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MASSE CRITIQUE U.E. 10 Mémoire de recherche professionnel La Martinière-Diderot, Lyon Sous la direction de David Pilloix et François Jeandenand Antoine Mauron Promotion 2015-2016 DSAA Design Graphique Quand internet influence notre consommation de biens culturels

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MASSE CRITIQUE

U.E. 10 Mémoire de recherche professionnelLa Martinière-Diderot, LyonSous la direction de David Pilloix et François Jeandenand

Antoine MauronPromotion 2015-2016DSAA Design Graphique

Quand internet influence notre consommation de biens culturels

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1. En physique, la masse critique désigne un nombre suffisant pour faire levier, pour déclencher des phénomènes.

2. En économie, ce terme désigne la taille minimale que doit avoir une entreprise pour exister sur un marché

3. Ici, cette notion est intéressante car elle montre le rapport entre production mainstream et d’auteur, entre communication et créativité. Comme un seuil de rendement ou un point d’équilibre, c’est un état que le designer graphique doit atteindre pour rendre ses productions justes et équilibrées.

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Introduction 6

Vers une convergence des regards 15

Softpower : séduire la masse 17Un internet global, des internets territorialisés 21L’écran : Boule de cristal interactive 25

Ambivalence de la matière calculée 31

Entre algorithme et communauté 33La place de l’auteur dans la culture mainstream 39

Inter-activité 47

Du regardeur à l’acteur 49Les utilisateurs prennent le contrôle 53Le schéma aliénation, libération, formatage 57

Bibliographie 63

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Internet est désormais au centre de nos vies. Loin du modèle libre et démocratique élaboré lors

de sa création, le web est en train de devenir un média vertical, avec de plus en plus de frontières

et de hiérarchisation de l’information. En effet, de grandes entreprises que l’on considère comme

les géants du web, les GAFA (pour Google, Apple, Facebook et Amazon) exercent leur domination

de manière toujours plus présente. Ces entreprises ayant pour but de générer du profit nous

poussent à la consommation. L’organisation du web est donc tournée dans une logique d’efficacité

et de rendement. Nous sommes des êtres dociles roulant sur une autoroute de la consommation,

dirigeant notre attention au plus simple, au plus accessible.

Je parle d’attention ici car c’est une donnée primordiale aujourd’hui. Nous devenons petit à petit

des individus multi-tâches, capables d’effectuer plusieurs actions en même temps, de passer d’un

support à l’autre ou d’un type d’information à l’autre, du monde numérique au monde physique.

Notre attention est sans cesse sollicitée et nous la distribuons tout à tour sur ces différentes tâches

selon différents modes. Face au nombre grandissant d’utilisateurs connectés à internet et face

à une masse d’informations en mouvement constant, apprendre à maîtriser notre attention

devient essentiel.

C’est également une notion collective : nous sommes des individus évoluant dans un milieu

et un environnement, interagissant les uns avec les autres. Nous sommes influencés et interpellés

par autrui, c’est ce qu’Yves Citton1 appelle « l’attention conjointe » : je fais attention à l’autre donc

mon attention va être influencée par l’autre. Il parle également de la « co-attention présentielle » :

en présence d’autrui je conditionne mon attention en me servant de ce que je perçois de la leur

également. Dans ce livre l’auteur développe ces différents régimes d’attention et nous donne des

clés pour apprendre à la maîtriser. Il craint en effet que nous sombrions dans une « économie 1. Yves CITTON, Pour une écologie de l'attention, éditions Seuil, 2014.

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de l’attention » qui commence à se mettre en place (en réalité des théoriciens en parlaient déjà dans

les années 1900 mais c’est véritablement l’arrivée d’internet qui va faire émerger ce « capitalisme

attentionnel »2). Il s’agit ici non plus de vendre un produit tel qu’on le faisait auparavant mais

d’arriver à capter l’attention d’un public pendant un temps donné (même très court). De la même

manière, des entreprises se servent des datas, ces traces que nous laissons derrière nous sur

internet pour améliorer leurs services ou pour les revendre à d’autres entreprises. C’est le cas par

exemple de Google et de son algorithme PageRank (sur lequel je reviendrai de manière plus détaillé

dans la deuxième partie de ce texte). PageRank est l’algorithme qui trie les pages du célèbre

moteur de recherche, et qui va donc hiérarchiser l’information selon deux logiques : une logique

de popularité (on aligne notre attention individuelle sur les orientations dominantes de notre activité

collective) et une logique commerciale (les annonceurs versant le plus d’argent verront leurs pages

affichées en premier : on soumet notre attention aux flux marchands dont le but est de maximiser

leurs revenus).

Ces deux logiques tendent donc à faire converger les regards dans une seule direction :

celle du profit. Mon étude porte plus précisément sur la culture mainstream, cette forme

de culture dominante et grand public. Provenant massivement des États-Unis, elle fonctionne sur le

même modèle : générer audience et profit, en tentant d’imposer ses contenus culturels au monde

entier. Il s’agit pour eux d’effectuer un aller-retour avec le public afin de proposer une « diversité

standardisée »3 : c’est-à-dire une offre large répondant à plusieurs types de cibles mais fonctionnant

toujours selon les même modalités. En effet, des objets culturels comme les blockbusters

Hollywoodiens sont des films qui obéissent à une sorte de « recette », qui permet de maintenir

l’attention du spectateur à chaque instant. C’est un peu la formule qui marche à tout les coups,

2. Ibidem.3. Expression empruntée à Frédéric MARTEL dans Mainstream (enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde), éditions Flammarion, 2010, page 424.

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qui fait qu’aujourd’hui on a parfois l’impression d’avoir déjà vu le film mais joué avec d’autres

acteurs. Cela produit donc un contenu formaté, forcément réducteur, plus impersonnel, mais qui

va toucher une audience plus large. Netflix propose le même type d’initiative, en récoltant des

informations sur ses auditeurs et en proposant de fait des séries sur-mesure plus adaptées.

Selon moi, le même type de phénomène est en train de se produire sur le web et dans le domaine

du design numérique, au sein des interfaces que nous utilisons. Nous sommes dans le même rapport

de diversité standardisée que dans le cas du cinéma : nous oscillons entre standardisation

et personnalisation, où il faut donner à l’internaute le sentiment d’une navigation personnalisée,

d’une relation privilégiée tout en fournissant des repères communs permettant à la masse

toute entière d’utilisateurs de surfer avec la même facilité.

Plusieurs problèmes se posent alors : la question de l’auteur et sa place dans la création

et la question de l’économie face à la culture. L’économie régit-elle la culture ? Est-ce que ces

deux notions sont antinomiques ? Peut-on encore parler de culture ou faut-il lui préférer le terme

de contenu ? Quelle place pour la notion d’auteur à l’ère numérique ? Sommes-nous toujours ces

spectateurs Deboriens aliénés, cette masse dépassée par la reproductilibité technique décrite par

Benjamin; ou sommes-nous, grâce à internet et la participation que ce médium permet, devenus

capables d’être des spectateurs intelligents, conscients et actifs ?

En somme, comment se cultive-t-on à l’ère d’internet ?

Je m’engage à fournir des éléments de réponse à ces questions à travers la notion de masse

critique : c’est-à-dire cette balance entre standardisation et personnalisation, entre l’établissement

de repères communs et une perturbation de ces même repères, entre des productions mainstream

et des productions d’auteur. Pour le designer graphique, l’enjeu est justement de se saisir de cette

notion et d’en faire varier le curseur. Il établit ce lien entre créativité et communication

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afin de délivrer un message juste et sensible, c’est l’équilibre entre le fond et la forme. Et si la notion

d’attention est présente en filigrane de ce texte, c’est bien parce qu’elle est directement liée

au design : il s’agit de concevoir comment les informations nous apparaissent, la façon dont on fait

la promotion d’un contenu, et la manière dont l’utilisateur se sert d’une interface, etc.

Mon positionnement est donc d’éduquer le regard, de réveiller notre capacité de discernement. De

lutter contre une paresse des spectateurs dans un monde numérique trop parfait, tourné vers une

logique de profit.

