MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune...

50
LES CONDITIONS DE VIE EXTRÊMES SUR LA PLANÈTE ET EXOBIOLOGIE JEAN-LUC CAYOL*, BERNARD OLLIVIER*, DIDIER ALAZARD,RICARDO AMILS,ANNE GODFROY , DANIELLE MARTY ,FLORENCE PIETTE &DANIEL PRIEUR Chapitre 10 1 10.1. INTRODUCTION À notre connaissance, la Terre est la seule planète habitable, et habitée, dans le système solaire et même l’Univers. Tous ses habitants, du plus simple au plus complexe, du plus petit au plus grand, sont contraints par un grand nombre de paramètres physico-chi- miques environnementaux. En fonction du temps et de l’espace, les valeurs atteintes par ces paramètres comme la température, la salinité, le pH, la pression varient considérablement. Les combinaisons des va- leurs atteintes (minimales et maximales) par ces diffé- rents paramètres dans une zone géographique donnée définissent des biotopes, ou des ensembles de conditions environnementales, convenant à une es- pèce donnée. Pour la plupart des paramètres majeurs tels que ceux cités plus haut, des limites spécifiques ont été établies (pas toujours définitivement) au delà des- quelles aucun organisme connu ne peut accomplir la totalité de son cycle vital. Un environnement dans le- quel un ou plusieurs paramètres présente en perma- nence des valeurs proches de ces limites inférieures ou supérieures connues pour la vie est alors qualifié d’environnement extrême : pH inférieur à 3, tempéra- ture supérieure à 80°C, pression supérieure à 20 MPa, etc. Les sources géothermales, les abysses océa- niques, les sources acides, les marais salants, le per- mafrost sont autant d’environnements qualifiés d’ex- trêmes. Concernant les organismes que l’on peut y rencontrer, il est possible de distinguer plusieurs caté- gories physiologiques. Certains organismes, soumis à un paramètre par- ticulier dont la valeur est incompatible avec leur cycle vital, se modifient de manière à résister à cette agres- sion environnementale. Ainsi certaines bactéries for- ment des spores, résistantes à la chaleur, pouvant une fois formées, demeurer sous cette forme quasi inerte pendant de très longues périodes (une durée de 250 millions d’années a même été avancée). D’autres sont capables de mettre en œuvre des mécanismes cellulaires et moléculaires complexes et variés, leur permettant de résister par exemple à des concentrations toxiques de métaux lourds, ou de ré- parer leur ADN rompu sous l’effet de radiations ioni- santes. Pour ces deux catégories, les conditions extrêmes ne sont pas requises pour l’accomplissement du cycle vital, mais certains organismes qui y sont confrontés ont « appris » au cours de l’évolution à se mettre à l’abri ou à réparer les dégâts. Une troisième catégorie d’organismes ne peut ac- complir leurs cycles vitaux que si les conditions envi-

Transcript of MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune...

Page 1: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

LES CONDITIONS DE VIE EXTRÊMESSUR LA PLANÈTE ET EXOBIOLOGIE

JEAN-LUC CAYOL*, BERNARD OLLIVIER*, DIDIER ALAZARD, RICARDO AMILS, ANNE GODFROY,DANIELLE MARTY, FLORENCE PIETTE & DANIEL PRIEUR

Chapitre 10

1

10.1. INTRODUCTION

À notre connaissance, la Terre est la seule planètehabitable, et habitée, dans le système solaire et mêmel’Univers. Tous ses habitants, du plus simple au pluscomplexe, du plus petit au plus grand, sont contraintspar un grand nombre de paramètres physico-chi-miques environnementaux. En fonction du temps et del’espace, les valeurs atteintes par ces paramètrescomme la température, la salinité, le pH, la pressionvarient considérablement. Les combinaisons des va-leurs atteintes (minimales et maximales) par ces diffé-rents paramètres dans une zone géographiquedonnée définissent des biotopes, ou des ensemblesde conditions environnementales, convenant à une es-pèce donnée.

Pour la plupart des paramètres majeurs tels queceux cités plus haut, des limites spécifiques ont étéétablies (pas toujours définitivement) au delà des-quelles aucun organisme connu ne peut accomplir latotalité de son cycle vital. Un environnement dans le-quel un ou plusieurs paramètres présente en perma-nence des valeurs proches de ces limites inférieuresou supérieures connues pour la vie est alors qualifiéd’environnement extrême : pH inférieur à 3, tempéra-ture supérieure à 80°C, pression supérieure à 20 MPa,etc. Les sources géothermales, les abysses océa-niques, les sources acides, les marais salants, le per-

mafrost sont autant d’environnements qualifiés d’ex-trêmes. Concernant les organismes que l’on peut yrencontrer, il est possible de distinguer plusieurs caté-gories physiologiques.

Certains organismes, soumis à un paramètre par-ticulier dont la valeur est incompatible avec leur cyclevital, se modifient de manière à résister à cette agres-sion environnementale. Ainsi certaines bactéries for-ment des spores, résistantes à la chaleur, pouvant unefois formées, demeurer sous cette forme quasi inertependant de très longues périodes (une durée de 250millions d’années a même été avancée).

D’autres sont capables de mettre en œuvre desmécanismes cellulaires et moléculaires complexes etvariés, leur permettant de résister par exemple à desconcentrations toxiques de métaux lourds, ou de ré-parer leur ADN rompu sous l’effet de radiations ioni-santes.

Pour ces deux catégories, les conditions extrêmesne sont pas requises pour l’accomplissement du cyclevital, mais certains organismes qui y sont confrontésont « appris » au cours de l’évolution à se mettre àl’abri ou à réparer les dégâts.

Une troisième catégorie d’organismes ne peut ac-complir leurs cycles vitaux que si les conditions envi-

Page 2: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

ronnementales sont en permanence extrêmes. Ainsiun hyperthermophile (cf. Chapitre 10.2) ne pourra sediviser pour une température inférieure à 65°C, quipourtant serait létale pour un psychrophile (cf. Chapi-tre 10.1). Ou encore un piézophile (cf. Chapitre 10.4)cessera de croître à la pression atmosphérique. Tousces organismes méritent réellement le qualificatif d’ex-trêmophile. Tous sont des micro-organismes, parfoisdes Eucarya, mais le plus souvent des bactéries et desarchées. Dans tous les cas, leur étude relève de l’éco-logie microbienne, d’où la place qui leur est consacréedans cet ouvrage.

10.2. LES BACTERIESPSYCHROPHILES

10.2.1. INTRODUCTION

Les bactéries psychrophiles sont des micro-orga-nismes adaptés au froid (littéralement, qui aiment lefroid). Elles constituent une biomasse considérable carles environnements froids représentent la partie la plusimportante de la planète terre : il faut en effet tenircompte non seulement des régions polaires, arctiqueset antarctiques (Figure 10-1), mais aussi, des régionsde haute montagne, des glaciers, des zones de per-

mafrost ainsi que des océans au sein desquels, endessous de 1 000 mètres de profondeur, la tempéra-ture est inférieure à 5°C quelle que soit la latitude. Lagamme des températures dans laquelle se dévelop-pent ces organismes est très large ; dans l’eau libredes océans elle varie de -1,9°C, correspondant enmoyenne à la température de congélation de l’eau demer, à environ 5°C ; au sein de la glace de mer lestempératures pour lesquelles des activités bacté-riennes ont été décelées s’étendent jusqu’à -20°C etpeut-être moins encore. Les concentrations cellulairespeuvent y atteindre 105 bactéries mL-1. Les limites detempérature pour lesquelles la vie bactérienne sembleencore possible au sein du permafrost sont sans douteencore inférieures à cette valeur car on a pu démontrerque même à des températures aussi basses que170°K (-60°C), des zones d’eau liquide pouvaient sub-sister sous forme de solutions salines associées à dessédiments ou de la bentonite, suggérant que ceszones pourraient servir d’habitats à des micro-orga-nismes. Cela nous rapproche aussi des températuresrencontrées sur Mars (en moyenne 225°K ou -5°C) etrend plausible l’hypothèse que des micro-organismesanaérobies aient pu subsister jusqu’à aujourd’hui surcette planète dans la glace (Price, 2007). L’importancede l’étude détaillée de ces micro-organismes apparaîtdonc considérable non seulement en raison de leurabondance mais aussi parce qu’ils constituent la based’une théorie alternative plausible qui propose que lepremier représentant de la vie sur terre était un psych-rophile (Last Universal Common Ancestor-LUCA).

10.2.2. TERMINOLOGIE

Dans la littérature scientifique consacrée aux orga-nismes adaptés au froid, on rencontre différents termesconstituant autant de tentatives de sub-divisions de cesmicro-organismes particuliers, curieusement définis enfonction de leur température optimale apparente decroissance et leur température maximale de multiplica-tion. Ainsi selon la classification la plus répandue(D’Amico et al., 2006), les micro-organismes psychro-philes auraient un optimum de croissance ≤15°C et unetempérature maximale de croissance ≤20°C. Ils se dis-tingueraient ainsi des micro-organismes psychrotolé-rants dont l’optimum serait ≤20°C et le maximum≤35°C. Le terme psychrotrophe se rencontre égale-ment et correspondrait à peu de chose près au termepsychrotolérant. Nous pensons que ces termes sontinutiles et prêtent à confusion. En effet les expériencesde culture de ces micro-organismes indiquent :(i) qu’il existe un continuum dans l’adaptation au froid,(ii) que toute classification s’avère restrictive,

Figure 10-1 : Un écosystème froid typique de l’Antarctique.

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

2

Page 3: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

(iii) que le terme psychrophile est le seul correctpuisqu’il indique sans ambiguïté que la bactérie estadaptée au froid

(iv) que le terme psychrotolérant est basé sur leconcept erroné qu’une bactérie se développe par-ticulièrement bien à ce que l’on appelle la tempé-rature optimale de croissance obtenue à partir dutaux de croissance (x h-1) ou temps de doublement(x h) du micro-organisme mesuré en fonction de latempérature de culture. En réalité cette tempéra-ture est une température critique qui résulte ducroisement de deux courbes : l’une exponentiellecorrespond à l’augmentation du taux de crois-sance en fonction de la température par effet ci-nétique répondant à la loi d’Arrhenius et l’autredécroissante correspond à l’effet délétère de latempérature sur des composants cellulairescomme les protéines. La température optimale decroissance réelle est en fait souvent très éloignéede celle définie ci-dessus, elle est sans douteproche de la température de l’environnement pourdes espèces endémiques. Ceci peut facilementêtre démontré en considérant la densité cellulaireobtenue en fonction de la température à la fin de laphase exponentielle de croissance. On constateen effet chez Pseudoalteromonas haloplanktis (Fi-gure 10-2) qu’à la température optimale appa-rente, la densité cellulaire est bien inférieure àcelles obtenues à plus basses températures. Lescellules sont alors en état de détresse métabo-lique. Le terme psychrotolérant est d’autant plusinapproprié que beaucoup d’espèces appartenantà cette catégorie présentent des temps de dou-blement plus courts que ceux d’espèces psychro-philes provenant du même environnement. Il seraitdès lors plus judicieux de réserver ce terme, pourautant qu’il soit d’une utilité quelconque, à des es-pèces mésophiles capables de survivre dans des

environnements froids. Le terme psychrotrophe,introduit en 1960, est souvent utilisé dans l’indus-trie alimentaire pour désigner des micro-orga-nismes susceptibles de dégrader des alimentscongelés ; il n’apparaît pas plus approprié en rai-son de son inadéquation avec une quelconque ca-ractéristique bactérienne. Les termes sténo-psychrophile (psychrophile) et eurypsychrophile(psychro-tolérant) ont également été proposéspour désigner des organismes capables respecti-vement de se multiplier dans des zones étroites oularges de basses températures (D’Amico et al.,2006). Dans cette revue de synthèse nous avonsdécidé d’utiliser uniquement le terme psychrophilepour désigner toute bactérie vivant en perma-nence dans des environnements de basse tempé-rature et dès lors écologiquement bien adaptée àce type d’habitats.

10.2.3. ENVIRONNEMENTS ET BIODIVERSITÉ

L’inventaire sera limité aux eaux de surfaces et auxeaux profondes, aux glaces de mer, aux zones de per-mafrost, aux neiges et glaciers ainsi qu’aux lacs sous-glaciaire.

L’évaluation des populations bactériennes reste unproblème difficile en raison du fait que seulement 1 à10 % des espèces microbiennes apparaissent cultiva-bles. Des techniques indépendantes des cultures ontété développées, elles sont basées soit sur la déter-mination de la séquence de gènes de la petite sous-unité 16S du RNA ribosomal, soit sur l’hybridation insitu à l’aide de sondes appropriées. Plus récentes en-core, les techniques de métagénomique ont ouvert desperspectives considérables dans ce domainepuisqu’elles envisagent ni plus ni moins de déterminer,à partir de l’ADN global isolé des échantillons bruts etcloné dans des vecteurs adéquats, la séquence detous les génomes présents. On peut se rendre comptede l’amplitude de la tâche en considérant qu’un millierde génomes bactériens pourrait être présent dansl’échantillon naturel prélevé, ce qui porterait le nombrede paires de bases à environ 3-5.109. De grands cen-tres de séquençage se sont déjà attelés à ce type d’en-treprise et les résultats s’avèrent prometteurs.

Les océans arctiques et antarctiquesOn peut sans doute considérer que dans ces envi-

ronnements, en dessous de 60° de latitude sud, latempérature de l’eau oscille entre -1,9°C et 5°C. Lapression de sélection est donc maximale en raison dela relative constance de ces températures par rapportaux environnements terrestres de même latitude. Dans

Figure 10-2 : Croissance de Pseudoalteromonas haloplanktis à 4°C(O), 18°C (ν) et 25°C (�) (A550 absorbance à 550 nm).

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

3

Page 4: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

4

l’océan arctique, en dessous de la glace permanente,des densités de 102 ml-1 de bactéries hétérotrophes ontété rapportées. Les populations n’apparaissent pas trèsdifférentes si l’on compare l’Arctique à l’Antarctique;ainsi, aux deux pôles, les Alpha et Gamma protéobac-téries ainsi que les cytophages-flavobactéries dominentavec 97 % des phylotypes répertoriés communs à l’Arc-tique et à l’Antarctique. En Antarctique on observe unelarge fluctuation de la biomasse marine en fonction dela saison, ce qui reflète les changements de tempéra-ture et de lumière. De larges populations de flavobac-téries dont l’abondance liée aux concentrations enchlorophylle et en nutriments se rencontrent en surface.Les archées sont également abondantes et représen-tent environ 30 % de la biomasse des procaryotes. Lesgenres de bactéries les plus communs rencontrés dansles eaux de mer arctique et antarctique sont : Altero-monas, Colwellia, Glacieola, Pseudoalteromonas, She-wanella et Polaribacter.

Les eaux profondes60 % de la surface terrestre est couverte par des

mers de profondeur supérieure à 1000 m. La pressionhydrostatique de ces environnements est de plus de 110MPa et les températures souvent inférieures à 4°C (àl’exception des sources hydrothermales où la tempéra-ture peut atteindre 370°C). Les micro-organismes capa-bles de supporter ces pressions et températuresextrêmes sont nommés psychropiezophiles. La premièrebactérie de ce type fut découverte en 1979, il s’agit d’unebactérie de type spirillum (souche CNPT-3) qui a untemps de doublement rapide à 50 MPa et qui est inca-pable de pousser à pression atmosphérique. De nom-breuses bactéries psychropiezophiles ont été isolées etcaractérisées, il s’avère qu’elles appartiennent toutes augroupe des Gamma protéobactéries selon la classifica-tion basée sur les séquences des ARN ribosomiques 5Set 16S. Ces bactéries se repartissent dans 5 genres pré-dominants : Photobacterium, Colwellia, Moritella, She-wanella et Psychromonas.Quelque soit le genre auquelappartiennent ces bactéries, leurs membranes présen-tent un taux important d’acides gras insaturés afin quecelle-ci garde une certaine fluidité à basse températureet haute pression. Suivant le genre auquel appartiennentles bactéries, elles produisent en plus des acides graspoly-insaturés à longues chaînes dont l’acide éicosa-pentaénoïque et/ou l’acide décosahexanoique. La pro-portion de ces acides gras poly-insaturés dans lamembrane varie entre 50 et 70 %. Néanmoins, la pro-duction de ces acides gras poly-insaturés ne semble pasêtre obligatoire pour la croissance des psychropiezo-philes, ainsiPsychromonas profundaSS9 ne produit quedes acides gras mono-insaturés.

Glace de merLa glace de mer représente un habitat particulier

(Figure 10-1) en raison de sa température qui peutdescendre jusqu’à -35°C et son caractère semi-solide.Sa formation entraîne l’expulsion des sels dissous dela matrice solide mais aussi, au sein de celle-ci, la for-mation d’un labyrinthe de veines liquides dont la sali-nité varie en fonction de la température. Cette salinitépeut atteindre la valeur de 14,5 % à -10°C comparéeà la valeur de 3,4 % observée à -1,9°C. On y enregis-tre aussi une concentration très importante de ma-tières organiques dissoutes (MOD) qui transforme cesveines en habitats où prolifèrent de nombreux micro-organismes. La composition de ces veines n’est pasconstante, la gravité entraînant une désalinisation pro-gressive en fonction de l’âge de la glace. Des gra-dients de température existent aussi en son sein, de lasurface vers l’interface eau-glace, ce qui rend cet en-vironnement particulièrement hétérogène. Les sur-faces totales de ces veines liquides sont de l’ordre de0,6-4,0 m2/kg de glace. Les bactéries hétérotrophesconstituent le groupe principal des procaryotes que l’ony trouve, elles sont évidemment psychrophiles maisaussi halotolérantes ; des cyanobactéries sont aussiprésentes. Contrairement aux eaux libres, les archéessont peu représentées, environ 0-3 % du total des cel-lules. La présence d’exopolysaccharides, produits parles micro-organismes et pouvant agir non seulementcomme cryoprotecteurs mais aussi comme trappes ànutriments (voir plus loin) favorisent la colonisation dumilieu. Plus de 100 souches, appartenant à 5 groupesphylogénétiques : Alpha et Gamma protéobactéries,groupe des Bacillus-Clostridium, ordre des Actinobac-téries et phylum des Cytophaga-Flexibacter-Bacteroides (CFB) ont été mises en évidence dans dela glace de mer du Spitzberg ; les Gamma protéobac-téries dominent cet écosystème. Toutes les souchessont psychrophiles (sens large) avec une productionmaximale d’enzymes extracellulaires entre 4 et 10°C.Des bactéries en activité jusqu’à -20°C ont été mises enévidence dans de la glace de mer de l’Arctique. En An-tarctique, 100 phylotypes distincts ont été mis en évi-dence avec une distribution proche de celle rencontréedans la glace de l’Arctique : Alpha et Gamma protéo-bactéries, le groupe CFB, les bactéries à Gram positif etles ordres desChlamydiales et des Verrucomicrobiales.

Neiges et glaciersLa neige et les glaciers sont des écosystèmes

inter-reliés puisque la glace des glaciers se forme àpartir de la neige par compression naturelle. La ma-jorité des glaciers se trouvent au Groenland et en An-

Page 5: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

5

tarctique et renferme près de 80 % de l’eau douce dela planète, leur épaisseur varie de quelques dizainesde mètres à 4 km. Bien que la faible salinité de l’eaudouce ne favorise pas la formation de veines liquides,celles-ci existent cependant et leurs diamètres varientd’environ 1µm à -50°C à 10µm à -2°C (Price, 2007).D’autres films liquides se forment à la surface degrains minéraux insolubles et forment autant d’inclu-sions liquides, hôtes d’une vie bactérienne abon-dante. Le nombre de cellules se situe en moyenneentre 102-104/ml de glace mais dans la région basaleen contact avec le sol, fortement chargée en miné-raux, les densités cellulaires peuvent atteindre 109

mL-1. On a également calculé que l’approvisionne-ment en carbone organique des veines liquides per-mettrait de maintenir une population de 10-100cellules mL-1 pendant 400 000 ans (Price, 2007) avecdes flux métaboliques possibles sans limite appa-rente de température (Price, 2007). La conservationdes espèces serait donc possible dans des glacestrès anciennes; ainsi des espèces survivantes ont étéisolées d’un glacier tibétain à partir d’échantillons deglace vieux de 750 000 ans. L’analyse des popula-tions apparaît très difficile en raison de la faible den-sité moyenne, 102-104 mL-1, qui complique l’extractionde l’ADN, tandis que les méthodes de culture fontappel à des milieux pauvres et des temps d’incuba-tion de plusieurs mois à basses températures. Il ap-paraît qu’en raison de l’étroitesse des veines liquideset de la variation de leur diamètre en fonction de latempérature, une distribution très sélective est ob-servée avec les cellules les plus larges >2µm immo-bilisées dans les cristaux de glace et les plus étroites,<1µm, libres dans les veines liquides, prenant laforme de coques ou de petits bâtonnets. Les espècesdominantes sont des Protéobacteries suivies en nom-bre des Cytophaga/Flavoproteobacterium/Bacter-oides. Les genres Thermus, Bacteroides,Eubacterium et Clostridium ont également été égale-ment mis en évidence. Les espèces à Gram positifdominent largement ce type d’écosystèmes et ceciest certainement lié à la faculté de certaines de cesbactéries à former des spores.

PermafrostLes zones de permafrost occupent plus de 20 %

des terres de surface ; elles sont définies comme dessols dont la température reste à ou en dessous de 0°Cpendant au moins deux années consécutives. Long-temps considérées comme un réservoir d’une vie mi-crobienne ancienne, des expériences récentes ont, aucontraire, montré une vie microbienne active à destempératures se situant entre 0 et -20°C. Dans ces en-

vironnements les interfaces glace-eau sont de pre-mière importance et le terme “eutectophiles” a été pro-posé pour désigner des micro-organismespsychrophiles caractéristiques de ces interfaces cri-tiques (D’Amico et al., 2006). Très récemment des ac-tivités d’oxydation de composés organiques ainsi quela fixation de 14CO2 ont été démontrées en Alaska dansdes zones de permafrost jusqu’à des températures de-40°C. Les techniques très spéciales d’enrichissementen phase solide à partir d’échantillons de permafrostont été décrites ; elles utilisent principalement de la cel-lulose micro-cristalline, des nutriments à base miné-rale et de l’éthanol comme substrat (1/1000). Desmesures de production de CO2 pour estimer la crois-sance à différentes températures ont été faites. Lesenrichissements en phase liquide permettent d’identi-fier des bactéries à des températures variant de -1°C(Polaromonas) à -17°C (Pseudomonas et Arthrobac-ter) proches des micro-organismes isolés de glaciersou de glace de mer polaire. L’enrichissement en phasesolide permet l’isolement préférentiel d’eucaryotescomme des levures unicellulaires et des ascomycètesmycéliens. Pour souligner, encore une fois, l’incohé-rence de la distinction entre espèces psychrophiles etpsychrotolérantes, des souches de ce dernier typemontrent encore une croissance à -17°C ! Pour fixerles idées, au-dessus de températures situées entre -18et -20°C les micro-organismes conservent toutes leurscaractéristiques ; ils se multiplient de manière expo-nentielle, consomment l’éthanol et le transforment enCO2 par moitié tandis que l’autre moitié est utiliséepour l’expansion cellulaire. Le temps de doublementdes moins performants est de l’ordre de 14-35 jours à-8°C. En dessous de -20°C le stress est plus importantavec une phase d’activation transitoire qui préparesans doute les organismes à la survie prolongée grâceà la biosynthèse de composants intra- ou et extra-cel-lulaires permettant la dormance. Des densités de po-pulations bactériennes viables de 102 à 108 cellules pargramme de permafrost vieux de 1 à 3 millions d’an-nées, ont été observées dans l’Arctique et dans l’An-tarctique et le rapport entre bactéries aérobies etanaérobies varie avec le passé géologique du sol.Dans des échantillons de Sibérie présentant une tem-pérature de -10°C, on a démontré que la proportiond’eau non congelée était de ± 3 % et que ce perma-frost contenait 108 cellules g-1. L’incorporation de li-pides d’acétate marqués au 14C a permis de mesurerles temps de doublement à différentes températureset comme ci-dessus, ceux-ci s’établissent à 8 jours à -10°C et à environ 200 jours à -20°C. Ceci suggère quedes écosystèmes fonctionnels existent dans le per-mafrost et que la fonte de ces environnements pourrait

Page 6: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

6

provoquer un effet de serre très important car ces solscontiennent 30 % du carbone total contenu dans lessols. Ils intéressent au plus haut point les scientifiquesà cause de leur parenté avec des environnements gla-ciaires que l’on a notamment découverts sur Mars. Ence qui concerne la biodiversité présente, des détermi-nations récentes ont montré que dans des échantillonsde permafrost de l’Arctique canadien (80°N), prélevésà une profondeur de 9 m à une température d’environ-15°C, les espèces sont, en majorité, psychrotolé-rantes selon la définition de Morita (1975), 50 % d’en-tre-elles sont halotolérantes et les bactéries cultivablesappartiennent aux phyla, Firmicutes, Actinobacteria etProteobacteria, ce dernier groupe est cependantmoins représenté que dans les sols sibériens. Au total42 phylotypes bactériens ont été mis en évidence ainsique 11 phylotypes d’archées.

