L'évolution de l'habitation beylicale : une nouvelle ... · Maalga, Sidi Bou Saïd et la Marsa...

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L'évolution de l'habitation beylicale : une nouvelle dynamique urbaine dans la banlieue nord de la ville de Tunis Abidi BEYA L es banlieues nord de la ville de Tunis à savoir la Goulette, Carihage, la Maalga, Sidi Bou Saïd et la Marsa sont une zone de villégiature nés connue depuis l'antiquité. Ces régions se trouvent dans une pleine fertile comprise entre la Méditerranée et les collines de Gammarth. Elles étaient réputées pour leurs jardins et le charme de leurs collines couvertes de forêts d'arbres fruitiers de toutes sortes. Sous le règne des Beys Husseinites (1705-1957) elles avaient affirmé leur fonction de résidence estivale. Beys, princes, ministres et hauts fonctionnaires y construisaient des bordjs et des palais assez vastes dans divers styles qui indiquaient une évolution architecturale remarquable. Ces demeures de plaisance s'échelonnaient le long de la mer, ce qui a donné à cette localité des banlieues nord une ampleur différenciée affirmée par leur vue panoramique et emplacement stratégique. Les vergers et les jardins objets de leurs soins alimentaient la ville de leurs légumes et de leurs fruits. Ce qui a doté ces régions d'une organisation urbaine particulière dont les principaux constituants sont les vergers et les « jneins » disposé en éventail autour de divers sentiers. Au lendemain du protectorat ces régions ont continué à assumer la fonction de résidence beylicale et les beys ont continué à y résider et à y donner des audiences en grande pompe. Mais à partir de la première décennie du XX e siècle de nombreux changements ont affecté ces endroits qui ont connu un élan urbanistique porteur de la construction de plusieurs quartiers résidentiels de luxe. L'urbanisation planifiée ou spontanée de la région s'est accélérée au détriment des grandes demeures. Les territoires intégrés dans ce circuit urbain étaient constituís en grande partie de propriétés sur lesquelles étaient construits des bordjs qui sont des petits fortins résidentiels qui se rattachent à la typologie de la villa romaine, réunissant exploitation agricole et plaisance '. Les jardins de ces édifices faisaient l'objet d'une intense activité urbanistique. Il a fallu procéder à de larges découpages qui ont modifié l'aspect des lieux pour résoudre le problème du logement d'un grand nombre de princes et de princesses demeurant san; habitation digne. En réalité, les caractères de la propriété du sol urbain, ceux de la topographie et l'histoire urbaine confèrent à l'urbanisation de la banlieue nord des caractéristiques particulières. L'objet de ce travail est de retracer ! es grandes étapes de cette phase, ainsi que révolution de l'espace urbain. Cette étude se propose d'étudier en partie l'évolution du logement de la famille beylicale durant la première moitié du XX e siècle. La banlieue nord 1. Denis Lcsagc. 2001

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L'évolution de l'habitation beylicale : une nouvelle dynamique urbaine dans la banlieue nord

de la ville de Tunis

Abidi BEYA

L es banlieues nord de la ville de Tunis à savoir la Goulette, Carihage, la

Maalga, Sidi Bou Saïd et la Marsa sont une zone de villégiature nés connue depuis l'antiquité. Ces régions se trouvent dans une pleine fertile comprise entre la Méditerranée et les collines de Gammarth. Elles étaient réputées pour leurs jardins et le charme de leurs collines couvertes de forêts d'arbres fruitiers de toutes sortes. Sous le règne des Beys Husseinites (1705-1957) elles avaient affirmé leur fonction de résidence estivale. Beys, princes, ministres et hauts fonctionnaires y construisaient des bordjs et des palais assez vastes dans divers styles qui indiquaient une évolution architecturale remarquable. Ces demeures de plaisance s'échelonnaient le long de la mer, ce qui a donné à cette localité des banlieues nord une ampleur différenciée affirmée par leur vue panoramique et emplacement stratégique. Les vergers et les jardins objets de leurs soins alimentaient la ville de leurs légumes et de leurs fruits. Ce qui a doté ces régions d'une organisation urbaine particulière dont les principaux constituants sont les vergers et les « jneins » disposé en éventail autour de divers sentiers.

Au lendemain du protectorat ces régions ont continué à assumer la fonction de résidence beylicale et les beys ont continué à y résider et à

y donner des audiences en grande pompe. Mais à partir de la première décennie du X X e siècle de nombreux changements ont affecté ces endroits qui ont connu un élan urbanistique porteur de la construction de plusieurs quartiers résidentiels de luxe. L'urbanisation planifiée ou spontanée de la région s'est accélérée au détriment des grandes demeures.

