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    RECHERCHESREGIONALES

    ---

    Alpes-Maritimes

    et

    Contres limitrophes

    SOMMAIRE 37e anne

    1996 N4Octobre-dcembre

    138

    Lasile dalins des Alpes-Maritimes et la vie lasile de 1860 1914

    par Frdric DUCLOS p. 2

    Roquesteron de 1914 1945par Eric TRENTA p. 33

    Lanne 1936 au travers dun journal dextrmedroite : laction patriotique de Nice et des Alpes -Maritimes

    par Matthieu PEREZ et Franois GOERTZ p. 55

    Viviane ELEUCHE-SANTINIPar Jean-Bernard LACROIX p. 63

    Constant BIANCHIPar Jean-Bernard LACROIX p. 66

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    L'ASILE D'ALIENESDES ALPES-MARITIMES

    ET LA VIE A L'ASILEDE 1860 A 1914

    Frdric DUCLOS

    Rsum d'un mmoire de matrise prpar sous la direction

    de M. Schor et soutenu la Facult des Lettres de Nice

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    L'Etat ne s'intressa de prs aux alins, "les insenss" de l'Ancien Rgime, et leur prise en

    charge qu' partir de la fin du XVIIIe sicle ; pourtant, il fallut attendre la premire moiti du XIXe

    sicle pour que soit pos le cadre fondamental de l'assistance porter aux alins. Or, celui-ci fut

    dpartemental. En effet, la loi du 30 juin 1838 prvoit que "chaque dpartement est tenu d'avoir un

    tablissement public, spcialement destin recevoir et soigner les alins, ou de traiter cet

    effet, avec un tablissement priv ou public soit de ce dpartement, soit d'un autre" (1) afin que le

    prfet y plat les alins qui commettaient des dlits ou compromettaient l'ordre et la scuritpublics.

    C'est cette obligation juridique qui entra en vigueur dans le dpartement des Alpes-

    Maritimes au lendemain du rattachement du comt de Nice la France, et de la dcision du Second

    Empire de l'organiser en un dpartement part entire, en lui adjoignant l'arrondissement varois de

    Grasse. Mais quelles taient les conditions des alins dans la rgion avant la cration de ce

    dpartement et comment tait gre la "question des alins" ? Finalement, ils semblent avoir eu

    des situations trs proches, pour ne pas dire semblables. Effectivement, le dpartement du Var,

    jusqu'en 1860, faisait interner ses alins dans des asiles des Bouches-du-Rhne ; le comt niois

    les plaait dans un tablissement spcialis (le "manicomio") de Gnes ou de Turin. Donc, de part

    et d'autre du fleuve le Var, par manque de structures, les autorits locales expatriaient leurs alins.

    En 1860, le nouveau dpartement des Alpes-Maritimes hrita de cette situation, et,

    conformment la loi, le prfet dut passer un trait avec un tablissement d'un autre dpartement ;

    celui-ci s'engageait traiter et soigner les alins pour lesquels la prfecture des Alpes-Maritimes

    demandait un internement, moyennant un prix quotidien de pension. Le dit trait fixait en outre le

    nombre de place mises disposition pour les malades des Alpes-Maritimes, et la priode de validit

    des conventions ainsi prises. Nanmoins, cet tat de choses ne satisfit pas longtemps les autorits

    dpartementales, car en peu de temps les demandes d'internement et les prix de pension

    augmentrent, amenant par l des dpenses de plus en plus importantes qui taient supportes par le

    budget dpartemental ; en effet, en moins de deux ans, de 1860 1862, la somme alloue au service

    des alins s'accrut de plus de 30%. Ces dpenses taient d'autant plus proccupantes qu'en 1862,d'aprs le prfet Gavini de Campile, c'tait celles qui avaient le plus augment depuis la mise en

    vigueur du rgime franais. Le mme prfet pensait que les causes de cette augmentation rsidaient,

    bien entendu dans les demandes d'admission toujours plus nombreuses qui lui taient adresses -par

    les proches des alins, le procureur ou les maires des communes-, dans l'accroissement du prix de

    pension des asiles, et dans les frais de transports des alins, de l'hpital de Nice aux asiles de

    Marseille ou de Montdevergues (Vaucluse), mais surtout dans le fait que ces tablissements, loin de

    l'autorit qui les avait placs et donc non soumis son contrle, pouvaient retenir indment les

    alins des Alpes-maritimes au-del de leur gurison, ou ne pas prodiguer les soins ncessaires en

    vue de leur rtablissement. Ce qui semblait donc proccuper la prfecture, c'tait de ne pas pouvoir

    contrler de prs ces tablissements auxquels elle versait des sommes d'argent importantes, tant

    donn que ce contrle, cette surveillance, n'tait pas de son ressort, mais c'tait le prix payer pour

    tre en conformit avec la loi.

    Ds lors, en 1862, la prfecture chercha une solution locale aux problmes que posait le

    service des alins en disposant d'un asile qu'elle pt contrler ; elle contacta dans ce but son

    homologue du dpartement du Var, qui se trouvait dans la mme situation, pour crer un asile

    dpartemental public la limite des deux dpartements, mais le projet n'aboutit pas. Finalement, il

    semblerait que ce soit par hasard qu'une congrgation religieuse, spcialise et fonde pour porter

    assistance aux alins, ft amene crer un asile dans les Alpes-Maritimes ; en s'appuyant sur la

    bonne foi de l'abb Gandon (2), au dbut des annes 1860, la congrgation de Sainte-Marie de

    l'Assomption disposait dj de trois tablissements (3) et cherchait en crer un quatrime, or un

    ami du suprieur de la congrgation, venu Nice pour y passer ses vacances, recommanda ce

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    suprieur, le pre Bal, la rgion nioise. Le suprieur prit donc contact avec le prfet et lui fit part

    de sa volont ; celui-ci ne pouvait que l'encourager. Cest ce qu'il ft en "l'assurant de son soutient

    et en lui promettant de tout faire pour que les alins du dpartement lui soient confis." (4)

    Satisfait de ces conditions, le suprieur chercha un site idal pour y implanter un tel

    tablissement. Or, il ne fut pas cr ex-nihilo : le pre Bal acheta pour 30 000 francs M. Quaglia

    une maison de campagne situe moins d'un kilomtre au sud du hameau de Saint-Andr, juste auniveau de la confluence du ruisseau de Saint-Andr et de la rivire du Paillon ; le nouvel asile se

    situait donc trois kilomtres au nord-est de la ville de Nice. Cette proprit prsentait un certain

    nombre d'avantages par rapport au traitement spcifique des alins : 'loignement de toute

    agglomration humaine, l'implantation au fil d'une valle largement ventile assurait en

    permanence le renouvellement de l'air, et surtout la prsence d'une source d'eau. Au rang des

    inconvnients, son assiette topographique faisait dfaut : la maison tait adosse une colline

    leve et abrupte, la seule partie plane dont l'asile disposait tait un terrain troit et long, enserr

    entre cette colline et le Paillon ; ensuite l'tablissement tait orient est-sud-est, ne profitant

    qu'imparfaitement du rayonnement solaire ; puis il tait implant dans une valle, la valle du

    Paillon, caractrise par un micro-climat plus svre que celui dont profitait l'ensemble du littoral :

    les sols y taient constamment humides et des vents froids y soufflaient rgulirement. Enfin, ilfallait relever en tant que dernier inconvnient l'implantation de l'asile sur une route de passage, la

    route de Levens, qui reliait Nice son ancienne capitale turinoise. Prsenter les avantages et les

    inconvnients de l'emplacement choisi n'a pas tellement d'intrt en soi, en revanche il en a pour

    expliquer et comprendre un certain nombre de problmes auxquels fut confront l'asile, et qui ont

    t mis en valeur soit par l'inspection gnrale du service des alins, qui relve directement du

    ministre de l'Intrieur, soit par son volution ultrieure.

    Aprs une longue priode de travaux, de 1863 1867, et une visite de l'inspecteur gnral

    Constans, le nouvel tablissement fut autoris par le ministre de l'Intrieur, puis par le prfet,

    accueillir les alins la charge du dpartement ; il devenait alors un asile priv faisant office

    d'asile public (5). Dans ces circonstances et conformment la loi, le prfet Gavini de Campiles'empressa de passer un trait entre l'automne 1866 et l'hiver 1867 avec le frre directeur de l'asile

    et de faire rapatrier, en deux temps, les alins interns au compte des Alpes-Maritimes dans les

    asiles de Marseille et de Montdevergues. L'asile, appel asile de Saint-Pons, fut inaugur le 8 mai

    1867 la satisfaction des autorits locales. Mais il semblerait que cette satisfaction ft synonyme,

    dans un premier temps, d'une vritable "euphorie administrative" : l'asile d'alins d'un

    dpartement, et plus encore s'il tait priv, devait tre troitement contrl et surveill par la

    prfecture et le Conseil gnral, en veillant la lgitimit des placements, la qualit des soins et

    au respect de toute une lgislation spcifique qui s'appliquait de tels tablissements ; le prfet en

    tait responsable. Or, ce contrle faisait dfaut et l'asile de Nice prsentait de nombreux points de

    non-conformit, et non des moindres, pendant cette priode obscure de son histoire qui va de 1867

    1875. D. pchait par ses installations et son action thrapeutique : les cellules d'isolement et les

    cours des malades taient dfectueuses, les barreaux de fer aux fentres ne correspondaient plus la

    sensibilit de l'poque ; sur le plan thrapeutique, les interns n'taient pas diffrencis, il n'y avait

    pas de divisions, de quartiers de malades qui permettaient un "traitement rationnel de l'alination",

    et puis, le travail des alins et l'hydrothrapie, moyens considrs par les alinistes contemporains

    comme les plus efficaces dans le traitement de la folie, faisaient dfaut Saint-Pons vu que le

    travail tait sporadique et qu'il n'y avait pas de salle de bains en tant que telle ; enfin, ce qui

    manquait l'tablissement niois c'tait un mdecin en chef, car le service mdical avait t confi

    un docteur, non-aliniste, rsidant en ville et qui venait une fois par jour visiter les alins de

    Saint-Pons -situation non conforme la loi. (6)

    Or, partir de 1875, huit ans aprs l'ouverture de l'asile, le Conseil gnral, qui commena

    exercer sa surveillance et son contrle sur l'tablissement tels qu'ils taient prescrits par la loi, mit

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    jour ces dfectuosits et demanda l'administration religieuse de Saint-Pons d'y remdier. Pourtant

    les rformes demandes se rvlrent sans lendemain puisque la mme anne l'asile niois fut

    dvast par un incendie, le 3 avril ; dans leur rapport les inspecteurs gnraux du service des alins

    recommandaient de ne pas le reconstruire (7) tant son implantation topographique tait vicieuse et

    tant il leur paraissait loign du "modle idal" de l'asile. Pourtant toutes ces critiques ne

    constiturent pas un frein l'volution et au dveloppement de l'asile, bien au contraire ; puisque

    l'administration de Saint-Pons le fit reconstruire trs rapidement. Dsormais les responsables del'asile et les autorits locales semblaient vouloir rompre avec cette priode de non-conformit en

    appliquant scrupuleusement le rglement, c'est cette volont qui fut sanctionne par le nouveau

    trait pass entre le directeur de l'tablissement et le prfet des Alpes-Maritimes en 1876. Celui-ci

    fut ratifi par le ministre de l'Intrieur en 1877.

