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Elizabeth Hoyt

Née aux États-Unis, elle a beaucoup voyagé, enfant, à travers l’Europe. Diplômée d’anthropologie à l’université du Wisconsin, elle se lance quelques années plus tard dans la carrière d’écri-vaine. Traduite en plusieurs langues, elle est l’auteure de séries à succès, dont la plus célèbre est Les trois princes, très remarquée par des milliers de lectrices dans le monde. Sous le pseudo nyme de Julia Harper, elle écrit également des romances contempo-raines.

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Ma sorcière adorée

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Du même auteur aux Éditions J’ai lu

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N° 8986

LA LÉGENDE DES QUATRE SOLDATS1 – Les vertiges de la passion

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N° 1188912 – Quand tombent les masques

N° 12149

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ElizabEth

HOYTL E S G R E Y C O U R T

Ma sorcière adoréeTraduit de l’anglais (États-Unis)

par Anne Busnel

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Titre original NOT THE DUKE’S DARLING

Éditeur original Piaktus, Little Brown Book Group

© Nancy M. Finney, 2018

Pour la traduction française © Éditions J’ai lu, 2019

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Pour toutes les femmes qui, jour après jour, travaillent, prennent soin de leur famille, de leurs amis et de leur communauté, parfois désespèrent au milieu de la nuit, mais se lèvent le lendemain matin pour entamer une nouvelle journée.

Vous êtes fortes, courageuses et magnifiques, et ce livre vous est dédié.

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Voici comment tout commença.Il y a bien, bien longtemps, vivait un prince puissant qui

avait une fille unique.Elle était belle, hautaine et capricieuse, et elle s’appelait

Rowan…

Extrait des Contes des Terres grises

Mai 1760, Londres, Angleterre

Si, à douze ans, Freya Stewart de Moray avait dû citer trois choses qu’elle ferait une fois libre et adulte, elle aurait répondu ceci :

Premièrement, écrire un pamphlet sur l’intelli-gence des femmes, supérieure à celle des hommes en général et à celle de ses frères en particulier.

Deuxièmement, dévorer des tonnes de framboises à la crème.

Troisièmement, élever des épagneuls pour pouvoir jouer toute la journée avec des chiots.

Il faut dire qu’à douze ans elle aimait beaucoup les chiots.

Mais c’était avant la tragédie qui avait dévasté sa famille et rendu infirme son frère aîné, Ran.

Par la suite, sa vie tout entière avait été boule-versée.

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La petite Freya de douze ans aurait donc été bien incapable de dire à quoi ressemblerait son existence quinze ans plus tard. Aujourd’hui, à vingt-sept ans, elle était la Macha, un agent de l’ancestrale commu-nauté des Femmes Sages, une société matriarcale qui remontait à la nuit des temps.

Ce jour-là, Freya marchait d’un pas vif dans les rues de Londres aux côtés de la jeune Betsy. Leur destination était le quartier de Wapping, et plus pré-cisément le vieil escalier des quais qui donnait accès à la Tamise.

À tout juste vingt ans, Betsy était nourrice. Le visage moite et rouge, le souffle court, elle s’effor-çait de suivre l’allure rapide de Freya en dépit du précieux fardeau qui reposait dans ses bras.

Alexander Bertrand, septième comte de Brightwater, dix-huit mois.

Par chance, Sa Seigneurie dormait, sa bouche our-lée semblable à un bouton de rose entre ses deux joues rondes.

Au carrefour suivant, Freya s’aperçut qu’elles étaient suivies par deux hommes d’allure louche qui ne les lâchaient pas d’une semelle, tout en gardant une distance trompeuse.

Aussitôt, les rouages de son cerveau se mirent en branle.

Il faisait beau. Les goélands piaillaient dans l’air imprégné de l’odeur fétide de la Tamise. Les deux femmes avançaient dans une rue parallèle au fleuve, dont elles n’étaient séparées que par quelques immeubles. Encore quatre cents mètres, et elles atteindraient le vieil escalier.

À cette heure-ci, les rues grouillaient de monde. Des charrettes pleines de marchandises en prove-nance du port bringuebalaient sur la chaussée. Des hommes d’affaires vêtus avec recherche croisaient

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des capitaines de navire. Des marins déjà ivres titubaient sur le trottoir. Les ouvrières pressées  les évitaient tandis que les prostituées tentaient de les aguicher.

Freya risqua un coup d’œil derrière elle.Les deux types étaient toujours là.Peut-être se rendaient-ils tout simplement dans

une taverne. Ou peut-être étaient-ils envoyés par Gérald Bertrand, l’oncle paternel d’Alexander, afin de récupérer l’enfant. S’ils y parvenaient, Freya n’aurait plus aucune chance de le sauver.

Il y avait aussi une troisième possibilité : ces deux types étaient des Dunkelders.

À cette pensée, le cœur de Freya s’affola.Cela faisait longtemps que les Femmes Sages

étaient persécutées par les Dunkelders, des fana-tiques superstitieux qui les considéraient comme des sorcières et n’avaient qu’une idée en tête  : les faire brûler sur le bûcher.

Mais que ces types soient des Dunkelders ou les sbires de Gérald Bertrand, il fallait agir. Sinon, jamais Betsy et elle n’atteindraient le lieu du rendez-vous.