Les territoires intégrés dans ce circuit urbain étaient constituís en grande partie de propriétés sur lesquelles étaient construits des bordjs qui sont des petits fortins résidentiels qui se rattachent à la typologie de la villa romaine, réunissant exploitation agricole et plaisance '. Les jardins de ces édifices faisaient l'objet d'une intense activité urbanistique. Il a fallu procéder à de larges découpages qui ont modifié l'aspect des lieux pour résoudre le problème du logement d'un grand nombre de princes et de princesses demeurant san; habitation digne. En réalité, les caractères de la propriété du sol urbain, ceux de la topographie et l'histoire urbaine confèrent à l'urbanisation de la banlieue nord des caractéristiques particulières. L'objet de ce travail est de retracer !es grandes étapes de cette phase, ainsi que révolution de l'espace urbain. Cette étude se propose d'étudier en partie l'évolution du logement de la famille beylicale durant la première moitié du X X e siècle. La banlieue nord

1. Denis Lcsagc. 2001

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L'évolution de l'habitation beylicale

a été choisie comme aire d 'étude car elle comportait dans son étendue les principaux cas qui marquaient cette évolution dans son ampleur. Cette étude tente aussi de montrer les modes de productions architecturaux. Dans ce contexte il nous est indispensable de comprendre les conditions dans lesquelles s'effectuait la croissance urbaine de ces régions. De même nous allons nous appliquer à recueillir les traces de l'existence des édifices qui conservent les caractéristiques d'une demeure beylicale. Ainsi il nous est inévitable de nous poser les questions qui suivent :

- Sous quelle influence ces habitations ont-elles évolué et quelles sont leurs adaptations ?

- S'agit-t-il d'un plan d 'aménagement ou d'une juxtaposition de diverses expériences plus au moins opposées entre tradition et modernité ?

- Quelles formes d 'aménagement et de développement urbain ont été réalisées dans cette région durant la période évoquée ?

- La reproduction du répertoire architectural et décoratif traditionnel peut-elle être considérée comme le fruit du hasard ?

1. La famille beylicale sous le protectorat : décrépitude économique

Au lendemain du protectorat la famille beylicale a vécu un déséquilibre économique cruel. Ses conditions de vie se dégradaient sensiblement. Le Bey n'était plus le maître de ses finances ni de celles de la famille husseinite. Cette situation inquiétait l'autorité beylicale. Suite à la démolition de certains palais du Bardo et à la réquisition de plusieurs autres tels que le palais du Bardo. le palais de la Rose, le palais de­

là Muhammadiyya. le .lalais de Carthage affecté au Lazaret plusieurs membres de la famille beylicale se trouvaient en face dune crise du logement affolante. De plus quatre palais faisaient désonnais partie des biens de la couronne 2 et leurs usages étaient réservés seulement au Bey du trône. Ainsi, la famille husseinite était privée de la majorité de ces locaux malgré l'opposition tendue à la réquisition des immeubles beylicaux. La question d'un logement décent pour les princes qui avaient l'habitude d'habiter les vieux palais démolis ou expropriés s'est posée très rapidement. De plus les beys régnants n'avaient plus la possibilité de donner à titre gracieux des habitations autant qu'ils voulaient en raison du contrôle exercé par l'Etat sur l'usage des palais de la couronne.

Afin de réduire ce problème, l 'autorité beylicale procéda à la réparation de certains palais pour recevoir les plus défavorisés parmi les princes notamment les princesses veuves. On dénombre ainsi. plusieurs cas de réutilisation de vieux palais beylicaux à usage d'habitations particulières. Cela révèle d'abord que la crise du logement est alourdie par la crise financière qui empêchait l'édification d'autres résidences princières.

En effet, en 1904 le Bey a exprimé le désir d'affecter le vieux palais beylical d ' A I -'Abdaliyya situé à la Marsa au logement de deux princesses veuves et de leur suite qui occupaient jusqu'à cette date un immeuble au Bardo menaçant ruine. La mise en état de ce palais était évaluée par les services de l'administration des Travaux Publics à huit mille francs 3.

Ce montant fut jugé très élevé pour une telle opération, en conséquence une nouvelle

2. Les biens de ta couronne comportent des biens mobiliers et immobiliers mis à la disposition du Bc> du Trône durant tout son règne, la

gérance de ces biens est conf iée a l'administration beylicale.

i. A . N . T . Série •< E ». Cart. 5X5, Dos. 50. Le Directeur général des Travaux publics s'adressant à Monsieur Roy lui explique que : « au sujet

de l'installation des princesse beyî ica les a l 'Abdaliyya. j 'a i l'honneur de vous faire connaître que les réparations qui sont à faire à ce dernier

immeuble sont éva luées par mon service à huit mille francs »,

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simplification du projet dans son ensemble fut prescrite pour en réduire le coût tout en lui conservant les mêmes objectifs. Le directeur général des Travaux Publics, monsieur Roy n'avait autorisé que l'ouverture d'un crédit de cinq mille francs seulement qui avait été prélevé sur les fonds disponibles. Les travaux ont été commandés directement par le Bey en employant une main-d'œuvre locale pour la terrasse et la menuiserie.

Durant la même année Muhammad al-Hadi Bey (1902-1906) avait demandé aussi la mise en état de l'immeuble Amousseau situé au Bardo, faisant partie de la propriété de la couronne pour loger d'autres princesses demeurant jusque là sans foyer A. Un projet très proche de ce que ce dernier venait de réaliser a concerné la modification d'une partie du Dar al Bey à Hammam-al-Anf en habitation privée pour la princesse Hadia.

