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    UN SULTAN M AD A C ASC AR

    F rdr ic G A R A NUniversit de la Runion (IUFM / CRESOI-EA12)

    Rsum. Le 20 aot 1953, le sultan du Maroc est dpos par la France. Aprs unpassage en Corse, Mohammed V est exil Madagascar en janvier 1954. Il restera Antsirabe jusquen octobre 1955. cette date, les autorits franaises, qui ont tobliges de ngocier avec lui pour rgler la crise marocaine, lautorisent rentrer en

    France. Quelques semaines plus tard, son retour au Maroc enclenche le processusconduisant lindpendance du pays.

    Abstract.On August20, 1953,theSultan ofMorocco wasdeposed by France. Aftera briefstay in Corsica, Mohammed V wassentto Madagascar inexile, in January,1954. Hewastostay in Antsirabeuntil October 1955, atwhich date,theFrench, whowereobligedto negotiatewith himin ordertosolvetheMoroccancrisis, allowed himto returnto France. A few weekslater, hisreturnto Moroccotriggered offtheprocessleadingto independence.

    Aprs la conqute de Madagascar[], les colonialistes franais ontaboli leur pacte avec Ranavalona III en lexpatriant la Runion dansle courant du mois de janvier 1897 Et voil quactuellement, aprs

    57 ans de cet acte dinfriorit, ce bouleversant vnement se renouvelle dansla destitution du sultan Sidi Ben Youssef du Maroc. Maintenant, il est cheznous en exil avec ses femmes et enfants, destitu de son trne royal et loignde sa patrie dans le but de museler le peuple marocain de revendiquer leurlibert et leur indpendance Le Maroc tout entier est en moi et lescolonialistes franais et espagnols manifestent une politique fine pour y

    maintenir leur stabilit et leur autorit. Cet tat de choses nous rappelle lesdouloureux vnements survenus Madagascar en 1947 mais nallons passecouer la boue qui dort.Lindpendance nationale est une uvre commune de tout le peuple. lheure actuelle, le peuple marocain est justement dans ce rude labeur, maismalgr les maintes entraves suscites par les imprialistes-colonialistes-fascistes, il parviendra bout cote que cote. 1

    1. Traduction par les services de la police de Majunga dun article du Lalam-Baovaon 43 du 5 fvrier 1954. La note adresse au directeur de la Sret gnrale deTananarive par le commissaire aux R.G. de Majunga prcise : Lexemplaire n 43du 5-2-54 du journal Lalam-Baovaointerdit par arrt de M. le Haut-Commissaire est

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    Pour le journal nationaliste Lalam-Baovao, la comparaison simpose entreles deux monarques. Ranavalona III fut exile en son temps en Algrie et

    Mohammed Ben Youssef fait quasiment le trajet inverse sous la contrainte dumme colonisateur. Si le rapprochement est sduisant, surtout pour soncaractre gographique, les situations sont fondamentalement diffrentes. Madagascar, le dpart de Ranavalona III marque le dbut de la colonisationet la fin dfinitive de la monarchie. La dportation de Mohammed BenYoussef est au contraire le dernier acte dune colonisation bout de soufflequi fera de lexil dAntsirabe plus quun sultan, un roi.

    Qui est donc cet homme qui dbarque en exil Madagascar en janvier1954 ? Comment les autorits franaises organisent-elles son sjour alors

    que colons et nationalistes de Madagascar se passionnent pour les uns etsinquitent pour les autres au vu des vnements dAfrique du Nord ? Defait, malgr la volont disoler Mohammed V, il apparat trs vite quil estincontournable pour rgler la question marocaine .

    I .DAnfa Antsirabe

    Choisi en 1927 par la France pour succder son pre au dtriment de ses

    deux frres ans, Mohammed V affirme progressivement sa personnalit, enparticulier durant la Deuxime Guerre mondiale. Son loyalisme envers laFrance est irrprochable. Le 4 septembre 1939, il appelle au soutien sansrserve la France :

    partir de ce jour et jusqu ce que ltendard de la France et de ses allissoit recouronn de gloire, nous devons lui assurer un concours sans rserve,ne lui marchander aucune de nos ressources et ne reculer devant aucunsacrifice

    Si lon peut souponner lintervention de la Rsidence derrire cette

    proclamation, lallocution du 17 juin 1940 confirme la sincrit dessentiments du sultan. La nouvelle que vous mannoncez mattriste au pointo je ne serais pas plus dsol si les Allemands foulaient le sol de mes

    arriv Majunga o il circule quelques rares exemplaires sous le manteau et de lamain la main Ci-joint un exemplaire de ce numro, intercept par uncorrespondant soucieux de conserver lanonymat. Cet exemplaire, qui fait suite au n42 du 29 janvier porte le n 4. Le 3 du chiffre 43 semble avoir t volontairementomis pour crer lquivoque ANOM (Archives nationales de loutre-mer,anciennement CAOM) dossier Madagascar pm266.

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    appartements 2Novembre 1942, les Allis dbarquent en Afrique du Nord. Face

    lattitude coupable des forces vichystes, Mohammed V se positionneclairement. Le Maroc est aux cts des forces allies. Coup du lien directavec la France, le sultan joue la carte Roosevelt qui lui prometlindpendance. La confrence dAnfa, en janvier 1943, le positionne sur lascne internationale. On sait la colre de De Gaulle lorsque, invit au Marocpour cette confrence par Churchill, il refuse dans un premier temps dyassister, la France (donc lui !) pouvant seule inviter puisque le Maroc est sousadministration franaise Pour MohammedV, lobjectif est maintenantsinon lindpendance immdiate, du moins la rengociation du trait de Fs

    de 1912 instituant le protectorat. Dans les mois qui suivent, il soutientimplicitement la cration du parti Istiqlal( Indpendance ). Il est cependantencore trop tt. De Gaulle invite en 1944 le Sultan prendre ses distancesavec les revendications indpendantistes. Malgr ces divergences, lesrelations entre les deux hommes sont empruntes dune grande estimemutuelle.De Gaulle na pas oubli la fidlit des moments sombres en 39-40. Il sait

    galement quil doit beaucoup Mohammed V qui a facilit la reconstructiondune arme franaise en 1943, arme qui assurera la prsence franaise aux

    cts des Allis durant les campagnes dItalie, de France et dAllemagne3

    . Enjuin et juillet 1945, le Sultan est en France, convi par le gnral de Gaulle. Ilassiste au dfil des troupes de la France combattante, le 18 juin. Lelendemain, le Gnral, en tant que prsident du gouvernement provisoire dela Rpublique, lui dcerne la Croix de la Libration4. Si le sultan tenta, loccasion de ce voyage, damorcer une discussion au sujet des rformes dontil aurait aim quon discutt le principe, il comprit que la situation politique

    2. Allocution du 17 juin 1940, en prsence de M. Morize, ministre dlgu laRsidence venu lui annoncer larmistice (cit par Gilbert Grandval, Mamission auMaroc, Paris, Plon, 1956, page 173).3. Au Maroc, on recrute seulement par engagement, alors quen Algrie et enTunisie, on procde, en outre, un tirage au sort parmi les recenss bons pour leservice, dans la limite des contingents fixe. On comptait 134 000 Algriens, 73 000Marocains et 26 000 Tunisiens (Textesetdocumentspour laclasse, TDC n 692,page 16). Cet engagement volontaire et massif des Marocains fut la rponse dunpeuple lappel de son souverain. En plus des troupes indignes nord-africaines,larme dAfrique compte dans ses rangs, en 1943, 176500 Franais dAfrique duNord (pieds-noirs), soit un total denviron 500 000 hommes.4. Article Mohammed V sur le site de lOrdre de la Libration :

    www.ordredelaliberation.fr.

    http://www.ordredelaliberation.fr/http://www.ordredelaliberation.fr/http://www.ordredelaliberation.fr/
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    de la France tait encore trop instable pour quun travail srieux puisse trede la France tait encore trop instable pour quun travail srieux puisse tre

    entrepris ce sujet5. De Gaulle raffirmera son estime pour Mohammed V endcorant son fils de la Lgion dhonneur. Mon gnral, je nai rien fait pourmriter un tel honneur , lui dclare Moulay Hassan. Prince, ce que votrepre a fait pour la France vous donne le droit de porter cette hautedistinction. 6La nomination en mars 1946 drick Labonne comme rsident gnral

    laisse esprer la mise en place de rformes politiques et conomiqueslibrales. Mais les graves vnements de Casablanca le 7 avril 1947, puis laraction du sultan vont y mettre fin. En effet, dans le discours quil prononce

    le 10 avril Tanger, celui-ci dvie du texte soumis et valid par la rsidence.Il omet de parler du rle de la France au Maroc et exalte la solidaritislamique et arabe en parlant de la Ligue arabe. rick Labonne est rappel parParis et remplac par le gnral Alphonse Juin. Ce dernier ne cache pas sondsir dobliger le sultan se soumettre ou se dmettre et de fairemanger de la paille aux nationalistes7. Les relations avec Mohammed Vsont immdiatement mauvaises :

    Ds leur premier contact, le divorce entre le Sultan et le Gnral apparutinvitable. Sans entrer dans les dtails de lentrevue, car mon Auguste Ami

    observait vis--vis de moi la discrtion dont il tait accoutum, du moins medonna-t-il une conclusion que les faits devaient justifier. Aveclui,me dit-il,cela nemarchera jamais.8

    Avec le gnral Juin, puis avec le gnral Guillaume9 qui le remplace en1951, les relations entre le Maghzen10 et la Rsidence ne vont faire que sedtriorer. Les deux gnraux mnent la mme politique : discrditerMohammed V le faire passer pour lennemi de la France et de ses intrtsau Maroc sappuyer sur El Glaoui, Pacha de Marrakech. De fait, Thami El

    5. Docteur Henri Dubois-Roquebert, Mohammed V, Hassan II,tel quejelesaiconnus, chapitre Les suites de la crise franco-marocaine :www.maroc-lodge.com/livre/Livre/index.htm#top.6. Max Jalade, Mohammed Ben Youssef tel que je lai vu, Paris 1956, page 99.7. Encyclopdiedu Maroc, volume Histoire , Rabat, 1985, page 205.8. Docteur Dubois-Roquebert, op.cit., annexe Le gnral Juin .9. Juin quitte le Maroc en 1951 pour exercer les fonctions dinspecteur gnral desforces armes franaises et de commandant interalli des forces du secteur Centre-Europe dans le cadre de lOTAN. Il impose au Maroc un de ses fidles, le gnralGuillaume, qui poursuivra la mme politique.10. Ensemble des lments (gouvernement, administration) constituant lautoritroyale au Maroc.

    http://www.maroc-lodge.com/livre/Livre/index.htm#tophttp://www.maroc-lodge.com/livre/Livre/index.htm#tophttp://www.maroc-lodge.com/livre/Livre/index.htm#top
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    Glaoui est suppos incarner lintrt de la France. Derrire lui les Berbres,fidles pour ainsi dire par nature sopposent aux Arabes des villes,

    nationalistes, qui avec Mohammed V ne veulent que dtruire luvre de laFrance au Maroc : opposition fictive et artificielle, qui nest pas sans rappeler la politique des races de Gallieni Madagascar. La ligne que suit laRsidence conduit ds lors droit la crise du 20 aot 1953.

