Livret pédagogique Dracula - BIBLIO - HACHETTE · voulus pas en croire mes yeux. Je me dis que la...

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Dracula Bram Stoker Livret pédagogique correspondant au livre élève n° 81 établi par Isabelle de Lisle, agrégée de Lettres modernes, professeur en collège et en lycée

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Dracula

Bram Stoker

L i v r e t p é d a g o g i q u e correspondant au livre élève n° 81

établi par Isabelle de Lisle,

agrégée de Lettres modernes, professeur en collège et en lycée

Sommaire – 2

S O M M A I R E

R E P O N S E S A U X Q U E S T I O N S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 Chapitres 1 à 4 (pp. 7 à 32).................................................................................................................................................................... 3Chapitres 7 et 8 (pp. 46 à 59) ................................................................................................................................................................ 6Chapitres 15 et 16 (pp. 95 à 106) ........................................................................................................................................................ 11Chapitre 21 (pp. 124 à 131)................................................................................................................................................................. 15Chapitre 27 et épilogue (pp. 163 à 174) .............................................................................................................................................. 18Retour sur l’œuvre (pp. 179-180) ........................................................................................................................................................ 23

P R O P O S I T I O N D E S E Q U E N C E D I D A C T I Q U E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 4

E X P L O I T A T I O N D U G R O U P E M E N T D E T E X T E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 5

P I S T E S D E R E C H E R C H E S C O M P L E M E N T A I R E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 7

B I B L I O G R A P H I E C O M P L E M E N T A I R E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 8

Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2011. 43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15. www.hachette-education.com

Dracula – 3

R E P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

C h a p i t r e s 1 à 4 ( p p . 7 à 3 2 )

Avez-vous bien lu ? u Le narrateur s’appelle Jonathan Harker ; il est le collaborateur du solicitor (notaire, avoué) Peter Hawkins et il se rend en Transylvanie pour rencontrer le comte Dracula désireux d’acquérir un domaine à Londres. v Jonathan Harker utilise le train puis la diligence et enfin la propre voiture du comte. w Mina est la fiancée de Jonathan Harker. x Le cocher est Dracula lui-même car le comte n’emploie aucun domestique à son service. y Dracula brise un miroir dans lequel son reflet n’apparaissait pas. U Dans un des caveaux de la chapelle, Jonathan découvre Dracula endormi dans un cercueil. V Enfermé dans le château, alors que le comte est parti, et livré aux trois femmes vampires, Jonathan compte s’échapper en se glissant le long de la muraille du château comme il a vu Dracula le faire.

Étudier l’incipit du roman : le journal du 3 mai W Dès le titre du chapitre la forme du journal intime est annoncée : « Journal de Jonathan Harker ». Suivent les indications de lieu et la date : « Bistritz, le 3 mai » ; tout au long des quatre chapitres (du 3 mai au 29 juin), les indications se succèdent pour donner à ce début de roman toute l’apparence d’un journal intime. Le fait que l’année ne soit pas mentionnée contribue à donner l’illusion d’un véritable journal ; en effet, le diariste n’éprouve pas le besoin de reporter chaque fois qu’il reprend son compte-rendu une année que l’on suppose figurer sur la couverture ou la première page du journal. La parenthèse « sténographié » suffit à exprimer la modernité de l’histoire. Le recours aux parenthèses à plusieurs reprises au fil du texte donne une impression de spontanéité et participe à l’illusion de vérité particulièrement importante dans un récit fantastique : par exemple, « me rappeler que j’en ai demandé la recette pour Mina ». X Différents lieux sont mentionnés dans le passage : Bistritz, Munich, Vienne, Budapest, Klausenburg, les Carpates, Londres, la Transylvanie, la Moldavie, la Bukovine, la Chine. On peut aussi mentionner des lieux plus réduits : l’Hôtel Royal, le British Museum, le château de Dracula, l’hôtel de la Couronne d’Or, le col de Borgot. L’itinéraire de Jonathan Harker est le suivant : parti de Londres, il passe par Vienne puis Budapest pour arriver à Bistritz où il écrit la page du 3 mai avant de se rendre chez le comte Dracula. La multiplication des indications de lieu produit une impression de réel et permet d’ancrer une histoire qui va devenir fantastique dans un cadre nettement référencé. at Le château de Dracula ne figure pas sur les cartes que consulte Jonathan au British Museum : « ouvrages et plans ne m’ont pas permis de localiser le château de Dracula – il n’existe d’ailleurs, de cette région particulière, aucune carte qui puisse se comparer à nos cartes d’état-major. » Le château ne trouve pas sa place dans un cadre bien réel et ses environs ne sont pas non plus cartographiés. Peut-être est-ce tout simplement parce qu’ils ne sont pas cartographiables ?... Après avoir tant insisté sur la réalité de son cadre géographique, Bram Stoker introduit une faille qui annonce l’intrusion prochaine de l’imaginaire. ak Les précisions historiques quant aux différents peuplements de la région visitée par le narrateur sont aussi nombreuses que les indications géographiques ; si ces dernières sont justifiées par le voyage entrepris, les premières trouvent aussi une explication : « À ce point de mon récit, je fais entrer quelques notes prises au British Museum : elles me rafraîchiront la mémoire lorsque je raconterai mes voyages à Mina. » Ces notes historiques ancrent elles aussi l’histoire dans la réalité (les Saxons, les Magyars, Attila…) mais le doute est souligné : « ils prétendent descendre », « Ce n’est pas impossible ». Et l’histoire glisse doucement vers l’imaginaire : « J’ai lu quelque part que toutes les superstitions du monde sont rassemblées dans le fer à cheval des Carpates, comme si elles formaient les limites d’un tourbillon où se concentrent les imaginations populaires. » De même que la lecture des cartes débouche sur un lieu non répertorié (le

