Marché - BFC International · Proverbe chinois Après 20 ans de mise en marché organisée Au...

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Guide pour la mise en place d’un système collecf de mise en marché des produits agricoles Marché : direcon paysanne Quand on sème depuis 20 ans

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Guide pour la mise en place d’un système collectif

de mise en marché des produits agricoles

Marché : direction paysanne

Quand on sème depuis 20 ans

L’œuvre Léger a participé financièrement à la réalisation de ce document.

Le présent document a été produit dans le cadre du 20e anniversaire 

d’UPA Développement international (UPA DI) et fait partie 

d’un ensemble de quatre avec : 

« 20 d’ans 1 »

« Les Savoirs des gens de la terre : la récolte »

« Le pouvoir de se nourrir plutôt que pourvoir » titre du rapport annuel 2011-2012

Quand on sème depuis 20 ans Marché : direction paysanne, UPA DI 2012 3

Table des matières

Avant-Propos .........................................................................................................................5

Après 20 ans de mise en marché organisée .......................................................................................................... 5

Introduction ...........................................................................................................................6

Un guide pour savoir la direction .......................................................................................................................... 6

Contexte ................................................................................................................................8

Une approche collective dans une économie néolibérale .................................................................................... 8

Le système collectif de mise en marché en question .............................................................10

Lorsque le collectif répond aux aspirations individuelles ................................................................................... 10

Une réponse paysanne ....................................................................................................................................... 10

Des étapes ........................................................................................................................................................... 11

L’expérience de trois organisations paysannes ......................................................................12

Phase d’implantation et d’expérimentation ....................................................................................................... 13

Phase de rodage .................................................................................................................................................. 13

Phase de consolidation et de développement .................................................................................................... 15

Mise en place d’un système collectif de mise en marché .......................................................16

Agriculture familiale et services collectifs .......................................................................................................... 16

Développement d’un projet mobilisateur de mise en marché collective ........................................................... 17

Les outils à mettre en place ................................................................................................................................ 20

• Fonds de commercialisation ........................................................................................................................ 20

• Manuel de procédures ou de gestion administrative et financière ............................................................. 21

• Comité technique du groupement ............................................................................................................... 22

• Comité de commercialisation de l’organisation paysanne .......................................................................... 23

Conclusion et perspectives ...................................................................................................24

Au niveau de l’environnement ............................................................................................................................ 24

Au niveau de l’organisation paysanne ................................................................................................................. 25

Quand on sème depuis 20 ans Marché : direction paysanne, UPA DI 2012 5

Avant-Propos

«Les fleurs de demain sont toutes dans les graines d’aujourd’hui.»

Proverbe chinois

Après 20 ans de mise en marché organisée

Au cours des 20 dernières années, l’Union des groupements pour la commercialisation des produits agricoles de la Boucle du Mouhoun (UGCPA/BM) au Burkina Faso, ainsi que Faso Jigi et Baabahuu Jici au Mali, ont marqué l’histoire du développement de l’agriculture et des marchés céréaliers de leur pays. Nos organisations ont donné naissance à des systèmes collectifs de mise en marché (SCMM) permettant à nos membres d’évoluer de façon permanente. Ce faisant, les organisations que nous sommes s’en trouvent grandies.

En favorisant la mobilisation et le sentiment d’appartenance des membres, le SCMM a permis aux productrices et aux producteurs de se regrouper pour mettre en vente leurs produits, mais plus encore, leur a donné une voix. Nos trois organisations sont aujourd’hui reconnues en tant qu’acteurs incontournables pour l’approvisionnement des marchés nationaux de céréales. Reconnues d’une part, par les autres opérateurs économiques que sont les institutions financières et les commerçants et d’autre part, par des institutions internationales et des partenaires au développement de l’agriculture que sont l’État et les organisations étrangères nous appuyant.

À travers nos organisations, notamment en facilitant l’accès au crédit à des taux acceptables, les productrices et les producteurs agricoles ont de meilleures conditions de production, augmentent leurs rendements et obtiennent de meilleurs prix pour leurs produits. L’expertise développée en matière de SCMM incite à la mise en place d’autres services aux membres, tel l’achat groupé d’intrants, diminuant ainsi le coût de production, et contribuant à notre autonomie organisationnelle et financière.

En tant que principaux leaders de ces organisations, nous sommes fiers d’avoir alimenté la présente réflexion sur les SCMM à partir de nos expériences respectives. Espérons que ce guide pourra aider d’autres organisations paysannes, d’Afrique et d’ailleurs, à contribuer au développement d’une agriculture aux mains des productrices et des producteurs.

Il y a 20 ans à peine, si quelqu’un nous avait dit qu’un jour nous pourrions apporter notre contribution à la rédaction d’un tel guide, nous ne l’aurions certes pas cru. Il faut croire que nos organisations ont fait germer de la bonne graine.

Marché : direction paysanne origine d’une prise de conscience individuelle et collective des membres d’une orga­nisation pour accroître leur pouvoir dans la mise en marché de leurs produits et influer sur les conditions de vente.

Amadou Oumar Maïga Bonzi Nonyeza Kassim Coulibaly

Marché : direction paysanne, UPA DI 2012 Quand on sème depuis 20 ans6

« La parole n’est pas bonne dans une seule bouche. »

Proverbe africain

Un guide pour savoir la direction

Après quelques expériences de solidarité conduisant à la coopération internationale, notamment au Burkina Faso, en 1993 l’Union des producteurs agricoles du Québec (UPA) donne naissance à UPA Développement international (UPA DI). L’UPA affirmait ainsi sa volonté de partager sa vision d’une agriculture familiale et son expertise dans l’action collective permettant de maintenir et de développer ce type d’agriculture. Du même coup, les premiers artisans d’UPA DI s’imprégnaient des réalités de l’agriculture d’ailleurs, particulièrement des pays de l’Afrique de l’Ouest.

Les premiers intervenants y découvrent une agriculture vivrière morcelée, tournée principalement sur l’autocon­sommation, chaque paysan œuvrant avec sa famille dans son champ, sous l’œil concupiscent des commerçants. Dès qu’un besoin imprévu se fait sentir, ces acteurs sont prêts à offrir des prêts forçant ainsi le paysan à céder sa future récolte à un prix dérisoire. Et même les excédents à la fin de la campagne étaient bradés à vils prix, par manque d’équipement d’entreposage et, le plus souvent, pour un besoin de liquidité afin de faire face aux obligations familiales.

