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MARTIN Caroline Professeur des écoles stagiaire La place du jeu dans l’enseignement des mathématiques Année 2004 Directrice de mémoire : F. Godinat Numéro de dossier : 0160578S

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MARTIN Caroline Professeur des écoles stagiaire

La place du jeu

dans l’enseignement des mathématiques

Année 2004 Directrice de mémoire : F. Godinat Numéro de dossier : 0160578S

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Sommaire

Introduction. page 1

I. Le jeu et l’enfant page 2

1. Définitions du jeu page 2

2. Le jeu enfantin page 3

3. Les apports du jeu page 4

II. Le jeu à l’école page 5

1. Place du jeu dans les instructions officielles page 5

2. Le jeu dans l’enseignement des mathématiques page 6

III. Le jeu, une activité motivante en début d’apprentissage page 8

1. Le jeu de la bataille page 8

2. Bilan page 13

3. Le jeu des voyageurs page 15

4. Bilan page 18

5. L’impact du jeu sur la motivation page 20

6. A quel moment d’une séquence peut-on utiliser le jeu ? page 22

IV. Le jeu en milieu d’apprentissage page 24

1. Le jeu du tangram page 24

2. Bilan page 28

V. Le jeu, un outil d’évaluation en fin d’apprentissage ? page 30

1. Le loto des formes géométriques page 30

2. Bilan page 32

VI. Peut-on tout apprendre grâce au jeu ? page 34

1. Les types de jeux présents à l’école page 34

2. La pédagogie du jeu page 35

Conclusion page 38

Bibliographie page 40

Annexes page 41

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Introduction

Ayant suivi des études de mathématiques, je souhaitais faire découvrir et apprécier cette discipline aux enfants. Partant du constat que les mathématiques étaient souvent perçues comme une matière difficile et même rébarbative pour certains, je voulais montrer à mes élèves qu’on pouvait prendre du plaisir à résoudre exercices et autres problèmes. Pour cela, il me fallait proposer aux enfants des situations riches et motivantes.

Les apprentissages mathématiques se construisant dès l’école maternelle, je devais mettre en place des activités ayant du sens, même pour les plus jeunes enfants. Evidemment, mon but n’était pas de donner aux élèves un savoir mathématique formel, mais plutôt de leur proposer de multiples situations d’action leur permettant d’acquérir, à leur rythme, des connaissances logiques et mathématiques. Effectuant mon stage tutelle en grande section de maternelle, j’ai vite compris qu’à cet âge, les savoirs mathématiques se construisaient principalement par l’action et la manipulation. J’ai constaté, de plus, que la contextualisation d’une situation d’apprentissage favorisait l’élaboration d’une représentation du problème et permettait au jeune enfant de s’investir plus facilement dans son travail. Une approche ludique pouvait donc probablement aider l’élève à s’approprier plus facilement un problème. C’est ainsi que m’est venue l’idée d’utiliser le jeu à l’école.

Outre ses vertus socialisantes, le jeu, activité propre à l’enfance, allie plaisir et action. Les élèves s’y adonnent de façon volontaire et motivée. Répondant à un besoin, il reste, comme le soulignent les instructions officielles, « l’activité normale de l’enfant ». Le jeu me semblait donc être un outil pédagogique susceptible de répondre à mes attentes. Le sérieux avec lequel les enfants s’engagent dans cette activité et le plaisir qu’ils en retirent, m’ont alors conduit à m’interroger sur la place du jeu à l’école, en particulier dans l’enseignement des mathématiques.

L’utilisation de jeux peut-elle favoriser la construction de savoirs mathématiques ? Si tel est le cas, à quel moment d’une séquence d’apprentissage peut-on introduire le jeu ?

Pour apporter quelques éléments de réponses à ces questions, je commencerai par analyser les apports du jeu tant au niveau social, qu’au niveau des apprentissages. Deux jeux, mis en œuvre en début de séquence seront analysés et nous permettront de réfléchir sur l’importance de la motivation dans les apprentissages. Tout en continuant de montrer l’utilité du jeu dans la construction de notions mathématiques, j’essaierai de répondre à ma deuxième question en analysant deux autres jeux, conduits cette fois-ci en milieu et en fin d’apprentissage. Enfin, je terminerai par l’étude plus théorique de la pédagogie du jeu et de ses éventuelles limites.

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I. Le jeu et l’enfant

1. Définitions du jeu

Pour mieux comprendre ce que l’on entend par le mot jeu, examinons les différentes définitions que l’on peut trouver dans la littérature.

Le terme « jeu » vient du latin « jocus », qui signifie rire et bruit. Le Larousse, reprend

d’ailleurs cette idée de joie et de plaisir, en définissant le jeu comme « une activité physique ou intellectuelle, non imposée, gratuite, à laquelle l’enfant s’adonne pour se divertir et en tirer du plaisir. ».

Dans son livre Homo ludens, Johan Huizinga, historien néerlandais, précise que le jeu est « une action ou activité volontaire, accomplie dans certaines limites fixées de temps et de lieu, suivant une règle librement consentie mais complètement impérieuse, pourvue d’une fin en soi, accompagnée d’un sentiment de tension ou de joie, et d’une conscience d’être autrement que dans la vie courante ».

Pour l’écrivain et anthropologue français Roger Caillois, le jeu est une activité : • Libre, non contrainte. • Séparée : c'est-à-dire, circonscrite dans des limites d’espace et de temps fixées à

l’avance. • Incertaine : le déroulement n’est pas déterminé à l’avance. • Improductive : aboutissant à une situation identique à celle du début, ne créant ni

bien, ni élément nouveau d’aucune sorte. • Réglée : soumise à des conventions précises. • Fictive.

Toutes ces définitions s’accordent sur le fait que le jeu est une activité libre. En effet, il n’y a jeu que si le participant accepte d’y entrer et, à tout moment, il peut choisir de le quitter. Néanmoins, elles comportent des aspects très contradictoires. Pourvu d’une fin en soi, selon Johan Huizinga, le jeu est défini par Roger Caillois comme une activité improductive. Le problème de la définition du jeu est sans nul doute dû à la polysémie de ce mot. Selon le type de jeux auquel on prend part, on retrouve plus ou moins les caractéristiques évoquées.

Les situations d’apprentissage que je propose aux enfants sont-elles réellement des jeux,

au sens où l’entendent les théoriciens ? C’est l’une des premières questions que je me suis posée lors de l’élaboration de mes séances. Force m’a été de constater que je ne pouvais pas respecter absolument toutes les caractéristiques du jeu si je voulais l’utiliser en classe pour aider les enfants à construire leurs savoirs mathématiques.

Pour illustrer ce propos, revenons donc sur quelques termes contenus dans l’une ou l’autre de ces définitions qualifiant le jeu. « Le jeu est une activité libre, non contrainte ». Si je propose un jeu à mes élèves, cette activité ne peut être considérée comme libre, au sens où l’entend R. Caillois, puisque je la leur impose. Le jeu n’a pas été choisi par les joueurs eux-mêmes, mais par l’enseignant. Qui plus est, il n’est pas choisi par hasard, mais répond à des objectifs pédagogiques précis. En cela, on ne peut comme R. Caillois, considérer le jeu comme une activité improductive, aboutissant à une situation identique à celle du début de la partie. Si je retiens cette caractéristique, je ne peux envisager le jeu comme une situation d’apprentissage dans laquelle les savoirs des élèves seraient censés évoluer.

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Alors plutôt que d’essayer de donner une définition exhaustive du jeu, mieux vaut

garder à l’esprit toutes les caractéristiques de cette activité, rencontrées à travers ces définitions. Elles constitueront donc des critères qui me permettront d’apprécier la part de ludisme des situations d’apprentissage proposées.

2. Le jeu enfantin.

Personne ne saurait imaginer un enfant qui ne joue pas. L’enfant joue très tôt et le jeu est indispensable à son développement. Les psychologues et autres spécialistes ont très vite constaté que les intérêts ludiques de l’enfant évoluent avec son âge. En fonction de l’évolution de ses capacités, Jean Piaget distingue trois grandes catégories de jeux, se développant à différents âges et qui caractérisent chacune un stade de développement cognitif acquis par l’enfant :

• 1er stade : les jeux d’exercices (entre 0 et 2 ans)

Ce sont des activités sensori-motrices produisant un résultat immédiat que le tout-petit répète sans se lasser. Par exemple, laisser tomber un jouet plusieurs fois. Vers neuf mois, il commence à distinguer moyen et but. L’enfant évolue par tâtonnement et mène des expériences nouvelles. Il coordonne peu à peu ses perceptions sensorielles et ses mouvements. Ses jeux restent assez solitaires.

• 2ème stade : les jeux symboliques (entre 2 et 5 ans)

Lors de ces jeux, l’enfant élabore des capacités à représenter des objets ou des situations qu’il ne perçoit pas. Le jeu symbolique est très présent à l’école maternelle. Les enfants jouent « au papa et à la maman ». Ils s’attribuent des rôles, simulent des situations de la vie courante. Ces jeux développent l’imaginaire de l’enfant et sont souvent libérateurs de tensions. C’est à ce stade que l’on voit également apparaître les jeux de mime. L’enfant imite le monde extérieur et tente ainsi de mieux le comprendre.

• 3ème stade : les jeux de règles (à partir de 5 ans)

L’enfant, au stade des jeux symboliques, possède une pensée égocentrique : il ne distingue pas son point de vue de celui des autres. Vers l’âge de cinq ans, il commence, petit à petit, à prendre en compte la présence des autres dans sa vie et dans ses jeux. Dès lors qu’il possède un ou plusieurs partenaires de jeu, apparaît la règle du jeu. Les joueurs l’élaborent ensemble et chacun doit la respecter. C’est le début de la socialisation. Le jeu de règles est « l’activité ludique de l’être socialisé », comme le précisent P. Ferran, F. Marriet, L. Porcher, dans leur livre A l’école du jeu. Il marque l’affaiblissement du jeu enfantin et le passage au jeu adulte proprement dit.

Les activités ludiques évoluent avec l’âge. En effet, les jeux symboliques disparaissent progressivement au fil des années. Les adultes, hormis les acteurs, ne pratiquent plus ce type de jeux. Par contre, le jeu de règles reste très apprécié. On le retrouve lors de la pratique de sport, de jeux de cartes…

La classification de Jean Piaget permet de mieux comprendre l’évolution du jeu chez

l’enfant. Cette théorie explique ainsi le comportement individualiste de certains enfants de

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maternelle lors des jeux collectifs. Ces enfants ne sont peut-être pas encore assez matures pour jouer avec les autres.

Bien sûr, cette classification n’est pas complètement figée. Chaque individu se développe à un rythme différent et il ne faudrait pas hâtivement conclure que tous les enfants de cinq ans sont capables de jouer à un jeu de règles. Néanmoins, l’enseignant qui souhaite utiliser le jeu en classe, ne doit pas négliger ces différents stades et donc le degré de maturation de ces élèves, dans le choix de ses jeux.

3. Les apports du jeu

Pour l’enfant, le jeu est sérieux. Il implique toute sa personne. Jean Chateau déclare : « l’enfant se fait par le jeu et dans ses jeux », affirmant ainsi que le jeu est une activité nécessaire et indispensable au bon développement de l’enfant. Examinons maintenant quelques uns de ces apports.

• Construction de sa personnalité

Par ses jeux, en particulier lors des jeux symboliques, l’enfant exprime ses sentiments et ses émotions. Il se plaît à imiter les activités des adultes, revendiquant ainsi son désir de devenir grand. Il s’identifie totalement au personnage qu’il interprète. Le jeu devient alors libérateur de tensions. L’enfant extériorise ses problèmes et tente de régler ses conflits (avec lui-même, avec ses parents) ou tout du moins de les assumer. Dans ce monde fictif du jeu, l’enfant s’affirme et revendique son autonomie.

• Exploration du monde

L’enfant qui joue, relève des défis et fait face à des expériences nouvelles pour parvenir à son but. Il tâtonne, expérimente et fait appel à ses connaissances, ses compétences pour résoudre les problèmes rencontrés. Il y a donc à la fois exploration du monde et exploration de soi. L’enfant construit petit à petit ses repères. En jouant, il organise à son rythme ses expériences passées et présentes pour en mener de nouvelles.

• Détente et plaisir

Parce qu’il permet la mise entre parenthèses des contraintes de la vie courante, le jeu détend. La détente que l’enfant prend au jeu lui permet donc de récupérer, d’échapper l’espace d’un instant, aux pressions et tensions du quotidien. Le jeu est avant tout un moment privilégié, pendant lequel le joueur éprouve plaisir et joie.

Le plaisir est essentiel à l’activité ludique. Il peut se manifester sous diverses formes.

Commençons par le simple plaisir de faire une activité qui nous plaît, que l’on a choisie librement. Ce plaisir là, ne fatigue ni le corps, ni l’esprit. Lors de jeux collectifs, on éprouve aussi du bonheur à partager ce moment de détente avec les autres… Le plaisir ressenti lorsque l’on joue à un jeu de stratégie est encore différent. Dans ce cas là, le joueur prend plaisir à résoudre le problème auquel il est confronté. Il se surpasse pour trouver la meilleure stratégie, déployant ainsi une certaine somme d’énergie, de concentration pour parvenir à ses fins. C’est le cas par exemple des joueurs d’échecs ou de dames. Enfin, il y a le plaisir de réussir, de gagner. Ce plaisir là donne au vainqueur, durant quelques instants, une haute estime de lui-même.

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• Le jeu développe la socialisation.

Selon P. Ferran, F. Marriet, L. Porcher, dans leur livre A l’école du jeu, « un enfant qui

joue est un enfant qui se socialise ». En effet, le jeu offre la possibilité à l’enfant d’entrer en relation avec les autres. Les autres, ce sont ses adversaires, mais aussi ses partenaires. Les jeux de face à face permettent la construction de la notion d’adversaire. A cela, vient s’ajouter la notion de partenaire lors des jeux de petits groupes. Dès lors, se développent la collaboration et la coopération. L’enfant doit tenir compte de chacun des joueurs et prendre conscience qu’il se situe par rapport à eux. Telle est la socialisation. Ces jeux collectifs permettent donc de faire comprendre à l’enfant qu’un individu n’existe pas sans un groupe et inversement.

Jouer avec ou contre les autres, c’est respecter les règles que l’on a élaborées ensemble. Ne pas suivre la règle est synonyme de tricherie et entraîne l’exclusion du tricheur. Celui qui respecte les règles, accepte ainsi de s’intégrer à un groupe. Les jeux collectifs préparent donc progressivement l’enfant à la vie en société.

