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L’OTAN face aux menaces non conventionnelles : la redéfinition d’une Alliance atlantique en quête de légitimité Mémoire préparé sous la direction de Monsieur Jean-Paul RAFFENNE Rédigé par Pierre COLOMINA Parcours Relations internationales : Nouveaux enjeux et gestion de crise Année universitaire 2014/2015

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L’OTAN face aux menaces non

conventionnelles : la redéfinition

d’une Alliance atlantique en quête de

légitimité

Mémoire préparé sous la direction de Monsieur Jean-Paul RAFFENNE

Rédigé par Pierre COLOMINA

Parcours Relations internationales : Nouveaux enjeux et gestion de crise

Année universitaire 2014/2015

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Avertissement : L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni

improbation, dans les mémoires de recherche. Ces opinions doivent être

considérées comme propres à l’auteur.

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Remerciements

A ma famille, qui n’a de cesse de m’aider et de me soutenir dans mes projets, et ce

depuis bien longtemps, je lui adresse tout naturellement mes remerciements.

Je remercie très sincèrement mon professeur et directeur de mémoire, le Général

Jean Paul Raffenne, pour sa disponibilité, ses conseils avisés et la motivation qu’il a su me

transmettre dans l’étude des relations internationales tout au long de mon cursus à Sciences

Po Toulouse.

Un remerciement chaleureux à Jérôme Kelle, diplomate et conseiller politique à

l’Ambassade de France à Belgrade, ainsi qu’à tous les membres de l’Ambassade, pour

m’avoir permis de faire de mon expérience Belgradoise un souvenir très riche. Un

remerciement également aux membres de l’Ambassade de France à Sofia, et au personnel

du Club Atlantique de Bulgarie, sans qui je n’aurai pu découvrir les Balkans de si belle

manière.

C’est tout aussi naturellement que j’adresse mes remerciements aux différentes

personnes – habitants de Belgrade ou de Sofia, diplomates de divers horizons, attachés

militaires, chercheurs – qui, à leur manière et par différents entretiens, ont permis de

m’aider dans mes recherches et dans mes travaux.

A tous, à toutes, un très grand merci.

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Table des matières

Liste des sigles ........................................................................................................................... 8

Introduction ................................................................................................................................ 9

Partie 1 - L’évolution de la menace sécuritaire : du Pacte de Varsovie

à la redéfinition de la menace après la chute de l’URSS ...................................................... 16

Chapitre 1 - La légitimité de l’Alliance atlantique à l’épreuve de la guerre froide :

faire face à la menace soviétique ................................................................................... 16

Section 1 – L’OTAN face à la menace nucléaire et au Pacte de Varsovie .................... 17

A) L’Alliance atlantique à travers le Traité Washington de 1949 :

une alliance au sens strict du terme ............................................................ 17

B) L’OTAN et le Pacte de Varsovie : un équilibre par

la dissuasion nucléaire ............................................................................... 18

Section 2 – L’OTAN entre transformations militaires, politiques

et institutionnelles : une capacité d’adaptation continuelle .......................................... 21

A) Une adaptation militaire face aux menaces sécuritaires

de l’Alliance atlantique .............................................................................. 21

B) Une adaptation institutionnelle et politique ............................................... 24

Chapitre 2 - L’OTAN à la recherche d’une nouvelle légitimité après la

guerre froide : repenser la menace sécuritaire ............................................................ 27

Section 1 – La redéfinition de la pensée stratégique de l’OTAN :

de la « défense collective » à la « sécurité collective » ................................................. 27

A) Le passage à un régime de sécurité collective… ..................................... 27

B) …défini par les concepts stratégiques de l’OTAN en 1991 et en 1999 ..... 28

C) La « ruée vers l’est » de l’Alliance atlantique : entre élargissements et

partenariats ................................................................................................. 30

Section 2 – L’intervention de l’OTAN dans la crise en ex-Yougoslavie : le symbole

d’un renouveau de l’Alliance atlantique et une pleine légitimité retrouvée ................. 33

A) L’éclatement de la Yougoslavie ou la menace immédiate de

l’après-guerre froide : l’insécurité au cœur de l’Europe ............................ 33

B) L’intervention de l’Alliance atlantique dans le théâtre Yougoslave :

rétablir la sécurité en Europe ..................................................................... 35

Partie II - L’OTAN face aux menaces sécuritaires non conventionnelles :

une redéfinition stratégique de l’Alliance atlantique ............................................................ 39

Chapitre 1 - L’OTAN face aux menaces non conventionnelles : définir les menaces

« non gouvernementales », menaces d’un nouveau genre .......................................... 39

6

Section 1 – La menace d’une attaque nucléaire ou balistique non conventionnelle ..... 40

A) D’une menace conventionnelle, plus faible mais existante… .................. 40

B) …à l’essor d’une menace nucléaire non conventionnelle ? ....................... 41

Section 2 - Définir la menace terroriste : la nécessaire objectivation

de la notion de « terrorisme » ........................................................................................ 42

A) Le concept de « terrorisme » : une notion difficile à définir ...................... 42

B) Une approche objective de la menace : l’approche instrumentale et

l’approche par le type d’acteurs ................................................................. 43

Section 3 - La menace d’une cyberattaque : une déterritorialisation de la menace ...... 45

A) Encadrer la menace : les contours de la notion de « cybermenace » ......... 46

B) La guerre hybride : une guerre au carrefour des menaces

conventionnelles et non conventionnelles .................................................. 48

Chapitre 2 – Répondre aux menaces non conventionnelles : un défi intellectuel,

stratégique et coopératif pour l’OTAN ........................................................................ 49

Section 1 - La réaffirmation d’une position commune de l’Alliance :

le défi stratégique, diplomatique et intellectuel de la Stratégie de Lisbonne .............. 50

A) L’importance que revêt la définition du « concept stratégique »

de l’Alliance ............................................................................................... 50

B) Les défis posés par le concept stratégique de Lisbonne (2010) :

les exigences d’une plus grande souplesse de l’Alliance Atlantique ......... 52

Section 2 - Le haut degré d’institutionnalisation de l’Alliance atlantique :

répondre aux menaces par des réformes militaires, institutionnelles et budgétaires .. 53

A) Une modernisation de l’appareil militaire : à la recherche

d’une meilleure efficacité et d’une plus grande flexibilité ......................... 54

B) La rationalisation de l’Alliance dans un contexte de contraintes

budgétaires : l’initiative de défense intelligente de l’OTAN ..................... 55

C) Les réformes institutionnelles de l’OTAN ................................................. 57

Section 3 - L’OTAN et la gestion des crises : un outil de lutte contre

les nouvelles menaces ................................................................................................... 58

A) L’engagement de l’OTAN en matière de gestion de crise :

les critères de l’Alliance ............................................................................. 58

B) Une vocation en perpétuelle évolution… ................................................ 59

C) …comme la résultante d’une construction sociale de la gestion

de crises en tant que mission fondamentale de l’Alliance atlantique ......... 60

Section 4 - Les partenariats de l’OTAN : la sécurité coopérative

de l’Alliance atlantique ................................................................................................. 62

A) Dynamiser l’effectivité des partenariats existants : l’exemple de l’OTAN

en Méditerranée et au Moyen-Orient ......................................................... 62

B) L’OTAN tournée vers l’Asie centrale : un recentrage

dont il faut tenir compte ............................................................................. 64

7

C) Les perspectives d’une coopération inter-institutions ................................ 64

D) La politique de la « porte ouverte » de l’OTAN ........................................ 66

Partie III – Quelles perspectives sécuritaires pour l’Alliance ? : des enjeux

de l’élargissement et la relation OTAN-Russie à l’aune de la Crise ukrainienne .............. 68

Chapitre 1 – Répondre aux défis sécuritaires à la frontière orientale de

l’Alliance : réaffirmer le soutien de l’OTAN à l’est et faire face aux

menaces hybrides ........................................................................................................... 68

Section 1 - L’adaptation de l’Alliance atlantique face aux inquiétudes en Europe

de l’est suite à la crise en Ukraine ................................................................................. 68

A) Un sentiment d’inquiétude à l’est : une inquiétude généralisée

au sein des Etats membres de l’Alliance atlantique ................................... 69

B) Les réponses apportées par l’OTAN : rassurer et revitaliser

les liens euro-atlantiques avec les Balkans ................................................ 70

Section 2 – Les dangers de la crise en Ukraine : faire face aux menaces

de la « guerre hybride » ................................................................................................. 72

A) Répondre à la menace de la « guerre hybride » : le besoin et les limites

d’une réponse militaire immédiate ............................................................. 72

B) Repenser le rôle de l’OTAN à moyen terme dans la crise ukrainienne :

les perspectives non militaires de l’OTAN ................................................ 74

Chapitre 2 – Les rapports OTAN-Russie : le débat sur l’élargissement de

l’Alliance et les perspectives de coopération nouvelle avec la Russie ........................ 75

Section 1 – La relation OTAN-Russie sur fond d’élargissement de l’Alliance ............ 75

A) L’élargissement de l’Alliance : le reflet d’une « promesse non tenue »

pour la Russie ? .......................................................................................... 75

B) Asseoir la légitimité de l’OTAN et défendre les valeurs démocratiques

face aux menaces non conventionnelles .................................................... 77

Section 2 - Reconsidérer la relation OTAN-Russie : les perspectives d’une

relation complémentaire dans la lutte contre les menaces non conventionnelles .......... 79

A) Les fondations de la relation OTAN-Russie depuis la fin de

la guerre froide ........................................................................................... 79

B) Repenser le partenariat entre l’OTAN et la Russie : les possibles voies

d’une coopération contre les défis sécuritaires de notre temps .................. 82

Conclusion.................................................................................................................................. 85

Bibliographie .............................................................................................................................. 87

Liste des annexes ........................................................................................................................ 92

Annexe 1 .................................................................................................................................... 93

8

Liste des sigles

ACE : Allied Commandement Europe

ADM : Arme de destruction massive

CDI : Programme conventionnel de développement de défense

CSCE : Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe

DDSE : Division Défis de sécurité Emergents

DPC : Defence Planning Committee

EADRCC : Euro-Atlantic Disaster Response Coordination

EBO : Effect Based Operations

FORPRONU : Force de protection des Nations unies

GFIM : Groupes de forces interarmées multinationales

HCRNU : Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies

HLC : Humanitarian Law Center

IFOR : Implementation Force

KFOR : Kosovo Force

LTPD : Long Term Programm Defence

NDAC : Nuclear Defence Affairs committe

NPG : Nuclear Planning group

NRF : Nato Response Force

OSCE : Organisation de la Sécurité et de la Coopération en Europe

ONU : Organisation des Nations-Unies

OTAN : Organisation du Traité de l’Atlantique Nord

PpP : Partenariat pour la Paix

UE : Union Européenne

UEO : Union de l’Europe occidentale

URSS : Union des républiques socialistes soviétiques

SACEUR : Surpeme Allied Commander Europe

SACLANT : Supreme Allied Commander Atlantic

SHAPE : Supreme Headquarters Allied Powers Europe

START : Strategic Arms Reduction Treaty

SORT : Strategic Offensive Reduction Treaty

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Introduction

« L’OTAN est prête à embrasser ces changements – parce que les Alliés ont compris que

c’est seulement de cette manière que l’Alliance atlantique sera en mesure de jouer son rôle

de point d’ancrage de la sécurité dans un monde globalisé »1

Gábor Iklódy,

Secrétaire général adjoint de l’OTAN pour les défis de sécurité émergents

La déclaration de l’OTAN, faisant suite au Sommet de l’Alliance atlantique qui s’est

déroulé à Newport2 en septembre 2014 définit un ensemble de menaces nouvelles issues

d’un environnement international en pleine mutation. Déjà impulsée lors de l’adoption de

son concept stratégique à Lisbonne en 2010, la reconnaissance par l’Alliance atlantique de

l’apparition de nouveaux défis sécuritaires est une étape importante dans l’adaptation de

l’OTAN à ces nouvelles menaces. En effet, depuis 1991 et la chute de l’URSS, le contexte

sécuritaire international n’a de cesse de se transformer, et notamment depuis les attentats du

11 septembre 2001, qui fut un tournant dans la prise de position de l’Alliance face aux

dangers qui pèsent sur ses Etats membres.

L’environnement sécuritaire a ainsi énormément évolué ces vingt dernières années,

redéfinissant le cadre géopolitique dans lequel l’OTAN subsiste. Désormais, les enjeux liés

à la sécurité des Etats ne se pensent plus à l’échelle nationale, mais dans une perspective

régionale, internationale ou globale3. Cette transformation est le fruit de l’apparition de

nouveaux défis sécuritaires et de nouvelles menaces dites non conventionnelles4, c’est-à-dire

non étatiques, tels que le terrorisme, la menace d’une attaque nucléaire par une organisation

non-gouvernementale, la piraterie, le trafic de drogue, la traite d’êtres humains à une échelle

globalisée, ou encore la criminalité transnationale. En outre, le risque de conflit entre Etats

a disparu pour laisser place à de nouveaux défis opposant les Etats à des menaces provenant

d’organisations non étatiques. Ainsi, non seulement l’analyse des enjeux de sécurité pousse

1 Iklódy Gábor, « Nouveaux défis, nouvelle OTAN », numéro Sommet de l’OTAN à Lisbonne, Revue de l’OTAN, 2010 2 Les 28 Etats membres de l’OTAN se sont réunis à Newport, au Pays de Galle les 3 et 4 septembre 2014 3 Charles-Philippe David, « La Guerre et la Paix : Approches et enjeux de la sécurité et de la stratégie, 3ème édition, Presses de Sciences Po, 2013 – pp 34 4 Christopher S. Chivvis et Gregory Danel, « Quelle orientation future pour l'OTAN ? », Politique étrangère 2009/4 (Hiver), p. 791-803.

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à entrevoir la coopération entre Etats et la gestion commune des crises comme une évolution

logique au regard des défis émergents, mais cela entraine aussi la redéfinition des stratégies

à mettre en œuvre pour faire face à ces nouvelles menaces.

Telles sont les problématiques qui se posent actuellement à l’OTAN. D’une menace

nucléaire dite conventionnelle, de nouveaux défis non conventionnels, transnationaux et non

étatiques sont apparus. Ils sont l’objet d’une adaptation permanente de l’OTAN, et la raison

d’être d’une alliance en quête de légitimité et d’identité.

Le 4 mars 1947 est signé entre la France et l’Angleterre le traité de Dunkerques, traité

d’alliance et d’assistance mutuelle, dont les signataires furent Georges Bidault côté français

et Ernest Bevin pour l’Angleterre. Pour Elisabeth Du Reau5, l’origine de ce traité tenait à un

désir d’établir un système de sécurité collective au lendemain de la seconde guerre mondiale.

Ce traité sera la première pierre d’un édifice dont l’étape suivante fut l’Union occidentale.

Le 17 mars 1948 est en effet signé le traité de Bruxelles entre la France, l’Angleterre, la

Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg (en 1954 l’organisation deviendra « l’Union de

l’Europe occidentale »).

C’est grâce à un espace diplomatique et une confiance institués lors de ces deux traités6

que naitra l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, à travers le Traité de Washington,

signé et adopté le 4 avril 1949 par douze Etats (la France, les Etats-Unis, le Canada, le

Royaume-Uni, la Belgique, le Danemark, l’Islande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas,

la Norvège et le Portugal). L’Alliance atlantique venait d’éclore.

Une alliance, dans la théorie des relations internationales, peut se définir comme un outil

de sécurité. Elle est caractérisée par un ensemble d’Etats désireux de s’allier dans le but de

développer des relations pacifiques entre eux. En outre, l’alliance est un moyen pour

plusieurs Etats de trouver un équilibre puisque ceux-ci doivent s’entendre pour coopérer, et

préserver leur sécurité. Telle est l’approche néoréaliste vis-à-vis de l’Alliance atlantique. La

puissance d’un Etat ne peut alors s’exprimer qu’à travers les alliances dans lesquelles il

s’inscrit, afin de préserver ses intérêts face à des menaces extérieures. Dès lors, comme le

5 Du REAU Elisabeth. Les origines et la portée du traité de Dunkerque vers une nouvelle "entente cordiale" ? (4 mars 1947). In: Matériaux pour l'histoire de notre temps. 1990, N. 18. La mésentente cordiale : les relations franco-britanniques, 1945-1957. p. 23 6 Badini Confalonieri Vittorio. L'UEO et l'unification européenne. In: Politique étrangère N°6 - 1959 - 24e année pp. 605-611.

11

précise Charles Philippe-David, trois concepts complémentaires peuvent s’ajouter à cette

définition. Tout d’abord, une alliance se forme en réaction à une menace extérieure, et

permet aux Etats qui y adhérent un équilibre entre eux (thèse du Balancing). En ce sens,

l’OTAN aurait dû disparaitre à la fin de la Guerre froide, puisque la menace nucléaire venant

de l’URSS – qui fut la raison principale de la création de l’OTAN - disparaissait avec la

chute du mur de Berlin. Mais cela ne sera pas le cas (d’où une première limite à cette théorie).

Ensuite, l’alliance permet des opportunités de profit, du fait du ralliement de plusieurs Etats

autour d’un hégémon, une puissance dominante (thèse hégémonique du Bandwagoning).

L’Alliance atlantique s’est en effet organisée autour de la puissance américaine, véritable

hégémon de l’organisation, que ce soit sur le plan stratégique, politique, et financier. Ici ce

n’est plus la crainte d’une menace qui incite l’Etat à rejoindre l’alliance, mais l’opportunité

du profit. Enfin, l’Alliance peut s’avérer bénéfique pour un Etat désireux de partager le

fardeau financier et matériel que nécessite le besoin de sécurité (thèse du Burden-sharing).

Autrefois organisation chargée de la sécurité des Etats membres contre la menace d’une

attaque nucléaire, telle que définie par le Traité de Washington, l’OTAN est devenue au fil

des ans une structure militaire plus étoffée, et dont le nombre d’alliés s’est élargi – l’Alliance

atlantique se compose de 28 Etats membres (contre 12 à l’origine en 1949) – tout comme

ses missions se sont diversifiées. A l’origine véritable acteur de la défense collective des

Etats membres, l’OTAN s’est adaptée et s’est dotée aujourd’hui d’un nombre conséquent de

prérogatives basées autour de plusieurs types de missions. Celles-ci s’inscrivent dans la lutte

contre les nouvelles menaces qui pèsent sur ses Etats membres.

Pourtant, l’Alliance est toujours en quête d’une crédibilité nouvelle dans la lutte contre

les défis sécuritaires de notre temps. La FIAS (Force Internationale d’Assistance et de

Sécurité) s’est définitivement retirée du « théâtre Afghan » en décembre 2014 non sans

s’attirer les critiques d’un certain nombre d’observateurs et d’analystes ; l’organisation de

l’Etat Islamique inquiète les Européens et l’ensemble de la communauté internationale et

pousse l’Alliance à maintenir la lutte contre le terrorisme comme l’une de ses missions

prioritaires; la crise ukrainienne a ravivé le débat des relations entre l’OTAN et la Russie

ainsi que la politique d’élargissement de l’OTAN sur fond de tensions dans les Balkans. De

plus, le redéploiement américain sur le territoire asiatique et la réduction des ressources en

matière de défense de la part des Etats membres poussent l’OTAN à redéfinir ses capacités

12

et ses priorités. Toutes ces difficultés ont donc un impact sur la politique de l’OTAN en

matière de sécurité et de défense des Alliés, ce qui amène l’organisation à redéfinir les

menaces prioritaires contre lesquelles lutter.

C’est dans la perspective d’analyser l’adaptation et la transformation de l’OTAN face

aux menaces « non-conventionnelles » contre lesquelles l’Alliance atlantique a décidé de

lutter, que j’ai choisi d’orienter mon mémoire de fin d’études.

Il est indéniable que l’OTAN constitue un thème privilégié dans les études de relations

internationales. L’organisation, en perpétuelle évolution depuis sa création, est sujette à une

littérature conséquente notamment quant à la redéfinition immédiate de son rôle depuis la

chute de l’URSS en 1991. Plus largement, de nombreuses études sont ainsi consacrées au

rôle que jouent les alliances en matière de relations internationales. Et bien qu’il n’existe pas

de réel consensus sur le degré d’impact d’une alliance pour la sécurité d’un Etat, ni sur leur

légitimité (ou non) sur la scène internationale, plusieurs théories ont été avancées.

L’OTAN est à ce titre considéré aujourd’hui comme « l’institution internationale de

sécurité », c’est-à-dire une organisation qui se compose de règles, de normes, de

comportements à adopter et de valeurs à embrasser, ainsi qu’un espace de redéfinition des

enjeux sécuritaires. La littérature fait aussi état de caractéristiques qui encadrent les alliances

dans le contexte actuel7. Tout d’abord, les alliances sont des groupements bilatéraux ou

multilatéraux d’Etats pour faire face au dilemme de la sécurité8. Ensuite, ces Etats sont liés

entre eux par des engagements d’assistance mutuelle. Puis, les alliances ainsi créées sont un

véritable espace de définition des menaces contre lesquelles elles souhaitent se protéger.

Encore, la cohérence stratégique, matérielle et structurelle de l’Alliance tient à l’existence

d’un commandement propre à l’organisation. Enfin, les alliances agissent dans un espace

géographique déterminé. Enfin, au sein de l’Alliance, une véritable logique d’harmonisation

des politiques de défense et de sécurité des Etats membres est mise en œuvre. L’OTAN est

l’une des organisations représentant au mieux l’ensemble de ces critères.

7 Charles-Philippe David, « La Guerre et la Paix : Approches et enjeux de la sécurité et de la stratégie, 3ème édition, Presses de Sciences Po, 2013 – p. 189 8 Le dilemme sécuritaire est un concept qui définit une situation dans laquelle un Etat, afin d’assurer sa propre sécurité, décide d’investir pour augmenter ses moyens de défense – et donc militaires. Face à cela, un autre Etat augmentera également ses dépenses militaires pour sa propre sécurité ce qui contribuera à un armement généralisé qui peut conduire à une insécurité globale. L’alliance entre ces deux Etats leur permet alors d’établir une relation de confiance, propice à une plus grande sécurité pour chacun d’eux.

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Toutefois, parce que l’environnement sécuritaire n’a de cesse de se transformer, la

métamorphose de l’OTAN face aux menaces actuelles est un sujet moins abordé. En effet,

la plupart des études réalisées et l’ensemble de la littérature sur la question de ces nouveaux

défis datent d’avant 2009, c’est-à-dire avant l’élaboration et l’adoption du dernier concept

stratégique de l’OTAN établi à Lisbonne en 2010 (le dernier étant le concept stratégique de

1999, adopté à Washington en avril 1999). Ce document est le véritable pivot stratégique et

intellectuel de l’Alliance, et c’est donc à la lumière des évolutions qui se sont produites et

persistent depuis l’adoption de ce concept qu’il est intéressant de traiter l’évolution et

l’adaptation de l’OTAN.

La difficulté principale de ce mémoire fut donc de parvenir à délimiter correctement les

menaces contre lesquelles l’OTAN a choisi de lutter. Car l’OTAN est avant tout une

organisation militaire, et n’a donc pas vocation à s’engager contre toutes les menaces

existantes (d’autres organisations, telles l’OSCE ou l’ONU étant plus compétentes sur

certains sujets tels la traite des êtres humains, la protection des droits des enfants…). C’est

la raison pour laquelle ce travail ne constitue pas un catalogue des menaces existantes

aujourd’hui. Si la définition de certaines menaces non-conventionnelles va être abordée, et

parce qu’elle constituera une étape primordiale dans ce mémoire, il s’agit avant tout des

menaces contre lesquelles l’Alliance atlantique a choisi de lutter. Cela permet d’ores et déjà

de délimiter l’étude des menaces qui pèsent sur l’OTAN à l’heure actuelle. Enfin, il convient

de préciser que nous emploierons dans ce mémoire les notions « d’Alliance » et « OTAN »

pour désigner, par soucis de clarté, la même entité et ce bien que l’Alliance atlantique soit le

volet politique et diplomatique de l’organisation, alors que l’OTAN constitue davantage

l’aspect opérationnel et militaire de cette institution.

Par ailleurs, ce mémoire prend appui sur un certain nombre d’articles sociologiques qui

concernent l’histoire de l’OTAN en tant qu’alliance et son évolution à travers des contextes

sécuritaires changeants. De plus, plusieurs revues spécialisées m’ont permis de proposer une

définition – que nous avons souhaité précise – des nouvelles menaces étudiées dans ce

travail. Aussi, un certain nombre d’articles à sensibilité géopolitique, font partie intégrante

de la base de recherche car l’OTAN est plus que jamais au cœur de la crise actuelle qui se

déroule en Ukraine. L’ensemble de cette base de travail constitue la bibliographie de cette

étude.

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Enfin, ce mémoire a été réalisé à la suite d’un stage de 5 mois au sein de la Chancellerie

diplomatique de l’Ambassade de France en Serbie, à Belgrade. La position géographique de

ce stage nous a donc permis d’aborder plus particulièrement certains évènements auxquels

l’OTAN a pris part dans les années 1990. Si l’étude de l’intervention de l’Alliance dans la

crise Yougoslave en 1995 n’est pas le sujet central de ce travail, nous avons tout de même

tenté d’y apporter un regard nouveau, à la lumière de propos recueillis auprès de

personnalités venant de l’Europe de l’est, ainsi que d’individus ayant vécu certains

évènements – et notamment les bombardements de l’OTAN sur Belgrade dans le cadre de

la Guerre au Kosovo en 1999 – liés au conflit qui a déchiré la Yougoslavie entre 1991 et

1995. La Crise yougoslave et les enjeux mémoriels liés à cette guerre furent l’objet d’étude

principal de mon stage à l’ambassade de France à Belgrade. Ce mémoire s’appuie donc,

lorsque cela est nécessaire, sur des propos recueillis lors d’entretiens avec des personnalités

sur place, ainsi que des recherches effectuées pour la Chancellerie diplomatique.

L’analyse de l’OTAN face aux nouveaux défis sécuritaires se traitera à travers deux

problématiques principales :

- De quelle manière l’OTAN s’adapte face à de nouvelles menaces non-

conventionnelles ?

- En quoi l’adaptation de l’OTAN aux défis de sécurité émergents permet à

l’Alliance atlantique de rester légitime dans un environnement international en

pleine mutation ?

Afin d’apporter une réponse à cette double problématique, nous proposerons les

hypothèses suivantes :

- L’OTAN semble être une organisation en perpétuelle évolution face aux menaces

sécuritaires qui entourent les Etats et sa flexibilité tient à sa capacité d’adaptation

permanente face à de nouveaux défis.

- Alors que beaucoup avaient prédit la mort de l’Alliance dès la chute de l’URSS, et

donc de sa raison d’être, l’OTAN est parvenue à trouver une nouvelle légitimité.

Cette longévité de l’Alliance atlantique est le fruit de structures et d’objectifs

redéfinis pour en faire « le meilleur garant institutionnel et multilatéral de

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formulation et de mise en œuvre de politique de sécurité commune et coopérative en

Europe »9.

- La crédibilité et la légitimité future de l’Alliance tiennent à sa capacité à définir dès

à présent les menaces qui pèsent sur ces Etats membres et à mettre en œuvre les

mesures nécessaires à la protection des Alliés.