    La premire partie de ce trait dfinissait et clarifiait les relations entre l'asile et la

    prfecture ; une deuxime partie, beaucoup plus longue, dfinissait le statut du mdecin, son rle,

    ses rmunrations, ses droits et ses supplants ; enfin, dans la dernire partie, l'administration de

    l'asile s'engageait respecter toute une srie de dispositions lgislatives et ministrielles.

    Si ce trait tait important c'est parce qu'il apparaissait au sein de l'asile un personnagenouveau, le mdecin, qui dans la pratique allait exercer le rle de surveillant de l'tablissement pour

    le compte de l'autorit dpartementale. Ce contrle dlgu se traduisit d'un ct par toute une srie

    de courriers, de communications, plus ou moins formelles, adresses au prfet et motives souvent

    par des problmes graves et accidentels que rencontra l'asile (une pidmie, le meurtre d'un malade

    par un gardien, les consquences du tremblement de terre de 1887 sur l'tat mental des interns, par

    exemple), et, d'un autre ct, par un rapport sur "la situation matrielle et morale de l'asile", rdig

    chaque anne par le mdecin et dans lequel il faisait tat des changements, des modifications qui

    avaient eu lieu, de ce qu'il fallait faire ou ne pas faire, et du mouvement de l'asile. Or, selon les

    docteurs, ces "rapports du mdecin-chef de l'asile d'alins" sont de vritables mines d'informations

    et permettent de pntrer l'intrieur de l'asile, de saisir son organisation, son fonctionnement, la

    vie et la place des individus qui s'y trouvaient. Enfin ces rapports nous montrent comment chaquelment constitutif de l'asile, pour les contemporains, participait la thrapie de la folie ; cette

    thrapie fut appele plus tard institutionnelle, asilaire. L'administration, les autorits, l'Etat le

    considraient peut-tre comme un lieu de traitement, mais c'tait surtout la mdecine, les alinistes

    qui voyaient dans l'asile un puissant moyen de gurison, par la discipline et le mode de vie

    spcifique qu'il offrait. Et ceci, d'aprs nos sources locales, au moins jusqu' la fin du XIXe sicle.

    C'est d'autant plus intressant qu'il semble que ce soit ces mmes alinistes, qui assimilaient

    l'internement et l'asile un moyen de gurison, qui furent les premiers le dnoncer et le critiquer

    l'extrme fin du XIXe et tout au long du XXe sicle, et allant mme jusqu' le percevoir comme

    "une fabrique d'incurables", comme "un milieu qui n'tait pas fait pour provoquer la rsurrection

    des facults morales et intellectuelles", ou encore comme "une machine chroniciser". La

    perception de l'institution asilaire semblait radicalement diffrente, voire oppose, elle avait chang

    du dernier quart du XIXe sicle la veille de la Grande Guerre. Dans ce cas, avait-elle connu une

    volution remarquable ?

    L'asile de Nice ne parat pas avoir eu une volution particulire, et comme tous ses

    homologues franais et europens il n'a cess d'accrotre ses capacits d'internement dans ce petit

    demi-sicle qui va de 1867 1914 ; sur cette priode pas une anne ne s'coula sans que

    l'tablissement n'ait vu une construction, une modification, une amlioration afin de faire face des

    demandes d'internement sans cesse plus nombreuses, mais aussi afin d'amliorer les conditions de

    vie des alins et le service intrieur.

    Dans ce contexte et pour l'administration, la vie l'asile devient un vritable dfi

    l'amnagement et l'hygine, car de 1869 1913 le nombre d'individus interns Saint-Pons

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    passait de 170 984 ; cette augmentation tait alimente par un lger dcalage entre le mouvement

    des entres et celui des sorties (dcs et sorties cumuls), donc d'un niveau trs proche l'un de

    l'autre, qui tous les deux progressaient en dents de scie.

    Le mouvement l'asile de 1878 1913

    Mais si on entrait plus l'asile qu'on y sortait, cela signifiait qu'un certain nombre

    d'individus y restaient pendant une priode plus ou moins longue (8) : c'taient ceux que le

    mdecin-chef appelait parfois "les sdentaires", "les lments rsiduels", "les incurables" ou encore

    "les chroniques" et pour lesquels l'asile reprsentait le cadre de leur vie courante et quotidienne;

    pour ceux-l l'tablissement tait la fois leur "demeure" et leur "socit". Il existait donc un

    vritable noyau de rsidents dfinitifs, d'alins incurables dont leurs familles ne voulaient ou ne

    pouvaient pas s'occuper ; ce fut certainement un des problmes majeurs de l'institution asilaire :

    nombre de malades mentaux taient des incurables, des malades chroniques, c'est--dire des

    malades ingurissables ; ceci explique que l'asile gurissait peu d'alins et que ce mouvement

    gnral des sorties (dcs et sorties cumuls) tait aliment pour une forte part par les dcs des

    malades.

    Le nombre de sorties par dcs dans le mouvement total des sorties des alins l'asile

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    Dans ces circonstances, si, dans ce court laps de temps qui allait du dernier quart du XIXe

    sicle au dbut du XXe, la perception de l'asile changea, c'est seulement l'augmentation du nombre

    des entres et l'encombrement des asiles qui en taient responsables et non l'institution elle-mme ;

    l'entassement des malades et l'encombrement de l'asile perturbaient toute sa dynamique, reniaient

    toute thrapie moins qu'il existt une "thrapie de masse", et rendaient impossible la mise en

    pratique des prceptes thrapeutiques de base et ce "traitement rationnel de l'alination". Mais

    comment ce glissement s'est-il opr et peut-on le dater prcisment ? Se le demander c'est presquey rpondre par la ngative. En revanche, on peut voir les lments qui dans l'asile correspondaient

    des prceptes thrapeutiques et ceux qui le faisaient assimiler une institution d'enfermement,

    d'incarcration, une institution au-del de laquelle toute thrapie devenait impossible,

    impraticable ; mais une telle perspective d'tude laisserait de ct certaines ralits de l'institution

    asilaire, et non des moindres. Peut-tre une approche qui analyserait la place des individus, leur rle

    ou leur activit quotidienne, leurs relations, qui dvelopperait certaines caractristiques de l'asile,

    permettrait de saisir plus profondment son organisation et son fonctionnement, ou de saisir ce

    qu'on pourrait appeler "la vie l'asile".

    Comme tout tablissement d'assistance hospitalire, ou disons comme tout tablissement

    caractre public, l'asile tait une institution organise, trs structure et structurante ; comme le ditle mdecin-chef, c'tait un "organisme" dans lequel la place de chaque individu tait strictement

    dtermine, qu'il s'agisse des malades interns, des travailleurs salaris par l'asile pour

    l'encadrement des alins ou pour les nombreux travaux, et du personnel religieux, compos de

    frres et de surs qui se rpartissaient la fois les tches de direction, de gestion et d'encadrement

    des alins et du personnel laque. A la mesure de nos informations, chacun de ses trois groupes

    recouvraient des ralits trs diffrentes qui souvent recoupaient les critres, les structures, de

    diffrenciation des individus propres l'asile.

    Les alins

    Les alins en traitement taient diffrencis tout d'abord par sexe et ensuite par quartiers declassement, qu'on appelait aussi des divisions de malades. La diffrenciation par sexe tait une

    diffrenciation rigoureuse et omniprsente : btiments hommes pour la section des hommes et

    btiments femmes pour la section des femmes. Un asile administr par une communaut religieuse

    ne pouvait ne pas avoir une chapelle dans son enceinte, or mme celle-ci tait scinde en deux par

    un mur : ct des hommes, ct des femmes. Chaque sexe avait sa salle de bains, ses cabinets

    d'aisances, ses occupations spcifiques, les deux sections taient entirement indpendantes l'une de

    l'autre ; les services qui travaillaient pour les deux sections la fois taient la cuisine, la buanderie,

    le service du mnage, les ouvriers pour les travaux d'entretien et de construction, le service mdical

    du mdecin-chef et l'administration gnrale de Saint-Pons. Ce critre de diffrenciation tait

    symbolis dans l'espace par l'architecture et la disposition gnrale des btiments de l'tablissement

    ; celui-ci se composait d'un corps de btiment principal avec une partie centrale oriente est-sud-est

    et o taient placs les services gnraux (administration, cuisine, cellier, lingerie, chapelle) et de

    deux ailes symtriques et entirement semblables, de trois tages ; l'aile droite tait occupe par les

    hommes et l'aile gauche par les femmes.

    Paraissant avant tout moral cette diffrenciation avait un intrt mdical : viter d'exciter les

    penchants sexuels, souvent exacerbs, des alins. Enfin, elle avait aussi un intrt pour le service

    intrieur : les surs de la congrgation taient affectes la section des femmes tandis que les

    quelques frres et le personnel laque s'occupaient de la section des hommes. Ainsi, entre les

    malades des deux sexes l'isolement tait-il de mise, et il semble bien qu'il ft compltement

    respect et ralis, les femmes et les hommes n'avaient aucun instant de vie en commun.A l'intrieur de chaque section, la plus petite division, inhrente tous les asiles franais,

    la fin du XIXe sicle, tait le quartier de classement ; il reprsentait, presque entirement, lui seul

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    le cadre de vie quotidien de chaque alin. Il s'agissait de quartiers compltement autonomes les

    uns des autres. Dans leur ouvrage, Les mdecins de la folie, Pierre Morel et Claude Quetel (9) en

    donnent une dfinition trs carre :

    "Le quartier de classement (...) est une unit architecturale et thrapeutique parfaitement

    ferme, vritable asile dans l'asile, et qui contient tous les lments d'habitation de jour et de nuit.

    C'est l'agencement d'un certain nombre de ces quartiers qui, avec les services gnraux, constituel'asile...(10)".

    Ils devaient se composer : d'un prau air libre et d'une galerie couverte, d'un chauffoir ou

    d'une salle de runion, d'un rfectoire, des habitations de nuit consistant en dortoirs, chambres ou

    cellules, de cabinets de toilettes ou lavabo, de cabinets d'aisance (11).

