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L Le e S Se en ns s d de e l l H Hi i s st t o oi i r r e e Le Traité de M’bé Un marché de dupes R OYAUME DE MAKOKO l’arbre à Palabres # 12 - Nov. 2002 134 PATRICE JOSEPH LHONI

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LLee SSeennss ddee ll’’HHiissttooiirree

Le Traité de M’béUn marché de dupes

ROYAUME DE MAKOKO

l ’arbre à Palabres# 12 - Nov. 2002

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PATRICE JOSEPH LHONI

LLESES ORIGINESORIGINES DEDE MMAKAKOKOKOO

ETET DEDE SONSON RROOYYAAUMEUME

À l’arrivée de De Brazza, ce royaumes’étendait au Nord et à l’Est jusqu’à la rive droi-te de l’Ogooué à Franceville, dominant tout leplateau Batéké, y compris le bassin entier del’Alima, au Sud depuis le confluent de l’Alimajusqu’aux cataractes du Congo en suivant la ri-ve droite et même en empruntant parfois lesdeux rives. À l’Ouest, le bassin du Djoué en fai-sait partie.

Toute la partie Nord du plateau n’y restaitattachée que par la communauté de langage;la pauvreté de ses sables, la presque nullité deson commerce, à part celui du tabac, compa-rées aux richesses d’ivoire qui circulaient sur leCongo, avaient fini par la faire négliger, puisoublier des Makoko qui s’étaient succédé à Mbé.

(...) Cette hégémonie des Makoko est anté-rieure au temps où des Capucins portugaisévangélisaient la côte de l’A-tlantique, et on latrouve nettement mentionnée dans les vieuxgrimoires de cette époque reculée dont quelques-uns ont figuré aux archives de la Mission deLandana. Elle doit avoir eu pour origine l’exer-cice des droits de péage prélevés sur les caravanesdes Bacongo qui portaient fort loin à l’intérieurdes marchandises de troc, le sel surtout, à la re-cherche de l’ivoire, du copal et des esclaves(MAKOKO, vu par De Chavannes).

L’origine que De Chavannes attri-bue à ses Makoko est douteuse : Elledoit avoir eu pour origine l’exercice desdroits de péage prélevés sur les caravanesdes Bacongo...

D’autre part, le secrétaire de DeBrazza fonde le Royaume des Makokosur le fait d’un monopole commercial quileur aurait valu tout (leur) éclat.

Essayons de rétablir les faits dansleur véracité.

Makoko (mieux, Mukoko) seraitun descendant des Rois de Mbanza-Kongo. Cette filiation peut paraîtreétrange.

Qu’on se rappelle que l’ancienRoyaume de Kongo qui était composéde six provinces (mises à part celle deLoango et Kakongo, semi autonomes)comprenait la province de M’Sundi.Elle se situait au Nord et Nord-Est duRoyaume. La majeure partie de la ré-gion méridionale de l’actuelleRépublique du Congo faisait partie dela province de M’Sundi. La frontièreseptentrionale du Royaume de Kongoétait marquée par une ligne joignant leNord de Loango à la boucle duKuango, en passant par le Nord deMpumbu (actuelle région du Stanley-Pool), parallèle situé à 5° de latitudeNord.

Comment, dès lors, expliquer quecette partie Nord de l’ancien Royaumede Kongo soit placée sous la coupe deMukoko, ou fasse partie intégrante del’Anzica, à partir du XVIe siècle ?

À la fin du XVe siècle, une révoltedes tribus Batéké à la frontière Nord-Est du Royaume de Kongo provoqueune guerre. Le Roi de Kongo quitriomphe soumet les Anzicos (Ayanzi ?Ayaka ?) 1.

. . . M'ZINGA-M'KUWU meurt en 1506. Son fils ,M’ZINGA-MBEMBA, rompt son exil de M’Sundi, et rentre àMbanza-Kongo pour prendre la succession de son père.Grand Roi, il travaille au maintien de l’unité duRoyaume, et le pays d’Anzica apparaît dans ses titres de1535.

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1 - Si, au contraire, on soutient queles MAKOKO descendent de la tribuguerrière des Jagas (?), vainqueursd’Ambouila (1665), qui ont contri-bué à la décadence du Royaume duKongo, la thèse de leur parenté avecles Rois de Mbanza-Kongo s'ef-fondre. Or les Jagas seraient les as-cendants des Bayaka. Il faudrait alorsprouver les affinités entre les Batékéset les Bayaka, sur la base, parexemple, de considérations linguis-tiques, sociologiques, etc.

D'autre part, la révolte desBatékés, à la fin du XVe siècle, s'étantproduite à la frontière Nord-Est duRoyaume de Kongo, on peut suppo-ser que les Jagas ont occupé, par lasuite, et à cheval sur le Congo, les ré-gions Nord et Est, en amont deMpoûmou. Ici encore, le doute estplus grand sur la parenté Batéké-Jaga, au profit de celle Jaga-BayakaPourquoi ?

Les tout premiers historiens duRoyaume de Kongo ont été lesPortugais. Il est donc probable, etmême certain, qu'en écrivant Jaga,ils aient donné au " J " de l’alphabetfrançais valeur de i consonne latine =iaga, ce qui nous rapproche de iaka,yaka, ba-yaka.

LE SENS DE L’HISTOIRELE SENS DE L’HISTOIRE

Qui est ce Roi ?M’zinga-M’kuwu, le 4è Roi de

Kongo, qui mourra en 1506. Cette da-te est déterminante, car, que s’est-il pas-sé entre 1506 et 1580, puisque dèsavant 1583, l’Anzica (soumis au siècledernier) est désigné comme étant leRoyaume du Mucoco ? Non moins dé-terminants sont les noms de M’Kuwuet Mucoco, pivot de notre thèse.

