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MARLIN UNE PÊCHE AU CORPS-À-CORPS Réputé pour sa vitesse et son élégance, on le surnomme le guépard de la mer. Aussi dangereux qu’imprévisible, ce gigantesque poisson à rostre est le rêve de nombreux pêcheurs. Nous sommes partis dans son sillage au large des côtes africaines. Reportage. DE NOS ENVOYÉS SPÉCIAUX PASCAL GRANDMAISON (TEXTE) ET OLIVIER ROUX (PHOTOS) 42 LE FIGARO MAGAZINE - 10 JUILLET 2015 Lorsque le marlin est accroché par une ligne, il tente de se dégager en effectuant d’impressionnants bonds au-dessus de l’eau. PHOTO : FRED BERHO 10 JUILLET 2015 - LE FIGARO MAGAZINE 43

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M A R L I NU N E P Ê C H E

A U C O R P S - À - C O R P SRéputé pour sa vitesse et son élégance, on le surnomme le guépard de

la mer. Aussi dangereux qu’imprévisible, ce gigantesque poisson à

rostre est le rêve de nombreux pêcheurs. Nous sommes partis dans son

sillage au large des côtes africaines. Reportage.DE NOS ENVOYÉS SPÉCIAUX PASCAL GRANDMAISON (TEXTE) ET OLIVIER ROUX (PHOTOS)

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Lorsque le marlin estaccroché par une ligne,

il tente de se dégager eneffectuant d’impressionnants

bonds au-dessus de l’eau. PHOT

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UN SPORT QUI PREND PARFOIS L’ALLURE D’UN VÉRITABLE COMBATLe marlin est doté d’un rostre mesurant jusqu’à 1 m de long, râpeux comme du papier de verre et recouvert de poisson pourri. Il est capable d’infliger des blessures par simple frottement et la plaie s’infecte si elle n’est pas soignée.A droite, filmé par la caméra de Fred Berho, on l’aperçoit poursuivant un leurre en plastique, juste pour le plaisir de la chasse. Il atteint des vitesses proches de 120 km/h.

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UN SPORT QUI PREND PARFOIS L’ALLURE D’UN VÉRITABLE COMBAT

Leurs tenues estivales et leur apparente décontraction n’empêchent pas les membres de l’équipage d’obéir à une discipline quasi militaire. Dès que le combat débute, chacun est affecté à un rôle précis et suit les ordres du capitaine. C’est la condition pour éviter de se brûler les mains avec une ligne ou se faire projeter à l’eau par un marlin.

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La houle s’est calmée. Notre bateau semblefigé au milieu de l’océan dans un silenceapaisant, interrompu par les seuls cris desmouettes qui tournent autour de l’im-mense plate-forme pétrolière à quelquesencablures de notre position. Sur le pont,l’équipage paraît plongé dans une béati-tude indolente, profitant avec bonheur de

ces moments de paix arra-chés au tumulte de la civili-sation. Pourtant, chacungarde l’œil ouvert, toujoursà l’affût d’une écume sus-