Une annotation avait été adressée par le directeur des Travaux Publics au secrétaire général du gouvernement dans laquelle, il contestait l'occupation d'une partie du palais de Dermech par les deux princesses « Bakhta » et « Sassia ». Car il était question d'affecter ce palais aux militaires -\ Or le Bey s'était montré réticent par rapport à cette volonté et de plus, il axait demandé que les immeubles beylicaux échappent à la réquisition du Directeur des Travaux Publics, notamment ceux destinés à la famille beylicale.

Ces opérations ont été rapidement ralenties en raison de l'état de vétusté parfois complète de ces palais et des travaux considérables qui étaient indispensables pour les rendre habitables. De plus ces travaux souffraient de l'insuffisance des ressources financières nécessaires et du manque de moyens matériels

fondamentaux pour les poursuivre et les faire aboutir dans des délais raisonnables. Citons comme exemple : le 6 janvier 1938 le Bey a signalé au Directeur des Travaux publics la nécessité de faire procéder dans les plus brefs délais à des travaux de réfection de certains palais. Mais le directeur a indiqué qu' i l ne disposait pas de crédits suffisants pour effectuer le travail demandé. Il a exprimé le désir de recevoir au budget de cette année un crédit complémentaire de sept cent trente mille francs. Cette dotation n 'étai t pas accordée et la demande restait sans lendemain <\

La solution adoptée par les Beys pour loger les princes dans les vieux palais demeurait fragile et sans avenir. Toutefois la situation des princes restait de plus en plus pénible. Un rapport porté à l'attention d'Ahmed Bey en 1933 7 explique la situation difficile de la famille husseinite et propose des initiations à suivre désormais pour sortir des difficultés. En effet le Bey fut appelé à plusieurs reprises à payer le loyer de certains princes qui se trouvaient incapables de s'en charger 8. Cette situation financière difficile des princes a incité le pouvoir beylical à édifier de nouvelles constructions qui ont été à l'origine de bien des noyaux d'établissements urbains nouveaux. Le problème le p.us épineux qui se posait à la direction beylicale demeurait celui des ressources financières suffisantes pour construire des habitations autant que nécessaire. Les contributions allouées par les biens de la couronne n 'étaient pas importantes pour engager de telles réalisations. De plus les palais privés n'avaient fait jusque là l'objet d'aucune ouverture de crédit d'Etat. D 'où la nécessité de demander l'aide financière de la banque foncière et ce! e technique de l'administration

4. A . N T . Série « E », C a n . 5X5. Dos. 50.

5. A .N.T. Série « F ». C a n . 7. Dos. 35.

6. A . N T Série .. F ». Cari 1. Dos 1. S. dos 18.

7. A . N T . Série « F >., t'ari. 7, Dos. 22.

S. A . N T . Série <• F », Cari . 7. Dos. 22.

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L'évolution de l'habitation beylicale

des Travaux Publics. Les crédits affectés au profit des projets de construction de nouveaux logements pour certains membres de la famille beylicale ont été en effet très réduits eu égard aux charges qui lui incombaient et au nombre d'habitations à réaliser.

2. Une nouvelle architecture pour les habitations princières

Les beys régnants recouraient à ces projets et travaux neufs au vu de la situation de la majorité des princes qui occupaient des logements dégradants qui n'exprimaient pas leur distinction. Le premier à opérer cette mesure était Muhammad al- l ladi Bey divisant

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Figure 1. Les Viiias construites par Muhammad ai-1 iacii Bcy pour ses enfants. C F . Dossier Titre n" 29009.

une partie du jardin de son palais privé à Dermech pour construire douze villas pour ses propres enfants.

Une opération pareille était également accomplie par Lamine Bey qui avait procédé à la division du jardin de son palais pour construire des maisons pour ses enfants. Cette opération

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Figure 2. Les parcelles achetées par Lamine Bey.

A . N T . Série ' F ' , cart.4, Dos. 3, S.dos.3.

avait produit cinq nouvelles habitations qui ont obligé le Bey à acheter d'autres parcelles aux abords du palais pour le reste des ses enfants qui étaient au nombre de sept.

De plus on note d'autres initiatives pour le compte de divers autres princes. En 1928 trois mémoires de dépenses engagés relatifs à des travaux d'installation de deux nouveaux foyers à Carthage ont été réalisés. En Août 1934 les services des Travaux Publics ont fini la construction des quatre villas réservées aux princes de la famille beylicale à savoir celle désignée au prince 'Allala Bey fils de 'Azziddin Ben Mustapha Bey qui a coûté au total soixante quinze francs ''. Suivant contrat de location en date du 30 octobre 1934 la caisse mutuelle immobilière de Tunisie a loué avec promesse d'attribution à ce prince l'immeuble désigné. Le prince Allala Bey ayar t effectué au 30 septembre 1954 la libération de loutes les sommes dues, a demandé que l'attribution qui lui avait été consentie soit régularisée et rendue définitive. La caisse mutuelle du crédit immobilier de Tunisie et l'administration beylicale ont accepté de donner suite a cette demande "'.

9. CF. vol. 218, n° 526. 10. Ibid.

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Abidi BEYA

Figure 3. Les parcelles achetées par Lamine Bey. A.N.T. Série 'F* , can.4, Dus. 3, S.dos.3.