Ce mémoire propose donc une réponse en trois temps. Il s’agira dans une première partie

de s’intéresser à la menace nucléaire conventionnelle en tant que menace principale durant

la Guerre froide, période d’équilibre entre l’OTAN et le Pacte de Varsovie, et à la

redéfinition de la menace à la chute de l’URSS en 1991, dans l’immédiat après-guerre froide.

Autrefois une organisation basée sur la logique de la défense collective, l’OTAN allait entrer

dans une première phase de transformation à travers le redéploiement de l’Alliance

atlantique sur de nouvelles missions plus adaptées aux menaces incertaines des années 1990.

Dans une seconde partie, l’étude sera consacrée aux nouvelles menaces, non-

conventionnelles, qui sous-tendent l’environnement actuel en particulier depuis les attentats

du 11 septembre 2001, et il faudra s’attarder sur la redéfinition de la politique stratégique de

l’Alliance depuis le Sommet de Lisbonne en 2010. Cela permettra ainsi d’analyser la

capacité d’adaptation de l’OTAN face à ces nouvelles menaces. Enfin, une troisième partie,

prospective, sera consacrée à l’avenir de l’OTAN à l’aune de la crise ukrainienne, qui pousse

à repenser l’avenir de la relation OTAN-Russie, mais aussi la politique d’élargissement de

l’OTAN dans les années à venir.

9 DAVID Charles-Philippe, « La Guerre et la Paix : Approches et enjeux de la sécurité et de la stratégie, 3ème édition, Presses de Sciences Po, 2013, p. 196

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Partie 1

L’évolution de la menace sécuritaire : du Pacte de Varsovie à la

redéfinition de la menace après la chute de l’URSS

L’OTAN constitua à son origine une organisation de défense collective. Basé sur

l’hypothèse d’une agression armée ou nucléaire, l’article 5 du Traité de Washington, pivot

central de l’Alliance, définit la riposte collective en cas d’attaque contre l’un des Etats

membres, après consultations entre les membres de l’OTAN (article 4 du Traité de

Washington). Autrefois fondée sur la défense de ces Etats membres face aux risques

d’agression de l’URSS et du pacte de Varsovie, l’Alliance atlantique s’est trouvé une

nouvelle légitimité à la fin de la guerre froide à travers la redéfinition des enjeux sécuritaires

et de ses objectifs. Du fait de sa survivance, de nombreux experts se sont penchés sur la

capacité d’adaptation dont l’OTAN fait preuve, du fait d’une organisation structurelle

extrêmement malléable10.

Chapitre 1 – La légitimité de l’Alliance atlantique à l’épreuve de la guerre froide :

faire face à la menace soviétique

« To keep the Russians out, the Americans in, and the Germans down »

Lord Hastings Lionel Ismay, premier secrétaire général de l’OTAN (1952)

Pour Diego A. Ruiz Palmer et Elsa Paroissien11, l’histoire de l’OTAN pendant la

guerre froide s’apparente à de multiples réformes organisationnelles, greffées sur une trame

institutionnelle très malléable. Et cela face à la menace nucléaire et le Pacte de Varsovie,

véritables enjeux sécuritaires de la guerre froide. Cela va se traduire par des évolutions

structurelles à la fois militaires mais aussi politiques pour faire face aux différentes crises

internationales, et surtout pour se dresser contre le Pacte de Varsovie dans un système où les

deux organisations vont trouver chacune leur légitimité à travers l’autre.

10 Ruiz Palmer Diego A., Paroissien Elsa, « La réforme de l'OTAN : le besoin, les obstacles, les nouvelles perspectives. », Politique étrangère 4/2009 (Hiver), p. 902 11 Ruiz Palmer Diego A., Paroissien Elsa, « La réforme de l'OTAN : le besoin, les obstacles, les nouvelles perspectives. », Politique étrangère 4/2009 (Hiver), p. 897-910

17

Section 1 – L’OTAN face à la menace nucléaire et au Pacte de Varsovie

A) L’Alliance atlantique à travers le Traité Washington de 1949 : une alliance au sens

strict du terme

Charles Zorgbibe relève trois types d’alliances en relations internationales. Une alliance

au sens large, c’est-à-dire une coalition politique d’au moins deux Etats qui coopèrent autour

d’un but politique commun à travers la mise en place de moyens égaux ou inégaux ; Une

alliance au sens restrictif du terme, c’est-à-dire une alliance purement normative et qui

n’aura pour vocation que d’encadrer les Etats membres ; enfin une alliance au sens strict,

créée par un traité qui entraine au minimum deux puissances à se porter une assistance

mutuelle. Cette dernière approche peut dans une certaine mesure caractériser ce qu’a été

l’OTAN tout au long de la guerre froide. En ce sens les clauses du Traité de Washington12

sont évocatrices. L’article 5 du traité évoque ainsi le caractère strict de l’Alliance : « Les

parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles survenant

en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes

les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune

d'elles, dans l'exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par

l'article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées

(…) »13. De plus, le Traité de Washington a institué et défini les menaces qui pesaient sur le

territoire Européen, et a donc légitimé ainsi la création de l’Alliance atlantique.

Tout d’abord, pour Charles Zorgbibe, l’OTAN s’est créée autour de la définition d’un

ennemi virtuel. Le traité ne fait pas état d’un ennemi clairement identifié puisqu’est

seulement évoqué « une attaque armée contre l’une ou plusieurs des parties »14. Pour autant,

peu de temps après la création de l’OTAN, Moscou a jugé le pacte atlantique comme un

pacte à « caractère agressif flagrant et dirigé contre l’URSS »15. Le terme d’endiguement,

utilisé dans la diplomatie américaine dès 1946, permet aussi de clarifier un peu plus la

logique du Traité de Washington, révélant un ennemi désigné mais dont le nom n’est pas

explicitement évoqué dans le traité : l’URSS. Ensuite, l’Alliance atlantique est une alliance

définie en réponse à un certain type d’agression, contre lequel se protéger. L’article 4 du

Traité de Washington évoque en effet que « Les parties se consulteront chaque fois que, de

12 Zorgbibe Charles, « Histoire de l’OTAN », Questions à l’Histoire, Editions Complexe, 2002, p. 30-39 13 Article 5 du Traité de Washington, disponible sur le site internet de l’OTAN. 14 Zorgbibe Charles, « Histoire de l’OTAN », Questions à l’Histoire, Editions Complexe, 2002, p. 35 15 Ibid, p. 36

18

l'avis de l'une d'elles, l'intégrité territoriale, l'indépendance politique ou la sécurité de l'une

des parties sera menacée »16. De plus, l’article 5 définit la réaction contre une menace qui

aurait atteint un territoire d’un des pays de l’Alliance. Il doit donc y avoir une agression

effective, d’une certaine ampleur entrainant le déclenchement du mécanisme de défense. Au

fil de l’évolution de l’OTAN, le type de menace va s’ouvrir à des agressions « indirectes »,

désignant à la fois l’hypothèse de soulèvement communistes ou de rebellions. Cela va

entrainer une forme d’ingérence étrangère qui permettra de garder le contrôle des Etats-Unis

sur les Etats Européens. Troisièmement, Une alliance est définie par la garantie d’un

territoire au sein de l’espace atlantique. En effet, la zone couvre les pays membres, mais

seulement partiellement le territoire des alliés hors frontières de la métropole. Cette aire sera

modifiée avec les élargissements successifs puisque dès 1952 la Turquie et la Grèce intègrent

l’Alliance. Ce sera le début de la politique d’élargissement de l’OTAN. Nous reviendrons

plus tard sur cette politique.

Toutefois, du fait du maintien de l’Alliance après la guerre froide, l’approche réaliste a

perdu de sa légitimité. En effet, pour Charles Philippe David, une alliance au sein de l’ordre

international aujourd’hui n’a plus forcément vocation à résoudre le dilemme sécuritaire17

mais à promouvoir une identité commune de sécurité, et un espace de paix entre les Etats. A

ce titre, les approches néolibérales et constructivistes qui étudient l’Alliance sont devenues

légitimes à la fin de la guerre froide.

B) L’OTAN et le Pacte de Varsovie : un équilibre par la dissuasion nucléaire

Dès 1952 l’OTAN va ouvrir sa politique d’élargissement, fondée sur l’article 10 du

Traité de Washington, qui stipule que « Les parties peuvent, par accord unanime, inviter à

accéder au Traité tout autre Etat européen susceptible de favoriser le développement des

principes du présent Traité et de contribuer à la sécurité de la région de l'Atlantique

Nord »18. Ainsi, la Grèce et la Turquie feront leur entrée dans l’Alliance atlantique. Cette

première ouverture sera suivie par l’intégration de l’Allemagne de l’ouest dès 1954, du fait

de sa position géographique et stratégique. C’est à la suite de cette intégration que l’URSS

16 Article 4 du Traité de Washington, disponible sur le site internet de l’OTAN. 17 Le dilemme sécuritaire est un concept qui définit une situation dans laquelle un Etat, afin d’assurer sa propre sécurité, décide d’investir pour augmenter ses moyens de défense – et donc militaires. Face à cela, un autre Etat augmentera également ses dépenses militaires pour sa propre sécurité ce qui contribuera à un armement généralisé qui peut conduire à une insécurité globale. 18 Article 10 du Traité de Washington. Disponible sur le site internet de l’OTAN.

19

mettra en place le Pacte de Varsovie, véritable pendant de l’OTAN tout au long de la guerre

froide.

Le 14 mai 1955 l’URSS signe avec sept Etats d’Europe centrale et orientale le Pacte de

Varsovie. Conçu par Nikita Khrouchtchev, qui voyait en cette alliance un véritable

contrepoids à l’OTAN, ce pacte devait permettre à l’URSS d’opposer une puissance

suffisamment solide pour se protéger des Etats-Unis, et du bloc occidental. Dès lors que se

créé le Pacte de Varsovie, l’Alliance atlantique va devoir s’organiser afin de permettre la

continuité de la sécurité en Europe. Cela va se traduire par un véritable équilibre entre les

deux puissances.

Ce statu quo s’exprime d’abord à travers les dangers de l’utilisation de l’arme nucléaire

et la politique de la dissuasion, qui pour Bruno Tertrais, peut se définir ainsi : « Il s’agit

d’empêcher une action en persuadant la personne ou l’entité concernée que le jeu n’en vaut

pas la chandelle. La dissuasion est un mode de prévention de l’agression sans emploi de la

force, comme la diplomatie ou la sécurité collective »19. Pendant plus de soixante ans, la

dissuasion nucléaire fut donc le concept central de la stratégie nucléaire de l’Alliance

atlantique, mais aussi de l’URSS. Pour Yuri Fedorov et Dominique David, par un savant

mélange de menaces, de dissuasions et une politique efficace, l’hypothèse d’une guerre

nucléaire est restée limitée, cadenassée, puisqu’était partagée de part et d’autre l’idée que les

gains qui résulteraient d’une attaque nucléaire seraient inférieurs aux dégâts causés en

représailles de cette attaque20. Dans les années 80, l’URSS viendra à perdre la course aux

armements face aux Etats-Unis. En 1989, l’URSS comptait plus de 40 000 charges

nucléaires, dont 10 000 armes stratégiques. Entre 1991 et 2004, le nombre ces armes

stratégiques russes sera divisé par deux21. Pour autant, faut-il y voir la disparition de la

menace nucléaire, en son sens conventionnel (c’est-à-dire une menace provenant d’un Etat) ?

Dès lors, une forme de dialogue sur la sécurité va se mettre en place en Europe. En 1967,

le Ministre belge des Affaires étrangères, Pierre Harmel, remis un rapport intitulé « Les

tâches futures de l’Alliance » au Conseil de l’Atlantique Nord. Dans celui-ci, il préconisait

que les pays de l’Alliance adoptent entre eux et avec le Pacte de Varsovie une politique de

détente visant à favoriser le dialogue dans une période que l’on appellera « la détente ». En

19 Tertrais Bruno, « L’arme nucléaire », Que Sais-je, Chapitre II : Le concept de dissuasion nucléaire, PUF, 2008 20 Yuri Fedorov et Dominique David, « Les forces nucléaires russes : évolution et perspectives », Politique étrangère 2005/2 (Été), p. 359 21 Ibid, p. 360-361

20

effet, il est dit que « Chaque Allié devrait jouer pleinement son rôle dans l’amélioration des

relations avec l’Union soviétique et les pays de l’Europe de l’Est, en tenant compte du fait

qu’il ne faut pas laisser la recherche de la détente aboutir à une rupture de l’Alliance. »22.

Toutefois, le rapport précise que l’Alliance garde une dynamique évolutive puisque « (…)

les Alliés maintiendront un potentiel militaire suffisant pour assurer l’équilibre des forces

et créer ainsi un climat de stabilité, de sécurité et de confiance»23. Cette politique de la

détente qui caractérise alors les relations internationales sera notamment celle de

« l’Ostpolitik » du chancelier ouest-allemand Willy Brandt qui consistait à rapprocher

l’Europe de l’est et l’Europe de l’ouest. En 1973 a lieu la Conférence d’Helsinki, qui

débouchera deux ans plus tard sur les Accords d’Helsinki. Ce rapport sera le point de départ

de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, qui se tint en 1973, et qui mena

deux ans plus tard (1er août 1975) à la signature de l’Acte final d’Helsinki. Dans cet acte

final, plusieurs dispositions poussèrent l’URSS à respecter un certain nombre de libertés

fondamentales vis-à-vis des citoyens du Pacte de Varsovie24. En effet, il est rappelé que « Les

Etats participants respectent les droits de l'homme et les libertés fondamentales, y compris

la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction pour tous, sans distinction

de race, de sexe, de langue ou de religion » (article VII)25.

Pourtant, Charles Zorgbibe relève que malgré l’équilibre entre ces deux alliances,

l’OTAN et le Pacte de Varsovie présentaient dès l’origine des architectures bien différentes.

En effet, l’OTAN semble s’être définie autour de son caractère démocratique, de par la

pluralité des centres de décisions nationaux, l’indépendance des Etats et le caractère

consultatif (article 4) et consensuel de l’Alliance (les décisions étant prises au Conseil de

l’Atlantique Nord pas consensus). A l’opposé, le Pacte de Varsovie va multiplier les traités

bilatéraux, et créer une véritable dépendance des Etats du « glacis protecteur » vis-à-vis de

l’URSS. La solution militaire sera aussi privilégiée pour contrer les insurrections qui auront

lieu notamment en Hongrie en 1956 (l’insurrection Bourgeoise) ou pour mettre fin au

Printemps de Prague en Tchécoslovaquie en 1968. Dans le cas de l’OTAN, l’utilisation de

22 Report of the Council ‘The Future Tasks of the Alliance’ (Harmel Report) (Brussels, 13 and 14 December 1967) 23 Report of the Council ‘The Future Tasks of the Alliance’ (Harmel Report) (Brussels, 13 and 14 December 1967) 24 « Une brève histoire de l’OTAN », document de la Division Diplomatie Publique de l’OTAN, 2012 25 Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, Acte final d’Helsinki 1975

21

l’outil militaire devait se faire en dernier recours, et dans la perspective de la défense de

valeurs démocratiques.

Progressivement, l’URSS, aux prises avec des problèmes économiques importants

(course aux armements perdue, économies en berne dans l’espace soviétique) et face à la

hausse des contestations politiques et sociales (par exemple Lech Walesa en Pologne avec

Solidarnosc), va s’affaiblir jusqu’à s’effondrer en 1991. Dans les années 80, l’URSS viendra

à perdre la course aux armements face aux Etats-Unis. Le dernier épisode sous tensions de

la guerre froide fut l’installation par l’URSS installe en Europe de missiles SS20 en Europe.

Face à cela, les USA, par l’intermédiaire de l’OTAN menacèrent d’installer des missiles

Pershing 2.

Le Pacte de Varsovie sera dissout le 1er juillet 1991, puisque les Etats du pacte

signèrent un protocole mettant fin à ce traité, et ce après l’échec des tentatives de

restructuration du Pacte. En effet, une issue politique avait été recherchée au préalable : il

s’agissait alors de créer une institution purement politique après dissolution de l’outil

militaire ; Ou alors de faire du pacte une organisation purement militaire pour dissuader.

Mais Budapest et Prague (ayant tous deux subis des répressions par l’URSS) vont obtenir le

retrait des forces militaires. Par effet domino, l’ensemble des Etats refusera cette option.

Section 2 – L’OTAN entre transformations militaires, politiques et institutionnelles :

une capacité d’adaptation continuelle

La capacité de l’OTAN pour résister aux crises et faire face à la menace nucléaire tient

à l’ensemble des évolutions structurelles, organisationnelles, politiques et militaires qu’elle

a su mettre en œuvre. Cela traduisant le caractère flexible et hautement adaptable de

l’Alliance atlantique.

A) Une adaptation militaire face aux menaces sécuritaires de l’Alliance atlantique

1- Une adaptation militaire définie en premier lieu à travers des doctrines stratégiques

Peu de temps après la création de l’Alliance en 1949, le contexte international changeant

va entrainer l’OTAN à définir sa première doctrine stratégique, véritable arme intellectuelle

de l’alliance militaire. Deux évènements majeurs vont pousser l’organisation à se réformer

sur le plan militaire. Comme le rapporte le Bureau des affaires du désarmement des Nations-

Unis, l’Union Soviétique fit exploser en 1949 sa première bombe atomique. De plus, le 25

juin 1950, la Corée du Nord envahit la Corée du Sud. Ce sera le début de la Guerre de Corée,

22

et même si aucune opposition directe n’eut lieu entre les deux superpuissances, du fait

notamment du risque de conflit nucléaire, le besoin de sécuriser les pays de l’Alliance eut

été jugé primordial. Outre des changements institutionnels que nous verrons plus bas, est

mise en œuvre la doctrine dite des « représailles massives ». Cette doctrine avait été définie

dans le but de mettre en place une stratégie de dissuasion pour permettre le gel des conflits

et la neutralisation des tensions grandissantes entre les puissances mondiales. Cela afin

d’éviter un conflit nucléaire généralisé. De plus, comme le rapporte l’Alliance, cette doctrine

avait pour but d’éviter aux pays membres de fournir de nombreuses forces conventionnelles,

coûteuses pour se concentrer sur leurs réformes économiques26.

En 1962, Henry Kissinger jugea que la doctrine des représailles massives était devenue

« malaisée »27 en raison du contexte international changeant. La Crise de Cuba de 1962, qui

a porté le monde au bord de la crise nucléaire, sera l’élément principal du changement de la

doctrine de l’Alliance. Dès la même année, le ministre de la Défense Robert McNamara, en

poste sous l’administration Kennedy, proposa ce qui devint la « doctrine de la riposte

graduée », c’est-à-dire pour Georges Le Gueltes - spécialiste des questions nucléaires et

ancien secrétaire du conseil des gouverneurs de l’agence Internationale de l’Energie

atomique - une série de solutions s’écartant de la logique des représailles massives et

entrainant une réponse graduée en cas d’attaque nucléaire limitée de l’URSS contre un des

Etats membres de l’Alliance28. Celle-ci sera adoptée en 1967 par le Conseil de l’Atlantique

Nord, notamment après le retrait français du commandement intégré de l’OTAN. L’Alliance

définissait alors cette stratégie à travers 3 règles : une riposte défensive pour contrer

l’adversaire au niveau auquel l’ennemi se bat, une escalade délibérée pour contrer

l’agression et s’approcher volontairement de la menace la plus puissante (nucléaire) afin de

dissuader l’adversaire, ainsi que la riposte nucléaire comme moyen ultime de dissuasion. En

outre, il s’agissait d’agir avec une plus grande souplesse en cas de menace contre l’un des

Etats membres de l’OTAN.

Toutefois, comme le précise Georges Le Guelte, une doctrine n’a de sens qu’à travers

les évolutions concrètes qu’elle engendre.

26 « Une brève histoire de l’OTAN », document de la Division Diplomatie Publique de l’OTAN, 2012 27 KISSINGER Henry, « L'évolution de la doctrine stratégique aux Etats-Unis », Politique étrangère N°2 - 1962 - 27e année, p. 126 28 Le Guelte Georges, « Plaidoyer pour une doctrine. », Revue internationale et stratégique 2/2003 (n° 50), p.49

23

2- Une adaptation militaire caractérisée par des réformes perpétuelles au sein de

l’Alliance atlantique

L’OTAN fut avant tout une organisation militaire, basée sur l’article 5 du Traité de

Washington. Il y a aura donc une évolution permanente dans le champ militaire entre 1949

et 1989. A l’origine, le Traité de Washington ne prévoyait pas de véritable structure militaire,

hormis un Comité de défense, défini afin de permettre la mise en application de l’article 3

qui offre une base dans le domaine de la coopération militaire, un comité militaire des Chefs

d’Etat-major ainsi que des groupes de planifications régionale afin de mettre en œuvre les

objectifs définis par le comité de défense. Mais l’évolution rapide du contexte international

va entrainer l’Alliance à se développer.

En parallèle de la doctrine stratégique dite des représailles massives, l’OTAN se dota

rapidement d’une structure militaire plus solide avec la mise en place d’un commandement

intégré (véritable système de gouvernance militaire qui se mit en place). Il s’agit d’une

structure composée du Grand quartier général des Puissances alliées en Europe (SHAPE,

crée le 2 avril 1951), avec à sa tête le général américain Dwight D. Eisenhower, qui pris alors

le titre de Commandant suprême des Forces Alliées en Europe (SACEUR). Le quartier

général militaire sera établi en France, à Rocquencourt près de Versailles. De plus, les

groupes de planification régionale furent remplacés par 3 commandements distincts : Le

Commandement Allié en Europe (ACE, responsable de la défense en Europe / Norvège /

Turquie), le Commandement Allié en de l’Atlantique (ACLANT), et le Commandement

Allié de la Manche (ACCHAN).

Pour Jean-Sylvestre Mongrenier29, le lancement sur orbite du satellite Spoutnik le 4

octobre 1957 révéla la capacité de l’URSS à frapper le sol américain, et donc celui de

l’Alliance. Cinq ans plus tard, éclata la Crise de Cuba alors que les deux superpuissances

s’étaient lancés dans une course aux armements. Entre temps, le mur de Berlin vit le jour

dans la nuit du 12 au 13 août 1961. Cette « diplomatie au bord du gouffre »30 fit prendre

conscience au monde des dangers nucléaires d’une confrontation directe entre l’URSS et les

Etats-Unis. Par ailleurs, les Etats-Unis s’engagèrent dans la guerre du Vietnam. De plus, en

1966, la France décida de se retirer du commandement intégré de l’OTAN. En effet, le 21

février 1966, dans une conférence de presse, le Général De Gaulle avançait que la France

29 Mongrenier Jean-Sylvestre, « La Russie et la « maîtrise des armements »: enjeux stratégiques et représentations géopolitiques. », Hérodote 2/2008 (n° 129), p. 212 30 Ibid p. 212

24

restait dans l’Alliance mais se fixait pour objectif de « rétablir une situation normale de

souveraineté, dans laquelle ce qui est français, en fait de sol, de ciel, de mer et de forces, et

tout élément étranger qui se trouverait en France, ne relèveront plus que des seules autorités

françaises »31. En outre, la France conserverait sa place et ses liens diplomatiques au sein de

l’Alliance mais se désengageait militairement puisque le pays quitta le commandement

intégré (la France ne le réintégrera qu’en 2009, sous la présidence de Nicolas Sarkozy).

Tous ces changements vont entrainer de nouvelles modifications majeures de

l’Alliance. Tout d’abord, la structure militaire suprême déménagea en Belgique (Mons et

Bruxelles). Depuis, les principales structures de commandement de l’OTAN sont en

Belgique. Ensuite, l’Alliance a continué à évoluer à 14, à travers une forme

« d’atlantisation » renforcée de l’ensemble occidental en se calquant sur la politique

américaine. Ainsi, seront créés deux organes en réponse à des mouvements soviétiques : Un

commandement naval aéronaval pour la surveillance de la flotte soviétique en Méditerranée

(1968) et une « Force d’urgence de l’OTAN en Méditerranée » en 1969. Cela montre les

réformes que va mener l’OTAN en période de crise, et donc sa capacité à se réorganiser face

à des divergences internes mais aussi face aux évolutions du contexte international.

Sur le plan militaire, l’OTAN ne connaitra plus de transformations majeures jusqu’à la

fin de la guerre froide. En parallèle de son caractère militaire prépondérant, l’Alliance

atlantique est devenue très tôt un outil politique et diplomatique crucial dans les relations

internationales. Cet espace politique va connaitre plusieurs transformations pour faire face à

la menace nucléaire.

B) Une adaptation institutionnelle et politique

Qualifiée d’organisation principalement militaire pendant la guerre froide, il ne faut pas

pour autant oublier que l’OTAN est composée aussi d’un ensemble d’Etats qui vont

communiquer et développer de nombreux canaux politiques et diplomatiques. En outre, c’est

à travers des transformations politiques importantes que l’OTAN va faire face aux menaces

sécuritaires en temps de guerre froide. L’Alliance Atlantique est en effet, pour Brahim Saidy,

« une alliance politique qui concrétise le lien transatlantique entre l’Europe et l’Amérique

du Nord. Elle offre un cadre privilégié pour la consultation sur les questions de sécurité et

31 Zorgbibe Charles, « Histoire de l’OTAN », Questions à l’Histoire, Editions Complexe, 2002, P. 87

25

encourage aussi la coopération économique, politique et culturelle que mettent en place les

structures de cette organisation pour accroître la prospérité de tous les pays membres »32.

Ce cadre privilégié se retrouve à l’origine à travers le Conseil, organe créé en 1949 et

qui deviendra le Conseil de l’Atlantique Nord. Le conseil fonctionne à l’unanimité, sur des

décisions majoritairement politiques (bien que parfois diplomatiques et militaires). Il est

composé des représentants des Etats membres sous forme de deux formations : l’une réunie

deux fois par an au niveau ministériel, et l’autre réunie au moins une fois par semaine au

niveau des représentants des Etats membres, c’est-à-dire les ambassadeurs.

Pour appuyer le caractère politique de l’Alliance, un poste secrétaire général de l’OTAN

fut créé dès 1952. Hasting Lionel Ismay occupera le premier ce poste. En 1957, il sera

remplacé par Paul-Henri Spaak. Le poste évoluera puisque le Secrétaire Général prendra la

présidence du Conseil Atlantique, jusque-là assuré par les Ministres des Affaires étrangères

des Etats membres.

Dans un contexte difficile du fait de multiples crises (vues plus haut), les réformes

politiques s’avérèrent nécessaire. D’autant que, les conséquences de la Crise de Suez en 1956

vont faire prendre conscience aux pays membres de la nécessité d’une communication et

d’une coopération non militaire plus forte entre eux. De plus, les « Trois sages » (les

ministres des affaires étrangères Italien, Norvégien et Canadien) remirent au Conseil de

l’Atlantique un rapport concluant à la nécessité d’élaborer une coopération scientifique et

une collaboration plus forte entre les membres.

En parallèle, l’Alliance pu jouir dès sa première décennie d’une structure administrative

et civile importante. En effet, l’OTAN compte des organismes civils à caractère technique

et administratif : 600 fonctionnaires détachés de l’administration nationale, ainsi que des

agences opérationnelles, d’entreprises communes chargées de produire des engins, des

outils, des machines pour l’organisation militaire de l’Alliance.

