Logements évolutifs et Mobile’ Homme

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Auteur: Clothilde Wyst Mémoire de fin d’études en architecture défendu en 2010 à la Faculté d’architecture (LOCI), site de Tournai, UCL

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    Logements volutifs Et

    Mobile hom[M]e

    Comment la conception architecturale peut amener

    lappropriation de lespace par ses habitants ?

    tude architecturale et sociologique

    de la ZAC Bottire-Chnaie Nantes

    Mmoire de fin d'tude / Clothilde WYTS / anne acadmique 2009-2010 Promoteur Joseph DRESE / Lecteurs Sophie DELHAY et Quentin WILBAUX ISA Saint Luc Tournai - Chausse de Tournai, 50 - 7500 Tournai Tl: 0032(0)69/25.03.22 - e mail: [email protected]

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    Je tiens remercier les personnes qui ont bien

    voulu me lire, me conseil ler et m'aider,

    notamment mon promoteur Joseph Drese, et

    mes lecteurs Sophie Delhay et Quentin Wilbaux.

    Je remercie galement ma famille pour son

    soutien tout au long de cette priode de

    rflex ion et de dcouvertes.

    Et enfin toutes les personnes qui m'ont

    encourage et aide, d'une manire ou d'une

    autre; en particulier les habitants de l'ilot 2, pour

    m'avoir sympathiquement ouvert les portes de

    leurs foyers et de leurs penses.

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    SOMMAIRE >>>

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    Introduction p. 10 1re partie : Constats et concepts de lHabit : vers un habitat volutif... p. 15 1. LHabit et l appropriation de lespace : p. 17 Le concept d'habitus. p. 21 Influence du contexte sur lhabit. p. 23 La symbolique de la maison. p. 25 Rflex ions philosophiques : Btir, Habiter, Penser p. 28 2. La mobilit dans larchitecture, sur les traces de Yona Friedman... p. 32 Prmices Situation historique : reconstructions de masse, aprs-guerre. p. 33 Rflex ions (utopiques ?) sur larchitecture volutive et mobile, p. 37 les annes 50 et 60 3. Une population en volution constante : linstabili t programmatique. p. 42 De la maison, au logement intermdiaire, voir collectif. 4. Quel rle pour larchitecte ? Comment concevoir larchitecture pour rpondre p. 48 cette nouvelle demande, sans cesse en mouvement ?

    Yona Friedman : donner plus de l ibert l'habitant. Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal : plus d'espace, c'est plus de libert.

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    2e partie :

    tude architecturale et sociologique de la ZAC Bottire-Chnaie, Nantes. p. 60 1. Nantes : une dmarche de restructuration. p. 62 2. Projet urbain La ZAC Bottire-Chnaie. p. 64 2.1. Objectifs programmatiques : la mix it. p. 66 2.2. Implantation. p. 67 2.3. L'avancement des travaux. p. 68 3. Ilot 2, ralis par l'agence Boskop. p. 71 3.1. Implantation. p. 72 3.2. La rponse de Boskop face aux comportements contemporains p. 74 mobiles et flex ibles. 3.3. Concepts : "souplesse mathmatique". p. 76 3.4. Architecture. p. 82 4. Ilot 2 : les premiers logements habits du quartier et appropriation ( ?). p. 88 Entretiens avec les nouveaux habitants.

    4.1. La mix it architecturale et soc iale. Les relations entre voisins. p. 90

    4.2. Appropriation des espaces extrieurs. p. 94 L'environnement : le quartier, le parc.

    Les espaces de "circulation" (?) : les venelles.

    4.3. Appropriation des espaces de transition public / priv. p. 98

    Les accs aux logements.

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    4.4. Appropriation des espaces extrieurs privs. p. 99 Les jardins, patios ou terrasses. Les terrasses partages. 4.5. Appropriation des logements. p. 104 La pice en face.

    Concepts thoriques et changements (?) de paradigmes - Comparaisons p. 124

    Conclusion p. 129

    Annexes : CD audio des entretiens avec quelques habitants de la ZAC Bottire Chnaie (lot 2). Travail de sociologie sur la Cit Fruges Pessac, de Le Corbusier. p. 132 Texte de Jacques Hondelatte, Epinard bleu. p. 149 Bibliographie p. 152 Table des il lustrations p. 156

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    INTRODUCTION >>>

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    Le mmoire est un moyen de synthtiser des ides et des connaissances, de faire le point sur nos capacits de rflex ion en tant que futur(e) architecte. Il permet de dvelopper un sujet d'architecture et de socit nous tenant cur, peut tre mme d'amener construire une vision, notre v ision de l'architecture... Il se situe dans un processus d'apprentissage et de questionnement, dmarrant notre immersion dans ce monde, et voluant au fil dans annes, nous accompagnant dans notre dmarche. Dans ce mmoire, je m'intresse au rle de l'architecte dans le monde d'aujourd'hui, travers la question du logement, qui prend une part de plus en plus importante dans nos v ies. Un logement qui se veut volutif, et donc durable, afin de correspondre au mieux ses habitants. Le rchauffement climatique, l'accroissement urbain, etc. , poussent notre socit rflchir sur un nouveau mode de v ie, bas sur le principe du dveloppement durable. Cela va rvolutionner nos habitudes de penser, de concevoir, de construire, et d'habiter, ou tout simplement, de v ivre. Le mtier d'architecte se trouve dans une position critique. Aujourd'hui, la manire de pens er et de parler de certains architectes est dconnecte des modes de v ie et des besoins des habitants. Nous devons saisir cette opportunit de rintgrer les vraies questions. Nous possdons les capacits de faire voluer (positivement) notre relation envers la plante et la socit. Grce notre formation et notre rflex ion, nous sommes en position d'orienter le dveloppement durable, du point de vue de la construction, mais aussi dans un rle politique et social. Nous avons les cls que d'autres ne possdent pas encore. Il ne faut pas voir ce concept de dveloppement durable comme une nouvelle contrainte, assommant encore un peu plus notre mtier (je parle par exemple des rgles urbanistiques, des obligations nergtiques, etc.), mais au contraire comme une volution possible du mtier d'architecte. Nous devons donc nous poser les bonnes questions, savoir, quel est notre rle dans cette socit ? et que pouvons nous faire pour l'amliorer ?

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    En tant que future architecte, la question du logement et du bien-tre de ses occupants est au cur de mes proccupations. Je pense que larchitecture ne doit pas tre fige, mais au contraire qu'elle doit v ivre, tre en volution constante, afin de rpondre aux besoins et envies de ses habitants ; et ainsi perdurer dans le temps. Comment peut-on concevoir larchitecture pour quelle rponde au maximum aux attentes des personnes qui lhabitent ? Pour quelle soit adaptable, flex ible, bref volutive ? Il faut rflchir la question dune nouvelle architecture vernaculaire, o lhabitant composerait lui-mme son habitat. 1 Ce questionnement sur lHabit a germ au fil de mes annes dtudes ; en particulier lors du cours de sociologie de 3e anne, o jai travaill sur les logements de la Cit Fruges Pessac, de Le Corbusier (dossier en annexe); mais aussi lors du cours durbanisme, danthropologie, de phnomnologie ou encore de thorie de larchitecture, etc. Cest un thme que je voulais dvelopper lors de mes dernires annes Saint-Luc, par le biais du mmoire ; et que je poursuivrai dans mon mtier futur. Je dveloppe ce sujet selon deux axes principaux. Tout dabord, de manire thorique : en approfondissant la s ignification du mot Habiter (appropriation de lespace, sociologie de l habi tat) ; puis en analysant les thories de la mobilit dans larchitecture, en relation avec les besoins actuels de notre socit. Quel est le rle de l'architecte dans cette dmarche volutive et durable, et comment notre conception architecturale pourrait y rpondre ? Ensuite, travers un exemple concret, la ZAC Bottire-Chnaie, Nantes : projet exprimental et innovant, rcemment construit et habit (avril-juillet 2008). Ces nouveaux logements sont des quartiers durables (ou co quartiers), qui mettent en avant simultanment la gestion des ressources et de lespace, la qualit de v ie et la participation des habitants . 2 Sophie Delhay, une des architectes du projet, a travaill sur les lots 2 et 3. Elle a accept de suivre cette tude (qui constitue une pr analyse de ce nouveau quartier), que j'ai ralise par le biais dun carnet de terrain, enrichie par les entretiens avec les nouveaux habitants.

    1 Citation de KOLL L. 2 Dfinition propose par CHARLOT-VALDIEU C. et OUTREQUIN P., HQE2R, 2004

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    1re partie : Constats et concepts de lHabit : vers un habitat volutif... Larchitecture est depuis toujours, conue et construite pour perdurer dans le temps. Elle est par dfinition massive, bien ancre dans le sol, et slve pierre par pierre, jusqu ce que chaque partie forme un tout quilibr et dfini. Or, aujourdhui, la demande se veut volutive, instable. Au bout de quelques annes, le programme dun espace fini ne correspond plus aux attentes de ses occupants. Un btiment est de plus en plus vite prim, en parallle avec notre systme dhyperconsommation : on achte un produit, on le consomme, puis on le jette, pour en acheter un nouveau, qui rpondrait mieux nos besoins. Mais recycler larchitecture est une autre affaire que pour une voiture : on ne peut pas compresser un btiment dans un cube de 50 cm de ct ! Il faut donc, ds la conception, trouver des solutions pour que le btiment puisse voluer avec son temps; et rendre possible l'appropriation des lieux, accompagnant les diffrentes tapes de la vie.

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    1. LHabit et lappropriation de lespace

    "Prendre possession de l'espace est le geste premier

    des v ivants, des hommes et des btes, des plantes et

    des nuages, manifestation fondamentale d'quilibre et

    de dure. La preuve premire d'ex istence, c'est

    d'occuper l'espace."

    Le Corbusier, L'espace indicible.