En effet Le nombre exact des villas édifiées dans ce cadre ne peut ici être donné mais il ne devait pas excédait la dizaine. Malgré les précautions prises, la crise du logement continuait à persister avec force. Au début des années quarante, on s'aperçoit qu 'à peu près dix familles beylicaies étaient encore sans logement approprié et que les locaux qu'elles occupaient comme locataires étaient épais. La majorité d'entre eux habitait La Mannuba et le Bardo, le reste logeait à la Goulette, au FCram, à Salammbô et à Duwwar al-Chutt Cette dispersion de la famille husseinile présentait de multiples inconvénients à savoir les difficultés d'une surveillance efficace, l'incertitude d'un logement confortable et digne des princes des grades supérieurs, ainsi que les rapports entre propriétaires et locataires qui posaient toujours des problèmes. Pour remédier à cet état de fait, le Bey proposa de regrouper les princes autour du palais beylical de la Marsa. soit sur une bande de terrain longeant l'avenue du palais et allant de la gare de Marsa-ville au palais. Sur cette bande seront édifiées des habitations sous

forme de villas entourées de jardinets. Le terrain a été attribué gratuitement par le Bey. Ce terrain a été distrait du « Saniyat al-luz » qui faisait partie du domaine des biens de la couronne 1 1 . Concernant les fonds nécessaires pour la construction de cette colonie beylicale, le bey demande à la direction des Travaux Publics d'étudier les disponibilités du budget de la famille hussaynite. Or i l s'est avéré que faute de moyens disponibles et devant l'indifférence de l'administration coloniale, le projet n'a pas eu de suite et par conséquent le problème du logement des princes est resté en l'état.

Cette proposition a été reprise quelques années plus tard par Muhammad Lamin Bey. Le découpage n'était pas fait simultanément pour l'ensemble des destinataires. En effet au fur et à mesure et selcn les besoins, les lots ont été distraits des jardins entourant les principaux palais de la région de la Marsa en commençant par celles de <•. Saniyat al-luz » déjà proposée depuis quelques années. Les travaux de construction de ces villas entraînaient des dépenses considérables. Par conséquent, le

11. C F . litre 4M 26.

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L'évolution de l'habitation beylicale

directeur des Travaux Publics attirait l'attention du secrétaire générai du gouvernement sur le coût élevé de ces travaux 12 et décidait de mettre fin aux fantaisies du Bey exécutées aux frais de l'Etat. Alors un crédit de trois millions leur a été affecté par le Conseil des Ministres ie 3 Août 1943. Malgré la modestie des crédits, ces « colonies princières » ont pu être réalisées. En outre, elles ont permis à un grand nombre de princes appauvris d'accéder à des logements dans des conditions meilleures. Comme elles ont pu entraîner aussi une extension considérable de l'aire bâtie autour des palais.

3. Les nouvelles habitations princières entre tradition et modernité

Avant d'engager l'étude de l'évolution de l'habitation beylicale du point de vue de l'analyse architecturale et urbaine nous devons taire allusion aux principales causes de ces changements. Notre point de vue sur l 'évolution écarte l ' idée de l'existence de phases bien délimitées dans la formation de ces nouvelles habitations. Nous allons tenter de mettre l'accent sur le processus de formation et l 'évolution des styles architecturaux selon des exemples isolés dans le temps et l'espace.

La production architecturale réalisée dans ce cadre était d'une grande valeur culturelle et esthétique. Les villas produites par Muhammad al-Hadi Bey au début du siècle furent les premiers exemples dont il ne nous reste aucune trace. La période 192e) à 1935 était la plus importante au niveau de la production urbaine et architecturale dans ce sens. Les villas étaient de grande taille, édifiées sur des parcelles dont la surface dépassait les quatre cent mètres carrés.

Figure 4. Vi l la Sadok Bey. La Marsa, (photo de l'auteur).

La majorité de ces constructions étaient composées de cinq pièces au minimum. Elles représentaient des conditions de confort très favorable. La villa de Sadiq Bey située à la Marsa au voisinage du palais beylical et aménagée au début des années trente en fournit un exemple pertinent dans ce sens.

Les villas construites durant la décennie suivante marque aussi l 'évolution historique des habitations princière de l 'époque 1 3 . Nous citons à titre d'exemple les villas attribuées à Nourraddin Bey et son frère ' A l i Bey tous deux fils de Muhammad Sa'id Bey. le prince Sadiq Bey fils de Hachmi Bey et la princesse Sufîa. Ces villas ont été édifiées sur des parcelles de dimensions restreintes sans vue dégagée. Une recherche de relation avec le bâtiment voisin se fait ressentir par les tonnes adoptées. Au niveau de la relation de l'habitation à l'extérieur on observe la réduction et parfois la disparition du jardin. L'accès au logement a beaucoup changé par rapport a ceux da siècle dernier. La cour centrale qui est devenue couverte vers la tin XLX e siècle a complètement dispaili. Contraire­ment aux anciens palais jugés en grande partie

1 2 A titre d'exemple ci afin d'achever la construction de villas attenantes au paiais de Carthage on peut faire état d'une note pour ie service

de l'ordonnancement de la part de l'administration de la liste civile s ignée par M A T T F I pour ré tab l i s sement d'un bon de paiement de

10.000.000 francs au profit de la 13 société anonyme du matériel métal l ique à titre de première avance, cinq millions de francs à titre de

d e u x i è m e avance et dix millions pour la trois ième ce qui é l ève le coût total de cette villa à vingt cinq initiions de francs. A.N'.T. Série F. cart.3.

dos.3. S.dos-4.