Pour Diego A. Ruiz Palmer et Elsa Paroissien33, afin de donner un caractère plus

consultatif et plus consensuel, le commandement de l’Alliance passa du SACEUR au

secrétaire Général de l’OTAN. Pour les deux auteurs, l’objectif de l’OTAN à ce moment-là

fut de « dépasser les faiblesses du processus de planification et faire croitre la volonté

32 SAIDY Brahim, « Les transformations de l’OTAN : Trois périodes, trois mutations », Repères, 2010, p. 2 33 Ruiz Palmer Diego A., Paroissien Elsa, « La réforme de l'OTAN : le besoin, les obstacles, les nouvelles perspectives. », Politique étrangère 4/2009 (Hiver)

26

politique et renforcer les capacités classiques et nucléaires dans une perspective

« défensive » (logique de l’OTAN pendant la guerre froide) ».

De nombreuses réformes structurelles internes auront ainsi lieu. En 1963, le Conseil de

l’Atlantique réuni au niveau des ambassadeurs décida qu’il devait se constituer en Comité

des plans de défense (dissous en 2010 par l’Alliance) afin de planifier la défense collective.

En 1966 fut créé le comité des questions de défense nucléaires (NDAC), ainsi que le Groupe

des plans nucléaire (NPG) qui a aujourd’hui pris en charge les travaux du NDAC (qui n’a

pas été aboli officiellement). A la fin des années 1970, ce groupe des plans nucléaires est

renforcé à travers deux nouveaux comités : Le Groupe de haut-niveau et le Groupe

consultatif spécial pour permettre à l’Alliance la modernisation des forces nucléaires et

d’empêcher avec Moscou leur prolifération. En parallèle, l’Organisation mis en place une

série de programmes de modernisation à long terme des capacités de l’OTAN : le Programme

Allied Defence (AD-70), le programme de défense à long terme (LTPD), et le Programme

conventionnel de développement de défense (CDI). Cela dénote une volonté d’évolution

scientifique, politique et institutionnelle.

Ces différentes évolutions politiques s’accompagneront d’une politique externe basée

sur le principe de la porte ouverte. Ainsi, dès 1952 la Grèce et la Turquie intègrent l’Alliance

Atlantique, et en 1954 ce fut autour de l’Allemagne de l’Ouest de rejoindre l’Alliance

Atlantique. En 1982, l’Espagne deviendra membre de l’OTAN, quelques années avant la

chute du mur de Berlin, en 1989.

Tout au long de la guerre froide, l’OTAN s’est donc adapté à la principale menace,

le Pacte de Varsovie et la menace nucléaire, à travers une politique de dissuasion efficace et

une capacité d’adaptation militaire et politique continue. Véritable organisation légitime

jusqu’en 1989, la chute de l’URSS en 1991 et la disparition du Pacte de Varsovie vont

remettre en cause le caractère fondamental de l’Alliance, basé sur la défense collective.

L’OTAN fera alors face à une première transformation majeure face à de nouvelles

incertitudes sécuritaires.

27

Chapitre 2 – L’OTAN à la recherche d’une nouvelle légitimité après la guerre froide :

repenser la menace sécuritaire

Malgré une mort certaine que beaucoup lui avaient prédit suite à la chute de l’URSS

et donc de sa raison d’être, l’OTAN ne va pas disparaitre34. Et elle va même se transformer

pour permettre la conservation de cet outil atlantique. En outre, c’est à travers une nouvelle

légitimité, qui sera symbolisée par l’intervention de l’Alliance pour mettre fin à la guerre en

ex-Yougoslavie en 1995, que l’OTAN va redéfinir sa raison d’être. La doctrine intellectuelle

et la redéfinition de la menace pour faire face à la crise de légitimité de l’OTAN seront des

éléments essentiels dans la perspective de transformation de l’Alliance au même titre qu’une

politique d’élargissement et de nouveaux partenariats.

Section 1 – La redéfinition de la pensée stratégique de l’OTAN : de la « défense

collective » à la « sécurité collective »

Outre le Traité de Washington, qui définit les grands principes et la vocation de

l’Alliance atlantique, l’absence de modèle organisationnel initial et le caractère malléable

des institutions atlantiques va permettre à l’OTAN de se restructurer et de se transformer

pour entrer dans une première phase de mutation afin de réagir à la fin du caractère bipolaire

des relations internationales. Tout d’abord à travers la redéfinition d’une pensée stratégique

et intellectuelle, qui va permettre à l’Alliance de se réformer en profondeur, mais aussi par

une politique d’élargissement et de partenariats, définie dès la fin de la guerre froide pour

faire face aux nouvelles crises existantes.

A) Le passage à un régime de sécurité collective…

Nombreux sont les observateurs qui ont prédit la disparition de l’OTAN après la chute

de l’empire soviétique, privant du même coup l’Alliance de sa substance légitime. Dans la

théorie du cycle des Alliances (hypothèses expliquant la dissolution ou la survie d’une

alliance), Stephen Walt affirme que les facteurs d’unité au sein de l’Alliance atlantique ont

disparu un à un35. En premier lieu, face à la disparition d’une menace (en l’occurrence la

menace soviétique), les Etats membres de l’OTAN vont rechercher d’autres solutions pour

se protéger, rendant alors l’Alliance obsolète puisque les bénéfices de celle-ci deviennent

inférieurs aux coûts (financiers et humains) pour chaque membre. En second lieu, la crise de

34 Guéhenno. L'OTAN après la guerre froide. Une nouvelle jeunesse ? In: Critique internationale. Vol. 7. 2000, P. 102 35 SAIDY Brahim, « Les transformations de l’OTAN : Trois périodes, trois mutations », Repères, 2010, p. 1

28

légitimité traversée par l’OTAN va se poser dès lors que des doutes sont émis sur la capacité

de l’Alliance à protéger désormais ces membres. Ensuite, ses valeurs politiques et

idéologiques qui unissent les membres d’une même alliance face à un ennemi commun

disparaissent dès lors que la menace en question n’existe plus. Enfin, une alliance se

maintien autour d’une puissance hégémonique capable d’équilibrer l’Alliance. Le retrait

annoncé des Etats-Unis de la zone européenne, d’intérêt stratégique moindre, laissait donc à

penser que l’Alliance ne résisterait pas. Mais elle va persister, en se transformant à une

organisation plus complexe.

Stephen Krasner, professeur américain de relations internationales définissait ainsi en

1982 la notion de « régime » comme « un ensemble de principes implicites ou explicites, de

normes, de règles, et de processus décisionnels, où convergent les attentes des acteurs à

l’intérieur d’un domaine donné des relations internationales »36. Pour le néolibéralisme

institutionnel, l’OTAN est plus qu’une simple alliance, et notamment depuis la fin de la

guerre froide. C’est une organisation qui facilite la coopération, en matière de sécurité, parmi

un ensemble d’Etats souverains. L’OTAN se conçoit alors comme une sorte de régime de

coopération dans le domaine de la sécurité internationale et sa raison d’être s’explique par

sa capacité à générer une certaine forme de stabilité.

Depuis la fin de la guerre froide, l’Alliance Atlantique peut donc se concevoir comme

un régime de sécurité collective fait de principes, qui entrainent des normes, des règles et

des décisions entre les 28 Etats membres. On parle de l’OTAN comme une « institution

internationale de sécurité » (l’institution étant définie par Peter Haas comme un ensemble

durable et connecté de règles et de pratiques qui prescrivent les comportements, limitent les

activités et façonnent les attentes), dans le sens où il existe des pratiques routinières,

institutionnalisées, régulées et durables. Dès lors, l’OTAN peut être vue comme un régime

régional de sécurité collective.

B) …défini par les concepts stratégiques de l’OTAN en 1991 et en 1999

1- Le concept stratégique du Sommet de Rome en 1991…

Ce passage d’une alliance basée sur la seule défense collective à un régime de sécurité

collective va se faire dès le Sommet de Rome en novembre 1991, où l’Alliance atlantique

36 Krasner Stephen D, « Structural causes and regimes consequences : regimes as intervening variables », International Organization 36, 2, Spring 1982, p. 186

29

va définir un nouveau concept stratégique, qui sera sa nouvelle base intellectuelle dans le

monde de l’après-guerre froide. Comme le stipule le concept stratégique de l’époque, « Tout

en réaffirmant les principes fondamentaux sur lesquels l’Alliance repose depuis sa création,

ils – les chefs d’Etat et de gouvernement des pays de l’OTAN - ont reconnu que les

événements qui se déroulaient en Europe auraient une large incidence sur la manière

d’atteindre ses objectifs à l’avenir »37. En outre, si l’Alliance a réaffirmé son statut

d’organisation de défense collective (défendre les Etats membres), celle-ci va s’adapter à

travers une ouverture plus prononcée à de nouveaux membres (élargissements) et elle

recherchera l’intégration des anciens Etats adversaires de l’OTAN, puisque le concept

stratégique de 1991 affirme que « Les risques auxquels est exposée la sécurité des Alliés

tiennent probablement moins à l’éventualité d’une agression calculée contre le territoire

des Alliés qu’aux conséquences négatives d’instabilités qui pourraient découler des graves

difficultés économiques, sociales et politiques, y compris les rivalités ethniques et les litiges

territoriaux, que connaissent de nombreux pays d’Europe centrale et orientale ».

Ce concept stratégique définit en outre une réorganisation de l’appareil politique et

militaire de l’Alliance. L’environnement sécuritaire étant devenu plus complexe, et face à

l’essor de menaces provenant de crises, ou de conflits périphériques à l’Europe (cas de l’ex-

Yougoslavie), le concept prévoyait le besoin de réorganiser ses capacités militaires afin de

les rendre plus flexibles et plus rapides. C’est dans cette perspective que l’Alliance atlantique

a adopté lors du Sommet de l’OTAN à Bruxelles en janvier 1994 le concept militaire de

« Groupes de forces interarmées multinationales » (GFIM). En parallèle, des mesures ont

également été prises pour rationaliser la structure de commandement de l’Alliance et

l’adapter à de nouvelles missions en matière de gestion des crises et de maintien de la paix.

2 - …révisé à travers le concept stratégique du sommet de Washington en 1999

Le concept stratégique de l’OTAN, véritable doctrine intellectuelle de l’Alliance

dans l’immédiat après-guerre froide, sera révisé lors du sommet de Washington en avril

1999. En effet, dans sa partie introductive, le concept de 1999 évoque que « Les changements

spectaculaires apportés au paysage stratégique euro-atlantique par la fin de la Guerre

froide se sont reflétés dans le Concept stratégique adopté par l'Alliance en 1991. Il s'est

toutefois produit, depuis lors, d'autres modifications profondes de la situation politique et

de sécurité ». En effet, dès 1997, les pays membres de l’Alliance décidèrent d’actualiser le

37 Concept stratégique de l’OTAN, approuvé en novembre 1991 lors du Sommet de Rome.

30

Concept Stratégique afin d’y englober les changements intervenus depuis la fin de la guerre

froide. Dans la lignée du concept de 1991, l’accent fut mis sur plusieurs points38: la

préservation du lien transatlantique en matière de sécurité, le maintien de capacités militaires

efficaces contre les menaces grandissantes et imprévisibles, le développement d’une

politique de sécurité et de défense à vocation européenne au sein de l’Alliance, un rôle

croissant de l’OTAN en matière de gestion des crises (notamment depuis l’intervention de

l’OTAN dans le conflit Yougoslave en 1995 et au Kosovo en 1999), la politique des

partenariats et un dialogue vivifié entre l’Alliance et ses alliés (instaurée depuis 1994), la

réaffirmation de la « politique ouverte » de l’OTAN en vertu de l’article 10 du Traité de

Washington, ainsi que la maitrise des armements et la non-prolifération.

C’est aussi lors du Sommet de Washington que fut évoqué plus clairement que le

terrorisme constituait désormais une menace pour l’OTAN. En effet, le concept stratégique

de 1999 stipule que « Les intérêts de sécurité de l'Alliance peuvent être mis en cause par

d'autres risques à caractère plus général, notamment des actes relevant du terrorisme, du

sabotage et du crime organisé, et par la rupture des approvisionnements en ressources

vitales »39. Mais ce ne sera véritablement qu’en 2001, après les attentats du 11 septembre

2001, que la menace terroriste deviendra l’une des priorités de l’Alliance dans sa politique

globale de sécurité. Cette priorité est plus que jamais d’actualité, mais nous y reviendrons

dans une seconde partie.

C) La « ruée vers l’est » de l’Alliance Atlantique : entre élargissements et partenariats

« L’élargissement de l’OTAN a donc été historiquement opportun, en même temps qu’il

était nécessaire. Au début du XXIe siècle, le recouvrement quasi parfait des appartenances

à l’OTAN et à l’UE témoigne de ce que l’Europe est enfin unifiée et en sécurité »40

Zbigniew Brzezinski et Diana Hochraich (2009)

Une « Etude sur l’élargissement » lancé par le Conseil de l’Atlantique en 1994 a

démontré que la politique d’élargissement de l’OTAN pouvait permettre l’édification d’une

nouvelle architecture de sécurité dans la zone euro-atlantique. En outre, de faire face aux

38 http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/otan/nouveau-concept-strategique.shtml 39 Concept stratégique de l’OTAN, approuvé en avril 1999 lors du sommet de Washington 40 Hochraich Diana, Zbigniew Brzezinsk, « Un programme pour l’OTAN : Vers un réseau de sécurité mondiale », IFRI / Politique étrangère, 2009 – pp 768

31

défis sécuritaires de l’après-guerre froide en Europe à travers une politique d’intégration de

l’Alliance.

1- L’est se tournant vers l’ouest : la politique d’intégration de l’OTAN

Pour Charles Zorgbibe, plusieurs éléments permettent de comprendre les raisons qui ont

poussé la plupart des Etats d’Europe centrale et orientale à se tourner vers l’Alliance

atlantique à la fin de la guerre froide41. Tout d’abord, un sentiment général d’insécurité fut

diffusé à l’est, caractérisé par la peur de nouvelles tensions, notamment du fait du conflit qui

éclata en Yougoslavie. Ce sentiment se renforcera aussi face aux dangers du trafic d’armes

conventionnelles (malgré les accords START 1 et START 2), ou encore face aux défis en

matière de sécurité nucléaire (explosion de Tchernobyl en 1989 en Ukraine), ainsi que face

à l’afflux de réfugiés du fait des guerres en ex-Yougoslavie (près de 4,5 millions de

personnes auront le statut de réfugiés entre 1991-1995 selon le HCRNU). Ensuite, un espace

post-soviétique à la recherche d’une nouvelle stabilité, qui va passer par la création de la

CEI en 1991. Boris Elstine, devant l’Union civique de la Douma en 1993 évoquait ainsi que

« La pratique montre que personne, à l’exception de la Russie n’est prêt à supporter le

fardeau du maintien de la paix dans l’espace de l’ex-URSS ». Pourtant, les pays occidentaux

virent d’un mauvais œil ce désir de la Russie de se positionner comme le leader de cet espace

post-soviétique. D’autant plus qu’à la chute de l’URSS, les appareils de défense des pays de

l’ex-Pacte de Varsovie avaient besoin d’être réformé, afin que les nouveaux gouvernements

des pays nouvellement indépendants s’éloignent de la Russie. La démarche sera similaire

d’un pays à l’autre. Enfin, les pays de l’est manifesteront une volonté d’ancrage à l’ouest,

caractérisée par de nombreuses demandes d’intégrations en provenance de la Hongrie dès

1991, ou encore la Pologne, la Bulgarie ou la Roumanie, cela pouvant s’expliquer par une

forme de fascination pour cette superpuissance, ce gendarme du monde qu’étaient devenus

les Etats-Unis.

Ainsi, en 1999, la Pologne, la Hongrie et la République Tchèque intégrèrent l’Alliance

Atlantique. D’autres Etats de l’Europe de l’est intègreront l’OTAN en 2004 : la Bulgarie, la

Roumanie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovaquie, et la Slovénie. Enfin, l’Albanie

et la Croatie feront leur entrée en 2009, et constituent les intégrations les plus récentes de

l’Alliance à l’heure actuelle.

41 ZORGBIBE Charles, « Histoire de l’OTAN », Questions à l’Histoire, Editions Complexe, 2002 – p. 229

32

2- L’encadrement de la menace à travers l’établissement de nouveaux partenariats

La métamorphose de l’OTAN et sa lutte contre les menaces de l’après-guerre froide

(devenues plus incertaines et relativement imprévisibles) va prendre un nouveau tournant en

1994. La diplomatie américaine entraina en effet l’OTAN à mettre sur pied un nouveau cadre

de coopération et d’intégration : le Partenariat pour la Paix (PpP). Ce nouveau cadre de

coopération devait permettre à l’Alliance de développer des accords bilatéraux avec des pays

ne faisant pas partie de l’OTAN et ainsi créer un véritable espace de dialogue, et parfois

même poser les bases d’une future intégration de ces pays. Défini par l 'Alliance même

comme un « engagement (…) ayant pour objectifs de renforcer la stabilité, de réduire les

menaces pour la paix, et d'établir des relations de sécurité renforcées entre les différents

partenaires euro-atlantiques et l'OTAN, ainsi qu'entre les pays partenaires»42, ces

partenariats vont permettre de coopérer à la fois avec les pays d’Europe centrale et orientale,

mais aussi avec des pays neutres tels que la Suède, ou encore la Russie. Cette nouvelle

politique sera un succès diplomatique pour l’OTAN qui devint l’organisation politique de

l’après-guerre froide. Car comme l’affirmaient en 1995 John J. Maresca et Mercedes Neal,

« Au travers du Conseil de coopération nord- atlantique (COCONA), tous les anciens

membres du pacte de Varsovie, y compris les nouveaux Etats de l'ex- Union soviétique, sont

associés à l'OTAN et le Partenariat pour la paix a attiré de nombreux pays auparavant

considérés comme « neutres ». Tous ces pays auront quelque chose à dire au sujet des

structures à venir de la sécurité européenne »43.

En parallèle, vont être crées d’autres espaces de dialogues, notamment le dialogue

méditerranéen – lancé en 1994 par l’OTAN - qui regroupe aujourd’hui l’Algérie, l’Egypte,

l’Israël, la Jordanie, la Mauritanie, la Tunisie et le Maroc. Sa vocation première est d’offrir

un espace de dialogue avec des pays aux prises avec la menace terroriste, véritable priorité

de l’Alliance. Nous y reviendrons plus loin. L’Alliance va aussi établir des cadres de

coopérations à travers la Création du Conseil conjoint permanent entre l’OTAN et la Russie

(par l’acte fondateur de 1997), le Conseil OTAN-Ukraine en 1997. D’autres partenariats

verront le jour dans les années 2000, notamment le Conseil OTAN-Géorgie en 2008, et

l’Initiative de la Coopération d’Istanbul, en 2004. Nous y reviendrons également.

42 http://www.nato.int/cps/fr/natolive/topics_50349.htm# 43 Maresca John J, Neal Mercedes, « L'après-guerre froide est terminée », In: Politique étrangère N°1 - 1995 - 60e année pp. 71

33

D’autres partenaires globaux tels que la Nouvelle-Zélande, le Japon, le Pakistan ou

encore l’Afghanistan vont ouvrir des relations avec l’OTAN (toutefois en dehors des cadres

de coopérations existants).

Cette politique des partenariats mise en œuvre par l’Alliance à la fin de la guerre froide

va permettre à l’OTAN de développer de nouveaux moyens d’encadrement de la menace,

qui peu à peu se transformera en une menace imprévisible, instable et incertaine. Cette

insécurité entrainera l’OTAN à intervenir dans la crise Yougoslave en 1995, ce qui sera le

renouveau d’une Alliance alors en quête de légitimité.

Section 2 – L’intervention de l’OTAN et la crise en ex-Yougoslavie : le symbole d’un

renouveau de l’Alliance atlantique et une pleine légitimité retrouvée

Avant de s’intéresser à l’intervention de l’Alliance dans le conflit Yougoslave, il est

nécessaire de revenir rapidement sur les origines et les enjeux de la guerre qui a sévi entre

1991 et 1995 et déchira la Yougoslavie. Cette parenthèse semble primordiale afin de bien

comprendre que la guerre qui éclata en ex-Yougoslavie a entrainé un ensemble de menaces

sécuritaires au cœur même de l’Europe. En effet, aucun conflit depuis la seconde guerre

mondiale n’avait été aussi meurtrier. L’OTAN dut intervenir face à la menace directe d’une

insécurité grandissante dans les Balkans.

A) L’éclatement de la Yougoslavie ou la menace immédiate de l’après-guerre froide :

l’insécurité au cœur de l’Europe

« Sous Tito, en effaçant les éléments traumatisants non conformes à l’histoire

officielle, en évitant tout décompte sérieux des victimes des uns et des autres et en taisant

les responsabilités, une mémoire souterraine s’est développée. Celle-ci a entretenu les

blessures béantes et le temps a amplifié les drames » 44

Catherine Lutard-Tavard (2014)

Après la mort de Tito, la mémoire officielle yougoslave – le « Yougoslavisme » - va

rapidement s’effriter et laisser place à une multitude de revendications de la part de

différentes ethnies. En effet, les guerres de Yougoslavie vont irrémédiablement transformer

les enjeux mémoriels. En 1990, les différentes républiques voient arriver au pouvoir des

44 LUTARD-TAVARD Catherine, « Les pays ex-yougoslaves vers l’Union Européenne : des mémoires fracturées », Diploweb, février 2014, disponible sur internet [http://www.diploweb.com/Les-pays-ex-Yougoslaves-vers-l.html]

34

leaders nationalistes, dans le cadre de leurs élections respectives. S’en suivit alors une

période trouble pour la Yougoslavie qui, même si elle était à ce moment-là toujours reconnue

par la Communauté Internationale, peu à peu se fissura. Plusieurs pays vont en effet déclarer

leur propre indépendance (la Slovénie en 1990, puis la Croatie en 1991, talonnée par la

Bosnie-Herzégovine en 1992). Face à cette désagrégation, la Serbie, qui comptait de

nombreuses populations un peu partout sur le territoire de l’ex-Yougoslavie, tentera de

maintenir l’unité en prenant les armes. Ce seront les guerres en ex-Yougoslavie. Tous ces

évènements, qui prendront fin avec les accords de Dayton le 14 décembre 1995, ont

contribué à transformer la mémoire de la Yougoslavie.

Sur la base du recensement officiel de la population en 1991, la Yougoslavie était

composée de 23 540 000 personnes45. Selon les chiffres – datant de 2013 - de l’ONG serbe

« The Humanitarian Law Center » (HLC), les guerres de Yougoslavie auraient fait environ

130 000 morts46 entre 1991 et 2000 (ce qui représente environ 0.55% de la population

yougoslave). Pour sa part, le comité international de la Croix rouge recense près de 12 656

personnes toujours disparues47 à l’heure actuelle. Si l’on comptabilise le nombre de

personnes disparues au cours du conflit, le nombre s’élève sur l’ensemble de la région à

34 882. Enfin, sur la période 1991-1995, les estimations quant au nombre de personnes

déplacées (réfugiés et déplacés internes) durant les guerres de l’ex-Yougoslavie se situent

autour de 4,5 millions de personnes.

Moins de quatre ans après la signature des accords de Dayton, la situation s’envenima

au Kosovo. L’armée de libération du Kosovo (UCK) fut créée en 1996. Elle entama une lutte

violente contre les forces policières et militaires serbes au Kosovo qui répliqueront quelques

temps plus tard par des actions de répression brutale. A partir de 1998, la communauté

internationale réagit pour s’efforcer de mettre un terme à l’escalade du conflit. Le Conseil

de Sécurité de l’ONU vota plusieurs résolutions, tentant de trouver une issue diplomatique

au conflit : la résolution 1160 (1998)48, la résolution 1199 (1998)49, la résolution 1203

(1998)50. Un groupe de contact (Allemagne, Etats-Unis, France, Russie, Royaume-Uni) fut

aussi créé la même année et déboucha sur la conférence de Rambouillet en janvier 1999.

45 Roux Michel. La population de la Yougoslavie en 1991. Inventaire avant le chaos. In: Méditerranée, Tome 81, 1-2-1995. Dynamiques actuelles de la population dans les pays méditerranéens. pp. 35 46 http://www.hlc-rdc.org/?cat=266&paged=2&lang=de 47 Interview de Laura Milner, coordinatrice régionale du CICR pour le dossier des personnes disparues dans les Balkans occidentaux, 28 Août 2013 48 http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N98/090/23/PDF/N9809023.pdf?OpenElement 49 http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N98/279/96/PDF/N9827996.pdf?OpenElement 50 http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N98/321/21/PDF/N9832121.pdf?OpenElement

35

L’objectif était alors de négocier une sortie du conflit entre l’armée serbe et les leaders

indépendantistes kosovars. Cette conférence se soldera par un échec.

Suite à cela, l’OTAN prit la décision le 30 janvier 1999, de manière unilatérale (et

controversée), d’intervenir militairement à travers une campagne de bombardements qui

aura lieu entre le 24 mars et le 9 juin (date de l’acceptation du cessez-le-feu par les forces

serbes). Dès le 10 juin, le Conseil de sécurité des Nations-Unies vota la résolution 124451,

qui permis l’envoi de forces civiles et militaires au Kosovo. Malgré cela, le conflit va

perdurer jusqu’en 2000, et ce après que les forces serbes se soient conjointement retirées du

Kosovo. Concernant la guerre du Kosovo, qui s’est déroulée entre 1998 et 2000, Le « Livre

de la mémoire du Kosovo » (1998-2000)52 rapporte un chiffre d’environ 13 535 victimes

(décès ou personnes disparues), statistique confirmée par le HLC53.

C’est dans ce conflit que l’OTAN pris donc le parti d’intervenir militairement face à la

menace directe d’une insécurité dangereuse pour la sécurité de la zone euro-atlantique.

B) L’intervention de l’Alliance Atlantique sur le théâtre Yougoslave : rétablir la sécurité

en Europe

A travers le conflit yougoslave, et face aux échecs successifs de l’Union Européenne (à

travers l’Union Européenne occidentale) et des Nations-Unies, l’OTAN va intervenir pour

mettre fin à la guerre et retrouver une véritable légitimité. En effet, l’intervention militaire

de l’OTAN poussera les forces serbes de Bosnie à la négociation, puis à la signataire des

Accords de Dayton le 14 décembre 1995.

1- L’intervention de l’OTAN en 1995 : faire face à la menace sécuritaire au cœur de

l’Europe

Très tôt pourtant, l’Union Européenne a tenté d’agir par la voie de la médiation en

établissant un premier dialogue, et la mise en place de sanctions économiques (le 8 novembre

1991, les « Douze » de l’UE suspendent des accords commerciaux et l’assistance

communautaire à la Yougoslavie), de sanctions diplomatiques (la Serbie-et-Monténégro

suspendue de la CSCE le 11 mai 1992) ainsi qu’un embargo sur les armes (décision prise

par l’UE le 5 juillet 1991). Mais cela ne suffira pas à endiguer le conflit.

51 http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N99/172/89/PDF/N9917289.pdf?OpenElement 52 http://www.kosovomemorybook.org/?page_id=29&lang=de 53 Entretien avec Mijana TOMA, membre du « Humanitarian Law Center », ONG serbe basée à Belgrade.

