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HENRI BOURGUINAT Henri Bourguinat est né en 1933.

Agrégé de sciences économiques en 1962; professeur à l'université Saint- Joseph de Beyrouth de 1962 à 1966; directeur de l'Unité d'enseignement et de recherche : "Formation économique de base" de 1969 à 1971 ; directeur du labo- ratoire d'analyse et de recherche éco- nomiques de l'université de Bordeaux 1 en 1970 et vice-président de cette uni- versité pour les U.E.R. de sciences éco- nomiques en 1971, Henri Bourguinat est professeur à l'université de sciences économiques de Bordeaux 1 depuis 1966.

PERSPECTIVES DE L'ÉCONOMIQUE

ÉCONOMIE CONTEMPORAINE

Déjà parus MILTON FRIEDMAN

Inflation et systèmes monétaires SYLVAIN WICKHAM

L'espace industriel européen PIERRE DAUMARD

Le prix de l'enseignement en France Préface d'Edgar Faure

HUBERT BROCHIER Le miracle économique japonais

JEAN PARENT Le modèle suédois

CELSO FURTADO Les États-Unis et le sous dévelop-

pement de l'Amérique latine Ch. P. KINDLEBERGER

Les investissements des Etats-Unis dans le monde

JACQUES JUNG L'aménagement de l'espace rural

Une illusion économique M. FRIEDMAN ■ Ch P. KINDLEBERGER E. M. BERNSTEIN - A. K. SWOBODA

et autres L'Eurodollar

CHRISTIAN GOUX JEAN-FRANÇOIS LANDEAU

Le péril américain

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MARCHÉ DES CHANGES ET CRISES DES MONNAIES

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DU MÊME AUTEUR

Espace économique et intégration européenne S.E.D.E.S., Paris, 1961

Les Marchés communs des pays en voie de développement Droz, Genève, 1968

Inflation, dollar, eurodollar (en collaboration avec F. PERROUX et J. DENIZET)

Collection « Idées », Gallimard, Paris, 1971

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HENRI BOURGUINAT .

MARCHÉ DES CHANGES ET

CRISES DES MONNAIES

CALMANN-LÉVY

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@ CALMANN-LÉVY, 1972 Imprimé e/l France

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Avant-propos

A VANT de présenter cet ouvrage aux lecteurs, nous voudrions que tous ceux qui, à un titre ou à un autre, nous ont

aidé à l'élaborer, trouvent ici l'expression de toute notre gra- titude.

Nous pensons d'abord à ceux, au premier rang desquels nous citerons F. Perroux, R. Larre et J. Denizet, qui nous ont encouragé et aidé à lancer notre recherche sur les capitaux flottants. Notre obligeance aussi va à J. F. Lepetit qui voulut bien nous accueillir et nous guider dans son service des changes parisien.

C'est cependant à Bordeaux même que nous avons trouvé la stimulation intellectuelle indispensable, au cours des multiples échanges nés de nos enseignements d'économie internationale ou des travaux de l'équipe spécialisée du Laboratoire d'Analyse et de Recherche Economiques dont j'ai l'honneur d'assumer la direction. Qu'il nous soit permis ici de remercier plus particuliè- rement J. Larribau, P. Delfaud et nos jeunes collaborateurs du laboratoire, Y. Marquet et G. Nancy.

Sans eux et aussi sans l'aide et la patience de plusieurs de nos étudiants — en particulier de M. Bernadat — cet ouvrage — dont les insuffisances me sont bien entendu exclusivement imputables — eût été plus imparfait encore.

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Introduction

Ne rien proposer, mais essayer seulement de comprendre.

A PRÈs le temps des prémonitions, nous voici venus maintenant . à celui des certitudes.

La crise monétaire est : point n'est besoin désormais d'en discuter les formes ou la date de survenance, et il est bien clair qu'elle ne se trouve pas réglée par le réalignement des parités.

La déclaration de Camp David, après les réévaluations de fait ou de droit du mark, florin, franc suisse, yen, shilling... marque sans nul doute la fin d'une époque. Mais quelle fin et quelle époque ? S'agit-il seulement de la cessation de la convertibilité du dollar en or, ou celle du dollar roi, ou plus radicalement de toute la construction de Bretton Woods. Pour le plus grand nombre, on est bien en présence d'un constat de faillite de tout le système mis en place en 1944. C'est désormais à scruter l'aube monétaire nouvelle que s'attachent aujourd'hui la plupart des commentateurs ; ils y déploient beaucoup de compétence, mais parfois aussi une dose certaine d'anticipation, voire même d'imagination.

En fait, si la crise créée par les décisions américaines ne sau- rait se résoudre sans des novations importantes, il n'est guère encore possible de prévoir avec certitude si l'on va vers une rupture totale par rapport au Gold Exchange Standard d'avant 1971, ou simplement vers son réaménagement. Sans doute le rôle de monnaie de réserve du dollar ne sera-t-il pas exactement celui du passé, mais devin bien inspiré serait celui qui pourrait dire aujourd'hui avec exactitude jusqu'où ira son effacement. De la même façon, il serait risqué de prophétiser une totale disparition des parités fixes ou la démonétisation de l'or. Après le Gold Ex- change Standard, voici, dit-on, venir le temps du D.T.S. Standard.

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En réalité, cette qualification anticipée procède du même esprit de simplification que celles en usage hier et dont on mesure mieux aujourd'hui la vanité.

L'organisation des paiements internationaux est chose fina- lement trop délicate et trop liée à des usages forgés par le temps pour se réduire à des mots à l'emporte-pièce. Un dollar dont la valeur est amputée, ou même qui resterait inconvertible, n'est pas nécessairement un dollar hors du champ d'attraction des encaisses des particuliers ou même des Etats. Des D.T.S. considérés comme adjonction à la liquidité internationale sont une chose, mais envisagés comme parfaits substituts à l'or ou aux monnaies de réserve, nul ne peut prédire leur avenir.