    L'homme v it en habitant. Les socits perdurent en prservant sans relche leur espace. Ainsi, elles tablissent une identit, leur identit, et trouvent une continuit dans leur ex istence. Dans la permanence des lieux familiers se dveloppe la transmission du savoir, l'apprentissage, l'panouissement personnel et celui du groupe,... Les lieux ont pour fonction la surv ie, la cohsion, le bien-tre des socits, permettant leur ex istence. L'acte de "construire" est le fait de toute socit constamment occupe se " faire", dans la globalit de son tre. L'architecture doit donc s'appliquer l'tre global d'une socit, c'est dire l'espace humain construit et (d)construire. L'architecture n'est pas seulement rduite l'art du btisseur. Construire, c'est aussi habiter. Nous sommes situs ici et maintenant : les v illes et les habitations, cres par les socits et associes aux normes d'une certaine temporalit, en sont le reflet. Mais ces lieux sont aussi vulnrables, tout comme leurs occupants. Ils ont une dure variable, une valeur objective, dpendant de l'assaut brutal des lments et des hommes, ou tout simplement de la corrosion des sicles. Ainsi, l'architecture est en mouvement, en perptuelle reconstruction. Nos pays, nos v illes, nos v illages, nos habitations, nos jardins, nos rues, etc. sont des refuges parcourus, apprivoiss, adopts et reconnus. Le seuil de notre chez soi est la limite entre ce qui est fini et infini, unissant et sparant la fois. Habiter, c'est occuper un fragment de l'tendue rendu, lui, protecteur et rassurant. L'homme s'enracine rellement dans l'acte d'habiter. Il nous arrive souvent de dire "j'ai le mal du pays", lorsqu'on est loin de chez soi. Se sentir chez soi, c'est--dire tre (ou devenir) soi. Avoir un lieu signifie tre s itu en sa totalit (comme le dirait Merleau-Ponty). Ce monde qui nous entoure, que l'on ctoie tous les jours, que l'on parcourt, nous s itue dans l'immensit, nous renvoyant notre "chez nous" rassurant. Notre pays, notre rgion, notre v ille, notre quartier, notre maison, notre foyer,... tous ces termes sont synonymes d'une appropriation de l'espace, allant d'un sentiment d'appartenance, un l ieu connu, jusqu'au lieu le plus intime qui est notre chambre. Dans un logement, le seul espace vraiment public est le seuil ; tout l'intrieur est dcoup en zones d'intimit variables (selon les pratiques, la qualit des trangers au logement, etc.). Dans ces lieux se passent nos rituels domestiques et familiers, comme se nourrir, se laver, se vtir, travailler, s'aimer, se har, apprendre, s'panouir, etc.

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    " Aimer la ville parce quelle est un rservoir inpuisable dpanouissement de situations prives. Aimer la ville parce quelle offre une multitude de choix. Aimer la ville parce quelle suppose un ailleurs, un arrire-pays. Et pourtant, pour gagner ce plaisir de vivre "les uns sur les autres", le logement en ville doit tre imagin comme un "jardin secret", le lieu irrductible de lintimit. Avec les nouvelles pratiques urbaines, en effet, les limites du priv et du public deviennent instables. Le logement en tant que tel nest plus la limite franche. Seule l intimit - le priv ultime - ne peut sextraire de la maison, intimit partage (le foyer, le mnage), intimit solitaire (la bulle qui nest pas obligatoirement un espace referm et clos : lintimit peut tre stimule par la proximit directe de la multitude.) Un jardin secret gagner pour le plus grand nombre. " 3

    3 Franois Delhay, de l'agence Boskop http://maquette.cyberarchi.com/actus&dossiers/logement-collectif/index.php?dossier=68&article=12489

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    Habiter pourrait se rduire occuper ces lieux au mieux de leur convenance, les entretenant de temps autre, jusqu' ce qu'i ls soient inutil isables. Habiter en btissant indfiniment sur place. Occuper une place, s'y maintenir, la continuer, la perfectionner, faire fructifier un bien, etc., tout cela dans le but que ce lieu soit reconnu aux yeux d'autrui, ou simplement nous renvoie notre propre image. Car l'homme s'identifie son habitat. Les adjectifs qualifiant nos lieux nous qualifient galement. En construisant notre espace, nous nous construisons nous -mmes. Chacun y affermit sa propre cohrence (son identit et sa continuit) et la cohsion du corps social (entreprise d'auto gnration). Le corps, lieu de l'me, est l'unique domaine de chacun, mdiateur entre l'intimit du moi et l'extriorit du monde (d'aprs Ricur). Par le biais de cinq sens, notre corps permet la relation et la communication entre notre tre et le monde extrieur. Pour Bachelard, l'tre commence avec le bien-tre, ultime projet de cette perptuelle reconstruction, qui demeurera toujours inacheve, mais qui tend nous rendre heureux. Selon Bachelard, l'espace habit est un retour la maison de l'enfance, des souvenirs et des peurs de la cave et du grenier, travers lesquels l'enfant fait son apprentissage de l'espace. Il recherche les valeurs d'intimit et s'interroge sur les espaces qui les construisent symboliquement pour les habitants. Selon Lefebvre, l'habiter de la maison est fond sur l'intimit domestique, les objets familiers, les relations de voisinage; il est diffrent de l'habiter de la v ille dfini par la notion d'appropriation. Il analyse l'habiter comme niveau de la ralit urbaine, l'inscrit dans un devenir en formulation et forger tous ensemble : afin de construire une socit. "L'appropriation est le but, le sens, la finalit de la v ie sociale. Sans l'appropriation, la domination technique sur la nature tend vers l'absurdit en s'accroissant. Sans l'appropriation, il peut y avoir croissance conomique et technique, mais le dveloppement social proprement dit reste nul."4 Michel Conan dfinit l'habiter comme tant "une conduite par laquelle des hommes donnent un sens l'espace o ils v ivent, sens qui la fois les protge, renforce la permanence de leur identit et leur permet de faire face aux changements en adaptant leur personnalit sans en rompre l'unit." 5 Quest-ce que lhabitat ? Quel est ce lien qui nous lie notre chez-soi ? Comment le btir fait-il partie de lhabitation ? Aujourdhui, y a-t-il encore un l ien entre habiter et btir, en relation avec l'architecture vernaculaire, o l'habitant construit lui -mme son logement ?

    4 LEFEBVRE (H.), Du rural l'urbain, Paris, d. Anthropos, 1970, p. 173. 5 CONAN ( M.), "Prsentation", dans Le systme de l'habiter, doc. CSTB, mai 1981, p.3.

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    ____ HABITUS _______________________________________________________________ Dispositions acquises, inculques dans le contexte social. Manire de penser au monde. Principe de fonctionnement de la pratique. "Cocon" dans lequel on grandit, on spanouit, on v it. "Bulle" plus ou moins tendue. Limite entre le public et le priv. ____ lHABIT __________ Appropriation de lespace par ses occupants _________________ Systmes dattitudes et de pratiques // logement, voisinage, quartier, v ille. Variables : catgories socioprofessionnelles, ges, sexes, trajectoires de la v ie. Logement : structuration des espaces privs / changes avec lextrieur. L'action d'habiter. ____ HABITER ______________________________________________________________ Trait fondamental du Dasein humain (lessence de lhomme). Il porte la question de l tre, du corps. Il dtermine lhomme. ____ BTIR ________________________________________________________________ Amnager un certain monde .

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    Le concept d'habitus Bourdieu dfinit le concept d'habitus comme des "structures structures" (car produites par la civ ilisation) "prdisposes fonctionner comme structures structurantes" (ces structures peuvent s'adapter toute nouvelle situation). 6 On peut assimiler cette pratique une grammaire compose de mots, appris tout au long de la v ie, servant ensuite composer une infinit de phrases, adaptes chaque situation, afin de communiquer avec les autres. Ces dispositions sont acquises et inculques dans le contexte social ; elles sont matrice daction. Le sujet dveloppe ains i inconsciemment son "sens pratique", il peut agir presque instantanment une situation indite grce son habitus, en dveloppant cette "stratgie inconsciente". L'incorporation des expriences (ensemble de dispositions durables et transposables) tant diffrente selon la classe d'origine, chacun possde une grille d'interprtation pour se conduire dans le monde et envers les autres. Les indiv idus ayant volu dans les mmes groupes sociaux auront des similitudes dans leur manire de penser, de sentir et d'agir: ils font partie du mme habitus. Toutefois, cela ne veut pas dire qu' il soit immuable. Un indiv idu peut modifier en partie les dispositions de son habitus au cours de ses expriences sociales, en se confrontant d'autres habitus. L'habitus possde une particularit inv isible. Notre habitus fait corps avec notre tre, on v it dedans, c'est pourquoi on ne le peroit pas au premier abord. On le dcouvre lorsque l'on ctoie un autre habitus, o les pratiques et les manires de se comporter et d'habiter ne sont pas les mmes que les ntres. Raymond, ayant emprunt Bourdieu la notion d'habitus, pense que "le modle culturel et habitus doivent tre considrs comme complmentaires dans l'tude de la pratique." La pratique tant la fois "intriorisation de l'extriorit" (c'est dire incorporation des conditions objectives) et "extriorisation de l'intriorit" (expression d'une signification propre l'agent, subjective). L'habitus est galement un systme de classement des pratiques et des gots, grce auquel les indiv idus se classent socialement entre eux. La cohrence en rvle les s ty les de v ie. Le princ ipe de distinction (fond partir de l'observation des classes) en est le fondement. Pour Bourdieu, les sty les de v ie sont dtermins par l'appartenance de classe et le capital culturel, autrement dit la possession d'une formation et de diplmes. "L'habitus rend compte la fois du systme de valeurs et du mode d'effectuation des pratiques", et "se trouve soumis la rgnration permanente de l'exprience indiv iduelle". 7 Selon Bourdieu, les classes sociales n'ont pas une ex istence absolue, mais sont en construction permanente par les hommes.

    6 BOURDIEU (Pierre), Le Sens pratique, d. de Minuit, Paris, 1980. 7 LEGER (Jean Michel), Derniers domiciles connus, enqute sur les nouveaux logements 1970 -1990, Paris, d. Creaphis, 1990, p. 26

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    Influence du contexte sur lhabit Manires dhabiter et usages de la vil le - Diversit des modles dappropriation de lespace : Au sens le plus large, les manires dhabiter mettent en jeu des systmes dattitudes et de pratiques qui se rapportent la fois au logement, au voisinage, au quartier, la v ille. Quand on considre ces diffrentes chelles dans leur interdpendance, on voit se dessiner des modles dappropriation de l espace qui varient selon les catgories socio professionnelles, mais aussi dans une certaine mesure selon les ges, les sexes et les trajectoires de la v ie. 8 Les tudes de Paul Henry Chombart de Lauwe et de son quipe sur "lagglomration parisienne lont conduit une comparaison systmatique entre les diffrentes catgories de populations. tendus par la suite dautres v illes, ses travaux ont montr que lon peut associer aux groupes sociaux des modles spcifiques dappropriation de lhabitat et de la v ille. [] En rgion parisienne, mais aussi Nantes, Bordeaux, Chombart de Lauwe sest tout autant intress aux contextes de relative mix it sociale, o cohabitent des populations qui se distinguent par la manire dont elles organisent leur espace, leur temps et leur budget. Cohabitation parfois diffici le entre des mnages que sparent leurs proprits sociales, leurs modes de relation autrui, leurs attentes v is--vis du quartier et leur ide de la v ille. [] A lui seul, le type de logement induit des effets tant sur lorganisation de lespace domestique que sur les rapports de voisinage. Cest vrai aussi bien pour lhabitat collectif, qui impose des formes spcifiques de coexistence et dusage des parties communes, que pour la maison indiv iduelle, qui est en consonance avec tout un mode de structuration des espaces privs et des changes avec lextrieur." 9

