LUL L Extreme Droite en Oranie Koerner 1973

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Société d'histoire moderne et contemporaine (France). Revue d'histoire moderne et contemporaine (1954). 1973/10-1973/12. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

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Société d'histoire moderne et contemporaine (France). Revue d'histoire moderne et contemporaine (1954). 1973/10-1973/12.

1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de laBnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 :  *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source.  *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produitsélaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit :  *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sansl'autorisation préalable du titulaire des droits.  *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèquemunicipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateurde vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de nonrespect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

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L'EXTRÊME DROITE EN ORANIE (1936-1940)

Connu pour son républicanisme ardent 1, à l'avant-garde du sursautnational et anti-impérial de 1870 2, le département d'Oran change de visagepolitique sous la III* République. Il se retranche peu à peu derrière un

conservatisme satisfait en même temps que se constitue la grande propriétéviticole (1880-1900). Obstruction à la politique libérale des gouverneurs

généraux3 et affrontements autour de la mairie d'Oran sont les seuls

moments où l'intérêt politique dispute la place aux statistiques rassurantesdes productions et exportations de vin. Oran est le premier port de l'Algé-rie en 1930.

La crise mondiale ne rompt pas cette harmonie malgré l'aggravationdes clivages politiques. Une partie du prolétariat espagnol rejoint la S.F.I.O.et le parti communiste replié sur Sidi-bel-Abbès et les ports de Beni-Saf

et Oran. La communauté israélite se livre à une subtile politique de bas-

cule entre la droite libérale et la S.F.I.O. Les sections Croix de Feu assis-

tent à de très officielles inaugurations de monuments. Le 6 février 1934

n'a que peu de répercussion à Oran.Les élections de mai 1934 renforcent encore cette impression. La trois-

sième force constituée autour de la « Liste d'action démocratique et de

progrès social » vient largement en tête. L'abbé Lambert est élu maire

d'Oran, à l'unanimité. Ses remerciements vont à la sagesse de ses conci-

toyens déchirés par treize années de luttes confessionnelles. Quant aux

musulmans, ils se tiennent sur une prudente réserve pour ne pas faire les

frais des discordes européennes.Mais les thèmes futurs apparaissent en filigrane. La S.F.I.O. ne voit

sur sa droite que des formations réactionnaires « de fascisme municipal

plus ou moins larvé ». La « Liste antijuive d'union latine » s'inquiète de son

côté du « spectacle affligeant » de la France et propose d'interdire toutes

les carrières de l'État à des juifs. Pour l'instant, son président Ph. Navarro,

avocat, ne recueille que 10 % des voix 4.

Or 1936 est un coup de tonnerre dans le ciel colonial. De municipale la

politique accède au plan national avec le regroupement de toutes les ten-

1. R. VILLOT,La Vie politique à Oran de ta monarchie de Juillet aux débuts de la111'République (1831-1S81),Oran, 1947.

2. Ch.-A. JULIEN,Histoire de l'Algérie contemporaine, La conquête et le début dela colonisation (1827-1871),Paris, 1964.

3. Ch.-R. AGERON,Les Algériens musulmans et la France (1871-1919),Paris, 1968,ex. du gouverneur général Jonnart, t. II, p. 1208 sq.

4. L'Écho d'Oran, n° du 6 au 13 mai 1934 sur les élections municipales.

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L'EXTRÊMEDROITE EX ORANIE (1936-19W) 569

dances d'extrême droite au nom de la prépondérance française. Lesnuances des partis d'extrême droite relèvent maintenant de variations surtrois thèmes :

— en France, refonte totale des institutions de la République avec

l'affirmation du principe d'autorité ;— en Algérie, refus de toute réforme profonde, malgré les apparences

démagogiques, au nom de la tutelle coloniale ;— en Méditerranée, entente avec les fascismes pour une lutte sans fai-

blesse contre l'abcès communiste aboutissant dans la pratique à une vérita-ble croisade anti-marxiste et anti-juive.

Tous ces thèmes se fondent peu à peu, sous l'effet de la guerre d'Espa-gne, et en automne 1937 l'extrême droite oranaise (P.S.F., P.P.F. Amitiés

latines) présente un front uni antisémite contre les formations du Front

populaire. Ce front se maintiendra jusqu'au printemps 1938 où les impéra-tifs de Défense nationale et l'échec du Front populaire orientent le chef

du P.S.F., le colonel de la Rocque, vers des positions plus souples.Pourtant, l'atmosphère suscitée par la bataille politique « prédestine »

l'Oranie à une acceptation enthousiaste de la Révolution nationale 5.

I. — LA MONTÉEDE L'EXTRÊMEDROITE(JANVIER-MAI1936)

Les premiers signes de la fièvre électorale apparaissent au début de1936. Groupements, fédérations et mouvements se réunissent à un rythmeinconnu jusqu'alors. Les passions mêlées d'ambitions fébriles percent au

jour. Dans une mise en garde sévère le délégué du Mouvement social

pour l'Algérie, le commandant Debay, avertit qu'aucune candidature ne

peut se réclamer des Croix de Feu et qu'aucune instruction d'ailleurs n'aété donnée jusqu'à ce jour de la part du colonel de la Rocque 6.

Mostaganem est alors le sanctuaire de la mystique du chef. Le com-mandant Pujol et le capitaine Cochelin reçoivent un appui actif du Dr Ben-tami, porte-parole des Croix de Feu auprès des milieux musulmans. Débutfévrier, une grande réunion s'y tient en présence des présidents des Volon-taires nationaux. Les sections féminines du Mouvement social sont misesen place. L'union sacrée se scelle au milieu des discours et des professionsde foi. Une seule devise : « Famille, Travail, Patrie ». Marseillaise et chantdes Croix de Feu répondent, par-delà la rue, à la manifestation parallèledes Amis de l'U.R.S.S. 7.

5. Sur l'extrême droite en Algérie, on trouvera quelques Indications dans Ch.-A.JULIEN,L'Afrique du Nord en marche, Paris, 1952,p. 136-138et M. KADDACHE,La Viepolitique à Alger de 1919à 1939,Alger, 1970.Il faut les compléter par des histoires surl'extrême droite en France : R. RÉMOND,La Droite en France, de 1915 à nos jours,Paris, 1954et J. PLVMYÈNEet R. LASIEHRA,Les Fascismes français 1923-1963,Paris, 1963.

6. L'Écho d'Oran, 21 janvier 1936.7. L'Écho d'Oran, 3 février 1936. La Rocque a été sous-lieutenant à Mostaganem

en 1909.Durant 27 ans il a vécu dans le bled sud-oranais et marocain. Il connaît ledialecte algérien et ses partisans lui accordent une grande confiancedans l'appréciationdes problèmes algériens. Ses liens avec le capital algérien sont nets dans « l'affaireBarthel » {cf. REY-GOLDZEIGUER,« Quelques témoignages pour une étude du particommuniste algérien de 1934à 1937», p. 31-41, dans La Méditerranée de 1919à 1939,Colloque de Nice, 1969).

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570 REVUE D'HISTOIRE MODERXEET COXTEMPORAIXE

A Oran, les Croix de Feu commémorent l'anniversaire du 6 février 1934.

Entouré de Soulier, président des Volontaires nationaux, et de Blazy, pré-sident du Mouvement social français, le capitaine Richard dépose, dans

le calme, une gerbe au Monument aux morts 8.Un appel ultérieur invite tous les républicains nationaux de l'Oranie

à se regrouper en vue de la campagne électorale. Ils auront à cceur

« d'édifier une république unie et réconciliée, souveraine, libérée des insuf-

fisants et des malpropres » 9.

Contrôlées par les notabilités les campagnes de l'Oranie semblent néan-

moins devoir procéder dans le calme au renouvellement législatif. Elles

mettent leur confiance en des hommes qui ont gravi le cours des honneurs

algériens : mairie, conseil général, délégations financières, Conseil supérieur.Le combat, loin de se situer sur un plan idéologique, se borne à la défense

traditionnelle de la colonisation.René Enjalbert, dans la 2' circonscription (Aïn-Temouchent, Tlemcen),

compte sur l'appui des élus. Adjoint au maire de Temouchent, délégué finan-

cier depuis quinze ans, sa profession de foi mentionne bien « une répu-

blique restaurée », mais parle avant tout le langage de la terre : défense du

blé, du vin, du crédit agricole, de la petite colonisation, mutualité et coopé-ration. Croix de guerre et Légion d'Honneur sont une garantie pour les

Croix de Feu. Une vague étiquette de « concentration républicaine » l'op-

pose au candidat du Front populaire, A. Valleur, de l'Union socialiste,

maire de Tlemcen 10.

Paul Saurin compte sur la tradition familiale et ses lauriers récents

pour en imposer à son électorat. Candidat « d'Union nationale et répu-blicaine » de la 3* circonscription (Mascara-Relizane-Mostaganem), il est

jeune député depuis 1934. Membre de la Commission de l'Algérie et des

Colonies, de la Commission aéronautique, de la Commission de la marine,

de la Commission internationale de la viticulture, il peut s'enorgueillir de

« deux ans d'aide et de protection » pour son fief n. Mais tant de titres ne

sauraient suffire à la nouvelle droite. Son ascension ne serait-elle pas liée

à son appartenance à la franc-maçonnerie ? Calomnie, légende, se récrie

Saurin qui voit se dresser contre lui un candidat national indépendant,Marcel Bellier, directeur de La Nouvelle Oranie 12. Qu'à cela ne tienne :

que M. le député sortant s'engage sur le programme parlementaire, corpo-ratif à l'italienne et souscrive aux six points suivants :

« 1. Dissolution de la franc-maçonnerie qui mène la France à la ruine etinterdiction dans la rue des cortèges révolutionnaires avec drapeaux rougeset chants " obscènes à la Patrie et à la Religion ".