Dans une première partie, nous verrons en quoi nos regards convergent dans la même direction,

qu’il s’agisse de contenu ou d’écran. Ensuite, nous analyserons l’ambivalence que soulève

l’ordinateur, entre action humaine et algorithmique. Enfin, nous envisagerons la notion d’interactivité

et nous verrons comment le spectateur devient acteur sur internet et dans quelle mesure.

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VERS UNE CONVERGENCE

DES REGARDS

“ What information consumes is rather obvious : it consumes the attention of its recipients.”

— Herbert Simon, Designing organizations for an information-rich world, conférence donnée au Brooklyn Institute Septembre 1969.

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SOFTPOWER : SÉDUIRE LA MASSE

Nous allons voir en quoi on peut dire que les États-Unis ont tenté de dominer le secteur culturel via le cinéma, la musique, l’édition avec la volonté de créer un entertainment global. C’est ce qu’on appelle le Softpower, une forme de domination douce, presque insidieuse qui vise à occuper tout le champ culturel afin d’en être l’acteur principal. En quelque sorte, capter l’attention du public ou s’imposer à sa vue par une omniprésence.

« On évite les films étrangers sous-titrés : « Si vous devez lire les sous-titres, c’est comme si on vous demandait un effort. Le public vient pour se divertir, pas pour retourner à l’école », […] explique le manager. »1

Cette citation tirée du livre Mainstream de Frédéric Martel résume assez bien la situation. Faire du profit en proposant des films qui plaisent à tous, qui soient divertissants. Il ne faut pas que le spectateur s’ennuie ou fasse des efforts. Un coca et du pop-corn, il met son cerveau en pause et se laisse guider pendant la séance. Benjamin décrit un peu cela dans son livre L’œuvre d’art à l’époque de la reproductibilité technique2 lorsqu’il dit que le cinéma, par le mouvement de l’image, ne nous laisse pas le temps de prendre du recul et d’apprécier (apprécier dans le sens

1. Martel Frédéric, Mainstream (enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde), éditions Flammarion, 2010.2. Benjamin Walter, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité

technique, éditions Allia, 2011.

←Entertainment : Divertissement, spectacle.Exurb : Deuxième couronne de banlieues autour des grandes villes et, plus largement, banlieues lointaines dont les habitants ne transitent plus par les villes.Mainstream : Littéralement « dominant » ou « grand public ». Se dit par exemple d’une produit culturel qui vise une large audience. « Mainstream culture » peut avoir une connotation positive, au sens de « culture pour tous », comme négative, au sens de « culture dominante ».Soft power : Puissance douce, pouvoir doux, notamment par l’influence, la culture ou le numérique, par opposition au « hard power », coercitif ou militaire.

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« s’en faire une idée ») ce que l’on voit. Les images s’enchaînent et le spectateur n’a plus le temps de la contemplation, un temps prolongé avec l’image qui lui permette de s’en saisir pleinement. Pourtant, ces personnes travaillant dans l’industrie du cinéma Hollywoodien croient en leur art et en ce qu’ils font. Ils voient ce mainstream comme une culture pour tous, dans un but très positif, avec la simple volonté de diffuser leurs créations au plus grand nombre de personnes possible (et bien sûr en tirer des profits). Ils aiment le public et veulent le séduire en masse. « Je travaille pour l’audience. C’est pour moi une fierté. Et le public est, je dirais, un bon guide, un bon patron. » nous dit Jeffrey Katzenberg, figure clé d’Hollywood dans Mainstream. Il s’agit alors d’un aller-retour avec le public. Si nous faisons évoluer notre goût commun, ces films s’adapteront et évolueront également. Hollywood nous donne ce que le public réclame.

Si j’effectue cette légère digression autour du cinéma Hollywoodien, c’est pour mettre en évidence des propriétés que l’on va retrouver dans le design numérique et dans notre usage d’internet. Sur le plan formel, il s’agit de différents facteurs sur lesquels je reviendrai plus loin dans ce texte3 comme la scénarisation du contenu et l’établissement de codes graphiques qui, sous couvert d’une quête de l’évidence ou de l’immediateté vont en quelque sorte appauvrir ou lisser les codes graphiques mis en place dans nos interfaces. Sur le plan infrastructurel, il s’agit de comprendre comment ces contenus culturels nous apparaissent : qui décide de ce que je vois ? Yves Citton parle de « collectivisation sélective »4 : on accorde de l’attention par rapport à nos centres d’intérêts et notre volonté mais aussi suivant notre milieu et notre environnement. Ainsi, en exportant leurs productions culturelles à travers le monde, les États-Unis occupent tout le milieu disponible, et s’imposent donc à notre attention. Il se produit la même chose sur internet, avec des interfaces et des sites communs, dominant largement le marché. Ce qui n’est pas un problème en soi, on pourrait même dire que notre usage d’internet s’en trouve simplifié puisque, où que je me trouve sur le globe, je peux accéder aux même services. Néanmoins, on peut craindre ici que cette standardisation mène à un appauvrissement des productions culturelles ou des possibilités du numérique, ou encore que la cupidité d’une poignée d’entreprises ne prenne le pas sur l’amélioration du bien commun.

3. Cf. « L’écran : boule de cristal interactive », page 254. Citton Yves, Pour une écologie de l’attention, éditions du Seuil, 2014, page 59.

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DSUN INTERNET GLOBAL,

DES INTERNETS TERRITORIALISÉS

La volonté d’un internet global existe bel et bien. Cette vision provient en grande partie de la Silicon Valley. Comme Hollywood pour le cinéma, la Silicon Valley est le temple du numérique. La proximité géographique des deux lieux est d’ailleurs amusante. Dans la même idée que la culture mainstream, les géants du web veulent s’imposer et dominer le secteur (ce qui est déjà plus ou moins le cas pour Google, Facebook, Instagram et Amazon). Un des seuls pays à leur tenir tête est la Chine, qui développe son propre internet. Frédéric Martel, dans son livre SMART5 nous explique d’ailleurs que s’il s’agit pour l’instant d’une sorte d’intranet Chinois, censuré et cloné sur le modèle Américain, les Chinois ont la volonté de l’exporter à travers le monde et de ne pas se cantonner à leur pays. Ils revendiquent d’ailleurs que leurs produits sont totalement différents des services américains même si ceux-ci s’apparentent malgré tout à des clones de Facebook, Twitter et Google - la censure en plus.

Malgré tout, cette vision globale cache des disparités. Bien que nous disposions des mêmes sites, applications et appareils, notre usage d’internet varie d’un pays à l’autre et d’une communauté à l’autre. À Cuba, le gouvernement freine les importations de matériel informatique et du même coup l’accès à internet. La population surfe dans des cybercafés hors de prix alors qu’en France nous possédons pour la plupart un accès internet haut débit, et parfois même plusieurs appareils connectés. Barron Webster tente de dénoncer ces inégalités au travers d’une extension web que l’on installe sur son navigateur et qui va indiquer pour chaque site que l’on consulte, les drapeaux des pays dans lesquels le site en question est censuré. Par un outil extrêmement simple (de simples drapeaux qui s’affichent sur une page) Barron Webster révèle ici une mécanique pourtant complexe et cachée. Il propose un éveil des consciences en nous montrant que le monde n’est pas connecté partout de la même façon. C’est aussi un outil qui défend un certain idéal démocratique et libértaire, car gratuit et accessible à tous. Ces différences montrent qu’internet est territorialisé en fonction du pays dans lequel on se trouve, mais également au sein de différentes communautés. Par exemple, la plupart de mes amis Facebook vont être des gens que je connais dans la vie réelle, idem sur les autres réseaux sociaux.