36

De leur côté, les Nations-Unies mettent sur pied la FORPRONU (Force d’interposition

des Nations Unies) dès le mois de février 1992, avec 6 000 hommes fournis par les différents

Etats occidentaux. Cette force d’interposition va durer jusqu’en mars 1995. Mise en place

comme une mission de paix traditionnelle, celle-ci ne parviendra pas à mettre fin aux risques

permanents d’agressions manifestes. En effet, la FORPRONU va subir plusieurs

déconvenues, dont notamment l’impossibilité pour les Casques Bleus d’éviter ce qui sera

l’un des symboles forts de la guerre en ex-Yougoslavie : le massacre de Srebrenica, survenu

au mois de juillet 1995, où plus de 8 000 hommes et garçons musulmans seront assassinés

par les forces serbes de Bosnie-Herzégovine.

Dès lors, en soutien à la FORPRONU, l’OTAN interviendra dans le conflit. Au préalable,

l’Alliance avait apporté un soutien discret aux Nations-Unies et à l’Union Européenne à

travers son investissement dans une mission conjointe avec l’UEO nommée « Shape Guard »

(il s’agissait d’un embargo maritime conjoint). Mais, pour Charles Zorgbibe, l’Alliance va

peu à peu se transformer en un « bras séculier »54 des Nations-Unies. Selon cet auteur, dès

le départ, l’OTAN et l’ONU fonctionnèrent sur deux logiques distinctes : les Nations-Unies

entretenaient une culture de la négociation, et envisageaient une vision politique à long terme

en Yougoslavie tandis que l’OTAN, étant un outil militaire, avait une vision immédiate du

conflit55. Cette logique finira par l’emporter sur celle de l’ONU. Sous mandat onusien,

l’OTAN lance le 28 février 1995 sa première opération de guerre depuis sa création : deux

F16 américains décollèrent de la base d’Aviano en Italie du Nord et abattirent quatre

chasseurs serbes qui violaient la zone d’exclusion bosniaque. Dans la foulée, l’OTAN mis

sur pied la Campagne « Deliberate Force », qui débuta le 30 août 1995 (dans le cadre de

cette mission, les forces de l’OTAN effectueront près de 3400 sorties et plus de 750

attaques). Cette campagne permis de déboucher sur une phase de négociation et les accords

de Dayton mirent fin à la guerre de Bosnie-Herzégovine. En effet, en décembre 1995, les

Etats-Unis obtinrent des forces croates, serbes et bosniaques la signature des accords de

Dayton-Paris (signé à Paris le 14 décembre 1995 et négocié en novembre 1995 à Dayton,

dans l’Ohio). Par la suite, l’OTAN mis en place l’IFOR - pour prendre le relai de la

FORPRONU-, chargée à la fois de la mise en œuvre des dispositions militaires de l’accord

de paix, ainsi que de la surveillance de la ligne de démarcation entre les entités

54 Zorgbibe Charles, « Histoire de l’OTAN », Questions à l’Histoire, Editions Complexe, 2002, p. 193 55 Zorgbibe Charles, « Histoire de l’OTAN », Questions à l’Histoire, Editions Complexe, 2002, p. 193 - 200

37

communautaires qui composèrent alors la Bosnie-Herzégovine : « La Républika Srpska » et

la « fédération de Bosnie-Herzégovine ».

2- Les conséquences de l’intervention de l’OTAN : une pleine légitimité retrouvée

L’OTAN est entrée à travers ce conflit dans une logique d’intervention « hors-zone » :

désormais elle agit aussi hors du territoire de ses Etats membres. A travers le conflit

yougoslave, l’OTAN s’est construit une nouvelle image.

Pour Charles Zorgbibe, « Tous les pronostics pessimistes sur l’avenir de l’Alliance

semblaient ainsi avoir été démentis (…). La conjonction de la puissance américaine et de

l’urgence yougoslave avait suffi à la transformer »56. Autrement dit, l’OTAN était aux yeux

de la communauté internationale devenue une organisation capable de conduire des

opérations de maintien de paix. Elle eut ainsi réussi à la fois sa transformation politique à

travers la mise en place de son programme de Partenariat pour la Paix, et à la fois sa

transformation militaire à travers son intervention en ex-Yougoslavie. A l’auteur de conclure

alors, que l’OTAN n’était elle-pas « parfaitement adaptée aux opérations militaires d’un

type nouveau requises par l’après-guerre froide ? ».

Toutefois, quatre ans plus tard, suite au conflit qui sévissait au Kosovo, l’OTAN décida

le 30 janvier 1999 d’intervenir militairement à travers une campagne de bombardements qui

aura lieu entre le 24 mars et le 9 juin. Cette campagne de bombardements a laissé un certain

nombre de traces, notamment dans la capitale Belgradoise. A ce titre, une note réalisée dans

le cadre de mon stage à l’Ambassade de France à Belgrade au sujet des commémorations

des bombardements de l’OTAN – et plus largement des enjeux mémoriels en Serbie - est

consultable dans les annexes de ce mémoire.

L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, à l’origine définie comme une

organisation militaire basée sur la défense collective face à la menace soviétique et l’arme

nucléaire, a donc permis de préserver la sécurité en Europe tout au long de la Guerre froide,

notamment autour de l’hégémon américain. En effet, la politique extérieure américaine a

tout au long de ce conflit bipolaire jugé que l’Europe était un véritable terrain stratégique,

face au Pacte de Varsovie. Et c’est à travers une nouvelle pensée stratégique et une doctrine

intellectuelle construite autour d’un élargissement de l’Alliance (en Europe de l’est et à

56 Zorgbibe Charles, « Histoire de l’OTAN », Questions à l’Histoire, Editions Complexe, 2002 – p. 199

38

travers des partenariats), et symbolisée par l’intervention « hors-zone », notamment sur le

théâtre Yougoslave en 1995 que l’Alliance atlantique s’est redéfinie une légitimité.

Toutefois, l’épisode du 11 septembre 2001 va faire prendre conscience à l’Alliance que se

posent à elle de nouvelles menaces. La définition de nouveaux enjeux sécuritaires allait

s’imposer afin de permettre à l’Alliance de se redéployer efficacement contre ces nouvelles

menaces, dites non-conventionnelles.

39

Partie II

L’OTAN face aux menaces sécuritaires non conventionnelles : une

redéfinition stratégique de l’Alliance atlantique

Les enjeux sécuritaires depuis la fin de la guerre froide et notamment depuis

l’évènement du 11 septembre 2001 ont considérablement changé. Le concept de sécurité à

lui-même évolué. Comme le rappelle Charles - Philippe David, les enjeux sécuritaires, c’est-

à-dire les risques pouvant nuire à nos sociétés, ne se définissent plus à l’échelle nationale

mais bien transnationale, ou régionale57. Face à des menaces d’un nouveau genre, l’Alliance

atlantique doit redéfinir ses priorités et les missions qui lui permettront de sécuriser la zone

qu’elle entend défendre58. Cela suggère d’analyser quels sont les défis de sécurité les plus

pressants auxquels les Etats font face, ainsi que ceux que l’Alliance peut traiter59. Il s’agit

donc d’essayer d’explorer comment les menaces dites non étatiques, permettent de définir

de nouvelles prérogatives à l’OTAN.

Chapitre 1 - L’OTAN face aux menaces non conventionnelles : définir les menaces non

gouvernementales, menaces d’un nouveau genre

Pour Olivier Kempf, chercheur à l’Institut des Relations Internationales et

Stratégiques, le sommet de l’OTAN qui s’est déroulé à Newport les 4 et 5 septembre 2014,

a permis de relever plusieurs grands types de défis qui se posent à l’Alliance : les défis

sécuritaires au Moyen-Orient (lutte contre le terrorisme, en premier lieu l’Etat Islamique), le

danger de l’utilisation d’une arme de destruction massive, les cyberattaques, la sécurité

énergétique, ainsi que les rapports OTAN-Russie et la question de l’élargissement de

l’OTAN au prisme de la crise ukrainienne. Par ailleurs, c’est parce que l’Alliance est avant

tout une organisation à l’origine militaire, qu’elle n’a pas vocation à s’engager dans tous les

défis existants. De plus, les réponses à apporter face à ces nouvelles menaces ne seront pas

toujours d’ordre militaire. Cela permet d’ores et déjà de délimiter cette étude aux menaces

contre lesquelles l’OTAN a décidé d’agir.

57 David Charles-Philippe, « La Guerre et la paix, Approches et enjeux de la sécurité et de la stratégie », presses de Sciences Po, 2013, p. 34 58 SAIDY Brahim, « La transformation de l’OTAN : Trois périodes, trois mutations », repères, 2010, p. 4 59 Christopher S. Chivvis et Gregory Danel, « Quelle orientation future pour l'OTAN ? », Politique étrangère 2009/4 (Hiver), p. 791-803. [DOI 10.3917/pe.094.079]

40

Section 1 – La menace d’une attaque nucléaire et le risque de prolifération des armes

de destruction massive

Considéré par l’Alliance comme une menace persistante, le risque d’une attaque

nucléaire reste toutefois la menace qui fut la raison première de l’Alliance au cours de la

guerre froide.

A) D’une menace conventionnelle, plus faible mais existante…

Pendant plus de soixante ans, la dissuasion fut le concept central de la stratégie nucléaire

de l’Alliance atlantique, mais aussi de l’URSS60. Comme nous l’avons défini dans une

première partie, c’est à travers un savant mélange de menaces, de dissuasions et une politique

efficace, que l’hypothèse d’une guerre nucléaire est restée limitée, cadenassée. Cette logique

de la dissuasion était celle de l’OTAN mais aussi celle de l’URSS61, puisqu’était partagée

de part et d’autre l’idée que les gains qui résulteraient d’une attaque nucléaire seraient

inférieurs aux dégâts causés en représailles de cette attaque.

Pour Charles-Philippe David, les Traités de désarmement START (Strategic Arms

Reduction Talks, signé en 1991), et SORT (Strategic Offensive Reduction Talks), ainsi que

le second traité START signé en 1993 permettent de dire que les armes nucléaires sont

globalement moins importantes comparativement à la période de la guerre froide. A titre

d’exemple, ces traités prévoyaient la réduction des arsenaux mondiaux à environ 6 000

ogives nucléaires stratégiques comparées aux 75 000 ogives déployées pendant la guerre

froide. Ce seuil sera atteint en 200162.

Pour autant, il existe toujours une nécessité de contrôler les armes nucléaires tout autour

du globe, ce qui pose un certain nombre de défis en termes de désarmement, et de non-

prolifération nucléaire. Cela renvoie à l’idée d’une politique de défense collective, telle

qu’elle existait au temps de la guerre froide. Entre diminution, délégitimation et maintien

d’une certaine base de défense, les politiques menées en matière d’armements nucléaires

sont aujourd’hui sujettes à débats.

60 David Charles-Philippe, « La guerre et la paix. Approches et enjeux de la sécurité et de la stratégie », Presses de Sciences Po, 2013, p. 262 61 Yuri Fedorov et Dominique David, « Les forces nucléaires russes : évolution et perspectives », Politique étrangère 2005/2 (Été), p. 359 62 David Charles-Philippe, « La guerre et la paix. Approches et enjeux de la sécurité et de la stratégie », Presses de Sciences Po, 2013, p. 266

41

B) …à l’essor d’une menace nucléaire non conventionnelle ?

Le 4 avril 2009, lors du Sommet du Conseil de l’Atlantique Nord de Strasbourg-Kehl,

les chefs d’Etats et de gouvernement de l’Alliance ont rappelé qu’ils restaient attachés à une

politique ferme de non-prolifération, de désarmement ainsi qu’à une politique de défense

collective63.

1- Peut-on parler d’une menace nucléaire avérée ?

Aujourd’hui, cette politique semble mitigée, car de nombreuses puissances autour de

l’Alliance ont mis en place des programmes plus ou moins clandestins. Ce fut le cas avec la

découverte du programme nucléaire Iranien, qui a un certain temps permis à l’OTAN de

légitimer un discours visant à protéger l’Europe de la menace nucléaire Iranienne. En ce

sens, l’accord conclu par les représentants de l’Iran et du groupe P5+1 (Etats-Unis,

Royaume-Uni, France, Chine, Russie et Allemagne) à Vienne le 14 juillet 2015, a été perçu

dans la sphère médiatique et politique comme un succès diplomatique64. Le Secrétaire

général de l’OTAN Jens Stoltenberg s’étant par ailleurs rapidement félicité « d’une avancée

historique qui renforcera la sécurité internationale lorsqu’il sera appliqué »65 sans pour

autant renoncer au maintien d’un système de défense antimissile66.

2- Les revendications nucléaires non gouvernementales : vrai risque ou fantaisie ?

Pourtant, de nouvelles revendications sont faites aujourd’hui. Le groupe terroriste de

l’Etat Islamique indiquait par exemple en mai 2015 qu’il serait en mesure de se doter de

l’arme nucléaire dans les 12 prochains mois67. Pour Bertrand Slaski68, consultant sénior de

la société française de conseil en stratégie et en management des risques (CEIS), si

l’ensemble des informations nécessaires et l’investissement à fournir pour posséder l’arme

nucléaire sont inenvisageables pour un groupe non gouvernemental tel que l’Etat Islamique,

il faut en revanche prendre au sérieux la possibilité que ce groupe se dote de ce que l’on

appelle une « bombe sale », notamment au Pakistan via des filières locales.

63 Déclaration du Sommet de Strasbourg-Kehl, publiée par les chefs d’État et de gouvernement participant à la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord tenue à Strasbourg Kehl le 4 avril 2009 64 http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/07/14/un-accord-sur-le-nucleaire-iranien-a-ete-trouve_4682310_3218.html , consulté le 17 juillet 2015 65 http://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_121818.htm, consulté le 18 juillet 2015 66 http://fr.sputniknews.com/international/20150714/1017018947.html, consulté le 31 juillet 2015 67 http://fr.sputniknews.com/analyse/20150527/1016295960.html, consulté le 24 juillet 2015 68 http://fr.sputniknews.com/opinion/20150527/1016293449.html

42

En résumé, la menace nucléaire (ainsi que des dangers tels que l’Arme de destruction

massive), se définit à la fois à travers un caractère conventionnel, c’est-à-dire étatique

puisque certaines puissances ont adopté des programmes nucléaires, tels que l’Iran

(officiellement à usage civil) ou la Corée du Nord (dont les connaissances quant à ce

programme restent inconnues et dont il est difficile d’en déceler le contenu), mais aussi à

travers un caractère non conventionnel puisque des organisations terroristes, non

gouvernementales, telles que l’Etat Islamique prétendent être capables de se doter de l’arme

nucléaire. Cela constitue donc une base somme toute solide sur laquelle l’OTAN peut

s’appuyer pour s’adapter aux changements liés à la menace nucléaire et à la prolifération

d’ADM. Nous y reviendrons dans un second chapitre.

Section 2 – Définir la menace terroriste : la nécessaire objectivation de la notion de

« terrorisme »

Devenue une des missions premières de l’Alliance à la suite des attentats du 11

septembre 2001 contre les Etats-Unis, la lutte contre la menace terroriste est aujourd’hui au

cœur des priorités de l’Alliance atlantique. Mais avant de revenir sur les enjeux que posent

cette menace non étatique et transnationale, il nous faut définir cette menace, tant les

interprétations sur la notion peuvent varier en matière de relations internationales. Toutefois,

bien qu’il ne s’agisse pas d’un phénomène nouveau car le terrorisme est avant tout « un

instrument, une technique aussi vieille que la guerre »69, nous retiendrons dans un souci de

clarté et de synthèse, une définition moderne du phénomène terroriste, après être revenu sur

les origines et les interprétations faites du phénomène terroriste.

A) Le concept de « terrorisme » : une notion difficile à définir

Les premières « traces » du terrorisme remonteraient en Palestine, au 1er siècle de l’ère

moderne, à travers la secte des Zélotes (terme utilisé par les romains et venant du mot sicarius

pour désigner celui qui tue avec une dague), organisation juive qui s’était rebellée contre la

puissance romaine70.

69 « Histoire du terrorisme. De l’antiquité à Al-Qaida », sous la direction de Gérard Chaliand et Arnaud Blin, Bayard, 2004, p. 16 70 « Histoire du terrorisme. De l’antiquité à Al-Qaida », sous la direction de Gérard Chaliand et Arnaud Blin, Bayard, 2004, p. 59

43

La notion de terrorisme, qui renvoie à la notion de terreur, vient du latin terrere, qui

signifie « faire trembler »71. En 1986, Jacques Chirac, alors 1er ministre français, définissait

ainsi ce concept comme « un véritable acte de guerre qui attend ses succès de la peur

individuelle et collective qu’il provoque au sein de la population »72. Quant à Alain Bauer,

« L’acte terroriste possède une dimension politique qui s’exprime par la force symbolique

de ses actes et leur sémantique : il sert à dire autant qu’à tuer et il tue pour dire »73. Par ce

type de d’image, il est aisé de comprendre l’ampleur des dégâts que peut provoquer un acte

terroriste, et de ce fait, la terreur qu’il engendre. Une terreur qui a traversée tous les âges de

l’histoire, des conquêtes Mongoles aux attentats du 11 septembre 200174.

De plus, le terrorisme se rapproche autant qu’il s’éloigne de la notion de « guerre », qui

désigne l’affrontement entre deux forces armées régulières. Le terrorisme n’est pas non plus

la « guérilla », puisque cette dernière consiste à recourir à des actions indirectes où le faible

peut frapper le fort. Ce n’est que lorsque les structures de la guérilla n’existent plus que le

terrorisme est alors une voie de recours.

Pourtant, l’émotion (bien que naturelle et somme toute normale) que suscite un acte

terroriste ne permet pas d’analyser objectivement l’exactitude de la menace, ni même les

moyens de mise en œuvre contre cette menace. Il semble donc nécessaire de l’objectiver,

afin de proposer une définition basée sur des faits précis dans le but de définir l’action et la

réflexion à mener contre cette menace75 dans le cadre d’une politique de lutte de l’Alliance.

B) Une approche objective de la menace : l’approche instrumentale et l’approche par le

type d’acteurs

Christian Choquet, colonel de gendarmerie et docteur en science politique, propose

plusieurs approches de la notion de terrorisme. Nous retiendrons deux d’entre elles :

l’analyse de l’acte terroriste à travers son caractère instrumental, ainsi que l’acte terroriste à

travers le type d’organisation qui met en œuvre l’action. Deux approches qui permettent

71 « Histoire du terrorisme. De l’antiquité à Al-Qaida », sous la direction de Gérard Chaliand et Arnaud Blin, Bayard, 2004, p. 9 72 Choquet Christan, « Le terrorisme n’est pas la guerre », Institut d’études et de recherches pour la sécurité des entreprises, Vuibert, 2008, pp 16 73 Bauer Alain, Bruguière Jean-Louis, « Terrorisme, terrorismes ? », Les 100 mots du terrorisme, Paris, Presses Universitaires de France, «Que sais-je ?», 2010, 128 pages 74 « Histoire du terrorisme. De l’antiquité à Al-Qaida », sous la direction de Gérard Chaliand et Arnaud Blin, Bayard, 2004, pp 59. 75 Choquet Christian, « Le terrorisme n’est pas la guerre », Institut d’études et de recherches pour la sécurité des entreprises, Vuibert, 2008, pp 33

44

d’évaluer le degré de violence et le type d’acteurs contre lesquels l’Alliance atlantique fait

face.

1- Une approche instrumentale du terrorisme

Cette première approche consiste à étudier le phénomène terroriste à travers les procédés,

la violence et les types de cibles visées par l’acte terroriste. Ainsi, l’approche instrumentale

est proposée dans le tableau ci-dessous.

Attentat ciblé Attentat indiscriminé

Principe : Frapper une cible précise dans un but

symbolique (faire passer une image) et éliminer

un ennemi particulier (nuisible pour le

terroriste).

Principe : Frapper une cible au hasard afin de

faire régner un climat de terreur généralisée,

et un sentiment de violence imprévisible.

Violence limitée

Ce type d’acte recherche un maximum

d’avantages avec un minimum de violence. Il

s’agit de créer un climat de peur sans faire trop

de pertes.

Ce type d’action a pour but de causer peu de

victimes, mais de manière aveugle. Il s’agit

ici de provoquer un acte violent pour ouvrir

une phase de négociation, l’intérêt n’étant

donc pas de faire des victimes en masse.

Objectif : Causer un minimum de

victimes, c’est-à-dire viser

seulement une cible, où provoquer

seulement des dégâts matériels.

Violence de masse

Il s’agit le plus souvent de faits de guerre : les

agresseurs visent des cibles militaires, ou des

casernes (viser une cible précise et causer de

nombreux dégâts). Les victimes sont alors le

plus souvent militaires.

Ces actions ont pour objectif de causer un

maximum de dégâts, de manière aveugle et

imprévisible. Les victimes sont le plus

souvent civiles dans ce cas.

Objectif : Causer un maximum de

victimes (bien que des attentats de

masse n’aient pas eu toujours l’effet

escompté).

Au-delà de l’approche instrumentale, par la violence et les types de cibles, une seconde

approche permet d’aborder le phénomène terroriste.

2- Une approche par le type d’organisations

Dans ce type d’approche, plusieurs typologies d’organisations peuvent être relevées : les

bandes organisées et les organisations criminelles (1er niveau), certaines organisations

terroristes (2nd niveau) ainsi que des groupes se joignant aux réseaux terroristes (3ème niveau).

45

Niveaux Types de groupes Organisation Lutte /réponse

1er niveau

Bandes organisées (éphémères)

Bandes isolées, sans représentativité, ne

mobilisant pas la population ni les autorités.

Leur disparition est liée à la disparition de

leurs leaders.

Lutte policière et judiciaire

contre les groupes.

Organisations criminelles

(durables)

Distinctes de leurs leaders, survivent à leurs

chutes. Capacité à se régénérer.

2nd niveau

Certaines organisations

terroristes

Fonctionnant sur la base d’une organisation

criminelle. Capacité de se régénérer car il

existe des branches violentes dont les membres

se renouvellent à côté de la branche politique.

Lutte policière et judiciaire

mais insuffisante. Nécessite une

lutte spécifique : une lutte

politique pour diminuer la

violence.

3ème

niveau

Groupes se joignant aux réseaux

terroristes

Volontaires affluant auprès de groupes armés

pour prendre part à la lutte : haines exacerbées,

solutions violentes.

Lutte contre la légitimité des

groupes qui attirent les

volontaires

En résumé, nous retiendrons que l’acte terroriste, qui sert à engendrer la terreur, peut

être ciblé ou indiscriminé, d’une violence limitée ou d’une violence de masse. De plus, il est

mis en œuvre par plusieurs types d’organisations, allant d’organisations éphémères (bandes

organisées) aux réseaux terroristes en passant par des organisations criminelles (durables).

C’est à partir d’une définition claire de la menace que l’Alliance atlantique peut mettre en

œuvre une lutte adaptée et répondant aux besoins de sécurité de ses Etats membres et des

Alliés.

Section 3 - La menace d’une cyberattaque : une déterritorialisation de la menace

A la suite des bombardements de l’OTAN en 1999 dans le cadre de la guerre au Kosovo,

des hackers serbes sont parvenus à faire saturer les systèmes informatiques de l’Alliance

atlantique. Pendant plusieurs jours, certains serveurs au siège de l’organisation à Bruxelles

restèrent fermés76. Cet évènement est considéré comme l’une des premières cyberattaques

subie par l’Alliance. Mais la véritable prise de conscience de ce nouveau genre de menace

76 « EMA : une veille permanente », Dossier cyberespace, le cinquième champ de bataille, Armées d’aujourd’hui, n° 365, novembre-décembre 2011, p. 43

46

se fit en 2007, lorsque des cyberattaques ont paralysées les serveurs de l’administration

publique Estonienne, pour avoir fait déplacer un monument à la gloire des soldats

soviétiques. L’année suivante, l’offensive russe en Géorgie offrait déjà les perspectives de

ce que l’on appelle une « guerre hybride », c’est-à-dire l’utilisation de moyens militaires

conventionnels cumulés à des moyens non conventionnels (tels que les cyberattaques)77. En

2011, James Shea, alors directeur de la planification politique de l’Alliance atlantique,

estimait que « ce ne sont pas moins de 100 cyberattaques que l’OTAN subit par jour »78.

Pourtant, si la menace d’une cyberattaque est aujourd’hui réelle, il n’existe pas de réel

consensus quant à une définition unique de ce que peut être ce nouveau défi. En effet, si elles

sont indiscutables, les notions de « cyberguerre », « cyberconflits », « cyberarmes, »,

« cybserespace » entretiennent un certain flou quant aux caractéristiques de cette menace79.

A) Encadrer la menace : les contours de la notion de « cybermenace »

1- Une approche globale de la menace non conventionnelle déterritorialisé

Michel Baud, officier de l’armée de Terre, et chercheur au sein du Centre des études de

sécurité de l’Ifri80, définit de manière globale la menace d’une cyberattaque comme une

opération menée dans le milieu virtuel (appelé le cyberespace, c’est-à-dire les systèmes

d’informations et de communications) qui a pour but de provoquer des dégâts virtuels

(anéantissement d’un système informatique ou de communication) ou des dégâts physiques

et concrets (la destruction d’un système pouvant entrainer le dysfonctionnement d’un site,

ou la vulnérabilité plus grande d’un lieu sécurisé…)81. En 2011, le contre-amiral Arnaud

Coustillière, chargé alors de la cyberdéfense pour les armées françaises, affirmait que chaque

crise récente comporte désormais un « volet cybernétique »82. Cette menace revêt donc une

importance capitale pour l’Alliance atlantique, qui consacre dans ses missions un volet aux

cyberattaques et aux cybermenaces.

77 Douzet Frédérik, « Cyberguerres et cyberconflits », in Nouvelles Guerres. L’état du monde en 2015, sous la direction de Bertrand Badie et Dominique Vidal, La découverte, 2014, p. 111 78 « EMA : une veille permanente », Dossier cyberespace, le cinquième champ de bataille, Armées d’aujourd’hui, n° 365, novembre-décembre 2011, p. 39 79 Douzet Frédérik, « Cyberguerres et cyberconflits », in Nouvelles Guerres. L’état du monde en 2015, sous la direction de Bertrand Badie et Dominique Vidal, La découverte, 2014, p. 113 80 Ifri : Institut français des relations internationales, think tank français créé par Thierry de Montbrial, institut dont il est actuellement le président. 81 Michel Baud, « La cyberguerre n'aura pas lieu, mais il faut s'y préparer », Politique étrangère 2012/2 (Eté), p. 307 82 Ibid, p. 41

47

2- Les 5 niveaux de la menace dans le cyberespace

Pour étoffer la définition de la notion de « cyberattaque », une étude83 réalisée par le Centre

des études de sécurité de Zurich ajoute que la menace d’une cyberattaque est capable de

toucher à la fois la sphère politique, économique, diplomatique, militaire d’un Etat. En outre,

cette « déterritorialisation » de la menace s’étend à de nombreux domaines. Ainsi, 5 niveaux

d’attaque ont été relevés par le Centre de sécurité de Zurich :

1er niveau : Le « cyberhacktivisme » ou « cybervandalisme » qui consiste à détruire

des données informatiques ou pirater des sites internet.

2nd niveau /3ème niveau : Le « cybercrime » et le « cyberespionnage », qui ont pour

but de réaliser des bénéfices financiers. Les milieux d’affaires sont ici les premiers

touchés.

4ème niveau : le « cyberterrorisme », qui consiste pour des groupes non

gouvernementaux à attaquer virtuellement des systèmes informatiques pour

intimider une population ou un gouvernement.

