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1 L’évaluation des compétences en milieu de travail : Leçons de quelques expériences de terrain Piette, S-A., & Orban, M. (2003). Actes du colloque ADMEE,,ULg. 1. L'évaluation en "gestion des compétences" La "gestion des compétences" dans les entreprises et institutions publiques est le courant actuel qui exprime le besoin permanent de mieux gérer les richesses humaines des travailleurs et qui se traduit par la nécessité d’identifier et, le plus souvent, de développer celles-ci. Les entreprises qui se lancent dans des projets de gestion des compétences tentent généralement de répondre aux questions suivantes : Quelles compétences rechercher ? Quelles sont les compétences mobilisables dans l' entreprise ? Quelles compétences développer pour augmenter la performance d' une équipe ? Quelles compétences valoriser ? Pour y répondre, ils peuvent se baser sur des descriptifs de fonctions, des répertoires de métiers créés sectoriellement ou par des agences d' emploi. L' expérience nous montre qu' ils sont rarement utilisables tels quels pour répondre aux besoins spécifiques des responsables en ressources humaines. Les questions ci-dessus nécessitent une réflexion méthodologique : - Comment identifier les compétences critiques, "au cœur" d' un métier ? - Comment évaluer les compétences des individus alors qu' ils participent à un travail d' équipe ou alors qu' ils n' ont pas encore travaillé dans l' entreprise ? - Comment évaluer les progrès des individus ? - La notion de compétence est, en entreprise, rattachée à celles de fonction et de tâches professionnelles. La compétence s' exprime au travers d' une série de performances observables et évaluables, pour autant qu' on recoure à un certain nombre de critères : indicateurs de réussite, indicateurs diagnostiques ou pronostiques, selon les enjeux de l' évaluation. Le choix des compétences à évaluer dépend lui aussi des enjeux et se concentre tantôt sur les activités-cœur de la fonction, dans le cas de l' établissement de formation pour des nouveaux par exemple, tantôt sur des activités périphériques pour amplifier une fonction ou envisager des mobilités par exemple. Dans deux recherches-actions 1 soutenues par le Fonds Social Européen et la Région wallonne, nous participons à divers projets de gestion de compétences centrés sur l' identification, le développement ou encore la valorisation des compétences. Nous décrirons succinctement quatre de ces projets afin d' analyser les éléments relatifs à l' évaluation spécifiques à chacune des problématiques rencontrées. 1.1. Partenaire 1 : centre hospitalier 1 1.1.1. Enjeu de l' intervention : L’hôpital est intéressé à améliorer la prise en charge de son nouveau personnel infirmier. Des ressources existent déjà, plus ou moins développées selon les unités de soins, qui visent l’acquisition d’une autonomie plus rapide dans des conditions de sécurité maximale. Cette prise en charge doit aussi réduire autant que possible le stress lié à l’entrée dans une nouvelle fonction et placer les agents, dès leur arrivée, dans un climat de formation continue et de développement personnel. 1 Dont les thèmes centraux respectifs sont, d' une part, la Gestion des compétences et, d' autre part, la mise en place de pratiques de Tutorat.

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L’évaluation des compétences en milieu de travail : Leçons de quelques expériences de terrain

Piette, S-A., & Orban, M. (2003). Actes du colloque ADMEE,,ULg.

1. L'évaluation en "gestion des compétences" La "gestion des compétences" dans les entreprises et institutions publiques est le courant actuel qui exprime le besoin permanent de mieux gérer les richesses humaines des travailleurs et qui se traduit par la nécessité d’identifier et, le plus souvent, de développer celles-ci. Les entreprises qui se lancent dans des projets de gestion des compétences tentent généralement de répondre aux questions suivantes : Quelles compétences rechercher ? Quelles sont les compétences mobilisables dans l'entreprise ? Quelles compétences développer pour augmenter la performance d'une équipe ? Quelles compétences valoriser ? Pour y répondre, ils peuvent se baser sur des descriptifs de fonctions, des répertoires de métiers créés sectoriellement ou par des agences d'emploi. L'expérience nous montre qu'ils sont rarement utilisables tels quels pour répondre aux besoins spécifiques des responsables en ressources humaines. Les questions ci-dessus nécessitent une réflexion méthodologique : - Comment identifier les compétences critiques, "au cœur" d'un métier ? - Comment évaluer les compétences des individus alors qu'ils participent à un travail d'équipe ou

