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MARK TWAIN ET LA PAROLE NOIRE

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(espace)( littéraire )

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MARK TWAINET LA PAROLE NOIRE

Judith Lavoie

Les Presses de l'Université de Montréal

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Données de catalogage avant publication (Canada)

Lavoie, Judith, 1968-

Mark Twain et la parole noire

(Espace littéraire)

Présenté à l'origine comme thèse (de doctorat de l'auteur — Mc Gill University), 1999 sous letitre : La parole noire en traduction française.

Comprend des réf. bibliogr.

ISBN 2-7606-1799-8

1. Twain, Mark, 1835-1910. Adventures of Huckleberry Finn. 2. Twain, Mark, 1835-1910 —Traductions françaises — Histoire et critique. 3. Black English (Dialecte) — Traduction en français.4. Twain, Mark, 1835-1910 — Personnages — Noirs américains. 5. Anglais (Langue) — Traduction enfrançais. 6. Noirs américains dans la littérature.1. Titre, 11. Titre : Parole noire en traduction française, m. Collection.

PSI3O5.L38 2002 8i3'.4 02002-940345-6

Dépôt légal : 2e trimestre 2002Bibliothèque nationale du Québec© Les Presses de l'Université de Montréal, 2002

Les Presses de l'Université de Montréal remercient le ministère du Patrimoine canadien dusoutien qui leur est accordé dans le cadre du Programme d'aide au développement de l'industriede l'édition.

Les Presses de l'Université de Montréal remercient également le Conseil des Arts du Canada et laSociété de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération canadienne des scienceshumaines et sociales, dont les fonds proviennent du Conseil de recherche en sciences humainesdu Canada.

IMPRIMÉ AU CANADA

www.pum.umontreal.ca

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À Éric

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REMERCIEMENTS

E LIVRE est le fruit d'une thèse de doctorat soutenue en décembre1998 à l'Université McGill. Je tiens à remercier Corinne Durin,

Hélène Buzelin, Chantai Bouchard, Annick Chapdelaine et JaneEverett de leur lecture attentive et de leurs conseils éclairés.

À mes parents, Anita Charette et Gilles Lavoie, je dis merci dufond du cœur. Leur soutien aussi bien moral que financier m'aurapermis de poursuivre mes études en toute tranquillité d'esprit.

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Introduction

RNEST HEMINGWAY a écrit que toute la littérature moderne améri-caine procédait d'un seul livre, Adventures of Huckleberry Finn de

Mark Twain. Or, malgré l'importance de ce roman sur la scènelittéraire internationale, aucune étude d'envergure n'a traité de sestraductions françaises. Il s'agit pourtant d'une œuvre fertile en lamatière puisqu'elle recèle une panoplie de parlers vernaculaires posantdes défis de taille à la traduction. Tel fut d'ailleurs le catalyseur denotre recherche: comment les traducteurs avaient-ils réagi devantl'éventail linguistique de l'œuvre originale, en particulier devant leparler du personnage de Jim, l'esclave en fuite aux côtés de HuckFinn. La langue de Jim se veut une représentation littéraire d'unsociolecte désigné sous le terme de Black English. Cette parole noire,reconnaissable d'entrée de jeu par un lecteur anglo-américain puis-qu'elle réactive un certain nombre de marqueurs phonétiques, mor-phologiques et stylistiques traditionnellement associables au BlackEnglish, représente un obstacle pour la traduction, car elle place letraducteur face à l'obligation d'inventer une langue apte à véhiculerles mêmes valeurs sociales, culturelles, politiques et idéologiques quecelles portées par le Black English. En effet, comment le traducteurpeut-il parvenir à faire parler Jim de manière à ce que le lecteur fran-cophone puisse reconnaître son identité, son statut, mais aussi sacaractérisation, sa pensée, ses idées? Quel véhicule langagier utiliser

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MARK TWAIN ET LA P A R O L E N O I R E

pour réactiver le projet initial ? Voilà autant de questions auxquellesles traducteurs de ce roman de Twain ont dû répondre, consciemmentou non.