On assiste au total, aujourd'hui, au développement d'une ten- dance quelque peu débridée à reconstruire dans l'abstrait le système monétaire international, comme si ses pièces étaient toutes connues et leurs lignes d'assemblage parfaitement plastiques.

Il n'est guère aujourd'hui de commentateur qui n'ait son plan de réforme de l'organisation des paiements, qu'il se croit obligé, non sans d'ailleurs quelque naïveté, de proposer aux respon- sables.

Le temps actuel est un peu celui du do it yourself monétaire généralisé. Or le jeu des monnaies exclut inexpérience et improvisation.

Une démarche, fondamentalement différente, est ici présentée au lecteur. Moins que de proposer, c'est d'expliquer qu'il s'agit. Ce qui frappe, c'est l'existence d'un élément aujourd'hui consi- déré comme tout à fait central : le cours et plus généralement le marché des changes.

La décennie précédente — et sans doute aussi celle qui commence — semble bien avoir été celle de « l'assomption du change ». Paradoxalement, c'est au moment où les économies occidentales ont eu pleinement achevé leur reconstruction, et où l'on pouvait semble-t-il parfaitement compter sur une longue phase de paix monétaire que sont survenues les crises de change. Depuis 1960, en effet, il ne s'est guère passé d'année où telle ou telle monnaie importante ne se trouve attaquée et où par contrecoup telle ou telle autre ne fasse l'objet de préférence des opérateurs. Successivement la livre sterling, le franc français, le mark allemand, et pour couronner le tout, la monnaie « phare », le dollar, se sont trouvés soumis à la spéculation.

A un moment où le monde réussissait à éviter toute crise

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majeure au point de vue réel, c'est le marché des devises qui accusait soubresauts et tempêtes.

Paradoxalement, ce n'est pas l'immédiat après-guerre qui voyait se poser les problèmes de change les plus ardus. Il avait fallu cette fois attendre près de vingt ans pour voir renaître ce que l'on peut appeler une nouvelle hégémonie du change.

Sans doute pourra-t-on penser que les crises monétaires d'au- jourd'hui, quelle. que soit leur gravité, sont peu de chose à côté des crises de trésorerie et autres dévaluations en cascade d'après 1945. En fait, nous sommes bien là mis en présence de l'oppo- sition flagrante au point de vue des changes, entre les « deux moitiés économiques du xxe siècle » (E. Teilhac).

LE CHANGE SUBORDONNÉ

Jusqu'aux années 1960, les crises de change ne font qu'expri- mer purement et simplement les difficultés économiques internes des pays qui les subissent. Le marché des changes, encadré par la réglementation de Bretton Woods, fonctionne, peut-être avec des « à-coups », mais ceux-ci ne naissent pas en lui-même. Les fluctuations des cours, les ajustements de parité ne sont que la sanction de politiques économiques plus ou moins inadaptées.

Le marché du change en lui-même a peu d'autonomie. S'il en est ainsi, c'est qu'il n'est que l'expression directe d'une domina- tion américaine qui pendant de longues années ne se dément pas. L'article IV des Statuts du Fonds Monétaire, selon lequel « la parité de la monnaie de chaque Etat sera exprimée en termes d'or, pris comme commun dénominateur, ou en dollars des Etats- Unis d'Amérique du poids et du titre en vigueur le 1er juil- let 1944, a organisé ce marché des changes sur la base des parités fixes et déclarées. En fait, cette base est ambiguë puis- qu'elle conduit les pays autres que les Etats-Unis, non pas à opter entre l'or et le dollar, mais à concevoir leur parité d'abord par rapport au dollar et ensuite seulement par rapport à l'or. Elle devait conduire à une convertibilité à deux paliers qui constituait l'essence de l'étalon de change or. La prospérité américaine se trouvait si écrasante que les pays étrangers ont pendant longtemps « lié leur monnaie au dollar, jouant ainsi le rôle d'acheteurs et de vendeurs résiduels de dollars, tandis que les Etats-Unis liaient le dollar à l'avoir ultime (l'or) et

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jouaient ainsi le rôle d'acheteurs et de vendeurs résiduels d'or » (R. Mundell).

L'originalité du Gold Exchange Standard n'est pas ailleurs. Pendant près de vingt ans après Bretton Woods tout s'est passé comme si la plupart des pays définissaient leur monnaie par rapport au dollar, étant bien entendu que celui-ci était lui-même lié à l'or et librement convertible.

Dans ce contexte, le cours du change apparaît pendant long- temps comme un paramètre subordonné. Sans doute est-il ajus- table mais la Charte de Bretton Woods ne l'admet vraiment qu'en cas de « déséquilibre fondamental » qu'elle se garde d'ailleurs bien de définir. Cela n'empêche, dira-t-on, que bien des pays passent outre et notamment dévaluent autant de fois qu'ils le jugent bon. Cela n'est pas niable, mais ne convient-il pas cependant d'admettre qu'au cours des années de cette « pre- mière moitié économique du xxe siècle » — que nous ferions volontiers pour notre part aller jusqu'à 1960 — ces ajustements de parité sont toujours quelque peu imposés et subordonnés aux évolutions internes des pays qui les pratiquent.

Si l'on dévalue, c'est qu'on doit sanctionner dans un pays une période plus ou moins longue d'inaptitude à s'adapter aux conditions de la compétitivité internationale. Le changement de parité n'est que résultante. Le taux de change n'est pas conçu comme variable adaptatrice fondamentale. D'ailleurs, comment le serait-il, puisqu'il ne peut guère fluctuer qu'entre des marges resserrées à l'extrême (± 1% et même ± 0,75 par rapport au dollar pour les pays européens à partir de 1968).