Lacs sous-glaciaires antarctiquesDans les années 1950, la modélisation des flux

géothermiques a permis de prédire qu’au-delà d’unecertaine épaisseur de glace, l’interface entre la glace etla roche sous-jacente pouvait être à l’état liquide. En1973, des radio-sondages décelèrent la présence de17 lacs sous-glaciaires dans l’est antarctique, puis cesdix dernières années, différentes techniques mirent enévidence près de 150 de ces lacs sur le continent An-tarctique. Le plus célèbre d’entre eux est le lac Vostokdu nom de la station antarctique russe en dessous delaquelle ce lac fut découvert. Sa surface est de 14 000km2 avec une profondeur variant de 500 m au nord à800 m au sud. L’épaisseur de glace est de l’ordre de 4km et en raison de la différence d’épaisseur de glaceentre la partie sud et nord, ± 300 m, la partie nord estplus chaude (+0,3°C). Cela crée une fonte de la glacedu nord au sud qui se recongèle au niveau de la glacebasale de la partie sud formant ce que l’on appelle dela glace d’accrétion entre -3540 et -3743 m. L’originedu lac peut être située au miocène et l’âge de l’eauentre 106 et 15.106 années. Le forage de la glace futentrepris en 1989 par une équipe internationale com-posée de chercheurs venant de Russie, d’Angleterre,de France et de Belgique et arrêté en 1998 à une pro-fondeur de 3623 m, au sein de la glace d’accrétion, àenviron 120 m de la surface de l’eau. En 2006, un fo-rage supplémentaire réalisé par une équipe russeporta cette distance à 3651 m. Des échantillons deglace prélevés à différentes profondeurs entre 3540 et3623 m prédisent que, dans le lac, les concentrationsen carbone organique se situeraient entre 86 et 160µM, les densités cellulaires entre 150 et 460 cellules/mlet les solutés entre 1,5 et 34 mM. La concentration engaz dissous et notamment en O2 devrait être 50 fois

plus élevée qu’à l’équilibre eau/air de surface en raisonde la pression et de la forte concentration en gaz pré-sent dans la glace sous forme de clathrates (hydratescomplexes de gaz). Des échantillons de glace d’ac-crétion fondue ont été analysés et les micro-orga-nismes présents identifiés après culture des isolatsainsi que par séquençage de l’ARNr 16S. On y re-trouve des représentants des groupes de protéobac-téries (sub-divisions α, β, γ et δ), Firmicutes,Actinobactéries et Bacteroidetes. L’investigation deseaux sous-jacentes et l’échantillonnage direct deman-dera cependant la mise en œuvre d’une logistiqueconsidérable en raison du risque de contamination ex-térieure de cette nappe d’eau gigantesque capable derecouvrir l’Antarctique d’une couche d’eau de 1 m deprofondeur. De plus, il apparaît maintenant que ces ha-bitats longtemps considérés comme isolés sont en faitreliés par des réseaux très étendus de canaux souter-rains qui pourraient provoquer des décharges à lacôte. Le transfert rapide de masses d’eaux d’un en-droit à l’autre par voies souterraines entraînerait aussiune redistribution importante des solutés et des micro-organismes.

10.2.4. ADAPTATIONS MOLÉCULAIRES

À basse température, les bactéries font face à plu-sieurs contraintes comme : une diminution de la flui-dité de la membrane, une diminution de la vitesse desréactions enzymatiques, une stabilisation des struc-tures secondaires des acides nucléiques entraînantune diminution de l’efficacité de la transcription et de latraduction, un ralentissement du processus de replie-ment des protéines. En réponse à ces contraintes, plu-sieurs adaptations sont constatées et sont décritesci-dessous.

Les membranesLes basses températures induisent une diminution

de la fluidité de la membrane. En réponse à ce phé-nomène, on constate que la synthèse des acides grasinsaturés, poly-insaturés et acides gras branchés estfavorisée. Une diminution de la longueur des chaîneshydrocarbonées est également constatée. Ces chan-gements visent à introduire une contrainte stérique età diminuer le nombre d’interactions au sein de la mem-brane, augmentant la fluidité de celle-ci (D’Amico etal., 2006).

Chez les bactéries anaérobies, l’acide gras syn-thase est capable de synthétiser des acides gras sa-turés et insaturés. Ce phénomène est dû à un systèmed’élongation conduisant à un intermédiaire pouvantêtre déshydraté afin de synthétiser un acide gras in-

Page 7: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

saturé. Chez les bactéries aérobies, l’acide gras syn-thase ne fabrique pas d’acides gras insaturés. Ellespossèdent donc une enzyme supplémentaire : la dés-aturase capable de désaturer les acides gras. Cet en-zyme forme des complexes avec d’autres protéines etcofacteurs au niveau des membranes et agit commeune petite chaîne respiratoire en transférant des pro-tons provenant des acides gras vers un accepteur, parexemple l’oxygène. Lorsque la température augmente,il y a induction d’une nouvelle enzyme (désaturase)chez les bactéries aérobies, alors que chez les anaé-robies, les enzymes présentes changent de fonction.

Il existe deux types d’acides gras branchés, les iso-branchés et les antéi-iso-branchés, provenant respecti-vement de l’utilisation d’un dérivé de leucine etd’isoleucine comme première molécule lors de la syn-thèse de l’acide gras. La température régule l’acyl-CoA :transacyclase responsable de la conversion des déri-vés d’acides aminés (kéto-acides) en ACP (acyl carrierprotein)-thioester. Ces molécules sont ensuite utiliséespar l’acide gras synthase lors de la fabrication desacides gras branchés. Certaines bactéries montrent unnombre plus élevé d’acides gras à courtes chaînes.C’est le cas deMicrococcus cryophilus, bactérie psych-rophile qui présente un ratio acide oléique/acide palmi-toléique quatre fois plus élevé à 25°C qu’à 4°C. Lepassage de l’acide oléique (18 carbones) vers l’acidepalmitoléique (16 carbones) et inversement, est cata-lysé par une élongase liée à la membrane. Chez d’au-tres bactéries, il y a synthèse de nouveaux acides grasà chaîne courte par l’acide gras synthase.

Les enzymesLa plupart des réactions enzymatiques obéissent à

la loi d’Arrhenius, loi qui rend compte de la variationde vitesse d’une réaction en fonction de la tempéra-ture : k = A exp(-Ea/RT) où k est la constante de vitesse,A est un facteur pré-exponentiel, Ea est l’énergie d’ac-tivation, R est la constante des gaz parfaits et T la tem-pérature en Kelvin. D’après cette loi, une diminution dela température induit une diminution exponentielle dela vitesse de réaction. Afin de garder un taux de réac-tion approprié à basse température, les enzymes desorganismes psychrophiles ont du s’adapter. Beaucoupd’enzymes psychrophiles ont été étudiées et onconnaît la structure tridimensionnelle de plus de 20 deces enzymes. Ces études montrent que :– l’activité spécifique des enzymes psychrophiles est

plus élevée à basse et moyenne température quecelle de leurs homologues mésophiles.

– la température optimale apparente d’activité des en-zymes psychrophiles est significativement déplacéevers les basses températures.

– l’activité spécifique des enzymes psychrophiles auniveau de leur température de vie est généralementmoins élevée que celle de leurs homologues méso-philes. Ceci laisse supposer que l’adaptation au froidn’est pas tout à fait complète (D’Amico et al., 2006)(Figure 10-3).

L’adaptation de ces enzymes à leur environnementest expliquée par la relation « activité-stabilité-flexibilité ». Celle-ci suggère que les enzymes psych-rophiles augmentent leur flexibilité globale ou celui deleur site actif afin de compenser la rigidification induitepar le froid. De ce fait, elles perdent de leur stabilitémais gagnent en activité (D’Amico et al., 2006). Si oncompare les paramètres thermodynamiques de cesenzymes avec ceux de leurs homologues mésophiles,on constate que les premières ont une constante ca-talytique (kcat), (constante de vitesse désignant le nom-bre de molécules de substrats converti en produit parmolécule d’enzyme et par unité de temps) élevée àbasse température grâce à une diminution de l’enthal-pie d’activation. Beaucoup d’enzymes froides ont aussiune constante de Michaelis (kM) (représentant l’affinitéde l’enzyme pour le substrat) élevée à mettre en rela-tion avec la flexibilité importante de ces protéines(D’Amico et al., 2006).

Facteurs divers

Séquences génomiquesTrois génomes de bactéries psychrophiles ont été

complètement séquencés, il s’agit des génomes de

Figure 10-3 : Comparaison de l’effet de la température sur l’activitéde deux enzymes homologues. Les courbes représentent l’activitéen fonction de la température pour une alpha-amylase psychrophileprovenant de Pseudoalteromonas haloplanktis (λ) et une alpha-amy-lase mésophile provenant de Bacillus amyloliquefasciens (γ).

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

7

Page 8: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

8

Desulfotalea psychrophyla (D’Amico et al., 2006), deColwellia psychrerythraea (D’Amico et al., 2006) et dePseudoalteromonas haloplanktis TAC125 (D’Amico etal., 2006). Dans ces génomes, plusieurs gènes decold-shock proteins (CSP) ont été identifiés ainsi quedes gènes de protéines impliquées dans la désatura-tion des acides gras. Parmi ces derniers, on retrouve,chez Pseudoalteromonas haloplanktis, la lipide-dés-aturase ainsi que deux groupes de gènes probable-ment impliqués dans la régulation de la fluidité de lamembrane. Chez Colwellia psychrerythraea, on aidentifié une beta-keto-acyl-CoA synthase ainsi qu’uneacide-gras cis/trans isomérase, enzymes qui pour-raient être impliquées dans l’augmentation de la flui-dité de la membrane. En plus de l’adaptation au froid,les bactéries psychrophiles doivent se protéger del’augmentation de la concentration en oxygène. Eneffet, la solubilité des gaz dans l’eau augmente avec ladiminution de température. P. haloplanktis a suppriméla voie métabolique dépendante du molybdène pro-duisant des ROS (reactive oxygen species), toxiquespour elle. Les lipide-désaturases protègent la bactériecontre l’oxygène et synthétisent des acides gras poly-insaturés qui rendent la membrane plus fluide. ChezC. psychrerythraea et D. psychrophila, des gènes co-dant des catalases et des superoxydes dismutases ontété identifiés augmentant ainsi leur capacité antioxy-dante. Au niveau du contenu en acides aminés desprotéines, P. haloplanktis montre une utilisation plusfréquente de l’asparagine que les bactéries méso-philes et thermophiles. Ce résidu est thermolabile etest donc sujet à une déamination à température éle-vée. Une étude comparant les archées psychrophileset thermophiles a montré que les psychrophiles utili-sent plus fréquemment la leucine et rarement la gluta-mine et la thréonine (D’Amico et al., 2006). En général,toutes les études ne vont pas dans le même sens, onne peut donc pas tirer de conclusion quant à l’utilisa-tion préférentielle de certains acides aminés chez lespsychrophiles.

ExopolysaccharidesLes polysaccharides sont des polymères formés de

glucides similaires. Chez les bactéries, ils sont pré-sents soit au niveau de la paroi cellulaire, constituantl’essentiel des lipopolysaccharides (LPS), soit à l’ex-térieur de la cellule, liés à cette même cellule (exopo-lysaccharide capsulaire) soit encore relargués dans lemilieu de culture sous forme d’exopolysaccharides(EPS). La production de polysaccharides semble êtremajoritairement le fait de souches appartenant auxgenres Alteromonas, Pseudoalteromonas, Shewanellaet Vibrio. Des études menées en Arctique et en An-

tarctique sur les organismes vivant dans la glace sug-gèrent que les EPS produits par le phytoplancton etles bactéries contribuent de manière importante à laprésence de carbone organique à l’interface eau-glace(D’Amico et al., 2006). Les EPS servent à la fixationdes bactéries sur des supports conduisant parfois à laformation de biofilms, à l’emprisonnement et laconcentration des nutriments, à la protection de la bac-térie vis-à-vis du milieu extérieur ou encore à la réten-tion d’eau afin d’éviter la dessiccation. Chez CAM025,une bactérie psychrotrophe du genre Pseudoaltero-monas, il y a une augmentation de la production d’EPSpoly-anioniques de haut poids moléculaire à des tem-pératures inférieures à la température optimale decroissance de la bactérie. On peut alors supposer queles EPS ont un rôle de cryoprotection dans les habi-tats froids tels que les veines liquides de glace de mer.Chez cette même bactérie, on constate que les EPSproduits à basses températures contiennent plusd’acide uronique (ayant une charge négative) que ceuxproduits à une température plus élevée. Grâce à leurpropriété poly-anionique, les EPS pourraient com-plexer des métaux tels que le fer qui est peu disponi-ble en Antarctique (D’Amico et al., 2006). ChezLactobacillus sakei 0-1, les basses températures com-binées avec le glucose comme source de carboneaugmentent la production d’EPS.

Protéines de nucléationLa formation de glace intra ou extracellulaire est

dommageable pour les cellules. En effet les cristauxpeuvent lyser les cellules de manière mécanique. Deplus la formation de glace provoque la concentrationdes solutés entraînant un choc osmotique et la déshy-dratation de la cellule. Certaines bactéries sont capa-bles de résister à la congélation grâce à plusieurstypes de protéines et glycoprotéines. Les protéines denucléation permettent la formation de cristaux de glaceà une température supérieure au point de congélationde l’eau. Ces protéines sont sécrétées à l’extérieur dela bactérie. De cette manière, lorsque la températurediminue, de petits cristaux de glace se forment à l’ex-térieur de la cellule et celle-ci se déshydrate progres-sivement en concentrant le liquide intracellulaire etdiminue donc le point de congélation de ce dernier. Enplus des protéines de nucléation, il existe des pro-téines antigels qui sont intra ou extracellulaires et quiinhibent la croissance des cristaux de glace en sefixant à eux par complémentarité. De cette façon,les molécules d’eau ne peuvent pas venir grossir lecristal existant. Grâce à cette capacité de liaison auxcristaux, les protéines antigels sont 500 fois plus effi-caces que le NaCl en même concentration pour dimi-

Page 9: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

nuer le point de congélation de l’eau. Les protéines an-tigels étaient connues chez les poissons essentielle-ment, mais elles ont été récemment découvertes chezune bactérie antarctique Marinomonas primoryensis(D’Amico et al., 2006). La rhizobactérie Pseudomonasputita GR 12-2 secrète une protéine antigel ayant uneactivité de nucléation. C’est la première fois qu’on rap-porte une protéine antigel ayant ces deux activités op-posées, phénomène qui reste d’ailleurs à élucider(D’Amico et al., 2006).

Protéines du choc froid (cold-shock)Lorsque des bactéries sont transférées brutalement

vers une température plus froide, elles entrent géné-ralement en phase de latence durant laquelle il n’y aplus de multiplication cellulaire. Durant cette période, lasynthèse de la plupart des protéines est inhibée. Néan-moins, quelques protéines appelées protéines du chocfroid (cold-shock proteins) ou Csp sont synthétisées etcontribueraient à diminuer les effets néfastes dus à lachute de température.

Le phénomène de cold-shock a été largement étu-dié chez E. coli où la Csp la plus abondante est CspAqui fonctionnerait comme une chaperonne déstabili-sant les structures secondaires des ARN et améliorantainsi l’efficacité de la traduction. D’autres protéinessont impliquées dans le repliement des protéines, larégulation de la fluidité des membranes, la transcrip-tion et la traduction (D’Amico et al., 2006).

Chez les bactéries psychrophiles, les effets d’uncold-shock sont différents de ceux constatés chez lesmésophiles. En plus des Csp produites durant laphase de latence, il y a synthèse des protéines d’ac-climatation au froid (cold-acclimation proteins) ou Capnon seulement durant la phase de latence suivant lachute de température mais également après, alors quela multiplication cellulaire a repris (Figure 10-4).

Chez Arthrobacter globiformis SI55, une bactériepsychrotrophe, certaines Cap pourraient jouer le rôlede protéases éliminant les protéines dénaturées (Hé-braud et Potier, 2000). Chez une autre bactérie psych-rotrophe, Pseudomonas fragi, des protéineshomologues à CspA ont été identifiées parmi les Capet pourraient réguler la synthèse d’autres protéines(Hébraud et Potier, 2000).

10.2.5. CONCLUSIONS

Malgré les conditions de froid extrême rencontréesdans certains environnements terrestres, les bacté-ries psychrophiles ont su coloniser la plupart de ceslieux et s’y sont bien adaptées, en dépit du ralentis-sement des réactions biochimiques et de l’augmenta-

tion de la viscosité de l’eau. La majeure partie de cesadaptations se fait au niveau des protéines qui inter-viennent dans toute la machinerie cellulaire : métabo-lisme, régulation de la fluidité des membranes, entréede nutriments, sécrétion des produits, assemblagedes macromolécules, traduction, transcription, replie-ment des protéines, etc. La grande flexibilité des en-zymes froides joue un rôle très important au niveaude leur activité, mais en contre partie, ces enzymesperdent en stabilité. Une autre adaptation au froid estdue à l’induction de protéines du choc froid et de pro-téines d’acclimatation au froid impliquées dans le re-pliement des protéines, la déstabilisation desstructures secondaires des acides nucléiques, latranscription et la traduction. L’induction de ces pro-téines par le froid permet aux bactéries une réactionrapide et efficace face aux diminutions soudaines detempératures. Les stratégies utilisées par les bacté-ries psychrophiles pour résister au froid sont fasci-nantes. Les études à venir sur les mécanismescellulaires et moléculaires autorisant la survie à bassetempérature permettront de mieux comprendre les re-lations « structure-fonction » intervenant dans ces mé-canismes. De plus, ces études donneront l’opportunitéd’identifier de futures applications en biotechnologiecomme c’est déjà le cas pour l’utilisation des enzymesfroides dans les détergents, l’industrie alimentaire, ladécontamination des milieux pollués, etc.

Figure 10-4 : Représentation schématique des interactions hypo-thétiques entre les protéines induites par le froid et l’acclimatationau froid chez les bactéries psychrophiles (Hébraud and Potier,2000).

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

9

Page 10: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

10.3. LES MICRO-ORGANISMES PRO-CARYOTES THERMOPHILESET HYPERTHERMOPHILES

En fonction de leur comportement vis à vis de latempérature les micro-organismes sont répartis entrois catégories : Les psychrophiles (cf. paragrapheprécédent), les mésophiles et les thermophiles. Il y aquelques décennies, un micro-organisme était qualifiéde thermophile quand sa température optimale decroissance était supérieure à 45-50°C (Figure.10-5).La découverte, dans les années 70, de micro-orga-nismes capables de se développer à des températuresbien supérieures à cette limite a conduit à redéfinir età étendre la notion de thermophilie. Ainsi de nos jours,le terme « thermophile » s’applique à tout micro-orga-nisme dont la température optimale de croissance estsupérieure à 60°C et celui d’hyperthermophile à toutprocaryote dont la température optimale de croissanceest supérieure à 80°C. Il existe des micro-organismes,nommés par certains auteurs thermophiles extrêmes,qui possèdent des températures de croissance supé-rieures à 105°C.

10.3.1. HABITATSDES MICRO-ORGANISMES THERMOPHILES

Les habitats géothermiques naturels sont large-ment répandus sur notre planète et généralement as-sociés à des zones tectoniquement actives. Il existeégalement des habitats chauds générés par les activi-tés humaines.

Les écosystèmes géothermiques terrestresLes écosystèmes géothermiques terrestres sont

généralement associés à une activité volcanique. Defaçon générale, l’eau de ruissellement pénètre en pro-fondeur et est chauffée, quand la température dufluide percolant atteint une température suffisante, lapression engendrée le fait remonter vers la surface oùil émerge sous forme de source chaude ou de geyser.Lors de son passage dans la croûte terrestre, il secharge en éléments minéraux et en gaz. La composi-tion des eaux thermales va donc dépendre de la na-ture des roches traversées ainsi que de latempérature et donc du type d’activité volcanique à la-quelle elles sont associées. Dans les sites où le vol-canisme est très actif, la source de chaleur (chambremagmatique) est située entre 2 et 5 km de profondeur.La température de l’eau atteint des valeurs comprisesentre 150 et 350°C suivant la profondeur. L’eauémerge en surface sous forme de vapeurs, appeléesfumeroles, chargées en gaz volcaniques (N2 et CO2principalement mais également H2, H2S CH4, CO etNH3). Ces sources sont généralement acides en rai-son de l’oxydation de l’hydrogène sulfuré (H2S) en sou-fre élémentaire puis en acide sulfurique. Cetteoxydation est liée à la présence d’oxygène qui réagitchimiquement avec les sulfures dans les couches su-perficielles du sol mais également aux activités biolo-giques. Les mares de boues acides résultant del’altération des roches environnantes par l’eau acidi-fiée et chauffée par les fumeroles représentent undeuxième type de sources thermales acides. Lessources thermales neutres sont généralement situéesà la périphérie des zones actives et ne se forment qu’enprésence d’un flux d’eau important à faible profondeur.

Les sources chaudes alcalines sont situées à l’ex-térieur des champs volcaniques actifs. L’eau y atteintdes températures inférieures à 150°C, elle est chauf-fée par la lave qui s’écoule en profondeur puis re-monte en surface très minéralisée (silicates), richeen CO2 et pauvre en H2S. Dans les couches super-ficielles, l’oxydation de surface n’a pas d’effet sur lepH qui reste voisin de la neutralité, par contre la li-bération de CO2 et la précipitation des silicates en-traînent une augmentation du pH qui se stabiliseentre 9 et 10. Ces différents types de systèmes géo-thermiques se rencontrent dans les zones tectoni-quement actives dont certaines ont été plusparticulièrement étudiées par les microbiologistes.On peut citer les sources d’Islande, ce pays étant tra-versé par la seule partie émergée de la dorsalemédio atlantique mais également, les Açores, la ré-gion de Naples et les îles Eoliennes ainsi que les fa-

Figure 10-5 : Classifications des procaryotes en fonction de leur comporte-ment vis à vis de la température (d’après Madigan and Martinko, 2007).

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

10

à refaire

Page 11: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

meuses sources chaudes du Parc de Yellowstoneaux Etats Unis (Figures 10-6 a et b).

Les écosystèmes hydrothermauxocéaniques profonds

Les phénomènes hydrothermaux océaniques sontune conséquence indirecte des phénomènes d’exten-sion et d’accrétion des plaques tectoniques. Au niveaudes zones d’accrétions océaniques que sont les dor-sales, le magma (1200°C) remonte et forme despoches ou chambres magmatiques à quelques kilo-mètres de profondeur. En se refroidissant, il se rétracteet génère des anfractuosités au niveau de la croûteocéanique. L’eau de mer froide (2°C) s’infiltre jusqu’àune profondeur de plusieurs kilomètres et s’échauffe

à proximité du magma. Sous l’effet de fortes tempéra-tures et fortes pressions, le pouvoir de solubilisationde l’eau est augmenté. Le fluide chaud, de faible den-sité, remonte vers le plancher océanique. Il lessivealors les roches environnantes, s’acidifie et s’enrichiten éléments métalliques. La composition des fluidesémis est fonction de la température et de la nature desroches traversées. Le fluide hydrothermal ainsi formérejaillit au niveau du plancher océanique en des pointsfocalisés constituant les sources hydrothermales.Selon la nature des roches traversées et selon ledegré de mélange du fluide hydrothermal avec l’eaude mer avant son émission, la composition, la tempé-rature et le débit du fluide en sortie peuvent varier d’unsite à l’autre, et même selon les points d’émission, surun même site. Les fluides se distinguent nettement de

Figure 10-6 : Quelques habitats des procaryotes hyperthermophiles ; (a) Sources thermales continentales, Furnas, Sao Miguel, Açores ; (b)Geiser, Geysir, Islande ; (c) Cheminée hydrothermale, Site Rainbow, (dorsale médio-atlantique, 2700m de profondeur) ; (d) Prélèvement d’unfragment de cheminée hydrothermale par le robot télé-opéré Victor 6000 sur le site hydrothermal TAG (dorsale médio-atlantique, 3500 m deprofondeur).Photo 10.6. a : J. Quérellou, Ifremer, Brest. Photo 10.6. b : J. Briffotaux, Ifremer, Brest. Photo 10.6. c et d : Ifremer, Campagne océanographiqueEXOMAR.

a b

c d

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

11

Page 12: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

12

l’eau de mer environnante par leur température pou-vant atteindre 400°C, par un pH généralement acide,un caractère anoxique, et de fortes concentrations engaz dissous (H2S, CH4, CO, CO2, H2) et ions métal-liques (Mn2+, Fe2+, Si+, Zn2+). Les caractéristiques phy-sico-chimiques du fluide hydrothermal contrastentfortement avec celles de l’eau de mer (froide, légère-ment alcaline et oxygénée), et lorsque le fluide entreen contact avec l’eau de mer, les minéraux précipitentsuccessivement, en fonction de leur stabilité dans lesconditions physico-chimiques du milieu, pour formerdes édifices minéraux riches en métaux. Les fumeursnoirs qui sont formés lorsque le fluide hydrothermal nesubit pas de dilution et les fumeurs blancs ou diffu-seurs qui se forment lorsque le fluide hydrothermal aété dilué par l’eau de mer avant son émission (Figures10-6 c et d), sont les principaux édifices hydrother-maux observés. Cependant, tous les types d’intermé-diaires existent. L’émission de fluide ne conduit pastoujours à la formation d’édifices minéraux. Ainsi, auniveau des laves en coussin ou “pillow lava”, un fluideà basse température (6-23°C) peut diffuser à faible vi-tesse. Un autre cas particulier est celui du bassin deGuaymas (Golfe de Californie), où les fluides sur-chauffés percolent au travers d’une épaisse couche desédiments, riches en matière organique. Dans cesécosystèmes, les micro-organismes chimiolithotrophessont à la base d’un chaîne alimentaire qui permet ledéveloppement de communautés animales de fortesdensités au voisinage des émissions de fluides et cemalgré la présence de conditions physico-chimiques àpriori peu propices à la vie.

Les écosystèmes hydrothermauxsous marins littoraux

La présence de sites hydrothermaux sous marinslittoraux est souvent associée à une activité volcaniqueterrestre par exemple à proximité des côtes islan-daises, aux Açores et en Italie (Vulcano, îles éo-liennes). Comme dans les sites profonds, ils sontcaractérisés par la présence de petits édifices émet-tant un fluide chargé en H2S mais également par lapercolation du sable ou du sédiment. Les températuresde ces sites sont proches de 100°C.

Autres habitats : les puits de pétroleet les habitats liés à l’activité humaine

Les réservoirs pétroliers sous marins et continen-taux constituent également des habitats qui sont oc-cupés par les procaryotes thermophiles ouhyperthermophiles. Selon le site géographique où ilssont situés, les réservoirs de pétrole se trouvent entre

1,5 et 4 km de profondeur sous la surface avec despressions élevées et des températures comprisesentre 60 et 130°C. Le pH des eaux de gisements pé-troliers est généralement proche de la neutralité. Ungrand nombre de réservoirs pétroliers contiennent del’eau de formation (produite au cours de la formationdu pétrole) plus ou moins riche en composés soufrés(soufre, sulfates), métaux, gaz dissous comme H2,H2S, CO, CO2, CH4 ainsi qu’en molécules organiques(composé de C2 à C7) comme l’acétate qui peut s’ac-cumuler jusqu’à 20 mM dans les réservoirs pétroliers.La salinité varie d’un réservoir à l’autre et très proba-blement au sein d’un même réservoir. La combinaisonde grandes salinités (>15 %) et de hautes tempéra-tures (> 60°C) est en général non propice à une vieprocaryotique.