L’enfant apprend donc dans le jeu une part importante des attitudes indispensables pour le travail. L’expérimentation, le sens de l’observation, mais aussi le respect des autres et le contrôle de soi, sont des notions incontournables dont le jeu permet la mise en œuvre. Son utilisation à l’école permettrait donc de transposer les valeurs apprises ou consolidées par le jeu dans le travail scolaire. Une question se pose alors : pourquoi ne pas se servir du jeu à l’école en tant qu’outil pédagogique ? II. Le jeu à l’école

Comme nous venons de le voir, le jeu est au centre de l’activité enfantine et on ne doute plus de son utilité dans le développement de l’enfant. Cependant, avant d’envisager son utilisation à l’école, il est indispensable de préciser la place que lui réservent les programmes de l’école primaire.

1. Place du jeu dans les instructions officielles

• A l’école maternelle

Le jeu tient une place de choix dans l’école maternelle française. Contrairement aux idées reçues, il s’agit d’un fait relativement récent. Il est intéressant de rappeler que le jeu n’avait pas le droit de cité dans les salles d’asile du siècle dernier. Ce n’est que sous l’influence de Pauline Kergomard en 1886, qu’il commence à être reconnu comme important dans le développement des tout-petits : « Le jeu c’est le travail de l’enfant, c’est son métier, c’est sa vie ». Depuis cette époque, de nombreuses recherches ont été réalisées sur le thème du jeu. Elles ont montré ses effets bénéfiques dans le développement des enfants. Progressivement, les pédagogues se sont donc interrogés sur la place du jeu à l’école.

Les instructions officielles de 2002 réaffirment l’importance du jeu dans le développement de l’enfant, en précisant que le jeu est «l’activité normale de l’enfant ». Elles reconnaissent au jeu une valeur éducative incontestable : « Il conduit à une multiplicité d’expériences sensorielles, motrices, affectives, intellectuelles… Il est le point de départ de

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nombreuses situations didactiques proposées par l’enseignant. Il se prolonge vers des apprentissages, qui pour être plus structurés, n’en demeurent pas moins ludiques ».

Voici quelques exemples de jeux explicitement cités dans les programmes de l’école maternelle :

� Le langage au cœur des apprentissages : « Jeux de lecture, jeux chantés, jeux de rimes permettront aux enfants de prendre conscience des réalités sonores de la langue.»

� Vivre ensemble : « On incitera les enfants à identifier, comparer les attitudes adoptées lors d’un jeu collectif. Le jeu sera une situation privilégiée pour renforcer la cohésion du groupe.»

� Agir et s’exprimer avec son corps : « Les jeux collectifs, d’opposition ou traditionnels tiendront une place importante dans ce domaine.»

� Découvrir le monde : « L’enfant expérimentera de nouvelles actions lors de jeux de construction, montages ou démontages.»

� La sensibilité, l’imagination, la création : « Jeux avec la matière, jeux d’exploration et de tâtonnement, jeux vocaux, jeux dansés...»

• A l’école élémentaire :

Les nouveaux programmes de l’école maternelle de 2002 sont explicites : « c’est par le jeu et l’action que l’enfant construit ses apprentissages fondamentaux ». Cependant, force est de constater, que le jeu apparaît moins nettement dans les instructions officielles de l’école élémentaire. Exception faite des jeux traditionnels dans le domaine « agir et s’exprimer avec son corps », et de quelques jeux vocaux visant à prendre conscience des réalités sonores d’une langue, natale ou étrangère, le jeu est peu évoqué. Toutefois, le terme de jeu est mentionné plusieurs fois dans le domaine des mathématiques. Il me faut maintenant trouver dans les programmes des éléments de réponse aux questions suivantes : l’utilisation de jeu favorise-elle l’apprentissage des mathématiques? Si tel est le cas, à quel moment d’une séquence d’apprentissage l’enseignant peut-il proposer des jeux ?

2. Le jeu dans l’enseignement des mathématiques

Pour des raisons de clarté, je développerai les intérêts mathématiques des jeux selon deux axes : l’un méthodologique, dans le sens où il favorise la résolution de problèmes et l’autre plus notionnel, c'est-à-dire mettant en évidence les contenus sous-jacents.

• La résolution de problèmes

L’enseignement des mathématiques consiste à développer les capacités des enfants à chercher, raisonner, prouver et abstraire. Pour cela, le jeu me semble être un outil tout à fait approprié. En effet, chacun sait que l’abstraction est difficile pour un enfant. Avant d’accéder à cette phase, l’enfant a besoin de manipuler pour appréhender le problème auquel il est confronté. Le jeu peut alors être proposé lors de cette phase d’appréhension d’une notion. De plus, il place les enfants en situation de communication, favorisant ainsi les échanges à propos des raisonnements et surtout leurs justifications.

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La résolution de problèmes, réaffirmée par les instructions officielles de 2002, doit être

au centre des activités mathématiques. La tendance actuelle, basée sur la théorie socio-constructiviste, consiste à rendre l’élève acteur de ses apprentissages. L’enfant confronté à un problème, est placé en situation de recherche active. Il tâtonne, expérimente, construit de nouveaux savoirs, tout en faisant évoluer ses conceptions initiales. A ce propos, les nouveaux programmes sont explicites : « les situations sur lesquelles portent les problèmes posés peuvent être issues de la vie courante ou de jeux. ». Une situation-problème peut donc être proposée sous la forme d’un jeu.

Plus simplement, un nouveau jeu est source de situations-problèmes au moment de sa présentation. La découverte d’un nouveau matériel, la recherche des possibles règles du jeu sont déjà de véritables obstacles à surmonter pour les enfants. Puis, lors du déroulement du jeu, les problèmes résident dans l’enchaînement des opérations à effectuer. Prenons l’exemple du jeu de cartes : l’enfant doit identifier la constellation, la dénombrer pour la nommer, établir une relation entre la quantité figurée sur la constellation et le nombre écrit sur la carte. Pour nous adultes cela paraît évident, mais lors de ces opérations, l’élève de maternelle fait appel à des savoirs en construction, ce qui lui demande des efforts de concentration. A cet âge, tout est problème pour l’enfant.

Enfin, l’élaboration de stratégies et la recherche de la plus efficace sont au cœur même de la résolution de problèmes. L’enfant développe ainsi des capacités d’anticipation, compétences explicitement citées dans les instructions officielles : « On privilégie les problèmes où les enfants sont placés en situation d’anticiper une réponse qu’ils pourront ainsi vérifier expérimentalement. ».

• L’intérêt notionnel

Outre la résolution de problèmes qu’il engendre, le jeu peut aussi permettre la construction de notions mathématiques. Prenons l’exemple de la bataille. Ce jeu fait appel à plusieurs compétences numériques. D’un point de vue cardinal, l’enfant doit être capable de dénombrer correctement une quantité et de la comparer à une autre. D’un point de vue ordinal, il travaille ainsi l’ordre des nombres, la comparaison des entiers et leur rangement et bien sûr la désignation orale et écrite des nombres. Ces notions sont loin d’être stabilisées chez le jeune enfant et le jeu de la bataille sera donc l’occasion de les mettre en œuvre de façon ludique.

On ne peut parler d’ordre dans l’acquisition de ces notions, même s’il paraît évident que la connaissance de la désignation orale et écrite des nombres facilitera l’accès aux autres. La pratique d’un jeu favorise donc la mise en œuvre et le réinvestissement de nombreuses connaissances. C’est pourquoi j’ai choisi de ne développer dans les jeux que je proposerai, que les principales compétences auxquelles je souhaitais faire accéder les enfants, tout en gardant à l’esprit que de nombreuses notions sous-jacentes favoriseront la construction de celles-ci.

A travers tout ce qui vient d’être dit, il paraît évident que le jeu dans l’enseignement des mathématiques peut être considéré autrement que comme un simple divertissement pratiqué le dernier jour avant les vacances. J’ai expérimenté le jeu en début d’une séquence d’apprentissage. Ma première expérimentation consistait à utiliser le jeu de la bataille comme situation déclenchante, motivant ainsi l’approche de la notion de comparaison de nombres. Dans un deuxième temps, j’ai choisi de proposer une situation-problème sous forme de jeu, à mes élèves de grande section, pour les aider à comprendre l’utilité du dénombrement, et leur permettre ainsi de donner du sens à l’utilisation des nombres.

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III. Le jeu, une activité motivante en début d’apprentissage

1. Jeu de la bataille

Dans le cadre de mon premier stage en responsabilité, j’ai expérimenté le jeu de bataille avec des élèves de grande section de maternelle afin d’aborder la comparaison de deux collections. Mon objectif était de leur faire comprendre la notion « plus ou moins que ». Comme je débutais une séquence d’apprentissage, j’ai d’abord observé les procédures mises en oeuvre par les enfants pour résoudre des problèmes de comparaison. Il s’agissait ensuite de faire évoluer ces procédures vers une procédure experte : la comparaison des cardinaux des deux collections. Mon but étant de leur montrer que comparer deux collections revenait en fait à comparer leurs cardinaux.

• Pré requis

Avant cette séquence, il m’a paru nécessaire d’évaluer les connaissances des élèves en matière de numération. La comptine numérique est récitée jusqu’à quinze par la plupart des enfants sans erreur. Il m’a fallu vérifier la maîtrise du dénombrement par chaque enfant. Les enfants ont eu à compter les points que possédaient des coccinelles sur leur dos. Suite à cet exercice, il est apparu que trois quarts des enfants dénombraient au moins jusqu’à sept. Les autres présentaient plus de difficultés.

Il est important de souligner le fait que depuis le début de l’année scolaire, les enfants construisent progressivement leur propre bande numérique. Ils n’hésitent pas à s’y référer dès qu’ils ont besoin de connaître l’écriture chiffrée d’un nombre. Une frise numérique allant jusqu’à trente est également affichée au coin regroupement. Elle est souvent utilisée lors des rituels pour trouver l’écriture chiffrée du nombre correspondant au numéro du jour.

a) Séance 1 : présentation et jeu en collectif

A l’issue de cette première séance, je voulais que les enfants soient capables de trouver une procédure personnelle pour résoudre un problème de comparaison.

Le travail en atelier m’a permis de constituer des petits groupes d’enfants. Les quatre joueurs disposaient d’un jeu de cinquante-deux cartes auquel j’avais retiré les figures. En effet, l’objectif de cette séquence étant la comparaison de collections, les cartes habillées, qui ne possèdent pas de valeur chiffrée, n’avaient pas lieu d’être présentes. La comparaison d’une carte de valeur inférieure ou égale à dix et d’une figure, ou de deux figures, ne se résout pas par une procédure mathématique, mais simplement par un résultat que doit mémoriser chaque joueur de cartes : le valet a une valeur inférieure à celle de la dame qui, elle même a une valeur inférieure à celle du roi. Bien sûr, je dénaturais déjà le jeu de la bataille en retirant les valets, les dames et les rois, mais il ne fallait pas oublier l’objectif d’apprentissage auquel les enfants devaient aboutir.

Nous nous sommes installés au coin regroupement pour être plus à l’aise pour jouer. Les enfants avaient besoin d’être assez proches les uns des autres pour pouvoir comparer leurs cartes. Si je les avais installé assis autour d’une table de quatre, le centre de la table aurait été difficile d’accès et les enfants auraient été obligés de jouer debout pour mieux voir, ce qui n’est pas la position idéale pour jouer à ce genre de jeu ou pour avoir une réflexion. Sans parler des problèmes de bousculade que cela aurait pu engendrer!

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Au coin regroupement, les enfants, assis en tailleur, n’étaient pas obligés de bouger pour

poser leurs cartes ou pour les comparer, ce qui a permis d’éviter les déplacements inutiles. Cette proximité des élèves et de la maîtresse, a favorisé l’écoute et l’attention. De plus, cet espace de la classe instaure tout de suite un climat plus convivial et chaleureux. Déroulement

• Découverte du matériel

Je place le jeu de cartes au centre du petit cercle formé par les joueurs. Les enfants observent les cartes et ressentent alors le besoin de les toucher. Ils découvrent le matériel et petit à petit se l’approprient en le manipulant. Cette phase est très importante pour les enfants. Elle est d’autant plus longue que l’enfant est jeune. Dans notre cas, elle n’a duré que quelques minutes. Les enfants avaient tous déjà vu et joué avec un jeu de cartes, ce qui a écourté ce temps de découverte du matériel. Rapidement, les enfants constatent que les cartes habillées ont été retirées du jeu. Je leur explique alors qu’il est plus facile de jouer sans les figures pour commencer. J’admets que je n’étais pas tout à fait sincère vis-à-vis des enfants. Bien sûr, le fait d’enlever les figures évitait les problèmes de comparaison des figures, liés à la mémorisation de l’ordre et des valeurs des cartes et simplifiait ainsi le jeu. Mais surtout les problèmes de comparaison de cartes conduiraient les enfants à mettre en œuvre des procédés de résolution mathématique, ce qui était mon but.

Passées les premières remarques sur les couleurs, les enfants commencent à s’intéresser à la valeur des cartes. Certains reconnaissent immédiatement l’écriture chiffrée du nombre inscrit sur la carte, en particulier pour les plus petits nombres. Pour les cartes de 7 à 10, les élèves examinent la constellation, dénombrent les motifs (cœurs, carreaux…) présents sur leurs cartes et vérifient ainsi la correspondance avec l’écriture chiffrée.

• Présentation du jeu « Ce matin, nous allons jouer à la bataille. Est-ce que l’un d’entre vous connaît ce jeu ? »

Léa a déjà joué à la bataille avec son père. Je lui propose donc d’expliquer les règles du jeu à ses camarades. « On a des cartes, on les retourne et celui qui a la plus forte gagne ». Après lui avoir posé des questions permettant d’enrichir ses explications, je demande aux enfants la signification de « carte la plus forte ». Voici les réponses des enfants :

- « c’est celle qui gagne. » - « c’est celle qui a le plus de dessins. » - « c’est celle qui a le plus grand nombre. »

L’analyse de ces réponses laisse à penser que les procédures de comparaison vont être variées. Certains semblent attacher plus d’importance à l’écriture chiffrée des nombres alors que d’autres observent plutôt la constellation de la carte.

Je reformule alors la règle du jeu, en précisant qu’elle diffère un peu de la règle classique : « Je distribue à chacun d’entre vous dix cartes. Chacun place son tas de cartes devant lui sans les retourner. J’appelle deux enfants. Ces deux enfants retournent la carte placée au dessus de leur paquet. Celui ou celle qui a la carte la plus forte, gagne les deux cartes et les place à côté de lui. Le jeu s’arrêtera lorsque tous les joueurs auront retourné leurs cartes. »

Dès lors se pose le premier problème. Un enfant annonce qu’il gagnera forcément s’il possède l’as. Un autre n’est pas d’accord et précise que l’as est la carte la moins forte. Je précise alors que, dans notre cas, l’as sera la carte la moins forte. Le jeu commence.