Notre tâche était donc double : mettre au jour les choix retenus parles traducteurs de Twain, mais avant, élucider les visées mêmes del'auteur. Il s'agit en effet d'une démarche nécessaire : en premier lieu,la lecture du texte original ; en second lieu, la lecture des traductions.D'ailleurs, la lecture d'une traduction est essentiellement comparative.On a presque toujours une idée préconçue de l'œuvre originale,d'autant plus que l'intérêt pour la traduction naît généralement d'uneproblématique soulevée par le texte de départ. On peut se demanderpar exemple comment sont traduits l'humour, les dialectes, les socio-lectes présents dans une œuvre romanesque. Mais avant toute chose,il importe de savoir ce que signifient cet humour, ces dialectes, cessociolectes. D'où l'importance de revenir au texte de départ afin decomprendre les visées de l'auteur, et, dans le cas qui est le nôtre,d'interpréter le rôle du Black English, les fonctions qu'il assume ausein du texte, d'analyser l'ensemble de la caractérisation de Jim, cellede Huck Finn (le narrateur du livre), pour mettre au jour, en défi-nitive, le projet de Twain. Une fois cette étape réalisée, la comparaisonavec les traductions est possible. Et comme aucun traducteur n'a laisséde mémoires ou de journal de bord nous permettant d'avoir accès auxraisons ayant motivé ses choix, il a fallu interroger le texte traduit afinde faire émerger le projet de traduction (Brisset, 1990). Ce projet semanifeste dans le bougé de la traduction. En effet, les multiples petitsdéplacements qui jalonnent inévitablement une traduction, tous ceslégers mouvements, à peine perceptibles, permettent de voir émerger,cohérent et homogène, le projet de traduction tel qu'il a été réalisédans le texte. Le présent essai propose donc une analyse sémiotiquedes textes, de l'œuvre originale d'abord, des traductions françaisesensuite.

Samuel Langhorne Clemens (de son nom de plume Mark Twain)naît le 30 novembre 1835, à Florida (Missouri), de John MarshallClemens et Jane Lampton. Ses parents possèdent une petite ferme etquelques esclaves. Clemens n'a que 12 ans lors du décès de son père ; ildevient alors apprenti-typographe. Après quelques années à pratiquerce métier, il se fait pilote de bateau à vapeur sur le Mississippi. Il

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emprunte d'ailleurs le pseudonyme de Mark Twain à la terminologiemaritime : il s'agissait en effet d'une manière de calculer la profondeurde l'eau. Trois longueurs de sonde se disaient en anglais, mark three\deux longueurs de sonde, mark twain. Adolescent, Clemens étaitrempli de préjugés. L'esclavage avait fait partie de sa vie, de ses mœurs.En 1853 (à l'âge de 17 ans), il écrit une lettre à sa famille dans laquelleil affirme qu'il devrait peut-être se peindre la figure en noir, car dansces États de l'Est (il se trouve alors à New York) les Noirs sont mieuxtraités que les Blancs. À l'âge de 25 ans, il se joint à l'armée confédérée(sudiste). Il en sortira trois semaines plus tard. Certains affirment qu'ilaurait pris cette décision en guise d'appui aux unionistes (Twain lui-même n'a jamais confirmé cette thèse), il serait probablement plusjuste de penser qu'une blessure à une cheville et la peur de se faire tueront pesé plus lourd dans la balance.