Année après année, le paysan et son voisin, et le voisin de ce dernier, font la démonstration que :

✦ Isolément, le paysan n’a pas de pouvoir de négociation pour obtenir un meilleur prix.

✦ Le peu de culture de rente n’est pas rentable et, par le fait même, difficile à développer.

✦ Le manque d’accès au crédit le rend vulnérable et nuit à sa professionnalisation.

✦ Seul le regroupement au sein d’une organisation forte peut lui donner le pouvoir de négocier et de prendre sa place sur le marché.

Année après année, le paysan et son voisin, et le voisin de ce dernier, font la démonstration que :

Introduction

Quand on sème depuis 20 ans Marché : direction paysanne, UPA DI 2012 7

Introduction

En produisant ce guide, pour son 20e anniversaire, UPA DI a voulu capitaliser sur trois expériences de SCMM menées avec des organisations partenaires au Burkina Faso et au Mali. Ceci afin d’en faire profiter d’autres organisations paysannes qui ont à cœur le développement et le maintien d’une agriculture entre les mains des paysannes et des paysans. On y retrouve :

✦ Le contexte où l’approche collective se frotte, voire se bataille, avec une économie néolibérale dominante.

✦ La présentation d’un SCMM, une réponse paysanne aux réalités du marché pour mieux vivre de sa profession.

✦ Des histoires de mise en marché et leurs résultats en trois phases : implantation et expérimentation, rodage ainsi que consolidation et développement.

✦ La mise en place d’un SCMM comme projet mobilisateur avec ses mécanismes et ses outils.

Le guide conclu sur une réflexion à propos de l’autonomie administrative et financière des organisations paysannes, basée sur le développement de services aux membres et sur le nécessaire engagement des productrices et des producteurs au sein de leur organisation. Souhaitant que les savoirs des gens de la terre, dans une coopération de paysans à paysans, puissent entraîner d’autres organisations dans leurs sillons.

Marché : direction paysanne, UPA DI 2012 Quand on sème depuis 20 ans8

« Il te restera toujours le rêve pour réinventer le monde que l’on t’a confisqué. »

Yasmina Kadra, Algérie

Une approche collective dans une économie néolibérale

En 1990, lorsque l’UPA a mis les pieds pour la première fois au Burkina Faso, il était clair que les signaux des dirigeants des États­Unis et de la Grande­Bretagne, représentés par le couple Reagan­Thatcher, avaient été donnés. Le néolibéralisme était consacré et ses premières conséquences, déjà perceptibles. Les offices de commercialisation, sous quelque forme que ce soit, n’avaient plus la cote. Les mécanismes de soutien des prix se devaient d’être abolis au profit du commerce mondial. Il fallait éliminer tout obstacle à la mondialisation.

Libéraliser le commerce pour les paysannes et les paysans de l’Afrique de l’Ouest, qu’est­ce que cela représentait ? À toutes fins utiles, cela signifiait de les laisser seuls à eux­mêmes face à l’ouverture des marchés. C’est dans ce contexte qu’UPA DI a posé ses premiers gestes de coopération, au côté de celles et ceux dont la connaissance du marché se limitait à

celui du village. Pour ces derniers, leur monde venait de basculer. Avant, les commerçants, les revendeuses, les transporteurs, tous étaient du coin et chacun connaissait son bout de partition. Par la suite, les principaux ténors venaient de la capitale avec des capitaux dont on ignorait pour quelle bourse ils agissaient. Du même coup, ils drainaient le capital humain du village à la ville.

Toute cette tragédie, pardon, toute cette stratégie du libéralisme économique reposait sur la prémisse voulant que l’urbanisation allait engendrer une demande permettant un accroissement de l’offre soutenant le développement de l’agriculture. Cependant, quelqu’un avait oublié que pour être solvable, la demande devait reposer sur des emplois rémunérateurs et stables.

À l’époque, forte de l’appui reçu des gens engagés envers la classe paysanne, UPA DI a pu bâtir un modèle collectif de mise en marché répondant aux besoins du commerce domestique et aux aspirations individuelles des paysannes et des paysans. Grâce aux gens de l’Agence canadienne de développement international (ACDI), des gouvernements africains et du milieu paysan des pays dans lesquels nous avons initié ces systèmes, la naissance d’un autre modèle faisant l’objet aujourd’hui d’une attention particulière, a été rendue possible.

Contexte

Quand on sème depuis 20 ans Marché : direction paysanne, UPA DI 2012 9

Contexte

Au début, certains observateurs estimaient que, devant l’immensité du potentiel du libéralisme économique, notre approche faisait figure de carré de sable. Une manière de dire que la mer du néolibéralisme allait déferler sur les plages du collectif et détruire les figurines que nous étions. Depuis, plusieurs tsunamis ont eu effectivement lieu sur les marchés mondiaux. Pourtant, au Burkina Faso et au Mali, les systèmes collectifs sont toujours là, plus forts que jamais. En revanche, nous sommes en droit de demander qu’est­ce que le libéralisme économique a apporté de structurant sur les marchés africains, outre une multitude de conteneurs de produits de toutes sortes, poussés par des vagues sans lendemain.

L’épreuve du temps, rapports de la Banque mondiale en main, il est facile de mesurer que la volatilité des prix engendrée par la spéculation n’a fait qu’aggraver le problème de la faim dans le monde. Or, les dirigeantes et les dirigeants d’organisations telles que l’UGCPA/BM, Faso Jigi et Baabahuu Jici sont aujourd’hui devenus des leaders ayant la capacité de contribuer à réduire les effets négatifs de cette mondialisation aveugle. Ces organisations ont acquis la maturité permettant à leurs membres de tirer un revenu plus juste du marché domestique, tout en offrant aux consommateurs un produit d’une grande qualité, disponible et reflétant le prix du marché.

De plus, à travers cette expérience, les organisations ont acquis une expertise représentant une ressource précieuse dans la mise en œuvre d’une souveraineté alimentaire, rendant effective la sécurité alimentaire. précieuse dans la mise en œuvre d’une souveraineté alimentaire, rendant effective la sécurité alimentaire.

