Manger, un acte politique - paca.chambres-agriculture.fr · et si les ménages français ont...

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L’ESPACE ALPIN - Vendredi 9 mars 2018 9 ALIMENTATION Dossier réalisé par Stéphanie Martin-Chaillan Dans les pays industrialisés, où les risques de famine ne sont plus une préoccupation, force est de consta- ter que l’alimentation a pris une nouvelle dimension. Désormais, manger est devenu un acte poli- tique. Si à titre individuel, on s’ef- force de manger sain, contre les effets retors d’une consommation de masse dont a émergé le concept de malbouffe, on redécouvre éga- lement les vertus sociales d’une ali- mentation génératrice de lien et d’attachement envers un terroir et, c’est sans doute la grande nou- veauté, il est devenu crucial de manger éthique, pour ne pas dire moral. La sécurité alimentaire : une notion mouvante L es États généraux de l'alimen- tation, lancés le 20 juillet 2017, se sont clôturés le 21 décem- bre à Paris. La feuille de route, expo- sée par le Premier ministre lors de la journée de clôture, porte la poli- tique alimentaire du Gouvernement structurée autour de trois axes stra- tégiques : assurer la souveraineté alimentaire de la France ; promou- voir des choix alimentaires favora- bles pour la santé et respectueux de l’environnement ; réduire les inéga- lités d’accès à une alimentation durable et de qualité. Dans le même temps, comme le souligne la Direction générale de l’alimentation (DGAL) dans son rap- port d’activité 2017, l’année passée a été marquée par deux nouvelles crises sanitaires : celle de la fraude au fipronil (interdit en France et dans la plupart des pays européens, rappelons-le, depuis 2004) dans les élevages de volailles et l’affaire des laits infantiles contaminés par des salmonelles dans l’entreprise Lactalis. Pour 2018, la DGAL prévoit notamment « le renforcement de la surveillance, de l’expertise et de la gestion des risques (maladies ou dangers sanitaires). Cela passera notamment par la création de pla- teformes d’épidémiosurveillance en santé végétale et de la chaîne ali- mentaire. Celle en santé animale, déjà existante, sera consolidée ». On voit déjà à quel point les préoc- cupations relatives à l’alimentation ont évolué au cours des dernières années, entremêlant une série de problématiques qui ont conduit à repenser la conception même de sécurité alimentaire. Entendons-nous. Le concept de « sécurité alimentaire » est apparu au milieu des années 1970, au cours de Sommet mondial de l’alimentation de 1974, suite à la crise alimentaire mondiale de 1973/1974. A cette époque, le concept répond à des préoccupa- tions centrées autour de l’approvi- sionnement et donc de la disponi- bilité des denrées alimentaires. Le Sommet mondial de l’alimentation définit alors la sécurité alimentaire comme « Capacité de tout temps d’approvisionner la monde en pro- duits de base, pour soutenir une croissance de la consommation ali- mentaire, tout en maîtrisant les fluc- tuations et les prix ». De la quantité à la qualité La fin des années 90 constitue à cet égard un tournant dans la défini- tion de la sécurité alimentaire. Avec les scandales sanitaires autour de la vache folle et des OGM, le concept évolue de sorte que la sécurité ali- mentaire passe d’une dimension purement quantitative à une dimension également qualitative : la sécurité alimentaire est considé- rée comme assurée si sont garantis, au même titre que les quantités, l’équilibre nutritionnel de la ration alimentaire (protéines, lipides et glucides), l’apport en micronutri- ments, et les qualités sanitaires et hygiéniques des aliments. Aujourd’hui, il est notable que cette dimension qualitative a pris toute la place. A ceci près que la conception même de qualité a évolué. Il s’agit, certes, et peut-être aujourd’hui plus que jamais, de manger équilibré – en témoignent les campagnes du « mangez cinq fruits et légumes par jour » ou du « ne mangez ni trop gras, ni trop salé, ni trop sucré » - mais encore de manger sain. « C’est notamment cette acception qui est privilégiée par la Commission euro- péenne, dont la « politique de sécurité alimentaire », réformée au début des années 2000, a uniquement pour objet de garantir la sécurité sanitaire des produits alimentaires, depuis « la fourche jusqu’à la fourchette », pointe le thinktank Momagri (Mouvement pour une organisation mondiale de l’agriculture). L’évolution du bio est à cet égard significative, mais elle marque éga- lement une autre tendance : man- ger bio, c’est œuvrer pour notre santé, mais aussi celle, si l’on peut dire, de l’environnement. Chose qui, au début des années 2000, semblait être une préoccupation exclusive de quelques excen- triques en mal de spiritualité new age. Comme le note Camille Berne- Guertin, productrice-traiteur à Mane, labellisée AB et fille de pay- sans eux-mêmes installés en bio depuis de longues années, « mes premières tartes, je les ai vendues quand j’étais encore étudiante. C’était en bio, mais à l’époque, il ne fallait pas le mentionner. Avant, quand on consommait bio et quand on cultivait bio, on passait pour des bobos, des soixante-huitards attardés ». Aujourd’hui encore, note la jeune femme, « j’entends des remarques du style : ces légumes, ils ne peuvent pas être bio, ils sont trop beaux ». St.M.C. Manger, un acte politique