Au début du XIVe siècle, un dramese joue à la cour royale de Mbanza-Kongo : Lukeni, fils cadet de Nimi-A-Lukeni (ou peut-être Nimi-A-Nzima),ancêtre (présumé) fondateur de la dy-nastie, tue sa tante paternelle. Ill’éventre, tuant aussi le fœtus qu’elleportait en elle. De cette façon, Lukenicroit avoir mis fin à la lignée royale ma-ternelle, et, fort ambitieux, il peutmaintenant briguer le trône sans obs-tacle. Mais, par crainte des représaillespaternelles, il détrône son père et s’em-pare du pouvoir, aidé de ses partisans 2.

De ce fait, Lukeni vient de détruire

une conception ouune pratique millé-naire de l’usufruit dupouvoir, pour ainsiparler, qui se trans-met en descendancedirecte, soit au seindu groupe des frèresutérins, soit au ni-veau du groupe desneveux maternels,soit des oncles ma-ternels, à neveux ma-ternels (summum dumatriarcat).

Mais le doubleforfait de Lukeni nesera pas oublié duclan royal maternel,héritier légitime du

trône de Mbanza-Kongo. De plus, lefils de Lukeni, M’zinga-M’kuwu, suc-cédant à son père, adoptera la religionchrétienne, car, sous l’impulsion de JeanII du Portugal, une véritable expéditionmissionnaire fut organisée au cours del’année 1490, huit ans après la découverte(G. Balandier : La vie quotidienne auRoyaume de Kongo du XVIe au XVIIIesiècles, Hachette, 1965), et M’zinga-M’kuwu sera baptisé en 1491, sous lepetit nom de Joao 1er, par déférence auRoi Jean II du Portugal. (...) le Roi de-manda à recevoir le baptême avant qu’el-le (l’église) ne fût achevée, car une révol-te des tribus Batékés à la frontière Nord-Est l’obligeait à partir pour la guerre. Onle baptisa donc, (...) ce fut pour M’zinga-M’kuwu (...) un tourment mortel que devivre dans les limites de la loi évangélique(...). Avec quelques partisans, le fils aînédu Roi, Mbemba-N’zinga, baptisé, de-meura fidèle au christianisme, et pour l’enpunir, le Roi l’exila dans la province deM’Sundi.

Mais M’zinga-M’kuwu meurt en

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2 - D’autres historiens rapportentque le fils de LUKENI serait WENE,devenu M'TINU (chef), lors de sonavènement, et que c'est lui qui auraittué sa tante, et chassé son père pourrégner à sa place. Le même M'TINU-WENE aurait, avant son crime, étégouverneur de la province deM'Sundi. M'ZINGA-M'KUWU auraitété son fils... Quoi qu'il en soit, etquel qu'ait été le lien de parentéentre M'ZINGA-M'KUWU et LUKENI,cette autre interprétation n'enlèverien au bien-fondé de notre thèse, latradition permettant, sinon recom-mandant de donner les noms desgrands pères (maternels comme pa-ternels) à leurs petits-fils. Ainsi,M’ZINGA-M'KUWU pouvait bienporter le nom d'un ancêtre paternel :M'KUWU lequel serait le fameuxMUCOCO (de BRASIO) ouENCUQUANZICO-M'KUWU-ANZIKE

(de PACHECO PEREIRA) ! C'est là, es-timons-nous, une source de beau-coup de confusion chez les historiensétrangers aux mœurs locales.

PIERRE SAVORGNAN DE BRAZZA

LE SENS DE L’HISTOIRELE SENS DE L’HISTOIRE

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1506. Son fils M’zinga-Mbembarompt son exil de M’Sundi qui avaitduré près de quinze ans (de quoi jeterdes bases solides sur sa terre péniten-tiaire !) et rentre à Mbanza-Kongo pourprendre la succession de son père.Grand Roi, il travaille au maintien del’unité du Royaume, et le pays d’Anzicaapparaît dans ses titres de 1535.

M’zinga-Mbemba ou Dom Afonsose révélera très vite à la hauteur de sesnobles fonctions, et très chrétien, il se-ra beaucoup soutenu par les Jésuitesportugais dans le fonctionnement duGouvernement de son Royaume, etdans le maintien de la paix intérieure.M’zinga-Mbemba aura le règne le pluslong, près de 37 ans de pouvoir. Ilmeurt en 1543.

La vacance du trône va donner lieuà la confusion. Les luttes pour le pou-voir vont surgir entre modernistes (par-tisans de la politique instaurée parM’zinga-Mbemba) et conservateurs (leshéritiers légitimes farouches au chris-tianisme). La crise va durer deux ans aucours desquels des frères rivaux vont sedisputer le trône. Il faudra l’avènementde Dom Diogo (M’kumbi-M’pudi-A-M’zinga), 1545-1561, pour que leRoyaume retrouve un monarque dustyle Dom Afonso 1er (M’zinga-Mbemba). Mais Dom Diogo, contreles forces étrangères de plus en plus en-vahissantes (les Portugais, missionnaireset spéculateurs), choisit de rester seulmaître chez lui, et décide l’expulsion desétrangers.

La mesure provoque le méconten-tement et bientôt le Royaume connaî-tra une série d’attaques sporadiques, del’intérieur aussi bien que de l’extérieur...

À partir de Dom Alvaro, le troisiè-me successeur de Dom Diogo, 1568-1587 (cette dernière date a une impor-tance significative), l’avenir du

Royaume est menacé et, dès avant1583, l’Anzica est désigné comme étantle Royaume du Mucoco (démembre-ment Nord du Royaume de Kongo) etla bataille d’Ambouila (1665) consa-crera la décadence de Mbanza-Kongo(démembrement Sud du Royaume, fa-vorisé par d’incessantes intrigues por-tugaises)...

Ledit Royaume du Mucoco durerajusqu’en 1880, lorsque Makoko se se-ra placé sous la protection de la Francepar le fameux traité de Mbé.