8. L'Écho d'Oran, 7 février 1936.9. L'Écho d'Oran, 21 février 1936.

10. L'Écho d'Oran, 21 janvier 1936.11. L'Écho d'Oran, 22 avril 1936. Il est instructif de lire la profession de foi de

Saurin en 1934pour se rendre compte du nouveau climat créé par les Idées d'extrêmedroite. Il n'y a plus les mentions de flls de déporté de 1848 et de descendant desvictimes du 2 décembre. Qu'est devenu « l'adversaire résolu des théorie subversivesd'une poignée d'exaltés » ? L'Écho d'Oran, 5 avril 1934.

12. Bibliothèque Nationale de Paris : Le fichier note la parution du Journal àpartir de 1933.

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2. Fin immédiate de l'admission temporaire de blés exotiques.3. Établissement d'un programme de relèvement de l'agriculture.4. Allégement des impôts et réduction des charges de l'Etat.5. Abrogation immédiate du pacte franco-soviétique et des sanctions contrel'Italie.6. Surveillance stricte des industries et du commerce des armes et du matérielde guerre » 13.

Par-delà les Croix de Feu, le Front paysan de l'Oranie pose à son

tour ses exigences. Hostile au Front populaire, il voit dans le programmeanticolonialiste de la gauche l'abandon des foyers en Algérie et le retour

des fermiers comme chômeurs en France 14. Trois points lui tiennent à

coeur : défense de la propriété individuelle, adaptation de l'enseignement et

protection de la production agricole1B.Selon toute probabilité, les candidats Saurin et Enjalbert ont donné des

orages aux Croix de Feu. Dans une réunion extraordinaire, tenue à Blida,La Rocque, sur la recommandation du capitaine Richard, les a désignéscomme les défenseurs de « la vraie France »le. En vertu de quoi le can-

didat Bellier retire sa candidature devant Saurin. L'Écho d'Oran chante

les mérites du jeune capitaine Enjalbert 17 et Le Petit Oranais révèle « l'as-

cension d'un fripouillard vers la fortune et la gloire », celle de son concur-

rent, Albert Valleur, le candidat des Loges 18.

A vrai dire, la campaqne électorale n'atteint de virulence que dans la

première circonscription Oran-Ville et Campagne. Face aux formations du

Front populaire la droite est divisée. La bourgeoisie traditionnelle soutient

le maire d'Oran, Gabriel Lambert, qui s'aopuie sur les sections des Amitiés

Lambert (organisations municipales) et le journal Oran Matin* 9.

L'extrême droite s'est choisi un leader en la personne de Marcel Gatuinq,nrand mutilé de guerre, patronné pour les lecteurs modérés par L'Echo

d'Oran 2° et pour les électeurs à complexion chaude, par Le Petit Oranais.

Elle fait montre d'une rare combativité. Elle multiplie les réunions. Aidé

par M* Sarrochi, Gatuing paie de sa personne, à Oran. dans les quartierssuburbains, dans le bled. Antiparlementaire, adepte du fascisme italien, très

emporté au début de sa campagne, il se heurte en ville à la contradiction

communiste, mais reçoit un accueil enthousiaste dans les villages de

colonisation.

13. L'Écho d'Oran, 11 avril 1936.14. L'Écho d'Oran, 14 avril 1936.15. L'Écho d'Oran, 19 avril 1936.16. L'Écho d'Oran, 22 avril 1936.Article : «Un important meeting à Saint-Charles ».

Les déplacements de La Rocque se font à bord d'un avion piloté par Hermoz.17. L'Écho d'Oran, 26 avril 1936,Enjalbert né à Ain-Kial, études & Oran, capitaine

à 26 ans.18. Le Petit Oranais, 24 avril 1936.19. Le conseil d'administration d'Oran Matin est formé de Cbarriand, Perret, Gay

et Boutrée.20. L'Écho d'Oran, 19 avril 1936.M. Gatuing est né le 3 avril 1896à Hostaganem

d'une famille d'origine pyrénéenne arrivée au début de la colonisation. Études enAlgérie. Service militaire sur le front français et le front d'Orient, Blessé à la face àDouaumont. 1928 Conseil Général. 1932Délégué financier.

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5/2 REVUE D'HISTOIREMODERNEET CONTEMPORAINE

Mais cette campagne électorale fondée sur de solides rancunes mêleassez rapidement thèmes nationaux et locaux. Son caractère sordide nel'élève pas au-dessus d'une campagne municipale élargiea. L'écueil pourl'extrême droite est le maire Lambert confiant dans son électorat catho-

lique et israélite partiellement réconcilié depuis 1934 et qui se refuse à ladivision de l'opinion en deux blocs hostiles, les républicains nationaux etle Front populaire. Or l'extrême droite s'attend jusqu'au dernier moment àun désistement ; ne l'ayant pas obtenu, elle salit le maire d'Oran quin'apparaît plus que comme un « escroc » de bas étage 22. Face à ces accu-

sations, G. Lambert résiste, prône une « république démocratique et

sociale », traite Gatuing de fauteur de troubles et de désordres et fait

donner ses amis :

« Vous êtes — ou tout au moins ceux qui vous patronnent — sont deshommes d'extrême droite qui n'aspirent qu'à une seule chose : voir un jourla France gouvernée par un dictateur, que ce dictateur s'appelle le duc deGuise ou le comte de Paris.Et l'on ne peut douter de cela, M. Gatuing, quand on voit les hommes duPetit Ocanais ou les Volontaires nationaux qui vous accompagnent dans toutesles réunions portant aux revers de la veste les insignes à fleur de lys ou àcroix gammée » 23.

Mais l'opinion centriste, sollicitée par des mots d'ordre tranchants, ébranlée

par la décision de l'évêché (suspension de l'abbé Lambert) ou soumiseaux consignes du Consistoire, est tentée par des choix extrêmes. L'électorat

catholique dans un réflexe nationaliste risque d'être sensible à la symbo-lique des couleurs M et les Israélites aux promesses humanistes du chef dela coalition du Front populaire, Léon Blum. Dans l'un ou dans l'autrecas, la trêve raciale n'aura été que de courte durée en Oranie.

Effectivement, le soir du premier tour de scrutin, les trois candidatsde l'extrême droite arrivent en tête. Saurin est élu dans la 3* circonscrip-tion. Enjalbert est assuré du triomphe sur A. Valleur. L'arithmétiqueélectorale, répartissant de façon presque égale les voix sur les trois candi-dats, aboutit à une situation inextricable à Oran.

L'abbé Lambert est effondré devant le résultat. La communauté israélite— les résultats du bureau de vote de l'Hôtel de Ville sont là pour le

prouver — l'a lâché en faveur du candidat socialiste Marius Dubois 25. Les

analyses de l'extrême droite se confirment donc, mais Lambert, en dépitde ses déclarations, maintient sa candidature. Gatuing mise dès lors sur les

21. Oran Matin, 21 avril 1936.L'abbé Lambert accuse particulièrement les Fouque,les Bourland, les Peyrat, les Manonnl de ne pas lui pardonner son succès aux électionsmunicipales et son alliance avec les Israélites. La liste oranaise républicaine de défensedes intérêts locaux était menée en 1934par Bourland.

22. Les critiques les plus virulentes portent sur la politique de l'eau potable àOran et sur un emprunt dans une banque parisienne. On trouvera les photocopiesdans Le Petit OranaU.

23. Oran Matin, 24 avril 1936. Article signé par A. Calderon, président d'honneurdes Amitiés Lambert.

24. Slogan de L'Écho d'Oran répété dans plusieurs numéros : « Voter aujourd'huipour Gatuing, Enjalbert, Saurin, c'est assurer la victoire du drapeau tricolore surle drapeau rouge».

2:>.Oran Matin, 28 avril 1936. Les rapports entre Lambert et l'évêché apparaissentdans La Semaine religieuse d'Oran des 11 janvier et 18 avril 1936.

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374 REVUE D'HISTOIRE MODERNEET CONTEMPORAINE

absentionnistes, les néos, les Espagnols. Les horreurs de la guerre d'Espa-

gne ne sauraient les porter vers des positions tièdes 26. Il essaie aussi de

mordre sur l'électorat catholique de Lambert « qui donne l'exemple scan-

daleux de l'intérêt strictement et bassement personnel ». Enfin auprès des

milieux modestes, l'extrême droite recourt à l'arme raciste qui a toujourssi merveilleusement réussi à Oran :

« La France aux FrançaisOuvriers latins, tous debout !

Ouvrier latin ! Vas-tu accepter de subir la domination juive ?Lambert, hier, à Bastrana a fait appel aux Juifs pour obtenir dimanche lamajorité.Lambert depuis son arrivée à l'Hôtel de Ville a mis les services municipauxentre les mains des Juifs.Lambert les a nommés surveillants et chefs de chantier, tandis qu'il t'a laisséles travaux pénibles.Dubois est l'homme des Juifs.Le socialisme dirigé par le juif Léon Blum est devenu le refuge des socialistesrévolutionnaires.Ouvrier latin,Avec Lambert et avec Dubois, les Juifs seront tes maîtres.Ouvrier latin,Tous unis contre les Juifs.Tous unis contre Lambert et Dubois

au cri de la France aux FrançaisVotez pour Gatuing ». (L'Écho d'Ocan, 30 avril)

Le résultat prévisible sort des urnes le 3 mai. Enjalbert est vainqueurdans la 2e circonscription. Le candidat S.F.I.O. l'emporte à Oran (Dubois11 586 ; Gatuing 9 440 ; Lambert 8 440).

II. — LE RASSEMBLEMENTNATIONALD'ACTIONSOCIALE(JUIN-SEPTEMBRE1936)

L'éclipsé du maire Lambert n'est que de courte durée. Dès juin, à la

faveur de l'explosion sociale, il lance le Rassemblement national d'action

sociale (R.N.A.S.) qui fait du 14 juillet une journée de réconciliation des

diverses tendances de l'extrême droite. Cette nouvelle formation prenant

appui sur les élus nationaux s'engage à enrayer l'avance communiste en

milieu musulman. En liaison avec les Unions latines, elle sert d'abri aux

ligues dissoutes jusqu'à la création du P.S.F. et du P.P.F.