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L’ESPACE ALPIN - Vendredi 9 mars 2018 9

ALIMENTATION

Dossier réalisé par Stéphanie Martin-Chaillan

Dans les pays industrialisés, où lesrisques de famine ne sont plus unepréoccupation, force est de consta-ter que l’alimentation a pris unenouvelle dimension. Désormais,manger est devenu un acte poli-

tique. Si à titre individuel, on s’ef-force de manger sain, contre leseffets retors d’une consommationde masse dont a émergé le conceptde malbouffe, on redécouvre éga-lement les vertus sociales d’une ali-

mentation génératrice de lien etd’attachement envers un terroir et,c’est sans doute la grande nou-veauté, il est devenu crucial demanger éthique, pour ne pas diremoral.

La sécurité alimentaire : une notion mouvante

Les États généraux de l'alimen-tation, lancés le 20 juillet 2017,se sont clôturés le 21 décem-

bre à Paris. La feuille de route, expo-sée par le Premier ministre lors de lajournée de clôture, porte la poli-tique alimentaire du Gouvernementstructurée autour de trois axes stra-tégiques : assurer la souverainetéalimentaire de la France ; promou-voir des choix alimentaires favora-bles pour la santé et respectueux del’environnement ; réduire les inéga-lités d’accès à une alimentationdurable et de qualité.Dans le même temps, comme lesouligne la Direction générale del’alimentation (DGAL) dans son rap-port d’activité 2017, l’année passéea été marquée par deux nouvellescrises sanitaires : celle de la fraudeau 1pronil (interdit en France etdans la plupart des pays européens,rappelons-le, depuis 2004) dans lesélevages de volailles et l’a4aire deslaits infantiles contaminés par des

salmonelles dans l’entrepriseLactalis. Pour 2018, la DGAL prévoitnotamment « le renforcement de lasurveillance, de l’expertise et de lagestion des risques (maladies oudangers sanitaires). Cela passeranotamment par la création de pla-teformes d’épidémiosurveillance ensanté végétale et de la chaîne ali-mentaire. Celle en santé animale,déjà existante, sera consolidée ».On voit déjà à quel point les préoc-cupations relatives à l’alimentationont évolué au cours des dernièresannées, entremêlant une série deproblématiques qui ont conduit àrepenser la conception même desécurité alimentaire. Entendons-nous. Le concept de« sécurité alimentaire » est apparuau milieu des années 1970, au cours de Sommet mondial de l’alimentation de 1974, suite à lacrise alimentaire mondiale de1973/1974. A cette époque, leconcept répond à des préoccupa-tions centrées autour de l’approvi-

sionnement et donc de la disponi-bilité des denrées alimentaires. LeSommet mondial de l’alimentationdé1nit alors la sécurité alimentairecomme « Capacité de tout tempsd’approvisionner la monde en pro-duits de base, pour soutenir unecroissance de la consommation ali-mentaire, tout en maîtrisant les @uc-tuations et les prix ».