    La machination avait commenc quelques jours plus tt. Sous la conduitedu Glaoui, 300 pachas et cads (dont bon nombre ont t contraints par lesautorits franaises de participer cette comdie) avaient, au nom de lintrt du Maroc , destitu Mohammed V de son autorit religieuse.Mohammed Ben Arafa, vieillard manipul par El Glaoui, est intronis nouvel

    imam . Le Pacha de Marrakech appelait la France prendre acte de cequil prsente comme la volont des Marocains. Tlguide par la Rsidence,la conjuration a le soutien du Prsident du conseil Joseph Laniel et surtout deson ministre des Affaires trangres, Georges Bidault.

    Le 20 aot 1953, jour de lAd el Kbir [], Rabat est en tat de sige. Il est13 heures 30 lorsque le roi, qui achve de djeuner, apprend que le gnralGuillaume dsire tre reu officiellement une demi-heure plus tard. Le palaisest encercl, chars, voitures blindes pointent leurs canons et leursmitrailleuses sur la grande porte. Le gnral Guillaume arrive escort detroupes spciales armes de mitrailleuses. Notre garde est dsarme, colleface au mur, les bras en lair

    Ainsi Hassan II se souvient-il du dbut de cette journe11. Guillaume veutobtenir labdication de MohammedV en change dune installation enFrance pour y vivre librement et hautement considr :

    "Rien dans mes actes et mes paroles ne saurait justifier labandon dunemission dont je suis le dpositaire lgitime. Si le gouvernement franaisconsidre la dfense de la libert et du peuple comme un crime qui mritechtiment, je tiens cette dfense pour une vertu digne dhonneur et de gloireSi vous nabdiquez pas immdiatement de votre plein gr, jai mission de

    vous loigner du pays afin que lordre soit maintenu.Je suis le souverain lgitime du Maroc. Jamais je ne trahirai la mission dontmon peuple confiant et fidle ma charg. Le France est forte, quelle agissecomme elle lentend."Tout est dit, le gnral nous fait appeler, Moulay Abdallah et moi. Il se tournevers le souverain : "Nous vous emmenons, vous et vos fils." Il fait signe lofficier de gendarmerie qui, revolver au poing, pousse mon pre devantlui On nous pousse dans lavion qui dcolle pour une destination inconnue

    11. Tmoignage du roi Hassan II cit par Ch. Lauvernier, Exil dun roi Madagascar.Mohammed Vsultan du Maroc, mmoire de DEA, Universit de la Runion, 1994,page 77.

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    14 heures 15 12

    Ben Arafa est, ds lors, considr par la France comme le sultan lgitime.Lexil de Mohammed V commence. La Corse en est la premire tape, lagrande stupfaction du prfet qui doit laccueillir en cette fin daprs-midi du20 aot 1953. Le comte Clauzel, ami du sultan et ancien conseillerchrifien13, est dpch dans les jours qui suivent en Corse, o il ne put querecevoir les protestations de Mohammed V et les transmettre, sans rsultat, Georges Bidault. Le passage en Corse fut sans doute le moment le pluspnible de lexil. Le sultan esprait une installation rapide en Francemtropolitaine, synonyme de la possibilit dune ngociation directe avec legouvernement franais. Le 30 septembre, la visite du docteur Dubois-Roquebert suscita lespoir dune bonne nouvelle. Il nen tait rien, et ledocteur dut mme signifier que loptimisme ntait pas de mise et quaucuntransfert sur le continent ntait envisageable. Dubois-Roquebert constata quele quotidien du sultan tait marqu par le caractre vexatoire quy mettait songelier :

    Zonza mme, le fonctionnaire charg de la surveillance de la Familleroyale et qui avait chang ses fonctions de contrleur civil au Maroc pourcelles de gelier, navait rien trouv de mieux que dclairer, la nuit venue, lesfentres de lhtel par de puissants projecteurs. Ce "jeu de lumire", assez

    sinistre, navait dautre rsultat que de gner le sommeil de ceux qui syreposaient. 14

    Le gouvernement fait pression sous couvert dune double menace. Bienque le docteur Dubois-Roquebert ait rendu compte de sa visite en soulignantque les convictions politiques du souverain ne permettaient pas denvisagerun seul instant la possibilit dune vasion dont on ne cessait dagiter lespectre , la perspective dun loignement plus radical se prcise, legouvernement franais prenant prtexte des tensions avec lEspagne quiexerce le protectorat sur le nord du Maroc et qui conteste la dposition du

    sultan. Plus perfide encore, on voit se dvelopper une campagne de pressecontre Mohammed V, dnonant son train de vie et survaluantgrossirement sa fortune. On espre que lancien sultan, afin dobtenirun exildor en France et surtout par crainte de se voir dpossd de ses biens,acceptera dabdiquer officiellement.

    12. Ibid.13. Le comte Clauzel remplit les fonctions de conseiller du gouvernement chrifien,cest--dire dintermdiaire entre la Rsidence gnrale et le Palais, daot 1949 octobre 1951. Jug trop proche du sultan, le gnral Juin demanda son rappel Paris.14. Docteur Dubois-Roquebert, op.cit., chapitre Lexil Zonza en Corse .

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    En janvier 1954, Mohammed V veut voir le retour en Corse du comteClauzel comme un espoir. En fait, celui-ci doit lui signifier, de la part de

    Georges Bidault, le dpart pour un exil plus lointain, qu en raison delagitation existant au Maroc et de la position prise en sa faveur par leGouvernement espagnol :

    Il a protest contre la mesure qui le frappait et contre le "caractreinhumain" dune dcision en vertu de laquelle sa famille tait transporte dunpoint lautre du globe "comme un simple btail". Il tait injuste daggraverson sort sous prtexte dune dclaration du gnral Franco. "Lenverrait-on auple Sud", a-t-il ajout, "la prochaine fois que la France aurait se plaindre delEspagne ?" 15.

    La pression, ou plutt le chantage financier sexerce en cette occasion : Linscription son passif des frais de sjours en Corse, soit 500 000 francsde lpoque par jour, plus quil ne dpensait pour lui-mme et sa famillelorsquil rgnait sur le Maroc, la perspective de se voir infliger dans lautrehmisphre des dpenses ruineuses, achevrent daccabler Sidi Mohammed.Noublions pas quil tait suppos tre un invit de marque de la France... LeSultan, vtu dune djellaba grise, prostr, mal ras, paraissait sensiblementplus que les 44 ans de son ge. Depuis son arrive en Corse, cet hommehabitu une vie active et la pratique des sports, refusait de prendre lair, et, juste titre, se considrait comme un perscut. 16

    Le 26 janvier 1954, Mohammed V quitte la Corse. La destination finalenest pas encore dfinitivement arrte. Le journal France-Madagascartitreque Lex-sultan du Maroc est attendu Madagascar , permettant ceslecteurs de suivre le voyage :

    Lancien sultan Sidi Mohammed Ben Youssef est arriv hier matin Brazzaville Lavion militaire spcial DC-4 [] avait fait escale Fort-Lamy minuit dans la nuit de lundi mardi. Le souverain, accompagn dunedizaine de personnes dont ses fils et ses femmes, avait pris une collation aubar de larodrome dans une stricte intimit. Lavion spcial tant tomb en

    panne, a t remplac par un DC-4 dAir France qui a dcoll trois heureslocales et a amen lex-sultan Brazzaville. De Brazzaville, lex-sultan serendra Madagascar o il sjournera avant de gagner sa rsidence dfinitivequi se situerait Tahiti ou en Nouvelle-Caldonie. 17

    Sur la mme page, un autre article titre : Les milliards du Sultan .

    15. Tmoignage du comte Clauzel sur le site officiel du gouvernement marocain : Feu sa Majest le Roi Mohammed V ,www.mohammedV.ma. 16. Ibid.17. Quotidien France-Madagascar, mercredi 27 janvier 1954, Archives de laRpublique de Madagascar (ARM).

    http://www.mohammedv.ma/http://www.mohammedv.ma/http://www.mohammedv.ma/http://www.mohammedv.ma/
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    Raoul Follereau appelle les agents du fisc se mettre en chasse contre un certain Mohammed Ben Youssef que la patience et la gnrosit

    franaises ont trop longtemps tolr sur le trne du sultan du Maroc . Dj,depuis plusieurs mois, la crise marocaine occupe une grande place dans lapresse Madagascar. Cet intrt ne se dmentira pas. Mais, avant dtudiercette passion marocaine de la presse de Madagascar, suivons un peu la vie decelui qui allait tre dsormais lexil dAntsirabe .

    I I . Antsirabe : entre villgiature thermaliste, rpression colonialeet psychose barbouze

    Larrive de Mohammed V met la colonie en effervescence. Le 27 janvier,Robert Bargues, haut-commissaire, informe ses collaborateurs de larriveimminente : DC-4 militaire indicatif FRAFA venant de Brazzaville surTananarive 28 ou 29 janvier transporte ex Sultan du Maroc et suite 18Craignant que des intempries empchent lavion de se poser

    Tananarive et ne le force se replier sur un aroport de province, le haut-commissaire transmet les directives pour laccueil de l ex-sultan . Aucunhonneur ne doit lui tre rendu et il faut le placer sous surveillance stricte

    police et garde ventuellement troupe sans communication avec lextrieur.Cest bien un prisonnier qui est confi aux autorits franaises deMadagascar.

    Il rsidera Antsirabe. On met en avant la qualit du climat de la stationthermale qui assurera le bien-tre du visiteur (on ne sait trop commentqualifier un prisonnier assign rsidence qui doit pourvoir aux frais de sonexil !). Certes, la salubrit dAntsirabe est vante par les Franais depuislongtemps mais il y a fort parier que Mohammed V se serait satisfait duclimat de Tananarive qui lui ressemble fortement. La Vichy malgache

    prsente surtout lavantage disoler un peu plus lexil, de rendre sasurveillance plus facile, et sans doute aussi, plus discrte aux yeux du monde.

    la hte, le colonel Touya, commandant des forces de gendarmerie de laGrande le, est charg de laccueil du sultan, arriv avec ses deux fils et saseconde pouse, enceinte de six mois. Responsable de leur scurit, il lesconduit immdiatement Antsirabe. Dans ces circonstances difficiles, cethomme sera une chance pour Mohammed V et surtout pour la France. Lefiasco corse ne se reproduira pas.

    18. Tlgramme du Haut-Commissaire Tananarive aux provinces de Tular, Diego-Suarez et Majunga, ANOM, Madagascar, PM 266.

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    Les arrivants, en dpit de leur fatigue, de leurs prventions, de leur tristesse,purent constater que lofficier auquel tait confi leur sort tait un honnte

    homme, lintelligence ouverte et au cur loyal. Ici encore, le pire tait vit.Lexil retrouvait lesprit dune France amicale 19.

    Dans la prcipitation, les exils sont dabord logs dans un centredaccueil pour les familles de militaires dont le confort est rudimentaire.Larrive des autres membres de la famille (filles, femmes et concubines dusultan) ainsi que la perspective dun sjour de longue dure Madagascar,rendent ncessaire une solution plus confortable. Les travaux de rparation delhtel des Thermes doivent sachever en mars. Le sultan et sa suite eninvestissent alors lune des ailes.