Marché : direction paysanne, UPA DI 2012 Quand on sème depuis 20 ans10

Le système collectif de mise en marché en question

« Un seul pied ne trace pas un chemin. »

Proverbe africain

Lorsque le collectif répond aux aspirations individuelles

A­t­on véritablement besoin de mécanismes collectifs pour répondre aux besoins des marchés de produits agricoles ? Les paysannes et les paysans ont­ils besoin d’une organisation pour prendre leur place dans leur filière ? Des entreprises collectives peuvent­elles suppléer le privé pour mieux servir la sécurité alimentaire d’un pays ?

Voilà autant de questions que nous sommes en droit de nous poser lorsqu’on réfléchit aux mécanismes d’appro­visionnement des marchés alimentaires de pays comme le Burkina Faso ou le Mali. Il faut reconnaître que, depuis 30 ans, la réponse à ces questions n’a pas été à la hauteur des besoins des populations. Dans cet espace­temps, ce sont les positions extrêmes qui ont dominé. Des mécanismes étatiques de régulation de la fin des années 1980 au néolibéralisme des années 2000, nous avons contourné le juste milieu et nous sommes passés complètement à côté de l’équilibre. De telle sorte que les paysannes et les paysans n’ont vu, à toutes fins utiles, aucun changement significatif d’un point de vue économique.

Le seul véritable changement perceptible est venu sous l’angle de la gouvernance. En permettant la libre association des paysannes et des paysans, ces derniers ont pu, pour la première fois de leur existence, évoluer dans le sens de leurs intérêts. Certes beaucoup de travail reste à accomplir, mais s’il nous reste un espoir, il nous vient de ce côté.

Une réponse paysanne 

Pour contrer l’isolement des paysans en matière de pratiques commerciales de produits agricoles, la réponse collective s’imposait. Le SCMM consiste à regrouper l’offre de produits excédentaires des productrices et des producteurs au sein d’une organisation paysanne, octroyant aux paysans, à travers leur organisation paysanne (OP), un plus grand pouvoir de négociation. Ainsi, ils deviennent des acteurs incontournables dans la commercialisation des produits agricoles.

Le regroupement de l’offre repose essentiellement sur l’engagement des paysannes et des paysans à livrer à la récolte un volume d’excédents prédéterminé. Cet engagement est recensé au niveau du groupement et compilé au niveau de l’OP.

Afin de soutenir et même développer la production, l’OP doit s’attaquer à la vulnérabilité des paysans en mettant en place des outils financiers adaptés. Disposant d’un nécessaire fonds de commercialisation, qui sert de fonds de garantie, l’OP peut négocier auprès d’institutions financières, à des conditions favorables, une ligne de crédit pour la réalisation de la campagne. Ainsi, les productrices et les producteurs ont accès à un premier crédit pour le démarrage de la campagne, notamment pour l’achat des intrants et le coût de la main­d’œuvre. Par la suite, à la livraison de sa production excédentaire, selon le volume engagé et livré par la productrice et le producteur, l’OP se sert de sa ligne de crédit pour leur verser un montant basé sur l’appréciation du prix réel du marché. L’OP a préalablement soustrait de cette somme le crédit déjà accordé au démarrage ainsi que les intérêts correspondants. C’est pourquoi il est question de remboursement du crédit en nature.

Après la vente du produit par l’OP, qui agit à titre d’agence de vente pour le compte de ses membres participants, elle établit le bilan de la campagne. Sur cette base, après avoir soustrait ses coûts de commercialisation et autres contributions déterminées avec les membres en assemblée générale, l’OP établit et apprécie les bénéfices nets de la campagne. Ils sont répartis entre les producteurs, sous forme de ristourne, et l’organisation pour contribuer à son fonctionnement.

Quand on sème depuis 20 ans Marché : direction paysanne, UPA DI 2012 11

Le système collectif de mise en marché en question

Des étapes

Périod

e d’exécuti

on

1ermois

Engagement du producteur

• Fixation par l'OP du paiement anticipé 1 (PA 1)/kg pour chaque produit.

• Paiement par le producteur de la cotisation pour membership à l'OP.

• Recensement et validation de l'engagement individuel par son organisation de base et transfert à l'OP.

2au

3emois

Financement  de la campagne 

agricole

• Négociation avec les institutions financières des conditions de crédit, incluant la garantie de l'OP offerte à même son fonds de commercialisation.

• Transfert des demandes par l'OP à l'institution financière pour le financement du PA 1.

• Versement d'une partie du PA 1 en produits (engrais, semences, etc.) par l'OP à partir d'achats groupés par appel d'offres.

• Versement de l'autre partie du PA 1 en espèce dans le compte du producteur pour couvrir les autres besoins de la campagne (main d’œuvre, travaux à forfait).

9au

12e mois

Recouvrement  de l'engagement 

à la récolte  et gestion 

des impayés

• Fixation du prix de cession/kg (prix plancher) pour chaque produit par l'OP.

• Précision par l'OP aux institutions financières des besoins en ce qui concerne la ligne de crédit pour couvrir le remboursement des PA 1, les intérêts engendrés par celui­ci, le versement des paiements anticipés 2 (PA 2) à la livraison des produits et les coûts des opérations de commercialisation.

• Livraison à l'OP des quantités engagées par le producteur avec contrôle de la qualité et de la quantité par son organisation de base.

• Versement du PA 2 ((prix de cession X quantité livrée) ­ (PA 1 + intérêts du PA 1)) dans le compte du producteur.

• Remboursement aux institutions financières par l'OP, à même sa ligne de crédit, de tous les PA 1 et des intérêts.

• Gestion des impayés des producteurs par l'OP selon la procédure de recouvrement, pour ceux qui n'auraient pas livrés les quantités auxquelles ils s'étaient engagés et pour lesquelles ils avaient obtenu un crédit sous forme de PA 1.

9au

18emois

Gestion et  commercialisation   des quantités  livrées par les  producteurs

• Regroupement et gestion des stocks par l'OP.

• Commercialisation des stocks.

• Remboursement de la ligne de crédit à même les revenus tirés de la commercia­lisation par l'OP.

• Récupération du fonds de garantie.

• Perception par l'OP des contributions des producteurs/kg livrés pour couvrir les coûts de commercialisation et autres (notamment la constitution d'un fonds de sécurité) à même les revenus de la vente.

• Établissement du bilan de la campagne de commercialisation pour déterminer le niveau de ristourne à verser au producteur et à l'OP.

• Versement de la ristourne par l'OP aux producteurs.