De la quantité à la qualitéLa 1n des années 90 constitue à cetégard un tournant dans la dé1ni-tion de la sécurité alimentaire. Avecles scandales sanitaires autour de lavache folle et des OGM, le conceptévolue de sorte que la sécurité ali-mentaire passe d’une dimensionpurement quantitative à unedimension également qualitative :la sécurité alimentaire est considé-rée comme assurée si sont garantis,au même titre que les quantités,l’équilibre nutritionnel de la rationalimentaire (protéines, lipides et

glucides), l’apport en micronutri-ments, et les qualités sanitaires ethygiéniques des aliments.Aujourd’hui, il est notable que cettedimension qualitative a pris toute laplace. A ceci près que la conceptionmême de qualité a évolué. Il s’agit,certes, et peut-être aujourd’hui plusque jamais, de manger équilibré –en témoignent les campagnes du« mangez cinq fruits et légumes parjour » ou du « ne mangez ni tropgras, ni trop salé, ni trop sucré » -mais encore de manger sain. « C’estnotamment cette acception qui estprivilégiée par la Commission euro-péenne, dont la « politique de sécuritéalimentaire », réformée au début desannées 2000, a uniquement pourobjet de garantir la sécurité sanitairedes produits alimentaires, depuis « lafourche jusqu’à la fourchette »,pointe le thinktank Momagri(Mouvement pour une organisationmondiale de l’agriculture).

L’évolution du bio est à cet égardsigni1cative, mais elle marque éga-lement une autre tendance : man-ger bio, c’est œuvrer pour notresanté, mais aussi celle, si l’on peutdire, de l’environnement. Chosequi, au début des années 2000,semblait être une préoccupationexclusive de quelques excen-triques en mal de spiritualité newage. Comme le note Camille Berne-Guertin, productrice-traiteur àMane, labellisée AB et 1lle de pay-sans eux-mêmes installés en biodepuis de longues années, « mespremières tartes, je les ai venduesquand j ’étais encore étudiante.C’était en bio, mais à l’époque, il nefallait pas le mentionner. Avant,quand on consommait bio et quandon cultivait bio, on passait pour des bobos, des soixante-huitardsattardés ». Aujourd’hui encore,note la jeune femme, « j’entendsdes remarques du style : ces légumes,ils ne peuvent pas être bio, ils sonttrop beaux ».

St.M.C.

Manger, un acte politique

Comme le disait une vieille pub« c’est bon, et en plus c’est bon ».Qu’on se le dise, nous avons à por-tée de la main un nombre incalcu-lable de produits miraculeux, pluscouramment dénommés « super-aliments » (en un seul mot), à la foisbons au goût et bons pour la santé.En ce moment, la star c’est le cur-cuma, une épice très utilisée enmédecine ayurvédique. Mais necherchez pas : ce n’est pas une culture endémique des Alpes dusud. En revanche, nous, nous avons lemiel et tous les produits dérivés dela ruche : pollen, gelée royale, pro-polis. Des superaliments à lamode ? Oui. Des nouveautés ?Certainement pas. A la miellerie deBaratier de la famille Guasco, on envend depuis toujours à une clien-tèle qui « est toujours la même »,en dépit des e2ets de marketingdont peuvent béné4cier des bou-tiques situées dans des lieux moinscon4dentiels. Jean-Pierre Guasco est apiculteurprofessionnel depuis 40 ans,exploite 300 ruches et il peut vousen parler, de ces produits qui béné-4cient d’ailleurs dans le magasind’une 4che explicative sur leursvertus respectives.« La propolis est une substance rési-neuse que les abeilles prélèvent surles bourgeons de certains arbres.Comme elles n’ont pas d’anticorps,elles s’en servent pour aseptiser laruche. Si un animal, y compris de la

taille d’un petit rongeur, entre dansla ruche, les abeilles vont le tuer etl’envelopper dans une gangue depropolis. Si par la suite, on casse lecocon, on trouvera l’animal complè-tement momi�é », explique l’apicul-teur, qui raconte encore que lesEgyptiens s’en servaient pourembaumer leurs morts et queStradivari en utilisait dans la com-position du vernis qui recouvraitses célèbres violons. Si la propolisn’en a pas pour autant la vertu defaire chanter juste, elle a enrevanche un pouvoir antiseptiquereconnu.« L’intérêt de la gelée royale est enrevanche plus controversé », pour-suit l’apiculteur. Ce produit sécrétépar les jeunes abeilles « nourrices »pour nourrir en particulier la reinede la colonie, est néanmoins