    19. Jean Lacouture, Cinq hommesetla France, Le Seuil, 1961, page 234.

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    Htel des Thermes(photo Fr. Garan)Les autorits franaises auraient souhait que Mohammed V se trouve (et

    mme achte) une proprit dans la campagne antsirabenne et devienne unesorte de gentleman-farmer, exotique plus dun point. Mais,

    lex-souverain ne voulait engager aucune activit telle que, par exemple, lacration et la gestion dun domaine, qui ft de nature laisser supposer sessujets quil se rsignait se fixer dfinitivement dans la Grande le. Cest cesentiment, entre autres, qui lavait pouss renoncer faire venir sonfrre 20

    Les rudiments dune vie la Marocaine se mettent vite en place.Lentourage du sultan, qui regroupe une trentaine de personnes, veille

    lentretien de la maison, et surtout au bon fonctionnement des cuisines, quiprparent un assortiment de plats franais et de mets marocains. A ce propos,le docteur Dubois-Roquebert se voit confier une mission capitale lissuede son premier passage : expdier ds son retour au Maroc des pieds dementhe, de la viande sche, du bois de santal ainsi que le matriel de cuisineindispensable, tel que plats tajines, couscoussiers, poles pastilla ...

    La question financire est le premier problme que Mohammed V doitrgler Madagascar. La France utilise cette arme contre lui et il fautabsolument viter la msaventure corse :

    Des articles de presse rclamaient la confiscation totale ou partielle de sesbiens. Un dahir21 du 10 octobre 1953 les avait placs sous un rgimedadministration particulier. Un administrateur avait t dsign []. Lapresse parlait dune valeur de biens de 25 milliards. Ladministrateur-squestre, lui, avait dress un inventaire qui en estimait le montant 3milliards et demi. Ces chiffres sans liens avec la ralit se devaient dtredmentis et leur vritable valeur devait tre rtablie [...]. Sidi Mohammedstait inscrit en faux contre ces allgations et stait dclar dispos fairedonation par acte notari, ltat franais ou ltat chrifien, de tout bienquil possderait en dehors de la zone franaise du Maroc.

    Pour lclairer sur sa situation financire, Sidi Mohammed avait exprim ledsir ds son arrive Madagascar de pouvoir sentretenir le plus tt possible Antsirabe avec Si Mamri, et Si Ben Messaoud, son ancien secrtaireparticulier []. Il avait dailleurs demand, dans un message adress M. Vincent Auriol le 10 novembre 1953, quil lui soit possible de se dfendreen justice contre les accusations dont il avait t lobjet de la part du ComitFrance-Afrique du Nord.

    20. Docteur Dubois-Roquebert, op.cit., chapitre Ma mission officielle pour leGouvernement Franais auprs de S.M. Mohammed V en exil Madagascar .21. Dcret ou loi pris par le Maghzen.

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    Lex-sultan voulait pouvoir se dfendre sur tous ces points et souhaitaitconfier la dfense de ses intrts deux avocats du barreau de Paris, Me Paul

    Weill et Me

    Georges Izard. 22

    Ces deux hommes, choisis avec une grande lucidit, vont se rvler dune

    trs grande efficacit. Me Weill est un ami de Georges Bidault et de PierreMends-France. Il reconnatra lui-mme, comme le souligne Dubois-Roquebert, que ses amitis politiques furent la cl de ses succs dans ladfense des intrts du souverain alaouite. De son ct, Me Izard prend safonction autant comme avocat que comme militant :

    Je ne pouvais oublier que jtais vice-prsident de France-Maghreb. Leshasards de la vie professionnelle mavaient jet tout neuf dans laventure

    nord-africaine en me rendant successivement dfenseur ou conseil du No-Destour, du Bey, des dirigeants de lIstiqlal et de la veuve de Ferhat-Hached.De nombreux voyages mavaient instruit sur les extraordinaires illusions dontse berait lopinion franaise et quau dbut je partageais. 23

    Cet engagement explique le rle capital quil va jouer dans la crisemarocaine, comme nous le verrons plus loin.

    Les avocats obtiennent assez rapidement que le docteur Dubois-Roquebert puisse grer directement pour le sultan des liquidits que cedernier lui a confies. Cependant, les biens du sultan se trouvant au Maroc

    restent sous contrle dun administrateur-squestre, M. Rouyre, cest--dire,pour faire court, entre les mains du gouvernement franais. Le sultan eutloccasion de rencontrer ladministrateur qui accompagnait M. Lemarle danssa mission. Cest en partie pour sauver ses biens au Maroc quil sengage sabstenir de toute activit politique. En mme temps, Mohammed V obtientque toutes dpenses lhtel des Thermes lui soient soumises avantrglement. Grce au colonel Touya, les dpenses pour la vie quotidienne dusultan et de sa famille sont values 80 000 francs. Nous sommes loin des500 000 francs journaliers du passage en Corse.

    Un autre sujet dinquitude pour le sultan : ses conditions de dtention, ouplus prcisment la personnalit de son gelier . Le souvenir corse pselourd. Sidi Mohammed redoute laffectation dun officier des affairesmusulmanes comme ce fut le cas Zonza. Cela le maintiendrait sous lecontrle direct de la Rsidence Rabat. Cest effectivement le scnario quela France a prvu. Mohammed V sen remet alors au colonel Touya.

    22. Ibid., chapitre La dfense des intrts privs de Sa Majest Mohammed V et lagestion des Liquidits Royales durant lexil.23. Georges Izard, revue tudesMditerranennes, n 4, 1958, Le secretdAntsirabe , pages 61 75.

    http://www.maroc-lodge.com/livre/Livre/defense_interets.htmhttp://www.maroc-lodge.com/livre/Livre/defense_interets.htmhttp://www.maroc-lodge.com/livre/Livre/defense_interets.htmhttp://www.maroc-lodge.com/livre/Livre/defense_interets.htmhttp://www.maroc-lodge.com/livre/Livre/defense_interets.htmhttp://www.maroc-lodge.com/livre/Livre/defense_interets.htmhttp://www.maroc-lodge.com/livre/Livre/defense_interets.htm
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    Sa Majest est heureuse dans le relatif et elle ne veut plus traner desquelle marocaine. Si lofficier des Affaires musulmanes venait Antsirabe,

    elle se considrerait comme prisonnire et vivrait enferme dans les pices quilui sont rserve. Ce que Sa Majest vient de vous dire ne change en rien lesens de la protestation quelle a leve auprs du gouvernement franais, maisil y a les principes et les faits. Les faits sont notre sjour ici. Vous lavezrendu aussi agrable que possible. Encore une fois, nous vous demandonsdinsister pour que rien ne soit chang. 24

    Le colonel saura tre persuasif auprs de son autorit de tutelle.Largument est renforc par le fait que Mohammed V a sollicit, le 5 fvrier1954, de rester Madagascar. Le gouvernement Laniel pense avoir gagn son

    pari avec un ex-sultan qui sinstalle Madagascar et semble se couper desaffaires marocaines. Dans ce cadre, lofficier des affaires musulmanes ne serapas affect sa surveillance qui reste la mission du colonel Touya.Mohammed V a vit le pire. Il ne sera plus question dinstallation Tahitiou en Nouvelle Caldonie et il est plac sous le contrle de Tananarive et nonde Rabat. La France nen a pas conscience (et Mohammed V sans doute pasplus) mais, dans la partie dchecs qui sengage, sa position sest affaiblie.

    Ces problmes psent durant les premier mois. Le futur Hassan II a eutendance prsenter son pre comme trs affect par lexil, voire presque

    dpressif. Il faut se mfier dun tel tmoignage, la fois pope familiale,hagiographie de Mohammed V et autoglorification. Il ne sagit pas deminimiser le poids de lexil : il fut dur en Corse, beaucoup plus correct Madagascar. La vie quotidienne des enfants du sultan en atteste.Mohammed V a une grande force de caractre. Il la montr depuis 1940. Lecoup dtat du 20 aot est rejet par les Marocains. Son loignement en est lapreuve puisquon lui reproche finalement lagitation existant au Maroc .En cela, le dpart pour Madagascar est une premire victoire, aprs une rellepriode de doute en Corse. Mohammed V sait quil doit mener une vritable

    guerre de limage, la France, ou du moins, dans un premier temps, legouvernement Laniel, nayant pour seul objectif que de le dcrdibiliser.Face lui, le sultan install par la France, le vieux Ben Arafa, ne simposepas la population. Pire, victime dune tentative dassassinat, il vit de plus enplus reclus dans son palais. La presse ne tarde pas sen faire lcho,Mohammed V le sait. Il lui faut tre fort dans cette guerre de limage. I l doittre toute heure un monarque en exil, et non un prince en villgiature.

    24. Entretien entre Mohammed V et le colonel Touya, cit par Ch. Lauvernier, op.cit., pages 91-92 ; Rapport du lieutenant-colonel Touya , archives du haut-commissariat gnral Madagascar, ANOM dn 658.

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    Si, dans les tous premiers temps, il change encore quelques balles sur leterrain de tennis avec ses fils, cela sera sans lendemain. Il renonce surtout

    deux de ses passions : la chasse et lquitation. Renoncement certes, mais paspar mlancolie chez un homme qui, la premire occasion, se dsole de nepas tre all la chasse aux canards avec ses enfants 25. Prisonnier, il sesait observ, pi, et a conscience que toute image dun sultan paraissant tropinsouciant serait utilise par la France et pourrait avoir un effet dsastreuxdans un Maroc o tensions, attentats et rpression se dveloppent.Limage quil donnera et que transmettront tous les visiteurs dAntsirabe

    cest celle dun souverain austre se consacrant sa famille, la religion etaux problmes politiques de son pays pour le bien de son peuple.

    Dans lattente de laccouchementdune de ses pouses, Mohammed Vrequiert la prsence du docteur Dubois-Roquebert, demande laquelleaccdent les autorits franaises. Il dbarque Antsirabe le 4 avril 1954.

    Lheureux vnement dont la date ne pouvait tre prvue avec prcision, eutlieu le 14 avril, 13 heures 30. Lalla Bahia, pouse de S.M. Sidi MohammedBen Youssef, donnait le jour un beau bb de sexe fminin que Sa Majestprnomma Lalla Amina.Afin dviter le pire, tant pour la mre que pour lenfant, je mtais trouvdans lobligation de pratiquer une opration csarienne. Je fus heureuxdannoncer Sa Majest la fin de mon intervention, selon la formule, que la

    mre et lenfant se portaient bien. La convalescence de mon impriale oprese termina dans les conditions les meilleures. 26

    Le mdecin souligne que cette naissance sera la seule note de joie []pendant toute la priode de lexil . Cette ide, avec des formulations trsproches, nous allons la retrouver dans tous les rcits et tmoignages surlexil dAntsirabe, Max Jalade mettant mme la formule dans la bouche dusultan qui parle de la joie de lexil pour dsigner sa fille. La dimension pre de famille devient capitale :

    Lenfant joue [] puis revient en larmes. Ds lors, il ny a plus de sultan, deCommandeur des croyants, Sidi Mohammed nest plus quun homme enbabouches, un pre affol, inquiet, qui examine son enfant sur toutes lescoutures Sidi Mohammed respire enfin []. (On) vient de dcouvrir lacause des tourments dAmina. Elle vient de percer une dent 27

    25. loccasion dun court entretien avec Max Jalade quelques jours avant son dpartde Madagascar (Max Jalade, op.cit., page 117).26. Dubois-Roquebert, op.cit., chapitre Mon premier sjour auprs de S. M. SidiMohammed .27. Max Jalade, op.cit., pages 116-117.