Marché : direction paysanne, UPA DI 2012 Quand on sème depuis 20 ans12

L’expérience de trois organisations paysannes

« La nouvelle corde s’attache toujours sur la vieille corde pour tirer l’eau du puits. »

Proverbe africain

Le graphique qui suit illustre l’évolution globale du SCMM sous l’angle du nombre de productrices et de producteurs et des quantités commercialisées pour les trois organisations. À cette évolution, nous avons inséré les tendances, les linéaires (barres obliques dans le tableau) qui se dessinent dans le temps. Elles nous permettent d’apprécier, malgré les fluctuations sur une base annuelle, la progression à moyen et à long terme du nombre de membres et des quantités commercialisées. Vues sous cet angle, nous pouvons aujourd’hui dégager les constats suivants :

✦ Malgré les résultats des campagnes qui fluctuent, dans l’ensemble, les quantités commercialisées augmentent.

✦ Les quantités commercialisées s’accroissent plus rapidement que le nombre de membres.

✦ Cette démarche exige un changement important d’habitudes chez les productrices et les producteurs et elle demande du temps.

Pour mieux comprendre cette évolution, nous avons scindé celle­ci en trois phases. Une première dite d’implantation et d’expérimentation, une deuxième de rodage et une troisième de consolidation et de développement.

Évolution de Baabahuu Jici, de Faso Jigi et de l’UGCPA/BM depuis leur fondation

Nombre de membres

12 000

10 000

8 000

6 000

4 000

2 000

0

Quantitéscommercialisées

Linéaire (Nombre de membres)

Linéaire (Quantitéscommercialisées)

Implantation et expérimentation Rodage Consolidation

et développement

1993-94

1994-95

1995-96

1996-97

1997-98

1998-99

1999-00

2000-01

2001-02

2002-03

2003-04

2004-05

2005-06

2006-07

2007-08

2008-09

2009-10

Quand on sème depuis 20 ans Marché : direction paysanne, UPA DI 2012 13

L’expérience de trois organisations paysannes

Phase d’implantation et d’expérimentation

Cette phase s’est rapidement butée à quelques obstacles majeurs dont :

✦ Les pratiques historiques en matière de commercialisation sont ancrées profondément et entretenues avec intérêt par les commerçants.

✦ La culture de rente pour les producteurs de céréales sèches émerge à peine.

✦ L’excédent céréalier pour le producteur demeure une sécurité financière qui lui permettra de faire face aux besoins familiaux : santé, éducation, décès, mariage, naissances…

« À beau mentir qui vient de loin. » Les productrices et les producteurs ne bénéficient d’aucun exemple sur lequel s’appuyer avant de confier leur portefeuille d’une année, que représente leur production céréalière, à des organisations aussi paysannes soient­elles. Même bien intentionnés, convaincus et convaincants, leurs leaders peuvent difficilement se substituer au chef de famille qui traditionnellement dispose des excédents céréaliers.

L’UGCPA/BM, Faso Jigi et Baabahuu Jici sont nées d’une volonté de collaboration entre les groupements et d’un intérêt commun : la mise en marché collective des produits agricoles. En même temps qu’un nouveau service était mis en place, les nouvelles organisations avaient à se développer. Ces démarches s’inscrivaient dans un contexte où plusieurs expériences négatives aux plans démocratique et économique avaient été vécues par des organisations.

Pour assurer le bon fonctionnement du système et le respect des engagements des producteurs, des comités spécifiques au SCMM ont été créés au niveau de chaque groupement. Ils ont bénéficié de l’appui d’agents d’accompagnement rémunérés par l’organisation pour une plus grande maîtrise de leur rôle.

Un producteur qui ne livre pas ses engagements ou livre un produit de mauvaise qualité est facilement retracé. Il sera automatiquement suspendu et l’organisation prendra des mesures pour récupérer le crédit (paiement anticipé 1) obtenu par le producteur fautif. Il devra régulariser sa situation avec l’organisation afin de la réintégrer et ainsi bénéficier à nouveau du SCMM. Un argument majeur pour forcer les producteurs à rembourser.

Note : Cette phase a une durée de plus ou moins quatre ans.

Phase de rodage 

La seconde phase, dite de rodage, correspond à une plus grande maîtrise du concept et des mécanismes du SCMM par les organisations et les membres. Elle permettra d’ouvrir le SCMM à plus de groupements, plus de producteurs et d’augmenter le volume de produits à commercialiser.

En ce qui concerne Faso Jigi, la production de riz sous irrigation totalement contrôlée et dans une zone circonscrite, facilite la croissance du nombre de groupements et du volume à commercialiser. De plus, les excédents de riz dans cette zone encadrée par l’Office du Niger sont beaucoup plus importants que pour les céréales sèches. Il n’en demeure pas moins que les quantités de céréales sèches se sont accrues, mais à une vitesse moindre que le riz.

Parallèlement à cette croissance, Faso Jigi et les deux autres OP ont été confrontées à des difficultés les ayant amenées à réagir pour corriger la situation :

✦ L’accroissement des impayés des producteurs de riz qui obtiennent les crédits les plus importants.

✦ L’absence d’une centrale de risques pour le partage des informations sur les impayés.

✦ La récupération des impayés auprès des producteurs s’avère difficile et coûteuse.

✦ Le non­paiement par des acheteurs des céréales qui leur ont été dûment livrées.

✦ Des fraudes commises à l’intérieur de l’organisation.

Marché : direction paysanne, UPA DI 2012 Quand on sème depuis 20 ans14

L’expérience de trois organisations paysannes

En assemblée générale (AG), Faso Jigi a fait le choix d’utiliser le fonds de commercialisation pour rembourser les institutions financières et verser des ristournes uniquement avec le reliquat des bénéfices nets. Par la suite, pour faire face à ces impayés et éviter de recourir au fonds de commercialisation, toujours en AG, Faso Jigi a décidé de créer un fonds de sécurité représentant 1 % du chiffre d’affaires, constituant ainsi une assurance collective pour partager les risques. Ce pourcentage est rapidement passé à 3 %. L’UGCPA/BM vient tout juste de mettre en place un tel fonds et le taux retenu est de 2 %.

Toujours au Mali, la chute des prix des céréales et du riz au début des années 2000, coïncidant avec l’accroissement des importations de riz, la politique de délestage du stock de sécurité et l’accroissement des tracasseries administratives pour rendre plus difficile la circulation des céréales dans la sous­région, allaient forcer l’OP à recourir à nouveau au fonds de commercialisation.