— Qu’y a-t-il ? demanda Betsy d’une voix hachée. Pourquoi vous retournez-vous sans cesse ?

— Nous sommes suivies.Betsy étouffa un gémissement et resserra son

étreinte autour de l’enfant endormi.Une grosse berline noire venait d’apparaître à

l’angle de la rue. Ralentie par la circulation, elle avançait à une allure d’escargot. Freya ne connaissait pas le blason doré peint sur la portière, mais cela n’avait pas d’importance. Elles devaient se cacher, et Freya se faisait fort de distraire celui ou celle qui voyageait à l’intérieur du véhicule pendant une ou deux minutes.

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Au moment où la berline les croisait, elle agrippa Betsy par le bras.

— Cours ! cria-t-elle en l’entraînant vers la chaus-sée.

Comme elles se glissaient derrière la voiture, un cri fusa dans leur dos.

Les deux femmes contournèrent vivement la ber-line. Sans lâcher Betsy, Freya ouvrit la portière, puis poussa la nourrice à l’intérieur. Elle grimpa à son tour, claqua la portière et, emportée par son élan, atterrit à quatre pattes sur le plancher.

Haletante, elle releva la tête.Betsy s’était recroquevillée dans un coin pour pro-

téger l’enfant d’un gros chien au pelage beige qui les considérait d’un œil étonné. Par miracle, le jeune comte dormait toujours.

— Ça, par exemple ! Mais… qui êtes-vous ?La question venait du gentleman assis sur la ban-

quette.Freya se força à détourner les yeux du chien, qui,

de fait, ne semblait pas agressif, et se retrouva face à un regard d’un bleu céruléen frangé d’épais cils sombres.

Les pieds posés sur la banquette opposée dans une posture nonchalante, l’homme s’était brusquement redressé.

C’était Christopher Renshaw, le duc de Harlowe.L’ordure qui avait trahi Ran.Freya retint un cri de surprise. Baissant les yeux,

elle vit que Harlowe portait à son doigt la cheva-lière de son frère. Son regard remonta sur le visage du duc. Il allait la reconnaître, crier son nom. Et, après cinq années d’anonymat, la véritable identité de Freya serait révélée.

Mais, impassible, il répéta :— Qui êtes-vous ?

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Le soulagement envahit Freya.Il ne l’avait pas reconnue.Quel imbécile.Elle rajusta sa coiffe, avant de rétorquer avec

aplomb :— Vous, en tout cas, vous n’êtes pas lady Philippa.— Comment ? Mais…— Que faites-vous dans sa voiture ? coupa Freya

d’un ton courroucé.Ladite voiture se remit brusquement en marche

dans une secousse. Réveillé, le jeune Alexander se mit à pleurer.

Dans la rue, une voix masculine jura. Puis quelqu’un tambourina à la portière.

Freya se tapit au ras de la fenêtre ouverte.Le regard de Harlowe passa de Freya à Betsy, puis

au bébé qui pleurait, avant de revenir sur Freya.Il se leva à demi, et la jeune femme se raidit.Mais, après avoir jeté un coup d’œil au-dehors,

Harlowe ferma le panneau vitré et tira le rideau d’un geste sec.

Puis il se rassit, une main posée sur la tête du chien. Un muscle tressaillait le long de sa mâchoire anguleuse.

— Je me demande ce que vous veulent ces brutes et dans quel pétrin vous vous êtes mises, murmura-t-il, songeur.

Freya chercha une explication plausible mais, comme elle ouvrait la bouche, Harlowe l’arrêta d’un geste.

— Et, en toute franchise, je m’en moque. Je veux bien vous emmener jusqu’à Westminster. Ensuite, vous vous débrouillerez.

Il proposait son aide à deux inconnues ? Freya ne s’attendait certes pas à cela de la part de l’homme responsable de la déchéance de son frère.

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Mais elle n’avait pas le temps de s’interroger sur ce paradoxe.

— Merci, articula-t-elle, bien que le mot eût le goût rance de la haine sur sa langue. Mais ce ne sera pas nécessaire.

Elle tourna la tête vers la nourrice.— Betsy, je vais sauter dès que la voiture ralen-

tira. Tu compteras jusqu’à vingt, puis tu en feras autant et…

— Mais… que faites-vous du bébé ? s’insurgea le duc. Vous n’allez quand même pas demander à cette fille de sauter d’une voiture en marche avec un petit dans les bras !

— Alors demandez à votre cocher de s’arrêter, répliqua Freya d’une voix suave.

Ils s’affrontèrent du regard. Freya pouvait voir de l’irritation dans celui du duc. Manifestement, il n’avait pas l’habitude de recevoir des ordres. Encore moins de la part d’une femme.

Tant pis pour lui.Freya se pencha pour murmurer à l’oreille de

Betsy :— Tu vas rejoindre le vieil escalier. Et n’oublie

pas : tu dois chercher la femme qui porte un man-teau noir à capuche grise.

— Mais… et vous ? chuchota Betsy, paniqué.— Je vous retrouverai, n’aie crainte.— Oh, mademoiselle…Freya lui adressa un sourire d’encouragement et

baissa la tête pour déposer un baiser sur la joue du petit comte. Se relevant, elle fit un clin d’œil au duc.