5ème niveau : la « cyberguerre », qui est une attaque grave et menaçant la sécurité

nationale d’un Etat. Dans ce dernier type de cyberattaque, l’information est au cœur

du conflit et il en existe trois types : la guerre contre l’information (le piratage du

fonctionnement d’un système), la guerre pour l’information (la récupération de

données stockées et protégées), et la guerre par l’information (utiliser des données

pour la propagande, etc…).

Au cœur des priorités de l’Alliance, la cybermenace semble par ailleurs s’inscrire dans

un nouveau genre de guerre, contre lequel l’Alliance semble devoir faire face actuellement

(notamment dans le cadre de la crise ukrainienne, ce qui sera traité dans la dernière partie) :

la « guerre hybride ».

83 M. Dunn Cavelty, « Cyberwar: Concept, Status Quo, and Limitations », CSS Analysis in Security Policy, n° 71, avril 2010, www.sta.ethz.ch/CSS-Analysis-in-Security-Policy/CSS-Analysis-in-Security-PolicyArchive/No.-71-Cyberwar-Concept-Status-Quo-and-Limitations-April-2010, consulté le 31 juillet 2015

48

B) La guerre hybride : une guerre au carrefour des menaces conventionnelles et non

conventionnelles

1- La guerre hybride : une guerre aux contours relativement flous

D’une manière plus large, la cybermenace s’inscrit dans un nouveau genre de guerre : la

guerre hybride. Définie en 2010 par l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, qui débattait

alors de la politique militaire russe, la « guerre hybride » est vue comme « une myriade de

tactiques (…) qui met à profit les faiblesses intérieures de l’adversaire en usant de moyens

non militaires (comme l’intimidation et la manipulation politiques, économiques et de

l’information) avec, à l’appui la menace d’un recours à des moyens conventionnels (…). Si

son application n’a rien de nouveau, son application par la Russie, et dans une moindre

mesure par l’Etat Islamique, contre les intérêts des pays membres de l’Alliance confronte

l’Alliance à de nouveaux enjeux »84. Nous reviendrons dans une troisième partie sur cette

menace, qui est au cœur des prérogatives de l’OTAN au sujet de la crise ukrainienne.

2- La guerre hybride : confusion du militaire, du politique, de l’économique

La guerre hybride trouve son sens à travers l’opacité des menaces qu’elle engendre, et la

confusion du champ militaire, politique, économique. En outre, en lieu et place d’un

« ennemi régulier » auquel fait face une armée, un Etat, une organisation se retrouve

confrontée à un « combattant hybride »85, une forme de menace dont on ne sait pas vraiment

qui elle est, comment elle se manifeste, ni quel sont ces moyens d’action. A ce titre, un

certain nombre de menaces non conventionnelles répondent à cette logique : les

organisations terroristes dont il est difficile d’en connaitre les contours (actuellement l’Etat

Islamique), et leurs réseaux ; mais aussi les combattants sur le théâtre ukrainien ; les acteurs

de la désinformation médiatique. Bref, toute une panoplie d’acteurs et de moyens non

conventionnels qui ont transformé les moyens et les manières de faire la guerre. Car la

réponse apportée à ce type de défis ne peut être simplement militaire. On ne peut pas

simplement faire « la guerre au terrorisme »86, car cela équivaudrait à mettre en œuvre

84 « La guerre hybride : un nouveau défi stratégique pour l’OTAN ? », Assemblée parlementaire de l’OTAN, Commission de la défense et de la sécurité, rapporteur : Julio Miranda CAHLA, 7 avril 2015 – pp 3 85 Emmanuel Pasquier, « L'ennemi indéfini. Carl Schmitt au World Trade Center », Vacarme 2002/1 (n° 18), p. 44-47. DOI 10.3917/vaca.018.0044, p 45 86 Choquet Christian, « Le terrorisme n’est pas la guerre », Institut d’études et de recherche pour la sécurité des entreprises, Vuibert, 2008

49

seulement des moyens militaires, et donc à fortiori limités voire inefficace, face à des

menaces qui touchent aussi à la sphère politique, économique, virtuelle (cyberattaques).

Dès lors, l’Alliance atlantique doit être consciente des enjeux qui sous-tendent ce type

de menaces, à travers l’apport d’une réponse pas seulement militaire, mais par une gestion

civile, voire diplomatique ou économique de certains conflits. Nous reviendrons sur ce point

dans le chapitre suivant.

Les différentes menaces ainsi définies, les frontières ainsi clarifiées, il nous faut ajouter

que pour chacune des menaces identifiées, est sous-tendue la nécessité de la « sécurité

énergétique ». Michael Rühle, en charge de la Section Sécurité énergétique de la Division

Défis de sécurité émergents de l’OTAN (division créée en 2010), affirme que ce nouveau

défi sous-tend l’ensemble des menaces évoquées ci-dessus. En effet, « la dépendance

grandissante de l’Europe à l’égard du pétrole et du gaz ; les besoins en énergie croissants

de puissances émergentes comme la Chine et l’Inde ; l’épuisement des carburants fossiles

qui devrait intervenir dans la seconde moitié de ce siècle ; un débat qui s’intensifie sur le

changement climatique ; et un regain d’intérêt pour le nucléaire civil de la part de nombreux

pays »87 sont autant de défis qui intéressent aujourd’hui l’Alliance atlantique.

Il nous est maintenant possible de s’intéresser à l’adaptation de l’OTAN face à ces

nouveaux enjeux sécuritaires. Comment l’OTAN agit face à ces menaces non

conventionnelles ? Quels en sont les enjeux, les risques et les perspectives ?

Chapitre 2 – Répondre aux menaces non-conventionnelles : un défi intellectuel,

stratégique et coopératif pour l’OTAN

En 2010, Le rapport du groupe d’experts 2020 de l’OTAN précisait que ces menaces

auront des conséquences sur le fonctionnement de l’Alliance, c’est-à-dire sur « sa stratégie

de dissuasion, son besoin de transformation militaire, son aptitude à prendre des décisions

rapidement ». Dès lors, installer ces menaces au cœur de la stratégie de l’OTAN relève d’un

enjeu crucial pour l’avenir de l’Alliance. Il s’agit avant tout de trouver un juste équilibre

87 Michael Rühle, « L’OTAN et la sécurité énergétique », in Agir pour le climat, une absolue nécessité ?, revue de l’OTAN, 2011

50

« entre une réaction démesurée et la négligence »88, en outre de répondre efficacement à ces

menaces non conventionnelles, sans pour autant adopter une réaction excessive. Comment

cette adaptation se traduit-elle ?

Section 1 - La réaffirmation d’une position commune de l’Alliance : le défi stratégique,

diplomatique et intellectuel de la Stratégie de Lisbonne

S’il a fallu s’adapter à la chute de l’URSS et réaffirmer l’existence de l’OTAN à

travers de nouvelles missions dans les années 1990, l’Alliance atlantique a été dans les

années 2000 dans le besoin de proposer une nouvelle doctrine stratégique, ne serait-ce que

par le changement de types de conflits. C’est dans cet esprit que fut adopté en 2010 le

nouveau concept stratégique de l’Alliance lors du Sommet de Lisbonne, véritable arme

intellectuelle commune aux Etats membres.

A) L’importance que revêt la définition du « concept stratégique » de l’Alliance

1- Le concept stratégique : une codification textuelle de la menace

Le consensus de l’Alliance passe par la définition du « concept stratégique », qui est une

véritable arme intellectuelle, stratégique et diplomatique. Au-delà d’un simple document, il

est la résultante d’un consensus démocratique, solide, et représentatif de l’état d’esprit des

28 Etats membres de l’Alliance. A chaque fois que cela fut rendu nécessaire par un

changement crucial dans l’environnement sécuritaire international, l’Alliance est parvenue

à dessiner les contours de sa légitimité et les objectifs qui étaient les siens grâce à la

définition d’un concept stratégique. Ce fut le cas en novembre 1991, avec l’adoption d’une

doctrine stratégique lors du Sommet de Rome, qui sera revisité et transformé lors du Sommet

de Washington en avril 1999 et incluant de nouveaux moyens politiques et militaires face à

l’apparition de menaces nouvelles. C’est dans cette logique que fut débattu puis adopté le

concept stratégique de 2010 « engagement actif et défense moderne », l’Alliance faisant

ainsi face aux menaces définies dans le chapitre précédent.

Le concept stratégique en tant qu’outil stratégique reflète donc pour l’OTAN une

certaine approche de l’environnement international et des menaces qui le sous-tendent. De

88 Barthélémy Courmont et Susanne Nies, « Elargissement des missions de l’OTAN et construction de l’espace de sécurité européen dans ses dimensions interne et externe : rationalisation, empiètement ou chevauchement ? », Etude réalisée pour le compte de la Délégation aux Affaires Stratégiques selon la procédure du marché public passé selon une procédure adaptée n°2004/004

51

plus, il semble suffisamment souple et flexible pour permettre aux autorités politiques de

mettre en œuvre les choix définis par l’OTAN89 tout en restant dans un cadre de pensée

commun à tous. Il constitue de fait un véritable outil stratégique, diplomatique et intellectuel

de l’Alliance atlantique.

Cette adaptation permanente aux changements internationaux contribue à la longévité de

l’Alliance, puisque ses structures et ses objectifs sont redéfinis pour en faire « le meilleur

garant institutionnel et multilatéral de formulation et de mise en œuvre de politique de

sécurité commune et coopérative en Europe »90.

2- Le concept stratégique de l’OTAN : « L’art de la cohérence »91 et de la publicisation

de la menace

Dans un monde en proie à une médiatisation quasi-permanente, l’OTAN semble avoir à

se soucier de son image publique. Ainsi, depuis plusieurs années et pour celles à venir, la

communication et les rapports publics constituent un élément capital dans la définition d’une

position commune de l’Alliance. Car pour Gregory Danel et Christopher S. Chivvis, la

légitimité de ses actions ne repose pas seulement sur la cohérence de sa pensée stratégique,

mais aussi sur l’identification des problèmes et leur communication au grand public92. En

outre, il s’agit d’intégrer chaque citoyen des Etats membres à comprendre le rôle de

l’Alliance. Le concept stratégique de Lisbonne semble être allé dans ce sens93. En atteste le

document rédigé par la Division diplomatique publique de l’OTAN, qui dans une synthèse

d’une dizaine de pages, propose une explication des menaces identifiées par l’Alliance

atlantique lors du Sommet de Lisbonne94. Le document est téléchargeable par tous depuis

internet, ce qui démontre la facilité d’accès à ces informations.

C’est donc à partir de cette base, qu’il est maintenant possible d’analyser les défis qui

ont été posés lors du concept stratégique de Lisbonne en 2010.

89 Mongrenier Jean-Sylvain, « Le concept stratégique de l’OTAN à l’épreuve du réel », interview réalisée pour le journal Le Monde, 18 mai 2012 90 DAVID Charles-Philippe, « La Guerre et la Paix : Approches et enjeux de la sécurité et de la stratégie, 3ème édition, Presses de Sciences Po, 2013, p. 196 91 Christopher S. Chivvis et Gregory Danel, « Quelle orientation future pour l'OTAN ? », Politique étrangère 2009/4 (Hiver), p. 795 92 Christopher S. Chivvis et Gregory Danel, « Quelle orientation future pour l'OTAN ? », Politique étrangère 2009/4 (Hiver), p. 793-794 93 Ibid, p. 794 94 « L’OTAN après Lisbonne », Division diplomatique publique de l’OTAN, 18 octobre 2011

52

B) Les défis posés par le concept stratégique de Lisbonne : les exigences d’une plus

grande souplesse de l’Alliance

Un premier défi stratégique qui a été clarifié par l’Alliance réside en la réaffirmation de

la logique de la défense collective face à la menace nucléaire, notamment à travers l’article

5 du Traité de Washington, qui reste un élément central dans la lutte de l’Alliance contre

cette menace. Ainsi, il est rappelé « qu’aussi longtemps qu’il y aura des armes nucléaires,

l’OTAN demeurera une alliance nucléaire »95. Par ailleurs, cette logique de défense

collective, qui est l’un des piliers fondamentaux de l’OTAN, s’inscrit contre toute menace

visant à déstabiliser, agresser un Etat membre.

Un second défi stratégique a été posé à travers ce concept stratégique puisqu’il s’agit de

la lutte contre le terrorisme, initié par l’OTAN dès les années 1990, accentué après les

attentats du 11 septembre 2001, et confirmée lors du Sommet de Lisbonne en 2010. Jugeant

que « le terrorisme est une menace directe pour la sécurité des citoyens des pays de l’OTAN

et, plus largement, pour la stabilité et la prospérité internationales (…) » et qu’une

« instabilité ou un conflit au-delà des frontières de l’OTAN peut menacer directement la

sécurité de l’alliance (…) », les 28 Etats membres ont clairement définis la lutte contre le

terrorisme comme une priorité pour l’Alliance. Que ce soit contre la violence de la menace,

comme définie dans le premier chapitre, mais aussi contre le type d’organisations.

Un troisième enjeu stratégique a été défini par l’OTAN dans son concept de 2010 à

travers un nouveau genre de menace « déterritorialisé », la cybermenace. En effet, ce

nouveau type de défi entraine la mise en danger d’infrastructures de transports,

informatiques, d’entreprises, comme nous l’avons défini dans le chapitre précédent. En outre

de ce que l’OTAN appelle « les infrastructures critiques », c’est-à-dire des espaces vitaux

pour le fonctionnement sociétal des Etats membres. Ainsi, « les cyberattaques (…) risquent

d’atteindre un seuil pouvant menacer la prospérité, la sécurité et la stabilité des Etats et de

la zone euro-atlantique ».

Autre enjeu mis en avant par l’OTAN, celui de la « sécurité énergétique », qui se

rapproche peu ou prou de la protection d’infrastructures. En effet, il s’agit pour l’Alliance

d’être en mesure de palier au déficit de l’Union Européenne en matière d’énergie face à

l’influence russe dans les pays relevant de son « étranger proche ». Depuis un certain nombre

d’années, l’Alliance atlantique a dressé le constat de pressions répétées par la Russie sur les

95 Concept stratégique de l’OTAN, « Engagement actif, défense moderne », Lisbonne, p. 15

53

pays de l’Europe de l’est à travers l’utilisation du levier énergétique. En effet, ces derniers

sont fortement dépendants des exportations de pétrole et de gaz russes, comme la Bulgarie,

membre de l’OTAN et qui voit pourtant son secteur énergétique fortement lié à la Russie.

En effet, selon le Ministère français des Affaires étrangères et du Développement, plus de

83% du gaz naturel importé par Sofia provient de Russie, et 97% de son pétrole brut vient

aussi de son voisin russe96. Ainsi, le concept stratégique de Lisbonne avance que l’OTAN

se doit de développer sa « capacité à contribuer à la sécurité énergétique, y compris par la

protection des infrastructures énergétiques et des zones et voies de transit critiques, par une

coopération avec les partenaires et par des consultations entre Alliés sur la base

d'évaluations stratégiques et de plans de circonstance »97.

Ces principaux défis posés par l’Alliance ont été mis en place en réaction aux menaces

sécuritaires qui sous-tendent l’environnement international. Les menaces non-

conventionnelles définies dans le chapitre précédent sont celles que le Concept stratégique

de Lisbonne a retenues dans la perspective d’adaptation de l’OTAN. L’ensemble de ces

menaces a été réintroduit dans la Déclaration de l’OTAN, suite au sommet qui s’est déroulé

à Newport en septembre 2014. Par ailleurs, si nous venons d’étudier les enjeux de la

définition d’une doctrine commune à l’Alliance, il n’en reste pas moins que sa mise en œuvre

et les réformes qui en découlent font aussi partie de l’adaptation de l’OTAN face à ces défis

sécuritaires.

Section 2 - Le haut degré d’institutionnalisation de l’Alliance atlantique : répondre aux

menaces par des réformes militaires, institutionnelles et budgétaires

Les réformes engagées par l’OTAN en matière de lutte contre les menaces non

conventionnelles se traduisent d’abord à travers le besoin d’une plus grande flexibilité et

d’une meilleure efficacité du dispositif militaire de l’Alliance. En parallèle, ce sont les

structures de commandements et les agences de l’OTAN qui font aujourd’hui l’objet d’une

révision organisationnelle, justifiée par le besoin d’efficacité face aux défis de l’OTAN mais

aussi par le besoin d’adapter les moyens humains, civils et militaires à des contraintes

budgétaires.

96 http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/bulgarie/presentation-de-la-bulgarie/ 97 Concept Stratégique de l’OTAN, « Engagement actif, défense moderne », 2010, p. 19

54

A) Une modernisation de l’appareil militaire : la recherche d’une meilleure efficacité et

d’une plus grande flexibilité

L’objectif fondamental en matière de réforme militaire est la modernisation des

moyens. En effet, face à des menaces plus imprévisibles, non étatiques, le besoin d’adapter

l’appareil militaire et de défense est réel.

1- Réagir à la menace nucléaire : l’expression de la défense collective à travers les

systèmes de défense antimissiles

Une modernisation du système de défense antimissile a été lancée en 2010,

réaffirmée lors du Sommet de Chicago en 2012 et lors du Sommet de Newport en 2014. Il

constitue donc un véritable enjeu face aux menaces nucléaires, aux armes de destruction

massive et aux missiles balistiques qui, permet de réaffirmer l’engagement de défense

collective de l’Alliance.

De plus, l’OTAN a réaffirmé son statut d’acteur majeur dans la lutte contre la

prolifération nucléaire. En effet, l’Alliance restera au moins jusqu’en 2020 une alliance

nucléaire. Cela s’explique par des facteurs d’incertitudes trop importants et trop

imprévisibles pour que l’OTAN mette fin à sa stratégie en matière de nucléaire. En atteste

le dossier nucléaire Iranien, ou encore le Conflit en Ukraine, ou bien les revendications de

la Corée du Nord quant à la possession d’armes nucléaires.

2- S’adapter à la menace déterritorialisée : l’OTAN et les cybermenaces

En matière de cyberdéfense, le sommet de Newport a été l’occasion de réaffirmer

l’importance que l’OTAN accorde à la lutte contre les cybermenaces depuis maintenant une

décennie. L’Alliance s’est engagée à travers un nouveau plan d’action, alors que différentes

évolutions en matière de coopération et d’échanges d’informations entre les Etats membres

avaient été impulsées à travers le Sommet de Lisbonne, mais aussi celui de Chicago en 2012.

Un groupe d’experts de l’OTAN est à l’origine d’un ouvrage paru en 2012, « Le manuel

de Talinn », qui propose d’appliquer les règles du droit international aux cyberconflits. Un

second guide, actuellement en préparation, devrait paraitre en 2016. Aujourd’hui, l’OTAN

propose une véritable expertise en matière de cyberdéfense, en atteste la « NATO

cooperative cyberdefense centre of Excellence » située à Talinn, créée en 2008 et qui

comprend actuellement 14 Etats (République Tchèque, Estonie, France, Allemagne,

Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Pays-Bas, Pologne, Slovaquie, Espagne, Etats-Unis et

55

Royaume-Uni). L’Alliance se compose aussi « de cyberagents », capables de répondre

rapidement à des Etats ou des organismes victimes de cyberattaques.

La lutte face à cette menace déterritorialisée peut aussi comprendre un volet partenariat

avec notamment l’Union Européenne. Les perspectives de coopération de l’Alliance avec

l’UE sont en effet possibles. Nous y reviendrons un peu plus tard.

3- Une plus grande flexibilité des forces militaires de l’OTAN pour une plus grande

efficience en matière de défense contre les menaces non conventionnelles

Le Sommet de Newport, qui s’est déroulé en septembre 2014 a permis à l’Alliance

de dévoiler certaines réformes, notamment en matière de défense. Une nouvelle force de

réaction a été décidée pour remplacer la Nato Response Force98, forte de 5 000 hommes

mobilisables sous 30 à 60 jours. Désormais, il s’agirait de mobiliser un bataillon (800

hommes) sous deux jours, ainsi que 5 000 à 7000 hommes sous 7 jours. Afin de coordonner

le regroupement de ces forces, celle-ci s’appuierait sur des états-majors multinationaux, ainsi

que sur des bases installées notamment en Roumanie, en Pologne et dans les pays baltes.

Au-delà de ces évolutions en matière de défense, l’OTAN s’est engagé dans un

ensemble de réformes budgétaires, ce qui renvoie notamment à « l’initiative de défense

intelligente ».

B) La rationalisation de l’Alliance dans un contexte de contraintes budgétaires :

l’initiative de défense intelligente de l’OTAN

Parallèlement aux réformes structurelles impulsées par les Etats membres dès

2010, le contexte économique difficile et le besoin de rationaliser le budget de l’Alliance

atlantique s’est accompagné d’une réforme sur le plan budgétaire.

1- L’initiative de défense intelligente de l’OTAN

C’est en ce sens qu’a été évoqué pour la première fois le concept de la « Smart

defence » (L’initiative de défense intelligente). L’ancien secrétaire général de l’OTAN

Anders Fogh Rasmussen a proposé en 2011, à l’occasion de la conférence sur la sécurité de

Munich une adaptation des capacités de l’Alliance dans un contexte de rationalisation

budgétaire et face aux difficultés européennes en matière de capacité de défense. Il s’agit

98 La Nato response Force (NRF) avait été initiée lors du Sommet de Prague en 2002, et officialisée au Sommet de Riga en 2006. Cette force et avait deux objectifs principaux : le maintien de l’engagement des alliés ainsi qu’un rôle de catalyseur des transformations des forces armées européennes.

56

donc, d’un point de vue stratégique et politique, d’étendre une coopération multinationale

dans le secteur capacitaire de l’OTAN. Cette initiative de défense intelligente a été reconnue

par les chefs d’Etats et de gouvernement des Etats membres et des Etats alliés lors du sommet

de Chicago en mai 2012 : « La défense intelligente est au cœur de cette nouvelle approche

(…) Ces projets déboucheront sur une plus grande efficacité opérationnelle, des économies

d’échelle et une interconnexion plus étroite de nos forces »99. Adrian Kendry, économiste

de défense en chef à l’OTAN, ajoutait ainsi que la combinaison d’une capacité de défense

adaptée aux nouvelles menaces conjuguée à des rationalisations budgétaires constitue l’une

des clés de l’évolution actuelle de l’OTAN100.

2- Le maintien désiré d’un budget de défense face à la démilitarisation des Etats

Toutefois, comme l’avance Jean-Sylvestre Mongrenier, « Ce désarmement

unilatéral de l'Europe, dans un monde menacé d'une possible convergence de lignes

dramaturgiques, est rien moins qu'inquiétant. D'ores et déjà, il hypothèque l'interopérabilité

militaire à l'intérieur de l'OTAN et la capacité interalliée à mener des opérations de guerre

sans un fort appui américain (…). A cet égard, le conflit libyen a mis en évidence les lacunes

dont souffrent les armées européennes (…) »101.

Dès lors, des réformes budgétaires ont été réaffirmées lors du dernier Sommet

de l’OTAN, à Newport en septembre 2014. Il a en effet été déclaré que les 28 Etats membres

de l’OTAN devaient accorder 2% de leur PIB au secteur de la défense, et que 20% de cet

effort servirait à investir dans les futurs équipements militaires. Si cet engagement n’a

aucune vocation contraignante, c’est tout de même la première fois que fut déclaré

solennellement cet objectif102.

Au-delà des réformes internes dans lesquelles s’est lancé l’Alliance Atlantique

depuis plusieurs années maintenant, son évolution institutionnelle mérite aussi une attention

particulière.

99 http://www.rpfrance-otan.org/Declaration-de-Chicago-sur-les , consulté le 03 août 2015 100 http://www.nato.int/docu/review/2012/smart-defence/Economic-Angle/EN/index.htm , consulté le 25 juin 2015 101 http://www.lemonde.fr/europe/article/2012/05/18/le-concept-strategique-de-l-otan-a-l-epreuve-du-reel-1-3_1700792_3214.html , consulté le 16 juillet 2015 102 http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/09/05/otan-les-grandes-decisions-du-sommet-de-newport_4482989_3214.html , consulté le 25 septembre 2014

57

C) Les réformes institutionnelles de l’OTAN

Les réformes organisationnelles et structurelles font partie du projet global d’adaptation

de l’OTAN face aux nouvelles menaces, et comprennent deux principaux volets : la réforme

de la structure de commandement de l’OTAN ainsi que la réduction du nombre d’agences

spécialisées, tout cela dans un objectif de rationalisation103.

1- La rationalisation et l’allègement des structures de commandement : améliorer

l’efficacité du processus de décision de l’Alliance

Cela avait été décidé lors du Sommet de Lisbonne en 2010, puisqu’il s’agissait d’alléger

la structure de commandement et de regrouper un certain nombre d’agences de l’Alliance.

Comme le rapporte la Division diplomatique publique de l’OTAN, il avait alors été décidé

de réduire les effectifs de 5 000 personnes, soit 35% des effectifs104.

Pendant la guerre froide, l’Alliance atlantique comptait une soixantaine d’Etats-Majors.

Mais les évolutions successives de l’OTAN sont allées dans le sens d’une réduction du

nombre de ces structures. Le 9 juin 2011, le secrétaire général de l’Alliance Anders Fogh

Rasmussen évoquait l’objectif de la réforme menée sur la structure de commandement de

l’OTAN : une organisation plus efficace et plus compacte. Le nombre d’Etats-majors et de

quartiers généraux devait ainsi passer de 11 à 7. En 2008, s’il y avait encore près de 60 000

hommes, il n’en restait plus que 6 800 en 2013. Il s’agit d’un véritable allègement de la

structure permanente de l’OTAN, dans un but d’efficacité plus grande.

2- La réduction du nombre d’agences spécialisées de l’OTAN

Concernant les agences spécialisées, celles-ci ont été réduites. En effet, leur nombre est

passé de 14 à 3. Il ne reste donc plus désormais que l’Agence de Soutien technique, au

Luxembourg, la NATO Communications and Information Agency (C&IA) ainsi que la

NATO Procurement Agency, toutes deux situées en Belgique.

En 2010, au sein du Secrétariat général de l’OTAN a été créée la « Division Défis de

Sécurité émergents », impulsée par l’ancien secrétaire général de l’OTAN Anders Fogh

Rasmussen. S’il s’agit à la fois de préparer l’Alliance aux nouvelles menaces, des experts de

l’OTAN ont reconnu que le caractère politique de cette division était important : Créer une

103 http://www.opex360.com/2011/06/11/lotan-reforme-sa-structure-de-commandement/ , consulté le 26 juillet 2015 104 « L’OTAN après Lisbonne », Division diplomatique publique de l’OTAN, 18 octobre 2011

58

division capable de réfléchir de manière systématique sur les défis liés aux nouvelles

menaces et se pencher exclusivement sur ces défis émergents. Cette évolution a ainsi permis

de regrouper techniquement plusieurs compétences au sein d’une même division afin de

produire de l’analyse stratégique mais aussi d’envoyer un signal politique fort, celui de

placer les nouvelles menaces au cœur des priorités de l’Alliance atlantique.

Ces différentes réformes structurelles interviennent dans un contexte de réformes

budgétaires nécessaires à l’Alliance. Par ailleurs, l’OTAN s’engage aussi sur des opérations

« hors-zone », et ce depuis la fin de la guerre froide. Le sommet de Lisbonne a réaffirmé le

principe d’engagement de l’OTAN dans la gestion des crises, de manière à faire aux menaces

géographiques extérieures à l’Alliance.