5. Martel Frédéric, SMART, enquête sur les internets, éditions Stock, 2014, 406 pages.

←Barron Webster, Civic extensions — Plugin Web.Source : http://barronwebster.com/projects/civic-extensions/

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« Avec nos amis Facebook, nos followers sur Twitter, nos anciens camarades de lycée sur un site dédié, à travers les SMS que nous envoyons, les conversations que nous établissons, les sites d’informations et de rencontres que nous consultons régulièrement dans notre langue, nous restons liés à notre bulle, à notre monde, à notre communauté et à notre territoire »6

nous explique Martel. Sur internet nous interagissons avec des gens que nous connaissons la plupart du temps, ou avec qui nous partageons un point commun. Cette territorialisation d’internet, les entrepreneurs l’ont bien compris, comme en témoigne de nombreuses applications apparaissant sur le marché et utilisant la géolocalisation : Uber et Lyft pour se déplacer, Tinder ou Happn pour ce qui est des rencontres, Foursquare, et bien d’autres. Bien que l’activité, la provenance et le but de ces différentes applications diffèrent, elles utilisent toutes la géolocalisation pour nous connecter à une communauté proche. Le même phénomène est observable sur l’application Facebook, qui permet de dialoguer avec des amis proches géographiquement :

« Amis à proximité est une fonctionnalité qui vous permet de savoir où sont vos amis et vous informe lorsqu’ils se trouvent à proximité de vous. Si vous activez la fonctionnalité Amis à proximité, vous pouvez voir dans quel quartier ou dans quelle ville sont vos amis. Et s’ils sont à proximité de là où vous vous trouvez, vous recevez une notification… »7

nous renseigne la foire aux questions de Facebook. Cette fonction qui paraît anodine à première vue, mais présente depuis peu sur l’application, montre bien à quel point l’ancrage géographique de notre usage d’internet est marqué. Dans la même logique, c’est désormais le mobile qui prime sur l’ordinateur. De nombreux sites web sont développés mobile-first, c’est-à-dire qu’on élabore d’abord la version mobile que l’on adapte ensuite à des écrans de taille supérieure. Si l’on pousse l’analyse de l’application Facebook un peu plus loin, on peut également voir que le mobile est concerné en priorité. Les conversations et les emojis sont mieux optimisées pour le mobile que pour l’ordinateur comme en témoignent les captures d’écran ci-contre. D’autre part, via l’application Messenger, on peut personnaliser la couleur de la conversation et son emoji, ce qui est impossible sur ordinateur. Fonctionnalités anecdotiques, futiles, mais qui indiquent néanmoins où se trouvent les priorités en matière de design d’interface (même si je pense que ces fonctionnalités seront développées par la suite sur la version ordinateur). Ces quelques exemples nous montrent bien en quoi internet est différent pour chacun d’entre nous et que l’accès au contenu culturel se fait de manière différente suivant le pays où l’on se trouve et suivant

6. Ibidem7. Pages d’aide de Facebook : https://www.facebook.com/help/629537553762715/

Fonctionnalité amis à proximitéSource : http://www.blogdumoderateur.com/facebook-amis-a-proximite/

Application Messenger et FacebookSource : captures d’écran réalisées à partir d’un smartphone Android et du site web Facebook sur Google Chrome. Janvier 2016

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nos centres d’intérêts. On peut donc parler d’un internet global - qui va nous fournir à tous les mêmes repères, utiliser les mêmes intrastructures - et d’une multitude d’internets représentants des communautés, des territoires et des personnes. La masse se fragmente en une multitude d’entités et si les regards convergent, ils ne le font pas tous dans la même direction mais dans plusieurs directions au sein d’un espace commun.

L’ÉCRAN : BOULE DE CRISTAL INTERACTIVE

Qu’il s’agisse de l’écran de cinéma ou de l’écran d’ordinateur, ce sont à chaque fois des fenêtres sur une autre réalité, un autre monde dans lequel nous plongeons notre regard et notre imaginaire.

« On peut discuter pour savoir si nous vivons dans une société du spectacle ou de la simulation. Mais, une chose est sûre, il s’agit d’une société de l’écran »8

écrit Lev Manovich dans Le langage des nouveaux médias. Étant donné la densité d’informations présente sur le web, il faut que l’utilisateur trouve ses repères très rapidement sur un site, sinon il abandonne et passe au suivant. Les grands jalons de sa navigation doivent être posés très tôt afin qu’il puisse accéder directement à l’information qui l’intéresse. Rares sont les sites qui dérogent à cette règle pour proposer des navigations inhabituelles ou expérimentales (la plupart du temps il s’agit soit de portfolios de designers graphique, de clips musicaux ou expériences interactives pour le secteur culturel, ou de sites promotionnels spécifiques). Il ne s’agit pas réellement d’une critique car dans un souci d’accessibilité de l’information, il est nécessaire de simplifier les interfaces et de hiérarchiser ce flux de données, de la même manière que nous devons organiser nos espaces publics par exemple. Néanmoins, ce type d’expériences interactives démontrent également les possibilités du numérique et tentent d’en repousser les frontières. Lev Manovich indique à ce sujet que :

« si nous nous contentons d’imiter les conventions de formes culturelles plus anciennes comme l’imprimé ou le cinéma, nous ne profiterons pas de toutes les nouvelles capacités offertes par l’ordinateur : souplesse d’affichage et manipulation des données, contrôles interactifs par l’utilisateur, exécution de simulations, etc. »9

8. Manovich Lev, Le langage des nouveaux médias, Les presses du réel, 2010, page 198.9. Ibidem.

“ Le phénomène numérique est doté d'une puissance pseudo-surnaturelle et pseudo-miraculeuse.”

— Stéphane Vial, dans L'être et l'écran : comment le numérique change la perception, Paris : PUF, 2013, page 236.

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Car il se peut que nous envisagions encore l’écran d’ordinateur comme un écran de cinéma ou de TV « augmenté ». Ce phénomène est notamment visible dans le domaine du jeu vidéo, où celui-ci reprend énormément de caractéristiques cinématographiques : mobilité de la caméra, changement de points de vue, utilisation de cinématiques, etc. Vial affirme également que les interfaces numériques possèdent des propriétés bien supérieures à l’écran de cinéma par leur interactivité même :

« les images cinématographiques projetées sur l’écran n’ont aucune capacité technique à réagir. Elles ne sont pas interactives, seulement actives : elles s’enchaînent mécaniquement, en suivant l’ordre irrémédiablement fixé de la pellicule, sans pouvoir le changer en cours de route. »10

De nombreux créatifs ou même réalisateurs comme Chris Milk se penchent également sur la question de la réalité augmentée, qui est vue comme un moyen de dépasser cette barrière que représente l’écran, empêchant une immersion complète du spectateur. Milk expérimente très tôt cette notion dans un clip interactif réalisé pour Arcade Fire, The wilderness downtown11. Il tente d’augmenter l’expérience du spectateur en ne lui proposant pas simplement un clip, mais en associant différentes technologies comme Google Street View et de la vidéo. Il mélange éléments scénarisés, filmés, et éléments interactifs (on se rend compte en visionnant le clip que l’adolescent filmé se trouve en réalité dans notre rue, via Google Street View). Ce premier exemple, bien que sommaire montre en tout cas la volonté de cet artiste/réalisateur à proposer des expériences interactives riches, visant à dépasser l’utilisation actuelle que nous avons de ces technologies.L’agence Neutral Design, à Londres, explore notamment ces nouvelles technologies, les problématiques qu’elles soulèvent et les possibilités qu’elles permettent, dans des domaines comme l’éducation par exemple : visite virtuelle de lieux touristiques, de musées, possibilité d’interagir avec des objets de collection, etc. Ces dispositifs de réalité virtuelle sont assez troublants en terme d’immersion et de réalisme. J’ai pu tester le plus répandu actuellement, l’Occulus Rift lors de l’exposition Culture interface : numérique et science-fiction12 à la Cité du Design de Saint-Étienne. Plusieurs films promotionnels défilaient en boucle et permettaient de saisir les possibilités de cette technologie. Ainsi, je me suis retrouvé face à un éléphant, puis dans un hélicoptère au-dessus d’une grande ville américaine. Les quelques premières secondes sont assez perturbantes, car l’environnement réagit fidèlement aux mouvements de la tête. Je pense que ces dispositifs n’en sont qu’à leur balbutiement et laissent présager une immersion encore beaucoup plus forte, voire même la prise en compte d’autre sens à terme.