Le prix de cession demeure un enjeu déterminant dans toute la stratégie du SCMM et pour cause :

✦ Un prix trop bas par rapport à celui du marché amène le producteur à ne pas respecter son engagement et à écouler sa production directement sur le marché, compte tenu des multiples canaux d’écoulement.

✦ Un prix trop élevé favorise le respect des engagements et même l’augmentation des quantités livrées, mais augmente du même coup le prix de revient du stock à être vendu sur le marché, contribuant à accroître le risque de déficit de commercialisation.

La présence sur le terrain des commerçants qui incitent les producteurs à leur livrer leur stock, à un prix généralement supérieur au prix de cession, constitue un autre défi à surmonter pour les OP.

Les comités techniques et la qualité de leurs membres au niveau des groupements s’avèrent une clé maîtresse du bon fonctionnement du SCMM. La rigueur dans l’application et le suivi des règles qui balisent le SCMM, malgré les pressions sociales du milieu, sera garante de la réussite de l’opération. L’implication et le professionnalisme des permanents de l’organisation sont aussi des facteurs déterminants.

L’intégration des femmes apporte aux organisations un nouveau souffle. Elle passe par des activités économiques spécifiques : la production et la commercialisation collective du bissap’s à l’UGCPA/BM et des échalotes à Faso Jigi ainsi que l’opération de batteuses stationnaires pour la transformation du blé à Baabahuu Jici. L’intégration des femmes vient renforcer le fonctionnement démocratique de l’OP en plus de lui apporter une contribution financière significative. Les femmes siègent au niveau des instances de l’OP, au même titre que les hommes, et disposent de comités propres à leurs activités où elles y participent activement et n’hésitent pas à revendiquer leur place et plus de services et de moyens.

Cette phase de rodage a également permis de prendre conscience de l’importance du mode de désengagement des organisations d’appui ou de partenaires techniques et financiers pour éviter les dérapages de fin de projet.

Note : Cette phase a une durée de plus ou moins quatre ans.Note : Cette phase a une durée de plus ou moins quatre ans.

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L’expérience de trois organisations paysannes

Phase de consolidation et de développement

Un appui orienté plus spécifiquement sur la pérennisation des OP à partir d’un plan stratégique de développement a mené à une appropriation pleine et entière du SCMM par chaque organisation. Les OP se concentrent sur la consolidation et l’adéquation des outils du SCMM à leur situation spécifique.

La phase de consolidation a permis aux OP de poursuivre l’objectif d’une plus grande rentabilité du service, notamment en réduisant les coûts d’opération et en contrôlant mieux chacune des opérations. Parmi les moyens mis de l’avant et de façon non exhaustive :

✦ L’adéquation du nombre de ressources humaines en fonction de la capacité de payer.

✦ Le prêt auprès des institutions financières converti en ligne de crédit.

✦ L’appréciation des volumes de livraison des céréales au kilogramme et non plus au sac.

✦ Un plus grand rôle joué par les comités techniques de chaque groupement.

Au­delà de ces ajustements, l’organisation est consciente que le système est volontaire et que le producteur peut choisir de se retirer à tout moment. Elle est aussi consciente que le SCMM ne pourra pas réussir seul à assurer l’autonomie financière de l’organisation. D’où la nécessité de mettre en place une gamme de services contribuant à faciliter la réalisation de la campagne, à fidéliser le producteur, à intensifier son engagement et à développer l’intérêt d’autres groupements et d’autres productrices et producteurs.

✦ Développement d’un réseau de producteurs semenciers et d’un service d’approvisionnement en semences certifiées.

✦ Introduction de nouveaux produits à commercialiser.

✦ Conseil à l’exploitation familiale.

✦ Programme d’acquisition d’équipements individuels ou de groupe.

✦ Service d’approvisionnement en engrais.

La tendance des trois organisations pour cette période, en regard des dispositions prises par chacune d’entre elles, semble prometteuse. Et pour l’illustrer, voici le portrait 2010 des OP.

On peut estimer que la mise en place d’un tel système demande beaucoup de temps et d’efforts tant financiers qu’humains. Cependant, il est intéressant de souligner que ces organisations sont pérennes et qu’elles jouent un rôle réel pour contribuer à la sécurité alimentaire de leur pays. Alors que beaucoup d’autres expériences inscrites dans une dynamique à court terme ont vu leur utilité se limiter à la durée d’un projet.

Note : Cette phase a une durée de plus ou moins quatre ans.

Baabahuu Jici2010

Faso Jigi2010

UGCPA/BM2010

TOTAL

Nombre de membresHommes/Femmes* 1 474 3 278 2 163 6 915

Mise en marché (tonnes) 375 4 000 2 100 6 475

Fonds de commercialisation en Fcfa

70 000 000 350 000 000 134 500 000 554 500 000

Chiffre d’affaires en Fcfa 71 403 080 1 041 849 095 330 635 000 1 443 887 175

Fonds de sécurité ­­ 31 255 472 ­­ 31 255 472

* Membres ayant participé à la campagne

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Mise en place d’un système collectif de mise en marché

« Le savoir est un champ. Mais s’il n’est ni labouré, ni surveillé, il ne sera pas récolté. »

Proverbe peul

Agriculture familiale et services collectifs

Dans l’état actuel du monde, trois agricultures cohabitent. L’agro­industrie, l’agriculture familiale et l’agriculture d’occupation. Pour les tenants du libéralisme économique, il y a une agriculture de trop et c’est l’agriculture familiale. Ce courant dominant estime que la sécurité alimentaire du monde serait mieux servie par l’agrobusiness, capable de produire de gros volumes à faible coût, surtout lorsqu’on ne prend pas en compte les coûts indirects, notamment ceux liés à l’environnement et à la santé. Pour ce qui est de l’agriculture d’occupation, le territoire et une partie de la population auraient, selon ce courant de pensée, de quoi assurer leur subsistance.

Quant à l’agriculture familiale, elle vient concurrencer l’agrobusiness que l’on veut voir dominante. Du fait qu’elle est réalisée par des gens qui ont une bonne connaissance de l’environnement technico­économique de la production agricole, elle dérange en réaffirmant le rôle multidimensionnel de l’agriculture, économique bien sûr, mais également nourricier, d’occupation du territoire et de respect de la biodiversité. Elle force une prise de conscience et le débat qui l’accompagne.