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    Mohammed V et Lala A mina (couverture du livre de Max Jalade).Linterview peut reprendre : Puis-je demander Votre Majest ce

    quElle pense de la position que vient de prendre le pacha de Marrakech ? Finalement, ces lments donnent limpression, si ce nest dune

    propagande, du moins dune communication qui a t bien construite puis

    entretenue. Lexil se doit daffirmer son caractre mythique.Commandeur des croyants trouvant dans la religion un rconfort lexil,

    Mohammed V tisse des liens avec la communaut musulmane dAntsirabe : Sa pit et sa tendresse semblent avoir conquis les Musulmans de lacommunaut comorienne. Il se rend la mosque chaque vendredi, lit leCoran en arabe, mais le commente en franais. 28

    28. Max Jalade, op.cit., page 41.

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    La Mosque dAntsirabe. Aujourdhui encore, cest la communaut comoriennequi en a la charge(Photo Fr. Garan)

    Rien de plus naturel que cette relation entre frres dune mme religion,mais elle est source de suspicions pour les autorits franaises. Avant mmelarrive de lex-sultan Madagascar, les R.G. sinquitent : Dans lesmilieux comoriens de Mahabibo (quartier de Majunga), le bruit court quelex-sultan du Maroc sera intern dans lle de Mohli (archipel desComores). 29Difficile dinterprter cette note qui reprend des rumeurs faitesde demi-vrits. Elle rvle, comme nous le dvelopperons plus tard, que lapopulation de Madagascar nest pas ignorante des affaires marocaines ni de

    la prsence du sultan dans la rgion. Elle fait surtout apparatre que lesautorits franaises sont hantes par le spectre dun complot des musulmansde la Grande le pour librer Mohammed V, une obsession qui ne fait quecommencer.

    Le 3 fvrier, le chef de la province de Majunga, F. Henrion, rend compteau haut-commissaire de ses inquitudes en tant que responsable de la ville la plus islamise du territoire avec ses 20 000 Comoriens, ses Hindous

    29. Note classe confidentielle du commissaire aux R. G. de la rgion de Majungaau directeur de la Sret gnrale Tananarive, 26 janvier 1954, ANOM,Madagascar, pm 266.

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    nombreux, la compagnie de garnison somali et les Ymnites de laCompagnie maritime 30. Il rend compte de lenqute qua effectue son

    commissaire divisionnaire. Selon les critres de la colonie, les musulmanssont diviss en quatre catgories : les musulmans autochtones ; les Arabes ;les Indiens et les Somalis. Une dichotomie apparat clairement. Lesmusulmans franais ne posent pas de problme. Les Somalis installs nont aucune raction et les militaires se montrent encore plus rservs . Lesmusulmans autochtones (entendre par l les Comoriens, les Sakalavamusulmans et les Antalaotra) ignorent aussi bien la destitution du Sultanque son loignement de la terre marocaine . Mme les Comoriensvolus qui suivent les vnements de politique internationale semblent

    rester indiffrents . Madagascar peut faire dans lautosatisfaction : ses musulmans sont fidles la France et ne remettent pas en cause sa politiquenord-africaine. Il nen va pas de mme pour les musulmans trangers. LesArabes, qui sont en fait des Ymnites, coolies ou dockers la Compagniemaritime de Madagascar (CMM) dans le port de Majunga. Pour la plupartdentre eux, ils donnent limpression de ntre pour le moment nullementau courant de la prsence Antsirabe de lex-sultan . La suspicion porte surleur chef Attick Nassor, ses enfants et leur imam [qui] sont au courant desvnements de lAfrique du Nord [], de la destitution []. Ils dplorent

    son dpart vers lexil. Heureusement, ils ne semblent pas y attacherbeaucoup dimportance Ils restent sur une sage rserve quant seprononcer sur sa prsence dans lle . Il faut cependant rester vigilant car les Arabes implants Majunga sont ceux parmi lesquels lon peut trouverdes postes de radio []. On peut dceler dans leur esprit un rapprochemententre lexil actuel de Sidi Mohammed et celui encore rcent dAbdel Krim[]. Ils se gardent de tenir des commentaires publics mais desinformateurs ont signal que lon commente dfavorablement le passage Madagascar de lex-souverain . Cependant, il est un lment rassurant pour

    les autorits franaises. Le souci des Arabes de Majunga nest pas dedfendre lexil, mais de voir cause de lui soprer un raidissement desautorits franaises leur encontre . Linquitude est encore plus forte en cequi concerne les Indiens (pakistanais, appels Karana Madagascar). Dans cerapport transmis au chef de rgion le 1erfvrier 1954, le commissairedivisionnaire Lallemand signale que la destitution avait dj suscit descommentaires qui revivent en ce dbut danne. Cest la politique de laFrance qui est critique, celle-ci nayant pour seul but que de retarderlindpendance du Maroc, pourtant souhaite et mrite et que les tats

    30. Note du 3 fvrier 1954, Secret confidentiel , ANOM, Madagascar, pm 266.

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    arabo-asiatiques et lEspagne, en particulier, seront prsents pour soutenir lesrevendications du Maroc devant lONU et lopinion mondiale . Dj

    lombre du complot plane sur Madagascar et le commissaire de conclure : Il est noter que ces propos se tiennent avec beaucoup de discrtion sous lemanteau et quils ne les propagent pas hors du cercle indien 31. Ouf ! Ledanger nest pas imminent.

    La prsence sur le sol malgache du sultan rend les musulmans(particulirement les non-franais) suspects. Ils seront lobjet dunesurveillance renforce sappuyant sur nombre dindicateurs (auxquels onattribue le qualificatif de correspondant occasionnel non prouv dans lesdossiers), au sein mme de la communaut. Dautres rapports suivront. Ainsi,

    Diego-Suarez, le commissaire Joly pingle le sieur Zad Abdurab quidiffuse au sein de toute la communaut indienne son mcontentement delattitude du gouvernement franais au Maroc . Pour lui, les Franais auMaroc ont achet les hautes personnalits marocaines, en particulier celles deMarrakech, pour que le sultan soit remplac Le crime de cet homme, quipourtant na fait lobjet jusqu maintenant daucune observationdfavorable dans quelque domaine que ce soit est simple : il couteassidment la radio puis colporte les nouvelles recueillies au cours desmissions captes . La scurit nationale est donc menace par le seul fait

    quil se fasse lcho de tels propos quelle quen soit la source , ce qui dnote un certain tat desprit dont on se doit de tenir compte 32. En avril, Majunga, Henrion confirme que les musulmans franais sont toujourscalmes. Par contre, le complot prend forme du ct des Indiens !

    Il ma t rapport que certains indiens essayeraient davoir des contactsavec lex-sultan et quils envisageraient de faire confectionner des bijoux pouroffrir aux membres de la famille de lexil. Je mefforce dobtenir desprcisions ce sujet. 33

    En somme, le gang des bijoutiers est prt frapper ! On pourrait

    penser quil sagit l dun excs de zle depuis les provinces. Il nen est rien.Le haut-commissaire Bargues insiste et veut quon lui signale de touteurgence [] tous renseignements, si minimes soient-ils, relatifs aux contacts

    31. Toutes les citations sont extraites du rapport du commissaire Lallemand transmisle 1er fvrier au chef de la rgion de Majunga, M. Henrion, puis par ce dernier auhaut-commissaire le 3 fvrier 1954.32. Rapport du commissaire des Renseignements gnraux de Diego-Suarez au chefde la province de Majunga, 15 fvrier 1954. ANOM, Madagascar, pm 266.33. Note du chef de la province de Majunga au haut-commissaire, le 5 avril 1954(ANOM, Madagascar, pm 266).

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    ou intentions de contacts manifestes par la communaut indienne . Henrionest sans doute conscient des problmes que peut poser cette attitude trop

    intransigeante, alors que la communaut indienne a peut-tre seulementbesoin dtre renseigne. Aussi demande-t-il au haut-commissaire la positiondu gouvernement lgard de lex-sultan. Bargues rappelle que tout contactest soumis lautorisation gouvernementale et prcise que lex-sultandu Maroc se trouve dans la situation dun hte de marque faisant lobjetdune surveillance nayant aucun caractre vexatoire mais trs stricte dansson application. 34

    Les choses sont donc maintenant plus claires. Hte qui assumefinancirement cet hbergement libre mais strictement surveill : voici donc

    la situation de lhomme que les habitants dAntsirabe commencent avoirlhabitude de croiser. Son arrive avait un important succs de curiosit mais,au bout de quelques mois, la djellaba du sultan est maintenant familire 35.Pour les musulmans dAntsirabe, il est le commandeur des croyants commeen tmoigne lattitude de ce commerant syrien qui se mettait genouxdevant le roi et lui embrassait les mains pour le saluer 36.

    Les compagnes du sultan ont suscit une curiosit plus durable. Le soir,le sultan promne ses pouses et les femmes de sa suite, par petitesfournes 37. Mais, lors de ces dplacements, elles sont toujours voiles et

    couvertes. Elles resteront invisibles, y compris lors du dpart : Celles que nul na le droit de regarder savancent en file indienne. Sur laliste des passagers, elles seront numrotes de 1 23 et deviendront autant de"Madame X". Une fois encore, le prince Hassan dirige loprationdembarquement.Jassiste de loin cet trange dfil, me posant millequestions quant la vie, la personnalit de ces femmes qui, une une,sengouffrent dans la cabine, relevant les pans de leur djellaba, dcouvrant dehauts talons et des chevilles gaines de soie. trange spectacle que celui deces silhouettes grises et bleues cheminant sur un tapis rouille, lombre desailes dimmense oiseau daluminium. Assurment, voil le reportage que

    personne ne fera jamais. 38

    Seule Antsirabe, une cartomancienne dans le quartier

    dAmbohimiandrisoa que certainesconsultent rgulirement dans lespoir deconnatre leur chance de rester longtemps auprs du souverain, aura la chance

    34. Rponse du haut-commissaire au chef de la province de Majunga, le 16 avril 1954(ANOM, Madagascar, pm 266).35. Max Jalade, op.cit., page 41.36. Tmoignage de M. Francis Core, recueilli par Ch. Lauvernier, op.cit., page 99.37. Max Jalade, op.cit., page 40.38. Max Jalade, op.cit., pages 131-132.