Section 3 - L’OTAN et la gestion des crises : un outil de lutte contre les nouvelles

menaces

Depuis la fin de la guerre froide, l’OTAN s’est engagée dans des opérations de crises,

qui permettent de voir que désormais, l’Alliance est un acteur véritable de la gestion des

crises. Cette mission que s’est définie l’OTAN a été réaffirmé par le concept de Lisbonne en

2010, notamment à travers une approche globale dans ce type de missions. Cette approche

est sous-tendue par le fait que l’Alliance lutte contre les menaces à l’intérieur et hors du

territoire (maîtrise des armements, non-prolifération…). Cela se traduit par un engagement

actif, mais qui est aussi l’expression d’une recherche de légitimité technique de

l’organisation à travers ceux qui défendent son rôle d’acteur de crises.

A) L’engagement de l’OTAN en matière de gestion de crise : les critères de l’Alliance

Il s’agit d’une tâche fondamentale de l’Alliance, encadrée par l’article 4 (consultation

avant décisions) et l’article 5 du Traité de Washington (et parfois hors cadre de cet article).

L’intervention est décidée au cas par cas et par consensus, avec les pays membres et des

pays alliés.

1- Les types de missions de gestions de crises : une gamme de missions encadrées

La gestion des crises correspond à des opérations très larges, qui peuvent aller de la

catastrophe nucléaire à une catastrophe naturelle, ou encore militaire. Cette gestion de crise

peut se faire sous l’article 5 du Traité de Washington, et dont la première crise gérée sous

invocation de l’article 5 fut la crise des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Il

s’agissait de protéger les membres de l’Alliance. Mais la gestion des crises peut être faite

59

hors article 5, en outre lorsqu’il s’agit de missions sous mandat Onusien, des missions de

maintien de la paix (chapitre VI ONU), le rétablissement de la paix, consolidation de la paix,

imposition de la paix (chapitre VII ONU), ou des opérations humanitaires. On retrouve aussi

des opérations liées à des catastrophes naturelles, technologiques, ou humanitaires.

2- Une pléiade d’acteurs internes et internationaux

Il existe une pléiade d’acteurs au sein de l’OTAN et qui ont pour mission première la

gestion des crises. Le Centre euro-atlantique de coordination et de réaction en cas de

catastrophe (EADRCC) organise la planification civile d’urgence. C’est à travers cet

organisme que des interventions lors de crises en Albanie, en Bosnie-Herzégovine, en

Roumanie, en Ukraine en ARYM ou encore au Portugal ont été mises en œuvre. Par ailleurs,

plusieurs organes interviennent dans le processus de gestion des crises : le Conseil de

l’Atlantique Nord, ainsi que différents comités de l’OTAN (orientations opérationnelles,

politique militaire, comité des plans d’urgence dans le domaine civil), le centre de situation,

le Système OTAN de réponse aux crises. Tous ces acteurs se coordonnent en interne et

partagent des normes communes à l’Alliance. De plus, la coordination se fait aussi avec des

acteurs extérieurs à l’Alliance, tels l’ONU ou encore l’OSCE. Lors du sommet de Newport

en septembre 2014, l’OTAN a décidé d’adopter une initiative globale pour l’interopérabilité

des partenaires en matière de gestion de crises.

B) Une vocation en perpétuelle évolution…

1- La redéfinition des missions dès la fin de la Guerre froide

Depuis la fin de la guerre froide, l’OTAN est devenu un acteur en matière de gestion de

crise, notamment à la suite des interventions sur le théâtre des Balkans105. Comme étudié

dans la première partie de ce travail, l’enlisement progressif de la Force de protection des

Nations Unies (FORPRONU) a provoqué l’intervention de l’OTAN dans cette crise durable,

et ce fut notamment le cas au Kosovo dans la gestion du conflit et l’intervention contre la

Serbie en juin 1999 (malgré le fait que les modalités d’intervention, hors cadre des Nations

Unies cette fois-ci, soient toujours contestées, notamment dans les Balkans).

105 Bastien Irondelle et Niels Lachmann, « L'OTAN est-elle encore l'OTAN ? », Critique internationale 2011/4 (n° 53), p. 67-81. DOI 10.3917/crii.053.0067

60

2- Une intensification des missions de gestion de crise : l’alliance et la légitimité

d’action en période de crises

Le cas de la FIAS (Force internationale d’Assistance) en Afghanistan est révélateur de

l’amplitude avec laquelle l’OTAN a fait de la gestion des crises une mission prioritaire pour

répondre aux différentes menaces existantes (lutte contre le terrorisme, contre la

cybermenace, ou encore la guerre hybride). Comme le rapporte Jean-Sylvestre Mongrenier,

« Dans le cadre de l'OTAN, c'est l'engagement en Afghanistan qui a conduit à développer

une approche globale, c'est-à-dire civilo-militaire et intégrée. L'enjeu est de contrôler dans

la durée le terrain conquis par les armes, et ce au moyen d'investissements civils et de projets

de reconstruction »106. En effet, l’OTAN y est restée plusieurs années afin de former les

forces de police, récupérer des territoires et organiser la pleine souveraineté du pays face à

la menace terroriste. Conclue définitivement en 2014, cette dernière mission prête

aujourd’hui à débat sur l’efficacité de l’Alliance à résorber les crises. Dès lors, il n’en est

que plus important de définir les objectifs clairs de l’OTAN dans ce domaine d’intervention.

Cet engagement dans la gestion de crise trouve aussi écho en Afrique (avec l’Union

Africaine), ou encore en méditerranée pour lutter contre la piraterie maritime à travers la

mission « Active endeavour », mais aussi dans les Balkans et notamment au Kosovo ou la

KFOR (Kosovo Force) est toujours présente, ou en Lybie en 2011, et au Darfour en 2005.

A travers cette gestion de crises, une véritable déterritorialisation des missions de

l’alliance semble s’être opérée.

C) …comme la résultante d’une construction sociale de la gestion de crises en tant que

mission fondamentale de l’Alliance atlantique

Pour Christophe Wasinski, « Cette culture de la gestion de crise doit donc aussi être

considérée comme une rhétorique visant à garantir la continuité de l’OTAN »107. La gestion

de crise peut être définie comme réalité naturelle des missions de l’OTAN. Or, pour l’auteur,

celle-ci est socialement et stratégiquement construite. Cela notamment grâce à la

106 Interview réalisée pour le Journal Le Monde, 2012 http://www.lemonde.fr/europe/article/2012/05/18/le-concept-strategique-de-l-otan-a-l-epreuve-du-reel-1-3_1700792_3214.html , consulté le 16 juillet 2015 107 Christophe Wasinski, « Produire de la capacité de gestion de crise internationale », Cultures & Conflits [En ligne], 75 | automne 2009, mis en ligne le 20 janvier 2011, consulté le 03 janvier 2013. URL : http:// conflits.revues.org/17683, p. 31

61

codification textuelle qui permet à l’OTAN de faire de la gestion de crise un élément crucial

dans la définition de son édifice stratégique.

1- Le processus de légitimation de l’action de l’OTAN dans la gestion des crises

Christophe Wasinski a défini le principe de la « gestation du greffon stratégique » afin

de permettre de comprendre comment une doctrine, un concept devient un précepte au sein

de l’OTAN. C’est à travers le concept de l’EBO - « Effect-Based Operations » (Opérations

basées sur les effets), qui est un principe défini comme la planification d’opérations

militaires basée sur l’idée qu’il est possible de tenir compte des effets physiques (destruction

de l’ennemi…) mais aussi des dégâts économiques, sociaux et politiques dans la

planification de l’action - qu’il explique la trajectoire d’un greffon stratégique. Le concept

d’EBO va s’affirmer au sein de l’espace militaire américain, puis international à travers 4

processus. Tout d’abord, la fondation des racines intellectuelles du concept. On lui donne la

paternité aux aviateurs John Boyd et John Warden. Les tenants des EBO utilisent ensuite des

références plus anciennes (Clausewitz, Fuller, William Mitchel…) pour les transformer en

« pères fondateurs » de leur approche. Deuxièmement, le concept se diffuse dans les cercles

militaires professionnels : le Concept d’EBO va être intégré à des études réalisées par des

écoles de pensées, ou des revus militaires (ex : Air power journal, Armed forces journal

international). Troisième phase, celle de l’institutionnalisation du concept. Il s’agit ici de

voir que le concept va s’imposer au sein des structures de formations dans les milieux

professionnels de l’Etat-Major américain. La reconnaissance du concept par les instances

officielles des forces armées des Etats-Unis a un effet important qui est que ce concept

rencontre d’autres concepts existants, s’y agglutine et légitime le fait de faire la guerre par

des idées techniques. Enfin, quatrième phase, celle de l’extension du domaine de validité du

concept. Le champ de validité de la notion est élargi puisque des stratégies secondaires s’y

greffent.

2- Une gestion des crises basée sur le principe de la coopération interinstitutionnelle

L’OTAN va être à l’avenir amenée à coopérer encore plus intensément avec ces

partenaires européens et mondiaux dans la gestion des crises. Tel est l’argument avancé par

Jean-Sylvestre Mongrenier. En effet, d’autres institutions telles que l’Union Européenne

possèdent une expertise et des compétences sérieuses en matière de gestion des risques vis-

à-vis de l’Alliance Atlantique. Pour l’auteur, « Le Concept stratégique met en avant la

"sécurité coopérative" qui a l'ambition de conjuguer "approche globale" et "partenariats"

62

avec diverses organisations internationales dont l'ONU. A ces fins, une "structure civile de

gestion de crise, appropriée mais modeste" est prévue »108.

Section 4 - Les partenariats de l’OTAN : la sécurité coopérative de l’Alliance atlantique

Face aux menaces directes et non conventionnelles que nous avons définies, il est un

domaine lequel l’Alliance atlantique a beaucoup à gagner : les partenariats avec les Etats

alliés, autrement dit ce que l’Alliance appelle désormais « la sécurité coopérative ». Ils

constituent un pan de la transformation intellectuelle et politique de l’Alliance atlantique, et

font partie intégrante de la nouvelle architecture de l’OTAN en matière de sécurité et de lutte

contre les nouvelles menaces. A ce titre, Robert Weaver souligne que « la transformation de

l’OTAN va de pair avec le développement du partenariat. Dans tous les domaines – qu’il

s’agisse d’entreprendre de délicates missions de maintien de la paix ou d’affronter les

nouvelles menaces pour notre sécurité commune, telles que le terrorisme et la prolifération

des armes de destruction massive, les partenaires jouent un rôle important en modelant et

facilitant la mise en œuvre des réponses de l’OTAN à ces nouveaux défis »109.

Le concept stratégique de Lisbonne a ainsi défini cette « sécurité coopérative », à travers

l’idée que la politique des partenariats mérite une place plus grande dans la politique de lutte

contre les nouveaux enjeux sécuritaires.

A) Dynamiser l’effectivité des partenariats existants : l’exemple de l’OTAN en

Méditerranée et au Moyen-Orient

1- Une dynamisation nouvelle à défendre à travers les multiples partenariats existants

Les partenaires de l’OTAN sont aujourd’hui très nombreux. Ils sont probablement

l’espace dans lequel l’Alliance pourrait s’appuyer pour lutter contre certaines menaces hors

de ses frontières. Il y a bien sur les candidats à l’adhésion (Albanie, ARYM, Bosnie-

Herzégovine et Géorgie). Il y a aussi les Etats du PpP mais qui ne souhaitent pas intégrer

l’alliance (tels la Suisse). On retrouve par ailleurs les pays anciennement soviétiques de

l’Asie centrale. Il existe aussi un certain nombre de conseils bilatéraux (le Conseil OTAN-

Russie, crée entre 1997 et 2002 ; le Conseil OTAN-Ukraine, crée en 1997 ; le Conseil

108 Jean-Sylvestre Mongrenier, interview réalisée pour le journal Le Monde, 2012 http://www.lemonde.fr/europe/article/2012/05/18/le-concept-strategique-de-l-otan-a-l-epreuve-du-reel-1-3_1700792_3214.html , consulté le 16 juillet 2015 109 Robert Weaver, « La poursuite du renforcement de la sécurité par le biais du partenariat», Revue de l’OTAN, printemps 2004, www.nato.int/docu/review/2004/issue1/french/art1.html

63

OTAN-Géorgie crée en 2008). Mais aussi un ensemble de partenaires « globaux », tels la

Corée du Sud ou la Nouvelle-Zélande, qui, malgré leur éloignement géographique sont

investis dans certaines missions en matière de lutte contre le terrorisme.

2- L’exemple du Dialogue Méditerranéen et de l’Initiative de la coopération

d’Istanbul : deux espaces de progrès dans la lutte contre le terrorisme

Encore, l’OTAN a mis sur pied en 1994 le dialogue méditerranéen et en 2004 est née

l’initiative de coopération d’Istanbul110. Pour bien comprendre l’importance que peuvent

revêtir les partenariats stratégiques dans une logique de lutte contre les menaces non

conventionnelles, nous allons nous intéresser à ces deux initiatives qui reflètent aujourd’hui

des enjeux de la « sécurité coopérative » de l’OTAN111. Ces deux initiatives constituent un

véritable espace d’échanges, de dialogues et de confiance entre l’Alliance et ces partenaires

méditerranéens et issus du Moyen-Orient pour faire face au défi commun. D’autant plus que

l’Alliance s’est engagée en Méditerranée à travers l’Opération « Active Endeavour ». Il

s’agit d’une opération maritime d’envergure en mer Méditerranée (surveillance, envoi de

bateaux, contrôle des trafics maritimes…) afin de prévenir la menace terroriste et de l’en

empêcher.

L’OTAN doit en effet considérer ce type de partenariats comme un pilier essentiel de sa

stratégie politique et militaire112. Toutefois, pour Brahim Saidy, un certain nombre

d’obstacles persistent du fait notamment du rapprochement Etats-Unis / OTAN dans

l’imaginaire des pays arabes, ce qui entraine la diffusion d’un certain sentiment anti-

américain (notamment par un soutien des Etats-Unis à Israël). De plus, les régimes politiques

avec lesquels l’OTAN collabore manquent parfois de légitimité démocratique, ce qui limite

la légitimité même de l’OTAN sur cette zone. Face à ces obstacles, l’OTAN s’est engagé à

intensifier le dialogue, afin de lutter contre la menace terroriste (notamment l’Etat Islamique

et la nébuleuse de groupes terroristes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord), mais aussi

contre les cyberattaques ou encore la menace nucléaire113.

110 Kassim Bouhou, « L'OTAN et le monde arabe : peur, dialogue et partenariat », Politique étrangère 2008/1 (Printemps), p. 119-130. p. 124 111 Par soucis de synthèse, nous n’aborderons pas une analyse actualisée de tous les partenariats de l’Alliance (le partenariat OTAN-Russie sera abordé dans le chapitre 2), gardons les simplement en tête. 112 Brahim Saidy, « Le rôle de l'OTAN en Méditerranée et au Moyen-Orient », Revue internationale et stratégique 2009/1 (n° 73), p. 55 113 Brahim Saidy, « Le rôle de l'OTAN en Méditerranée et au Moyen-Orient », Revue internationale et stratégique 2009/1 (n° 73), p.42

64

Toutefois, le renforcement des partenariats existants ne devrait pas être la seule voie à

emprunter, puisque d’autres types de coopérations existent ou pourraient voir le jour dans

les années à venir.

B) L’OTAN tourné vers l’Asie centrale : un recentrage dont il faut tenir compte

La politique américaine, extrêmement influente au sein des instances de l’Alliance

atlantique, a modifié son raisonnement et se déplace désormais vers l’Asie centrale.

L’OTAN s’engage donc de plus en plus vers ces « nouveaux » pays stratégiques, puisque

l’Alliance souhaite installer de nouveaux partenariats, avec des pays tels que le Pakistan,

l’Inde, ou encore la Chine. Cette politique n’est pas à négliger tant les enjeux terroristes, les

risques de cyberattaques mais aussi les risques liés à une menace nucléaires sont présents

dans cette partie du monde.

Depuis le retrait des troupes de l’Alliance après plusieurs années en Afghanistan à travers

la Force Internationale d’Assistance à la sécurité (FIAS), véritable aide de l’OTAN fournie

au gouvernement Afghan afin de développer un Etat capable de se protéger de toutes

menaces (terroriste, crises…) et de créer des bases démocratiques, l’OTAN se réinvestit en

Asie centrale. A titre d’exemple, l’Alliance a ouvert le 16 mai 2014 à Tachkent, la capitale

de l’Ouzbékistan, un bureau de l’OTAN114, la raison avancée étant celle d’un retour de la

mouvance terroriste du fait du retrait des troupes de l’Alliance sur le théâtre Afghan en

décembre 2014.

Les partenariats de l’OTAN ne concernent pas seulement des Etats, mais aussi une

coopération véritable et nécessaire à redynamiser avec d’autres institutions, notamment en

matière de gestion de crise, et de lutte contre les cyberattaques et le terrorisme.

C) Les perspectives d’une coopération inter-institutions

1- La nécessaire coopération entre organisations régionales et/ou mondiales

L’OTAN pourrait, dans le cadre de ses missions de gestion des crises, développer une

coopération approfondie avec des acteurs non étatiques tels des ONG ou bien des

organisations internationales comme l’Union Européenne, l’ONU, l’OSCE, ou encore l’UA.

La dynamique institutionnelle de l’OTAN pourrait ainsi s’étendre et être influencée par cet

114 http://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/2014/05/16/l-otan-ouvre-un-bureau-a-tachkent , consulté le 10 juillet 2015

65

ensemble d’acteurs115. Le concept stratégique prévoit que l’OTAN développe des relations

plus inclusives, plus souples et plus ouvertes avec les partenaires de l’Alliance et souligne

que l’OTAN doit renforcer sa coopération avec les Nations Unies et l’Union européenne. Le

concept fixe également l’objectif d’établir « un véritable partenariat stratégique entre

l’OTAN et la Russie ».

2- L’exemple OTAN-UE dans la lutte contre les guerres hybrides

Dans cette mission d’envergure internationale, la coopération entre l’OTAN et l’Union

Européenne peut être un exemple de coopération inter-institutions. Les responsables de

l’Alliance ont en effet souligné qu’ils étaient « déterminés à améliorer le partenariat

stratégique OTAN-UE »116 et ils ont engagé le secrétaire général à continuer de travailler

avec la haute représentante de l’UE.

Devenue une véritable menace, et définie bien avant les menaces de guerre hybride en

Ukraine et contre l’Etat Islamique, le Livre Blanc de la Défense affirmait en 2013 qu’il

« existe (…) des situations intermédiaires ou transitoires, dans lesquelles nos forces devront

s’adapter à l’émergence de ‘menaces hybrides’. De façon ponctuelle ou plus durable,

certains adversaires de type non-étatique joindront à des modes d’action asymétriques des

moyens de niveau étatique ou des capacités de haut niveau technologique, acquis ou

dérobés »117.

Face à ce nouveau type de menaces, l’OTAN cherche désormais à mettre en place une

capacité de réaction plus rapide et souple, comme ce fut annoncé lors du Sommet de Newport

avec la création d’une force de 5 000 hommes mobilisables entre 5 et 7 jours. Déjà, Jens

Stoltenberg, l’actuel secrétaire général de l’Alliance Atlantique relevait que « Les Alliés

doivent développer une coopération plus étroite avec des partenaires et des organisations

comme l’Union européenne afin de mieux faire face aux défis de sécurité à l’est et au

sud (…). Aussi, nous avons demandé à nos équipes d’intensifier la coopération Otan-UE

contre la guerre hybride afin de garantir que les stratégies que nous mettons au point sont

complémentaires pour que nous puissions agir rapidement et de façon efficace si une menace

de guerre hybride apparaissait contre l’un de nos membres ». A cela, la haute représentante

115 Bastien Irondelle et Niels Lachmann, « L'OTAN est-elle encore l'OTAN ? », Critique internationale 2011/4 (n° 53), p. 67-81. DOI 10.3917/crii.053.0067 116 http://www.opex360.com/2015/05/15/les-menaces-hybrides-rapprochent-lotan-lunion-europeenne/ , consulté le 03 août 2015 117 http://www.opex360.com/2015/05/15/les-menaces-hybrides-rapprochent-lotan-lunion-europeenne/ , consulté le 03 août 2015

66

de l’UE pour les affaires étrangères a précisé que « ce qui est extrêmement important pour

nous, c’est une coordination forte à tous niveaux, et notamment en ce qui concerne le

partage d’informations sur les nouvelles menaces auxquelles nous faisons face ».

Jean-Sylvestre Mongrenier souligne quant à lui aussi l’importance que revêt la

coopération entre l’OTAN et l’UE, notamment du fait que « L’Europe une et libre à laquelle

les Occidentaux travaillent à donner forme depuis la fin de la guerre froide repose sur deux

piliers complémentaires : l'UE et l'OTAN ».

D) La politique de la « porte ouverte » de l’OTAN

Enfin, les partenariats de l’OTAN peuvent être exploités à travers la politique « de la

porte ouverte » est définie à l’article 10 du Traité de Washington qui rappelle que peut

intégrer l’alliance « tout Etat européen susceptible de favoriser le développement des

principes du présent Traité et de contribuer à la sécurité de la région de l’Atlantique Nord ».

L’OTAN reste attaché à cette politique car c’est à travers l’intégration de nouveaux Etats

que de nouvelles perspectives en matière de partenariats est envisageable. Ainsi, l’Alliance

invite tout Etat démocratique et partageant les valeurs définies par l’OTAN à rejoindre

l’organisation. Le cas des pays de l’ex-Yougoslavie (Bosnie-Herzégovine, ARYM, Albanie ;

la Serbie ayant réaffirmé son désir de rester militairement neutre) est probant puisque

l’intégration de certains Etats afin de stabiliser la zone est une priorité de l’Alliance en

matière d’intégration. Toutefois, la question de l’élargissement de l’OTAN ne fait pas

l’unanimité. Nous allons y revenir dans une troisième et dernière partie. Car cette politique

est aujourd’hui au cœur de l’actualité.

L’adaptation de l’Alliance atlantique face aux nouvelles menaces, aux défis

sécuritaires de l’environnement international actuel passe donc par une série de réformes, à

la fois militaires, politiques, organisationnelles mais surtout à travers la définition d’une

doctrine stratégique, qui est le véritable pilier intellectuel et philosophique de l’OTAN. C’est

donc à partir du Concept stratégique établi à Lisbonne en 2010 qu’il est désormais possible

de définir certaines menaces contre lesquelles l’OTAN a décidé de s’engager. Pour cela,

l’Alliance met en œuvre une véritable doctrine intellectuelle, marquée par des adaptations

de terrain, mais aussi une politique de partenariats et s’est aussi reconverti en organisme de

gestion de crises depuis la fin de la guerre froide. Toutefois, le conflit ukrainien met en avant

67

plusieurs enjeux, plusieurs menaces pour l’Alliance atlantique. Le conflit qui se déroule aux

frontières orientales de l’OTAN aborde en effet la question de son élargissement et des

relations OTAN-Russie. Le concept stratégique de 2010 fixait en effet l’établissement d’«

un véritable partenariat stratégique entre l’OTAN et la Russie ». Cela renvoie à l’actualité

avec la crise ukrainienne et les enjeux que celle-ci pose à l’Alliance.

68

Partie III

Quelles perspectives sécuritaires pour l’Alliance ? : Des enjeux de l’élargissement et

la relation OTAN-Russie à l’aune de la Crise ukrainienne

Le conflit qui a éclaté en Ukraine en 2013 semble avoir largement contribué à

l’évolution de l’Alliance depuis deux ans maintenant. Bousculée dans sa légitimé à ses

frontières orientales, l’OTAN connait aussi de nombreuses difficultés à entretenir ses

relation avec la Russie. L’avenir à court et moyen terme de l’OTAN semble donc se jouer à

travers ce conflit qui agite non seulement l’Alliance, mais aussi les institutions

internationales (ONU, OSCE, HCRNU…) ainsi que le reste de la communauté

internationale.

Le conflit en Ukraine semble en effet avoir relancé le débat sur l’élargissement de

l’OTAN, et donc sa vocation d’organisation globale de sécurité, ainsi que la relation

qu’entretient l’Alliance avec la Russie, relation qu’il ne faudrait pourtant pas trop négliger,

tant les possibilités de coopérations sont nombreuses face aux menaces actuelles non

conventionnelles. Ces rapports semblent s’être dégradés depuis l’éclatement du conflit, mais

ne sont finalement que le reflet de relations qui connaissaient déjà certaines difficultés. Car

au fond, la crise qui a éclaté en Ukraine en septembre 2013 a mis en lumière l’approche

divergente qu’ont l’occident et la Russie en matière de sécurité européenne118.

Chapitre 1 – Répondre aux défis sécuritaires à la frontière orientale de l’Alliance :

réaffirmer le soutien de l’OTAN à l’est et faire face aux menaces hybrides

Section 1 - L’adaptation de l’Alliance atlantique face aux inquiétudes en Europe de

l’est suite à la crise en Ukraine

Face à la crise ukrainienne et aux menaces qui la sous-tendent, il semble que les pays

d’Europe centrale et orientale soient en proie à une inquiétude manifeste. L’adaptation de

l’OTAN face aux menaces à sa frontière orientale nécessite donc la prise en compte des

inquiétudes des alliés orientaux, à travers un redéploiement de l’Alliance atlantique sur cette

zone de l’Europe.

118 http://www.nato.int/docu/review/2014/Russia-Ukraine-Nato-crisis/Ukraine-crisis-NATO-Russia-relations/FR/index.htm , consulté le 25 mars 2015

69

A) Un sentiment d’inquiétude à l’est : une crainte généralisée au sein des Etats membres

de l’Alliance atlantique

Pour Charles-Philippe David119, les pays membres ainsi que les futurs adhérents à

l’Alliance atlantique sont ceux souhaitant profiter de l’équilibre européen en matière de

sécurité qu’offre l’OTAN, et plus particulièrement l’hégémon américain. De plus, les récents

évènements en Ukraine laissent à penser que les Etats-Unis vont continuer à maintenir leur

prédominance en Europe. En outre, le constat est que l’OTAN connait un regain d’intérêt en

Europe de l’est et ce pour plusieurs raisons : pour rassurer les partenaires de l’OTAN et les

pays adhérents ou déjà membres, mais aussi pour contenir l’influence de la Russie qui

menace certains Etats à l’est. Il ne s’agit pas ici de faire l’étalage de toutes les revendications

des Etats de cette région depuis le début de la crise en Ukraine, mais de démontrer qu’une

tension permanente semble étouffer certains Etats membres, désireux de voir l’Alliance

atlantique réaffirmer son soutien.

La crise ukrainienne agite les Balkans, et pour cause, puisqu’elle ravive un certain

nombre de souvenirs douloureux qui se sont produits dans la région ces vingt dernières

années. En atteste notamment de l’inquiétude actuelle dans les pays baltes, ainsi que la

situation dans le territoire de l’Ex-Yougoslavie, où l’annexion de la Crimée rappelle la

situation du Kosovo.

L’espace post-soviétique est en effet marqué par des minorités russophones, présentes

dans différents pays, notamment dans les Etats Baltes. A Tallin, Vilnius ou encore Riga, les

inquiétudes quant à l’extension du conflit sur le territoire ont entrainé les trois Etats à se

tourner vers l’Alliance atlantique afin que cette dernière réaffirme une réelle protection en

cas d’agression. En avril 2015, l’Estonie a plaidé pour une présence permanente de forces

de l’OTAN, inquiète à la vue d’exercices menés par les troupes russes à sa frontière

occidentale. A ce moment-là, quelques 150 soldats de l’OTAN étaient présents dans le pays,

insuffisant selon le Président Toomas Hendrik Ilves.