    Comment les alins taient-ils classs et selon quel principe, quel(s) critre(s) ? Comme le

    pensaient les inspecteurs gnraux du service des alins, le classement tait rationnel, voire

    indispensable. En effet, les personnes qui taient internes Saint-Pons, comme dans les autres

    asiles, paraissaient extrmement diffrentes les unes des autres. Si diffrentes qu'un certain nombre

    d'alinistes de la fin du XVIIIe jusqu'au dbut du XXe, ne se satisfaisant pas en intgralit desnosographies (classement des maladies) tablies prcdemment par leurs contemporains, en

    laborrent de nouvelles, toujours plus compltes, plus diffrentes et plus personnelles. Par

    emphase et pour voquer ce phnomne, certains historiens de la psychiatrie ont pu parler de "Tour

    de Babel nosographique" (12). Si, considr du point de vue de ces "classificateurs", la folie

    paraissait extrmement complique et diverse, elle l'tait beaucoup moins pour l'institution asilaire

    et pour ceux qui allaient s'intresser , ou tre responsable de "la gestion de la folie". Le classement

    retenu fut simple et rudimentaire : certains alins taient dangereux pour eux-mmes et pour

    autrui, d'autres inspiraient la peur par leur agitation permanente, d'autres criaient et hurlaient

    pendant un moment, certains incommodaient par leur mauvaise odeur, certains paraissaient

    normaux et avaient des crises subites d'agitation d'une extrme violence, d'autres encore avaient des

    penchants au suicide, certains ne pouvaient se passer de la direction d'autrui, etc. C'tait donc partir de la manifestation de la maladie, et non de la maladie elle-mme, partir du critre de

    nuisance (on pourrait dire aussi pour le seul intrt de l'organisation de l'asile et de son service

    intrieur) que s'opra la diffrenciation des alins. Le principe retenu tait que l'tat d'un malade

    dans ses manifestations ne devait pas altrer celui d'un autre, quitte envisager un isolement

    individuel pour les cas extrmes.

    Il y avait des quartiers de classement indispensables, d'autres qui taient secondaires et qui

    taient plutt la particularit de chaque asile et du type spcifique de malades qu'il recevait, ou

    disons qu'ils taient le fait de particularits locales. A Saint-Pons le classement tait assez

    classique : quartier de tranquilles, quartier de demi-tranquilles, quartier d'agits, quartier

    d'pileptiques, quartier d'infirmerie, que l'on retrouvait dans chaque section, homme et femme.

    A l'asile de Saint-Pons, les agits et les pileptiques taient dans un premier temps runis

    dans le mme quartier dans des pavillons annexes, qui se trouvaient compltement l'cart des

    btiments principaux et des autres malades ; il s'agissait en effet d'un quartier spcial, o taient en

    gnral runis l'lment le plus tapageur et le plus criard des alins, qui ncessitait un

    cloisonnement relativement marqu l'gard des autres quartiers. Ce cloisonnement se retrouvait

    l'intrieur mme de ce quartier spcial car y taient regroups galement ces malades qui pouvaient

    avoir des tendances dangereuses et agressives pour leur entourage et qui, selon les humeurs,

    devaient tre isols individuellement.

    Agites et pileptiques furent compltement spares, les unes des autres, dans la sectiondes femmes en 1885 certainement eu gard la varit spciale des pileptiques "...qui dans la

    proximit de leurs crises (ont) des terribles accs impulsifs qui sont parfois le triste privilge du mal

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    comitial et o les malades absolument inconscients deviennent capables de faire autour d'eux de

    vritables massacres" (13).

    Par leurs nuisances, le caractre incommodant et parfois dangereux de ces malades, ces

    deux quartiers avaient un fonctionnement spcial et particulier. Malgr le manque d'informations

    on peut essayer d'en donner une image. Certains malades agits ou potentiellement dangereux

    dormaient en dortoir et taient surveills par des gardiens dont la loge contigu tait munie d'unvasistas grill. Gardiens et mdecins devaient probablement prendre quelques prcautions de

    contention l'gard de certains alins susceptibles de provoquer des problmes ou des incidents

    pendant la nuit ; par exemple, ils avaient recours l'usage de lits galeries spcialement destins

    aux pileptiques pour qu'ils ne tombent pas de leur lit pendant leur sommeil, ou alors des lits

    spciaux, prvus pour les grands agits, qui taient recouverts d'un filet grosses mailles maintenu

    en hauteur. Mais c'taient l des situations extrmes pour ceux qui passaient la nuit en dortoir dans

    ce type de quartier, et, ds qu'un malade tait atteint d'une crise et qu'il devenait gnant par ses cris,

    ses hurlements ou son agitation, il tait enferm dans une cellule spcialement conue cet effet.

    Ce principe de diffrenciation et de sparation des alins d'aprs la nuisance des uns sur les autres

    tait un principe qui prvalait, et il se manifesta par la cration en 1906 d'un petit dortoir pour les

    agits "relativement tranquilles" dans la section des femmes. On ne peut retracer la vie de cesmalades durant la journe que par l'intermdiaire de quelques anecdotes du mdecin-chef ; ainsi, les

    salles dites de jour ne devaient tre probablement occupes que par les plus tranquilles, par les

    malades dont l'tat tait relativement stationnaire ; certains parlaient entre eux, d'autres s'agitaient

    ou dliraient isolement dans un coin de la pice, et peut-tre que certains parvenaient profiter des

    quelques distractions qui leur taient proposes. Ces salles de jour avaient des praux et des cours

    attenantes. Qui s'y trouvait ? On est tent d'y rpondre de la mme manire ; mais tant donn que

    dans ces quartiers il y avait des malades en tat d'agitation permanente, ou que certains pouvaient

    traverser des crises particulirement violentes ou bruyantes, et que d'autres pouvaient avoir des

    tendances agressives qui s'exacerbaient un moment, nombre de ces alins passaient leur journe

    soit en cellule, soit dans les dortoirs, retenus dans leur dlire par des moyens de contention.

    Les bulletins mdicaux retrouvs dans les archives du Centre Hospitalier Spcialis Sainte-

    Marie nous permettent de nous faire une ide plus prcise du type de malade dangereux qu'on

    pouvait rencontrer dans ces quartiers spciaux. Il s'agissait de fiches trs brves qui constataient

    un moment donn l'tat physique et mental d'un intern pour lequel il avait t demand si sa sortie

    tait envisager par la famille, des proches, ou une autorit (prfet, maire, procureur etc..) ; elles

    taient rdiges en gnral par le mdecin-chef de l'asile. L'un d'entre eux nous apprend que : "Un

    homme est trs hallucin, il se sent travaill nuit et jour par l'lectricit et d'autres agents physiques

    tous trs douloureux ; il attribue ses souffrances des ennemis dans lesquels il englobe le personnel

    et les mdecins de l'asile. Il est trs violent, trs dangereux mme intern, si on le mettait en libert

    il n'hsiterait pas se livrer des voies de fait graves. Sa sant physique est bonne." (14)

    Aussi exceptionnel soit-il, cet exemple sous-entend bien que la surveillance dans ces

    quartiers tait une surveillance continue, sans rpit et sans relche ; le service intrieur y tait

    organis exclusivement sur la base de cette surveillance. Le rapport de 1878 du mdecin-chef de

    Saint-Pons nous apprend que le dortoir des agits, du ct des hommes, avait une loge de

    surveillants ses deux extrmits : une occupe par les gardiens laques, l'autre par les frres-

    surveillants. Il devait y avoir trois ou quatre surveillants dans chacun de ces quartiers, frres

    compris, auxquels il fallait rajouter les quipes de nuit. Enfin, ce souci d'assurer une surveillance

    continue se retrouvait mme dans chaque projet de construction, d'amlioration ou d'amnagement

    des dortoirs, des cellules, ou de la cour : on la reconstruisit en supprimant tous ses recoins o

    certains avaient tendance se cacher, par exemple. Finalement, par rfrence au pnitencier, cesquartiers spciaux d'agits et d'pileptiques (c'est la terminologie officielle) (15) pourraient tre

    appels des quartiers de haute surveillance.

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    On ne connat pas le nombre prcis de malades que recevait ce type de quartier. Pourtant les

    apprciations du mdecin-chef et ses constats sur l'volution des maladies mentales nous

    apprennent que le type agit recrutait plus ses lments parmi les femmes que parmi les hommes. Il

    est toutefois possible de s'en faire une ide plus prcise par le rapport gnral sur le service des

    alins de 1874. En effet, quelques lignes taient consacres la rpartition idale des malades par

    quartier et leur distribution l'intrieur de ceux-ci ; il prvoyait que dans la section des hommes,

    d'un total de 318 interns, le quartier des agits devait pouvoir accueillir 28 alins, soit unpourcentage de 8,8% ; le quartier des pileptiques tait prvu pour 24 interns, soit 7,5% du total

    des interns. En outre pour la section des femmes ce rapport mentionnait que : "La mme

    rpartition serait adopte pour le quartier des femmes sauf peut-tre en ce qui concerne la

    proportion des (...) pileptiques, qui est moins leve chez les femmes, et celles des (...) agites, qui

    est, au contraire un peu plus forte" (16).

    S'il confirme les remarques du mdecin-chef, ces chiffres ne sont pas exempts de toute

    critique mais ils ont l'intrt de montrer que ces quartiers spciaux n'accueillaient qu'une petite

    minorit d'alins interns. Pour Saint-Pons, peut-tre peut-on s'accorder sur un intervalle variant

    de 5 13% dans la mesure o on avait affaire des pileptiques, des agits, des hommes ou des

    femmes.

    Le quartier d'infirmerie, qui semble relativement plus important l'gard des alins qui y

    vivaient ou plutt y sjournaient, n'avait pas cette position compltement excentre comme les

    quartiers des agits et des pileptiques ; tout au contraire, il se trouvait au cur de l'asile de Saint-

    Pons. C'tait un quartier qui devait recevoir les alins atteints de maladies intercurrentes, c'est--

    dire, en opposition aux maladies exclusivement mentales, les alins blesss pendant leur

    internement ou qui avaient une "maladie physique", ainsi que les alins gteux (les malpropres) et

    faibles, les individus nouvellement admis l'asile et qui ncessitaient une priode pralable

    d'observation afin d'acqurir suffisamment d'informations sur leur tat pour qu'ils fussent placs

    dans les quartiers adapts, et, enfin "...ceux qui par la nature de leur dlire sont reconnus rclamer

    une surveillance plus active" (17).

    Pour ce dernier type de malades, il s'agissait d'une surveillance plus mdicale que celle dont

    il a t question plus haut propos des agits et des pileptiques.

