Magazine quadrimestriel de l'Université de Lausanne - N° 47 Mai...

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Magazine quadrimestriel de l'Université de Lausanne - N° 47 Mai 2010 - Gratuit ISSN 1422-5220 Géosciences On découvre sans cesse de nouveaux minéraux Religion Les fans et les joueurs de foot prennent-ils Dieu en otage? Génétique Durant les Mystères de l’UNIL, les 4, 5 et 6 juin, vous regarderez les symboles helvétiques d’un autre œil. Commençons par la vache, qui a livré récemment ses secrets. Et qui a réservé des surprises aux chercheurs Elites suisses Les femmes ont-elles vraiment pris le pouvoir ?

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GéosciencesOn découvre sanscesse de nouveauxminéraux

ReligionLes fans et les joueursde foot prennent-ilsDieu en otage?

GénétiqueDurant les Mystères de l’UNIL,les 4, 5 et 6 juin,vous regarderez lessymboles helvétiquesd’un autre œil.Commençons par la vache, qui a livrérécemment sessecrets. Et qui aréservé dessurprises auxchercheurs

Elites suisses

Les femmes ont-elles vraiment pris

le pouvoir ?

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Géosciences

On découvre sans

cesse de nouveaux

minérauxReligionLes fans et les joueurs

de foot prennent-ils

Dieu en otage? Génétique

Durant les

Mystères de l’UNIL,

les 4, 5 et 6 juin,

vous regarderez les

symboles helvétiques

d’un autre œil.

Commençons par

la vache, qui a livré

récemment ses

secrets. Et qui a

réservé des surprises

aux chercheurs

Elites suisses

Les femmes

ont-elles vraiment pris

le pouvoir ?

É D I T O

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 7 M A I 2 0 1 0 1

Collaborateurs :Sonia Arnal, Michel Beuret, Laurent Bonnard, Geneviève Comby,Elisabeth Gordon

Photographies : Nicole Chuard

Photos de couverture :Doris Leuthard : Stefan Wermuth / Reuters

Vache : Nicole Chuard

Football : Giampiero Sposito / Reuters

Géosciences : Stefan Ansermet

Correcteur : Albert Grun

Concept graphique : Richard Salvi, Chessel

Publicité :Erik Streller-Shen, Go! uni-Werbung AG,Rosenheimstrasse 12, 9008 St. Gall, Tel. +41-71-244 10 10http://www.go-uni.com

Swissprinters IRL, Renens

Editeur responsable :

Université de LausanneMarc de Perrot, secrétaire généralPhilippe Gagnebin, responsable de la communication, chef de serviceFrancine Zambano, responsable de l'information Florence Klausfelder, assistante

Unicom, service de communicationet d'audiovisuel Université de Lausanne Amphimax - 1015 Lausanne tél. 021 692 22 80

[email protected]

Magazine de l’Université de Lausanne : N° 47, mai 2010

Tirage 30’000 exemplaires48’400 lecteurs (Etude M.I.S Trend 1998)

http://www.unil.ch/unicom/page6524.html

Rédaction :Rédacteur en chef :Jocelyn Rochat, journaliste au Matin Dimanche

L es Suisses se méfient deleurs élites. Et ce ressenti-

ment ne date pas d’aujourd’hui.En son temps, l’ancien con-seiller fédéral Georges-AndréChevallaz décrivait déjà volon-tiers une vieille tapisserie mon-trant le roi de France d’un côté,et, de l’autre, les envoyés desWaldstätten venus à sa rencontre. SeptSuisses, sept figures grises, indissociablesles unes des autres. Sept témoins de cettedéfiance quasi génétique que l’on cultive icipour les têtes qui dépassent.

La vigilance est telle, aujourd’hui, que le mot «élite» a disparu du vocabulaire courant. Glissez-le dans la conversation, etvotre interlocuteur pensera à une agence de mannequins ou à un tireur, voire à unsportif, l’un des derniers secteurs de lasociété où le concept n’est pas (encore?)devenu négatif. Mais, si les «élites» ont étézappées du langage, elles n’ont pas disparudu paysage. On vise encore l’excellence eton cherche toujours à recruter les meilleurs.Signe des temps, nous avons emprunté àl’anglais une série d’équivalents moinsconnotés négativement, comme les leadersd’opinion, les top managers, les top guns,ou, plus simplement, les tops.

Paradoxalement, dans cette époque oùla critique s’accompagne d’une revendica-tion de transparence, ces décideurs helvé-tiques restent fondamentalement méconnus.Pensez, par exemple, qu’aucune étude sys-tématique des élites suisses n’a été publiéeà ce jour. La première du genre est en coursde réalisation à l’UNIL, et devrait s’ache-ver cet automne. Entre-temps, cette lacunea été partiellement comblée par des travauxjournalistiques. On pense ici aux classe-ments des plus grandes fortunes, établischaque année par les magazines «Bilan /Bilanz». Ou au Forum des 100, ce rendez-vous organisé tous les ans par «L’Hebdo»qui rassemblera (le 20 mai à l’UNIL) la fine

fleur des «personnalités qui fontla Suisse romande».

En prévision de ce grandraout, «Allez savoir!» a fait co-habiter les deux tentatives demieux cerner nos élites. Au-delàdes nuances et des différencesde méthodes, chercheurs etjournalistes s’accordent pour

dégager des tendances intéressantes. Lesfemmes, pour commencer. Elles sont, pour«L’Hebdo» comme pour l’UNIL, en trainde gagner du terrain dans le monde poli-tique. Pas au point d’atteindre la parité sou-haitée, mais la progression est sensible,comme l’illustre la présidence Doris Leu-thard.

Autre point d’accord : le très net métis-sage de nos élites économiques qui se des-sine depuis les années 1990. La Suisse estainsi devenue, en 2005, le pays d’Europeoù l’internationalisation des managers estla plus forte. Voilà qui nous entraîne assezloin des années 1980 et de la caricature desélites suisses, masculines, repliées sur elles-mêmes, officiers à l’armée, radicaux, ban-quiers, membres d’une société d’étudiantset notables de père en fils.

En coloriant et en donnant du relief auxfigures grises et indissociables dont parlaitGeorges-André Chevallaz, les recherchesd’aujourd’hui esquissent un portrait plusréaliste de la situation. Cela suffira-t-il àfaire tomber la méfiance traditionnelle desSuisses envers leurs élites? L’avenir le dira.Mais cela nous permettra déjà – le progrèsest là – de les regarder telles qu’elles sont,et pas telles que nous les fantasmons. Celanous montrera encore le chemin qu’il fau-dra – ou pas – parcourir (on pense, parexemple, à la place des femmes dans lesélites administratives et économiques).

En cela, nous gagnerons vraiment à con-naître nos élites.

Jocelyn Rochat

Jocelyn RochatRédacteur en chef

Nos élites gagnent à être connues

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Edito . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 1

F O R U M D E S 1 0 0

Qui sont vraiment les élites suisses? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 4

Alors que l’UNIL accueille, le 20 mai prochain,le traditionnel Forum des 100 organisé par lemagazine «L’Hebdo», un groupe de chercheurslausannois travaille à une monumentale biogra-phie collective des élites en Suisse au XXe siècle.Regards croisés sur «ces personnalités qui comp-tent».

S A N T É

Vous n’imaginez pas à quel point la baignade nous fait du bien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 14

Dans le lac, la mer, l’océan, la piscine du coin, oumême dans sa baignoire, le simple fait d’immer-ger son corps dans l’eau déclenche toutes sortesde changements physiologiques. Ils sont vascu-laires, cardiaques, respiratoires, et on en passe.Les explications d’un expert de l’UNIL et duCHUV.

Sommaire

É C O N O M I E

La Suisse romande attire de plus en plus de «hedge funds». Bonne nouvelle? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 22

Historiquement basés à Londres, les gestionnairesde «hedge funds» sont de plus en plus séduits parle bassin lémanique. Faut-il s’en réjouir, ou crain-dre la réputation sulfureuse de ces fonds accu-sés de spéculer sur les malheurs des autres, qu’ils’agisse d’Etats endettés, comme la Grèce, oud’entreprises en perdition? Les explications d’unexpert de l’UNIL.

M Y S T È R E S À L’ U N I L

Ah la vache! Elle a presque autant de gènes que nous . . . . . . . . . . . . . . . . . page 30

A l’occasion des Mystères, les journées portesouvertes de l’UNIL, les 4, 5 et 6 juin prochains,vous aurez l’occasion de regarder la Suisse autre-ment. Commençons par la vache, ce symbole hel-vétique par excellence, qui a livré récemmentquelques-uns de ses secrets aux scientifiques. Etqui a réservé des surprises aux chercheurs.

R E L I G I O N

Le football a-t-il pris Dieu en otage? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 40

C’est un ballet que les téléspectateurs connais-sent bien, et qui se reproduira sans cesse du 11juin au 11 juillet, lors de la Coupe du monde defootball en Afrique du Sud. On voit des joueursentrer sur un terrain et se signer. Quand ils tri-chent, ils invoquent la «main de Dieu». Et quandils gagnent, ils «communient» avec leurs fans…Ecarts de langage ou réalité? Le point avec DenisMüller, professeur d’éthique à l’UNIL.

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C’est le samedi 5 et ledimanche 6 juin (le ven-dredi 4 étant réservé auxécoles) qu’aura lieu l’édi-tion 2010 des Mystèresde l’UNIL, les tradition-nelles journées portesouvertes, qui permettrontaux visiteurs de cetteannée de «Découvrir laSuisse autrement».Plus de 200 chercheurs,enseignants et étudiantsvous accueilleront àl’UNIL, sur le campus deDorigny, pour vous racon-ter la Suisse autrement àtravers leurs recherches,et partager leur quotidienavec vous. Deux énigmes,quinze laboratoires et trei-ze ateliers seront autantd’occasions d’exercer vo-tre curiosité scientifique,d’explorer l’histoire et devous interroger sur cesmythes et traditions quiconstituent le patrimoinede notre pays.Toutes les animations sontgratuites et destinées à unpublic de 7 à 100 ans. Aumenu, il y aura notammentdes vaches (avec un atelierintitulé «La vache, une his-toire sans tache»), de lafondue («La fondue, c’estde l’alchimie, un metsséculaire à l’origine de lacuisine moléculaire?»), desmontres («Un horlogerassemble une montre sousvos yeux en vous racontantles secrets d’un chrono-graphe ou des phases delune») et Guillaume Tell (a-t-il existé?). Et biend’autres animations.A propos de «Découvrir laSuisse autrement», vouspouvez commencer levoyage en page 30, avecun article qui vous proposede constater à quel pointnous sommes proches dela vache et de la poule,ces compagnons de labasse-cour.Plus d’infos sur Internet :http://www3.unil.ch/wpmu/mysteres

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Le rendez-vous

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E N A P A R L É !

Allez savoir !

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E lle montrait le bout de sa langue en première pagede la précédente édition d’«Allez savoir!». C’était

à la fin novembre 2009, et la panthère nébuleuse,qu’on appelle aussi le léopard tacheté de Bornéo,avait été choisie pour illustrer un article consacréaux 18’000 nouvelles espèces animales qui sontdécouvertes chaque année par les scientifiques.Ce magnifique félin a connu, depuis lors, un suc-cès médiatique retentissant. D’abord grâce à unscientifique malais qui a réussi à tourner – c’étaitune première – une vidéo montrant la promenadenocturne d’un de ces chats géants. Vidéo qui cir-cule sur Internet depuis la mi-février 2010.

L’animal nous a encore – et bien involontairement – offert une démons-tration du fonctionnement totalement imprévisible des médias, cette boîtenoire géante où l’on fait entrer des informations, sans jamais savoir aveccertitude comment elles vont être reçues, digérées, malaxées, analysées,ni où elles vont être recyclées et finalement reproduites.Alors que l’article consacré aux nouvelles espèces animales était paru àla fin novembre dans «Allez savoir!», il a été repris le 3 février 2010 dans«La Liberté». Cette réédition, également illustrée d’une belle panthèrenébuleuse, a alors attiré l’attention de la rédaction lausannoise du «Matin»,qui consacrait, le jeudi 4 février, l’un de ses «3 (portraits) qui font l’actu-alité» au professeur associé de l’UNIL Daniel Cherix, largement cité dansl’article d’«Allez savoir!», parce qu’il «offre un peu d’espoir et d’optimisme»en annonçant qu’il reste encore 4 à 5 millions d’espèces à découvrir.Un autre sujet tiré du dernier «Allez savoir!» nous donne à réfléchir surle fonctionnement des médias helvétiques. On penseici à l’intérêt (assez inespéré) qu’a rencontré l’ar-ticle consacré à «Joseph, l’oublié de Noël». Unthème qui ne semblait, a priori, pas promis à ungrand succès médiatique. D’abord parce qu’il s’in-téressait à un antihéros, «l’oublié» de Noël, etparce qu’il portait sur une thématique religieuse,dont les rédactions sont habituellement peufriandes, en dehors des livres de Dan Brown.Et pourtant, cet article d’«Allez savoir!» a connudes reprises à foison. «Lausanne-Cités» en faitsa Une et a consacré une pleine page à ceJoseph raconté par les théologiens de l’UNIL.«La Liberté» a également publié de très larges ex-traits de l’article d’«Allez savoir!» Et Mme la Conseillère aux EtatsGéraldine Savary y a consacré une de ses chroniques du samedi dans «LeMatin», en confessant que ce Joseph, «vrai mari» et «père aimant», étaitson personnage préféré de la crèche. Enfin, et c’est peut-être le plus éton-nant, cet article qui apporte une vision très protestante et sans tabou deJoseph, a été lu jusqu’à Rome, où un membre d’une congrégation dévouéeà saint Joseph a demandé l’autorisation de le traduire en italien.A ce petit jeu de l’audimat, qui aurait imaginé que ce bon Joseph vien-drait voler la vedette à la panthère nébuleuse? Il nous encourage, en toutcas, à continuer la quête de sujets tirés de l’histoire biblique, puisque leslecteurs, et même les médias, en redemandent.

Allez savoir!

Joseph et la panthèrenébuleuse…

G É O S C I E N C E S

Les Suisses, champions du monde de la découverte de nouvellesespèces minérales . . . . . . . . . . . . . . . . . page 48

Chaque année, une quarantaine de nouvellesespèces minérales sont décrites dans le monde.Tout particulièrement dans notre pays, où, rap-portées à la surface du territoire, les découvertessont les plus nombreuses. Plongée dans le règneminéral avec deux chercheurs du Musée canto-nal de géologie de Lausanne

L A V I E À L’ U N I L

L'UNIL en livres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 58Formation continue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 62Abonnez-vous, c’est gratuit! . . . . . . . . page 64

L’info

Saviez-vous que, rapporté à la surfacedu territoire, le nombre de nouvelles

espèces de minéraux décrites est plusgrand dans notre pays que partout ail-leurs? Si non, «Allez savoir!» vous faitdécouvrir la marécottite, la xocolatlite,la scheuchzerite, l’ansermetite, la pizgri-schite et françoisite à cérium, ces nou-veaux minéraux découverts par des cher-cheurs lausannois.Explications en pages 48 à 57

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Qui sont vraiment lesélites suisses?Alors que l’UNIL accueille, le 20 mai

prochain, le traditionnel Forum des 100

organisé par le magazine «L’Hebdo», un

groupe de chercheurs lausannois travaille

à une monumentale biographie collective

des élites en Suisse au XX e siècle. Regards

croisés sur «ces personnalités qui comptent».

Doris Leuthard sera à l’UNIL, le jeudi 20 mai, à l’invitation du Forum des 100 organisé par le magazine «L’Hebdo».

Au menu de l’édition 2010, les «Leçons de la crise, défis d’avenir». La présidente de la Confédération devrait y répondre à des questions telles que :

où en sommes-nous et qu’avons-nous appris des crises? ▲

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Q u i s o n t v r a i m e n t l e s é l i t e s s u i s s e s ?

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A ujourd’hui, elles s’appellent DorisLeuthard, Ernesto Bertarelli ou

Nicolas Hayek. Voici un siècle, on par-lait des Sulzer, des Schmidheiny et deGeorg Fischer. Tout au long des XIXe etXXe siècles, les élites suisses ont joué unrôle central dans la construction du paysen se distinguant par la concentration deleurs pouvoirs, économiques, politiqueset militaires.

De ces élites, on a pu dire qu’elles for-maient une «société fermée», le fameux«Filz helvétique», très critiqué depuis lafaillite de Swissair, mais aussi après lesexcès des grandes banques et la gestionmaladroite des crises à répétition que tra-verse le pays (crise économique, attaquessur le secret bancaire, affaire Kadhafi,etc…).

Les élites suisses n’ont jamais été étudiées de manièresystématique

De ces élites, curieusement, aucuneétude systématique n’avait été réaliséejusque-là. Pour combler cette lacune, ungroupe de la Faculté des SSP de l’UNILen a entrepris la prosopographie – c’est-à-dire la biographie collective – pour leXXe siècle. Ce travail colossal, débuté auprintemps 2007 et financé par le Fondsnational suisse de la recherche scienti-fique (FNS), s’achève cet automne. Il apermis de dresser une base de donnéesde plus de 14’000 noms.

«L’objectif, expliquent Thomas Davidet André Mach, est d’une part de mieuxcomprendre la manière dont les élites desdifférentes sphères de la société – éco-nomie, politique et administration –interagissent entre elles, et, d’autre part,

de dresser un portrait collectif de ces per-sonnalités.» Ceci en pointant cinq datesrepères qui couvrent les grandes étapesdu siècle : 1910, 1937, 1957, 1980 et 2000.

Les élites culturelles,médiatiques et académiquesattendront

«A l’origine, nous voulions aussiprendre en compte les élites culturelles,notamment médiatiques et académiques.Mais vu l’ampleur de ce travail, nousavons reporté cette étude à moyenterme.»

Cette recherche trouve un écho sin-gulier dans une mode bien actuelle : les«rankings» et autres «listings» de «leaders», établis régulièrement par de grands médias américains comme«Fortune» et «Forbes». Un phénomènequi touche également la Suisse, avec des titres comme «Bilanz», «Bilan» et«L’Hebdo».

Ce dernier a ainsi créé un Forum des100 qui désigne et rassemble depuis cinqans les «100 personnalités qui font laSuisse romande», et dont l’édition 2010se tiendra dans les murs de l’UNIL, lejeudi 20 mai.

Qui sont nos leaders : des «élites» ou

des «personnalités» qui comptent ?

Les 100 désignés par «L’Hebdo» sont-ils différents des 14’000 recensés par legroupe de recherche de l’UNIL? Quellesdistinctions peut-on faire entre les élitesd’hier et les «personnalités» qui comp-

Peter Kurer (à g.) et Marcel Ospel, à l’époque où ils dirigeaient l’UBS.

Ils incarnent ces élites suisses, dont on a pu dire qu’elles formaient une «société fermée»,

le fameux «Filz helvétique», qui a été très critiqué avec les crises à répétition

que traverse le pays

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tent au XXIe siècle? «Allez Savoir!» aposé la question aux chercheurs.

«Le mot «élite» est une notion diffi-cile à saisir, car très normative, prévientAndré Mach. Il renvoie à l’idée de per-sonnalités dotées de qualités supérieuresà la moyenne, ce qui leur conférerait «defacto» une sorte de droit de décision surl’économie, la politique ou la vie sociale.»

L’élite, c’est devenu négatif

«Cependant, «L’Hebdo» n’utilise ja-mais le terme d’élite, souligne ThomasDavid, ni dans ses textes ni dans lesconférences du Forum des 100, dontnous avons parcouru les archives sur lesite du magazine. «L’Hebdo» et ses invi-tés parlent toujours de «personnalités».Il y a vingt ans, le mot «élite» aurait étéemployé, mais le terme a pris une conno-tation négative.»

Pour échapper à cette connotation, legroupe de recherche de l’UNIL a définides critères de sélection plus objectifs :les positions de pouvoir occupées par desélites dans les différentes sphères : la poli-tique, l’économie et l’administration.

En politique, l’équipe a retenu lesmembres du Conseil fédéral, du Parle-ment fédéral, ainsi que les membres descomités directeurs des partis nationauxet des exécutifs cantonaux.

Les élites économiques

Pour les élites économiques, cetterecherche se concentre sur les membresdes comités directeurs des sept princi-pales organisations économiques faîtiè-res : Economie Suisse, l’Union patronalesuisse, l’Union suisse des arts et métiers(USAM), l’Union suisse des paysans(USP), l’Association suisse des ban-quiers (ASB), l’Union syndicale suisse(USS) et la Confédération des syndicatschrétiens.

En parallèle, l’équipe de l’UNIL aretenu les noms des dirigeants des 110plus grandes entreprises suisses, à savoirles membres du conseil d’administrationet les directeurs exécutifs.