La parenté des Makoko avec lesRois de Mbanza-Kongo peut s’établiraussi à partir des indications de certainshistoriens qui se sont spécialement in-téressés à l’ancien Royaume de Kongo.Nous en citerons deux :

– Antonio Brasio (MonumentaMissionaria Africana) : Mucoco sembleêtre une forme de Nkuw = Roi 3.

– Duarte Pacheco Pereira appelle leRoi d’Anzica, Encuquanzico-Nkuw-a-N’Zike, Roi des Batékés.

Mais nous ferons remarquer, à re-gret, que le fait pour les deux historiensd’avoir mal orthographié (ou mal en-tendu) le nom de M’Kuwu (qu’ils ontécrit avec N au lieu de M) déroutequelque peu. Car, si le premier (Brasio)avait écrit M’Kuwu (avec M’ apos-trophe, de surcroît), le second (Duarte)aurait transcrit Emcuquanzico. Mais,même ce faisant, Duarte se serait cruobligé de prononcer séparément lalettre initiale M’ (èm) et le reste dunom : Kuwu. Il aurait alors écrit plusintelligiblement : M’CUCUANZICO,mieux, NKUKU-ANZICO (sans les c et lesq qui en alourdissent l’orthographe, etdéroutent davantage). De la sorte, deM’CUCU à M (U) COCO, MUKOKO, iln’y aurait eu qu’un pas !

Enfin, un dicton local ne vient-il pasconfirmer cette parenté : Muté Ngunu,

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3 - M'KUWU pourrait bien être aussila corruption de MPFUMU = Chef,dont une mauvaise transcriptionaurait résulté d'une mauvaise com-préhension.

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Mukuo Ngunu.Nous Messieurs nous estimons que le

protectorat vaut infiniment mieux quel’annexion. Après le grand déploiement deforces militaires que le Gouvernementfrançais vient de faire, nous ne voulons pasde cette conquête et nous n’avons pas in-térêt à la faire.

(Jules Ferry, discours sur laTunisie).

LE DOSSIER

DE MOUKOKO M’BALI-BRAZZA

NNous espérions trouver le

dossier de MoukokoM’Bali-Brazza tout pou-

dreux, dans des archives, et l’en sortir,tout embaumé de moisissure !

À notre grande déception, il n’en aété rien : les archives s’étaient éparpilléesaux quatre vents de l’ouragan qui balayala colonisation, et nous arrivionsquatre-vingt-dix ans trop tard !

Il y a longtemps que les signatairesdu Traité de Mbé, ses interprètes et sescommentateurs étaient tous morts. Leursvoix, ainsi que les salves des fusils grasmarquant l’événement, s’étaient tusdans le lointain du temps.

Nous n’avons pu retrouver, par-ci,par-là, que quelques bribes d’un papierautoritaire et décisif, à allure « juri-dique », qui s’est abîmé au fil des ans !

Vaille que vaille, nous avons essayéde le lire entre les lignes, sans très bienle comprendre. Alors, il nous a fallunous faire une idée précise des hommesen cause, et de leur époque : nous avonssurvolé le temps ; nous nous sommesrendus sur les lieux...

Au mutisme des lieux et deshommes, nous avons substitué uneanalyse personnelle, aussi objective quepossible, et nous avons fini par décou-vrir la fin véritable du Dossier !

Un marché de dupes ?Makoko aurait dit à Savorgnan De

Brazza :N’couna m’appartient ; je te donne

d’avance la partie que tu désigneras ;Ngaliémé donnera ma parole aux chefsqui tiennent en mon nom, et qui dépen-dent désormais de toi.

Brazza prit la route de M’foa. Il ychercha la meilleure place pour installerson poste. Il convoita le village du chefNghia (17 cases entourées, selon DeChavannes, de maigres plantations demaniocs et de bananiers). Contre le grédu chef Nghia, Brazza acheta son villa-ge pour 920 barrettes, c’est-à-dire environ150 francs-or de l’époque, soit moins de1 000 francs de nos jours (1973) !

TOUT A COMMENCÉ À MBÉ

Il n’y avait pas encore dix ans,moins de sept ans exactement que lefameux Traité, dit d’amitié, venaitd’être conclu à Mbé, le 10 septembre1880 et 1’avenir du Royaume deMakoko était compromis.

De Station Française de N’counad’abord, du Congo-Gabon ensuite, levillage de De Brazza donne curieuse-ment naissance à un vaste territoire : LeCongo Français ! De Brazza en devientGouverneur Général dès 1887. LeRoyaume de Makoko avait disparu.

Dès 1882, De Brazza rédige sonrapport au Gouvernement français :

J’ai l’honneur de remettre entre vosmains le traité conclu avec le RoiMakoko, dont la suprématie s’étendsur le territoire situé sur la rive droitedu Congo en amont des grandes cata-ractes de ce fleuve.

Par ce traité, Makoko se met sous laprotection de la France et lui cède uneportion de son territoire.

Importance géographique du territoi-

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re occupé. Le terrain concédé est délimitépar les rivières Impila et Djoué ; il s’étendsur toute la rive droite du lac nommé parles Indigènes Ncouna (Ntamo), sur un es-pace de 10 milles, le long du Congo, im-médiatement en amont de la dernière ca-taracte ; c’est le point commercialementstratégique autour duquel s’agite la ques-tion du Congo.

Préliminaires du traité. Makoko te-nait beaucoup à ce qu’on établît près desa résidence à Mbé le nouveau village desBlancs. Ce n’est pas sans regret qu’il accè-de à ma demande de le fixer plus loin àNcouna lors même que je lui eusse expli-qué la raison de mon choix qui était d’ou-vrir sur ce point une route plus facile auxBlancs Fallâs (Français).

Ncouna (Ntamo) m’appartient, dit-il, je te donne d’avance la partie que tudésigneras ; Ngaliéma donnera ma paro-le aux Chefs qui tiennent la terre en monnom et qui dépendront de toi.