    8 GRAFMEYER (Yves), Sociologie urbaine, d. Armand Colin, 2005.

    9 Ibid.

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    _______________ situe lhomme entre ciel et terre _____________________

    _____ la maison possde une me, elle est limage de lhomme qui y vit ______

    _____________________ lespace comme prolongation du moi ______________

    ____ espace vcu _________________ habit ___________________________

    _______ la fois souvenirs passs (la maison natale, lhabiter de lenfance) ____

    ________________ et rves futurs (un moyen dexis ter, un refuge) ___________

    ______ stabilit _______ foyer _____ protection _____ repos ________________

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    La symbolique de la maison Lme de la maison, mme si elle semble autonome et individuelle, est en fait le rsultat dune subtile appropriation de lespace par ses occupants qui limprgnent de leur tre, de leur conception de la vie, de leur mode dhabiter 10 La maison situe lhomme entre ciel et terre. Elle est un point de stabili t dans lex istence de lhomme. Elle est son foyer, sa protection, son lieu priv ilgi de repos, un dedans, en opposition au dehors : lieu inconnu, synonyme de danger. La maison est lendroit o spanouit et se dveloppe la v ie. Elle reprsente notre installation sur terre, un "coin du monde"11, comme dirait Bachelard, scuris et scurisant. On peut la comparer un refuge, associ ces trois notions : la protection, le repos et la stabili t. On peut la dfinir ainsi : "entit autonome et individualise qui a une consistance psychique fondamentale et o s'accomplit et se projette une part essentielle de la vie" 12. La maison n'est pas uniquement un btiment o l'homme sjourne, elle possde une dimension psychologique et symbolique trs forte; c'est un espace vcu, li la personnalit de ses habitants. "Vous pouvez demander quelqu'un de vous parler de sa maison, bientt ce sera toute son histoire qui se dpliera devant vous... Elle reprsente notre ralit charnelle et morale, ce que nous sommes et croyons tre dans le monde social, dans le monde des apparences."13 La hutte primitive lui est souvent associe : l'espace de la maison renferme une indiv idualit. La maison loge notre tre, mais galement notre me : elle est charge de nos penses, conscientes comme inconscientes, de nos rves, de nos sentiments, etc. Dans la potique de l'espace, Bachelard tend vers une psychologie de la maison. "La maison est un corps d' images qui donne l'homme des raisons ou des illusions de stabili t. Sans cesse on r-imagine sa ralit : distinguer toutes ces images serait dvelopper une vritable psychologie de la maison." 14 La maison possde une me, elle est limage de lhomme qui y v it. Lespace est une prolongation du moi . Il est vcu et habit par ses occupants. Il est la fois souvenirs passs (la maison natale, lhabit de lenfance) et rves futurs (un moyen dex ister, un refuge, un rve accomplir,). La maison est un rve qui devient ralit, une fin en soi.

    10 EKAMBI-SCHMIDT, La perception de lhabitat, d. Universitaire, 1972. 11

    BACHELARD (Gaston), La potique de lespace, coll. Quadrige, n24, 5e d., Paris, PUF, 1992, p. 24. 12 VIGOUROUX (Franois), L'me des maisons, Presses Universitaires de France, Paris, 1996, p. 8. 13 Ibid., p. 6. 14

    BACHELARD (Gaston), La potique de lespace, coll. Quadrige, n24, 5e d., Paris, PUF, 1992, p. 34.

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    Femme-maison, Louise Bourgeois, 1946-1947 Huile et encre sur toile de lin, 91,50 x 35,50 cm

    Collection particulire Photo Raf ael Lobato Adagp, Paris 2008

    "Dans ces peintures qui doivent aux surralistes le got de la rencontre

    entre des lments incongrus, le corps de la femme se termine par diffrentes sortes de maisons.

    Dans cette toile rigoureusement verticale, le corps fminin, sans bras, porte sur les paules une maison grise colonnes. La rigidit grise de la

    maison contraste avec le rose vif du corps fminin o le sexe soulign voque une fleur. Du toit de la maison, comme un nuage de fume, sort

    une sorte de nasse qui fait penser la chevelure fminine laquelle lartiste, qui en possdait une splendide, tait trs attache. Couleurs chaudes et froides, lignes droites et courbes, gomtrie et lments organiques coexistent dans ces images qui sortent dune combinatoire trange et personnelle. Marie-Laure Bernadac voit dans ce mlange de

    gomtrique et dorganique, de rigidit et de mallabilit, darchitecture et de viscralit, () la mtaphore de sa structure psychique (dans Louise Bourgeois, op.cit. p.64). Une structure psychique faite de contrastes. Au-del dune revendication fministe dnonant le poids crasant de la maison dans la vie dune femme au foyer, comme pourraient le faire penser les titres, il sagit dun noyau immense dinspiration. La maison est le contenant idal de tous les souvenirs et en particulier de ceux de lenfance." 15

    15 Centre Pompidou, Direction de laction ducative et des publics, mars 2008 Texte : Margherita LEONI-FIGINI, professeur relais de lEducation nationale la DAEP Maquette: Michel Fernandez - Coordination : Marie-Jos Rodriguez Dossier en ligne sur www.centrepompidou.fr/education/ rubrique Dossiers pdagogiques

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    "La maison portrait. La maison va se donner sous une forme narrative intriorise, fonctionnant la manire d'un "portrait". Ici, la maison est tout la fois le "modle" et sa reprsentation, le "portrait". S i la maison remplace le v isage (comme dans des dessins de Louise Bourgeois, ou encore dans les uvres de Thierry de Cordier), ce n'est pas la mtaphore de la "maison-cerveau" qui est l'uvre, mais la propagation mtonymique du fonctionnement mimtique en tre maison et portrait. La maison est ce point le "modle" (donc l'habitant) et le "portrait" que la prsence de l'habitant ne peut tre que redondante. [...] La maison est mtaphoriquement le sujet, l'habitant, le dpositaire de son "his toire" qui se rassemblent dans un seul l ieu o l'architecture prive devient le porte-parole presque ncrologique du sujet qui, lui, n'est plus v isible." 16 "La maison, un seuil "affect". crin de la privacit, la maison est ce lieu par excellence affect, m par la prescription de l'affect, du singulier et du "propre", seuil entre le dedans et le dehors, point de convergence du souvenir et du prsent. Ancrage de la subjectiv it, la maison est aussi porte par une dimension vnementielle car qui dit maison dit exprience et traverse dans le temps. Son statut est en soi transformatif [...]." 17 "Une maison modle. S'il n'y a pas de lieu comparable la maison ("There is no place like home", Doro thy, The Wizard oh Oz), il semble qu'il soit aujourd'hui difficile d'y prendre place "en paix" comme le pensait encore Bachelard: entrer dans la maison signifie se confronter une crise identitaire du sujet." 18 "Dtruire la maison. Quelle est cette maison si "modle" pour que l'on veuille ce point la dtruire, l'endommager, s'en prendre son intgrit physique et presque "morale" ? Retournerait-on une approche organique, volutive de la maison, qui devrait connatre la mme drliction temporelle que le sujet ? [...] L'chelle pourrait tre une des principales symboliques l'uvre dans la maison: l'on y monte ou descend, de la cave au grenier, l'on s'arrte ses tagements, comme autant de paliers ou d'tapes dans l'grenage du temps. [...] La destruction de la maison rsulte cependant le plus souvent de son identification au corps humain, tout deux soumis un ry thme de croissance organique et de dperdition. Alberti avait identifi la maison au corps. Cette analogie anthropomorphique continue de hanter les murs de la maison. [...] Les maisons se ressemblent ou se distinguent les unes des autres comme des corps humains (Marc Aug). Si la maison est la "mtaphore du corps et du lien social, la maison et son image sont aussi des mtaphores du temps humain". 19

    16 BRAYER ( Marie Ange), " La maison: un modle en qute de fondation ", dans Expos, revue d'esthtique et d'art contemporain, n3 la maison, volume 1, d. HYX, Orlans, 1997, p.27 17 LEWANDOWSKA ( Marysa), " Adjacent Rooms ", dans Expos, revue d'esthtique et d'art contemporain , n3 la

    maison, volume 1, d. HYX, Orlans, 1997, p 48 18 BRAYER ( Marie Ange), " La maison: un modle en qute de fondation ", dans Expos, revue d'esthtique et

    d'art contemporain, n3 la maison, volume 1, d. HYX, Orlans, 1997, p. 15 19

    Ibid., p.28

  • I. 1. L'HABITE ET L'APPROPRIATION DE L'ESPAC E | 28

    Rflexions philosophiques : Btir, Habiter, Penser 20 Philosophie et posie riment avec larchi : ces disciplines reprennent la question du sens du beau. Quest-ce que lhabitation ? Comment le btir fait-il partie de lhabitation ? Aujourdhui, y a-t-il encore un lien entre habiter et btir ? (en parallle avec larchitecture vernaculaire) Le mot habiter a diffrents sens. Lusage du mot sest banalis : il faut requestionner les mots. Le mot btir se rapporte ltre mme. Btir signifie "amnager un certain monde". "Heidegger va plutt interroger les mots. Le mot allemand bauen (btir) v ient du v ieux haut-allemand buan, qui dit : demeurer et sjourner, et qui contient la racine bhu, laquelle a donn bin ( je suis la premire personne du prsent de lindicatif du verbe tre). Aussi apparat-il que "btir", "habiter", "tre" sont le mme." 21 Habiter est un trait fondamental du Dasein humain (lessence de l homme). Il porte la question de ltre. Il porte la question du corps, avec lequel l homme ne fait quun. Il dtermine lhomme : cest une "dtermination empirique pratique rvle au cur mme de la dtermination philosophique ontologique" 22.

    "Btir, habiter, penser sont les modes humains de se rapporter ce qui est ; tels sont lexprience et lexercice comme traits fondamentaux de lessence de l homme. Nous sommes btisseurs et penseurs dans la mesure o nous sommes habitants. Habitant veut dire : tre sur terre comme mortel. Habitant nest donc pas celui qui occupe simplement un territoire. Le trait fondamental de lhabitation se tient dans lavoir soin de ou lavoir gard (das Schonen) ; ce que lon peut sans doute rapprocher de lun des ex istentiaux de Etre et Temps : le souci (Sorge), sous son double aspect de Besorgen : proccupation lgard des choses, et Frsorge : soll icitude lgard des hommes. Habiter nest donc pas se fixer quelque part, encore moins sapproprier un territoire. Cest plutt parcourir, marcher, rassembler des lieux []" 23 "[] habiter, de mme que btir, met en jeu un quilibre (ou un dsquilibre) de formes tectoniques et de formes nergtiques." 24

    Le Quadripartie (das Geviert, par HEIDEGGER) est lquilibre entre les quatre axes de la v ie : 20 Ces rflex ions sont inspires de la Confrence de GRABZIAN (Robert) architecte et ingnieur le 09-12-2008, dans le cadre du cours option Phnomnologie. 21 Texte dESCOUBAS (Eliane), Pleins de mrite, potiquement pourtant, lhomme habite sur cette terre.