— Au plaisir, Votre Grâce !Puis elle ouvrit la portière et sauta sur le pavé.Ses bottines heurtèrent le sol et elle vacilla dan-

gereusement, tout près des roues de l’attelage. Mais

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elle réussit à reprendre son équilibre, au moment où un cri éclatait non loin.

Empoignant ses jupes à pleines mains, Freya s’élança et courut à toutes jambes jusqu’à l’inter-section la plus proche, avant de bifurquer brusque-ment dans une rue perpendiculaire pour prendre la direction de la Tamise.

Un bruit de course retentit dans son dos.Elle tourna encore dans une venelle, puis s’arrêta

brutalement. Une silhouette masculine bloquait le passage à l’autre bout de la rue.

Elle fit volte-face.Le deuxième homme fonçait sur elle.Sans réfléchir, elle s’engouffra sous une porte

cochère et déboucha dans une petite cour coin-cée entre trois immeubles. Une répugnante odeur d’urine, due à la proximité des latrines publiques, la prit à la gorge. À cet instant, une porte s’ouvrit face à elle. Un homme en tablier balança un reste de soupe sur le sol de la cour

Freya le bouscula pour se précipiter à l’intérieur du bâtiment. Elle fit irruption dans une cuisine envahie de fumée, où deux servantes la regardèrent traverser la pièce d’un air ahuri. Puis elle se retrouva dans un étroit couloir. Elle hésita une demi-seconde à la vue d’un escalier sur sa droite, mais se décida à poursuivre son chemin et déboucha dans la salle commune d’une taverne.

Il n’y avait là qu’une poignée de clients qui ne lui prêtèrent aucune attention, hormis un ivrogne qui lui lança une remarque salace.

Freya ressortit par la porte principale et se retrouva sur les docks, devant la Tamise qui étincelait joli-ment au soleil. Mais le tableau était trompeur  : les latrines publiques qu’elle venait de dépasser déver-saient directement les eaux usées dans le fleuve.

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Freya partit à gauche, en direction de l’est. Prise d’un point de côté, elle fut contrainte de ralentir l’allure et longea les quais d’un pas nerveux. Un coup d’œil derrière elle lui apprit que ses poursuivants n’étaient toujours pas sortis de la taverne.

Les avait-elle semés ?Ou avaient-ils coincé Betsy et le bébé ?Une silhouette familière jaillit de la ruelle suivante,

et Freya poussa un soupir de soulagement. C’était Betsy qui accourait, les yeux exorbités.

— Dieu merci, je vous retrouve, mademoiselle ! Si les hommes de M. Bertrand m’attrapent, il va me tuer !

— Alors débrouillons-nous pour que cela n’arrive pas ! lança Freya.

Dans les bras de Betsy, le petit comte souriait tout en suçant son pouce.

Une clameur retentit soudain :— Les voilà !Damnation.Il restait une centaine de mètres à parcourir pour

atteindre le vieil escalier. Mais Betsy était à bout de souffle…

Freya prit le petit comte dans ses bras.— Cours, Betsy !Les deux femmes s’élancèrent. Arraché brusque-

ment aux bras de sa nourrice, Alexander se mit à pleurer. Freya le serra contre elle et sentit sa petite bouche humide collée à sa clavicule. Leurs poursui-vants se rapprochaient. Elle comprit que tout était perdu. L’escalier était trop loin. Avec l’enfant, elle ne pourrait pas se défendre s’ils la rattrapaient. Bertrand allait récupérer son neveu. Fort de lois faites par des hommes, il enfermerait Alexander entre quatre murs, et l’enfant ne reverrait jamais sa mère.

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Freya crut sentir l’haleine de ses ennemis sur sa nuque et, dans un ultime effort, redoubla de vitesse.

La ruelle qui menait à l’escalier n’était plus qu’à une vingtaine de mètres quand une silhouette sombre en jaillit.

La femme de petite taille portait un manteau noir à capuche grise et tenait un pistolet dans chaque main.

L’enfant plaqué contre son ventre, Freya plongea. Son épaule heurta le sol.

Deux détonations simultanées claquèrent.Freya baissa les yeux sur le petit lord Brightwater.

Il avait cessé de pleurer et, la bouche en cœur, ouvrait de grands yeux ébahis.

Freya l’embrassa sur la joue avant de relever la tête.

Un homme gisait à terre et se tordait de douleur en égrenant un chapelet de jurons. L’autre était en train de détaler.

La Corneille s’avança vers Freya et lui tendit la main pour l’aider à se relever.

— Vous êtes en retard, dit-elle.— Merci, marmonna Freya en acceptant sa main.En haut de l’escalier, Betsy sanglotait de terreur

dans les bras d’une jeune femme. Celle-ci, vêtue avec élégance, avait une mouche posée au coin de la lèvre supérieure.

— Alexander ! s’écria-t-elle en voyant Freya appro-cher.

Le petit comte tendit les bras.— Maman !Freya donna l’enfant à sa mère, qui le serra contre

son cœur avec émotion.— Oh, mon précieux bébé !La comtesse de Brightwater leva vers Freya un

regard embué de larmes.

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— Merci ! Vous ne pouvez pas savoir comme j’ai eu peur. Je pensais ne plus jamais revoir Alexander !

Ses pires craintes avaient bien failli se réaliser  : M. Bertrand, son beau-frère, avait fait enlever l’en-fant pour asseoir son pouvoir sur le comté. Sans l’intervention des Femmes Sages, il aurait réussi, et la comtesse n’aurait eu aucun recours.