Dix ans plus tard, en 1870, Twain fera une rencontre marquante:Olivia Langdon deviendra sa femme. Or les membres de la familleLangdon sont des abolitionnistes convaincus, leur maison avait étéune station sur l'Underground Railroad, la route de la liberté pour lesesclaves. Le contact de ces personnes sera certainement déterminantdans la vie de Twain. Plus jamais, dans ses écrits personnels non fictifs(correspondance, articles), Twain n'utilisera le mot nigger. Mais cettesensibilité n'est peut-être pas attribuable uniquement à la familleLangdon. Twain n'avait-il pas écrit un article incendiaire en 1869dénonçant la bestialité de Yankees qui avaient pendu un Noir accuséde viol. Le lendemain du châtiment, le vrai coupable, un Blanc, étaitarrêté. Twain, en colère et avec son cynisme habituel, écrira que lachose n'est pas bien grave, que ce n'est qu'un nigger qui a été tué pourrien après tout. Il s'agit là, vraisemblablement, d'une préfiguration dela célèbre réplique de Huck Finn à la tante Sally, «Only a niggerkilled ». Le mot nigger était nécessaire, tant dans le roman que dansl'article, car il agit comme un révélateur de la suprématie que s'accor-dent les Blancs. Pour les attaquer, Twain utilise leurs armes, il les placedevant leurs propres préjugés, leurs propres faiblesses.

Les années de jeunesse furent certainement marquées par despréjugés sur les Noirs, mais la vie adulte les sublimera, d'une certainefaçon, dans des œuvres comme Huckleberry Finn et The Tragedy ofPuddrihead Wilson, mais aussi dans une nouvelle comme «A True

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Story », parue en 1874, soit deux ans avant que Twain ne commence àécrire Huckleberry Finn. «ATrue Story» donne la parole à une esclave,Aunt Rachel, qui raconte ses retrouvailles avec un de ses fils après laguerre civile. Mary Ann Cord, une ancienne esclave qui travaillaitcomme servante à la maison d'été des Clemens (Quarry Farm), araconté à Mark Twain l'histoire qui est devenue «A True Story». Cettehistoire a d'abord été publiée dans VAtlantic Monthly et a paru ensuitedans un livre intitulé Sketches New and Old. Le parler noir utilisé parle personnage montre que ce sociolecte revêtait déjà une grandeimportance pour Twain. On voit, à travers cette nouvelle émouvante,que Twain était préoccupé par le parler des Noirs, qu'il reconnaissaitune richesse et un potentiel créateur à ce sociolecte. De plus, dans «ATrue Story», il apparaît clairement que le parler noir ne sert pas àridiculiser le personnage d'Aunt Rachel, au contraire, il est unvéhicule dramatique fort, rôle que ce sociolecte assumera aussi dansHuckleberry Finn, entre autres lorsque Jim parlera de sa fille 'Lizabeth— même thématique que celle abordée dans la nouvelle, d'ailleurs. Lanouvelle «A True Story» fait ressortir le caractère inhumain del'esclavage, ainsi le parler noir, porteur de ce message, contenait déjàune charge de revendication idéologique identitaire.

Deux ans à peine après la parution de cette nouvelle, Twain met enchantier Huckleberry Finn. La rédaction commence donc en 1876 et setermine en 1883, un travail difficile qui sera entrecoupé de longuespauses, l'orientation initiale du livre étant plusieurs fois remise enquestion. Twain avait d'abord pensé écrire la suite des Adventures ofTom Sawyer, ce qu'il appelait alors another boys book. Mais son histoireprendra une autre direction, les enjeux devenant de plus en plussérieux. À l'été 1876, quelques mois à peine après avoir commencé,Twain a déjà rédigé le quart du manuscrit. Mais il s'arrête brusque-ment. Huck et Jim sont sur le point d'atteindre la ville de Cairo, cequi leur aurait permis de remonter vers le Nord et d'atteindre les Étatslibres, lorsque leur radeau percute un bateau à vapeur. Le radeau estscindé en deux, Huck et Jim sont séparés, et Huck se retrouve chez lesGrangerford, une famille qui fait la guerre aux Shepherdson depuisplusieurs générations. Le dilemme qui se pose à l'auteur est évident :Jim va-t-il s'affranchir ou demeurer un esclave ? La deuxième optionest retenue et, par un concours de circonstances totalement invraisem-