réputé pour sa forte concentrationen acides aminés, vitamines etoligo-éléments. Quant au pollenégalement riche en vitamines,minéraux, enzymes, protéines,acides aminés essentiels, il estréputé pour être un excellent sti-mulant pour lutter contre la fati-gue physique et intellectuelle, toni4ant, reconstituant, rééquili-brant, euphorisant. Une panacéeen somme ? « Ce n’est pas un motque je m’autorise à employer. Nous, on est ni docteurs, ni pharma-ciens », prévient Jean-Pierre Guascoqui préfère louer le caractère« magique » des abeilles elles-mêmes… et les vertus d’un paind’épice gorgé de miel. « Ça, dit-il enen prenant un morceau, quand jesuis en montagne, ça m’a sauvé plusd’une fois ! »

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DOSSIER ALIMENTATION

Du bio au flexitarismeNéanmoins, le regard porté surl’agriculture biologique dénoted’un déplacement de la notion desécurité alimentaire vers le conceptde « durabilité » ; le durable étantce qui est viable, équitable et viva-ble. Il s’agit donc de produire selondes techniques respectueuses del’humain et de l’environnement,non seulement pour assurer desconditions de vie matériellesconvenables aux populationshumaines (consommateurs et pro-ducteurs), mais aussi pour assurerl’avenir des générations suivanteset celui des autres êtres vivants,ainsi que leur bien-être. Cette dernière dimension qui, làencore, n’est pourtant pas neuve,s’est démocratisée suite aux scan-dales des abattoirs initiés par l’association végane L214. Laconsommation doit désormais être responsable en ceci qu’elleimplique la mort d’animaux,reconnus depuis 2015 comme desêtres vivants doués de sensibilitédans le Code civil. Si cette prise deconscience ne s’est pas encore traduite par un refus massif deconsommer de la viande, il estpourtant évident que celle-ci esten voie de diminution. D’autantque l’impact, possiblement nocif,d’un excès de consommation d’ali-ments carnés sur la santé estaujourd’hui en point de mire(notamment pour la prévention ducancer colorectal, qui préconiseune consommation hebdomadaireinférieure à 500 grammes). Si l’on en croit di2érentes études etsondages, seuls 5 % des Français

seraient végétariens ou vegans,mais 30 % seraient Gexitariens(pour faire simple, des végétariensà temps partiel), 50 % déclarentvouloir augmenter leur consom-mation de produits végétaux et46 % souhaiteraient que les restau-rants classiques de type restau-rants à table proposent un ou deuxplats vegans à leur carte.

Consommer mieux etconsommer localReste que la viande, dont laconsommation moyenne enFrance est de 370 g par semaine(selon les chi2res de 2013 donnéspar laviande.fr), est forte d’unelongue tradition dans l’Hexagoneet si les ménages français ontentamé une diminution progres-sive de leur consommation de pro-duits carnés depuis la 4n desannées 90, c’est aussi dans l’idée de« consommer mieux ». Ainsi d’Anouck, cliente régulièrede Côté champ, installé à LaBrillanne. Depuis l’ouverture de cemagasin de producteurs, sa trajec-toire est réglée comme du papier àmusique. « Je commence toujourspar eux et je ne vais au supermarchéque pour y acheter ensuite ce quimanque ». Et pour aussi contre-intuitif que cela puisse paraître,cette démarche a aussi pour voca-tion de favoriser les économies.« Le prix des produits n’est pas exces-sif et il arrive même qu’ils soientmoins chers que des produits équi-valents vendus en grande surface »,note cette enseignante. Unedémarche qui, de surcroît, se nour-rit de la proximité des produc-