Il existe également des écosystèmes chauds ré-sultant des activités humaines. Les rejets des minesde charbon sont stockés sous forme de terril, quicontiennent des fragments de charbon, de la pyrite(FeS) et d’autres composés organiques extraits ducharbon. Ces déchets miniers s’échauffent par com-bustion spontanée générant ainsi un environnementchaud favorable aux procaryotes thermophiles. Cer-taines activités industrielles sont des sources artifi-cielles de chaleur, on peut citer les raffineries de sucre,les usines de papiers, les centrales électriques et lesusines de compostages. Les conduites d’eauxchaudes et les chaudières domestiques ou indus-trielles sont également un habitat pour les micro-orga-nismes thermophiles.

10.3.2. PANORAMA PHYLOGÉNÉTIQUEET MÉTABOLIQUE DES PROCARYOTESTHERMOPHILES ET HYPERTHERMOPHILES

La découverte des procaryotes hyperthermophiles àla fin des années 70 est contemporaine de la découvertede l’existence du domaine des archées « le troisième do-maine du vivant », la mise en évidence ayant été faitegrâce aux travaux pionniers de Carl Woese (1990). Lesmicro-organismes procaryotes thermophiles et hyper-thermophiles isolés de zones d’activités géothermalesterrestres et marines appartiennent aux deux domainesbactéries et archées. Ces micro-organismes présententdes caractéristiques physiologiques et métaboliques trèsdiverses et interviennent dans la plupart des grands cy-cles biogéochimiques (Tableau 10.1.), notamment celuidu soufre. En s’appuyant sur leur position phylogéné-tique, basée sur la séquence du gène codant pourl’ARNr 16S, il sera présenté ici un panorama de cette di-versité, éclairé par la présentation plus détaillée dequelques genres majeurs (Madigan and Martinko, 2007).

Page 13: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

13

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

Réaction productrice d’énergie Type métabolique Exemples

Chimio-organotrophes Composés organiques + S°→ H2S + CO2 Respiration anaérobieThermoproteus,Thermoplasma, Ther-mococcus, Desulfurococcus, Ther-

mofilum, Pyrococcus,

Composés organiques + SO42-→ H2S + CO2 Respiration anaérobie Archaeoglobus, Thermodesufobac-terium, Thermodesulfatator

Composés organiques + O2 → H2O + CO2 Respiration aérobie Sulfolobus, Aeropyrum, Marinithermus,Oceanithermus, Vulcanithermus

Composés organiques→ CO2 + H2 + acides gras Fermentation

Staphylothermus, Pyrodictium, Pyro-coccus, Thermococcus, Thermotoga,Thermosipho, Marinitoga, Fervidovac-terium, Petrotoga, Caminicella, Te-

pidibacter,

Composés organiques + Fe 3+→ CO2 + Fe 2+ Respiration anaérobie Pyrodictium, Deferribacter

Pyruvate → CO2 + H2 + acétate Fermentation Pyrococcus

Chimio-lithotrophe H2 + S°→ H2S Respiration anaérobieAcidianus, Pyrodictium, Thermopro-teus,Stygiolobus, Ignicoccus,,Desul-

furobacterium, Caminibacter

H2 + NO3- → NO2- + H2O (NO2- est réduit en N2 parquelques espèces) Respiration anaérobie Pyrobaculum

4 H2 + NO3- + H+→ NH4+ + 2 H2O + OH- Respiration anaérobie Pyrolobus, Caminibacter

H2 + 2 Fe3+ → 2 Fe2+ + 2 H+ Respiration anaérobiePyrobaculum, Pyrodictium, Ar-

chaeoglobus, Deferribacter, Thermo-toga

2 H2 + O2 → 2 H2O Respiration anaérobieAcidianus, Sulfolobus, Pyrobaculum,Thermocrinis, Aquifex, Persephonella,

Balnearium

2 S° + 3 O2 + 2 H2O→ 2 H2SO4 Respiration aérobie Sulfolobus, Acidianus, Thermocrinis,Aquifex, Persephonella

2 FeS2 + 7 O2 + 2 H2 O→ 2 FeSO4 + 2 H2SO4 Respiration aérobie Sulfolobus, Acidianus, Metallosphaera

2 FeCO3 + NO3- + 6 H2O→ 2 Fe(OH)3 + NO2- + 2HCO3- + 2 H+ + H2O

Respiration anaérobie Ferroglobus

4 H2 + SO42- + 2 H+ → 4 H2O + H2S Respiration anaérobie Archaeoglobus, Thermodesufobac-terium, Thermodesulfatator

4 H2 + CO2 → CH4 + 2 H2O Respiration anaérobie Methanopyrus, Methanocaldococcus,Methanothermus

Tableau 10.1. Réactions productrices d'énergie chez les Archées et les Bactéries thermophiles et hyperthermophiles.

Page 14: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

Le domaine des BactériesLes représentants thermophiles au sein du do-

maine des bactéries appartiennent à plusieurs lignéesdont certaines comportent à la fois des espèces mé-sophiles et des espèces thermophiles. Trois lignéespositionnées à la base de l’arbre phylogénétique desBactéries ne comportent que des espèces thermo-philes et hyperthermophiles.

Au sein des Cyanobactéries on trouve quelques es-pèces thermophiles dont les représentants les plusthermophiles sont les espèces des genres Chloro-flexus et Synechoccus, qui sont des thermophiles mo-dérés phototrophes bien représentés dans lessystèmes hydrothermaux terrestres.

Au sein des Firmicutes, un certain nombre d’es-pèces thermophiles appartenant à l’ordre des Bacil-lales ou des Clostridiales ont été décrites telles lesespèces des genres Thermoanaerobacterium, Car-boxydibrachium, Caminicella, et Tepidibacter. Cesmicro-organismes sont des bactéries fermentairesanaérobies sporulées.

Des espèces appartenant au groupe Thermus-Dei-nococcus, tels que les espèces des genres Thermus,Rhodothermus, Meiothermus, Vulcanithermus etOceanothermus ont été isolées aussi bien d’environ-nements chauds continentaux que marins. Ces orga-nismes sont des chimio-organotrophes aérobis nonsporulés.

Récemment des espèces thermophiles apparte-nant aux epsilonprotéobactéries ont été isolées d’éco-systèmes hydrothermaux sous marins profonds. Cesmicro-organismes, telle l’espèce Caminibacter hydro-genophilus sont des autotrophes anaérobies sulfo-ré-ductrices.

Les trois lignées (Thermotogales, Thermodesulfo-bacteriales et Aquificales, situées à la base de l’arbredes bactéries) sont constituées d’un ou plusieursgenres ne comprenant que des espèces thermophileset hyperthermophiles anaérobies ou microaérophiles.

L’ordre des Thermotogales comporte plus d’unevingtaine d’espèces isolées d’une grande variétéd’écosystèmes chauds. Certaines Thermotoga etgenres proches sont des bactéries thermophiles chi-mio-organotrophes fermentaires, dont la températureoptimale de croissance varie de 60°C à 80°C, Cesmicro-organismes ont été isolés aussi bien de sourceschaudes terrestres (Thermotoga, Fervidobacterium)que de sources hydrothermales côtières ou profondes(Thermotoga, Thermosipho, Marinitoga) mais aussi depuits de pétrole (Geotoga, Petrotoga) et présentent lacaractéristique commune de posséder une enveloppeexterne semblable à un fourreau : la « toga ». Les es-pèces du genre Thermodesulfobacterium et Thermo-

desulfatator sont des bactéries sulfato-réductricesthermophiles (optimum, 70°C) qui forment une lignéeisolée entre Thermotoga et Aquifex). Les micro-orga-nismes appartenant aux genres Aquifex, Persepho-nella et Desulfurobacterium sont deschimiolithotrophes et autotrophes hyperthermophiles.Ce sont les bactéries les plus thermophiles connues.Différentes espèces d’Aquificales utilisent H2 commedonneur d’électrons (organismes hydrogénotrophes)mais peuvent également utiliser S° ou S2O3

2- commedonneurs d’électrons et O2 ou NO3

- comme accepteursd’électrons. Ces organismes qui peuvent croîtrejusqu’à 95°C ne tolèrent que de très faibles concen-trations en O2 mais restent (avec quelques espècesd’archées) les rares hyperthermophiles aérobies (ouplus exactement microaérophiles) connues. Thermo-crinis ruber, est un organisme proche des espèces dugenre Aquifex qui se développe dans l’eau qui s’écoulede certaines sources chaudes du Parc National de Yel-lowstone, où il forme des rubans de couleur rose quisont constitués par une forme filamenteuse de cellulesattachées à une structure siliceuse. Cet organisme esthyperthermophile (température optimale de croissanceà 80°C) et chimiolithotrophe en étant capable d’oxyderaussi bien H2 que le thiosulfate ou le soufre commedonneurs d’électrons avec O2 comme accepteurd’électrons.

Le domaine des archéesDe nombreuses espèces thermophiles et hyper-

thermophiles appartiennent aux deux embranche-ments principaux du domaine des archées : lesEuryarchaeota et les Crenarchaeota (Figure 10-7).Ces deux lignées comportent également des orga-nismes non thermophiles tels que les halophiles ex-trêmes aérobies (Euryarchaeota) et des organismespsychrophiles pour la plupart non cultivés à ce jour(Crenarchaeota).

Au sein des Crenarchaeota, les hyperthermo-philes se regroupent à la base de l’arbre phylogéné-tique et comportent une majorité demicro-organismes chimiolithotrophes autotrophes etquelques espèces chimio-organotrophes. Les Eu-ryarchaeota regroupent des archées hyperthermo-philes physiologiquement diverses tels que lesMethanoarchaea productrices de méthane (dont ilexiste également de nombreux représentants méso-philes) et des espèces chimio-organotrophes.

14

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

Page 15: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

15

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

Euryarchaeota hyperthermophilesLes Methanoarchaea (méthanogènes) hyperther-

mophiles appartiennent pour la plupart à l’ordre desMethanococcales qui comporte 4 genres hydrogéno-trophes, Methanococcus, Methanocaldococcus, Me-thanothermococcus et Methanotorris. Ces espècesont été isolées d’environnements hydrothermauxsous-marins ou terrestres. Des espèces thermo-philes appartenant à l’ordre des Methanosarcinales,pour la plupart acétoclastes, ont également été dé-crites. L’espèce Methanopyrus kandleri dont la posi-tion phylogénétique est séparée des autres espèces

méthanogènes, est un organisme hydrogénotrophequi a été isolé à partir d’échantillons de sédiments etd’édifices hydrothermaux actifs. Cette espèce quicroît très rapidement à 100°C est l’espèce méthano-gène la plus thermophile décrite à ce jour (crois-sance jusqu’à 110°C).

Les Thermoplasmatales comportent des orga-nismes thermophiles parmi les plus acidophilesconnus. Les espèces du genre Thermoplasma sontdes organismes sans parois, chimio-organotrophes quisont anaérobies facultatives et utilisent le soufrecomme accepteur final d’électrons. Elles colonisentdes habitats chauds et acides tels que les terrils et des

a

cd

b

Figure 10-7 : (a) Methanopyrus kandleri, (température optimale 98°C), observation en microscopie optique en épifluoresecence ; (b) Ther-mococcus fumicolans (température optimale, 85°C), observation en microscopie électronique à balayage ; (c)Methanocaldococcus indicus (tem-pérature optimale, 85°C), observation en microscopie électronique en coloration négative ; (d) Pyrolobus fumarii, le plus thermophile desprocaryotes actuellement connu (température optimale, 106°C), coupe mince observée en microscopie électronique à transmission.Photo 10-7 a et c : S. L’Haridon, IUEM, Brest. Photo 10-7 b : A. Godfroy, Ifremer, Brest . Photo 10-7 d : Dr. R. Rachel and Prof. Dr. K. O. Stet-ter, University of Regensburg, Allemagne.

Page 16: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

sources chaudes terrestres. Les espèces du genrePicrophilus, ont été isolées de solfatares acides etsont certainement parmi les plus acidophiles puisqueelles peuvent se développer à des pH extrêmementfaibles (<1).

Les espèces de l’ordre des Thermococcales ap-partiennent à 3 genres, Thermococcus, Pyrococcus etPaleococcus. Ce sont des hyperthermophiles qui ontété isolées de sources hydrothermales océaniquesprofondes et côtières, mais également des eaux de gi-sements pétroliers et de sources thermales continen-tales. Elles constituent un groupe métaboliquehomogène. Ce sont des chimio-organotrophes capa-bles de se développer très rapidement sur des subs-trats complexes de type protéine ou sucres, quiréduisent le soufre élémentaire en hydrogène sulfuré.Elles sont parmi les espèces thermophiles dont la phy-siologie a été le plus étudiée. Le séquençage des gé-nomes de plusieurs espèces a été réalisé.

Au sein de l’ordre des Archaeoglobales, les es-pèces du genre Archaeoglobus sont les seuls micro-organismes sulfato-réducteurs au sein des archées.Les deux autres espèces Geoglobus et Ferroglobussont des micro-organismes impliqués dans la réduc-tion du fer.

Crenarchaeota hyperthermophilesAu sein des Crenarchaeota, les Thermoproteales

et les Sulfolobales semblent spécifiques des habitatschauds terrestres alors que les micro-organismes del’ordre des Desulfurococcales semblent coloniser leshabitats volcaniques sous marins.

Parmi les Sulfolobales, les espèces des genresSulfolobus et Acidianus ont été isolées de divers habi-tats volcaniques terrestres (solfatares, sourceschaudes). Ce sont des espèces acidophiles, chimioli-thotrophes facultatives, impliquées dans l’oxydationdes composés soufrés (H2S ou S°) en acide sulfurique(Sulfolobus spp.). Par contre les espèces du genre Aci-dianus sont anaérobies facultatives et peuvent aussibien oxyder S° en H2SO4 que le réduire en H2S.

L’ordre des Desulfurococcales, regroupe une di-zaine de genres qui possèdent des caractéristiquesphénotypiques diverses puisque on y trouve des es-pèces chimio-organotrophes aérobies (Aeropyrum,Sulfurococcus), anaérobies (Hyperthermus, Desulfu-rococcus, Staphylothermus, Pyrodictium …) ou chi-mio-lithotrophes stricts (Ignicoccus, Pyrolobus),souvent sulfo-réductrices. Mais une des caractéris-tiques majeures de cet ordre est qu’il comporte les or-ganismes les plus thermophiles connus à ce jour. Lesespèces des genres Pyrodictium et Pyrolobus sont ca-pables de se développer à des températures supé-

rieures à 100°C. Pyrolobus fumarii isolé d’une chemi-née hydrothermale de la dorsale médio Atlantique dé-tient le record de la température de croissance la plusélevée (113°C) chez les procaryotes. Les espèces desgenres Desulfurococcus, Staphylothermus et Hyper-thermus sont des espèces hyperthermophiles chimio-organotrophes qui métabolisent le soufre. Aeropyrumest un des rares genres hyperthermophiles aérobies.Les espèces du genre Ignicoccus ont été isolées aussibien de sources hydrothermales côtières que pro-fondes. Ce sont des organismes chimiolitho-auto-trophes qui utilisent le soufre élémentaire commeaccepteur d’électrons. Certaines espèces du genreIgnicoccus présentent la particularité de vivre en as-sociation avec un petit procaryote Nanoarchaeumequitans. Cette espèce forme une lignée distincte, à labase de l’arbre des archées. Il s’agit de l’un des pluspetits procaryotes connu aussi bien de par son volumecellulaire que par la taille de son génome. L’absencedans son génome de la plupart des gènes codant pourles fonctions métaboliques classiques le rend complè-tement dépendant de son hôte, Ignicoccus.

Le nombre de micro-organismes hyperthermo-philes cultivés et décrits a augmenté de façon consi-dérable ces 30 dernières années (quelques dizainesd’espèces décrites à la fin des années 70, plusieurscentaines aujourd’hui). Comme dans de nombreux au-tres écosystèmes de la planète, les espèces cultivéesne représentent qu’une petite partie de la diversité mi-crobienne présente. Les études moléculaires de la di-versité (principalement basées sur l’étude des gènescodant les ARN ribosomique 16S) ont permis de met-tre en évidence l’existence d’une diversité colossalede ces micro-organismes. Ainsi de nombreuses li-gnées de micro-organismes nouveaux qui n’appar-tiennent à aucun groupe connu ont pu être mises enévidence dans de nombreux écosystèmes chauds. Ausein des bactéries, la détection par les techniques mo-léculaires de nombreuses séquences appartenant auxepsilon protéobactéries dans les écosystèmes hydro-thermaux sous-marins profonds, a conduit à l’isole-ment récent d’espèces thermophiles autotrophessulfo-réductrices.

Au sein du domaine archées, de nombreuses li-gnées d’incultivées de l’embranchement des Euryar-chaeota ont été également mises en évidence dansces écosystèmes. L’embranchement des Korar-chaeota regroupe un ensemble de micro-organismesnon cultivés dont le positionnement à la base de l’arbredes archées laisse présager un caractère thermophile.

De nouvelles approches basées sur la recherchede gènes codant pour les enzymes clés d’un métabo-

16

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

Page 17: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

lisme donné, ainsi que les approches de métagéno-mique contribuent également aujourd’hui à élargirnotre vision de cette diversité. Il apparaît donc claire-ment que seule la combinaison des approches molé-culaires et culturales innovantes permettra d’accéder àla caractérisation des communautés microbiennesthermophiles des écosystèmes chauds de la planète.

10.3.3. LA VIE À HAUTE TEMPÉRATURE

Les procaryotes thermophiles vivant à des tempé-ratures bien supérieures à celles tolérées par la plu-part des autres procaryotes, leurs macromoléculesconstitutives (protéines, lipides et ADN) possèdent dece fait des propriétés particulières propres à être utili-sées dans les biotechnologies.

Stabilité des protéinesLa composition en acides aminés des protéines de

procaryotes thermophiles présente les mêmes carac-téristiques que leurs équivalents mésophiles. Néan-moins les protéines thermostables présentent descaractéristiques spécifiques dont la présence :(i) de centres très hydrophobes, qui diminuent la ten-dance de la protéine à se déplier,(ii) d’interactions ioniques plus nombreuses à la surface

de la protéine qui contribuent aussi au maintien desprotéines entre elles. Il a été démontré que c’est le re-pliement de la protéine qui contribue le plus à sa ré-sistance à la chaleur. Ainsi, des changements subtilsdans la séquence des acides aminés suffisent par-fois à provoquer des changements significatifs dansle repliement d’une partie de la molécule et donc soncomportement vis à vis de la température. La pré-sence de protéines chaperonnes du choc thermique(heat-chock proteins) contribue également au replie-ment des protéines partiellement dénaturées.

Stabilité de l’ADNPlusieurs mécanismes contribuant à la stabilité de

la molécule d’ADN chez les hyperthermophiles ont étéidentifiés. D’une part la présence de solutés compati-bles comme par exemple les fortes concentrations in-tracellulaires en 2,3-diphosphoglycerate de potassiumcyclique chez Methanopyrus vont contribuer à la pro-tection de l’ADN contre les lésions chimiques tellesque les dépurinations. D’autre part, tous les hyper-thermophiles produisent une ADN gyrase inverse quiva provoquer un surenroulement positif (au contrairedes ADN gyrases des mésophiles qui produisent unsurenroulement négatif) de l’ADN et ainsi assurer unemeilleure stabilité vis à vis de la température. D’autres

protéines de liaison à l’ADN ont été identifiés, parfoissimilaires aux histones des eucaryotes, ces protéinescontribuent à la compaction de la molécule d’ADN etainsi à sa stabilité.

Lipides membranairesLes lipides membranaires des archées hyperther-

mophiles sont des tétraéthers de dibiphytanyle. Les té-traéthers de dibiphytanyle sont naturellementrésistants à la température du fait de la présence d’uneliaison covalente entre les unités phytanyles qui per-met la formation d’une membrane monocouchecontrairement à la membrane bicouche phospholipi-dique classique. Cette structure, étayée par des liai-sons covalentes, est plus résistante à la températurequi tend à séparer la bicouche lipidique classique. Deslipides de ce type ont été également identifiés chezdes hyperthermophiles du domaine des bactéries.

10.3.4. CONTRAINTES TECHNIQUES LIÉES À LA CULTUREDES PROCARYOTES THERMOPHILES

La culture des micro-organismes thermophiles ethyperthermophiles a nécessité d’adapter les tech-niques de cultures classiques. Par exemple le travail àdes températures supérieures à 60°C empêche l’utili-sation de l’agar pour la préparation des milieux solides.Les isolements sur boite ou en tubes des procaryotesthermophiles sont généralement réalisées en utilisantdu gelrite ou gellan gum, un polymère thermostable quirésiste à des températures supérieures à 80°C(Erauso et al., 1995).

De nombreux micro-organismes hyperthermophilessont anaérobies. Les techniques de cultures nécessi-tent donc des précautions strictes vis à vis de l’oxy-gène, avec notamment l’utilisation d’enceintesanaérobies. À haute température, la quantité de gazdissous dans un liquide et donc disponible pour lesmicro-organismes est moins importante (loi de Henry).Il convient donc d’incuber les cultures en agitation pourles micro-organismes aérobies et sous pression (1 ou2 bars au dessus de la pression atmosphérique) pourla culture des espèces anaérobies chimio-lithotrophesautotrophes comme les méthanogènes, par exemple,qui utilisent H2 et CO2 pour produire du méthane.

Outre leur intérêt d’un point de vue évolutif et éco-logique, les procaryotes hyperthermophiles ont été ra-pidement identifiés comme sources potentielles debiomolécules thermostables (cf. section 10.2.5). Ainsila compréhension de leurs caractéristiques physiolo-giques et métaboliques est apparue comme néces-saire à la concrétisation de leur potentielbiotechnologique. Une des principales limites, s’est

17

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

Page 18: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

avérée être la difficulté à obtenir de grandes quantitésde biomasse. La culture des micro-organismes hyper-thermophiles anaérobies tels que les organismessulfo-réducteurs d’origine marine appartenant à l’ordredes Thermococcales génère un certain nombre de dif-ficultés techniques liées à l’utilisation de milieu de cul-ture à base d’eau de mer, et à la production d’H2S(résultant de la réduction du soufre). Ces deux condi-tions favorisent les problèmes de corrosion. Un desfacteurs clés de l’étude de ces hyperthermophiles aété le développement de stratégies de cultures en bio-réacteurs qui a permis d’explorer leur métabolisme,leur physiologie et l’obtention de biomasse en quanti-tés suffisantes (Godfroy et al., 2006).

10.3.5. APPLICATIONS BIOTECHNOLOGIQUES

Comme précédemment signalé, l’intérêt porté auxprocaryotes thermophiles et hyperthermophiles avecl’isolement ces 30 dernières années de nombreusesespèces nouvelles, a été largement motivé par la re-cherche d’applications biotechnologiques et plus spé-cialement dans le domaine des biocatalyses : lesenzymes provenant des organismes hyperthermo-philes étant dans de nombreux cas plus résistantes(notamment vis à vis de la température) que leur équi-valent provenant d’espèces mésophiles. Nous donne-rons en exemple ici quelques applications issues deces micro-organismes.

L’application la plus connue est l’utilisation pour laPCR (Polymerase Chain Reaction) de la Taq polymé-rase issue de Thermus aquaticus. Depuis d’autres po-lymérases, issues de procaryotes hyperthermophiles,ont été décrites et sont commercialisées : la Vent polissue de Pyrococcus furiosus, une espèce isolée d’unesource thermale littorale (Vulcano, Italie), la Deep Ventpol et la polymérase Isis issues respectivement dePyrococcus GBD et de Pyrococcus abyssi, deux es-pèces hyperthermophiles isolées d’écosystèmes hy-drothermaux sous-marins profonds.

D’autres applications concernent les enzymes detype hydrolases (Barbier, 1997), utilisables dans les in-dustries agroalimentaires pour le traitement de l’amidon.

10.3.6. LES HYPERTHERMOPHILES ET L’ÉVOLUTION

La position phylogénétique des micro-organismesthermophiles et hyperthermophiles, qu’ils appartien-nent au domaine des archées ou des bactéries, à labase de l’arbre, ainsi que la longueur des branches té-moignent d’une évolution plus lente, certainement liéeaux habitats extrêmes qu’ils colonisent et dans les-

quels ils sont soumis à des contraintes physico-chi-miques fortes. Ces écosystèmes extrêmes tels qu’ilsexistent actuellement ont existé sur la terre primitive etpourraient avoir été ceux dans lesquels la vie auraitfait son apparition. Ainsi les micro-organismes ex-trêmes actuels archées ou bactéries sont peut être lesplus proches parents des formes de vie primitives. No-tons également que le métabolisme de l’hydrogène,largement répandu chez les organismes hyperther-mophiles pourrait être un métabolisme ancien, adaptéaux conditions de vie primitive.

10.4. LES MICRO-ORGANISMESHALOPHILES ET HYPERHALOPHILES

Le terme halophile est utilisé pour qualifier desmicro-organismes qui nécessitent obligatoirement laprésence de sels (généralement le chlorure de so-dium) pour leur croissance. On doit faire une distinctionentre les micro-organismes halophiles et les orga-nismes qui peuvent tolérer le sel même s’il est présenten grande quantité. On les qualifie alors d’organismeshalotolérants.

En 1962, Larsen définissait trois catégories demicro-organismes halophiles basés sur la concentra-tion en sels qui permet une croissance optimale de cesderniers (Figure 10-8). Les micro-organismes légère-ment halophiles ont un optimum de croissance se si-tuant entre 2 et 5 % de NaCl alors que les organismesmodérés halophiles présentent un optimum de crois-sance entre 5 et 20 %.

Le terme « halophile extrême » est réservé auxmicro-organismes présentant une meilleure croissanceà des concentrations en sels supérieures à 20 %. Cesmicro-organismes peuvent en général pousser dansun milieu saturé en sels (environ 35 %) bien que cer-taines espèces ne se développent que très lentementà ce niveau de salinité. Par définition, un organismehalophile extrême nécessite au minimum 9 % en NaClpour sa croissance.