Réponses aux questions – 4

château de Dracula), les recherches historiques conduisent à un « tourbillon » propice au fantastique. Ainsi le lecteur est à la fois sensible à l’ancrage de l’histoire dans la réalité et à l’imaginaire qui affleure. al Jonathan propose deux causes à son insomnie : « Un chien hurla toute la nuit sous ma fenêtre », « à moins qu’il ne s’agît du paprika car je suis resté assoiffé la nuit entière ». Dans sa lettre de bienvenue Dracula écrit à Jonathan « Dormez bien cette nuit. », une phrase de politesse qui n’est pas sans rappeler au lecteur la mauvaise nuit que le jeune homme vient de passer. Le lecteur peut alors formuler différentes hypothèses : - il ne s’agit que d’une simple formule de politesse et donc d’une coïncidence ; - Dracula sait que Jonathan a passé une mauvaise nuit, ce qui laisse supposer qu’il surveille son invité, qu’il a un don de clairvoyance ou encore qu’il connaît les particularités de sa région ; - le démonstratif « cette nuit » distingue la bonne nuit que Jonathan va passer de celle qui a précédé et peut-être aussi de celles qui vont suivre, ce qui annonce des événements inquiétants. Plus loin on apprendra que le comte vit la nuit.

Étudier le narrateur am Dès l’incipit du roman, Jonathan Harker est présenté comme un homme posé et rationnel ; on le voit en effet se documenter au British Museum sur la géographie et l’histoire du pays qu’il va visiter. Une parenthèse glissée dans le journal du 3 mai vient nous rappeler sa curiosité : « Ne pas oublier d’interroger le comte à ce propos. » Par la suite, on le voit soucieux de trouver une explication rationnelle à tout ce qui lui arrive : s’il a fait des cauchemars, c’est parce qu’un chien a aboyé ; si les aubergistes le mettent en garde c’est parce qu’ils sont superstitieux. Et même le 8 mai, lorsqu’il s’agit de rapporter l’épisode du miroir qui atteste du caractère surnaturel de Dracula, il avance encore une fois une explication rationnelle : « Sans doute mon étrange existence nocturne me joue-t-elle des tours ». On retrouve la même attitude un peu plus loin quand il voit Dracula « se mettre à ramper, tête en bas, le long de la paroi du château » : « D’abord, je ne voulus pas en croire mes yeux. Je me dis que la clarté de la lune me jouait des tours ou que l’ombre m’empêchait de distinguer ce qui se passait. » Lorsque le surnaturel est avéré, il persiste dans cette attitude positiviste, appliquant les méthodes surnaturelles d’une façon tout à fait rationnelle : « J’ai suspendu le crucifix au-dessus de mon lit – j’imagine ainsi que mon sommeil subira moins de rêves. J’aurai soin de le laisser là. » Ce trait de caractère joue un rôle important dans l’élaboration du récit fantastique et on le retrouve dans nombre de récits (La Vénus d’Ile de Mérimée, par exemple) car il permet de cautionner les phénomènes surnaturels. En effet, si le narrateur-témoin est un personnage dont le bon sens a été prouvé, le compte-rendu des phénomènes exceptionnels qu’il a observés deviendra crédible. Le fantastique – genre ou registre - se définissant par cette tension entre le surnaturel et le réel, il est essentiel pour l’auteur de poser autour des faits surnaturels qu’il va raconter un cadre rationnel, d’où l’ancrage géographique et le solide bon sens du narrateur. an Les réactions de Jonathan confronté aux phénomènes de plus en plus étranges qui se produisent sont variées. D’abord, comme on l’a vu à la question précédente, il tente d’apporter une explication rationnelle à ce qui se produit. Il peut également éprouver de la frayeur et on relève tout au long des quatre chapitres de nombreuses expressions appartenant au champ lexical de la peur : « J’eus une seconde l’idée folle de sauter de la voiture », « cet endroit recèle quelque chose d’étrange qui me met mal à l’aise. Je voudrais