Dernier groupe étudié, les élites admi-nistratives : les hauts fonctionnaires fédé-raux, les trois directeurs généraux de laBanque nationale suisse, les directeurs

d’office et secrétaires de départementainsi que les membres du Tribunal fédé-ral.

Des élites de milice qui se cooptent

L’intérêt du cas suisse, soulignent leschercheurs de l’UNIL, réside dans l’im-portance du principe de milice (en par-ticulier pour la politique et l’armée) quifavorise les cumuls de fonctions dans plu-sieurs sphères sociales. Même si cetteforme de concentration de pouvoir a per-du de son importance au cours du XXe

siècle, il est encore fréquent aujourd’huide trouver des conseillers nationaux quioccupent des fonctions dirigeantes dansl’économie et sont aussi officiers supé-rieurs à l’armée.

«La démarche de «L’Hebdo» est trèsdifférente de la nôtre, souligne AndréMach, car elle n’a pas de but scientifique.Ses critères de choix ne sont mention-nés nulle part, et semblent assez subjec-tifs. Les différentes catégories choisiesen 2009 illustrent cet arbitraire : «lea-ders», «espoirs et éminences grises», «icô-nes et aventuriers», «artistes et provoca-teurs», etc.

Les chercheurs de l’UNIL observentcependant que l’objectif de «L’Hebdo»est surtout de valoriser une région et lespersonnalités qui l’incarnent. Pourtant,malgré tout ce qui sépare les deux dé-marches – académique et médiatique –la première a beaucoup à dire sur la se-conde.

Où se retrouvent les élites ? Du Rotary Club

au Forum des 100«Ce qui nous a frappés dans notre re-

cherche, c’est l’analyse des lieux de so-ciabilité des élites, note André Mach.Autrement dit, les cadres dans lesquelsles élites se rencontrent.» Pour le XXe

siècle, l’équipe en identifie trois princi-paux : les sociétés d’étudiants, l’armée, et,plus récemment, le Rotary Club. Aujour-d’hui, poursuit Thomas David, «ces lieuxde repères traditionnels sont en perte de

Au XXe siècle, les élites se retrouvaient souvent dans les sociétés d’étudiants, à l’armée, et, plus récemment, au Rotary Club. Aujourd’hui,

ces lieux de repères traditionnels sont en perte de vitesse. Et «L’Hebdo», avec son Forum des 100(ici une photo de l’édition 2009), offre un nouveau lieu de «réseautage», comme le dit volontiers

le rédacteur en chef du magazine Alain Jeannet

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Q u i s o n t v r a i m e n t l e s é l i t e s s u i s s e s ?

vitesse. Et peut-être «L’Hebdo» prend-il le relais en créant un lieu de rencontre»,de «réseautage», comme le dit volontiersle rédacteur en chef du magazine.

L’époque des officiers membresdu Rotary Club

«Jusque dans les années 1980, beau-coup de gens de notre échantillon sontencore officiers à l’armée et membres duRotary Club, note André Mach. Le pointcommun entre le Rotary et l’état-majorde l’armée est qu’on y entre par coopta-tion. L’autre similitude est que ces deuxorganisations ont longtemps exclu lesfemmes. Ceci explique en partie pour-quoi cette catégorie est si minoritairedans nos statistiques.» Le déclin de ceslieux de sociabilité traditionnels expli-querait aussi le succès actuel des «ran-kings» et autres forums médiatiques.

«L’idée de dresser de telles listes n’esttoutefois pas une invention récente, rap-

pelle Thomas David. Dans les années1930-1940, des syndicalistes et des intel-lectuels de gauche le faisaient pour mieuxdénoncer le milieu. Un certain Pollux,alias Georges Bähler (1895-1982), a rédi-gé des études sur l’interdépendance del’économie, de la finance et de la politiqueen Suisse. Dans un ouvrage publié en1945, il soulignait que la Suisse était gou-vernée par 200 familles, principalementdes vieilles familles aristocratiques etpatriciennes. Aujourd’hui, cette intentioncritique se renverse. Il s’agit bien plusde promouvoir les élites.»

L’époque des listes des 100 plus riches

Dans la presse suisse, le magazine«Bilanz» est le premier à s’être lancé à lafin des années 1980 avec sa liste des 100plus riches. «Mais la liste de «Bilanz»,on l’a oublié, avait créé la polémique, rappelle André Mach, car, dans cette dé-

marche, il y avait une volonté de trans-parence sur un critère objectif : la for-tune. La démarche de «L’Hebdo», elle,ne se concentre pas sur l’argent, mais surla réussite dans tous les secteurs (poli-tique, économique, culturel, sportif, etc.).Elle vise aussi un autre objectif : promou-voir le titre et le positionner comme ledéfenseur de la Suisse romande.»

Devenues people, les élites sont plus visibles.

Sont-elles plustransparentes ?

La recherche sur les élites en Suisserévèle leur goût traditionnel pour unecertaine discrétion. «Dans les années1930-1960, la presse et les revues publi-aient certes des portraits de personnali-tés, mais l’objectif était différent, rappelleThomas David. On le faisait à l’occasion

Durant la majeure partie du XXe siècle, les élites suisses ont fait preuve d’un goût prononcé pour la discrétion. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, à l’heure des élites «people», dont Ernesto Bertarelli, businessman et patron d’Alinghi, accompagné ici

de son épouse chanteuse Kirsty (à g.), et de sa sœur Dona, est l’une des figures les plus visibles

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→de jubilés, d’anniversaires, ou pour célé-brer une réalisation particulière. Les né-crologies, fréquentes à l’époque, étaientaussi d’excellente qualité et bien docu-mentées sur les origines, la formation, lesparcours et réalisations des élites.» Pourles historiens, ces textes demeurent unoutil de travail très précieux.

Aujourd’hui, la presse élit les élites

«Autrefois, la presse rendait hommageaux élites, résume Thomas David, au-jourd’hui, elle les élit.» «L’Hebdo» parled’ailleurs explicitement de «lauréats».«Cette mise en valeur, cette autopromo-tion sans actualité particulière et sur unton hagiographique, est un phénomènenouveau», observe André Mach.

Du point de vue du contenu, les por-traits du Forum des 100 «nous appren-nent peu de chose pour notre objetd’étude», note Thomas David. «Rien ousi peu sur les conditions et les circons-tances de leur réussite. On a l’impressionque ces élites ne doivent leur succès qu’àleurs qualités personnelles. On perd ainside vue que beaucoup sont partis avec cer-tains avantages dans la vie. Je ne doute

pas de leurs mérites, loin s’en faut, maisles mécanismes de reproduction que sontla formation scolaire et professionnelle,la fortune familiale, les réseaux et les ins-titutions, ont joué un rôle important dansla carrière de ces personnes.»

Les chercheurs restent donc perplexessur le sens de cette ellipse : s’agit-il làd’une volonté éditoriale ou d’un contrôleque les élites imposent sur leur image?«D’un certain côté, il y a un dévoilementde ces personnalités. Mais d’un autrecôté, l’essentiel n’apparaît pas», estimeThomas David. Ceci renouerait avec legoût pour la discrétion des élites qui, «àl’ère des «people», exhibent pour mieuxcacher».

Quelle place pour les femmes dans

les élites ?La liste dressée par «L’Hebdo» est-

elle représentative des élites actuelles?«C’est difficile à dire, car les critères desélection sont très différents des nôtres»,répond Thomas David. Quelques pointsde comparaison, tout de même : commen-çons par la proportion de femmes. «Dans

Depuis 1971, et l’introduction du droit d’éligibilité des femmes sur le plan fédéral, les femmes progressent en politique. Ce changement se traduit, en 2010, par la présence spectaculaire

de trois femmes au sommet du pouvoir politique helvétique : une présidente de la Confédération, Doris Leuthard (au centre, sur la photo), une autre femme à la tête du Conseil des Etats, Erika Forster

(à g.), et une troisième élue au perchoir du Conseil national, Pascale Bruderer (à dr.).

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Thomas David est professeur assistant à l’UNIL et codirecteur de la recherche «Les élites suisses au XXe siècle : un processus

de différenciation inachevé?»

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la liste de «L’Hebdo», nous en avonsrecensé 32 %. C’est une proportion biensupérieure à celle que nous avons calcu-lée selon nos critères.»

22 % en politique, 7 % enéconomie

Pour l’an 2000, l’équipe de recherchede l’UNIL recense environ 10 % d’élitesféminines en moyenne dans ses listes :22 % en politique, 7 % en économie et 8 %dans l’administration. Conclusion deschercheurs : «Les critères médiatiquestendent à minimiser les inégalités réellesentre hommes et femmes, même si, enparticulier dans la sphère politique, laproportion de femmes a connu une pro-gression certaine depuis 1971, date del’introduction du droit d’éligibilité desfemmes sur le plan fédéral.»

La part globale de femmes parmi lesélites serait certainement plus élevée sil’étude prenait en compte – comme«L’Hebdo» aujourd’hui – les élites cul-turelles, sportives et médiatiques. Maisla recherche dans ces sphères-là reste àfaire.

Notons tout de même que cette pro-gression des femmes en politique se traduit, en 2010, par la présence specta-culaire de trois femmes au sommet du pouvoir politique helvétique : une présidente de la Confédération, DorisLeuthard (PDC, Argovie), une autrefemme à la tête du Conseil des Etats,Erika Forster (radicale, Saint-Gall), etune troisième élue au perchoir du Conseilnational, Pascale Bruderer (socialiste,Argovie).

Ainsi, à ce jour, le Conseil fédéralcompte trois femmes sur sept membres(43 %), le Conseil national en compte29 %, et le Conseil des Etats, 21,7 %.

Quelle place pour les militaires

et les sportifs dans lesélites suisses ?

Les chercheurs de l’UNIL ont encoreété frappés par l’absence de gradés parmiles 100 choisis par «L’Hebdo». «Le nomde Christophe Keckeis y figure, mais

c’est l’exception, note André Mach. Il ya encore 20 ou 30 ans, le grade militaireétait un élément très valorisé par les éliteselles-mêmes. Par exemple, Philippe DeWeck, ancien directeur de l’UBS et mem-bre de l’état-major, a pu déclarer dansles années 1980 que l’armée avait été sonécole de management. La diminution degradés traduit à l’évidence une rupturede la place de l’armée dans la société.»

Il y a 40 % de gradés dans les élites de l’an 2000

«Mais ceci ne veut pas dire que l’in-fluence de l’armée a disparu, tempèreThomas David. Pour l’année 2000, notreétude montre qu’elle joue encore un rôleimportant, avec 40 % de gradés dansnotre liste. Seulement voilà, cet attributn’est plus mis en avant.»

A l’inverse, le sport est une sphère depouvoir autant que de sociabilité quiprend de l’ampleur en Suisse. Et qui apris un véritable essor à la fin du XXe

siècle. Vu la période étudiée pour cetterecherche, les historiens ne s’y sont pasou peu intéressés.

Les hauts gradés, comme, ici, Christophe Keckeis, qui a dirigé l’armée suisse jusqu’à la fin 2007, font-ils encore partie des élites suisses au XXIe siècle? Plutôt oui, si l’on en croit une étude menée à l’UNIL. Plutôt non, si on en croit

les listes des lauréats du Forum des 100 de «L’Hebdo»

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La liste de «L’Hebdo» traduit, en re-vanche, la montée en puissance de cesnouvelles élites, en tenant compte de laprésence à Lausanne du Comité interna-tional olympique (CIO) et d’innombra-bles fédérations sportive internationalesbasées dans la capitale vaudoise, sans ou-blier l’Union des associations européen-nes de football (UEFA) installée à Nyon.Un monde toujours plus étroitement liéaux sphères politiques et économiques,et toujours plus influent, semble-t-il.

Quelle place pour les étrangers dans les

élites suisses ?Les différentes listes des 100 de «L’Heb-

do» donnent l’impression d’un grand cos-mopolitisme au sein des élites en Suisse,au XXIe siècle. Sur ce point, la recherchede l’UNIL donne raison au magazine «bonpour la tête». «Depuis les années 1990, onobserve une internationalisation des con-seils d’administration dans les grandes en-treprises, où le taux d’étrangers a fortementaugmenté», confirme Thomas David.

En 2005, une étude montrait que les étrangers représentaient quelque 40 % des membres de directions générales. Un record en Europe. Cette ouverture est illustrée ici par Peter Brabeck-Letmathe, le patron autrichien de Nestlé, qui sera lui aussi à l’UNIL le jeudi 20 mai pour le Forum

des 100 de «L’Hebdo». Sur cette photo, prise au World Economic Forum de Davos, il discute avec l’Américain Michael S. Dell, de la société Dell

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André Mach est maître d’enseignement et de recherche à l’UNIL et codirecteur du projet «Les élites suisses au XX e siècle : un processus

de différenciation inachevé?»

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Q u i s o n t v r a i m e n t l e s é l i t e s s u i s s e s ?

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En business class, la Suisseconnaît une ouverture record

Dans les années 1980, ce taux étaitinférieur à 4 %. En l’an 2000, il avoisine25 %. Une étude montre même que lesétrangers représentaient, en 2005, quel-que 40 % des membres de directionsgénérales. «De tous les pays européens,la Suisse est celui où l’internationalisa-tion des élites est la plus forte parmi lesgrandes sociétés.»

Pour autant, «ce phénomène n’est pasnouveau, rappelle Thomas David. Avant1914, les élites en Suisse étaient déjà for-tement internationalisées. Le nombre d’é-trangers dans les conseils d’administra-tion y était supérieur à celui de 1980. Onoublie trop souvent le caractère excep-tionnel de la mondialisation de l’éco-nomie, à la veille de la Première Guerremondiale.»

Le grand départ des élitesallemandes

A cet égard, l’internationalisation ac-tuelle n’est qu’un retour à la situation quiprévalait à la fin du XIXe siècle. Lesdeux guerres mondiales et la crise des

années trente marquent en quelque sorteune période de «déglobalisation». Eneffet, durant la Première Guerre mon-diale et les années 1920, la place finan-cière helvétique s’est autonomisée parrapport à la France, et surtout par rap-port à l’Allemagne, la stabilité politiqueet économique de la Suisse contrastantalors avec les difficultés rencontrées parses voisins.

«Le retrait des entreprises et sociétésfinancières allemandes, très présentes enSuisse avant la Première Guerre mon-diale, et l’essor des grandes banques suis-ses se sont traduits par le départ desadministrateurs étrangers et leur rempla-cement par des représentants de l’élitesuisse.»

Le grand retour des élitesétrangères

«Cette «nationalisation» ne signifiepas que les élites helvétiques se sont re-pliées sur elles-mêmes, précise ThomasDavid. Bien au contraire, elles ont conti-nué à entretenir des relations écono-miques étroites avec les pays voisins.Toutefois, les étrangers étaient alorsmoins nombreux à siéger dans les entre-

prises helvétiques. Il a fallu attendre lesannées 1980, et surtout 1990, pour quecette internationalisation redevienne si-gnificative, et pour que le nombre d’ad-ministrateurs étrangers soit comparableà la situation d’avant 1914.»

Appartient-on encore aux élites de

père en fils ?La Suisse des élites industrielles a

donné naissance à des lignées d’entrepre-neurs. Comprendre l’évolution des gran-des familles sur le siècle, et leur dépas-sement à l’ère du capitalisme financier,c’est le thème du doctorat de StéphanieGinalski, membre de l’équipe de recher-che de l’UNIL.

Les grandes famillesalémaniques

La chercheuse a analysé une trentained’entreprises de l’industrie des machinesau XXe siècle, en scrutant pour chaquepériode le degré de contrôle familial de l’entreprise (fonctions dirigeantes,part des actions). «La plupart de cesfamilles sont alémaniques, relève Stépha-nie Ginalski, car, à l’époque, le cœur del’industrie suisse se situait à Saint-Gallpour le textile, à Zurich pour l’industriemécanique, et à Bâle pour la chimie.»

La composition des organes dirigeantsdes organisations patronales révèle aus-si l’évolution des différentes brancheséconomiques. «Vers 1900, l’industrie tex-tile est encore très présente, mais, assezvite, elle est remplacée par les représen-tants de l’industrie des machines, puis desindustries électrotechniques, chimique etpharmaceutique. C’est alors l’époquetriomphante des Sulzer, Georg Fischeret Schmidheiny.»

Bobst, Suchard, Pictet,Lombard, Hentsch…

Il y a peu de familles romandes dansl’industrie des machines, à l’exceptionnotable de Bobst, présente dans le can-ton de Vaud. En Suisse romande, onretrouve aussi l’industrie chocolatière –avec Suchard par exemple – et bien sûrles lignées de banquiers privés, Pictet,Lombard, Hentsch, «mais nous les avonsmoins étudiés». La Suisse romande se

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Stéphanie Ginalski écrit un doctorat à l’UNIL sur le thème «Elites économiques et capitalisme familial : le cas de l’industrie

des machines et métaux au XX e siècle»

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distingue surtout par l’industrie horlo-gère. On voit donc, logiquement, que «leshorlogers sont très présents dans le clas-sement de «L’Hebdo», note StéphanieGinalski.

Si, au fil des décennies, le contrôle desfamilles s’est affaibli dans l’horlogerie, ilreste un phénomène très marqué àl’échelle du pays. Stéphanie Ginalski citeainsi une étude de KPMG, parue en2005, qui confirme la forte présence desentreprises familiales en Suisse.

Hayek, Bertarelli, Kudelski…

Car, comme le relève l’équipe de re-cherche de l’UNIL, de nouvelles dynas-ties sont apparues. On pense aux Hayek(Swatch Group), aux Bertarelli (Serono)et aux Kudelski (Kudelski SA). Les listesde «L’Hebdo» mentionnent, par exemple,Nayla Hayek, directrice des montres Tiffany, fille de Nicolas Hayek, le fon-dateur qui a confié la direction exécu-tive de son Swatch Group à son fils NickHayek. Alors que Marc, fils de Nayla

Hayek, a hérité de la direction de Blanc-pain. «Le père, le fils, la fille et le petit-fils, cela ressemble bien à une dynastie»,observe Thomas David.

L’équipe de recherche de l’UNIL relè-ve enfin l’origine étrangère de plusieursde ces dynasties naissantes. Voici un siè-cle, il y avait Henri Nestlé, un pharma-cien d’origine allemande venu s’établir àVevey pour y créer une multinationale.Aujourd’hui, ils s’appellent Hayek (ori-ginaire du Liban), Bertarelli (Italie) etKudelski (Pologne). En ce début deXXIe siècle, bon nombre de ces nou-velles élites qui jouent un rôle importantdans la construction du pays ne sont pasissues du fameux «Filz helvétique», si cri-tiqué durant les récentes crises.

Le signe que les décideurs helvétiquesne constituent plus un cercle aussi fermé,et donc qu’il y a vraiment quelque chosede changé au cœur de nos élites?Réponse dans les décennies qui viennent.

Michel Beuret

«Les élites suisses au XXe siècle : un processus dedifférenciation inachevé?», un projet financé par le Fond national suisse de la recherche scientifique.Trois doctorants y travaillent :Stéphanie Ginalski, Andrea Pilottiet Frédéric Rebmann.Pour plus d’informations :www.unil.ch/iepi/page54315.html(site web du projet) etwww.unil.ch/elitessuisses (site web base de données)

La Suisse des élites industrielles a donné naissance à des lignées d’entrepreneurs. Certains ont même créé des dynasties, comme les Hayek, avec, sur cette photo, le père et fondateur du Swatch Group Nicolas Hayek,

avec son fils Nick Hayek, qui l’épaule dans la gestion du géant horloger

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Vous n’imaginez pas à quel point

la baignade nous fait du bien

Dans le lac, la mer, l’océan, la piscine du coin,

ou même dans sa baignoire, le simple fait d’immer-

ger son corps dans l’eau déclenche toutes sortes de

changements physiologiques. Ils sont vasculaires,

cardiaques, respiratoires, et on en passe. Les expli-

cations d’un expert de l’UNIL et du CHUV.→

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Vo u s n ’ i m a g i n e z p a s à q u e l p o i n t l a b a i g n a d e n o u s f a i t d u b i e n

C’ est le rêve du vacancier. Piquerune tête, faire quelques brasses ou

barboter en se laissant porter par le cou-rant. Que ce soit dans le lac, la mer,l’océan, la piscine du coin, ou même danssa petite baignoire, on y revient toujoursd’une façon ou d’une autre. L’eau, élé-ment cardinal, souvenir rassurant de no-tre vie fœtale, revigore, relaxe, sans pour-tant que l’on sache exactement comment.Des thermes romains aux spas desgrands hôtels en vogue aujourd’hui, ellea toujours été associée à une forme debien-être. En vérité, le simple fait d’im-merger son corps dans l’eau produit déjàtoutes sortes d’effets insoupçonnés surl’organisme.