10.4.1. HABITATS DES MICRO-ORGANISMESHALOPHILES

Les habitats salés sont fréquents à travers lemonde (i.e. milieu marin), mais les environnements hy-persalés sont relativement rares, la plupart d’entre euxse situant dans les zones chaudes et sèches de la pla-nète (Figure 10-9) ; on peut les retrouver néanmoinsdans les régions tempérées et mêmes polaires. Il seraessentiellement abordé dans ce chapitre, la microbio-

18

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

Page 19: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

logie des environnements hypersalés. Les lacs saléspossèdent des compositions ioniques qui peuvent va-rier de façon considérable car la nature des ions do-minants de ces lacs dépend de la topographieenvironnante, de la géologie (lessivage des sols), etmême des conditions climatiques. On définit les mi-lieux hypersalés comme des environnements qui pré-sentent des concentrations en sels minérauxsupérieures à celle de l’eau de mer. Cette définitionn’est pas spécifique et ne tient ni compte des types desels ni de leurs proportions.

Les écosystemesL’eau de mer qui représente la plus grande partie

de l’eau sur terre, contient des sels minéraux enconcentration remarquablement constante dont lesprincipaux sont les chlorures (18,98 %), le sodium(10,56 %), différentes formes de sulfates (2,65 %), dumagnésium (1,27 %), du calcium (0,4 %), du potas-sium (0,38 %) et des carbonates (0,14 %).

La majorité des milieux hypersalés ont pour origineles sels de l’eau de mer, soit directement par évapo-ration et concentration, soit indirectement par la dis-solution des dépôts fossiles que l’on retrouve sousforme d’évaporites. Les sels minéraux seront doncdans des proportions semblables à ceux contenusdans l’eau de mer, du moins tant que les seuils de pré-cipitation ne seront pas atteints.

Les eaux hypersalées formées par évaporation par-tielle de l’eau de mer sont dites « thalassohalines »alors que celles obtenues par la dissolution des dépôtssalés fossiles sont qualifiées de « athalassohalines ».Ces dernières peuvent avoir des proportions en selsbien différentes de celles de l’eau de mer en fonction

de la nature des dépôts. Certaines contiennent un fortpourcentage de carbonate de sodium et sont très al-calines (milieux natronés). Ces systèmes hypersaléssont d’origine continentale puisque qu’ils sont généréspar dissolution, après action des eaux de pluies ou deseaux de ruissellements, des sels contenus dans lesroches ou des couches géologiques traversées. Cessels sont alors concentrés lorsque ces eaux se trou-vent accumulées dans des bassins imperméables.Dans ce cas, chaque lac salé est unique de par sacomposition chimique. On classe ces lacs en deux ca-tégories selon l’anion qui prédomine : les lacs sulfa-teux et les lacs contenant du carbonate comme leslacs alcalins de l’est africain.

Si dans les premiers environnements une flore ubi-quiste peut être trouvée, les seconds présentent sou-vent une biodiversité restreinte et spécifique de sonbiotope.

Les marais salants sont également un habitat desprocaryotes halophiles extrêmes. Ce sont des petitsbassins fermés remplis d’eau de mer et qui, par suitede l’évaporation, conduisent à la production de sel.

Au cours des trois dernières décennies, des fossesprofondes, hypersalées et anoxiques, ont été décou-vertes en Méditerranée Orientale (Encadré 10-1)

Certains sols contiennent également des teneursen sels suffisamment élevées pour être qualifiésd’hypersalés.

La physicochimie des lacsParmi les environnements hypersalés des USA,

le Grand Lac Salé dans l’Utah est principalementconstitué d’eau de mer concentrée. Les proportionsrelatives des différents ions y sont identiques à celle

19

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

Figure 10-8 : Classifications des micro-organismes procaryotes enfonction de leur comportement vis à vis du NaCl. (D’après Madiganand Martinko (2007). Figure 10-9 : Exemple d’un écosystème hypersalé. Le lac Retba ou

lac rose au Sénégal. Crédit Photo : P. Roger.

à refaire

Page 20: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

de l’eau de mer mais la concentration totale en ionsy est beaucoup plus élevée. Le sodium est le cationdominant alors que le chlore est l’anion dominant ;des concentrations significatives en sulfate sont éga-lement présentes à un pH neutre. Au contraire, dansla Mer Morte, un autre bassin hypersalé entre Israëlet la Jordanie où le pH est également neutre, laconcentration en sodium est relativement faible,alors que celle en magnésium est élevée. Ces deuxécosystèmes présentent des concentrations en selsqui peuvent aller jusqu’à la saturation. En ce quiconcerne la chimie de l’eau des lacs alcalins, elleressemble à celle du Grand Lac Salé, mais du fait dela présence d’importantes quantités de carbonatesdans les roches environnantes, le pH est relative-ment élevé. Des eaux dont le pH est compris entre10 et 12 sont fréquentes dans ces environnementsextrêmes. Les ions Ca2+ et Mg2+ sont absents de ceslacs car ils précipitent à pH alcalin à des concentra-tions élevées en carbonate. Plusieurs lacs du GrandBassin de l’ouest des Etats-Unis dont la salinité variede 9 à 10 % sont alcalins avec des valeurs de pHcomprises entre 9 et 10.

Quand les sels de l’eau de mer se concentrent parévaporation, les carbonates, en particulier précipitentsous la forme de carbonates de calcium dès que lasalinité atteint 6 %. Ensuite, le sulfate précipite etforme des dépôts de gypse (sulfate de calcium) quandles 10 % en sels sont dépassés. Au-delà de 25 %, lechlorure de sodium commence à précipiter sous formede halite et précipite pleinement à 34 % soit environ10 fois la concentration de l’eau de mer. Les eaux sontpar la suite enrichies en magnésium et potassium dontles sels précipitent à des salinités 20 fois supérieurs àl’eau de mer.

L’eau de mer complètement évaporée est à l’ori-gine des formations de dépôts de sels qui constituentà travers le temps des évaporites. Ces dernières sontconsidérées comme des environnements hypersalésfossiles et sont présentes sur tous les continents. Leurdissolution par l’eau de mer crée de nouveaux milieuxathalassohalins. Les environnements salés ainsi for-més constituent des sites pour l’évolution sur un longterme car ils permettent le développement de méca-nismes et de ce fait l’émergence d’organismes obliga-toirement dépendants de ces milieux.

La température des lacs continentaux peut varierénormément durant l’année ; ainsi la température de larégion du Grand Lac Salé varie de -30°C en hiver àplus de 48°C en été. La grande majorité de la micro-flore halophile hétérotrophe est aérobie, mésophile outhermotolérante avec un optimum entre 40°C et 55°C.Des exemples de thermotolérance ont été aussi ob-

servés parmi les bactéries halophiles phototrophesanaérobies appartenant au genre Ectothiorhodospira.Leur température optimale de croissance est compriseentre 45 et 50°C. À l’inverse, certaines bactéries halo-philes isolées de lacs hypersalés de l’Antarctique sontpsychrophiles, mais ceci reste une exception. La ther-motolérance de certains organismes du domaine desBactéries peut s’expliquer par la présence de solutéscomme la bétaine qui protège les enzymes de la cha-leur. Bien que mésophiles, des organismes Eucaryoteshalophiles du genre Dunaliella résistent à des tempé-ratures élevées. Cette résistance est attribuée à la pré-sence de glycérol intracellulaire qui permet unestabilisation enzymatique.

Les systèmes hypersalés sont des environnementsanoxiques en dehors de la surface des eaux, car lestempératures élevées et les fortes salinités limitent lasolubilisation de l’oxygène et engendrent des zones fa-vorables à la prolifération d’espèces plutôt anaérobies,mais l’aérobiose y est cependant largement représen-tée. Certaines bactéries du domaine des archées pos-sèdent des vacuoles de gaz leur permettant parflottaison de rester en contact direct avec l’oxygène.

La chimie très diverse des habitats hypersalés a sé-lectionné une importante diversité de micro-orga-nismes halophiles. Certains sont endémiques alorsque d’autres sont retrouvés dans divers habitats. Mal-gré les conditions extrêmes existantes dans les envi-ronnements hypersalés, la production primaire y estimportante via l’autotrophie.

La matière organique qui résulte de la productionprimaire par les phototrophes aérobies ou anaérobiespermet le développement d’autres populations ex-trêmes qui sont toutes hétérotrophes.

10.4.2. ORIGINE DE LA MATIÈRE ORGANIQUE

Les écosystèmes hypersalés présentent générale-ment des formes de vie assez restreintes. En effet, laplus grande concentration en sels tolérée par un or-ganisme vertébré est de 10 % (Tilapia spp). Au des-sus de cette limite chez les Eucarya seuls descrustacés (Artemia salina), des algues (Dunaliella sa-lina) ont été répertoriés. On trouve également desbactéries hétérotrophes aérobies ou anaérobies, cer-taines bactéries phototrophes anaérobies et des Me-thanoarchaea, micro-organismes producteurs deméthane appartenant au domaine des archées. Lesvégétaux et les algues qui se développent sur lesberges de lacs hypersalés, peuvent être une sourcenon négligeable de matière organique après recou-vrement par les eaux des rives provoquant ainsi lamort de la végétation.

20

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

Page 21: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

21

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

Encadré 10-1

Les Fosses Hypersalées et Anoxiques de Méditerranée Orientale

Au cours de ces 25 dernières années, des fosses profondes, hypersalées et anoxiques, connues sous l’acronyme an-glais « DHABs » pour « Deep Hypersaline Anoxic Basins », ont été découvertes en Méditerranée Orientale. Ces fosses por-tent généralement le nom du navire océanographique qui les a découvertes.

« Tyro » a été le premier bassin découvert en 1983 dans la Fosse Strabo; suivi, en 1984, par « Bannock », situé sur lefront sud-ouest de la Ride Méditerranéenne ; ensuite, il faudra une dizaine d’années de recherches pour mettre en évidence,toujours sur la Ride Méditerranéenne, « l’Atalante » (1993), « Urania » (1993) et enfin « Discovery » (1993-1994).

Des fosses similaires avaient été précédemment découvertes dans des bassins océaniques plus petits : en Mer Rouge,où parmi les quelques 25 fosses répertoriées au cours de ces 40 dernières années, la fosse « Atlantis II », découverte en1968, est la plus grande (52 km2) ; ainsi que dans la partie nord du Golfe du Mexique, où le « Bassin Orca », découvert en1975, couvre une aire de 400 km2.

Tous ces bassins ont en commun la présence de dépôts salins d’évaporites à faible profondeur sous le plancher océa-nique, évaporites datant du Jurassique (Ère Secondaire) pour le Golfe du Mexique et du Miocène Supérieur (Messinien –Ère Quaternaire ou Mésozoïque) pour la Mer Rouge et la Mer Méditerranée.

Les DHABS sont des biotopes extrêmes, caractérisés par une salinité et une densité extrêmement élevées, une forte pres-sion hydrostatique, l’absence de lumière, l’anoxie et une chemocline abrupte très prononcée, de quelques mètres d’épais-seur. Ces caractéristiques physicochimiques démontrent que les DHABs ont été physiquement isolés des autres habitats dela planète pendant des milliers d’années.

La détection des DHABSTous ces DHABs ont une signature sonore similaire, avec une réflexion sismique très nette au niveau de l’interface entre

l’eau de mer et les saumures de fortes densités. Une fois une fosse détectée par réflectivité acoustique, il reste à préleveret vérifier la présence de saumures, afin d’homologuer la fosse hypersalée.

Les caractéristiques des différentes DHABs

SITES Profm

S‰psu pH Na+

mMCl-mM

MgmM

Densité103/kg/m3

CH4µM

H2SmM

SO42-

mMEau de mer“normale” 26-38 8,2 528 616 60 1,03 2-6nM 0 31.8

Bannock(Bassin Libeccio) 3 790 321 6,5 4 235 5 360 650 1,21 450 3,0 137

Urania 3 570 211 6,8 3 503 3 729 316 1,13 5 560 16 107

L’Atalante 3 522 320 4 674 5 289 410 1,23 520 2,9 397

Discovery 3 533 >120 4,5 68 9 491 4 995 1,32 50 0,7 96

Tyro 3 437 6,6 5 300 5 350 71 2,1 52

Orca -Golfe du Mexique 2 400 250 7,0 4 155 4 136 42,4 1,19 899 0,003 38

Atlantis II -Mer Rouge 2 192 310 5,2 4 880 5 110 32,8 6,3 26

Caractéristiques hydrologiques (profondeur maximale en mètres, salinité, pH, densité) et chimiques (concentrations en so-dium, chlore, magnésium, méthane, hydrogène sulfuré et sulfate) de différents DHABs.

Page 22: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

22

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

Localisation des DHABs de Méditerranée

La formation des DHABs de MéditerranéeIl y a environ 5,9 à 5,3 millions d’années, durant le Messinien, à la fin du Miocène, des mouvements tectoniques de conver-gence, entre les plaques Africaine et Eurasiatique, ont entraîné l’occlusion de la Téthys-Méditerranée, avec interruption desentrées d’eaux Atlantiques. Cette phase d’assèchement de la Méditerranée, appelée « crise de salinité » messinienne, s’estaccompagnée d’une baisse du niveau marin de l’ordre de 1 500 m et de dépôts massifs d’évaporites sur le fond de la mer ;l’épaisseur de ces dépôts salins pouvant atteindre quelques centaines de mètres, un millier de mètres, voire plusieurs mil-liers de mètres. Ces dépôts gigantesques d’évaporites dans tout le bassin méditerranéen, plus de un million de km3 de sels,répartis sur plus de 2 millions de km2, représentent l’un des plus grands épisodes évaporitiques, si ce n’est le plus grand,que notre planète ait connu.Vers 5,3 millions d’années, à la limite Messinien/Pliocène, l’ouverture de l’isthme de Gibraltar a entraîné une remise en eaubrutale, par intrusion des eaux atlantiques, avec dissolution des évaporites, et constitution de lacs de saumures au fond desdépressions les plus profondes.

Description des DHABs de MéditerranéeLes DHABs de méditerranée représentent un habitat unique, extrême, et encore largement inexploré, situé sous une colonned’eau de plus de 3 500 m, contenant des saumures très stables emprisonnées dans des bassins situés sous le plancher océa-nique ; la colonne de saumure, haute de 80 à 500 mètres, peut être homogène, ou stratifiée en plusieurs couches (Figure1). Les 5 lacs de saumure, physiquement isolés les uns des autres (Figure 2), présentent chacun des singularités environ-nementales, indiquant que les saumures proviennent de la dissolution de différentes couches de la séquence évaporitique ;évaporites constituées essentiellement d’halite pour Bannock, Tyro, Urania et L’Atalante et de bischofite pour Discovery.

Tyro. C’est le bassin le plus petit : 4 km de diamètre, en forme d’entonnoir au bord arrondi, encadré, à l’ouest et à l’est parKretheus et Poséidon, deux bassins présentant des conditions post-hypersalines et post-anoxiques depuis environ 3 000 ans.Tyro contient une seule couche de saumure homogène de moins de 60 m d’épaisseur.

Bannock. Une grande structure complexe, de 15 km de diamètre, qui, avec une aire de 46,5 km2, contenant 4,1 km3 de sau-mures, constitue le plus grand lac de saumures de Méditerranée. Cette aire est divisée en 9 bassins satellites, portant desnoms de vents : Libeccio, Sirocco, Ponante, Tramontane, Levante etc. (Figure 2). Le Libeccio, bassin le plus profond et leplus étudié, est généralement dénommé Bassin Bannock ; ses saumures, constituées d‘eau de mer concentrée 8 à 10 fois,sont riches en potassium, brome et magnésium, et saturées en gypse et dolomites, avec formation de cristaux de gypse dansles sédiments. Les saumures sont disposées en deux couches, une couche supérieure de 150 m d ‘épaisseur et une coucheinférieure de 300 m d’épaisseur, de compositions et de structures différentes. Les saumures de Bannock se seraient forméesil y a 150 000 ans.

Figure 1. Coupe schématique d’unDHAB contenant deux couches de sau-mures.

Figure 2. Emplacement des cinqDHABs de Méditerranée Orientale.

2

1

Page 23: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

23

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

Urania. Une dépression en forme de fer à cheval de 6 km de large, contenant des saumures dont l’épaisseur varie de 80 mà 200 m, avec une stratification en deux couches, et, dans la branche ouest, la présence d’un puits contenant de la boue ensuspension à 65°C (le « mud pit »). Ces saumures sont fortement enrichies en H2S (110 mM), constituant le biotope aqua-tique le plus riche en sulfure connu actuellement, et contiennent 10 à 100 fois plus de méthane dissous que les autresDHABs, ainsi que d’autres hydrocarbures, tels que l’éthane et le propane.

L’Atalante. Les saumures de l’Atalante forment une seule couche chimiquement homogène, avec toutefois une stratifica-tion en 3 couches en fonction de la température (eau de mer 13,84°C, couche supérieure 13,82°C, couche intermédiaire13,91°C et couche inférieure 14,06°C). Ces saumures qui affichent les teneurs en sulfate les plus élevées (397 mM), sontégalement fortement enrichies en potassium (jusqu’à 390 mM), ce qui indique des saumures dérivant du chlorure de potas-sium, caractéristique des niveaux supérieurs de la séquence d’évaporites.

Discovery. Un bassin en arc de cercle contenant une seule couche homogène de saumure, qui se démarque fortement desautres DHABs, car constitué presque exclusivement d’une solution de chlorure de magnésium (et non de chlorure de sodium),donnant la densité la plus forte pour un milieu aquatique. De nombreux nodules de magnésium et de carbonate sont pré-sents dans le sédiment, ainsi que des infiltrations d’hydrocarbures.

La vie dans les DHABsMalgré leurs conditions extrêmes, ces cinq fosses hypersalées ne constituent pas des zones mortes d’un point de vue bio-géochimique, mais sont le siège d’activités procaryotiques, y compris dans Discovery, où des concentrations en chlorure demagnésium, proches de la saturation ( Mg ~5M) rendent, théoriquement, ce bassin impropre à toute vie.Des activités microbiennes (hétérotrophie, sulfato-réduction, et méthanogénèse) ont été mises en évidence dans les sau-mures et les sédiments des différentes fosses, indiquant la présence de populations bactériennes adaptées à ces milieuxextrêmes. Ceci a été corroboré par des dénombrements par microscopie en épifluorescence, des études d’hybridations insitu par fluorescence (FISH) et de séquençage d’ARN ribosomique. Ces études ont montré la présence de bactéries et d’ar-chées, avec une plus grande diversité pour les bactéries. Si certains organismes sont similaires à ceux déjà décrits, tels quedes gamma, delta ou epsilon proteobacteria et Sphingobacter pour les bactéries et des Halobacteria pour les archées, d’au-tres organismes correspondent à de nouvelles souches de bactéries (sulfato-réductrices) et d’ archées (Euryarchaeota) nonencore cultivées ni décrites.

Page 24: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

Les invertébrés, algues ou procaryotes (bactérieset archées) sont donc la principale source de compo-sés oxydables dans ces environnements comme lessucres, lipides, protéines voire même des composésplus complexes tels que la chitine qui est le constituantmajeur de la carapace des crustacés.

Les composés intracellulaires de faible poids mo-léculaire permettant à la plupart de ces micro-orga-nismes de lutter contre la pression osmotique fontégalement partie des composés organiques notoiresde l’environnement hypersalé et sont pour certains dessubstrats privilégiés des Methanoarchaea.

Les substrats méthylés résultant de la dégradationde la glycine bétaine, choline et triméthylamine, ontégalement une grande importance dans ces environ-nements.

Il apparaît donc qu’une assez large gamme desubstrats potentiels est disponible dans les écosys-tèmes hypersalés et malgré les conditions physico-chi-miques défavorables de ces milieux, lesmicro-organismes ont pu malgré tout s’adapter à l’uti-lisation de composés spécifiques via l’autotrophie, laphototrophie ou l’hétérotrophie aussi bien en condi-tions aérobie qu’anaérobie.

Dégradation de la matière organiquedans les milieux hypersalés

Dans la plupart des biotopes, les macromoléculessont décomposées par des bactéries hydrolytiques etfermentaires en produits plus simples comme desacides organiques, les acides gras, les alcools, l’hy-drogène et le dioxyde de carbone. L’hydrogène peutalors servir de donneur d’électrons pour différentstypes de bactéries dont les bactéries homoacéto-gènes, les bactéries sulfato-réductrices ou les Métha-noarchaea amenant à une meilleure minéralisation dela matière organique via l’acétate qui peut être com-plètement transformé en méthane et dioxyde de car-bone par ces dernières. Une augmentation de lasalinité du milieu amène une accumulation d’hydro-gène et de divers acides gras volatils dans les sédi-ments. Ces résultats suggèrent donc que l’oxydationde la matière organique est incomplète dans les mi-lieux à forte salinité à l’inverse d’autres écosystèmescomme les milieux marins ou les digesteurs. Au delàd’une salinité supérieure à 15 %, la minéralisation deces composés organiques est restreinte à cause del’absence ou de la faible activité des Methanoarchaeaen particulier vis-à-vis de l’hydrogène et de l’acétate.L’analyse des sédiments des lacs salés le démontrenotamment dans le Grand Lac Salé où l’hydrogènes’accumule jusqu’à 200mM dans les couches pro-fondes.

Ces activités hydrogénotrophes réduites (bactériessulfato-réductrices) ou nulles (Methanoarchaea),aboutissent à une accumulation des produits de fer-mentation de la matière organique qui sont finalementpréservés dans les sédiments et seraient à l’origine dela formation du pétrole.

Des études ont montré que certains substrats telsque les méthylamines n’étaient utilisés que par lesMe-thanoarchaea et non par les bactéries sulfato-réduc-trices, compétitrices notoires des méthanogènes pourl’hydrogène. Ce gaz ainsi que le formate, sont préfé-rentiellement utilisées par les bactéries sulfato-réduc-trices lorsque le sulfate n’est pas limitant dans lemilieu, ce qui est particulièrement le cas dans les en-vironnements hypersalés.

La sulfato-réduction bactérienne est donc un pro-cessus important lors de la minéralisation de la ma-tière organique dans ces environnements salés etanoxiques en intervenant notamment dans le cadrede l’oxydation de l’hydrogène. Cependant l’oxydationd’acides gras volatils tel que l’acétate ou le butyratepar des bactéries sulfato-réductrices n’a été démon-trée que dans des milieux dont la salinité ne dépas-sait pas 19 %. À des salinités plus élevées, il n’existedonc qu’une oxydation incomplète de la matière or-ganique. Cette oxydation conduit à une accumulationd’acétate dans les sédiments des environnementssalés qui peut atteindre plusieurs centaines de milli-molaires.

Les solutés compatiblesUne différence de concentration de solutés des

deux côtés d’une membrane cellulaire provoque uneforce que l’on appelle « pression osmotique ». Cettepression qui a été estimée à environ 0,1 bar dans l’eaudouce s’élève à plus de 100 bars en milieux hypersa-lés. Pour assurer sa viabilité, une cellule doit toujoursajuster la pression osmotique intra-cytoplasmique parrapport à celle de son environnement immédiat. Dansce but, les micro-organismes halophiles ont élaborédeux mécanismes qui préviennent les chocs osmo-tiques du milieu : (a) le transport d’ions à travers lamembrane par des pompes ioniques, (b) la synthèseou l’accumulation de molécules organiques. De nom-breuses espèces bactériennes halophiles ou halotolé-rantes accumulent des osmolytes organiques soit enles synthétisant, soit en les important du milieu exté-rieur. Dans les deux cas, ces opérations sont d’un coûténergétique élevé pour la cellule qui préfèrera géné-ralement le transport à la biosynthèse, dans la mesureoù les osmolytes sont déjà présents dans le milieu en-vironnant. Les molécules organiques impliquées sonten général de faibles poids moléculaires, polaires,

24

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

Page 25: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

hautement solubles, neutres à pH physiologique et in-capables de traverser la membrane cytoplasmiquesans l’intervention de transporteurs spécifiques.(acides aminés et dérivés, bétaïnes et divers polyols)et ne perturbent pas le mécanisme de la cellule. Leterme de « solutés compatibles » a été introduit pourqualifier ces molécules protectrices.

L’accumulation d’ions par contre, a été mise en évi-dence chez les archées aérobies de la famille des Ha-lobacteriaceae. Le cation K+ est plus souvent retrouvéque le Na+ dont la concentration cellulaire est mainte-nue faible pour des raisons de toxicité. Le Cl- estl’anion dominant.

10.4.3. LES BACTÉRIES HALOPHILESEXTRÊMES

Les micro-organismes halophiles anaérobies ap-partiennent à l’ordre des Halanaerobiales (Ollivier etal. 1994) qui comprend deux familles les Halanaero-biaceae et les Halobacteroidaceae.

Toutes les espèces de ces familles fermentent leshydrates de carbones à l’exception d’une bactérie ho-moacetogène qui réduit le CO2 en acétate et croît surbétaïne et triméthylamine : Acetohalobium arabaticum.L’espèce Halocella cellulolytica est la seule capable decellulolyse parmi toutes les espèces décrites. Les es-pèces des genres Orenia et Sporohalobacter différentde toutes les autres espèces par leur capacité à spo-ruler.

La plupart de ces espèces peuvent être considé-rées comme des organismes modérés halophiles àcause de leur optimum de croissance qui est comprisentre 3 et 15 % de NaCl. Halanaerobium lacusroseusest le seul organisme anaérobie halophile considérécomme extrême (Figure 10-10), son optimum de crois-sance se situant vers 20 % de NaCl. Toutes les es-pèces décrites appartenant aux Halanaerobiales sontdes organismes mésophiles : Halothermothrix orenii estle seul organisme thermophile décrit à ce jour, un se-cond organisme fermentaire halophile et thermophile aété isolé d’un marais salant mais l’étude phylogéné-tique a permis de placer dans l’ordre des Clostridiales.En plus de leur capacité à coloniser des environne-ments salins terrestres, ces organismes anaérobies ha-lophiles peuvent aussi se rencontrer sous la surfaceterrestre et notamment dans des puits pétroliers. Demanière surprenante, les micro-organismes isolés deces couches pétrolifères appartiennent seulement augenre Halanaerobium (H. kuschneri, H. acetethylicum,H. salsuginis, H. congolense).