    Cf. pome dHLDERLIN, En bleu adorable. Cf. HEIDEGGER (Gaston), Essais et Confrences, Paris, Gallimard, 1966

    Btir, Habiter, Penser , aot 1951

    potiquement, lhomme habite , octobre 1951 22

    Ibid. 23 Ibid. 24 Ibid.

  • I. 1. L'HABITE ET L'APPROPRIATION DE L'ESPAC E | 29

    Terre / Ciel / Humain / Div in. Cest l "o a lieu lexprience et lexercice du btir, de lhabiter, du penser, et de la chose. Sjourner parmi les choses, qui sont des lieux, tel est le s tatut et la tche des mortels que sont les hommes : cest sjourner sur la terre, sous le ciel, face aux div ins et en appartenant la communaut des hommes." 25 Quest-ce que larchitecture ? "Cest dans la topologie du quadriparti que se dessine, chaque fois pour peu de temps, la conjonction des formes tectoniques et des formes nergtiques qui conditionnent lexprience et lexercice du btir, de lhabiter, et du penser : entre autres, de l architecture." 26 Larchitecture, cest concevoir des espaces, habiter des lieux pour v ivre. Un lieu est un espace o des choses peuvent se dvelopper, avoir l ieu. Nous devons nous rapproprier les lieux, les transformer, les faire rev ivre. Btir et penser sont ncessaire pour habiter, ils forment un tout : on va btir, donc penser, donc habiter. Nous devons redonner une signification larchitecture dans un monde de plus en plus globalisant. "Occuper un site, ce nest pas habiter. Habiter, cest tre dans cette quadruplicit la fois rassemblante et dchirante." 27 Tout se tient entre rassemblement et dchirement. Ainsi, on tient ensemble les contraires : ce qui soppose et aussi ce qui compose. "La technique nest pas la mme chose que lessence de la technique" 28 La technique (mot dont la racine grecque est tek-) est une production, mais aussi un dvoilement : un mode de la vrit. "Mais le dvoilement comme mode de vrit qui rgit la technique moderne, quen advient-il ? Il advient que lhomme nest plus un habitant, quand il agresse, arrache, dfie et puise les formes et les forces quil rencontre. [] Le mode de dvoilement qui rgit la technique plantaire moderne est le dfi : l est le danger. [] Ce dfi, qui dfie le ciel et la terre, les div ins (lInconnu) et les mortels, Heidegger le dsigne comme le Gestell : un dispositif demprise totale." 29

    25 Ibid. 26 Ibid. 27 Ibid. 28 Confrence de HEIDEGGER, La question de la technique , p.9 29 Texte dESCOUBAS (Eliane), Pleins de mrite, potiquement pourtant, lhomme habite sur cette terre.

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    Pour exemple, le liv re Habiter la menace30 illustre bien ce besoin soudain de lhomme, qui sest dvelopp avec les techniques, braver la nature, la domestiquer jusqu dpasser les l imites du possible, raliser des prouesses et sapprocher de l immortalit : "La beaut de certains lieux est parfois tempre par la menace qui ls reprsentent pour lhomme. Faut-i l fuir ces paysages et renoncer y construire sa maison ou plutt les apprivoiser ?" 31 Si on ne respecte plus le quadripartie :

    Btir devient construire. Penser devient excuter. Exprience devient prouesse. Lieu devient non lieu. Habiter devient rsider.

    Quand et comment lhomme habite-t-il potiquement sur cette Terre ? "La posie est la prise de mesure : tre pote, cest mesurer. Cest pourquoi la posie difie lessence de lhabitation." Ici, la mesure met en jeu deux termes : la dimension et larpentage. "Larpentage est lentre-deux qui conduit lun vers l autre le ciel et la terre (ce qui est au dessous de ce qui est au dessus de moi, selon le mot de Shakespeare), est la condition de lhomme." Lhorizon est le lieu de rencontre inconnu (divin) entre le ciel et la terre, un lieu inatteignable. "La v ie des hommes est une v ie habitante : cest une v ie qui v it de l Inconnu, dans lI nconnu. " 32

    30

    LAMUNIERE (Ins), Habiter la menace, Suisse, coll. Architecture, d. EPFL PRESS, 2006 31 Ibid. 32 Texte dESCOUBAS (Eliane), Pleins de mrite, potiquement pourtant, lhomme habite sur cette terre.

  • I. 1. L'HABITE ET L'APPROPRIATION DE L'ESPAC E | 31

  • I.2. LA MOBILITE DANS LARCHITECTURE, SUR LES TRACES DE YONA FRIEDMAN... | 32

    2. La mobilit dans larchitecture, sur les traces de Yona Friedman... Prmices

    Larchitecture : art de construire un difice. disposition dun difice. 33 Est ancre dans le sol. La mobilit : caractre de ce qui peut se mouvoir ou tre m, changer de place, de position. caractre de ce qui change rapidement daspect ou dexpression. 34 Par dfinition, ces deux concepts sopposent. Comment peut-on faire pour les runir, et ainsi concevoir une architecture mobile, voluant avec ses habitants ?

    "L'arTchitecture s'invente et doit tre libre, car c'est un art en volution constante ! Elle n' a pas besoin de chercheurs, mais de trouveurs." 35

    33 Robert I 34 Ibid. 35 Guy Rottier, Des paroles en l'air. http://guy.rottier.free.fr/francais/parole/parole.html

  • I.2. LA MOBILITE DANS LARCHITECTURE, SUR LES TRACES DE YONA FRIEDMAN... | 33

    Situation historique : reconstructions de masse, aprs guerre Aprs la guerre, suite aux bombardements massifs, ayant dtruit une grande partie du parc immobilier, la France se trouvait en situation de crise. Le temps tait la reconstruction, malheureusement la priorit n'a pas t donne l'habitat. En effet, Jean Monnet (1888 - 1979, pre de la planification la franaise) prvoit dans le premier plan quinquennal (1947-1952) de mettre l'accent sur la reconstruction des infrastructures de transport et le recouvrement des moyens de production, ayant pour objectif de relancer l'industrie, et donc l'conomie. Par ailleurs, le secteur du btiment en France, pour la plupart compos de petites entreprises artisanales aux mthodes de constructions traditionnelles, est alors incapable de construire des logements en grande quantit et rapidement. Les besoins sont pourtant considrables : sur 14,5 millions de logements, la moiti n'a pas l'eau courante, les trois quarts n'ont pas de WC, 90% pas de salle de bain. On dnombre 350 000 taudis, trois millions de logements surpeupls et un dficit constat de trois millions d'habitations. Les gens font avec ce qu'ils ont pour se construire un toit. Des quartiers entiers de bidonvilles apparaissent en priphrie des grandes v illes industrielles. De plus, le blocage des loyers depuis 1914 ne favorise pas les investissements privs. Les btiments lous ne sont pas entretenus par les propritaires. Le parc immobil ier se dgrade, et le march stagne. Or, donner la priorit l'habitat tait ncessaire. Il fallait construire v ite et massivement, afin de satis faire la demande urgente en logements, la population v ivant dans des conditions atroces de pauvret et d'insalubrit. La forte pousse dmographique (le Baby Boum des annes 1950-60) aggrava la situation et amena revoir les modes de construction utiliss jusqu lors. partir du milieu des annes 1950, "grce" aux rflex ions des architectes modernes et au dveloppement de nouvelles techniques de construction (entre autres la prfabrication et le bton arm) favoris par l'tat, de nouvelles constructions dimmeubles voient le jour. Les idaux du mouvement moderne hissent le logement collectif de masse au centre du conce pt de la v ille, renversant la hirarchie monumentale de la v ille historique conue autour des institutions. Ces grands ensembles ont permis aux familles pauvres de l'poque (des banlieues ouvrires, les habitants des habitats insalubres, la main-duvre des grandes industries, etc.), de disposer d'un large accs au confort moderne (quipements sanitaires, eau courante chaude et froide, chauffage central, ascenseur...). Les quipements, jusqu'alors rservs une lite, se sont banaliss, les logements sont devenus fonctionnels. Cette typologie de logements, marque par un urbanisme de barres et de tours inspir des prceptes de l'architecture moderne, se basait sur des critres rpondant de manire uniforme aux besoins d'habitants, tablis comme des standards (le Modulor de Le Corbusier). Le contexte d'exode rural et de dveloppement des industries incita construire de plus en plus de ces grands ensembles : nouveaux quartiers priphriques de v illes anciennes, v illes nouvelles, oprations de rnovation de quartiers anciens, etc. , banalisant le skyline de nos v illes, et remplaant les habitats spontans, construits par les habitants avec les moyens dont ils disposaient.

  • I.2. LA MOBILITE DANS LARCHITECTURE, SUR LES TRACES DE YONA FRIEDMAN... | 34

    En France, Chombart de Lauwe 36 est le premier avoir conduit un travail empirique de grande envergure sur les nouvelles formes dhabitat en hauteur qui se sont dveloppes partir des annes 50 la priphrie des v illes [le grand ensemble comme observatoire social]. Ces cits avaient encore lpoque un caractre exprimental. Pour le sociologue, elles avaient lintrt de constituer des situations dhabitats indites, faisant coexister au sein de cadres architecturaux uniformes des catgories sociales dif frentes. [] les rgles dattribution des logements produisent une extrme htrognit du peuplement. 37 Le sociologue met en place des consignes d'aide la programmation et conception des logements, et ainsi participe la constitution des savoirs sur les modes de v ie dans l'habitat.

    Avec du recul, on peut se demander si ce type d'habitat de masse correspondait vraim ent aux

    attentes des habitants. Le concept d'habitat spontan (ou bidonvilles) mis en place par ces

    derniers tait peut-tre plus rvlateur de leurs besoins, malgr l'insalubrit.

    L'architecte a souvent tendance priv ilgier la conformit au plus grand nom bre, plutt que de

    vraiment prendre en compte les besoins des habitants, selon leur mode de v ie.

    D'ailleurs, ces habitats fonctionnels et innovants durent rapidement faire face aux nombreuses et v iolentes critiques. Au fil des annes, les conflits entre ces couches de populations, rassemblant dans un mme quartier familles aises, moyennes et modestes, mais aussi dges diffrents, se sont multiplis.

    36

    Chombart de Lauwe, fondateur de la sociologie urbaine franaise. 37 GRAFMEYER ( Yves), Sociologie urbaine, d. Armand Colin, 2005.

  • I.2. LA MOBILITE DANS LARCHITECTURE, SUR LES TRACES DE YONA FRIEDMAN... | 35

    partir des annes 1980, de profondes crises sociales clatent dans ces grands ensembles, et

    sont, en France, l'une des raisons de la mise en place de ce qu'on appelle la politique de la Ville

    (actions mises en place par l'Etat, v isant revaloriser certains quartiers urbains et rduire les

    ingalits sociales entre territoires).