pouvoir repartir sain et sauf – mieux : je voudrais n’être jamais venu. », « mes sentiments devinrent répulsion et terreur », « J’ai peur - une peur atroce, d’autant plus atroce que je la sais sans issue ». … À mesure que le surnaturel et la violence s’installent, les expressions exprimant la peur sont de plus en plus fortes, comme en témoignent toutes les marques du désordre présentes dans la dernière page du chapitre 4 (voir plus loin). Jonathan Harker surmonte sa frayeur et fait preuve d’initiative : il tente d’utiliser les services des Bohémiens, entreprend de visiter le château, notamment la chapelle, n’hésite pas à s’échapper par la fenêtre. Son esprit pragmatique prend le dessus dans les situations les plus périlleuses et, menacé de mort, il pense à emporter de quoi assurer son voyage s’il parvient à quitter le château : « Je veux tenter de ramper le long du mur, comme je l’ai fait, mais bien plus loin – et j’emporterai les pièces d’or dont je pourrais avoir besoin ». Il fait preuve de courage et de volonté : « Je dois trouver la voie qui me mène hors de ce château maudit ! »

Dracula – 5

Étudier la mise en place du personnage éponyme : Dracula ao La lettre de Dracula adressée à Jonathan Harker introduit dans le récit un personnage affable comme le montrent les mots ou expressions suivants : « Mon ami » puis « Votre ami », « Bienvenue », « Dormez bien », « s’est bien déroulé », « apprécierez », « merveilleux pays ». La répétition du verbe « attendre » vient renforcer les liens amicaux exprimés dans la lettre. Par la suite, on retrouve un Dracula « grand seigneur », aimable, soucieux du bien-être de son invité : « Bienvenue chez moi ! » s’exclame le comte pour accueillir Jonathan. Le mot sera repris deux autres fois dans le passage et le comte s’occupe des bagages de son hôte avant de lui proposer un repas. Les conversations entre Jonathan et Dracula sont elles aussi empreintes d’affabilité y compris lorsque le vampire prépare la perte de son invité : « La nuit dernière, le comte, toujours de sa voix suave, m’a demandé d’écrire trois lettres ». ap « Bienvenue chez moi ! Entrez librement et de votre plein gré. » Cette formule d’accueil est ensuite répétée dans son intégralité, ce qui souligne l’amabilité du personnage comme nous l’avons dit en réponse à la question précédente. Mais sans doute cette reprise produit-elle chez le lecteur une impression étrange d’autant plus que les termes « librement » et « de votre plein gré » sont redondants. Cette répétition quasi mécanique donne au personnage une raideur inhumaine que confirme sa description : « pas le moindre mouvement », « figé », « ainsi qu’une statue ». De plus la répétition de l’idée de liberté invite le lecteur à s’interroger : n’est-ce pas que le comte donne à son invité une dernière chance d’échapper à son emprise ? Et que se passera-t-il une fois qu’il aura « librement » accepté d’entrer ? Sans doute va-t-il ensuite perdre son libre arbitre pour être soumis au comte ? C’est ce que la suite du roman va confirmer : un vampire ne peut contraindre totalement sa victime ; une part d’acquiescement est nécessaire et celle-ci doit se trouver à l’extérieur ou faire librement entrer le vampire, comme le fera Renfield. aq On peut relever : « vieillard », « vêtu de noir », « de longues ombres », « pas le moindre mouvement », « figé sur place », « ainsi qu’une statue », « éternellement », « froideur glacée des chairs », « une main de cadavre », « Les oreilles étaient pâles », « leur maigreur », « une extraordinaire pâleur ». Ces expressions sont nombreuses pour préparer le lecteur à découvrir que Dracula est un vampire, c’est-à-dire un mort vivant. Il est aussi un personnage qui apporte la mort, comme on le voit avec le nourrisson jeté en pâture aux trois femmes et, plus tard, en Angleterre, avec Lucy.