Un certain nombre de micro-organismes photosyn-thétiques ont été décrits parmi lesquelles des cyano-

bactéries (organismes aérobies) mais aussi des bac-téries anaérobies representées par les genres Halo-rhodospira, Halochromatium et Ectothiorhodospira.

10.4.4. LES ARCHÉES HALOPHILES EXTRÊMES

Les archées halophiles extrêmes forment ungroupe diversifié de micro-organismes qui habitent lesenvironnements à forte concentration en sels dont lessurfaces de salaisons des poissons ou des viandes.

Les membres des archées halophiles aérobiessont classés dans la famille des Halobacteriaceae(genres Natronobacterium et Natronococcus) qui re-quièrent un minimum de 2 M de NaCl. Ce sont des or-ganismes hétérotrophes.

Différents critères dont l’analyse des séquences degènes codant les ARN ribosomiques 16S ont été utili-sés pour définir les différents genres chez ces halo-philes extrêmes aérobies (Litchfield 2007, Oren 2006).On les appelle fréquemment halobactéries (haloar-chaea est plus formel). Le genre Halobacterium, le pre-mier décrit dans ce groupe Archaéen reste lereprésentant le plus étudié. Les genres Natronobacte-rium, Natronomonas et les espèces proches de cesgenres se différencient des autres halophiles extrêmesen étant des alcalinophiles extrêmes. Ces natronoar-chaea possèdent une croissance optimale pour desconcentrations très faibles en magnésium et un pHélevé (9-11).

Les archées halophiles extrêmes sont à Gram né-gatif, se divisent par fission binaire et ne produisentpas de forme de résistance ou de spores. La plupartdes haloarchaea ne sont pas mobiles, mais quelques

25

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

Figure 10-10 : Exemple de bactéries halophiles anaérobies : Ha-loanaerobium lacucrosei.

Page 26: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

rares souches le sont faiblement ou sont capables deflotter grâce à leurs vésicules gazeuses. La structuredu génome des bactéries des genres Halobacterium etHalococcus sont inhabituelles du fait de la présence degros plasmides pouvant contenir de 25 à 30 % del’ADN total de la cellule, et dont le contenu en G+C %(57-60) est significativement diffèrent de celui de l’ADNchromosomique (66-68 %). Les plasmides des archéeshalophiles extrêmes sont les plus gros plasmides na-turels connus. Elles utilisent les acides aminés et lesacides organiques comme source d’énergie et requiè-rent de nombreux facteurs de croissances (principale-ment des vitamines) pour une croissance optimale.Quelques espèces du genre Halobacterium oxydent lessucres, mais cette capacité est relativement rare. Deschaînes de transport d’électrons comptant des cyto-chromes de type a, b et c sont présentes chez Halo-bacterium et l’énergie est produite pendant la phaseaérobie, par l’intermédiaire d’une force proton-motriceprovenant d’évènements chimio osmotiques membra-naires. Chez quelques espèces, la croissance en anaé-robiose (fermentation des sucres et respiration dunitrate ou du fumarate), a été mise en évidence.

Les archées halophiles extrêmes anaérobies sont re-trouvés parmi lesMethanoarchaea dans les genresMe-thanohalophilus et Methanohalobium de la famille desMethanosarcinaceae et sont essentiellement méthylo-trophes, (utilisation du méthanol et des méthylamines).

10.4.5. LES EUCARYA HALOPHILES

Bien que les organismes procaryotes soient trèsmajoritaires dans les écosystèmes hypersalés, desmicro-organismes eucaryotes peuvent être retrouvésdans ces environnements. Cela inclus des espèces quisont soit adaptées à de fortes concentrations en sels,soit qui sont capables de survivre dans ces conditions.Il s’agit d’algues, de diatomés, de protozoaires oumême de champignons. Des études menées en Slo-vénie ont permis d’observer une grande diversité dechampignons appartenant notamment au genre Cla-dosporium. Des études réalisées sur la Mer Morte ontpermis de caractériser un grand nombre de champi-gnons filamenteux appartenant aux groupes des Zy-gomycètes et des Ascomycètes. Des algues vertes dugenre Dunaliella ont souvent été rencontrées dans leMer Morte mais aussi dans des écosystèmes artificielstels que les marais salants.

10.4.6. APPLICATIONS BIOTECHNOLOGIQUES

Les micro-organismes modérés halophiles peuventêtre à l’origine d’applications technologiques poten-

tielles des plus prometteuses ; non seulement parceque certaines d’entre elles produisent des moléculesqui ont un intérêt pour l’industrie (enzymes, polymèresou osmoprotectants) mais surtout parce qu’elles pré-sentent des propriétés physiologiques qui peuvent fa-ciliter leur exploitation à des fins commerciales.

La plupart de ces organismes ne nécessite que peude nutriments pour croître car leurs exigences nutri-tionnelles sont faibles, elles peuvent en outre utiliserune assez grande gamme de composés organiquescomme sources de carbone et d’énergie. Ces orga-nismes peuvent croître sous de fortes concentrationsen sels et réduire par conséquent le risque de conta-mination dans certains procédés industriels.

Il existe aujourd’hui des applications biotechnolo-giques qui sont rapportés ci-dessous :

La fermentation de la sauce soja fait intervenir desmicro-organismes halophiles se developpant en pré-sence de 19 % de NaCl. Ce sont des bactéries halo-tolérantes et modérées halophiles qui sont utiliséesdans la préparation de la sauce de poisson appelée« nuoc mam ». On retrouve notamment certaines ar-chées à pigmentation rouge dans ce procédé de fabri-cation.

Les bactéries halophiles modérées accumulent degrandes quantités de molécules de bas poids molécu-laires pour pouvoir lutter contre les effets de la pres-sion osmotique. Quelques composés comme laglycine-bétaine et l’ectoine peuvent être utilisés en tantque molécules protectrices contre les stress dues àune forte salinité, dénaturation thermique, congélationou dessiccation. On leur porte un grand intérêt notam-ment dans les industries pharmaceutiques mais aussicosmétiques. De récents progrès dans la fermentationet la génétique des bactéries halophiles ont permis lasurproduction de ces solutés compatibles.

Il est aussi possible de réaliser des transferts degènes à partir de bactéries modérées halophiles pourdonner à des produits agricoles tels que le blé, le riz oul’orge, une capacité de résistance aux sels et à la sè-cheresse qui pourront par conséquent pousser sur dessols plus salins. Certains polysaccharides extracellu-laires synthétisés par des micro-organismes halophilesindigènes aux eaux de gisements pétroliers pourraientavoir une grande valeur pour la récupération assistéedes pétroles grâce à leurs propriétés de bio émulsi-fiants et leur activité de surfactants actifs notammentdans les eaux salées de ces gisements. Ces compo-sés possèdent des propriétés de résistance à la dé-naturation thermique et présentent des valeurs deviscosité plus élevées pour de fortes températures etdilutions, que la plupart des polymères actuellementcommercialisés tel que la gomme de xanthane.

26

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

Page 27: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

Halomonas eurihalina, par exemple, produit degrandes quantités d’un polysaccharide extracellulairepolyanionique (EPS V2-7) qui de par ses propriétésémulsifiantes peut être utilisé en industrie alimentaireou pharmaceutique.

Depuis quelques années, de plus en plus d’eauxusées hypersalées sont rejetées par les industries chi-miques ou pharmaceutiques. Les procédés classiquesde traitement microbiologique ne fonctionnent paspour des effluents salés mais pourraient être très per-formants grâce à l’utilisation de micro-organismes ha-lophiles. Un traitement d’eaux usées contenant defortes concentrations en sels a été réalisé avec suc-cès pour l’élimination de composés phénoliques, aro-matiques et de composés très toxiques comme lescomposés organophosphorés.

Une multitude d’autres utilisations potentielles pourdes micro-organismes halophiles peut être envisagéeen biotechnologie, parmi lesquelles on trouve : la ré-cupération du phosphate par voie biologique qui estune alternative beaucoup moins chère que l’approchechimique, la recherche de nouvelles molécules bioac-tives comme par exemple des antibiotiques, de nou-veaux surfactants ou de nouvelles enzymes(endonucléases de restriction).

Beaucoup de micro-organismes halophiles produi-sent des composées colorées tel que des caroté-noïdes qui trouvent des applications en industriesalimentaires en tant qu’agent de coloration.

Une application spectaculaire a été envisagée pourune protéine issue de la membrane cytoplasmique deHalobacterium halophilum (la bactériorhodopsine), uneprotéine qui joue le rôle d’une pompe à protons pourétablir un gradient de part et d’autre de la membrane.Une puce électronique composée d’une couche mincede bactériorhodopsine serait en mesure de stockerplus d’informations qu’une puce au silicium et de trai-ter l’information plus rapidement. Ces puces plus pe-tites, plus rapides et de plus grandes capacitéspermettront probablement de créer des ordinateurs detrès hautes performances.

10.4.7. CONCLUSION

Considérés pendant longtemps comme milieuxhostiles à toutes formes de vie, les écosystèmes hy-persalés n’ont été étudiés de manière systématique,que depuis peu de temps. Les micro-organismes qu’ilsrenferment présentent une grande diversité tant dupoint de vue de leurs formes, leurs métabolismes que

de leurs stratégies à croître dans ces milieux sursalés.Ces micro-organismes possèdent des potentialités bio-technologiques que l’on commence à peine à entre-voir. Leurs études devraient se poursuivre et amenerdes réponses aussi bien sur le plan technologique quesur un plan plus fondamental : leur adaptabilité à desmilieux fortement minéralisés.

10.5. LES MICRO-ORGANISMESPIEZOPHILES

La pression est un paramètre physique importantdes milieux aquatiques. Elle est définie comme le rap-port d’une force sur l’aire de la surface sur laquelle elles’applique. Une force de 1 Newton appliquée sur 1 m2

produit une pression de 1 Pascal (Pa). D’autres unitéssont également employées selon les correspondancessuivantes :

1 Pa = 1.10 -5 bar = 9,8692 . 10 -4 atm = 1,4503. 10 -4 PSI =7,5003. 10 -3 Torr

Pour calculer la pression hydrostatique exercée parun liquide sur une surface donnée, il convient de tenircompte de l’accélération de la pesanteur, de la massevolumique du milieu, et de la profondeur. Plus simple-ment, dans le cas de l’eau (douce, océanique) la pres-sion augmente de 10 Mpa par kilomètre. Ainsi à uneprofondeur océanique de 3 kilomètres correspond unepression hydrostatique de 30 Mpa, 300 atmosphèresou 300 bars.

L’exemple de l’océan pour expliciter les unités demesure de la pression est tout à fait justifié, car c’estl’étude de cet environnement qui donna naissance àce que l’on nomme parfois la piézomicrobiologie. De-puis une douzaine d’années environ, le terme piézo-phile a progressivement remplacé le terme barophileemployé auparavant.

La surface de la planète Terre est couverte à 70 %par les mers et les océans, avec une profondeurmoyenne de 3800 mètres, mais qui atteint dans laFosse des Mariannes la profondeur maximale de 10790 mètres, ce qui correspond à une pression hydro-statique de 110 Mpa. Pour les auteurs anglophones,le terme de « deep-sea » que l’on peut traduire parocéan profond, correspond aux profondeurs supé-rieures à 1 000 mètres. Une telle profondeur se ren-contre pour 88 % de la surface océanique, soit 75 %du volume total des océans et 62 % de la biosphèreen terme de volume. Il s’agissait à l’époque (début des

27

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

Page 28: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

années 80) de cette estimation de l’un des plus vastesbiotopes de la planète sous l’influence de ce paramè-tre. Depuis cette estimation, d’autres habitats de sub-surface, donc soumis à de fortes pressions, touspeuplés de micro-organismes, ont été découverts telsque les aquifères profonds, les réservoirs pétroliers,ou les sédiments océaniques. Comme nous allons levoir, l’essentiel de la biosphère terrestre est donc peu-plée de piézophiles.

10.5.1. LES PIEZO-PSYCHROPHILES DES ABYSSES :UN PEU D’HISTOIRE

Outre la profondeur et l’absence de lumière, lesabysses sont caractérisés par des températuresbasses de l’ordre de 2°C, et sont donc peuplés depsychrophiles (cf. Chapitre 10.1).

La présence de bactéries vivant dans les eauxocéaniques et les sédiments à une profondeur de 5000 mètres fut démontrée par le microbiologiste fran-çais Certes, suite à l’examen d’échantillons collectéspar les navires « Le Travailleur » et le « Talisman »(1882-1883). Après ce travail de pionnier, et celui del’américain Fisher 10 ans plus tard, il fallu attendre laseconde moitié du XXe siècle et les travaux des mi-crobiologistes américains Claude Zobell et RichardMorita pour que se mette progressivement en placeune microbiologie marine.

En l’absence de photosynthèse locale, les condi-tions nutritionnelles des abysses sont plutôt oligo-trophes, et l’une des premières questions abordéespar les microbiologistes étudiant ces milieux fut cellede la dégradation de la matière organique dans lesconditions physico-chimiques de fortes pressions etfaibles températures de l’océan profond. De nom-breuses expérimentations portant sur des bactéries desurface, des bactéries abyssales, et bien sûr deséchantillons abyssaux collectés puis traités sous pres-sion indiquèrent que l’activité hétérotrophe et la respi-ration aérobie de molécules organiques étaientconsidérablement ralenties par ces conditions abys-sales, d’où l’idée que les bactéries libres, réellementadaptées à ces conditions étaient peu nombreuses.L’étude de l’activité de certaines enzymes extraites debactéries abyssales en fonction de la pression, commedes chitinases, conduisirent au même résultat, l’acti-vité observée étant supérieure lors d’incubations à lapression atmosphérique. Mais en fait, les micro-orga-nismes ainsi étudiés provenaient davantage descouches superficielles de l’océan, atteignant le fondaprès une longue sédimentation. Plusieurs auteurssuggérèrent alors que les micro-organismes abyssaux« vrais » étaient peut être confinés à des micro-envi-

ronnements tels que les tractus digestifs des inverté-brés abyssaux. Effectivement, l’analyse d’ abord decrustacés amphipodes abyssaux, puis d’holothuries etde poissons montra l’existence de communautés bac-tériennes réellement piézophiles.

Présentationde quelques bactéries piézopsychrophiles

Les premières bactéries piézopsychrophiles furentisolées et décrites par A. Yayanos, chercheur à laScripps Institution for Oceanography (Californie). Lasouche CNPT3, apparentée au genre Spirillum a étéisolée d’un amphipode en décomposition capturé parun piège à une profondeur de 5600 mètres. La bacté-rie, isolée à 2°C et 57 MPa se divise optimalemententre 2 et 4°C, à 50 MPa, avec un temps de double-ment compris entre 4 et 13 heures. À la même tempé-rature, mais à pression atmosphérique, le temps dedoublement augmente jusqu’ à 3-4 jours. Une nouvelleétape fut franchie avec l’isolement, toujours à partir d’unamphipode en décomposition, mais cette fois collectéà 10476 mètres, de la souche MT 41. Ce micro-orga-nisme croit de façon optimale à 2°C et 69 MPa, avec untemps de doublement de 25 heures. Aucune crois-sance n’est observée pour une pression inférieure à 38MPa, et la souche perd son aptitude à former des co-lonies après quelques heures d’exposition à la pressionatmosphérique. Ultérieurement, d’autres piézophileshétérotrophes aérobies furent isolées, essentiellementpar des équipes américaines et japonaises. L’utilisationdes méthodes de phylogénie moléculaire permit de lesdécrire avec précision comme de nouvelles espècesdes genres Photobacterium, Shewanella, ou même denouveaux genres comme Colwellia ou Moritella.

L’étude détaillée de la croissance de plusieurssouches piézophiles permit à Yayanos de dégagerquelques caractéristiques de ces bactéries. Il démon-tra en particulier que la piézophilie était un trait com-mun des bactéries des mers froides, provenant deprofondeurs supérieures à 2000 mètres, qui sembleconstituer un seuil pour la piézophilie. Il remarquaaussi que la tolérance à la pression variait avec la pro-fondeur d’origine de la bactérie concernée, mais que lapression optimale pour la croissance d’une souchedonnée était toujours inférieure à la pression existantà la profondeur de collecte de l’échantillon.

Bien qu’ayant apporté des informations majeuressur la microbiologie des fonds océaniques, ces tra-vaux, de l’aveu de Yayanos lui même, ne résolvaientpas toutes les questions. En particulier, toutes ces bac-téries ont été isolées de milieux riches en matière or-

28

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

Page 29: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

ganique (tubes digestifs), alors que les milieux abys-saux sont globalement oligotrophes. De plus, la miné-ralisation complète de la matière organique nécessitel’intervention de communautés microbiennes métabo-liquement diversifiées (oligohétérotrophes, chimio-li-thoautotrophes), non mises en évidence par lestechniques employées. Leur détection permettrait dé-tablir le caractère ubiquiste de la piézohilie. Mais il estvrai que les autotrophes croissent en général beau-coup plus lentement que les hétérotrophes. Comptetenu de la croissance très lente des piézopsychro-philes hétérotrophes, la croissance des autotrophesabyssaux pourrait se chiffrer en semaines, ou en mois.

10.5.2. TAXONOMIE ET PHYLOGÉNIEDES PIÉZOPSYCHROPHILES

La plupart des bactéries piézopsychrophiles isoléesont fait l’objet d’études taxonomiques et phylogéné-tiques détaillées. Toutes appartiennent à la sub-divi-sion gamma des protéobactéries. Il ne semble pas qu’ilexiste une corrélation entre la position phylogénétiquede ces organismes et la profondeur, la localisation oula nature de l’échantillon. Alors que de nombreux au-tres extrêmophiles (halophiles, hyperthermophiles) re-présentent des lignées phylogénétiques biendistinctes, les piézophiles étudiés à ce jour sont distri-bués dans des groupes phylogénétiques comportantégalement des espèces piézo-sensibles. Ceci tendraità indiquer que les adaptations aux hautes pressionssont apparues séparément au cours d’une spéciationbactérienne relativement récente. L’utilisation des mé-thodes moléculaires pour l’étude de la diversité micro-bienne des abysses a certes révélé l’existence d’uneplus grande diversité que les méthodes culturales(Protéobactéries des subdivisions alpha et delta, Acti-nobactéries, Planctomycetales, etc), mais aucune li-gnée phylogénétique spécifiquement piézophile n’aété mise en évidence.

10.5.3. ADAPTATIONS AUX HAUTES PRESSIONSCHEZ LES PIÉZOPSYCHROPHILES

Les premières études sur les mécanismes adapta-tifs à la pression ont porté sur la composition en acidesgras des membranes cellulaires de la souche CNPT3.Lors des cultures sous fortes pressions, on observeune diminution des acides gras C14 :1, C16 :0 et C14 :0,mais une augmentation des acides gras en C16 :1 etC18 :1. Plus globalement, le rapport acides gras insatu-rés sur acides gras saturés passe de 1,9 à 3 lorsque lapression augmente de 0,1 à 68 MPa. Une augmenta-tion similaire de la teneur en acides gras insaturés a

également été observée chez Vibrio marinus, lorsquela température de culture décroît de 25 à 15°C. L’étudecomparée de plusieurs souches isolées de profon-deurs allant de 1200 à 10476 mètres indiquait égale-ment une augmentation des acides gras polyinsaturés,et particulièrement de ceux à longues chaînes allantjusque 22 carbones. La synthèse de tels acides graspolyinsaturés à longue chaîne, rares chez les proca-ryotes, a été interprétée comme une réponse permet-tant le maintien de la fluidité membranaire.

C’est également au niveau de la membrane ex-terne de la souche Photobacterium SS9 que des mé-canismes adaptatifs ont été mis en évidence au niveaumoléculaire. Cultivée sous pression, cette souche ori-ginaire d’une profondeur de 2500 mètres réprime l’ex-pression de plusieurs protéines, tandis que denouvelles sont exprimées. Parmi ces dernières, la pro-téine OmpH de 37 KDa s’est révélée être une porinenon spécifique dont le niveau de transcription est aug-menté sous pression hydrostatique. D’autres facteursenvironnementaux comme la densité cellulaire ou ladisponibilité en carbone peuvent aussi influer sur l’ex-pression du gène ompH, le même promoteur pouvantêtre activé par une forte densité cellulaire à 0,1 MPa ouune faible densité à 27 MPa. Sans exclure d’autresadaptations via plusieurs gènes agencés en opéronset régulés par la pression, il apparaît qu’une partie im-portante des adaptations à la pression chez les pié-zopsychrophiles concerne la membrane et lestransports membranaires : les modifications desacides gras membranaires ou des protéines associéesà la membrane externe ayant pour but de maintenir lafonctionnalité des échanges entre la cellule et son en-vironnement.

10.5.4. CAS PARTICULIERDES SOURCES HYDROTHERMALES OCÉANIQUES

Les sources hydrothermales océaniques se trou-vent essentiellement le long des dorsales océaniquesà des profondeurs allant de 800 à 4000 mètres. Dé-couvertes en 1977 sur la dorsale du Pacifique oriental,les sources hydrothermales océaniques constituent unenvironnement où l’on rencontre de forts gradients, enparticulier thermiques : la température passe en effetde 2°C (eaux abyssales) à 350°C ou plus (l’eau de-meure liquide en raison de la pression hydrostatique)sur des distances de quelques décimètres. Ces tem-pératures très élevées ont incité les microbiologistes àrechercher des micro-organismes hyperthermophiles,et effectivement de nombreuses nouvelles espèces etde nouveaux genres ont été décrits, particulièrementdans le domaine des archées (cf. section 10.2).

29

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

Page 30: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

Réponses à la pression hydrostatiqueLa grande majorité des espèces hyperthermophiles

ainsi isolées ont été obtenues en cultures légèrementpressurisées (0,2 MPa) de manière à éviter l’ébullitiondu milieu. Très peu ont été ensuite exposées aux fortespressions afin de déterminer leurs réponses à la pres-sion, mais plusieurs comportements ont été observés.Certaines souches sont apparues piézosensibles, d’au-tres piézotolérantes, d’autres enfin piézophiles. Chezles hétérotrophes piézophiles anaérobies, la piézophi-lie se manifeste par une augmentation sensible du tauxde croissance, et une augmentation de quelques de-grés (1 à 4°C) de la température maximale de crois-sance. La piézophilie a également été notée chez desarchées méthanogènes hyperthermophiles, mais auxtempératures les plus élevées testées, croissance etméthanogénèse apparaissent découplées, la pressionaugmentant la température maximale, seulement pourla méthanogénèse.

Une autre approche a consisté à réaliser à partird’échantillons collectés dans les sources hydrother-males océaniques des cultures d’enrichissement sousfortes pressions et températures élevées, dans desbioréacteurs construits à cet effet. Cette méthode apermis d’isoler Thermococcus barophilus, une archéehétérotrophe anaérobie hyperthermophile. Cette es-pèce, qui croit également à la pression atmosphérique,voit son taux ainsi que sa température maximale decroissance augmenter sous l’effet de la pression (Fi-gure 10-11). Cultivée à la pression atmosphérique, elle

exprime une protéine de stress, ce qui confirme sapiézophilie. De la même façon, la bactérie Marinitogapiezophila, isolée d’un autre échantillon hydrothermalvoit sa croissance améliorée par la pression hydro-statique jusqu’à 40 MPa (Figure 10-12). Dans cesconditions, elle présente une morphologie classiquede coccobacille, alors que pour des pressions infé-rieures et surtout à pression atmosphérique, elleforme des filaments, les cellules ne se séparant plus(Figure 10-13). Curieusement, un tel phénomèneavait été observé pour Escherichia coli, mais pour despressions croissantes. La pression agirait donc, ensens inverse, chez ces deux organismes au niveau dela division cellulaire.

Un autre phénomène intéressant a été noté lors desessais de cultures sous pression de différentessouches thermophiles, et ce par plusieurs laboratoires.Dans le cas des espèces piézophiles, la pression hy-drostatique pour laquelle la meilleure croissance estobservée est toujours supérieure à la pression existantà l’endroit de la collecte de l’échantillon, soit le contrairedu phénomène observé pour les psychrophiles (cf.Chapitre 10.1). Ces observations ont conduit JohnBaross et Jody Deming (School of Oceanography,Seattle, USA) à écrire un article intitulé : « Black smok-ers : windows to a deep biosphere ». En d’autrestermes, les micro-organismes hyperthermophiles iso-lés des parois de cheminées hydrothermales vivent-ilsen permanence à cet endroit, où viennent-ils de réser-voirs situés sous le plancher océanique et donc sou-

30

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

Figure 10-11 : Effets de la température et de la pression hydrosta-tique sur le taux de croissance de Thermococcus barophilus; [(λ) :cultures à 0,3 MPa, (γ) : cultures à 40 MPa].

Figure 10-12 : Effets de la température et de la pression hydrosta-tique sur le taux de croissance de Marinitoga piezophila ; (λ) : cul-tures à 0,3 MPa, après précultures en pression hydrostatique; (■) :cultures à 0,3MPa, après précultures en pression atmosphérique ;(�) : cultures à 40 MPa).

Page 31: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

mis à de plus fortes pressions qu’au niveau de celui-ci ? Plusieurs observations suivant immédiatement deséruptions sous marines seraient en faveur de cette hy-pothèse. Mais quoi qu’il en soit, d’autres environne-ments profonds, et donc soumis à de fortes pressionsont été découverts ces dernières années.

10.5.5. D’AUTRES PIÉZOPHILES À DÉCOUVRIR

Aquifères, réservoirs pétroliers, couches sédimen-taires sont autant d’environnements soumis à de fortespressions. Bien que la présence de micro-organismesait été signalée, parfois même bien étudiée dans ces di-vers écosystèmes, peu de références à l’effet de la pres-sion sont disponibles. Pourtant, selon les estimations deWhittmann, une très grande majorité des procaryotes vi-vrait en subsurface, principalement sous le plancherocéanique. Plus que la pression existant en subsurface,ce sont surtout les sources de carbone et d’énergie quiinterpellent les microbiologistes. Ces nutriments vien-nent-ils de la surface, ou en d’autres termes, les micro-organismes de subsurface sont-ils dépendants,indirectement, de la photosynthèse et de l’énergie so-laire ? Sont-ils définitivement enfouis dans les couchessédimentaires profondes, ou bien transportés par desfluides circulant en profondeur ? Sont-ils réellement ac-tifs, en état de dormance ? Quel est leur temps de gé-nération (certaines estimations évoquent des milliersd’années) ? Trouvent-ils leurs sources d’énergie et decarbone dans l’hydrogène et le gaz carbonique produits

lors de réactions abiotiques ? Ils seraient alors totale-ment indépendants de l’énergie solaire, comme le furentles premiers organismes vivants il y a environ 4 milliardsd’années ? On le voit, l’étude de ces écosystèmes ré-cemment découverts et de leurs habitants, piézophilespar obligation, nous conduit à réfléchir, à formuler deshypothèses quant à l’origine de la Vie.