pecte, d’un sillage imprévu. Soudain, après plusieurs heuresd’attente, tout s’emballe ! Depuis sa tour d’observation, le ca-pitaine Stéphane Millez vient d’apercevoir l’objet de nos es-pérances : un marlin bleu approchant les 400 kg a mordu à l’un des appâts. Il lance l’alerte avec son micro amplifié. En quelques secondes, tout le monde est à son poste, prêt à assu-rer son rôle. Les matelots écartent les lignes inutilisées et aident le pêcheur Laurent Sahyoun à s’harnacher avec vi-gueur sur son siège puis à prendre en main le moulinet. Le combat commence alors dans un brouhaha indescriptible, mélange d’ordres de manœuvres, de déroulements de mou-linets, de claquements de lignes, rythmés par les sauts im-pressionnants du marlin hors de l’eau. Sans oublier les hurle-ments des moteurs diesel qui s’époumonent d’avant en arrière pour accompagner les mouvements du poisson, pro-voquant d’interminables et spectaculaires embardées. Par-fois pendant plusieurs heures…Immortalisé par Hemingway dans Le Vieil Homme et la Mer, lemarlin est un poisson à rostre, ce museau long et effilé, se dé-clinant en quatre espèces différentes : le marlin blanc et le marlin rayé, pouvant mesurer jusqu’à 4 m de longueur, le marlin noir, un peu plus grand, et enfin le marlin bleu, qui at-teint plus de 5 m de long et plus de 800 kg. Sur les 12 espècesde poissons à rostre (espadon, voilier…), le marlin bleu reste lepréféré des pêcheurs sportifs car, outre ses formidables per-formances de nageur (il atteint pratiquement les 120 km/h),il est équipé d’un rostre aussi dangereux qu’un sabre, pouvantmesurer jusqu’à 1 m de long, qu’il utilise pour assommer ou embrocher ses proies, généralement des thons. On le trouve dans les eaux peu profondes des mers tropicales et subtropi-

cales et il témoigne d’une activité diurne pleinement compati-ble avec les activités humaines. La traque de ce combattant hors normes est comparée à celle de la chasse au lion. Pour lepêcheur extrême, le graal consiste à attraper et ramener un marlin bleu dépassant la barre symbolique des 1 000 livres, soit453 kg.La pêche sportive est une compétition particulièrement régle-mentée. Les amateurs de concours et de records s’affrontent sous l’égide de deux associations internationales : la Billfish Foundation et l’IGFA (International Game Fish Association). Cesont elles qui en déterminent les règles et les catégories en fonction du type de poisson, de son genre ou de la taille du fil depêche employé (11 types de fils en nylon classés en fonction deleur résistance à la traction, de 2 livres à 130 livres). Cela impli-que de remonter des spécimens dépassant aisément les 200 kgavec des fils très fragiles, que le seul poids de l’eau réussirait à casser… Il convient donc d’opérer avec une précision absolue.Tout le contraire de la pêche industrielle et de ses tristement cé-lèbres filets dérivants. Les pratiquants obéissent souvent à uneéthique stricte, garantissant le respect de l’animal. En effet, à moins d’un record mondial, rarissime, les prises ne sont pas tuées. Elles sont simplement marquées d’un tag accroché à la peau, qui permettra d’étudier le mode de vie et les migrationsde cet animal encore mystérieux. Sa chair restant peu agréableà consommer, elle n’a pas de réelle valeur marchande. En conséquence, aucune organisation de pêcheurs n’a jamais fi-nancé d’étude sur son mode de vie, contrairement au thon, lastar de la pêche en mer.

Très développée aux Etats-Unis avec près de 20 millions d’adeptes, la pêche sportive au gros reste peu connue en France. On recenserait 10 000 pratiquants (hors initiation pourtouristes) dont moins d’une petite centaine de spécialistes du marlin. Ils seraient d’ailleurs à peine une dizaine sous la barredes 40 ans. Les ténors du genre ont débuté dans les années 60,à l’image de l’as de l’aviation Pierre Clostermann, qui s’est forgé une solide réputation derrière une ligne ainsi qu’en écri-vant de nombreux ouvrages sur le sujet. Citons également Mi-chel et Andrée Delaunay qui continuent à plus de 70 ans de parcourir les mers en quête de records. Manque d’intérêt des jeunes générations ou simple méconnaissance de cette acti-vité ? Gageons que le prix d’accès à ce loisir de luxe représenteun frein essentiel. Une journée de bateau avec équipage peut atteindre les 1 000 à 2 000 €. Il faut assurément disposer d’unsolide capital pour se risquer une semaine, voire un mois sur l’eau, le marlin n’étant réputé ni pour apparaître à la demandeni pour faire la fortune des marins.Nous avons suivi un équipage au départ d’Abidjan, en Côte d’Ivoire. Nous embarquons sur un Cabo 31, un bâtiment spé-cialisé dans la pêche sportive et plus particulièrement la traînehauturière, qui consiste à traîner des lignes armées de leurres àla recherche des poissons pélagiques (thon, coryphène, wa-hoo, requin, espadon voilier, marlin) évoluant sur les plateaux,loin des côtes comme des hauts fonds. Il est reconnaissable à son Fly Bridge, un poste de pilotage surélevé (le même que