Une autre région des Balkans est suivie de près par l’Alliance atlantique : la région de

l’ex-Yougoslavie. En atteste le fait que sur les quatre processus d’adhésion à l’OTAN, trois

concernent des pays de l’ex-Yougoslavie (la Bosnie-Herzégovine, l’Ancienne République

119 David Charles-Philippe, « La Guerre et la paix, Approches et enjeux de la sécurité et de la stratégie », presses de Sciences Po, 2013, p. 196

70

Yougoslave de Macédoine, et le Monténégro), alors que la Croatie et l’Albanie ont rejoint

l’OTAN en 2009. Les rapports qu’entretiennent les pays de la région de l’ex-Yougoslavie

restent relativement compliqués. Dans une région marquée par la guerre, présente il y a tout

juste vingt ans, la Serbie, bien qu’introduite dans de nombreuses organisations régionales,

et déterminée à se tourner vers l’avenir, connait son lot d’enjeux et de tensions politiques.

La question du Kosovo est notamment d’actualité puisque l’indépendance du Kosovo

proclamée en 2008 et non reconnue par la Serbie a entrainé des relations difficiles entre le

gouvernement serbe d’Aleksandar Vučić, et le gouvernement du Premier ministre kosovar

Isa Mustafa.

Dans cet espace géopolitique, certains observateurs font le parallèle entre le Kosovo et

la Crimée. La Serbie, amie traditionnelle de la Russie, a soutenu le rattachement de la Crimée

à son allié Russe. De plus, la Crise en Ukraine ravive aussi des tensions liées à la Guerre en

ex-Yougoslavie. La peur d’un scénario tel que celui vécu en Crimée agite les gouvernements

des Etats de l’Europe de l’est. Pour Ivan Krastev, directeur du Centre d’études stratégiques

à Sofia, la Bosnie-Herzégovine, de par son instabilité politique permanente depuis 1995,

pourrait être une « cible » potentielle de la Russie120. Preuve d’une crainte véritable dans les

Balkans.

B) Les réponses apportées par l’OTAN : rassurer et revitaliser les liens euro-atlantiques

avec les Balkans

“Every NATO member is protected by our alliance, and every NATO member must carry

its share in our alliance. This is the responsibility we have to each other”

Barack Obama

(25th Anniversary of Freedom Day, Warsaw, Poland, June 04, 2014)121

Le sentiment de peur que suscite la crise ukrainienne en Europe de l’est donne à l’OTAN

une chance de revitaliser ses liens avec les pays des Balkans à travers un regain d’intérêt de

la part de l’occident et des partenariats plus approfondis (soutien à l’élargissement et plans

d’aide) ainsi que par un redéploiement des forces militaires de l’OTAN en Europe de l’est.

120 http://www.courrierdesbalkans.fr/articles/bras-de-fer-entre-poutine-et-l-occident-apres-l-ukraine-les-balkans.html , consulté le 20 février 2015 121 OBAMA Barack, « Remarks by President Obama at at 25th Anniversary of Freedom Day », Warsaw, Poland, June 04, 2014

71

Pour Solomon Passy122, ancien Ministre des Affaires étrangères de Bulgarie et président de

« l’Atlantic Club of Bulgaria », sans la politique d’élargissement menée par l’OTAN depuis

la fin des années 1990 dans les Balkans, nombreux sont les pays (tels que la Bulgarie ou la

Roumanie) qui auraient connu un scénario tel que celui vécu avec l’annexion de la Crimée123.

La réaffirmation de liens diplomatiques se fait tout d’abord à travers la politique de la

porte ouverte et le processus d’adhésion en cours pour certains Etats, même si celui de

l’Ukraine a été mis entre parenthèse. Le Sommet de Newport a permis à l’Alliance de trouver

un consensus sur l’absence d’intervention directe de l’OTAN en Ukraine, ainsi que la

suspension du processus d’intégration de l’Ukraine à l’Alliance124. Toutefois, certaines

exigences en matière de défense de l’intégralité territoriale de l’Ukraine ont été affirmées

lors de ce sommet. Un plan d’aide prévu et défini par une enveloppe initiale de 15 millions

d’euros pour soutenir les réformes de l’armée ukrainienne a été négocié. A noter aussi un

soutien au renseignement à et la cyberdéfense, ainsi qu’un traitement des blessés du conflit.

En parallèle de nombreuses rencontres diplomatiques organisées par l’Alliance, de

nombreuses missions militaires (formations de troupes, présence de soldats de l’OTAN à

l’est de l’Europe…) sont organisées. Entre démonstration de force et formation de troupes,

l’OTAN semble avoir remis un pied à l’étrier dans les Balkans. Il s’agit en effet de réaffirmer

la présence de l’OTAN et former les troupes des pays membres à des exercices militaires.

Nous reviendrons plus précisément sur ces mesures dans la section suivante.

Toujours est-il que ces exercices peuvent s’interpréter de plusieurs manières. Il s’agit à

la fois d’un message envoyé aux pays membres et/ou partenaires de l’Alliance dans le but

de rassurer ses territoires du fait de la crise en Ukraine, mais aussi d’employer une forme de

« stratégie de force » face aux mouvements de la Russie à sa frontière occidentale. Nous y

reviendrons dans une dernière partie. De plus, le redéploiement des troupes de l’OTAN en

Europe de l’est, s’il tient à réaffirmer les liens euro-atlantiques, répond aussi aux dangers de

la guerre hybride qui règne en Ukraine.

122 Solomon Passy est un ancien Ministre des Affaires étrangères de Bulgarie, en fonction au moment de l’entrée de la Bulgarie dans l’OTAN en 2004 et il est l’actuel président de l’ONG «Atlantic Club of Bulgaria ». 123 http://www.agerpres.ro/english/2014/03/28/romania-nato-10-years-solomon-passy-without-nato-s-expansion-many-countries-would-ve-met-crimea-s-fate-19-08-51 124 http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/09/05/otan-les-grandes-decisions-du-sommet-de-newport_4482989_3214.html

72

Section 2 – Les dangers de la crise en Ukraine : faire face aux menaces de la « guerre

hybride »

A) Répondre à la menace de la « guerre hybride » : le besoin et les limites d’une réponse

militaire immédiate

Le conflit Ukrainien, peut à certains égards, être qualifié de guerre qui ne dit pas son

nom. Mais s’il ne s’agit pas d’une guerre conventionnelle opposant deux armées distinctes,

c’est probablement car le conflit est un conflit hybride. Pour Ronald Hatto, ou encore

certains observateurs de l’Alliance, cette guerre hybride, entretenue par la Russie en Ukraine,

n’a pas fait appel à des forces conventionnelles, mais à un ensemble de moyens non

conventionnels (en atteste l’opposition médiatique que se livrent l’Occident et la Russie sur

la question). Car ce qui se joue en Ukraine semble être le reflet, comme l’avance Alexandra

Goujon125, d’une volonté russe de dominer le conflit sans exercer de domination militaire.

La guerre hybride telle qu’elle se joue en Ukraine est définie par l’empilement de moyens

divers (militaires et non militaires) pour déstabiliser l’Etat ukrainien et se distingue d’un

conflit dit conventionnel car celle-ci a vocation à déstabiliser des personnalités politiques,

économiques et influentes par des canaux qui ne permettent pas de remonter jusqu’à

l’agresseur (si nous pouvons parler d’agresseur). Cela rend d’autant plus difficile pour

l’Alliance atlantique de mettre en place des représailles face à l’absence d’agression avérée.

Dès lors, comment mettre en œuvre une riposte efficace contre ce type de conflits ?

A court terme, de nombreux observateurs au sein de l’OTAN envisagent une réaction

ferme pour amener à la désescalade par l’escalade. Cela se traduit par une véritable stratégie

de force, mise en œuvre depuis le début du conflit en Ukraine. Les mesures prises par

l’Alliance en Europe de l’est, comme nous en avons parlé plus haut (missions dans les Etats

baltes, déploiement de troupes dans les pays d’Europe de l’est, etc…) peuvent être analysés

à la fois comme une réaffirmation du lien qui unit l’OTAN avec ses Etats mais aussi un

« coup de force » à l’encontre de la Russie, qui semble faire de même avec ses troupes à la

frontière russo-ukrainienne. Cette stratégie consiste en un déploiement de forces aériennes

et navales en mer baltique ou en mer noire, à la demande des Etats alliés ou non. L’OTAN

affirme son réengagement dans la zone des Balkans à travers un redéploiement important

sur la zone. Cela se traduit par l’envoi de 3 000 soldats américains dans les pays baltes, et

125 Alexandra Goujon est politologue, spécialiste de l’Ukraine, la Russie et la Biélorussie. Elle est maitre de conférences à l’Université de Bourgogne et à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris.

73

par le renforcement de « la défense de son flanc oriental avec la création d'une nouvelle

force de 5.000 hommes et décidé de créer un centre de commandement en Bulgarie ». Ce

redéploiement s’exprime aussi à travers l’entrainement de troupes moldaves par les forces

de l’OTAN en Roumanie126, ou encore un approfondissement de sa relation avec la Serbie,

puisque depuis mars 2015 Belgrade a donné son accord pour les troupes de l’OTAN puissent

traverser le pays et y exercer un certain nombre de missions sans que les soldats de l’OTAN

ne soient en danger127. Déjà, en 2014, des avions AWACS de la flotte de l’OTAN avaient

effectué des vols en Pologne et en Roumanie128. En juillet 2015, l’OTAN a aussi effectué

des exercices d’envergure en Ukraine, preuve d’une véritable stratégie de force que

s’opposent actuellement l’OTAN et la Russie sur fond de conflit Ukrainien129. A court terme,

ces mesures semblent permettre de rassurer les alliés à l’est tout en contenant la propagande

russe (activée par les réseaux russophiles, certains médias ainsi que des agitateurs locaux)

dans les différents Etats se sentant menacés. Mais cette crise nécessite aussi un autre type de

réponses à moyen terme, ce qui demande notamment à ce que l’Alliance revoit certaines

priorités.

En effet, selon Peter Pindják130, du département du ministère slovaque des Affaires

étrangères et des Affaires européennes chargé de la politique de sécurité, la politique de

dissuasion menée par l’Alliance atlantique face à la guerre hybride, si elle tend à rassurer les

alliés, ne peut pas être une solution à moyen et long terme. Cet expert relève trois défauts131.

Tout d’abord, une intervention militaire collective reste difficile du fait de la difficulté à

trouver un consensus sur l’origine d’une agression. L’absence de régularité dans la menace

est un premier problème. Ensuite, les menaces « non conventionnelles » ne peuvent être

seulement contenues par des forces militaires, du fait de l’origine clandestine du conflit.

Enfin, une stratégie de « représailles massives », comme celle qui fut la stratégie de l’OTAN

durant la guerre froide n’est pas plausible, car peu efficace.

Dès lors, comment peut se penser le rôle de l’OTAN face à la guerre hybride ?

126 http://www.courrierdesbalkans.fr/le-fil-de-l-info/guerre-en-ukraine-l-armee-moldave-s-entraine-avec-l-otan-et-renforce-son-arsenal.html , consulté le 25 avril 2015 127 http://fr.sputniknews.com/international/20150326/1015352035.html , consulté le 26 mars 2015 128 http://www.opex360.com/2014/03/11/des-avions-radars-e3-awacs-de-lotan-envoyes-en-mission-au-dessus-de-la-pologne-de-la-roumanie/ , consulté le 26 mars 2015 129 http://fr.sputniknews.com/international/20150721/1017134061.html , consulté le 28 juillet 2015 130 Pindják Peter, « La guerre hybride, une occasion pour l’OTAN et l’UE de collaborer ? », Nato Review, 18 novembre 2014 131 http://www.nato.int/docu/review/2014/Also-in-2014/Deterring-hybrid-warfare/FR/index.htm , consulté le 02 août 2015

74

B) Repenser le rôle de l’OTAN à moyen terme dans la crise ukrainienne : les

perspectives non militaires de l’OTAN

Maintenir des troupes permanentes sur le sol des différents Etats se sentant en danger

ne peut pas être une solution suffisante à moyen terme et ce même si elle permet à l’OTAN

de retrouver une pleine légitimité aux yeux de ses Etats membres par son aspect de défense

collective. Dès lors, quelles mesures peuvent être envisagées à moyen terme ?

La survie de l’OTAN tient d’abord à sa capacité financière de soutenir un certain

nombre de troupes. Cela passe par des aides financières et humaines en matière de défense

de la part des alliés. La question des ressources a été évoquée par les Etats-Unis, puisque

Barack Obama rappelait en juin 2014 lors de son discours à Varsovie l’absolue nécessité

pour les Etats membres de l’OTAN d’atteindre le seuil des 2% du PIB d’investissement dans

la défense. Par ailleurs, c’est aussi ce qui a été réaffirmé lors du Sommet de Newport, en

ajoutant que sur les 2% investis dans la défense 0,2% devaient être investis dans les capacités

de défense. Pour la première fois, ces seuils furent exprimés comme une exigence lors d’une

rencontre officielle entre les membres de l’OTAN.

L’investissement des alliés doit par ailleurs être aussi politique. Il s’agit en effet

d’éviter les divisions internes qui minent la légitimité de l’OTAN. Car sur la base de ces

divisions, la marge de manœuvre de la Russie dans le conflit Ukrainien a pu augmenter. Au

printemps 2014, près de 80% de la population en Russie soutenait son leader Vladimir

Poutine. Les Jeux Olympiques de Sotchi n’y étaient probablement pas pour rien, toujours-

est-il que la Crimée était d’ores et déjà annexée. La force de ce sentiment nationaliste peut

représenter une menace pour certains Etats à l’est, notamment les Etats baltes, car une partie

de leur population est russophile. Cela montre avec véracité les dangers que peuvent

représenter alors les divisions internes à l’Alliance atlantique.

Il s’agit aussi, comme nous l’avons vu dans la seconde partie de cette étude, de lutter

contre cette menace à travers la politique des partenariats. A ce titre, l’Union Européenne

peut s’avérer être un partenaire institutionnel efficace pour l’OTAN de par l’expertise de

l’Union en matière de gestion de crise, mais aussi en matière de cyber-conflit. Les menaces

d’une guerre hybride dans la zone euro-atlantique peuvent donc être des occasions de voir

l’OTAN et l’Union Européenne approfondir leur partenariat, de manière plu systématique et

pragmatique. C’est ce qui a été réaffirmé au Sommet de Newport.

75

De plus, à long terme, il semble important de reconsidérer la relation OTAN-Russie.

Il existe en effet des perspectives d’une relation complémentaire dans la lutte contre les

menaces non conventionnelles. En effet, il ne s’agira pas seulement de stabiliser la zone et

d’utiliser cette « stratégie de force » à l’est, ni de faire face uniquement aux menaces de la

guerre hybride, mais bien de revoir les perspectives d’une coopération nouvelle entre la

Russie et les partenaires atlantiques, dans un effort conjoint de lutte contre les menaces non-

conventionnelles qui proviennent du terrorisme, ou de groupes non gouvernementaux

ventant leurs forces nucléaires.

Chapitre 2 – Les rapports OTAN-Russie : Le débat sur l’élargissement de l’Alliance

atlantique et les perspectives de coopération nouvelle avec la Russie

Le cas de l’Ukraine et les défis que pose ce conflit ont ravivé certaines tensions entre

« l’est » et « l’ouest ». Si des efforts ont été fait depuis la fin de la guerre froide entre l’OTAN

et la Russie, les débats autour de l’élargissement de l’Alliance et les promesses futures du

partenariat entre les deux puissances sont mis à mal par le conflit qui enflamme l’Ukraine

depuis plus d’un an.

Section 1 – La relation OTAN-Russie sur fond d’élargissement de l’Alliance atlantique

Le sommet de Bucarest qui s’est déroulé en avril 2008 a permis d’inviter l’Albanie et la

Croatie à rejoindre l’Alliance atlantique. Le 1er avril 2009, les deux pays intégraient

l’OTAN. Depuis, quatre pays sont actuellement candidats à l’adhésion : la Bosnie-

Herzégovine, la Géorgie, l’Ancienne République Yougoslave de Macédoine, ainsi que le

Monténégro. Ce processus d’adhésion est par ailleurs au cœur de la crise ukrainienne, qui

exacerbe des tensions d’ores et déjà existantes entre l’OTAN et la Russie.

A) L’élargissement de l’Alliance : le reflet d’une « promesse non tenue » pour la

Russie ?

« Nous ne voyions pas de démarches similaires de leur côté, au contraire, on nous a

constamment trompés, les décisions étaient prises derrière notre dos, on nous mettait

devant le fait accompli. C’était le cas avec l’élargissement de l’OTAN vers l’Est (…)».

Vladimir Poutine

Discours sur l’intégration de la Crimée à la Fédération de Russie, 18 mars 2014

76

Le conflit qui se joue en Ukraine a cristallisé l’opposition est/ouest. Pourtant, ces

tensions ne sont pas nouvelles, mais semblent plutôt refléter une incompréhension et un

désaccord plus profond. Dans une allocution du 18 mars 2014 au Kremlin, Vladimir Poutine

a rappelé que l’annexion de la Crimée pouvait être justifiée par les humiliations subies du

fait du non-respect de la promesse faite par l’OTAN de ne jamais s’élargir. Depuis la fin de

la guerre froide, « la Russie interprète l’extension de l’OTAN en termes d’agression et

d’opération de refoulement (roll-back). L’opération alliée contre la Serbie en 1999, hors

article 5 et sans mandat des Nations unies, a, d’évidence, laissé des traces, tandis que les

élargissements de l’OTAN en 1999 et 2004 à de nouveaux membres, tous anciens alliés du

Pacte de Varsovie et même ex-républiques soviétiques (pays baltes), prolongent en quelque

sorte le sentiment d’humiliation éprouvé par les élites politique et militaire russes au

moment de la disparition de l’URSS »132. Le débat autour de l’élargissement semble donc

être une source de crispation dans la relation OTAN-Russie.

Pour comprendre ce que Vladimir Poutine appelle une « agression », il faut remonter

quelques années en arrière, après la disparition de l’URSS. Dans une période de fantasmes

et géopolitiquement trouble, il semble que la Russie ait pu obtenir de l’OTAN qu’elle ne

s’élargirait jamais à l’est, et ne se rapprocherait pas des frontières russes. Pour le pays,

l’élargissement de l’OTAN correspond de ce fait à une « promesse non tenue » de

l’Alliance133. L’élargissement de l’OTAN à l’heure actuelle est donc conjugué à la crise

ukrainienne et notamment aux relations qu’entretient l’Alliance avec la Russie. Or, pour

l’Alliance atlantique, aucune promesse ne semble jamais avoir été faite. C’est ce que Michael

Rühle134 appelle le « mythe de la promesse non tenue ». Il explique cela pour plusieurs

raisons. Tout d’abord, au moment de la disparition de l’URSS, il aurait été fait état que

l’OTAN ne profiterait pas du retrait des forces du Pacte de Varsovie de l’Europe centrale et

orientale pour s’étendre à ces territoires. Ensuite, bon nombre de spécialistes de l’après-

guerre froide s’accordent sur le fait que lors des négociations qui se sont tenues sur la

réunification de l’Allemagne, il n’a aucunement été évoqué le sujet de l’élargissement de

l’Alliance. Tout simplement car en 1989, malgré la chute du mur, et selon l’ancien Ministre

des Affaires étrangères soviétique Edouard Chevardnadze, personne n’imaginait la chute de

132 Guénec Michel, « La Russie face à l'extension de l'OTAN en Europe », Hérodote, 2008/2 n° 129, p. 228 133 Trenin Dmitri, Bloch Benjamin. L'élargissement de l'OTAN vu de Moscou. In: Politique étrangère N°2 - 2002 - 67e année p. 377-393. 134 Michael Rühle est le chef de la section de la sécurité énergétique de l’OTAN et ancien rédacteur des discours du secrétaire général de l’OTAN

77

l’URSS et du Pacte de Varsovie. Enfin, et comme nous l’avons vu dans la première partie

de cette étude, la recherche de stabilité, d’une nouvelle dynamique dans leurs politiques de

défense, et la recherche d’une sécurité renouvelée à pousser plusieurs Etats à l’est à se

tourner vers l’OTAN. Par exemple, en Bulgarie, a été créée dès le mois d’avril 1991

l’«Atlantic club of Bulgaria », organisation non gouvernementale dédiée à la défense et la

promotion des valeurs transatlantiques, et ce afin de promouvoir l’intérêt pour le pays de

rejoindre l’Alliance atlantique. Dès lors, refuser l’intégration de ces pays au sein de l’OTAN

aurait été considérer la logique de la guerre froide comme toujours existante.

B) Asseoir la légitimité de l’OTAN et défendre les valeurs démocratiques face aux

menaces non conventionnelles

La politique d’élargissement de l’OTAN peut être à double tranchant. En effet, l’OTAN

peut au gré de sa politique d’intégration de nouveaux membres asseoir sa légitimité et

permettre une plus grande stabilité paneuropéenne, mais le risque est celui d’assister à une

(trop) grande hétérogénéité de l’Alliance entrainant alors un risque de dissolution. Comment

parvenir alors à concilier élargissement et effectivité de la structure de l’Alliance atlantique ?

1- Asseoir une légitimité démocratique

Lors de son discours dans le cadre du 25ème anniversaire de la liberté en Pologne, Barack

Obama a réaffirmé le devoir de chaque Nation à défendre la paix et la démocratie:”We stand

together because we believe that upholding peace and security is the responsibility of every

nation”. Le partage des valeurs démocratiques, et la définition d’une véritable communauté

atlantique, comme l’aborde l’approche constructiviste (définie dans la première partie),

correspond à la logique de l’élargissement. S’élargir c’est étendre l’ensemble de ces valeurs.

Mais l’élargissement c’est aussi permettre une meilleure stabilité de certains Etats qui

connaissent une instabilité permanente. C’est par exemple le cas en Bosnie-Herzégovine où

le système politique tel qu’institué lors des Accords de Dayton ne restera probablement pas

viable à très long terme. Par ailleurs, dans l’Ancienne République Yougoslave de

Macédoine, de récents évènements ont inquiété la région de l’ex-Yougoslavie, en proie à de

multiples tensions. La ville de Kumanovo, proche de la frontière Serbo-Macédonienne, a été

témoin d’une attaque menée par un groupe armé d’une quarantaine de personnes, neutralisés

ensuite par l’armée Macédonienne. De tels évènements ne font que renforcer la perspective

d’adhésion à une Alliance désireuse d’étendre certaines valeurs et d’assurer une sécurité

78

territoriale. De plus, pour Suzanne Nies135, l’intégration de nouveaux membres reflète à

l’heure actuelle une certaine envie d’intégrer l’Alliance car pour les pays de l’est, cela

signifie une plus grande crédibilité sur la scène internationale (attirance d’IDE, réussite

politique pour les gouvernements légitimes aux yeux de leur peuple), mais aussi l’assurance

d’être protégée de la « menace soviétique ».

2- Les enjeux / risques : la nécessaire réorganisation de l’Alliance face à son

élargissement

Certains Etats à l’est recherchent à travers l’OTAN une sécurité basée sur la défense

collective, telle qu’elle pouvait être durant la Guerre froide136. Or, l’Alliance atlantique a

changé, s’est transformé pour s’adapter à de nouvelles menaces, même si l’article 5 du Traité

de Washington soit encore au cœur de la doctrine intellectuelle de l’OTAN. De plus, une

trop grande hétérogénéité de l’Alliance est parfois jugée comme source d’instabilité.

L’ouverture à de nouveaux membres signifie que la prise des décisions devra nécessairement

se faire sur un consensus élargi. En effet, pour Bastien Irondelle et Niels Lachman, « La

nécessité du consensus et le primat de la souveraineté posent le problème des divisions

internes comme en témoignent l’engagement très variable des États membres en Afghanistan

et les désaccords sur l’opération militaire en Libye, autant de dissensions suscitées par des

intérêts nationaux divergents et des cultures stratégiques distinctes »137. En outre, il est tout

simplement plus difficile de mener une action commune avec un nombre d’alliés trop

conséquent. La Russie semble de plus avoir activé ses réseaux pour jouer de cet effritement

interne entre les pays de l’Alliance, elle qui possède tant d’influence historique sur son

« étranger proche » (l’espace post-soviétique). La Russie utilise par ailleurs le levier de

l’énergie pour être en mesure d’être un acteur important.

Par conséquent, « Les dynamiques de changement au sein de l’Alliance provoquent donc

de plus en plus l’émergence d’une « OTAN à la carte », qui l’amène à rechercher les voies

susceptibles d’assurer une plus grande flexibilité de ses modes de fonctionnement, par

135 Nies Susanne, « L'élargissement de l'OTAN : quelles répercussions sur les nouveaux membres et sur la structure de l'Alliance ? », Revue internationale et stratégique, 2005/3 N°59, p. 43-56. DOI : 10.3917/ris.059.00 136 Bastien Irondelle et Niels Lachmann, « L'OTAN est-elle encore l'OTAN ? », Critique internationale 2011/4 (n° 53), p. 67-81. DOI 10.3917/crii.053.0067, 137 Bastien Irondelle et Niels Lachmann, « L'OTAN est-elle encore l'OTAN ? », Critique internationale 2011/4 (n° 53), p. 67-81. DOI 10.3917/crii.053.0067, p. 81

79

l’adoption du principe de géométrie variable et l’hypothèse d’une introduction de la

majorité qualifiée »138.

Outre les enjeux internes qui pourraient être liés à un élargissement de l’Alliance, des

enjeux externes existent aussi, et notamment le devenir de la relation entre l’OTAN et la

Russie. Puissance indéniable dans l’espace post-soviétique, le pays pourrait aussi s’avérer

être un partenaire efficace dans la lutte contre certaines menaces non conventionnelles. Mais

il faut pour cela retrouver une confiance qui s’est fortement effritée du fait de la crise en

Ukraine.

Section 2 - Reconsidérer la relation OTAN-Russie à long terme : les perspectives d’une

relation complémentaire dans la lutte contre les menaces non conventionnelles

A) Les fondations de la relation OTAN-Russie depuis la fin de la guerre froide

A la chute de l’URSS, il avait fallu reconnaitre de facto l’importance stratégique de la

Russie du fait de son influence sur son « étranger proche ». En outre, l’objectif pour la

communauté internationale (dont l’OTAN) était de ne pas faire de la Russie un « ennemi

virtuel ».