    Ce quartier tait agenc de telle manire que les salles exposes au midi servent de dortoir,

    celles exposes au nord de salle de jour, de rfectoire et de salles d'isolement. Il disposait galement

    d'un prau, construit flanc sur la colline contre laquelle tait adoss l'asile, o se trouvaient les

    cellules.

    Cette description et la dtermination du rle des quartiers d'infirmeries ont t dresses par

    le mdecin-chef en 1878, c'est--dire une poque o ils taient encore en cours de construction, et

    elles ne correspondent pas intgralement au type d'alins qu'on y rencontrait ultrieurement. En

    effet, s'il s'agissait d'un quartier o la surveillance, les soins et divers traitements y taient plus

    particulirement dvelopps, tel que l'avait dfini le mdecin-chef de 1878, dans la pratique

    il devint, en plus, une division dans laquelle taient interns tous les alins qu'on ne pouvait ou ne

    voulait pas regrouper avec les autres dans les quartiers spcifiques ; et ceci soit en raison de

    nuisances particulires des uns sur les autres ou soit parce qu'ils ne correspondaient pas aux critres

    de diffrenciations propres chaque quartier. Cela revient dire que les malades de

    l'infirmerie taient bien plus diffrents entre eux que ne l'taient les alins affects aux autres

    quartiers ; ce qui explique les remaniements considrables qui y ont eu lieu, ainsi que les nouvelles

    constructions de locaux, de praux, de dortoirs, de cours, de cellules, et les projets d'amliorationset d'amnagements qu'laborrent mdecins-chef et administration de l'asile dans le but de

    raliser l'isolement et le cloisonnement entre ces malades extrmement divers. Bien videmment,

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    les rapports annuels de mdecin-chef ne dtaillent pas les diffrentes salles et leurs dpendances

    rserves chaque type de malade, mais c'est en faisant tat, dans chacun de ses rapports, des

    amliorations et constructions nouvelles que l'asile ralis au cours d'un exercice (c'est--dire 1

    an) que l'on peut se faire une ide approximative de la diversit qui caractrisait cette division de

    soins. Ainsi, en expliquant la ncessit de chauffer certaine salle le docteur nous apprend :

    "[ propos] de salles chauffes, nous n'avions jusqu'ici que l'infirmerie des hommes o la

    prsence constante d'une proportion considrable d'alcooliques ou de paralyss nous avait paruexiger, en hiver, une temprature relativement leve" (18).

    Du ct des femmes, le rapport de 1890 nous rvle que : "Depuis un certain nombre

    d'annes, l'infirmerie des femmes, principalement, rclamait par le fait de l'accroissement de sa

    population la cration d'une annexe supplmentaire devant comprendre exclusivement l'lment

    infirme-gteux de cette division. Or ce dsiratum si lgitime se ralisera cette anne ..." (19).

    De la mme manire, chez les hommes, c'tait probablement de l'infirmerie qu'avait t

    soustrait l'lment infirme-gteux pour le placer dans un btiment spcial et compltement excentr

    en 1892. Mais il n'a pas d tre jug satisfaisant, cause de son cart certainement, puisque l'anne

    suivante fut cre "une annexe de l'infirmerie des hommes (...) principalement affecte (sic) auxgteux comme dortoir (...) et qui contiendra neuf cellules et l'tage suprieur 24 lits" (20).

    C'est seulement par ce type de description que l'on parvient apprhender la diversit des

    malades affects aux quartiers d'infirmerie ; ainsi, au fils des rapports on apprend que :

    - L'infirmerie homme a t compltement remanie en 1894 et un nouveau dortoir y a t

    ajout.

    - Il existait un petit dortoir pour les grands infirmes hommes.

    - Pour ceux qui ncessitaient des soins spciaux mais qui taient relativement valides on

    avait construit neuf chambres trs confortables.

    - L'infirmerie accueillait toujours un certain nombre d'invalides, d'impotents.- En juillet 1901 les gteux hommes taient toujours dans le quartier d'infirmerie.

    -Il y avait aussi un certain nombre d'agits l'infirmerie qui perturbaient la tranquillit des

    malades non-bruyants.

    Depuis 1902 quelques enfants alins taient hospitaliss Saint-Pons, et plutt que de les

    rpartir dans les quartiers classiques on avait prfr les maintenir l'infirmerie, car les alins

    adultes auraient pu souffrir de frustration l'gard des soins et de l'attention qu'on leur apportait.

    - En 1905 l'infirmerie homme a t profondment remanie : salle d'isolement pour les

    tuberculeux, dortoir d'observation pour les entrants tranquilles, places spciales pour les malades

    suicidaires, dortoir spcial pour les gteux, dortoir pour les enfants. Amnagement de quelques

    cellules contre les bruyants l'infirmerie femme.

    - Une salle a t cre pour les tuberculeuses l'infirmerie des femmes.

    Au terme de cette numration on voit bien que les quartiers d'infirmerie devaient tre

    surchargs par tous ces amnagements successifs ; cet encombrement a d atteindre son paroxysme

    pour qu'en 1908-1909 on dcidt, nouveau de l'agrandissement et de la rfection complte de

    l'infirmerie hommes. Donc, ce qui caractrisait ce quartier c'tait qu'il recevait des alins

    qui ncessitaient une attention et des prcautions particulires et qui taient assez diffrents les unsdes autres, d'o leur sparation : paralyss, alcooliques, infirmes, gteux, grands infirmes,

    relativement invalides, agits atteints de maladies physiques, enfants alins, tuberculeux,

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    suicidaires. Il y a peu d'informations, de dtails sur la vie de ces alins, sur ce qu'ils faisaient la

    journe, des soins qu'ils recevaient, etc.. Tout au plus sait-on qu'il existait une salle pour

    l'alimentation force de certains alins qui refusaient toute nourriture, une salle de jour et une

    pice o taient pratiqus les oprations et les examens de malades.

    En revanche, on a bien plus de renseignements sur les prcautions d'hygine et les mesures

    prophylactiques dont ces divisions faisaient l'objet cause justement de cette diversit et du fait quec'tait dans ce quartier o taient traits les alins qui souffraient de grippe, de tuberculose,

    d'rysiple et d'autres affections pidmiques ou sporadiques. Pour s'en prmunir, dans les

    premires annes de l'asile, les murs taient rgulirement traits la chaux vive, plus tard leurs

    soubassements furent recouverts d'une peinture spciale, impermable, permettant leur lavage

    volont avec des solutions antiseptiques, car ces infirmeries taient toujours peu prs pourvues

    d'une ou plusieurs de ces maladies contagieuses, ce qui faisait d'elles, dans une certaine mesure, le

    foyer d'pidmies. De mme que les locaux, le linge et les vtements des alins de ce quartier

    taient plus particulirement dsinfects dans un premier temps par des lavages intensifs puis,

    ultrieurement, par la vapeur.

    La centralisation dans cette division, de malades diffrents, qui taient des gteux (c'est--dire qui "gtaient leur linge"), des paralyss ou qui taient atteints d'affections intercurrentes ou

    pidmiques et qui ncessitaient des soins plus intensifs, en rendait le service plus dsagrable que

    dans les autres quartiers ; il tait si dsagrable que le mdecin-chef n'hsita pas en faire part au

    prfet quand il parlait du personnel de l'infirmerie dans un de ses rapports annuels : "Je leur dois ce

    tmoignage que ce service aussi dgotant que pnible n'a jamais t fait d'une faon aussi

    compltement satisfaisante..." (21).

    Probablement faut-il les imaginer en train de laver rgulirement les malpropres et le

    matriel qu'ils avaient pu salir ou en train de dplacer les paralyss vers les bains, les toilettes ou le

    prau.

    Ces aspects de diversit-isolement et de rpugnance propres ce quartier ncessitaient en

    outre un personnel non seulement plus nombreux que dans les autres divisions, mais aussi plus

    dvou, un personnel qui faisait preuve de philanthropie et d'abngation de manire plus prononce

    ; si le service tait fait de faon satisfaisante en 1886 c'tait "par suite de triages ou d'limination

    excuts avec soin au milieu des lments dont nous (administration et mdecin-chef) disposons"

    parmi le personnel de l'asile. A la mme date, du ct des hommes il tait effectu par cinq

    personnes en tout, et chez les femmes par quatre surs.

    La quantit importante d'agrandissements et de travaux qui avaient lieu dans les infirmeries

    supposait qu'elles recevaient beaucoup d'alins. En effet, si nos sources locales ne nous permettent

    pas de disposer de donnes prcises, on peut en faire une estimation ou avancer un chiffre moyen

    tel qu'on l'a fait pour les quartiers des agits et des pileptiques, en utilisant le rapport gnral de

    1874 sur le service des alins : les malades de l'infirmerie reprsentaient, approximativement, 30%

    du total des interns. Ceste l un chiffre considrable, qui devait tenir plus compte des capacits

    d'accueil de cette division que du nombre rel de malades prsents l'infirmerie, tant donn que

    celui-ci devait connatre des variations importantes car il tait troitement li la conjoncture des

    maladies intercurrentes et aux flux des entres et des sorties.

    Les quartiers de classement dont on a prsent quelques caractristiques gnrales taient

    des quartiers assez particuliers, et incarnaient trs mal la population et l'organisation de l'asile ; en

    effet, tous confondus les alins des divisions des pileptiques, des agits et de l'infirmerie nereprsentaient qu'une minorit des interns (35 40%). On a vu qu'ils ncessitaient une certaine

    attention et des prcautions minutieuses, qu'il s'agisse de soins, d'entretien, de surveillance et de

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    vigilance de la part du personnel. On peut dire, sans exagration, qu'ils reprsentaient un extrme

    de la folie tant au point de vue de leur charge qu'au point de vue humain ou moral : paralysie

    gnrale, gtisme, crise subite et violente, agitation prononce et permanente, dangers et

    agressivit. Si l'institution asilaire ne recevait que ce type de pensionnaires elle ressemblerait plus

    un tablissement carcral associ une infirmerie qu' un asile d'alins tel qu'on peut le percevoir

    travers des sources locales.

    Nombre d'individus qui taient interns Saint-Pons taient placs dans le quartier des

    demi-tranquilles (on disait aussi semi-tranquilles) et dans le quartier des tranquilles. Ces demi-

    tranquilles et tranquilles reprsentaient une petite majorit des alins.

