L'Oeil de Marquise...L’autre bord du fleuve Rien ne peut mieux démontrer l’existence de ce...
Transcript of L'Oeil de Marquise...L’autre bord du fleuve Rien ne peut mieux démontrer l’existence de ce...
Boréal
Monique LaRueL’ŒIL DE MARQUISE
Roman
Extrait de la publication
Les Éditions du Boréal4447, rue Saint-Denis
Montréal (Québec) H2J 2L2
www.editionsboreal.qc.ca
Extrait de la publication
L ’Œ I L D E M A R Q U I S E
DU MÊME AUTEUR
La Cohorte fictive, roman, L’Étincelle, 1979 ; Les Herbes rouges, 1986.
Les Faux Fuyants, roman, Québec/Amérique, 1982.
Copies conformes, roman, Lacombe/Denoël, 1989 ; Boréal, coll. «Boréalcompact», 1998.
Promenades littéraires dans Montréal (en collaboration avec Jean-FrançoisChassay), essai, Québec/Amérique, 1989.
La Démarche du crabe, roman, Boréal, 1995.
La Gloire de Cassiodore, roman, Boréal, 2002 ; coll. «Boréal compact»,2004.
De fil en aiguille, essais, Boréal, 2007.
Monique LaRue
L ’ Œ I L D E M A R Q U I S E
roman
Boréal
Les Éditions du Boréal reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour ses activités d’édition et remercient le Conseil des Arts du Canada pour son soutien financier.
Les Éditions du Boréal sont inscrites au Programme d’aide aux entreprises du livre et de l’édition spécialisée de la SODEC et bénéficient du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres du gouvernement du Québec.
© Les Éditions du Boréal 2009
Dépôt légal: 3e trimestre 2009
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Diffusion au Canada: DimediaDiffusion et distribution en Europe: Volumen
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
LaRue, Monique, 1948-
L’œil de Marquise
isbn 978-2-7646-0678-0
I. Titre.
ps8573.a738o34 2009 c843’.54 c2009-941255-1
ps9573.a738o34 2009
Pour Louise-Aurore, née le 1er mai 2008
Extrait de la publication
La chicane
Extrait de la publication
Extrait de la publication
L’autre bord du fleuve
Rien ne peut mieux démontrer l’existence de ce qu’onappelle «l’ironie de la vie» que l’imbroglio engendré par ladispute entre mes frères après le deuxième référendum surl’indépendance politique du Québec. Mon frère Doris, plussérieux, plus zélé que jamais, s’est mis à demander à n’im-porte qui et à tout le monde si on pouvait être raciste à soninsu, inconsciemment raciste, à soupçonner notre famille,notre père, notre grand-père Cardinal de racisme, à traiterLouis de raciste. Un mot que nous n’arrivions pas à nousmettre dans la bouche, à prononcer normalement dans desphrases dont l’un de nous était le sujet. Un mot qui n’exis-tait pas dans notre enfance, comme Doris l’a dit un jour àSalomon. À ce moment-là, la chicane a pris un autre tour.
Je suis la sœur de deux frères qui ne s’entendaient pas:Louis, l’aîné, et Doris. Je suis née entre les deux, j’ai vécutoute ma vie dans leur intime inimitié, compris l’un, com-pris l’autre, comme ces enfants de divorcés qui s’exercent àne pas prendre parti, à concilier l’inconciliable.