« Appel aux nationaux démocrates !Le 14 juin, le Front populaire défilera. Il défilera pour exalter sa victoireaux élections législatives. Il défilera en France. Il défilera à Oran...A la manifestation du 14 juin, nous opposerons notre manifestation du 14 juillet.Le 14 juillet, nous défilerons dans Oran et nous prouverons que le nombredes nationaux qui suivent le drapeau tricolore écrase le nombre des égarésqui suivent le drapeau rouge.

26. L'Écho d'Oran, 29 avril et 30 avril. Titres : «Terreur en Espagne» et « Bilan descrimes en Espagne».

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L'EXTRÊMEDROITE EN ORANIE(1936-WiO) 575

Ce jour-là, les nationaux républicains oublieront leurs querelles pour com-munier uniquement dans l'amour de la Patrie française et de l'ordre. »

Abbé Gabriel Lambert, maire d'Oran 27.

Vingt mille personnes défilent le 14 juin 1936 et manifestent leur con-fiance au gouvernement du Front populaire. Sur l'itinéraire boulevardMolle-Place d'Armes-Rue d'Arzew-Place de Victoires se succède l'impo-sant cortège : les pionniers communistes, la Ligue internationale contre l'anti-sémitisme et le racisme, les Jeunesses socialistes, les Faucons rouges, leComité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme, la Ligue descombattants pour la paix, les syndicats, les intellectuels antifascistes... 28 Desdéfilés identiques ont lieu à Tlemcen, Mostaganem, Mascara. A Sidi-bel-Abbès, une contre-manifestation aux cris de « Vive l'Armée », « Vive laFrance », se solde par une trentaine de blessés.

Puis surviennent les grèves qui paralysent Oran. De jour en jour laliste des établissements touchés par le mouvement s'allonge : les autocarsRuffié, les ateliers Renault et Citroën, les magasins de curiosités Darmon,la Cie de Dragage ; les minotiers, les 2 000 dockers. Les premières occupa-tions de bureaux ont lieu à la Compagnie de Compteurs Lebon. La peursociale, plus que les élections législatives, soude l'extrême droite.

« Appel aux Oranais contre le fascisme rouge.Oranais, le fascisme est dans notre ville.Le fascisme gagne de jour en jour... c'est la mort à brève échéance de toutesles libertés républicaines.Finie la liberté de travail, finie la liberté de réunion, de circulation, finie laliberté du propriétaire de disposer de sa propriété. Les rouges sont là. Ils sontles maîtres. Ils commandent. La rue est à eux : liberté du geste, liberté descris. Les industries sont à eux. Ils s'installent partout. De gré ou de force.Il faut céder devant eux.Oranais, Oranaises courageux ! l'heure est venue de l'organisation défensive...J'entends défendre l'Algérie contre ceux qui préparent la noyade de tousles Français, leur expulsion !A l'organisation rouge s'oppose l'organisation tricolore.Faites-vous inscrire au Rassemblement national d'action sociale... »

Abbé G. Lambert 29.

Les journées du 26, 28 et 30 juin sont de véritables journées d'émeute.Des groupes d'individus investissent la ville, on tire sur les automobiles,des bagarres éclatent autour du quartier israélite. Il y a un tué. L'extrêmedroite accuse les rouges, le Front populaire, les services du nettoiementde la ville armés par le maire 30. Devant cette agitation les adhésionsaffluent passage Clauzel, siège du R.N.A.S. Parmi les premiers inscrits,l'armateur Ambrosino, la commune de Misserghin, l'avocat M" Gerbaudet les chefs des groupements nationaux dissous. Le comité directeur duR.N.A.S. se constitue autour de son président Lambert, vice-présidents

27. L'Écho d'Oran, 11 Juin 1936.28. Le Semeur, organe hebdomadaire de la Fédération S.F.I.O. de l'Oranle et des

organisations syndicales, 20 juin 1936.29. L'Écho d'Oran, 26 juin 1936.30. Intervention du sénateur Roux-Freisslneng devant le Sénat, le 29 février 1937

et articles du journal Le Semeur, 26 et 30 juin 1936.

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576' REVVE irillSTOlHE MODEHXEET COSTEMPOHAIXE

Gatuing, Gerbaud, Dr Anduze, secrétaire Virazels et trésorier Kruger. Uneréunion des maires nationaux est convoquée à l'Hôtel de Ville d'Oran

pour le 31 juin 31. Parallèlement, un banquet des Unions latines se tientà Sidi-bel-Abbès. Les conférences de Raoul Follereau, de retour du pèleri-nage traditionnel au tombeau du Père de Foucauld, sont l'occasion de

bruyantes réconciliations, de tirades antisémites mêlées, selon certains

témoignages, aux hymnes allemands et italiens 32. Pareilles prises de posi-tions, vite colportées et amplifiées, redonnent confiance aux représentantsde la colonisation. Dans une motion commune les maires d'Oranie :

«— demandent au gouvernement de faire respecter la liberté de travail,l'ordre dans les rues, le droit de propriété et des libertés publiques en général ;— ne sauraient tolérer que le drapeau tricolore ou la cocarde tricolore oule chant de la Marseillaise puissent être considérés comme une provocationet réclament des punitions exemplaires contre quiconque insultera le drapeaubleu blanc rouge ;— s'élèvent avec indignation et réprouvent de toute leur âme de Françaisles insultes exprimées dans la rue à des officiers ou militaires de l'arméefrançaise en uniforme... ;—•ne sauraient tolérer que l'expression de leur sentiment national soitconsidérée comme attitude factieuse ou comme adhésion au fascisme.

Vive le drapeau tricolore !Vive la République !Vive la France !33».

Puis c'est la croisade à l'intérieur des terres, avec des conférences à

Misserghin (lre réunion), à Mostaganem, à Bou-Tlélis.

Pareille agitation inquiète le gouvernement qui destitue le maire d'Orande ses pouvoirs de police et, sur place, les socialistes ne seraient pasfâchés d'un renouvellement complet du conseil municipal.

«Télégramme, Salengro, ministre de l'Intérieur, Paris

Signalons maire fasciste Oran organise avec éléments associations dissoutesvéritable ligue factieuse se livrant provocations continuelles aux cris " ViveHitler, à bas les Juifs ". Incidents graves déjà arrivés, d'autres plus gravesen perspective ... Autorités passives. Demandons enquête sérieuse. Dissolutionligues en formation. Sanctions sévères.

Section socialiste 34».

Or, loin de s'apaiser, le ton monte car l'extrême droite veut faire du

14 juillet la journée démonstrative de sa supériorité sur le Front populaire.Elle y réussit. En face du cortège du Front populaire (12 000 à 20 000 per-sonnes suivant les estimations) se dresse le défilé du rassemblement national

groupant 50 à 60 000 personnes. Oranais de la ville, des faubourgs,Musulmans, Délégations des campagnes et le Comité du rassemblement

national entouré de 400 élus.

« Eclatante revanche du 14 juillet. Digne réaction contre la lamentable mani-festation du Front populaire dans laquelle le drapeau tricolore était écrasé

31. L'Écho d'Oran, 30 juin 1!)36.32. L'Écho d'Oran, 11 Juillet 1936et Le Petit Oranais, 17 Juillet. On relèvera parti-

culièrement dans ce dernier Journal la réconciliation de P. Peyrat avec Lambert.33. L'Écho d'Oran, 2 Juillet 1936. Motions des maires d'Oranie.34. Le Semeur, 4 juillet 1936.

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L'EXTRÊMEDROITEE\ ORAME (1936-19*0) 577

par des loques rouges... On sait maintenant que dans notre département ledrapeau des trois couleurs est toujours le drapeau de la France » 35.

Le maire d'Oran chante à son tour sa revanche sur les élections légis-latives en l'accompagnant des mots d'ordre de l'extrême droite 36. Lesadhésions débordent maintenant le cadre des villages suburbains jusqu'àTurenne, Zemmorah, Sainte-Barbe-du-Tlélat. Legrand et Oued Imbertcréent des comités R.N.A.S. A la fin du mois de juillet, Lambert annonce

que 95 % à 97 % des municipalités se sont regroupées au sein du mou-vement 37. Les radicaux seraient ébranlés et disposés, en maints endroits,à rejoindre la nouvelle formation.

Les diverses réunions, à Mascara, à Relizane, à Tiaret permettent de

préciser l'orientation du Rassemblement. Formation de lutte anti-marxiste

dirigée contre le Front populaire, le R.N.A.S. se définit avant tout négati-vement. Il n'a pas de positions doctrinales précises. Fait d'amalgamed'hommes si divers, qui se sont combattus hier encore, il entend se démar-

quer du fascisme de tendance hitlérienne, tout en laissant une large liberté

philosophique à ses membres. Au contact des élus de l'Oranie, il placepar-dessus tout le souci de la prépondérance française :

« Le Rassemblement est le groupement de toutes les forces d'ordre uniescontre le F.P. pour assurer et consolider la prépondérance de la France enAlgérie.Le Rassemblement n'élimine aucun élément national et n'est dirigé contreaucune race ni aucune religion.Il place par-dessus tout l'amour de la Patrie symbolisée par les trois couleurs.Si, comme geste de ralliement, le R.N.A.S. a choisi la moin ouverte, ce n'estpas par sympathie pour Hitler qu'il entend combattre pour assurer l'indépen-dance du pays, mais pour répondre par une main largement tendue au gestede haine du poing »3S.

Le mouvement R.N.A.S. atteint son apogée lors de la réunion au stade

municipal d'Alger. Régis, Fossati, Devaud et Lambert sont les vedettes du

jour 39. Cette manifestation, par son organisation, ses thèmes, ses outrances

verbales prépare en quelque sorte la venue des partis d'extrême droite de

France, le Parti social français et le Parti populaire français. L'abbé Lam-

bert grâce au R.N.A.S. a atteint un de ses objectifs, la reconquête d'Oran

et sa percée dans le département.

Mais, à y regarder de plus près, le R.N.A.S. est aussi une réplique à

la Fédération des élus musulmans qui se sont réunis, le 7 juin 1936 à

Alger pour élaborer la charte revendicative 40. Nul doute qu'à travers

« l'abcès communiste » le R.N.A.S. n'entende combattre la propagation des

« idées subversives » dans les milieux musulmans.

