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74 - Le livre blanc de l’acoustique en France en 2010 MATÉRIAUX Les thèmes scientifiques actuels de l’acoustique et leur devenir L es ondes acoustiques sont des ondes mécaniques ; elles nécessitent donc un support matériel (solide, liquide ou gaz) pour se propager, contrairement aux ondes électroma- gnétiques qui peuvent se propager dans le vide. Toute structure peut ainsi être le siège de vibrations et être en interaction avec un champ acoustique dans le milieu extérieur à cette structure (exemple d’une vitre de fenêtre mise en vibration par un champ acoustique extérieur et qui rayonne à l’intérieur d’un logement). Les ondes acoustiques, encore appelées ondes élastiques lors- qu’elles se propagent dans les solides, peuvent apporter des in- formations qualitatives ou quantitatives sur des paramètres per- tinents du milieu dans lequel elles se propagent. Les matériaux constituant les structures sont très divers et constitués de une, deux ou trois phases (solide, liquide, gaz). Ils peuvent être iner- tes et conçus dans des buts utilitaires précis (par exemple pour l’absorption de l’énergie sonore dans l’audible) ou constitués de tissus vivants (tels le bois, la peau, l’os...). 1. Les matériaux poreux Les matériaux acoustiques destinés à la réduction des nuisances sonores (fréquences comprises entre 20 Hz et 20 kHz) sont sou- vent des matériaux poreux : ils sont composés d’un solide et d’air qui peut ou non circuler librement (figure 1). Plus généralement, un milieu poreux est constitué d’une matrice solide à géométrie fine saturée par un fluide (gaz ou liquide). Les matériaux fibreux (tissus, laines naturelles, minérales ou métalli- ques...), les mousses polymères à cellules ouvertes, les agglomérats granulaires (sable, neige, revêtements routiers poreux, déchets de pneu...), les végétaux (arbustes, gazon, paille...) sont autant d’exem- ples tant naturels qu’artificiels de matériaux poreux. Certains tissus biologiques, tels les os (figure 2), peuvent égale- ment être considérés comme des matériaux poreux et étudiés comme tels, notamment du point de vue de la modélisation, avec des objectifs d’applications (contrôle ultrasonore de l’ostéo- porose par exemple). L’absorption acoustique dans les matériaux poreux provient en premier lieu des frottements visqueux du fluide sur le squelette (responsables de la résistance au passage de l’air du matériau) ; elle provient également des échanges thermiques entre le flui- de et la paroi, liés aux variations de température associées aux fluctuations de pression acoustique. Sur la base de modèles physiques ou empiriques, de nombreux travaux ont été menés sur cette interaction dissipative fluide/solide lors de la deuxième moitié du 20 e siècle. De surcroît si, par action du fluide ou d’une structure vibrante avec laquelle il est en contact, le squelette est mis en mouvement, des effets dissipatifs supplémentaires liés à la viscoélasticité du squelette apparaissent. La description de tels matériaux poreux nécessite alors un modèle plus complet, tel celui de Biot (1956), initialement développé dans le cadre de la recherche pétrolifère et adapté à l’acoustique dans les années 1990 par différents auteurs. Les matériaux poreux trouvent des applications dans tous les domaines de l’ingénierie mécanique, pour l’essentiel en termes de dissipation d’énergie acoustique et vibratoire. 2. Les matériaux actifs Le traitement actif de parois connaît des développements suivis depuis les années 1990. Il fait usage de transducteurs asservis (haut-parleurs...), en combinaison ou non avec des matériaux ab- sorbants passifs. Ce traitement actif est utilisé pour contrôler des puissances en vue : soit de modifier la structure spatiale et temporelle d’un champ (en espace clos par exemple, dont en auditorium comme avec le système CARMEN développé par le CSTB) ; soit de réorienter les flux d’énergie en vue de minimiser leur impact dans un domaine donné de l’espace considéré, par exemple pour déplacer un lobe de directivité d’un transformateur électrique ; soit d’assurer par interférences destructives (avec un champ anti-bruit) l’extinction (approximative) du champ dans une ré- gion donnée de l’espace considéré, par exemple pour obtenir aux basses fréquences un écran acoustique virtuel ; soit d’absorber directement l’énergie acoustique par action di- recte de transducteurs asservis, par exemple en incluant des éléments actifs comme des films piézoélectriques dans des ma- tériaux absorbants passifs ; [ FIGURE 1 ] Matériau poreux de synthèse : mousse à pores ouverts. [ FIGURE 2 ] Matériau poreux naturel : os trabéculaire. Ho Ba Tho, UTC-CNRS UMR 6600.