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blable, Huck et Jim continueront de s'enfoncer encore davantage dansle Sud profond. Au moment où Twain délaisse son manuscrit, lestroupes fédérales, venues occuper le Sud après la guerre de Sécession,se retirent. Cet événement marque la fin de la Reconstruction améri-caine et le début — ou la continuation — d'une vie extrêmementdifficile pour les Noirs. Une fois l'armée partie, les Sudistes avaienttout le loisir de traiter leurs anciens esclaves comme ils le voulaient.La liberté des Noirs était dès lors presque complètement artificielle,les derniers chapitres du roman de Twain ne seront pas sans subirl'influence d'une telle tournure des événements. L'auteur reprend sonmanuscrit en 1879, trois ans après l'avoir délaissé, et le termine en1883. Pendant les sept années que dure la rédaction, il écrira A TrampAbroad (1880), The Prince and thé Pauper (1882), Life on thé Mississippi(1883), quelques nouvelles et une série d'articles dans des revues. Maissa plus grande réalisation demeure, aux dires de presque tous les cri-tiques, Adventures of Huckleberry Finn.

Paru aux États-Unis en février 1885 (il était sorti en Angleterre et auCanada en décembre 1884), le roman de Mark Twain sera traduitl'année suivante en France par William-Little Hughes et, au cours desans, les lecteurs francophones auront droit à sept retraductions dulivre : Suzanne Nétillard (1948), Yolande et René Surleau (1950), AndréBay (1961), Lucienne Molitor (1963), Claire Laury (1979), Jean LaGravière (1979) et Hélène Costes (1980). Dans ce livre, nous nousattarderons principalement à deux traductions: celle de Hughes etcelle de Nétillard1. Le choix de ces deux textes ne relève pas du hasard.En plus de représenter respectivement la première traduction et lapremière retraduction du roman, ils font état de choix de traductionqui s'opposent radicalement sur le double plan esthétique et idéolo-gique. Les options retenues par Hughes ont pour résultat de saboter lemessage ironique de Twain, de le nettoyer de ses accents anticonfor-mistes, de le transformer en un discours réactionnaire et colonialiste.Le personnage de Jim est donc transformé en un être soumis et bête— sa parole renforçant cette caractérisation —, et Huck devient lereprésentant de la figure du Blanc paternaliste.

Le projet de traduction de Nétillard, quant à lui, se situe aux anti-podes de celui de Hughes. Notons que le terme «projet de traduc-tion » n'est pas à prendre ici au sens de visée ou encore d'intention ; il

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signifie plutôt un système de choix de traduction actualisés dans letexte. Ainsi, la traduction de Nétillard réitère, à l'aide de moyens lin-guistiques dans certains cas plutôt conservateurs, dans d'autres, nova-teurs, un contenu idéologique contestataire. Son texte traduit tend àmaintenir le projet de départ (et même parfois à l'accentuer), pourprésenter une image non ridiculisante du personnage de Jim, dont lesqualités discursives demeurent le véhicule d'une pensée logique, d'uneautonomie et d'une affection certaines. Notons en terminant que,pour des fins de comparaison et à titre indicatif, nous donnerons à lireen parallèle certains extraits pertinents et significatifs des autrestraductions françaises du roman2.

La double référence littéraire et sociolinguistique du Black Englishreprésentant tout à la fois un écueil et un défi considérables pour latraduction, le problème se posait d'entrée de jeu: quel véhiculelangagier adopter pour rendre l'identité noire en français ? Les travauxde Bernard Vidal proposaient une solution féconde : le français créo-lisé. Cette langue aux confluents du français et du créole trouve sonactualisation dans de nombreuses œuvres romanesques antillaises.Nous nous pencherons sur deux d'entre elles, écrites par JacquesRoumain et Patrick Chamoiseau, pour dessiner l'esquisse de solutionsde rechange à la traduction de la parole noire américaine. Présente engerme dans le texte français de Suzanne Nétillard, cette option detraduction gagnerait à être exploitée davantage vu la fonction identi-taire noire qu'elle véhicule dans le littéraire. Voilà donc où la critiqueproductive (Berman) semble nous avoir menée : peut-être faudra-t-il,un jour, retraduire Huckleberry Finn3...

Notes1. Pour une analyse détaillée de l'ensemble des traductions, voir notre thèse de

doctorat : La parole noire en traduction française : le cas de Huckleberry Finn, Montréal,Université McGill, 1998, p. 82-249.