    Aujourdhui, ces grands ensembles ne reprsentent plus, pour les familles les plus aises, quune tape transitoire de leur carrire rsidentielle 38. Le caractre htrogne entre les habitants sest pourtant amplifi : Les critres socioprofessionnels sont dail leurs de moins en moins oprants pour qualifier des habitants que sparent plus encore leurs origines gographiques et ethniques, leurs situations de famille, leurs trajectoires de v ie, et leurs possibili ts mmes dinsertion conomique. Plus que jamais, les grands ensembles juxtaposent des populations htrognes en des territoires urbains que lon a pu nagure considrer comme les lieux o slabore la civil isation de demain (Chombart de Lauwe), mais qui sont beaucoup plus souvent marqus, aujourdhui, par les figures multiformes du handicap, de la distance, voire de lexclusion. 39 En effet, ces quartiers sont devenus synonymes d'inscurit, de peur, de sgrgation sociale.

    Aujourd'hui, ils ne correspondent plus nos attentes. Comment pouvons-nous les transformer ? Quelle position adopter pour le logement (social) ?

    Modernes, premire gnration :

    38 Ibid. 39 Ibid.

  • I.2. LA MOBILITE DANS LARCHITECTURE, SUR LES TRACES DE YONA FRIEDMAN... | 36

    " Il faut duquer le public la simplic it et la rigueur."

    Ernst May, 1930.

    " Le rle ducatif de l'architecte, c'est d'apprendre aux gens habiter, ils ne savent pas."

    Marcel Lods, 1959.

    Modernes, seconde gnration :

    " Ni gourous, ni G.O., tchons d'tre les intellectuels d'une prax is."

    Paul Chemetov, 1981.

    " Je suis trs gn par l'ide d'aller embarrasser la vie des gens par ma propre esthtique." Yves Lion, 1987.

    Guy Rottier, aprs avoir collabor avec Le Corbusier sur le projet de la Cit Radieuse Marseille (de 1947 1949), ralisa des projets conceptuels comme la maison en forme descargot qui sagrandit la demande (un systme de prfabrication permet la maison de suivre l'volution de la famille, au fur et mesure de son agrandissement), la maison qui se transporte sur des cbles, la maison en carton quon brle aprs usage, la maison de terre dont lextrieur est un jardin, la maison qui roule, la maison olienne Tous ces projets peuvent tre applicables et util isables petite chelle (architecture phmre, baraque de vacances, etc.) mais ils restent des concepts.

    Quel(s) systme(s) s'y rapprochant pourrait-on mettre en place ? Afin de pouvoir le dvelopper, pour qu'i l soit applicable au logement en gnral, lui apportant ainsi un caractre volutif.

  • I.2. LA MOBILITE DANS LARCHITECTURE, SUR LES TRACES DE YONA FRIEDMAN... | 37

    Rflexions (utopiques ?) sur larchitecture volutive et mobile Les annes 1950 et 60 La socit tait perue par les architectes classiques comme n'tant pas apte comprendre l'architecture et ce nouveau mode d'habiter fonctionnel. Il fallait donc lui apprendre habiter et v ivre correctement dans ces nouveaux logements, conus par les architectes, pour les habitants; apportant plus de confort et de salubrit. Ds le milieu des annes 50, les consquences dsastreuses des reconstructions intensives apparaissent et la question des dplacements urbains devient dterminante. En France, on parle de sarcellite (problmes poss par la v ie dans les grands ensembles). Ces nouveaux immeubles de logements, bass sur les principes des modernes (de premire gnration), font surgir chez certains architectes de lpoque un questionnement indit. Cherchant amliorer la qualit de v ie des habitants, cette lite se posera la question de la mobilit dans larchitecture : v isant favoriser ladaptabilit du logement (collectif); jusqualors conu comme une juxtaposition de cellules s tandardises, se voulant rpondre au plus grand nombre, mais finalement ne convenant personne Nous devons faire la part entre une socit rve, une socit relle et notre v ision du possible. Ces architectes visionnaires basent leurs thories sur la participation des habitants la programmation, la conception et la ralisation de leur logement. Ainsi, ils apprennent des gens. "En prnant la mobilit, les architectes remettent en cause la v ision de l'architecture comme lment fig et l'investissent d'une v ie propre, qui lui permet de crotre, de se transformer et de se mouvoir, limage de ses habitants. C'est le fondement mme de l'architecture occidentale qui est remis en cause, celui d'une architecture statique, implante dans un sol, dont elle ne bougerait plus. Par ailleurs, ils dfendent une architecture qui s'adapte aux besoins des indiv idus, et qui est donc fondamentalement volutive. Mobil it de la v ille et de ses quipements, mo bil it de l'habitat (habitat qui bouge), mobilit interne l'habitat (transformer l'habitat ex istant); autant de pistes exploites par les architectes pour repenser nos manires de v ivre l'architecture. Avec ce systme mobile, ils redonnent aux indiv idus un rle actif par rapport l'architecture : autant dans le choix des lments de leur habitat que dans leur emplacement et leur transformation." 40

    40

    http://www.frac-centre.fr/public/actioncl/pdf/dossier_mobilite.pdf

  • I.2. LA MOBILITE DANS LARCHITECTURE, SUR LES TRACES DE YONA FRIEDMAN... | 38

    Yona Friedman est n en 1923, Budapest. Il commence tudier les s tructures mobiles peu aprs la Deuxime Guerre mondiale. Il dveloppe une architecture simple, constitue partir d'lments prfabriqus, conus pour rpondre aux besoins lmentaires et destins des logements construits dans l'urgence; afin de donner un toit aux personnes dont les maisons ont t dtruites. Ces lments taient bon march, facilement transportables et permettant une multitude de possibili ts d'agencement. Ceci annonce le dbut de sa rflex ion sur le logement volutif, o les besoins des habitants sont au centre des pr occupations. Il n'est pas le seul se proccuper de cette question. En juin 1954, les architectes Claude Parent et Ionel Schein publient un article contre le fonctionnalisme et pour la mobil it. En 1956, lors du Xe Congrs du CIAM (Congrs International dArchitecture Moderne) sur le thme de la mobil it, Yona Friedman expose pour la premire fois les principes dune architecture mobile et dfinie par (et pour) ses usagers. Alors que celle-ci est entendue comme le projet d'une architecture nomade par la plupart des participants, Yona Friedman propose une architecture permettant les transformations continues ncessaires pour assurer la "mobilit sociale". Pour lui, la masse inerte d'une v ille est un obstacle la mobilit de la socit. Grce des habitats et des dispositions urbanistiques composables suivant les intentions des habitants, cette mobilit sociale est permise. Pour Yona Friedman, l'architecture mobile signifie auto planification : "habitat dcid par l'habitant" , travers des "infrastructures non dtermines et non dterminantes ". "J'ai considr que l'architecture devait se faire avant tout pour les autres. J'ai donc rflchi sur l'adaptation de la proposition architecturale la demande des gens. La meilleure manire de faire tant de laisser l'habitant trouver lui -mme la solution", dit Friedman. Larchitecte nest plus le concepteur organisateur, mais il est un consultant fournissant des connaissances en cologie. "Il s'agit, dit-il, de rechercher des techniques qui permettent de passer d'une solution une autre pour adapter la v ille, s i besoin est, aux modes de vie des habitants, au lieu d'adapter les habitants aux propositions des urbanistes. Il faut arriver laisser les habitants libres de choisir la forme de leur ville. La seule tche qui reste actuellement l'architecte consiste dvelopper des techniques intrimaires de construction, qui feront le pont entre les constructions classiques (immobiles et qui laissent des traces) et les systmes de l'avenir penchant vers les sciences abstraites. Le rle de ces techniques intrimaires sera de multiplier la surface utilisable pour l'habitation et pour l'agriculture, en fonction de la croissance dmographique. C'est la raison d'tre de l'architecture mobile." En 1958, Yona Friedman publie deux manifestes: l'Architecture mobile et la Ville spatiale. "Le btiment est mobile au sens o nimporte quel mode dusage, par l usager ou un groupe, doit pouvoir tre possible et ralisable." Il dveloppe le concept de Ville spatiale, sur base de deux penses lmentaires. Il pense que l'architecture devrait (seulement) fournir un cadre, une structure, partir desquels les habitants pourraient construire leurs maisons selon leurs besoins et ides, exempts de tout paternalisme. Il met l'accent sur la participation des habitants l'laboration de leur habitat.

  • I.2. LA MOBILITE DANS LARCHITECTURE, SUR LES TRACES DE YONA FRIEDMAN... | 39

    L'architecte tait convaincu que les progrs de la production (le dveloppement de l'industrie) et, rsultant de cela, la quantit croissante de temps libre, changeraient fondamentalement la socit. Selon Yona Friedman, la structure traditionnelle de la v ille n'tait plus (et n'est toujours pas ?) adapte cette nouvelle socit. Il a donc propos des structures mobiles, prov isoires et lgres, remplaant les moyens rigides, fixes et chers de l'architecture traditionnelle connue jusqu' lors. Cette mme anne, Yona Friedman fonde le GEAM (Groupe dtudes dArchitecture Mobile) qui, jusquen 1962, rflchira ladaptation de l architecture aux transformations de la v ie moderne. La proccupation de ces architectes est base sur la croissance urbaine rapide et ses effets sur la socit. Ils travaillent sur des conceptions de v illes et de logements, bases sur des infrastructures spatiales adaptables, la durabilit cologique et la participation des uti lisateurs. Yona Friedman est rejoint dans cette recherche par de nombreux architectes, comme David Georges Emmerich, Camille Frieden, Gnter Gnschel, Oskar Hansen, Jean Pierre Pec quet, Eckhard Schulze-Fielitz, Werner Ruhnau, etc.

    Irrgularit, indtermination, auto planification, sont les mots-clefs de la dmarche de Yona Friedman. La trame rgulire de la v ille spatiale est une "feuille blanche" sur laquelle l'usager v ient, de manire toujours imprvisible dessiner son habitat.