35. Le Petit Oranais, 15 juillet 1936.36. Oran-Matln, 16 juillet 1936.37. Oran-Matin, 30 Juillet 1936.

38. Oran-Matin, 26 juillet 1936. On conviendra que le choix de ce salut est plusque curieux. Il sera assimilé par toutes les formations de gauche au salut hitlérien.

39. Oran-Matln, 9 et 10 août 1936.40. M. KADDACHE,op. cit., p. 299.

38

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573 REVUE D'HISTOIREMODERNEET COSTEMPORAIXE

« Oui, on est en train de tuer l'Algérie française, s'écrie Lambert.On essaie d'embrigader les fils de l'Islam qui n'ont qu'un seul drapeau...On va jusqu'à leur dire : "

Jetons les Français à la mer et nous resteronsles maîtres de ce pays ".Alors, fils de France, fils de l'Espagne héroïque, alors Musulmans qui aimezla France, comprenez-vous pourquoi des hommes qui peuvent diverger d'opi-nions se sont groupés pour ne penser qu'au devoir qu'ils ont à remplir ? »(Applaudissements frénétiques.)

Le Dr Bentami sous une autre forme demande instamment à ses conci-

toyens d'éviter la tentation d'une alliance Fédération des élus-Front

populaire :

« Je suis, moi, pour le drapeau tricolore parce que des milliers et des milliersde mes frères musulmans sont morts pour le défendre.Je suis pour le drapeau tricolore parce que c'est lui qui nous a apporté laliberté et parce que ce drapeau c'est pour nous, musulmans, la possibilitéde faire aboutir nos revendications dans le calme » 41.

Le Front populaire est, en effet, la dernière chance offerte à la France

pour régler le problème algérien dans une relative sérénité, mais tous lesefforts de l'extrême droite tendront à le saboter à la base. La contradic-tion est perçue par tous les hommes clairvoyants dès l'été 36 :

« Vous savez ce que je dis, moi, maire socialiste de Beni-Saf, en mon nomet au nom du parti qui connaît les misères de ceux que vous exploitez enpayant 4, 6 ou 8 francs par jour, vous n'êtes pas des nationaux, comme vousle prétendez, vous êtes des féodaux comme vos ancêtres qui ont combattu laRévolution de 1789» 42.

III. — LE P.S.F. ET LE P.P.F. EN ORANIE. LA BATAILLEAUTOURDU PROJETVlOLLETTE (SEPTEMBRE1936-JUILLET 1937)

La création des deux partis d'extrême droite, P.S.F. et P.P.F., corres-

pond au besoin de la colonisation de porter le débat algérien devant l'As-semblée nationale. Fortement appuyés par le R.N.A.S. ils mobilisent les

opinions algérienne et métropolitaine autour du projet Blum-Viollette. Surle plan local, le P.P.F. entre aussi en conflit avec la C.G.T., ce qui luivaut l'adhésion massive du patronat de combat rural et urbain.

La naissance du P.S.F. en Oranie est liée à un contretemps qui expli-que, en partie, la lenteur de sa formation. Le groupe P.S.F. se réunit le24 septembre 1936 sous la direction de Vallin, délégué à la propagandeau Grand Café d'Oran. Il est assisté de tous les ténors Croix de Feu du

département : le commandant Debay, le capitaine Richard, Gatuing, Bon-

homme, Ruiz. On acclame Berge et Leforestier « injustement incarcérés »

pour trafic d'armes. Tous les lieux communs de défense contre « l'idéologieasiatique » sont ressassés devant quelque 2 000 auditeurs. Les inscriptionset adhésions au P.S.F. sont reçues au siège, 44, rue Alsace-Lorraine et le

démarrage du parti ne saurait faire de doute 43.

41. Oran-Matln, 18 juillet 1936. Lambert, Gatuing et Bentami à Mascara. «Magni-fique» réunion présidée par A. Catroux.

42. Le Semeur, 11 juillet 1936.43. Oran-Matln, 25 et 29 sept. 1936.

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580 REVUE D'HISTOIREMODER\E ET COXTEMPORAIXE

Or les jours suivants on apprend successivement l'interdiction du P.S.F.au Maroc, les suites judiciaires de l'affaire du Parc des Princes et les per-quisitions au siège du P.S.F. à Alger 44. Comment s'étonner dès lors quele nouveau parti ne fasse que figure de groupuscule lié et étroitementsubordonné au R.N.A.S. ? 45

Bien plus spectaculaire est la percée du P.P.F. dont le programme est

exposé, le 25 novembre 1936, au Champ de Mars à Alger, par Doriot lui-même 46. Sa tournée en Oranie (Tiaret, Mostaganem, Sidi-bel-Abbès) est unvrai triomphe. Entouré d'Arrighi, responsable du parti en Algérie, Fossati,secrétaire fédéral d'Alger, et du fils du général Maudhuy, Doriot se livreà un procès en règle du communisme. Il met en garde les Musulmans contretoute tentation de suivre le P.C. « qui leur fait miroiter la possibilité defaire aboutir un nationalisme algérien » 47. Devant 15 000 personnes à

Oran, il expose une fois de plus les objectifs du P.P.F. avec cette adjura-tion, en guise de conclusion à l'intention des Musulmans :

« Frères Musulmans, n'allez pas vous jeter dans les bras de Staline pasplus que dans ceux de Hitler et Mussolini ! Votre attachement à la Francea été scellé de 1914 à 1918 dans les tranchées près de nous» 48.

Le style direct du tribun promettant d'organiser « l'empire des 104 mil-lions de Français » plaît aux Oranais. La première réunion P.P.F. a lieuà la Brasserie Guillaume Tell sous la direction de Queyrat, Virazels,Vidal. Aïn-Temouchent, Arzew, Saint-Denis-du-Sig, Rio-Salado sont prêtsà organiser des sections. La propagande P.P.F. doit commencer sur le

champ dans les faubourgs ouvriers et dans les campagnes par les « soldatsactifs » du parti 49.

Moins de deux semaines plus tard, Marion à Bône et Henri Barbe, en

Oranie, reprennent la campagne de Doriot. Anciens communistes, ils met-

tent en place les sections P.P.F., créent des sections d'entreprise afin de« purger la France de tout germe communiste ». En vue des combats poli-

tiques futurs, ils font des ouvertures aux Musulmans et reçoivent à Oran

le concours du premier adjoint musulman, Zine ben Tabet. La conférence

inaugurale au Casino Bastrana est suivie d'une prise de contact avec le

département, à Tlemcen, à Saïda, à Sidi-bel-Abbès et à Mascara 50.

Et dans la foulée, avec une hâte incroyable, le P.P.F. réunit son Con-

grès à Alger. 124 délégués représentant 6 000 adhérents se groupent le

2 janvier 1937 autour de Marion, délégué à la Propagande et Barbe,

44. Oran-Matin,27 sept., 11 et 16 oct. 1936.45. L'Écho d'Oran, 6 nov. Article 2» réunion du P.S.F.46. Oran-Matin,26 nov. 1936.47. Oran-Matin,28 nov. et 29 nov. 1936.48. Oran-Matin, 30 nov. 1936. Cette position purement nationaliste au début du

P.P.F. est établie par les recherches de D. WOLF,Doriot, du communisme à la col-laboration, Fayard, 1970.

49. Oran-Matin, 6 déc. 1936.50. Oran-Matin, 23 au 30 déc. 1936. Le Parti compterait alors 5000 adhérents en

Oranie, soit l'immense majorité du P.P.F. d'Algérie.

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L'EXTRÊMEDROITEEN ORANIE (1936-19M) 581

secrétaire général du Parti. Il était temps. Le parti P.P.F., véritable machinede guerre contre le projet Blum-Viollette, est en place 61.

Le projet gouvernemental Blum-Viollette comporte deux aspects : l'ac-cession à la citoyenneté française de l'élite musulmane (21 000 personnes)et l'exercice des droits politiques par les indigènes. La querelle essentielletourne autour de l'exercice des droits politiques. Le projet est plein de

dangers aux yeux de la colonisation, car il est le premier pas vers la sub-version des Français par les Algériens 52. Aussi essaie-t-on de rejeter tousles Musulmans vers le collège électoral spécial, le 2* collège, créant pré-cisément entre les deux communautés un fossé irrémédiable qu'on préfèreà une lente assimilation, dernière garantie contre les revendicationsnationalistes 53.

La contre-attaque de l'extrême droite européenne se développe à partirdu Conseil général d'Oran. Un contre-projet Saurin aboutit à un premierprojet de loi 64, repris en février 1937 par Doriot 65.

En effet, le projet Blum-Viollette déclenche une obstruction systéma-tique qui voile l'égoïsme colonialiste dans une phraséologie de bons senti-ments à l'égard des « braves Musulmans ». Dès ce moment apparaissent les

aspect de la « politique du ventre » qui l'emporteront, après 1945, sur les

principes élémentaires de justice humaine et sociale.

Motions du P.P.F. et des maires d'Oranie se conjuguent pour fairereculer le gouvernement du Front populaire :

Motion du Ier congrès du P.P.F. réuni à Alger les 2 et 3 janvier 1937:« Le P.P.F.— s'élève énergiquement contre le projet Blum-Viollette, première étape versla création d'un collège électoral dans lequel l'influence française ne pourraitplus s'exercer ;— proteste contre cette première et grave atteinte au principe même de lasouveraineté nationale dans les trois départements d'Algérie ;— dénonce le projet gouvernemental comme un instrument de division entreles musulmans d'une part et d'autre part de division qui ne sert que lesmenées et l'agitation antifrançaise du Parti Communiste, agent de l'étranger ;— proclame la nécessité de donner d'abord le pain, la paix et l'instructionaux masses laborieuses. Elever le niveau d'existence des millions de tra-vailleurs algériens a plus d'importance aux yeux du P.P.F. que l'octroi desdroits politiques à une minorité d'électeurs favorisés »66.