On ne peut guère compter que sur les modifications des parités déclarées. Or, celles-ci sont toujours plus ou moins traumati- santes pour les économies qui les pratiquent et doivent donc demeurer exceptionnelles. De plus, lorsqu'elles sont réalisées, elles signifient que les excès du passé (hausse des prix et des coûts) par rapport à la moyenne internationale sont épongés et qu'on repart sur une nouvelle base... peut-être même en atten- dant que le temps ne vienne plus ou moins rapidement éroder l'avantage omis, artificiellement acquis. Toujours est-il que jus- qu'aux années 1960, si les changes sont ajustables et effective- ment ajustés, il n'y a pas de dynamique particulière du marché des changes en lui-même. Il subit plus qu'il ne provoque.

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INTERNATIONALISATION DES ÉCONOMIES ET ASSOMPTION DU CHANGE

Peu à peu cette situation va se modifier. Il en sera ainsi pour plusieurs raisons.

La première tient à ce que l'on peut appeler l' internationa- lisation des économies occidentales. — Celle-ci n'est pas seule- ment l'ouverture (Openness) des espaces économiques nationaux — sans doute est-il vrai alors — que les économies occidentales s'ouvrent de plus en plus à l'échange international et que le commerce avec l'extérieur n'est plus considéré comme un simple appendice du marché national. De même est-il exact que « toute perturbation née à l'intérieur de l'une de ces économies se réper- cute directement au niveau du compte courant ou (et) du compte capital de la Balance des Paiements, alors qu'en sens inverse, toute impulsion née à l'extérieur retentit de façon Lumé- diate et le plus souvent amplifiée sur la production, la consom- mation, l'épargne et l'investissement domestique » (R. Triffin et H. Grubel).

Au-delà de cette ouverture, c'est le caractère international des économies occidentales qui s'affirme de plus en plus.

Cela est vrai d'abord au niveau des fonctions de l'échange commercial avec l'étranger. L'appel à la fourniture de l'étran- ger ou le recours au débouché à l'étranger n'apparaissent pas à titre auxiliaire. Ils font désormais partie des comportements des consommateurs et des firmes. Pour ces derniers en parti- culier, l'accès aux tranches discrétionnaires de revenus fait que l'on ne passe plus sans réticence des produits étrangers dont on a l'habitude aux produits domestiques.

L'élasticité de substitution entre biens domestiques et biens étrangers procurerait sans doute bien des surprises si on la calculait systématiquement. Sans doute est-elle souvent — tout au moins pour ceux qui accèdent aux revenus discrétionnaires — de plus en plus faible, l'ostentation jouant de plus en plus. Au plan général, la spécialisation internationale ne se réalise plus tant sur la base des dotations en facteurs, que sur celle du principe identifié par l'économiste suédois S. B. Linder « de la différenciation infinie de la demande en produits similaires ». L'échange renforcé avec l'extérieur semble bien correspondre à une tendance naturelle qui veut que chaque pays avancé s'adresse

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au marché international pour y trouver tel ou tel type d'un produit dont il fournit pourtant lui-même à l'extérieur tel ou tel autre type. C'est une demande de différences (B. Lassudrie- Duchêne).

Le textile italien s'échange de plus en plus contre le textile français, les automobiles allemandes sont prisées en France et vice versa.

On est bien loin des sombres prédictions faites à l'aube du marché commun par tel ou tel homme politique considéré pour- tant comme bon économiste sur « l'agrariennisation » de la France et de l'Italie face à une Allemagne de plus en plus industrielle. La spécialisation ne se fait plus par blocs agricul- ture-industrie, ou industrie lourde-industrie légère, mais se réalise en finesse à l'intérieur même de chaque catégorie de production.

Il est un second facteur qui est venu participer plus directe- ment encore à cette internationalisation des économies occiden- tales et par là même à la montée constatée des opérations de change. Il s'agit des firmes multinationales.

Sans prétendre aucunement aller très loin, notons que l'entre- prise multinationale, plus que toute autre dans ce domaine, est amenée à traiter le marché international comme un ensemble se décomposant en une série de sous-ensembles qui débordent des frontières nationales. Cela est vrai d'abord au stade des décisions d'implantations mais aussi à celui de la gestion quo- tidienne.

Les sociétés, en tirant parti du flou qui s'attache toujours aux bilans consolidés, peuvent mieux que d'autres tourner ou utiliser à leur profit les différentes réglementations de change ou les dispositions monétaires internes.

De même, elles diversifient de plus en plus leur portefeuille. Avec des périodes de réaction ou même d'anticipation moin- dres, les firmes sont devenues toujours mieux à même d'opti- miser leur gestion de trésorerie en tirant parti des modifications de cours du change. Elles ont, ce faisant, accru de plus en plus la vitesse de circulation des liquidités au plan international et, pour cela, trouvé ou constitué un marché parfaitement adapté, celui de l'eurodollar. Comme il est toujours possible de faire emprunter telle filiale plutôt que telle autre localisée dans un autre pays, ou bien encore, de modifier les capacités de finan- cement en jouant sur les prix de fournitures de biens ou de services entre unités du même groupe, on est peu à peu parvenu à un réseau d'influences de plus en plus transnational. Le pou-

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voir économique réel a tendu à se dénationaliser et ce n'est que bien difficilement que les Etats ont trouvé des parades réellement efficaces.

Petit à petit et sans que l'on puisse dater précisément le phé- nomène, le marché du change a pris une dimension et une vie nouvelles. Le volume des opérations traitées s'est fondamentale- ment accru non pas seulement parce que le commerce interna- tional croissait mais encore parce que les actifs se monétisaient et s'internationalisaient de plus en plus. C'est ainsi que l'euro- marché du dollar qui représentait seulement environ 2 milliards de dollars en 1958, traitait plus de 46 milliards de dollars d'opérations en 1970 et environ 65 milliards aujourd'hui.