10. Vial Stéphane, L’être et l’écran : comment le numérique change la perception, Paris : PUF, 2013, page 208.11. Le clip peut être testé sur le site de Chris Milk : http://milk.co/wilderness12. http://www.citedudesign.com/fr/actualites/280915-culture-interface

Chris Milk, The Wilderness downtown — Clip interactifCe clip exploite la technologie de Google Street View pour proposer une expérience interactive aux fans d’Arcade Fire

Neutral DesignSource : http://neutral.digital/

Ci-dessus : projet pour un musée sur les civilisations. Les enjeux : pouvoir visiter virtuellement le musée et interagir avec les différentes pièces des collections.

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Ces exemples montrent que nous sommes dans une époque charnière, où nous oscillons entre cette notion d’abandon et de prise de conscience du spectateur. Il se situe dans un milieu truffé de paradoxes, « un compromis douteux entre environnement immersif et ensemble de contrôles, entre standardisation et originalité »13 nous dit Lev Manovich. Plus que jamais nous évoluons dans un environnement qui se veut tantôt très immersif et tantôt très fonctionnel et c’est également là que le designer graphique doit utiliser les bons codes afin de conserver l’attention de l’utilisateur. Frédéric Kaplan écrit que « les téléphones et les tablettes, comme les livres et plus encore que la télévision, sont des interfaces absorbantes. »14

En effet, la prédominance du visuel encourage le processus d’immersion et de projection du spectateur. De la même manière, ces appareils sont tellement ancrés dans notre quotidien qu’ils en deviennent presque des extensions de nous-même selon un « processus général d’incorporation [qui transformerait] un objet extérieur en une prothèse »15 nous dit Kaplan. La formule n’est pas sans rappeler ce qu’écrivait Marshall McLuhan16 au sujet des médias. N’oublions pas qu’il s’agit tout de même d’interfaces sur lesquelles nous n’avons qu’un contrôle limité, un contrôle de surface. Nous pouvons effectuer des actions mais nous ne décidons pas du contenu affiché où même de la manière dont les informations nous apparaissent, la plupart de nos actions sont très « scriptées » c’est-à-dire programmées et limitées à l’avance par le développeur de l’interface. Dans une conférence donnée à La Martinière-Diderot en Mai 2015, David Longuein, fondateur d’ABM Studio17 nous présentait une application que son agence a réalisée pour Louis Vuitton. Ici, les designers envisagent le contenu comme une immense base de données manipulables à l’infini, et propose à l’utilisateur de le découvrir par plusieurs biais : soit via des portraits de personnes ayant un lien avec telle ou telle malle, soit par une sorte de carte, soit par une timeline. Ces différentes entrées permettent à chaque personne de découvrir le livre à sa façon et de s’approprier le contenu qu’ils vont lire. Par cet aspect participatif et ludique dans un sens qu’apporte la manipulation, ils vont prolonger la lecture de l’ouvrage. Ainsi, la scénarisation du contenu et de l’expérience de navigation est essentielle pour retenir l’attention du lecteur.Nous allons voir dans une seconde partie comment ces interfaces à priori neutres peuvent en réalité abriter des algorithmes ou des mécanismes de tri soumis à une logique commerciale.

13. Manovich Lev, Le langage des nouveaux médias, Les presses du réel, 2010, page 195.14. Kaplan Frédéric, Chacun dans sa bulle digitale, 29 Novembre 2011. https://fkaplan.wordpress.com/2011/11/29/chacun-dans-sa-bulle-digitale/15. Idem.16. McLuhan Marshall, Pour comprendre les médias, éditions Seuil, 1977, 404 pages.17. Studio de design graphique spécialisé dans l’édition numérique.

←ABM Studio, Louis Vuitton : 100 malles de légende — Application tabletteSource : http://www.abm-studio.com/fr/projets/view/keyword/1/application/17/louis-vuitton-100-malles-de-legende

On voit bien ici que ce médium permet une manipulation plus aisée des ressources. Envisagées sous la forme d’une base de données, ces centaines de photos et d’informations deviennent manipulables et réorganisables à volonté et à la volée (c’est-à-dire en temps réel). Le rapport entre le contenu culturel et l’utilisateur s’en trouve profondément modifié, dans une expérience plus personnelle et privilégiée (du moins en apparence).

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AMBIVALENCE DE LA MATIÈRE

CALCULÉE

“ Efficiency can be useful, but so can inefficiency : if everything were efficient, why would anyone bother to innovate ?*”

— Evgeny MOROZOV, To solve everything click here : the folly of technological solutionism, PublicAffairs, 2013, p.23

* L'efficacité peut être utile, tout comme l'inefficacité : si tout était efficace, pourquoi prendrait-on la peine d'innover ?

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ENTRE ALGORITHME ET COMMUNAUTÉ « La révolution numérique est celle de la matière calculée.

[...] Comme autrefois la fonte et le fer, la matière calculée est aujourd’hui disponible à bas coûts et en très grandes quantités, accessible à tous. C’est pourquoi elle façonne notre monde. »18

rappelle Stéphane Vial. Cette matière calculée dont il nous parle est un flux d’informations et de données manipulable à l’infini et à la volée. Les datas (ou données) que nous laissons derrière nous lorsque nous surfons sur internet sont récupérées, collectées et traitées par des algorithmes et des entreprises. Les utilisations sont diverses : ces informations peuvent être vendues à d’autres entreprises. Elles peuvent également être utilisées pour améliorer une technologie, comme c’est le cas pour les Captcha19. Chaque fois qu’un utilisateur tape un captcha, des données sont récoltées et exploitées par les créateurs de cette technologie.

« En mobilisant notre attention vive pour déchiffrer humainement des lettres tordues, nous travaillons pour apprendre à la machine à raffiner ses propres capacités de déchiffrement. »20

18. Vial Stéphane, L’être et l’écran : comment le numérique change la perception, Paris : PUF, 2013, page 194.19. Completely Automated Public Turing test to tell Computers and Humans Apart : ce sont des petits textes déformés que l’utilisateur doit recopier pour prouver qu’il n’est pas un robot.20. Citton Yves, Pour une écologie de l’attention, éditions du Seuil, 2014, page 101.

←Exemple de CaptchaSource : http://www.captcha.net/

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nous renseigne Yves Citton. Ainsi, la technologie évolue grâce à chacun d’entre nous, sans que personne ne le sache. Ce genre d’algorithme, qui apprend de lui-même grâce aux données est appelé machine-learning : on ne dit plus à la machine comment faire, mais on lui fournit des données et un problème à résoudre. La machine se sert alors des données pour progresser et résoudre le problème. Dans une conférence TED21, Kenneth Cukier explique que cela ouvre des perspectives formidables telles qu’un système antivol de voitures qui identifie notre façon de nous asseoir au volant. Ou encore que ces mêmes données sur la position de notre dos pourraient prévenir des accidents en reconnaissant la fatigue du conducteur et en lui envoyant un signal d’alarme. Les datas et les algorithmes peuvent être aussi bénéfiques que préjudiciables. Enfin, ces données peuvent être utilisées dans notre intérêt pour nous recommander du contenu, nous proposer une navigation sur-mesure en fonction de nos goûts. C’est ce que sont les filter bubbles : le contenu est filtré silencieusement par des algorithmes pour nous proposer ce qui nous correspond le mieux (selon l’algorithme) enfermant chaque internaute dans sa bulle, proposant une navigation différente pour chacun. Cela montre bien encore une fois cet équilibre entre personnalisation et standardisation, puisque chacun va avoir accès à une expérience de navigation qui lui est propre, dans un environnement exclusif, ce qui peut s’avérer efficace comme extrêmement réducteur.

« Les fenêtres nous donnent accès non pas à un grand univers partagé, mais à des univers parallèles »22

confirme Frédéric Kaplan. Cette citation met bien en évidence selon moi cette dualité propre aux médias numériques, entre interconnexion des individus et enfermement dans une sphère privée.