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74 - Le livre blanc de l’acoustique en France en 2010

MATÉRIAUX

Les thèmes scientifiques actuels de l’acoustique et leur devenir

Les ondes acoustiques sont des ondes mécaniques ; elles nécessitent donc un support matériel (solide, liquide ou gaz) pour se propager, contrairement aux ondes électroma-

gnétiques qui peuvent se propager dans le vide. Toute structure peut ainsi être le siège de vibrations et être en interaction avec un champ acoustique dans le milieu extérieur à cette structure (exemple d’une vitre de fenêtre mise en vibration par un champ acoustique extérieur et qui rayonne à l’intérieur d’un logement). Les ondes acoustiques, encore appelées ondes élastiques lors-qu’elles se propagent dans les solides, peuvent apporter des in-formations qualitatives ou quantitatives sur des paramètres per-tinents du milieu dans lequel elles se propagent. Les matériaux constituant les structures sont très divers et constitués de une, deux ou trois phases (solide, liquide, gaz). Ils peuvent être iner-tes et conçus dans des buts utilitaires précis (par exemple pour l’absorption de l’énergie sonore dans l’audible) ou constitués de tissus vivants (tels le bois, la peau, l’os...).

1. Les matériaux poreux

Les matériaux acoustiques destinés à la réduction des nuisances sonores (fréquences comprises entre 20 Hz et 20 kHz) sont sou-vent des matériaux poreux : ils sont composés d’un solide et d’air qui peut ou non circuler librement (figure 1). Plus généralement, un milieu poreux est constitué d’une matrice solide à géométrie fine saturée par un fluide (gaz ou liquide). Les matériaux fibreux (tissus, laines naturelles, minérales ou métalli-ques...), les mousses polymères à cellules ouvertes, les agglomérats granulaires (sable, neige, revêtements routiers poreux, déchets de pneu...), les végétaux (arbustes, gazon, paille...) sont autant d’exem-ples tant naturels qu’artificiels de matériaux poreux.Certains tissus biologiques, tels les os (figure 2), peuvent égale-ment être considérés comme des matériaux poreux et étudiés comme tels, notamment du point de vue de la modélisation, avec des objectifs d’applications (contrôle ultrasonore de l’ostéo-porose par exemple).L’absorption acoustique dans les matériaux poreux provient en premier lieu des frottements visqueux du fluide sur le squelette (responsables de la résistance au passage de l’air du matériau) ; elle provient également des échanges thermiques entre le flui-de et la paroi, liés aux variations de température associées aux fluctuations de pression acoustique. Sur la base de modèles physiques ou empiriques, de nombreux travaux ont été menés sur cette interaction dissipative fluide/solide lors de la deuxième moitié du 20e siècle. De surcroît si, par action du fluide ou d’une structure vibrante avec laquelle il est en contact, le squelette est mis en mouvement, des effets dissipatifs supplémentaires liés à la viscoélasticité du squelette apparaissent. La description de tels matériaux poreux nécessite alors un modèle plus complet, tel celui de Biot (1956), initialement développé dans le cadre de la recherche pétrolifère et adapté à l’acoustique dans les années 1990 par différents auteurs. Les matériaux poreux trouvent des applications dans tous les domaines de l’ingénierie mécanique, pour l’essentiel en termes de dissipation d’énergie acoustique et vibratoire.

2. Les matériaux actifs

Le traitement actif de parois connaît des développements suivis depuis les années 1990. Il fait usage de transducteurs asservis (haut-parleurs...), en combinaison ou non avec des matériaux ab-sorbants passifs. Ce traitement actif est utilisé pour contrôler des puissances en vue :• soit de modifier la structure spatiale et temporelle d’un champ

(en espace clos par exemple, dont en auditorium comme avec le système CARMEN développé par le CSTB) ;

• soit de réorienter les flux d’énergie en vue de minimiser leur impact dans un domaine donné de l’espace considéré, par exemple pour déplacer un lobe de directivité d’un transformateur électrique ;

• soit d’assurer par interférences destructives (avec un champ anti-bruit) l’extinction (approximative) du champ dans une ré-gion donnée de l’espace considéré, par exemple pour obtenir aux basses fréquences un écran acoustique virtuel ;

• soit d’absorber directement l’énergie acoustique par action di-recte de transducteurs asservis, par exemple en incluant des éléments actifs comme des films piézoélectriques dans des ma-tériaux absorbants passifs ;

[ FIGURE 1] Matériau poreux de synthèse : mousse à pores ouverts.

[ FIGURE 2] Matériau poreux naturel : os trabéculaire. Ho Ba Tho, UTC-CNRS UMR 6600.

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Le livre blanc de l’acoustique en France en 2010 - 75

• soit enfin de modifier les causes du champ acoustique à traiter ou à réduire (les sources de bruits gênants le plus souvent en prati-que) de manière à en réduire le rayonnement (modifications des conditions d’écoulement à l’origine de sources de bruit aéroacous-tique, modification du champ vibratoire des sources vibrantes...).

Ce découpage en cinq rubriques cache en pratique des phénomè-nes complexes qui font toujours l’objet de recherches en labora-toire, et qui font usage de systèmes électroniques et électroacousti-ques de plus en plus sophistiqués. Les domaines d’application sont très vastes et prometteurs en termes aussi bien de qualité sonore que de réduction du bruit. À l’échelle nationale, les chercheurs et praticiens sont très présents dans ce domaine d’activité.