1.3. C F . litre n= 97687.

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Ahidi B E Y A

Logement de la priMMM Aicna

Plan K.D.C

S u p p m t tie t r a v a i l : A r c h i v

1 1,1 i l i

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Figure 5. Logement de la princesse Aicha à Carthage, À.N.T. Série ' F ' , cari.4, Dos. 3, S.dos.3.

Logement de la princesse A'cîra

P/a/ï Etage

S u p p o r t de t r a v a i l : A r c h i v e s

n

1

Figure 6. Logement de [a princesse Aicha à Carthage, A.N.T. Série ' F ' , cart.4, Dos. 3. S.dos.3.

Figure 7. Logement de la princesse Aicha à Carthage. A.N.T. Série F\ cart.4. Dos. 3. S.dos.3.

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L'évolution de l'habitation bevlicale

Logement de !a princesse Ac ha

Coupe B-B

Support de travail : Archives

Figure 8. Logement de la princesse Aicha à Carthage, A.N.T. Série ' F * , cartA Dos. 3. S.dos.3.

Loflemenl de la princesse Aicha

I I -V

Coupe C-C

a 2 4 tf • !" ' ! r r T = 7 T *„ f = 3

S u p p o r t d e t r a v a i l : A r c h i v e s

Figure y. Logement de la princesse Aicha à Carthage, A.N.T. Série * F \ cart.4, Dos. 3, S .dos. 3.

!

Habitation du prince Charjiy

PlanRD.C

Support d t J I I : A r c h i v e *

Figure 10. Logement du prince Chadly à Carthage. A.N.T. Série k F \ cari,4. Dos. 3, S.dos.3.

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Abidi BEYA

! labitation du prince Chadly

Plan Etage

I u

Li jjr s

3 B

Figui

Support de t rava i l : Archives

e l i . Logement du prince Chadly à Carthage, A.N.T. Série "F' , cart.4, Dos. 3, S.dos.3

F i g u r e 12. L o g e m e n t du pr ince S a l a h à Cart i lage , A . N . T . S é r i e F ' , cu i t .4 . D o s . 3 . S.dos.3.

irréguliers, sans style propre et très vastes, les nouvelles habitations sont bien conçues et de proportions modestes. Hlles comprenaient toujours un rez-de-chaussée et un étage. Mais les proportions avaient beaucoup diminué. Les dépendances et les sous sols avaient complètement disparus. L'ensemble était situé au milieu d'un tout petit jardin. Cette évolution était liée aussi au changement des modes de vie qui ont connu de réels bouleversements durant cette époque.

En établissant ainsi une corrélation entre d'un coté la préservation d'un mode de vie et de l'autre les nouvelles conditions financières restrictives on peut noter un certain nombre de traits. Les extensions ont été nombreuses mais

sans grand intérêt architectural, le décor de certaines façades est emprunté au style traditionnel mais la conception de l'espace intérieur est moderne. La plupart de ces villas ont été simples discrètes voire modestes. Le style à adopter était précisé par les services d'architecture des Travaux Publics pour des raisons d'économie de la construction. On est alors loin de la reproduction d'un modèle précis. On constate aussi une tendance à exploiter au mieux la combinaison de deux ou plusieurs éléments fondamentaux de l'architecture locale. Ce sont des habitations modernes sur les façades desquelles sont plaqués des éléments de l'architecture traditionnelle (ganariyya, fer forgé, arcades...). Mais ni leurs dispositions, ni

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L'évolution Je l'habitation beylicale

leur modèle, ni leurs étendues ne correspondent à ce qui convenait et que l'on approuvait pour une demeure beylicale. La luxuriance des jardins et des vastes palais cessait d'ailleurs d'être le modèle à suivre pour plusieurs raisons. En effet, ces réalisations constituaient un témoignage de l'évolution de l'art de bâtir et des différents courants artistiques et culturels qui ont fleuri à cette période.

A ce stade noue recherche soulève en effets quelques interrogations. Est-il possible de parler de l'imposition d'un modèle architectural unique ? Peut-on parler de la naissance du type architectural beylical moderne à l'époque du protectorat, alors que certains styles reproduits lors des dernières réalisations leur sont antérieurs ?

Pour tenter de répondre a ces interrogations il faut essayer de savoir comment ces villas s'insèrent dans l'évolution de l'architecture palatine et plus précisément dans la formation du type moderne d'habitation royale (souveraine et majestueuse) ou à la limite bourgeoise (habitante, dirigeante). Il ne fait aucun doute que la première apparition de ce type d'habitation a eu lieu dans un nouveau contexte politique cl économique ayant pour thème une habitation appropriée pour une famille beylicale déchue. Le plan qui semble avoir eu la plus grande faveur est celui d'une habitation bourgeoise moyenne. Mais si la ressemblance tonnelle est évidente entre les deux types d'habitations la filiation réelle est à suivre. Esl-on assuré que celte nouvelle conception du logement princier élaborée ait constitué un modèle formel pour toutes les réalisations du début du siècle ? Les apparences peuvent le laisser croire Cependant, la conception des villas à cette période est très mal connue : les exemples sont très rares et peu ou pas étudiés.