Nous venons donc de voir que les algorithmes sont présents sur le web, et agissent silencieusement en influançant notre navigation. Dominique Cardon, analyse :

« les algorithmes qui permettent de hiérarchiser les informations enferment des principes de classement et des visions du monde. Ils structurent très profondément la manière dont les internautes « voient » les informations et se représentent le monde numérique dans lequel ils se promènent, sans toujours soupçonner le travail souterrain qu’exercent les algorithmes sur leur itinéraire. »23

21. Cukier Kenneth, Kenneth Cukier : Big data is better data, Juin 2014. http://www.ted.com/talks/kenneth_cukier_big_data_is_better_data22. Kaplan Frédéric, Chacun dans sa bulle digitale, 29 Novembre 2011. https://fkaplan.wordpress.com/2011/11/29/chacun-dans-sa-bulle-digitale/23. Cardon Dominique, La démocratie internet. Promesses et limites, Paris : Seuil : la République des idées, 2010, p.95.

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Un bon exemple serait l’algorithme de Google : PageRank. J’évoquais en introduction la puissance et la double logique de celui-ci, chargé de trier les résultats de nos recherches. La première logique est commerciale : plus un annonceur paye cher, plus son annonce se retrouve bien référencée, c’est-à-dire visible. Notre attention va donc être dirigée non pas sur la meilleure réponse à notre recherche, mais vers celui qui a versé le plus d’argent pour se retrouver là. C’est un peu la même logique qu’avec les publicités dans les espaces publics. Nous voyons malgré nous au quotidien des centaines de messages publicitaires disséminés dans la ville. La seconde logique est une logique de popularité et de pertinence. Les pages affichées en premier sont les plus pertinentes en réponse à notre questionnement mais sont également les plus consultées (on visualise alors assez bien le cercle vicieux : plus une page est consultée, plus elle se retrouve en haut de la barre de recherche, plus elle est consultée, etc.). Cela nous amène donc à tous regarder dans la même direction finalement. Cette façon de classer par un algorithme est appelé le ranking. On attribue un rang à un contenu. L’autre façon de trier est le rating où l’on attribue ici une note. Ce sont donc les internautes, des personnes humaines qui vont trier les informations en notant un contenu. Ce principe est utilisé un peu partout, que ce soit sur des sites de ventes pour noter un produit et le recommander à d’autres utilisateurs. On peut alors supposer qu’une méthode efficace d’accéder au contenu le plus pertinent possible serait d’effectuer d’une part un tri algorithmique, puis un second tri humain, comme une vérification, un affinage. C’est ce que Frédéric Martel appelle Smart curation.

« C’est un « double filtre » qui permet d’additionner la puissance du « big data » et de l’intervention humaine, l’association des machines et des hommes, des ingénieurs et des « saltimbanques ». »24

Il s’agit d’utiliser la puissance de calcul des machines et de la capacité de jugement des internautes.

En définitive, ces algorithmes s’améliorent et apprennent de nos usages, ils évoluent en même temps que nous et deviennent de plus en plus personnalisés. S’il y a d’une part la crainte d’une uniformisation des contenus, d’un tri forcément réducteur de ce qui nous est proposé, il y a également le risque d’un enfermement, celui de « communautariser » un utilisateur et de lui fournir seulement ce qu’il consomme déjà . Quoi qu’il en soit, il semble difficile aujourd’hui d’échapper à ces méthodes de classement que sont les algorithmes, les abonnements ou la recommandation. Ils s’ancrent de plus en plus dans nos pratiques et permettent de hiérarchiser cette masse d’information toujours plus dense.

24. Martel Frédéric, Le critique culturel est mort; vive la Smart curation ! Sur le web : http://fredericmartel.com/le-critique-culturel-est-mort-vive-la-smart-curation/

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« Parce qu’ils tendent tous à devenir des flux numériques en réseau, les biens culturels et les œuvres de l’esprit acquièrent une nouvelle phénoménalité, faite de légéreté, de fluidité, d’ubiquité »25

décrit Stéphane Vial. Tout est accessible partout et tout de suite, afin que notre expérience de navigation « se trouve enrichie et augmentée, mais surtout facilitée et simplifiée ».

LA PLACE DE L’AUTEUR DANS LA CULTURE MAINSTREAM

En parlant de culture mainstream, de culture pour tous, on peut se demander quelle est la place de l’auteur dans la création. Car en effet, s’il s’agit de produire un bien culturel (qu’il soit cinématographique, musical, éditorial, etc.), n’y a-t-il pas nécessairement une part d’effacement de l’auteur ? Pour plaire à tous, l’auteur doit, selon moi, retenir sa personnalité, se mettre en second plan afin de produire un objet qui contiendra une part de lui, mais qui sera susceptible de convenir également au plus grand nombre. Ainsi, comment concilier la masse tout en essayant de faire ressortir les spécificités ? Un indice se trouve dans la distinction entre studio et indépendant pour le cinéma, entre major et label indépendant dans la musique, entre start-up et grosse entreprise dans le domaine du numérique. En effet, les deux fonctionnent souvent de paire et d’une manière assez imbriquée finalement. Frédéric Martel nous explique que « la règle non écrite c’est l’indépendance : Même si l’indépendant est acheté par un contrat, il doit se sentir indépendant. Le créatif ne doit pas voir sa créativité bridée »26. Ainsi, les blockbusters constituent le côté fiable, la rentrée d’argent assurée, tandis que les indépendants constituent la prise de risque, des sortes de tests à échelle humaine. Il en est de même dans le domaine du numérique où les grosses entreprises investissent énormément d’argent dans les start-ups. Les start-ups sont ici aussi le facteur risque, un peu comme un secteur recherche et développement, et si les tests s’avèrent concluants, l’entreprise achète la start-up et l’englobe afin de développer un produit fini en son nom.

25. Vial Stéphane, L’être et l’écran : comment le numérique change la perception, Paris : PUF, 2013, p. 226.26. Martel Frédéric, Mainstream (enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde), éditions Flammarion, 2010, p.70.

“ Sexy buttons and surprising, multi-layered content, linked in such ways to make surfing an exciting journey through the yet unexplored hyperspaces, has been brutally cut short to lucid functionality.*”

— Geert Lovink dans Everyone is a designer : manifest for a design economy, Mieke GERRITZEN, 2000.

* Des boutons sexy et du contenu surprenant, à couches multiples, lié de manière à faire de surfer un voyage excitant au travers des hyperespaces encore inexplorés ont été brutalement coupé au profit d'une fonctionnalité lucide.

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Sur le plan formel, c’est presque la même chose. Lorsque j’évoquais dans la première partie de ce texte la mise en place de repères communs et d’un autre côté une volonté de transgression afin de dépasser cette homogénéisation, c’est bel et bien la part de l’auteur qui se manifeste. Les géants du web doivent sortir du lot avec une identité visuelle forte et facilement identifiable, mais tentent également de limiter la fantaisie ou le caractère expérimental afin de toucher une audience la plus large possible. Il me semble que le meilleur contre-exemple reste la refonte de l’identité visuelle de Google. Le célèbre moteur de recherche a en effet dévoilé un nouveau logo et une nouvelle identité visuelle au cours de l’année 2015, contrastant fortement avec l’ancien logo mis en place il y a 16 ans. Cette identité visuelle, bien que s’inscrivant dans une certaine ère du temps, notamment le mouvement du flat design (consistant à supprimer tout effet de texture ou superflu, pour ne garder que des aplats de couleur et généralement une typographie linéale des plus neutre), est loin d’être flat ou lisse. C’est une identité très efficace, vivante et actuelle, résolument tournée vers l’avenir. En effet, l’identité visuelle a été conçue pour être déclinable sur tout type de supports et d’écran, une caractéristique essentielle aujourd’hui. De la même manière, elle a été pensée pour être en mouvement, notamment par les quatre points colorés animés. Il est étonnant de voir à quel point quatre pastilles peuvent prendre vie et communiquer efficacement un message. Google développe ici un modèle d’identité visuelle avec bon équilibre entre singularité et standard. N’oublions pas également qu’Hollywood, malgré sa volonté de créer du divertissement industriel et ses blockbusters a également donné naissance à de nombreux talents et génies du cinéma. C’est le cas par exemple d’Hitchcock, qui savait très bien s’affranchir du cahier des charges strict d’Hollywood pour imposer sa vision du cinéma. Il en est de même dans la sphère numérique où « les transformations les plus spectaculaires dans les comportements de communication [...] n’ont pas été construites par des équipes de recherches industrielles ou universitaires, mais par des usagers curieux et entreprenants »27 indique Dominique Cardon. Ces curieux et entreprenants comme il les appelle sont avant tout des passionnés et des visionnaires. L’auteur ou le véritable créatif parviendra toujours à s’exprimer malgré un cahier des charges ou un besoin de standardisation des productions.