    De la mme manire que pour les autres quartiers, ceux-ci ne nous sont pas dtaills ou

    prsents dans un rapport et ce n'est qu'en dpouillant tous les rapports de mdecin-chef de 1878

    1913, et en les recoupant dans la mesure du possible avec d'autres informations que l'on parvient

    en donner une image et en recueillir les spcificits et les particularits. Attachons-nous d'abord

    la terminologie de ces quartiers ; les termes tranquilles et semi-tranquilles signifiaient moins que la

    folie ou la maladie mentale dont souffrait un individu tait tranquille ou que ses ides ou son dlire

    taient tranquilles que l'tat mental gnral des alins de ces divisions tait relativement fixe,relativement stable, qu'on le connaissait et qu'on pouvait prvoir ses comportements et ses

    ractions. Il semblait se dfinir en opposition aux quartiers des agits et des pileptiques dont

    certains pouvaient avoir des dlires et des humeurs imprvisibles paralllement des crises aigus.

    Il semble qu'on rencontrait dans ces divisions quelques alins chez qui demeuraient des structures

    mentales relativement stables, des alins chez qui persistaient, dans une certaine mesure, les

    facults de comprendre et d'apprendre conjointement d'autres structures mentales compltement

    troubles et altres. Si cela n'tait pas le cas comment expliquer qu'ils fussent capables de jouer

    des jeux de socit tel que le jeu de dames, les dominos ou, encore mieux, tel que le jeu d'checs,

    de prendre place dans des ateliers artisanaux ou techniques, ou de travailler la terre et mme de lire

    des livres ? Plus que tout autre groupe il faut se garder de gnraliser et d'uniformiser l'alination

    mentale ; ce qui la caractrisait avant tout c'est la diversit, et tous les alins de ces quartiersn'taient pas en mesure de s'adonner aux activits susdites. Dans ses rapports annuels le mdecin-

    chef ne les nommait que pour faire tat de nouvelles constructions dans l'une de ces deux divisions.

    Il dtaillait rarement les facults et la vie de ces malades, mais, tant donn qu'ils reprsentaient une

    petite majorit des interns et que c'taient eux qui disposaient des facults les plus dveloppes, il

    parait vident qu'ils taient les premiers concerns quand le mdecin-chef nous parlait des activits,

    des distractions, du travail et des promenades effectus l'asile par des alins. En dveloppant les

    bnfices du travail sur l'alination le mdecin-chef nous apprenait que "le travail en dehors de

    l'asile accaparait tous les malades valides et tranquilles", et le domaine de Saint-Andr, o avait lieu

    une partie de ce travail tait appel "le chantier des tranquilles" ; de mme, pour les jeux et les

    promenades : "La bibliothque, le billard et d'autres jeux runissent ceux dont les facults sont

    moins atteintes dans leur expression. Les plus tranquilles sont assez souvent conduits des

    promenades, dont quelques unes, assez longues, donnent d'excellents rsultats" (22).

    Ces occupations concernaient donc les malades tranquilles et semi-tranquilles, et quand il

    s'agissait d'en procurer des alins diffrents le mdecin-chef comptait sur "la trs prochaine

    construction des ateliers (...) qui ddommagera (...) l'insuffisance actuelle des moyens d'occupations

    l'intrieur (de l'asile) pour les agits et les dangereux". Ici on voit bien les avantages et les

    possibilits dont jouissaient les alins de type tranquille : occupations diverses permises par leur

    tat, promenades, travail l'extrieur de l'asile, etc.

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    Paradoxalement, on a beaucoup moins d'informations sur ces malades que sur les autres, on

    ne parvient pas suivre l'volution de leur quartier. La seule description dont on dispose leur

    gard date 1878 ; tranquilles et demi-tranquilles taient runis dans les ailes du btiment principal

    de Saint-Pons, au rez-de-chausse, au 1er et au 2me tage ; la sparation des divisions tait

    marque par une porte claire-voie. Chaque quartier avait un rfectoire, une salle de rcration, un

    prau, une salle de jeu et les dortoirs taient l'tage. Parmi tous les alins interns Saint-Pons,

    ceux l semblaient bien moins isols les uns des autres et devaient connatre une vie en communbien plus dveloppe par l'intermdiaire de la pratique des jeux de socit, et parce qu'ils parlaient

    entre-eux, plus que dans les autres divisions.

    La surveillance dans ces quartiers tait moins pnible pour le personnel et bien plus lche

    parce qu'ils avaient une attitude de personnes plus ou moins normales, certains devaient avoir

    conscience de la faute et de la punition ; ce qui explique que "bien des dlits (au rglement

    intrieur) soient relativement rares dans la section des demi-tranquilles, nous (le mdecin-chef)

    avons nanmoins jug qu'il y avait lieu d'y installer, dans un angle de la cour, une cellule prte

    recevoir les rfractaires, ou ceux qui seraient pris d'un accs de fureur inattendu. Au reste, le seul

    aspect de la loge de rpression sera suffisant pour maintenir dans l'ordre la plupart des alins de

    cette classe chez qui le sentiment de responsabilit persiste gnralement un certain degr" (23).

    Ce projet avait d paratre secondaire l'administration de l'asile tant donn qu'on ne

    trouve pas la trace de sa ralisation dans les rapports suivants. Effectivement, c'est quinze ans plus

    tard que le manque s'est fait sentir puisque "la premire et la deuxime division (c'est--dire

    tranquilles et demi-tranquilles) des hommes tant dpourvues de cellules obscures, il a t dcid

    que sur l'emplacement de la salle des douches actuelle on prendrait l'espace ncessaire pour en

    construire une ou deux" (24).

    Cependant, leur petit nombre fait apparatre que ces cellules avaient plus ce rle prventif

    dont parlait prcdemment le mdecin-chef.

    En prsentant les particularits de chaque quartier de classement on a remarqu que le

    personnel avait des tches relativement ingrates, que la folie ou l'alination mentale tait

    extrmement diverse et plus ou moins facile grer selon les quartiers. Il existait une chelle de

    valeur relativement ces quartiers. Tacitement la dernire citation l'exprime : "la premire et la

    deuxime division" taient synonyme de quartier des tranquilles et quartier des semi-tranquilles ; ils

    requraient une surveillance moindre et leurs pensionnaires jouissaient d'une certaine libert, tandis

    qu'au bas de l'chelle on trouvait les quartiers des agits et des pileptiques qui, tout au contraire,

    ncessitaient une surveillance continuelle, sans interruption et dont le personnel devait tre prt

    agir n'importe quel moment face la crise ou la fureur d'un alin ; ces deux dernires divisions

    taient des quartiers risques ou dangers. Si le quartier de l'infirmerie se trouvait au bas de

    l'chelle c'tait plutt en regard du travail intensif de soins, d'entretien et d'hygine qu'il ncessitait.

    Tout en haut de l'chelle se trouvait une autre classe de malades ; mme si elle constituait un

    vritable quartier de classement autonome on a prfr ne pas l'analyser conjointement aux autres

    parce qu'il ne rpondait pas au mme principe de diffrenciation : les pensionnaires n'taient pas

    diffrencis selon la manifestation de leur affection mentale ou selon les ncessits du service mais

    selon un principe de classe : 1re, 2me et 3me classe ou rgime commun, auxquelles

    correspondaient un prix de journe l'asile plus ou moins lev. Les alins rpartis l'asile par

    quartiers taient ceux du rgime commun, les pensionnaires taient placs dans un quartier qui leur

    tait exclusivement rserv et dans lequel ils jouissaient d'un rgime de faveur relatif au prix

    de leur pension. De la mme manire que pour les autres quartiers on ne connat pas dans le dtailles particularits de cette division, mais, dans un premier temps, ce rgime de faveur se manifestait

    au niveau de l'alimentation puisque les pensionnaires avaient un rfectoire particulier, et ils

    devaient dormir la nuit dans les dortoirs de tranquilles ou de demi-tranquilles. Si cette sparation

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    rpondait plus aux attentes de la famille du pensionnaire, et aux habitudes du pensionnaire lui

    mme, comme le dit le mdecin-chef, elle avait aussi l'intrt de ne pas exciter les alins du

    rgime commun en leur offrant "le spectacle de repas naturellement plus recherch que ceux qu'on

    leur sert". Il fallait en effet les (les alins du rgime commun) mettre l'abri de toute occasion

    d'envier ou d'tre bless dans leur amour propre" (25). Afin de supprimer cette promiscuit

    dsavantageuse le mdecin-chef avait propos une srie de projets de pensionnat isol du corps des

    btiments de l'asile, mais aucun d'eux n'ayant t ralis on s'tait content d'amnager dans lessections des hommes et des femmes des quartiers destins recevoir les pensionnaires des deux

    sexes. Comme tous les autres quartiers ceux-ci devaient disposer d'une cour, d'un prau, d'une salle

    de jour, d'un rfectoire ; dsormais la nuit ils dormaient en chambre individuelle ou commune et

    non plus en dortoir comme les alins du rgime commun. Correspondant au mme principe, les

    cellules d'isolement pour les pensionnaires de type agit ou bruyant offraient un certain confort et

    elles taient en outre capitonnes afin de prvenir tout incident ; puis, ils disposaient bien avant les

    autres quartiers de cabinets chasse d'eau attenant, d'une salle de bain particulire pour les

    hommes, de tables en marbre dans le rfectoire dont les murs taient couverts de peintures, de

    dcorations l'huile et la fresque. Enfin, le dernier privilge rapport par les sources, tait que les

    pensionnaires hommes taient sous la "juridiction" plus spciale du mdecin-chef et non du

    mdecin-adjoint ou du mdecin en second. Enfin, cette "lite" pouvait profiter de promenades envoiture, de promenades pied plus rgulires, de distractions plus varies et l'on devait tre plus

    attentif leur hygine et leur condition de vie.

    On peut en effet parler d'lite car Saint-Pons la part des pensionnaires dans le nombre total

    des interns variait de 7 11% sur la priode tudie

    Le personnel

    A la tte de chaque quartier de classement, se trouvaient des surveillants-gardiens qui

    taient eux-mmes dirigs par les quelques frres de la congrgation qui appartenait l'asile deSaint-Pons. La rgle, ou disons le modle idal, tait qu'il y et deux surveillants et un frre par

    quartier, ce qui parat insuffisant si l'on tient compte de l'accroissement considrable du nombre

    d'interns Saint-Pons et surtout de la disette de la congrgation en sujets masculins. A la

    diffrence des frres, ces gardiens taient des lacs qui taient salaris par l'asile. Ils taient recruts

    comme une entreprise recrute un travailleur pour un poste prcis. Le leur tait relativement ambigu

    puisqu'il s'agissait d'un ct, comme l'indiquait leur dnomination, de surveiller et de garder des

    adultes qui taient pas ou peu responsables et qui avaient plus ou moins conscience des choses et de

    ce qu'ils faisaient, qui taient sujets des disputes, des chamailleries, des incidents fcheux, qui

    avaient des tendances douteuses et parfois dangereuses pour la vie des autres comme pour la leur,

    et d'un autre ct, d'assurer un certain nombre de soins, de faire preuve d'un caractre infirmier et

    philanthropique afin de procurer des individus malades des soins et un bien-tre qu'ils ne

    pouvaient rencontrer ailleurs ; enfin, ils devaient tre capables de "fournir en mme temps au

    mdecin les renseignements qui lui sont indispensables pour l'observation et la direction des

    alins" (26).