2. La traduction d'Hélène Costes, par contre, ne sera pas abordée, car elle présentepeu d'intérêt sur le plan de l'analyse.

3. Les citations du texte anglais de Huckleberry Finn renvoient à l'édition par SculleyBradley et al. (Twain. [1885] 1977), que nous désignerons par le sigle HP. Quant auxtraductions, elles seront désignées par le nom de leurs auteurs respectifs.

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CHAPITRE I

Adventures ofHuckleberry Finnl'ironie comme outildénonciateur

signs is signs, mine I tell you »

— réplique de Jim

DVENTURES or HucKLEBERRY FINN de Mark Twain est unroman qui recèle des couches sémantiques insondables, plon-

geant le lecteur au milieu de thématiques multiples (conflits raciaux,voyage initiatique, quête de la liberté, religion) et lui permettant dedécouvrir d'innombrables références intertextuelles (à Shakespeare, àla Bible, au roman d'aventures), ainsi qu'une richesse linguistiqueremarquable. Toutefois, malgré l'importance de la représentation dessociolectes au sein du livre, les critiques se sont peu intéressés, entreautres, à la parole de Jim, l'esclave en fuite aux côtés de Huck Finn.L'objet du présent chapitre sera donc de dégager le rôle du BlackEnglish, parler littéraire américain apte à véhiculer l'identité noire dupersonnage de Jim, en montrant comment il s'inscrit dans la logiquedu texte. Mis à part quelques rares auteurs (Fishkin, 1993; Sewell,1987), la critique américaine contemporaine a majoritairement omisd'aborder la parole de Jim (Barksdale, 1992 ; Doyno, 1991 ; Messent,1990; D.L. Smith, 1992) ou encore a fait preuve d'une profondeméconnaissance de ses enjeux en se cantonnant dans une interpréta-tion fondée sur des critères d'authenticité et d'équivalence (Carkeet,

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[1979] I99I; Egan, 1977; Holton, 1984; Léonard et Tenney, 1992;Woodard et Mac Cann, 1992). Nous posons que l'utilisation du BlackEnglish dans Huckleberry Finn participe d'une double visée : donnerun statut littéraire à la parole noire et revendiquer l'humanité de Jim.

Chez des auteurs comme Hugh Henry Brackenridge (Modem Chi-valry, 1792), James Fenimore Cooper (The Spy, 1821), William GilmoreSimms (The Yemassee, 1835), John Pendleton Kennedy (Swallow Barn,1832) et Thomas Nelson Page (In Ole Virginia, «Marse Chan», 1887),le personnage noir incarnait la figure de l'esclave heureux, docile etsouvent imbécile. L'histoire était généralement narrée par un Blancqui parlait un anglais châtié, ce qui instaurait du même coup unrapport de place visant à inférioriser le personnage noir, dont les répli-ques faisaient état d'une transcription phonétique ridicule. Ainsi, dansla très grande majorité des cas, les auteurs blancs parodiaient le per-sonnage noir, provoquant ainsi une attitude condescendante de la partdu lecteur. Twain, pour sa part, libérera Jim de ce carcan esthétique.Jim ne sera donc pas un bouffon, ni un être infériorisé par son parler,ni un grand enfant, ni encore un modèle de bestialité, de soumissionou encore de stupidité. Son personnage, au contraire, détient de mul-tiples qualités (intelligent, autonome, débrouillard, autoritaire, sen-sible) et sa langue, autrefois raillée dans le romanesque, est réhabilitéeau sein de l'œuvre de Twain, car elle sert précisément à véhiculer unecaractérisation multidimensionnelle.

En outre, il convient de reconnaître, si l'on désire rendre comptede ce roman de Twain, que l'ironie en constitue la principale clé delecture (Barksdale, 1992, p. 54; Mailloux, 1985, p. 124). Elle est intro-duite d'entrée de jeu par le biais de l'avertissement (Notice] dans lequell'auteur nous interdit, sous peine de mort ou de poursuites judiciaires,de trouver une intrigue, une morale ou une intention à son histoire.L'importance que revêt la pratique rhétorique de l'ironie à l'intérieurdu roman est réitérée par la toute première thématique abordée par lenarrateur Huck qui nous apprend que Twain a plus ou moins dittoute la vérité dans The Adventures ofTom Sawyer.