10.6. LES MICRO-ORGANISMESACIDOPHILES

10.6.1. INTRODUCTION

L’étude des micro-organismes extrêmophiles sus-cite un intérêt croissant auprès des scientifiques et desindustriels, étant donné leurs particularités physiolo-giques et écologiques, mais également leur potentielbiotechnologique (Rawlings, 2002). Cela est d’autantplus vrai pour ceux qui occupent les environnementsacides où le pH ambiant (< 4) résulte directement del’activité microbienne indigène (Ehrlich, 2002) et nonde contraintes physico-chimiques (température, forceionique, pH alcalin, radiation, pression, etc.) imposéespar l’écosystème, ce qui est le cas pour les autrestypes d’environnements extrêmes (chauds, froids, hy-persalés, profonds, etc.). Le cas de l’estomac animal aété abordé au chapitre 9.

Les environnements acides, le plus souvent richesen métaux lourds et métalloïdes, ont deux origines

31

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

Figure 10-13 : Obser-vation en microscopieà contraste de phasede Marinitoga piezo-phila après incubationà 40 MPa (a), 10 MPa(b) et 0,3 MPa (c).

Page 32: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

principales. La première est directement liée aux acti-vités volcaniques. À ces endroits, l’acidité provient gé-néralement de l’oxydation microbienne du soufreélémentaire (S°) :

So + O2 + H2O → SO42- + 4H+

où S° est en fait le résultat d’une réaction de conden-sation entre des formes oxydées et réduites de gazsoufrés :

H2S + SO2 → So + H2O

Dans de tels environnements, des gradients de tem-pérature peuvent facilement s’établir pour laisser laplace à une biodiversité microbienne pouvant croîtredans différentes gammes de température allant de lamésophilie à l’hyperthermophilie. Ce type d’environ-nements acides peut également être associé à desactivités minières. En effet, lors de l’exploitation ducharbon ou des métaux, les minéraux sulfurés sontexposés extemporanément à l’action combinée del’eau et de l’oxygène, facilitant ainsi les attaques mi-crobiennes et conduisant à des écoulements d’eauxminières acides (Acid Mine Drainage) qui constituentpar la suite un grave problème environnemental. Lecomposé minéral sulfuré le plus abondant, en l’oc-currence la pyrite, fait l’objet de toutes ces attaquesoxydatives.

L’oxydation biologique de la pyrite a été étudiée endétail. Elle se déroule au cours d’étapes successivespour aboutir à la réaction globale présentée ci-des-sous :

FeS2 + 3H2O + 4O2 → Fe (OH)3 + 2SO42- + 3H+

Les environnements acides varient énormément enfonction de leurs caractéristiques physico-chimiqueset de leur composante microbienne. Des hautes tem-pératures résultant d’une activité biologique aérobiepeuvent être observées. Elles favorisent alors l’adap-tation de micro-organismes dits “thermo-acidophiles”.Les mécanismes par lesquels les microbes obtiennentde l’énergie via l’oxydation de composés soufrés mi-néraux (CSM) (i.e. pyrite), phénomène étant reconnusous le terme de “biolixiviation” dans le domaine desbiotechnologies, sont restés contreversés pendant delongues années. La récente démonstration du rôle im-portant joué par le fer ferrique (Fe3+), présent dans lesparois cellulaires et les matrices polysaccharidiquesextracellulaires des organismes concernés, dans letransfert des électrons des CSM vers la chaîne respi-

ratoire, est venue clarifier la situation. Il en a découlédes retombées immédiates aussi bien sur le plan fon-damental qu’appliqué.

Les différences observées durant la biolixiviationdes sulfures métalliques (SM) dépendent de la naturede l’oxydation chimique par le fer ferrique, laquelle estfonction des caractéristiques cristallographiques du mi-néral métallique. Sous des conditions normales depression et de température, la pyrite, mais aussi d’au-tres composés sulfurés comme la tungsténite et la mo-lybdénite, ne peuvent être oxydées par Fe3+ que parce que l’on appelle communément le “mécanisme thio-sulfate” (thiosulfate mechanism) :

FeS2 + 6Fe3+ + 3H2O → S2O32- + 7Fe2+ + 6H+

S2O32- + 8Fe3+ 5H2O → 2SO4

2- + 8Fe2+ + 10H+

Le sulfate est alors le produit final de la réaction. Laplupart des autres sulfures métalliques (i.e. la ga-lène, la chalcopyrite, la spharélite, etc..) peuventêtre soumis à une attaque protonique ou à une oxy-dation par le fer ferrique suivant un autre méca-nisme, appelé “mécanisme polysulfure” (polysulfidemechanism) :

8SM + 8Fe3+ + 8H+ → 8M2+ + 4H2Sn + 8Fe2+ (n=2)

4H2Sn + 8Fe3+ → S8o + 8Fe2+ + 8H+

Dans ce cas de figure, il y a production de soufre élé-mentaire qui peut être oxydé par la suite par les micro-organismes “soufre-oxydants” en acide sulfurique.

Le fer ferreux (Fe2+) produit au cours de toutes cesréactions présentées ci-dessus est réoxydé par lesbactéries ferro-oxydantes en fer ferrique (Fe3+).

4Fe2+ + O2 + 4H+ → 4Fe3+ + 2H2O

Le rôle majeur des micro-organismes chimiolitho-trophes acidophiles est finalement de maintenir en so-lution de grandes concentrations d’oxydant chimique,en l’occurrence ici, le fer ferrique.

Prenons par exemple le cas de la bactérie acido-phile chimiolithotrophe Acidithiobacillus ferrooxidans(anciennement appelée Thiobacillus ferroooxidans),qui a été isolée d’une mare acide dans une mine decharbon, il y a maintenant plus de cinquante ans. Bienque cette bactérie puisse obtenir de l’énergie en oxy-dant les sulfures, mais également le fer ferreux, il aété accordé plus d’importance à son métabolisme visà vis des composés soufrés qu’à celui du fer, à cause

32

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

Page 33: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

de considérations purement bioénergétiques. Cepen-dant, avec la découverte de certains organismes chi-miolithotrophes stricts (i.e. Leptospirillumferrooxidans), qui n’étaient capables d’utiliser que lefer ferreux comme seule source d’énergie, et dont l’ac-tivité métabolique était directement liée à la biolixivia-tion des métaux et aux écoulements d’eaux acides, unregain d’intérêt s’est porté depuis sur le métabolismedu fer (Rawlings, 2002). Concernant ce métabolisme,il a par ailleurs été bien établi que le fer pouvait êtreoxydé en condition anaérobie lors d’un couplage à laphotosynthèse anaérobie ou à la respiration anaéro-bie faisant intervenir le nitrate comme accepteur finald’électrons.

La plupart des micro-organismes acidophilesstricts reconnus d’un point de vue taxonomique estisolé de régions volcaniques ou de zones d’écoule-ments d’eaux résultant d’activités minières. Le RíoTinto (dit « ceinture pyritique Ibérique » en Espagne)(Figure 10-14) représente un écosystème nonconventionnel à cause de son acidité ambiante (va-leur moyenne du pH aux alentours de 2, ce dernierétant tamponné par le fer ferrique), de son étendue(100 km), de sa grande concentration en métauxlourds (fer, arsenic, cuivre, zinc, chrome…) et d’un ni-veau élevé de diversité microbienne occupant cet éco-système terrestre acide (Amaral-Zettler et al., 2003).Ce n’est que récemment qu’il a été démontré que lesconditions d’acidités extrêmes qui règnent dans le RioTinto ne sont probablement pas le résultat de l’activitéminière actuelle, mais liés à la nature même de l’éco-système et des activités naturelles qui s’y déroulent.Tenant compte de la dimension du site et de la facilitéd’accès, le Río Tinto est considéré aujourd’hui commeun modèle expérimental de référence pour les envi-ronnements acides.

10.6.2. DIVERSITÉ DES ENVIRONNEMENTS“ACIDES EXTRÊMES”

Les environnements acides font partie des envi-ronnements les moins bien caractérisés. Cela est duau fait que les organismes qui occupent ces nichesécologiques possèdent des propriétés physiologiquestrès particulières (métabolisme microbien en relationdirecte ou indirecte avec les composés soufrés et lesmétaux). Par ailleurs, les chimio-lithotrophes acido-philes ne sont en général pas faciles à cultiver notam-ment en milieu solide.

Les procaryotes qui sont métaboliquement actifsdans les environnements “acides extrêmes” sont ré-partis à la fois dans le domaine des bactéries et celuides archées et sont différenciés en fonction dessources de carbone et d’énergie qu’ils sont capablesd’utiliser.

Il existe un grand nombre de micro-organismes chi-miolithotrophes isolés d’environnements acides capa-bles d’oxyder à la fois le fer et les composés minérauxsoufrés. Ces bactéries sachant tirer leur énergie pourla croissance de substances strictement minéralessont ubiquistes, et les plus communément recenséessont : Acidithiobacillus ferrooxidans, Leptospirillumspp., Acidithiobacillus thiooxidans, Acidithiobacilluscaldus, dans le domaine des bactéries ou Sulfobacillusspp. et les membres de la famille des Ferroplasma-ceae dans le domaine des archées.

À côté des chimio-lithotrophes, il existe égalementbon nombre d’hétérotrophes acidophiles colonisant lesenvironnements acides, dont ceux appartenant en par-ticulier au genre Acidiphilium, ou des hétérotrophes fa-cultatifs appartenant aux espèces des genresAcidimicrobium et “Ferromicrobium”. Les acidophilesse différencient entre eux par des critères physiolo-giques comme la température optimale de croissance(mésophiles, thermophiles modérés, thermophiles, hy-perthermophiles), le pH optimum de croissance, ou surla base de la source de carbone utilisée (autotrophes,hétérotrophes et mixotrophes). En général, les acido-philes thermophiles extrêmes appartiennent au do-maine des archées.

Domaine des bactériesLa majorité des micro-organismes acidophiles iso-

lés et caractérisés fait partie du domaine des bacté-ries. Ils se répartissent dans divers groupesphylogénétiques (Figure 10-15). La plupart d’entre euxsont à Gram négatif (toutes les espèces du genre Aci-dithiobacillus, Leptospirillum, et Acidiphilium spp.),

33

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

Figure 10-14 : Vue de la « Peña de Hierro » en amont du Río Tintoen Espagne.

Page 34: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

mais récemment plusieurs micro-organismes à Grampositif appartenant à de nouveaux genres ont été iso-lés d’environnements naturels ou de ceux résultantd’activités anthropogéniques (activités minières). Oncompte parmi eux les espèces des genres Sulfobacil-lus, Acidimicrobium et “Ferrimicrobium”. Les principauxéléments de différenciation de ces micro-organismesacidophiles sont rapportés dans le Tableau 10.2.

En ce qui concerne le genre Acidithiobacillus, A. fer-rooxidans a été le premier organisme acidophile chimio-lithotrophe strict isolé d’eaux acides d’origine minière.Cette bactérie à Gram négatif de 0,5 µm de large sur 1,0µm de long est un bâtonnet mobile utilisant le CO2comme source de carbone et tirant son énergie de l’oxy-

dation du fer ferrique, du soufre élémentaire et des com-posés soufrés réduits. Pendant de longues années, onpensait que A. ferrooxidans était une bactérie principa-lement responsable de la solubilisation des sulfures mé-talliques et qu’elle était essentiellement aérobie.Cependant, en condition anaérobie, le fer ferrique peutremplacer l’oxygène et est alors utilisé comme accep-teur final d’électrons pour notamment oxyder le soufreélémentaire. A pH 2, l’énergie libre de la réaction :

So + 6Fe3+ + 4H20 → H2SO4 + 6Fe2+ + 6H+

est négative (∆G= -314 kJ/mol), suggérant que cetteréaction est fortement exergonique. Acidithiobacillusthiooxidans est phylogénétiquement proche de A. fer-

34

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

Figure 10-15 : Positionnementphylogénétique (en rouge) desmicro-organismes acidophiles re-pérés dans le Bassin du Rio Tinto.

Page 35: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

rooxidans. À l’inverse de ce dernier, il n’est cependantpas capable d’oxyder Fe2+.

Dans ce même genre, on retrouve A. caldus, uneacidophile thermophile modérée qui occupe les envi-ronnements miniers, notamment les déchets résultantde l’exploitation du charbon, mais également les bio-réacteurs industriels où s’effectuent une dissolutionoxidative des minéraux contenant du sulfure. Cettebactérie utilise le CO2 atmosphérique comme sourcede carbone en effectuant une réduction de ce gaz. Elleest également capable d’utiliser une grande gammede composés soufrés, mais est incapable comme A.thiooxidans, d’oxyder le fer ferreux ou la pyrite. Le prin-cipal produit de l’oxydation des composés soufrés ré-duits est H2SO4, justifiant ainsi son adaptation à despH très acides.

D’autres acidophiles sont regroupées dans le genreLeptospirillum, et sont également des micro-orga-nismes autotrophes à Gram négatif (pH optimum 1,5-1,8), capables de n’utiliser que le fer comme sourced’énergie. L’affinité que ces micro-organismes ont visà vis du fer est élevée et contrairement à A. ferrooxi-dans, la capacité qu’ils ont à oxyder le fer ferreux n’estpas inhibée par le produit de la réaction d’oxydation (lefer ferrique). Ce sont des aérobies stricts. Trois es-pèces se différencient clairement sur la base de ca-ractères phylogénétiques : L. ferrooxidans(température optimale de croissance 26-30°C), L. fer-riphilum (température optimale de croissance située

entre 30 et 40°C) et “L. ferrodiazotrophum”. L. fer-rooxidans est celle qui domine dans des écosystèmesnaturels comme le Río Tinto, alors que L. ferriphilumse retrouve principalement dans les autres environne-ments acides tels que « Iron Mountain » en Californieou les bioréacteurs industriels.

Toujours chez les bactéries à Gram négatif, desespèces du genre Acidiphilium ont été caractérisées.Elles sont acidophiles et hétérotrophes et appartien-nent au phylum des alphaprotéobactéries. Malgré cecaractère hétérotrophe, elles restent toujours asso-ciées phylogénétiquement aux acidithiobacilles ouleptospirilles chimio-lithotrophes. Ces micro-orga-nismes sont capables d’utiliser des composés carbo-nés réduits comme donneurs d’électrons en utilisantle fer ferrique comme accepteur final d’électrons.Quelques espèces peuvent également réduire le fermalgré la présence d’oxygène.

Parmi les bactéries à Gram positif, on compte lesespèces du genre Sulfobacillus, caractérisées par uncontenu à faible G+C % de leur ADN. Ce sont des aci-dophiles modérées thermophiles capables de sporu-ler. Elles ont été isolées d’environnementsgéothermaux et dans le cadre de procédés biohydro-métallurgiques. Elles croissent de manière autotropheentre 40 et 60ºC, utilisant le fer ferreux, le soufre élé-mentaire et les minéraux sulfurés comme sourcesd’énergie. Les membres de ce genre sont capables decroître également en mixotrophie dans des milieuxcontenant du fer ferreux et de l’extrait de levure, ou en

35

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

Tableau 10.2. : Comparaison des propriétés phénotypiques des micro-organismes acidophiles oxydant le fer.

Caractéristiques Leptospirillumferrooxidans

Acidithiobacillusferrooxidans

Ferrimicrobiumacidiphilum

Sulfobacillusacidophilus

Acidimicrobiumferrooxidans

Morphologiedes cellules Vibrios 1 µm, spirilles Bâtonnets Bâtonnets Bâtonnets Bâtonnets

1,5 µm filaments

pH Optimum 1,5-2,0 2,5 2,0-2,5 2 2

mol %G+C 51-56 58-59 52-55 55-57 67-68,5

Oxidation du S0 – + – + –

Réductiondu fer – + + + +

Présenced’endospores – – – + –

Mobilité ++ + + + +

Utilisationde l’extrait de levure – – + + +

Croissance à 50°C – – – + –

Page 36: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

hétérotrophie et dans ce cas, le glucose peut alors êtreutilisé comme source de carbone et d’énergie.

En ce qui concerne Acidimicrobium ferroxydans,considérée également comme une bactérie thermo-phile, elle croît en autotrophie en oxydant le fer ferreuxen aérobiose et en réduisant le fer ferrique en anaéro-biose. Les souches qui ont été isolées à ce jour re-quièrent des sources de carbone assez variées pourleur croissance.

On compte aussi chez les bactéries à Gram positifacidophiles les espèces du genre Desulfosporosinusqui présentent la particularité de réduire le sulfate ensulfure. Ces bactéries dites « bactéries sulfato-réduc-trices » n’ont été repérées que très récemment dansles environnements acides (González-Toril et al.,2005) où elles sont susceptibles d’utiliser l’hydrogèneet le glycérol, comme sources d’énergie. En produisantdes sulfures, ces micro-organismes se trouvent par-faitement adaptés à la biorémédiation des eaux in-dustrielles contaminées par les métaux lourds qui sontalors précipités en sulfures métalliques.

Domaine des archéesLes acidophiles aérobies ou anaérobies facultatifs

du domaine des archées colonisent des biotopescomme les sites d’activités minières et les solfataresoù le fer comme le soufre se trouvent à l’état réduit.On les rencontre dans deux groupes différents d’unpoint de vue phylogénétique, à savoir l’ordre des Sul-folobales et des Thermoplasmatales. Ces groupes pré-sentent des caractéristiques phénotypiquesdifférentes. Quelques représentants des Sulfolobales,(i.e. Acidianus brierleyi ou des espèces du genre Me-tallosphaera), obtiennent de l’énergie en oxydant lesoufre, les minéraux sulfurés ou le fer ferreux. D’au-tres membres de l’ordre des Sulfolobales, i.e. Sulfolo-bus acidocaldarius et Sulfolobus solfataricus,n’utilisent que le soufre élémentaire et les composéssoufrés réduits. Le soufre élémentaire ainsi que les mi-nerais de fer sulfureux sont des sources d’énergie po-tentielles pour Sulfolobus metallicus. Parmi lesmembres de l’ordre des Sulfolobales reconnus commeayant la capacité de croître en chimiolithotrophie, seulsS. metallicus et Acidianus ambivalens sont considéréscomme des chimio-lithototrophes obligatoires. D’unpoint de vue phénotypique, Sulfolobus acidocaldariusressemble morphologiquement et physiologiquementà Acidianus brierleyi qui fût le premier micro-organismethermophile chimio-lithotrophe acidophile caractérisé.Ces deux espèces sont cependant différenciables d’unpoint de vue génotypique. En ce qui concerne l’ordredes Thermoplasmatales, seules les espèces du genreFerroplasma, en l’occurrence Ferroplasma acidiphilum

et Ferroplasma acidarmanus, sont acidophiles chimio-lithotrophes capables d’oxyder le fer. Elles nécessitentcependant des traces d’extrait de levure lors d’unecroissance autotrophe. Ferroplasma acidarmanus estconsidéré comme un extrême acidophile capable depousser à un pH proche de zéro. Ce dernier a été isoléde biofilms de sédiments pyritiques originaires de lamine d’«Iron Mountain». On retrouve également lessouches de ce genre dans des réacteurs destinés à labiolixiviation des métaux, suggérant ainsi le rôle éco-logique que joue ce type de micro-organismes bien audelà des écosystèmes naturels. Pour les représentantsdes autres genres, Thermoplasma et Picrophilus, cesont des archées hétérotrophes. Dans l’environnementdu Rio Tinto, sont retrouvés essentiellement des re-présentants de l’ordre des Thermoplasmatales, no-tamment Thermoplasma acidophilum et Ferroplasmaacidiphilum.

Domaine des EucaryaIl a été rapporté l’existence d’une grande diversité

d’eucaryotes associée aux environnements acides,notamment dans les sites d’activités minières (Ama-ral-Zettler et al., 2003). Malheureusement, nousn’avons que peu d’informations sur les représentantsde ce domaine qui ne sont pas particulièrement adap-tés d’un point de vue physiologique et morphologiquepour lutter contre le stress acide. Au delà de l’adapta-tion à ces conditions acides, ces micro-organismesdoivent également développer des mécanismes de ré-sistance aux métaux et métalloïdes qui sont le plussouvent des composants d’importance qualitativementet quantitativement dans les environnements acides.Dans le Bassin du Rio Tinto, les espèces les plus fré-quemment rencontrées appartiennent au phylum Chlo-rophyta (Chlamydomonas, Chlorella, et Euglena),suivies de deux algues filamenteuses appartenant auxgenres Klebsormidium et Zygnemopsis. Dans la partiela plus acide du Rio Tinto, on retrouve une populationd’eucaryotes dominée par deux espèces du genre Du-naliella et Cyanidium, qui sont bien connues pour leurtolérance à l’acidité et aux métaux lourds. Les cham-pignons y sont également abondants et divers d’unpoint de vue taxonomique, et comprennent des levuresou des formes filamenteuses. La communauté mixo-trophe est représentée essentiellement par les Cerco-monades et les straménopiles. Les protistes ne sontpas absents de tels écosystèmes où sont recensésdeux ciliés qui appartiendraient aux genres Oxytrichiaet Euplotes. Des amibes affiliées aux genres Valh-kampfia et Noegleria sont également rencontrées auxendroits les plus acides du Rio. Une espèce du genreActinophyris, apparaît comme étant un des prédateurs

36

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

Page 37: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

les plus caractéristiques de la chaîne alimentaire ben-thique de cette rivière acide.

10.6.3. ECOLOGIE MICROBIENNE D’UN ENVIRONNEMENTACIDE EXTRÊME : LE RIO TINTO

Bien que l’isolement et la caractérisation demicro-organismes restent des approches indispen-sables pour analyser à la fois la biodiversité d’unécosystème et son fonctionnement, il n’en est pasmoins indéniable que l’introduction d’outils molécu-laires tels que l’hybridation à fluorescence in situ(FISH), la séparation par électrophorèse en gel dé-naturant (DGGE en anglais) des gènes codant pourl’ARNr amplifié, ou le clonage ont complètement bou-leversé le concept que nous avions de l’écologie mi-crobienne en général (Amann et al., 1990),notamment en ce qui concerne la caractérisation desenvironnements extrêmes et les environnementsacides plus particulièrement.

En combinant l’utilisation de techniques propres àla microbiologie classique (cultures d’enrichissement,isolement et caractérisation phénotypique) à celle detechniques dites « moléculaires » (DGGE, FISH ouclonage), il a été possible d’identifier les micro-orga-nismes les plus représentatifs du Bassin du Rio Tinto(González-Toril et al., 2003). Quatre vingt pour cent dela diversité dans la colonne d’eau correspondent à desmicro-organismes qui appartiennent à Leptospirillumferrooxidans, Acidithiobacillus ferrooxidans et plusieursautres espèces du genre Acidiphilium, qui se singula-risent par leur rôle notoire dans le cycle du fer.

Toutes les souches isolées du Río Tinto et affiliéesà L. ferrooxidans sont des bactéries aérobies capablesd’oxyder le fer. En ce qui concerne celles affiliées à A.ferrooxidans, elles ont la capacité à la fois d’oxyder etde réduire le fer. Tous les isolats du genre Acidiphilium,sont des hétérotrophes pouvant oxyder les composésorganiques réduits en utilisant le fer ferrique commeaccepteur final d’électrons (respiration anaérobie).Certains de ces isolats peuvent également oxyder cescomposés en présence d’oxygène. Bien que d’autresmicro-organismes oxydant le fer (Ferroplasma spp.,Thermoplasma acidophilum, Acidimicrobium spp. et“Ferromicrobium” spp.) ou le réduisant (Acidimicro-bium spp. and “Ferromicrobium” spp.) aient été détec-tés dans l’écosystème du Tinto, ils semblent être peureprésentatifs de la biodiversité indigène de cet envi-ronnement et ne seraient donc pas impliqués de ma-nière importante dans le cycle du fer, tout du moins auniveau de la colonne d’eau.

Parmi les bactéries isolées, seule A. ferrooxidansintervient dans le cycle du soufre en oxydant les com-posés réduits soufrés. Cette oxydation peut s’effectuernon seulement en condition aérobie, mais aussi encondition anaérobie. Concernant toujours, le cycle dusoufre, une activité liée à la sulfato-réduction (activitéessentiellement anaérobie) a été également détectéedans les sédiments à certains endroits de la rivière.

En considérant les caractéristiques géomicrobiolo-giques du Rio Tinto telles qu’établies ci-dessus, nousne pouvons que soulever l’importance du fer dans lesmécanismes biotiques et abiotiques qui régissent cetenvironnement extrême (González-Toril et al., 2003).Le fer au niveau de cette niche écologique résulteraitde la biolixiviation de la pyrite ou d’autres minéraux sul-furés contenant du fer comme la chalcopyrite, cesdeux éléments se retrouvant en fortes concentrationsdans la ceinture Pyritique Ibérique qui entoure le RíoTinto. L’activité des procaryotes oxydant le fer seraitdonc responsable :(i) de la solubilisation des minéraux sulfurés,(ii) des teneurs élevées en fer ferrique, sulfate et pro-

tons dans la colonne d’eau. On sait par ailleurs quele fer ferrique est un oxydant puissant capabled’oxyder directement les minéraux sulfurés.

De leur côté, les micro-organismes soufre-oxydantssont responsables de la production d’acide sulfuriqueen oxydant le soufre élémentaire résultant d’une at-taque chimique des sulfures solubles acides par lespolysulfures. La figure 10-16 présente un modèle géo-microbiologique des différents micro-organismes aci-dophiles interagissant aussi bien dans le cycle du ferque dans celui du soufre au niveau de l’“écosystèmeTinto”.