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Analyse mathématique du déroulement du jeu

• Procédures utilisées pour reconnaître la valeur d’une carte

Pour les cartes de valeur inférieure ou égale à 7, beaucoup identifient immédiatement la valeur de la carte par simple lecture du nombre. Les élèves avaient étudié au cours du premier trimestre les chiffres de 1 à 7 et les reconnaissaient sans trop de difficulté. En ce qui concerne les cartes 8, 9 et 10, la plupart des élèves utilisent une procédure de dénombrement pour déterminer la valeur de ces cartes.

• Procédures utilisées par les enfants pour déterminer la carte gagnante

Comme prévu, des procédures de résolution très différentes les unes des autres, sont mises en oeuvre lors de la comparaison des deux cartes :

Tamara et Eponine, comptent le nombre de motifs représentés sur chaque carte. Tamara dénombre à l’aide de son doigt en touchant les cartes alors qu’Eponine compte en pointant les cartes à distance.

Eponine explique que la carte qui possède le plus de « dessins » est la carte la plus forte. Elle réussit même à nous dire pour des nombres proches, des phrases du type « il y en a un ou deux de plus sur cette carte.». Quant à Tamara, elle dénombre chaque collection mais est incapable de dire celle qui possède le plus grand nombre d’éléments. Peut-être n’a-t-elle pas encore saisi la notion « de carte la plus forte » ? Comme elle utilise le dénombrement, je reformule donc les propos de sa camarade et lui demande de me donner celle qui a le plus de dessins. Elle hésite encore beaucoup dans son choix.

Selon Alexis, il est simple de comparer 2 et 7, 1 et 5. Il nous indique la carte, où précise-t-il, il « voit le plus de motifs ». Dans ces cas-là, il n’a pas besoin de dénombrer pour désigner la carte gagnante. La comparaison des nombres 4 et 5 ou 7 et 9 semble lui poser plus de problèmes. Dès que l’écart entre les nombres se restreint, il recourt au dénombrement pour vérifier son affirmation. Sa procédure initiale, basée sur une perception globale de la carte, ne lui paraît pas totalement efficace puisqu’il utilise parfois le dénombrement.

Il est intéressant de noter que l’observation de la configuration des cartes fait elle aussi partie des moyens employés par les enfants pour la comparaison de deux cartes. Une élève doit comparer le 4 de pique et le 5 de carreau : elle a remarqué que les quatre cœurs et les quatre piques étaient disposés de la même façon à chaque coin de la carte, sauf que le 5 de carreau possédait un motif de plus, placé au centre de la carte. Elle en a déduit celle qui possédait le plus d’éléments et par conséquent la carte gagnante. Dans ce cas-là, l’enfant met en œuvre des compétences spatiales et non plus numériques. Peut-être, utilise-t-elle, une procédure de correspondance paquet par paquet ou terme à terme ? De par ses propos, il était difficile de dire quelle procédure elle utilisait.

Léa est confrontée au problème de la comparaison du 4 de cœur et du 6 de trèfle. Elle explique qu’elle regarde les chiffres des deux cartes. Ensuite, elle se demande « si 4 est avant ou après 6. S’il est avant, c’est le 6 de trèfle qui est la carte la plus forte sinon c’est le 4 de cœur.». Je lui demande alors comment faire pour savoir si 4 est avant ou après 6. Elle se met alors à réciter la comptine numérique et donne la réponse exacte. Cette enfant a utilisé cette procédure tout au long de la partie. A aucun moment, elle n’a eu besoin de recourir au dénombrement.

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Récapitulons les différentes procédures utilisées par les enfants :

• Procédures qui évitent le nombre : Estimation visuelle des quantités tenant compte de la disposition spatiale de la quantité à dénombrer.

• Procédures qui utilisent plus ou moins explicitement le recours au nombre : - Reconnaissance immédiate de la quantité pour les plus petits nombres, appelée subitizing. - Utilisation du dénombrement. - Utilisation de la comptine numérique : en utilisant le fait que, si en dénombrant une collection on dépasse le cardinal d’une autre collection, cette collection est plus grande.

• Procédures utilisant des connaissances sur les nombres : - Utilisation de résultats mémorisés. - Reconnaissance de l’écriture chiffrée des nombres. Analyse du jeu

Les enfants s’investissent immédiatement dans l’activité, motivés par le fait de faire un jeu pendant un atelier de mathématiques. Les joueurs attendent patiemment leur tour et la règle qui consiste à ne retourner sa carte que lorsque l’on entend son prénom, est bien respectée. Les règles du jeu ont été rapidement assimilées. Très vite, les enfants ont été confrontés au problème de la comparaison de deux cartes de même valeur. Déstabilisés, ils se sentaient obligés de désigner une carte gagnante et une seule. Ils comprenaient pourtant que les deux cartes étaient de même valeur. Ceci peut s’expliquer par le fait que, dans un jeu, il n’y a pas deux gagnants mais un seul. Dans la règle du jeu, ce cas n’avait pas été envisagé, ce qui a un peu perturbé les enfants lors de la première confrontation à ce problème. Il a donc fallu que j’explique, en cours de jeu, la règle classique de la bataille : « lorsque les deux cartes sont de même valeur, on dit bataille et les deux joueurs replacent chacun une carte. Celui qui a la plus forte, gagne les quatre cartes. ».

Le temps consacré à cet atelier étant épuisé, il m’a fallu interrompre la partie. Les enfants ont compté leurs cartes pour savoir qui en avait gagné le plus. Deux enfants avaient le même nombre de cartes. Cela a donc suscité différentes réactions pour savoir qui était le gagnant. Certains pensaient que les deux enfants avaient gagné et d’autres ont déclaré qu’il n’y avait pas de gagnant. Ils se sont alors mis d’accord et ont convenus que les deux enfants avaient gagné. Avec du recul, je pense que j’aurais pu parler d’ex-aequo, expliquant aux enfants qu’il y avait deux premiers ex-aequo mais pas de deuxième. Cette notion, très intéressante et fréquemment rencontrée lors de jeux, aurait pu être récapitulée par la trace écrite suivante :

1er ex-aequo : Léa et Alexis 3ème : Eponine 4ème : Tamara

Lors de cette séance, j’ai tenté au maximum de faire verbaliser les enfants à propos des

procédures qu’ils mettaient en œuvre pour résoudre le problème de la carte la plus forte. Pour eux, ce n’est pas toujours facile à expliquer.

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Cependant, de nombreuses procédures de résolution sont apparues et j’ai pu observer

celle utilisée par chaque enfant. J’ai délibérément choisi de ne pas les faire jouer directement en un contre un. En effet, certains enfants n’avaient jamais joué à ce jeu. J’ai alors pensé que le fait d’y jouer ensemble avec la maîtresse les rassurerait. Pour ma part, j’ai ainsi pu vérifier que les règles du jeu étaient assimilées par tous.

b) Séance 2 : réinvestissement des procédures

Lors de cette séance, je voulais observer la capacité des enfants à réinvestir des procédures de comparaison et à mettre en oeuvre de nouvelles procédures utilisées la veille par leurs camarades. Les enfants disposent du même matériel que lors de la séance précédente. L’atelier est composé de six enfants. Ayant choisi cette fois-ci de faire jouer les enfants l’un contre l’autre, chaque binôme disposait de sa propre table de jeu. Déroulement

Je commence par interroger les élèves sur la séance précédente. Je constate avec plaisir qu’ils se rappellent bien des règles du jeu. Je demande aux élèves de se mettre par deux et précise la nouvelle règle du jeu, plus proche cette fois du véritable jeu de bataille : « Les deux joueurs retournent leur carte et essaient ensemble de trouver la carte gagnante. Le joueur qui possède la carte gagnante ramasse les deux cartes et les place sous son tas. Le gagnant est celui qui a ramassé toutes les cartes de son adversaire ». Analyse du jeu

Au cours de cette séance, j’ai pu constater que certains mettaient en œuvre des procédures différentes de celles qu’ils employaient lors de la première séance. En particulier, Tamara qui avait beaucoup de mal à dénombrer essaie maintenant d’étudier les configurations des cartes. Elle s’engage ainsi dans une nouvelle méthode de résolution, proposée par son adversaire. Dans ce cas présent, l’adversaire est alors devenu partenaire.

On observe de nouveaux comportements, liés au fait que les enfants jouent en face à face sans la maîtresse. Dans un groupe, l’un des deux enfants était extrêmement rapide alors que son adversaire avait plus de difficultés. Le premier lui donnait la réponse et prenait rapidement les cartes qu’il mettait sous son tas ou qu’il donnait à l’autre joueur, qui n’avait pas le temps de réagir et subissait le jeu. Dans ce cas-là, il est important que l’enseignant intervienne pour rappeler les règles, soutenir l’élève en difficulté. Il ne faut pas non plus oublier l’élève rapide mais peut-être le responsabiliser, en lui demandant d’expliquer à son adversaire ses procédés de résolution.

J’avais volontairement laissé les enfants choisir leur adversaire, pour ne pas dénaturer le

côté ludique. Cependant, on s’aperçoit vite qu’il serait plus judicieux d’imposer les partenaires de jeu, pour faire évoluer les enfants dans leurs apprentissages. J’ai alors proposé aux élèves de faire un mini tournoi. Pour éviter que les parties ne soient trop longues, chaque enfant ne disposait que de six cartes. Toutes les parties ont ainsi pu être terminées sans être interrompues par le temps. Les enfants changeaient d’adversaire à chaque partie. Les élèves ont ainsi pu jouer les uns contre les autres. Cela a favorisé les échanges et les moments d’explication, de confrontation sont devenus de véritables moments de communication.

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De plus, le fait de changer régulièrement de partenaire leur a permis d’observer et

d’expérimenter d’autres méthodes de résolution. Même si cette faculté est difficilement évaluable.

c) Séance 3 : évaluation

A l’issue de ce travail, je voulais voir si les enfants étaient capables de donner le résultat d’une comparaison de deux quantités. L’objectif de la séance était l’évaluation de cette compétence. Déroulement

Après avoir fait jouer tous les enfants de grande section à la bataille, je leur ai proposé cette fois-ci, un travail sur fiche à propos de ce jeu (voir annexe 1). Chaque image est composée de deux cartes. L’élève doit colorier la carte la plus forte. Au préalable, j’ai demandé aux enfants de me rappeler la signification de « carte la plus forte ». Résultats

Les résultats sont concluants. Sur les quatorze enfants de grande section, seulement deux élèves ont fait des erreurs. Léa, la petite fille qui se basait surtout sur l’écriture chiffrée des nombres et la récitation de la comptine numérique, semblait quelque peu perturbée. Elle était contrainte de changer sa procédure. Elle a tout de même réussi son travail. Tamara qui présentait déjà des difficultés à dénombrer a encore fait beaucoup d’erreurs. Analyse

Dans cette évaluation, j’avais choisi de ne pas indiquer la valeur de la carte. Seule la constellation était dessinée. Cela obligeait alors les élèves à utiliser une procédure de dénombrement ou de correspondance paquet par paquet. De plus, en choisissant des cartes de valeurs proches, j’évitais les procédures visuelles basées sur la reconnaissance immédiate de la quantité la plus importante. Après réflexion, il me semble que j’aurais pu donner plusieurs couples de cartes avec la constellation et l’écriture chiffrée. Léa aurait ainsi pu réinvestir sa procédure de résolution qui, dans ce cas-là, était la plus appropriée. Plusieurs procédés auraient alors été possibles : certains faisant appel à la notion de dénombrement et d’autres relevant plus d’une procédure ordinale.

2. Bilan

Les enfants ont pris plaisir à jouer à la bataille pendant un atelier de mathématiques. Ils avaient, semble-t-il, déjà manipulé des cartes. De ce fait, l’assimilation des règles du jeu a donc été rapide. Les élèves ont joué trois fois à ce jeu, ce qui aurait pu leur paraître un peu long et répétitif, mais le fait d’alterner jeu collectif, jeu en face à face et tournoi, a permis d’éviter la lassitude. Ils ont tout particulièrement apprécié le tournoi lors duquel ils ont eu l’occasion de se mesurer les uns aux autres.

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L’objectif mathématique, qui était la compréhension de la notion « plus ou moins que »,

m’a incité à écarter rois, dames et valets. Cependant, il aurait été enrichissant de proposer, au cours de l’une des trois phases de jeu, le jeu de cartes complet. J’aurais ainsi eu l’occasion d’aborder avec les enfants un objectif plus culturel, justifiant « les valeurs » de chaque figure. De plus, le fait de retirer les figures dénaturait le jeu de cartes traditionnel. Malgré tout, cela n’a pas trop perturbé les enfants.

D’un point de vue mathématique, on peut considérer que les objectifs ont été atteints.

De nombreuses procédures de résolution sont apparues et ont évolué au fil des séances. La notion « plus ou moins que » n’a pas posé beaucoup de problèmes lors de la comparaison de deux cartes. Bien sûr, cette notion est en cours d’apprentissage et d’autres situations doivent être mises en place pour consolider ces acquis. On pourrait réinvestir ce jeu et compliquer la situation en jouant collectivement comme dans la première séance. Cette fois, au lieu de demander à deux élèves de comparer leurs cartes, chaque joueur retournerait la sienne et devrait trouver la plus forte de toutes.

Le jeu de cartes n’est pas forcément adapté pour comparer des quantités. Il incite à deux méthodes : la comparaison des écritures chiffrées des deux nombres, le dénombrement des quantités de chaque carte et la comparaison des deux résultats. D’ailleurs, le problème peut être résolu sans faire appel à la notion de cardinal, seulement par la mémorisation de l’ordre des nombres. Pour éviter le recours à cette dernière procédure, j’aurais pu proposer des cartes où seule la constellation serait dessinée. Toutefois, jouer aux cartes, sans les figures et sans les écritures chiffrées, nous éloigne du jeu traditionnel et place l’élève dans une situation de jeu artificielle.

Certaines procédures de comparaison ne peuvent être mises en oeuvre avec un jeu de cartes. En effet, l’enfant qui utilise la comparaison terme à terme des quantités aura beaucoup de difficulté à appliquer sa procédure, du fait de l’immobilité des quantités à dénombrer. L’enseignant doit donc développer parallèlement à ce jeu d’autres situations qui permettront aux enfants de prendre conscience des différents moyens de comparaison de deux quantités.

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3. Le jeu des voyageurs

Le but essentiel poursuivi auprès des élèves de maternelle, se situe dans la prise de

conscience de l’utilité des nombres. J’ai proposé à mes élèves de grande section le jeu des voyageurs, situation-problème relatée dans le livre Apprentissages numériques, grande section de maternelle de ERMEL, afin de les aider à acquérir ce concept. Par cette activité, je voulais que les enfants prennent conscience du fait que les nombres sont la mémoire de la quantité.