Je m’appelle Marquise Simon. Le nom de mon père est Cardinal — Maurice Cardinal. Mais il n’aurait jamaisconsenti à m’appeler autrement que par le nom de mon
11
Extrait de la publication
mari: Mme Salomon Simon. C’est à ce titre que je recevaischaque année une carte Hallmark, pour mon anniversaire.J’ai choisi de porter le nom de mon mari non pas pour meconformer à la tradition, mais pour ne pas porter celui demes frères. Sous le nom de Marquise Simon, j’écris pour lesenfants: des livres, une émission de télé. Je raconte des his-toires dans les bibliothèques,à la télévision,à la radio, sur desdisques que les parents donnent à Noël ou aux anniversaires.Des histoires, il n’y en aura jamais assez pour consoler unenfant. J’écris pour les enfants de dix ans. Je les aide à fran-chir le premier «jamais plus», le cap du chiffre unique. Onvoit tout de suite, dans les autobus, à qui je m’adresse, pourqui je travaille.Chandails trop longs,manches trop longues,pantalons trop bas pour les garçons. Cils ourlés, soutienrembourré pour les filles. C’est comme ça que je me définis,que je gagne ma vie, et fort honorablement. Mon émissionest non éducative. Ma mission est non éducative. Je racontepour apaiser, offrir un répit, une escapade loin des parents.
Mes frères s’imaginent que je me donne un titre denoblesse, que je les toise. Ils ne lisent jamais ce que j’écris,mais ils savent toujours ce que j’écris.
«Elle se prend pour un écrivain!— Pas pour un écrivain, pour une écrivaine.— Un mot qui n’existe même pas en français.— Elle se prend pour une auteure, une outeûreee.— Pour qui je me prends!»
Mes frères, donc…Dr Louis Cardinal, médecin de famille, bienfaiteur
bien-aimé des petits et des démunis. Indépendantiste,défenseur de la langue française, candidat souverainistedeux fois défait. Mon aîné d’un an.
12
Notre cadet, Doris. Artiste floral, hybrideur, architectepaysagiste. Créateur de beauté et en cela bienfaiteur, luiaussi.
Dix ans de différence, moi entre les deux. Capable de lescomprendre, de les sentir, incapable de les comprendre, depénétrer dans leur tête, dans leur corps. Deux hommes etune femme, deux frères et une sœur. Notre seul consensusserait l’amour de l’hiver, dans tous ses états. Nous n’avonsque mépris pour les sanglots de l’automne, les attendrisse-ments printaniers, détestons les joies, les avachissements de l’été.
Louis.A passé une grande partie de sa vie dans un petit
bureau aux murs placardés de chêne, rue Hochelaga, dansles dispensaires, les salles d’attente, les CLSC, les couloirs del’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, le nez dans les bacté-ries, le pus, dans les trous et les replis les plus dégoûtants denotre corps. Le nez bouché.
Doris.Une grande partie de sa vie penché sur des plans de
parcs et de jardins, dans la lumière diffuse et l’humidité desserres, le silence de ses boutiques, des sanctuaires, plutôt,odorants et paisibles. Connu à travers le monde via Inter-net pour ses ikebanas fusion, ses bonsaïs boréaux, ses archi-pels de jardins, ses métissages de paysages.
Louis dans la matière humaine, Doris dans le végétal etle minéral, Louis grand et bâti, Doris petit et sec, l’un extra-verti, sanguin, oppressé, l’autre oppressé mais renfermé. Unfumeur, un non-fumeur. Un buveur de vin et un buveur de thé. Un buveur de vin qui voudrait être buveur de thé etun buveur de thé qui a peur du vin.
À égalité quant au niveau de vie.
13
Extrait de la publication
Quand le Petit est né, j’avais neuf ans et Louis en avaitdix. Cela faisait déjà plusieurs années que nous étionsdéménagés de l’autre bord du fleuve. Nos parents avaientdemandé au locataire du haut, Rainier-Léopold Osler — àcette époque un illustre inconnu —, d’être le parrain, parceque notre père s’entendait bien sur les questions théolo-giques avec Osler. Mais avant qu’on puisse choisir la mar-raine, il y a eu un drame, heureusement un faux drame,avec le couteau de cuisine, et Osler est parti pour une des-tination inconnue qu’on sait aujourd’hui être l’Algérie,puis Cuba, peut-être le Pays basque.