Désormais existait un énorme marché monétaire — et un embryon de marché financier — qui, sur la base de l'utilisation des comptes étrangers, permettait à la liquidité internationale de circuler très librement. Comme au même moment, les compor- tements s'internationalisaient et que les opérateurs (firmes multi- nationales, banques, agences de voyage, etc.) devenaient de plus en plus informés et savaient de mieux en mieux utiliser ce marché, le change, qui était jusque-là simple élément du financement de l'échange international, ouvrait des possibili- tés de plus en plus étendues. Il devenait moyen de gestion de trésorerie, procurait des substituts aux moyens de finan- cement internes défaillants et, pour finir, s'avérait support de la spéculation.

Tous ces facteurs structurels semblaient concorder à rappro- cher le cours du change d'un prix comme les autres. Dans la mesure où les forces du marché devenaient de plus en plus anationales, il était normal qu'un certain appel se fît jour à la fois dans le sens du développement des opérations traitées sur le marché du change, de leur affinement technique, mais aussi d'un certain assouplissement des méthodes de détermi- nation du cours du change lui-même. L'idée d'un cours du change plus mobile, exprimant lui aussi l'état du marché et assurant le rôle d'économiseur de « tâtonnements » que joue tout prix, ne pouvait manquer d'émarger. Cependant le cours du change continuait à ne pas être un prix comme les autres, et c'est là ce que veulent oublier les partisans de la flexibilité totale. Il exprimait, et exprime encore, la valeur d'un élément, la monnaie nationale ; celle-ci reste une forme de représentation de la puissance économique et politique de chaque pays et on peut se demander si elle doit être totalement soumise aux varia-

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tions imposées non pas par un marché à concevoir abstraitement mais par des pratiques et coalitions dont l'agrégation n'exclut pas parfois le danger.

Si donc la venue des problèmes de change sur le devant de la scène correspond à des facteurs structurels extrêmement pro- fonds, les accidents monétaires de la décennie 1960-1970, et surtout de la fin de celle-ci, n'en sont pas moins les causes immédiates. Alors que la plupart des experts et les institu- tions monétaires internationales dissertaient sans fin en faveur du dogme de la pénurie des liquidités, le Gold Exchange Stan- dard allait avoir de plus en plus de mal à absorber les consé- quences tenant à sa nature profonde.

Construit autour d'une monnaie exprimant à l'origine une domination incontestée, celle des Etats-Unis, le système des paiements internationaux allait avoir beaucoup de mal à s'adap- ter à la redistribution des cartes intervenue avec la tendance à l'émancipation économique progressive des pays européens et du Japon. Pourtant, ce système fondé sur une devise conver- tible en or semblait avoir plus d'un avantage pour les Etats-Unis puisqu'il permettait au pays émetteur de solder le déficit de la balance des paiements en sa propre monnaie. En fait, ce principe joint aux facteurs structurels déjà notés a conduit à une accu- mulation de dollars externes d'une telle ampleur que le système est devenu de plus en plus difficilement maîtrisable.

Les dollars passés par les comptes étrangers entretenus hors des Etats-Unis ont sans doute donné au marché du change une ampleur et une vigueur inconnues jusque-là, mais en même temps, ils sont venus introduire une instabilité dramatique de l'ensemble.

Chaque fois qu'une monnaie s'est trouvée attaquée soit dans le sens de la baisse (dévaluation), soit dans celui de la hausse (réévaluation), les passages sur d'autres monnaies ou sur celle qui était jugée forte sont devenus systématiques. Les fimeux capitaux flottants ont trouvé avec l'eurodollar un très bon conducteur, et joué dans le sens du déséquilibre. Comme dans le même temps l'encaisse-or des Etats-Unis devenait beaucoup trop faible par rapport aux engagements liquides de ce pays, les positions n'ont pu qu'être adaptées, et ce furent tout d'abord la déclaration d'inconvertibilité du dollar en or qui achevait l'évo- lution amorcée sur ce point dès 1968 par les Etats-Unis, et enfin, les réalignements des parités des principales monnaies,

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y compris celle du dollar alors que celui-ci demeurait incon- vertible par rapport à l'or.

CRISE DES PAIEMENTS ET CRISE DE CHANGE

L'explication précédente, aussi répandue qu'elle soit devenue, est-elle suffisante ? Faut-il voir dans la crise, latente pendant près de dix ans et finalement déclarée en 1971, seulement celle d'un système des paiements, le Gold Exchange Standard trop organisé autour d'une monnaie centrale et profitant unilaté- ralement à l'économie dominante ?

Doit-on considérer que les causes premières du déclenche- ment de la crise tiennent seulement à l'affaiblissement de la réserve or des Etats-Unis, ressenti d'autant qu'il contrastait de plus en plus avec la montée des engagements en dollars ? Suf- fit-il d'y ajouter des éléments comme la stagflation américaine et la tendance au déficit du compte commercial des Etats-Unis ?

En fait, ce n'est ni une explication fondée sur l'asymétrie des avantages conférés aux Etats-Unis par l'étalon de change-or, ni un cantonnement aux causes immédiates énumérées ci-dessus qui peuvent permettre de bien approcher le sens des événe- ments monétaires de 1971.

Sans doute y a-t-il derrière les difficultés monétaires de tels facteurs, mais la crise nous semble être plus structurelle. Elle est liée avant tout à cette extension extraordinaire prise par un marché des changes, extension qui n'est elle-même que le reflet de la montée de ces nouveaux comportements, qui ont conduit banques, firmes, agents institutionnels ou même parti- culiers à dépasser le stade des opérations monétaires conçues sur une base avant tout nationale. C'est parce que les opérateurs en sont de plus en plus venus à se couvrir, à chercher à endi- guer les risques de change — c'est-à-dire à la fois à s'en pro- téger et à en tirer parti —, à spéculer ou à chercher sur le mar- ché des changes une liquidité de substitution par rapport à celle du marché national, c'est d'abord pour toutes ces raisons que la crise est intervenue. Plus précisément, ce développement se fai- sant dans ce cadre ambigu, défini en 1944 à Bretton Woods, il n'a pu être canalisé et il a finalement échappé au contrôle. Plus que des défauts intrinsèques du Gold Exchange Standard, et même si ceux-ci sont incontestables, c'est finalement à l'inca- pacité de celui-ci à faire face aux initiatives toujours plus hardies

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des opérateurs que la mécanique paraît devoir s'être enrayée. Nous sommes en train d'assister à ce qu'il n'est pas exagéré

d'appeler, nous souvenant d'A. Aftalion, une nouvelle hégé- monie du change.