3. Les matériaux dits composites : milieux inertes et milieux biologiques

Tout milieu solide constitué de plusieurs matériaux peut être qua-lifié de matériau composite (figure 3). Dans les industries aéronau-tiques et automobiles (notamment) le terme «matériaux composi-tes» est utilisé pour désigner des matériaux à excellentes propriétés mécaniques pour une faible masse, constitués soit de tissages soit d’empilement de couches de métaux ou de plis constitués de fibres (fibres de carbone, de verre...) noyées dans de la résine. La complexité de ce type de matériaux tient à la forme des pièces qu’ils constituent (géométries non planes, intégration de fonctions d’auto-raidissement, multiplication des composantes à faces non parallèles du fait de l’optimisation des épaisseurs de chaque zone pour gagner en masse...), à l’ajout de couches de fibres de verre ou de grillages métalliques à la surface des matériaux, au mélange des types de matériaux (tissus, nappes, préformes, sandwich, RTM - Re-sin Transfer Molding), ou encore à la nature des assemblages qui se substituent à la co-cuisson et aux boulonnages.

Cependant, le terme « matériaux composites » ne devrait pas être réservé à ces seuls cas. Le béton, les revêtements routiers, etc. sont également des matériaux composites, puisque composés de plu-

sieurs matériaux : graviers, ciments, chaux, armatures métalliques, etc. De même, la peau, les muscles, les divers organes peuvent également être qualifiés de matériaux composites, puisque cons-titués de fibres musculaires, de graisse, et de liquides.L’enjeu n’est plus ici la réduction des bruits et vibrations, mais le contrôle de santé des matériaux inhomogènes et anisotropes (et dans le cas des tissus biologiques, de la santé des individus) et les gammes de fréquences utilisées s’étendent jusqu’aux Giga – voire Tera-Hertz. C’est le domaine de l’évaluation et du contrôle non-destructifs par ultrasons : l’évaluation pour connaître les proprié-tés et le comportement des matériaux, le contrôle pour détecter la présence ou non de défauts dans une structure et en évaluer les caractéristiques en regard de leurs conséquences en pratique (à court, moyen ou long terme).

4. De l’approche microscopique à l’approche macroscopique des matériaux

La prise en compte de la structure interne d’un matériau en terme de propagation acoustique dépend des longueurs ca-ractéristiques en présence : longueur d’onde (inversement pro-portionnelle à la fréquence), épaisseur de matériau, dimension de la microstructure. Ainsi, à titre d’exemple, selon la gamme de fréquences donc de longueurs d’onde considérées (de l’ordre du mètre pour les fréquences audibles et de l’ordre du millimètre ou du micromètre pour les fréquences ultrasonores), une même vitre de fenêtre peut être soit considérée comme une plaque d’épais-seur négligeable pour laquelle seul importe son mouvement de flexion, soit considérée comme une plaque d’épaisseur non négli-geable dans laquelle les ondes de compression et de cisaillement se propagent et interfèrent entre elles.

Il en est de même pour les matériaux poreux : une théorie macroscopique n’est réellement envisageable que dans la me-sure où les longueurs d’ondes sont supérieures aux dimensions microscopiques (ce qui est souvent le cas en pratique). Dans les cas où les longueurs d’ondes sont comparables aux dimensions microscopiques, la structure locale du squelette solide du maté-riau (formes des cavités et conduits...) et la répartition spatiale de cette structure (diffusion...) doivent être prises en compte dans la modélisation globale. Au-delà (longueurs d’ondes inférieures aux dimensions microscopiques), toute modélisation ne peut reposer que sur une description microscopique de la propagation.

De la même manière, un matériau composite peut être considéré comme un unique matériau homogène, éventuellement aniso-trope, lorsque les longueurs d’ondes sont supérieures à la dimen-sion de la plus grande inhomogénéité du matériau, ou encore comme un empilement de couches homogènes anisotropes. Reste que la compréhension en profondeur des phénomènes souvent complexes mis en jeu nécessite de tenir compte de la structure interne du matériau, et par delà de concevoir des mo-dèles de propagation très élaborés. Intervient alors le nécessaire compromis entre la modélisation fine des phénomènes physi-ques (à laquelle est associé un temps de calcul parfois important) et une approche simplifiée permettant d’obtenir, en pratique de contrôle, des résultats compatibles avec les exigences industriel-les en terme de durée de développement (sans pour autant né-gliger les exigences de précision et de fiabilité sur les diagnostics issus du contrôle).

(a) Béton (b) Soudure

(c) Matériau RTM (Courtesy of Dassault)

(d) Matériau tissé EADS (www.eads.com/web/lang/fr/1024/content/OF00000000400005/6/25/41144256.html)

[ FIGURE 3] Divers matériaux composites.

(e) Tissus osseux (ostéons)