Osler, Osler, Osler…Je l’ai vu s’en aller par la fenêtre du sous-sol d’où j’at-
tendais les Russes. C’était la Guerre froide et Louis, qui lisait le journal et discutait déjà de politique, m’assurait queles Russes allaient arriver par le pôle Nord, descendre lefleuve Saint-Laurent en sous-marins et nous faire abju-rer notre foi catholique. À Fatima, la Vierge avait pleuré surle Canada. Je guettais les navires de guerre, dans la plusgrande ignorance de l’histoire du monde.
Osler est parti à l’aube. Il portait une cape noire, unbéret, des souliers en cuir noir. Mon souvenir de lui ce jour-là se confond avec des photos d’André Gide, à cause de lacape et du béret. Jeune et fier avec sa barbe blonde, le regardintense et exalté. Au garde-à-vous sous la seule ampouleélectrique de la rue, qui nous faisait l’honneur de se trouverdevant chez nous. Un taxi est arrivé. Un taxi! Il était bien leseul à prendre le taxi. Plus tard dans la journée, Mme Tous-saint, sa «ménagère», est venue nous porter un chèque.Osler ne manquait jamais d’argent.Mme Toussaint repassaitses chemises, elle faisait sa cuisine, son ménage. C’était unefemme exubérante, toujours de bonne humeur, comme onen connaissait peu autour de nous. Deux originaux.
14
Le lendemain, un camion de déménageurs a pénétrécomme un tank russe dans notre petite rue et on a vu lesmeubles d’Osler disparaître un à un: le buffet à pointes dediamant, l’armoire chantournée, le vaisselier et la huche àpain dénichés au fin fond des rangs, derrière l’ancienne sei-gneurie de Cap-Aurore. Où sont allés ces meubles? Je ne lesais pas non plus.
Osler nous ayant quittés, nos parents ont décidé quenous serions parrain et marraine de l’enfant à naître. Lefrère de notre mère, un jésuite qu’on appelait «pèreDoris», nous a expliqué que nous serions ses gardiens sinos parents mouraient, et cela, tant que nous serions en vie.La porteuse serait une cousine qui s’appelait Doris enl’honneur du premier. Qu’il soit garçon ou fille, le bébés’appellerait donc Doris.
Notre mère a perdu ses eaux un matin très tôt. Grand-père Aubin, un petit homme à la voix éraillée qui sentait letabac à pipe, est venu de la ville en autobus pour prendresoin de nous, avec un sac de nos chocolats préférés: des KitKat, des Caravan, des Caramilk. Notre père était parti enexpédition.
Au baptême,Doris a porté la robe longue qui avait servipour nous, à la différence que Louis et moi avions été bap-tisés à Montréal, par le chanoine L. G. Quand le père Dorislui a mis du sel sur la langue pour faire sortir le démon deson corps, il n’a pas bronché. Il me semble que ses yeuxbalayaient déjà le monde comme des gyrophares, mais onme dira qu’un bébé naissant n’a pas de regard.Sous prétexteque je n’ai pas eu d’enfant, chacun veut m’en remontrer.
C’était un petit garçon aux oreilles décollées, au déses-poir de notre mère. Une tête de radar, un «p’tit v’nimeux»,
15
«pas franc», «un sournois», dirait bientôt notre père. Oùest la poule, où est l’œuf? Tout ce qu’on peut dire, c’est quele soupçon était dans l’œuf.
Après le baptême, notre mère a passé des petits fours,des sandwiches sans croûtes commandés à la pâtisserie. Etpendant qu’ils poireautaient entre adultes, nous noussommes glissés, Louis et moi, dans la chambre où dormaitle Petit, qui était jusque-là notre chambre. À la place de noslits, nos parents avaient mis un berceau tapissé de satin quidatait de nos aïeux. On nous avait relogés au «sous-solfini». Quand on avait emménagé dans cette maison, lefleuve débordait au printemps et l’eau montait dans la cave.Notre père avait fait installer une pompe, il avait demandé àOsler de refaire le «solage». Ils avaient beau dire qu’il n’yaurait plus d’inondations, qu’on allait canaliser le fleuveSaint-Laurent, j’avais quand même peur des rats d’égoutqui pouvaient entrer par les tuyaux et la cuvette des toilettes.