  • I.2. LA MOBILITE DANS LARCHITECTURE, SUR LES TRACES DE YONA FRIEDMAN... | 40

    Le concept d'architecture mobile, que propose Yona Friedman, concil ie production de masse et habitat personnalis. Les lments conus par l'architecte et produits industriellement sont ordonnables par l'habitant lui-mme. Ces lments doivent donc tre faciles manipuler, mettre en uvre, transformer, sans l'aide d'un technicien, les matriaux sont conomiques. Le tout doit tre rversible. Pour que les produits soient accessibles tous, il faut produire en masse. Produire en masse exige, pour la technique et les systmes modernes, la recherche dun schma qui dressera une liste rduite dlments soigneusement s tandardiss (qui seront produire), puis ltablissement dune autre lis te, trs tendue, de permutations possibles dans lassemblage des lments produits. Cette lis te des permutations constitue le catalogue des usages personnaliss. 41 Applique l'chelle de la v ille, la notion d'architecture mobile engendre bientt celle de "v ille spatiale" (en 1958). Les constructions doivent y tre dmontables et dplaables, transformables volont par l'habitant. La mobilit est une nouvelle libert confre l'usager. La v ille spatiale est une structure tridimensionnelle trs neutre, surleve de 35 mtres au dessus du sol par un systme de py lnes. Elle est superposable n'importe quelle autre v ille. Les py lnes contiennent les circulations verticales (ascenseurs, escaliers) et sont rduits au minimum, afin de laisser un maximum d'espace libre au sol (pouvant accueill ir des bti ments prov isoires, permettant la nature et aux arbres de se dployer, de prvenir les changements des rseaux urbains, etc.). La v ille spatiale se dploie sur plusieurs niveaux de nappes. Une mobilit potentielle est propose l'habitant. Il dplace librement son habitat dans le cadre de la trame ains i mise en place, sans aucune dmolition. Etant changeantes, les faades ne sont pas prdtermines. La cit est un vaste damier comportant toujours le mme nombre de cases v ides, mais ces cases, v ides ou pleines, ne sont pas toujours les mmes : les cellules habitables se regroupant ou se subdiv isant suivant les besoins des habitants. Yona Friedman ne se considre cependant pas comme utopis te. Ses projets prsents des concours internationaux importants sont dune technicit reconnue et ses enseignements ont eu des retombes pratiques sur lurbanisme. Certains projets ont fait l'objet d'une construction relle (par exemple lapplication de ses principes dauto-planification au Lyce Bergson dAngers).

    41 FRIEDMAN ( Yona), Larchitecture mobile, vers une cit conue par ses habitants, Belgique, d. Casterman, 1970, p. 13-14

  • I.2. LA MOBILITE DANS LARCHITECTURE, SUR LES TRACES DE YONA FRIEDMAN... | 41

    "Etre crateur en architecture, c'est regarder au-del. La faiblesse serait de

    considrer que c'est un domaine qui se suffit lui-mme." Yona Friedman

    " MOBILITE : Les transformations sociales et celles du mode de v ie quotidien sont imprvisibles pour une dure comparable celle des btiments habituels. Les btiments et les v illes nouvelles doivent tre facilement ajustables suivant la volont de la socit venir qui les uti lisera : ils doivent permettre toute trans formation, sans impliquer la dmolition totale." 42

    La mobilit dans l'architecture n'est pas seulement l'ac tion de se dplacer. E lle

    peut aussi tre perue comme un caractre interne au btiment. Elle est synonyme d'volutiv it.

    42 Ibid., p. 9

  • I. 3. UNE POPULATION EN EVOLUTION CONSTANTE : LINSTABILITE PROGRAMMATIQUE

    DE LA MAISON, AU LOGEMENT INTERMEDIAIRE, VOIR COLLECTIF | 42

    " La mdecine, au Moyen Age, avait un retard considrable sur l'architecture. Alors qu'i l n'y

    avait aucun remde contre des maladies comme la lpre ou la peste et qu'il n' y ava it aucune

    hygine, on voyait s' lever dans le ciel des cathdrales gothiques qui depuis n' ont jamais t

    gales. Aujourd'hui c'est le contraire, la mdecine est l'avant garde et l'architecture,

    princ ipalement celle de l'habitation, est en retard. " Guy Rottier 43

    _____ habitat urbain dense et individualis ____________________________

    ______________________________ entre ville et maison __________________

    _______________ conception ________________________________________

    ______ fonder _______ permettre ___________ suggrer __________________

    _____ libre appropriation ________________ personnalisation ______________

    _________ densit ___________ compacit ___________ proximit __________

    ______ intimit ____ partage _____ solitaire ___ le foyer _________ la bulle __

    ____________________ limite public _____________ priv ________ ? _______

    43 Guy Rottier, Des paroles en l'air. http://guy.rottier.free.fr/francais/parole/parole.html

  • I. 3. UNE POPULATION EN EVOLUTION CONSTANTE : LINSTABILITE PROGRAMMATIQUE

    DE LA MAISON, AU LOGEMENT INTERMEDIAIRE, VOIR COLLECTIF | 43

    3. Une population en volution constante : linstabilit programmatique.

    De la maison, au logement intermdiaire, voir collectif. INSTABILITE : caractre de ce qui n'est pas fixe, permanent ; fragili t ; incertitude ; prcarit ; changement ; variation. Notre socit ne cesse de croitre et de se multiplier. Les progrs (de la mdecine, entre autres) permettent aux gens de v ivre mieux et plus longtemps. Nombreux sont ceux rvant d'habiter la campagne, dans une maison avec un jardin, loin du stress et de la pollution des v illes. Mais souvent leur travail et le regroupement des serv ices les contraignent s'en rapprocher. La v ille permet une pluralit de relations sociales, une accessibili t simple et rapide aux lieux de travail, de consommation, ou culturels, ainsi que de grandes possibili ts de mobilit. Mais les v illes sont sous tension : reflets des dsirs contradic toires de leurs habitants. Ils ont des dsirs de confort, d'espace et de nature; en contradic tion avec leurs dsirs d'accs aux serv ices, aux emplois et aux commerces, o fferts par les centres urbains. Ce rve d'espace vert n'est pas nouveau. Au XVIIIe sicle dj, les familles londoniennes les plus aises implantaient leurs maisons au centre d'un jardin, au pourtour des v illes. En France, ce mouvement commena prendre de l'ampleur avec l'arrive des chemins de fer, desservant le territoire autour des v illes, partir de la seconde moiti du XIXe s icle. Les premires banlieues chics (par exemple le Vsinet, prs de Paris) apparurent autour des gares. Les femmes et enfants profitaient d'un environnement sain (loign des classes ouvrires), pendant que le chef de famille prenait le train pour rejoindre la v ille, lieu de ses affaires. Plus tard, cet exode vers les priphries campagnardes se gnralisa. La dmocratisation du train, puis l'apparition de la voiture (au milieu du XXe sicle), engendrrent un exode massif des citadins. Aujourd'hui, prs d'un quart de la population franaise v it dans ces communes qualifies de "priurbaines" 44 par les spcialis tes. Toutefois, le rve se transforme v ite en cauchemar : ces v illages pavillonnaires offrent rarement beaucoup d'quipements et les transports en commun sont peu nombreux. L'habitant est donc souvent contraint de prendre sa voiture pour rejoindre la v ille, qui tend se congestionner (sans parler du cot, tant pour l'env ironnement que pour le porte-monnaie). Rsultat, la priphrie des v illes s'largit chaque anne, et gagne du terrain sur le paysage. Les v illes rattrapent et englobent les petits v illages aux alentours, qui finalement tendent se densifier pour conomiser cette terre citadine, devenue hors de prix . Les v illes-dortoirs se dveloppent autour des ples attractifs, devant faire face une demande croissante en logements. Ces dernires annes, on a vu natre des lotissements par centaines : rvlant le rve de chaque habitant de possder une maison, entoure d'un jardin et borde par une petite clture blanche (la presse publie rgulirement des sondages nous rappelan t que plus de quatre-v ingts pour cent des franais rvent d'habiter une maison indpendante).

    44 proches d'un grand ple d'emplois et de services.

  • I. 3. UNE POPULATION EN EVOLUTION CONSTANTE : LINSTABILITE PROGRAMMATIQUE

    DE LA MAISON, AU LOGEMENT INTERMEDIAIRE, VOIR COLLECTIF | 44

    La maison, donc, mais avec des serv ices et des commerces prox imit, des emplois rapidement accessibles... comment trouver une maison indiv iduelle avec un jardin en plein centre ? Chose particulirement dlicate puisque des mill ions de mnages ont le mme rve... Aujourd'hui, face la demande in considrable de la population, les logements en centre-v ille sont hors de prix , et ne sont plus rservs qu' une lite. Les autres sont mis l'cart des v illes, la mobilit devient un vrai cauchemar (congestionnement des voies de circulation et centre-v ille inaccessible). La volont de v ille durable est un vrai dilemme. Comment conjuguer la prservation de l'env ironnement et satisfaire au mieux les dsirs indiv iduels, en limitant l'usage de la voiture, la consommation d'espace, d'eau et la production de dchets, propre notre contexte d'hyper consommation ?

    Au XXe sicle, la voiture a permis aux v illes de se ddensifier, permettant un compromis entre le rve de maison et le dsir de la v ille. Ceci a permis un grand nombre de mnages d'accder des logements plus spacieux, parfois mme de devenir propritaires (chose impossible en v ille, les logements tant hors de prix). Ces essais n'ont pas t trs convaincants... Les v illes-campagnes ont engendr l'talement urbain; les grandes barres de logements sont aujourd'hui devenues pour la plupart des ghettos, synonymes de sgrgation sociale et inscurit; etc. Le Corbusier disait dj en 1930, que la nature, tant dsire, disparaissait sous ces nappes pavillonnaires. "Ils sont des millions qui veulent ainsi fouler nouveau de leurs pieds l'herbe verte de la nature; qui veulent voir le ciel, nuages et azur; qui veulent v ivre avec des arbres, ces compagnons des ges sans histoire. Des millions ! Ils y vont, ils s'lancent, ils arrivent. Ils sont maintenant des millions considrer leur rve assassin ! La nature fond sous leur pas." 45

    Le territoire en v ille est aujourd'hui limit. Construire linfini des maisons indiv iduelles, grandes consommatrices d'espace, rev iendrait tuer la v ille, qui s tendrait des kilomtres la ronde et finalement sparpillerait. De plus, le surcot pour les agglomrations est norme : si les extensions urbaines ne sont pas contrles et continuent se dvelopper comme actuellement (c'est dire sous la forme de maisons indiv iduelles), rien que les infrastructures ncessaires leur dveloppement rev iendraient des milliers de milliards de dollars. 46 L'talement urbain apparat aujourd'hui comme une menace pour la v ille durable (que ce soit en termes conomiques, environnementaux ou sociaux). De nombreux spcialis tes s'accordent dire que densifier la v ille est la solution l a moins

    nuisible l'env ironnement : reconstruire une v ille sur la v ille ex istante. On remarque sur le

    schma ci-contre qu'aujourd'hui les v illes asiatiques, les plus denses et peu consommatrices

    d'nergie, sont les moins polluantes, contrairement aux v illes amricaines trs tales et trs

    consommatrices d'nergie. Ainsi, les milieux urbains denses, qui taient autrefois considrs

    comme des lieux pollus, congestionns et sales, sont aujourd'hui des modles de socit. Et

    l'habitat dispers apparat comme une menace pour l'env ironnement, alors qu'il tait considr

    comme tant plus proche de la nature. Les modles sont renverss. Il ne faut pas non plus

    tomber dans l'excs : une surdensit gnrale amnerait d'autres problmes.