Freya n’eut pas le temps de répondre. La Corneille les pressa :

— Hâtez-vous, milady. Il faut partir immédiate-ment. D’autres hommes sont peut-être lancés à vos trousses.

Lady Brightwater acquiesça et descendit l’escalier, suivie de Betsy. Une barge les attendait à quai.

— La comtesse et ses domestiques ont déjà leurs places réservées à bord d’un navire en partance pour les colonies, expliqua la Corneille à Freya. Là-bas, elle et son fils n’auront plus à redouter l’influence de Bertrand.

— Tant mieux. C’est contre-nature de séparer un enfant de sa mère, murmura Freya.

La Corneille hocha la tête et ajouta :— Retrouvez-moi près des écuries ce soir à minuit.

J’ai des nouvelles à vous communiquer.Sur ces mots, elle descendit rapidement les

marches à son tour.Freya poussa un long soupir. Sa mission était ter-

minée. Elle attendit que les trois femmes et le bébé grimpent à bord de la barge et que celle-ci s’éloigne du quai. Betsy agita la main en signe d’adieu, et Freya lui répondit. Sans doute ne reverrait-elle jamais ni la nourrice, ni la comtesse, ni l’adorable petit comte. Mais, au moins, elle les saurait en sécurité.

Cela seul importait.

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Christopher Renshaw, duc de Harlowe, regardait la ville défiler par la fenêtre tandis que sa voiture traversait le quartier de Westminster.

Cette matinée avait été horriblement ennuyeuse, comme toutes les précédentes depuis son retour en Angleterre. Jusqu’au moment où cette diablesse avait pris d’assaut sa berline.

Depuis, il ne s’était pas passé une minute sans qu’il pense à elle.

Elle lui avait fait le même effet qu’un seau d’eau glacée en pleine figure, lui donnant l’impression de se réveiller d’un long sommeil abrutissant de plu-sieurs mois.

Voire de plusieurs années.La diablesse avait atterri sur le plancher de la

voiture, était littéralement tombée à ses pieds. En position de faiblesse. Mais cela ne l’avait pas empê-chée de lever vers lui un regard plein de défi.

Ses flamboyants yeux verts mouchetés d’or l’avaient laissé interdit.

Intrigué.Captivé.Deux ans plus tôt, il avait hérité d’un duché de

manière fort inattendue. Depuis, il avait eu le temps de s’habituer à l’admiration, aux flatteries et à la jalousie que sa position sociale suscitait chez autrui. Désormais, rares étaient ceux qui le considéraient encore comme un être normal, de chair et de sang.

Plus personne ne le traitait avec désinvolture.Excepté la diablesse.Avec sa robe marron toute simple et sa coiffe

blanche à volants qui dissimulait ses cheveux, elle aurait pu être la femme d’un aubergiste ou d’un poissonnier, et il s’était attendu à l’entendre parler avec un accent populaire. Mais, quand elle avait pris la parole, son intonation était cultivée, et il avait

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seulement détecté une pointe d’accent écossais dans sa voix.

Puis elle lui avait décoché un regard vibrant de haine, comme si elle le connaissait et avait de bonnes raisons de le détester.

La voiture bifurqua au carrefour suivant. Déséquilibrée, Tess s’appuya du flanc contre la cuisse de son maître et, machinalement, Christopher tendit la main pour froisser entre ses doigts son oreille duveteuse.

— Ce doit être une folle, dit-il, réfléchissant à voix haute.

Tess poussa un gémissement et posa sa large patte sur son genou.

Il lui sourit.— Quoi qu’il en soit, nous ne la reverrons jamais.Avec un soupir, il reporta son attention sur la rue.

Ils avaient dépassé Covent Gardens et s’approchaient du Jackman’s Club. Après avoir passé la matinée dans les entrepôts de Wapping afin de superviser l’arrivée d’une nouvelle cargaison, puis l’après-midi dans le centre en réunions fastidieuses avec ses divers fondés de pouvoir, Christopher n’avait plus qu’une envie  : se réfugier dans un endroit calme pour déguster un café et lire le journal pendant une heure ou deux.

Seul, comme toujours.Il avait vécu longtemps loin de tout cela, dans une

contrée où les habitants, les paysages et les odeurs étaient différents. Durant ces treize années, il avait pensé qu’à son retour dans son Angleterre natale il retrouverait enfin sa place.

Qu’il serait enfin chez lui.Mais il était rentré auréolé d’un titre illustre trop

lourd à porter. Ses parents étaient morts, et les vieilles amitiés avaient été réduites en poussière.

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Il s’était retrouvé à arpenter d’immenses manoirs déserts où le bruit de ses pas solitaires résonnait contre les murs de pierre.

Il n’était plus chez lui en Angleterre. Tout ce qu’il aurait pu y construire et y aimer avait disparu pen-dant qu’il passait sa jeunesse aux Indes.

À présent, il était trop tard pour y trouver un foyer.Il n’avait sa place nulle part dans le monde.

Cinq minutes plus tard, Christopher entra au Jackman’s, accompagné de Tess qui trottinait à ses côtés. Le valet en livrée qui gardait l’entrée tiqua à la vue de la chienne, sans oser protester.