alors qu'ils n'ont pas encore travaillé dans l'entreprise ? - Comment évaluer les progrès des individus ? - … La notion de compétence est, en entreprise, rattachée à celles de fonction et de tâches professionnelles. La compétence s'exprime au travers d'une série de performances observables et évaluables, pour autant qu'on recoure à un certain nombre de critères : indicateurs de réussite, indicateurs diagnostiques ou pronostiques, selon les enjeux de l'évaluation. Le choix des compétences à évaluer dépend lui aussi des enjeux et se concentre tantôt sur les activités-cœur de la fonction, dans le cas de l'établissement de formation pour des nouveaux par exemple, tantôt sur des activités périphériques pour amplifier une fonction ou envisager des mobilités par exemple.

Dans deux recherches-actions1 soutenues par le Fonds Social Européen et la Région wallonne, nous participons à divers projets de gestion de compétences centrés sur l'identification, le développement ou encore la valorisation des compétences. Nous décrirons succinctement quatre de ces projets afin d'analyser les éléments relatifs à l'évaluation spécifiques à chacune des problématiques rencontrées.

1.1. Partenaire 1 : centre hospitalier 1 1.1.1. Enjeu de l'intervention : L’hôpital est intéressé à améliorer la prise en charge de son nouveau personnel infirmier. Des ressources existent déjà, plus ou moins développées selon les unités de soins, qui visent l’acquisition d’une autonomie plus rapide dans des conditions de sécurité maximale. Cette prise en charge doit aussi réduire autant que possible le stress lié à l’entrée dans une nouvelle fonction et placer les agents, dès leur arrivée, dans un climat de formation continue et de développement personnel.

1 Dont les thèmes centraux respectifs sont, d'une part, la Gestion des compétences et, d'autre part, la mise en place de pratiques de Tutorat.

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L’enjeu du projet de recherche est de développer et formaliser cette dynamique d’accompagnement, sous la forme d’un ou plusieurs modèle(s) d’accompagnement des nouveaux agents infirmiers, généralisable(s) à l’ensemble de l’hôpital. 1.1.2. Description de l'action : Nous avons conduit la description, avec les partenaires de terrain, des activités liées au métier infirmier de deux salles-pilotes et l’analyse de ces activités en termes de compétences et de ressources nécessaires. Les priorités de formation des jeunes agents ont été analysées sur base de ces référentiels. Nous avons ensuite analysé les besoins de formation des tuteurs, et nous sommes à présent dans la phase de formation proprement dite. Elle est conçue en quatre parties :

• la transmission d’un bagage pédagogique minimum visant à améliorer les compétences de formateur (au sens large) des futurs tuteurs ;

• l’appropriation de supports pédagogiques ; • la conception d’outils de suivi et d’évaluation des acquis ; • la réalisation de ressources de formation relatives aux contenus de formation identifiés.