Le 3 octobre l88O, Brazza prend of-ficiellement possession de M’foa :

Au nom de la France et en vertu desdroits qui m’ont été conférés le 10 sep-tembre 188O par le Roi Makoko, le 3octobre j’ai pris possession du territoire quis’étend entre la rivière Djoué et Impila. Ensigne de cette prise de possession, j’ai plan-té le pavillon français à Okila en présen-ce de Ntaba, Scianho-Ngacko, Juma-M’voula, Chefs vassaux de Makoko, etde Ngaliéma, le représentant officiel deson autorité en cette circonstance. J’ai re-mis à chacun des Chefs qui occupent cet-te partie du territoire un pavillon fran-çais afin qu’ils l’arborent sur leurs villagesen signe de ma prise de possession au nomde la France. Ces Chefs officiellement in-formés par Ngaliéma de la décision deMakoko s’inclinent devant son autorité etacceptent le pavillon et par leur signe faitci-dessous donnent acte de leur adhésionà la cession du territoire faite par Makoko.

Le SergentMalamine ,avec deux ma-telots, reste à lagarde du pa-villon et estnommé provi-soirement Chefde la StationFrançaise deNcouna.

Par l’envoià Makoko dece documentfait en triple etrevêtu de masignature et dusigne des Chefs,ses vassaux, jedonne àMakoko acte de ma prise de possession decette partie de son territoire pour l’éta-blissement d’une Station Française.

Fait à Ncouna dans les États deMakoko, le 3 octobre 1880.

L’Enseigne de Vaisseau,Signé : P. Savorgnan De Brazza.Ont apposé leur signature : Le Chef Ngaliéma, représentant de

MAKOKO ;Le Chef Scianho-Ngaékala, qui por-

te le collier donné par Makoko et com-mande à Ncouna sous l’autorité deMakoko ;

Le Chef Ntaba ; Le chef Juma-M’voula.Le Roi Makoko, qui a la souverai-

neté du pays entre les sources de l’embou-chure de la Léfini et Ncouna, ayant ra-tifié la cession de territoire faite parNgampey pour l’établissement d’uneStation Française, et fait de plus cessionde ses droits héréditaires de suprématie,désirant, en signe de cette cession, arborerles couleurs de la France, je lui ai remisun pavillon français, et, par le présent do-

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ROI MAKOKO

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cument fait en double et revêtu de sonsigne et de ma signature, donné acte desmesures qu’il a prises à mon égard, en me

considérant commele représentant duGouvernementfrançais.

Fait à Nduo auvillage de Makoko,le 1O septembre1880.

L’Enseigne deVaisseau, Chef dela mission del’Ogooué et duCongo intérieur,

Signé : P.Savorgnan DeBrazza.

Le SergentMalamine est nom-mé provisoirement

Chef de la Station Française de Ncouna; il gardera ce poste jusqu’au jour où il se-ra remplacé par le Chef définitif.

Comme Chef de la Station Françaisede Ncouna, Malamine doit, dans la me-sure de ses moyens, protection, aide et as-sistance aux voyageurs Européens quiviendraient dans la contrée, quelle quesoit leur nationalité.

Le Sergent Malamine fixera sa rési-dence à Okila, soit au village d’Ottiulu,ou à n’importe quelle autre place voisine,sans toutefois sortir des États de Makoko

L’Enseigne de VaisseauCommandant provisoire des

Stations Françaises du Haut-Ogoouéeet du Congo intérieur,

Signé : P. Savorgnan De Brazza.Okila le 3 octobre 1880. Le 21 novembre 1882, le Traité de

Mbé est ratifié par le Parlement françaispar 444 voix contre 3. À Mbé, le 10août 1884 se déroule la cérémonie deremise du Traité ratifié au Roi Makoko.

Une lettre de De Chavannes relatel’événement :

Brazzaville le 4 mai 1884. – Brazzame suivit de près et après deux ou troisjours consacrés au déballage des cadeaux,nous partions chez Makoko (...), escortéspar les ambassadeurs et suivis de soixan-te porteurs. Une nuit de marche et nousarrivons au village de M’poco-N’taba, àl’aube, votre serviteur ayant fait un mé-tier de chien de garde en queue de la fileindienne pour pousser les traînards. J’avaispréféré faire marcher nos hommes de nuitpour leur éviter le supplice de traverser, enplein soleil, une plaine de 30 Kms sur la-quelle une mouche ne trouverait pas oùboire. Le lendemain matin, nous partionsen grande pompe chez Makoko. Vousauriez bien ri, ce jour-là : une processionen file indienne dans laquelle on voit pas-ser les pavillons, le dais, le Traité dans soncoffret, les grands sabres, les hallebardes, lesporteurs, le Commissaire duGouvernement en grand uniforme, quesais-je encore et puis le pittoresque dudéshabillé général quand il faut passer larivière !

Il est près de midi quand nous arri-vons chez le grand Roi qui trouve sansdoute de sa dignité de nous faire attendre.On a signalé notre arrivée et j’entends untam-tam effroyable dans la cour royale.On a dressé pour nous recevoir une ten-te, sorte de grand velum de laine rouge ;notre place est désignée par des peaux deléopards, celle de Makoko par ses peauxde lions et ses coussins. Au bout d’un quartd’heure d’attente la porte de l’enceinte duPalais (le palais c’est une grande case voilàtout) s’est ouverte livrant passage aux fa-miliers et aux femmes qui portent chacu-ne, qui la pipe de MAKOKO, qui son ver-re à boire, qui 1a cloche dont on sonnequand il boit, qui l’étoffe dont il se couvrepour cette cérémonie (car c’est une véri-table cérémonie que la manière dont les

FORTUNÉ-CHARLES DE CHAVANNES

Secrétaire de Pierre Savorgnan de Brazza.

LE SENS DE L’HISTOIRELE SENS DE L’HISTOIRE

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Chefs boivent ici), qui son tabac, qui sonbriquet, qui un de ses fétiches, que sais-jeencore ?