Un duc avait des privilèges.Le Jackman’s était un établissement chic, sans être

trop sélect, fréquenté en majorité par des hommes qui avaient vécu à l’étranger. Christopher l’avait sur-tout choisi parce qu’on y proposait aux membres une excellente sélection de journaux.

Il s’installa dans un fauteuil près de la cheminée, demanda à un valet d’ouvrir la fenêtre et de lui apporter du café et une assiette de biscuits, puis se plongea dans la lecture des nouvelles du jour.

Tess s’était couchée sous la table basse. De temps en temps, Christopher prenait un gâteau, le cas-sait  en deux et jetait un morceau à la chienne qui l’attrapait au vol dans un claquement de mâchoires.

Il était en train de lire le récit de la bataille contre les Français à Wandiwash, au sud-est de l’Inde, quand quelqu’un vint s’asseoir dans le fauteuil voisin.

Tess émit un grondement.Christopher se renfrogna. Personne n’osait venir

le déranger quand il se détendait au Jackman’s.Il tourna la tête. C’était cette vermine de Thomas

Plimpton, qui regardait sa chienne d’un air apeuré.

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Christopher n’avait pas revu Plimpton depuis quatre ans, mais il n’avait guère changé. Des yeux d’un bleu perçant, un visage joufflu et une bouche molle qui semblait perpétuellement entrouverte. Curieusement, le tout se combinait de manière assez harmonieuse pour lui conférer un certain charme qui ne laissait pas les dames indifférentes.

Christopher le dévisagea sans ciller.— Hum… Puis-je avoir une minute de votre

temps, Renshaw ?— Harlowe, corrigea Christopher d’une voix gron-

dante.— Je… je vous demande pardon ?— Je suis le duc de Harlowe.Plimpton déglutit, et sa pomme d’Adam remonta

dans sa gorge.— Oh… Oui, bien sûr. Euh… puis-je vous parler

un instant, Votre Grâce ?— Non.Christopher reprit la lecture de son journal. Puis

il entendit un froissement de papier et releva la tête.

Plimpton tenait un papier à la main.— J’ai de gros ennuis financiers et… je suis pris

à la gorge.Christopher ne daigna pas répondre.

L’outrecuidance de ce type n’avait pas de limites. Plimpton n’ignorait pourtant pas à quel point il le méprisait. Et il savait pertinemment pourquoi.

Mais ce lâche devait encore avoir une once de courage en lui, car il bredouilla :

— J’ai besoin… de dix mille livres. J’aimerais que… que vous me les donniez.

Christopher haussa les sourcils. De nouveau, Plimpton déglutit avec peine.

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— Et… si vous refusez… je montrerai ça… à tout le monde ! ajouta-t-il en tendant la feuille de papier à Christopher.

Il s’agissait d’une lettre, de toute évidence. Christopher s’en saisit et l’ouvrit.

À la vue de l’écriture brouillonne, il éprouva un douloureux pincement au cœur.

Sophy.Sa femme était morte quatre ans plus tôt, mais

sa disparition n’annulait pas la promesse qu’il avait faite de l’honorer et de la protéger.

Il fit une boule de la lettre, qu’il jeta dans le feu. Le papier s’enflamma aussitôt et brûla dans une vive flamme orangée, avant de retomber dans une pluie de cendres grises.

— J’en ai d’autres, prévint Plimpton.Évidemment.Christopher patienta.Plimpton le regardait, le menton pointé en avant,

l’air bravache. Il devait se voir comme une sorte de preux chevalier. Déjà, en Inde, cet imbécile se prenait pour un héros de guerre.

— J’ai en ma possession toute une correspon-dance, cachée dans un endroit sûr. Et si jamais… il m’arrivait quelque chose… ces lettres seraient publiées. J’ai laissé des instructions en ce sens.

Il le pensait donc capable de le faire assassiner ?Quel sombre crétin.De nouveau, Tess grogna sous la table, un son

sourd et menaçant. Plimpton lui jeta un regard craintif avant de reprendre :

— D’ici quinze jours, votre beau-frère, le baron Lovejoy, va organiser une garden-party chez lui, dans le Lancashire. Je suis invité et je suppose que vous l’êtes aussi. Apportez-moi l’argent. En échange, je vous remettrai les lettres.

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Christophe prit quelques secondes pour réfléchir.Il détestait les événements mondains et, par défi-

nition, une garden-party réunissait sous un même toit des invités dont il fallait supporter la présence au moins une ou deux semaines.

Christopher pouvait refuser tout net de céder au chantage de Plimpton et lui faire payer son impu-dence d’une manière ou d’une autre. Mais, finale-ment, payer était la solution la plus simple.

— Toutes les lettres, dit-il d’un ton sans réplique.— Bien sûr. Et je…Christopher s’était déjà levé. Tess sur ses talons, il

s’éloigna alors que Plimpton était encore au milieu de sa phrase. Mieux valait qu’il s’en aille avant de commettre un acte qu’il serait susceptible de regret-ter.

Jadis, il avait failli à Sophy. Aujourd’hui, il était bien obligé de se racheter.

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2

Rowan avait les cheveux de la couleur des flammes, la peau d’une blancheur ivoirine, des yeux aussi verts que la mousse qui pousse sur les berges d’une rivière.