Le fer présente différentes propriétés d’importanceécologique qui confèrent des perspectives scienti-fiques intéressantes, notamment pour l’apport d’unemeilleure connaissance du biofonctionnement des en-vironnements acides en général et du Rio Tinto en par-ticulier. En effet, le fer n’est pas seulement une sourced’énergie pour les procaryotes ferro-oxydants, il peutégalement servir d’accepteur d’électrons lors de la res-piration anaérobie. Le fer ferrique est également res-ponsable du maintien du pH de l’écosystème.

Fe3+ + 3H2O ↔ Fe(OH)3 + 3H+

L’effet dilution de la rivière dû à la pluie ou à l’entréed’affluents à pH neutre favorise la précipitation de l’hy-droxyde ferrique et la génération de protons, qui main-

37

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

Page 38: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

tiennent aussi l’acidité de la rivière. Bien que cetteréaction soit réversible, cet «effet dilution» a plus d’im-pact que l’évaporation et par voie de conséquence unepartie importante du fer reste sous forme précipitée surles berges de la rivière, donnant ainsi naissance à desbioformations ferreuses. Il en résulte par conséquentune diminution de la concentration en fer solubled’amont en aval de la rivière. De plus les solutions defer ferrique absorbent avec une grande efficacité lesradiations ultraviolettes, protégeant ainsi les micro-or-ganismes environnants. L’importance de ces phéno-mènes biotiques et abiotiques en relation avec le cycledu fer est rapportée dans la figure 10-16.

Ce scénario qui met en exergue le rôle primordialdu fer apparaît comme parfaitement en adéquationavec la présence de procaryotes chimiolithotrophesque l’on retrouve dans l’écosystème Tinto ou d’autresenvironnements acides. Il reste cependant remarqua-ble que dans ces environnements, la diversité des eu-caryotes est largement supérieure à la diversité desprocaryotes. En effet, la plus grande partie de la pro-duction primaire de cet écosystème dérive de l’acti-vité de protistes photosynthétiques. On peut doncsupposer que ces eucaryotes savent tirer un certainavantage à se développer dans de telles conditionsphysico-chimiques extrêmes. Une explication plausi-ble de la présence de leur grande diversité, serait ladisponibilité limitée du fer dans des écosystèmes à pHneutre. En effet, alors même que le fer est un élémentextrêmement important pour la vie, il reste néanmoinsun facteur limitant pour toute croissance à pH neutre.De ce fait, les organismes ont élaboré et développédes mécanismes très spécifiques pour récupérer le ferde l’environnement. Quelle en est finalement la rai-son, si l’on considère que le fer est un des élémentsles plus abondants sur notre planète ? Dans une at-mosphère oxydée à pH neutre, le fer soluble est rapi-dement oxydé en composés insolubles, qui sont alorsincorporés dans les sédiments anaérobies. Les bac-téries sulfato-réductrices (BSR) peuvent alors inter-venir pour les transformer en pyrite, qui est lui peuréactif. Par conséquent, le recyclage géologique deces sédiments et les phénomènes géomicrobiolo-giques associés au cycle du fer restent les seulsmoyens pour réintroduire cet élément d’importancedans la biosphère. Une des raisons de retrouver uneimportante diversité de micro-organismes eucaryotesdans le Rio Tinto, pourrait donc être liée essentielle-ment à la grande disponibilité du fer dans ce typed’habitat.

Ce scénario de faible disponibilité en fer a-t-il étéune constante dans l’histoire de la vie sur terre ? Rienn’est moins sûr. En effet, d’après plusieurs auteurs, les

océans primitifs contenaient d’importantes concentra-tions en fer soluble et la concentration en oxygène yétait très faible. Tenant compte de ces particularitésphysico-chimiques, il est donc raisonnable de postulerque l’émergence de la vie aurait pu se faire quasimentdans des conditions anaérobies en tirant de l’énergiede processus oxydo-réductifs du fer. En ce quiconcerne le cycle du soufre, il n’aurait pas été parfai-tement opérationnel durant cette période, mais plutôtau Protérozoïque, période géologique pendant la-quelle il y aurait eu une séquestration massive des mé-taux et une déficience marquée en azote qui auraienteu des conséquences importantes sur l’évolution.

Comme nous pouvons le voir, le rôle joué par le ferdans l’histoire de la terre reste une question d’actualitéà laquelle il est toujours difficile de répondre. Il ne sub-siste par contre aucun doute sur l’importance réelledes micro-organismes dans la mobilisation de ce métaldans l’environnement. À ce jour, nous ne sommesdonc pas sûrs que le Bassin du Tinto ou d’autres éco-systèmes similaires soient des reliques de cette pé-riode de l’histoire de la vie sur la terre où le fer étaitfacilement accessible. Dans de telles niches écolo-giques, l’apparition de la vie pourrait être également lerésultat d’une adaptation récente des micro-orga-nismes chimiolithotrophes à ce type d’environnementscapables de maintenir suffisamment de fer en solutionpour générer une acidité constante. En ce quiconcerne cette adaptation des micro-organismes, desétudes physiologiques préliminaires conduites sur desprotistes photosynthétiques acidophiles suggèrentqu’ils s’intègrent plutôt facilement dans les environne-

38

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

Figure 10-16 : Modèle géomicrobiologique du Rio Tinto et rôle des diffé-rents micro-organismes isolés et identifiés dans le Rio Tinto dans les cy-cles du soufre et du fer.

Page 39: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

ments extrêmement acides. Il en découle que si dessystèmes cellulaires plus évolués comme les euca-ryotes sont capables de s’adapter à de telles condi-tions physico-chimiques drastiques, cela ne poseforcément aucun problèmes à ceux qui le sont moinscomme les procaryotes. Comme nous venons de levoir, la diversité en eucaryotes du Tinto semble êtresupérieure à la diversité des procaryotes. Bien quecela puisse être à priori étonnant, il n’en reste pasmoins vrai que nous en sommes toujours à uneconnaissance encore limitée du biofonctionnementdes ces environnements extrêmes. En fait, cette di-versité procaryotique pourrait être plus importantedans les sédiments anaérobies ou dans l’environne-ment profond de la ceinture Pyritique Ibérique encoreinexplorés. Il ressort de toutes ces observations faiteset hypothèses formulées sur la vie dans les milieuxacides qu’un certain nombre de questions doivent êtreclarifiées par la communauté scientifique pourconclure définitivement sur l’origine et le rôle des dif-férents composants de cet habitat singulier.

Au final, l’exploration des environnements « acidesextrêmes » de la planète a permis de répondre àquelques questions basiques concernant :(i) la biodiversité microbienne occupant ces niches

écologiques particulières,(ii) le type précis de micro-organismes intervenant ac-

tivement dans les cycles du fer et du soufre, cyclesdont le biofonctionnement est capital pour mainte-nir la vie en condition acide,

(iii) la présence inattendue d’une diversité eucaryo-tique conséquente,

(iv) la caractérisation des bioformations ferreuses.Comprendre le fonctionnement de ces écosystèmesest nécessaire pour améliorer notre connaissance deshabitats atypiques et tirer des conclusions aussi biengéomicrobiologique, paléontologique, astrobiologiquequ’évolutif à l’échelle de la planète. Cela nous per-mettra également d’améliorer les performances deprocédés biotechnologiques, tels que la biolixiviationen milieu minier, ou de rechercher de nouvelles appli-cations industrielles qui mettraient en jeu les micro-or-ganismes acidophiles ou les molécules secrétés parces derniers.

10.7. LES MICRO-ORGANISMESALCALIPHILES

10.7.1. INTRODUCTION

Les micro-organismes dont le développement estfavorisé par un pH élevé se classent en deux groupes:les micro-organismes alcalitolérants capables de croî-tre à un pH supérieur ou égal à 9, mais dont la crois-sance est optimale à un pH proche de la neutralité, etles micro-organismes alcaliphiles dont la croissanceest optimale à un pH supérieur à 9. Les micro-orga-nismes alcaliphiles peuvent être, à leur tour, subdivi-sés en deux groupes, les alcaliphiles facultatifs et lesalcaliphiles obligés. Le premier groupe de bactéries sedéveloppe à un pH supérieur à 9 mais aussi à un pHproche de la neutralité, tandis que le second grouperenferme des bactéries qui ne peuvent pas se déve-lopper à des pH inférieurs à 8,5-9.

Certains micro-organismes alcaliphiles sont aussihalophiles (haloalcaliphiles); ils sont capables de se dé-velopper en présence de concentration en NaCl pou-vant aller jusqu’à la saturation. Les micro-organismesalcaliphiles sont ubiquistes; au contraire des autresmicro-organismes extrêmophiles que l’on trouve prin-cipalement dans les milieux extrêmes correspondants,on rencontre les micro-organismes alcaliphiles dans lesmilieux ayant un pH élevé mais aussi souvent dansceux à pH neutre. Il y a peu d’environnements naturel-lement alcalins sur Terre; les plus remarquables sontles lacs et les déserts sodiques, les sources alcalines,les microniches alcalines telles que certaines partiesde l’estomac des termites et les environnements conte-nant des matières protéiques en cours de décomposi-tion. Il existe aussi des environnements alcalins quirésultent de l’activité humaine comme les déchets del’industrie alimentaire et d’autres procédés industriels.

Les micro-organismes alcaliphiles font l’objet demultiples travaux en raison des nombreuses applica-tions industrielles que présentent leurs enzymes etpour la nouvelle perspective de diversité microbienneet des mécanismes d’adaptation à ce type particulierde conditions extrêmes.

10.7.2. LES ÉCOSYSTÈMES ALCALINS

L’alcalinité des milieux alcalins naturels est due àla présence de carbonate de sodium en quantités trèsimportantes. Globalement il existe deux types d’envi-ronnements alcalins qui diffèrent par leur salinité(NaCl) : les environnements alcalins salés à fortementsalés et les environnements alcalins faiblement salés.

39

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

Page 40: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

Les premiers sont représentés par les lacs sodiquesou natronés ; ils correspondent aux environnementsalcalins naturels les plus stables sur la Terre. On lestrouve dans des bassins fermés situés dans les zonesarides où les vitesses élevées d’évaporation contri-buent à la concentration des sels et des carbonates. Ilspeuvent avoir une salinité pouvant atteindre 35 % deNaCl et des valeurs de pH comprises entre 8 et 12. Ilssont caractérisés par des concentrations élevées encarbonate de sodium (Na2CO3) et de faibles concen-trations en ions calcium (Ca2+) et magnésium (Mg2+).Les lacs et les déserts sodiques se trouvent ainsi dansdiverses parties du monde, sur le continent américain,en Australie, et en Afrique (Tableau 10.3.). En Asie, onrencontre des lacs sodiques en Turquie, en Inde et enChine, et en Europe, on les rencontre en Hongrie etdans l’ex-Yougoslavie ainsi que dans les pays de l’ex-URSS. Les lacs sodiques les mieux caractérisés sontceux de la vallée du Rift en Afrique de l’Est. Leur for-mation résulte de la combinaison de facteurs géolo-giques, géographiques et climatiques: lessivage desroches environnantes riches en carbonate de sodiumpar les eaux souterraines et de ruissellement, accu-mulation dans une dépression et évaporation élevée.

Leur alcalinité élevée est le résultat d’un déplacementde l’équilibre CO2/HCO3

-/CO32- vers une dominance de

CO32- à cause de l’absence d’ions Ca2+. En effet,

lorsqu’il est présent, le Ca2+ diminue l’alcalinité en pro-voquant la précipitation du CO3

2- en calcite insoluble(CaCO3). C’est le cas pour les eaux saumâtres qui dé-rivent de l’eau de mer. Elles présentent généralementdes concentrations élevées en Ca2+ et elles ont un pH

40

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

EUROPE

Hongrie Lac Fehér

Slovénie Pecena Slatina

Russie

Steppes de Kulunda, Lacs Ta-natar, Karakul, Plainesd’Araxes, Chita, Barnaul, Slav-gerod

AFRIQUE ET MAHGREB

Libye Lac Fezzan

Egypte Wadi Natrum

EthiopieLac Aranguadi, Lac Kilotes, Lac Abiata,Lac Shala, Lac Chilu, Lac Herlate, LacMetahara

Soudan Lacs Dariba

KenyaLac Bogoria, Lac Nakuru, Lac Elmenti-eta, Lac Magadi, Lac Simbi, LacSonachi

OugandaLac Katwe, Lac Mahega, Lac Kikorongo,Lac Nyamunuka, Lac Munyanayange,Lac Murumuli, Lac Nunyampaka

Tanzanie

Lac Natron, Lac Embagi, Lac Magad,Lac Manyara, Lac Balangida, Basotu,Lac Crate, Lac Kusare, Lac Tulusia, ElKekhooito, Lac Momela, Lac Lekandiro,Lac Reshitani, Lac Lgarya, Lac Ndutu,Lac Ruckwa North

Tchad Lac Bodu, Lac Rombou, Lac Djikare,Lac Momboio, Lac Yoan

Tableaux 10.3 : Distribution des environnementsalcalins naturels (lacs et des déserts sodiques)

AMÉRIQUE DU NORD

Canada Manito

Etats-Unis

Alkali valley, Albert Lake, SoapLake, Big Soda Lake, OwensLake, Mono Lake, DeepSprings, Rhodes Marsh, Sum-mer Lake, Surprise Lake, Pyra-mid Lake, Walker Lake

AMÉRIQUE CENTRALE

Mexique Lac Texcoco

ASIE

Asie Centrale Lacs de Tuva

Turquie Lac Van

Inde Lac Looner, Lac Sambhar

ChineQinhgai Hu, Sui-Yian, Heilung-kiang, Kirin, Jehol, Chahar,Shansi, Shensi, Kansu

Tibet Lac Soda

AMÉRIQUE DU SUD

Venezuela Vallée de la Langunilla

Chili Antofagasta

AUSTRALIELac Corangamite, Lac red Rock,Lac Waerowrap, Lac Chidnup

Page 41: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

proche de la neutralité, même lorsqu’elles sont trèsconcentrées car la concentration en ions Ca2+ excèdetoujours celle du CO3

2-. Les environnements alcalinsfaiblement salés sont plus rares.

Les sources thermales avec un contenu élevé encalcium constituent un autre type de milieu naturel for-tement alcalin que l’on trouve en différentes régions duglobe : en Californie, Oman, Chypre, en ex-Yougosla-vie et en Jordanie. La composition chimique de ceseaux est similaire à celles qui sont produites par les ci-menteries. Elles sont le résultat du lessivage, par l’in-termédiaire du CO2, des minéraux riches en calciumet magnésium, que sont l’olivine et le pyroxène. Leurdécomposition libère des ions OH- et des produits dedégradation qui, avec les ions Mg+ libérés, précipitentpour former de la serpentine et de la chaux éteinte(Ca(OH)2). Le pH de ce type d’eaux peut atteindre desvaleurs supérieures à 11. Quelques études prélimi-naires de ces sources font état de faibles populationsbactériennes dont la composition est analogue à cellesde sols et d’eaux moins alcalins.

Les termites hébergent une grande variété demicro-organismes dans les différents compartimentsqui composent leur intestin. Le premier compartimentde l’intestin des termites supérieurs présente un pHtrès élevé, compris entre 10 et 12, et est très riche enions K+. Cependant, la plupart des bactéries alcali-philes isolées de l’intestin des termites sont des alca-litolérants. Des micro-organismes capables de sedévelopper à pH alcalin sont aussi fréquemment isolésdu sol. Les processus microbiens du sol, en particulierl’ammonification, peuvent entraîner une alcalinisationlocalisée du sol. Il est admis que certaines bactériesalcaliphiles, par leur métabolisme, sont capables demodifier localement le pH créant ainsi des micronichesalcalines. Dans d’autres cas, c’est l’activité métabo-lique d’autres micro-organismes qui élève suffisam-ment le pH pour permettre le développement desalcaliphiles. La majorité des bactéries alcaliphiles iso-lées de tels environnements non alcalins, sont des bâ-tonnets sporulés à Gram positif qui appartiennent pourla plupart au genre Bacillus. Les autres bactéries al-calitolérantes appartiennent aux genres Aeromonas,Corynebacterium, Micrococcus, Paracoccus, Pseudo-monas et Streptomyces.

Enfin, il existe des environnements alcalins d’origineanthropique. Ils sont associés à l’usage d’alcalis (géné-ralement la soude) dans différents procédés industriels(galvanoplastie, industries alimentaire et papetière) oudérivés de la production de chaux éteinte ou d’hydro-xyde de calcium (cimenterie, hauts fourneaux). Lesrares études de microbiologie réalisées montrent queces environnements sont peuplés par des bactéries al-

calitolérantes et alcaliphiles du même type que cellesisolées des environnements non alcalins.

10.7.3. DIVERSITÉ MICROBIENNE DES LACS SODIQUES

Malgré les conditions extrêmes en termes d’alcali-nité et de salinité qui règnent dans les lacs sodiques,les différents groupes trophiques composant la micro-flore sont analogues à ceux composant les commu-nautés microbiennes rencontrées dans desenvironnements plus traditionnels, excepté qu’ils sonttous alcalitolérants ou alcaliphiles (Grant, 1992). Le ta-bleau 10.4. présente l’ensemble des genres bacté-riens isolés des environnements alcalins. Lescommunautés haloalcaliphiles les plus étudiées ontété les communautés productrices primaires (cyano-bactéries et bactéries pourpres anoxygéniques) et lesbactéries fermentaires anaérobies. Les bactéries fer-mentaires sont principalement représentées par lesbactéries à Gram positif de faible G+C %.

Récemment, des bactéries responsables de l’oxy-dation des composés inorganiques réduits comme leméthane, l’hydrogène, les sulfures et l’ammoniaque pro-duits par les anaérobies haloalcaliphiles dans les sédi-ments des lacs sodiques ont été identifiées. Cependant,certaines voies métaboliques, possibles sur le plan de lathermodynamique, n’ont encore pas été mises en évi-dence chez les haloalcaliphiles. En particulier, les micro-organismes utilisateurs de l’acétate comme donneurd’électrons dans les lacs sodiques n’ont pas été identi-fiés, ni ceux qui pourraient tirer bénéfice de l’utilisationdu NO (au lieu de la réduction du nitrite/nitrate) au coursde la dénitrification hétérotrophe.

Tableau 10.4. Principaux genres bactériens renfer-mant des espèces alcaliphiles facultatives ou obli-gatoires

DOMAINE BACTERIA

PHYLUM CYANOBACTERIA

CyanobacteriaArthrospira, Spirulina, Anabae-nopsis, Cyanospira

PHYLUM ACTINOBACTERIA

ActinomycetalesCellulomonadaceae

CellulomonasDietziaceae

DietziaMicrococcaceae

Arthrobacter, NesterenkoniaBogoriellaceae

Bogoriella

41

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

Page 42: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

PHYLUM BACTEROIDETES

BacteroidalesRikenellaceae

Alkaliflexus (tolérance O2)Sphingobacteria

SphingobacterialesFlexibacteraceae

RhodonellumPHYLUM FIRMICUTES

BacilliBacillales

BacillaceaeBacillus, Anoxybacillus, Amphi-bacillus, Alkalibacillus, Caldal-kalibacillus, Exiguobacterium,Oceanobacillus, Paenibacillus,Natronobacillus

StaphylococcaceaeSalinicoccus

LactobacillalesCarnobacteriaceae

Alkalibacterium, Carnobacte-rium, Marinilactibacillus

ClostridiaClostridiales

EubacteriaceaeAlkalibacter

ClostridiaceaeClostridium (cluster XI), Alkali-philus, Anoxynatronum, Natro-nincola, Tindallia

SyntrophomonadaceaeAnaerobranca, Dethiobacter

HeliobacteriaceaeHeliorestis

NatranaerobialesNatranaerobiaceae

NatranaerobiusHalanaerobiales

HalanaerobiaceaeNatroniella

HalobacteroidaceaeHalonatronum

PHYLUM PROTEOBACTERIA

AlphaproteobacteriaRhizobiales

NitrobacteraceaeNitrobacter

RhodobacteralesRhodobacteraceae

Rhodobaca, RoseinatronobacterBetaproteobacteria

NitrosomonadalesNitrosomonadaceae

NitrosomonasDeltaproteobacteria

Desulfobacterales

DesulfobulbaceaeDesulfurivibrio

DesulfovibrionalesDesulfohalobiaceae

DesulfonatronospiraDesulfonatronaceae

Desulfonatronovibrio, Desulfo-natronum, Desulfotomaculum

DesulfuromonadalesGeobacteraceae

GeoalkalibacterGammaproteobacteria

ChromatialesEctothiorhodospiraceae

Alkalilimnicola, Alkalispirillum,Thiorhodospira, Thioalkalispira,Thioalkalivibrio, Ectothiorhodos-pira, Halorhodospira

ChromatiaceaeThioalkalicoccus

MethylococcalesMethylococcaceae

Methylomicrobium (Methyloha-lobius)

OceanospirillalesOceanospirillaceae

MarinospirillumHalomonadaceae

HalomonasPseudomonadales

PseudomonadaceaePseudomonas

ThiotrichalesPiscirickettsiaceae

Methylophaga, Thioalkalimicro-bium

AlteromonadalesAlteromonadaceae

Nitrincola, SalinimonasVibrionales

VibrionaceaeSalinivibrio

Gammaproteobacteria non classéeAlkalimonas

PHYLUM SPIROCHAETES

SpirochaetesSpirochaetales

SpirochaetaceaeSpirochaeta

DOMAINE ARCHAEA

PHYLUM EURYARCHAEOTA

HalobacteriaHalobacteriales

HalobacteriaceaeNatrialba, Natrinema, Natrono-bacterium, Natronomonas, Na-

42

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

Page 43: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

tronorubrum, Natronolimnobius,Natronococcus, Halorubrobac-terium (Halorubrum)

MethanobacteriaMethanobacteriales

MethanobacteriaceaeMethanobacterium

MethanomicrobiaMethanosarcinales

MethanosarcinaceaeMethanosalsum, Methanohalo-philus

Producteurs phototrophes primairesUne constante remarquable de la plupart des lacs

sodiques est leur couleur. Selon la chimie de leur eau,ils peuvent être vert, rose, rouge ou orange, en raisonde leur abondance permanente ou saisonnière enmicro-organismes. Cela est le reflet d’une productioncarbonée primaire extrêmement élevée, plus de 10 gde C m-2 j-1. En effet, les lacs sodiques sont localisés,pour la plupart, dans des régions du monde qui béné-ficient d’un fort ensoleillement et où la température estélevée (30-35 °C). La disponibilité en phosphate et ladisponibilité quasi-illimitée du CO2 dans ces eauxriches en carbonate favorisent aussi la photosynthèse.Les principaux producteurs de matière organique dansles lacs sodiques sont des micro-organismes proca-ryotes : les cyanobactéries et les bactéries photo-trophes anaérobies appelées aussi bactériespourpres.

Les cyanobactéries dominantes ont été peu étu-diées, mais des cyanobactéries filamenteuses (Cya-nospira) et unicellulaires (Chroococcus etPleurocapsa) ont été décrites. Dans certains lacs so-diques, les tapis algaires sont constitués essentielle-ment par des cyanobactéries filamenteuses desgenres Spirulina, Anabaenopsis et Arthrospira. Cescyanobactéries sont aussi impliquées dans la fixationde l’azote atmosphérique.

Les lacs faiblement alcalins sont généralement do-minés par de gros amas de cyanobactéries tandis queles lacs hyperalcalins comme le lac Magadi renfermentà la fois des cyanobactéries et des bactéries anoxy-géniques phototrophes appartenant aux genres Ecto-thiorhodospira et Halorhodospira. La productivitéprimaire de ces bactéries phototrophes haloalcaliphilesest vraisemblablement à l’origine de tous les proces-sus biologiques dans les lacs sodiques. Vers le milieudes années 1990, de nouvelles bactéries anoxygé-niques phototrophes ont été isolées de lacs sodiques.Ces bactéries incluent non seulement des bactériespourpres mais aussi des Héliobactéries (Clostridies).Ces dernières diffèrent des espèces haloalcaliphiles

telles que Halorhodospira, à la fois sur le plan de laphylogénie et sur celui de la physiologie, en particulierelles ne nécessitent pas ou peu de NaCl pour leurcroissance. Ces isolats sont très alcaliphiles. Plusieursde ces nouveaux isolats sont à l’origine de nouveauxgenres: Rhodobaca, Thiorhodospira et Thioalkalicoc-cus (toutes des bactéries pourpres) et Heliorestis (He-liobactérie). Rhodobaca présente un intérêt particuliercar elle est dépourvue d’antenne périphérique collec-trice de lumière de type II, propriété originale chez lesbactéries pourpres non sulfureuses, et parce qu’ellesynthétise plusieurs caroténoïdes originaux responsa-bles de la couleur jaune des cultures de ce micro-or-ganisme phototrophe.

Les lacs sodiques hautement salés (NaCl comprisentre 20 % et la saturation) ont une microflore primairedifférente. Les cyanobactéries sont absentes et cesont les Ectothiorhodospira qui sont responsables dela production primaire. Les micro-organismes domi-nants sont des archées haloalcaliphiles, leur popula-tion peut atteindre 107 à 108 bactéries par ml. Lesarchées haloalcaliphiles sont classées en deuxgenres : Natronobacterium et Natronococcus, qui ren-ferment chacun 3 espèces.