Enfin, Makoko paraît, le vraiMakoko (. . .), Makoko en chair et enos (...). Le grand Roi s’avance lentementmarchant sur la plante des pieds (ce quiest fort distingué et fort diplomatique pa-raît-il) et souriant à Brazza, s’assied sur sescoussins au milieu de ses femmes et ayantà coté de lui N’gassa, la Reine qui portele collier tout comme son royal époux etme fait l’air de mener un peu la politiquedu Royaume. Au bout d’une minute pen-dant laquelle il n’a cessé de sourireMakoko s’est levé au-devant de Brazza ettous deux se serrent la main, puisMakoko, après l’avoir regardé bien en fa-ce, le prend à bras le corps et se livre à desembrassements et à des étreintes accom-pagnés de mouvements tellement signifi-catifs que le Révérend Père Bichet auraitsûrement crié à l’indécence et au scanda-le s’il eût été là. C’est que ce braveMakoko était fou de joie (...).

Le lendemain eut lieu la remise duTraité en palabre solennel auquel assis-taient les principaux vassaux (...).

Un procès-verbal de la remise duTraité fut dressé :

L’an 1884 le 10 août.Nous Pierre Savorgnan De Brazza,

Commissaire du Gouvernement de laRépublique Française dans l’OuestAfricain assisté de M. Charles DeChavannes, notre Secrétaire,

En la présence de :M’Poco-N’taba;N’Galiémé-N’GalionN’GANTCHOU,

tous trois sujets du Roi Makoko faits parlui Chefs et Délégués de l’administrationde certaines parties de son territoire les-quels ont, en la présente circonstance, ren-du témoignage (hommage) à leurSouverain par des protestations de fidéli-

té et les cérémonies d’usage,Avons remis au Roi Makoko, en ver-

tu des pouvoirs qui nous ont été donnés,les lettres officielles portant le sceau de laRépublique Française et la signature deson Président par lesquelles les lettres, lesActes et Traités passés au nom de la Francesur les terres de Ndouo et Ncouna (Étatsde Makoko), aux dates du 10 Septembre1880 et 3 octobre de la même année, ontété ratifiés par le Gouvernement Français.

Le Roi Makoko les reçoit et témoigneà nouveau ainsi que les Chefs susmen-tionnés, de leur soumission au protectoratfrançais.

En foi de quoi ils ont apposé leur signeau-dessous de notre signature au bas duprésent Acte après que lecture en a été fai-te publiquement et traduction fidèle don-née par le Sergent Malamine qui a ser-vi d’interprète.

Signes de N’Galion, M’Poco-N’Taba, N’Gantchou.

Le Commissaire du Gouverne-ment,

Signé : De Brazza.Signés : Malamine, De Chavannes.

Une fois contresigné par le Présidentde la République Française, Jules Grévy,le Traité fut placé dans un riche coffret decristal et porté en pompe dans la demeu-re de Makoko. (De Chavannes).

QUELLE VALEUR

JURIDIQUE DONNER AU TRAITÉ

TTout d’abord, ce Traité est

rédigé en une langue (lefrançais) inconnue de la

partie principalement intéressée : le Roi.Même si Malamine servit d’interprète,une traduction complaisante est àcraindre.

Brazza use, comme d’un droit irré-vocable, d’un geste spontané de géné-

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LE SENS DE L’HISTOIRELE SENS DE L’HISTOIRE

rosité africaine, un geste banal d’hospi-talité propre aux mœurs bantu, et, pourse confirmer à lui-même ce droit, ildresse un acte, officiel à ses yeux, de saprise de possession de la terre de Mfoa.

Makoko lui a bien dit : Ncounam’appartient je te donne d’avance la par-tie que tu désigneras... et non : Tout lepays m’appartient je te le donne !

De Brazza, de son côté, écrit :1° Makoko... cède une portion de son

territoire ;2° Le terrain concédé est délimité par

les rivières Djoué et Impila. Par ailleurs,il précise à Malamine qui le secondequ’il fixera sa résidence... à n’importequelle place voisine, sans toutefois sor-tir des États de Makoko.

Le Traité ne mentionne pas siBRAZZA peut librement circuler à tra-vers tout le pays, et s’il peut créerd’autres postes : il s’agit, ni plus nimoins, de l’installation d’une StationFrançaise.

Enfin, qu’est-ce qu’un Traité ? –C’est Brazza qui emploie le mot, puis-qu’il en connaît le sens, tandis queMakoko peut en ignorer la subtilité.Traité = Convention conclue, après né-gociations, entre États souverains(Larousse).

Faute donc de fondement juri-dique valable, le Traité de Mbé n’est-ilqu’un marché de dupes ?

Mais, à vrai dire, Makoko ne pou-vait pas ne pas se mettre sous la protec-tion d’un allié jugé puissant, en raisonde la situation pourrie créée par l’intru-sion européenne dans son Royaume. Ilescompta donc que de son amitié avecBrazza résulterait une alliance offensiveet défensive, bénéfique à son autorité quicommençait de s’effriter, car l’évolutionsurvenue dans le pays avait avivé lesconvoitises et les ambitions de certainsde ses vassaux qui lui devenaient de

moins en moins soumis, et peut-êtreaussi prêts à le renverser ! Mais le ter-me sous protectorat... avait-il la même ré-sonance chez Makoko que chez deBrazza, puisque de portée amicale etcommerciale initialement, ce Traité en-traîna une occupation politico-militai-re, quoi qu’en pensât M. Jules Ferry :Nous, messieurs, nous estimons que le pro-tectorat vaut infiniment mieux que l’an-nexion. Après le grand déploiement deforces militaires que le Gouvernementfrançais vient de faire, nous ne voulons pasde cette conquête, et nous n’avons pas in-térêt à la faire. (Discours de J. Ferry surla Tunisie)

Mais l’alliance de Mbé devait êtreprécédée ou suivie d’une séries de pe-tits Traités extorqués par-ci, par-là,qui devaient aboutir à l’invasion to-tale des pays allant de la mer au bas-sin du Congo jusqu’au Tibesti !