Dans une toute autre mesure, Internet bouleverse également la question de la propriété intellectuelle. Aux États-Unis, le Copyright protège les œuvres. Une alternative plus souple à été inventée il y a quelques années, le Creative Commons. Les CC (Creative Commons) permettent à l’auteur de décider du degré de protection de son œuvre. Certains activistes d’internet et penseurs prédisent alors que les CC pourraient s’imposer face au droit d’auteur. Lawrence Lessig, activiste et professeur à Harvard, pense que le copyright possède certains avantages et notamment incite à la création par le degré de protection

27. Cardon Dominique, La démocratie internet. Promesses et limites, Paris : Seuil : la République des idées, 2010, p.17

←Google — Identité visuelle réalisée en interneVidéos de présentations de l’identité visuelle et des possibilités d’animation disponibles dans le lien ci-dessous.Source : http://www.underconsideration.com/brandnew/archives/new_logo_for_google_done_in_house.php#.Vsw2pZPhD_R

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qu’il offre, mais d’un autre côté, il pense que ce système est trop fermé, trop régulateur. Lessig est partisan de la free culture qui n’est pas nécessairement gratuite mais libre. Selon lui, le copyright est trop restrictif et donne lieu à une culture régulée, utilisée uniquement dans le but de générer des profits.

Mais le futur semble se situer avant tout du côté des abonnements (qu’ils soient pour la musique, le cinéma, l’édition, ou les trois à la fois). De même, le téléchargement et l’accessibilité des contenus sur internet modifient notre rapport à la culture, ou du moins à cette culture mainstream. Il court-circuite finalement les réseaux de distribution traditionnels et a déjà changé notre façon de consommer. Les services de TV par abonnement (Netflix, HBO) se développent de plus en plus et s’exportent en dehors des États-Unis. Dans l’industrie de la musique, iTunes est déjà un modèle dépassé, les services d’abonnements comme celui de Deezer ou Spotify étant déjà en train de s’imposer. Nous passons de la notion de produit culturel à la notion de services culturels28. Nous migrons de la propriété à l’abonnement. De la possession personnelle à une possession collective délocalisée accessible en permanence. Les biens culturels se dématérialisent pour se transformer en services, flux et abonnements, constate très justement Martel.

« À terme, les GAFA risquent donc d’être les seuls à pouvoir véritablement, vu leur force de frappe internationale, leurs capacités de stockage phénoménales et leur nombre d’utilisateurs, proposer un service global et transversal d’abonnement à toute la culture - musique, cinéma, jeu vidéo et livre - par abonnement illimité. »29

Tel semble être l’avenir de notre consommation de biens culturels. Dans un tel cas, la question de l’auteur, de sa rémunération et de son droit de propriété vont nécessairement évoluer. Cette délocalisation massive et cette absence de propriété des œuvres peut faire peur. Nous savons déjà que ces entreprises possèdent des data centers30 énormes, faisant tourner 24 heures sur 24 des serveurs, consommant de grandes quantités d’énergie. De plus, il est quelque peu effrayant de confier nos biens culturels à un groupuscule d’entreprises. Nous serons - autant les créateurs que les consommateurs - dépendant en quelque sorte de ces entreprises, forcés d’adhérer à leur flux. Néanmoins, si autrefois cela coûtait assez cher de se constituer une bibliothèque, comme le souligne Yves Citton, bientôt nous pourrons « disposer de millions de livres, d’images, de chansons, de films, de séries télévisées à coût marginal nul. »31

28. C’est un peu ce que j’expliquais plus haut avec l’application d’ABM Studio (page 28) : le contenu est envisagé comme une immense base de données manipulable et non plus comme un produit fini et figé.29. Martel Frédéric, SMART, enquête sur les internets, éditions Stock, 2014, p.259-26030. Un data center est un batîment abritant des serveurs contenant les données du monde entier.31. Citton Yves, Pour une écologie de l’attention, éditions du Seuil, 2014, p.25.

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Ce mode de fonctionnement me semble correspondre assez bien à ce que nous vivons actuellement. En effet, télécharger musique ou film peut s’avérer fastidieux, les acheter revient trop cher par rapport à des services d’abonnements. À l’ère de la mobilité et de l’accessibilité, avoir une bibliothèque de biens culturels dématérialisée et accessible en permanence semble être presque logique. L’équilibre idéal étant de conserver des biens matériels qui nous sont chers ou précieux (beaux livres, vinyles pour conserver ce grain inimitable et analogique) et d’avoir accès à une bibliothèque de médias pour nos déplacements.

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“ Alan Turing theoretically defined a computer as a machine that can simulate a very large class of other machines, and it is this simulation ability that is largely responsible for the proliferation of computers in modern society.”

— Lev MANOVICH, Software takes command, Bloomsbury Academic, 2013.

* Alan Turing définit l'ordinateur comme une machine qui peut simuler une large classe d'autres machines, et c'est cette capacité de simulation qui est en grande partie responsable de la prolifération des ordinateurs dans notre société moderne.

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DU REGARDEUR À L’ACTEUR Google Volume 1 est un projet d’édition de King Zog, paru aux éditions Jean-Boîte. Ce projet farfelu recense tout les mots du dictionnaire dans l’ordre en les remplaçant par la première occurence donnée par Google Images. L’algorithme de Google étant sensé nous donner l’image la plus pertinente et stimulante à notre recherche, cette édition pointe en quelque sorte les limites de cet algorithme en créant un objet éditorial à la limite entre critique, absurde et humour. La notion de détournement que ce projet met en place, en se réappropriant une technologie que l’on utilise presque quotidiennement et sans se poser de questions est intéressante. Ici, les créateurs de cet ouvrage nous interpellent, et amènent une distanciation, comme une prise de conscience des possibilités mais également des limites du célèbre moteur de recherche.

Pierre Lévy nous met en garde lorsqu’il dit qu’« au-delà de la simple posture de consommateur ou d’utilisateur, si nous voulons y voir un peu plus clair sur la manière dont nous entremêlons nos pensées et nos symboles dans le médium algorithmique […] il est nécessaire de garder les deux yeux bien ouverts : aussi bien l’œil critique que l’œil visionnaire. »32

Ainsi, face aux images que nous consommons sur internet, il est primordial d’en connaître la provenance ou du moins d’être capable de la deviner. Même si internet nous offre un accès quasi-illimité

32. Vial Stéphane, L’être et l’écran : comment le numérique change la perception, Paris : PUF, 2013, dans la préface.

←King Zog, Google Volume 1 — ÉditionSource : http://www.jean-boite.fr/box/google-volume-1

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à une multitude de contenus divers et variés, nous avons besoin d’un certain nombre de clés pour déchiffrer ce contenu, notamment les images. C’est l’initiative que propose La Fabrique du Regard. Ce collectif constitue la plateforme pédagogique du BAL, une ancienne salle de bal des années folles transformée en lieu d’exposition. Leur démarche consiste à faire du spectateur un « regardeur » c’est-à-dire à adopter un regard critique face aux images qu’il rencontre (savoir d’où elles viennent, dans quel contexte elles sont utilisées, en décrypter les codes, etc.) Il s’agit d’un éveil à destination des collégiens, des primaires et des lycéens afin de les sensibiliser à l’analyse d’image. Il ne s’agit pas de former des critiques d’art, des photographes ou des graphistes mais juste de développer un regard. Il est important de former des citoyens conscients et actifs, et non des consommateurs passifs. Sur internet, que ce soit sur Google images, sur Facebook ou n’importe quelle autre plateforme d’échange comme 4Chan, Imgur, 9gag, la tracabilité des images peut parfois se perdre. Il est facile de copier une image sur son ordinateur ou d’en poster le lien sur un autre site web. Cette décontextualisation peut parfois être dangereuse.Le collectif international Design Displacement Group explore aussi ces problématiques à sa manière. Cette association de designers du monde entier réalise des projets de design fiction et s’imagine faire un bond de 20 ans dans le futur, pour porter un regard rétrospectif sur notre pratique actuelle du design graphique. Une initiative qui leur permet de porter un regard distancié sur cette discipline et de spéculer sur le futur de la profession. C’est un collectif engagé au style graphique affirmé et très expérimental, à la démarche plus qu’intéressante pour saisir les enjeux actuels du design graphique. De plus, Dominique Cardon, dans son essai politique sur internet intitulé La démocratie internet : promesses, limites explique qu’internet est la réunion d’un média traditionnel et d’un mode de communication interpersonnel. On assiste alors à deux modes de communication différents qui s’entremêlent. D’une part une communication dite verticale telle qu’on la retrouve dans la presse et à la télévision, où un orateur parle à une masse, et d’autre part une communication horizontale, de l’indidivu à l’individu.