Microflore alcaliphile aérobieBien que les environnements alcalins soient le plus

souvent peu profonds et limités en oxygène (eutrophi-sés), ils présentent des populations très denses debactéries organotrophes aérobies non photosynthé-tiques qui utilisent les produits de la photosynthèseaussi bien que les produits de la dégradation anaéro-bie. Relativement peu d’isolats ont été caractérisés etdéposés dans des collections publiques de micro-or-ganismes. Cependant, il semble que la majorité desbactéries à Gram négatif isolées appartient aux gam-maprotéobactéries et comprend de nombreux micro-organismes protéolytiques apparentés au genreHalomonas. Des isolats protéolytiques à Gram négatifont été affiliés aux genres Pseudomonas sensu strictoet Stenotrophomonas, tandis que d’autres souchesétaient apparentées aux bactéries aquatiques typiquestelles qu’Aeromonas, Vibrio et Alteromonas. De ré-centes études sur les populations bactériennes deslacs sodiques sibériens peu salés et quelques lacs dela vallée du Rift au Kenya ont révélé la présence debactéries aérobies chimiolithotrophes sulfo-oxydantesdes genres Thioalkalimicrobium, Thioalkalivibrio etThioalkalispira appartenant aux Gamma Protéobacté-ries. Plus récemment, une nouvelle bactérie hétéro-trophe aérobie, Alkalilimnicola halodurans, de la familleEctorhodospirillaceae, a été isolée des sédiments dulac Natron. De plus, plusieurs bactéries alcaliphiles mé-

43

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

Page 44: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

thanotrophes de la famille des Methylococcaceae ontété isolées de plusieurs lacs alcalins modérément salésd’Asie Centrale et du Kenya, parmi lesquelles Methy-lomicrobium alcaliphilum, Methylomicrobium burya-tense et Methylomicrobium kenyense. Cette dernièreespèce, dont la souche type est la souche AMO1, pos-sède des propriétés originales puisqu’elle est capabled’oxyder l’ammoniaque en nitrite à pH 10-10,5, etd’oxyder aussi des composés organiques soufrés à pHélevé.

Des bactéries chimio-lithotrophes oxydant le nitrite(Nitrobacter alkalicus) appartenant aux alphaprotéo-bactéries ont été isolées de lacs sodiques. Ces bacté-ries nitrifiantes jouent un rôle important dans le cyclede l’azote en convertissant les composés inorganiquesazotés en nitrate.

Des souches aérobies à Gram positif des phyla àfort et à faible % G+C ont été décrites. Les isolats àfaible % G+C sont principalement apparentés au genreBacillus tandis que les isolats à fort % G+C ont été af-filiés aux genres Dietza, Arthrobacter et Terrabacter.Plusieurs espèces de Bacillus ont été récemment re-classifiées dans des genres nouveaux apparentés augenre Bacillus, dont certains, Anoxybacillus, Natrono-bacillus etOceanobacillus, renferment des espèces al-caliphiles. Natronobacillus est une espèce capable defixer l’azote atmosphérique.

Les genres Alkalispirillum et Alkalilimnicola ont étéoriginellement décrits comme des micro-organismeshétérotrophes aérobies non-photosynthétiques avecune tolérance remarquable à l’alcalinité. Bien que lapossibilité de croissance anaérobie avec le nitrate aitété brièvement mentionnée pour Alkalilimnicola, le po-tentiel de dénitrification n’a pas été étudié en détail, nila capacité de croissance en litho-autotrophie. Uneétude du cycle de l’arsenic dans le lac Mono en Cali-fornie a mis en évidence un nouveau métabolisme chi-miolithoautotrophe avec l’arsenic comme seul donneurd’électrons et le nitrate comme accepteur d’électrons.Durant ce processus, l’arsénite est oxydé en arsénateavec la réduction simultanée du nitrate en nitrite. Labactérie responsable de cette réaction est la soucheMLHE-1. Elle a été isolée en culture pure et caracté-risée comme un nouveau membre du groupe Alkalis-pirillum-Alkalilimnicola. De plus, cette bactérie estaussi capable de se développer, en litho-autotrophieavec le sulfure et l’hydrogène comme donneursd’électrons et le nitrate comme accepteur d’électrons,et également en hétérotrophie en utilisant l’acétate enconditions aérobie et dénitrifiante. Ce travail a mis enévidence une versatilité métabolique remarquable,non décrite dans ce groupe de gammaprotéobacté-ries haloalcaliphiles.

Le criblage de nombreux lacs alcalins à forte sali-nité de différentes origines géographiques a montréque les archées haloalcaliphiles de la famille des Ha-lobacteriaceae, connues aussi sous le nom génériqued’ « halobactéries » ou d’ « haloarchaea », étaient tou-jours présentes dans de tels environnements. Cesmicro-organismes sont les plus halophiles que l’onconnaisse. Ils constituent la microflore dominantelorsque les conditions de salinité approchent de la sa-turation et ils sont responsables de la coloration rougedes eaux à cause de leur teneur en caroténoïdes. Leslacs sodiques supportent des amas denses des es-pèces alcaliphiles des genres Natronobacterium, Na-tronococcus, Natronomonas, Natrialba, Natrorubrumet Halorubrum.

Microflore alcaliphile anaérobiePar rapport aux environnements aérobies, les en-

vironnements haloalcalins anaérobies ont été peu étu-diés. Un des processus biologiques qui prédominentdans les lacs sodiques est la sulfato-réduction. Elle estresponsable, non seulement de l’étape finale de la dé-gradation de la matière organique mais aussi, en par-tie, des conditions qui génèrent l’alcalinité du milieucomme le résultat de la transformation du sulfate ensulfure. La première bactérie sulfato-réductrice alcali-phile, Desulfonatronovibrio hydrogenovorans, unmembre des deltaprotéobactéries, a été isolée du lacMagadi, lac sodique hypersalé. Cette espèce a étéégalement trouvée dans les lacs sodiques de la régionde Tuva en Asie Centrale, ce qui a poussé certains au-teurs à proposer que cette espèce pourrait jouer unrôle universel d’accepteur final d’hydrogène dans lescommunautés anaérobies alcaliphiles productrices desulfures. Un autre sulfato-réducteur des deltaprotéo-bactéries, Desulfonatronum lacustre, a été isolé d’unlac alcalin oligotrophe, le lac Khadyn (Tuva). Ces deuxgenres renferment des espèces de BSR à Gram né-gatif, mésophiles et non sporulantes, nécessitant laprésence de carbonate, et qui sont incapables de sedévelopper à des valeurs de pH inférieures à 8. Un sul-fato-réducteur alcaliphile sporulé et modérément ther-mophile, Desulfotomaculum alkaliphilum, a été isoléde lisier de porcs à pH neutre, montrant que l’adapta-tion des micro-organismes aux environnements alca-lins n’est pas la conséquence de modificationsgénétiques profondes, et que des micro-écosystèmesayant un pH et une température élevés peuvent êtrecréés localement dans des substrats compositescomme le sol ou le lisier par ces micro-organismes.

Il n’y a aucun doute que la méthanogénèse inter-vient dans les lacs sodiques. À ce jour, les archéesméthanogènes isolées des lacs sodiques sont majori-

44

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

Page 45: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

tairement des méthylotrophes qui utilisent des compo-sés à un atome de carbone, le méthanol ou la méthy-lamine. Les composés en C1 sont abondants dans leslacs sodiques, ils ont vraisemblablement pour originela dégradation anaérobie des tapis de cyanobactéries.Les archées méthanogènes méthylotrophes isolées deplusieurs lacs sodiques avec des concentrations en selproches de la saturation appartiennent aux genresMe-thanosalsus et Methanohalophilus, famille des Metha-nosarcinaceae (Euryarchaeota). Des archéesméthanogènes hydrogénotrophes du genre Methano-bacterium ont été également mises en évidence dansplusieurs lacs sodiques. Cependant, ces micro-orga-nismes semblent être alcalitolérants plutôt que des al-caliphiles vrais. D’une manière générale, les étudesdes méthanogènes alcaliphiles des sédiments lacus-tres à pH élevés montrent que, dans des conditions defaible salinité, la méthanogénèse à partir de H2/CO2augmente tandis que dans des conditions de salinitéélevée, c’est la méthanogénèse à partir des méthyla-mines qui prédomine.

L’acétogénèse (Natroniella acetigena) et la réduc-tion des nitrates (Halomonas campisalis, Thioalkalivi-brio nitratireducens) sont des activités métaboliquesdéjà détectées dans les environnements alcalins. Na-troniella acetigena est une bactérie halo-alcalineproche des Halobacteroidaceae (ordre des Halanae-robiales) dans le groupe des bactéries à Gram positif.Plus récemment, Halonatronum saccharophilum, unreprésentant modérément halo-alcaliphile chimio-or-ganotrophe de l’ordre des Halanaerobiales a été isoléà partir de sédiments du lac Magadi.

Des micro-organismes fermentant les acides ami-nés appelés ammonifieurs acétogènes ont été isolésdes lacs sodiques. Les deux espèces, Natronincolahistidinovorans et la bactérie non sporulante Tindalliamagadiensis ont été isolées également du lac Magadiet sont phylogénétiquement proches du groupe XI dutaxon des Clostridium. Un certain nombre de clostri-dies alcaliphiles saccharolytiques ont été isolées deslacs Elmenteita, Bogoria et Magadi. Les isolats deslacs Elmenteita et Bogoria sont proches des membresdu groupe XI des Clostridia, tandis que les soucheshaloalcaliphiles du lac Magadi sont phylogénétique-ment proches des membres du genre Moorella(groupe VI des Clostridium).

10.7.4. HOMÉOSTASIE DU PH

Les bactéries alcaliphiles sont également intéres-santes pour le problème de bioénergétique que poseleur croissance dans un milieu où le pH est très élevé.Ces bactéries semblent avoir développé, au cours de

leur évolution, des mécanismes d’adaptation pour pré-venir l’alcalinisation de leur cytoplasme. Dans la mem-brane cellulaire, il existe des mécanismes de régulationdu transport des ions à travers celle-ci qui, dans lesconditions normales, maintiennent le pH cytoplasmiquedans une fourchette assez étroite autour de la neutra-lité (1 à 2 unités), même lorsque le pH extracellulairevarie de façon importante; ces mécanismes sontconnus sous le terme d’homéostasie du pH.

Les micro-organismes alcaliphiles qui se dévelop-pent abondamment à un pH supérieur à 9 exigent laprésence d’ions Na+ dans le milieu environnant pour letransport effectif des solutés à travers la membrane cy-toplasmique. Des études chez des Bacillus alcaliphilesont montré qu’un gradient de Na+ permettait d’obtenirl’énergie nécessaire aux phénomènes de transport etde mobilité, et qu’une force proton-motrice engendraitla synthèse d’ATP à partir de la respiration. D’après lathéorie chimio-osmotique, la force proton-motrice dansles cellules est générée par la chaîne des transpor-teurs d’électrons ou par l’excrétion des protons déri-vés du métabolisme de l’ATP par l’ATPase. Lesprotons sont ensuite réincorporés dans les cellules parco-transport avec d’autres substrats. Dans les sys-tèmes de transport Na+-dépendants, les protons sontéchangés avec Na+ par un antiporteur H+/Na+, géné-rant ainsi une force sodium motrice qui achemine lessubstrats avec les ions Na+ dans les cellules. L’exi-gence spécifique en Na+ des bactéries alcaliphiles re-quiert une voie efficace de réintroduction des ions Na+

dans la cellule pour que l’antiporteur continue de fonc-tionner. Au moins deux mécanismes sont importants,les symporteurs Na+/solutés et les canaux à sodium.Le fonctionnement précis de ces processus demeureun aspect intéressant des travaux menés sur les bac-téries alcaliphiles.

10.7.5. APPLICATIONS BIOTECHNOLOGIQUESDES MICRO-ORGANISMES ALCALIPHILES

Les communautés microbiennes des milieux alca-lins naturels comme les lacs sodiques ont, depuis long-temps, attiré l’attention des industriels en raison desnombreuses possibles utilisations de leurs enzymesou de leurs métabolites dans les procédés industriels.Les micro-organismes alcaliphiles ont un intérêt com-mercial pour la production d’enzymes comme les pro-téases alcalines couramment utilisées dans lespoudres de lessives biologiques et dans l’industrie ducuir. L’industrie de l’amidon emploie les cyclodextrineglucanotransférases alcalines pour l’obtention de cy-clodextrines à partir d’amidon en vue de son utilisationen cosmétologie, en pharmacologie, en chimie et dans

45

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

Page 46: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

l’alimentation. Les amylases et les xylanases alcalinesont aussi de nombreuses applications dans l’industriedu papier. Les études des enzymes alcalines se sontessentiellement concentrées sur les micro-organismesles plus couramment observés dans les environne-ments naturels et pour lesquels l’isolement est aisé.Ainsi, de nombreuses espèces de Bacillus alcaliphilesont été isolées en grande partie grâce au travail de Ho-rikoshi et ses collaborateurs (1996).

Le potentiel biotechnologique de certaines archéesa aussi été évalué. Leur chimie est différente de celledes bactéries; ils contiennent, entre autre, des lipidesdont la configuration stéréochimique est très différentede celle des bactéries. L’archée halo-alcaliphile Natro-nococcus strain Ah-36 synthétise une amylase extra-cellulaire qui produit du maltotriose. Le gène de cetteenzyme a été cloné et exprimé dans Haloferax volca-nii. La plus grande partie des micro-organismes ha-loalcaliphiles renferme des pigments impliqués dansla translocation des ions à travers la membrane cellu-laire. La bactériorhodopsine, comme pompe à protonsfonctionnant grâce à l’énergie lumineuse, et l’halorho-dopsine, en tant que pompe permettant l’entrée deschlorures dans la cellule, ouvrent des perspectives bio-technologiques du plus grand intérêt pour l’utilisationdes ces molécules dans différentes applications,comme l’holographie et le stockage de l’information.Sans oublier la production de biomasse de Spirulinacomme source de protéines ; elle est toujours utiliséeen Afrique et dans d’autres régions du monde ; elleconstituait même, au Moyen-Âge, un élément majeurde la ration alimentaire des Aztèques et de certainesethnies en Afrique et l’ESA envisage son utilisationpour le recyclage de la matière organique dans les volsspatiaux de longue durée.

10.7.6. CONCLUSION

En résumé, malgré des conditions apparemmentinhospitalières à cause de conditions alcalines ex-trêmes, et souvent de salinité élevée, les lacs sodiquesrenferment de nombreux micro-organismes représen-tant les principaux groupes phylogénétiques et tro-phiques des bactéries et des archées : cyanobactéries,fermentaires, halophiles aérobies et anaérobies, bac-téries à Gram positif à faible et à % de G + C élevé,Protéobactéries, nitrato- et sulfato-réducteurs, archéesméthanogènes et halophiles. Les cycles élémentairesdu carbone, de l’azote et du soufre sont particulière-ment actifs dans les lacs sodiques. Bien qu’au coursdes dernières années, les études des environnementsalcalins se soient considérablement développées, ladiversité microbienne et la structure des communau-

tés qui s’y développent ainsi que le rôle joué par cer-taines espèces en particulier, ne sont pas entièrementélucidés. Au cours des prochaines années, notreconnaissance de la distribution et de la diversité taxo-nomique des bactéries alcaliphiles sera sans douteaugmentée avec l’isolement et la caractérisation denouvelles espèces, mais aussi par les résultats del’analyse des séquences génomiques directement ob-tenues à partir des environnements alcalins.

10.8. EXTREMOPHILESET EXOBIOLOGIE

L’Exobiologie (les anglo-saxons préfèrent le termed’astrobiologie) a été définie par le Prix Nobel JoshuaLederberg comme la science étudiant la Vie, son ori-gine, son évolution et sa distribution sur Terre et dansl’Univers. Sujet qui existe sans doute sans être nommédepuis le début de l’humanité, sujet complexe car ceuxqui l’étudient (les Humains) ne disposent comme réfé-rences sur la Vie que celles qu’ils ont eux mêmes éta-blies en étudiant la Vie sur la planète Terre.

Il ne fait aucun doute que la Planète Terre, forméepar accrétion il y a plus de 4,5 milliards d’années étaità son origine beaucoup plus hostile qu’aujourd’hui. Enparticulier la température était trop élevée pour que del’eau liquide y demeure : or l’eau liquide est indispen-sable à la Vie (telle que nous la connaissons). 100 à200 millions d’années plus tard, de l’eau liquide existeà la surface de la Terre ; la température est encore trèsélevée, le volcanisme actif, des « objets » énormesfrappent la surface de la Terre (l’impact d’un corps dela taille de Mars dans les 100 premiers millions d’an-nées est à l’origine de la Lune) jusqu’à environ 3,8 Mil-liards d’années.

Un milliard d’années après l’accrétion, il sembleque la Vie se soit mise en place car l’analyse de rochesanciennes où des fossiles attribués à des formes devie ancestrales vraisemblablement anaérobies ont étédécouverts. Encore un peu plus d’un milliard d’annéeset l’oxygène apparaît dans l’atmosphère, suivis encoreun milliard d’années plus tard par les premiers Euca-ryotes (cf. Chapitre 3).

La découverte récente des extrêmophiles, notam-ment celle des hyperthermophiles (ces 20-30 der-nières années) a profondément modifié notreperception de la Vie Terrestre. La Vie n’était pas seu-lement cantonnée dans les environnements convenant

46

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

Page 47: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

à l’Homme, aux animaux et plantes ; elle foisonnait(certes essentiellement par des formes microsco-piques et procaryotiques) dans des endroits de la Terreoù l’Homme ne peut s’aventurer sans protection ousans l’intermédiaire d’une technologie complexe.

Les connaissances sur la Terre primitive révélantdes caractéristiques physicochimiques extrêmes, il yavait tout lieu d’imaginer que les extrêmophiles actuelspouvaient être les descendants des premiers « habi-tants » de la Terre. Cette hypothèse est particulière-ment tentante si l’on regarde l’arbre phylogénétique duvivant basé sur l’analyse des gènes codant l’ARNr16S, où l’on voit que les branches les plus anciennes,tant chez les bactéries que les archées correspondentà des organismes hyperthermophiles . Cette hypo-thèse fut sévèrement et sérieusement critiquée, maisil faut bien avouer que le problème n’est pas résoluquant aux températures (basses ou hautes) ayant per-mis l’origine de la Vie.

Tout autant que les valeurs (très faibles ou trèsfortes) des paramètres physico-chimiques auxquellessont confrontées les extrêmophiles, l’étude de leursmétabolismes présente un grand intérêt fondamentalet industriel. Un certain nombre utilise du carbone or-ganique comme source d’énergie au cours de diversesfermentations. Mais de nombreux extrêmophiles sontdes lithotrophes (leur source d’énergie est minérale),anaérobies (leur accepteur d’électrons n’est pas l’oxy-gène moléculaire) et autotrophes (leur source de car-bone est le dioxyde de carbone). En fait, de nombreuxorganismes extrêmophiles, et il faut le souligner denombreux thermophiles, se complaisent dans desconditions nutritionnelles ressemblant à celles qui de-vaient exister sur la Terre primitive. Certains d’entreeux, qui vivent en subsurface, semblent indépendantsde l’énergie solaire, et des produits dérivés de la pho-tosynthèse : c’est ce qui se passait il y a plus de 2,5milliards d’années. L’étude des extrêmophiles actuels,et de leurs habitats, ne peut donc que nous aider àcomprendre nos origines lointaines. Mais attention, latotalité de la planète Terre, sa diversité biologique (endanger en surface) sont loin d’être totalement explo-rés en profondeur.

Il y a plusieurs siècles, le moine italien GiordanoBruno fut brûlé pour avoir osé dire que d’innombrablesplanètes tournaient autour de leur soleil comme nos 7(c’était le chiffre de l’époque) planètes tournaient au-tour de notre soleil, et que de nombreux êtres vivantss’y trouvaient. Aujourd’hui, la sonde de la NASA Phoe-nix explore la planète Mars et fore la glace polaire, la

sonde européenne Exomars se prépare elle aussi pourforer la planète rouge, et un satellite sophistiqué de-vrait partir vers les lunes de Jupiter dans moins de dixans pour enfin prouver l’existence d’un océan d’eau li-quide sous la croûte de glace d’Europa.

De l’eau sur Mars, il y en avait à l’époque où la Vieest apparue sur Terre. Que s’est-il passé alors ? La Viea-t-elle pu démarrer ? Subsiste-t-elle encore en pro-fondeur, en subsurface ? Ou à défaut, reste-t-il destraces fossiles ? Après les sondes automatiques quieffectuent des analyses in situ, d’autres sondes ramè-neront sur Terre des échantillons martiens, qui aprèsune quarantaine rigoureuse seront analysés par lesmeilleurs experts mondiaux. Un peu plus tard,l’Homme débarquera sans doute sur la planète rouge.Du rêve ? Consultez les sites des agences spatiales !

De l’eau liquide sous la glace d’ Europa ? Pour-quoi ? Sans doute l’effet de marée dû à la planètemère géante Jupiter, et au fond de cet océan, unnoyau de silicates. Donc un contact entre roches eteau : pourquoi pas une circulation hydrothermale, etalors… Pour Europa, la réponse aux questions desexobiologistes n’est pas immédiate. Après une missiond’observation orbitale, il faudra se poser à la surfaced’un satellite dépourvu d’atmosphère. Puis dans uneautre mission, il faudra forer la glace, épaisse sansdoute d’une centaine de kilomètres… Et chaquevoyage de la Terre vers Jupiter dure de 5 à 6 ans. Maissur Terre, dans l’Antarctique, existent des analoguestels le lac Vostok, situé sous 3,5 kilomètres de glacier.Les forages dans cette glace ont révélé des micro-or-ganismes, dont certains thermophiles, indicateursd’une activité géothermale en profondeur.

Ce n’est pas fini, sortons du système solaire. C’estplus d’une centaine de planètes extra solaires (tour-nant autour d’étoiles lointaines) qui ont été décou-vertes. Les plus récemment observées ont desmasses équivalentes à quelques Terres. Et les tech-niques de détection vont prochainement permettre dedétecter des planètes d’une masse équivalente à laTerre, situées dans la zone d’habitabilité (possibilitéd’eau liquide, températures convenables), et d’en étu-dier l’atmosphère.

Pour toutes ces « cibles » exobiologiques, dans lesystème solaire ou à l’extérieur, les exobiologistes, pla-nétologues, astrophysiciens recherchent des traces,des indices, des signatures de Vie. Les propriétés, lescapacités extraordinaires des extrêmophiles terrestresrepoussent les limites physico-chimiques, métabo-

47

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

Page 48: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

liques, géographiques de la Vie. Les habitats plausi-bles, possibles n’en sont que plus nombreux. Les tech-nologies permettant l’exploration deviennent de plusen plus performantes. Le XXIe siècle apportera t-il laréponse ?

PUBLICATIONS

Barbier, G. (1997) Les micro-organismes "extremophiles":une nouvelle sources d'enzymes en cours d'exploration. InLes enzymes en agroalimentaire. Larreta-Garde, V. (ed).Paris: Tec et Doc Lavoisier, pp. 308-347.

Cita, M.B. (2006). Exhumation of Messinian evaporites inthe deep-sea and creation of deep anoxic brine-filled col-lapsed basins. Sedimentary Geology 188-189: 357-378.

Daffonchio, D. et al. (2006). Stratified prokaryote network inthe oxic–anoxic transition of a deep-sea halocline. Nature.440: 203-207.

D'Amico, S., Collins, T., Marx, J.C., Feller, G., and Gerday,C. (2006) Psychrophilic microorganisms: challenges for life.EMBO Rep 7: 385-389.

Erauso, G., Prieur, D., Godfroy, A., and Raguénès, G. (1995)Plate cultivation techniques for strictly anaerobic, thermo-philic, sulfur-metabolizing archae. In Archaea: a laboratorymanual. Thermophiles. Robb, F.T., and Place, A.R. (eds):Cold Spring Harbor Laboratory Press, Cold Spring Harbor,N.Y., pp. 25-29.

Godfroy, A., Postec, A., and Raven, N. (2006) Growth of hy-perthermophilic microorganisms for physiological and nutri-tional studies. In Methods in Microbiology, Extremophiles.Rainey, F.A., and Oren, A. (eds). Oxford, England: AcademicPress.

Grant, W.D. (1992) Alkaline environments in Encyclopedia ofMicrobiology, Vol. 2 (ed. J. Lederberg), pp. 73-84, AcademicPress, NewYork.

Hébraud, M., and Potier, P. (2000) Cold acclimation and coldshock response in psychrotrophic bacteria. In Cold shockresponse and adaptation. Inouye, M., and Yamanaka, K.(eds). Norfolk: Horizon Scientific Press, pp. 41-60.

Horikoshi, K. (1996). Alkaliphiles – from an industrial point ofview. FEMS Microbiol Rev. 18: 259–270.

Jones, E.J., Grant, W. D., Duckworth, A. W. & Owenson,G.G. (1998). Microbial diversity of soda lakes. Extremophiles2: 191–200.

Larsen, H. (1962). Halophilism, In : I. C. Gunsalus and R. Y.Stanier (ed.), The bacteria, vol. 4 Academic Press, Inc., NewYork. p. 297-342.

Litchfield CD (2004) Microbial molecular and physiologicaldiversity in hypersaline environments, In A. Ventosa (ed.),Halophilic Microorganisms. Springer-Verlag Berlin Heidel-

berg. p. 49-58

Madigan, M., and Martinko, J. (2007) Brock Biologie desmicro-organismes: Pearson Education, France

Morita R.Y. (1975) Psychrophilic bacteria. Bacteriol. Rev 39:144-167.

Ollivier, B., Caumette, P., Garcia, J.L., and R A Mah. (1994)Anaerobic bacteria from hypersaline environments. MicrobiolRev. 58(1): 27–38.

Oren, A. (2002). Halophilic microorganisms and their envi-ronments. Kluwer Academic Publishers, Dordrecht, The Ne-therlands.

Price, P.B. (2007) Microbial life in glacial ice and implicationsfor a cold origin of life. FEMS Microbiol Ecol. 59: 217-231.

Sass, A.M., Sass, H., Coolen, M.J.L., Cypionka H. & Over-mann, J. (2001). Microbial communities in the chemocline ofhypersaline deep-sea basin (Urania Basin, MediterraneanSea). Appl. Environ. Microbiol. 67: 5392-5402.

Van Der Wielen, P.W.J.J. et al. (2005). The enigma of pro-karyotic life in deep hypersaline anoxic basins. Science. 307:121-123.

Woese, C.R., Kandler, O., and Wheelis, M.L. (1990) Towardsa natural system of organisms: Proposal for the domains Ar-chaea, Bacteria, and Eucarya. Proc. Natl. Acad. Sci. USA 87:4576-4579

48

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

Page 49: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

49

LES COND I T I O N S DE V I E E X TRÊMES SUR L A P L ANÈ T E E T E XOB I O LOG I E

Page 50: MAQUETTE ECOL MICROB - orbi.uliege.be · philesauraientunoptimumdecroissance≤15°Cetune températuremaximaledecroissance≤20°C.Ilssedis-tingueraientainsidesmicro-organismespsychrotolé

PART I E 3 – LES HAB I TAT S M I CROB I E N S

50