51. L'Écho d'Oran, 4 janvier 1937. Les secrétaires départementaux sont Fossati(Alger),Mongosi (Constantine) et Vidal (Oran). La délégation de l'Oranie est composéede Zine ben Tabet, Cazaubau, Zoublr (Oran), Assouli (Bel-Abbès)et Havard (Tlemcen).

,">2.Ch.-A. JULIEN,L'Afrique du Nord en marche, op. cit., p. 124.53. Sur le projet Blum-Viollettevu par les Musulmans, voir R. MONTAGNE,« La fer-

mentation des partis politiques en Algérie» in Politique étrangère, avril 1937,p. 124sq.

54. L'Écho d'Oran, 20 oct. 1936et 1er janvier 1937.Voeuque soit instituée une repré-sentation parlementaire des indigènes algériens élue par le collège électoral prévu parla loi du 4 février et le décret du 6 février 1919.

55. Proposition de loi N» 1804de Doriot sur la représentation des indigènes : Art. I.« 11est créé dans les trois départements d'Algérie un collègeélectoral musulman pourtous les Français qui entendent conserver le bénéfice du statut personnel ».

50. L'Écho d'Oran, 4 Janvier 1937.

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582 REVUE D'HISTOIREMODERNEET CONTEMPORAINE

Ce même sentiment « démocratique » est partagé par la Fédération desmaires d'Oranie, réunie le 5 janvier 1937 à l'Hôtel de ville d'Oran. Cent dix-huit communes sur 130 rejettent la dernière grande tentative gouvernemen-tale de politique d'assimilation, tant désirée par la bourgeoisie musulmane :

Motion de la Fédération des maires d'Oranie 57:

« 1° proteste avec énergie et indignation contre les allégations injurieuses etcalomnieuses du soi-disant Congrès musulman tendant à représenter les mairesd'Oranie comme des " Nationaux Fascistes ", ennemis des indigènes et dési-reux de les " maintenir toujours en esclavage et de les exploiter davantage

" ;

4° constate que le projet Viollette — fait qui échappe à beaucoup de métro-politains — est appuyé et soutenu en Algérie par tous les extrémistes révo-lutionnaires qui combattent l'influence française et aboutit à créer l'idée d'une" nation algérienne

"destinée à se séparer de la France ;

6° repousse le projet Viollette parce que la mise en application de ce projetest susceptible d'entraîner des troubles graves en Algérie et de provoquerou d'aviver les haines de race ;

9° désireuse de prouver aux indigènes qu'elle entend les faire participer effi-cacement à la vie politique française dans un sentiment de collaboration étroiteet de vraie fraternité, approuve pratiquement le projet Saurin qui demandeune représentation directe des indigènes au Parlement français, représentationélue par un collège électoral indigène à raison de trois députés par dépar-tement... ».

Une délégation de quinze maires d'Oranie se rend à Alger pour défendrela motion. Elle est en pleine communion d'esprit avec les autres maires

d'Afrique du Nord qui repoussent à l'unanimité moins deux voix (Zavacoet Baretaud) le dernier effort libéral de l'ancien gouverneur d'Algérie,Maurice Viollette 58.

Parallèlement à l'action des élus, le P.P.F., lié au patronat d'Algérieintervient en force pour décapiter la C.G.T. La maison Ducros, Algé-ronaphte, la Société des Produits chimiques licencient les délégués de lacentrale ouvrière et renvoient le personnel qui refuse la carte P.S.F. ouP.P.F. Poussés à bout, les syndicats déclenchent la grève générale, le25 janvier 193759. C'est le moment attendu par l'extrême droite pour uneintervention de grand style. Ouvriers et sections P.P.F. assurent la pro-tection des usines, aux ateliers Ruffié, chez Savignon, à la CompagnieLebon. Les sections d'entreprises se forment. A la première réunion de lasection P.P.F. d'Oran il est fait mention de 2 000 adhérents à Oran-Ville et

57. L'Écho d'Oran, 6 janvier 1937.58. L'Écho d'Oran, 15 janvier 1937.Les maires d'Afrique du Nord demandent une

étude, commune par commune, des répercussions du projet Blum-Viollette, d'où lacommission d'enquête présidée par le député de la Martinique Lagrosillière.

59. Le Semeur, n° spécial du 25 janvier 1937. Télégramme à Blum, président duConseil, Paris : « Syndicats Oran ont décidé grève générale... suite refus patronatappliquer loi congés payés, délégués ouvriers, conventions collectives (Stop) Ouvrierscégétisteschassés ateliers. Embauchage Grands Travaux exclusivement fait par P.P.F. »Signé Dubois.

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L'EXTRÊMEDROITE EN ORANIE (1936-19M) 583

5 500 dans le département 60. En mai, 19 sections d'entreprise protesterontcontre la révocation de Doriot par le ministre de l'Intérieur, Dormoy 61.

Dans le reste du département les mitraillages réciproques se multiplient,à Mostaganem, à Perregaux. A Bel-Abbès, le militant P.P.F. Manchontombe sous les balles communistes et devient le « premier martyr » del'extrême droite 62. Les sections P.P.F. de Bordeaux, Nice, Clermont-Ferrand, Saint-Denis expriment leurs condoléances. L'enterrement suivi par10 000 personnes et 9 sections P.P.F. d'Oranie, dûment structurées, estl'occasion d'un nouvel appel à l'union de toute l'extrême droite :

« Aujourd'hui, comme hier, notre mot d'ordre reste celui de la constitutionen Algérie du Front de la Liberté contre les anarcho-communistes. Doriotvaincra... >63.

La fédération Algérie-Tunisie du P.S.F. répond à cet appel par unedemande de dissolution du P.C. dont les menées « sont doublement dan-

gereuses en Algérie » 64. Le P.S.F. en effet s'est aussi constitué en force

politique en Algérie et en Oranie. Messes commémoratives au moment dela mort de Mermoz réunions politiques au plateau Saint-Michel et tournéesde propagande avec Vallin, Creyssel, Fourcault de Pavant, membres ducomité exécutif, l'ont peu à peu imposé 65. Les sections se créent à Oran,mais sans hâte dans le bled, à Rio-Salado, à Laferrière, à Mostaganem, à

Mazagran, à Aboukir. C'est que le parti fait double emploi avec le Rassem-blement national d'action sociale en dépit de la liberté d'affiliation donnée

par l'abbé Lambert 66. D'ailleurs le P.S.F. semble préférer l'action clandes-tine, particulièrement le renseignement au profit de l'Espagne franquiste(affaire Berge).

En tout cas pareilles passions, annonciatrices d'autres orages méditer-ranéens, ont leur aboutissement sur la scène politique parisienne. L'orches-tration algérienne est coordonnée avec un parfait ensemble. Roux-Freis-

sineng dénonce avec force au Sénat les menées antifrançaises. L'abbéLambert court les antichambres ministérielles et multiplie les interviewstonitruantes sur la fin de la souveraineté française en Algérie 67. La Gauche

démocratique et radicale indépendante (Saurin, Enjalbert) est convaincued'avance du bien-fondé des démarches de la Délégation des maires d'Algériemenée par Abbo. Et Doriot dépose la proposition de loi Saurin, légèrementremaniée, pour faire plus de bruit.

60. L'Écho d'Oran, 19 février 1937.61. L'Écho d'Oran, 29 mal 1937. La composition du bureau fédéral du P.P.F. est

la suivante : Vidal (secrétaire), Sansano, Haye (secrétaires adjoints), Flllls (trésoriergénéral), Tremelat (Trésorier-adjoint), Lopez (archiviste), Sonntag, Zine ben Tabet etZoubir, assesseurs.

62. L'Écho d'Oran, 26 février 1937.63. L'Écho d'Oran, 28 février 1937.64. L'Écho d'Oran, 2 mars 1937.65. L'Écho d'Oran, 27 et 28 janv. 1937.66. L'Écho d'Oran, 6 déc. 1936. Article Intitulé : « Le R.N.A.S. et les différents

partis politiques ».67. L'Écho d'Oran, 2 février 1937.

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58* REVUE D'HISTOIRE MODERNEET CONTEMPORAINE

La partie est pratiquement gagnée au début d'avril quand le sous-

secrétaire d'Etat à l'Intérieur, Auband, déclare au terme d'un voyaged'information en Algérie : « Il est urgent d'opérer un redressement, c'est une

question de poigne » 68.

IV. — BARRAGECONTRELE COMMUNISME: LE TEST DES ÉLECTIONSCANTO-

NALES(OCTOBRE1937)

La campagne d'opinion à Paris, et les coups d'arrêt à la C.G.T. dans

les villes ne sauraient suffirent pour arrêter la progression du Front popu-laire. La question algérienne est avant tout une question agraire. Il fautdonc éviter l'adhésion du prolétariat rural — des journaliers des grandsdomaines en particulier — au programme de la charte revendicative ou duFront populaire, en donnant une teinture sociale aux partis d'extrêmedroite. Les élections cantonales d'octobre 1937 sont l'occasion d'une mobili-sation générale des esprits et d'un nouveau décompte des voix. Y a-t-il

progression ou régression du Front populaire ?

Le congrès d'Alger du P.P.F. avait lancé le slogan « Pain, Paix et

Instruction aux musulmans », mais ce n'est qu'en mars 1937 que le partidécouvre les campagnes à la suite des manifestations de Mercier-Lacombe

où plus de 10 000 ouvriers agricoles se rassemblent pour demander une

augmentation des salaires 69. C'est l'émoi, la vision de troubles sur les

fermes. Sous le coup des événements, les sections P.P.F. de Lourmel et

de Rio Salado mettent en chantier un plan d'action sociale qu'Arrighi pro-pose comme base de discussion aux représentants qualifiés des colons du

département :

« 1. Salaire minimum de 12 F/jour aux laboureurs indigènes.2. Augmentation générale des salaires de 10%.3. Engagement d'employer de façon continue des ouvriers sédentaires attachésà la ferme.4. Protection de la main-d'oeuvre nationale et priorité à la main-d'oeuvrelocale » 7".