« Internet ne permet pas seulement de communiquer davantage, mieux, plus vite; il élargit formidablement l’espace public et transforme la nature même de la démocratie. »33

Par l’interactivité que permettent les nouveaux médias, l’utilisateur n’est plus passif face aux images qu’il reçoit, mais il interagit avec celles-ci : « les nouveaux médias transforment la plupart des images en images-interfaces ou images-instruments. »34 indique Manovich. Cela modifie plusieurs choses dans notre rapport aux images sur les supports numériques, qui vont soulever des enjeux particulièrement importants pour les designers d’interaction. Tout d’abord, la machine

33. Cardon Dominique, La démocratie internet. Promesses et limites, Paris : Seuil : la République des idées, 2010, p.734. Manovich Lev, Le langage des nouveaux médias, Les presses du réel, 2010, p. 338

←Design Displacement Group, DDG wishes you a prosperous 2034 — Cartes de vœux“En regardant depuis le futur - même si c'est seulement de 20 ans - nous questionnons le concept de design graphique lui-même en même temps que sa conservation actuelle : que reste-il du design, dans quel format et pourquoi, plus particulièrement dans un monde de contenu digital immatériel” (Traduit de l'anglais)Source : http://www.itsnicethat.com/articles/design-displacement-group-xmas

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doit communiquer avec l’utilisateur, celui-ci doit être notifié si son action a été prise en compte ou non, il doit savoir si la machine a compris l’information, si elle est en train de calculer ou non. Cela se manifeste très concrètement par des barres de chargement, des icones qui évoluent après les avoir activées, un lien écrit en violet une fois consulté, etc. De la même manière, une page web se charge petit à petit, d’abord par le texte, puis ensuite les images, parfois partiellement ou pixellisées, puis en bonne définition. Cela révèle une temporalité, mais également l’artifice, le mécanisme, ce qui est très différent de l’expérience ressentie lorsqu’on visionne un film ou que l’on écoute un morceau de musique. À aucun moment dans ces deux exemples le spectateur assiste à la révélation du mécanisme. Il ne voit que l’illusion simulée, la « réalité » qui s’offre à lui. Ces possibilités d’interaction propres aux médias numériques en font leur force, et c’est en cela que l’utilisateur peut s’en saisir pour passer du statut de spectateur à celui d’acteur.

LES UTILISATEURS PRENNENT LE CONTRÔLELe studio Moniker est un studio de design graphique Hollandais qui réalise beaucoup de projets participatifs questionnant notre rapport à la technologie et comment celle-ci influence nos vies. Certains de leurs projets s’inscrivent dans la lignée du mouvement conditional design, qui consiste à créer en s’imposant des règles particulières. Ainsi, le créateur n’est pas décisionnaire, il n’a pas un contrôle sur sa production mais il laisse des règles arbitraires gérer la création. Moniker exploite ce principe dans certains de ses projets où ils font participer le public dans le cas de commandes dans le secteur culturel par exemple. Dans ce cas là, le créatif n’intervient ni dans la création elle-même, ni dans les choix artistiques. Il n’est que l’initiateur d’une démarche. Le projet Do Not Touch est un clip interactif pour le titre Kilo du groupe Light Light et également un hommage aux 50 ans du curseur de la souris - qui pourrait bien finir par disparaître avec les technologies tactiles. La force de ce clip est d’être participatif, où chaque visiteur va pouvoir interagir avec la vidéo en déplaçant son curseur. Des instructions apparaissent au fur et à mesure, et l’utilisateur est invité à les exécuter pour participer au clip. Il peut également voir les curseurs de toutes les personnes ayant participé. Cet exemple montre un dispositif simple permettant de rendre le spectateur acteur, de lui donner un semblant d’importance ou d’impact sur son expérience vidéoludique.En outre, comme internet permet d’associer une communication verticale et une communication horizontale, des dialogues entre les internautes

←Studio Moniker, Do not touch — Clip participatif et interactifSource : http://www.creativeapplications.net/featured/do-not-touch/

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et des pratiques sont apparues. Des communautés se forment et dialoguent anonymement ou non sur des sites communautaires tels que 9gag, Imgur, 4chan, Reddit et autres. Les pratiques qui apparaissent sont de natures diverses, il peut s’agir d’un mouvement tel que le selfie qui témoigne avant tout de la volonté d’avoir une certaine visibilité sur le web. Comment justement, dans cette masse dense d’informations triées par des algorithmes, gouvernée par de grandes entreprises, l’individu trouve sa place ?Chacun d’entre nous tente de se construire une identité numérique, et parfois cela revient presque à faire du self-branding c’est-à-dire que de la même manière qu’une entreprise va tenter de se construire une image de marque, l’individu va tenter de faire de même. Le selfie c’est la photo qui ne nous représente pas par excellence, c’est une image que l’on crée uniquement dans le but d’en tirer une reconnaissance sociale; ou une valeur monétaire avec le phénomène par exemple des blogueuses mode et autres instagrammeurs ou youtubeurs qui vont gagner de l’argent en s’exposant sur les réseaux sociaux.

Un autre phénomène viral né des internautes est le mème. C’est un type d’image apparu sur internet, véhiculé par les internautes, diffusé massivement sur les réseaux sociaux et les sites communautaires. Il possède une dimension souvent critique, cynique, taquine, selon un principe de détournement et d’appropriation. Les mèmes sont facilement identifiables et copiables, le but étant que chacun puisse s’en saisir pour créer son propre mème et le diffuser. Associés plutôt à une culture geek car né d’internet, ils peuvent parfois faire un peu private joke. Mais dans d’autres cas, comme par exemple peu de temps après les attentats de Paris, ils peuvent servir d’exutoire. En effet, des internautes principalement français s’en sont donnés à cœur joie pour tourner en ridicule Jawad, le désormais tristement célèbre logeur de terroriste. Chacun s’est approprié sa photo ou la vidéo de son interview, et chacun à créé un mème avec des jeux de mots, des blagues, des montages vidéo mêlant extraits de film et interview. C’est un phénomène étrange, mais exutoire et fédérateur également. La France entière s’est trouvée un bouc émissaire commun et surtout un prétexte pour rire et dédramatiser la situation. Dans d’autres cas, les mèmes se moquent de célébrités, de gaffes de politiciens ou autres. Il s’agit bien ici d’une forme de communication qui part « du bas », du peuple et qui se diffuse de manière horizontale. Ce genre de phénomène est intéressant car il peut générer soit un buzz, soit à l’inverse un bad buzz et il est souvent peu contrôlable pour les industries culturelles. C’est un phénomène à la fois populaire et extrêmement référencé, où se côtoient le portrait de Yao Ming, basketteur de NBA et Freddie Mercury. Les codes de l’amateurisme sont présents, par un dessin au trait parfois hésitant ou de mauvaise qualité. Les montages sont souvent fait à la va-vite, sans quête d’un quelconque réalisme, l’important étant l’impact du message plus que le visuel lui-même. Néanmoins, l’esthétique des mèmes est facilement identifiable et leur est propre. Ils incarnent bien, à mon sens, tous les paradoxes évoqués depuis le début de ce texte entre individuel et collectif, auteur et amateur, référencé et populaire.