1.1.3. La problématique de l'évaluation : 1.1.3.1. Evaluation spécifique ou transversale ? En construisant les référentiels d'activités et de compétences avec les infirmières (ou, tout du moins, avec les responsables des salles et les tuteurs déjà en place), le résultat est bien accepté par les agents : la "photo" des activités et compétences obtenue représente la réalité du travail d'aujourd'hui dans chacune des salles. Ce matériau fournit une base d'analyse des formations existantes afin de vérifier si elles répondent-complètement aux besoins et une base pour développer des outils de suivi d'apprentissage chez les nouveaux agents. Par contre, si l'objectif avait été de créer des programmes de formation continue infirmier sur base de lacunes observées chez un certain nombre d'agents, il aurait été important d'aller jusqu'à l'analyse des compétences transversales aux différentes salles et des compétences attendues par rapport à la stratégie générale de l'hôpital. Cela aurait nécessité de faire valider les contenus par la hiérarchie hospitalière afin de vérifier la cohérence avec l'idéal qu'elle se donné, traduit dans ses objectifs institutionnels et départementaux. 1.1.3.2. Evaluation et responsabilité. Qui va évaluer les nouvelles infirmières ? La proposition étant qu'elles soient formées sur le terrain par un ou des tuteurs, ces derniers ne sont-ils pas les mieux à même de juger des progrès réalisés ? Mais si une activité est évaluée comme maîtrisée et que le nouvel agent commet une erreur par la suite en réalisant cette même activité, la responsabilité n'incombera-t-elle pas alors au tuteur qui a surévalué le nouvel agent ? A l'heure actuelle, ces questions n'ont pas encore trouvé de réponse institutionnelle car elles vont de pair avec la reconnaissance de la fonction de tuteur et la valorisation éventuelle de cette responsabilité. Or étant dans un projet pilote, la hiérarchie préfère évaluer les premiers résultats avant d'entrer dans ces débats.

1.2. Partenaire 2 : centre hospitalier 2 1.2.1. Enjeu de l'intervention : La demande initiale portait sur la rédaction des monographies de fonction du personnel paramédical. Après discussion avec les responsables, l'objectif s'est élargi au recueil de données professionnelles concernant les compétences nécessaires pour mener les différentes activités, afin de permettre l'auto-évaluation et d'aider à la constitution de plans de développement individuels. 1.2.2. Description de l'action : Des réunions de travail avec le groupe pilote paramédical ont débouché sur un descriptif d'activités et de compétences. Un cahier de développement personnel a été ensuite réalisé. Il est en cours d'examen tant par la hiérarchie que par les agents eux-mêmes. Si il est accepté, il sera expérimenté dans l'année qui vient. 1.2.3. La problématique de l'évaluation : 1.2.3.1. Distinguer performance de compétence. Il a été important, dès le démarrage du projet, de préciser les termes que nous employions. Les termes de compétence, performance, activité,… sont

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régulièrement utilisés dans des contextes différents avec des significations différentes. (Le schéma ci-dessous associe un ensemble de concepts qui sont autant de paramètres à prendre en compte pour l'évaluation de l'activité et des compétences.) Cette mise au point sur l'utilisation des termes a notamment mis en évidence un enjeu pour les agents de définir leurs besoins en ressources tout autant que les compétences nécessaires pour réaliser les activités décrites de leur métier.

De la performance à la compétence

COMPETENCESavoir-faire

Procédures

Connaissances transversales

Savoir-faire relationnels

EnvironnementCaract.perso. PERFORMANCENormes

Management

Socio-économie

Motivation

Aptitudes physiques

Attitudes

Ressources

Humaines

Organisationnelles

Matérielles

1.2.3.2. L'importance de l'aspect humain. Après avoir travaillé pendant une dizaine de séances sur l'identification des activités, compétences et ressources, nous avons montré un logiciel de soutien à la mise en place d'une gestion des compétences aux agents du groupe-pilote. Cet outil informatique invite à établir la base de données des personnes à évaluer, des résultats de leurs évaluations successives à partir des référentiels des métiers qui les concernent, de leurs parcours, des objectifs de développement,… Les agents présents ont été effrayé(e)s devant pareil outil qui, bien qu'il ne fasse que croiser les données qui y ont été entrées (sans préciser la méthode à utiliser), permet d'identifier rapidement les compétences d'une personne. Ils ont exprimé des craintes vis-à-vis du pouvoir qu'un tel outil donnerait à la hiérarchie : sanctions, mobilité forcée,… Démontrer qu'un management qui agit de la sorte n'aboutit pas à des changements d'une grande efficacité ne suffit pas à lever des craintes qui se nourrissent de représentations diverses et des expériences des uns et des autres. La formalisation de toute information susceptible d'intervenir dans un processus d'évaluation des personnes, de leurs activités et/ou de leurs compétences, doit faire l'objet d'une communication et d'une négociation claire, tant sur la nature exacte des informations collectées que sur les conditions et les limites de leur utilisation. 1.2.3.3. Représentations et communication. Construire des référentiels d'activités et de compétences peut se réaliser dans deux perspectives générales : - une perspective décisionnelle où la hiérarchie, en fonction de ses objectifs, désire évaluer la

performance et éventuellement les compétences supposées nécessaires à l'accomplissement des activités;