Les sections P.P.F. des campagnes se mettent alors en place, et leurs

bureaux, autant qu'on puisse le voir, comprennent des représentants des

trois communautés : Français, Musulmans et Espagnols.Mais le feu est mis aux poudres par trois députés socialistes de France

qui parcourent les campagnes oranaises du 1er au 9 avril 1937 en compagniede Marius Dubois. Les déclarations de Max Lejeune, Augustin Malroux

et van Tielcke soulèvent des critiques véhémentes de toute l'extrême droite

et concentrent toute l'attention sur les problèmes agricoles.

68. L'Écho d'Oran, 10 avril 1937.Déclaration recueillie dans Le Matin d'Alger.69. Ces manifestations ont été précédées de grèves, dès 1936,dans la région d'Aln-

Temouchent (cf. H. LAUNAY,Les Paysans algériens, 1963 repris par J. BBRQVB,LeMaghreb entre les deux guerres, op. cit., p. 315).

70. L'Écho d'Oran, 1er, 2 3 et 4 mars 1937.

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L'EXTRÊMEDROITE EN ORANIE (1936-19*0) 585

« Ministre Intérieur ParisSuis partisan liberté de parole, mais estime intolérable que députés socialistespuissent préparer troubles graves en Oranie en traitant les colons de spo-liateurs et en promettant aux indigènes que le gouvernement leur rendra laterre qui leur a été volée... Ces déclarations sont confirmées par article oùMalroux déclare Oranie s'éveille à socialisme après un siècle de servage.

Abbé Lambert 71».

Ce télégramme est suivi d'une avalanche de protestations, du R.N.A.S.,des députés Saurin et Enjalbert, de la Fédération des maires, des déléguésfinanciers et conseillers généraux réunis une fois de plus à l'Hôtel de

Ville d'Oran. Vilipendant « l'attitude criminelle » du député Marius Dubois,les représentants de l'Oranie :

« Considérant que ces excitations perpétuelles, outre qu'elles constituent uneinsulte à la mémoire des pionniers de l'Algérie, sont de nature à provoquerun véritable fossé entre les divers éléments de la population et à entraîner enmême temps qu'une atroce guerre civile la perte de la prédominance française.Demandent au gouvernement de prendre de toute urgence les mesures légalesnécessaires pour faire respecter l'autorité et le prestige de la France... » 72.

Au même moment, le sénateur Roux-Freissineng demande audience

auprès du gouverneur général Le Beau. Il l'entretient des grèves récentes,des affrontements sanglants (14 blessés à Oued-el-Kheir, 2 morts aux

Abdellys), indices, selon lui, d'une «offensive de grand style» de la partdes communistes. Outré par la propagande de la S.F.I.O. il traduit au

gouverneur général « l'émotion intense que ce langage impie avait immédia-

tement causé au sein de la population » et lui fait « envisager les consé-

quences funestes —par l'état d'esprit d'abord qu'il devait créer chez les

indigènes, par les répercussions qu'il entraînerait chez les Français et spé-cialement chez les colons particulièrement menacés » 73.

Que se passe-t-il en réalité dans les campagnes ? Toutes les forma-

tions politiques : comités du Front populaire, Fédération des élus musul-

mans, P.P.A. et républicains nationaux se disputent la clientèle électorale.

Mais au-delà, nous ignorons tout. Y eut-il, comme promis, des augmenta-tions de salaires ? Distribue-t-on, suivant les suggestions de la section

P.P.F. de Tiaret, des lots communaux et domaniaux disponibles aux Musul-

mans particulièrement nécessiteux ? 74. Peut-être, mais les journaux du Front

populaire laissent entendre que pour parer au danger, la colonisation pra-

tique avant tout la politique du pire et favorise la tendance nationaliste

du Parti populaire algérien pour torpiller la politique réformiste du Congrèsmusulman :

« La collusion entre les dirigeants de l'ex-Étoile nord-africaine devenue P.P.A.et nos partis fascistes de Doriot et de de la Rocque a été abondammentdémontrée par la presse. Qu'il nous suffise de dire à présent que le P.P.A.s'est distingué par sa lutte contre le Front populaire, ... son accord avectoutes les municipalités fascistes qui lui accordaient des salles et l'aidaient

71. L'Écho d'Oran, 14 avril 1937.72. L'Écho d'Oran, 21 avril 1937. Article : « La souveraineté française en péril ».73. L'Écho d'Oran, 20 avril 1937.74. L'Écho d'Oran, 24 avril 1937.

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5S6 REVUE D'HISTOIREMODERNEET CONTEMPORAINE

dans sa propagande et le gros capitalisme qui exige de ses ouvriers unecarte P.P.A. ou P.P.F. et enfin ses gros déplacements d'effectifs, ses dépensessomptueuses. Messali a servi la cause du fascisme contre ses propres frèresindigènes »7B.

Rencontre tactique momentanée, évidemment, mais qui explique quel'été oranais n'est pas la traditionnelle période de démobilisation des esprits.L'anniversaire de la création de P.P.F. est l'occasion de rencontres, de

pique-niques au milieu des vignes des propriétés. Les dames royalistesconvient à des apéritifs et des matinées dansantes à Sidi-bel-Abbès etTlemcen. L'Action nationale fête la libération de Maurras avec le concoursde tous les partis nationaux 76. Le meeting de de la Rocque à Oran, le30 juin 1937, donne un second souffle au parti P.S.F. Mostaganem fêtel'adhésion de son 700e P.S.F. Et les candidatures antimarxistes s'élaborentsous le signe de la coopération des partis d'extrême droite. Le Front dela Liberté 77 est constitué dans la pratique à défaut d'un accord formel sur le

plan national 78.

La campagne pour le renouvellement du Conseil général débute à la mi-

septembre. Un comité de coordination antimarxiste, après quelques joursde confusion investit jour après jour les porte-drapeau de l'idée nationale.La coloration des professions de foi des candidats est plus nettement poli-

tique. La traditionnelle politique des chemins vicinaux est reléguée à

l'arrière-plan au profit du combat idéologique. Le ton est donné une fois

de plus par le maire d'Oran, auréolé d'un prestige nouveau depuis son

entrevue avec Franco à Burgos :

« Eh bien, Messieurs les Rouges, proclame-t-il, vendus à Moscou, vendusaux métèques, laissez-moi vous le dire : « Vous ne passerez pas » ; le Peupled'Oran s'est ressaisi, le peuple d'Oran rejette votre dictature, votre anarchie,vos scandales, votre volonté d'asservissement.Le Peuple d'Oran votera National 79».

Dans la pratique, les bagarres, les jets de pierre, les agressions à carac-

tère raciste se multiplient. Toute la politique du Front populaire est passéeau crible avec ses aspects négatifs. Les slogans, les tracts, les inscriptionsfleurissent. Des hommes nouveaux surgissent pour faire échec aux com-

munistes et socialistes dans leurs bastions les plus inexpugnables. Les

appels au sentiment national, à l'intérêt le plus immédiat et à la violence

dominent :

« La victoire soclalo-communisme, ce serait bientôtLe Drapeau rouge

A la mairie d'Oran. >

75. Le Semeur, 2 oct. 1937. Même icho chez TILLION(G.), Les Ennemis complé-mentaires, Paris, 1960,p. 160.

76. L'Écho d'Oran, 14 juillet 1937. Les principaux chefs royalistes d'Oran sontSicard et M*Barisain. Cf. aussi la manifestation du 26 novembre 1938avec MaximeReal del Sarte.

77. Sur le Front de la Liberté voir P. MÂCHEFER,« L'Union des droites », Revued'Bist. mod. et contemp., Janv.-mars 1970, p. 112-126.

78. L'accord comprend le R.N.A.S.,le P.P.F. et le P.S.F.79. L'Écho d'Oran, 12 octobre 1937.

Page 21: LUL L Extreme Droite en Oranie Koerner 1973

L'EXTRÊMEDROITE EN ORAN1E(1936-19*0) 587

« Électeur crache ton mépris à la face de tout félon quipour des raisons inavouables

trahit la cause nationale. »« Ce qu'ils ont fait de la paix sociale

en un an de Front populaire5000 grèves

350 émeutes39 morts

980 blessésSans compter les morts et les blessés des bagarres et émeutes d'Algérie, deTunisie et du Maroc >80.

Le thème fondamental est, évidemment, l'Algérie française qui se con-fond si bien avec l'Algérie des intérêts :

< En Algérie, peut-on lire, plus qu'ailleurs, parce que le prestige françaisest mis en cause, parce que la propagande ignoble des agitateurs peut amenerdes troubles sanglants, parce qu'une terre fécondée par le travail et le sangde nos pères peut nous être disputée, il faut enrayer les ravages incessantsdu marxisme... Comment le gouvernement peut-il rester neutre devant ce périlqui nous prépare un avenir plus qu'inquiétant ?» 81

Le premier tour de scrutin est un vrai triomphe pour l'extrême droite.Onze sièges emportés contre un au Front populaire, cinq en ballottage.Une consolation pour la gauche, Gabriel Gonzalès et Bachterzi sont victo-rieux dans les circonscriptions musulmanes de Béni-Saf et Aïn-Témouchent.

Résultats des élections cantonales*®Premier tour

Circonscription Nom de ,.él p T^ des voixdu département

1" Palikao Vautherot R.N. 849/13009* Misserghin Rey R.N. 826/1004

11* Saint-Denis-du-Sig .. Dr Bernère R.N. 459/77315* Aboukir Saurin R.N. 976/90017* Inkermann Reboul R.N. 427/45519- Nemours Blanc R.N. 727/107521* Frenda Lebon R.N. | 363/363^25' BoukaneBs Chanfreau R.N. ! 771/77717* Prudon Payri R.N. 720/72329* Oran-Karguentah .... Lambert R.N. 3 592/601931' Oran-Berthelot Sarrochi R.N. 2156/414833* Tiaret Viniger F.P. 908/913

Le P.P.F. exulte et commente en termes passionnés sa victoire fi2; la campa-gne pour le scrutin de ballottage redouble d'intensité. Les réunions sont

particulièrement fiévreuses. Tout est bon pour remuer les hésitants et lesabstentionnistes : les événements sanglants du Maroc, un télégramme de

80. L'Écho d'Oran, 17 octobre 1937.81. L'Écho d'Oran, 16 octobre 1937. Article : « SI l'Algérie veut rester française ».82. L'Écho d'Oran, 18 oct. 1937.