L’eau nous ressource

Si l’homme n’est pas fait pour survivreen milieu aquatique, il est fait pour s’yressourcer, c’est une évidence. Plongédans l’eau, tout son être réagit. «L’immer-sion du corps dans l’eau ne modifie pas

seulement le régime des pressions à lasurface et à l’intérieur du corps, maisaussi la répartition du poids relatif entreles différentes parties du corps. Ces chan-gements induisent des effets vasculaires,cardiaques, respiratoires, neurophysio-logiques, neurovégétatifs, humoraux etmécaniques, pour n’en citer que les plusimportants», énumère Rolf Frischknecht,médecin responsable au sein de l’Unitéde Neuroréhabilitation et de Médecinephysique du CHUV. La liste est longue!

Immergés, nous sommes moins lourds. Jusqu’à 90 %!

Premier effet, probablement le plusfacile à appréhender : l’apesanteur. Pourse faire une idée, un baigneur immergédans une eau douce jusqu’au nombrilréduit son poids d’environ 50 %. Si l’eaului monte jusqu’au cou, il pèse 80 à 90 %de moins que sur la terre ferme! C’est lafameuse poussée d’Archimède.

Du coup, contrairement à notre posi-tion habituelle, debout, les muscles peu-vent se décontracter et la charge qui pèsesur les articulations, les tendons et lesligaments s’en trouve forcément allégée;même soulagement pour les genoux, leshanches et les chevilles. En un mot : selaisser flotter, ça relaxe!

Si on se sent comme un poids plumedans l’eau, la pression sur la peau et lestissus profonds, elle, est renforcée. Unepression plutôt utile, que le Dr Frisch-knecht compare à l’effet d’un bas de soutien. «Les veines sont comprimées,surtout au niveau des pieds, à l’endroitoù le corps est le plus profondément immergé. Cette compression décroît progressivement jusqu’à la surface del’eau. C’est ce dégradé de pression quiva accélérer le retour veineux. Le sangest massé vers le haut, vers le cœur qui travaille plus et utilise plus d’oxy-gène.»

Le Dr Rolf Frischknecht est maître d’enseignement et de recherche à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. Il est aussi médecin responsable

au sein de l’Unité de Neuroréhabilitation et de Médecine physique du CHUV

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C’est tout bénéfice, excepté pour lespersonnes souffrant d’insuffisance car-diaque et d’athérosclérose qui devraient,elles, faire trempette avec prudence. Ilarrive en effet que la pression sanguinesoit insuffisante pour garder les artèresouvertes sous la force de l’eau, et quecelles-ci soient tout bonnement écra-sées!

Pourquoi elle est diurétique

La baignade stimule donc la circula-tion du sang et le système cardio-vascu-laire. Mais le même mécanisme entraîneaussi d’autres changements métabo-liques. Pendant que le cœur se met àbattre la chamade, son oreillette droite(une des cavités du cœur) se tend etdéclenche une modification des sécré-tions hormonales. La production d’hor-mone antidiurétique et d’aldostérone di-minue, ce qui va stimuler le travail desreins qui se mettent à excréter plus d’eau

et de sel. D’où cette fréquente envie d’uri-ner après avoir passé un moment dansl’eau.

A côté du système cardio-vasculaireet des fonctions rénales, l’eau favoriseégalement la respiration, simplement parla pression qu’elle va exercer sur le hautdu corps. L’expansion du thorax est frei-née et l’abdomen pousse le diaphragmevers l’intérieur du thorax. Résultat : cedernier ainsi que les muscles intercostauxsont obligés de travailler davantage àl’inspiration pour gonfler le thorax, maisl’expiration, elle, s’en trouve facilitée.Elle est plus profonde.

Comme le froid, l’eau atténueles douleurs

Plus incroyable encore, l’eau est aussicapable d’atténuer la douleur. «Par unmécanisme neurophysiologique lié autoucher et à la température, explique RolfFrischknecht. Tout le monde connaît l’ef-

fet antalgique de la glace. Comme lefroid, la sensation d’une chaleur agréableque l’on ressent lorsqu’on est plongé dansde l’eau tempérée active un mécanismede contrôle de la douleur au niveau dela moelle épinière. Celle-ci trie les infor-mations qu’elle reçoit et inhibe la trans-mission des messages de douleur.»

L’eau chaude active l’ensemble des processusbiochimiques du corps

Tensions et maux articulaires s’entrouvent atténués. «C’est un peu commeun massage, poursuit le médecin. Leprincipe est identique. Vous envoyez desinformations qui vont inciter la moelleépinière à fermer ce que l’on appelle lesportillons de la douleur.» Cet effet antal-gique s’observe tout particulièrementdans une eau proche de la températuredu corps humain, car il faut que la sen-sation du «toucher» soit agréable.

Quand l’eau est froide, comme ici, en Bretagne, à la plage des Trépassés, vers la pointe du Raz, elle possède des vertus tonifiantes bien connues, et vérifiées scientifiquement

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Vo u s n ’ i m a g i n e z p a s à q u e l p o i n t l a b a i g n a d e n o u s f a i t d u b i e n

Plonger dans l’eau nous met en apesanteur. Un baigneur, qui est immergé dans l’eau jusqu’au cou pèse 80 à 90 % de moins que sur la terre ferme!

Il bénéficie de la fameuse poussée d’Archimède

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La température de l’environnementaquatique joue un rôle non négligeable.Pour d’autres raisons encore. Comme le souligne Rolf Frischknecht, plongédans une eau à 35-36°, on bloque unebonne partie de la dissipation de chaleurdu corps : «Quand il fait froid, la chaleurs’en va par les régions périphériques quise refroidissent, mais quand vous vousimmergez dans de l’eau tempérée, lecorps dans son ensemble peut atteindreles 37°, voire plus. Ce qui stimule toutvotre métabolisme.»

En effet, à cette température-là, l’acti-vité de l’ensemble des processus biochi-miques du corps est stimulée. «Tout – lesorganes, les tissus, les cellules et les en-zymes – fonctionne mieux. Sans compterque la dilatation des vaisseaux sanguinspermet l’acheminement d’un maximum denutriments», précise l’expert de l’UNIL.Cette vascularisation intense active des

mécanismes de récupération et de répa-ration partout dans le corps. L’effet sal-vateur d’un bon bain chaud s’expliquedonc par une réalité physiologique avantd’être psychologique.

L’eau froide, c’est tonifiant

La température ne grimpe évidem-ment jamais si haut quand on se laisseballotter par le ressac de la mer. Maislorsqu’elle est fraîche, l’eau possède toutde même des vertus tonifiantes. Et sur-tout, plus salée, elle accentue la fameusepoussée d’Archimède. Effet décontrac-tant maximal assuré!

Mais surtout, quelle que soit l’eau,dans cet élément, les sensations sur lapeau sont, pour nous, bien plus intenses,rappelle encore Rolf Frischknecht : «Lefait d’avoir une conscience accrue de sonpropre corps ne peut être que bénéfiquepour explorer sa motricité.»

HydrothérapieEmploi thérapeutique de l’eausous toutes ses formes : bains,douches, jets, enveloppements,compresses, etc.

BalnéothérapieSoins prodigués en baignant le corps entier ou en partie dans l’eau de mer ou dans dessources thermales.

ThalassothérapieEmploi thérapeutique de l’eau de mer, mais également desautres éléments du milieumarin : boues, algues, etc.

HydrokinésithérapieExercices thérapeutiques dansl’eau guidés par un thérapeute.

Pratiquer une activité physique dans l’eau permet d’atteindre une dépense calorifique maximale, mais aussi de renforcer son tonus musculaire, d’augmenter son endurance et de raffermir son corps

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→S A N T É

Vo u s n ’ i m a g i n e z p a s à q u e l p o i n t l a b a i g n a d e n o u s f a i t d u b i e n

Le médecin l’observe notamment avecdes personnes handicapées, enfants etadultes, pris en charge selon la méthodeHalliwick, une technique à la fois théra-peutique et récréative. Profitant des ef-fets relaxants et antalgiques de l’immer-sion en piscine, les patients peuvent, enoutre, grâce à l’apesanteur, effectuer desmouvements qu’ils ne pourraient jamaisréaliser autrement.

Pédaler sur un vélo, immergé dans l’eau, renforce le tonus

Mais pratiquer une activité physiquedans l’eau est tout aussi intéressante pourles personnes valides. L’«aquagym» sedécline désormais sous plusieurs formes.Dernier-né des sports en milieu liquide :l’aqua-cycling. L’école-club Migros pro-pose depuis peu à ses clients de pédalersur un vélo, immergés jusqu’à la tailledans l’eau. Avec la promesse d’atteindre

une dépense calorifique maximale, maisaussi de renforcer son tonus musculaire,d’augmenter son endurance et de raffer-mir son corps.

«Selon la vitesse à laquelle vous pra-tiquez vos exercices, la résistance de l’eauva augmenter l’effort et donc le travailmusculaire. On peut travailler à la foisla force et l’endurance», confirme RolfFrischknecht. Sachant que la résistancede l’eau est environ neuf fois supérieureà celle de l’air, on comprend mieux pour-quoi.

Efficace contre les courbatures

Le médecin rappelle aussi l’intérêt dela stimulation du système vasculaire in-duite lorsque l’on pratique un sport dansune eau tempérée. «Quand vous faites uneffort, l’acide lactique (qui provoque lescrampes et les courbatures, ndlr) s’ac-cumule, explique-t-il. C’est ce qui est à

l’origine de l’engourdissement des mus-cles après coup. Les métabolites de l’ac-tivité musculaire doivent être éliminés etrecyclés. Mais plus la vascularisation estbonne dans les muscles, plus l’oxygéna-tion sera importante.» Et c’est l’oxygènequi, justement, permet de recycler l’acidelactique et de limiter sa production.

Que l’on s’immerge pour faire del’exercice ou pour le simple plaisir de sebaigner, que l’eau soit fraîche ou tempé-rée, elle reste donc une source de bien-faits aussi variés qu’inattendus. Alors,pourquoi s’en priver!

Geneviève Comby

Dans l’eau, les sensations sur la peau sont bien plus intenses. Et le fait d’avoir une conscience accrue de son propre corps ne peut être que bénéfique pour explorer sa motricité

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A près l’eau, le bain de soleil. Encoreun grand classique de l’été, dont les

conséquences sont parfois douloureuses.Une peau sensible, ou mal protégée, etc’est le coup de soleil assuré. En quel-ques heures, l’épiderme vire écarlate.Impossible de l’effleurer sous peine d’attiser une atroce sensation de brûlu-re. Tout le monde, ou presque, connaîtça. Mais ce n’est que récemment que des chercheurs suisses de l’UNIL, duCHUV et de l’EPFZ ont décortiqué lemécanisme exact du coup de soleil. L’in-flammation de la peau agit, en réalité,comme un mécanisme de défense.

Une substance du corps lance un message d’alerte

Au départ, les scientifiques étaientloin de se focaliser sur l’abus d’UV, tout

occupés qu’ils étaient à décortiquer lesinteractions d’une protéine au nom unpeu barbare, la EBBP, présente dans lescellules qui composent la couche supé-rieure de la peau, les keratynocytes. C’estainsi qu’ils ont découvert qu’une sub-stance sécrétée par ces cellules de l’épi-derme, l’interleukin-1b, correspondait enfait à une sorte de message d’alerte ducorps.

Les effets inattendus des UV

De fil en aiguille, les chercheurs ontdécouvert que ce signal d’alerte était lui-même activé par un ensemble de protéines contenues dans les cellules del’épiderme, l’inflammasome. Une inflam-mation déclenchée, au départ, par l’expo-sition aux ultraviolets!

«On ne savait pas que les UV entraî-naient la sécrétion de l’interleukin-1b,c’était un résultat inattendu», confirmele Pr Daniel Hohl, médecin-chef au Ser-vice de Dermatologie et Vénérologie duCHUV et professeur associé de derma-tologie à la Faculté de biologie et demédecine de l’UNIL.

L’enveloppe de notre corps, l’épider-me, est la première barrière de défensecontre les agressions extérieures, qu’ils’agisse de microbes, de virus ou d’UV.Dans le cas des UV, le mécanisme inflam-matoire se met en route environ sixheures après l’exposition. D’où l’appa-rition de rougeurs sur la peau.

Vous pelez? C’est parce que vos cellules se suicident

«Nous avons découvert un des méca-nismes en jeu dans le coup de soleil, rela-tivise toutefois le spécialiste. C’est unphénomène complexe. Il avait déjà étéexpliqué auparavant, par exemple par lefait que les rayons UV abîment certainescellules. Celles qui sont trop endomma-gées décident alors de se suicider enquelque sorte et meurent. C’est ce quevous constatez quand vous pelez. Il y aégalement le fait que les vaisseaux se dila-tent, une vascularisation à l’origine del’érythème cutané.»

La découverte de l’UNIL, du CHUVet de l’EPFZ ouvre toutefois la voie àd’autres recherches potentiellement pro-metteuses, notamment en ce qui concerneles traitements des lucites, ces réactionsallergiques souvent auto-immunes à l’ex-position au soleil, voire peut-être un jourà une meilleure protection contre l’effetcancérigène des rayons UV. Pourquoipas, en effet, imaginer une sorte de vac-cin constitué d’anticorps qui prévien-draient l’inflammation liée à une troplongue exposition au soleil et donc l’ap-parition de tumeurs…

G. C.

On a élucidé le mécanisme du coup de soleil

Des chercheurs suisses ont récemment démontré que l’inflammation de la peau agit, en réa-lité, comme un mécanisme de défense. Les explications de Daniel Hohl, médecin-chef auCHUV et professeur associé à l’UNIL, qui a participé à cette découverte.

Pr Daniel Hohl, médecin-chef au Service de Dermatologie et Vénérologie du CHUV et professeur associé de dermatologie à la Faculté

de biologie et de médecine de l’UNIL

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É C O N O M I E

La Suisse romande de «hedge funds».

Historiquement basés à Londres, les ges-

tionnaires de «hedge funds» sont de plus en plus

séduits par le bassin lémanique. Faut-il s’en

réjouir, ou craindre la réputation sulfureuse

de ces fonds accusés de spéculer sur les mal-

heurs des autres, qu’il s’agisse d’Etats endet-

tés, comme la Grèce, ou d’entreprises en per-

dition? Les explications d’un expert de l’UNIL.

Le grand public a découvert les «hedge funds» avec le scandale Madoff, et il a appris que ces fonds spéculatifs ont joué un rôle dans la chute de l’euro,

liée aux dettes de la Grèce. Il se demande donc pourquoi ses responsables politiques s’activent pour attirer ces opérateurs sulfureux dans

l’arc lémanique…

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attire de plus en plus Bonne nouvelle ?

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É C O N O M I E

L a S u i s s e r o m a n d e a t t i r e d e p l u s e n p l u s d e « h e d g e f u n d s » . B o n n e n o u v e l l e ?

L e grand public a découvert l’exis-tence des «hedge funds» durant le

scandale Madoff. Il a encore appris queces fonds spéculatifs ont joué un rôledans la chute récente de l’euro, liée auxdettes de la Grèce. Et pourtant, ce mêmegrand public voit des responsables poli-tiques respectés, comme le Vert genevoisDavid Hiller, prendre des mesures pourque ces sulfureux «hedge funds» quittentLondres et viennent s’installer en Suisseromande…

Comment comprendre cet apparentparadoxe? Et d’abord, pourquoi ces fondsanglais viendraient-ils s’établir sur lesbords du Léman, comme on peut le liredepuis quelques mois dans la presse?

Une crise, un déménagement

Parmi les conséquences inattenduesde la crise, il en est une que les gestion-naires de «hedge funds» ne s’attendaient

sans doute pas à affronter : un déména-gement. En effet, s’ils ne sont pas res-ponsables de la crise des subprimes, cesfonds alternatifs sont néanmoins invitésà participer à l’effort de guerre britan-nique, sous la forme d’augmentationsd’impôts massives.

On s’en souvient, les banques deGrande-Bretagne ont dû être largementaidées par l’Etat au plus fort de la crise :elles ont bénéficié de sommes considé-

rables, consenties pour les sauver de la faillite. Le gouvernement s’est ainsiretrouvé actionnaire majoritaire de ban-ques telles que la Lloyds ou RBS (RoyalBank of Scotland). Conséquence logi-que, la dette publique a pris l’ascenseur :elle s’élève aujourd’hui à 56 % du PIB –contre 40 % avant la crise.

Taxé à plus de 50 % sur ses revenus

Pour renflouer ses caisses, le premierministre britannique Gordon Brown apris toute une série de mesures fiscales,certaines visant particulièrement les indi-vidus aisés. Un gestionnaire de «hedgefunds» peut ainsi être taxé à plus de 50 %sur ses revenus. «Historiquement, Lon-dres est le siège de ces activités finan-cières très innovantes et dynamiques,alors que Genève est surtout réputéepour la gestion de fortune, plus tradition-nelle, explique Eric Jondeau, professeurà l’Institut de banque et finance à l’Uni-versité de Lausanne (UNIL). Mais cesmesures fiscales font évidemment réflé-chir les gestionnaires. Sans que l’exodene soit massif, quelques «hedge funds»ont en effet déjà emménagé à Genève.»Une bonne nouvelle? Avant de pouvoirse prononcer, encore faut-il savoir dequoi il retourne…

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Eric Jondeau est professeur à l’Institut de banque et finance de la Faculté des HEC de l’Université de Lausanne

Pour renflouer ses caisses, le premier ministre britannique Gordon Brown (photo) a décidé qu’un gestionnaire de «hedge funds» pourra être taxé à plus de 50 % sur ses revenus

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Qu’est-ce qu’un «hedge fund» ?

Lorsqu’un individu décide de placerson argent pour le faire fructifier, il peutpar exemple décider d’acheter des ac-tions. S’il mise tout sur la même société,il prend un gros risque : le cours de l’ac-tion peut baisser brutalement, ou, pireencore, la société peut faire faillite. L’in-vestisseur perd alors toutes ses écono-mies.

Pour limiter les risques, le plus sageest d’investir dans un fonds, soit une sortede panier qui regroupe des actions dif-férentes, et dont l’investisseur ne possèdequ’une petite part. Il existe des fonds spé-cialisés, par exemple sur un groupe depays (les pays émergents à la santé éco-nomique intéressante – Inde, Chine, Bré-sil…), les cleantechs (technologies ver-tes), etc…

Mais les fonds les plus souvent con-seillés sont alignés sur un indice bour-sier, comme le SMI en Suisse. L’inves-

L’affaire Madoff,pour mémoireNé dans le Queens, un quartier de New York en 1938, BernardMadoff est un entrepreneur auto-didacte qui a notamment gagné savie comme maître nageur avant decréer sa propre société d’investis-sement en 1960. Son entreprisedevient très active à Wall Street,notamment au Nasdaq, que Ma-doff présida entre 1990 et 1993.Sa notoriété lui a permis de mon-ter un «hedge fund »qui, à l’ori-gine, ne comptait qu’un nombrelimité de clients (entre 11 et 25),pour l’essentiel des banques, desfonds et de grosses fortunes per-sonnelles. Parmi ces investis-seurs, plusieurs sociétés suisses.Le taux de profit proposé auxclients, 17 % par an, a intrigué unconcurrent, Harry Markopolos, quiassurait en 2005 que «le plusgrand «hedge fund »du monde estune escroquerie». C’en était une.Car le fond Madoff a accumuléd’énormes pertes.Pour les dissimuler, l’entrepreneura alors monté un système de ventepyramidale, où il payait les inté-rêts des premiers investisseursavec l’argent amené par les der-niers entrés. A ce moment-là, Ber-nard Madoff a très largementouvert l’accès à son «hedge fund»à de nouveaux clients, qui sontdevenus des victimes peu après.Suite à la chute des marchés, en2008, certains clients ont retiréleur mise et ont fait s’écrouler lesystème, révélant une escroquerieportant sur plusieurs milliards dedollars.

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Bernard Madoff (photo) a monté un «hedge fund» qui, à l’origine, ne comptait qu’un nombre limité de clients. Son entreprise ayant accumulé d’énormes pertes, il a tenté de

les dissimuler par le biais d’une escroquerie géante

tisseur possède ainsi une part dans unfonds qui contient des actions d’un grandnombre d’entreprises, actives dans desdomaines très différents, chaque indus-trie y étant représentée dans des propor-tions proches de celles observées dansl’économie réelle du pays.

Avantage : c’est un placement assezsûr, les risques étant bien équilibrés.Inconvénients : quand l’économie plonge,le fonds plonge avec. On dit qu’il y a uneforte corrélation entre la situation éco-nomique et les performances du fonds.