Étudier le genre : le récit fantastique ar On a vu plus haut l’intérêt de recourir à un témoin rationnel pour raconter des événements surnaturels en leur donnant le plus de crédibilité possible. Le journal intime, rendu vivant par le recours aux parenthèses faussement spontanées, contribue à donner l’impression que les événements racontés sont réels tout en introduisant une subjectivité qui laisse planer, paradoxalement, un doute sur la véracité des faits. Tout se passe curieusement comme si le fait d’introduire un journal intime laissait entendre que l’histoire était vraie mais que le narrateur, loin d’être un auteur omniscient, était le seul garant de cette vérité. Le lecteur est seul juge ; il se tient au seuil du surnaturel comme Jonathan devant le château de Dracula : « Entrez librement et de votre plein gré. »… as

ÉVÉNEMENTS INTERPRÉTATION RÉALISTE INTERPRÉTATION SURNATURELLE Les aubergistes tentent de dissuader Jonathan de se rendre chez Dracula.

Ils sont superstitieux. Ils savent que Dracula est un vampire.

Sur le trajet, les chiens et les loups hurlent et le cocher parvient à les apaiser.

Les animaux sont inquiets ; le cocher fait partie de ces hommes qui savent se faire obéir des animaux.

Les animaux expriment leur crainte d’un « terrible danger » et Dracula exerce sur eux une autorité surnaturelle ; on peut aussi penser aux loups-garous qui vivent la nuit comme le vampire.

Dracula ne prend pas le soir de son arrivée son dîner avec le voyageur.

Dracula a déjà dîné car il est tard. Dracula ne se nourrit pas de la même façon que Jonathan Harker car c’est un vampire.

Dracula vit la nuit. Le comte est un personnage excentrique. Dracula est un personnage de l’obscurité et de la mort ; il ne supporte pas la lumière qui représente la vie.

bt L’épisode du miroir montre sans ambiguïté que Dracula est un personnage surnaturel. En effet, alors qu’il devrait se refléter dans la glace qu’utilise Jonathan pour se raser, le comte est invisible. Le

Réponses aux questions – 6

diariste souligne le caractère déterminant de la scène : « Cette fois, il ne pouvait plus y avoir d’erreur, puisque je pouvais le deviner par-dessus mon épaule. Pourtant je ne voyais toujours rien dans le miroir ! » Par la suite les phénomènes surnaturels se succèdent : Dracula rampe sur la muraille comme un lézard (« Oui, il rampait comme une bête »), Jonathan est séduit et attaqué par les trois femmes vampires, il découvre le comte endormi dans son cercueil.

Étudier la dernière page du journal (l. 685 à 698, pp. 31-32) bk La modalité exclamative domine car il s’agit d’exprimer le désarroi de Jonathan qui comprend son arrêt de mort : « Je suis seul dans le château, avec ces trois femelles ignobles ! » bl On relève deux phrases simples : « Écoutez ! », « Elles, ce sont des démons échappés de l’Enfer ! » On relève deux phrases non verbales : « Le premier train, le plus rapide ! », « Adieu, vous tous ! ». Les phrases simples et non verbales sont nombreuses dans le texte, la syntaxe rudimentaire exprimant, comme la modalité exclamative, le trouble qui règne dans l’esprit de Jonathan. Tout se passe comme si son angoisse l’empêchait de construire sa pensée et ses phrases ; le journal intime, à la différence du récit rétrospectif, permet l’expression en direct des émotions. bm Le nom de Mina est prononcé deux fois, ce qui exprime, comme au début du récit, l’attachement du narrateur pour la jeune fille ; la triste fin qui le menace en apparaît plus douloureuse encore, d’autant plus que Mina est opposée aux trois femmes vampires qui attendent Jonathan. Le lecteur est ainsi ému par la souffrance du jeune homme. bn Le champ lexical de la religion est fortement présent dans le passage : « démons », « Enfer », « damnés » (deux fois), « Diable et sa progéniture », « miséricorde de Dieu ». On note la place des termes renvoyant à l’Enfer et la vision manichéenne qui oppose d’un côté la souffrance éternelle des damnés au soutien de Dieu ; cette opposition est doublée par le contraste « femelles » / « femme » concernant les vampires et Mina. Cette interprétation religieuse de la situation vécue par le personnage nous montre que le vampire est rangé du côté du mal et que la suite du roman développera un combat entre les forces du bien et celles du mal. bo « Adieu vous tous ! Mina… » : l’épisode en Transylvanie se clôt par un adieu sur lequel le lecteur (« vous tous ») s’interroge. Jonathan ayant été au centre des quatre premiers chapitres, le lecteur n’imagine pas que le romancier ait décidé de sa condamnation éternelle. Il se demande donc comment le héros va s’échapper et quelle forme la lutte contre Dracula va prendre.