- une perspective de développement où l'enjeu est d'établir le diagnostic des lacunes en termes de compétences et de ressources ou d'autres éléments organisationnels. Pour réaliser ce type d'évaluation, il est nécessaire de partir de ce qui se fait sur le terrain et des objectifs à atteindre. Dans cette optique, le travail des personnes de terrain dans la construction du référentiel est premier : ils sont les plus à même de décrire ce qu'ils font réellement, de parler des problèmes

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rencontrés, de donner des idées d'amélioration. Il s'agit donc de porter un œil critique sur les activités telles qu'elles se déroulent, d'identifier les points faibles, dus ou non à des lacunes de compétences, d'analyser les possibilités d'amélioration. Hélas, même dans ce contexte formatif, le mot "évaluation" fait peur. Il est synonyme dans les représentations de jugement de la personne, il renvoie à la notion d'épreuve et de sanction.

Il est donc fondamental dès le démarrage et tout au long d'un tel projet que la hiérarchie soit présente pour cadrer l'objet du travail et l'utilisation des données recueillies.

1.3. Partenaire 3 : un réseau de parcs à conteneurs 1.3.1. Enjeu de l'intervention : A quelques exceptions près, les gestionnaires des parcs à conteneurs du réseau concerné travaillent seuls, chacun dans son parc. La formation de nouveaux agents doit donc rendre ceux-ci autonomes le plus rapidement possible. Elle ne peut reposer sur un écolage spontané et progressif, comme cela pourrait être le cas si les parcs étaient tenus par plusieurs personnes. Une formation initiale théorique est dispensée aux candidats avant une formation pratique sur le terrain. Des modalités d'encadrement des nouveaux agents par des gestionnaires chevronnés (et volontaires) étaient déjà expérimentées avant le démarrage de ce projet. L'enjeu de la recherche-action était d'améliorer le volet pratique de la formation des gestionnaires de parc à conteneurs (G PAC) en formalisant la démarche, en accompagnant les tuteurs et en outillant leur activité de formateur. 1.3.2. Description de l'action : Dans cette optique, une expérience-pilote de tutorat avec évaluation et régulation a été menée. Dans un premier temps, des G PAC ont été interviewés sur leur vécu antérieur en tant que stagiaires : comment se souviennent-ils avoir vécu l'accueil, les liens avec la formation théorique, quels en furent les points positifs et les difficultés principales ? Ensuite, avec les contremaîtres, une description du métier a été réactualisée et restructurée, qui a permis la rédaction de fiches d'activités. Puis un groupe de G PAC volontaires pour être tuteurs a participé à la préparation et à l'analyse du rôle de tuteur : - réflexion sur les mécanismes d'apprentissage et sur les comportements de formateurs et les

conditions qui le favorisent; - création d'outils de suivi : carnet du tuteur, carnet des stagiaires; - réflexion sur l'évaluation de l'activité des stagiaires. Ce groupe a ensuite réalisé la formation pratique de nouveaux candidats en utilisant les outils mis au point, puis le processus a été évalué avec eux : - avis sur l'action du tutorat et sur les outils développés; - clarification des rôles et fonctions des différents acteurs : G PAC, contremaîtres, responsables RH; - amélioration des outils. Les responsables du réseau envisagent actuellement de proposer la démarche à d'autres secteurs de l'entreprise. 1.3.3. La problématique de l'évaluation : 1.3.3.1. Evaluation de progression et évaluation des performances. Pour suivre les progrès des nouveaux titulaires de parcs à conteneurs et évaluer l'atteinte de l'autonomie dans les tâches qu'ils seront amener à réaliser seuls une fois formés, un outil de suivi de la progression a été créé sur base de la liste des activités du gestionnaire (fig.1) ainsi qu'un outil d'appréciation de l'atteinte des objectifs (fig.2). Dans le premier cas, les tuteurs et les apprenants peuvent remplir la grille eux-mêmes; dans le second, c'est à la hiérarchie que revient le devoir de vérifier les acquis et de délivrer le laisser–passer "autonomie", en fonction de critères simples établis avec les actuels G PAC. (Fig.3) Cela matérialise à nouveau la nécessaire distinction entre "évaluation de la progression" (qui permet de réguler la formation) et "évaluation des performances" (sur laquelle se fondent des décisions, par exemple d'engagement), distinction cruciale pour clarifier les enjeux, les méthodes et les champs de responsabilité des uns et des autres.