Elle avait trois amies qui ne la quittaient jamais  : Azalée, Camélia et Liseron. Rowan aimait beaucoup Azalée et Camélia, mais elle détestait Liseron. Pourquoi ? Personne ne l’a jamais su…

Extrait des Contes des Terres grises

Freya sélectionna un fil de soie dans sa corbeille à ouvrage et l’enfila sur son aiguille. Arabella, l’aînée des sœurs Holland, était assise à côté d’elle sur le canapé du salon. Elle tendit le cou et demanda :

— Que brodez-vous, mademoiselle Stewart ?Cinq ans plus tôt, quand Freya était arrivée à

Londres pour remplir sa mission de Macha, elle avait eu besoin d’une couverture et était devenue dame de compagnie chez lady Holland.

D’emblée, elle s’était présentée sous son deuxième nom, Stewart, un patronyme écossais qui expliquait son léger accent. Les Dunkelders savaient que les mères et les filles de la famille de Moray étaient des Femmes Sages depuis des générations. Il était donc impératif que personne ne découvre qu’elle était la fille du duc d’Ayr.

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— C’est un épervier, répondit Freya en posant un point de broderie écarlate sous la tête du rapace.

— Qu’est-il en train de faire ?— Il arrache le cœur d’un moineau, dit Freya

d’une voix égale.Arabella écarquilla les yeux :— Oh ! C’est très… réaliste.— Oui, n’est-ce pas ?Freya considéra avec satisfaction sa broderie

sanguinaire, puis jeta un coup d’œil à l’horloge posée sur le manteau de la cheminée. Il était un peu plus de 22 heures. Elle avait donc encore deux heures de liberté avant son rendez-vous avec la Corneille.

Son rôle de Macha consistait à laisser traîner ses oreilles, à écouter les commérages et à collecter des informations qu’elle transmettait ensuite aux Femmes Sages. La plupart s’étaient retranchées dans leur domaine du nord de l’Écosse, près de Dornoch. Les agents comme Freya et la Corneille, qui vivaient en dehors de cette enceinte protectrice, livraient bataille contre les Dunkelders. Elles se battaient pour la survie de leur communauté et pour la liberté des femmes sur le territoire britannique.

— Que faites-vous pendant votre journée de congé, mademoiselle Stewart ? s’enquit lady Holland de son fauteuil, tout en étudiant d’un air dépité sa broderie aux fils emberlificotés.

— Rien de bien excitant, milady.Freya posa son cercle à broder, prit celui de lady

Holland et entreprit de séparer patiemment les fils de soie.

— Oh, merci ! soupira lady Holland.C’était une petite femme rondelette au caractère

pragmatique et volontaire, mais la broderie n’avait jamais été son fort.

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— Régina, comment s’est passée ta promenade avec M. Trentworth ? demanda-t-elle à sa fille cadette.

— Ses chevaux bais sont magnifiques, maman. Ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau et sont pleins de fougue. M. Trentworth vient de les acheter. Je l’ai supplié de leur lâcher la bride pour traverser Hyde Park au galop, mais il a refusé.

— J’espère bien, rétorqua lady Holland avec un sourire indulgent. Heureusement, ce jeune homme a la tête sur les épaules.

— Et un profil de médaille grecque.Régina avait pris une mine rêveuse. Puis, dans un

petit sursaut, elle ajouta :— Maman, M. Trentworth m’a dit tout à l’heure

qu’il allait demander une entrevue à papa !Lady Holland redressa vivement la tête, tel un

chien de chasse qui vient d’entrevoir un lapin de garenne.

— Vraiment ? Il faut prévenir ton père.— À votre avis, quelle sera la réponse de papa ?

demanda Régina, anxieuse.— Oh, ne sois pas bête. M.  Trentworth est issu

d’une famille respectable et dispose de jolis reve-nus. Dans le cas contraire, ton père l’aurait éconduit depuis longtemps. Il vous donnera sa bénédiction, n’aie crainte, ma chérie.

Régina poussa un petit cri de joie, et Arabella se leva pour la serrer dans ses bras. Freya remarqua que le regard de lady Holland s’attardait sur son aînée. Une petite ride soucieuse creusait son front entre ses sourcils.

— Pouvons-nous monter nous coucher, maman ? demanda Régina qui, manifestement, mourait d’en-vie de papoter avec sa sœur.

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Lady Holland accorda sa permission d’un geste de la main, et les deux jeunes filles s’éclipsèrent.

Freya rendit le cercle à broder à son employeuse, qui se contenta de le regarder en silence.

— Auriez-vous des réserves sur cette union, milady ? demanda Freya, prenant soin de bien choi-sir ses mots.

Cela aurait été surprenant, dans la mesure où lady Holland venait d’énumérer les atouts non négligeables de M. Trentworth. En outre, elle sem-blait apprécier ce jeune homme. Si Régina devait se marier, autant lui plutôt qu’un autre.

— Non, pas du tout, protesta lady Holland.Néanmoins, Freya voyait bien qu’elle était per-

turbée.Elle lui glissa un regard oblique.— Alors ?— Eh bien… c’est juste que je préférerais qu’Ara-

bella soit la première à s’établir.— Ah.La plupart des mères se moquaient bien de marier

leur aînée avant les cadettes, mais lady Holland se faisait du souci pour Arabella. Les dames de la haute société londonienne avaient des priorités bien diffé-rentes de celles des Femmes Sages. Et c’était dom-mage, songea Freya, le nez sur sa broderie.