    Si le mdecin-chef s'attachait prciser leur rle et leur tche, cela tenait au fait que les

    individus recruts n'avaient suivi aucune formation pralable et que la majorit de ces gardiens

    taient d'anciens domestiques de maison ou de simples travailleurs la recherche d'un

    emploi. Cela, sans doute, expliquait le projet dvelopp par le docteur Plant (27) qui consistait

    tablir un centre de formation la maison-mre de la congrgation pour ces gardiens laques et

    justifiait par ailleurs la formulation d'un rglement intrieur qui s'appliquait spcialement auxgardiens et qui insistait sur les qualits ncessaires -ponctualit, diligence, abngation- tout en

    prvoyant un salaire plus ou moins important selon le mrite et le travail accompli.

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    Nos sources ne nous permettent pas de retracer la vie de ces gardiens au sein du quartier de

    classement ; on sait cependant que la nuit ils ne donnaient pas dans la division, exception faite des

    quartiers des agits et des pileptiques et certainement aussi de celui de l'infirmerie. Pour les autres,

    la surveillance de nuit tait assure par la prsence de plusieurs personnes qui effectuaient des

    rondes. Le rveil du matin devait avoir lieu une heure prcise et pour donner une image plus

    homogne de la vie des alins, on pourrait reproduire la description que nous en font Morel et

    Quetel dont les dtails sont d'une saisissante profondeur : "Voici le programme quotidien d'un asileparmi d'autres : le lever est fix 5 h 30 en t (...) et 6 heures en hiver. Gardiens dans les

    quartiers des hommes et religieuses dans les quartiers des femmes ouvrent les portes des dortoirs et

    des cellules qui taient verrouilles pour la nuit, et s'emploient faire lever les malades. On aide

    ceux qui sont impotents ou simplement paresseux sortir du lit (...). Aprs vrification, les malades

    "physiques" sont autoriss rester couchs. Pendant qu'un gardien inspecte les lits (...) un autre

    aide les malades s'habiller. On procde immdiatement la toilette qui n'est pas une mince

    affaire. La plupart des malades sont capables de se laver eux-mmes, condition pourtant d'exercer

    sur eux une surveillance suffisante : les disputes, les bousculades, la paresse se laver surtout, la

    raction d'opposition ou la crise d'agitation subite sont le lot quotidien de ces premiers mouvements

    de la journe ; mais d'autres, idiots, paralytiques, dments sniles doivent tre lavs par les

    infirmiers" (28).

    Comme Saint-Pons, une poque o on faisait sa toilette dans la cour du quartier, o une

    "... sur dbarbouillait et peignait chaque aline du dortoir qu'elle surveillait" (29). Tches aussi

    pnibles qu'ingrates qui expliquent en partie le fait que gardiens ne restaient pas longtemps au

    service de l'asile, surtout lorsqu'ils pouvaient trouver ailleurs une place mieux paye et plus

    valorisante. Mais le travail du gardien ne s'arrtait pas au lever et la toilette : les alins taient

    ensuite conduits leur rfectoire, puis leur salle de jour, leur prau, certains, sinon tous, avaient

    des sances de balnation relatives au traitement qu'ils suivaient ; il fallait ensuite procurer aux

    autres des distractions, des occupations, quelques uns allaient travailler l'extrieur et taient

    confis un gardien qui en tait charg, d'autres restaient dans la salle de jour, certains discutaient

    dans le prau ; enfin, aprs le souper du soir, il fallait coucher les alins. Il faut imaginer que toutcela se faisait avec le mme entrain que le lever : soins et surveillance ; si beaucoup de serviteurs

    laques taient renvoys de l'asile c'tait parce qu'ils n'arrivaient pas remplir leurs difficiles

    fonctions, surtout lorsqu'ils buvaient pendant leur service. Chose qui semblait d'autant plus

    rgulire qu'on en trouve trace dans l'norme correspondance qu'entretenait la maison-mre de la

    congrgation, en prvenant le prfet des difficults que l'asile de Nice rencontrait pour recruter "un

    personnel de gardien srieux" (30), dnonait l'ivrognerie de certains gardiens.

    Ces quelques remarques suffisent montrer que le poste de "gardien d'alins", tel qu'il nous

    est prsent dans les rapports de mdecin-chef, tait un poste difficile et ingrat. Pourtant au fil du

    temps, et de ces rapports, l'administration de l'asile et le mdecin-chef parvinrent constituer une

    quipe relativement mritante grce une slection rigoureuse des postulants auxquels taient

    demands des certificats de bonne conduite, ensuite par une formation plus ou moins phmre qui

    "consistait leur enseigner les principes de leur mtier" en leur lisant, aux heures des repas,

    quelques passages du "Manuel de l'infirmer", enfin en les soumettant eux-mmes une surveillance

    systmatique comme cela fut ralis en 1906 avec la cration d'une haute surveillance de nuit qui

    contrlait le service des veilleurs. Aucun document d'archives ne nous permet d'apprcier la porte

    de ces mesures sur le terrain, pourtant, plus on avanait dans le temps et moins les rapports de

    mdecin-chef soulignaient les dfaillances de ce personnel laque, et, la fin de la priode tudie,

    le nouveau mdecin-chef de l'asile, qui n'tait autre que l'ancien inspecteur dpartemental du

    service des alins, qui passait pour un fonctionnaire intransigeant, strict et zl, paraissait surpris

    par ce personnel : "Au point de vue du service, je n'ai eu, (...) qu' me louer du personnelsubalterne, dont le dvouement pour tre obscur, n'est que plus mritoire" (31).

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    Constat d'autant plus remarquable que c'tait la seule fois qu'on adressait ces gardiens

    laques des compliments.

    Quelle tait la place du personnel religieux ? Si les gardiens devaient tre capables de

    seconder le personnel strictement mdical de l'asile, ils taient d'abord placs sous la direction des

    frres de la congrgation. Quotidiennement ils taient dirigs par un surveillant-frre qui tait

    affect chaque quartier de classement ; celui-ci devait veiller sa bonne tenue, aux bonnes

    pratiques et l'application du rglement intrieur ; c'est lui le premier qui quelquefois flicitait legardien et assez souvent le reprenait et le dsapprouvait parce qu'un malade tait saie ou parce qu'il

    l'avait frapp. Il tait une sorte de responsable qui n'avait de compte rendre qu'au frre-directeur

    de l'asile ; ce sujet d'ailleurs, il paraissait si responsable et si autonome qu'il allait au devant des

    prescriptions du mdecin-chef, parfois mme les infirmait et lui adressait quelques objections. Les

    premiers rapports de mdecin-chef dont nous disposons ( partir de 1878) taient trs friands de ce

    genre de dtails et tmoignaient de leurs relations pour le moins tendues ; en tant que responsable,

    c'est lui qui donnait au mdecin l'autorisation de pntrer dans un quartier pour voir et observer les

    malades ; ils s'opposaient sur certaines modalits du service, sur l'organisation de la vie des alins.

    Les conflits entre les frres et le mdecin-chef semblaient relever d'un problme d'autorit et de

    comptences mal dfinies par le rglement intrieur et surtout par le trait de 1877, ce qui

    expliquait que le mdecin -chef n'avait pas le droit de pntrer toute heure dans l'asile. Cettepratique, contraire ce qui tait en vigueur dans la majorit des asiles et surtout par ce qui tait

    prescrit par la loi, motiva une lettre du prfet au suprieur de la congrgation, rclamant la remise

    des cls au mdecin-chef de tous les quartiers de la section hommes, dfaut de celles des femmes

    (32). Sans doute, les relations ont d s'assainir trs vite tant donn que les rapports postrieurs

    1880 ne firent plus tat de divergences profondes entre les frres et le mdecin-chef ; tout au

    contraire, ils insistaient sur le zle, le dvouement et les mesures qui furent adoptes pour procurer

    aux malades un maximum de bien-tre. Mais cette anecdote a l'intrt de montrer que les frres

    constituaient le personnel suprieur de l'asile qui dirigeait, contrlait, orientait et prvoyait. En

    effet, malgr leur petit nombre -moins de 10-, c'taient eux qui contrlaient tous les services

    gnraux de l'asile : la qualit du vin, du pain, l'excution des travaux d'agrandissement ou

    d'amlioration, la rpartition des alins dans les divers ateliers, ... Ces tches taient coordonnespar un frre-surveillant-gnral qui tait subordonn au frre-directeur de l'asile. Le frre-directeur,

    peut-tre de concert avec les autres frres, prvoyait les agrandissements futurs, dcidait de

    l'excution d'un projet formul par le mdecin-chef, tait charg de raliser les directives de la

    prfecture aprs accord de la maison-(mre, et, enfin, c'tait le frre-directeur (parfois on l'appelait

    le Pre-directeur) qui tait le responsable de l'asile de Saint-Pons et sur lequel s'exerait une

    pression plus ou moins forte selon les circonstances, la conjoncture et les vnements qui

    parsemrent la vie de l'asile.

    On ne peut prsenter le personnel religieux de l'asile sans s'arrter sur les surs qui taient

    la fin de la priode considre au nombre de 60. Nos sources ne nous permettent pas de mettre

    jour aussi formellement que pour les frres les attributions, les fonctions et la hirarchie des unes et

    des autres. Tout au plus sait-on qu'elles taient sous la direction d'une suprieure et qu'elles se

    rpartissaient des tches assez diverses : soins et surveillance des alines, travaux mnagers,

    buanderie, cuisine, secrtariat, contrle de la cave, prparations pharmaceutiques,... Si les sources

    sont peu bavardes propos du personnel fminin c'est parce qu'il ne prsentait pas les mmes

    problmes que du ct des hommes ; l'oppos, tous les rapports de mdecin-chef insistaient sur la

    qualit des soins prodigus, sur le caractre bien plus infirmier des surs, sur leur zle et leur

    abngation, sur la propret des locaux de la section, sur la supriorit du service intrieur, et, enfin,

    contrairement aux frres, elles paraissaient bien plus attentives aux prescriptions du mdecin-chef.

    Dans la mme perspective, on ne trouve pas une seule lettre, dans la nombreuse correspondance

    qu'entretenaient la prfecture, le sige de la congrgation et l'asile de Saint-Pons, voquant ladfaillance de ce personnel. Pour finir, le seul rapport de l'inspection gnrale (33) retrouv, et qui

    concernait exclusivement la section des femmes, tait plus qu'logieux.