Il faut bien comprendre qu’une entreprise comme Cargill a autant de spécialistes à son emploi que l’Organisation des Nations Unis pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Juste sur cette base, le rapport de force entre l’agriculture d’occupation et l’agrobusiness est complètement déséquilibré. L’agriculture familiale joue donc un rôle stratégique nécessaire dans la dynamique alimentaire mondiale actuelle.

En effet, la capacité d’analyse, d’argumentation et de revendication est possible lorsque l’on dispose des experts nécessaires permettant de faire connaître et reconnaître notre point de vue. L’agriculture familiale, dans la plupart des pays où elle se pratique, s’est justement donné les moyens de compter sur cette expertise. Elle a pu le faire en développant et en offrant des services utiles à ses membres. Que ce soit au niveau de l’approvisionnement des intrants, de l’organisation de la mise en marché ou de la livraison de services­conseils, les organisations paysannes offrent à leurs membres de demeurer maîtres de leurs destinées tout en leur offrant les moyens d’être efficaces tant sur le plan de la production que de l’accès au marché.

Dit autrement, les services collectifs sont non seulement un moyen d’assurer la performance de l’agriculture familiale dans toute la filière, ils constituent également un moyen efficace d’assurer une compétence d’analyse offrant un meilleur positionnement devant les gouvernements et les autres acteurs de la société. Les organisations paysannes et leurs membres cumulent un niveau d’expertise représentant une condition préalable pour jouer sur le même terrain que les grandes entreprises agroalimentaires du monde.

Reste un fait, les gouvernements préfèrent discuter avec les dirigeants de grandes sociétés plutôt que de négocier avec les représentants de la société civile. Cela explique probablement la difficulté à faire reconnaître l’importance des organisations agricoles dans les dispositifs à mettre en place afin d’assurer la sécurité alimentaire. Toutefois, jusqu’à ce jour, ce sont les moyens collectifs qui ont le mieux servi les aspirations individuelles des agricultrices et des agriculteurs du monde, ainsi que la souveraineté alimentaire des pays.

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Mise en place d’un système collectif de mise en marché

Développement d’un projet mobilisateur de mise en marché collective

La démocratie est à la base des activités inhérentes à la mise en marché collective. Cette prémisse vaut autant pour l’OP à l’origine de l’initiative que pour les composantes ou les groupements qui y participent. La mise en place d’un SCMM repose sur une organisation jouissant d’une grande crédibilité tant auprès des productrices et des producteurs agricoles que des autres intervenants du milieu.

Un SCMM a beaucoup plus de chance de réussite s’il est simple et flexible dans son application, s’il tient compte des acquis des productrices et des producteurs et s’il donne des résultats tangibles et rapides :

✦ Augmentation des rendements.

✦ Amélioration de la qualité du produit.

✦ Conditions de vente favorables telles que : paiements rapides à des prix égaux ou supérieurs au marché et garanties de paiement des acheteurs.

✦ Hausse du revenu des productrices et des producteurs résultant d’une réduction du coût de production et d’une augmentation du prix de vente.

✦ Offre de programmes incitatifs, notamment l’accès au crédit à des taux préférentiels et à des conditions de remboursement facilitées ainsi que des achats groupés d’intrants.

✦ Offre de programmes incitatifs, notamment l’accès au crédit à des taux préférentiels et à des conditions de remboursement facilitées ainsi que des achats groupés d’intrants.

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Mise en place d’un système collectif de mise en marché

Les autres éléments à considérer dans l’élaboration du projet sont les suivants :

✦ Zones de production excédentaire. Il va de soi que l’offre du SCMM repose sur l’excédent de la production des exploitations familiales, sans compromettre la sécurité alimentaire de la famille. Avec l’appui d’institutions du milieu (chambres d’agriculture, ministère de l’Agriculture, etc.) et accompagnée de professionnels connus dans les régions visées, l’OP identifie les groupements répondant à ce critère dans ces zones.

✦ Proximité d’institutions financières accessibles aux producteurs. Pour faciliter la mise en place des produits financiers soutenant la production et la commercialisation.

✦ Implication de groupements de femmes. Il s’agit de femmes regroupées autour d’une production spécifique pouvant être mise en marché collectivement ou tout simplement des femmes membres de l’OP.

✦ Participation d’un partenaire dans l’accompagnement de l’OP. Il est évident que la présence d’un partenaire, sans être indispensable, est un argument convaincant auprès des institutions financières.

✦ Existence d’un fonds de commercialisation ou de garantie. Considérant les risques élevés et la réticence des institutions à financer le secteur agricole, ce type de fonds est indispensable pour négocier, avec les institutions financières, des conditions d’accès au crédit favorables aux adhérents.

✦ �Ressources humaines. Des personnes compétentes et engagées représentent un élément incontournable. Il s’agit à la fois des élus et des permanentes et permanents.

Le groupement et ses membres doivent s’engager à :

✦ Mettre en place un comité technique pour un accompagnement de proximité des différentes étapes de la campagne de commercialisation au niveau de chaque groupement à la base.

✦ Mobiliser un nombre significatif de membres prêts à s’engager et à respecter ses engagements de livraison des excédents.

✦ Comprendre clairement et appliquer avec rigueur les règles du SCMM.✦ Comprendre clairement et appliquer avec rigueur les règles du SCMM.

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Mise en place d’un système collectif de mise en marché

Afin de s’assurer que la démarche soit comprise et maîtrisée, tant par les groupements que par l’OP qui la propose, il importe d’opter pour une croissance contrôlée. Les attentes des bailleurs au niveau des résultats sont généralement en fonction des sommes qu’ils investissent. Dans cette perspective, les principaux indicateurs retenus doivent porter sur le nombre de membres et le volume de produits. Par ailleurs, la réalité du terrain nous impose d’autres indicateurs, peut­être plus importants, pour la pérennité des actions menées, soit la capacité d’absorption du milieu, le renforcement des capacités des leaders et le niveau d’autonomie des organisations.

L’accent doit être mis sur la capacité des élus à travailler ensemble et à se faire confiance. Une des difficultés de l’implantation d’un SCMM au sein des organisations est liée au choix des élus en fonction d’une répartition équitable entre les différentes productions, les différentes zones et une participation significative des femmes. Ces balises doivent être consignées dans les textes constitutifs de l’organisation.

Ce préambule constitue le point de départ pour l’élaboration d’un projet de mise en marché collective par une OP. De plus, il fera partie d’une démarche de consultation avec les membres afin qu’il soit vraiment mobilisateur, collectif et démocratique.