    45 LE CORBUSIER, Quand les cathdrales taient blanches : Voyage au pays des timides, d. Plon, Paris, 1937. 46

    Estimation ralise aux tats-Unis entre 2000 et 2025 : 1270 milliards de dollars pour la construction des

    infrastructures ncessaires aux dveloppements (talement) des villes.

  • I. 3. UNE POPULATION EN EVOLUTION CONSTANTE : LINSTABILITE PROGRAMMATIQUE

    DE LA MAISON, AU LOGEMENT INTERMEDIAIRE, VOIR COLLECTIF | 45

    Schma sur la consommation de carburant par rapport la densit urbaine 47 :

    talement urbain Las Vegas Hyper densit Tokyo

    47 NEWMAN et KENWORTHY, Cities and Automobile Dependence: An International Sourcebook, d. Gower,

    Aldershot (Angleterre), 1989, p. 48.

  • I. 3. UNE POPULATION EN EVOLUTION CONSTANTE : LINSTABILITE PROGRAMMATIQUE

    DE LA MAISON, AU LOGEMENT INTERMEDIAIRE, VOIR COLLECTIF | 46

    Comment faire le point sur ces modes de v ie en mutation ? Comment rpondre cette augmentation des populations ? Sans devoir entasser les gens les uns sur les autres, et craser tout rve de foyer : combiner la satis faction du dsir de maison avec un niveau de densit durable 48.

    La v ille doit tre dense pour pouvoir surv ivre. Mais on ne doit pas oublier que lhomme a besoin d'espace sapproprier pour pouvoir spanouir, tout simplement v ivre. Tout ceci sans tomber dans l'excs. En France, en dix ans, la population a cr de quatre pourcents, alors que les terres urbanises se sont tendues de dix -sept pourcents, soit quatre fois plus v ite ! Nous devons donc trouver un juste milieu entre la maison et le logement collectif : un habitat urbain, dense, et individualis ; pour ne pas arriver des extrmes qui amneraient plus de problmes que de solutions, et qui finalement seraient inv ivables. La densit la plus protectrice de l'env ironnement serait une densit intermdiaire : un quilibre entre le besoin d'espace des habitants et le dveloppement des serv ices de prox imit et des transports collectifs.

    48 A savoir de l'ordre de soixante quatre-vingts logements l'hectare.

  • I. 3. UNE POPULATION EN EVOLUTION CONSTANTE : LINSTABILITE PROGRAMMATIQUE

    DE LA MAISON, AU LOGEMENT INTERMEDIAIRE, VOIR COLLECTIF | 47

    Les diffrentes temporalits (vnements de la v ie, modifications de la famille, etc.) interfrent

    sur la dfinition du couple espace-temps . Si la modification de ces ry thmes est rendue

    impossible par la configuration du logement, lhabitant na quun choix : celui de partir.

    Or je voudrai que larchitecture, le logement en particulier, suive lvolution de ses habitants, et sadapte aux nouveaux besoins de ces derniers. Je v eux une architecture volutive. Au quotidien, les possibili ts et les dsirs dappropriation du logement doivent tre respects comme un droit inalinable de lhabitant. Les dispositifs physiques, spatiaux et de gestion rpondent ce besoin social, de mettre au point un principe combinatoire permettant la multiplicit de possibili ts, di ntroduire ainsi une vraie indiv idualisation du logement et de faire en sorte que les diffrences permises contribuent au lien social, lenv ie de se connatre, de sortir de lanonymat et des standards de luniformit. Les (nouveaux) logements sociaux (volutifs) sont au centre des proccupations actuelles. L'exposition vers de nouveaux logements sociaux, la Cit de l'architecture et du patrimoine Paris, nous montre bien tout l'intrt port ce sujet dlicat qu'est l'habitat urbain social. La demande de logements ne cesse d'augmenter, surtout en cette priode de crise. En mme temps, celle-ci donne une forte impulsion la construction de ce type d'habitat. Le nombre de nouveaux logements sociaux n'a pas t aussi lev depuis longtemps. (Entre autres grce aux mcanismes d'aides publiques mis en place par l'tat et les collectiv its locales, ce qui en fait un march plus sr pour les investisseurs). "Le logement est plus que jamais un sujet d'actualit. Face la forte demande de logements s ociaux, quelle est l'offre architecturale aujourd'hui ? Quelle rponse qualitative et innovante donner cet impratif quantitatif ? Quelle doit tre la part de l'exprimentation dans ce domaine reconnu comme laboratoire de l'architecture depuis l'poque moderne ? Quelles sont les nouvelles typologies en phase avec les modes de v ie et l'volution de la socit aux prises avec les questions essentielles de la v ille contemporaine, et notamment, les enjeux de dveloppement durable, de qualit de v ie et de justice sociale ? Seize " rponses ", choisies en France pour leur singularit, leur originalit et leur pertinence, sont prsentes et dcryptes dans cet ouvrage." 49 La ralisation de l'agence Boskop fait partie des projets innovants retenus pour i llustrer cette

    nouvelle manire d'habiter, et rpond galement (en partie) au questionnement que je pose

    dans ce mmoire, c'est pourquoi j'ai choisi de l'analyser (en deuxime partie de ce mmoire).

    49 Vers de nouveaux logements sociaux, collectif, coll. Cit de l'architecture et du patrimoine, Milan, d. Silvana

    Editorial, 2009, 4e de couverture.

  • I. 4. QUEL ROLE POUR LARCHITECTE ? COMMENT CONCEVOIR LARCHITECTURE

    POUR REPONDRE A CETTE NOUVELLE DEMANDE, SANS CESSE EN MOUVEMENT ? | 48

    4. Quel rle pour larchitecte ? Comment concevoir larchitecture pour rpondre cette nouvelle demande, sans cesse en mouvement ?

    " Je fais sans doute partie de ces amis aventuriers, partis chacun de leur ct

    comme des chercheurs d'or et de rves, la dcouverte d'un mieux vivre pour ceux

    qui le dsirent. Nous sommes l o " arTchitecture " s'crit avec un T, sans tenir

    compte des lois, et explorons la terre, les ocans, le ciel et l'espace. Nous pensons

    que l'avenir est plus beau que le pass. travers nos crations nous aimerions

    deviner ou entrevoir le futur, comme les peintres, les sculpteurs, les designers ou

    les constructeurs de voitures, d'avions et de fuses. Nous n'avons pas peur de

    draciner les gens, de les arracher leur conformisme paresseux, pour prouver

    qu'il y a des chemins de traverse insouponns et merveilleux dcouvrir. Nous

    aimons le braconnage et l'cole buissonnire. Du pass nous ne retenons que

    l'volution dans tous les domaines. Oui, nous aimons les grottes de Lascaux, les

    cathdrales gothiques ingales, le petit facteur Cheval, Gaudi, Le Corbusier, la

    beaut et la laideur. Et tous ceux qui pensent qu'il faut uvrer pour les enfants

    plutt que pour les parents sont nos amis. " Guy Rottier. 50

    Yona Friedman : donner plus de libert l'habitant. Malheureusement, larchitecte est encore, actuellement, un artis te, qui lhabitant dlgue le droit de choisir son mode de v ie (dhabitant). Ce serait la rigueur possible, si larchitecte connaissait personnellement et trs intimement son client, fait aujourdhui impossible par suite du grand nombre de ses clients prospectifs. Donc, larchitecte (aujourdhui) essaie de supprimer la personnalit de son client, personnalit dont, nous lavons vu, la seule garantie est lacte de choisir. Actuellement lhabitant choisit (peut-tre) son architecte, mais pas son habitat. Pourtant, lhabitant doit aussi avoir le droit de choisir. Il sen rend compte et il critique, en fait, lhabitat uniforme ; alors, on oublie de lui dire que cette uniformit de lhabitat ou des v illes ne vient pas de la pauvret du rpertoire des lments techniques, mais bien du peu dimagination et de savoir dploy dans la variation de lemploi des lments du rpertoire. 51 Pour lui, l'architecte, dans son rle actuel, est inutile. Le narcissisme, trop souvent prsent dans la profession, doit cesser, pour laisser plus de place au futur utilisateur et ses besoins. L'architecte ne construit pas pour lui -mme, il construit pour autrui. Il ne doit pas se mettre la place de l'habitant, mais presque... travailler avec lui, afin de ne plus penser en fonction des standards (le mythe de l'homme moyen), mais en se confrontant l'indiv idu, rel. En parallle, penser et concevoir pour une socit, c'est--dire un "ensemble d'indiv idus qui possdent en commun certaines caractris tiques" 52 (dfinition trs vague, car qui pourrait numrer ces caractristiques objectivement ?) est aussi un leurre, d au manque d'informations prcises.

    50 Guy Rottier, Des paroles en l'air. http://guy.rottier.free.fr/francais/parole/parole.html 51 FRIEDMAN ( Yona), Larchitecture mobile, vers une cit conue par ses habitants, Belgique, d. Casterman, 1970, p. 15 52 Ibid., p.151

  • I. 4. QUEL ROLE POUR LARCHITECTE ? COMMENT CONCEVOIR LARCHITECTURE

    POUR REPONDRE A CETTE NOUVELLE DEMANDE, SANS CESSE EN MOUVEMENT ? | 49

    Yona Friedman met en place dans ses thories des mthodes objectives et scientifiques, o les critres arbitraires ne sont pas tous bannis, mais dcrits comme tant subjectifs et pouvant tre contrls scrupuleusement. Quand Yona Friedman parle de Ville spatiale, il considre que l'architecture doit tre conue

    pour les habitants, qu'ils sont plus importants que l'architecte.

    Le rle de l'architecte est de dvelopper et raliser des techniques neutres. Il met en place une

    grille, ossature rduite garantissant la stabili t de l'ensemble.

    L'habitant pourra ensuite transformer son logement, sa v ille. Par exemple, il lui sera possible de

    transfrer son appartement n'importe quel tage, sans aucune dmolition. Les planchers sont

    dplaables, les murs sont compars des paravents, le plafond sert d'tanchit.

    L'appartement est considr comme un meuble, ou un gr oupe de meubles, que l'on dplace

    dans la v ille spatiale, selon sa volont.

    Dans ce systme, la question du sol naturel est pose. Comment le laisser au maximum libre

    de toute construction ? Pour cela, il rduit les fondations au stric t minimum, dans la s tructure on

    trouve des tours optimisant les circulations verticales. La structure habite 15 -20 mtres du

    sol laisse un espace libre, pouvant tre utilis pour des btiments prov isoires, et multipliant les

    lieux publics, parsems d'arbres et de vgtati on.

    Une grande proportion de l'espace est volontairement laiss v ide, permettant l'usager de

    dcider des corrections ou dplacements effectuer par lui-mme, sans tre oblig de faire

    appel un spcialis te. Ce sont les habitants qui forment leur v ille. La v ille, c'est les gens qui y

    habitent.