teurs, bien souvent présents dansce type d’établissements. « Ce quej’aime, c’est les croiser et pouvoir leurdire : « c’est bon ». » Mais surtout,« cela m’incite à n’acheter que cedont j ’ai besoin, à anticiper demanière à éviter le gaspillage. Jen’en suis pas au stade à consommeruniquement des légumes de saison,mais j’aime bien regarder d’où lesproduits viennent ».On va donc privilégier des produitsconformes à nos valeurs, via despratiques d’élevage considéréescomme acceptables, que ce soit entermes de bien-être animal, deconditions d’abattage, de responsa-bilité dans l’émission de gaz à e2etde serre… Selon une enquête réali-sée par l’association de consomma-teurs CLCV en 2013, près des troisquarts des Français apprécient depouvoir véri4er si leurs achats parti-cipent au développement d’unpays ou d’une région. Une chancepour les producteurs locaux. Selonune étude Crédit agricole/IPSOSmenée en 2014, « 83 % des Françaispensent que la vente directe par lesagriculteurs est un modèle qui a del’avenir ». L’adage selon lequel « je suis ceque je mange » est plus que jamaisd’actualité. Le consommateur veutsavoir ce qu’il a dans son assiette,parce qu’il y va désormais non seu-lement de son intégrité physique(rester en bonne santé), mais ausside son intégrité morale : lorsque jemange, je cautionne un certainmode de production. Manger, au-jourd’hui, ce n’est plus seulementse nourrir, c’est se faire l’ambassa-deur d’un modèle de société.

Les produits fortement ancrés dans un territoire ontle vent en poupe. A cet égard, l’obtention de signesd’identification de la qualité et de l’origine devientune réponse intéressante pour des filières locales quine peuvent être concurrentielles sur un marchémondialisé. C’est le cas de la filière laitière du norddes Hautes-Alpes, qui œuvre pour la reconnaissanceofficielle du fromage Bleu du Queyras.

Le terroir : un retour à l’authentique

« C’est un projet qui concernerapotentiellement tous les producteurslaitiers du département, mais lezonage n’a pas encore été dé�ni »,explique Christian Blanc, éleveurlaitier installé à Arvieux, dans leQueyras. Avec une cinquantaine devaches laitières de race tarine enproduction, il livre entre 180 000 et200 000 litres de lait à la SICA LesAlpages de Fontantie. Il est égale-ment le président de la toute nou-velle association interprofession-nelle du Bleu du Queyras etcompte donc parmi les produc-teurs et transformateurs qui ontcommencé d’œuvrer, sous l’égidede la chambre d’agriculture desHautes-Alpes, pour l’obtention dela reconnaissance oScielle du fro-mage Bleu du Queyras sous signed'identi4cation de la qualité et del'origine (SIQO). L’objectif est évident : il s’agit depérenniser une 4lière laitière fragileen développant un produit poten-tiellement à forte valeur ajoutée.« Avoir un produit identi�é constitue-rait une protection, mais le but pre-mier est la valorisation et l’installa-tion. Nous souhaitons arrêterl’érosion des producteurs de lait surle département », explique Chris-tian Blanc. Il est vrai que d’autrescontrées ont montré la pertinencede cette démarche à forte valeuridentitaire dans un contexte decommerce mondialisé. Au premierrang desquelles la région duBeaufort, dont on connaît le suc-cès. « Les producteurs valorisent leur

L’association interprofessionnelle du Bleu du Queyras a été créée jeudi 15 février. Présidéepar Christian Blanc, elle a pour vice-président Jérôme Tramuset, de la fromagerie de laDurance et regroupe à ce jour une dizaine de producteurs, ainsi que les trois fromageries dunord du département.

DR

lait à environ 850 euros les 1 000litres », note encore l’éleveur.Evidemment, on n’en est pas là…Pour l’heure, on en est à quatreréunions organisées en 2017 quiont notamment permis de retracerl'histoire du Bleu du Queyras et deréaliser un état des lieux de la4lière pour étudier la faisabilité decandidater à une IGP ou AOP. « LeBleu du Queyras est véritablementancré dans le temps et dans un ter-roir, explique Alicia Teinturier, ani-matrice du projet pour la chambred’agriculture des Hautes-Alpes.L’historique de ce fromage se diviseen quatre grandes périodes : toutd'abord une fabrication fermière duBleu du Queyras au cours des années1700, puis l'âge d'or des fruitières etle développement de la commerciali-sation de ce fromage tout au long du19e et début 20e siècle. L'arrivée del'industrie laitière à partir de 1920 etde la collecte du lait, avec la créationde l’usine Nestlé à Gap a conduit lesfruitières qui en fabriquaient à cesserde produire du Bleu du Queyras. Il yen avait alors 38 et il faudra attendrele retour des fromageries 50 ans plustard pour le voir réapparaître. »Aujourd’hui, trois fromageries - lafromagerie de Château-Queyras, la fromagerie de la Durance et lafromagerie de Montbardon – pro-duisent 47,2 tonnes de Bleu duQueyras. La prochaine étape sera lacréation d’un GIEE, dont le dossierdoit être déposé dans le courantdu mois de mars, a4n de poursui-vre le projet.