Non seulement les mécanismes du marché des changes évo- luent et donnent lieu à un volume d'opérations toujours plus considérable mais on assiste encore à une double transforma- tion. Le change n'intéresse plus seulement quelques praticiens ou théoriciens spécialistes. Il est l'objet de tous les regards et ressent même quelque frustration vis-à-vis d'une opinion publique acceptant de plus en plus difficilement de ne pas comprendre la genèse des crises auxquelles elle est partie prenante.

Mais en même temps, au niveau plus profond des politiques économiques, le change, de résultante qu'il était, apparaît comme paramètre stratégique qui doit permettre certaines adap- tations des économies internes, l'accord étant cependant loin d'être fait quant aux modes employés.

Dans ces conditions, plutôt que de tenter après tant et tant de faire une analyse des défauts du système des paiements inter- nationaux, il nous a paru préférable de recenser les principales transformations du marché des changes dont seule l'addition a constitué la condition permissive du déclenchement de la crise.

C'est en particulier à montrer comment ce marché a été pro- fondément transformé par les capitaux flottants et la montée des eurofonds qu'ils nous a paru utile de procéder tout d'abord, non sans avoir commencé par fixer les grandes lignes de son organisation.

Cette première enquête était en effet indispensable, afin d'étu- dier les politiques de change, en commençant par celle des ali- gnements de parité (dévaluation et réévaluation), pour aller ensuite vers celle des changes flexibles, et parvenir enfin à l'exploration des voies obliques de la politique européenne.

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PREMIÈRE PARTIE

MARCHÉ DES CHANGES ET CAPITAUX FLOTTANTS

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CHAPITRE PREMIER

Théorie et pratique du marché des changes

L E fait d'avoir à régler une dette en monnaie étrangère, ou inversement d'avoir une créance sur l'étranger, pose un pro-

blème de passage d'une monnaie nationale à une autre et fait naître plus de difficultés qu'un règlement entre nationaux.

Le marché des changes fait intervenir des spécialistes haute- ment qualifiés qui ont leur jargon et qui évoluent dans un monde difficilement compréhensible pour le profane. Pourtant il est indispensable, si l'on veut compendre les problèmes du système monétaire international actuel et ne pas s'en tenir aux raccour- cis quelquefois bien sommaires qu'en donne la grande presse, d'en pénétrer les principaux mécanismes.

Cela apparaît plus utile encore dans la conjoncture monétaire présente qui demeure agitée. Comment sans cela comprendre les événements monétaires de 1967 (dévaluation de la livre sterling) et de 1968-1969 (crise française de l'automne 1968, dévalua- tion d'août 1969, réévaluation du DM, etc.) et surtout ceux de mai à décembre 1971.

A vrai dire, si l'on veut comprendre des phénomènes comme ceux des Leads and Lags (« avances et retard » sur règle- ment), des Swaps, des reports, des arbitrages entre cours du comptant (Spot Rate) et cours du terme (Forward Rate), il faut entrer un peu dans le détail technique des opérations de change et considérer les pratiques avant de vouloir faire la théorie de ce marché. Au point de départ, il n'est sans doute pas inutile de rappeler que si le marché du change a son jargon et ses subtils détours, les mécanismes fondamentaux sont finalement assez simples.

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I. — DES FONDEMENTS SIMPLES DERRIÈRE UNE TECHNICITÉ ÉLEVÉE

Le marché des changes n'est finalement rien d'autre que celui où s'échangent soit la monnaie nationale contre les devises étrangères, soit les devises étrangères entre elles. Dans la mesure où interviennent sur ce marché des monnaies autres que la mon- naie nationale, des dificultés particulières se manifestent.

Les paiements à l'étranger (ou en sens inverse) ne se font plus, pour des raisons évidentes de commodité et de sécurité, par transfert des billets ou des lingots. Les billets, et parfois même les pièces, n'interviennent que sur un marché qui n'est qu'un compartiment mineur du marché des changes, celui du change manuel.

Le plus souvent, le change se fait par l'intermédiaire des banques.

A l'origine, le commerçant anglais qui, par exemple, a vendu des textiles au Portugal, tire une traite sur son client et cherche à la négocier. Il trouve un acquéreur dans la personne d'un autre commerçant anglais, importateur de vin portugais. Ce der- nier l'achète et l'expédie à son fournisseur qui en obtient le paie- ment auprès de l'importateur de textiles.

Un double envoi de numéraire est ainsi évité : il est rem- placé par deux paiements faits l'un et l'autre en monnaie locale. L'opération faite à Londres — la vente contre livres sterling d'une créance sur le Portugal — est une opération de change.

Cet exemple illustre la façon dont sont nés les marchés des changes : négociants et banquiers tenaient périodiquement des réunions où ils échangeaient des créances sur l'étranger, exi- gibles à vue ou à court terme.

Ces moyens de paiement ont reçu le nom de « devises ». Ils comprennent non seulement des traites commerciales mais aussi des chèques bancaires, des chèques de voyage, des cou- pons échus de valeurs étrangères et aussi, mais accessoirement, des billets de banque. Ces derniers sont utilisés presque exclusi- vement par les personnes qui se rendent d'un pays à un autre : touristes, travailleurs migrants, etc.

