à la géomanciechinoise, il n’est pas complètementsymétrique ; un des angles, l’angle sud-ouest, présente un large renfoncementprotecteur contre les influences néfastes.

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À la gloire des princes ou des divinitésTableau commémoratif de la noble Dame Laiaccueillant le palanquin impérial, vers 1716-1717, BNF, Estampes et Photographie, DF 8 format 5

Les rouleaux ou albums de soieFabriquée depuis le néolithique, la soie estemployée comme support des peintures àpartir du Ve siècle avant notre ère. Son usage,comme support de l’écriture ou de la peinture,roulée, ou découpée et montée en album,a perduré tout au long de l’histoire. L’étoffede soie était enduite et préparée afin de nepas absorber l’encre et les pigments.

Au centre, la large avenueest bordée d’échoppes, deconstructions de circonstance(théâtres ambulants), ainsi quede tables chargées d’offrandeset de compositions de bonaugure.

Peinture polychrome réalisée sur soie longued’environ 3 mètres, à l’origine en rouleau,cette œuvre illustre un moment particulierdu passage du cortège impérial lors de l’entréede Kangxi dans Pékin pour son soixantièmeanniversaire en 1713. Mère d’un hautfonctionnaire impérial, ministre desChâtiments, Dame Lai est une femme instruite

qui a su donner une bonne éducation à sonfils, et l’empereur lui témoigne ainsi sadéférence en faisant halte devant sa demeure.Le rouleau a donc pour objet de« photographier » l’événement pour la postérité.Il a été commandé par le ministre lui-même.

La procession dans Pékin se déroule dans la villetartare (cf. plan de Pékin), habitée par lapopulation mandchoue. L’itinéraire emprunté parle souverain traverse la zone nord-ouest occupéepar les membres de la « bannière jaune uni » àlaquelle appartenait le clan des Lai.

Les spectateurs sont les hautsdignitaires, des milliers de noblesvieillards venus de tout l’empire.

Des hommes à pied,vêtus d’uniformesrouges, brandissant desétendards, des lampeset des bannières,ouvrent la route,marchant en rangsur deux colonnes.

Ils sont suivis par seizecavaliers avec au milieudeux chevaux blancs,sellés mais non montés :ce sont ceux del’empereur, quitémoignent de la valeurguerrière des cavaliersmandchous.

Trois hommes en robe rougeà motifs blancs portentle marchepied impérialen avant du palanquin.

Des fruits – « pêchesd’immortalité » ou « doigts debouddha » – disposés sur destables carrées sont distribuésà la foule au passage du cortège.

L’émissaire du monarque avec son paniervide regarde Dame Lai à laquelle il vient detransmettre un présent de la part del’empereur, qui n’est pas montréphysiquement, mais dont la présence etl’aura sont ressenties par tous.

À proximité de Dame Lai se trouve unautel portatif sur lequel est érigée unetablette portant la formule d’un souhaitde « longévité incommensurable », à côtédes objets rituels que sont le brûle-parfum et le vase.

Dame Lai est agenouillée devantun groupe essentiellementféminin avec à ses côtés unhomme qui pourrait être son fils.

Des lanternes portentdes inscriptions signifiant« bonheur » et « paix », deuxmotifs de gloire du règnede Kangxi.

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La gravure de stèle fut pratiquée enChine dès les Qin (iiie siècle av. J.-C.).En 175 de notre ère, un édit impérialordonna qu’une édition critique des sixClassiques soit gravée dans la pierrepour servir de référence universelle.Les 46 stèles furent placées devantl’université au centre de la capitale.Cependant, le plus ancien estampageconservé date du viie siècle de notre ère :il s’agit de L’Inscription de la sourcechaude dont l’auteur et calligraphen’est autre que l’empereur Tang Taizonglui-même. La xylographie est un autreprocédé d’imprimerie : les premiersspécimens conservés remontentà la première moitié du viiie siècle,et les empereurs vont passer commanded’ouvrages xylographiés à grande échelle.