Les «hedge funds» sont ce qu’on ap-pelle en français de la gestion «alterna-tive» : tout le travail des gestionnaires quis’en occupent est de faire en sorte que lefonds soit performant même en temps decrise. Il n’est donc pas corrélé avec lasituation économique. «En théorie dumoins, sourit Eric Jondeau. Parce qu’ilest apparu ces derniers mois que leursperformances ont aussi baissé, commecelles des fonds traditionnels, même sic’est dans une mesure moindre. Je défi-nirais donc plutôt les «hedge funds»

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comme les high-tech de la finance, uneforme de gestion très sophistiquée, dontla caractéristique est de dénicher desopportunités ou d’élaborer des stratégiesque les concurrents n’ont pas encoreidentifiées.»

Comment ça marche ?

Les gestionnaires de «hedge funds»essaient donc de profiter de toutes lesoccasions que les investisseurs amateurset professionnels n’auraient pas repérées.Par exemple en dénichant des actionsdont le prix est inférieur à la valeur del’entreprise – c’est un peu le niveau zérode cette forme de gestion.

De fait, les techniques utilisées sontinnombrables, et, bien sûr, beaucoup plussophistiquées. Parmi les exemples com-préhensibles, même si on n’a pas faitd’études en finance, on peut citer la venteà découvert, elle aussi considérée commebasique par les gestionnaires.

Prenons l’entreprise Alpha, cotée enbourse. Le prix de son action est aujour-d’hui élevé, mais vous savez (ou vouspensez, parce qu’on n’est jamais sûr derien dans ce domaine…) qu’il va baisserdans le mois qui vient. Ce serait doncintéressant de vendre tout de suite cesactions. Problème : vous n’en détenezaucune. Pas grave pour un gestionnaire

de «hedge fund» : il lui est possible devendre aujourd’hui des actions qu’il n’a-chètera que dans un mois, à un prix net-tement inférieur à celui d’aujourd’hui –et il empoche évidemment la différence…c’est tout l’intérêt de ce petit jeu.

Autre exemple, l’arbitrage, une stra-tégie qui consiste par exemple à jouer surla différence de cours pour un même actiffinancier sur deux marchés différents.«Les possibilités sont nombreuses, con-firme Eric Jondeau, et elles sont trèssophistiquées, donc souvent difficiles àcomprendre pour des non-spécialistes.»

Qui s’en occupe ?

On s’en doute, gérer ce type de fondsimplique des compétences pour le moinspointues en finance – avec un profil leplus souvent axé sur les maths. Et il fautavoir déjà une petite réputation dans lemilieu pour susciter la confiance desinvestisseurs. «Ce sont souvent des an-ciens traders qui ont commencé par tra-vailler pour des banques ou des institutsfinanciers, précise Eric Jondeau. Aprèsquelques années au service des autres,ils mettent au point une stratégie et lan-cent leur propre «hedge fund».»

Non sans risque : l’une des particula-rités de ces fonds, c’est que leurs gestion-naires y placent aussi une partie signifi-

Pour investir dans un «hedge fund», il faut être fortuné. La liste des victimes de Madoff (notamment le présentateur TV Larry King, à gauche, et les acteurs John Malkovich et Kevin Bacon, à droite) en témoigne.

Pour les plus accessibles de ces placements, il faut pouvoir investir un minimum de 100'000 francs suisses

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Les gestionnaires de «hedge funds» essaient de profiter des occasions que les

investisseurs n’ont pas repérées. Par exemple, en dénichant des actions cotées

en Bourse (comme ici au SMI suisse) dont le prix est inférieur à la

valeur de l’entreprise

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cative de leur fortune personnelle…Leurs revenus sont directement liés à la performance de leur stratégie, et ils risquent gros s’ils opèrent les mauvaischoix. Mais ça marche : «Avec un fondsclassique, on a un rendement de 6 % par an en moyenne sur 15 ans, avec un«hedge fund», c’est de l’ordre de 10 % paran pour un niveau de risque compara-ble», relève Eric Jondeau.

Qui peut y investir ?

Si tout le monde peut boursicotercomme il l’entend, ou acheter des partsdans un fonds d’investissement sans res-trictions, investir dans un «hedge fund»est plus compliqué. D’abord parce queles montants engagés sont plus impor-tants : on ne peut pas se contenter d’y pla-cer 1000 ou 2000 francs. Y investissentdonc en général des individus très for-tunés ou des institutions.

«Tous ne sont pas inabordables, maisil faut compter 100’000 francs pour lesplus accessibles, détaille Eric Jondeau.

Certains gestionnaires décident de fer-mer leur fonds à de nouveaux investis-seurs – plus le «hedge fund» prend de lavaleur, plus une part est chère.»

Ensuite, en raison de leur caractèreprivé, ils ont une dimension plus «select» :le gestionnaire peut décider de laisser ounon un investisseur entrer dans son capi-tal. Enfin, ces fonds sont en général peuliquides, c’est-à-dire qu’il est difficile declore rapidement sa position. Le tempsminimum pour récupérer son argent estde l’ordre de 3 mois, mais peut atteindreplusieurs années pour certains fonds.

Comment savoir ce qui s’y passe ?

Les «hedge funds» sont encore peuréglementés – même si se dessine actuel-lement à l’échelle mondiale la volontéd’instaurer quelques règles et contrôles.Une de leurs caractéristiques est donc lemanque de transparence : même les in-vestisseurs professionnels ont parfois dela peine à savoir quelle est la stratégie

Les «hedge funds»et la Grèce, pourmémoireSelon le Wall Street Journal, degrands «hedge funds» américainsauraient pris des paris à la baissecontre l’euro, estimant que la mon-naie européenne, qui s’échangeaitcontre 1,51 dollar en décembre,devrait, à terme, ne plus valoir qu’undollar.Le journal assure encore que desgérants de grands fonds commeSAC Capital Advisors LP ou SorosFund Management LLC, du célèbremilliardaire américain GeorgeSoros, ont estimé lors d’un dîner quel’euro présentait une faiblesse cer-taine, en raison des incertitudes surla solidité financière de la Grèce,ainsi que d’autres pays de l’Unioneuropéenne, et qu’il offrait doncl’opportunité d’empocher d’énormesgains.Les «hedge funds» ont donc «aug-menté la pression à la vente sur lamonnaie européenne», a assuré leWSJ, avant de préciser qu’une telleopération n’est pas illégale.

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Des employés grecs regardent les cours de la Bourse d’Athènes, qui se sont effondrés à la suite de paris pris par de grands «hedge funds» américains, qui ont estimé que l’euro présentait

une faiblesse certaine, en raison des incertitudes sur la solidité financière de la Grèce, ainsi que d’autres pays de l’Union européenne

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L a S u i s s e r o m a n d e a t t i r e d e p l u s e n p l u s d e « h e d g e f u n d s » . B o n n e n o u v e l l e ?

Quelques chiffres*En Suisse

«Hedge funds» : 116

A Genève : 40

A Zurich : 24

Masse sous gestion : 17,3(en milliards de dollars)

En Grande-Bretagne

«Hedge funds» : 828

Masse sous gestion : 263(en milliards de dollars)

* Source : magazine «Bilan» du 10 mars 2010

du gestionnaire et à obtenir des détailssur les performances.

«C’est un domaine où la concurrenceest forte, et où vous faites de l’argentparce que vous avez découvert une inef-ficience du marché que les autres n’ontpas encore vue, explique le professeurde finance de l’UNIL. Les gestionnairesgardent donc le secret sur ce qu’ils font– et il est vrai que les «hedge funds» sontpour l’heure encore relativementopaques.»

Pourquoi ont-ils mauvaiseréputation ?

Cette opacité explique en partie quede nombreux clients aient été floués parBernard Madoff, comme bien des pro-fessionnels de la finance d’ailleurs. «Lemanque de transparence favorise sansdoute ce type de comportement, ou entout cas permet de le garder caché pluslongtemps, mais il faut être clair : l’affaireMadoff, c’est une fraude. Le problèmedans cette affaire, c’est la malhonnêtetéde Madoff, pas les hedge funds», assurele professeur de l’UNIL.

L’amalgame se fait pourtant dans l’opi-nion publique, d’où la réputation sulfu-reuse des fonds alternatifs. Que leurdimension spéculative n’aide pas vrai-ment: dans les problèmes financiers dela Grèce, les «hedge funds» ont à nou-veau été montrés du doigt. On les a accu-

sés de précipiter la chute des finances hel-lènes, et surtout d’éroder la confiance deprêteurs éventuels.

En misant sur la baisse des produitsdérivés de la dette grecque, les «hedgefunds» ont en effet renforcé l’insécuritéqui régnait quant à la faculté de cet Etatà rembourser sa dette; et lorsque la con-fiance s’érode, c’est le cercle vicieux.«Que vous soyez un Etat ou une entre-prise, si vous êtes la proie d’un ou de plu-sieurs «hedge funds» qui parient contrevous, c’est clair, vous êtes mal, confirmeEric Jondeau. A part communiquer surce qui vous arrive, comme l’a fait laGrèce, vous ne pouvez pas faire grand-chose pour vous défendre.»

Leur implantation sur Genève et sur Vaud

est-elle une bonne nouvellepour la Suisse ?

«Les perspectives en termes de débou-chés sont vraiment très intéressantespour nos étudiants, s’enthousiasme EricJondeau. La gestion traditionnelle n’estpas toujours très valorisante : ici on at-teint un degré de sophistication élevé, et,soyons honnêtes, le high-tech est tou-jours plus captivant que le low-tech.»

Cela dit, un gestionnaire de «hedgefund» qui déménage n’arrive pas toutseul : il déplace ses collaborateurs avec

lui, soit une centaine de personnes enmoyenne. Les emplois les plus pointussont donc en principe déjà pourvus,notamment par le patron lui-même, àl’origine de la stratégie suivie par lefonds. «Mais, à terme, notamment lors-qu’il s’agira de diversifier cette stratégie,des postes vraiment haut de gamme vontse créer», anticipe Eric Jondeau.

D’un point de vue académique, la pré-sence de ces fonds peut aussi créer desdynamiques intéressantes. Mais c’est lapossibilité d’un changement de stratégiepour la place financière genevoise quiséduit vraiment Eric Jondeau : «Jus-qu’ici, notre avantage compétitif était lesecret bancaire. Outre le fait que c’estun avantage bien fragile, puisqu’il estfondé sur la bonne volonté des gens quien sont dépositaires, on peut se deman-der si c’est vraiment intéressant de se dis-tinguer par le fait de capter l’argent sous-trait aux fiscs des pays qui nousentourent. Même si on fait abstractionde la dimension éthique, avoir pour seulevaleur ajoutée le silence n’est pas trèssatisfaisant. En revanche, si l’industriedes «hedge funds» se développe à Genè-ve, et que l’on s’y distingue, nous auronsalors pour particularité d’offrir à nosclients un meilleur rendement. C’est unavantage compétitif beaucoup plus valo-risant pour un financier, non?»

Sonia Arnal

«La Tribune de Genève» a montré récemment où se sont installés les différents «hedge funds» qui ont emménagé au centre-ville. Une arrivé qui réjouit

les autorités genevoises et vaudoises

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Allez savoir! : On annonce l’ar-rivée prochaine de «hedge funds»britanniques dans le bassin léma-nique. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ?

Pascal Broulis : Je note d’abord quela politique fiscale de Gordon Brown(premier ministre britannique, ndlr) esten train de détruire l’équilibre subtil misen place par son prédécesseur Tony Blair.Ce dernier avait été très malin : il avaitcompris qu’une politique sociale ne peutexister que si, parallèlement, se déve-loppe une économie libérale, notammentpour la place financière londonienne.Gordon Brown touche à cet équilibre, et, comme on l’a vu avec la France sousl’ère Mitterrand, ces mesures fiscalesentraînent une fuite des capitaux ou desindividus fortunés, et elles créent pourle pays un manque à gagner durable.Gordon Brown voulait réduire le déficitpublic par ces mesures; au final, c’est

«Zurich et Genève sont plus directement concernés

que le canton de Vaud»Pascal Broulis préside le Conseil d’Etat vaudois. Ministre des Finances et ex-banquier, ilest bien placé pour analyser l’arrivée des «hedge funds» sur le sol suisse. A l’entendre,les Vaudois en bénéficieront.

contre-productif. Ma foi, tant mieux pourle reste du monde.

La région lémanique va-t-elleprofiter de cette politique fiscaledissuasive des Britanniques ?Cela fait quelques mois déjà que l’on

évoque le déménagement des «hedgefunds», mais, pour l’heure, nous n’assis-tons pas encore à un exode massif…Quelques-uns se sont effectivement ins-tallés en Suisse, mais Zurich et Genèvesont plus directement concernés que lecanton de Vaud, même si, indirectement,nous profitons aussi de ces mouvements,puisque les gestionnaires qui installentleurs bureaux à Genève sont susceptiblesde résider à Nyon ou dans la région. Cesont évidemment des contribuables inté-ressants. Leur arrivée permet aussi dediversifier le tissu économique vaudois– même si leurs activités peuvent susci-ter des craintes, parce qu’elles sont dif-ficiles à comprendre pour un néophyte.

Les «hedge funds» quittentLondres, parce qu’ils y sont taxés à plus de 50 %.Quelles conditions leur sontoffertes en Suisse ?

Ils n’ont pas un statut particulier, com-parativement aux autres contribuables,et leurs gestionnaires sont donc taxés enfonction de leurs revenus. Comme ils sontconfortables, le taux se situe autour des25 %.

Et pour l’UNIL, leur présence a-t-elle un intérêt ?

Bien sûr. Les «hedge funds» offrentdes perspectives dans un domaine trèspointu – c’est de l’ingénierie financière.C’est positif pour la recherche, mais aussipour l’emploi. Les étudiants qui en ontles capacités pourront y occuper desfonctions très intéressantes.

Propos recueillis par S. A.©

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Pascal Broulis, président du Conseil d’Etat vaudois et ministre des Finances

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Ah la vache! Elle a presque autant

de gènes que nous

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A l’occasion des Mystères, les journées portesouvertes de l’UNIL, les 4, 5 et 6 juin prochains,vous aurez l’occasion de regarder la Suisse autre-ment. Commençons par la vache, ce symbole hel-vétique par excellence, qui a livré récemmentquelques-uns de ses secrets aux scientifiques. Et quia réservé des surprises aux chercheurs.

E lle est paisible et contemplative,nous sommes stressés. Elle rumine

pendant que nous avalons ses steaks sai-gnants. Et elle regarde passer les trainsoù nous nous entassons, surtout entreLausanne et Genève. A priori, un mondenous sépare de cet animal que nous avonsdécoré de cloches et de toupins avant dele mettre en enclos. Et pourtant, les géné-ticiens qui ont récemment analysé lesgènes des vaches ont fait des découvertesqui nous rendent soudain bien modestes.

Une vache, 22’000 gènes

Si l’homme est bien la création ultimeque décrivent d’innombrables textes reli-

gieux, ce n’est pas dans ses gènes qu’onen trouve la preuve. Du moins, pas quandon les compte. La vache, qui a livré ré-cemment les secrets de son ADN, nousa appris qu’elle était composée d’au moins22’000 gènes codant l’information néces-saire à la synthèse des protéines. Ce qui larapproche de la poule (20 à 23’000 gè-nes), mais aussi, mais surtout, de l’homme.

«On pouvait imaginer que l’être hu-main, qui est la créature dominante surterre, serait constitué d’un plus grandnombre de gènes que les autres, analyseAlexandre Reymond, professeur associéau Centre intégratif de génomique (CIG)de la Faculté de biologie et de médecinede l’UNIL. On pensait aussi que, quandon aurait décrypté le génome de l’hom-me, le plus difficile serait accompli. Il afallu un peu déchanter. Car on a décou-vert un peu moins de 25’000 gènes co-dants chez l’être humain.»

L’homme est battu par unecréature microscopique

25’000 gènes, c’est un peu mieux quela vache ou la poule, mais – et c’est plusennuyeux pour notre amour-propre gé-nétique –, c’est beaucoup moins que laparamécie, le riz et la vigne. L’ADN d’unplant de pinot noir contient environ30’000 gènes. Il y a plus de 37’500 gènesdans le riz, et près de 40’000 gènes chezla paramécie, cet organisme qui a connuson (autre) heure de gloire en devenantl’un des premiers unicellulaires observésau microscope! Et on ne vous parle pasdu peuplier, et de ses 45’500 gènes…

Si l’homme ne se différencie pas desautres créatures, y compris des plus mi-nuscules, par le nombre de gènes, sa pré-éminence devrait donc s’expliquer par laqualité de son ADN. Mais là encore, lesdécouvertes des scientifiques nous ren-

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Alexandre Reymond est professeur associé au Centre intégratif de génomique de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. Il a notamment travaillé sur le séquençage

et l’analyse des génomes de la souris, de la poule et de la vache

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dent modestes. Car les humains parta-gent des milliers de gènes avec les vaches,les chevaux, les chats et d’innombrablesmammifères.

Nous partageons 70 % de nosgènes avec les mouches

L’homme et la vache possèdent ainsiquelque 14’000 gènes communs. Et nousen partageons un nombre très similaireavec les chiens, les souris et les rats, et mê-me avec les étranges ornithorynques àbec qui pondent des œufs en Australie.

Hors de la famille des mammifères,nos proches cousins, l’être humain par-tage encore 75 % de son génome avec desinvertébrés comme les vers nématodes,60 % avec des oiseaux comme la pouleet des insectes comme les mouches dro-sophiles. Nous avons même 40 % denotre génome en commun avec la bacté-rie E. coli, bien connue pour provoquerdes gastro-entérites chez les humains.

Mais qu’est-ce que la poule a de plus que nous?!

Avalons ces statistiques, puisque nousn’avons pas le choix. Reste à digérer leursconséquences troublantes. D’un point devue génétique, nous ne sommes pas siéloignés de la… poule! «Mais elle peutfaire des choses qui devraient nous ren-dre jaloux, sourit Alexandre Reymond.Elle sait voler, du moins l’espèce sauvagele fait très bien, et ce n’est pas rien!»

Autant dire que ces liens de parentégénétique que nous entretenons avecd’autres créatures vivantes ne surpren-nent pas le généticien de l’UNIL. «Notregénome est encore beaucoup plus pro-che de celui du chimpanzé (il y a près de99 % de similitudes), et pourtant, noussommes très différents.»

Pour expliquer les différences pal-pables entre deux espèces qui ont qua-siment les mêmes gènes, Alexandre Rey-mond suggère de regarder «la manièredont les espèces utilisent leurs gènesquand ils fonctionnent. Si, chez un ani-mal, un gène est utilisé (exprimé) à 85 %,alors qu’il ne l’est qu’à 80 % chez uneautre espèce, ce petit pourcentage peutfaire la différence.»

147 gènes pour faire une vache

Car les différences entre les espèces,on le sait désormais, peuvent tenir à trèspeu d’ADN. Ainsi, il n’y a, chez la vache,que 147 gènes spécifiques sur 22’000! Ilsjouent des rôles, pour l’essentiel, dans lesprocessus d’immunité, de lactation, dedigestion et de métabolisme des bovins.Ils expliquent probablement l’extraordi-naire capacité de ces animaux à trans-former l’herbe ou le foin, si peu nourris-sants pour l’homme, en viande et en laità haute valeur nutritive.

«Ces qualités, propres aux bovins, ontcontinué d’être sélectionnées par l’hom-me au cours des siècles, depuis que

cet animal a été domestiqué au Proche-Orient, explique Alexandre Reymond.Ils témoignent du travail des éleveurs, quiles ont soigneusement choisies.»

Nous n’avons pas attendu la génétique pour sélectionnerles bovins

Une sélection qui se poursuit encoreaujourd’hui, et que la génétique va faci-liter. Pas en créant des vaches OGM.

D’un point de vue génétique, nous ne sommes pas si éloignés de la… poule, qui a entre 20 et 23'000 gènes, alors que l’homme est constitué de 25'000 gènes. Et 60 % de ces gènes sont communs aux deux espèces! Des statistiques qui nous rendent soudain bien modestes

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Le génome de l’être humain présente près de 99 % de similitudes avec celui du chimpanzé,

et pourtant, nous sommes très différents

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Juste en accélérant et en optimisant leprocessus naturel de tri des animaux.

«Depuis que les banques de spermebovin existent, les éleveurs sélectionnentun taureau qui semble avoir de grandesqualités (soit pour donner une race àviande, pour une race laitière ou pour unevache qui combine les deux qualités), ilsinséminent un certain nombre de vaches,et attendent la génération suivante. Là,ils analysent les qualités des veaux quisont nés de ces inséminations. En fonc-tion des résultats, le sperme du taureauva être plus ou moins coté. Ou va êtreéliminé.»

Un risque pour le patrimoinegénétique des vaches

Maintenant que les scientifiques ontpercé les secrets du génome des vaches,il est possible d’évaluer les différencesminimes entre les spermes de deux tau-reaux, et de donner un score aux repro-ducteurs plus rapidement. «Plutôt qued’attendre l’insémination de mille vaches,et les naissances de leurs veaux, ce quiprend du temps et constitue un coût, lesentreprises qui vendent du sperme detaureau vont pouvoir travailler beaucoupplus vite», pronostique Alexandre Rey-mond.