Avant cette séance, il m’a paru indispensable de vérifier quelques compétences numériques. La comptine numérique était récitée au-delà de quinze par tous les élèves. J’ai proposé aux enfants plusieurs exercices de dénombrement : dénombrer des collections, construire des collections à partir d’un nombre donné, extraire un nombre d’objets donné d’une collection… Suite à ces exercices, il est apparu que la majorité des élèves dénombraient au moins jusqu’à sept.

a) Séance 1 Principe et présentation du jeu des voyageurs

J’ai fabriqué moi-même ce jeu. Le matériel, simple et peu onéreux, était constitué d’un couvercle de boîte à chaussures et de personnages legos. Un bus est symbolisé par le couvercle de la boite à chaussures retourné, le fond représentant l’intérieur du bus, sur lequel sont dessinées les places assises du car. Une partie amovible en carton que l’on place à l’extérieur de ce couvercle représente l’arrêt de bus, sur lequel les enfants disposent les personnages qui devront prendre place dans le véhicule. Les voyageurs sont représentés par des personnages legos.

Expliquons maintenant le principe du jeu des voyageurs, tel qu’il a été présenté aux enfants. Je montre aux enfants le couvercle retourné de la boîte à chaussures et la partie amovible. « Ceci représente un bus. Ici, c’est l’arrêt de bus. Ce car doit transporter des enfants à la piscine. Dans ce car, il y a des places déjà occupées par des enfants. Il reste des places libres. Dès que le car sera plein, il pourra partir. ». Je désigne ensuite une boîte dans laquelle se trouvent des personnages legos. « Tu dois aller chercher en une seule fois, juste ce qu’il faut d’enfants pour remplir le car, pas plus, pas moins. Tu les rapportes et tu les places près de l’arrêt de bus. »

Déroulement

L’objectif de cette séance était l’appropriation d’un problème et l’observation des procédures de résolution mises en œuvre par les élèves. Six enfants participent à cet atelier de mathématiques. Lors de ce jeu, j’ai cherché à observer le recours spontané au dénombrement. Par spontané, j’entends le fait que rien dans la consigne n’invite l’enfant à utiliser le dénombrement.

Après avoir laissé un peu de temps aux enfants pour s’approprier le matériel et les consignes, je demande à un enfant d’aller chercher les personnages qui prendront place dans le bus. L’enfant va choisir les personnages dans la boîte, les ramène et les dispose près de

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l’arrêt de bus. Les enfants passent ainsi chacun à leur tour. Bien sûr, n’ayant que six élèves, c’était assez commode et les enfants n’attendaient pas trop leur tour.

Comportement des enfants

Au début de cette activité, les enfants réagissent presque tous de la même façon. Ils ne prennent pas la peine de compter le nombre de places libres et se ruent sur les personnages legos. Ils rapportent généralement le plus de personnages possible, voire la totalité de la boîte.

Au fil des parties, les enfants mettent en œuvre différentes procédures de résolution. Certains essaient d’évaluer globalement le nombre de places libres et ramènent un nombre approximatif de personnages. Quand il y a entre deux et cinq places libres, le joueur ramène généralement un ou deux personnages en trop. Les choses se gâtent quand l’élève doit ramener des quantités plus importantes. Dans ce cas présent, l’estimation visuelle ne fonctionne jamais, du fait je pense, du jeune âge des enfants, et l’écart entre la quantité ramenée et le nombre réel de personnages ne cesse d’augmenter. Les élèves, dans le cas de quantités supérieures à huit, rapportent en général jusqu’à cinq ou six personnages en trop. Pour les petites quantités, de un à trois éléments, les enfants utilisent le subitizing, en particulier si les places libres sont assez proches les unes des autres.

Dès lors que l’enfant se déplace jusqu’à la boîte de personnages, on observe beaucoup de réactions d’hésitation sur le nombre de personnages à prendre. Les enfants semblent un peu désemparés devant cette boîte. On a l’impression que, dès cet instant, l’élève prend conscience du manque de données pour choisir le bon nombre de voyageurs. Certains ont d’ailleurs eu envie de revenir examiner l’intérieur du bus avant de prendre les personnages. Afin de ne pas fausser la situation-problème, je suis intervenue pour les en empêcher.

Les enfants ramènent alors les personnages. Ils sont tentés de les placer directement dans le bus et il m’a fallu leur expliquer que, dans un premier temps, ils devaient les placer sur l’arrêt de bus. C’était l’occasion pour moi d’interroger les enfants sur leurs procédures de résolution et sur les moyens de contrôler leurs réponses. « Que peux-tu faire pour savoir si ta réponse est juste ? ». La majorité des élèves répond qu’on peut mettre les personnages dans le car et regarder s’il reste des bonhommes. Cependant, cette réponse n’a pas semblé si évidente à une élève qui, même après avoir placé les personnages dans le bus et constaté qu’il lui en restait, pensait quand même avoir atteint son but en remplissant le car. La consigne qui précisait qu’il fallait ramener « juste ce qu’il faut de personnages pour remplir le bus » n’avait à priori pas été comprise, en particulier la signification de l’expression « juste ce qu’il faut ».

On constate aussi que c’est au moment où l’enfant dispose ses personnages sur l’arrêt de bus qu’il s’aperçoit de son erreur. Dès lors, on assiste à deux types de comportements : - Dans le premier cas, le plus rare, l’enfant ne prend pas conscience de son erreur et s’aperçoit de celle-ci au moment où il place les personnages sur les places libres. Il constate alors que le bus est plein mais qu’il lui reste des personnages à placer. - Dans le second cas, beaucoup plus fréquent, l’enfant, en disposant les personnages près de l’arrêt de bus et en regardant plus précisément les places non occupées, se rend compte du trop grand nombre de personnages avant même de les placer sur les sièges libres. En effet, à ce moment-là, il a la possibilité d’observer à nouveau l’intérieur du bus. Il peut alors estimer le nombre de places libres et le comparer à la quantité de personnages qu’il possède. L’enfant, à cet instant précis, peut de nouveau utiliser la correspondance terme à terme et s’apercevoir de son erreur.

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Mais même si l’élève semblait constater son erreur, il me paraissait indispensable qu’il

vérifie sa proposition en plaçant les bonhommes dans le car. Ainsi, il confirmait ou infirmait lui-même sa réponse. C’est bel et bien l’enfant qui prend conscience de son erreur et non l’enseignant qui lui indique. A ce moment précis, on pouvait alors proposer à l’enfant de retourner à la boîte pour remettre les voyageurs en trop ou pour aller chercher les personnages manquants.

Au bout de quelques parties, un enfant se met à dénombrer le nombre de places libres dans le bus avant d’aller chercher les personnages, sous les yeux de ses camarades. Dès lors, dénombrer apparaît pour tous comme une méthode efficace, puisque l’enfant réussit à trouver le bon nombre de personnages. Constatant que le dénombrement était concluant, tous les élèves ont par la suite adopté cette méthode. Erreurs rencontrées

Evidemment, on assiste encore à quelques erreurs mais d’un autre ordre :

• Erreurs dues à une difficulté de mémorisation du nombre :

Les enfants dénombrent correctement le nombre de places libres mais hésitent au moment où ils doivent choisir les personnages dans la boîte. L’éloignement de la boîte par rapport au bus est un facteur déterminant de réussite. Plus les personnages sont placés loin du bus, plus l’enfant doit mobiliser des capacités de mémorisation pour retenir le nombre de personnages à aller chercher. Ce qui est loin d’être aisé pour des enfants de cinq ans!

• Erreurs commises en dénombrant le nombre de places libres :

Les enfants se trompent en comptant le nombre de places libres et ramènent donc un nombre inexact de personnages. Ces erreurs, commises en général pour des quantités supérieures à six, résultent d’une maîtrise encore approximative du dénombrement.

• Erreurs commises en dénombrant les personnages à ramener, dues à des difficultés de mémorisation et / ou de dénombrement.

b) Séance 2

Dans la deuxième séance, j’ai joué sur différentes variables didactiques que j’adaptais selon les compétences de chaque enfant, afin de faire évoluer la situation :

J’ai changé de places les personnages legos qui symbolisaient les enfants déjà installés

dans le bus. L’annexe 2 présente les différentes configurations dans lesquelles j’ai placé les personnages. Ceci a entraîné encore quelques erreurs, dues souvent à une observation trop rapide. Des places isolées, auxquelles les enfants n’avaient pas prêté attention, ont conduit à des erreurs de dénombrement.

J’ai varié le nombre de places libres dans le bus, entre deux et dix. Les enfants devaient donc bien maîtrisé le dénombrement et j’ai pu assister à des erreurs dues à une mauvaise connaissance de la comptine numérique ou bien à un problème de cardinalisation de la collection (le dernier mot de la suite numérique énoncé n’était pas gardé comme le cardinal de la collection à dénombrer).

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4. Bilan

J’ai consacré deux séances à ce jeu. A la fin de la deuxième séance, j’ai demandé

individuellement aux enfants de m’expliquer comment faire pour être sûr de réussir cette activité. J’attendais des enfants qu’ils me prononcent les mots « compter » et « autant ». Environ trois élèves sur quatre m’ont dit qu’il n’y avait qu’à compter le nombre de places libres et aller chercher le même nombre de personnages. Mes objectifs étaient donc atteints. Cependant, j’ai encore entendu des phrases du type : « il faut compter les places vides et aller chercher des personnages. ». Certains n’avaient donc pas fait le lien entre le nombre de places libres et le nombre de personnages à aller chercher.

Ce jeu m’a donc permis de repérer les enfants chez qui le recours au dénombrement était assez naturel. Par la suite, je me suis servie de ces données, en particulier des erreurs commises, pour tenter de remédier aux problèmes de dénombrement. J’ai proposé de nouveaux exercices de dénombrement aux enfants qui en avaient encore besoin. Les autres se sont essayés au dénombrement de collections plus importantes et à la création de collections équipotentes.

a) Qu’est ce qui fait de ce jeu une véritable situation-problème ?

Une situation-problème est la donnée d’une question dans une situation plus ou moins mathématisée, débouchant sur un champ de problèmes que les enfants ne pourront résoudre sans l’utilisation d’un nouvel outil mathématique. Des conditions existent pour que cette situation conduise à de nouveaux acquis. Les élèves doivent comprendre aisément les données et s’engager dans une exploration avec leurs connaissances actuelles. Les connaissances qui sont l’objet de l’apprentissage fournissent les outils les mieux adaptés pour leur permettre de résoudre immédiatement le problème.

L’objectif de cette activité était d’amener les enfants à l’utilisation du dénombrement de manière explicite sans qu’ils s’y soient invités. Les élèves ont bien compris la situation présentée et se sont investis immédiatement dans l’activité. L’appropriation du problème est assez délicate : de nombreux enfants pensent qu’ils ont amené juste assez de personnages quand ils en ont assez, c'est-à-dire la plupart du temps trop ! Passée cette phase d’appropriation, ils essaient différentes procédures telles que l’estimation visuelle ou le subitizing. A cet âge, cette dernière procédure n’est efficace que pour de très petites quantités (jusqu’à 3 objets). Quant à l’estimation visuelle, elle ne fonctionne que très rarement. Les élèves en prennent conscience petit à petit, mais ne parviennent pas tous à rejeter définitivement cette procédure.

Au bout de quelques parties, les enfants s’aperçoivent alors que le dénombrement est la méthode la plus efficace et sont censés abandonner assez rapidement les autres procédures. C’est cette dernière phase qui est la plus difficile pour les enfants. En effet, ils s’aperçoivent souvent que leurs méthodes ne sont pas toujours fiables mais ont du mal à la délaisser au profit d’une autre. On peut alors se demander si le fait de s’accrocher à sa procédure personnelle témoigne de l’échec de la situation-problème. Je ne crois pas, je pense surtout que l’enfant a pu prendre conscience de l’existence d’un outil sans en saisir immédiatement l’utilité. C’est le cas, semble-t-il, de l’enfant qui a compté le nombre de places libres mais qui ne sait pas combien il doit ramener de personnages. Il a utilisé le dénombrement mais n’en a pas encore compris toute l’utilité. Des activités supplémentaires seront donc nécessaires pour lui prouver l’importance d’un tel outil.

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Il me semble donc que le jeu des voyageurs présentait toutes les caractéristiques d’une

situation-problème. Cependant, s’il veut être envisagé comme une véritable situation-problème, ce jeu nécessite de la part de l’enseignant extrêmement de vigilance. Pour ne pas influencer les enfants dans leurs procédures de résolution, il est important de ne pas prononcer les mots « combien » ou « nombre » qui inciteraient au dénombrement. De plus, la distance entre le bus et la boîte de personnages empêche l’utilisation d’une correspondance terme à terme, adéquate en présence des deux collections. C’est une variable didactique de la situation dont le choix est déterminant, puisqu’elle oblige l’enfant à abandonner une procédure, la correspondance terme à terme, pour une autre bien souvent moins maîtrisée, le dénombrement.

b) En quoi cette activité est-elle ludique ?

Pour rendre cette activité intéressante et motivante aux yeux des enfants, il est nécessaire de placer cette situation dans un contexte. En effet, j’aurais pu simplement présenter aux élèves une feuille avec des cases vides et d’autres colorées, en leur demandant de m’amener autant de trombones que de cases vides. Je pense que cette activité aurait suscité moins d’enthousiasme chez les enfants. Le fait de raconter une petite histoire, celle du car qui emmène les enfants à la piscine et qui ne doit partir qu’à la condition d’être totalement rempli, a intéressé les élèves et m’a permis de capter leur attention lors de l’explication de l’activité.

Le matériel constitué de personnages legos n’est pas anodin. Ce type de matériel, utilisé

fréquemment lors de jeux libres ou de l’accueil, séduit les enfants et contribue à rendre l’activité ludique. Au cours de ce jeu, les enfants ont beaucoup manipulé. Cette phase de manipulation, indispensable à cet âge, les rend actifs. Ils se déplacent pour aller chercher les personnages sur l’étagère, les installent dans le bus et ont ainsi l’impression de jouer... D’ailleurs, ils ne prennent pas forcément conscience qu’ils travaillent.

En conclusion, je pense qu’une situation-problème peut être posée sous forme d’un jeu. J’espère, par cette activité ludique, leur avoir fait comprendre l’utilité des nombres et du dénombrement. Suite à cette expérimentation, il m’a semblé important de m’interroger sur les moyens de rendre une activité ludique. On vient de voir que le matériel et la présentation de l’activité contribuaient à rendre cette situation-problème ludique. Existe-t-il d’autres moyens?