Voici le tout premier paragraphe de Huckleberry Finn, qui installe,dès les premières lignes, cette thématique du mensonge, ainsi que lestyle unique du parler de Huck, sa rythmique, sa teneur sociolectale :

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You don't know about me, without you hâve read a book by thé name of« The Adventures of Tom Sawyer, » but that ain't no matter. That bookwas made by Mr. Mark Twain, and he told thé truth, mainly. There wasthings which he stretched, but mainly he told thé truth. That is nothing.I never seen anybody but lied, one time or another, without it was AuntPolly, or thé widow, or maybe Mary. Aunt Polly — Tom's Aunt Polly, sheis — and Mary, and thé Widow Douglas, is ail told about in that book— which is mostly a true book ; with some stretchers, as I said before.(HP, chap. I, p. 7)

Désormais célèbres, ces lignes ont donné du fil à retordre à Twain.Victor Doyno, auteur d'une critique génétique de Huckleberry Finn,retrace ainsi le parcours créatif de l'auteur, qui avait d'abord fait dire àHuck: «You will not know about me», pour remplacer cette phrasepar: «You do not know about me», pour enfin écrire: «You don'tknow about me » (tiré de la première page non numérotée du manus-crit A, cité par Doyno, 1991, p. 42). Ce seul exemple, et il en existe denombreux autres, permet de constater avec quel soin Twain transcri-vait le sociolecte de Huck, mais aussi l'importance que l'auteur accor-dait à la justesse de l'expression comme véhicule de la caractérisationd'un personnage.

Si l'on avait enfin pour tâche d'énumérer les thématiques abordéesdans le roman de Twain, quelques lignes ne suffiraient pas. Dire quel'auteur fait feu de tout bois ne serait pas trop fort pour décrire leprojet esthético-idéologique sous-jacent à cette œuvre. La principalevisée de Twain pourrait effectivement se résumer ainsi : dénoncer ouremettre en question la société blanche (esclavagiste) du Sud des États-Unis de la période pré- et post-guerre de Sécession. Tous les travers deces gens sont mis au jour, de la bigoterie (au sens français du terme)de la classe moyenne, à la violence gratuite des Blancs pauvres, enpassant par l'idéalisation du roman d'aventures (Doyno, 1991, p. 28 etin ; Mailloux, 1985, p. 121; Fishkin, 1993, p. 64-65). La dénonciationdu système esclavagiste traverse l'ensemble de l'œuvre, mais enrevêtant des formes diverses. En effet, Twain a recours à des procédésvariés pour subvertir et critiquer les préjugés racistes qui organisent lediscours suprémaciste blanc. Il y parvient, entre autres, par le biaisd'une représentation particulière du parler noir du personnage de Jimet en attribuant à ce personnage des possibles discursifs qui le quali-fient positivement et respectueusement; il y parvient également en

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caractérisant négativement les personnages de pap Finn et de MissWatson, deux représentants du monde esclavagiste; et, enfin, par lasémiotisation de certains termes, comme carpet-bag, snake, white etblacky et même de chapitres entiers, une sémiotisation visant à véhi-culer une charge symbolique subversive. On voit, à partir de cettemise en relief, que le parler noir n'est pas l'unique élément par lequels'exprime la visée de l'auteur. Il s'agirait plutôt d'un des traits textuelspar lesquels le projet de l'auteur se manifeste et, comme tel, il s'insèredans une mosaïque d'éléments étroitement corrélés qui donne àl'œuvre sa cohésion, sa signifiance. Nous nous attacherons à mettre enlumière ce tout signifiant du texte, en accordant une importanceparticulière au parler noir, en montrant de quelle manière il fonctionnedans cette dynamique textuelle. Après avoir analysé le personnage deJim et son parler, nous nous pencherons sur le rôle joué par les per-sonnages de pap Finn et de Miss Watson, ainsi que sur la valeur sym-bolique assumée par des mots comme white, black, etc.