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588 REVUE D'HISTOIREMODERNEET CONTEMPORAINE

félicitation du général espagnol Queipo de Llano, l'inflation des prix, lasituation catastrophique du port d'Oran :

« A Oran-MarineVoter pour les Rougesc'est voter pour la grève presque continue sur les quaisc'est voter pour la ruine du port d'OranOuvrier de la Marine, est-ce là ton intérêt ?» 83.

Mais, contrairement aux espoirs de l'extrême droite, le 2e tour de

scrutin voit le retour en force du Front populaire. Quatre sièges sur les

cinq sont remportés par la gauche, le bureau du Conseil général restanttoutefois aux mains de la colonisation.

Nul doute pourtant que ces consultations, véritables combats de gla-diateurs, ne détériorent complètement l'atmosphère politique du départe-ment et n'accroissent les forces de l'extrême droite. Le premier Congrèsfédéral du P.P.F. d'Oranie se réunit peu avant Noël à Sidi-del-Abbès.

Fort de quarante sections et de H 800 adhérents dont 77 % sont des

modestes travailleurs, il représente une force contre-révolutionnaire impor-tante hantée par l'exemple obsédant de l'Espagne 84. Français clairvoyantset Musulmans tentés par le nationalisme savent depuis quelques mois quela France gaspille ses dernières chances en Afrique du Nord :

« L'exemple de Franco l'obsède [La féodalité algérienne]Cette obsession la tuera ou tuera l'Algérie.La France en décidera.Si la question ne l'intéresse pas, elle laissera faire.Sinon elle agira immédiatement, sans quoi ce sera la gangrène.La gangrène : c'est-à-dire l'insolence et la hardiesse accrues de ceux quisont armés contre la Patrie, la révolte des officiers avec comme corollaire,l'intervention des puissances à l'affût des territoires que nous serions " inca-

pables d'administrer ".Laisser faire ou temporiser ? qui ne voit où cela mène ? c'est la perte de

l'Algérie » 85.

V. — L'ATTRAITDESFASCISMES(1936-1939)

Mouvements et partis de structure fascistes, R.N.A.S., P.P.F., P.P.S. et

Amitiés latines prennent en Oranie une couleur méditerranéenne. Attentifs

aux régimes politiques environnants, ils empruntent leur idéologie d'abord à

l'Italie, modèle d'intégration sociale, puis à l'Espagne franquiste, exemplede combat anticommuniste sous le signe de la collaboration musulmane. La

composition sociale de l'Oranie (6 000 électeurs israélites à Oran) les

oriente aussi vers un antisémitisme non exempt quelquefois d'admiration

pour l'Allemagne.

83. L'Écho d'Oran, 23 et 24 oct. 1937.

84. L'Écho d'Oran, 21 décembre 1937.85. Le Semeur, 24 avril 1937. Article signé par Léon Carmlllat.

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L'EXTRÊMEDROITE EN ORANIE (1936-19iOJ 589

Le maître à penser de cette Oranie fasciste est le maire d'Oran,Gabriel Lambert, impulsif, passionné, dévoré d'ambition qu'il aimerait portersur le plan national. Ses voyages en U.R.S.S. en 1935, en Italie en 1936,en Espagne en 1937 et en Allemagne en 1938, traduisent son itinéraire spi-rituel, ses curiosités et les rapports de force dominants dans l'électoratoranais 86.

Jusqu'au 14 juillet 1936, date du regroupement des formations d'extrêmedroite, le thème fasciste n'apparaît que rarement. L'extrême droite vit dusouvenir du passé, des sacrifices de la guerre de 1914-1918. L'apaisementdes querelles raciales, depuis 1934, prolonge encore la trêve municipale. Leterme de « fasciste » est plutôt appliqué à l'extrême gauche, au « fascismerouge ».

L'admiration pour l'Italie est le produit du voyage de Lambert dans la

péninsule, en été 1936. Mussolini est le chef idéal, fils du peuple, fidèle àses origines. Ses meilleurs défenseurs seraient les ouvriers : : « Je puisaffirmer, ici, écrit Lambert, que Mussolini a fait plus pour les ouvriers

que notre régime démocratique, même en tenant compte des réformes duF.P. » 87.

Et d'énumérer les contrats collectifs, la semaine de 40 h, les loisirs desouvriers, les augmentations de salaire.

Il se pourrait aussi que le R.N.A.S., mouvement de structure assez lâched'abord, ait suivi l'organisation du parti fasciste italien. Le R.N.A.S. a son

hymne, Le Front de la France, ses formations de jeunes, ses sectionsde quartiers 88.

Pareille orientation explique la facilité d'adaptation de Lambert et sacollaboration avec les partis d'extrême droite. Pourvu que ces partis ne le

gênent pas dans son rôle politique à Oran, qu'ils lui laissent les honneursde chef d'orchestre dans le combat antimarxiste et Lambert facilitera leur

implantation en ville et dans les campagnes. Sur le fond, sur le problèmesocial, il y a accord avec le P.P.F. Le vieux capitalisme a vécu, il faut queson visage, comme en Italie, se transforme au service du peuple :

« La révolution fasciste... n'a pas été une révolution pour défendre le capi-talisme, mais bien pour assurer du travail au peuple, en même temps quela grandeur de la patrie. L'an dernier, au cours de mon voyage, c'étaient lesenfants du peuple, les paysans, les ouvriers qui me faisaient l'éloge dithy-rambique de leur chef alors que les capitalistes, les industriels que j'interro-geais, ne manquaient pas de faire des réserves sur l'action du fascisme » 89.

Or, une révolution d'un genre identique, selon Lambert, s'est réaliséeen Oranie depuis le 14 juillet 1936. Industriels et propriétaires terriens,conscients de leurs responsabilités, ont consenti des efforts en faveur deleurs ouvriers. Inversement les ouvriers du Front national prennent à

86. G. ESQUER,8 novembre 1912,Paris, 1946.Le récit du voyage de Lambert auraitparu sous le titre Allemagne 1938,p. 40.

87. L'Écho d'Oran, 26 septembre 1936.88. L'Écho d'Oran, 5 novembre 1936. Première audition de l'hymne du R.N.A.S.89. L'Écho d'Oran, 18 mal 1937. Discours de Lambert à Rio-Salado.

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590 REVUE D'HISTOIREMODERNEET CONTEMPORAINE

coeur leurs devoirs : respect, obéissance, travail consciencieux. Et cette

révolution doit se poursuivre dans les campagnes en faveur des ouvriers

agricoles musulmans pour gagner la bataille contre le Front populaire.La conquête de l'Ethiopie est une justification, a posteriori, de la conquête

politique extérieure du Front populaire :

Toutefois, l'Italie ne sert pas seulement de base de discussion sociale.

La conquête de l'Ethiopie est une justification, à posteriori, de la conquêtede l'Algérie, du droit de l'Europe de disposer des peuples à civilisation

arriérée. Pareil point de vue engage l'extrême droite à attaquer toute la

politique extérieure du Front populaire.

« Les journaux du F.P. l'ont tellement insultée [Italie] et sous la pressiondes marxistes le gouvernement a pratiqué une telle politique... que l'Italies'est tournée du côté de l'Allemagne. La France est de plus en plus isolée » 9°.

Le deuxième congrès nord-africain du P.P.F., tenu à Alger en novembre

1938, insiste sur la constitution d'un front des pays méditerranéens. Doriot,

entre autre, se prononce pour une alliance avec l'Italie et l'Espagnenationaliste, alliance qui serait par la suite élargie aux pays fascisants d'Eu-

rope centrale, Pologne et Hongrie 91. Ces dispositions demeurent jusqu'auxmanifestations antifrançaises de Tunisie et d'Italie : celles-ci soulèveront

l'indignation de toute l'extrême droite, résolue à défendre l'intégrité de

l'Empire français 92.

A vrai dire, le thème italien est éclipsé depuis l'automne 1936 par les

événements d'Espagne. Oran, dont la moitié de la population est formée de

descendants espagnols (100 000 sur 200 000 habitants), a noué des liens

étroits avec Alicante : liens d'amitié entre deux villes qui se retrouvent au

moment des grandes fêtes, liens de parenté entre une colonisation d'artisans,

d'ouvriers agricoles, de gros colons aussi et une métropole brusquementdéchirée par la guerre civile. Flux et reflux des réfugiés du Rif, change-ments de fonctionnaires du Consulat ont leur répercussion en ville. Franco

n'est pas un inconnu à Sidi-bel-Abbès où le maire Bellat, président des

Unions Latines et membre de la Chambre franco-espagnole de Paris, le

soutient par la propagande et par l'argent. Par ailleurs, députés du Frente

Popular et combattants des Brigades internationales sont fêtés par les

dockers du port. La division de l'Espagne trouve son reflet en Oranie 93.

On ne s'étonnera donc pas que gauche et droite trouvent des argumentsdans le conflit tout proche. Dès septembre 1936, Vallin, du Comité exécutif

du P.S.F., exalte la résistance de Tolède : « Je les salue au nom de notre

chef, comme je salue le leur, le général Franco » w.

90. L'Écho d'Oran, 13 oct. 1937. € Le Front populaire, c'est la guerre».91. L'Écho d'Oran, 14 nov. 1938. Exposé de la politique extérieure de Doriot.