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    Au milieu de ce personnel, de ces structures et fonctions, quelle tait la place du mdecin-

    chef ? Sa tche paraissait lourde ; les documents qui en parlent sont trop vagues, abstraits, gnraux

    ou thoriques et ce n'est qu'au fil des rapports qu'il rdigeait chaque anne, qu'on peut parvenir se

    faire une ide plus prcise de son rle.

    Au-del de la surveillance tacite qu'il exerait sur l'asile pour le compte de l'autorit

    prfectorale, bien qu'il ft pay par l'tablissement, le mdecin-chef tait plus spcialement chargdu service des entrants, c'est--dire des personnes pour qui tait sollicit un internement l'asile ;

    on les dsignait par l'expression de "mis en observation" ou d"'observs". Aussi futile que puisse

    paratre cette remarque, c'tait ce moment que le mdecin-chef vrifiait si l'individu tait vraiment

    atteint d'alination mentale, et s'il ncessitait rellement un internement de longue dure l'asile,

    parmi les alins. Cela expliquait certainement que la dure de cette mise en observation variait

    selon les personnes et pouvait tre prolonge jusqu' un mois. C'tait ce moment l que le

    mdecin-chef taient le plus proche des malades et qu'il leur donnait tous les soins que requrait

    leur tat mental. Peut-tre cette phase d'observation avait-elle lieu dans des locaux spcifiques,

    voire dans un quartier part entire, mais certains observs, notamment de type agit, taient placs

    directement dans le quartier qui convenait le mieux leur tat. On trouve dans les rapports de

    mdecin-chef plusieurs projets visant crer un service pour les entrants dans un btimentcompltement distinct de l'asile afin de ne pas les confondre avec les alins interns.

    Tel qu'on l'a vue en tudiant le quartier des pensionnaires, une anecdote dans le rapport de

    1903 rvlait que le mdecin-chef tait plus spcialement attach ce quartier de privilgis. Quel

    tait son rle ? Qui faisait-il? On ne nous le dit pas mais il faut imaginer qu'il les observait de

    manire plus continue, et qu'il se consacrait plus eux qu'aux autres.

    Par sa formation et ses comptences il devait se trouver assez souvent au quartier

    d'infirmerie afin d'observer de prs les maladies intercurrentes dont souffraient les alins, de

    prescrire les soins et les mdicaments qu'ils ncessitaient, et afin de prendre les mesures

    prophylactiques adquates quand il s'agissait d'affections pidmiques. Enfin, l'asile disposant d'unesalle d'autopsie, il devait pratiquer quelques dissections quand cela lui semblait utile.

    Vis vis des affections mentales, son rle tait pour le moins ambigu. En fait, une poque

    o le remde spcifique de la folie, considre dans sa gnralit, tait plus une hygine et un

    rgime de vie particulier qu'un traitement physique ou pharmaceutique, le mdecin-chef semblait

    plutt avoir un rle de conseiller auprs de l'administration, de la direction et des surveillants

    de l'asile en vue de placer les alins dans les meilleures conditions. Il faut bien voir que ce rle

    de conseiller tenait moins des circonstances thoriques qu' des circonstances pratiques peut-tre

    au dbut de l'existence de l'asile, de 1867 1875, le mdecin avait pu "... se rendre matre de tous

    ses malades ; (...) en avoir tudi successivement le caractre, l'ducation, les antcdents et parler

    chacun sa langue" (34) et tenir une place relativement importante dans la vie des malades, tel que

    le disait un membre du Conseil gnral charg d'aller visiter l'asile de Saint-Pons en 1874-1875 ;

    mais il faut tenir compte du fait qu' cette poque, Saint-Pons recevait seulement 216 interns, et,

    plus on avance dans le temps plus cette prpondrance du personnage mdical parat alatoire voire

    paradoxale quand l'asile recevait plus de 700 alins en 1900 et prs de 1000 en 1913. Il y a bien un

    rapport qui dcrit les visites du mdecin-chef auprs des alins : ceux-ci taient visits deux fois

    par jour ; mais c'est le seul rapport qui prcise le rle du mdecin-chef auprs des malades et de

    l'alination, et il date de 1878, autrement dit c'tait le premier rapport du mdecin-chef et il avait t

    rdig avant que l'asile ne ret un nombre trs important d'alins ; peut-tre que dans les annes

    1890 et 1900 tous les malades n'taient pas visits quotidiennement mais assez rgulirement par le

    mdecin-chef ou par le personnel mdical.

    En effet, bien que ce personnel ft occult par les sources, ds 1881 un interne fut adjoint au

    mdecin-chef, tel que cela avait t prescrit par le trait de 1877 entre l'asile de Saint-Pons et la

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    prfecture des Alpes-Maritimes et en 1903 apparaissait un mdecin-adjoint "dont les fonctions

    taient limites au quartier des hommes" ; ce moment l'interne devint un mdecin en second ;

    l'une de ses tches tait d'assurer la "contre-visite" des malades, c'est--dire qu'il contrlait si les

    dcisions du mdecin-chef taient justifies et s'il n'y avait pas d'internements arbitraires. C'est l

    qu'apparat l'importance du mdecin-chef par rapport aux alins : il dcidait de son placement

    l'asile tel qu'on l'a vue lors de la mise en observation, mais surtout c'tait lui qui dcidait de sa sortie

    dfinitive ou qui autorisait des sorties d'essai. C'est en ces termes qu'on peut parler de l'importancedu personnage mdical ; on peut dire que la dure de l'internement d'un individu dpendait

    entirement du mdecin-chef. D'ailleurs, afin de se prmunir contre l'arbitraire, ds 1903 ce pouvoir

    de dcision fut partag avec l'inspecteur dpartemental du service des alins. Aprs la suppression

    de ce poste en 1909 et une rorganisation du service mdical de l'asile, les trois mdecins pouvaient

    dcider de la sortie d'un malade : le mdecin-chef et les deux mdecins traitant (ils ont chang de

    nom en 1909), celui-l tant plus spcialement attach au service de l'observation des entrants et les

    deux autres aux sections des hommes et des femmes.

    Ainsi le mdecin-chef, vis vis des malades, observait, constatait, dcidait mais il donnait

    aussi des conseils au personnel subalterne sur les soins apporter aux alins et sur les

    comportements adopter face ce type particulier de malade -ne pas cder leur caprice, ne pastre brutal, etc.- Surtout, ce rle de conseiller se manifestait par rapport l'administration de l'asile

    et tous ses rapports annuels comportaient de nombreux projets qu'il avait labors et proposs la

    direction : conseils d'amlioration du service intrieur, conseils de construction, conseils pour la

    mise en conformit, propositions pour procurer une hygine irrprochable (eau, air, murs pour

    l'isolement, pidmie, ...), conseils gnraux vis vis des malades (promenades, distractions,

    contention). Donc, le mdecin-chef apparat comme un personnage qui disposait d'un certain

    ascendant moral au sein de l'asile, comme un conseiller, comme un "grand sage" ; et ceci autant en

    regard de sa situation juridique que pratique : c'est la loi qui le dsignait comme la seule personne

    comptente pour juger de la dure d'internement d'un individu (35).

    Les uniformes

    Au-del de leurs diffrences, tous les individus, sans exception, qui se trouvaient l'asile,

    portaient un uniforme. En effet, ils portaient sur eux les insignes de leur fonction et de leur place

    (on pourrait dire de leur statut) l'asile.

    Les malades hommes avaient en hiver une veste, un pantalon, un gilet de serge bleue et une

    casquette ; en t, le vtement tait en cotonnade bleue et les malades avaient un chapeau de paille.

    Les chaussures se composaient de souliers pour les tranquilles et d'espadrilles pour les agits. Les

    femmes taient vtues d'une robe en serge ou en cotonnade bleue suivant la saison, d'un fichu

    d'indienne et d'un tablier. Ainsi tait l'uniforme des malades tel qu'il nous tait prsent par le

    premier rapport du mdecin-chef ; le costume des hommes fut l'objet de quelques modifications

    afin de pallier aux inconvnients qu'il prsentait : partir de 1885, la veste commena tre

    remplace par une blouse de longueur variable qui se boutonnait en haut, Tanire comme

    l'avant, et qui tait dpourvue de revers. Elle avait l'avantage de mieux protger contre le froid et de

    dispenser de cravates dont l'usage n'tait pas sans danger, d'autant que certains alins avaient des

    tendances suicidaires. Ces deux modles de vtements semblaient coexister jusqu' la fin de la

    priode tudie, avec un nombre plus important de veste que de blouses, contrairement au souhait

    du mdecin-chef.

    On a bien moins de prcisions sur l'uniforme du personnel laque de surveillance, il se

    composait d'une casquette et d'une blouse avec ceinturon rglementaire. Les religieux de lacongrgation, frres et surs, portaient la soutane de la communaut.

    Enfin, dans une agglomration hospitalire o tous les membres portaient un vtement qui

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    indiquait son statut, force est bien d'admettre que mdecin-chef et mdecin-adjoint, compte tenu de

    leur fonction, devaient porter une blouse blanche.

    Une grande partie de la vie des alins se droulait au sein de leur quartier de classement ;

    elle tait dirige par des surveillants par un ou plusieurs frres, ou surs, et occasionnellement par

    le personnel mdical. L'asile apparat trs structur : fonction, rle, hirarchie, conflit d'autorit,

    diffrenciation stricte, isolement. Droits et devoirs de chacun devaient tre prciss dans unrglement intrieur et, de la mme manire qu' la caserne, au pensionnat ou la prison, l'institution

    asilaire offrait un mode de vie particulier, propre l'alin quand il tait pris en charge par cette

    structure sociale de type hospitalier. Mais compte tenu du principe qui voulait isoler l'alin de ses

    origines, de sa vie, et compte tenu de la chronicit des maladies mentales, la vie de beaucoup

    d'alins fut rduite la discipline de l'asile.

    "Changer les ides des alins"

    La vie des alins l'asile ne se rsumait pas leur lever, leur toilette, leur repas,

    l'agencement des locaux, au matriel et aux soins spcifiques que ncessitaient certains et la place

    que tenait dans leur vie le personnel. Mme si tout cela nous livre des dtails prcieux pour se faireune ide de leur vie, on trouvait un principe thrapeutique directeur chez les premiers alinistes du

    dbut du XIXe sicle : il s'agissait de distraire l'alin de sa folie, de son dlire, de s'emparer de

    l'attention du malade par des moyens de diversions et de leur procurer une occupation active afin de

    briser "la chane de leurs ides". A Saint-Pons, comme dans les autres asiles, ce principe fut mis en

    pratique par des distractions des promenades et par le travail.

    Ce terme de "distractions" dsignait tout d'abord les jeux ; ils taient monotones, les

    malades s'en lassaient donc trs vite ; en effet, ils ne les occupaient qu' l'intrieur de leur division.