Cette révolution est en marche. 30’000taureaux américains sont déjà génotypés,et la Suisse s’y met à son tour, avec lereste de l’Europe. L’entreprise n’est pas

sans risques. Dans un monde industrielqui va toujours au plus efficace, on peutparier que les éleveurs sélectionnerontdes bêtes qui seront de plus en plusproches. Ce qui aura pour effet d’appau-vrir considérablement le patrimoinegénétique de l’espèce.

«Il faut créer des banquesgénétiques»

«C’est pourquoi, en parallèle à cettesélection génétique, il faudra constituerdes banques génétiques, et conserver lesgènes des races qui ont été sélectionnéesjusqu’alors par nos ancêtres, que ce soiten Suisse ou ailleurs, explique le profes-seur associé de l’UNIL. Parce que lebagage génétique de ces races-là peutdevenir très utile un jour, si un agentpathogène apparaît, et qu’il se révèle ca-pable de tuer toutes les vaches sélection-nées par la génétique. Dans un tel cas,on peut espérer qu’une des variantes dupassé sera résistante à la maladie. Et queses gènes nous seront alors très utiles.»

Une seule vache sur la planète?C’est de la science-fiction

Pessimiste quant à la diversité du pa-trimoine génétique des vaches, Alexan-dre Reymond ne s’attend quand mêmepas à voir un seul type de bovidé prendrela place de toutes les espèces actuelles,et coloniser la Terre. D’abord pour desraisons pratiques. «Sélectionner une seu-

le et même vache pour toute la planète,ce n’est simplement pas possible : parceque l’animal qui vit, en semi-liberté, dansle Sud-Ouest américain, n’a pas les mêmes caractéristiques ni les mêmes be-soins que celui qui sera parfaitementadapté en Inde. Ou alors, il faudrait envi-sager d’élever toutes les vaches néces-saires à la consommation mondiale aumême endroit.» Un scénario de science-fiction.

«Plus de lait, moins de pets»?

Alexandre Reymond ne s’attend pasdavantage à voir naître dès demain desvaches futuristes qui produiraient «plusde lait, moins de pets», selon la formulechoc de «La Tribune de Genève». «Admet-tons que les animaux d’élevage sont bienresponsables de 18 % de l’effet de serre(la thèse est contestée)… En théorie, ondoit pouvoir sélectionner des vaches se-lon n’importe quel critère. Y compris desbêtes qui émettent moins de gaz.»

Mais cet exemple est provocant, poursuit le chercheur de l’UNIL, car lagénétique n’est pas une baguette ma-gique. On n’obtiendra pas ces bovins«verts» d’un claquement d’éprouvette.«La génétique va accélérer les choses.Mais elle ne fera gagner que quelquesgénérations…» Et il en faudra bien plusde trois ou quatre pour sélectionner cesvaches non productrices de gaz à effetde serre.

Théoriquement, la génétique permet de sélectionner une super-vache. Mais en pratique, il y a peu de chances de voir un seul et même bovin coloniser toute la planète, parce que l’animal qui vit sur les alpages suisses (à g.) n’a pas les mêmes caractéristiques

ni les mêmes besoins que celui qui sera parfaitement adapté en Inde (photo de dr.)

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Difficile de gérer des traits aussi complexes

Donner naissance à de tels mutantsne sera pas aussi simple qu’AT et GC fontune séquence ADN. «Etre une bonne lai-tière, c’est très complexe. Ce n’est pasdéterminé par un seul gène, mais pro-bablement par une centaine, poursuitAlexandre Reymond. Et quand on aaffaire à des traits aussi complexes, c’esttrès difficile à résoudre. Nous le savons,parce que des recherches de ce genre ontété effectuées sur de l’ADN humain, pourtenter de mieux comprendre les causesde maladies génétiquement complexescomme le diabète. Ces tentatives ontmontré que l’on pouvait seulement expli-quer une petite partie de l’hérédité de cesmaladies. Il y aura des évolutions, maispas de révolution. La génétique permet-tra d’accélérer les recherches, mais celarestera une politique des petits pas.»

Et le gène de l’amour des trains, il est où?

Que ce soit en matière de dangers (leconcept industriel de la vache unique)ou dès qu’il est question des avantagesde la génétique (les bovins sans gaz, lesthérapies géniques…), la réalité des cher-cheurs et des éleveurs reste donc très

éloignée des cauchemars de ceux que lagénétique inquiète. Comme des fantas-mes de ceux qui en attendent des pro-grès inimaginables. «La génétique faitgagner du temps, mais elle n’efface pasce paramètre», résume Alexandre Rey-mond.

A propos de fantasmes, reste cettequestion amusante et vertigineuse, à la-quelle les biologistes n’ont pas (encore)répondu. Sur lequel des 22’000 gènesbovins est inscrite leur envie irrépressiblede regarder passer les trains? Et, ques-tions subsidiaires : cette aptitude est-elleune caractéristique des seules vachessuisses, ou partagent-elles ce gène avecleurs congénères des autres pays, etmême avec beaucoup d’êtres humains,comme toutes les observations de terrainsemblent l’indiquer?

Au vu de ce qui précède, maintenantque nous savons à quel point les bovinssont génétiquement proches de nous,plus rien n’est inimaginable. En atten-dant ce jour-là, les vaches se consolent…et elles peuvent toujours prétendrequ’elles n’ont pas encore livré tous leurssecrets.

Jocelyn Rochat

Rendez-vous les 4,5 et 6 juinL’édition 2010 des Mystères del’UNIL, les traditionnelles jour-nées portes ouvertes, permettracette année de «Découvrir laSuisse autrement».

Plus de 200 chercheurs, enseignants etétudiants vous accueilleront à l’UNIL,sur le campus de Dorigny, pour vousraconter la Suisse autrement à traversleurs recherches, et partager leur quo-tidien avec vous. Deux énigmes, quinzelaboratoires et treize ateliers serontautant d’occasions d’exercer votrecuriosité scientifique, d’explorer l’his-toire et de vous interroger sur cesmythes et traditions qui constituent lepatrimoine de notre pays.Le vendredi 4 juin sera réservéexclusivement – et sur inscription –aux classes de 3e à 7e du canton deVaud. Le samedi 5 et le dimanche6 juin seront ouverts au grand public.Toutes les animations sont gratuites etdestinées à un public de 7 à 100 ans.Au menu, il y aura notamment desvaches (avec un atelier intitulé «Lavache, une histoire sans tache»), dela fondue («La fondue, c’est de l’al-chimie, un mets séculaire à l’ori-gine de la cuisine moléculaire?»),des montres («Un horloger assembleune montre sous vos yeux en vousracontant les secrets d’un chrono-graphe ou des phases de lune») etGuillaume Tell (a-t-il existé?). Etbien d’autres animations.

Plus d’infos sur Internet :http://www3.unil.ch/wpmu/mysteres

→suite en page 38

Les biologistes ne savent pas encore sur lequel des 22'000 gènes bovins est inscrite leur envie irrépressible de regarder passer les trains. Et ils ne savent pas non plus

s’il s’agit d’une caractéristique des vaches suisses, ou si cette passion est partagée par les ruminants du monde entier

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Allez savoir! : D’où viennent nos vaches actuelles ?

Jacques Hausser : Ce sont les loin-taines descendantes des aurochs qui vi-vaient au Proche-Orient, entre 12’000 et10’000 ans avant notre ère. Ces bovinsont été domestiqués les premiers, puis ilsont progressivement occupé l’Europe.

Ce ne sont donc pas nos ancêtresqui ont apprivoisé les vaches ?

Non. Les aurochs européens n’ont pasbeaucoup contribué à la création des

vaches domestiques actuelles. Parce queles gens qui ont importé l’agriculturedans nos régions avaient le choix entredeux solutions : attraper des aurochslocaux et recommencer tout le travail de domestication à zéro, – ce qui étaitdifficile –, ou importer des animaux déjàhabitués à l’homme. La génétique nousa montré qu’ils ont choisi cette solution.Cela dit, l’étude du chromosome Y con-firme que des mélanges se sont quandmême produits, quand un troupeau devaches était au pâturage et qu’un aurochsmâle venait à passer.

Domestiquer un aurochs, c’est si difficile ?Oui, cet animal était grand, vigou-

reux, agressif, doté de bonnes cornes etdifficile à manier. Et comme c’était unanimal sauvage, il devait avoir des réac-tions de fuite et de défense face à l’hom-me. Maintenant, comme nous n’avonspratiquement pas d’exemple moderne dedomestication de grands animaux – àpart l’élan en URSS, ou les rennes enLaponie, mais ils en sont encore à unstade intermédiaire entre le sauvage etle domestique –, nous sommes obligésd’imaginer ce qui s’est passé entre lesaurochs et nos ancêtres.

Vous avez un scénario à nous proposer ?Je pense que la domestication est ve-

nue comme une conséquence de l’accom-pagnement des troupeaux que prati-quaient nos ancêtres. A l’époque, ilsdevaient suivre les grands herbivoresdans leurs migrations saisonnières. Ilsont sans doute commencé par protégerles bêtes de leurs autres prédateurs, puisil y a eu une lente accoutumance. L’hom-me est alors passé de la prédation directedes aurochs à cet accompagnement, quipermet, par exemple, de repérer un veauabandonné ou des bêtes blessées, de lessoigner et de les adopter. Ensuite, on peutimaginer que ces éleveurs sont progres-sivement passés de la mise en corral à lamise en enclos, pour constituer des ré-serves de nourriture sur pattes. Et fina-lement, qu’ils en sont arrivés à la domes-tication.

«L’homme a changé la vache, et lavache a changé l’homme»

Si la Suisse est aujourd’hui le pays des bovins tranquilles et du gruyère, ce n’est pas parceque nos ancêtres ont domestiqué des aurochs. La vache nous est venue du Moyen-Orient,le fromage, probablement du nord de l’Europe. Et tous les deux nous ont changés en pro-fondeur. Les explications de Jacques Hausser.

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Jacques Hausser est professeur honoraire de l’UNIL. Il y a enseigné la génétique des populations et la formation des espèces.

Spécialiste des musaraignes, il a donné une leçon d’adieu intitulée «Du steak au génome, du loup au bichon, de Lascaux à Picasso :

l’évolution des relations entre l’homme et les (autres) animaux»

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Ces aurochs agressifs n’ont donc pas été les premiersanimaux domestiqués ?

Non, de petits ovins, comme les chè-vres et les moutons, ont été domestiquésavant les vaches. Mais le premier animalà accompagner l’homme, et de très loin,c’était le chien. Encore que dans ce cas,on ne sache pas vraiment qui a domes-tiqué qui. Parce que les loups ont certai-nement commencé par accompagner lestribus de chasseurs, qui étaient des pro-ducteurs de déchets importants, avantque des louveteaux ne soient repérés etapprivoisés par les humains.

L’homme a transformé des aurochs farouches en vachestranquilles. Il influence doncl’animal qu’il domestique.L’inverse est-il aussi vrai ?

Oui. La domestication, c’est toujoursun procédé réciproque. Elle provoquedes modifications de l’homme comme desanimaux domestiques. Si l’aurochs sau-vage est devenu une gentille vache, c’estparce que la première sélection exercéesur ces animaux a porté sur leur com-portement, et pas sur la quantité de laitqu’ils produisaient, ni sur le nombre dekilos de viande qu’ils fournissaient. On

a d’abord sélectionné les animaux mani-pulables, ceux qui n’écrasaient pas leséleveurs contre un mur dans une écurie.On a privilégié des femelles douces ettolérantes vis-à-vis de l’homme.

On voit bien comment l’homme change l’animal qu’il a apprivoisé. Mais commentl’animal change-t-il l’êtrehumain qui l’élève ?Nous avons, par exemple, hérité de la

plupart de nos maladies par notre bétail.La plus connue, actuellement, c’est lagrippe dite porcine, mais qui est à l’ori-gine une maladie d’oiseaux. La grippetraditionnelle nous vient d’ailleurs despoules asiatiques. Les animaux nous ontencore légué de nombreuses autres mala-dies, comme la tuberculose ou la rou-geole, que nous avons héritées du bétail,il y a 10 à 12’000 ans. L’homme a dû s’a-dapter pour survivre à ces maladies, com-me il s’est adapté pour réussir à consom-mer des produits laitiers, ce qui, chezl’adulte, n’était pas gagné d’avance.

Nous avons dû nous adapter au lait ?Oui. Certains humains, plus que d’au-

tres, conservent à l’état adulte les enzy-mes les plus efficaces pour digérer les

produits laitiers. Ils ne vivent pas enChine, mais dans les pays nordiques etau nord de la mer Baltique. Et les vachesde ces régions montrent des signes géné-tiques qui nous laissent imaginer quec’est là que, pour la première fois, cer-tains bovins domestiqués ont été sélec-tionnés pour leurs capacités laitières. Jepense que l’utilisation systématique dulait, et probablement la production defromage, n’est apparue que bien après ladomestication des vaches, et que ces pra-tiques sont nées au nord de l’Europe.Nous, les Suisses, ne sommes pas lesinventeurs de cette culture laitière. Nousl’avons héritée de populations nordiques.Dans mes cours, je montrais une diapo-sitive très explicite sur ces correspon-dances entre les caractéristiques géné-tiques humaines dans certaines régionset l’origine des vaches en Europe.

A part la vache, y a-t-il d’autres exemples qui montrentces influences de l’homme surl’animal ?Oui. Il y a eu, par exemple, une expé-

rience en Russie, près de Novossibirsk,où un chercheur nommé D. K. Belyaeva travaillé avec des renards argentés quiétaient élevés pour leur fourrure. Ce sont,en général, des animaux agressifs, quirestent quasi sauvages, même en capti-vité. En essayant de les sélectionner pourleur seul comportement, ce scientifiquea modifié d’innombrables paramètres,jusqu’à la période de reproduction desrenards. Il a encore observé que certainsanimaux commençaient à avoir des ta-ches dans leur pelage. Il a noté l’appari-tion de queues en boucles, mais aussid’oreilles tombantes et de nez raccour-cis, comme certains chiens… Cet exem-ple moderne montre que les taches quiapparaissent sur des animaux, notam-ment nos vaches, peuvent dépendred’une sélection orientée par des traits decomportement. Le comportement dé-pend du cerveau qui contrôle le systèmehormonal par le biais de l’hypophyse. Onvoit bien, ici, l’influence d’une sélectionbasée sur le comportement, et à quelpoint l’homme peut, ainsi, changer l’ani-mal qu’il élève.

Propos recueillis par J. R.

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Les aurochs, comme cet animal représenté dans la célèbre grotte de Lascaux, étaient grands, vigoureux, agressifs, dotés de bonnes cornes et difficiles à manier. Leur domestication

a certainement causé de grandes difficultés à nos ancêtres

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Après avoir remporté la Coupe d’Allemagne avec le Bayern Munich, en mai 2005, l’international brésilien Lucio célèbre sa victoire en dévoilant un T-shirt expliquant

que «Dieu est sa force». Avec son camarade brésilien Kaka, il porte régulièrement des messages religieux sur ses sous-vêtements

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Le football a-t-il prisDieu en otage?

C’est un ballet que les téléspectateurs connais-

sent bien, et qui se reproduira sans cesse du 11 juin

au 11 juillet, lors de la Coupe du monde de football

en Afrique du Sud. On voit des joueurs entrer sur

un terrain et se signer. Quand ils trichent, ils invo-

quent la «main de Dieu». Et quand ils gagnent, ils

«communient» avec leurs fans… Ecarts de langage

ou réalité? Le point avec Denis Müller, professeur

d’éthique à l’UNIL.

D enis Müller sera de la grande trans-humance en Afrique du Sud. Pour

rien au monde, le professeur d’éthiqueaux facultés de théologie des Universi-tés de Lausanne et de Genève n’auraitlaissé passer l’occasion de humer surplace le parfum du meilleur football dela planète. L’expérience vaut le détourpour le supporter de Neuchâtel Xamaxqu’il est aujourd’hui contre vents et ma-rées, qu’il a été, et qu’il restera définiti-vement, à vues humaines.

Elle prendra à coup sûr une dimen-sion supplémentaire pour celui qui vientde publier aux éditions Labor et Fidesune somme de réflexions au titre trans-parent, «Le football, ses dieux et ses dé-

mons – Menaces et atouts d’un jeu déré-glé» (collection Le Champ éthique). Unefaçon d’annoncer clairement la couleur.

«Ma première religion, ma religion populaire, c’est le football»

Autant dire que Denis Müller n’in-quiète plus personne lorsqu’il répète saboutade préférée et patinée par l’usage…«Ma première religion, ma religion popu-laire, c’est le football. Je me suis convertisur le tard au christianisme, mais j’ai defréquentes rechutes.» On peut le croiresur parole lorsqu’il explique, au-delà dela provocation, qu’«une part importantede ma socialisation religieuse et culturelle

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s’est constituée au contact du football,perçu à la fois comme un art total et com-me le théâtre des inégalités en marche».

«Communion» du public, «main de Dieu», signes de croix

Dans cette perspective, l’éthicienromand semble idéalement placé pourremettre à leurs justes places respectivesla religion et le football. La mission restedélicate parce que tout concourt à brouil-ler les pistes. Il y a évidemment, en première ligne, le vocabulaire usuel desfidèles et les expressions mille fois psalmodiées : la «communion» du publicavec son équipe et ses joueurs, la «mainde Dieu» (en réalité, celle de Maradona,le dieu vivant argentin, pour un but quivalait de l’or, et qui est devenue l’un desfleurons de toutes les bonnes footo-

thèques). Inutile d’insister, les exemplesabondent, tous plus ambigus les uns queles autres.

«Sur les terrains, il y a aussi les signesextérieurs de piété qui se multiplient,avant, pendant et après les matches,ajoute Denis Müller. Il y a ces signes decroix à profusion, ces prosternements surle gazon aussi nombreux que peu dis-crets, ces prières en cercles intimes avantle coup d’envoi…» Ce ne sont pas lesformes de démonstrations «religieuses»en public dans les stades qui manquent,et le Mondial sud-africain promet d’ac-cuser la tendance, proportionnellementaux audiences télévisuelles promises.

Dieu est-il pris en otage?

Dieu invoqué avec une piété débor-dante? Dieu instrumentalisé? Dieu pris

en otage? A ces questions qui s’imposent,Denis Müller répond par deux re-marques qui se passent de longs com-mentaires, et qui ont pour elles d’êtreincarnées dans le quotidien. D’abord,une petite devinette: «Quand le RealMadrid marque, c’est Dieu qui est auxcôtés de l’équipe de Cristiano Ronaldo…mais lorsque c’est son adversaire du jourqui gagne, c’est grâce à qui?» Et puiscette observation, qui a le bon sens pourelle : «On n’a jamais vu les deux capi-taines des deux équipes qui vont endécoudre prier ensemble.»

Quand le beau jeu crée uneforme de communion

Pour autant, la passion du football n’a-t-elle vraiment rien de commun avec unereligion? En admettant que l’existencede deux camps dans la manifestationsportive ne ruine pas dès l’abord la com-paraison, puisqu’il n’y a rien de tel côtéreligieux classique.

Réponse pas évidente, Denis Müllerfait appel à ses souvenirs : «Dans unmatch où le résultat a moins d’impor-tance, il peut arriver que le beau jeu sti-mule une atmosphère qui finit par cul-miner dans une forme de communion :c’est rare, mais ça arrive; alors cette sorte de bonheur supplémentaire (quelmatch!) rapproche ce moment d’une reli-gion.» N’allons pas plus loin pour l’ins-tant!

Dialogue avec le père

Evoquer avec le professeur d’éthiquede l’UNIL les multiples dimensions dufootball, c’est faire inévitablement, et enpermanence, l’aller et retour entre sessouvenirs d’enfance et les textes mul-tiples qui fondent sa réflexion. Où l’onretrouve souvent Norbert Elias («Sportet civilisation. La violence maîtrisée»),Marc Augé («Football : de l’histoiresociale à l’anthropologie religieuse»), etbien d’autres auteurs qui ont su dépas-ser une approche radicale du sport consi-déré définitivement comme une nouvelleversion de l’opium du peuple.