À vos plumes ! bp Le sujet demande de prendre en compte les événements racontés dans les quatre premiers chapitres tout en imaginant à partir de là un nouvel épisode. On valorisera les devoirs qui auront su conserver une atmosphère fantastique tout au long du récit et qui auront présenté avec souplesse l’hésitation entre les deux interprétations.

C h a p i t r e s 7 e t 8 ( p p . 4 6 à 5 9 )

Que s’est-il passé entre temps ? u Les trois prétendants de Lucy sont John Seward, le directeur de l’asile d’aliénés, l’Américain Quincey P. Morris et Arthur Holmwood. v Lucy accepte d’épouser Arthur Holmwood tout en conservant la fidèle amitié des deux autres prétendants. w Mina Murray, la fiancée de Jonathan Harker, reçoit les confidences de Lucy. x Mina est doublement inquiète, car, d’une part, elle n’a pas de nouvelles de Jonathan son fiancé et, d’autre part, la santé de son amie Lucy se détériore. y Le journal du docteur Seward est enregistré sur un phonographe. U Renfield est un des patients du docteur Seward ; son comportement intrigue particulièrement le médecin qui s’applique à étudier son cas.

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V De même qu’il avait amassé des araignées pour se débarrasser des mouches qu’il avait collectées, Renfield attire les moineaux pour venir à bout des araignées.

Avez-vous bien lu ? W Les propositions a), d), e) et g) sont exactes.

Étudier la narration : la multiplicité des voix X Différents documents de sources différentes sont réunis dans le passage et on est frappé par la diversité de leur genre. Nous les présentons par ordre d’apparition : 1) Article de presse : coupure du Dailygraf rédigée par un « correspondant » du journal et collée dans le journal de Mina Murray. 2) Journal de Mina Murray. 3) Journal de bord du Déméter rédigé par le capitaine du navire. 4) Correspondance commerciale : lettre rédigée par des notaires (Samuel F. Billington et fils) et adressée à Messieurs Carter, Paterson et Cie. 5) Correspondance privée : lettre rédigée par Sœur Agathe et adressée à Mina Murray. at Des documents présentés comme publics ou officiels, tels l’article de journal, le journal de bord réglementaire du Déméter et la lettre des notaires sont associés à des documents privés, qu’il s’agisse du journal intime que tient Mina ou de la lettre qu’elle reçoit de Budapest. La multiplicité ainsi que la diversité des sources suscite la curiosité du lecteur et lui donne l’impression qu’il est libre de se faire sa propre opinion sur les événements évoqués sans subir l’influence de la parole unique d’un narrateur. Cette illusion de liberté et d’objectivité joue un rôle essentiel dans la constitution du registre fantastique, car, d’une part, Bram Stoker, en accentuant de la sorte l’effet de réel, cautionne les faits surnaturels racontés et, d’autre part, il nous fait comprendre que tout phénomène est discutable car perçu par une subjectivité. ak Dans le chapitre 7, Bram Stoker a recours à un procédé original en enchâssant les documents présentés. En effet, le journal de bord du Déméter est inséré dans l’article du Dailygraf qui est lui-même collé dans le journal intime de Mina. Ce procédé d’emboîtement vient souligner la multiplication des voix narratives en creusant une spirale vertigineuse. Le lecteur est étourdi et séduit par cette narration complexe.