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Mise en place d’un système collectif de mise en marché

Les outils à mettre en place

1. Fonds de commercialisation

La mise en place d’un SCMM doit nécessairement être soutenue par un fonds de commercialisation ou de garantie. Il peut être créé à partir des fonds propres de l’OP, mais la plupart du temps il provient d’un partenaire qui l’accompagne ou encore d’un partenaire financier.

Le fonds permet de négocier, auprès d’institutions financières, des conditions de crédit avantageuses pour les producteurs et leur groupement : taux d’intérêt préférentiel, date d’émission du crédit adapté au calendrier cultural, échéance de remboursement réaliste et garantie. Le fonds est alors déposé en garantie et permet de dégager une ligne de crédit de deux à quatre fois plus élevée que le fonds lui­même.

La ligne de crédit facilitera la mise en place, par l’OP, du paiement anticipé 1 (PA 1) permettant aux productrices et aux producteurs participants d’avoir accès à un crédit individuel, déposé dans leur compte par l’institution financière, afin de démarrer la campagne agricole. Le montant du PA 1 représente en général 60 % du prix moyen du produit visé au cours des dernières années et est déterminé en fonction du volume que le membre s’engage à livrer à la récolte.

PA 1 = quantité (kg) engagée X 60 % du prix moyen historique 

L’impact du PA 1 sera maximisé s’il est possible pour l’OP d’offrir aux membres participants un programme d’achat groupé d’intrants de qualité, accessibles en temps opportun et à un prix égal ou inférieur au marché. Le reste du PA 1, versé en espèce, servira à défrayer les autres coûts de la campagne : main d’œuvre, travaux à forfait et autres.

La ligne de crédit pourra également couvrir le paiement anticipé 2 (PA 2). Il est versé, à la productrice ou au producteur, au moment de la livraison des quantités engagées au démarrage de la campagne, et ce, après un contrôle par le groupement de la qualité et de la quantité des produits livrés. Au même moment, la ligne de crédit sera utilisée par l’OP pour rembourser à l’institution financière les PA 1 et les intérêts encourus. Les frais liés à la commercialisation des produits collectés seront aussi assumés.

Le prix payé à la livraison, appelé prix de cession, fixé par l’OP cherche à refléter à la fois les prix sur le marché à la récolte et le niveau de risque au plan de la commercialisation à venir pour les stocks collectés. Le montant du PA 2 est déterminé par la quantité de produits livrés, en soustrayant le PA 1 déjà reçu et les intérêts encourus sur cette avance de fonds.

PA 2 = prix de cession X quantité (kg) – (PA 1 + l’intérêt du PA 1)

L’OP regroupe, gère et commercialise les stocks. Au fur et à mesure de la vente des produits, elle rembourse la ligne de crédit et récupère son fonds de commercialisation. L’OP prélève sur le reliquat une contribution par kilogramme pour couvrir les frais du service de commercialisation et dégager un revenu pour le fonctionnement de l’organisation. Des contributions spéciales, déterminées préalablement en assemblée générale, notamment pour renflouer le fonds de commercialisation ou pour contribuer à un fonds de sécurité, peuvent également être prélevées sur chaque kilogramme commercialisé.

Par la suite, l’OP fait le bilan de la campagne pour en connaître les résultats financiers. Si des bénéfices sont dégagés, ces derniers sont répartis entre l’OP et les productrices et les producteurs qui, en plus des services obtenus de l’OP, ont droit à une ristourne. Cette dernière fait généralement en sorte que le prix obtenu pour les produits commercialisés dans un SCMM est de 15 à 25 % supérieur au prix du marché. La portion conservée par l’OP permet notamment de couvrir une partie de ses frais de fonctionnement et de verser une contribution aux groupements participants, sur la base des services rendus, pour leur autonomie financière.

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Mise en place d’un système collectif de mise en marché

2. Manuel de procédures ou de gestion administrative et financière

La principale utilité du manuel de procédures est de définir et départager les rôles et responsabilités entre les élus d’une part et les permanents d’autre part, notamment :

ÉLUs PERMAnEnTs

Assemblée générale Secrétaire exécutif

Conseil d’administration Comptable

Comité de commercialisation Agent de commercialisation

Comité technique Agents d’accompagnement

Producteurs Magasiniers

Le manuel de procédures précise les règles opérationnelles : engagement, versement des PA 1 et PA 2, fixation du prix de cession, contrôle de la quantité et de la qualité, modalités de remboursement et pénalités en cas de non­respect des engagements, etc.

Il regroupe les différents outils : contrat d’engagement, fiche de stocks, bons de commande, bons de livraison et autres pièces justificatives.

Une gestion informatisée, avec un logiciel comptable adapté, vient grandement faciliter la gestion du SCMM et favorise la transparence nécessaire à la confiance des productrices et des producteurs en leur OP et leur système de commercialisation. La gestion comptable est suivie d’un audit financier qui renseigne sur la gestion et le fonctionnement de l’organisation.système de commercialisation. La gestion comptable est suivie d’un audit financier qui renseigne sur la gestion et le fonctionnement de l’organisation.

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3. Comité technique du groupement

Il importe que le comité technique assume toutes ses responsabilités au sein du groupement afin de faciliter la mise en œuvre de la campagne de commercialisation. Il assure un contrôle sur chaque étape de la campagne et contribue ainsi à une plus grande efficacité de chacune d’elles. La confiance et le sentiment d’appartenance des membres à l’OP s’en trouvent renforcés.

Le comité technique intervient notamment sur les opérations suivantes :

✦ Recensement et validation des engagements individuels de ses membres.

✦ Recensement des besoins en intrants si le service est offert par l’OP.

✦ Réception et distribution des intrants.

✦ Autorisation donnée à l’institution financière pour le versement du PA 1 en espèce, dans le compte du producteur, en fonction du produit, des engagements et du coût des intrants.

✦ Regroupement local de la production, vérification du respect des engagements individuels, numérotation des sacs pour la traçabilité ainsi que le contrôle de la quantité, du poids des produits livrés et de leur qualité.

✦ Application des pénalités et recouvrement des crédits en cas de non­respect des engagements.

✦ Autorisation donnée à l’institution financière pour le versement du PA 2 en espèce, dans le compte du producteur, en fonction du produit, des engagements et du coût des intrants.

✦ Présentation du bilan de campagne et avis de versement de la ristourne dans le compte du producteur.