Osler savait tout faire. Il avait vu la guerre, il connaissaitla charpenterie, la menuiserie, et savait comment fabriquerdes meubles, malaxer le ciment. Il disait que ce que notrepère appelait le «solage», on devait plutôt appeler ça les«fondations». «Osler est un Jack of all trades», disait notrepère, avec envie. Lui n’était pas habile dans une maison. Iln’était habile qu’à la chasse, à la pêche, dans la forêt. Il uti-lisait un mot anglais quand il avait besoin d’exprimer l’en-vie et le mépris mêlés.
Nous avons entrebâillé la porte de notre ex-chambre,où ça sentait désormais le talc, le lait caillé, la merde vertedes bébés. Louis voulait voir si on pouvait jouer avec cepetit frère qui nous attirait les moqueries du voisinage.«Votre mère est bien trop vieille pour avoir un bébé»,disaient les Kulnicki, nos ennemis d’en face — des pauvres,qui habitaient un ancien chalet d’été. «Votre mère a des
16
cheveux gris! Elle est trop vieille! Les Cardinal vont avoirun bébé! Han-han-ahan-han…»
En voulant le sortir de son berceau, Louis s’est empêtrédans le tulle et le bébé s’est mis à crier, avec la voix de sten-tor dont sont dotés les nouveau-nés. Nous avons examinésa petite bouche sans dents, écarlate, ses gencives rougescomme des blessures, son visage torturé. Il avait descoliques, il avait faim, il faisait des crises depuis qu’il étaitarrivé, jamais rassasié, jamais apaisé. Un tyran. Notre mèreépuisée n’était pas capable de faire face à ses exigences.
Mais son petit doigt lui disait tout. Elle est arrivée encoup de vent, comme si elle sortait d’un rêve, elle nous acrié en chuchotant (elle avait une manière de crier en chu-chotant): «Mais qu’est-ce que tu fais là, Louis, pourl’amour! Est-ce que tu veux le tuer, ce bébé-là?»
Est-ce que tu veux le tuer, ce bébé-là!Nous, parrain et marraine, n’avions bien entendu
jamais pensé à tuer notre frère et filleul et ne l’avons jamaisfait non plus. L’idée a pourtant été introduite dans notretête.
Ça allait mal. Notre père avait raté un concours. Il étaitarpenteur-géomètre et travaillait pour «la Couronne» —une couronne en or pur qui nous mettait au-dessus ducommun, nous permettait de regarder nos voisins de haut.La Couronne nous mettait sur un piédestal. Mais il venaitde rater un avancement vers cette «Couronne» qui régnaitsur les terres et forêts de la reine d’Angleterre. Selon ce qu’ilnous en a toujours dit, il ne parlait pas suffisamment l’an-glais. Et notre mère faisait une «dépression». C’était lenom d’une nouvelle maladie, une invention des médecins,des ennemis intimes, plus intimes peut-être que les Anglais.Nos parents ne croyaient pas à l’existence de la maladiementale. Mon père ne m’a jamais pardonné d’avoir épousé
17
Salomon Simon, un psychiatre. J’ai introduit un chamandans la famille, un devin des reins, des cœurs et des sexes.Ce n’était pas un cadeau à faire à un homme soupçonneux.
Si notre mère était encore de ce monde, elle nieraitnous avoir dit de telles paroles: «Est-ce que tu veux le tuer,c’est un bébé naissant, si tu l’échappes, il peut mourir, c’estfragile, la tempe d’un bébé naissant, mince comme dupapier, leur crâne est mou, est-ce que tu lui as cogné la tête,réponds! Réponds donc! Qu’est-ce que vous lui avez fait,vous deux, là, à ce bébé-là? Dites-moi la vérité.»