    Les rapports de mdecin-chef citaient le jeu de cartes, de dominos, de quilles, le billard aussi, les

    checs, le jeu de la roulette qui avaient lieu dans la salle de jour du quartier, dans la cour ou le

    prau quand il s'agissait des quilles, et dans une salle commune pour le billard.

    La section des femmes offrait la particularit de pouvoir offrir ses malades la pratique de

    chants religieux, et ce, quotidiennement ; quant aux hommes, sans qu'on puisse en apprcier la

    constance et la rgularit, certains se livraient la pratique de la musique. A Saint-Pons un grand

    nombre de malades paraissaient s'y adonner, et plus particulirement la musique religieuse, ce qui

    n'avait pas manqu de surprendre le mdecin-chef qui, dans son rapport de 1885, indiquait : "Dans

    nos prcdents rapports, il avait t observ que la musique religieuse jouait un grand rle parmi les

    distractions de l'asile. Cet agrment si modeste ses dbuts, a pris aujourd'hui des proportions tout

    fait prdominantes, attendu que grce aux libralits du Directeur, une vritable fanfare s'est

    organise, fonctionnant avec un entrain qui n'exclut pas toujours l'harmonie. Cette innovation que

    son chef entretient avec un zle sans dfaillance ne laisse pas de donner quelques bons rsultats vis

    vis des mlancoliques dont les ides noires sont ainsi plus ou moins attnues" (36).

    Pour distraire les alins, l'asile possdait galement une bibliothque qui semblait mettre

    la disposition des malades des ouvrages scientifiques et littraires, tant entendu qu'elle tait

    frquente par les moins anormaux des interns ; mais la lecture pour laquelle nombre de malades

    avait une certaine prdilection tait celle des "bandes dessines" (il s'agissait en fait de livres qui

    avaient t illustrs par des dessins).

    Il y avait une autre activit que les alins apprciaient plus que toutes les autres mais dans

    laquelle ils taient moins actifs, il s'agissait des projections cinmatographiques. Le manquedeprcisions nous empche malheureusement de dcrire dans quelles circonstances elles avaient

    lieu; nous savons simplement qu'on projetait des scnes comiqueset des panoramas de paysages

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    qui avaient l'avantage d'absorber l'attention des malades et de les "dtourner (...) de leur pnible

    obsession hallucinatoire".

    Enfin la dernire "activit culturelle" dont pouvaient jouir certains malades, mais qui tait

    troitement dpendante de leurs facults tait le thtre. Il semblerait qu'il y ait eu plusieurs

    tentatives pour organiser au sein des alins une troupe de comdie, mais le seul rapport de

    mdecin-chef qui en prcisait l'existence tait celui de 1908 : "Des reprsentations thtrales ont trcemment inaugures. Elles ont eu lieu dans la section des femmes o se rencontrent en ce

    moment quelques jeunes malades dont la mmoire et les aptitudes scniques ont donn des rsultats

    vraiment inesprs" (37).

    Cette activit avait l'avantage d'utiliser activement et leur profit les acteurs, et l'auditoire

    pouvait en profiter comme distraction et comme moyen de dtournement de l'attention.

    Pour finir, on pouvait comprendre galement sous le titre de distractions les nombreux

    offices auxquels assistaient les alins, hommes et femmes, tant entendu que Saint-Pons avait une

    chapelle au dernier tage du btiment principal. Les hommes et les femmes pouvaient y assister au

    mme moment vu que cette chapelle tait spare dans toute sa longueur par une cloison ; endehors de la liturgie, ces offices taient l'occasion de chants et de musique.

    Les voyages et les promenades taient considrs par les alinistes comme un puissant

    moyen thrapeutique pour "distraire l'alin de sa folie", parce qu'il y dcouvrait des paysages, des

    sites pittoresques, aussi parce qu'il le soulageait en provoquant apptit, sommeil et scrtions ; ils

    taient propices l'assagir et le calmer. On retrouvait ce principe l'asile qui dveloppa la

    promenade au sein de la proprit mme de l'tablissement et de ses dpendances.

    Les femmes et les hommes avaient leur propre parcours de promenade. Tandis que les

    femmes pouvaient profiter de promenades assez rgulires, hebdomadaires dans un premier temps,

    puis, semble-t-il, quotidiennes la fin de la priode tudie, dans la colline de Mrindol quiappartenait l'asile (situ au nord-est des btiments principaux) o avait t taill un chemin en

    lacets et au sommet de laquelle "...la vue (...) tait des plus agrables comme varit et pittoresque",

    l'institution des promenades pour la section des hommes posait plusieurs problmes. En effet, en

    raison de la topographie accidente de son assiette, l'asile ne disposait pas de parcours convenables

    l'intrieur de sa proprit, ce qui explique que les rares promenades que l'administration tenta de

    leur procurer eurent lieu sur les routes le soir, aprs le souper, quand elles taient le moins

    frquentes ; c'tait justement parce qu'elles avaient lieu l'extrieur que ces promenades posaient

    un problme de surveillance : certains alins cherchaient s'vader et des gardiens ne s'en

    sentaient pas du tout responsables ; bien que ce problme semblait facilement solutionnable, la

    section des hommes souffrit longtemps d'un manque grave ce point de vue. Suffisamment grave

    pour que le mdecin-chef labort un projet de cration d'un chemin qui aurait long le torrent de

    Saint-Andr et fait communiquer l'asile et la proprit rurale qu'il y possdait et qui se trouvait

    1,5 km de l'tablissement ; ce chemin aurait offert ainsi des conditions idales pour y organiser les

    promenades des hommes. Ce projet de 1898 resta sans suite face aux difficults souleves : le

    chemin en question devait passer sur des proprits de particuliers ; pourtant, il rapparut en 1905

    avec une option d'expropriation pour cause d'utilit publique. Malgr cela, les sorties des hommes

    sur les routes se poursuivirent tant bien que mal, ayant plus une allure d'excursions que de

    promenades.

    Mais quels alins profitaient des distractions et des promenades ? Cest l qu'apparaissait

    une vritable lacune du point de vue thrapeutique, car trs peu d'alins taient conduits enpromenade, d'abord en raison des problmes de surveillance ; ensuite chez les femmes, parce que

    les alines taient suffisamment occupes toute la journe, comme l'affirmait le mdecin-chef, et

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    qu'il n'tait pas ncessaire de sortir toutes les femmes qui en taient capables tous les jours, en fait

    cela semblait plutt peu ralisable organiser tant donn le nombre d'internes (elles taient 426

    en 1905). Pour les hommes, compte tenu des problmes de surveillance, ceux qui paraissaient en

    profiter le plus frquemment taient les alins valides les plus tranquilles et les plus calmes, "les

    chroniques inoffensifs" comme les dsignaient les rapports du mdecin-chef. C'est l justement

    qu'on peut cerner de plus prs l'intrt de la promenade pour l'institution asilaire ; quel tait l'intrt

    thrapeutique (celui auquel pensaient les alinistes en la recommandant) de la promenade quandceux qui en profitaient taient des malades chroniques, c'est dire ceux dont la maladie durait et

    qu'on ne gurissait plus ? En fait l'institution de la promenade semblait rpondre un principe de

    favoritisme et de rcompense, mais pas exclusivement. Dans cette logique, ceux qui en profitaient

    le plus rgulirement, auraient t bien entendu les pensionnaires, viendraient ensuite ceux qui

    s'taient le mieux comports et que la promenade rcompensait. Gardons-nous toutefois de donner

    plus d'importance cet aspect de la promenade qu'il n'en mrite, car la seule fois o le mdecin-

    chef l'voqua c'tait pour en demander l'extension. Disons de manire synthtique que seuls les

    malades les plus calmes et les plus dociles taient conduits tour de rle, par petit groupe, en

    promenade, le peu de fois o elles avaient lieu.

    Quant aux distractions il semblerait que la presque totalit des interns assistait tour derle, par quartier de classement, aux nombreux offices religieux qui avaient lieu la chapelle de

    l'asile. Tous les quartiers taient pourvus de jeux de socit (cartes, dominos, checs,...), mais

    comme leur dnomination l'indique, ils devaient tre utiliss par les malades qui taient capables,

    par leur tat gnral et surtout par la nature de leur affection mentale, de vivre en commun.

    Pourtant, il ne faut pas se faire d'illusions sur la part de ces jeux dans la vie des alins car, si d'un

    ct le mdecin-chef se plaignait du manque de leur diversit et d'originalit, d'un autre ct la

    majorit des malades "... se montraient rebelles toute occupation. Cet tat d'esprit rsultait tantt

    de la paresse du sujet, tantt de la nature mme de sa maladie" (38).

    L'apprciation de la lecture est assez problmatique et seuls les alins les plus soigneux

    devaient pouvoir en profiter, car beaucoup avaient des "penchants destructeurs" ou taient toutsimplement maladroits.

    Pour ce qui est des distractions plus originales, telles que la musique, les projections

    cinmatographiques ou les "reprsentations thtrales", on ne sait pas lesquels des alins elles

    occupaient. Il ne parat pas vident que ce fussent les malades des divisions de tranquilles et demi-

    tranquilles qui pratiquent un instrument de musique, mais dans tous les cas, ces distractions

    prsentaient la particularit de ne pas tre structurelles, c'est--dire qu'elles n'taient pas institues

    et prvues par le rglement intrieur ; en lisant de prs les rapports du mdecin-chef, on voit bien

    que leur prsence tait lie des circonstances exceptionnelles :

    - A chaque fois que la musique atteignit un niveau de dveloppement remarquable, c'tait

    seulement "grce l'assidu concours du Pre-directeur", ou "grce aux libralits du directeur".

    - Pour ce qui concerne les projections cinmatographiques, elles taient troitement lies

    la personnalit et au savoir du frre du directeur.

    - Plus que les autres, le thtre tait li l'important mouvement d'entres et des sorties, et

    la prsence inopine l'alins aux facults assez exceptionnelles.

    Compte tenu du caractre sporadique des promenades, du manque d'intrt des alins pour

    toute occupation et du cot exceptionnel de celles qui semblaient les attirer, que restait-il pour les

    interns de Saint-Pons, plutt que faisaient-ils de leur journe ? Pas grand chose, et le "... nombre

    considrable d'alins qui taient confins dans les divisions" (39) passaient leur temps, pour ceuxqui le voulaient, discuter, se promener dans leur prau, rester dans un isolement qui pouvait

    paratre ostentatoire ou se confiner dans leur folie ; c'taient ceux que le mdecin-chef appelait

    "les sdentaires" ou "les oisifs".

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    La vie de la majorit des alins l'intrieur des btiments peut se rsumer leur