92. L'Écho d'Oran, 9 au 11 déc. 1938.93. Oran-Uatln, 22 mars 1938 .94. L'Écho d'Oran, 6 déc. 1936.

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L'EXTRÊMEDROITE EN ORANIE(1936-19M) 591

Aux Unions latines, Raoul Follereau prêche la réconciliation des Fran-çais sous le signe de Gabriele d'Annunzio, de Mussolini et de Franco. Enfin,devant les maires d'Oranie regroupés au sein du R.N.A.S., Lambert lancecet encouragement, leitmotiv de trois années de campagnes électorales :

« Il faut que par-delà la mer, le peuple national d'Espagne sache que sile gouvernement [français] doute ou critique son action, le coeur des bonsFrançais — ils sont nombreux — sont à côté du cceur de l'Espagne quiveut retrouver ses libertés, sa foi et montrer son vrai visage au monde civilisé(applaudissements frénétiques) »95.

L'année 1937 est l'année de l'affrontement incertain. Trafic d'armes,renseignements sur le port d'Oran et enrôlement de troupes fraîches pour lespremières lignes du combat alimentent la chronique de la politique étran-gère 96. Il arrive que des miliciens musulmans, de retour d'Espagne, soientproduits dans les réunions électorales pour stigmatiser comme en France, le«boucher d'Albacete », André Marty 97.

Le cas de Sidi-bel-Abbès est hautement instructif. Lucien Bellat yexerce une autorité incontestée sur la majorité de la population. En octo-bre 1937, ses hommes de main tentent d'arrêter Maillol, vice-consul répu-blicain, pour le livrer aux franquistes de Melilla. Bella organise aussi dessouscriptions pour Franco qu'il rencontre à plusieurs reprises, ainsi que lesgénéraux Suner et Beigbeder 98. Avec son fils Paul, l'intellectuel de lafamille, il ne manque pas une occasion de faire l'apologie des régimes deforce. L'atmosphère de la ville la fait surnommer le « Petit Berlin » ".

Au moment de l'enquête du « nègre » Lagrosillière, de Beaumont,député de la Cochinchine, de Clermont-Tonnerre, député de la Somme, et

Temple, député de l'Aveyron, tiennent la tête d'affiche des réunionsd'extrême droite et nourrissent sans fard les rêves putschistes :

« Près de vous une nation voisine lutte farouchement pour conquérir saliberté ; et là, une fois de plus, les deux races latine et musulmane sont fra-ternellement unies parce que toutes deux sont guidées par ces trois motsqui sont à la fois une ligne de conduite et un état d'âme : Famille, Religionet Patrie» 100.

Mais le meilleur agent électoral est Franco lui-même. Interviewé à Bur-

gos, il apporte son appui moral à l'extrême droite au début de la campagneélectorale de 1937 et fait de Lambert l'incarnation du combattant anti-communiste de l'Oranie :

95. L'Écho d'Oran, 7 nov. 1936.96. L'Écho d'Oran, 24 nov. 1937.Arrestation de M"" Berge, épouse d'un chef P.S.F.97. L'Écho d'Oran, 21 février 1937. Réunion P.S.F. à Tlemcen, cf J. GRANDMOUOIN,

Histoire vivante du Front populaire, Paris, 1966.98. L'Écho d'Oran, 23 août 1938. Sur Beigdeder, voir HALSTBAD,« Un Africain

méconnu, le colonel J. Beigheder» in Rev. d'Hltt. de la 2*guerre mond., janvier 1971.99. G. ESQUEB,op. cit., p. 44.

100.L'Écho d'Oran, 27 avril 1937.Déclaration de de Clermont-Tonnerr-.

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592 REVUE D'HISTOIREMODERNEET CONTEMPORAINE

« Je connais très bien les sentiments de l'Algérie et j'ai suivi avec une grandeattention le redressement national de l'Oranie. Ma joie a été grande deconstater que beaucoup d'enfants d'Espagne aujourd'hui Français ont contribuéà cette oeuvre salutaire. Je sais combien les habitants d'Oranie ont suiviavec intérêt et amour notre mouvement de sauvetage {salvacion) nationalet je leur dois une grande reconnaissance...Portez mon salut aux nationaux d'Algérie. Dites-leur qu'en travaillant pourl'Espagne j'ai conscience de travailler pour eux, pour leur tranquillité et pouréloigner d'Europe les folies sanglantes du communisme. Oui, dites bien monaffection particulière aux nationaux d'Oran et d'Oranie » 101.

Les implications des campagnes électorales, les réticences du prolétariatespagnol et le monolithisme des votes des Israélites aboutissent, en novem-

bre 1937, à la création des Amitiés latines, mouvement-parti dont le carac-tère antisémite (« anti judéo-communiste») est de plus en plus accentué 102.

L'agonie du Front populaire et l'avance victorieuse de l'Espagne fran-

quiste soulèvent, en effet, une immense vague d'antisémitisme. Elle coïncide

avec les premières mesures du fascisme italien dont on se plaît à soulignerl'opportunité. Composition des ministères du Front populaire, vieilles études

religieuses, incidents locaux, tout sert d'aliment pour attiser le feu raciste.

L'assimilation bolchevique-sémite est « démontrée à plusieurs reprises ».« L'Europe antisémite », « la question juive en Roumanie », « l'influence

juive révolutionnaire de la franc-maçonnerie », sont les titres-choc du Périr

Oranais. L'Écho d'Oran fait une propagande forcenée par l'image en faveur

de l'Allemagne hitlérienne. Ce climat est entretenu par les élections aux

Délégations financières et les tournées conférences des Unions latines et du

Comité de la prépondérance française. Jean Renaud, ancien chef de la« Solidarité française » (redevenue « le Faisceau français »), parcourt le

pays au cri « A Mort le péril juif ! » Un autre chef national, René Bar-

thélémy d'Alger, lui apporte un soutien enthousiaste. Ce qui est en cause,

c'est le décret Crémieux qui accorde la citoyenneté française aux Israélites.

Après Fossati, Doriot demande au deuxième congrès P.P.F. d'Alger la

révision du décret en même temps que la dissolution du Parti com-

muniste 103.

101.L'Écho d'Oran, 17 sep. 1937. Conférence au Casino Bastrana.102.L'Écho d'Oran, 14 nov. 1937. Comité-directeur des Amitiés latines : Maraval,

Duché, Ambrosino, Bayle, Botella et Calderon, secrétaire-général.103.L'Écho d'Oran, 14 nov. 1938.

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L'EXTRÊMEDROITE EX ORANIE (19:16-1940) 593

CONCLUSION

A la veille de 1940 un courant d'opinion favorable aux régimes de forceest perceptible dans toute l'Oranie. Les dernières hésitations sont balayéespar les interventions anglaises à Mers-el-Kébir et Dakar. Le salut ne sauraitvenir que de la fidélité totale envers les chefs qui ont entrepris la tâche« de sauver et de rénover » la Patrie 104. De Gaulle n'est qu' « un colonel

gonflé de vanité », « un démolisseur de la souveraineté française » et « untraître »ioe.

L'adhésion totale à la Révolution nationale est facilitée par le messaged'octobre du maréchal Pétain, doublé de la loi du 7 octobre 1940, abrogeantle décret Crémieux 106. Dans l'attente de la destruction complète de la

Grande-Bretagne, l'extrême droite penche vers la collaboration avec lesAllemands :

« Nécessité de la collaboration franco-allemande : oui, nécessité physique :nous sommes occupés ; nécessité morale : fiasco total (et quel lâchage criminelen pleine défense !) de notre système d'alliance avec l'Angleterre. Nécessitégéographique : depuis combien de lustres sommes-nous en guerre contre lemême pays, notre voisin immédiat, sans arriver jamais à un règlement public !avons-nous essayé un accord pacifique fondé sur des économies complémen-taires ? Non et pourquoi ? Parce que l'Angleterre nous a aveuglés.Le Maréchal est d'accord. Il en prend la responsabilité » 107.

Pourtant au-delà de ces événements qui ont marqué le glissement del'extrême droite vers le fascisme, une étude des racines politiques des mou-vements politiques exigera un approfondissement à d'autres niveaux quandles archives ouvriront leurs dossiers : quels ont été les rapports entrel'administration coloniale et les partis d'extrême droite ? entre l'armée et les

partis fascistes (Catroux-Esteva-Giraud) ? Quel a été l'impact de la propa-gande nationaliste française sur la société musulmane (grande bourgeoisie,marabous, ouvriers agricoles ?) Quel a été aussi le jeu du P.P.A. ? Quellesont été les visées de l'Espagne ? Quelle a été la force des groupements pha-langistes en Oranie ? Enfin, y a-t-il continuité entre les manfestationsd'extrême droite de 1936-1942 et l'O.A.S. ? Le repli sur l'Espagne est-ilune simple coïncidence géographique ? 108.

104.L'Écho d'Oran, 14 octobre 1940. Déclaration de l'amiral Jary.105. L'Écho d'Oran, 10 nov. et 15 nov. 1940 (affaire du Gabon).106.L'Écho d'Oran, 9 oct. et 12 oct. 1940.107.L'Écho d'Oran, 5 déc. 1940.108. On ne peut souscrire aux affirmations d'Yves COURRIERSquand il parle du

« républicanisme » des généraux putschistes alors que leurs réunions secrètes ont étélaissées aux soins du gendre de Franco ; cf. Les Feux du désespoir et Le Monde,16 septembre 1971.

89

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H'M HEVLE D'HISTOIRE MODER\E ET COSTEMPUHAISE

Ce danger d'une nazification des partis d'extrême droite est entrevu parLa Rocque qui s'en alarme dans un article paru dans Le Petit Journal 109.

Cette prise de position jointe aux réticences du P.S.F. local de constituer

un Rassemblement national algérien aboutissent à une polémique violente

et à l'éclatement de l'unité de l'extrême droite. Le P.S.F. fera désormais

cavalier seul en vue d'une réconciliation des Français devant le danger de

la seconde guerre mondiale no.

Francis KOERNER,

Rabat.

109.Le Petit Oranais, 14 avril 1938.110.Oran-Matin, du 8 mai au 23 mal 1938. On y trouve tout l'historique de

l'échec du Front de la Liberté. L'antisémitisme de La Rocque s'accommode néan-moins, en Algérie, d'une exclusion totale des juifs de la vie politique (cf. Compterendu du 1er congrès P.S.F. à Constantine, en octobre 1938).