Dans la réalisation de leur mandat, les membres du comité technique sont généralement appuyés par des agents d’accompagnement de l’OP qui leur fournissent les outils nécessaires et assurent la formation de ses membres. agents d’accompagnement de l’OP qui leur fournissent les outils nécessaires et assurent la formation de ses membres.

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Mise en place d’un système collectif de mise en marché

4. Comité de commercialisation de l’organisation paysanne

Le comité de commercialisation est nommé par l’assemblée générale de l’OP. Il a pour mandat de :

✦ Traiter les demandes reçues des comités techniques des groupements et recommander au bureau exécutif de l’OP le financement des PA 1.

✦ Proposer au bureau exécutif un prix de cession en début de campagne basé sur le prix des trois dernières années.

✦ Coordonner et superviser les différentes étapes de la campagne.

✦ Proposer au bureau exécutif un ajustement du prix de cession (prix plancher) qui tient compte des prix sur le marché à la période de collecte et des perspectives de l’évolution du prix des produits au cours de la période de commercialisation.

✦ Commercialiser la production, entre autres, en répondant à des appels d’offres.

✦ �Produire le bilan de la commercialisation et proposer au bureau exécutif le montant de la ristourne à verser aux productrices et aux producteurs participants.

✦ Présenter le bilan de la commercialisation aux délégués lors de l’AG de l’OP.

✦ �Entretenir une communication efficace avec les groupements membres : tournées d’information au début, à la fin et, au besoin, en milieu de campagne pour discuter de l’état d’avancement de celle­ci.

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Conclusion et perspectives

« La patience peut faire germer des pierres à condition de savoir attendre. »

Driss Chraïbi, Maroc

Pour assurer la pérennité d’un service comme un SCMM, l’OP doit se préoccuper de son autonomie financière. Pour être considérée indépendante financièrement, une organisation doit minimalement pouvoir couvrir ses coûts communs à même ses revenus propres. Les coûts communs sont les frais de fonctionnement que les OP doivent assumer dans le cadre de la gestion de l’organisation, notamment : les réunions du conseil d’administration, l’assemblée générale annuelle, les frais de fonctionnement des bureaux et les salaires du personnel indispensable.

Les revenus propres de l’organisation sont constitués essentiellement des cotisations, des prélèvements sur les services aux membres ainsi que des revenus tirés de la valorisation des actifs comme la location de bureaux. Ces trois sources constituent la base de l’autonomie financière des OP. Elles doivent donc maximiser l’impact de leur SCMM en multipliant les produits à commercialiser et en offrant aux membres une gamme de services dont ils peuvent se prévaloir.

En guise de conclusion, nous résumons les conditions critiques pour l’implantation avec succès d’un SCMM.

Au niveau de l’environnement

✦ Présence d’excédents de production en volume significatif.

✦ Existence d’OP démocratiques et transparentes.

✦ Présence de structures bancaires et de services financiers décentralisés.

✦ Accessibilité à des infrastructures de stockage.

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Conclusion et perspectives

Au niveau de l’organisation paysanne

✦ Des élus et un personnel intègres, crédibles, rigoureux et compétents.

✦ Un fonctionnement démocratique et transparent inspirant la confiance ainsi qu’une organisation capable de mobiliser ses membres.

✦ Des décisions et des actions inspirées par un intérêt collectif.

✦ Intérêt et engagement ferme des producteurs.

✦ L’existence d’un fonds de commercialisation et la présence d’outils financiers adaptés.

✦ Des outils et des mécanismes de gestion adaptés et efficaces : commission de contrôle, manuel de procédures, logiciel comptable, audits, etc.

✦ Contractualisation des engagements des productrices et des producteurs et validation auprès d’autorités compétentes.

✦ Base de données en place ou à mettre en place pour le suivi de l’historique des participants et pour l’évolution des marchés.

✦ Observation et application rigoureuse des règles et procédures par les instances.

✦ Des comités techniques au niveau des groupements qui jouent leur rôle, entre autres, en assurant le suivi des engagements et de la qualité des produits.

✦ Suivi rapide des impayés des producteurs et des créances des clients pour assurer le recouvrement.

✦ Capacité d’établir des partenariats avec des institutions financières, des clients potentiels, des structures étatiques et des partenaires techniques et financiers.étatiques et des partenaires techniques et financiers.

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Conclusion et perspectives

Compte tenu de moyens limités, des fluctuations du marché et des aléas climatiques, les trois OP témoignent d’aptitudes garantes pour des perspectives prometteuses. En plus de cette nécessaire vision pour l’avancement de leur OP, plusieurs voies sont à explorer pour consolider et capitaliser sur les acquis du SCMM :

✦ Développer des services adaptés répondant aux besoins des membres et des marchés. La venue de nouveaux produits à commercialiser peut fidéliser les membres, en attirer de nouveau et développer des marchés, tout en contribuant à l’autonomie financière des OP.

✦ Améliorer la communication pour mieux se faire connaître et, en ce sens, le présent guide constituera un outil utile pour la promotion des produits et services des OP.

✦ S’ajuster au contexte, adapter l’offre et les services en fonction de l’évolution des marchés.

✦ Approcher les institutions qui gèrent les stocks de sécurité alimentaire et saisir les opportunités de contribuer à la souveraineté alimentaire.

✦ Prendre en compte l’environnement pour des perspectives durables laissant aux futures générations de productrices et de producteurs un contexte favorable à l’exercice de leur profession.

« Plus il y aura de paysannes et de paysans qui, à travers leurs organisations collectives, se donneront les moyens

de défendre et de promouvoir leurs intérêts, mieux protégée et durable sera l’agriculture dans le monde. »

Quand on sème depuis 20 ans

UPA Développement international (UPA DI)555, boul. Roland-Therrien, bureau 020Longueuil (Québec) CANADA J4H 4E7Tél. : 450 679-0540, poste 8844Téléc. : 450 463-5202

1996 :  Les Nations Unies établissent à 750 millions le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde.

2000 :  Adoption des objectifs du millénaire visant pour 2015  une réduction de 50 % du nombre de personnes souffrant de la faim sur la planète.

2012 :  L’ensemble des observateurs s’entend pour dire qu’il y a  1 milliard de personnes souffrant de la faim sur la terre.

Ce n’est pas la terre qui est en cause, ce sont ses habitants et surtout leur comportement. Parce que cela nous empêche de dormir, nous occupons nos journées à faire le développement autrement…

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