1- L’évolution de la coopération OTAN-Russie

Dans le cadre d’un renouveau dans sa coopération avec l’Alliance atlantique, la Russie

adhère au Conseil de coopération nord-atlantique (rebaptisé ultérieurement « Conseil de

partenariat euro-atlantique ») en 1991. Trois ans plus tard, la Russie intègre le Partenariat

pour la paix (PpP) et signe le 27 mai 1997 l’acte fondateur OTAN-Russie qui met en place

le CCP. Rapidement un dialogue nait entre l’Etat russe et l’Alliance atlantique. Dès 1998

une mission diplomatique russe est créée auprès de l’OTAN. Symbole de la réussite de cette

nouvelle relation, le journaliste Daniel Vernet se plut à relever que dans le quartier général

de l’OTAN à Mons, où se préparaient autrefois les ripostes antisoviétiques, désormais le

général Chevtsov aidait à la préparation de l’envoi de 1 500 soldats russes en Bosnie-

Herzégovine dans le cadre de missions de l’OTAN139. Autrefois opposés, l’OTAN et a

Russie coopéraient désormais dans certaines opérations sur le terrain. Outre le cas de la

Bosnie-Herzégovine, des soldats russes seront intégrés à la KFOR, la mission de l’OTAN

au Kosovo (et ce malgré un premier coup d’arrêt dans les relations OTAN-Russie lors de

138 Bastien Irondelle et Niels Lachmann, « L'OTAN est-elle encore l'OTAN ? », Critique internationale 2011/4 (n° 53), p. 67-81. DOI 10.3917/crii.053.0067, p. 81 139 Propos de Daniel Vernet, dans un article paru dans le journal LE Monde, 1996

80

l’intervention de l’OTAN au Kosovo par les 78 jours de bombardements de Belgrade). En

2012, le 15ème anniversaire de l’Acte fondateur OTAN-Russie était est fêté et le 10ème

anniversaire du COR avait lieu.

Toutefois, l’éclatement du conflit en Ukraine a, semble-t-il ravivé certaines tensions

entre les deux puissances. Toutefois, l’évolution des relations depuis la fin de la guerre froide

semblent cacher certaines tensions persistantes, qui ont resurgi du fait du théâtre Ukrainien.

2- Un conflit cristallisant les rapports est-ouest

Pour certains, une « nouvelle guerre froide » serait même à l’œuvre. Du côté russe, la

quête d’un projet eurasiatique qui contrebalancerait l’UE fait partie des projets que nourrit

Vladimir Poutine. Ce dernier a en effet inauguré son Union Douanière le 29 mai 2014 avec

la Biélorussie, et le Kazakhstan, et a en mars 2015 poussé ses partenaires de l’Union

économique eurasiatique à créer une union monétaire. Du côté occidental, la signature d’un

accord d’association a été actée entre l’Union Européenne et la Moldavie en 2014. Sur le

plan militaire, l’OTAN ne veut pas de l’Ukraine pour le moment, position confortée par le

conflit actuel. A Varsovie en juin 2014, Barack Obama a tout de même annoncé un plan d’un

milliard de dollars pour renforcer la sécurité en Europe de l’Est. Les USA ont accru leurs

forces navales, sous mandat de l’OTAN, en mer noire et sur la Baltique.

Cette confrontation est/ouest s’exprime en particulier dans la relation OTAN-Russie.

Ronald Hatto relève un ensemble de facteurs qui ont entrainé la Russie à agir en Ukraine140.

Tout d’abord des divergences internes entre les pays membres de l’Alliance (divergences

entrainant une plus faible cohésion de l’Alliance). Puis l’attitude ambigüe des Etats-Unis

(entre désir de rester dans l’Alliance mais sans s’y investir autant). De plus, un certain

déséquilibre militaire existe aujourd’hui entre l’OTAN et les forces russes. Pendant la guerre

froide, les alliés ont investi dans des techniques de lutte contre les armées conventionnelles

du pacte de Varsovie (URSS). Mais après 1991, par une nécessité moindre de maintenir de

nombreuses troupes en alerte, les Etats vont réduire leur budget en matière de défense. Par

ailleurs, le changement de type de missions, notamment les opérations « hors-zone », vont

entrainer une réforme des armées. Toujours est-il que le budget militaire de la Russie

représente seulement 10% de celui de l’OTAN141.

140 Hatto Ronald, « L’OTAN et la crise ukrainienne », Presses de Sciences Po, 19 novembre 2014 141 BONIFACE Pascal, « L’Ukraine, Poutine et l’OTAN », Institut des relations internationales et stratégiques, 7 juillet 2015

81

Pour Andrew Monaghan142, directeur de recherche, Programme Russie et Eurasie, la

crise que traverse la relation OTAN-Russie peut se définir à travers 3 éléments. En premier

lieu, cette crise ukrainienne reflète des tensions qui existaient déjà entre l’OTAN et la Russie

et se solde par des accords systématiques sur l’évolution des évènements dans cette région.

Cela se traduit alors par des manœuvres de grande ampleur (stratégie de force) de part et

d’autre. En second lieu, la crise ukrainienne cristallise les tensions où chacun s’accuse

mutuellement. Pour l’Europe, la Russie est responsable d’avoir poussé l’Ukraine dans une

situation de déséquilibre insoutenable. Pour la Russie, l’Europe et les Etats-Unis sont

responsables du conflit, car c’est à travers la déstabilisation de l’Ukraine que l’Occident peut

légitimer un discours d’intervention pour s’étendre à l’est et ainsi gagner des territoires.

Nous sommes là dans une stratégie de force. En outre, la crise en Ukraine ne serait qu’un

argument, un prétexte pour permettre à l’OTAN de se redéployer dans les Balkans, et dans

les pays baltes, de mettre en place des infrastructures proches des frontières russes, et de

modifier la nature de l’acte fondateur OTAN-Russie, ainsi que de renforcer la présence de

l’OTAN à proximité de la mer noire. En troisième lieu, ces tensions reflètent le fait que la

Russie et l’OTAN ont une perception divergente de la sécurité européenne. Cela se traduit

par une conception différente de la politique d’élargissement de l’OTAN : pour l’Alliance

et l’UE, la stabilité européenne doit passer par une politique d’intégration, tandis que

Moscou considère que l’accroissement de la zone euro-atlantique entraine une plus grande

hétérogénéité source de déstabilisation. De plus, la Russie considère que le partenariat

OTAN-Russie ne permet pas à Moscou de se faire entendre et d’amener une coopération

efficiente entre les deux acteurs.

En septembre dernier, les Premiers Ministres des pays alliés réunis au Pays de Galles

pour le sommet de Newport, ont demandé que la Russie cesse immédiatement de violer la

frontière ukrainienne, et qu’elle retire ses troupes de la frontière ; que la violence et

l’insécurité cessent et soient causés par la Russie et les séparatistes dans l’est de l’Ukraine.

Comme il vient d’être vu, les rapports entre l’OTAN et la Russie semblent être au point

mort. Pourtant, il semble impossible d’envisager à long terme un pourrissement de la

situation en Ukraine. En effet, dans une tribune publiée en juin 2015, Pascal Boniface –

directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques – affirmait que la situation

ukrainienne ne pourrait pas rester telle qu’elle est actuellement, car bien trop coûteuse pour

142 Andrew Monaghan, « La Crise ukrainienne et les relations OTAN-Russie », Revue des experts de l’OTAN, « L’OTAN et l’Ukraine : entre mythes et réalité », 2014

82

les alliés européens et pour la Russie, qui déploient un nombre important de forces de part

et d’autre de l’Ukraine. Alors, dans quelle mesure un renouveau de la relation OTAN-Russie

semble aujourd’hui nécessaire ?

B) Repenser le partenariat entre l’OTAN et la Russie : les possibles voies d’une

coopération contre les défis sécuritaires de notre temps

Pour Andrew Monaghan143, il est désormais crucial de repenser les relations de

l’Occident avec Moscou car comme le rapporte Julianne Smith, « Trop de défis urgents (…)

exigent leur coopération ».144

1- Le danger des « fausses perceptions » et le besoin d’une expertise commune OTAN-

Russie au sujet des nouvelles menaces

Il convient en premier lieu de rétablir une certaine réalité. Ronald Hatto juge en effet que

la diabolisation réciproque de « l’adversaire » qui se joue entre la Russie et l’Occident n’est

pas de nature à apaiser les tensions. Cette diabolisation peut avoir un objectif stratégique

(dans une logique politique de propagande de l’un ou de l’autre camp) mais peut aussi être

le fruit de ce que l’on appelle les « fausses perceptions ».

Cette théorie est une approche psychologique en relations internationales, développée

par R. Jervis, et qui consiste à dire que le comportement d’un acteur sur la scène

internationale peut avoir différentes interprétations de la part d’un Etat tiers (cela du fait de

cultures, de valeurs et d’une histoire différentes). Alors que pour certains observateurs

occidentaux, Vladimir Poutine agit en Ukraine à travers un calcul machiavélique, d’autres

analyses s’accordent sur les dangers des « fausses perceptions » que l’occident peut se faire

du leader russe et des possibilités qu’il entend prendre au fur et à mesure de l’évolution de

la situation. Il ne s’agit en aucun cas de crédibiliser la politique menée par Vladimir Poutine,

mais plutôt d’être conscient que des actes n’ont pas forcément le sens que nous pouvons leur

donner. Cela doit donc contribuer à une entreprise de dédiabolisation réciproque entre

l’occident et la Russie.

A ce titre, Julianne Smith jugeait ainsi qu’une « bonne ouverture » des relations doit

passer par une expertise des menaces communes aux deux puissances pour parvenir à la

143 Andrew Monaghan, « La Crise ukrainienne et les relations OTAN-Russie », Revue des experts de l’OTAN, « L’OTAN et l’Ukraine : entre mythes et réalité », 2014 144 Smith Julianne, « La relation OTAN/Russie : moment de vérité ou déjà vu ? », Politique étrangère, 2008/4 Hiver, p. 771

83

définition d’une « référence stratégique ». Du terrorisme à la menace nucléaire non-

conventionnelle, du réchauffement climatique à la sécurité énergétique, ou encore des crises

dans les zones où l’influence russe est considérable, nombreux sont les points de départs qui

mériteraient une expertise approfondie afin d’identifier des menaces communes. De plus,

ces menaces ne relèveraient plus forcément d’enjeux sécuritaires, mais aussi non militaires,

tels que des enjeux climatiques, humanitaires qui nécessiteraient une coopération des

différentes puissances.

Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre français de la défense, résumait ainsi en juin

2015 que cette « russophobie médiatique » devait prendre fin, et que l’objectif à venir dans

la relation entre les Etats-Unis, l’Union Européenne et la Russie était de « redéfinir des règles

du jeu mutuellement acceptables et propres à restaurer une confiance raisonnable ».

2- Le Conseil OTAN-Russie : un espace diplomatique à redéfinir et à exploiter

A ce titre, l’existence du Conseil OTAN-Russie, véritable espace diplomatique peut

offrir un espace de dialogue entre les différentes puissances, à travers la définition d’enjeux

communs. Si l’on s’en tient par exemple à la gestion des crises dans les Balkans, une

coopération entre plusieurs puissances, y compris l’OTAN, les Etats-Unis et la Russie peut

être envisagée. Les rapports qu’entretiennent les pays de la région en ex-Yougoslavie restent

relativement compliqués. Dans une région marquée par la guerre, présente il y a tout juste

vingt ans, la Serbie, bien qu’introduite dans de nombreuses organisations régionales, et

déterminée à se tourner vers l’avenir, connait son lot d’enjeux et de tensions politiques. La

question du Kosovo est d’actualité. La Serbie considère cette région comme le « berceau de

sa civilisation ». De ce fait, l’indépendance du Kosovo proclamée en 2008 et non reconnue

par la Serbie a entrainé des relations difficiles entre Belgrade et Pristina. Le gouvernement

du Premier ministre kosovar Isa Mustafa entretient des relations relativement tendues avec

le gouvernement serbe d’Aleksandar Vučić, et ce même si des négociations sont en cours à

Bruxelles. Ces tensions se traduisant par des déclarations sources de tensions entre les

différents gouvernements de la région (Serbie, Kosovo, Bosnie-Herzégovine, Albanie,

Macédoine…). De plus, l’organisation de l’Etat Islamique, véritable menace terroriste, est

entrée dans une phase de recrutement sur le territoire des Balkans à travers des messages de

propagande à destination des populations des pays de la région.

Là encore, la menace sur une zone où l’influence russe est certaine, et dans laquelle

l’OTAN projette de s’élargir peut s’avérer être un défi commun à relever.

84

La crise en Ukraine a donc révélé un certain nombre d’instabilités sur la zone des

Balkans, ainsi que la menace d’une « guerre hybride » contre laquelle l’OTAN semble devoir

faire face. Par ailleurs, cette crise engendre de fortes tensions dans la relation OTAN-Russie,

du fait des agissements russes en Ukraine mais aussi par la politique d’élargissement de

l’Alliance, jugée comme une trahison par Moscou. Pourtant, les menaces non

conventionnelles contre lesquelles l’OTAN fait face nécessitent probablement qu’elle

intègre à l’avenir la Russie comme un partenaire dans cette lutte, et non pas comme une

menace potentielle pour les alliés. Cela doit passer par la définition d’enjeux stratégiques

communs et d’une référence commune à des menaces qui touchent les différents Etats (alliés

et la Russie). A ce titre, le Conseil OTAN-Russie pourrait faire l’objet d’une redéfinition de

cet espace de dialogue entre l’Alliance et Moscou.

85

Conclusion

Définie dès sa création en 1949 comme Alliance basée sur la défense collective

(article V du traité de Washington), l’OTAN a joué un rôle plein face à la menace nucléaire

et au pacte de Varsovie tout au long de la guerre froide. Autrefois alliance défensive,

l’OTAN va par ailleurs se transformer à la fin de la guerre froide et après la chute de ce qui

constituait sa raison d’être : l’URSS (et la dissolution du pacte de Varsovie). A travers la

multiplication de missions nouvelles – telles que la gestion de crises et les opérations « hors-

zone » - ainsi qu’une véritable politique de coopération et de partenariats à travers la logique

de la « porte ouverte », l’Alliance Atlantique s’est forgée dans les années 90 un réseau de

partenaires locaux, régionaux et mondiaux lui permettant de faire face à des menaces d’un

nouveau genre.

Cette menace s’est révélée dans les années 2000 et les attentats du 11 septembre 2001

contre les Etats-Unis ont entrainé l’Alliance, en parallèle de l’utilisation de l’article V du

Traité de Washington (et ce pour la première fois) à repenser la menace et à réfléchir sur les

nouveaux enjeux sécuritaires pour les alliés. Une première étape avait été franchie lors de

l’adoption du concept stratégique de l’OTAN en 1999 lors du sommet de Washington qui

définissait le terrorisme comme l’une des nouvelles menaces prioritaires de l’alliance. Mais

ce travail intellectuel sera consacré avec l’adoption du dernier concept stratégique défini lors

du Sommet de Lisbonne en 2010.

Les nouvelles menaces non conventionnelles, que constituent la menace terroriste, la

menace de cyberattaques ou encore la menace de l’utilisation d’un missile balistique ont

ainsi été reconnu comme les menaces prioritaires pour l’Alliance. A travers la réaffirmation

d’une logique de défense collective mêlée d’une logique de sécurité collective pour faire

face à des menaces non étatiques et donc plus incertaines, l’Alliance est parvenue à trouver

un consensus intellectuel et à rendre visible un ensemble de défis contre lesquels lutter.

Toutefois, la crise qui a éclaté en Ukraine, l’émergence de l’organisation de l’Etat

Islamique, et les divergences internes à l’Alliance poussent l’OTAN à devoir se mobiliser et

à faire face à la crise identitaire qu’elle traverse et ce depuis la fin de la guerre froide.

L’avenir de l’OTAN n’est pas seulement lié à la définition de menaces communes, mais

aussi à une politique de partenariats efficaces et l’investissement des alliés en matière de

86

défense est un enjeu important afin de maintenir une capacité d’action efficace pour

l’Alliance Atlantique.

Ainsi, suite à la réflexion menée au cours de ce mémoire, les conclusions suivantes

peuvent être tirées :

L’OTAN est une organisation extrêmement flexible qui, grâce à une structure

organisationnelle et structurelle muable, parvient à traverser les crises – sécuritaires,

politiques - qui se posent à elles. Ainsi, la fin de la guerre froide n’a pas été la fin de l’OTAN

et son adaptation lui a permis de se développer dans un contexte international en pleine

mutation.

La définition de menaces communes, dites non conventionnelles doit pouvoir permettre

à l’Alliance de redéfinir son identité alors que l’OTAN travers une véritable crise identitaire

depuis la fin de la guerre froide, et le passage de menaces militaires à des menaces non-

conventionnelles.

La relation OTAN-Russie, fortement dégradée par la crise qui persiste en Ukraine,

semble devoir connaitre une refonte complète à travers la définition d’une référence

stratégique commune aux différentes puissances. A l’avenir, l’OTAN devra aussi être

capable d’établir avec ses différents partenaires, et notamment l’Union Européenne, une

véritable politique de partenariats afin de lutter efficacement contre des menaces communes.

Le concept stratégique de Lisbonne établi en 2010 continuera d’être à l’avenir un

véritable référentiel intellectuel et stratégique en vue d’adapter concrètement des mesures

permettant à l’Alliance de lutter efficacement contre ces menaces non conventionnelles.

« Un avenir, cela se façonne, un avenir cela se veut. »

Raymond Barre

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BIBLIOGRAPHIE

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Liste des annexes

Annexe 1 – Extraits de recherches réalisées pour le compte de l’Ambassade de France à

Belgrade dans le cadre de travaux sur les enjeux mémoriels en Serbie suite au 20ème

anniversaire de la fin de la Guerre en Yougoslavie : La cas des commémorations des

bombardements de l’OTAN en 1999

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Annexe 1 – Extraits de recherches réalisées pour le compte de

l’Ambassade de France à Belgrade dans le cadre de travaux sur les

enjeux mémoriels en Serbie suite au 20ème anniversaire de la fin de

la Guerre en Yougoslavie : La cas des commémorations des

bombardements de l’OTAN en 1999

L’année 2015 est une année symbolique puisqu’elle marque le 20e anniversaire de la fin de

la guerre en ex-Yougoslavie (1991-1995). Cette dernière tient de nos jours une place importante

dans la définition de la mémoire des Balkans, et la manière dont en sont commémorées les

différentes phases dans les différents pays de la zone constitue toujours un risque de rechute allant

à l’encontre des efforts de réconciliation. A travers ces dates, c’est la mémoire de plus de 130 000

victimes145 et de plus de 4 millions de déplacés que l’on commémore (voir les parties 1 et 2 de cette

série d’études).

La note globale a pour objet de dresser un panorama de la vision serbe des questions

mémorielles qui concernent la Serbie, dans le cadre du 20e anniversaire des guerres de l’ex-

Yougoslavie qui a lieu cette année. Ci-dessous, en voici quelques recherches concernant les

commémorations liées aux bombardements de l’OTAN en 1999.

La période des bombardements de l’OTAN entre le 24 mars 1999 et le 9 Juin.

Selon le Centre de droit humanitaire : On dénombre sur cette période 758 victimes des

bombardements -> 488 au Kosovo (249 Kosovars/Albanais, 202 Serbes, 37 Roms et autres…), 260

en Serbie, et 10 au Monténégro. Parmi ces 758 victimes, 453 sont des civils (220 Kosovars/Albanais,

205 Serbes et 28 roms et autres), pour 305 militaires (276 des forces yougoslaves contre 29

membres de la KLA).

Selon un rapport de février 2000 de l’ONG Human Right Watch : Il est fait état de 489 à 528

victimes civiles de bombardements. Mais HRW ajoute que des écarts existent entre les différentes

sources :

- Selon les sources gouvernementales yougoslaves, désormais reprises par les autorités

serbes, les bombardements auraient coûté la vie à plus de 2000 civils, près de 462 soldats

ainsi que 122 policiers. Ces chiffres divergent considérablement par rapport aux

estimations des ONG déjà citées, qui établissent un nombre de victimes entre 500 et 750

personnes.

- Les chiffres de l’OTAN – d’après des informations rendues publiques en octobre 1999 –

font état de 20 incidents ayant causé des dommages collatéraux sur un total de 23 000

bombes larguées pendant les 78 jours de bombardement. L’OTAN et le gouvernement

américain, sans donner de chiffre quant aux nombres de victimes, ont annoncé que les

données avancées par le gouvernement yougoslave ont été surestimées.

145 http://www.hlc-rdc.org/?cat=266&paged=2&lang=de

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Les commémorations liées aux bombardements de l’OTAN (24 mars – 9 juin 1999) dans le cadre

de la guerre au Kosovo

Le 24 mars 2015 a marqué le 16e « anniversaire » du début des bombardements de l’OTAN

dans le cadre de la guerre au Kosovo en 1999. S’il reste difficile de définir le nombre de victimes

liées à ces 78 jours de bombardements, les autorités serbes commémorent chaque année cet

évènement.

Cette année, à 19h58 précise (début des bombardements de l’OTAN en 1999), s’est tenue

une cérémonie commémorative devant le bâtiment de l’Etat-major qui a été bombardé en 1999.

C’est à cette heure-ci, que plongée dans le noir, la cérémonie a débuté par un retentissement des

sirènes qui annonçaient l’arrivée des bombardements en 1999.

Le Premier ministre Vučić a participé à cette commémoration, ainsi que des représentants

du Président de la République, du Parlement, du Chef d’Etat-major général et de représentants du

gouvernement, et d’associations. Le corps diplomatique a été invité mais aucun ambassadeur de

l’UE ou de l’OTAN n’a participé. Dans un discours prononcé pour cette occasion, il a rappelé que ce

jour était marqué « par une trace des plus profondes, des plus tristes et des plus malheureuses (…).

Nous n’oublierons pas ». Mais il a tenu à préciser que « nous ne voulons pas de conflits, ni avec

l’OTAN, ni avec tous les autres ». Il a demandé pardon, au nom de la Serbie : « Pardonnez [familles

des victimes] à votre pays, vous qui lui avez tout donné. Pardonnez-lui les guerres, et les échecs, les

révolutions et les révoltes, les libérations et les occupations. Pardonnez-lui les Etats erronés qu’il

créait et les mauvaises alliances qu’il formait ». Il a ensuite rappelé que « Nous ne sommes pas en

hostilité avec ceux qui nous tuaient. Nous ne le sommes pas car c’est la seule voie possible pour la

Serbie…Nous voulons l’Europe, avec fierté et la tête levée…La Serbie en Europe – ce sera notre

victoire ». Toutefois, ces déclarations restent ambiguës, notamment du fait que les erreurs

évoquées par le Premier ministre ont été surtout celles commises par la Serbie envers le peuple

serbe. Le Président de la République de Serbie s’est quant à lui rendu à Aleksinac, dans le sud de la

Serbie, pour déposer une couronne au pied du monument à la mémoire des victimes de

« l’agression de l’OTAN »146. La ville a été touchée par les bombardements qui auraient fait 11 morts

selon l’agence Tanjug, 24 victimes selon le quotidien BLIC. Le Président Tomislav Nikolić a déclaré,

« nous devons toujours pardonner, mais ne jamais oublier (…) 16 ans ont passé depuis que les

premières bombes de l’OTAN sont tombées sur nos villes, nos écoles, nos hôpitaux (…). Quand ils ont

senti que ce n’était pas assez, ils ont aussi visé nos maisons et dans nos foyers, nos plus beaux trésors

– nos enfants (…). Les nouvelles générations, marquées par les préjudices contre la Serbie, devront

pouvoir agir dans le but d’aider les familles des victimes à trouver la paix (…). Ils ne nous ont pas

demandé pardon(…) ».

Plus tôt dans la journée du 24 mars, des partisans du SRS (Parti radical serbe) ont protesté

devant l’ancien bâtiment de l’Etat-major serbe et ont brûlé des drapeaux de l’OTAN, de l’Union

Européenne, du Kosovo et des Etats-Unis. L’ultranationaliste Vojislav Seselj, brandissant un drapeau

de l’OTAN en flammes, s’est ainsi exprimé, « nous n'oublierons jamais l'agression contre notre pays

et voilà ce que nous pensons de l'Occident ».

146 http://www.b92.net/eng/news/politics.php?yyyy=2015&mm=03&dd=24&nav_id=93579

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Extraits de discussions ayant eu lieu dans le cadre de mes recherches avec des populations

belgradoises (retranscrits non officiels)

J’ai par ailleurs eu l’occasion d’évoquer le délicat sujet des bombardements avec plusieurs

personnes qui vivaient à Belgrade au moment des frappes de l’OTAN. Toutes se souviennent du

jour du début des bombardements. D’abord la peur, l’angoisse de voir Belgrade détruite, à

nouveau. Puis les sirènes alertant l’arrivée des premiers avions de l’OTAN. Dès lors, des milliers de

personnes se réfugiant dans des bunkers préparés sous les immeubles d’habitations. Puis les

premières bombes tombent. Mais rapidement, la population semble comprendre qu’elle n’est pas

la cible des bombardements. L’Alliance atlantique veut faire plier le dirigeant serbe Slobodan

Milosevic, au prix de frappes stratégiques et basées sur la logique du « zéro mort ». Quelques jours

après le début des frappes, la vie reprend son cours, les populations belgradoises sortent,

observent, se rendent dans le parc Kalemegdan par milliers, en face de l’ambassade française, pour

observer le défilé des avions qui survolent Belgrade. L’une des personnes interrogées ajoute que «

nous n’étions plus responsables de quoi que ce soit. Il n’y avait pas toujours de l’électricité. Nous

ne pouvions même plus travailler. Nous étions comme des enfants, irresponsables et parfois même

inconscients. Nous sortions beaucoup plus qu’à l’ordinaire, les kafanas (bars typiques) étaient

bondées, les parcs et les jardins remplis. Peut-être que ce comportement nous permettait de

supporter la peur qui nous animait tous. Tout bien réfléchi, était-ce finalement un comportement

irrationnel ?… »

Les monuments de commémoration des victimes serbes des guerres de Yougoslavie

A l’heure actuelle, il existe en Serbie un certain nombre de monuments de

commémorations des victimes serbes des guerres en ex-Yougoslavie. Si le nombre exact de

monuments reste difficile à établir, plusieurs d’entre eux peuvent être mentionnés. Dans la capitale

serbe, il existe plusieurs lieux dédiés à la mémoire des victimes des bombardements de l’OTAN. Un

monument a été érigé à la mémoire des 16 victimes147 des bombardements de la télévision serbe

le 23 avril 1999. Ce monument se trouve près de la station de télévision qui fut bombardée. Un

autre monument se situe dans le parc Tašmajdan. Il s’agit d’un monument de taille moyenne

rendant hommage aux personnes disparues dans le cadre des guerres de l’ex-Yougoslavie. L’ancien

Etat-major serbe, bombardé lui aussi en 1999, est resté en ruines depuis 1999, et fut cette année

le lieu de commémoration du 16e anniversaire du début des bombardements de l’OTAN. A Niš, une

chapelle mémorielle a été érigée par la municipalité de la ville, au nom des victimes des

bombardements de l’OTAN. Un monument en mémoire des victimes des bombardements de

l’OTAN existe aussi à Aleksinac, ville située dans le district de Nišava, (bombardée par les forces de

l’OTAN en 1999). Selon les statistiques locales, environ 760 maisons et plus de 800 appartements

auraient été détruits, tout comme plus de 300 bâtiments148. Par ailleurs, l’assemblée municipale de

la ville de Belgrade a décidé le 25 février 2015 d’édifier un nouveau monument149, à la mémoire de

l’ensemble des victimes serbes du conflit yougoslave qui devrait être inauguré à la date anniversaire

de l’opération « Oluja » d’août 1995.

147 http://www.balkaninsight.com/en/article/comparison-of-charlie-hebdo-and-nato-rts-bombing-condemned 148 http://www.globalresearch.ca/nato-war-crimes-in-yugoslavia-aleksinac-the-whole-town-cried/5441474 149 http://voiceofserbia.org/fr/content/pupin-et-les-victimes-serbes-des-ann%C3%A9es-90-obtiendront-des-monuments-%C3%A0-belgrade