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5. L’impact du jeu sur la motivation

L’enseignant qui propose des jeux comme situations d’apprentissage cherche à accroître

la motivation de ses élèves pour le travail scolaire. L’activité ludique est fondamentalement motivante. Mais qu’entend-on exactement par le terme motivation ?

On définit la motivation comme étant l’action des forces, conscientes et inconscientes, qui déterminent le comportement. C’est un processus qui fait naître et relance l’effort jusqu’à ce que l’objectif soit atteint. Dans le cadre de l’apprentissage scolaire, la motivation est une énergie psychologique qui pousse l’élève à apprendre. Elle se construit à partir des relations avec les autres, du contexte social et matériel dans lequel la personne se trouve. Elle dépend aussi de la personnalité de l’individu. Ce n’est pas non plus un état permanent. Il faut donc sans cesse la réactiver.

On distingue deux types de motivation. La motivation intrinsèque, qui est le fait de pratiquer une activité pour le plaisir et la satisfaction qu’on en retire, et la motivation extrinsèque pour laquelle l’intérêt est lié aux avantages dérivés qui en découlent. Il y a quelques années maintenant, l’école utilisait cette forme de motivation, en offrant images et bons points aux élèves les plus travailleurs. Le plaisir trouvé dans le travail scolaire serait-il le plaisir d’en recevoir un bénéfice? Plutôt que de donner des récompenses, il faut essayer de développer la motivation de l’élève par des activités suscitant l’intérêt des enfants. C’est aussi l’une des raisons qui me poussent à croire à l’utilité du jeu dans l’apprentissage des mathématiques. Or, il n’y a pas de motivation sans prise de plaisir et comme nous l’avons déjà dit dans la première partie, cette notion se retrouve dans les jeux. Bien sûr, le fait que les enfants ne choisissent pas eux-mêmes le jeu, peut être un obstacle à la motivation de ceux-ci. Cependant, l’enseignant, en proposant un jeu, tient compte des intérêts des enfants et essaie de faire au mieux pour rendre son activité ludique et motivante.

a) Comment rendre les activités ludiques et motivantes ?

• Le choix du jeu Avant d’intégrer un jeu dans une séquence d’apprentissage, l’enseignant doit, dans un

premier temps, déterminer les notions qu’il veut faire acquérir aux enfants. Il va ensuite choisir un jeu susceptible de répondre à ses objectifs pédagogiques. Il est également nécessaire d’adapter le choix du jeu aux compétences de l’enfant. En effet, pour être motivé pour jouer, il faut être confronté à une activité accessible, c'est-à-dire qui a toutes ses chances d’aboutir. Personne n’est prêt à faire des efforts sans avoir la conviction qu’il est capable de réussir. La satisfaction que procure la réussite encourage l’élève. Pour cette raison, il est souhaitable que les jeux proposés ne soient pas trop difficiles. Cependant, ceux-ci ne doivent pas être trop faciles non plus. Les élèves qui, après un temps de recherche, trouvent la bonne solution, renforcent ainsi leur sentiment de compétence. La réussite leur renvoie une bonne image d’eux-mêmes. Bien sûr, le temps de réflexion, de tâtonnement chez les jeunes enfants ne doit pas être trop long, au risque de voir le jeu être délaissé. C’est ce qui s’est passé lorsque j’ai proposé de recomposer des figures avec le tangram. La difficulté de la tâche a découragé les enfants.

Lors du choix du jeu, l’enseignant doit accorder une attention particulière au matériel,

qui constitue le support de l’activité ludique. En effet, si le jeu proposé est attrayant parce qu’il est beau, coloré, l’enfant s’appropriera plus facilement le matériel et cela suffira à le mettre dans une ambiance ludique. Le matériel qui compose le jeu est donc un facteur

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important qui rend l’activité ludique. Dans le cas du jeu des voyageurs, le matériel proposé aux enfants était constitué de personnages legos. Ces jouets sont appréciés des enfants et couramment utilisés lors des jeux libres. Je savais que les enfants aimeraient les manipuler et c’est pour cela que j’ai décidé de leur faire jouer un rôle dans ma situation-problème. Celle-ci a donc été rendue ludique grâce au matériel qu’elle proposait.

En outre, le fait de proposer des jeux dont les enfants connaissent les règles, rassure les

plus timides ou ceux qui présentent des difficultés à s’adapter à un nouveau jeu. Ayant plus confiance en eux, ils s’investissent donc plus rapidement dans l’activité. Le temps d’appropriation du matériel est réduit et la phase de mise en œuvre de procédures de résolution, devient alors plus importante. Par exemple, le jeu de la bataille a été rapidement assimilé par les élèves, qui n’ont pas ressenti le besoin de trop toucher les cartes avant l’explication des règles. Les enfants avaient, semble-t-il, déjà manipulé des cartes en classe et à la maison.

• La présentation du jeu

La présentation du jeu est essentielle pour rendre l’activité motivante. Chacun sait que la curiosité naturelle est source de motivation. La présentation doit donc éveiller chez l’enfant le désir de découvrir le jeu, de l’explorer. Elle peut se manifester sous différentes formes. Dans le cas du jeu des voyageurs, l’histoire du bus qui ne pourra partir qu’une fois rempli, présente la scène aux enfants. Bien sûr, tout ceci n’est qu’un « habillage » pseudo concret de la situation-problème, censé la rendre attrayante et ludique aux yeux des élèves. Cependant, cette mise en scène permet de captiver l’attention des élèves et de les intéresser à l’activité. Evidemment, il est clair que les petites histoires que raconte l’enseignant ne font qu’un temps. Je n’aurais pas présenté un jeu de cette manière à des élèves de CM2. Avec des enfants plus âgés, il aurait été préférable de proposer des jeux sous forme de défis, susceptibles de motiver davantage et de les stimuler par le but à atteindre.

Le jeu est une situation d’apprentissage qui n’est pas toujours employée par les

enseignants et le fait de l’intégrer ponctuellement lors d’une séquence d’apprentissage a surpris les enfants, ravis de pouvoir jouer pendant un atelier de mathématiques. Certains ont même dit à leurs camarades, qui avaient des exercices plus traditionnels à faire, qu’ils n’avaient pas travaillé, mais qu’ils avaient joués avec la maîtresse.

Enfin, lors du déroulement du jeu, il faut éviter la routine, facteur de démotivation. Pour cela, il ne faut pas hésiter à faire évoluer la situation d’apprentissage en jouant sur les variables didactiques. Par exemple, dans le cas du jeu des voyageurs, j’ai proposé aux élèves différentes configurations. Cela m’a permis de complexifier la tâche pour les meilleurs et de la simplifier pour les élèves les plus en difficulté. Tous les élèves ont donc à un moment ou à un autre, réussi le problème. La motivation et l’attrait pour le jeu s’est alors accentuée.

On peut aussi varier les partenaires,les règles ou le mode de jeu. Les enfants de grande section ont, pendant trois séances, jouer à la bataille. On aurait pu croire que l’ennui se serait installé au bout de la deuxième séance. Cependant, le fait de varier les conditions de jeu en jouant une fois contre l’enseignante, une fois en face à face et une fois en tournoi, a permis d’éviter la lassitude et la motivation n’a pas diminué.

En conclusion, on peut affirmer que le choix des jeux, leur présentation et leur accessibilité, sont des facteurs déterminants lors de la mise en place d’une activité, se voulant ludique et motivante.

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6. A quel moment d’une séquence peut-on utiliser le jeu ?

a) En début d’apprentissage

Les deux premières expérimentations que j’ai menées, consistaient à utiliser le jeu en

début d’apprentissage. Dans ce cas, l’activité ludique est source de motivation. Le jeu devient alors un moyen d’intéresser les élèves au sujet qui va être traité. C’est en quelque sorte un élément déclencheur. L’évocation du mot jeu, synonyme de plaisir et de détente, voire opposé au travail pour certains, motive davantage les élèves. De ce fait, ils s’investissent beaucoup plus facilement et rapidement dans l’activité proposée.

Le jeu peut être le lieu de découverte de nouvelles notions. La bataille m’a permis d’aborder la notion de comparaison de collections de manière ludique. Les élèves ont découvert cette notion par le jeu. Elle a été par la suite réinvestie dans des exercices plus traditionnels. Mais cette approche par le jeu, a rendu les apprentissages plus attrayants aux yeux des enfants. Comme nous l’avons vu dans le jeu des voyageurs, le jeu peut être une manière d’introduire une situation-problème, démontrant l’utilité d’un outil mathématique, dans notre cas, le dénombrement.

Suite à ces deux expérimentations, je me suis demandée si l’on pouvait utiliser le jeu à d’autres moments d’une séquence d’apprentissage. Le jeu peut-il être mis en place en milieu ou en fin d’apprentissage ? Dans ce cas, quelle utilisation peut-on en attendre ?

b) En milieu d’apprentissage

Passée la phase de découverte de la notion à acquérir, vient la phase de systématisation. Cette phase, composée d’une batterie d’exercices, est généralement perçue comme ennuyeuse et rébarbative. Proposer un jeu faisant appel à la notion étudiée, relance alors l’intérêt des élèves pour l’activité. Le jeu permet ainsi à l’enfant de s’exercer sans se lasser. Il assure un réinvestissement des procédures utilisées dans un contexte agréable et ludique.

En proposant le jeu du tangram à mes élèves de grande section, je voulais que les enfants réinvestissent des connaissances géométriques dans une situation plus complexe. J’aurais aussi pu avoir une démarche différente en proposant un jeu pour pallier les manques ou les difficultés des enfants à ce sujet. En effet, lors de cette phase d’apprentissage, l’enseignant commence à prendre suffisamment de recul pour cerner les erreurs de ses élèves. Il va devoir alors élaborer un dispositif de remédiation. Pourquoi ne pas utiliser le jeu ? Il s’avère être un moyen efficace pour aider et remotiver les enfants en difficulté. En effet, l’erreur pour un élève peut être très mal vécue et considérée comme un échec. Dans un jeu, l’erreur a un statut totalement différent. Si l’enfant perd, il peut recommencer et ainsi se voir offrir une nouvelle chance de succès. L’intérêt qu’un enfant a pour le jeu, lui permettra de recommencer plus facilement.

c) En fin d’apprentissage, pour une évaluation ?

En début d’apprentissage, le jeu peut être prétexte à une évaluation diagnostique des élèves. Les premières parties seront une importante source de renseignements pour l’enseignant. Les jeux sont des indicateurs précieux sur les comportements des enfants, sur leur autonomie et leur degré de socialisation. Une observation attentive du déroulement du jeu

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doit permettre d’évaluer ces compétences transversales. En outre, il pourra évaluer des compétences relatives au jeu en lui-même, comme la capacité de compréhension des règles d’un jeu. L’enseignant, à cette occasion, pointera les difficultés précises de certains élèves. Par exemple, lors d’un jeu de parcours comme le jeu de l’oie, on peut déjà détecter certains problèmes de dénombrement. Par exemple, compter 5 et s’arrêter sur la case 6, compter deux fois la première case… Le jeu permet de déceler rapidement certaines compétences non acquises. Ainsi, le maître aura la possibilité d’adapter au plus vite le contenu des prochaines situations d’apprentissage qu’il proposera à ses élèves.

L’enseignant, en tant qu’observateur du jeu, peut évaluer quelques compétences bien ciblées. Par exemple, lorsque j’ai proposé le loto des formes géométriques, situation que je relate dans la suite de ce mémoire, j’ai voulu à cette occasion, évaluer les compétences des enfants en matière de reconnaissance de figures géométriques simples. Par évaluation, j’entends l’évaluation formative d’une compétence. Cependant, l’idée d’évaluer un enfant lors d’un jeu, va à l’encontre de tous les principes du jeu, à savoir son caractère libre. Il ne faudrait à aucun moment que l’enfant se rende compte de cette situation d’évaluation. Elle pourrait bloquer l’enfant qui ne jouerait plus de façon aussi spontanée devant le maître.

Dans la suite de ce mémoire, je présente deux expérimentations qui ont été mises en œuvre avec des élèves de grande section de maternelle, à différents moments d’une séquence d’apprentissage. Le jeu du tangram, présenté lors de la quatrième séance de géométrie, avait pour objectif le réinvestissement de notions géométriques dans un contexte ludique. Le loto des formes géométriques venait quant à lui, clore une séquence sur les formes géométriques. L’objectif poursuivi était l’évaluation d’une compétence devant être acquise en fin de cycle, à savoir la reconnaissance de formes géométriques simples.

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IV. Le jeu en milieu d’apprentissage

1. Le jeu du Tangram

L’enseignante que je remplaçais lors de mon premier stage en responsabilité m’avait demandé de travailler sur les formes géométriques avec les élèves de grande section de maternelle. Les enfants avaient déjà effectué des tris de formes géométriques simples. J’ai donc proposé le jeu du tangram à mes élèves pour leur permettre de réinvestir leurs connaissances sur les formes géométriques dans une situation plus complexe. Ce casse-tête chinois très ancien, est formé de sept pièces obtenues par découpage d’un carré de la façon suivante :

Parmi ces sept pièces, on compte cinq triangles rectangles isocèles (deux grands, un moyen et deux petits), un carré et un parallélogramme. Le but du jeu classique est de combiner les sept pièces pour obtenir des figures originales. Ce jeu permet de développer des compétences très diversifiées, relatives à différentes disciplines scolaires. Il permet d’allier activités créatrices et activités géométriques, favorisant ainsi l’interdisciplinarité.

a) Séance 1

En proposant un tri de formes géométriques, je voulais vérifier la capacité des enfants à reconnaître des figures géométriques simples : triangle, carré, parallélogramme. De façon plus générale, je voulais également observer les réactions des enfants face à un jeu inconnu et leur faculté d’adaptation à un nouveau jeu. Un tangram en bois est distribué à chacun des six joueurs. L’objectif est de parvenir, après reconnaissance des différentes formes géométriques constituant le tangram, à un tri de formes.

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Déroulement

• Présentation du jeu aux enfants :

Je montre aux six enfants un tangram sans préciser que c’est un jeu. Je leur demande s’ils savent ce que c’est et à quoi ça sert. Ils ne connaissent pas le jeu du tangram et semblent loin d’imaginer qu’il s’agit d’un jeu. Celui-ci n’ayant visiblement pas l’air d’intéresser les élèves. Je n’avais pas encore expliqué aux enfants le but de l’activité, ce qui a pu être à l’origine de ce manque d’enthousiasme. J’abandonne assez vite ma question et les invite à décrire ce qu’ils voient.