I . — Conquête des régions côtières

TRAITÉ AVEC MA-LOANGO 4

Loango Grande, 12 mars 1883. – Aunom de la République Française et envertu des pouvoirs qui nous sont déléguéspar notre Gouvernement, Nous RobertCordier, Chevalier de la Légiond’Honneur Commandant la canonnièreLe Sagittaire avons conclu le Traité sui-vant avec Sa Majesté le Roi de LoangoManimacosso-Chicusso et ses successeu1sainsi qu’avec les Chefs du pays.

Art. 1er. – Sa Majesté le Roi deLoango déclare placer son pays sous la su-zeraineté et le protectorat de la France.

Art. 2. – La France reconnaîtManimacosso-Chicusso comme Roi deLoango et lui promet aide et protection.

Art. 3. – Le Roi de Loango les Chefsdu pays et tous les indigènes conserventl’entière propriété de leurs terres. Ils pour-ront les louer ou les vendre aux étrangers

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4 - Bien que Pointe-Noire dépen-dît de Loango, le même CORDIER

conclut à Chibamba, le 21 juin1883, un autre Traité avec ANDRÉ

LOEMBO, Chef des Mafoucas !CORDIER misa-t-il sur le fait qu'àla fin du XIXe siècle, MALOANGO

n'exerçait plus qu'un pouvoir no-minal sur Pointe-Noire où l'auto-rité appartenait aux Chefs locauxdes Mfouka ?

LE SENS DE L’HISTOIRELE SENS DE L’HISTOIRE

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et percevoir les redevances sous la forme etles conditions consacrées par les usages dupays.

I1 ne sera porté aucune atteinte auxpropriétés dûment acquises et délimitéessuivant le mode du pays appartenant àdes Européens de quelque nationalitéqu’ils soient.

Art. 4. – Le commerce se fera libre-ment sur pied de la plus parfaite égalitéentre les indigènes et les sujets français ouautres.

Le Roi et les Chefs s’engagent à user detoute leur autorité pour prohiber dansleurs Etats la traite des esclaves.

Art. 5. – Le Roi de Loango et les Chefsdu pays s’engagent à ne gêner en rien lestransactions entre vendeurs et acheteurs, àne jamais intercepter les communicationsavec l’intérieur du pays et à n’user de leurautorité que pour protéger le commerce,favoriser l’arrivage des produits et déve-lopper les cultures.

Art. 6. – Le Roi cède en toute pro-priété et sans aucune redevance auGouvernement de la RépubliqueFrançaise le terrain comprenant la Pointedite Indienne ainsi que toute la langue desable et les îlots découvrant à mer basseformant la partie Ouest de la lagune deLoango ou compris dans cette lagune.

La délimitation de ces terrains serafaite d’accord entre les deux partiesconformément aux usages du pays.

Art. 7. – Le présent Traité revêtu dela signature du Roi et des Chefs du paysainsi que de celle du Lieutenant deVaisseau Commandant Le Sagittaire estexécutoire du jour même de sa signature.Il ne pourra toutefois être considéré com-me définitif qu’après ratification duGouvernement Français auquel il seratransmis immédiatement.

Fait et signé à Loango Grande, village du Roi.Le 12 mars 1883.

Le Lieutenant de VaisseauCommandant Le Sagittaire,Signé : R. Cordier,Signatures de : Manimacosso-Chicusso, Roi de Loango MambomaBitaumbou, (Croix)Capitaine MOR “Goma, fils du Roi “Mambuco Mani Luembo “Mafuca Piter “Mafuca Pedro “Mafuca Perico “Mafuca Congo “Mafuca Bayono “Mafuca Mavemgo “Mafuca Macoco “Mafuca Boma “Mayordome Miguel “Mayordome Macoco José “Mamboma De Liebo “Petra Praia “Pedro Gimbel (Signé)Linguister Antoine (Croix)Linguister Tati Domingo “ Nous, soussignés négociants,

MANOEL-G. SABOGA, Chef de laMaison Portugaise SABOGA ET

FERDINAND PICHOT, agent de laMaison DAUMAS-BÉRAUD, certifions quele présent Traité a été discuté librementavec le Roi de Loango devant tous lesChefs du pays, qu’il leur a été lu, expli-qué et commenté et qu’il a été consenti pareux en parfaite connaissance de cause.

Ils certifient également l’authenticitédes signes du Roi et des Chefs Noirs, signesqui ont tous été faits sous leurs yeux.

Signés : M.-G. Saboga,E. Pichot.

II . — Soumission du pays de Manianga

Traité avec M’Foumou-N’Zabi.,Brazzaville, le 11 juin 1884.

L’an 1884 et le 11 juin au lieu de

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Brazzaville, territoire français de Mfoa.Nous Fortuné-Charles De Cha-

vannes, ès qualité de fondé de pouvoir deM. Pierre Savorgnan De Brazza,Commissaire du Gouvernement de laRépublique Française dans l’OuestAfricain,

Avons reçu la visite du ChefM’Foumou-N’Zabi, Chef dont le terri-toire se trouve sur la rive droite du Congo.

Ce Chef est venu spontanément icidans l’intention de voir M. De Brazza,accompagné de son fils M’PASSI et se fai-

sant précéder d’un pavillon français dontnous ignorons la provenance,

Nous avons déclaré au ChefM’Foumou-N’Zabi que nous représen-tions ici le Commissaire duGouvernement. Il nous a alors déclaréqu’il était venu demander à mettre sonterritoire sous le protectorat français et àtoutes les explications et définitions quenous lui avons données il a répondu qu’ilvoulait que sa terre fut comme celle deMfoa protégée parce que nous ne faisonspas la guerre.5

En vertu des pouvoirs qui nous ont étélaissés à son départ par M. LeCommissaire du Gouvernement nousavons accédé au désir du ChefM’Foumou-N’Zabi et lui avons remisun pavillon français en signe d’accepta-tion de sa demande à être désormais pla-cé lui et son territoire, sous le protectoratde la France.