Les sœurs Holland avaient toutes deux hérité de la chevelure blonde et du teint laiteux de leur mère, toutefois leur physique n’avait rien d’exceptionnel. Régina était la plus jolie et la plus enjouée des deux. Arabella avait le nez fort, le visage allongé et les manières sérieuses de son père. Néanmoins, elle avait un humour pince-sans-rire qui faisait mouche et pouvait soutenir des conversations approfondies sur des sujets tels que la philosophie, la littérature ou l’histoire.

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Hélas, ces qualités ne semblaient guère attirer les messieurs, qui se préoccupaient essentiellement du pedigree et du minois de leur future épouse, sans se soucier de leur personnalité ou de leurs facultés intellectuelles.

Depuis le temps que ces critères prévalaient, on pouvait s’étonner que l’aristocratie anglaise ne soit pas tout entière frappée de débilité mentale.

Lady Holland soupira.— Il faudrait qu’Arabella puisse rencontrer de

beaux partis, mais la saison est sur le point de se terminer, et je ne vois pas…

— Pourquoi pas à l’occasion d’une garden-party ? suggéra Freya.

— Vous savez bien que lord Holland déteste les grandes assemblées. Notre maison de campagne est son sanctuaire, et je ne pense pas pouvoir le persua-der d’organiser de telles festivités.

— Mais vous avez reçu des invitations, derniè-rement ?

Lady Holland hocha la tête et, pensive, acquiesça :— C’est vrai, vous avez raison. Nous y jetterons

un coup d’œil demain matin, si vous voulez bien.Réprimant un bâillement, elle ajouta :— Je suis fatiguée, je monte me coucher. Et vous ?— Pas tout de suite. J’aimerais d’abord terminer

mon ouvrage, répondit Freya en montrant sa bro-derie.

— Je ne sais pas comment vous faites, made-moiselle Stewart. Si je passais autant de temps que vous à broder, je serais sûrement aveugle. Eh bien, bonne nuit.

— Bonne nuit, milady.Une fois seule dans le salon, Freya continua

patiemment à broder son épervier. Ses pensées

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se tournèrent vers le duc de Harlowe. Comment pourrait-elle récupérer la chevalière de son frère ?

Le duc avait paru si arrogant, si sûr de son pouvoir quand il l’avait toisée dans la voiture… À cette idée, elle serra les dents. Savoir qu’un homme comme lui se pavanait dans Londres alors que la vie de Ran avait été brisée par sa faute en l’espace d’une nuit…

Elle secoua la tête. À quoi bon ressasser ces funestes souvenirs ? Mieux valait réfléchir au moyen d’abattre ce duc plein de morgue.

Deux ans plus tôt, il était rentré des Indes pour hériter d’un duché et d’une fortune colossale. Pourtant, Freya ne l’avait croisé dans aucune récep-tion. Vivait-il en ermite ? S’il avait tourné le dos à ses pairs, il serait difficile de le revoir sans éveil-ler les soupçons. Mais si elle graissait la patte d’un domestique…

L’horloge qui sonnait minuit l’arracha à ses cogi-tations. Elle rangea son cercle à broder dans la cor-beille et gagna le hall.

Tout était calme.Elle se dirigea vers l’arrière de la maison sans s’en-

combrer d’une chandelle, se dirigeant sans problème dans l’obscurité. Après tout, elle vivait ici depuis cinq ans et connaissait parfaitement les lieux.

Dans le jardin où flottait le parfum des roses, les rayons irisés de la lune se disputaient avec les ombres. Freya longea l’allée qui menait aux écuries. Le gravier crissait sous ses pantoufles. Il faisait frais à cette heure tardive, et elle regretta de ne pas être allée prendre son châle dans sa chambre.

Le portail aux charnières bien huilées s’ouvrit sans un grincement d’une simple poussée de la main. Freya prit soin de le bloquer à l’aide d’un caillou.

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Personne n’aurait compris que la sage Mlle Stewart se retrouve coincée dehors à minuit passé.

Face aux écuries, elle attendit pendant une minute sans voir personne. Elle s’apprêtait à aller inspecter la rue quand la Corneille surgit d’un recoin plongé dans l’ombre.

— Bonsoir, lady Freya.— Il ne faut pas m’appeler comme ça, dit vive-

ment Freya.— Pardon.La Corneille fit glisser sa capuche sur sa nuque,

et une boucle d’oreille en or étincela dans la masse de son épaisse chevelure brune.

Fille de duc, Freya aurait dû faire partie de l’élite de la haute société et côtoyer les personnalités les plus influentes. Sa mission de Macha en aurait été grandement facilitée. Mais le scandale avait tout bouleversé. Le nom des de Moray avait été traîné dans la boue et la fortune familiale s’était évaporée. Sous le choc, son père avait eu une attaque car-diaque. Après sa mort, Freya et ses sœurs, Caitrona et Elspeth, étaient parties vivre à Dornoch, chez leur tante Hilda.

C’était grâce à cette dernière qu’elle était devenue la Macha. Et elle lui avait juré de perpétuer l’ensei-gnement et les traditions des Femmes Sages.

Cette pensée la ramena au présent. La Corneille la scrutait de son regard sombre impossible à déchif-frer.