Les enfants commencent par décrire des figures constituées de plusieurs éléments, qui représentent un objet comme un bateau, un toit de maison ou encore un chapeau. Au vu des réponses, on constate que les élèves portent principalement leur attention sur les deux grands triangles rectangles isocèles. L’imaginaire des enfants est très sollicité lors de cette activité. Les réponses sont parfois surprenantes. Un enfant me dit qu’il voit un carré. Je lui demande alors de me montrer ce qu’il appelle carré croyant qu’il me désignerait une des pièces du tangram et je constate en fait qu’il me montre le tangram tout entier. Je lui explique alors que ce grand carré est appelé un tangram. Remarques des enfants à propos des figures géométriques

Un tangram est distribué à chaque enfant. Très vite, les enfants séparent chacune des

pièces du tangram. La manipulation provoque alors plus d’entrain. Ils nomment le carré et parviennent tous à le montrer. Les triangles sont facilement identifiés. Le parallélogramme pose évidemment problème. Plusieurs enfants s’accordent sur le nom de rectangle. Une enfant n’est pas d’accord et précise que c’est « un rectangle qui penche ». Je leur présente alors un rectangle afin de leur faire prendre conscience des différences entre ces deux figures géométriques. L’angle non droit semble être distingué de l’angle droit puisque les enfants tiennent les propos suivants « il penche alors que le rectangle il est tout droit ». Désormais, ils s’entendent sur un fait : le parallélogramme n’est pas comme le rectangle. Je leur donne alors le nom de cette figure géométrique.

Les enfants remarquent qu’il y a des triangles de même taille. En effet, certains vérifient cette affirmation par superposition des deux figures. La superposition de pièces engendre quelques remarques :

- « si on met les deux petits triangles à coté ça fait un carré. ». - « ça fait aussi un triangle moyen ».

Les enfants, en agençant les formes géométriques, prennent ainsi conscience qu’ils

peuvent à partir de plusieurs figures, composer d’autres formes connues. En constatant qu’un carré peut être formé à partir de deux triangles rectangles isocèles de même taille, les élèves élaborent donc petit à petit des connaissances sur les propriétés géométriques de ces figures. Suite aux remarques des enfants, il aurait été intéressant de proposer aux enfants une séance ayant pour objectif la reconstitution d’une figure du tangram avec les autres pièces. Le tangram et ses propriétés géométriques particulières, auraient permis d’exploiter cette idée de recomposition de figures.

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Analyse du tri de formes géométriques La séance se poursuit par un tri de formes géométriques, exercice pas forcément ludique

mais attrayant du fait de la manipulation. La consigne est la suivante : « Mets toutes les figures qui ont la même forme ensemble » Examinons les erreurs commises :

• Un enfant a placé le carré et les deux petits triangles ensemble en expliquant qu’en les mettant côte à côte ils avaient la même forme. Je lui ai donc répété la consigne en précisant qu’une pièce devait avoir la même forme qu’une seule autre.

• Certains ont différencié les triangles selon leur taille.

• Le parallélogramme et le carré ont été mis ensemble. Les élèves ont alors expliqué

qu’ils avaient le même nombre de côtés.

Les erreurs prouvent bien que la notion de forme n’est pas encore acquise. Une erreur compréhensible, puisqu’à cet âge, le terme « même forme » est souvent confondu avec « même figure ». Cette notion étant très abstraite, il n’est pas surprenant qu’elle ne génère quelques problèmes de compréhension.

Une mise en commun des résultats a permis aux enfants d’échanger et de justifier leur tri. Suite à cette confrontation, les élèves sont parvenus à s’entendre sur le bon tri de formes.

b) Séance 2

L’objectif de cette séance était de réaliser une composition originale en utilisant toutes les pièces du tangram. Les enfants développaient ainsi leur motricité fine et jouaient avec les formes géométriques.

Déroulement Les élèves disposent d’un tangram à découper et d’une feuille de couleur vive qu’ils ont

préalablement choisie. Chaque enfant reçoit un tangram dessiné sur une feuille de papier blanc. Il doit d’abord le découper suivant les traits. J’explique aux élèves le but du jeu du tangram : élaborer des figures originales. J’annonce alors la consigne : « choisis une feuille de papier couleur et avec tous les morceaux du tangram, réalise quelque chose de beau, d’original, qui représente ce que tu veux, un objet, un animal… »

• Comportement des enfants : Au bout de 10mn, la feuille de Marius est encore vierge. Je lui demande s’il a un

problème. Il me répond qu’il voulait faire un chevalier mais qu’il lui manque des pièces. Du coup, il refuse d’effectuer son travail. Pour débloquer la situation, j’aurais pu lui donner un deuxième tangram. Cependant, ses camarades auraient pu eux aussi vouloir un autre tangram pour embellir leur dessin. Cela aurait engendré des problèmes matériels puisque je ne disposais que d’un nombre limité de tangram. Il est difficile de résoudre un tel problème en ayant un souci d’équité au niveau du matériel.

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Les annexes 3 et 4 présentent les travaux de Justine, Mathilde, Eliot et Benjamin. - Justine a placé les pièces en cercle et précise que c’est une ronde. Chaque pièce se touche par « une pointe », comme elle l’explique. - Mathilde a réalisé un bonhomme. Elle a eu des difficultés à trouver une place au parallélogramme. - Eliot a empilé les triangles pour en faire des fusées. - Benjamin a formé un bateau avec les pièces du tangram. On remarque d’ailleurs que la figure qu’il a représentée appartient au tangram reconstitué.

Certains enfants placent les pièces indépendamment les unes des autres et ont des difficultés à expliquer ce qu’ils viennent de réaliser. Demander de réaliser une composition, bloque parfois les enfants qui ne savent pas quoi représenter. Il n’est pas rare, dans ce cas-là, de les voir copier sur leurs camarades, faute d’inspiration. Pour aider ces élèves, je leur ai demandé de placer leurs pièces sur la feuille et de les déplacer. Les idées sont alors venues en manipulant les figures géométriques. Le problème du parallélogramme est permanent. « Il penche », les enfants ont alors des difficultés à imaginer ce qu’il peut représenter et comment l’intégrer dans une composition.

A la fin de la séance, chaque enfant a présenté son travail aux autres, qui essayaient de

deviner ce qu’il représentait. Les élèves étaient très attentifs lors de ce moment et participaient activement en commentant chaque réalisation. Quels savoirs mathématiques ont acquis les enfants ?

L’observation des différents collages a conduit à des remarques d’ordre spatiales. Les enfants situaient les pièces les unes par rapport aux autres à l’aide d’indicateurs spatiaux : à côté, au dessus, en dessous… La description d’une composition favorise ainsi la structuration de l’espace. Les enfants observent le contact entre les pièces et remarquent le fait que les pièces peuvent se toucher par un côté ou par un sommet.

L’orientation des formes géométriques donne lieu à des discussions. Pour Eliot, deux

formes identiques qui ne sont pas orientées de la même façon ne peuvent être les mêmes. Marius tourne donc son dessin pour tenter de prouver le contraire, à son camarade sceptique. Les enfants justifient plus ou moins explicitement leurs propos. Cette démarche de justification se construit dès l’école maternelle et doit être encouragée. L’argumentation et la preuve sont en effet des éléments indispensables à tout raisonnement mathématique. Le jeu du tangram ne développe pas forcément que des compétences mathématiques ciblées. Il permet aussi d’élaborer petit à petit des compétences nécessaires à toute démarche mathématique.

c) Séance 3 Déroulement

Lors de cette séance, je voulais observer la capacité des enfants à reproduire une figure à

l’aide de toutes les pièces du tangram. Les enfants disposaient d’un tangram en bois et d’un modèle à recouvrir. Le jeu s’apparentait à la reconstitution d’un puzzle. Les contours des pièces étaient dessinés afin d’aider les enfants dans leur tâche.

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Analyse

La première pièce placée était, la plupart du temps, le carré. Les élèves furent ensuite confrontés au choix de la bonne taille de triangles. Les enfants ont éprouvé des difficultés à tourner les pièces du tangram pour les faire coïncider avec la silhouette. Ils choisissaient généralement la bonne pièce mais ne parvenaient pas à l’orienter correctement. Le parallélogramme a posé problème : les élèves le tournaient mais ne pensaient pas au retournement. Cette pièce était souvent placée en dernier avec plus de difficultés.

Cette activité, appréciée des enfants, a été réalisée avec succès et très rapidement. Les élèves avaient l’habitude de reconstituer des puzzles lors de l’accueil, ce qui explique sans doute la réussite de cet exercice.

2. Bilan Problèmes rencontrés

J’ai placé le jeu du tangram à l’accueil. Les enfants y jouaient régulièrement et recomposaient de plus en plus rapidement les modèles proposés. Pour compliquer un peu la tâche, je leur ai proposé de recouvrir une figure où seul le contour était représenté. Consciente de la difficulté de ce travail, j’ai choisi de proposer ce jeu seulement au temps de l’accueil. Les élèves, ravis de relever un nouveau défi, se sont rapidement mis au travail. Cet engouement a vite disparu. La tâche s’est révélée beaucoup plus difficile que prévue et même avec de l’aide, les enfants se sont très vite découragés et ont délaissé le jeu du tangram.

Essayons d’expliquer cela en cherchant les problèmes posés aux enfants par cette activité. Pour les puzzles classiques, les enfants recherchent des relations de voisinage entre les pièces pour former une image cohérente. Pour le puzzle à encastrement, le bord des pièces et sa topologie donnent des indices importants pour la reconstitution de celui-ci. Dans le cas du tangram, les bords sont droits et les pièces sont toutes de même couleur. Il n’y a donc aucune relation de voisinage entre les pièces. Les enfants sont donc confrontés à de multiples problèmes : la rotation des pièces, le retournement des pièces, le fait que les pièces soient superposables par assemblage… Trop de problèmes à résoudre pour des enfants en bas âge, qui ont entraîné l’abandon immédiat de cette activité. Il aurait fallu apporter des aides aux enfants. J’aurais pu, par exemple, tracer quelques traits de séparation pour aider les élèves à identifier quelques pièces et réduire ainsi le nombre de choix possibles. Le simple fait de donner un modèle avec des traits de séparation, mais de taille réduite, aurait suffi à compliquer la situation de reproduction du modèle.

On peut se demander si les enfants ont réellement acquis des notions mathématiques grâce au tangram. Pour conclure sur les réels apprentissages des enfants, il aurait fallu inclure ce jeu dans une situation d’apprentissage plus globale, ce qui m’était impossible pour des raisons de temps.

Reproduire une figure, faire un puzzle restent des problèmes de pavages. Ce sont des préludes aux deux notions suivantes : la notion de mesure et de recouvrement. Des enfants ont remarqué que les deux petits triangles et le carré se superposaient. Par recomposition, ces deux figures ont la même aire. La notion d’aire suppose donc l’existence d’un invariant qui persiste à travers le découpage et la recomposition. Reconnaître cet invariant ne peut être envisagé avant l’âge de huit ans, mais des activités de découpage et de recomposition peuvent lui fournir un prélude.

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On peut parler d’objectifs mathématiques dans le sens où la manipulation de figures géométriques amène les enfants à percevoir des perpendicularités, des parallélismes dans des dispositions non conventionnelles, même si ces notions ne sont pas explicitement nommées. Cela permet entre autre d’éviter l’installation de stéréotypes liant les propriétés des figures à leur disposition. En effet, dans ces exercices de recouvrement de figures, il faut tourner la figure pour la placer correctement. Cette même figure sera peut-être orientée différemment dans l’exercice suivant.

Le fait de faire de la géométrie en lien avec les arts visuels a motivé les enfants. En

effet, le tangram était une activité assez différente de celles proposées précédemment aux enfants. Enfin, montrer que l’on peut s’amuser avec des figures géométriques et les utiliser pour faire de jolis dessins peut contribuer à rendre les mathématiques plus attrayantes, ce qui n’est pas évident pour tout le monde.

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V. Le jeu, un outil d’évaluation en fin d’apprentissage ?

1. Le loto des formes géométriques

Au cours de mon stage tutelle, je devais étudier la notion de formes géométriques avec des élèves de grande section de maternelle. Pour conclure cet apprentissage et vérifier les acquis des enfants, il m’a semblé intéressant de procéder à une évaluation formative sous forme d’un jeu, le loto des formes géométriques. Décrivons tout d’abord la séquence d’activités géométriques proposée aux enfants : Séance 1 : Objectif : tri de formes géométriques simples : rond, carré, triangle, rectangle en fonction de leur forme. Séance 2 : Objectif : assemblage de formes géométriques et réalisation d’une composition originale. Séance 3 : Objectif : reconnaître des formes géométriques simples en utilisant seulement le toucher. Jeu de reconnaissance de formes géométriques à l’aveugle. Séance 4 : Objectif : tri de formes géométriques en fonction du nombre de côtés. Séance 5 : Objectif : reproduction de formes géométriques simples avec un gabarit

Lors de la sixième séance, j’ai proposé aux enfants le jeu du loto des formes géométriques. A ce stade de la séquence, il me paraissait judicieux d’évaluer le nombre et le type de figures géométriques reconnues par chaque enfant. En examinant les jeux éducatifs disponibles à l’école, j’ai trouvé le loto des formes géométriques. Sur la boîte du jeu, on pouvait lire : « jeu de reconnaissance de formes géométriques ». Ce jeu semblait tout à fait convenir à mon objectif, c’est pourquoi j’ai décidé de le proposer lors d’un atelier de mathématiques.

La boîte de jeu contenait six plaques sur lesquelles étaient représentées six formes géométriques, le disque, le carré, le rectangle, le triangle, le trapèze et le losange, accompagnées d’un sac contenant les trente-six formes géométriques. Six enfants ont donc participé à cet atelier. Déroulement

• Présentation du jeu :

J’annonce aux enfants qu’ils vont jouer à un jeu. Je leur montre le sac et une plaque. Après la description du matériel, les enfants émettent des hypothèses sur le fonctionnement de ce jeu. Très vite, la règle du jeu est énoncée. Je la reformule pour m’assurer que tous les élèves l’ont bien comprise :

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« Chaque joueur a une plaque qu’il place devant lui. Tu regardes bien les formes géométriques dessinées sur ta plaque et leur couleur. Je tire une forme géométrique. Tu regardes si cette forme est dessinée sur ta plaque. Si c’est le cas, tu l’annonces. Je te la donne si tu me dis le nom de cette forme géométrique et sa couleur. Tu la places sur la figure correspondante dessinée sur ta plaque. Le premier qui a recouvert sa plaque gagne».

• Comportement des enfants durant le jeu :

A l’annonce du mot jeu, les enfants se réjouissent. Très vite, ils s’approprient le matériel et s’investissent dans l’activité. Brice, qui était très dissipé depuis le début de la matinée, parvient enfin à se concentrer. Il semble captivé et devient très attentif durant le jeu. Wendy, une enfant présentant beaucoup de difficultés de langage, reconnaît les figures même si elle ne parvient pas à les nommer. Elle énonce simplement la couleur. Elle semble heureuse de jouer et participe activement.