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Denis Müller est professeur d’éthique fondamentale et appliquée à l’UNIL et à l’UNIGE. Il est notamment l’auteur du

livre «Le football, ses dieux et ses démons – Menaces et atouts d’un jeu déréglé»,Ed. Labor et Fides (collection Le Champ éthique), 2008

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Où il se souvient aussi, parmi telle-ment d’autres moments consacrés au bal-lon rond, d’une de ses premières conver-sations avec son père (il devait avoir septans), «quand je n’arrivais pas à com-prendre comment, en opposant deuxéquipes de onze joueurs, il n’en résultaitpas un score éternellement nul et vierge!»Sans qu’il se rappelle, du reste, quelle futla réponse paternelle à cette question«métaphysique». «Ce qui est sûr, par con-tre, c’est que mon père a su me commu-niquer une passion incommensurablepour cette balle ronde qui court, quicourt, et aussi, comme disait ma mèreavec la sagesse populaire, «pour ces idiotsqui lui tapent dedans». Car, par-delà lecirque et les jeux, c’est de lutte contrel’inégalité qu’il est question dans cettedramaturgie fondamentale.»

«Par à-coups, le football laisse entrevoir le surgissementpossible de la gloire»

De fait, en suivant le professeur del’UNIL sur ces doubles traces-là, onredécouvre ce jeu qui rappelle la «struc-ture enfantine» de l’existence, la course

après la balle, la mystification de l’adver-saire, le but atteint après mille astuces,mais, aussi, son versant plus complexe,avec la compétition «typique du modemasculin de domination» (un vainqueuret un vaincu), les aléas et les enjeux psy-chologiques du spectacle dans tous lessens du terme, et enfin sa charge sym-bolique évidente pour notre destinéehumaine (entre solitude et besoin de soli-darité). Ce qui n’en fait pas pour autantune religion!

A ce stade, Denis Müller se rappro-cherait plutôt de Paul Tillich, qui parlede «quasi-religion» : «La plupart dutemps, le football demeure soumis à lacompétition brute et à la violence déshu-manisante d’une pauvre imitation de lareligion et de la beauté; ce n’est que parà-coups et par intermittence qu’il laisseentrevoir le surgissement possible de lagrâce et de la gloire.»

Laurent Bonnard

Qu’ils soient joueurs, comme, ci-dessus la superstar portugaise Cristiano Ronaldo, ou qu’ils soient supporters, comme ce père italien agenouillé avec

toute sa famille, les gestes sont les mêmes. Pour la petite histoire, aucune de ces prières ferventes n’a été entendue.

En 2004, Ronaldo a perdu la finale de l’Euro face à la Grèce, et, en 2008, le père italien a vu la Squadra se faire éliminer par l’Espagne, au terme d’une séance de tirs au but

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Bien que blessé, David Beckham se rendra en Afrique du Sud pour la Coupe du monde de football 2010. On y verra donc quelques-uns de ses fameux tatouages.

Après les prénoms de ses enfants et celui de sa femme en hindou, le joueur a également fait imprimer un Jésus-Christ en croix sur le côté de son ventre.

Becks porte encore trois autres images chrétiennes sur la peau, deux croix et un ange, bien visibles sur cette image

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L orsque les caméras de la Coupe dumonde de football s’attarderont sur

les tatouages des meilleurs joueurs de laplanète, en pleine extase après un but,d’autres images de l’Afrique du Sud neseront pas si loin. Deux siècles aupara-vant, voici ces jeunes filles makalaka, parexemple. Pour elles, la règle était claire :impossible d’envisager le mariage tantque leur ventre et leur buste n’avaientpas été incisés quatre mille fois au mi-nimum, et leurs plaies frottées avec duliquide sombre pour marquer leur peauà vie.

Aujourd’hui, pourtant, l’ancien ta-touage tribal a presque complètementdisparu. Même si certains peuples indi-gènes retrouvent leurs traditions origi-nelles, après des siècles de dominationcoloniale, ce renouveau reste souventmarginal.

La mode du tatouage gagnel’Occident

Le tatouage est, en revanche, en pleinessor en Occident, depuis une vingtained’années. Il y est, cette fois, «considérécomme une forme d’expression artistiqueet une pratique esthétique et individuel-le. Il n’a pourtant pas perdu, en certainescirconstances, un pouvoir marginali-sant.»

Ce constat, c’est celui des meilleursspécialistes, et de Valérie Rolle en par-ticulier. La chercheuse et doctorante ensociologie à l’Université de Lausanne(UNIL) observe et décrit cette évolutiondepuis plusieurs années. Le thème de sathèse à venir témoigne, du reste, des

changements en cours : le métier detatoueur comme activité rémunératrice.

On ne se tatoue pas pour imiteraveuglément les stars

Les footballeurs tatoués sont les vi-trines d’un phénomène de société dontl’ampleur ne cesse de surprendre. Lesstars sont bien sûr suivies à la trace. Lemoindre millimètre de leur peau nouvel-lement encré fait les gros titres.

Le tout dernier dessin ornant l’épaulegauche de David Beckham, une scènemythologique où Cupidon enlève sonamoureuse, la déesse Psyché, a notam-ment amusé les foules, parce que le foot-balleur a choisi une version plus chaste

que l’original, en faisant tatouer un voilepudique sur le sexe de la déesse, tellequ’elle avait été peinte au XVe siècle.

Le corps de l’Italien Marco Materazzifait encore l’objet d’exégèses approfon-dies, pour son mélange de styles (bran-ché, sentimental ou agressif). Et s’il fal-lait mentionner un Suisse, ce serait legardien Diego Benaglio, dont les idéo-grammes chinois, reproduits sur la jam-be, signifient amour, chance et santé.

Rock et tatouage

Si les footballeurs portent quelquestatouages spécifiques (comme cetteCoupe du monde de 28 centimètres queMaterazzi s’est fait tatouer sur la cuisse

Les footballeurs ont le tatouage dans la peau

Ex-pratique marginale, le tatouage est en pleine effervescence, actuellement en Occi-dent. Désormais, les stars du ballon en comptent autant que les rockers, les marins etles prisonniers. Et même les filles en portent. Retour sur ce phénomène avec unesociologue de l’UNIL.

Entraîneur de l’équipe d’Argentine de football, Diego Maradona est un adepte des tatouages à motifs politiques. Il porte un Che Guevara bien visible sur l’épaule, et il s’est

encore fait imprimer l’effigie de Fidel Castro sur une jambeG

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gauche, après son triomphe de 2006), «lamajorité des sportifs ne recherchent pasdavantage l’originalité que la moyennedes adeptes», observe Valérie Rolle.

Et ce grand public, quels motifs s’im-prime-t-il sur la peau? La chercheuse de l’UNIL note que la connivence entre le monde du tatouage et celui du rock reste forte. «Parmi les portraits les plussouvent reproduits, il y a ceux d’ElvisPresley et de Jimi Hendrix. Mais ontrouve aussi d’autres grandes figures quiincarnent un courant musical, commeBob Marley pour le reggae, Kurt Cobainpour le grunge, The Ramones pour lepunk, et, plus récemment, des rappeurs(Eminem, Snoop Dog, entre autres).»

Dans ce grand imagier des iconesrégulièrement tatouées figurent encoreles visages de Jim Morrison (les Doors),de Mick Jaegger et de Keith Richardpour les Stones, ainsi que des person-nages spectaculaires, du genre MarilynManson ou Kiss, sans oublier des artistesfrançais, tels que Johnny Hallyday etMylène Farmer.

L’arrivée en force des motifs de cinéma

Au-delà de ce creuset musical d’ori-gine, Valérie Rolle a repéré des figuresissues d’autres horizons, politique ouscientifique, comme Che Guevara ouEinstein. Elle a aussi remarqué l’entréeen force des célébrités du grand écran,Anthony Hopkins (Hannibal Lecter),Jack Nicholson («Shining»), ainsi quede multiples références aux films de Tim Burton et à la saga «Le Seigneur des Anneaux», et enfin aux œuvres de l’artiste suisse H. R. Giger («Alien»).

Cette fois, les tatoués s’inspirent nonplus des visages, mais d’éléments tirésd’affiches ou de scènes de films, ouencore de pochettes de DVD et de CD,dont les fameuses pochettes du groupede rock Iron Maiden.

Les tatoués n’imitent pasaveuglément les stars

Comment comprendre cet enthou-siasme à fleur de peau? En tout cas paspar un effet «mouton». «Les tatoués etles tatouées n’imitent pas aveuglémentleurs stars préférées, en copiant les motifsqu’elles s’encrent, dit Valérie Rolle. Ilss’approprient les images des célébritésqu’ils admirent pour leurs productionsculturelles et artistiques, les faisant ainsi

circuler à travers un nouveau médium,le corps.»

La chercheuse de l’UNIL proposeencore une explication à cette vogueimpressionnante du tatouage, redéfinidans nos sociétés sur tous les plans, aussibien artistiques que professionnels. «Elleva de pair avec des innovations tech-niques et iconographiques qui permet-tent une explosion des styles, incorpo-rent de «nouveaux» motifs empruntés àdes traditions tribales et asiatiques, sou-vent retravaillés pour devenir plus indi-vidualisés.» Et qui sont, désormais, da-vantage recherchés pour leurs qualitésdécoratives que pour leur charge sym-bolique d’origine.

Des tatouages de plus en pluspersonnalisés

Dans cette perspective, Valérie Rollesouligne qu’«il s’agit de moins en moinsde tatouer des «flashs», c’est-à-dire desdessins prédéfinis mis à la disposition dela clientèle et reproduits tels quels sur lapeau, mais de proposer des dessins per-sonnalisés». Et la technique suit le mou-vement, à moins qu’elle ne le précède :«La gamme des couleurs s’agrandit, per-

mettant une sophistication du renduvisuel des tatouages. Le perfectionne-ment de la machine à tatouer, pouvantdésormais porter quelques aiguilles com-me assembler plusieurs dizaines d’ai-guilles, respectivement pour le tracé detraits fins ou des contours du tatouageet pour le remplissage de surfaces, ac-compagne les améliorations iconogra-phiques.» Malgré ces améliorations, unefaible partie des tatoués sollicite lestatoueurs pour des motifs véritablementcréatifs. «La plupart empruntent encoreleurs motifs à des magazines et à des«flashs», ou surfent sur Internet pourtrouver leur bonheur. La personnalisa-tion du dessin peut être minimale. Ellesemble surtout agir contre une forme destandardisation des motifs de tatouages.»

Quand le tatouage vint aux femmes

Au passage, le tatouage s’est progres-sivement libéré de son passé réservé àdes groupes dont l’aura rebelle était plusou moins affirmée, bikers, marins, sol-dats, prisonniers, entre autres. Les condi-tions étaient ainsi réunies pour gagnerd’autres pratiquants, en particulier les

L’Italien Marco Materazzi s’est fait tatouer une Coupe du monde de 28 centimètres sur la cuisse gauche (photo), après son triomphe lors du dernier Mondial.

Le mot Berlin, bien visible sur cette image, rappelle la finale remportée contre la France, le 9 juillet 2006

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femmes qui représentent aujourd’hui plusde la moitié de la clientèle totale.

Pour Valérie Rolle, qui a spécialementétudié la montée du tatouage féminin, «la majorité écrasante des tatouées ajus-tent leur projet d’encrage en fonction decaractéristiques dites féminines : elles pla-cent leur tatouage sur des parties du corpsdiscrètes associées au féminin, comme laceinture pelvienne ou la cheville; ellesbannissent également tout motif morbideou agressif et favorisent des dessins auxtracés fins et aux ombrages légers.»

En résumé, le virage considérable prisces dernières années peut mener à uneforme de «démocratisation» du tatouage :«Redéfini comme une pratique devanttendre vers l’esthétisme et comme une forme d’expression individuelle de soi, le tatouage est devenu consommable par les «classes moyennes», ne restant ainsiplus l’apanage exclusif des classes popu-laires ou de groupes sociaux spécifiques».Coïncidence ou pas, ce nouveau publicrecouvre largement les foules de téléspec-tateurs attendues pour ce mondial sud-africain. Au menu : football, tatouagescompris.

Laurent Bonnard

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Valérie Rolle est chercheuse et doctorante en sociologie à l’Université de Lausanne. Elle travaille à une thèse consacrée au tatouage,

abordé à travers le regard et la pratique de celles (encore rares!) et ceux qui font profession de tatouer

Victoria Beckham, épouse de David, témoigne elle aussi de la démocratisation des tatouages qui ne sont plus, désormais, réservés à des groupes masculins, et dont l’aura rebelle était plus ou moins affirmée, comme les bikers,

les marins, les soldats ou les prisonniers

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Les Suisses,champions du mondede la découverte denouvelles espèces

minérales

Les Suisses,champions du mondede la découverte denouvelles espèces

minéralesChaque année, une quarantaine de nouvelles espèces

minérales sont décrites dans le monde. Tout particuliè-

rement dans notre pays, où, rapportées à la surface

du territoire, les découvertes sont les plus nombreuses.

Plongée dans le règne minéral avec deux chercheurs du

Musée cantonal de géologie de Lausanne. →

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L e s S u i s s e s , c h a m p i o n s d u m o n d e d e l a d é c o u v e r t e d e n o u v e l l e s e s p è c e s m i n é r a l e s

P récieux, les minéraux le sont tous àun titre ou à un autre. Des gemmes

aux quartz, ils offrent une variété deformes géométriquement parfaites et decouleurs chatoyantes qui impression-nent. Même ceux qui sont plus ternes etmoins esthétiques ont de la valeur. Touspermettent aux minéralogistes et géo-logues de reconstituer l’histoire de laTerre. Ils fournissent aussi une sourced’inspiration aux chercheurs qui élabo-rent de nouveaux matériaux.

Des cristaux nobles dans les Alpes

Dans ce domaine, chaque année ap-porte son lot de découvertes. Certainesbrillent par leur côté spectaculaire. Nico-las Meisser, conservateur de minéralo-gie et de pétrographie au Musée canto-nal de géologie à Lausanne et docteur èssciences à l’UNIL, en cite pour exempleces «cristaux géants de gypse, qui fontjusqu’à sept mètres de long» et qui ontété récemment mis au jour dans des cavi-tés au Mexique. «Ils sont incroyables; ils évoquent le «Voyage au centre de laTerre» de Jules Verne, dit le minéralo-giste qui ne cache pas son admiration.

Plus près de chez nous, dans le can-ton d’Uri, le cristal le plus long des Alpesa été découvert fin 2008, à 2’500 mètresd’altitude, au Planggenstock, dans leGöscheneralp. Il ne mesure qu’un peuplus d’un mètre, mais il est constitué decristal de roche (quartz transparent), «unmatériau plus noble que le gypse mexi-cain», précise le chercheur lausannois. Cesont des cristalliers professionnels qui,après avoir suivi un filon pendant unevingtaine d’années, ont finalement trouvéce minéral «splendide».

Il y a beaucoup moins d’espèces minérales que d’espèces de fourmis

Pour les scientifiques, le «nec plusultra» reste toutefois la découverte denouvelles espèces minérales. Commeleurs collègues zoologistes ou botanistes,ils classent en effet les minéraux en dif-férentes espèces. Celles-ci se distinguentpar leur composition chimique ainsi quepar leur structure cristalline. Dans lescristaux – et contrairement à ce qui sepasse dans les matériaux amorphescomme le verre où règne le désordre –les atomes sont agencés sous forme de

motifs qui se répètent dans tout le volumede la pierre, comme les dessins d’unpapier peint.

A ce jour, les scientifiques ont réper-torié environ 4’400 espèces minérales,d’origine terrestre ou provenant de mé-téorites et de la Lune. «Par rapport aumonde vivant, c’est extrêmement peu»,constate Nicolas Meisser. C’est infimelorsque l’on songe que, rien que chez lesfourmis, on dénombre plus de 12’000espèces! Cela tient «au nombre limité deséléments chimiques existants», d’après leconservateur. Mais aussi au fait qu’il est«très difficile de déterminer la structured’un minéral, car cela demande des ana-lyses poussées et bien des découvertesn’aboutissent pas», ajoute Stefan Anser-met, photographe et chercheur associéau Musée cantonal de géologie.

Une vingtaine de nouvellesespèces ont été découvertes àLausanne

Malgré tout, une quarantaine de nou-velles espèces minérales sont découverteschaque année dans les différentes régionsdu globe. Dans ce domaine, la Suisse faitd’ailleurs figure de championne. «Rap-porté à la surface du territoire, le nombrede nouvelles espèces décrites est plusgrand dans notre pays que partout ail-leurs», souligne Stefan Ansermet. Celatient selon lui «au tissu universitaire trèsdense, à une longue tradition d’étudesgéologiques, à une grande variété deroches et à la présence de montagnes qui,dépliées, couvrent une grande surface».Sans compter que ces reliefs, sur lesquelsles roches affleurent, sont un excellentterrain pour les chercheurs et collection-neurs de minéraux.

L’équipe lausannoise a d’ailleurs à sonactif une vingtaine de nouvelles espèces,et dans son laboratoire à l’UNIL, elle ena encore quelques autres en cours decaractérisation. «C’est grâce à une col-laboration véritablement symbiotiqueentre les Instituts de minéralogie et degéologie de l’UNIL que ces travaux peu-vent être menés à bien», précise NicolasMeisser.

Certains terrains géologiques sont plus propices à la découverte

Il peut en effet se passer plusieursannées entre la mise au jour d’un nou-

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Nicolas Meisser, conservateur de minéralogie et de pétrographie au Musée cantonal de géologie à Lausanne,

et docteur ès sciences de l’UNIL

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veau cristal et sa description détaillée quipermet de l’inscrire au patrimoine de laminéralogie.

Tout commence par une expédition.Qu’elle soit prévue en Suisse ou au boutdu monde, elle doit être très soigneuse-ment préparée. «On ne part jamais dansle brouillard, explique Nicolas Meisser.On consulte la littérature scientifique, les cartes géologiques et parfois les don-nées satellites, ou même Google Earth.On cherche à savoir si un lieu donné renferme des éléments chimiques rares,si les roches ont subi au cours du tempsdes pressions et des températures im-portantes. En recoupant toutes ces infor-mations, on peut savoir si l’on a debonnes chances d’y trouver des chosesnouvelles.»

A priori, on peut faire des trouvaillesà peu près partout, mais certains terrainsgéologiques sont plus propices à larécolte. «De même que le monde vivantpossède des biotopes qui, comme la forêtamazonienne, abritent une grande varié-

té d’animaux et de plantes, le règne miné-ral a ses géotopes qui sont de véritablesréservoirs de la diversité géologique»,précise Nicolas Meisser.

Une nouvelle espèce doit sonnom au chocolat

Le désert du Sonora au Mexique enest un. C’est de là que Stefan Ansermeta rapporté une nouvelle espèce, la xoco-latlite. Elle est «constituée de mincescroûtes brunes et de petits cristaux quiont la couleur du cacao auquel elle doitson nom, qui signifie chocolat en langueaztèque». Ce qui est encore une manièred’honorer autant le Mexique, qui a donnénaissance à cette friandise, que la Suisse.

Stefan Ansermet, le photographe-chercheur lausannois, est parti en expé-dition aux quatre coins du monde, maisc’est dans les Grisons, dans le Val Fer-rera, qu’il a repéré une pierre faite «deplaquages cristallins, rouge sombre ettransparents», qui porte désormais sonnom : l’ansermetite. «Nous l’avons trou-

vée dans une mine de manganèse aban-donnée depuis la Seconde Guerre mon-diale, à 2’000 mètres d’altitude. Et,récemment, elle a aussi été mise au jouren Californie et en Ligurie. Pour l’ins-tant, ce sont les seuls deux endroits aumonde où elle a été repérée.»

Le Valais abrite une carrière unique

Outre les Grisons, la Suisse abrite plu-sieurs géotopes de choix, notammentdans le Haut-Valais. La région de Zer-matt-Saas Fee, par exemple, était, dansle lointain passé, «un fond océanique avecune chimie particulière. Lors de la for-mation des Alpes, les roches ont été sou-mises à de fortes pressions. Les condi-tions de formation des minéraux ont doncété très spéciales», explique NicolasMeisser.

Quant à la vallée de Binn (VS), elleoffre la plus grande variété de minérauxde Suisse, avec 215 espèces, dont 35 yont été découvertes pour la première fois.

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Les Alpes suisses sont célèbres pour les cristaux géants que l’on y découvre régulièrement, comme ce magnifique spécimen pesant quelque 300 kilos,retrouvé dans le massif du Saint-Gothard, par Paul von Kaenel (à dr.) et Franz von Arx

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L e s S u i s s e s , c h a m p i o n s d u m o n d e d e l a d é c o u v e r t e d e n o u v e l l e s e s p è c e s m i n é r a l e s

Elle abrite, il est vrai, la carrière de Len-genbach, «un gisement exceptionnel,connu des minéralogistes du monde en-tier, qui a fourni presque la moitié desnouvelles espèces décrites en Suisse»,selon Stefan Ansermet.