Nous apercevons a la fin de cette partie que de nombreuses villas présentent des formes similaires : sur la rue, elles possèdent des avancées, bordées de colonnades. L'entrée principale est placée au centre de la façade, distribuant un couloir et les pièces adjacentes

ouvertes par des fenhres sur le petit jardin entourant. En dépit de ces changements La ressemblance est encore grande avec l'organisation interne de la demeure traditionnelle. Comme si l'intérieur du Dar traditionnel avait été renversé. Le patio central couvert ou coupé en deux, la façade sur la rue s'apparcntanl à la façade intérieure du patio.

Figure 13. Habitation du prince Noumddin Bey, La Marsa.

Figure M . Habitation d u prince Nourraddin B e y . L a M a i sa.

L'intérieur révèle aussi d'autres originalités, le couloir peut donner sur une pièce centrale distribuant les autre, pièces de la villa. La décoration est variable elle peut être directement inspirée de la décoration traditionnelle, faïences et mosaïques auteur des ouvertures et colonnades, zliss, fer forgé et tuiles vernissées ou bien beaucoup plu> sobre, dans un style plus classique avec des colonnes.

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Abidi BEVA

Figure 15. Habitation de la princesse Sutia. La Marsa.

4. Le développement urbain dans la banlieue nord de Tunis entre 1900 et 1945

A la fin du X I X e siècle il D'y avait pas dans toute la banlieue nord de centre urbain formé par un quartier résidentiel à l'exception du quartier bcylical de Sidi Bou Saïd et de celui de­là Marsa. La carte de 1905 nous montre des

maisons éparpillées, entourées de champs de cultures, certaines voies ne sont pas visibles elles étaient encore à l'état de pistes.

En effet ces jardins royaux étaient, à l'origine, des exploitations très importantes appartenant essentiellement à la famille beylicale et à certains hauts dignitaires qui. scion une coutume très ancienne, y habitaient pendant l'été. Ils sont restés quasiment fermés à toute forme d'urbanisation. Ils s'étendaient sur la majeure partie de la plaine qui entoure la Marsa, Sidi Bou Saïd et Cartilage. Jusqu'au début des années vingt, ces jardins restaient principale­ment une 7one à vocation agricole et de villégiature. Progressivement, ils sont devenus le principal support de l'urbanisation, et ils ont formés une zone d'habitat permanent pour la famille régnante et pour certains de leurs serviteurs. En effet pour réussir à regrouper les membres de la famille hussaynite et leur fournir des habitations dignes certains Beys ont été obligés de cécer des parties significatives de leurs jardins pour faire face à ces utilités. Ces jardins constituaient donc un contexte foncier

Figure 16, Carie de 1905, (extrait de 1/1000(1). A.N.T. Série T, eart. 585. Dos. 176.

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L'évolution de l'habitation beylicale

propice à de nouvelles expériences (Leïla Ammar, 1989, p. 91 ) u. L'étude des cartes et des plans disponibles nous a permis de constater que les premiers lotissements entre 1910 et 1922 avaient été implantés dans la zone immédiate attenante des principaux palais. Ces implanta­tions témoignaient d'une nouvelle orientation dans l'aménagement urbain signifiée par l'amorce des nouveaux centres. Le dévelop­pement de cette région s'est effectué donc auprès et autour des jardins paiatiaux qui avaient constitué une réseive foncière assez importante et non pas par croissance d'un noyau central.

Au début du X X e siècle fut entamé le découpage des pares et jardins beylicaux en lots de formes irrégulières sous l'ordre et le contrôle des IJeys de cette époque. Cela a entraîné une réduction progressive et incessante des jardins entourant les palais et une densification du cadre bâti. Cependant l'administration des Travaux publics à plusieurs reprises s'est trouvée obligée de demander à la municipalité de la Marsa de vérifier si les projets de lotissement réalisés par certains beys ne présentaient pas d'incon­vénient l 5 .

Ces pratiques sont passées d'une division spontanée sans idée directrice, sans plan d'ensemble et sans méthode aucune, amorcée sous le règne de Muhaimnad al-lladi Bey à un découpage uniformisé amplifié sous celui de Vluhammad al-Naeirct Muhaimnad Lamin Bey. Les nouveaux lotissements des jardins beylicaux ont été créés selon de nouvelles techniques de découpage de tracé et de rationa­lisation des tonnes urbaines. Ce qui a été à l'origine de la naissance des quartiers beylicaux à la Marsa et à Cartilage. Ces lotis-scmcnts ont été réalisés sous le contrôle des services techniques des Travaux publics.