Les enfants s’aident mutuellement. Ils regardent leur plaque mais aussi celle de leur voisin. Ils n’hésitent pas à s’entraider et le jeu devient même de la coopération. Le loto n’était plus un jeu de compétition, où le seul but était de gagner. Pour les enfants, le gagnant importait peu. Ils semblaient simplement prendre du plaisir à jouer ensemble à un jeu. En voyant les enfants s’aider, coopérer, le mot socialisation prend alors tout son sens. Malgré la victoire de Brice, les autres élèves ont voulu continuer le jeu jusqu’à ce qu’ils remplissent chacun leurs plaques. Pour eux, il n’y a eu ni gagnant ni perdant, puisqu’ils avaient tous rempli leurs plaques. Analyse de l’évaluation

Lors des séances précédentes, les enfants avaient, à maintes reprises, rencontré les six formes géométriques. J’ai fait tourné cet atelier sur toute la semaine. A la fin de la semaine, j’ai obtenu les résultats suivants : Sur une classe de 26 élèves :

Nombre de formes reconnues

Au moins 3

Au moins 4

Au moins 5

6

Nombre d’élèves les reconnaissant

24

23

23

22

Nombre d’élèves les nommant

24

18

15

10

Les trois formes les plus reconnues sont le carré, le disque, le triangle. Il est intéressant de constater que les enfants reconnaissent plus facilement le trapèze que le rectangle. Le trapèze avec « ses côtés qui penchent », comme disent les enfants, est plus caractéristique et donc plus facile à identifier. Evidemment, il est clair que les enfants ne peuvent pas identifier tous les types de trapèze. Celui-ci, par contre, semblait ne poser aucun problème.

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Le rectangle est encore confondu avec le carré. Cependant, il est préférable de ne pas

trop insister sur les différences entre le rectangle et le carré. A trop vouloir dire que le carré n’est pas comme le rectangle, on risque d’instaurer des conceptions erronées sur les figures géométriques. En effet, le carré et le rectangle n’ont pas la même forme, mais n’oublions pas qu’un carré est un rectangle particulier. Il n’est donc peut être pas nécessaire de vouloir à tout pris les différencier. On pose là les limites du tri de formes géométriques. Le tri de formes ne pose pas de problème si on se contente de trier des formes indépendantes les unes des autres, comme le disque, le triangle et le rectangle. Dès lors qu’on veut intégrer le carré, on introduit une figure qui appartient à la famille des rectangles. Alors bien sûr, le carré n’a pas la même forme que le rectangle, mais le carré est un rectangle particulier. Après réflexion, j’ai constaté qu’il n’était donc pas judicieux de proposer le carré et le rectangle dans un tri de formes géométriques.

Par le biais de ce jeu, j’ai pu me rendre compte des figures géométriques que les enfants

reconnaissaient sans problème. Bien sûr, les élèves ayant étudié pendant trois semaines les formes géométriques, ont pour la majorité d’entre eux bien réussi cette évaluation. Il serait intéressant de leur proposer un tel jeu plus tard dans l’année et de comparer les résultats obtenus avec le tableau ci-dessus. Toutefois, les connaissances que les enfants ont acquises au cours de cette séquence, seront à consolider. Pour cela, il faudra leur proposer diverses activités géométriques dans lesquelles ils pourront réinvestir leurs savoirs.

2. Bilan

Lors de la première partie, un élève m’a fait prendre conscience d’un problème matériel posé par le jeu. Brice ne faisait pas le lien entre le triangle que j’avais tiré du sac et la représentation qu’il en avait sur sa plaque. Lors du tirage d’un triangle, Brice s’est mis à compter le nombre de sommets de la forme en bois. Après en avoir dénombré six, il s’est alors étonné du fait que la figure qu’il avait sur sa plaque possédait trois sommets. Pour remédier à ce problème, je lui ai demandé d’examiner la figure que j’avais posée à terre, sans la toucher, et de dénombrer le nombre de sommets qu’il voyait. Toutefois, le comportement de Brice m’a fait prendre conscience de mon erreur. En effet, l’objectif de ce jeu était la reconnaissance de formes géométriques planes. Cependant, les formes géométriques que je tirais du sac avaient une épaisseur et n’étaient donc pas des figures planes mais des prismes droits. La réaction de Brice était tout à fait légitime et compréhensive. En fait, c’est le seul élève qui ait pris conscience de la différence entre un prisme droit et un triangle. Jusqu’ici, le jeu ne semblait poser aucun problème aux enfants. Tous reconnaissaient les figures géométriques. Ils ne tenaient pas compte de l’épaisseur de la forme géométrique et observaient la face du prisme que je leur présentais pour identifier la bonne figure.

Cette activité s’avère donc dangereuse et peut provoquer des confusions entre solides et figures planes. J’aurais dû porter plus d’attention au matériel que j’allais utiliser et proposer aux enfants le même jeu en tirant des figures géométriques planes, même si elles ne peuvent l’être vraiment.

Ce jeu m’a permis d’évaluer les compétences de chacun des élèves en matière de reconnaissance de formes géométriques. Les enfants n’ont à aucun moment soupçonné l’objectif d’évaluation que je poursuivais à travers ce jeu. En effet, l’élève ne doit pas se rendre compte de l’évaluation, cela risquerait de casser le caractère ludique de l’activité. Pour l’enseignant, cela présente de nombreuses contraintes. Par exemple, il aurait été intéressant de prendre en note les comportements et les réponses des enfants. Cependant, écrire les résultats lors du déroulement du jeu, aurait éveillé les soupçons et probablement influé sur le

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comportement des enfants. Dans mon cas, je n’avais qu’un petit groupe d’élèves ce qui m’a permis de retenir les erreurs de chacun. Si on veut examiner de plus près les attitudes des enfants, il est nécessaire de n’avoir que très peu d’élèves à observer. Ceci pose donc le problème de l’utilisation du jeu en classe. Le travail en ateliers, qui permet de constituer des petits groupes d’élèves, est un mode de fonctionnement idéal pour la mise en place d’un jeu.

J’aurais aimé approfondir l’évaluation en demandant aux élèves le nombre de sommets ou de côtés de chaque figure. Cependant, intervenir pendant le jeu pour poser à chacun d’entre eux des questions de cet ordre, me paraissait dénaturer complètement l’aspect ludique. C’est pourquoi, il m’a semblé préférable de me restreindre à la seule reconnaissance des formes géométriques. De plus, j’aurais pu évaluer ces compétences à un autre moment, en utilisant un support autre que le jeu. Faute de temps, je n’en ai malheureusement pas eu l’occasion.

Toutefois, il est évident que toutes les compétences ne peuvent être évaluées par le jeu.

Certaines s’y prêtent plus que d’autres et l’enseignant doit trouver le jeu approprié à la compétence qu’il souhaite évaluer. Ce qui n’est pas toujours chose facile! Ici, le matériel n’était évidemment pas adapté. Ceci montre bien que le jeu éducatif doit être utilisé avec prudence. Le matériel ou les règles du jeu n’étant pas toujours en adéquation avec les objectifs pédagogiques, l’enseignant se doit de contrôler le jeu qu’il propose et de l’adapter si besoin est.

Dans ce jeu, l’enseignant a un rôle de meneur de jeu. C’est lui qui tire au sort les formes géométriques et qui demande aux enfants le nom de chaque pièce. Bien sûr, j’aurais pu désigner un élève pour tenir ce rôle et simplement observer le déroulement du jeu. Voulant à tout pris conserver l’aspect ludique du jeu, je n’ai pas voulu m’imposer aux enfants en tant qu’observatrice. Je redoutais que les élèves ne s’interrogent sur les raisons de ma présence. Cependant, les élèves ont l’habitude d’être observés pendant leur travail et n’y prêtent pas forcément attention. De plus, il aurait été intéressant d’examiner le comportement des élèves dans le rôle de meneur de jeu.

A l’issue de cette séquence, il semble que les élèves reconnaissent pour la plupart, les figures géométriques et sont capables de les nommer. Il ne faut pas non plus tirer des conclusions trop hâtives quant à la capacité de chacun à reconnaître des formes géométriques. En effet, reconnaître un triangle par exemple, ce n’est pas reconnaître tous les types de triangles. Le triangle, dans ce jeu, était en fait un triangle bien particulier, le triangle équilatéral. Il serait judicieux de proposer aux élèves des triangles plus complexes, comme le triangle rectangle ou isocèle, pour évaluer leurs capacités à identifier réellement toutes les sortes de triangles. D’un point de vue mathématique, il est important de varier les types de triangles afin que l’enfant n’ait pas, dès la petite enfance, des conceptions erronées sur cette notion. Cet « incident » soulève le problème lié au matériel. L’utilisation d’un jeu peut nous rendre quelque peu prisonnier du matériel. L’enseignant doit veiller attentivement à la constitution de la boîte de jeu qu’il propose.

Suite à ces quatre expérimentations, il m’a semblé que le jeu était un outil pédagogique efficace pour aider les enfants à construire leurs savoirs mathématiques. Toutefois, je ne l’ai utilisé que ponctuellement et la question de l’intégrer plus fréquemment dans mes séquences s’est posée à moi. Peut-on tout apprendre en jouant ? Avant d’examiner les points de vue de plusieurs théoriciens à ce sujet, il m’a semblé intéressant d’étudier les principaux types de jeux présents à l’école.

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VI. Peut-on tout apprendre grâce au jeu ?

1. Les types de jeux présents à l’école Nous ne retiendrons ici que les types de jeux les plus pratiqués à l’école.

a) Le jeu libre

Cette activité ludique, sans fin en soi, est pratiquée pour le simple plaisir de jouer. Elle n’a pas forcément des règles bien définies. L’accueil à la maternelle, les récréations restent des moments propices à la pratique de ces jeux libres. Ils ne sont en aucun cas imposés par l’enseignant et ne doivent donner lieu à aucune exploitation pédagogique. Cependant, comme le précisent P. Ferran, F. Marriet et L. Porcher dans leur livre A l’école du jeu, « ils constituent une source considérable de renseignements sur le développement intellectuel, affectif et socialisé des enfants». On s’attachera donc à observer les types de jeux pratiqués par les enfants, mais aussi le mode de jeux, individuel ou collectif… Les renseignements recueillis permettront ainsi de mieux comprendre le comportement de certains enfants. Le jeu libre, très présent à l’école maternelle, ne se pratique plus qu’à l’occasion des récréations à l’école élémentaire.

b) Le jeu éducatif

C’est un jeu qui a une valeur éducative, mais qui reste désintéressé. L’enfant est libre d’y jouer. En fait, sous toutes ses formes, le jeu présente des aspects éducatifs. Il incite l’enfant à développer certaines aptitudes sensorielles ou intellectuelles. Les jeux éducatifs ont aujourd’hui un très grand succès et les fabricants de jouets l’ont d’ailleurs bien compris. Tous leurs produits sont décrits comme éducatifs. Les parents toujours désireux d’éduquer leurs enfants sont friands de ce genre de jeux.

Pour les mêmes raisons, on les retrouve abondamment dans les écoles. Il ne faut pas non plus décrier le jeu éducatif mais son utilisation en classe doit être contrôlée. Il peut évidemment être utilisé par les enfants de l’école maternelle à l’occasion de jeux libres mais il faut prendre de nombreuses précautions avant de l’utiliser dans une séquence d’apprentissage. En effet, ce n’est pas parce qu’un jeu indique qu’il développe telle ou telle compétence, qu’il peut être le support d’une situation d’apprentissage. C’est l’une des leçons que j’ai tirée en utilisant le loto des formes géométriques. Le matériel n’était pas approprié et a probablement suscité des représentations erronées des figures géométriques planes. Dans ce cas-là, l’utilisation de jeux éducatifs peut se révéler dangereuse. L’enseignant qui utilise le jeu éducatif à des fins pédagogiques, doit donc être extrêmement vigilant et ne pas hésiter à adapter le jeu s’il ne correspond pas tout à fait à ses objectifs.

En résumé, il faut bien faire la différence entre le jeu éducatif proposé par l’animateur et celui proposé par l’enseignant. Pour l’animateur, le jeu est occupationnel et gratuit alors que l’enseignant se doit de proposer des jeux répondant à des objectifs pédagogiques précis, définis par les instructions officielles.

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c) Le jeu pédagogique

Contrairement aux deux types de jeux que nous venons de décrire, le jeu pédagogique

n’est pas une activité gratuite. Il est élaboré par l’enseignant et répond à des objectifs d’apprentissage précis. Avant d’introduire un jeu dans sa classe, il est indispensable de clairement définir les compétences qu’on souhaite faire acquérir aux enfants. Ensuite et seulement après cette étape, l’enseignant choisit un jeu susceptible de répondre à ses attentes pédagogiques. Pour cela, il doit donc connaître les capacités et les possibilités de chacun pour adapter le jeu à ses élèves. Enfin, la mise en place du jeu conduira l’enseignant à analyser les comportements qu’il a pu observer. Bien sûr, le jeu éducatif s’il est bien choisi peut devenir un jeu pédagogique. C’était ma démarche, lorsque j’ai décidé d’utiliser le loto des formes géométriques pour évaluer la capacité des enfants à reconnaître des formes géométriques simples.

2. La pédagogie du jeu

a) Principes et avantages de la pédagogie de jeu Pour les adeptes d’une pédagogie du jeu, le jeu, activité propre à l’enfance, serait l’idéal

d’une activité où plaisir et action ne seraient pas dissociés. On notera que l’emploi du terme « une » pédagogie n’est pas anodin. En effet, il en existe de multiples qui dépendent de la fonction que l’enseignant attribue au jeu dans son enseignement et de la place qu’il lui réserve. Les pédagogies du jeu investissent le jeu d’une fonction éducative et tentent de donner une forme ludique à toute situation d’apprentissage. Ces pédagogies reposent sur plusieurs principes :

• Proposer à l’élève des matériels ou des tâches dans lesquels il a l’impression d’être libre, d’agir sans enjeu, sans jugement de valeur.

C’est ce que Nicole De Grandmont, dans son livre Pédagogie du jeu, appelle la

pédagogie de l’indirect, dont le principe « permet au pédagogue d’intervenir dans le fonctionnement de la classe, mais de manière imperceptible par l’élève ». L’introduction d’un nouveau jeu, l’encouragement à travailler avec des partenaires différents, sont autant de moyens qui relèvent de la pédagogie de l’indirect.

• Se garder de toute intervention.