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La tâche est : A vu faire Fait avec

le tuteur Fait seul avec aide

Fait en autonomie

1 de préparer les bordereaux de transport 2 de signaler au contremaître les problèmes

d'enlèvement

3 de noter les fréquentations par tranches d'heure

Figure 1 : Extrait de la grille de suivi de la formation pratique Tâche

Fait en autonomie, le candidat est capable de: Ne parvient pas à réaliser

Doit s'améliorer

Réalise la tâche

1 de préparer les bordereaux de transport 2 de signaler au contremaître les problèmes

d'enlèvement

3 de noter les fréquentations par tranches d'heure 4 d'identifier la commune de provenance des clients

Figure 2 : Grille d'évaluation des performances

En autonomie, le candidat est capable … Tâche De signaler au contremaître les problèmes d’enlèvement 2 Ne parvient pas à réaliser la tâche Doit s’améliorer Réalise la tâche Ne signale jamais les problèmes d’enlèvement

Signale les problèmes d’enlèvements, mais tardivement, lorsqu’il a déjà stocké énormément sur la dalle

Après 3 heures d’ouverture du parc, il signale immédiatement les problèmes d’enlèvement.

Figure 3 : Critères d'évaluation par tâche 1.3.3.2. Le compromis entre la qualité de l'évaluation et la faisabilité. Des grilles fort simples ont été rédigées afin que les tuteurs, les apprenants et les responsables puissent parcourir l'ensemble des items fort rapidement. Sans un outil d'une telle simplicité, le temps de travail utilisé à des actions "non productives" aurait été considéré comme trop important et les outils n'auraient pas été utilisés. On retrouve cette même problématique de faisabilité chez l'ensemble de nos partenaires de terrain.

1.4. Partenaire 4 : une société industrielle de transport 1.4.1. Enjeu de l'intervention : Dans ce centre de tri aérien et routier, les responsables des ressources humaines ont pour objectif de créer des filières de progression de carrières chez les ouvriers, afin de les amener à une plus grande polyvalence, qui serait par ailleurs valorisée salarialement. Ils espèrent de la sorte réduire le nombre de personnel prévu pour pallier aux absences dans les différentes zones, stabiliser davantage le personnel et réduire l'absentéisme. 1.4.2. Description de l'action : Au départ d'une mise à plat de tous les métiers actuels, des procédures et des compétences sous-jacentes, deux filières de progression dans le métier ont été dessinées, avec plusieurs paliers pour atteindre la mobilité recherchée. Pour développer la polyvalence chez les personnes, une réorganisation du travail ferait travailler les ouvriers successivement dans les différentes zones afin d'acquérir les compétences de l'ensemble de leur filière.