Elle était maigre et osseuse, mais son ventre était encoreballonné, son dos voûté, tout son corps penchait par enavant, déséquilibré par la grossesse. «Viens ici un peu,Louis. J’ai envie de te saisir par les ouïes, mon p’tit gars.Viens! Touche! Mets ta main ici! Son crâne n’est pas fermé,le sens-tu, là? Une aiguille à tricoter est capable de le tuer. Ilva peut-être être fou, ce bébé-là, à cause de toi.»
Il va peut-être être fou, ce bébé-là, à cause de toi.Elle avait cette manière de prendre notre main pour
mieux nous montrer comment tracer une lettre, éplucherune pomme. Elle a obligé Louis à palper la fontanelle quipalpitait sous le duvet. Ensuite, nous, parrain et marraine,allions guetter pour voir si ce bébé-là allait être fou.
Il n’a pas demandé à naître plus que vous autres, ce bébé-là.
Pourquoi, pourquoi est-ce qu’on nous parlait de mortet de folie, comme si on pouvait comprendre des chosesaussi graves à neuf et dix ans?
Osler est parti, Doris est né à la fin de l’été. L’été 1957.L’été des mites. Notre mère enceinte fait son grand ménageet des nuées sortent de la chambre antimites. Un fléau sans
18
Extrait de la publication
nom, dirigé contre nous. Nos manteaux d’hiver, en lainebleu marine, ceinturon et capuchon rouges, l’habit denoces et la robe de mariée: les mites ont tout ravagé. Uneplaie d’Égypte dans une vallée de larmes. Des poux dansnos rosiers, des chats qui viennent faire leurs besoins sousnos fenêtres, des papiers gras que les voisins demandent au vent de nous envoyer, avec la graine de leurs pissenlits,leurs feuilles d’automne, et maintenant les mites. Tout vientde chez eux, les Kulnicki, des «sans-dessein» qu’on toisaitsans vergogne, qui vivaient dans un chalet alors que nous,de l’autre bord du chemin, nous habitions une authentiquemaison victorienne avec une tourelle, comme dans lescontes.
L’été des mites, l’été des mannes dans les moustiquairesque notre père appelait screens. «Maurice! soigne ton fran-çais devant tes enfants.» Il employait des mots anglais pourse défouler, screens, sink, desk, pour se venger des Anglaisqui lui avaient enlevé un échelon de sous les pieds, quil’avaient «barré» de l’échelle des salaires et dont la Cou-ronne l’obligeait à «lécher les bottes».
Les mannes sont des éphémères et les éphémères n’ontrien à voir avec la manne qui tombait en rosée dans ledésert pour les Hébreux, mais à l’époque je confondais les deux. Mon mari, Salomon Simon, a reçu pendant desannées une boîte de manne d’Iran d’un de ses anciensélèves au Douglas Hospital. Les élèves de Salomon l’ai-maient comme un père.
En ces années d’avant Salomon, dans ces limbes d’avantMontréal, nous jouions à faire des galettes au bord dufleuve Saint-Laurent. Ce qu’Osler appelait «faire des rico-chets». Nous étions les seuls enfants dans les environs à
19
Extrait de la publication
part les Kulnicki, à qui on avait déjà cessé de parler quandDoris est né, à cause d’un incident entre Louis et l’aîné desKulnicki sur la patinoire de hockey. On pourrait penser quenous vivions dans une société dite «multiculturelle»puisque habitaient, au-dessus de nos têtes, un hommed’origine belge nommé Osler et, en face de chez nous, cesKulnicki que nos parents croyaient être des «immigrants».Mais ce n’était pas le cas. Je me suis fait dire des années plustard par Christian Kulnicki, un grand metteur en scène quia adapté un de mes contes pour le théâtre, qu’un certainKoulnitzszy serait arrivé ici avec un régiment de merce-naires, au XVIIIe siècle, qu’il aurait épousé une Canadiennefrançaise et que tous les Kulnicki du Canada descendraientde cet homme.