Le marché des changes est organisé aujourd'hui presque exclusivement à partir des banques. Il s'est considérablement perfectionné depuis le xixe siècle. A l'heure actuelle, pour reprendre l'exemple vente de textile anglais — achat de vin

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portugais, l'exportateur de textile anglais ne cherche pas à céder sa créance à un autre négociant, il la cède à son banquier. Celui-ci envoie cette traite à un confrère de Lisbonne qui se la fait payer par le « tiré » et en porte le montant au crédit du banquier anglais. Ce dernier acquiert un avoir en escudos por- tugais. Il pourra donc lui-même, soit directement, soit indirec- tement, à la demande d'un confrère, payer l'exportateur de vin portugais à Lisbonne. Tout cela n'est possible que par l'exis- tence de tout un réseau de correspondants. Chaque banquier doit avoir sur les places étrangères « un » ou « plusieurs » corres- pondants avec lequel il est en liaison soit par courrier, soit par téléphone ou télégraphe, soit par télex.

1. Comptes Nostri et comptes Vostri

A l'actif du bilan de la banque A apparaissent ses avoirs en devises chez ses correspondants étrangers (c'est un èmploi de fonds). Au passif, on trouve les avoirs dont ses correspondants disposent chez elle dans sa monnaie nationale (c'est une res- source). Suivant un usage qui remonte aux banques de la Renais- sance \ on appelle les premiers, comptes nostri et les seconds, comptes vostri.

De nos jours, la grande majorité des opérations se fait sans recourir ni aux traites ni aux chèques. On utilise désormais une technique simple et rapide : le transfert. Il s'agit d'un ordre qu'un banquier donne sur instructions d'un client à son corres- pondant sur une place étrangère de verser une somme soit direc- tement à une personne désignée, soit à une autre banque de sa place, mais au bénéfice d'une personne qui y entretient un compte.

Le transfert est réalisé soit par courrier, soit par ordre télégra- phique, soit par télex. Pour éviter les faux ordres, les banquiers utilisent des codes et des « clefs télégraphiques ». L'avantage est celui de la rapidité et de la sécurité.

La banque a chez ses correspondants étrangers, en comptes

1. F. SELLESLAGS, Pratique des paiements internationaux, Presses uni- versitaires de Bruxelles. 1968.

Voir aussi R. PRISSERT, Le marché des changes, Coll. Fondements de l'économie Moderne, Sirey, 1971. On trouvera dans cet ouvrage paru très utile après l'achèvement de notre propre manuscrit une présentation des techniques de change actuelles.

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nostri, des avoirs en monnaie étrangère. Ceux-ci s'accroissent chaque fois que la banque achète des devises à ses clients. Ils diminuent chaque fois que la banque donne des ordres de paie- ment à ses correspondants.

Pour chaque devise, le cambiste tient une feuille de position qui résume les mouvements. Il y a un dosage difficile à trouver pour chaque devise. En effet, si un des soldes nostri devient inuti- lement important, c'est de l'argent peu rentable ; si le banquier est débiteur chez son correspondant, à l'inverse, il devra normale- ment lui payer des intérêts assez élevés mais il y a un incon- vénient supplémentaire : c'est celui du risque de change.

Si par exemple un banquier français avait réussi à constituer, malgré le contrôle des changes, des avoirs en dollars ou en marks au 8 août 1969 qui dépassaient ses engagements dans cette même monnaie, il avait sagement pris une position « à la hausse > de ces monnaies. De même, si un banquier étranger craint une dévaluation du franc, on dit qu'il prend une posi- tion « à la baisse ». Au total, les banques qui jouent seulement la prudence doivent-elles éviter d'ouvrir des comptes nostri qui s'écartent trop de ce que nécessite le volume normal de leurs opérations. Elles cherchent à vendre les devises qu'elles ont en surabondance et à acheter celles qui leur font défaut. Elles cherchent à se « couvrir » et quand le marché des changes est agité, le cambiste « se couvre » chaque jour. En période tran- quille, il pourra adopter une politique moins stricte. Cepen- dant, il devra toujours éviter d'avoir une position, anormale en fin de semaine, car c'est alors que se produisent les opérations de changement de parité. Il est cependant probable qu'au soir du 8 août 1969 quelques cambistes avaient quelque peu oublié cette règle.

2. La montée des comptes étrangers en devises

L'une des transformations les plus importantes du marché des changes depuis le retour à la convertibilité, est sans nul doute celle qui tient en développement des comptes étrangers en devises. On comprend d'abord que tout opérateur qui fait des opérations fréquentes avec un pays étranger ait intérêt à avoir chez son propre banquier un compte ouvert en la devise corres- pondante. Ainsi, il évitera les formalités qu'il aurait dû accep- ter s'il avait voulu ouvrir directement un compte à l'étranger.

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Le banquier qui entretient le compte en devises verra, pour chaque opération réalisée par son client, débiter ou créditer son compte chez son correspondant étranger, si bien que ses avoirs en comptes nostri se décomposent en deux parties, l'une étant celle de ses avoirs propres, l'autre celle des avoirs de ses clients. On retrouve ceux-ci au passif de la banque sous une rubrique comptes lori. En fait, les comptes en devises ne reprennent pas seulement les « avoirs et engagements » des nationaux en mon- naie étrangère ; ils représentent aussi ceux des non-résidents, et on parvient donc, à deux catégories de comptes en devises :

— les comptes en devises des résidents, — les comptes en devises des non-résidents. Ce sont ces derniers qui, en se développant très fortement à

partir de 1957-1958, soit au moment où s'est trouvée peu à peu complètement rétablie la convertibilité externe des mon- naies européennes, ont fondamentalement transformé le marché du change en constituant la base des euromarchés. C'est en particulier parce que ces comptes en dollars sont venus pro- duire à l'étranger des intérêts plus élevés que ceux des comptes ouverts directement aux Etats-Unis, que les banques de Lon- dres, puis celles du Continent européen et enfin du Japon, ont pu étendre très fortement leurs opérations et, par là, donner le départ à ce qui allait devenir le marché extraordinairement vigoureux de l'eurodollar. 3. Cotation à l'incertain et au certain