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Différentes épreuves sont en train d'être mises sur pied, épreuves qui contrôleront les acquis sur base de critères négociés avec les syndicats. 1.4.3. La problématique de l'évaluation : 1.4.3.1. Négociation des procédures d'évaluation. Lorsque l'évaluation de l'acquisition des compétences a des incidences professionnelles et salariales, elle nécessite le respect des échelles barémiques et des cadres de rémunération minima impartis par le secteur. Dans l'entreprise décrite ci-dessus, les partenaires syndicaux vérifient si les travailleurs ne perdront pas financièrement à entrer dans le nouveau système, ils analysent la progression et les méthodes d'évaluation proposées et participent à l'élaboration de certains critères. Les représentants des travailleurs, les futurs évalués, participent donc à la définition et à l'équilibrage du système. 1.4.3.2. Critères minimaux. Mettre en place un système d'évaluation exige une certaine disponibilité chez les évaluateurs pressentis. Or ceux-ci - les "superviseurs" – ont leur propre travail qui ne leur permet pas d'évaluer sans cesse leurs ouvriers. Les moments prévus à cet effet ne devront donc pas être trop rapprochés et les critères d'évaluation devront être simples à utiliser. "Pas question d'une grille à 5 niveaux", disent les responsables RH, "à la limite, l'ouvrier sait ou ne sait pas faire". Il est vrai que les activités à réaliser sont d'un niveau de complexité assez faible et que la performance est assez évidente à observer. 1.4.3.3. Choix de l'évaluateur. Dans l'un des tests prévus pour accéder à une position supérieure (de type "polyvalent"), test portant sur la performance dans les différentes activités rencontrées, le superviseur est la personne la mieux à même d'évaluer ses ouvriers. Cependant, malgré la simplicité des actions à évaluer, les syndicats craignent que certains superviseurs soient plus sévères que d'autres. Une amélioration de la fidélité de l'évaluation pourrait venir de la multiplication des évaluateurs au fil du temps (minimum 4 superviseurs en passant d'un poste à l'autre). Un test global final, suite au passage dans les différentes zones, pourrait être administré par un responsable hiérarchique plus élevé, assurant par là une certaine égalité de jugement. 2. Les leçons du terrain…

2.1. Entre régulation formative et évaluation des performances, les enjeux de l'évaluation devraient souvent être plus clairs

Dans certaines entreprises, les enjeux décisionnels de l'évaluation des performances sont clairs. Les épreuves ne sont pas centrées sur un diagnostic, mais bien sur l'observation de la performance finale comme critère de décision d'engagement, d'affectation ou de promotion. Certes, les données recueillies en termes de performances ou non-performances pourraient éventuellement servir à la création de plans de formation. La hiérarchie ayant tout intérêt à encourager l'évolution de son personnel, il est vraisemblable que si des lacunes généralisées étaient observées, elles auraient pour conséquence la mise sur pied de plans de développement collectifs ou individuels. Dès lors, il serait nécessaire d'analyser les éléments liés à la performance qui posent problème. Cependant, nous observons que les évaluations des performances et les évaluations formatives sont rarement séparées de façon aussi claire. Cela laisse place à des malentendus, des craintes, des "bruits de couloir" relatifs à une utilisation des données d'évaluation qui pourrait être détournée des objectifs annoncés. Un individu participe différemment à une évaluation de ses compétences et lacunes selon ce qu'il sait ou suppose de l'utilisation ultérieure des données qu'il fournit. La conception et la présentation des instruments d'évaluation peuvent aussi participer à la confusion lorsqu'ils essaient tout à la fois d'identifier des performances et de diagnostiquer les éventuels problèmes sous-jacents.

2.2. A la recherche du meilleur compromis entre qualité technique et contraintes pragmatiques

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Comme nous l'avons vu dans les exemples de terrain, il est important d'analyser le contexte dans lequel les évaluations vont se dérouler avant de tenter de créer des instruments de mesure, des procédures ou des outils de recueil de l'information. La qualité, la finesse des instruments et procédures se heurtent bien souvent aux contraintes du contexte dans lequel ils vont être utilisés. Par exemple, l'usage de logiciels de gestion de compétences informatisés est certes très attirante pour un DRH qui a ainsi l'impression qu'il va maîtriser l'ensemble des données concernant son personnel. Le tout est de ne pas oublier, d'une part, que ces données ne sont que des indicateurs (voir point 2.6), d'autre part, qu'une base de données doit se gérer au jour le jour, que du personnel doit être prévu pour s'en occuper. Enfin, lorsque ce type de logiciel est mis en réseau afin de permettre l'entrée de données d'évaluation par différents évaluateurs, il faut aussi analyser l'accessibilité au matériel informatique, la qualité des équipements et enfin la culture de l'entreprise par rapport à l'usage de l'informatique. Nous avons rencontré des personnes qui se hérissent à l'idée de devoir envoyer un courrier électronique plutôt qu'un coup de téléphone. La faisabilité concrète est une demande première chez tous nos partenaires. Pas question de construire des grilles complexes qui demanderont trop de temps pour être comprises et manipulées. Le tout est de trouver un juste équilibre entre les contraintes de terrain, la culture de l'évaluation et de l'écrit et la finesse des procédures mises en place. En milieu de travail, l'évaluation doit en permanence faire la preuve de son impact en termes de productivité et/ou de son intérêt pour les travailleurs si l'on veut dépasser les multiples résistances.