Au cours de cette période 1900-1945, la croissance urbaine se déterminait à partir d'une

14. L.eïla Ammar, 19*9, p. 91.

15. A .N.T. Série « F », Cari . 4, Do» . 16.

16. I . c ï l a B l i l i . 2 0 0 4

structure spatiale plus complexe et plus segréguée que celle que l'on avait connue au cours de la seconde moitié du X I X e siècle. Elle s'était effectuée par un morcellement aléatoire des jardins en des lots variables, souvent dans le cadre familial. Cela a donné naissance à une forme singulière d'urbanisation qui s'est généralisée progressivement selon la nécessité d'avoir de nouveaux lots pour faire face au besoin croissant en logements. Ces morcel­lements successifs aboutissaient à la disparition ou bien à la raréfaction de nombreux jardins et à l'apparition d'un tissu plus au moins compact. Celui-ci peut être défini par ses qualités architecturales et urbaines qui ont donné lieu à des quartiers « princiers ». En raison du statut du sol fortement privatif et des initiatives éphémères et isolées dans le temps et l'espace, ce phénomène était, en quelque sorte, la réponse aux besoins privés en logements et ne traduisait guère une stratégie trbaine. Ces jardins ont servi donc à élargir la notion d'habitat beylical vers de nouvelles zones.

Le modèle d'urbanisation dominant au cours de cette période était la densification de ces jardins. Il s'agissait d'un processus de morcellement successif selon les besoins. De plus la fin de chaque règne correspondait à une phase de division des jardins entre les héritiers. Le besoin d'avoir une demeure indépendante contribuait à accélérer encore le mouvement de morcellement. Ainsi, le pouvoir beylical renonçait aux découpages spontanés et faisait aussitôt recours à l'aide des services spécialisés de la Direction des Travaux publics pour réaliser les projets. La répartition des parcelles était régie, en grande partie, par le désir du Rcy régnant, ensuite pt r la loi des partages successoraux. On peut dire que le rapport de parenté intervenait ici de façon décisive dans les éventualités d'accès au logement "'. Certains

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Abidi Br-YA

documents d'archives ont montré que plus de la moitié des intéressés avaient acquis leurs nouvelles habitations par voie d'héritage ou de donation des parents à l'occasion de leurs mariages. Ainsi Ahinad Bey a mis en vente trente et une parcelles qui lui appartenaient situées près de la station T.G.M. de la Marsa Résidence à fin de se procurer les ressources nécessaires pour l'édification d'une maison pour son fils le prince Tayyib Bey a l'occasion de son mariage l 7 .

Ces initiatives privées avaient un impact déterminant sur l'évolution urbaine de la région. Quoique personnelles et limitées elles furent rapidement à l'origine de grands lotissements modifiant l'organisation de l'espace urbain.

5. Le lotissement al-Nacir Bey 1932 En ce qui concerne les lotissements d'al-

Nacir Bey on en compte deux qui ont étaient créés vers les années vingt dans le cadre de la liquidation de l'héritage. Le premier était celui de Burj al-slassil. Il avait été créé dans le cadre de la liquidation de l'héritage. Le tracé adopté

n'a pas respecté l'implantation des arbres et l'ordonnance des parterres et des allées existants. Il s'agissait de dix lots qui variaient entre 200 m2 et .120 m2 qui occupaient les deux cotés Est et Sud de la propriété initiale Aucun lot n'a fait l'objet d'une construction princière. L'ensemble du terrain était mis en vente à l'enchère publique le 20 Mai 1932 l 8 .

Le second est celui du jardin du palais de Sidi Bou Saïd qui se situe en partie basse de la commune. Il se développait autour de trois rues parallèles devint le palais du Bey habité actuellement par ses descendants Le palais était la résidence du Chaykh Muhammad Bin Achur. A sa mort la propriété fut échangée à ses héritiers par Sadiq Bey qui l'offrit à La princesse Jinina la veuve de son frère et la gouvernante de son neveu NacirBey. Situe au sommet de la falaise, le palais surplombe la mer et découvre une vue magnifique. En l'espace d'une trentaine d'années, le paysage a bien changé. Le lotissement en question comprenait 8d lots dont les surfaces variaient entre 200 et 400 m 2. L'ancien noyau comprenait des constructions de grand intérêt architectural qui ont conservé

17. AN T. Série « K •>. fart 4. Dos 16

18. A . N T . Série -« F ». l'art-t, Doi .16.

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l'organisation spatiale el les façades d'origine. Les nouvelles constructions se caractérisaient par leur distinction dans la composition architec­turale, dans le style et les proportions.

Ces constructions témoignent d'une nouvelle orientation dans l'aménagement urbain signifiée par l'amorce d'un nouveau centre urbain qui se distingue de l'ancien. Nous avons peu d'éléments pour affirmer que ce centre de prestige était vraiment capable de fournir une-base structurelle pour le développement de nouveaux centres urbains aux alentours. Dés lors, on peut s'interroger sur le sens de cette direction, sur les processus à l'origine de la localisation d'un nouveau centre dans cette zone et sur la nature des liens en.re l'ancien noyau et les projets nouveaux.