Deux types de cotation des devises étrangères sur une place sont utilisées. Certaines places cotent au certain, d'autres à l'incertain. Le cours coté à l'incertain indique la quantité varia- ble de monnaie nationale qu'il faut donner pour obtenir une unité — ou n unités, le plus souvent 100 — de monnaie étrangère ; ainsi sur le marché officiel des changes de Paris :

8 août 1969, il faut 4,97 F pour $ 1. 21 août 1969, il faut 5,55 F pour $ 1. On remarquera que, souvent, en face d'une quantité fixe, la

base, on donne une quantité variable, la cote. Quand sur une place la base est exprimée en monnaie étrangère, on dit que la place cote à l'incertain. Ainsi le 12 janvier 1970 à Paris, on avait :

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COTE DES CHANGES Marché officiel Cours préc. Cours 12-1-70

Etats-Unis ($ 1) 5 557 5 556 Canada ($ can. 1) 5 182 5 176 Allemagne (100 DM) 150 645 150 620 Autriche (100 sch.) 21 491 21 496 Belgique (100 F) Il 175 11 169 Danemark (100 krd) 74 250 74 170 Espagne (100 pes.) 7 951 7 948 Grande-Bretagne (£ 1) 13 340 13 327 Italie (1 000 lires) 8 832 8 326 Norvège (100 krn) 77 830 77 730 Pays-Bas (100 fl.) 153 240 153 075 Portugal (100 esc.) Suède (100 krs) 107 690 107 570 Suisse (100 F) 128 760 128 760

Sur quelques places, peu nombreuses, on procède de façon inverse. La cote donne le certain. La cote indique la quantité variable d'unités monétaires étrangères qui est échangée contre une unité de monnaie nationale. Ainsi à Londres, le dollar U.S.A. est coté 2,40, ce qui signifie que L 1 vaut $ 2,40 U.S.A. En somme, dans le premier cas, on se définit par rapport à autrui ; dans le second cas, et c'est peut-être un aveu de volonté de puissance, on définit autrui par rapport à soi.

A l'incertain, la cote est exprimée en monnaie nationale et la base en monnaie étrangère. Toujours est-il que cette termi- nologie singulière a des conséquences pratiques qu'il faut tou- jours avoir à l'esprit au point de vue de la signification des varia- tions du taux de change.

Si l'on cote sur une place à l'incertain, la hausse du cours de change est un signe de faiblesse de la monnaie natio- nale. Il faut par exemple plus de francs pour un dollar aujour- d'hui qu'avant la dévaluation.

Si l'on cote au certain, à l'inverse, la hausse des cours est l'expression d'une fermeté accrue de la monnaie nationale.

On dit que le taux de change est à parité sur deux places quand le taux de change appliqué est le même. Enfin, il faut savoir que pour chaque devise, le banquier, qui est avant tout

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un commerçant, applique un cours différent selon qu'il est vendeur ou acheteur. Quand les devises sont cotées à l'incertain, le cours acheteur est inférieur au cours vendeur ; quand elles sont cotées au certain, la relation est inverse.

4. Parités directes et parités croisées (Cross Rates) A. Le rôle d'unification de l'arbitrage sur devises L'arbitrage considéré ici ne porte ni sur les taux de l'intérêt ni

sur le choix entre opérations à terme et opérations au comptant. Il s'agit d'un autre type d'opération qui a pour objet de tirer profit des disparités de cours entre places différentes. En réalité et nous devrons y revenir, l'arbitrage fait aussi fréquemment intervenir le marché à terme.

a) Nous savons que le prix des devises subit des variations incessantes, non seulement en raison des déséquilibres des balances de paiements, mais aussi sous l'effet des mouvements de capitaux ou de la spéculation. Il paraîtrait dès lors normal que les cours cotés simultanément sur des places différentes accusent des disparités.

Au moment où, sur le marché de Londres \ la couronne danoise (KD) se traite à 17,94 pour une livre, il se peut que la livre se négocie à Copenhague au cours de 17,96. La disparité apparaît immédiatement puisque l'une des deux places donne le certain.

Si les deux places donnent l'incertain, il faut comparer le cours pratiqué sur l'une à l'inverse du cours pratiqué sur l'autre. Plus précisément, il faudra comparer le cours acheteur du dollar à Paris et l'inverse du cours vendeur du franc à New York. En négligeant la différence cours acheteur cours vendeur, si le dollar U.S. est coté à Paris 5,52 F tandis qu'à New York le franc français se traite à 0,181 cent, il faut comparer 552 à

100 . , . ■ == 552,486. Ce dernier chiffre est la « parité directe > 0,181

du cours du franc à New York. Il y aurait donc dans ce cas une différence et donc une occasion d'arbitrage entre les deux places.

En réalité, il ne peut finalement y avoir d'écart important entre le cours du change sur deux places. Le propre des opéra-

1. Les cotes ci-après sont antérieures au réalignement de 1971.

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tions d'arbitrages est justement de tendre au nivellement du niveau des parités.

Considérons par exemple deux places qui cotent l'incertain, par exemple, Paris et Francfort.

Supposons qu'à Paris le DM cote 152 ; c'est donc que chaque DM vaut 1,52 F.

Pour que Paris et Francfort soient à parité, il faudrait qu'à Francfort le DM corresponde à 1,52 F, c'est-à-dire que 100 F

100 (la base) cotent 1,52 = 65,7 DM.

Or

Ou

Pour que deux places qui cotent l'incertain soient à parité, il faudra que le produit de leurs bases soit égal au produit de leurs cotes. Dès que le produit des cotes est différent du produit des bases, l'arbitrage devient possible.

Reprenons le même exemple et supposons que : Paris cote le DM 152 Francfort cote le franc 63

Le produit des bases est 100 X 100 = 10 000. Le produit des cotes est 152 X 63 = 9 576. Il est intéressant de faire l'arbitrage ; en effet :

— En France, le Deutsche-Mark vaut 1,52 à Paris et 100

= 1,50 à Francfort. 63 — On aura donc intérêt à acheter des marks à Paris en

donnant des francs et simultanément à acheter des francs à Francfort en donnant des marks.