— Qu’aviez-vous à me dire ? demanda Freya.— Les Hags vous rappellent à Dornoch.Les Hags étaient les trois vénérables matrones

désignées pour prendre les décisions au sein de la communauté des Femmes Sages.

Freya sursauta.

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— Quoi ? Mais… pour quelle raison ? Sont-elles mécontentes de mes services ? Ont-elles l’intention de me remplacer par quelqu’un d’autre ?

— Non, pas du tout.— Alors pourquoi ? Ma présence à Londres est

indispensable. Vous savez qu’on parle de présenter une nouvelle loi anti-sorcières au Parlement. Je dois y faire barrage. Pourquoi me rappeler main-tenant ?

— Nous avons une nouvelle Cailleach1. Elle estime plus prudent que toutes les Femmes Sages se retirent à Dornoch.

— C’est une plaisanterie ?— Non, milady.— Que je me retire ? Et ensuite, que se passera-

t-il ? Faut-il oublier toutes les femmes qui ont besoin de notre aide ? Oublier notre devoir sacré de combattre les injustices de cette société patriar-cale ? Est-il souhaitable de se cacher lâchement jusqu’à ce que les Dunkelders nous débusquent et nous tuent jusqu’à la dernière ? Et il n’y a pas qu’eux… Si le Parlement adopte cette loi, tout le monde nous persécutera. Ce sera le retour des procès et des bûchers… C’est impossible ! Notre communauté ne survivra pas à une autre chasse aux sorcières.

— Je le sais bien, mais… je ne suis pas la Cailleach !— Et les deux autres Hags se font vieilles, mur-

mura Freya avec amertume.Les trois femmes avaient le même pouvoir de déci-

sion mais, bien sûr, si l’une d’entre elles avait une personnalité particulièrement forte, elle aurait beau jeu de rallier les autres à ses idées.

1. Dans la mythologie gaélique, la Cailleach est une sorcière divine qui personnifie les forces élémentaires de la Nature, principalement dans son pouvoir destructeur. (N.d.T.)

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— Certes, acquiesça la Corneille. J’ai entendu dire que la plus âgée avait dû s’aliter. Il paraît qu’elle n’en a plus pour longtemps, et celle qui lui succédera est du même avis que la Cailleach.

— Et la Nemain1 ? demanda Freya, faisant allu-sion à l’assassin dont les Femmes Sages n’utilisaient les services qu’en cas de force majeure. Est-elle rap-pelée à Dornoch elle aussi ?

— Oui.— Et vous ?— Je vous suivrai là-bas, vous et la Nemain, dès

que ma mission sera accomplie.Freya ferma les yeux, s’efforçant de réfléchir.Elle savait qu’il existait un mouvement au sein de

leur communauté qui prônait un retrait définitif du monde patriarcal. Mais quelle influence au juste ce courant de pensée avait-il ?

Si les Femmes Sages se retiraient au fin fond de l’Écosse et que la loi anti-sorcières passait au Parlement, leur communauté serait anéantie, Freya en était convaincue. Et avec elle disparaîtrait un millénaire de savoir, de traditions et de dévouement.

Le savoir, les traditions et le dévouement de tante Hilda.

Non, Freya ne pouvait s’y résoudre.Elle rouvrit les yeux. La Corneille attendait patiem-

ment sa réponse.— Accordez-moi un mois. Dites aux Hags que je

rentrerai à Dornoch dans quatre semaines, que je  ne peux pas quitter Londres avant sans éveiller les soupçons.

— Qu’espérez-vous changer en un mois ?— Écoutez-moi. Lord Elliot Randolph est le fer

de lance de ce projet de loi anti-sorcières. Cela fait

1. Déesse guerrière de la mythologie celtique. (N.d.T.)

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des mois que je cherche le défaut de la cuirasse. Pour le moment, je n’en ai pas trouvé… à part un, peut-être.

La curiosité s’était peinte sur le visage de la Corneille.

— Son épouse, expliqua Freya. Lady Randolph est morte brutalement l’année dernière. Elle a été ense-velie dans leur domaine du Lancashire avant même que sa famille à Londres soit avertie de son décès. Je pense que lord Randolph avait sans doute une bonne raison d’empêcher les siens de voir son corps. Si je trouve la preuve qu’il est pour quelque chose dans sa mort, alors nous aurons une arme contre lui et nous pourrons bloquer la loi avant qu’elle ne soit présentée aux parlementaires.

La Corneille secoua la tête.— La saison se termine. Tous les aristocrates vont

déserter la ville pour se rendre dans leurs propriétés à la campagne.

— En effet. Y compris lord Randolph.— Et ?— Lady Holland est invitée à la garden-party

qui aura lieu chez lord et lady Lovejoy. Dans le Lancashire, précisa Freya en regardant la Corneille droit dans les yeux. Ils sont voisins de lord Randolph. Leurs domaines sont limitrophes.

— Oh… Vous avez l’intention de vous rendre à cette garden-party ?

Freya eut un sourire carnassier.— Donnez-moi un mois. Je mènerai l’enquête sur

la mort de lady Randolph et je trouverai la preuve qu’il nous faut pour faire barrage à lord Randolph !

Une semaine plus tard, Freya avait pris la route du Lancashire avec les sœurs Holland et leur mère.

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