A Bex, l’homme ainvolontairement «créé» denouvelles espèces minérales

Les galeries abandonnées des minesde Bex (VD) comptent aussi parmi leslieux de prédilection des minéralogisteslausannois. «Il y a 200 à 300 millionsd’années, la zone était recouverte d’unelagune salée et, lors de la formation dela chaîne montagneuse, tous ces compo-sants ont été cuits et modelés, ce qui a

donné lieu à des réactions minéralogiquesparticulières», explique Nicolas Meisser.Puis est venue l’exploitation minière :«En creusant des galeries, les hommesont introduit de l’oxygène, augmenté letaux d’humidité, ce qui a conduit à la for-mation de nouvelles espèces. Notre grou-pe en a trouvé là cinq ou six qui sont encours de description.»

D’autres lieux, moins réputés pourleur richesse géologique, peuvent aussiconduire à d’intéressantes trouvailles.Dans le massif des Aiguilles rouge, entreles villages de Morcles (VD) et du Châ-telard (VS), Nicolas Meisser, lors de sontravail de doctorat pour l’UNIL, a ainsiexploré un «petit gisement retiré rece-lant une forte concentration d’uranium

accompagné d’une ribambelle d’autrestoxiques comme l’arsenic, le plomb et lesélénium».

Les découvertes du conservateur aux Marécottes et dans les Grisons

Non loin du village des Marécottes,il a découvert une nouvelle espèce qu’ila baptisée marécottite. «Ce minéral esttrès joli. Il ressemble à de la peau d’oran-ge déposée sur des pierres. Lorsqu’onl’observe au microscope, on voit de peti-tes pointes cristallines.»

Au nombre des découvertes du con-servateur figure aussi une pièce de choix,la pizgrischite, ce qui signifie «la mon-tagne grise» en romanche. C’est en effetdans «un endroit perdu des Grisons quel’on ne peut atteindre qu’après unelongue marche et de l’escalade», que lesdeux chercheurs lausannois ont trouvéce minéral en 1988.

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Les minéralogistes lausannois ont trouvé plusieurs minéraux

apparemment inconnus dans les galeriesabandonnées des mines de Bex

Stefan Ansermet a découvert une nouvelle espèce, la xocolatlite, dans le désert du Sonora, au Mexique. Son nom signifie chocolat en langue aztèque

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S’ils avaient fait tout ce chemin, c’estqu’auparavant, précise Nicolas Meisser,«un géologue avait repéré des veinesblanches de quartz renfermant des ai-guilles métalliques. A la première ana-lyse, on s’est aperçu que cela ne corres-pondait à rien de connu.» Depuis, il aconfirmé que la pizgrischite appartenaitnon seulement à une espèce nouvelle,mais aussi à «une sorte de nouveau genre.C’est la tête de file d’un nouveau groupestructural qui n’avait jamais été identi-fié, même dans des composés synthé-tiques».

La trouvaille est d’unecomplexité cristallographiqueextrême

Le chercheur avoue toutefois en riantqu’il «a connu l’enfer des sciences dures»avant d’arriver à cette conclusion. Carla nouvelle espèce est un sulfosel – uncomposé de soufre et d’autres métauxlourds – un minéral d’une «complexitécristallographique extrême». Il lui a fallualler étudier cet échantillon au synchro-tron de Grenoble, une installation euro-péenne qui produit des faisceaux de

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Stefan Ansermet, photographe et chercheur associé au Musée cantonal de géologie

Dans le Val Ferrera (Grisons), Stefan Ansermet a découvert une pierre inconnue, faite de plaquages cristallins, rouge sombre et transparents. Elle porte désormais son nom: l’ansermetite

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G É O S C I E N C E S

L e s S u i s s e s , c h a m p i o n s d u m o n d e d e l a d é c o u v e r t e d e n o u v e l l e s e s p è c e s m i n é r a l e s

rayons X d’une très grande énergie etd’une très forte intensité, pour parvenirà ses fins.

Car, si trouver sur le terrain un miné-ral qui ne ressemble à rien de connu estune chose, encore faut-il confirmer cetteintuition en laboratoire. Et pour cela, ilfaut soumettre le nouveau venu «à toutela moulinette des vérifications de base»,comme le dit avec humour Nicolas Meis-ser. En d’autres termes, étudier la com-position chimique de la roche, puis sastructure cristalline. Et lorsque cette der-nière est complexe, il est nécessaire dela soumettre à la loupe d’un synchrotron,à Grenoble ou ailleurs.

On ne peut pas donnern’importe quel nom à sadécouverte

Ce laborieux travail permet d’établirune «sorte de check-list» décrivant lesdiverses caractéristiques du minéral, queles chercheurs envoient à la Commissiondes nouveaux minéraux, de la nomencla-ture et de la classification. Cette instance,qui dépend de l’Association internatio-nale de minéralogie, «est un outil fabu-leux, que nos collègues des autres scien-

ces naturelles nous envient», note le doc-teur ès sciences de l’UNIL.

Elle compte en effet une vingtained’experts qui analysent les informations,mais «peuvent aussi jeter des ponts entredifférentes équipes qui, à travers le mon-de, travaillent parfois sur les mêmes mi-néraux sans le savoir». C’est à cette com-mission qu’il revient de vérifier quel’espèce minérale est réellement nouvelle.

C’est elle aussi qui est chargée d’ac-cepter ou de refuser le nom que les au-teurs proposent de donner à leur trou-vaille. «C’est important, car l’affaire peutprendre un tour politique», souligneNicolas Meisser.

Et la politique, «c’est un motif derefus», ajoute Stefan Ansermet, citant lecas de scientifiques serbes qui avaientvoulu donner à leur découverte le nomde leur pays, et qui se sont heurtés à unefin de non-recevoir. «Il y a des règles trèsstrictes: les noms doivent avoir un rap-port avec la minéralogie.» Ils sont sou-vent inspirés de l’endroit où les cristauxont été trouvés ou du patronyme de miné-ralogistes connus. C’est ainsi que StefanAnsermet a choisi, pour une nouvelleespèce qu’il a mise au jour dans les Gri-

sons, le nom de scheuchzerite, en hom-mage à Johann Jakob Scheuchzer, «unimportant naturaliste et médecin suissedu XVIIIe siècle».

Inscrire les nouveautés dansl’histoire de la Terre

Une fois obtenu le feu vert de la com-mission, «qui correspond à un dépôt debrevet, nous avons un faire-valoir dedeux ans sur la découverte, laps de tempsqui nous permet de préparer sa publica-tion dans des revues scientifiques», pré-cise Nicolas Meisser. Dans la réalité, songroupe met souvent plus de temps àpublier, car «il est dommage de se bor-ner à décrire la morphologie et les carac-téristiques du minéral». L’important,pour lui, est d’en savoir plus, afin de«pouvoir inscrire cette nouvelle espècedans l’histoire de l’évolution de la Terre».

C’est en effet l’un des intérêts de laminéralogie. Que les cristaux soient spec-taculaires ou qu’ils signalent l’existenced’une nouvelle espèce minérale, leur ana-lyse «permet de reconstruire l’histoire denotre planète. Certains minéraux, ex-plique Nicolas Meisser, ne peuvent exis-ter que dans des terrains volcaniques ou

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Pour cette nouvelle espèce qu’il a mise au jour dans les Grisons, Stefan Ansermet a choisi le nom de scheuchzerite, en hommage à Johann Jakob Scheuchzer, un important naturaliste et médecin suisse du XVIIIe siècle

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Non loin du village des Marécottes (Valais), Nicolas Meisser a découvert une nouvelle espèce qu’il a baptisée marécottite. Un minéral qui ressemble à de la peau d’orange déposée sur des pierres

Ce minerai s’appelle pizgrischite, ce qui signifie «la montagne grise» en romanche. Il a été découvert par les deux chercheurs lausannois en 1988, dans un endroit perdu des Grisons que l’on ne peut atteindre qu’après une longue marche et de l’escalade

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A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 7 M A I 2 0 1 05 6

sédimentaires.» D’autres n’ont pu se for-mer que sous l’influence de hautes pres-sions ou de températures élevées. Toussont donc d’excellents témoins des bou-leversements géologiques que la Terre asubis, mais aussi de l’évolution de sonatmosphère.

La nature inspire l’homme pour fabriquer de nouveauxmatériaux

Les apports de la minéralogie ne fontpas qu’accroître les connaissances; ilspeuvent aussi avoir des applications pra-tiques. «La nature arrive à fabriquer dessubstances que l’homme ne connaît pas,et elle peut servir de source d’inspiration,

par exemple dans l’élaboration de nou-veaux matériaux», constate Stefan An-sermet.

Certains cristaux peuvent en effet serévéler intéressants pour l’industrie. C’estainsi qu’en étudiant les propriétés opti-ques d’un sulfure d’argent et d’indiumqu’il a décrit il y a une vingtaine d’années,Nicolas Meisser a constaté que «ce miné-ral pouvait transformer la lumière enénergie électrique. Depuis, il a servi demodèle pour la fabrication d’une nouvellegénération de cellules photovoltaïques.»

Quant à la marécottite, elle pourraitavoir des implications dans le domainede la préservation de l’environnement.«Lorsque l’on exploite le minerai d’ura-

nium dans certaines conditions, il se for-me de la marécottite qui est soluble dansl’eau, explique Nicolas Meisser. C’estimportant pour les exploitants de lamine : ils doivent empêcher la gestationde ce composé d’uranium qui est suscep-tible, à la première pluie, d’être entraînédans les aquifères et qui représente alorsun danger pour la biosphère.»

A l’inverse, un autre minéral renfer-mant de l’uranium – la françoisite àcérium, elle aussi découverte par le cher-cheur lausannois dans le massif desAiguilles Rouges – ne se dissout pas dansl’eau. «L’exploitant minier aurait donctout intérêt à promouvoir sa formationqui stabilise l’uranium sous une formeinsoluble.»

Impressionnant par sa pérennité etpar la diversité des formes qu’il offre, lemonde minéral peut aussi apporter dessolutions à certains problèmes pratiques.

Elisabeth Gordon

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Comme les minéraux se sont formés dans des conditions très spéciales

entre Zermatt et Saas Fee, cette région est arpentée par les minéralogistes

La françoisite à cérium (photo) est un minéral renfermant de l’uranium qui a été découvert par le chercheur lausannois Nicolas Meisser dans le massif des Aiguilles Rouges

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Une bonne partie des découvertes decristaux intéressants est le fait d’a-

mateurs, même s’il revient aux minéra-logistes d’analyser leurs trouvailles.

Que faire et où s’adresser lorsque l’on souhaite devenir chercheur de miné-raux? Le plus simple, nous expliqueNicolas Meisser, est de s’inscrire à l’As-sociation suisse des cristalliers, collec-tionneurs de minéraux et fossiles,l’ASCMF, qui possède de nombreusessections régionales. C’est un bon moyend’acquérir des connaissances en la ma-tière, et de multiplier les échanges avecd’autres collectionneurs, mais aussi avecdes scientifiques.

Il n’existe pas de formation particu-lière pour devenir un bon minéralogiste

amateur; cela s’apprend sur le terrain. Enoutre, cette activité ne nécessite pas dematériel sophistiqué; elle requiert essen-tiellement «un marteau et un burin, pré-cise Nicolas Meisser. Mais il faut surtoutavoir l’œil.»

Si tout un chacun peut se lancer dansl’aventure, il n’est pas question pourautant de faire n’importe quoi.«L’ASCMF a établi un code d’honneur»,précise le chercheur. Cette charte «en-gage à respecter les obligations en rela-tion avec la recherche, la récolte, la venteet le commerce et à combattre le pillage,la dévastation, la cupidité, le vol sur ungisement réservé et vis-à-vis de ses par-tenaires commerciaux», précise l’Asso-ciation sur son site*.

C’est d’ailleurs dans le but d’éviter lesdéprédations et aussi pour ne pas porterpréjudice aux habitants des lieux quivivent du commerce des pierres que cer-taines communes imposent une patentepour récolter les minéraux sur leur ter-ritoire.

Quoi qu’il en soit, la pratique de laminéralogie est un bon moyen de susci-ter des vocations, estime Nicolas Meis-ser qui constate que de nombreux étu-diants et professeurs en géosciences«sont issus de ces sociétés d’amateurs».

E. G.

* www.svsmf.ch

Envie de vous lancer à la découverte ?

Bonne idée : les amateurs font en effet de nombreuses découvertes. Voici ce qu’il faut savoir pour débuter.

La vallée de Binn (VS) offre la plus grande variété de minéraux de Suisse, avec 215 espèces, dont 35 y ont été découvertes pour la première fois

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Exotismes dans la culture russeL’attitude postcoloniale a suscité, chez leshistoriens et critiques de la littérature et del’art, un intérêt renouvelé pour l’exotisme.Vue sous cet aspect, la culture russe se pré-sente comme un objet d’étude d’une ri-chesse infinie, en décalage par rapport à laperspective habituelle dans les études del’exotisme à l’«occidentale». Voulant se dé-marquer des autres puissances coloniales,la Russie des tsars affirmait son irénismeuniversel. Le pays des Soviets a repris l’es-sentiel de l’argument universaliste. Aussi lethème de «l’Autre» n’a-t-il bénéficié d’au-cun traitement problématisant dans la re-cherche académique soviétique. Contribuer à changer cette situation, tel estl’objectif de cette publication, fruit d’unecollaboration entre Lausanne et l’Université

de Voronèje. Unouvrage pilotépar deux ensei-gnants de l’UNIL,Anne-Coldefy-Faucard et Leo-nid Heller.«Exotismes dans laculture russe»,volume de la revueEtudes de Lettres, éditépar Leonid Heller etAnne-Coldefy-Faucard,2-3 2009, 351 p.

Coutumeset libertésDepuis près d’undemi-siècle, leprofesseur ho-noraire de l’UNILJean-FrançoisPoudret incarnel’histoire du droitdans le canton

de Vaud. La Bibliothèque historique vau-doise s’est associée avec la Société bour-guignonne, comtoise et romande d’histoiredu droit pour lui rendre hommage en publiantune sélection d’articles de sa plume. Lais-sant de côté les multiples articles du pro-fesseur Poudret en histoire du droit privé,le recueil contient des études illustrant sesprincipaux autres domaines d’intérêt. Le lec-teur y trouvera des réflexions sur l’utilité del’histoire pour le juriste, sur la transmissionet la preuve de la coutume, sur l’originalitédes droits des pays romands et la menta-lité des praticiens médiévaux, ainsi que sur la conception de la liberté et le rôle desfranchises au Moyen Age. S’y ajoutent unecontribution inédite sur une enquête coutu-mière vaudoise de 1512, et une présenta-tion de son parcours personnel et profes-sionnel.«Coutumes et libertés», recueil d’articles de Jean-FrançoisPoudret, un volume spécial de la BHV, 2009, 292 p.

Anthropologielocale et globalePendant longtemps, l’an-thropologie a été associéeà l’étude des sociétés exo-tiques. Dès sa constitution,elle a cependant poursuiviun autre objectif, celui detranscender les particula-rismes et de penser l’huma-nité dans son ensemble. Aune époque marquée par la globalisation,son privilège scientifique réside précisé-ment dans cette capacité de varier leséchelles d’observation et d’articuler l’uni-versel et le particulier.Plus qu’une simple introduction, cet ouvrageque l’on doit à Mondher Kilani, professeurd’anthropologie culturelle et sociale àl’UNIL, a pour ambition de présenter lesdébats et les orientations qui traversentactuellement la discipline, d’interroger sadémarche et de l’inscrire dans l’histoire dela pensée de l’altérité. En abordant des problématiques en prise avec les transfor-mations que le monde a connues depuisdeux décennies (mondialisation, multicultu-ralisme, post-colonialisme, conflits de mé-moires, génocides...), il souligne enfin queles questions épistémologiques qui seposent à l’anthropologie sont aussi desquestions politiques.«Anthropologie, Du local au global», de Mondher Kilani,Ed. Armand Colin, 2009, 384 p.

Les maladiesde la peauCe livre, cosigné parRenato G. Panizzon,professeur à la Fa-culté de biologie et de médecine del’UNIL, propose uneprésentation de cha-que dermatose avec

une importante description du diagnostic histo-pathologique. Chaque maladie y est abordéeselon une structure identique, claire et précise,qui facilite la lecture et la compréhension. Le lecteur sera également frappé par l’impres-sionnante richesse iconographique (242 illustra-tions). Outil d’apprentissage, ce livre permet d’acqué-rir rapidement des compétences dans ce domaineet entraîne à poser un diagnostic dès le premiercoup d’oeil après avoir parcouru les diagnosticsdifférentiels bien présentés.Un solide bagage dans le domaine de la derma-topathologie reste bien sûr essentiel pour arri-ver à la conclusion d’un cas de dermatose in-flammatoire ou de tumeur cutanée. Destinéprincipalement aux dermatologues et aux derma-topathologues en formation, ce livre sera utile àtous les pathologistes ainsi qu’à un plus largepublic intéressé par la dermatopathologie.«Dermatopathologie», ouvrage collectif avec notamment Renato G. Panizzon, Ed. Springer, 2010, 299 p., 242 illustr.

Trésors archéologiques en terres vaudoisesC’est un constat parfaitement objectif : le canton de Vaud est leplus fourni de Suisse en patrimoine archéologique. Ce privilègeest imputable à sa vaste surface, à la variété de ses biotopes, àsa position géographique à la croisée des grands axes routierset des bassins rhodanien et rhénan. A l’époque romaine, sa proxi-mité avec l’Italie et la Gaule méridionale l’ont en outre favorisé.Avec Nyon et Avenches, deux des trois colonies de Suisse, dontla capitale des Helvètes, se situent en territoire vaudois. Lesactuelles frontières cantonales recèlent donc un patrimoine d’unerichesse hors du commun, que les archéologues, dont de nom-

breux formés à l’UNIL, ont fait sortir de terre.Une exposition et un livre ont récemment mis en valeur ces trouvailles formidables.Baptisée «Déçus en bien! Surprises archéologiques en terre vaudoise», l’exposition aété inaugurée au Musée romain de Lausanne-Vidy en juin 2009. Un ouvrage intitulé«Archéologie en terre vaudoise» vient compléter l’exposition. On y découvre une sélec-tion de différentes découvertes exhumées entre 1973 et 2009.Chronologiquement, la sélection commence avec un bassin de cheval, qui a vécu entre13’500 et 12’000 av. J.-C. au col du Mollendruz. Il a été découvert avec deux outilsen silex dans un abri qui a livré diverses traces d’occupation humaine. Elles figurentparmi les plus anciennes du canton. La sélection se termine avec des catelles, retrouvées à Lausanne, dans le quartier duRôtillon. Elles ont appartenu à la frise d’un poêle orné de lions et de griffons, qui étaitutilisé entre 1500 et 1550. Entre ces deux extrêmes, différents trésors comme la statue-menhir retrouvée à Lutry,un bloc à relief représentant la divinité phrygienne Attis, découvert à Avenches, troisstatuettes de bronze représentant des divinités romaines, dont la rare Hécate, asso-ciée à la magie et aux enchantements, retrouvées à Avenches. «Archéologie en terre vaudoise», sous la direction de Laurent Flutsch, Gilbert Kaenel et Frédéric Rossi, Ed. Infolio, 2009, 216 p.

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La conversion religieuseLe pluralisme religieux de nos sociétés ramène surle devant de la scène la thématique de la conver-sion religieuse, qui avait passé au second plan dela recherche, après avoir été longuement étudiéepar les pionniers de la psychologie de la religion, ily a plus d’un siècle de cela.La mondialisation et la globalisation économique ontaccru la mobilité, qu’elle soit géographique ou iden-titaire. Dans ce contexte, la conversion occupe uneplace de choix parmi les transformations identitaires.Son étude permet d’éclairer les fonctions psycho-logiques jouées par le religieux.Articulés sur des considérations théoriques et empi-riques, les travaux rassemblés dans cet ouvragepublié sous la direction du professeur de l’UNIL

Pierre-Yves Brandt donnent un aperçu significatif de l’évolution contemporainedes mentalités religieuses. A partir d’exemples identifiés chez de jeunes chrétiens et musulmans belges etanglais, chez des convertis évangéliques, chez des moines et moniales catholiquesou encore auprès de personnes attirées par de nouveaux mouvements religieux,le lecteur pourra mieux mesurer les éléments déclencheurs d’un attachement àune forme ou l’autre d’une religion.Hors de la sphère strictement occidentale, des études menées en contexte boud-dhiste et hindou montrent l’irréductibilité des modèles à des expressions clas-siques ou attendues. Au final, ce livre souligne des aspects importants et malconnus relatifs à la recomposition du religieux aujourd’hui.«La conversion religieuse - Analyses psychologiques, anthropologiques et sociologiques», de Pierre-Yves Brandt, Claude-Alexandre Fournier, Collectif, Ed. Labor et Fides, 2009, 281 p.