Les superaliments font partie des produits qu’il est de bon ton de consommerpour rester en bonne santé. Ainsi des produits dérivés de la ruche.

Les superaliments :du nouveau avec de l’ancien ?

St.M.C.

Le Bleu du Queyras en route pour la reconnaissance de trois siècles d’existence.

St.M.C.

L’ESPACE ALPIN - Vendredi 9 mars 2018 11

ALIMENTATION DOSSIER

TÉMOIGNAGE

La nourriture, vecteur de lien social ?La chose est connue, en particulieren France où la gastronomie est unsujet de conversation à part entière.Mais que l’on retrouve cette vertudans la cuisine mobile, cela va moinsde soi. C’est pourtant ce que constate AlexGauzy lorsqu’elle installe son foodtruck au début du printemps. Uncamion pas comme les autres, il fautbien le reconnaître. Car Alex surfe surplusieurs tendances en mêmetemps. Outre le fait de proposer desrepas « ambulants » autres que le tra-ditionnel sandwich, la cuisine qu’elleconfectionne est végétarienne et,autant que possible, composée deproduits issus de l’agriculture biolo-gique et/ou locaux. Résidant à Simiane-la-Rotonde, dansles Alpes-de-Haute-Provence, elle-même est végétarienne depuis unevingtaine d’années, autant par goûtque par conviction. « Manger de laviande suppose de tuer un animal. Laquestion que je me pose dès lors est :est-ce que j’en serais capable ? Pourl’instant, en ce qui me concerne, la

réponse est non ». Pas de viande,donc. Un paradoxe pour cette jeunefemme qui se destinait initialement àl’élevage et qui avait entamé un BTAau lycée de Carmejane ? Sans doute,à ceci près que, justement, elle n’estpas devenue éleveuse. « J’ai senti quece n’était pas pour moi… », concèdeAlex, qui a préféré se tourner vers lesarts plastiques... Et qui conçoit ;nale-ment la cuisine un peu comme tel.« La cuisine permet d’évoluer dans lacréation », estime Alex, qui a apprisles rudiments de son art culinaireavec sa grand-mère provençale, etagrémenté ses connaissances en cui-sinant avec un végétalien ou encoreavec un cuisinier brahmane. Installée sur le marché ou le magasinbio d’Apt de mars à novembre, AlexGauzy propose un plat du jour di=é-rent par semaine, moult tartes auxlégumes et fromages et autreschaussons de légumes à l’indienne.Des légumes de saison, cela va sansdire. « Je cuisine selon mes envies et ceque j’ai trouvé sur le marché ». Et avec une vingtaine de couvertsen moyenne par jour, on peut dire

que ça marche bien ! Cinq ans aprèsses débuts, assure cette jeune qua-dragénaire, « j’ai une clientèle d’habi-tués qui viennent manger sur place ouachètent des plats à emporter ». Uneclientèle d’ailleurs autrement plusvariée que ce qu’elle aurait pu ima-giner. « Je m’attendais à avoir uneclientèle composée de personnesâgées, et en fait, j’ai de tout, y comprisdes personnes qui ont des a prioricontre le végétarisme. En fait, de plusen plus de gens sont ouverts au fait demanger un peu moins de viande, et àl’idée que la cuisine rapide, ce n’est pasque le steak-frites ».Le secret de son succès ? « Mon pre-mier principe était de n’écrire nullepart que ma cuisine est végétariennepour éviter que les gens qui ont l’habi-tude de manger des aliments carnésne se détournent d’emblée de ce queje propose. Mon second principe étaitde proposer de la cuisine quasimentintégralement bio à des prix su0sam-ment bas pour que tout le mondepuisse en manger ». Autre démarche,« j’utilise de vraies assiettes et descouverts en amidon de maïs biodé-gradables. Pour ceux qui achètentleur déjeuner à emporter, je suggèrequ’ils viennent avec leurs propresboîtes. Je fais en sorte de limiter lesdéchets autant que possible ».« Aujourd’hui, estime la jeune cuisi-nière, bien manger, ça marche avecle respect de l’environnement et, 5na-lement, le vivre ensemble ». « Il estd’ailleurs intéressant de voir leséchanges qu’il peut y avoir entre lesclients », note-t-elle au demeurant,ravie de constater que sa cuisinegénère de la convivialité… et croi-sant les doigts pour que son travailparticipe à insuAer un mode deconsommation moins frénétique etsurtout moins délétère.