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    de voir leur visage39.Lhomme est apprci par les Antsirabens : Les commerants

    europens ou malgaches ne tarissent pas dloges sur sa courtoisie, sesattentions et se plaisent voir en lui un chef de famille qui fait des achats enhomme averti et passe rgulirement payer ses notes. 40Parmi les achats ncessaires, nombre de visiteurs, limage de Max

    Jalade, signaleront lacquisition dune trentaine de radiateurs, comme pourinsister sur les rigueurs de lexil. Cest oublier que Sidi Mohammed vient de ce pays froid o le soleil est chaud , comme le marchal Lyautey seplaisait dcrire le Maroc. Radiateurs donc, qui auraient tout autant leurplace dans les rsidences de Fs, Mekhns, Ifrane, voire de Rabat Peut-tre

    sommes nous l encore dans le domaine de la mythification de lexilLes conversations se limitent parler de la pluie et du beau temps. Le

    sultan respecte scrupuleusement le devoir de rserve auquel il sest engag.Cependant, quand la discussion glisse sur les vnements [], son visagese crispe lorsquil voque le drame marocain 41.La population dAntsirabe, pour ceux qui veulent sy intresser, nest pas

    dans lignorance des vnements du Maroc, comme le confirme linterviewralise par Ch. Lauvernier, o Mme Marthe Conterno, alors industrielle enproduits alimentaires, montre quelle tait trs au fait de la situation de Sidi

    Mohammed et du Maroc. Les Europens ont certainement plus de facilitsque les Malgaches pour sinformer, mais nous avons dj voqu le rle de laradio, et nous verrons surtout que la presse Madagascar, tant en franaisquen malgache, accorde une trs grande importance aux vnements duMaroc de 1953 1956.La monotonie de la vie du sultan Antsirabe nest interrompue que par de

    courts dplacements Tananarive pour consulter son oculiste ou se rendrechez son tailleur. Il aime se promener au Zoma, ce qui laisse supposer unesurveillance moins rigide quon ne limagine.

    Il y a enfin les princes et princesses. Mme sils se plaignent dune vie quine leur apporte plus le luxe auquel ils taient habitus au Maroc, ils sont loinde mener une existence recluse. En gnral, leurs dplacements ne passentpas inaperus dans les rues dAntsirabe, particulirement ceux des princesMoulay Hassan (le futur Hassan II), Moulay Abdallah, et de leur cousinMoulay Ali. Les princes ont beaucoup damis en ville, ce que ne manque pas

    39. Tmoignage de M. Nirina Ralison dont la famille habitait le mme immeuble quela voyante, recueilli par lauteur.40. Max Jalade, op.cit., page 41.41. Ibid.

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    de rappeler le Malagasy Vaovaodu 6 septembre 195542, signalant dailleursavec une certaine ironie que la presse mtropolitaine souligne que leur dpart

    procurera un certain soulagement pour la population. Nadhrant pas sanspreuve cette affirmation, le journal nationaliste sengage vrifier cetteinformation auprs des Antsirabens

    Leclub nautiqueen 2007 (photo Fr. Garan).

    Les princesses se rendent frquemment au lac Andraikiba. Elles neddaignent pas dy taquiner la carpe et le black-bass 43. Le club nautique estlun de ces endroits o la colonie a recr un coin dEurope. Plus encore qulhtel des Thermes, on peut se croire dans le Massif Central44. Lesprincesses sy baignent quand les photographes ne sont pas trop importuns.Ceux-ci sont leur tour traqus par la scurit qui redoute tout contact avecla presse. Paul Randrianampizafy, jeune photographe travaillant pour desjournaux mtropolitains, tente de djouer la vigilance des inspecteurs

    42. Malagasy Vaovao, 6 septembre 1955, article Tonga any Antsirabeireonasionalista marokana. Frantsa sa Rabat no handray ani en Youssef (Traductionde larticle assure par Lanto Ranaivosoa).43. Max Jalade, op.cit., page 39.44. Voir Eric T. Jennings, Curingthecolonizers: Hydrotherapy,climatology andFrenchcolonialspas, Duram, Duke University Press, 2006, 272 pages

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    chargs de la scurit royale avec lesquels [il a] eu plus dune fois desdmls car il tait interdit de prendre des photos sur tout ce qui touchait le

    roi 45. La tche deviendra plus aise pour lui quand il travaillera avec MaxJalade, lexil tant alors redevenu interlocuteur incontournable pour laFrance.

    Moulay Hassan, quand il nest pas occup par ses fonctions de conseiller,secrtaire particulier, interprte et chef du protocole auprs de son Pre,pratique le tennis avec les jeunes de la communaut indienne, ou joue auxcartes au cercle avec les membres de la socit europenne46. Il est souventaccompagn par son frre et son cousin. Ensemble, ils jouent au foot avec

    une quipe locale dAntsirabe

    47

    , et font de frquentes vires Tananarive.Le prince Moulay Hassan conduit vite, mais admirablement , selon lestermes de Georges Izard. Dj comme son pre la passion des automobiles.

    Les soires Antsirabe se terminent souvent par un pot, un coca-cola bienfrapp, lhtel Truchet. Les jeunes princes, grands fumeurs, peuvent grillerlibrement une cigarette loin de la dsapprobation paternelle. Les distractionssont rares. Aussi ne sont-ils pas les derniers profiter du passageexceptionnel des chanteurs Patrice et Mario en reprsentation au Cin-Cure.En temps normal, il faut se contenter du cinma, la projection de Souslesigneducobra(1943) laissant deviner une programmation pas toujours lapointe des sorties parisiennes Quand le film intresse le sultan, uneprojection prive est organise aprs la sance publique. Le NapolondeSacha Guitry eut cet honneur. Le sultan vient avec tous les membres de safamille, do un important dploiement de force et un vritable rallye dansles rues habituellement tranquilles pour le retour lhtel des Thermes.

    Moulay Abdallah est encore adolescent (il na que 17 ans, alors que sonfrre en a 25). Il commence aiguiser ses talents de sducteur (qui ne sedmentiront point dans les annes qui suivent) allant mme la jeunesse esttoujours prsomptueuse jusqu faire la cour la femme du commandant degendarmerie gardien de son pre, selon les dires de ladministrateur Guerini,chef de district dAntsirabe48. Il se dplace souvent au volant dune grosseamricaine, une Buick bleue dcapotable. Cette voiture est dclare disparue

    45. Tmoignage de M. Paul Randrianampizafy recueilli par Ch. Lauvernier, op.cit.,page 97.46. Tmoignages de MM. Moussa Manjoo et Francis Core recueillis parCh. Lauvernier, op.cit., page 99.47. Tmoignage de M. Nirina Ralison recueilli par lauteur.48. Tmoignage de M. Jean Fremigacci, ami de la Famille Guerini, recueilli parlauteur.

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    en mai 1955 et fait lobjet dun avis de recherche par la sret gnrale49. Levhicule sera retrouv mergeant dun trou deau la saison sche. Pour

    Guerini, il ne fait pas de doute que Moulay Abdallah a mont une escroquerie lassurance. Il faut dire que le sultan contrlait strictement les dpenses deson fils (comme du reste de la famille), qui avait du mal admettre lancessit de restreindre son train de vie.

    Cette anecdote rvle le degr de libert de mouvement dont jouissent lesjeunes princes, libert dans la vie quotidienne Antsirabe qui contraste aveclobsession de lvasion ou de lenlvement qui rgne Tananarive !

    Le 26 novembre 1954, le commissaire principal Max Chalopin transmet Majunga cette information glane dans le Tana-Journal, qui lui-mme

    reprenait un cble de lAFP : Un ancien espion anglais, Eddei Chapman, prtend avoir particip uncomplot qui avait pour but denlever de Madagascar lex-sultan du Maroc SidiMohammed contre une rcompense de 100 millions de francs offerte par ungroupe de nationalistes arabes.Dans une dclaration au Sunday Express, Chapman a dclar : "tout tait prtlorsque quelquun incendia notre navire, le Flamingo, dans le port de Toulon.Lorsque le navire fut rpar, les Franais avaient dcouvert le complot. Leplan consistait kidnapper le Sultan. Les 100 000 livres avaient t offertespar un groupe de nationalistes arabes. Heureusement", remarque Chapman,

    "une partie nous fut paye davance. Le reste devait tre vers lorsque nousremettrions le sultan"50.

    Devant tant de prcisions et dorganisation, on hsite entre romandespionnage, mythomanie ou canular! Le plus grave, cest que Tananarivesemble prendre au srieux ce genre dinformation. Les notes se multiplient.Le 2 mars 1955, Andr Soucadaux (haut-commissaire depuis octobre 1954)appelle les chefs de province, de circonscription et de district la plus grandevigilance, craignant une ventuelle vasion ou un enlvement, soit dusultan, soit du prince Moulay Hassan ou de tout autre membre de la famille .

    On remarquera le lapsus du haut-commissaire, qui oublie demployer le ex-sultan de rigueur pour les autorits franaises. Plus que le sultan lui-mme,cest son fils qui est suspect :

    On peut [] penser que Moulay Hassan, dont lambition est extrme, soitdsireux de jouer un rle et tenter de quitter la terre malgache pour se rendredans un des pays musulmans du Proche-Orient afin dy entretenir une

    49. Note de la direction de la Sret gnrale du 1er septembre 1955 signalant que levhicule na toujours pas t retrouv (ANOM, Madagascar, pt 172).50. ANOM, Madagascar, pm 266.

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    agitation anti-franaise. 51

    Si cette ventualit se produisait, chacun en province recevrait letlgramme cod suivant : Vous prie rechercher colis perdu ! Ds lors,toutes les mesures de surveillance des ports et aroports devront tre prisesafin darrter les fuyards et leurs complices. Les rgles de la courtoisiedoivent cependant tre respectes puisque, dans le cas dune ventuellearrestation, vous devriez vous montrer aussi corrects que possible et il nesaurait tre question de le [Sidi Mohammed] squestrer . Pour faciliterlidentification, le tout est accompagn de photos du sultan et de sa famille.Les mesures sont renforces le 27 aot 1955. Soucadaux demande desurveiller tous les mouvements davions, mme et surtout privs . Vousdevez me rendre compte de tout mouvement suspect et contrler lespassagers toutes les fois que vous lestimerez ncessaire. 52 Ds lelendemain, Diego-Suarez, le commissaire Prau ordonne que deux agentsde la brigade de police soient dtachs en permanence larodrome civildArrachart en vue dexercer une surveillance ininterrompue de jour et denuit 53. Le 12 septembre, alors que les entretiens avec le gnral Catroux sedroulent Antsirabe depuis une semaine, le haut-commissaire admet quelvasion ou lenlvement sont trs improbables. Les dispositions du 27 aotsont annules, mais celles du 2 mars restent actives, prvoyant le cas o desnergumnes chercheraient enlever lex-sultan 54. Le vous prierechercher colis perdu reste dactualit !

    Le contraste avec la vie Antsirabe est patent. Dans la perspective de laFrance, le seul danger vritable est un contact entre le sultan et lesnationalistes malgaches. Comme le laisse supposer larticle du Lalam-Baovao(voir introduction), les milieux nationalistes ont souhait entrer enrelation. Ils russirent mme lui faire passer un message55. Cependant, il estquasiment certain quaucune rencontre na eu lieu56. La personnalit de

    51. ANOM, Madagascar, pt 172.52. Tlgramme du haut-commissaire, 27 aot 1955 (ANOM, Madagascar, pt 172).53. Consignes du commissaire Prau, 29 aot 1955 (ANOM, Madagascar, ds 494).54. Tlgramme du haut-commissaire, 12 septembre 1955 (ANOM, Madagascar, pm 266).55. Ch. Lauvernier, op.cit., page 95, note 68, fait rfrence une srie detlgrammes (n11, 12, 13 et 14) du haut-commissaire au ministre de la FrancedOutre-mer, ANOM, dn 658 (nous navons, hlas, pas eu loccasion de consulter cedossier).56. Le docteur mile Rasakaiza, figure majeure du nationalisme malgache, est alorsen poste lhpital dAntsirabe (il sera adjoint au maire en 1956, puis maire en 1959).Nirina Ralison, qui a inventori ses papiers, na trouv aucune rfrence Mohammed V. Bien sr, cette absence de preuve ne signifie pas quil ny a pas eu

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    Mohammed V, son sens de lhonneur et tout simplement son intrt vontdans ce sens. En mars 1954, il sest engag navoir aucune action politique.