La xylographieMieux adaptée que la typographie à l’écriturechinoise riche de plus de 50 000 caractèreset à ses exigences esthétiques, ellecorrespond aussi aux habitudes chinoisesde production (très petits tirages initiaux, puistirages à la demande qui peuvent s’étendre surde longues périodes, facilité des corrections).La xylographie transfère sur une planchede bois un texte préalablement manuscrit,

issu de la main du copiste ou du calligraphe.Le couteau du graveur dégage chaque trait,qui est ainsi « épargné », c’est-à-dire qu’ilapparaît en relief. Nul besoin de presse.Une brosse suffit pour appliquer la feuillede papier sur la planche bien encrée et pourfaire apparaître, en un instant, deux planchesimprimées. Le texte apparaît alors en noirsur fond blanc. La xylographie « permettra à laChine d’imprimer au sens plein du terme cinqsiècles avant Gutenberg et de publier uneimmense littérature ». (Impressions de Chine,préface).

Kangxi (1654-1722)Placé sur le trône à l’âge de 8 ans, le jeuneprince Xuanye adopte le nom de l’ère de règnede Kangxi qui signifie « paix et prospérité ».Après une période de régence exercée parun conseil de quatre administrateurs,l’empereur parvient à assurer le triomphe desMandchous : il écrase les révoltes du Sud des« Trois Feudataires », s’empare de Taïwan,arrête l’avancée russe dans la vallée del’Amour et assure son protectorat sur laMongolie orientale. Tolérant, il laisse librecours aux influences bouddhiques, chrétienneset européennes, et accepte l’activité desjésuites, sur lesquels il s’appuie pourentreprendre des travaux dans le domaine des

La diffusion des écrits et des imagesLes Cérémonies d’une longévité de dix mille années, 1716-1717, BNF, Manuscrits orientaux, Chinois 2314-2315

lettres et celui des sciences. De nombreusesréalisations artistiques (construction de palais,céramiques, rouleaux sur soie) attestent lasplendeur de son règne.Né en 1654, l’empereur Kangxi fête en grandepompe son soixantième anniversaire par uneentrée triomphale dans Pékin le 11 avril 1713.Une période de soixante ans marque en Chinel’accomplissement d’un cycle complet commechez nous un siècle de cent ans. Les années sontcomptées selon un très antique système quicombine un ensemble de dix « troncs » etde douze « branches » au terme duquel le cyclede soixante années est accompli. En célébrantla longévité de l’empereur, on faisait en mêmetemps l’éloge de son règne. Pour commémorerce jour faste, l’empereur passe commanded’un imposant ouvrage commémoratif, LesCérémonies d’une longévité de dix mille années,afin de conserver tous les hommages qui luifurent adressés ce jour-là. Un bureau spécialfut créé sous la direction d’un peintre de renom,Wang Yuanqi. L’œuvre achevée au début del’année 1716 fut gravée sur bois jusqu’en 1717grâce au procédé de la xylographie.

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L’estampageÀ l’inverse de la xylographie qui évide lesplanches de bois pour conserver l’imagenégative des caractères en relief, l’estampageest une technique de reproduction sur papierd’un motif gravé en creux sur un support dur,généralement la pierre, accessoirementle métal ou le bois. L’image positive descaractères y est gravée en creux (intaille)selon le sens normal de la lecture. L’encrageest appliqué au recto de la feuille et nondirectement sur la pierre, à l’inverse de laxylographie où c’est la surface du bois qui estencrée. Les estampages sont des inversibles,selon les termes de la photographie, puisquece qui est au trait noir sur l’original devientblanc sur fond noir au tirage. L’estampagemet en valeur la force du dessin et accentuela puissance du trait.Procédé technique : on recouvre la pierred’une feuille de papier humide. Pour amenerle papier à épouser tous les accidents de lasurface à reproduire, on le tapote avec unmaillet feutré et on le frotte avec une brosseà poils durs. On encre ensuite la surfaceentière du papier avec un tampon de charpieimbibé d’encre. Quand l’encre a séché,on décolle le papier du support : les motifs

en creux apparaissent en blanc sur fond noir.Si le tampon encreur est grassement imbibé,on obtient un fond noir lustré (qui convient auxprises d’empreintes sur support lisse) ; si, aucontraire, le tampon est légèrement humecté,on obtient un fond nuancé qui reproduit legrain et les accidents du support (appropriépour un support rugueux).Une autre technique plus délicate s’exécuteà sec : on y a recours lorsque l’œuvreà reproduire présente une surface trèsirrégulière ou dont le graphisme estpartiellement brouillé (stèles rongées par lesintempéries) ou lorsque le support est fragile(jade) ou que le motif est particulièrement fin(ciselures du bronze). Elle requiert un papierextrêmement fin mais très résistant que l’onapplique sur le support en le pressant de lapaume. L’encre est frottée sur le papier d’unmouvement semblable à celui du pinceau :on se sert généralement de pains d’encrespéciaux, ronds et plus mous que les painsordinaires. On obtient un fond de grisailleoù se lisent tous les accidents de reliefdu support.