Le bord de l’eau sentait le bois pourri, l’huile à bateau.Les vaguelettes bruissaient au passage des paquebots à che-minées qui s’avançaient vers le port de Montréal. Tout cela a disparu avec la canalisation du Saint-Laurent, laconstruction d’une route transcanadienne. Avant la cana-lisation, les inondations étaient annuelles comme les cruesdu Nil, les eaux montaient dans les jardins, alimentaient lesgrands saules. Au printemps, on se déplaçait en chaloupedans la rue. Notre père chaussait ses bottes de pêche pourdescendre à la cave. Durant l’été, il amarrait la chaloupe aubout de la rue pour aller à la pêche avec Osler, avant le leverdu soleil. Notre mère faisait pousser des fraises et des fram-boises au bord du fleuve. On jouait dans les terrains vagues,près des fils barbelés et des baraques de l’armée cana-dienne. Louis réussissait des «galettes» de dix coups.Jamais Doris n’a réussi le moindre ricochet. Il n’a pasconnu Osler. Quand il est né, les travaux de canalisation dufleuve Saint-Laurent étaient déjà commencés. Rien n’étaitplus pareil, aux abords du grand fleuve tels qu’on peut les
20
Extrait de la publication
voir sur une aquarelle achetée par notre grand-père à unpeintre local nommé Marc-Aurèle Fortin.
Notre grand-père Cardinal était un collectionneur de«Canadiana» et notre père a poursuivi sa collection. SelonDoris, c’est ce grand-père qui aurait posé une pancarteantisémite à l’entrée d’un village des Laurentides fondé parson père, Mardochée Cardinal.
Extrait de la publication
Table des matières
La chicane
L’autre bord du fleuve 11
Référendum: la veille 22
Montréal 31
Référendum: suite 48
Les deux refus
Carmen entra 63
Jimmy Graham 68
La soupe à l’estomac de vache 83
Le frère qui avait peur d’être raciste 91
La guerre d’Espagne 101
L’amour véritable 107
Transfuge 113
379
Extrait de la publication
Premier refus 124
Ironie des petites villes 131
Deuxième refus 135
Saint-Savin (France), automne 2007
Le soupçon dans l’œuf 155
Le saut du millénaire
Fin 1999 169
Un père et un fils qui ne s’étaient jamais rencontrés 176
Le Mur de la paix 180
Qu’est-ce qu’un accident? 194
On passait, on trépassait 199
Le vernissage funéraire 210
Virginia Woolf et Pablo Picasso 220
Un manteau caca d’oie 224
Osler 230
Marco Polo et Rosa Luxemburg 241
Youri Minamoto Yamakasi Marchessault 260
Dans la forêt 269
Zigzags 275
Carnaval 284
380
La chance de l’amour
Saint-Savin 293
La photo 302
Le frère qui se considérait comme antiraciste 311
Café Nostalgie 322
Le Zócalo à Cap-Aurore 335
Du sang dans mon jardin 347
Le baiser de Jimmy Graham 351
Osler n’est pas ton père 360
Le pire 364
Le temps continue son tricot 373
Extrait de la publication
MISE EN PAGES ET TYPOGRAPHIE:LES ÉDITIONS DU BORÉAL
CE DEUXIÈME TIRAGE A ÉTÉ ACHEVÉ D’IMPRIMER EN NOVEMBRE 2009
SUR LES PRESSES DE MARQUIS IMPRIMEUR
À CAP-SAINT-IGNACE (QUÉBEC).
Extrait de la publication
Extrait de la publication
Extrait de la publication