    On pourrait opposer cette promesse lintrt du Maroc. Eh bien, justement,contacter les nationalistes malgaches ne serait pour le sultan quune prise derisque inutile et mme dommageable. Ds son arrive Antsirabe,Mohammed V prend lhabitude daller lire la presse la terrasse du Truchet,o il boit un jus de fruit57. La presse mtropolitaine, et la presse malgache,comme nous le verrons, lui permettent de suivre trs prcisment lesvnements au Maroc. Il dispose galement, lhtel des Thermes, duneradio quil coute quotidiennement. Il peut donc juger du soutien que sonpeuple lui apporte, ainsi quune partie de la communaut internationale.

    Entrer en contact avec les nationalistes malgaches qui ne peuvent lui apporterquun soutien symbolique, cest prendre le risque dun nouvel loignement.Mohammed V a dj t trs perturb par le passage de la Corse Madagascar, et a tout de suite fait part de sa volont de rester sur la Grandele pour limiter les dgts La fusion entre les aspirations marocaines etmalgaches na donc pas lieu physiquement . Cependant, la crisemarocaine passionne Madagascar, mais pour des raisons diffrentes, tant lescolons que les nationalistes.

    I I I . Le Maroc inquiteet passionne Madagascar

    Entre aot 1953 et novembre 1955, le Maroc occupe une place considrabledans la presse Madagascar58. La crise daot 1953 est suivie en dtail.Larticle Le sultan du Maroc perd ses fonctions de chef religieux complte le titre la une qui cite le gnral Guillaume : Je fais appel touspour que le calme revienne ( France-Madagascar, 18 aot 1953). Quelquesjours plus tard La (sic) sultan a t dpos hier par le gnral Guillaume ,

    avec ce sous-titre caractristique dun milieu colonial qui veut se rassurer:contact. Elle nous conforte seulement dans notre analyse, mais nous restons ouvert toute volution sur ce sujet.57. Max Jalade, op.cit., page 126, nous prcise mme que ses pouseslaccompagnaient et buvaient, elles aussi, une boisson non alcoolise, mais en restant dans la voiture , restant ainsi invisibles58. Tous les journaux cits dans cette partie ont t consults aux Archives de laRpublique de Madagascar (ARM). Nous navons pas pu nous livrer une tudestatistique exacte, les collections ntant pas compltes. Cependant, pour les journauxcoloniaux tels Tana Journalou France-Madagascar, ce sont plus de la moiti desexemplaires conservs qui consacrent un article au royaume chrifien.

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    Aucun incident na marqu son dpart (France-Madagascar, 21 aot1953). Larticle qui suit contredit dune certaine manire la une :

    Il a donc t loign par la Rsidence gnrale mais celle-ci ne la pasdpos. Ce nest pas son rle Le nouveau sultan sera donc intronis suivantles rites en usage au Maroc dans les dlais les plus brefs puisque, lexceptionde six dentre eux, les cads et pachas sont daccord .

    Simple reprise de la position de la France, qui veut se persuader quilsagit dune affaire entre Marocains. Et lautosatisfaction coloniale saffirmetrs vite en dclarant que la crise marocaine semble rsolue : le calme leplus complet rgne dans le pays (France-Madagascar, 24 aot 1953). Cetteide deviendra un vritable leitmotiv avec, par exemple, un article fin

    septembre, Pas dimmixtions trangres au Maroc , qui, sappuyant sur lenouveau conseiller linformation du gouvernement marocain, rappelle quenombre de Marocains dsapprouvaient sa [ Mohammed V] conduite entant que souverain et aussi comme chef religieux ( France-Madagascar, 29septembre 1953). Cela nempche pas de rechercher la caution depersonnalits trangres, pas toujours de premier plan, comme James Parley, ancien prsident du Parti dmocrate amricain qui, aprs une tourne auMaroc, dclare, ce qui fait office de titre en premire page : La situation auMaroc est parfaitement calme (France-Madagascar, 25 septembre 1953).

    Mohammed V nest plus que l ex-sultan , le seul vritable tantmaintenant Ben Arafa. Ds lors, la situation marocaine est analyse selon leschma simpliste lgalit/terrorisme car, bien videmment, le calme est loinde rgner ! Le 12 septembre 1953, France-Madagascarrend compte de latentative dassassinat contre le sultan du Maroc . Tentative bien artisanale,un homme ayant essay de renverser le cheval du sultan en lanant sa voituresur le cortge. Sortant du vhicule un couteau la main, il est abattu. Bilan :deux policiers blesss par des balles perdues. Un premier encart affirme : Lagresseur est un fanatique agissant isolment . Mais, comme pour

    rquilibrerune analyse politiquement peu satisfaisante, un deuxime encarttitre sur la mme page : Lagresseur du sultan tait membre de lIstiqlal .Lennemi est identifi et le complot est patent. Pour preuve, lagresseur estall la veille faire aiguiser son couteau chez un voisin cordonnier qui est, defait, dfr au parquet. LIstiqlal, et derrire lui, Mohammed V ne peuventavoir que des intrts contraires ceux du Maroc et de la France. Ainsi, aprs lattentat de Casablanca, Marocains et Franais sont unis pour luttercontre le terrorisme (France-Madagascar, 30 dcembre 1953). Toujours lesterroristes de lIstiqlal, face des personnalits marocaines qui, dans un

    tlgramme au Gnral Guillaume, affirment leur attachement la causefranco-marocaine . Cependant, on ne parle dj plus dun Maroc o tout est

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    parfaitement calme.Dans cette analyse gouvernementale et colonialiste de la situation du

    Maroc, quest devenu Mohammed V ?Lopposition de lEspagne la politique franaise et son soutien

    Mohammed V, sultan lgitime , dchanent les passions au dbut delanne 1954, mettant en mme temps fin au silence enveloppant lex-sultandepuis son dpart pour la Corse. LEspagne contre la France : legouvernement de Madrid soutient les protestations des chefs politiques etreligieux de Ttouan contre le sultan nomm Rabat (France-Madagascar, 22 janvier 1954). Le ton monte dans les jours qui suivent. Ledictateur de Madrid pche en eaux troubles : les dclarations du petit

    caudillo59de Ttouan jointes lattitude du gouvernement espagnol attirentplutt le mpris des divers milieux trangers et franais ( France-Madagascar, 23 janvier 1954). Pour justifier le bien-fond de sa politique, laFrance oppose son bilan (dj les aspects positifs de la colonisation !) celuide lEspagne : Ralisations franaises et jalousie espagnole ( France-Madagascar, 26 janvier 1954). Ce mme jour, Mohammed V rapparat dansles colonnes du journal le plus lu de Madagascar 60. Un petit article, titrant Lexil de lancien sultan du Maroc annonce quil vient de se rendre Bastia avec ses fils pour y prendre lavion. Aucune destination nest avance,

    pas plus que le lien entre la crise diplomatique avec lEspagne et le nouveaudpart de Sidi Mohammed. Lex-sultan du Maroc est attendu Madagascar est un des titres de la

    une du 27 janvier 1954 (France-Madagascar) associ, comme nous lavonsvu plus haut, au petit article Les milliards du sultan .Larrive est un vnement : Une exclusivit France-Madagascar:

    LEX-SULTAN DU MAROC MADAGASCAR. Comme nous leprvoyions mercredi, Sidi Mohammed Ben Youssef est arriv hier matin Arivonimamo avec sa suite (30 janvier 1954). Les prparatifs font lobjet

    dun compte rendu dtaill : Vers 9 heures, des camions de gardes de Madagascar, de troupes et degendarmes arrivrent sur le terrain daviation malgache et commencrent faire vacuer larodrome et ses environs immdiats. 10 heures, lespersonnalits du haut-commissariat [] arrivrent sur les lieux Puis leservice dordre fut mis en place et, cependant que deux gendarmes arrtaientles voitures au carrefour de la route de Tananarive et de la route menant

    59. Petit Caudillo dsigne le gnral Valino, gouverneur de Ttouan, capitale de lazone espagnole du Maroc.60. Bandeau qui apparat priodiquement ct du titre France-Madagascar, quotidien dinformation .

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    laroport, des militaires en armes taient posts de part et dautre de lapiste

    Comme pour tout bon reportage, il faut de lmotion et du suspense : Une catastrophe fut vite de justesse, au milieu de lmotion gnrale,lorsque lavion DC3 du haut-commissariat remontant vers le parking faillitentrer en collision avec le Junker militaire command pour le transport desbagages des arrivants et qui se prparait atterrir. Laccident fut vit grce la dextrit du pilote qui redressa son appareil dans une magnifique ressourceet passa en rase-mottes au-dessus des arbres. Aux abords immdiats duterrain, des Sngalais faisaient reculer les curieux et surtout lesphotographes

    Et enfin, cest larrive, que lon rattache des souvenirs rcents : 10h.45, le DC4 FA, le mme qui avait amen dernirement le gnral deGaulle Madagascar, avec le mme commandant de bord, apparut au-dessusde laroport et atterrit 10 minutes aprs, le fils an de lancien souveraindu Maroc descendit lchelle de coupe, vtu dun complet bleu sombre,portant sur le bras une gabardine bleu ciel et les yeux cachs derrire deslunettes noires. Le jeune homme volua quelques instants en hsitant sur leterrain puis remonta dans lappareil. Peu de temps aprs, Sidi Mohammed BenYoussef descendait terre accompagn de ses deux fils Puis apparurent lesneuf femmes accompagnant lex-sultan, toutes vtues de la mme gandouragrise mais ayant chacune les traits couverts dun voile de couleur diffrente ;toutes portaient la main le mme petit sac de voyage

    Lescale Tananarive est de trs courte dure. Larticle ne souligne pasquaucun honneur militaire nest rendu, pas plus que labsence du Haut-commissaire :

    Un th fut alors servi dans larogareo la convoyeuse de lavion fut inviteet au cours duquel le fils de Sidi Mohammed remercia en une courteallocution lquipage qui les avait transports. Pendant ce temps, les bagagesdes arrivants, en nombre considrable, taient placs bord du Junkermilitaire qui prenait lair en compagnie dun Dassault et dun second Junker.

    11 heures 27 enfin, lex-sultan, ses deux fils et les neuf femmes de sa suitesembarqurent bord du DC3 du haut-commissariat qui dcolla en directiondAntsirabe.Les voyageurs sont descendus au Centre daccueil militaire de cette ville oils doivent sjourner quelques temps .

    Ne bnficiant pas de lexclusivit de France-Madagascar, le JournaldeMadagascarest nettement moins prolixe sur lvnement qui ne bnficeque dentrefilets dans la petite rubrique Trois jours dans le monde .(27 janvier 1954, le dpart de Corse ; 30 janvier : Lex-sultan du Maroc

    [] est arriv [] Brazzaville[], il partira pour Madagascar do ilgagnera sa rsidence dfinitive Tahiti ou en Nouvelle Caldonie ;

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    3 fvrier : Lancien souverain du Maroc parti de Brazzaville est arriv Arivonimamo dans la matine de vendredi )61.