Tableaux d’arhat, 1764, BNF, Manuscritsorientaux, Estampages Pelliot 168En 1757, lors de son passage au monastèrede Shengyinsi de Hangzhou, l’empereurQianlong admira les peintures qui y étaientconservées. Il rectifia certains titres, rajoutaune notice pour chaque arhat et ordonnaqu’en fût gravée une réplique sur pierre,qui fut réalisée en 1764. Les plaques sontactuellement conservées à Hangzhou etPaul Pelliot en fit réaliser des estampages.Deux des seize arhat sont représentés ici :la figuration est outrée mais, loin d’êtreirrespectueuse, elle souligne la naturesurhumaine et les qualités exceptionnellesd’une haute figure du bouddhisme.

Composition végétale avec feuille debananier et rose, estampage, vers 1850,BNF, Département des Estampes, Df 31Imprégné d’une encre très noire,cet estampage met en valeur les lignesdu dessin en creux ayant échappéà l’encrage : les feuilles de bananierprofondément nervurées se déploientlargement en affirmant leur force, maisaussi leur vulnérabilité, comme entémoignent les entailles qui les ontperforées. Au premier plan, une rosedélicate semble se blottir sous la feuilleprotectrice. Cette planche a été gravéed’après une peinture de Ding Wenwei(1827-1890), artiste peu connu, qui étaità la fois peintre, calligraphe et poète.

La diffusion des écrits et des images

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Livre de jade, vers 1790-1795, BNF, Manuscrits orientaux, Chinois 12 096, rés.

Supports rituels, supports sacrés

Le jadeLe jade est un des matériaux les plus prisésde la culture chinoise et jouit d’un statut quasisacré. Sa nature incorruptible en fait un objetd’éternité. Or, on ne le trouve pas sur le solchinois : il provient de régions extérieures,et chaque année des quantitésimpressionnantes étaient apportées en tributà la Cour. On l’utilisait pour réaliser lesinsignes du pouvoir (sceptre) ou bien desobjets de culte (vases sacrificiels). Pour lesconfucéens, il est le symbole des cinq vertuscardinales (la bonté, la droiture, la sagesse,le courage et la pureté), tandis que les taoïstesle consomment réduit en poudre pour tenterd’atteindre l’immortalité. Des armuresconstituées de plaques de jade ont aussi servide linceul.L’empereur Qianlong de la dynastie des Qing,qui régna de 1736 à 1795, aimait toutparticulièrement le jade et c’est à sonintention que Cao Wenzhi (1735-1798),le fils d’un riche négociant en sel, fait réaliserce livre-objet, peut-être à l’occasion d’unanniversaire impérial. Comme la plupart de ces albums de pierre,celui-ci est constitué de quatre plaques,enchâssées dans un encadrement de soiequi maintient l’album. Chaque surface estfinement ciselée en écriture régulière sur septcolonnes et recouverte avec précision par del’encre d’or. L’album est couvert par deux ais(planchettes de bois utilisées pour les plats dereliure) en bois précieux. La phraséologie ducolophon montre clairement que l’objet futoffert à l’empereur. La dimension des plaques,

la mention impériale sur le titre (Yuzhi), laprésence des motifs impériaux du dragonà cinq griffes ainsi que la qualité du matériauet du façonnage semblent indiquer unefabrication émanant des ateliers d’État.

Le putiye, la feuille de l’arbre de bodhiLes feuilles putiye proviennent de l’arbre debodhi, arbre sacré du bouddhisme qui étaitplanté dans la cour des temples, puisquec’est à l’ombre de son feuillage que leBouddha historique aurait connu l’Éveil.L’utilisation de cette végétation sacréeà des fins picturales remonte sans doute à lafin de l’époque Ming. L’album présenté ici estconstitué de vingt peintures représentantles grands saints du bouddhisme, les arhat,accompagnées de textes à l’encre d’or surpapier à fond indigo. Mais on peut aussitrouver des sujets profanes comme dans unautre album qui présente quatorze biographiesd’hommes et de femmes célèbres.

Peinture sur putiye, BNF, Manuscrits orientaux,Smith-Lesouëf chinois 57, rés.

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