L’application du principe de non-intervention de l’enseignant assure que les apprentissages se déroulent dans un contexte ludique. L’élève joue librement, à son propre rythme. Passée la phase d’exploration, N. De Grandmont affirme que le jeu se structure, s’organise petit à petit devenant ainsi éducatif.

• Respecter la liberté de l’élève.

L’élève doit avoir une liberté totale dans le choix de ses jeux et de ses partenaires de jeu. Si l’élève arrête momentanément de jouer, l’enseignant doit respecter ce choix et se garder de tout commentaire.

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• Observer les élèves et organiser l’environnement nécessaire pour que se déroulent les

différentes étapes de l’apprentissage.

Selon N. De Grandmont, le jeu passe par trois phases, correspondant à différentes étapes de l’apprentissage. « Au tout début, l’enfant explore à sa guise, c’est l’étape du jeu ludique ». Cette forme de jeu, qu’on pourrait plutôt définir par jeu libre, est spontané, gratuit et surtout n’impose pas de règle. Passée cette phase, le jeu se structure, se règle. Le jeu devient alors éducatif. Selon cette adepte de la pédagogie du jeu, le jeu éducatif devrait être « distrayant, sans contrainte perceptible et axé sur les apprentissages. ». Cependant même s’il permet à l’enseignant de contrôler les acquis, d’évaluer les appris et surtout d’observer les comportements des élèves, l’aspect éducatif ne doit pas être perceptible par les joueurs. Plus tard, l’élève prendra la décision de vérifier ses acquis. « Cette fois, la réussite et la performance font partie de l’acte de jouer. C’est l’étape pédagogique, pendant laquelle le plaisir de réussir devient aussi important que le plaisir de jouer pour jouer. ». A cette étape, l’élève puise dans ses expériences antérieures les connaissances nécessaires pour résoudre les problèmes auxquels il est confronté.

En résumé, les pédagogies du jeu orientent les élèves vers une activité ressentie comme libre et génératrice de plaisir. Ils postulent que les contenus et les connaissances suivront. De nombreux théoriciens préconisent cette pédagogie. C’est le cas, comme nous venons de le voir, de Nicole De Grandmont mais aussi de P. Ferran, F. Mariet et L. Porcher qui dans leur livre A l’école du jeu, analysent différents types de jeux et leur insertion à l’école en tant qu’outils pédagogiques.

L’approche ludique modifie les relations entre l’enseignant et l’élève. L’enseignant joue tour à tour le rôle d’animateur, d’adversaire… Elle fonde son enseignement sur le respect de l’élève, ses goûts personnels. Elle tente de s’adapter au rythme d’apprentissage de chacun. La pédagogie du jeu accordera plus de temps et d’occasions à l’enseignant pour observer les différentes démarches d’apprentissages de ses élèves. La non-intervention incitera les enfants à solliciter leurs camarades, plutôt que le maître, pour résoudre leurs problèmes. Ainsi, l’enfant développera des capacités d’autonomie.

b) Risques liés à la pratique d’une pédagogie de jeu

Le maître se convainc que pour faire travailler les élèves, il doit renouveler le plaisir, la mise en scène de son enseignement. Il encourt le risque de s’installer dans la position infantile de celui qui cherche à plaire. De plus, même s’il veut donner l’illusion de la non- intervention, l’enseignant intervient sur les contenus des jeux pour s’assurer qu’ils sont bien éducatifs ou pédagogiques. En effet, en voulant cibler un apprentissage, l’enseignant ne pourra pas laisser une liberté totale à l’élève dans le choix de ses jeux.

Plus l’enseignant cherchera à proposer à l’élève des jeux dans lesquels il a l’impression

d’être libre, moins l’activité ludique sera spontanée. Le risque serait que l’enfant s’aperçoive de ce fait et n’ose plus jouer spontanément en classe devant le maître. En effet, il est important que l’enfant prenne conscience qu’il peut jouer devant son professeur sans être observé à des fins pédagogiques ou pire encore jugé par son comportement lors de ses jeux libres.

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De grands pédagogues s’opposent clairement à cette pédagogie. C’est le cas de Célestin

Freinet. Examinons quelques uns de ses arguments. C. Freinet affirme que « baser toute une pédagogie sur le jeu, c’est admettre

implicitement que le travail est impuissant à assurer l’éducation des jeunes générations. ». Utiliser le jeu en classe serait donc une forme de démission de l’enseignant, une fuite devant la vraie difficulté, à savoir, amener les enfants à prendre autant de plaisir à travailler qu’à jouer.

De plus, C. Freinet critique la notion de jeu éducatif, qui devient selon lui « un jeu travail » c'est-à-dire un travail imposé à l’élève. Il réfute cette forme de travail et propose de la remplacer par ce qu’il appelle « le travail jeu », à savoir un travail suffisamment intéressant pour être motivant et suffisamment lié aux préoccupations et à la vie des élèves pour être mené à bien. Célestin Freinet s’oppose donc à une pédagogie du jeu, lui préférant une pédagogie active.

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Conclusion Mes lectures et les expérimentations que j’ai pu menées, m’ont permis d’apporter quelques éléments de réponse quant à l’utilisation du jeu à l’école, en particulier dans l’enseignement des mathématiques.

Le jeu mobilise un réel engagement de la part des enfants. Ils s’investissent généralement rapidement dans l’activité ludique et y participent activement. Bien sûr, je ne peux pas assurer que tous les élèves ont, avec plaisir, pris part aux jeux proposés, néanmoins ils semblaient plutôt enthousiastes à l’idée de jouer pendant un atelier de mathématiques. Véritable situation de communication, le jeu a permis à quelques enfants plutôt timides de prendre la parole plus facilement au sein du groupe classe.

Le jeu est social. La pratique de jeux collectifs apprend à chacun à respecter les règles et leurs contraintes, mais aussi à accepter de perdre, ce qui n’est pas toujours facile pour des enfants de maternelle, possédant encore une pensée égocentrique. Le jeu permet ainsi aux élèves de développer des comportements d’entraide, d’attention envers les autres. Il leur faut tenir compte du rythme des autres et accepter qu’un joueur puisse avoir des difficultés à comprendre un jeu. Il permet de faire cohabiter, pour le temps d’une partie, des enfants dont les expériences sont diverses, avec parfois d’importants écarts entre les savoirs. Cette hétérogénéité s’avère souvent bénéfique au niveau des apprentissages. En effet, lors d’un jeu collectif, le joueur a la possibilité d’observer le jeu de ses partenaires. Il peut alors réinvestir dans l’instant des procédures gagnantes, puisées dans les différentes tactiques observées.

Les relations qui s’établissent entre les partenaires au sein du groupe, sont des moments privilégiés de complicité, de plaisir mais aussi parfois de tensions, causées par les conflits. Le fait de jouer chacun à son tour, d’attendre que l’autre ait terminé, sont des actes communs à tous les jeux et nécessaires à leur bon déroulement. Ces exigences demandent aux enfants de s’intéresser aux initiatives de leurs partenaires et de s’intégrer dans un groupe pour une activité précise.

Le jeu est aussi un temps de construction individuelle. Chacun doit agir seul et gérer la complexité des situations rencontrées, développant ainsi bon nombre de compétences transversales telles que l’autonomie ou encore le sens de l’observation.

Outre son importance au niveau social, il se révèle fort efficace pour aider les enfants dans l’apprentissage des mathématiques. Motivant, il m’a permis d’aborder et de travailler des compétences numériques telles que la construction de collections équipotentes, par le biais du jeu des voyageurs, ou encore la comparaison de quantités, grâce au jeu de la bataille. Le domaine géométrique n’a pas été oublié, même s’il faut l’avouer, il est plus difficile de proposer aux enfants des jeux faisant appel à des savoirs géométriques plutôt qu’à des connaissances numériques. J’ai pu, grâce au loto des formes géométriques, évaluer les enfants sur la reconnaissance de figures géométriques simples. Le jeu du tangram, quant à lui, a permis aux élèves de découvrir quelques propriétés des figures géométriques de base, tout en alliant mathématiques et arts plastiques.

Le jeu développe aussi des attitudes fondamentales, nécessaires à tout raisonnement scientifique. La pratique de jeux à l’école permet aux enfants d’acquérir des capacités d’analyse de situations données. En effet, après avoir expérimenté différentes procédures, les enfants sont amenés à les comparer pour en déduire la plus efficace. Les échanges favorisent ainsi leur capacité à raisonner et argumenter.

Les expérimentations que j’ai pu menées, m’ont donc conforté dans l’idée que le jeu peut favoriser la construction de savoirs mathématiques. Cependant, même si de nombreuses

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compétences peuvent être développées par le jeu, il serait tout de même illusoire de penser que toutes peuvent l’être ainsi.

Le jeu au service des apprentissages, ne se suffit pas à lui-même. Après la phase de découverte, l’acquisition d’une compétence passe par des activités de systématisation, puis par de nombreux exercices de réinvestissement proposant un champ d’utilisation plus large. Elle s’automatise petit à petit, et quitte son statut d’objet d’étude pour devenir un réel outil. D’autres formes de travail sont donc à envisager avant ou après le jeu, pour faire d’une notion un outil exploitable à tout moment par l’enfant.

De plus, une trop grande utilisation du jeu à l’école lasserait probablement les enfants. Le jeu, intégré ponctuellement dans une séquence d’apprentissage, surprendra d’autant plus les élèves et les motivera davantage. Or, on ne conserve pas cette motivation en proposant toujours le même type d’activités, aussi ludique soient-elles. Il ne faut donc pas hésiter à varier les situations d’apprentissage tout en essayant de les rendre assez intéressantes pour être motivantes aux yeux des enfants.

La mise en œuvre de ces différents jeux m’a fait prendre conscience de quelques limites dans la pratique du jeu à l’école.

Il est souvent difficile de proposer aux élèves un jeu authentique. L’enseignant doit sans cesse adapter le contenu en fonction de ses objectifs pédagogiques, mais aussi des enfants et de leurs compétences. Il détourne donc souvent le jeu, prenant ainsi le risque de le dénaturer.

L’activité jeu n’est pas toujours simple à gérer pour le maître. Il faut s’assurer de la bonne compréhension des règles du jeu, proposer de l’aide aux enfants en difficulté, sans toutefois leur donner les solutions, prévoir des variantes en fonction des capacités des élèves... L’observation des enfants demande un peu d’entraînement et n’est possible que pour un petit nombre d’enfants. Le fonctionnement en ateliers, dispositif spécifique à l’école maternelle, est une condition favorable à la mise en place d’une activité ludique. Il permet au maître de focaliser son attention sur un petit groupe d’enfants et donc d’être plus disponible pour eux.

L’enseignant délaisse parfois son rôle d’observateur au profit de celui d’organisateur. Ce fut le cas pendant le tournoi, au cours duquel il m’a fallu gérer les problèmes matériels et autres conflits. J’ai d’ailleurs eu beaucoup de difficultés lors de cette séance à faire respecter les règles de vie... Le jeu nécessite donc de la part de l’enseignant beaucoup d’organisation et de rigueur dans la préparation du matériel, mais aussi dans la gestion de l’espace classe.

J’ai expérimenté le jeu à différents moments d’une séquence d’apprentissage. Situation déclenchante en début d’apprentissage, il offre la possibilité aux élèves d’aborder une notion dans un contexte ludique et motivant. Il m’a permis d’éviter que ne s’installent routine et ennui, en le proposant en milieu de séquence et a relancé l’intérêt des élèves dans le travail sur la reconnaissance et le tri de figures géométriques. Enfin, l’évaluation, par le biais du loto des formes géométriques, s’est déroulée dans un contexte convivial et serein. Au vu de mes quelques expériences, rien ne semble contrarier le fait que le jeu peut être envisagé à tout moment d’une séquence. Cependant, je n’ai mené que des jeux à l’école maternelle et cette réflexion serait peut-être remise en question avec des élèves plus âgés.

Il me semble donc que le jeu est un outil pédagogique à ne pas négliger. Toutefois, n’oublions pas que le jeu, outre les apprentissages qu’il génère, doit conserver son aspect principal : le plaisir. Je souhaiterais, au cours de mes prochaines années d’enseignement, mettre en place des jeux à l’école élémentaire. En effet, le jeu est sous jacent aux apprentissages de l’école maternelle et « reste le point de départ de nombreuses situations didactiques proposées par l’enseignant », comme le précisent les instructions officielles. Mais qu’en est-il à l’école élémentaire ? Il serait enrichissant de poursuivre cette analyse en proposant des activités mathématiques sous forme de jeux, aux élèves des cycles deux et trois. Jeux de stratégie et pourquoi pas, de véritables casse-tête mathématiques ?

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Bibliographie

• A l’école du jeu P. FERRAN, F. MARRIET, L. PORCHER, Bordas pédagogie, 1978.

• Pédagogie du jeu N. DE GRANDMONT, De Boeck, 1989.

• Jouer pour réussir N. PASQUIER, Nathan, 1993.

• Le jeu et l’enfant J. CHATEAU, Vrin, 1979.

• Jeux de société et apprentissages numériques M. CORBENOIS, M. MARTEL, G. BELLIER, Bordas pédagogie, 2003.

• Jeux de société et apprentissages mathématiques au cycle 1 C. QUINTRIC, revue GRAND N n°61, 1997.

• Jouer c’est très sérieux G. JULLEMIER, Hachette éducation, 1995.

• Apprentissages numériques grande section de maternelle ERMEL, Hatier pédagogie, 1990.

• Qu’apprend-on à l’école élémentaire ?

MINISTERE DE L’ EDUCATION NATIONALE, XO éditions, 2002.

• Qu’apprend-on à l’école maternelle ? MINISTERE DE L’ EDUCATION NATIONALE, XO éditions, 2002.

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AAnnnneexxeess

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Annexe 1 : évaluation suite au jeu de la bataille

Objectif : comparer deux quantités

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Annexe 2 : disposition des personnages pour le jeu des voyageurs

Siège occupé par un voyageur

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Annexe 3 : Productions d’élèves

Objectif : Elaborer une composition originale à l’aide des pièces du tangram

Eliot

Justine

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Annexe 4 : Productions d’élèves

Benjamin

Mathilde

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La place du jeu

dans l’enseignement des mathématiques

Résumé :

Il n’est pas toujours facile, en mathématiques, de proposer des situations

d’apprentissage motivantes et ayant du sens pour les enfants. Le jeu serait-il l’idéal d’une

activité alliant plaisir et apprentissage ? Si tel est le cas, à quel moment d’une séquence peut-

on l’introduire ? Ce mémoire tente d’analyser la mise en œuvre, en grande section de

maternelle, de quatre jeux proposés à différents moments d’une séquence d’apprentissage.

Mots clés :

• Mathématiques

• Jeu

• Maternelle

• Plaisir

• Apprentissage