    Ds lors, la presse coloniale se dsintresse de Mohammed V. Soninstallation dfinitive Antsirabe ne fait lobjet daucun article62. Ce nestpas le cas de la crise marocaine qui, elle, continue occuper les unes mais enoccultant lex-sultan, Ben Youssef tant devenu notre ennemi 63.Il est impossible de ne pas voquer la personne de lancien sultan pour

    certains sujets. Ainsi, loccasion de la ptition des 124 personnalitsmarocaines envoye au rsident gnral Francis Lacoste, le Tana-Journal,tout comme France-Madagascar(28 juillet 1954), reprend lextrait de lamissive soulignant que le dialogue entre les deux pays ne pourra tre

    fructueux quen abordant franchement et sans quivoque le problme pospar la dposition de S.M. Sidi Mohammed Ben Youssef. Ni lun, ni lautre,ne rappellent en cette occasion la prsence Madagascarde lexildAntsirabe. Il en sera ainsi durant toute la priode qui nous intresse.

    De janvier 1954 septembre 1955, la presse coloniale, ne profitant pas dela singularit que pourrait lui donner la prsence de Mohammed V, reproduitune image sans originalit de la situation au Maroc (souvent englob dansune prsentation gnrale de lAfrique du Nord). Ainsi, alternent la litaniedes attentats terroristes et les messages rassurants, voulant donner

    lillusion dune situation matrise ( Devant 2000 cavaliers des tribus, lesultan du Maroc arrive Marrakech o il est reu par la foule enthousiaste ,France-Madagascar, 27 fvrier 1954 ; Au Maroc, les ftes de lAd ElKebirsont clbrs avec clat , France-Madagascar, 12 aot 1954 ; etc.).

    Certains vnements ont un cho particulier: lassassinat deM. Lemaigre-Dubreuil (France-Madagascar, 13 et 16 juin 1955) et surtoutles massacres dOued Zem (France-Madagascar, 22 et 23 aot 1955). Lesdeux vnements semblent se faire cho, focalisant la peur des extrmistesdes deux bords. Lemaigre-Dubreuil, journaliste, partisan dun rapprochement

    entre Franais et Marocains, est victime, comme le dclare Pierre July,ministre des Affaires tunisiennes et marocaines, du contre-terrorisme qui,encore une fois, dshonore la France (article Les affres du terrorisme

    61. Pour la priode de larrive de Mohammed V, les collections du Tana-Journalsont manquantes aux ARM.62. Sous rserve des lacunes des collections dposes aux ARM. Cependant, au vudes dpouillements que nous avons faits, un tel article semble trs improbable.63. Tana-Journal, hebdomadaire illustr dinformation , pour la prsence etdfense des intrts franco-malgaches , le 20 mai 1955. Extrait dun articleinitialement publi parLAurore : La situation en Afrique du Nord inquite legouvernement .

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    marocain , 13 juin 1955). Contre-terrorisme , terme particulirementchoquant qui semble lgitimer une violence face une autre, qui serait la

    seule vraiment terroriste.Avec les massacres dOued Zem, on entre dans la peur coloniale. Le

    22 aot, en gros titre, Oued Zem, 50 Europens tus dont plusieursfemmes et enfants et de trs nombreux blesss . Une dclaration de PierreJuly fait office de sous-titre : Ce qui vient de se passer relve de lasauvagerie tout court . Le lendemain, en lettres tout aussi grosses : Letriste bilan officiel des victimes des massacres des 20 et 21 est de 95 tus et20 blesss europens . Touchant de petits colons installs dans le bled outravaillant lusine des phosphates de Khourigba, la tuerie de Oued Zem est

    particulirement ressentie Madagascar. Le traumatisme de 1947 est encoretrs proche et lon est en plus en pleine campagne pour lamnistie descondamns. Dans ce cadre, les massacres qui clatent loccasion dudeuxime anniversaire de la destitution de Mohammed V nincitent pas lapresse coloniale de Madagascar la modration pour lexil dAntsirabe. Ensous-titre de louverture de la confrence dAix-les-Bains, nous pouvonslire : Un retour de Ben Youssef sur le trne ne doit pas tre envisag (France-Madagascar, 24 aot 1955). La situation va cependant voluerrapidement.

    En effet, comme lavait pressenti Gilbert Grandval64

    ds sa nomination auposte de rsident gnral Rabat en juin 1955, la confrence dAix-les-Bainsimpose au gouvernement dEdgar Faure quaucune solution nest possiblesans passer par Mohammed V (France-Madagascar, 27 aot 1955 : Laquestion du trne doit tre rgle avant tout, dclarent les reprsentants delIstiqlal). Pour les Franais de Madagascar, au fil des articles, lIstiqlalnest plus un mouvement terroriste mais un interlocuteur lui aussiincontournable. Lide du retour du Mohammed V fait son chemin (France-Madagascar, 30 aot 1955, Le dpart de Ben Arafa et le transfert de Ben

    Youssef en France sont rclams par le PDI65

    ). Cependant, la pressecoloniale sobstine ignorer la prsence de Sidi Mohammed sur le solmalgache. La mission du gnral Catroux et la venue dune dlgationmarocaine font sauter ce dernier blocage, rvlant ainsi que Madagascar est

    64. Le 21 juin 1955, France-Madagascarprsente une Biographie de M. Grandval,futur Rsident de France au Maroc . Six semaines plus tard, sa dmission fait lobjetdun grand article : Les affaires marocaines : le rsident gnral Grandval aofficiellement dmissionn ; le gnral Boyer de Latour le remplace Rabat (France-Madagascar, 1er septembre 1955).65. Parti Dmocratique de lIndpendance.

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    au cur de la crise marocaine. La seule succession des Unes nous permetsuivre cette mise en lumire :

    Une dlgation marocaine viendrait Madagascar consulter Ben Youssef (France-Madagascar, 2 septembre 1955). Une dlgation de personnalits marocaines arrive aujourdhui Tananarivepour rencontrer lEx-Sultan66 Sidi Ben Youssef (France-Madagascar,5 septembre 1955). Pendant que le gnral Catroux, ambassadeur de France, sentretient Antsirabe avec lex Sultan Ben Youssef, le gnral Boyer de Latour (France-Madagascar, 6 septembre 1955). Rien ne transpire dAntsirabe o les entretiens continuent. Un premierrapport a t envoy Paris par le gnral Catroux ( France-Madagascar,

    7 septembre 1955). Le secret est toujours observ sur les entretiens dAntsirabe qui seraient surle point de se terminer. Un nouveau rapport a t envoy au gouvernement.Deux membres de lIstiqlal sont attendus Antsirabe (France-Madagascar,8 septembre 1955). La dlgation marocaine a quitt Antsirabe. Les entretiens continuent entrele gnral Catroux et lex-sultan (France-Madagascar, 9 septembre 1955). Une dlgation du Parti Dmocratique de lIndpendance au Maroc arrivecet aprs-midi Arivonimamo. Les entretiens dAntsirabe sont sur le point dese terminer: le gnral Catroux quitterait le territoire aujourdhui ou demain

    (France-Madagascar, 10 septembre 1955). Les entretiens dAntsirabe ont trouv leur conclusion Sidi MohammedBen Youssef et sa suite quitteraient Madagascar vers le 25 septembre. Ladlgation du PDI a eu une premire conversation avec lex-Sultan.Contrairement ce qui avait t annonc, une dlgation de lIstiqlal arriveaujourdhui Tananarive (France-Madagascar, 12 septembre 1955).

    Durant les entretiens et jusquau dpart dfinitif du sultan le 30 octobre1955 (dpart annonc imminent le 21 novembre par le Tana-Journalmaisrepouss pour raisons mtorologiques), aucun article ne sera consacr la

    vie de Mohammed V Antsirabe. Pendant ce dernier mois, la presse sattardesur les dernires tentatives du pacha de Marrakech pour imposer le maintiende Ben Arafa67, avec le soutien de Boyer de Latour68, plus que de la France,Edgar Faure ayant fait son choix69.

    66. Toutes les variations dans lorthographe de ex-sultan ne font que reprendre ladiversit que lon trouve dans les titres.67. titre dexemples, toujours en une de France-Madagascar: "Je ne connaisquun sultan : Sidi Mohammed Ben Moulay Arafa", aurait dclar le Glaoui (13septembre 1955) ; Un communiqu du Palais imprial raffirme la volont du sultanBen Arafa de se maintenir sur le trne (15 septembre 1955)

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    Le 24 septembre, un article en pages intrieures se risque une critiquede la politique franaise au Maroc (France-Madagascar, Le drame

    marocain , par Jean-Claude Boustra, sans doute repris dun journalmtropolitain). Le lecteur de Madagascar y trouve expliqu ce qui lui achapp depuis le dbut :

    Que le sultan actuel [Ben Arafa] soit impopulaire, quil soit ignor dans lepeuple, cest un fait Mais peut-tre lvnement le plus important estlincroyable popularit du souverain dpos qui,dAntsirabe, peut ramener lecalme et la tranquillit dans son ancien royaume comme au contraire leplonger dans une guerre civile atroce

    Cest seulement le 16 novembre 1955 que lon peut lire dans France-

    Madagascarun article de Norbert Zafimahova (snateur)70, De lAfriquedu Nord Madagascar , mettant en parallle les deux territoires (ensappuyant plus sur le cas tunisien). Le propos est simple : il faut viter derpter Madagascar les fautes commises en Afrique du Nord.

    Nul aujourdhui ne peut assurer en effet que le calme dont jouissentlAfrique noire et Madagascar puisse durer indfiniment si lon ne fait riendans le sens du progrsPourtant lhistoire coloniale de ces dernires annes devrait apprendre que lesmasses autochtones ont pris [] conscience de leur existence et quon nesaurait indfiniment repousser les solutions de justice quelles sont en droitdattendre.Madagascar en est ce carrefour[] des rformes quil ne faut plus tarder appliquer [] ltablissement ducollge uniqueCest l une attitude en accord avec son pass et cest le souhait de tous lesMalgaches qui se refusent la haine, au sparatisme, de tous ceux qui veulentrester franais.

    68. Boyer de Latour sera remplac la rsidence gnrale le 8 novembre 1955 parAndr-Louis Dubois.69. Le problme est maintenant dobtenir le dpart de Ben Arafa sans perdre la face.Le 20 septembre 1955, le grand titre de France-Madagascarest : Le colonel Touyavenant de Paris a eu un entretien Antsirabe avec lex-sultan Ben Youssef. "Nous nepouvons aller aussi vite que nous le voudrions. Il y a des questions de personnes,dlicates rsoudre", a dclar le prsident Edgar Faure .70. Norbert Zafimahova fut snateur de Madagascar de 1948 1958. lu en 1948sous ltiquette Padesm (Parti des dshrits de Madagascar), il sige dans le groupedes indpendants dOutre-Mer (voir la bibliographie sur le site : www.senat.fr).Prsident de lAssemble constituante et lgislative de Madagascar partir du 16octobre 1958, candidat la prsidentielle contre Philibert Tsiranana en 1959, il meurtle 3 juillet 1974 dans un accident davion.

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    Madagascar doit viter le pige nord-africain. Cest bien langoisse quervle depuis deux ans cette passion de la presse coloniale pour les

    vnements du Maroc. En mme temps, elle nest pas capable de saffranchirde rflexions scuritaires, sans doute hante par le souvenir de 1947, qui laconduisent, avec le soutien de ses lecteurs, suivre aveuglment la positiondu gouvernement franais. Ainsi, en mme temps quelle se passionne pourle sujet, elle occulte le personnage de Mohammed V malgr sa prsence Antsirabe.