M’Foumou-N’Zabi s’engage d’autrepart pour rendre effectif ce protectorat àcéder une étendue de terrain suffisante àl’établissement d’un poste de protection.

Fait à Brazzaville le SergentMalamine ayant servi d’interprète lesjours, mois et an susdits.

Signé : Ch. De Chavannes.Signe de M’Foumou-N’Zabi.Approuvé le présent acte fait par dé-

légation, 4 juin 1884, village de Man(illisible) 6.

Signé : P. S. De Brazza.

III . — Invasion de l’Alima

Traité conclu entre Albert Dolisie etles Chefs de l’Alima. Essoukou, 17 octobre1884.

Au nom de la France et en vertu despouvoirs qui nous sont délégués par M.Pierre Savorgnan De Brazza, Enseignede Vaisseau, Chevalier de la Légiond’Honneur, Commissaire du

QUELLES ÉTAIENT AU JUSTE, LES VRAIES MOTIVATIONS

DE TOUS CES TRAITÉS ?

La réponse est aux historiens :L’abolition de l’esclavage avait ruiné les vieilles colonies(Antilles et Réunion) cependant qu’elle promettait de réser-ver toutes les ressources d’humanité aux immenses régionsde l’Afrique Noire : il était donc indiqué de lancer le com-merce colonial dans les voies nouvelles et de compenser pardes entreprises d’un genre inédit les pertes qui résultaientpour lui de l’interdiction de la traite des Noirs. On pensaitseulement qu’il n’était pas nécessaire pour cela de prévoir devastes occupations territoriales ni des exploitations métho-diques comme celles qu’à ses débuts la Restauration avaittentées au Sénégal, en Guyane et à Madagascar, et l’on seproposait de former, sur les grandes routes maritimes, unechaîne de points bien choisis, occupés d’une façon perma-nente, à la fois centres d’opérations pour nos escadres,points de relâche pour nos navires marchands, entrepôtspour notre commerce. C’est là ce que la Monarchie dejuillet, favorable à l’expansion coloniale, mais hostile àtoute idée de conquête brutale, dénomma le système desPoints d’appuis. (G. Hardy, in AEF)

LE SENS DE L’HISTOIRELE SENS DE L’HISTOIRE

Gouvernement de la RépubliqueFrançaise dans l’Ouest Africain,

Nous, Albert Dolisie, ancien élève del’Ecole Polytechnique, Officier de réservede l’Artillerie de Marine avons conclu leTraité suivant avec les Chefs soussignés, enleurs noms et en celui de leurs successeurs.

Art. 1er. – Les Chefs IbakaMoulouka, Ibaka-Sili-Mokemo,Mangi fils d’Haka, N’Galieme, succes-seurs du feu Roi Mokemo grand ChefAbanho 7 héritiers de leur autorité sou-veraine et des droits de propriété qu’ilsexercent sur les territoires situés auxbouches de l’Alima sur les deux rives decette rivière et exerçant eux-mêmes au-jourd’hui cette même autorité sur cesmêmes lieux et ces mêmes droits.

Le Chef Ibaka susdit, héritier parMokemo des droits souverains dontMokemo hérita le premier, en mêmetemps que des droits de propriété du solde feu Mololi grand Chef Abanho au-quel Mokemo succéda dans l’exercice detous ses droits, sur tous ses territoireségalement situés aux bouches de la ri-vière Alima.

Agissant tous en leur nom et aunom de leurs successeurs, déclarent re-nouveler les conventions arrêtées le 8 oc-tobre 1880 à Ncouna entre feuMokemo et M. Pierre Savorgnan DeBrazza, Enseigne de Vaisseau, Chef dela Mission de l’Ogooué et du Congo.

Et placer tous leurs ports sous la suze-raineté et le protectorat de la France.

Art. 2. – Les Chefs Moulouka etMokele assistés d’un notable du pays,Gamukala soussigné successeurs actuelsdu feu grand Chef Dollolé par voied’héritage de Mokemo de la propriétéseule du sol.

Déclarent reconnaître la souverainetédu Chef Ibaka et accepter, en ce quiconcerne les territoires où ils sont établis ouautres, dont ils sont les propriétaires ou les

Chefs, tous les engagements pris dans l’ar-ticle précédent pas Ibaka.

Et souscrire sans restriction aux en-gagements et conditions exprimés dansles articles suivants :

Art. 3. – La France reconnaît tousles Chefs sus-désignés, reconnaît tousleurs droits cités plus haut et promet àtous aide et protection.

Art. 4. – Les Chefs et les indigènesconservent l’entière propriété de leursterres. Ils pourront les louer ou les vendreà des Européens de n’importe quelle na-tionalité et percevoir les redevances sous laforme et dans les conditions consacrées parles usages du pays.

Art. 5. – Pour sauvegarder les inté-rêts des indigènes, toute vente ou toutelocation de terre devra pour être va-lable, être faite devant un représentantde l’autorité française.

Art. 6. – Le commerce se fera libre-ment et sur le pied de la plus parfaiteégalité entre les indigènes et les sujetsfrançais ou autres.

Les Chefs s’engagent à user de touteleur influence pour l’exécution des mesuresqui pourraient être prises ultérieurementde manière à amener l’abolition successi-ve de la traite des esclaves.

Art. 7. – Les Chefs s’engagent à ne ja-mais gêner en rien les transactions entrevendeurs et acheteurs, à ne jamais inter-cepter les communications et à n’user deleur autorité que pour protéger le com-merce, développer les cultures et faciliterl’arrivage des produits dans les postes fran-çais ou autres, établis dans le pays.