Les thons sont de parfaits appâts. En s’agitant au bout de l’hameçon, ils excitent les instincts de prédateur du marlin.

“ON NE TUE PAS LES POISSONS, ON LES MARQUE POUR LES ÉTUDIER”

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Arrivé sur la zone de pêche, le bateau commence à lancer ses leurres pour attirer les proies.Au milieu, Laurent Sahyoun, le pêcheur, est solidement harnaché sur son siège. Il faut parfois rembobiner plus de 2 000 m de fil en cumulé pour remonter une prise.

Les matelots ramènent le poisson contre la coque afin de pouvoir lui accrocher une petite étiquette d’identification. Il est ensuite relâché.

LE MARLIN PEUT PESER JUSQU’À 800 KG

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même s’il n’a pas faim. Cette quête peutdurer plusieurs jours sans rien donnermais, lorsque le poisson mord, tout s’accé-lère. S’ensuit une lutte subtile avec l’animalqui exécute d’extraordinaires bonds au-dessus des eaux pour tenter de se décro-cher. « Aucun marlin ne se comporte de lamême manière, précise Laurent. Cet animalintelligent semble apprendre de chacune de sesconfrontations. C’est ce qui rend cette pêche sipassionnante. » Cette fois, c’est le fameuxmarlin cité en introduction qui vient demordre. Stéphane l’a aperçu dans le son-deur (détecteur électronique de présencede poisson). Au moulinet, Laurent luidonne du fil lorsque celui-ci s’éloigne, et

rembobine au maximum dès qu’il relâche la tension, pendantque Stéphane accompagne chaque mouvement avec le ba-teau. Le défi consiste à le fatiguer sans casser la ligne. On perdsouvent 600 m de fil (sur un total de 1 000 m disponibles dansle moulinet) dès le démarrage. Longueur qu’il faudra remon-ter, à la main, centimètre par centimètre. Le combat peut du-rer de deux minutes à quatre heures, jusqu’à l’abandon du marlin, épuisé. Cette fois, la lutte a monopolisé près de 2 heu-res 15, par 32 °C à l’ombre dans la moiteur de la saison des pluies. Laurent termine le combat en nage, exténué. Il vient de rembobiner plus de 2 000 mètres de ligne en cumulé. C’estmaintenant au tour des matelots de s’activer. Ils participent àla remontée de la prise le long de la coque afin de la marquerd’une petite étiquette en plastique et de décrocher la ligne. « Une opération particulièrement délicate, prévient Stéphane Millez. L’année dernière, un marlin a bondi sur l’un d’eux avec laferme intention de l’empaler. Par chance, l’homme a réussi à s’écarter in extremis et le rostre est venu s’enfoncer de plus de 30 cm dans la coque, pour finir par se casser. » Ensuite, confor-mément à l’éthique du groupe, l’animal est relâché. En pleinesanté, il pourra continuer à grossir avant, peut-être, d’attein-dre le poids approprié pour un nouveau record du monde…Après une fructueuse session de marquages, cinq au total, leCabo rentre paresseusement sur Abidjan. Sur le pont arrière flottent les drapeaux témoignant des prises du jour (il en existe un pour chaque espèce pélagique). Le soir, au port, onva débriefer longtemps des événements passés, ponctuant lesanalyses de récits de poissons de légende. Laurent et Stéphaneévoqueront leur grand rêve : battre le record du monde du marlin bleu en 130 livres (la plus grande résistance de fil auto-risée) car le dernier, un mythique 636 kg, remonte à 1992. Puis on parlera des projets concrets comme ce documentairede pêche aux marlins blancs et bleus prévu pour 2016. Les premières vidéos ramenées par Fred Berho (qui passe une partie de son temps dans l’eau au mépris du danger) sont ex-traordinaires. Il faut pourtant déjà se coucher. Demain est unautre jour de pêche, un autre jour enchanté, que ces passion-nés ne rateraient pour rien au monde !