Installée à Apt avec son food truck, Alex Gauzy propose une cuisine « maison »,d’inspiration méditerranéenne ou indienne, exclusivement végétarienne etautant que possible à base de produits bio et locaux.

« Aujourd’hui, bien manger, ça marcheavec le respect de l’environnementet le vivre ensemble »

Cristel et Jérôme sont végétariens. Ils nous expliquent les mécanismes qui lesont conduits à bannir la viande de leur alimentation.

Le végétarisme : de la santé à l’écologie

DR.

Camille et Olivier Guertin-Berne sont traiteurspaysans à Mane. Leurs produits font fureur auprèsd’une clientèle aussi variée qu’exigeante.

Le goût des choses simples

Avec 2,4 ha de terres, diFcile de voirles choses en grand. Et ce n’est pasavec un verger de 600 arbres,quelques cochons et des légumesque l’on pourra être concurrentiel surle marché international. Camille Berne-Guertin et OlivierGuertin ont donc opté pour la trans-formation de leur production et sontdevenus traiteurs paysans. Une idéeen or pour la clientèle qui a la chancede pouvoir goûter à leurs plats. Il estvrai que si le jeune couple s’y connaîten agriculture, il s’y connaît aussi enmétiers de bouche ! Olivier est pâtis-sier de formation et Camille, bien que;lle de paysans, a notamment com-mencé par faire une école hôtelière.Et c’est dans des restaurants étoilésqu’elle a fait ses premières armes.Alors forcément, elle porte sur la cui-sine qu’elle confectionne aujourd’huiun regard plutôt modeste. « On faitdes salades, des soupes, des tartes, desbiscuits, de la charcuterie, des salai-sons, du chocolat… énumère-t-elle.Ça reste de la cuisine simple, une cui-sine de tous les jours ». Sauf que les clients en redemandent,de cette simplicité… A moins que cene soit précisément ce qui les attire ?« Les gens arrivent à faire la di9érenceentre une cuisine compliquée etdégueu, et des choses simples etbonnes », constate la cuisinière-agri-cultrice qui s’étonne un peu : « Il y ades clients qui s’extasient devant desclafoutis et qui m’en achètent plusieursfois par semaine ». Plus cocasse : « il ya des gens qui m’achètent des tartes enme disant : « ne la coupez pas, commeça, je dirai que c’est moi qui l’ai faite ».Et ils me demandent de leur dire unpeu ce qu’il y a dedans pour le cas oùon leur demanderait la recette ». Saufque de recette, il n’y a pas vraiment.« Et j’ai horreur de suivre les recettes »,avoue Camille. « Que ce soit leslégumes ou les aromates, tout dépen-dra de ce que je récolte et après, c’estselon l’inspiration du moment ».

Autant de créations culinaires quisont en fait le fruit d’une irrépressiblecuriosité gustative. « On dit qu’il fautmanger pour vivre et non vivre pourmanger. Moi, il est clair que je vis pourmanger. J’éprouve une véritable fasci-nation pour la nourriture et si je voisquelque chose, j’ai envie d’y goûter ».Une curiosité qui contamine enconséquence leur production légu-mière et fruitière. « Quand je mets enplace une culture de tomates, parexemple, j’en mets vingt ou trentevariétés di9érentes. Les courges, c’estun peu pareil dans une moindre pro-portion : je n’en ai qu’une quinzaine devariétés ». Quant aux fruits, « nousavons au moins 100 variétés di9é-rentes ». Associez à cela une véritable culturedu bio. Si le label AB a été obtenupour garantir que les porcs soientabattus en bio, et donc éviter que lesang des animaux soit potentielle-ment mélangé avec celui d’animauxprovenant d’autres élevages, leurexploitation est également certi;ée« Nature et progrès ». Une mentionqui leur tient à cœur du fait de l’exi-gence du cahier des charges qu’ilsdoivent respecter. « C’est une mentionqui encourage l’agriculteur à avoir uneéthique particulière en ce qui concernele mode de production, de transforma-tion ou encore de commercialisation »,explique Camille tout en convenantque cette mention est assez peuconnue du grand public. « Mais enfait, l’avantage de faire de la ventedirecte est que cela permet au produc-teur d’expliquer sa façon de travailleret, 5nalement, le consommateurrecherche ça davantage que leslabels ». De l’échange, donc, et dessaveurs. « Quand je fais une crèmeanglaise, c’est avec le lait qui vient de laferme de mes parents. On a la chanced’avoir à disposition des produits dequalité qui ont du goût. C’est la base. Sicela suscite de l’engouement, j’en suisravie… »