Ainsi un achat à Paris de 3 000 marks coûterait 152 X 3 000 . = 4 560 F mais ces 3 000 marks permettraient 100

3 000 X 100 d'acheter à Francfort = 4 762 F. 63

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L'arbitrage fournit un bénéfice de 202 F, compte non tenu des frais. Il y a donc toutes chances pour que l'écart ne se maintienne pas entre les deux places.

Les opérations d'arbitrage entre les deux places ramèneront à la « parité directe », c'est-à-dire à un prix en francs du mark à Paris qui sera l'inverse du prix en mark du franc à Francfort.

b) Mais le plus souvent, ce sont les « parités indirectes » ou encore « parités croisées » (Cross Rates) qu'il faudra consi- dérer lorsque les arbitrages portent sur plusieurs monnaies.

Prenons le cas le plus fréquent : celui des arbitrages sur trois monnaies dit arbitrage triangulaire.

0 Supposons que le franc belge soit à la parité de 2 cents US, que le peso mexicain soit à la parité de 8 cents US, et que la parité franc belge-peso soit 1 peso = 4 FB.

Si un Américain achète des francs belges pour $ 1 000, il obtient 50 000 FB finalement avec ces FB il peut acheter 12 500 pesos mexicains. S'il veut finalement revenir au dollar il obtiendra $ 1 000, si tout au moins on néglige le coût des transactions.

Les cours sont tels qu'il n'y a pas alors de profit à acheter la monnaie de l'un des pays mentionnés avec celle d'un autre pour la vendre dans un pays tiers. Il y a alors parité indirecte.

Imaginons ensuite que le taux de change du peso par rapport au franc vienne à se modifier et qu'il passe à 5 PB. Un arbitragiste pourra acheter avec $ 1 000, 12 500 pesos et avec

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ces 12 500 pesos, il obtiendra 62 500 FB. Il pourra alors avec ces FB acheter 1 250 dollars, soit un gain de $ 250.

Mais il est bien évident que cet arbitragiste sera imité par d'autres et que la marge de profits s'amenuisera. La demande de francs belges en termes de pesos s'accroîtra et cela fera baisser le taux de change du peso au niveau antérieur.

Les différences de cours de place à place sont, en dehors des périodes de crise, extrêmement réduites et aussi sans com- mune mesure avec celles qui ont été données ici. C'est l'arbitrage sur intérêts, plus que sur devises, qui est l'une des occupations principales du responsable du département des changes dans une grande banque \

En cours de journée les forces du marché varient sans cesse. Il se peut par exemple qu'à Paris le montant d'une devise offerte à la vente soit inférieur aux besoins de la de- mande, le contraire pouvant arriver pour une autre devise. Dès lors, le cours de la première commencera à hausser et celui de la seconde à baisser. C'est alors qu'interviendront des occasions de contact fructueuses pour les banques avec d'autres places financières, où des tendances opposées se mani- festent. Les rapports entre places sont incessants, les opérations d'achat et de vente se succèdent sans trêve et le chef cambiste doit être assez adroit pour se repérer au milieu de ces variations incessantes des cours et pour réaliser des opérations qui rap- portent à sa banque. Sa réussite dépend de sa rapidité de jugement ; il reçoit en effet au même moment de multiples renseignements sur les cours des différentes places et tout dépend donc de la rapidité de sa réaction.

L'arbitrage est le mécanisme qui devrait assurer une unité quasi parfaite du marché des changes. Cette unité, qu'on a cru longtemps parfaite, n'est pas en réalité confirmée. C'est ce que montrent en particulier les travaux statistiques de O. Mor- genstern 2 : les parités directes et les parités indirectes ne coïncident pas parfaitement. Cela tient à plusieurs facteurs :

Le coût des opérations : les cambistes ne sont pas prêts à

1. En fait sur la place de Paris seules quelques très rares grandes ban- ques de standing international pratiquent cet arbitrage sur devises. Les autres banques s'en tiennent à des opérations d'arbitrage sur taux d'intérêt.

2. O. MORGENSTERN, International Financial Transactions and Business Cycles, H.B.E.R. Princeton 1959, analysé dans B. MUNlER, Cambisme et Mouvements de Capitaux, Thèse Aix, 1969, pp. 33-48.

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PERSPECTIVES DE L'ECONOMIQUE

" dirigée par CHRISTIAN SCHMIDT

A quoi correspond la crise monétaire internationale qui se prolonge sous nos yeux ? Un observateur attentif enregistre des déplacements désordonnés de capitaux et voit volontiers dans le spéculateur individuel le véritable fauteur de troubles. Mais la théorie économique ne connaît que les monnaies, valeurs abstraites mani- pulées par des acteurs invisibles : les nations. Et pendant ce temps-là, les firmes et les particuliers qui achètent quotidiennement des devises sont tout à la fois les premiers responsables et les principales victimes.

Refusant les facilités d'un réquisitoire sommaire et rompant avec le confort intellectuel des constructions globales, le professeur Bourguinat étudie le lieu même où se livrent les batailles : les marchés des changes. Or, les progrès de la gestion financière des entreprises, l'importance croissante des firmes multinationales, l existence de mar- chés internationaux de capitaux (eurodollar) confèrent aux tradition- nelles manœuvres de change une véritable dimension stratégique. C'est pourquoi nous entrons aujourd'hui pour le meilleur et surtout pour le pire, dans l'ère d'une nouvelle hégémonie du change.

Face à cette montée des capitaux flottants, que faire ? L'auteur conteste l'alternative souvent proposée entre les réalignements de parités en cascades et les changes flexibles. Il voit dans les formules concertées de contrôle des capitaux à court terme, la solution la plus réaliste.

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