6. « Bessis Ville » l'un des premiers lotissements à Carthage (1943)

« Bessis Ville >> est incontestablement le plus grand projet urbain de l'époque. Il s'agit d'un projet urbain de grande envergure dont le résultat était de doter la région d'un nouveau centre urbain de haute attractivité. D'après les noms des propriétaires figurant dans divers documents d'archives on observe qu'à côté de certains juifs qui ont eu quelques îlots par voie d'héritage, beaucoup de princes ont hérité de plusieurs parcelles. De plus, en raison des valeurs foncières élevées seules les couches aisées ont eu accès à cette zone.

Le site de Carthage constitue l'un des plus importants terrains urbanisé dans toute la région. Le lotissement de ce jardin était probablement dressé par un architecte ou un géomètre. Les lots avaient des dimensions diverses. Ceux d'angles ont un pan coupé de manière à former de petites places à chaque croisement. Les quatre pans coupés y dessinent des carrefours losangiques caractéristiques. Ce

lotissement avait un; vocation résidentielle bourgeoise.

Lamine Bey avait acheté sept lots de ce lotissement qu'il ajoutait aux précédents déjà aménagés auprès du ardin intérieur du palais existant. Les nouvelles parcelles plus cohérentes que les précédentes présentent une similitude apparente. De plus il aménageait une entrée indépendante pour chaque habitation.

De plus Le 27 Mars l l)4l le Bey a fait l'acquisition d'un groupe de lots du même lotissement. Cette acquisition a été réalisée dans le but d'édifier de nouvelles habitations. Les terrains en question sont situés en face et à une cinquantaine de mètres du palais privé de S.A. le Bey. Ils avaient été vendus à S.A. le Bey suivant acte administratif, au prix d'un franc le mètre carré En particulier le chantier du palais de Carthage était le plus considérable.

L'initiative officielle du pouvoir beylical ainsi que celle privée de certains princes a largement concouru à la multiplication des constructions sur le site en question. D'où l'apparition de nouvelles villas qui se construisaient à Salammbô autour des anciens ports, sur les flancs de la colline de Byrsa, aux alentours du palais des beys et sur la colline de Sainte Monique toute proche du palais de Mustafa Sahib at-Tabaa. Ces nouvelles constructions ont fait reculer et régresser les parcs des anciens pflais qui se sont trouvés désonnais dépourvus de leurs jardins. Ensuite, les lotissements des parcs se succédaient au gré de la forte demande de logements autour de cette zone. En raison des positions clefs qu'ils occupaient les palais étaient devenus les noyaux d'une urbanisation notable. Mais on ne peut cependant pas attribuer ces réalisations à un principe d'urbanisme volontaire ni à une « volonté de ville ». Le tissu urbain produit est plutôt le résultat d'un besoin de se loger au préalable. Les premières habitations construites

19. A . N T . S é r i e <. F ». C a r t I . dos I . S dos 42

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figure 19. Le passage reliant les différentes parcelles, AN T. Série F*, eart.4, Dos. 3

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se dressaient sans réflexion d'aménagement d'ensemble, en une simple juxtaposition d'éléments reproduits à partir de quelques modèles et surtout fondées sur le rôle dominant du découpage. Les villas ne tardèrent pas à se multiplier donnant naissance à des quartiers résidentiels de luxe, ce qui favorisa la spéculation immobilière et foncière. Ces innovations architecturales étaient à l'origine de l'apparition d'une nouvelle forme urbaine dans la banlieue nord de Tunis. Le modèle urbain proposé se basait sur un découpage du sol en lots pour apporter une réponse au problème de l'habitat. Ce développement classique par densification du sol a fini par enlever aux palais anciens leurs parcs et par s'agglomérer à de nouveaux quartiers pour former une seule entité.

Conclusion Les plans utiles pour l'étude des lotissements

des jardins beylicaux dans les banlieues nord durant la période indique sont peu nombreux. Sur la simple documentation fournie nous avons pu faire quelques observations sur leur rôle urbain, leur répartition topographique, sur leur tracé viaire. sur leur découpage parcellaire. Ces lotissements comme opérations de voirie apparaissent comme le principal mode de modernisation du tissu urbain dans cette région. Il est à noter aussi qu'ils sont nombreux à la Marsa et beaucoup moins à Sidi Bou Saïd et Carthage. De plus le contrôle de la croissance et la résolution des problèmes du logement de la famille beylicale impliquent du point de vue de la production urbaine en général une action dans l'espace et sur les tonnes. Les jardins beylicaux, représentaient le cadre spatial qui pendant au moins trois règnes était le principal support de l'urbanisation. Comme nous pouvons dire qu'à travers ces opérations le pouvoir beylical a réussi à contrôler l'évolution du sol urbain durant une période décisive dans l'histoire urbaine de toute la légion (1000-19451.

Sources imprimée Archives Nationales de Tunisie.! A.N.T.)

- Série « F », C'ait. 1, dos. I, S.dos. 42. - Série « F », Cait.4, Dos. 16. - Série « F », Cart.l, Dos.], S.dos 18. - Série « F », Cart.7, Dos.22. - Série « F », Cart.7, Dos.35. - Série « E », Cart.585, Dos.SO.

Archives de la Conservation foncière ( C F . ) - titre 91574. - titre 47075. - titre 97687. - titre 46126.

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