Nous avons rencontré Cristel etJérôme. La petite cinquantaine, ilsont opté pour le végétarisme il y atrois ans. Le fruit d’une démarcheprogressive qui repose autant surune sensibilité que sur un argumen-taire logique. Cristel et Jérôme : « Cela fait troisans qu’on est devenu végétariens,mais déjà avant on n’était pas desviandards. Et ça fait des années qu’onmange bio, donc il y a une espèce decontinuité, d’éthique. Cela fait desannées qu’on n’est pas allés au super-marché : on fait nos courses à la biocoop, à Unis Verts paysans àForcalquier… ou à l’épicerie deReillanne. Mais au moins, on n’achèteque ce qui nous est nécessaire ». Jérôme : « Nous sommes végéta-riens parce qu’on n’a pas besoin demanger de viande pour être enbonne santé, et que pour la planète,ce n’est pas non plus terrible : çademande beaucoup de terres agri-

coles pour nourrir les animaux etces terres suFraient pour nourrirtoute la planète en végétaux. Autreraison : la condition animale. Ce nesont pas des conditions naturellesde vie pour les animaux. Le faitqu’ils soient parqués, manipuléscomme des objets pour la produc-tion, ne nous plaît pas du tout. Onne mange pas non plus de poissonparce qu’on se rend compte de l’im-pact de la pêche sur l’environne-ment, mais aussi sur les autresespèces. Ce qui me dérange ausupermarché, c’est le fait qu’onpuisse accéder à tout, sans diFcul-tés, en toute saison. C’est une faci-lité qui me dérange. Toute cetteviande qui est tuée, ces légumesqui sont jetés… Alors que quand jevais chez mon petit producteur delégumes, s’il a des trucs abîmés, ilme les ;le ou il les donne pour desanimaux, mais en tout cas, ce n’estpas perdu ».

Cristel : « Pour moi, la viande, ça atoujours été un calvaire. Petite,comme j’étais maigrelette, ma mèreallait m’acheter des steaks de cheval.Ça me faisait pleurer. Non, ça n’ajamais été vraiment mon truc…Puis, j’ai vu les vidéos tournées parl’association L 214 dans les abattoirset je me suis dit que je n’avais pasenvie de participer à ça. Du coup, jene mangeais plus de viande, mais jemangeais du poisson. Et deux outrois mois après, j’ai vu le ;lmOcéans de Jacques Perrin, et je mesuis rendu compte que si je conti-nuais, ne serait-ce qu’à manger dessardines, certains oiseaux ne pour-raient plus se nourrir. Il suFt qu’ilmanque un élément pour que lachaîne se brise. Ensuite, j’ai adhéré àSea Shepherd. Tous ces engage-ments nous ont menés où on estaujourd’hui, et je pense qu’on vaencore évoluer parce que, quand tucommences à ne plus manger de

viande, après tu te dis : pourquoimanger du fromage ? Car en man-geant du fromage, tu participesencore à l’élevage. Je n’ai pas envie d’être extrême. Et jen’ai pas envie non plus de convain-cre les gens. Moi, je pense qu’on n’apas besoin de manger de la viandetous les jours. Si les gens n’en man-geaient qu’une ou deux fois parsemaine, ce serait un poids enmoins sur la planète. Ce qui, pourmoi, est super important, c’est le faitd’être le plus légère possible sur laplanète. Je n’ai pas les solutions,mais à mon échelle, il me sembleque la solution est de me passer dela viande. »

St.M.C.

St.M.C.