←Différents mèmes — Source : http://www.memes.at/Le site Know your mème permet de connaître l’origine de chaque mème.Source : http://knowyourmeme.com/

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Les mèmes posent également la question de la création à l’ère d’internet ou ici de la co-création, comme une sorte d’œuvre collective évoluant en permanence, montrant bien en quoi la notion de droit d’auteur et de propriété intellectuelle sont en train d’évoluer.D’autres pratiques, comme l’Open source, c’est-à-dire la distribution gratuite de logiciels, qui repose sur un esprit communautaire de partage et de liberté, questionnent aussi cette notion de co-création.

LE SCHÉMA ALIÉNATION, LIBÉRATION, FORMATAGE Sur le web 2.035, l’utilisateur est invité à participer. Il existe désormais de nombreux sites web qui servent de plateformes d’échange où chacun peut partager ses créations, son savoir, où même tenter de récolter de l’argent. Deux plateformes vont m’intéresser ici pour cette analyse : Behance et Kickstarter.

Behance est un site web où chaque internaute peut poster ses créations et faire partie d’une communauté. Les secteurs d’activité sont variés et vont du designer graphique, à l’architecte en passant par l’animateur, mais restent toujours dans le domaine artistique. Il est alors très facile pour une personne n’ayant aucune compétence en webdesign, non désireuse d’avoir son propre site web, de partager ses créations avec le monde entier. De plus, Behance crée une sorte de communauté, de réseau, avec un système de commentaires et de likes qui vont nous octroyer une plus ou moins grande visibilité. Ce qui est encore plus formidable avec Behance, c’est que le tri des créations est réalisé par des humains, les créateurs de Behance. Ce sont eux qui chaque jour parcourent les milliers de projets mis en ligne pour en sélectionner quelques-uns et les mettre en avant (une sorte de sélection du Jury, gage d’un projet de qualité, complet et bien documenté). Il s’agit donc d’un mélange entre un tri effectué par des algorithmes (choix des catégories, date, etc.) et d’un tri humain. Néanmoins, il me semble que ce type de plateformes comporte un certain nombre de limites en dépit des aspects positifs cités ci-dessus. D’une part, ces plateformes mettent tout le monde au même niveau. Tout ce qui fait la spécificité d’un créatif,

35. Web 2.0 : Web collaboratif ou participatif. Les internautes participent à la création de contenus.

←Behance — Plateforme à destination des créatifsSource : https://help.behance.net/hc/en-us/articles/204483684-How-do-I-upload-a-project-to-my-profile-and-publish-it-Capture d’écran réalisée en Février 2016.

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son univers, sa personnalité est ici anéanti au profit d’un template, d’un modèle sur lequel sont construits tous les projets, alors que parfois, ce ne sont pas les projets en eux-même qui en disent le plus, mais ce qu’il y a autour : la façon dont ils sont présentés, la façon dont ils sont décrits, etc. D’autre part, il me semble que Behance présente une certaine redondance au niveau des projets présentés. Comme si, malgré l’appartente liberté, on retombait une fois encore dans un lissage des productions, suivant une tendance.

Le même phénomène est observable sur la plateforme Kickstarter. C’est un site de crowdfunding - financement participatif. Chacun peut s’enregistrer sur le site, poster un projet, une envie, une idée, et tenter de récolter des fonds. Cette idée, dans la même logique que Behance, va dans le sens d’une liberté et donne la possibilité à n’importe qui d’acquérir une certaine visibilité pour son projet. Kickstarter permet également de contourner les moyens traditionnels de financement et d’être financé à 100% par des milliers d’internautes généreux. Dans son livre Pour tout résoudre cliquez ici, Evgeny Morozov36 par d’une étude réalisée par le danois Inge Ejbye Sørensen qui a étudié l’influence du financement participatif sur la production de documentaires au Royaume-Uni. La plupart des documentaires britanniques sont réalisés grâce à la BBC, ITV, Channel 4 et Channel 5 et ce sont eux qui en dictent les termes. Kickstarter apparaît alors comme une plateforme permettant de contourner ces chaînes et de produire un documentaire libre et indépendant. Mais en réalité l’étude nous apprend que la plupart des documentaires ayant été financés par des plateformes participatives sont en réalité du même type. Ce sont des documentaires activistes dans la veine de Supersize Me ou An inconvenient truth, parlant de réchauffement climatique ou d’autres problèmes sociétaux. Morozov explique par exemple qu’un documentaire sur la première guerre mondiale n’aurait probablement pas été financé par la plateforme. Si Kickstarter semblait être un bon moyen de contourner les canaux traditionnels de financement, en proposant une totale liberté, cet exemple montre que nous retombons une fois encore dans un nivellement des productions qui en réchappent.

À travers ces deux exemples, un même schéma se répète : des plateformes ouvertes à tous apparaissent comme libératrices, puis au fur et à mesure que les utilisateurs s’en emparent, on constate à nouveau un enfermement ou une réduction des productions publiées. Comme si, dès lors que la masse devenait trop importante, la communauté toute entière lissait ses différences dans un souci d’uniformité et de standardisation.

36. Morozov Evgeny, To save everything click here. The folly of technological solutionism, PublicAffairs, 2013.

“ Le jeu vidéo c’est du cinéma. Seulement, on finit par tourner dix films différents. On a toutes ces options et, à chaque fois qu’on joue, on joue avec le spectacle.”

— Georges Lucas dans Philosophie des jeux vidéo, Mathieu TRICLOT, éditions Zones, 2011.

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L’argumentation de ce texte et les différents exemples qui le ponctuent mettent en évidence

des paradoxes, des tensions, des notions contradictoires concernant notre usage du numérique

et notre consommation de biens culturels. La notion de masse critique me semble alors appropriée

pour résumer l’ensemble de cette réflexion car nous sommes bien ici en présence d’une masse :

une masse d’informations et de contenus toujours plus dense en mouvement constant fluctuant

entre l’état gazeux, liquide et solide. Une masse d’utilisateurs grandissante, l’accès à internet se

démocratisant sur l’ensemble du globe. Cette massification, associée au fait que ces technologies

numériques n’en sont qu’à leurs débuts, façonne la manière dont nous allons consommer

ces contenus.

Les algorithmes, systèmes de recommandation et autres moyens de hiérarchiser cette masse

d’informations sont autant d’outils à double tranchant. Sous leurs aspects simplificateurs, efficaces,

guidant notre attention au plus simple, au plus rapide, ils peuvent également être réducteurs

ou formateurs. De la même manière, n’oublions pas que lorsque nous utilisons une interface

ou lorsque nous naviguons sur internet, nous ne sommes pas maîtres de ce que nous voyons,

mais nous soumettons notre attention à la volonté du concepteur.

C’est donc le designer graphique qui doit se jouer de cet entre-deux. Afin de capter et de

maintenir l’attention du spectateur, il doit mettre en scène le contenu d’une manière juste

et sensible en utilisant les codes graphiques appropriés. Il doit faire le lien entre la masse

d’utilisateurs et la masse de contenus, en établissant des repères communs ou en bouleversant

ceux-ci afin de déclencher une réaction. C’est une interaction avec le public, qui, désormais

doté d’un formidable pouvoir de communication sur internet, va lui aussi influencer la création.

Ensemble, dirigeons-nous vers un graphisme conscient, engagé et résolument tourné vers l’individu.

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BIBLIOGRAPHIE

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Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont apporté leur aide et ont contribué à l’élaboration de ce mémoire. Tout particulièrement Audrey et mes parents pour la relecture et mes professeurs de DSAA pour leurs conseils avisés.

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Face à une masse de contenus toujours plus dense et une masse d’utilisateurs grandissante, des paradoxes et des tensions concernant notre usage du numérique et notre consommation de biens culturels apparaissent. Nous oscillons entre standardisation et personnalisation, où il faut donner à l’internaute le sentiment d’une navigation personnalisée tout en fournissant des repères communs à la masse d’utilisateurs. Des technologies comme les algorithmes, systèmes de recommandations et autres moyens de hiérarchiser l’information sont autant d’outils à double tranchant. Sous leurs aspects simplificateurs, ils peuvent également s’avérer formateurs, faisant converger les regards dans la même direction : la plus simple, la plus accessible et surtout la plus rentable. Ainsi, comment se cultive-t-on à l’ère d’internet ?