La caractérisation du personnage de JimLe programme discursif du personnage de Jim comporte des facettesmultiples. Capable à la fois d'émouvoir, d'être affectueux et autori-taire, d'argumenter et de manipuler (en jouant le trickster1), le person-nage de Jim est loin du darky que certains l'accusent de représenter2.Avant d'aborder la question du lien existant entre le programmediscursif de Jim et sa caractérisation, arrêtons-nous sur l'opinion deceux qui lisent Huckleberry Finn comme une œuvre raciste quiridiculiserait les personnages noirs par le biais d'une caractérisationstéréotypée.

Un bouffon grotesque ?Relativement nombreux sont les critiques américains pour qui Jim (etles autres personnages noirs) représentent la figure du bouffon naïf, oudarky. James S. Léonard et Thomas A. Tenney définissent ainsi ledarky : « The black-American-as-darky is thé white fiction by which anunequal relation between races is rendered harmless, natural, just,ethical» (1992,, p. 3). Le darky, qui provient de la dénomination mins-trel darky, serait issu de ce type de spectacle, populaire au xrxe siècle,appelé negro minstrel show ou encore blackface minstrelsy, dans lequel

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ADVENTURES OF HUCKLEBERRY FINN

des acteurs blancs se maquillaient le visage de noir et, par le biais dechansons et de blagues, se moquaient des Noirs (Léonard, 1992,p. 121). La plupart des critiques s'entendent pour dire que la carac-térisation du personnage de Jim traverse trois étapes: au début duroman, Jim est présenté de façon ridiculisante, au milieu du livre, ils'élève au-dessus de cette image nivelée pour afficher les qualités d'unhomme, et non d'un bouffon ou d'un enfant, pour enfin revêtir lecostume du darky à la fin du roman lorsqu'il devient le jouet de TomSawyer. Telle est l'opinion de Michael Egan : « [...] thé eye-rolling darkywe encounter in chapter two has nothing in common with thédignified and often complex figure of chapters eight to fifteen. [...]The Jim of chapter two, and of thé late, évasion chapters, is not thisman. He is a caricature and a travesty [...] » (1977, p. 13). Egan poursuiten disant que, dans ces chapitres finals, «Jim forfeits his dignity, hismanhood, his three-dimensionality, reverting once again to stage-niggerdom» (1977, p. 31). Carmen Subryan, auteure d'une analysebiographique des écrits de Twain dans le collectif Satire or Evasion ?(1992, p. 91-102), considère elle aussi que le personnage de Jim évoluejusqu'au milieu du livre, puis finit par régresser. L'auteure fournit lesexemples suivants pour appuyer son interprétation selon laquelle Jimjouerait le rôle du bouffon dans le roman: Jim est superstitieux, ilraconte que des sorcières l'ont enlevé après que Tom lui a tendu unpiège; il se fait jouer un tour par Huck (Subryan fait référence à lamorsure par un serpent à sonnettes) ; il ne comprend pas la logique duroi Salomon ; Jim ne comprend pas que des individus puissent parlerdes langues différentes ; et Huck fait croire à Jim qu'ils ne se sont pasperdus dans le brouillard. Ce dernier événement est un point tournant :après cela, Jim ne sera plus représenté comme un « stereotypicalbuffoon» (Subryan, 1992, p. 97), sauf dans les derniers chapitres dulivre où il sera de nouveau réduit à ce rôle dévalorisant. Sansmentionner le cas des chapitres d'évasion, Janet Holmgren McKay,dont l'étude traite surtout de la représentation des sociolectes dans leroman, a l'opinion suivante: «Jim as a character changes in thé courseof thé novel. As a slave he seems simple and childlike, but as anindependent partner with Huck in their river trip, his superstitionsbecome useful insights and his feelings and thoughts become moreprofound. As Huck's respect for Jim grows, so does Jim's character»

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AGMV marquis

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