2.3. La perception d'équité est la principale condition d'acceptabilité des pratiques d'évaluation Nous constatons que les sentiments d'équité sont surtout importants dans le cas de la mise en place d'évaluation "décisionnelle". En effet, si l'évaluation doit permettre la promotion par exemple, elle doit recourir à des critères et des procédures qui seront, au moins subjectivement, jugées comme équitables, basées sur des critères clairement établis et identiques pour tous. Dans le cadre d'une évaluation formative, l'objectif étant avant tout de favoriser des changements positifs, il peut laisser plus de place à la subjectivité, à l'auto-évaluation, aux normes spécifiques d'un groupe, d'une équipe, d'un département.

2.4. Des besoins de formation à l'évaluation Qui en entreprise crée les grilles d'évaluation ? Qui conçoit les méthodologies d'évaluation ? Qui forme les futurs évaluateurs?… Aucune généralité à ce sujet évidemment. Cependant, la confusion rencontrée dans les concepts et méthodes montre bien l'intérêt qu'il y aurait à former les évaluateurs.

2.5. Evaluer la performance et les compétences collectives La performance collective est ce qui fait tourner l'entreprise. Contrairement à l'enseignement qui a pour mission de développer chaque individu en particulier, l'entreprise a pour mission de réaliser une production de biens ou de services sur laquelle elle sera jugée performante ou non. A la limite, la performance individuelle a peu d'importance pour autant que les équipes, les services, les départements trouvent une organisation qui leur permette d'atteindre les résultats attendus. Il est vraisemblable qu'il soit plus facile de réaliser de bons résultats collectifs avec une équipe de personnes toutes compétentes. Les deux logiques ne sont pas contradictoires. On voit d'ailleurs se développer des outils d'évaluation de la qualité des services offerts par tel ou tel département. Ces outils fournissent généralement au management des indicateurs relatifs à l'organisation des équipes, au style de management, aux facteurs liés à l'environnement de travail, aux conditions de travail tout autant qu'aux compétences individuelles.

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2.6. L'humain reste au centre de l'évaluation Lorsque certains managers s'imaginent qu'il suffit d'évaluer les lacunes en compétences par rapport à une tâche donnée, puis de former le personnel "déficient" pour combler le "delta" trouvé, et enfin disposer de travailleurs tous compétents, cela relève de l'utopie… C'est croire que les hommes ne seraient qu'un assemblage de compétences. C'est aussi croire que l'évaluation des compétences donne une image complète de la réalité, alors que nous n'analysons, n'observons jamais qu'un nombre limité d'indicateurs, certes intéressants, mais auxquels on ne peut faire dire davantage que ce que permettent les données et la méthodologie utilisée. Lorsque d'autres managers lancent des campagnes d'évaluation sans avoir évalué les conséquences psychologiques et organisationnelles auxquelles elles vont mener, ils vont au-devant de gros problèmes qui vont leur coûter beaucoup d'énergie. Les enjeux de l'évaluation, l'analyse des différentes étapes à réaliser et de leurs conséquences, les ressources à mobiliser par rapport aux résultats attendus, la projection de ce qui sera fait des données récoltées sont autant de point à tirer au clair avant d'entamer une démarche évaluative.