    Par le biais de ses projets (utopiques ? pas tant que a puisque les systmes sont tablis

    scientifiquement, et peuvent tre construits et habits...), Yona Friedman espre donner

    l'incitation la jeunesse d'aller plus loin.

  • I. 4. QUEL ROLE POUR LARCHITECTE ? COMMENT CONCEVOIR LARCHITECTURE

    POUR REPONDRE A CETTE NOUVELLE DEMANDE, SANS CESSE EN MOUVEMENT ? | 50

    Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal: plus d'espace, c'est plus de libert. 53

    "Habiter, c'est v ivre, s'est tre acteur dans le paysage, dans l'espace que l'on parcourt, c'est y tre bien." Les images sont changeantes, mobiles, comme un scnario de situations successives. En parcourant la v ille, on repre ses possibili ts. La v ille est riche de ces situations, on doit les chercher, par curiosit; se poser des questions sur les choses, ragir ce qu'elles peuvent porter, dterminer leur potentiel (ce que l'on voit, ce que le lieu permet). La curiosit est le point de dpart de l'histoire que l'on va raconter. On part d'une situation ex istante, on se demande comment les choses sont capables d'voluer (his toires passes, futures, ou imaginaires). Dbattre, (re)chercher, douter, avancer, faire un choix... pour finalement arriver quelque chose, amliorer ce lieu, le transformer, et permettre d'autres de l'utiliser. On doit imaginer les espaces pour les autres, pas pour soi. En tant qu'architectes, nous devons rester dans l'chelle o l'on v it, s'accrocher cette " hyper ralit ", la regarder avec une extrme prcision (observations et analyses de l'ex istant). Le danger serait de s'loigner avec des maquettes de v ille qui pourraient nous dconnecter du monde rel et habit. Habiter une maison, mais aussi toute autre possibili t dans l'espace : le monde est un espace vcu. Nous devons faire le choix d'une ou plusieurs situations; o l'appropriation est la base des transformations. Les qualits intrinsques du lieu doivent tre la base du projet. On sublime les richesses, on se sert des problmes comme base de la rflex ion : les transformer pour les amliorer. Or, aujourd'hui, la tendance est plus la tabula rasa du site et de ses qualits ex istantes ("voil un site vide et un programme"), plutt que de partir de ces qualits pour raliser quelque chose d' extraordinaire. Prenons l'exemple des grands ensembles, o v ivent une centaine de familles, toutes diffremment. Les r-interventions (ou rnovations) se passaient de la mme manire qu' l'poque de leurs constructions : c'est dire, de l'extrieur. Nous devons voir les choses de l'intrieur, essayer de nous mettre la place des habitants, essayer de percevoir les usages, observer et ressentir (autrement qu'en architecte format). Alors que ces logements sont dcrits comme ne correspondant plus aux normes d'utilisation, dans un futur proche condamns la dmolition, les habitants rinvestissent les lieux, pas un logement n'est le mme. Ceci est une situation positive, ralise par les gens. Nous, architectes, devons faire le reste du travail, pour que les logements soient au "top". "Faire de l'architecture, c'est raconter une histoire. Retrouver des questions, du sens, tre de notre temps. Comment faire bouger les limites ?" L'architecte pose les objectifs d'espace, de qualit. Il donne une priorit, en fonction de critres, de ncessit, par exemple la valeur qu'a un lieu pour ses habitants. Plutt que de tout raser, de dplacer les populations, et de recommencer zro, comment amliorer un lieu, en partant de

    53

    Ecrits inspirs de l'esquisse en Master 2 avec A. Lacaton et J-Ph. Vassal et de leur confrence l'ISA Saint Luc Tournai, en fvrier 2010.

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    POUR REPONDRE A CETTE NOUVELLE DEMANDE, SANS CESSE EN MOUVEMENT ? | 51

    l'ex istant, pour qu'i l rponde aux besoins et demandes actuelles ? De la priode moderne et de son pragmatisme sont apparus les grands ensembles. Nous ne sommes plus nous poser la question du bien ou du mal, mais plutt que pouvons-nous faire de ces ensembles d'habitations, en priode de crise du logement ? Essayer de trouver une alternative la dmolition, synonyme d'chec, et cotant des millions d'euros, pour rinvestir cet argent directement dans le logement. En France, alors que beaucoup d'argent et d'nergie sont dpenss dans la dmolition, la demande de logements sociaux ne cesse d'augmenter. Elle s'lve aujourd'hui environ un million ! Leur programme "Plus" donne une alternative la dmolition de cette architecture de masse des annes 1970.

    Ils proposent, entre autres, de percer les faades, afin de transformer les petites ouvertures en de grands pans v itrs, en continuit d'un balcon. Cette action amne de la lumire dans tout le logement, et contribue dj l'amliorer spatialement. Ils travaillent sur une densification de l'ex istant. Ajouter un peu cote moins cher que de tout dmolir et reconstruire... pour finalement apporter moins de logements qu' l'initial. Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal ont dvelopp ce concept pour les tours Bois le Prtre (Paris, 17e) et Saint Nazaire (la Chesnaie). Cette dmarche se situe dans un contexte de dveloppement durable : dans le sens o ils font durer ce qui ex iste dj. Pour la premire, le but tait de faire voluer les typologies vers plus d'espace. Ils ont amlior les choses de l'intrieur, en prenant en compte l'habitant. Par exemple, des systmes autoportants ont t mis en place afin d'enlever l'ancienne faade pour une paroi v itre, ouv erte sur l'extrieur et apportant beaucoup de lumire, etc. Ce qui par la mme occasion amliore la faade extrieure et l'aspect global du btiment. Pour la deuxime tour, il tait question de transformations qualitatives et quantitatives. Quarante logements ont t rnovs, et quarante autres ont t construits, pour le mme budget de dpart (dmolition totale de la tour et reconstruction de trente logements neufs). Au total, cinquante logements en plus que prvu ont pu tre attribus aux familles : ce qui dmontre tout l'intrt de cette dmarche, une excellen te alternative la dmolition. Des jardins d'hiver et des balcons ont t ajouts aux logements, pour plus d'espace et de confort: la densification peut galement tre qualitative. On progresse ainsi d'une situation de type banlieue une situation urbaine de qualit.

  • I. 4. QUEL ROLE POUR LARCHITECTE ? COMMENT CONCEVOIR LARCHITECTURE

    POUR REPONDRE A CETTE NOUVELLE DEMANDE, SANS CESSE EN MOUVEMENT ? | 52

    En 1959, environ quatre mille logements sont construits la Courneuve, qui l'poque tait un quartier de bidonvilles. Depuis, quatre-v ingts barres de logements ont t dmolies, et remplaces par de petits complexes de logements. Il en restait trois il y a quelques annes, une a t dtruite, une deuxime est sur le point d'tre dmolie, et la dernire serait conserve en tant que tmoin du patrimoine du "quartier des 4000". Un projet est lanc pour la construction de trois cents logements, qui remplaceraient les mille trois cent v ingt appartements bientt dmolis... La rponse de Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal serait, toujours dans leur dmarche d'alternative la dmolition, de rutiliser le budget consacr la dmolition d'une des barres et la reconstruction partielle des logements, pour rhabiliter l'ensemble des logements du quartier, et ainsi permettre toutes les familles de rester dans leur logement transform.

    Cette dmarche est aussi valable pour l'habitat indiv iduel et la question de la transformation et de l'adaptation de la maison vtuste, une relecture de la maison moderne ? "Amliorer l'ex istant, c'est rgler ambitieusement toute situation parlant d'espace." L'architecte construit une base pour favoriser l'appropriation de l'habitant. Il ralise ce que les habitants ne savent ou ne peuvent pas faire. Il s'arrte a, que ce soit dans un immeuble neuf ou ancien. Il donne des cls, des potentialits. Comment proposer plus de mtres carrs, avec un mme budget ? Il ex iste des systmes permettant de dilater l'espace, de diminuer les charges de consommation nergtique, par exemple grce un jardin nergti que. Les gens ont une capacit d'adaptation incroyable, autant s'en serv ir, et dmultiplier les possibles.

  • I. 4. QUEL ROLE POUR LARCHITECTE ? COMMENT CONCEVOIR LARCHITECTURE

    POUR REPONDRE A CETTE NOUVELLE DEMANDE, SANS CESSE EN MOUVEMENT ? | 53

    Dans leur projet d'habitations sociales Mulhouse, les architectes avaient "carte blanche" pour inventer un systme, une manire d'habiter diffrente du standard, pour un mme budget. Pour eux, plus d'espace veut dire plus de facil its, plus de possibili ts. Ils ont donc trouv un systme combinant des logements plus grands que dans le programme, avec une multiplicit d'utilisations pour donner le maximum de possibili ts aux habitants. La hauteur sous plafond est de 3m, afin de pouvoir une nouvelle fois multiplier les possibili ts d'appropriation. (En posant comme condition au matre d'ouvrage d' indexer les loyers sur le cot des travaux, et non pas sur la surface des logements.) Le systme des serres horticoles a t repris, pouvant s'adapter au climat.

  • I. 4. QUEL ROLE POUR LARCHITECTE ? COMMENT CONCEVOIR LARCHITECTURE

    POUR REPONDRE A CETTE NOUVELLE DEMANDE, SANS CESSE EN MOUVEMENT ? | 54

    "Habiter c'est le rapport d'un corps un espace, en mouvement." Cet espace doit tre agrable pour le plus grand nombre. "Le plus grand commun multiple", c'est l'espace qui offre le plus de possibilits, de solutions, de libert, pour tous. Quand il y a de l'espace (de grandes surfaces), c'est plus facile que quand il n'y en a pas. Une surface v itre transparente peut tre facilement voile, alors qu'un mur plein ne peut pas facilement tre perc. On ne doit pas voir les gens comme des standards. L'espace doit tre ponctu de points cls, mais doit aussi possder des variations de qualit. Il faut v iter les contraintes, tr ouver des systmes; car les gens s'approprient les choses de manire diffrente de ce que l'on aurait pu imaginer. Organiser, c'est proposer des possibles. C'est pourquoi les espaces ne doivent pas tre trop dtermins, et au contraire pouvoir accueillir plusieurs occupations possibles. Par exemple, dans un loft on peut imaginer des tas de faons de v ivre, au gr des besoins et envies des habitants. Quel est le systme construit qui permet cette capacit d'usage ? Nous pouvons crer des structures flex ibles (pour des logements, des bureaux...). Comment grer un v is--v is, un manque de lumire ? Comment une situation particulire amne des rponses gnriques, mais aussi une rponse particulire ? Par exemple, en se basant sur le systme des serres horticoles, la pointe de la technologie (ventilation, chauffage et rafraichissement naturel, structures gonflables,...), ayant un dispositif dynamique et mobile s'adaptant toutes les situations (climat, humeur, etc.), comment peut-on le complter pour crer des espaces habitables, et trs agrables;