■ PASCAL GRANDMAISON

dans le film Les Dents de la mer), idéalpour distinguer les proies à distance. Il dis-pose de quatre cannes à pêche positionnéessur le cockpit arrière ainsi que de tangons, des perches articulées qui servent à écarterles lignes sur les côtés afin qu’elles ne traî-nent pas dans le sillage du navire. L’équipeest composée du pêcheur franco-suisse Laurent Sahyoun, 37 ans, recordman du monde dans plusieurs catégories dont celledu plus gros espadon voilier en 2007 ou celle du plus grand nombre de marlins ta-gués en 2013 et 2014, ainsi que du FrançaisStéphane Millez, 40 ans, capitaine du ba-teau mais aussi passionné de chasse en merpuisqu’il a été, entre autres, champion du monde de pêche au gros en 2007. Le premier est à la tête de l’une des plus importantes entreprises de BTP maritime au Maroc et en Afrique, alors que le second est gérant d’une bou-tique en ligne de pêche extrême (Pechextreme.com). Cela leur permet de financer les opérations, dont ce bateau qu’ilsont acheté ensemble. Ils sont accompagnés de deux matelotsivoiriens, affectés à toutes les tâches annexes (saisie des fils, marquage des poissons, entretien des moteurs…) ainsi que ducaméraman basque Fred Berho, 41 ans, spécialiste de vidéo enmilieu aquatique (facebook.com/fred.berho.9). « Il s’agit avanttout d’un sport d’équipe, explique Laurent. Il repose sur une confiance totale en ses coéquipiers et sur une organisation quasi militaire. Il faut que chacun soit opérationnel et agisse en synergieavec les autres, sinon on court à la catastrophe. Lorsque l’on re-monte un animal de plusieurs centaines de kilos, la moindre erreurpeut être fatale. » Ainsi, lors d’un mauvais positionnement, undes matelots a été projeté à l’eau par la ligne, emporté par unmarlin comme un simple fétu de paille. Heureusement, l’équipage l’a remonté en quelques secondes…

La journée commence à 5 h 30 pour un départ fixé à 7 h, aprèsla vérification complète du matériel de pêche, du navire, le changement des filtres à huile, le plein d’essence… Le Cabo sefraie un passage au milieu des immondices du port autonomed’Abidjan. Il paraît microscopique entre les immenses cargoset les supertankers qui entrent et sortent de la plus importanteplace de commerce de l’Ouest africain. Il faut deux heures pour arriver sur la zone. Elle s’étend autour d’une des plus grandes plates-formes pétrolières au monde (430 m de long,1,5 million de barils par jour). Fixant les micro-organismes, cette dernière assure le développement et la régénération d’un important écosystème, attirant les petits poissons, puisles plus grands, jusqu’aux prédateurs finaux tels que les mar-lins ou les requins. Commence alors la traque : la vitesse est réduite à 7 nœuds (13 km/h), les matelots déploient les quatrelignes avec les leurres accrochés au bout. Ce sont générale-ment de simples morceaux de plastique (appelés teasers) mais parfois il s’agit de thons vivants. En s’agitant, ils excitentles instincts de chasseur du marlin qui se jette sur ses proies

CET ANIMAL INTELLIGENT APPREND DE CHACUNE DE SES CONFRONTATIONS

Remontée d’un espadon voilier.

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