    Passionn tout autant par le sujet, le positionnement de la pressenationaliste sera bien videmment trs diffrent. Nous avons travaill avecdes journaux suivants dans les collections des ARM : Antsonny Nosy

    (Hebdomadaire populaire 71 dont seuls les numros de janvier/fvrier 1954sont disponibles) ; Ny Antsika(Anne 1954, journal dans la mouvance dePhilibert Tsiranana, futur prsident de Madagadcar) ; Imongo Vaovao(Hebdomadaire proche du Parti Communiste, auquel collabore GisleRabesahala. De juin novembre 1955, 13 numros y abordent la questionmarocaine) ; Voromahery(journal du PADESM72, pour lequel nous navonsque quelques numros isols pour la priode qui nous intresse) ;Fandrosoam-baovao(Hebdomadaire nationaliste modr, lgaliste etanticommuniste, dont la collection est complte pour 1955. Durant cette

    anne, 26 numros consacrent des articles au Maroc) ; Malagasy Vaovao(Quotidien dirig par Arsne Ramahazomanana, futur membre fondateur delAKFM73. La collection est quasiment complte pour les annes1954/195574, durant lesquelles plus de 150 articles traitent du Maroc et deMohammed V).

    Seul Ny Antsikase dsintresse de la question marocaine75, prfrant, enjuin-juillet 1954, suivre de ville en ville le voyage en France de PhilibertTsiranana.Le 9 fvrier 1954, loccasion de larrive de Mohammed V

    Madagascar, Antsonny Nosy le qualifie de souverain dtest de son71. Journal nationaliste de gauche, proche des milieux socialistes.72. PADESM, PArti des DEShrits de Madagascar. Voir Jean Roland Randriamaro, Entre collaboration et rsistance : le PADESM , pages 47 66, Tsingyn8, 2008.73. Antokony KongresinnyFahaleovantenani Madagasikara : Parti du Congrs pourlIndpendance de Madagascar, fond en 1958 Tamatave.74. Il manque : mai et juin 1954 ; novembre, dcembre 1954 et janvier 1955 ; et hlaspour notre sujet juillet et aot 1955.75. Deux articles abordent le Maroc sous une axe trs colonial : le 24 avril 1954, Casablanca, ville tmoin , et le 30 avril 1954, Une prsence franaise au Maroc :lhpital Cocard (Fs) extraits de ParolesdeFrancede Raoul Follereau.

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    peuple 76. Cette perception ngative ne reflte pas lorientation gnrale dela presse nationaliste, qui soutient Mohammed V, et accorde beaucoup plus

    dimportance que la presse coloniale la prsence du sultan Antsirabe. LeMalagasy Vaovao(31 janvier 1954) dnonce la situation cre par la France.Le 5 fvrier, il sinterroge : Le sultan (et jamais lex-sultan ) va-t-il rester Madagascar ? Ce ne serait pas bien pour les Malgaches que leur paysdevienne une terre dexil, une prison au moment mme o ils rclament leretour de leurs dputs, Raseta et Ravoahangy, eux-mmes embastills dansla forteresse de Calvi en Corse77. Nous sommes en effet, comme nous lavonsdj soulign, au moment o circulent les ptitions pour lamnistie de tous lescondamns des vnements de 1947. Dans les jours qui suivent, nous

    trouvons dans Malagasy Vaovaode petits articles de proximit , qui fontdfaut dans la presse coloniale. Le sultan est choy Antsirabe, o lavaisselle en porcelaine du centre daccueil est remplac par de largenterie.On y installe aussi des tapis en laine, et des rfrigrateurs78. Le journalrapporte galement cette curieuse comparaison dun journaliste franais entreles exigences (exorbitantes) de Mohammed V et celles (beaucoup plusmodestes) de Ptain, quand il tait dtenu !79. Le deuxime article souligneque 40 familles vazahaont d quitter le centre pour laisser la place. Politessetrs malgache, il ne faut oublier personne . Il est encore question que

    lexil parte pour Tahiti, petit Paradis , mais le sera-t-il pour le Sultanexil ?80 Deux semaines plus tard, il apparat que Mohammed V va sinstallerplus durablement que prvu Antsirabe. Nous suivons alors les prparatifspour linstallation lhtel des Thermes81. La semaine suivante, le 27 mars1954, le journal formule le souhait que Mohammed V soit rapatri. Legouvernement franais fut sans doute sensible largument : les ftes de

    76. Dans un petit article en pages intrieures Any Maroka. (Toutes les traductions

    pour le paragraphe qui suit ont t effectues par Lanto Ranaivosoa)77. Pages intrieures du Malagasy Vaovaodu 5 fvrier 1954, article Hipetrakamihitsyeto amintsika venySultan Youssef (Est-ce que le sultan Youssef va resterdfinitivement chez nous ?)78. Malagasy Vaovao, 9 fvrier 1954, article Ny Mpanjakani Maroka (Le Roi duMaroc).79. Faisant certainement (car le journaliste malgache suppose quil sagit de Ptain,son collgue franais, parlant dun Marchal: la source nest pas prcise !) rfrence la rsidence surveille de lIle dYeu, o Ptain dcde en 1951.80. Malagasy Vaovao, 11 fvrier 1954, article Any Tahiti ihany.81. Malagasy Vaovao, 18 mars 1954, article en premire page Ny Sultani Marokataloha. A noter une confusion qui persistera, lhtel des Thermes tant appel htel Terminus .

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    Pques approchent, et il faut que les Malgaches puissent profiter de lhteldes Thermes82. Entre humour bon enfant et considration pour le monarque

    marocain, le ton est donn, bien diffrent de celui de la presse coloniale.Jusquen septembre 1955, Malagasy Vaovaosuit assidment les vnementsdAfrique du Nord, mlant souvent Tunisie et Maroc. Pour les derniers moisde Mohammed V Madagascar, suivons galement les positions deFandrosoam-baovaoet dImongo Vaovao.

    La prsentation parFandrosoam-baovaode la rencontre avec le gnralCatroux se fait sur un ton plutt neutre (9 septembre 1955). Neutralit certes,mais en parlant toujours du sultan Ben Youssef (et non de l ex-sultan comme le fait au mme moment France-Madagascar), et en regrettant que

    les ngociations navancent pas assez vite (23 septembre 1955).Le ton est beaucoup plus militant Imongo. Les entretiens avec Catroux

    doivent ouvrir une rflexion plus large que le simple Maroc. CestAntsirabe qui va rgler la question des colonies franaises 83 (9 septembre1955). Imongosalue laction des partis nationalistes marocains et RoiSidi Mohammed grce qui toutes les colonies doivent tre optimistes .Toujours dans son dition du 9 septembre, alors que le Sultan est Tananarive, et peut y rencontrer des journaliste de Paris , Imongodnoncequil ny a aucune information pour les journalistes malgaches. Il appelle le

    Syndicat de Presse protester auprs des autorits franaises pour la dfensede la libert de la presse.Lvolution au Maroc permet le retour de la libert politique et de la

    dmocratie, en particulier pourImongoavec lautorisation du PartiCommuniste Marocain ( isanizany ny Antoko Komonista Maraokana ,4 novembre 1955). Le 11 novembre Imongoannonce la fois leremplacement de Boyer de Latour par Dubois, comme Rsident Gnral Rabat, et le retour du Sultan au Maroc pour le 16. Autant dvnements quimettent fin la crise marocaine.

    De son ct Malagasy Vaovaosouligne au moment des entretiens avecCatroux que le monde entier regarde Antsirabe (8 septembre 1955) ce quilamne sinterroger sur Antsirabe et son mystre ( Antsirabesy nymisiteriny, 13 septembre 1955). En effet, comment expliquer que le mondesoit braqu sur cette petit ville thermale et que sur place, rien ne semble

    82. Malagasy Vaovao, 27 mars 1954, article Mihetsika indray ny ao Maroka. Plussrieusement, avant de se soucier des ftes de Pacques des Malgaches, le journaldemande bien videmment le retour du sultan pour le bien du Maroc.83. Titre de larticle dImongo: Antsirabe, ve no hitondra fandrindrana aminnyraharahanny zanatany frantsay,

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    se passer, la vie continuant indiffrente Le 15 octobre, en commentant lesrsultats du vote lassemble nationale (voir plus loin), le journal titre :

    Sambatra lahy Marokae! ( Que le Maroc est heureux ! )La presse nationaliste sest indniablement beaucoup mieux approprie la

    crise marocaine, et la prsence de Sidi Mohammed Antsirabe que la pressecoloniale, qui reste muette sur ce dernier point. Silence sur lexil deMohammed V dautant plus surprenante que des personnalits en missionpour la France se sont succd sur les hauts plateaux malgaches.

    I V . Antsirabe,capitale du Maroc

    Ds le 20 aot 1953, la France est de fait en situation dchec. Le gnralGuillaume na pas obtenu labdication de Mohammed V. Le clan autour dumarchal Juin essaie de se persuader que Ben Arafa est lgitime et soutenupar la population. Les premiers mois dexil en Corse sont bien des moisdisolement dans des conditions assez pnibles. Par contre, au moment delarrive Antsirabe, la situation a dj beaucoup volu. Ben Arafa estrejet par les Marocains et laura de Sidi Mohammed ne fait que grandir.Mme si le gouvernement franais ne peut ladmettre, il devient vite vident

    quaucune solution la crise marocaine nest possible sans lex-sultan .Antsirabe devient de fait la capitale du Maroc !En Mars 1954, le gouvernement envoie Antsirabe Lemarle, qui a le rang

    de ministre plnipotentiaire. Sa mission est dobtenir labdication deMohammed V, contre une installation en France, avec tous les honneurs.Pour obtenir satisfaction, le gouvernement opre un vritable chantage sur lesbiens du sultan, comme nous lavons dj voqu. Il nest donc passurprenant que ladministrateur-sequestre, M. Rouyre accompagne leministre. De son ct, Sidi Mohammed est assist de son fils, et de Si

    Maamri (ancien prcepteur du Roi, puis de ses fils), qui a t autoris accompagner le ministre de la France84. Lemarle comprend trs vite quilnobtiendra pas labdication. Cette premire ngociation Antsirabe aboutitdonc un compromis.

    A lissue des conversations que Nous avons eues avec vous en tant queplnipotentiaire du Gouvernement Franais, Nous Nous engageonssolennellement Nous abstenir, Nous et Nos enfants, de toute activitpolitique, spcialement de tout acte de nature troubler lordre au Maroc, enFrance et dans les territoires de lUnion Franaise.Nous dsirons en particulier prciser que Nous dmentirions toute parole ou

    84. Dpche AFP du 24 avril 1954, ANOM, Madagascar, pm 266.

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    crit qui Nous seraient attribus et qui seraient en contradiction avec cetengagement.

    Nous rfrant Notre lettre du 24 aot 1953 adresse Son ExcellenceM. Georges Bidault, Nous dclarons comprendre parfaitement les considrationsde scurit et dordre public qui simposent au Gouvernement de la Rpubliqueet que nanmoins ces consignes ne nous paraissent pas inconciliables avec lalibert dont bnficient ceux qui sont les htes de la France.Dans cet ordre dides, Nous constatons avec satisfaction que les