Photo de presseConsommée au quotidien, laphotographie de presse faitpartie de notre paysage vi-suel depuis bien plus d’unsiècle. Si elle a été rejointepar d’autres formes de miseen image de la réalité, safonction ne s’est pas estom-pée. La photographie depresse a même gagné en

considération : des prix prestigieux lui sontconsacrés chaque année et certains de ceuxqui étaient autrefois considérés comme desimples artisans jouissent désormais d’unerenommée internationale.La plupart des auteurs de cet ouvrage,rédigé sous la direction de Gianni Haver, del’UNIL, entament leur réflexion à partir decet objet ultime qu’est le magazine illustré(ou quelquefois la presse quotidienne, dé-sormais illustrée elle aussi). Ils ne se limi-tent pas à en questionner les qualités for-melles et artistiques, mais considèrent enpriorité la photographie de presse commeun objet symbolique, socialement inscrit, quipermet de questionner ce qui est montrableet de quelle manière ce qui est montrableest effectivement montré.«Photo de presse, usages et pratique», Gianni Haver (dir.), Ed. Antipodes, 2009, 278 p.

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Internet, dixans aprèsDix ans aprèsl’entrée fracas-sante d’Internetdans notre quo-tidien, où ensommes-nous?Aujourd’hui laplupart des foy-

ers sont équipés du net, les gens sontconnectés 24 heures sur 24 et les emailss’envoient du bureau, de la maison ou en-core du smartphone qui ne quitte plus lapoche de son heureux propriétaire. Dix ans après, qu’avons-nous encore à ap-prendre d’Internet? Si la pratique sembleacquise, il reste de nombreuses questionsà explorer. Qui saurait nous dire aujourd’huice que sont le social engineering et le phi-shing, deux des occupations préférées desescrocs sur le web? Finalement, le peer-to-peer est-il légal? Comment puis-je protégermes enfants sur le web? Le techniquementpossible est-il techniquement légal? Quellessont les traces que nous laissons sur Inter-net? Autant de questions (et bien d’autresencore) auxquelles la chercheuse de l’UNILAnne-Sophie Peron Verloove apporte desréponses.«Internet dix ans après : où en sommes-nous?»,d’Anne-Sophie Peron Verloove, Ed. de L’Hèbe, coll. La Question, 2010, 90 p.

Identifier –s’identifierLes identitésstructurent lesmob i l i sa t ionspolitiques et laformulation desrevendications.Les études em-piriques réuniesdans cet ouvra-

ge collectif abordent cette problématiqueselon deux axes d’analyse complémentaires:le premier, identifier, renvoie à la formationdes catégories d’appartenance au mondesocial, alors que le second, s’identifier,désigne la perception individuelle et collec-tive de ces identités héritées. D’un côté, il s’agit de rendre compte des spé-cificités du travail politique de mobilisationdes groupes constitués, le plus souvent,selon des critères stigmatisés. De l’autre, lesdifférentes contributions éclairent la façondont les individus et / ou les groupes mobi-lisés (partis, mouvements sociaux, associa-tions) gèrent les définitions externes dontils sont l’objet et les retraduisent dans lecours même de leur mobilisation.«Identifier - s’identifier. A propos des identitéspolitiques», sous la direction de Muriel Surdez, Michaël Voegtli, Bernard Voutat (éds), Ed. Le livre politique – CRAPUL, 2010, 424 p.

Les lois du genreComment le droit contribue-t-il à reproduire,ou à l’inverse à subvertir les rapports degenre? Dans quelle mesure les textes de loi,apparemment neutres, s’avèrent-ils avoirdes effets discriminatoires dans les domai-nes de l’emploi, de la famille, du droit d’asileou des violences envers les femmes? Quesait-on de l’impact des dispositifs juridiquesvisant l’égalité? Peuvent-ils avoir des effetspervers? Telles sont les principales ques-tions abordées dans ce numéro de la revue«Nouvelles Questions Féministes».Différents aspects du droit – et de la viesociale – sont traités à partir d’une diver-sité de cas nationaux : notamment les vio-lences faites aux femmes en Espagne et enFrance, le divorce et séparation des couplesau Canada, le droit de retraite des fonction-

naires en Fran-ce, ou le droit àl’assurance chô-mage en Suisse.«Les lois du genre»,«Nouvelles QuestionsFéministes», Vol. 28No 2, Laure Bereni,Alice Debauche,Emmanuelle Latour,Karine Lempen, Anne Revillard (éds),Ed. Antipodes, 2009,144 p.

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1857 : une annéeparticulière?Cette question lie les diverses contri-butions rassembléesdans ce volume, quiconstitue égalementles Actes du collo-que «1857, une an-

née particulière? Vaud-Suisse-Europe», quis’était tenu le 4 décembre 2007, à l’occa-sion du 150e anniversaire de la refondationde la section vaudoise de la société d’étu-diants Helvétia.Abordant des sujets aussi différents que lesbouillonnements de la politique vaudoise ence milieu de XIXe siècle, l’enthousiasme pro-voqué par la mobilisation de l’armée suisse,les procès littéraires de Flaubert et Bau-delaire, le tour du monde de la «Novara»,fleuron de la marine austro-hongroise, et laquestion de l’émancipation des femmes àtravers le vif débat entre Proudhon et Mmede Héricourt, les auteurs de ces exposés(des étudiants ou d’anciens étudiants del’UNIL) proposent un regard neuf ou synthé-tique sur ces différentes thématiques, à tra-vers une perspective originale.«1857, une année particulière? Vaud-Suisse-Europe»,un ouvrage collectif, sous la direction de Nicolas Gex, Ed.Cabédita, 2009, 110 p.

T e x t e s d e J o c e l y n R o c h a t

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Les Essais de RamuzRamuz publie son premier essai à la veille de la Pre-mière Guerre mondiale, en guise de manifeste inau-gural des «Cahiers vaudois». Entre 1914 et 1920, iln’aura de cesse de mettre au premier plan sesrecherches stylistiques. Les essais qu’il publie à cetteenseigne, comme les conférences qu’il consacre aux«Grands moments de l’Art français au XIXe siècle»,reprennent et développent des considérations jus-qu’alors dispersées dans des articles de presse. Ilsimposent l’image d’un écrivain avant tout préoccupépar la langue, mais qui lit aussi l’actualité dans uneperspective esthétique, soumettant l’histoire au mytheet les événements à l’émotion qu’ils suscitent.Après avoir abandonné le genre réflexif au profit duroman, au lendemain de la Grande Guerre, Ramuzrenoue avec l’essai dans la seconde moitié des années1920. Adepte de «l’attitude interrogative», mais ausside l’aphorisme assertif, Ramuz s’emploie d’abord à défendre son style, alors en butteà de vives critiques, tout en questionnant la fonction du poète dans la société. Puis, au début des années 1930, il décide de porter son regard sur le monde de l’entre-deux-guerres. Assistant, impuissant, à la politisation du champ littéraire, il continueà se présenter comme étant au-dessus des querelles de partis.Les textes qui racontent cette évolution du grand écrivain vaudois ont été rassem-blés en deux volumes des «Œuvres complètes». Ils ont été établis, annotés et sontprésentés par le chercheur de l’UNIL Reynald Freudiger. «Essais. Tome 1 (1914-1918)», de Charles-Ferdinand Ramuz, Ed. Slatkine, 2009, 576 p.«Essais. Tome 2 (1927-1935)», de Charles-Ferdinand Ramuz, Ed. Slatkine, 2009, 534 p.

Crise écologiqueL’origine des menaces écolo-giques actuelles repose pourune grande part sur les con-ceptions spirituelles et cultu-relles que l’Occident nourrità l’égard de la nature. L’êtrehumain y est considéré com-me supérieur, à partir d’unevision anthropocentrique dé-

veloppée par les matrices grecque et judéo-chrétienne de l’Occident. Malgré les avertissements croissants lan-cés depuis le milieu du XXe siècle par denombreux experts, la course au désastreécologique s’accélère au point qu’une com-munauté d’intellectuels considère qu’ils’agit désormais de remettre en discussionles substrats culturels et spirituels de notrecivilisation. Les 22 auteurs de ce plaidoyer (dont Domi-nique Bourg, de l’UNIL) en font partie à desdegrés divers. Certaines contributions trai-tent des héritages d’un paradigme chrétienou des dégâts de l’anthropocentrisme. Etdes expériences de terrain complètent lepropos d’un livre qui accueille notammentdes écrits de Nicolas Hulot et Philippe Roch.«Crise écologique, crise des valeurs? Défis pour l’anthropologie et la spiritualité», par Dominique Bourg - Philippe Roch (dir.), Ed. Labor et Fides, 2010, 336 p.

Test de RorschachPascal Roman, professeur depsychologie clinique, psycho-pathologie et psychanalyse àl’UNIL propose une approchedidactique de la pratique del’épreuve de Rorschach au-près des enfants et des ado-lescents. Dans son livre, il met succes-

sivement l’accent sur la place et les enjeuxde la passation de l’épreuve dans le con-texte de la consultation en psychologie cli-nique et en psychopathologie (en lien avecla pratique d’autres épreuves), les aspectsméthodologiques qui président à la passa-tion de l’épreuve et à la cotation des ré-ponses, le repérage et l’identification desproblématiques qui concourent à l’interpré-tation de l’épreuve; la mise en perspectivedes productions projectives en fonction del’âge de l’enfant ou de l’adolescent, la pré-sentation et l’analyse de situations deconsultation dans le champ de la cliniqueet de la psychopathologie de l’enfant et del’adolescent. L’ensemble est largement il-lustré d’exemples de réponses et d’ex-emples de protocoles d’enfants ou d’ado-lescents.«Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent, approche psychanalytique», de Pascal Roman, Ed. Dunod, 2009, 368 p.

PhilologieslaveCe recueil com-porte les travauxd’anciens étu-diants, de docto-rants, d’ensei-gnants et deprofesseurs dela Section de

langues et civilisations slaves de l’UNIL. Cesrecherches sont très différentes – non seu-lement quant à leur méthodologie et aux pro-blèmes qu’ils posent, mais, également,quant à leurs sujets : prose et poésie russeet soviétique, divers aspects relevant de lapolitique et de la civilisation du «mondeslave» en rapport avec les sciences hu-maines, linguistique théorique et appliquéeen Russie et en URSS, histoire des idées lin-guistiques et littéraires…Rassemblées sous une seule couverture,onze contributions – onze voyages dans lemonde de la linguistique, de la littératureet de la civilisation slaves – permettent enquelque sorte de revenir à la notion de «phi-lologie» qui, autrefois, réunissait les étudeslinguistiques, littéraires, historiques et phi-losophiques (ainsi que d’autres!), mais quiest en train de tomber en désuétude.«Philologie slave. Linguistique - Analyse littéraire -Histoire des idées», No 4/2009 de la revue Etudes deLettres, édité par Ekaterina Velmezova, 2009, 180 p.

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Le testament politique du Dr TissotLorsque le Dr Samuel Auguste Tissot (1728-1797) s’at-telle à la rédaction de la «Police médicale», que la mortl’empêchera d’achever, il a derrière lui une trajectoireimposante. Il bénéficie de l’expérience de décenniesde pratique médicale et de publications abondammentcommentées, mais aussi de son engagement au seind’instances municipales, sans compter son bref ensei-gnement universitaire à Lausanne. Autant d’héritagesqui nourrissent largement le manuscrit inédit qui estpublié dans ce volume.A bien des égards, ce texte peut être considéré commeune sorte de «testament politique» du médecin desLumières. Mais, si l’on prend en compte les qualitésd’observateur de celui qui travailla jusqu’à sa dernièreheure à ce véritable plan de santé publique, la «Policemédicale» est bien plus encore : un miroir éloquent de

mille détails concrets qui déterminaient la vie et plus souvent la survie quotidiennedans les terres romandes de l’Etat de Berne et ailleurs à la fin du XVIIIe siècle.L’ouvrage du Dr Tissot, établi par Miriam Nicoli, doctorante à l’UNIL, est enrichid’une préface cosignée par M. Nicoli et Danièle Tosato-Rigo, professeure à l’UNIL.L’occasion de raconter la carrière étonnante du Dr Tissot, qui fut médecin despauvres avant de devenir celui de têtes couronnées. Honneur qui lui valut mêmed’apparaître dans des guides de voyage, notamment celui de l’homme de lettresfrançais Masson de Pezay, qui recommandait à ses lecteurs se rendant en Suisseromande de voir deux choses : «le Lac de Genève et le docteur Tissot».«De la médecine civile ou de la police de la médecine», du Dr Samuel Auguste Tissot, par Miriam Nicoli etDanièle Tosato-Rigo, Editions BHMS, 2009, 156 p.

Les pamphlets contre NeckerA la fin de l’Ancien Régime, le banquiergenevois Jacques Necker (1732-1804) a étél’une des cibles préférées des libellistes. Lesdiverses campagnes de diffamation lancéescontre le ministre des finances de Louis XVIont généré la publication de près de 150pamphlets, dont l’écho fut considérable aumoment de leur diffusion.Or cet important corpus de brochures n’a-vait, jusqu’à présent, fait l’objet d’aucuneétude spécifique. Grâce à Léonard Burnand,chercheur à l’Institut Benjamin Constant del’UNIL, c’est désormais chose faite. Ce livrea pour objectif de combler la lacune enoffrant une exploration détaillée de cette«terra incognita qu’est la littérature anti-neckerienne.

«Les pamphletscontre Necker,médias etimaginaire politiqueau XVIIIe siècle»,par Léonard Burnand,Ed. ClassiquesGarnier, 2009, 409 p.

Jésus etl’angePréfacé parFrançois Bovon,cet ouvrage quel’on doit à lat h é o l o g i e n n e de l’UNIL ClaireClivaz défend la thèse quel’épisode racon-

té dans Luc 22,43-44 a été omis d’une partie de la tradition manuscrite égyptienne,au deuxième siècle. La première partie de l’ouvrage propose deconsidérer le genre littéraire de Luc-Actescomme une catégorie évolutive de la récep-tion, et souligne les connivences entre his-toire et poétique. La seconde partie démon-tre que le Jésus lucanien n’est pas sansémotion, apporte des éléments nouveauxquant aux attestations externes de Luc22,43-44, et prouve l’existence au début denotre ère de la polysémie d’«agonia», com-prise comme angoisse ou lutte. En Egypte, des chrétiens minoritaires ontappelé Jésus «le grand combattant», s’ins-pirant de la mémoire de Jacob et de l’angeet de la sueur de sang.«L’ange et la sueur de sang (Lc 22,43-44) ou comment on pourrait bien encore écrire l’histoire», de Claire Clivaz, (BiTS 7), Leuven: Peeters, 2010, 733 p.

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Sécuritésur InternetLa criminalitépar Internet tou-che la société,les individus, lesorganisations,les Etats, parmanipulat ionsd’opinion, es-

pionnage, terrorisme, harcèlement, escro-queries et fraudes financières. Sur ce do-maine, illustré de cas réels, ce livre apporteun éclairage précis aux responsables poli-tiques, aux professionnels de l’informatique,aux entreprises, ainsi qu’aux simples usa-gers des ordinateurs qui prendront cons-cience des menaces qui peuvent les impli-quer dans un délit, qu’ils soient victimes ouacteurs involontaires. L’auteure, professeure à l’UNIL, experteinternationale en sécurité, identifie les moti-vations et méthodes des criminels qui ontpénétré l’espace virtuel. Du panorama desrisques, dans l’activité quotidienne des inter-nautes, le livre passe aux guerres de l’infor-mation et aux attaques majeures sur le Net.Solange Ghernaouti-Hélie y aborde enfindes questions comme : qui contrôle tout lesystème? Que peut faire l’individu pour quesa dignité et les données intimes sur sa viesoient protégées?«La cybercriminalité : le visible et l’invisible», de Solange Ghernaouti-Hélie, Ed. PPUR, Coll. Le savoir suisse, 2009, 128 p.

«ViveChappaz!»«Vive Chappaz!»C’est ce que ditl’inscription, engrandes lettres,que tracèrent les collégiens deSaint-Mauricesur les falaisesqui surplombent

la ville lors de la polémique qui suivit laparution des «Maquereaux des Cimes blan-ches», en 1976. Le message s’y déchiffreencore. Qu’y avait-il de mieux que ce cri du cœur pour donner un titre à ce numéro de la revue Archipel qui rend hommage à Maurice Chappaz. On trouvera dans ces pages plusieurs ex-traits inédits de la correspondance de l’écri-vain, ainsi que deux articles jamais parusen volume, de Chappaz et Corinna Bille. Ilcontient encore une «Ode à Maurice Chap-paz» en vers de Jacques Chessex, diversarticles, deux portraits de Maurice Chappazet de Corinna Bille par l’illustrateur EtienneDélessert, et une série de photos de l’écri-vain réalisées par Oswald Ruppen.«Vive Chappaz!», No 32 de la revue Archipel, décembre 2009, 156 p.

L’ U N I L e n l i v r e s

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F o r m a t i o n c o n t i n u e

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Economie etmanagement de la santé

L es systèmes de santé dumonde entier font face à

des défis importants redéfi-nissant les relations entre pa-tients, prestataires de soins,assurances et industrie. Alorsque les utilisateurs ont desattentes en termes de soinstoujours plus élevées, les sys-tèmes doivent faire face à uneaugmentation des coûts, touten assurant qualité et équité.Dans ce contexte, les profes-sionnels engagés dans cesecteur doivent acquérir denouvelles compétences théo-riques et pratiques leur per-mettant de comprendre lesmécanismes sous-tendant lemarché des soins de santé etson organisation.

Dates

Septembre 2010 à janvier 2011. Le jeudi et le vendredi, toutes les deux semaines

Public

Professionnels de la santéavec une expérience profes-sionnelle pertinente d’au mi-nimum 3 ans dans le domainede la santé. Employés des hô-pitaux et d’autres établisse-ments sanitaires, d’adminis-trations actives dans la santé,des caisses d’assurance-ma-ladie, des industries pharma-ceutiques et biotechnologiques

Finances et inscriptions

CHF. 6000.– Délai de postulation : 2 juin 2010

Les revues de littératuremixtes

S elon les chercheurs, ges-tionnaires et décideurs

politiques, les processus deprise de décision à chaqueniveau du système de santédevraient être fondés sur lesmeilleurs résultats scientifi-ques disponibles. Etant donnéla nature complexe et multidi-mensionnelle des services desanté, ces résultats sont sou-vent fondés sur de multiplestypes d’études scientifiques, àsavoir qualitatives, quantita-tives et mixtes. Il devient alorsprimordial pour les cher-cheurs dans le domaine de lasanté de comprendre lesméthodes et les revues de lit-térature de type mixte, c’est-à-dire celles qui allient étudesqualitatives et quantitatives.Cet atelier initiera les partici-pants aux méthodes mixtes età la synthèse de ce type deconnaissances, plus particu-lièrement les revues systéma-tiques mixtes en santé.

Dates

Les 16, 17 et 18 juin 2010,de 9 h à 16 h

Public

Professionnels de la santé,ou autres professionnels intéressés au domaine de lasanté, ayant une expérienceen recherche quantitative et qualitative

Finances et inscriptions

CHF 800.– Inscriptions avant le 15 mai 2010

Santé, médecineet spiritualité

D e nombreuses études ontmontré une association,

voire une interaction entresanté et spiritualité. En cli-nique, la spiritualité est géné-ralement considérée commeune ressource positive pourfaire face au deuil ou à lamaladie. Toutefois, la spiritua-lité et certaines croyancesreligieuses peuvent aussi in-fluer de manière négative surl’état de santé des individuscomme des populations. Par-tant de ces observations, ilparaît important de réfléchiraux conditions nécessaires àl’intégration de la dimensionspirituelle dans les soins, et aurôle des professionnels de lasanté.

Dates

23 et 30 septembre 2010, de 8 h 30 à 17 h 30

Pour plus d’informations sur l’ensemble de notre offre, visitez le site www.unil.ch/formcont

Fondation pour laformation continue

universitairelausannoise UNIL

EPFLUnithèque

1015 DorignyPour plus d’informationsur l’ensemble de notre

offre :www.unil.ch/formcont

tél. 021 692 22 90fax 021 692 22 [email protected]

Public

Professionnels de la santé et du domaine social,représentants de toutescommunautés religieuses,ainsi que toute personneintéressée par la thématique

Finances et inscriptions

CHF 150.– par jour. S’inscrire avant le 27 août 2010

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ISS

N 1

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22

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Géosciences

On découvre sans

cesse de nouveaux

minérauxReligion

Les fans et les joueurs

de foot prennent-ils

Dieu en otage?

Génétique

Durant les

Mystères de l’UNIL,

les 4, 5 et 6 juin,

vous regarderez les

symboles helvétiques

d’un autre œil.

Commençons par

la vache, qui a livré

récemment ses

secrets. Et qui a

réservé des surprises

aux chercheurs

Elites suisses

Les femmes

ont-elles vraiment pris

le pouvoir ?

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