Art. 8. – Les Chefs cèdent en toutepropriété et sans aucune redevance auGouvernement de la RépubliqueFrançaise un terrain dont l’emplacementet l’étendue restent à déterminer soit surla terre ferme soit dans les îles du Congoqui font partie de leurs territoires, à l’ef-fet d’installes un poste.

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5 - Il semble que la démarche duChef M’FOUMOU-N’ZABI ait étédictée par les turbulences de M.STANLEY, le Conquérant à coups dedynamite (BOULA-MATADI).6 - Manianga vraisemblablement. 7 -…les Apfourous, les Bayanzis etles Abanhos ne sont qu'un seul etmême peuple auquel ces dénomina-tions sont données suivant qu'ils ha-bitent l'Alima ou le Congo enamont et en aval de l'Alima. Ils s'ap-pellent Bayanzis ou Abanhos dans leCongo, Bapfourous dans l'Alima(Lettre de DECAZES à DE RHINS ; ci-té par COCQUERY VIDROVITCH :Brazza et la prise de possession duCongo)

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Art. 9. – Le présent Traité revêtu denotre signature ainsi que de celle des Chefssoussignés est exécutoire au jour même dela signature.

Fait a village d’Essoukou, le 17 oc-tobre 1884.

Le Délégué du Commissaire duGouverne-ment,

Signé : A. Dolisie. Signé : N’GaliemeSignes des Chefs : Ibaka ;Moulouka ;Ibaka-Sili-Mokemo ;Mangi ;Moboula ;Mokele.Signes de Gamokala et Gomez

John, Caporal Laptot interprète.Je soussigné Joseph Michaud, membre

civil de la Mission de l’Ouest Africain,certifie que le présent Traité a été discuté

librement avec les Chefs sus-désignés enprésence des indigènes qu’il leur a été luexpliqué et commenté, et qu’il a étéconsenti par eux en parfaite connaissan-ce de cause.

Je certifie en outre l’authenticité dessignes des Chefs et de Gamokala, signesqui tous ont été faits sous mes yeux.

Essoukou, le 17 octobre 1884.Signé : Michaud.Vu : P. S. De Brazza

Et voilà !Mais en rétrospective, on est en

droit de se demander si ces Traitésn’ont pas été extorqués :

a) ils sont d’abord rédigés enfrançais (en bon français !), dans lestyle de la jurisprudence cartésienne,si nous osons ainsi nous exprimer ;

b) qu’il s’agisse de Maloango,qu’il s’agisse de M’Foumou-N’Zabide Manianga, ou d’Ibaka del’Alima, les explorateurs se trouventen face de Chefs coutumiers qui neconnaissent ni ne comprennent lalangue française ! Mais, que direlorsqu’un Albert Dolisie, polytech-nicien, comme nous venons de le li-re, va conclure des Traités avec desbraves pêcheurs, au cœur simple ?

Quoi qu’il en soit, s’il s’agit pu-rement et simplement de relationscommerciales qui se voudraientmême amicales l’esprit a tôt fait detrahir la lettre des Conventions si-gnées.

Tous ces Traités ne sont pas plusjuridiques que l’Alliance de Mbé.Le peu d’attention qu’on accorde-rait à leurs signataires locaux (les in-digènes) permet de constater queceux-ci seuls s’engagent vis-à-vis desReprésentants de la France. Cet en-gagement individuel des Chefs quise dépouillent de leur autorité au

Decazes

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profit d’un sous-protectorat étrangerse contracte au préjudice des massesautochtones. D’autre part, si lesditsTraités commencent toujours ducôté des explorateurs par la formu-le quasi-rituelle Au nom de laFrance et en vertu des pouvoirs.., lesChefs locaux ne font nullement al-lusion aux populations indigènesconcernése, et agissent donc sansleur consultation préalable ! Ainsiles explorateurs se rétractent derriè-re les dignitaires qu’ils rencontrent,avec qui ils traitent bien souvent, àl’insu de leurs peuples. De plus, etpour le besoin de leur cause, lesnouveaux venus emploient la cor-ruption, pour peu que leurs inter-locuteurs manifestent quelque ré-serve ou réticence. Le Chef, unefois gagné à leur cause, on rédige unTraité, mais dans quelle langue, etavec quel interprète ? On imagineaisément toutes les machinations...Les Traités seraient valables si la ter-re appartenait en personne et toutentière au Chef. Or, dans la plupartdes cas, celui-ci n’a qu’une autoritémorale, garante de l’ordre social.Dès lors, au nom de quel principeun Makoko aurait-il livré tout unpays à De Brazza, à qui il ne dit

pas : tout le pays m’appartient maisNcouna m’appartient . Chosecurieuse cependant, tous les Traitésavaient beau mentionner que lesChefs cèdent en toute propriété, etsans redevance (!) au Gouvernementde la République Française un ter-rain dont la délimitation serait à dé-terminer, (...), à l’effet d’installer unposte, (...) que les Chefs et les indi-gènes conservent l’entière propriété deleurs terres (...) que le commerce se fe-ra librement et sur le pied de la plusparfaite égalité entre les indigènes etles sujets français, etc., n’empêcheque le pays tout entier est tombésous la coupe de l’occupation ! Lespauvres indigènes ont été chassés deleurs vertes prairies pour désormaisvivre dans les velds arides ! 8

Mais pourquoi, d’autre part, fal-lait-il que pour sauvegarder les inté-rêts des indigènes, toute vente ou tou-te location de terre devait, pour êtrevalable, être faite devant un repré-sentant de l’autorité française ? –Sans doute, l’explorateur craignait-il que, l’indigène ne sachant pas cequi lui avait été pris, ne reviennesur ses terres, pour passer d’autresmarchés, plus avantageux peut-être ! o

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8 - Certes, le Traité de Makoko fûtréellement négocié, Makoko consen-tant ne fut ni contraint, ni trompé ;mais en donnant sa terre, i1 ne renon-çait pas pour autant à son autorité.(BRUNSCHWIG).