Le traitement du temps et de l’espace al Dans l’ordre chronologique : - le 6 juillet : fin du chargement du Déméter ; - le 18 juillet : le capitaine du Déméter mentionne des « événements étranges » ; - entre cette date et le 3 août : les marins disparaissent et il ne reste plus que le capitaine et son second ; - le 3 août : disparition du second ; - le 4 août : dernière page du journal du Capitaine qui dit avoir affronté une créature qu’il n’ose nommer (« cela ou lui ») : « Je sens que je m’affaiblis. » ; - le 8 août : tempête et arrivée du Déméter à Whitby ; - le 9 août : examen du Déméter et lecture du journal de bord, conclusion de l’enquête ; - le 11 août à 3heures du matin : compte-rendu de la crise de somnambulisme de Lucy au sommet de West Cliff ; Mina croit voir une ombre au-dessus de son amie : « je pus distinguer un visage pâle et des yeux injectés de sang. » ; - le 11 août à midi : Mina découvre deux traces rouges sur le cou de Lucy ; - le 12 août : Sœur Agathe, de Budapest, donne à Mina des nouvelles de Jonathan Harker ; - le 14 août : Mina voit Lucy se pencher à sa fenêtre et aperçoit « à côté d’elle, sur le marbre, quelque chose qui ressemblait à un oiseau de grande taille. » ; - le 17 août : Mina constate que les blessures sur le cou de Lucy persistent ; - le 17 août : annonce de l’arrivée de cinquante caisses qu’il faudra déposer dans l’ancienne chapelle du domaine de Carfax. am Le temps de la narration diffère du temps de l’histoire ; en effet les événements ne sont pas présentés dans l’ordre où ils se sont produits et deux analepses viennent épaissir une trame temporelle centrée sur la vie de Mina et de Lucy. La jeune fille colle dans son journal intime une coupure de

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presse rapportant le journal de bord du Déméter. Dans ce dernier figurent des événements qui se sont produits juste avant les crises de somnambulisme de Lucy. De même la lettre de sœur Agathe trouve sa place dans le récit au moment où Mina la reçoit. Cette différence entre le temps de l’histoire et celui de narration est justifiée par la vraisemblance et le fait que Bram Stoker centre son roman sur ce que vit Mina Murray. Après avoir rapporté dans les quatre premiers chapitres le point de vue de Jonathan, Bram Stoker choisit Mina pour fédérer les documents qu’il réunit. an La multiplication des voix et le traitement complexe du temps s’accompagnent d’un déploiement des lieux. En nous attachant au journal de Mina et au rôle central qu’il joue, nous pouvons tout d’abord examiner les lieux qu’elle parcourt : il s’agit de Whitby, de son port, de la maison de Lucy, des collines de West Cliff et d’East Cliff. Cette dernière joue un rôle important avec son abbaye en ruine, son église et surtout son cimetière, lieu de la rencontre entre Lucy et Dracula, lieu également de l’enterrement du capitaine du Déméter. Par le biais de l’article collé dans le journal de Mina, d’autres lieux extérieurs à Whitby sont mentionnés. En effet le journal de bord cité mentionne le point de départ du navire, Varna et les pages, non reproduites dans notre édition abrégée, citent, comme il se doit dans un journal de navigation, les lieux traversés (le Bosphore, les Dardanelles, le cap Matapan, Gibraltar…). Dans les pages des 3 et 4 août que nous avons gardées, aucun nom de lieu n’apparaît et le navire semble avancer dans un brouillard (« Fog, toujours. »), interdisant toute identification du parcours. Destinée à Mina, la lettre de sœur Agathe est écrite à Budapest et elle fait mention d’un courrier qu’elle adresse en même temps à Peter Hawkins résidant à Exeter. La lettre des notaires de Londres ajoute à notre carte des lieux londoniens, la gare bien réelle de King’s Cross et le domaine fictif de Carfax qui comprend une chapelle. Cette répartition des lieux appelle plusieurs remarques. D’abord on note que, comme dans la première page du roman, les lieux fictifs (la maison de Lucy, le domaine de Carfax) s’inscrivent dans un cadre réel qui vient donner l’illusion de l’authenticité de l’espace romanesque et de l’histoire narrée. De plus, de même que le journal de Jonathan dans les quatre premiers chapitres évoquait l’Angleterre qu’il avait quittée, les chapitres 7 et 8 centrés sur Whitby esquissent deux autres lieux, Londres et l’Europe de l’Est (Varna, Budapest). Ainsi trois pôles semblent prendre forme pour le lecteur : l’Europe de l’Est où Jonathan a rencontré Dracula, Whitby où a accosté le navire et où Lucy manifeste des troubles peu communs, Londres où doivent être déposées les cinquante caisses.

La juxtaposition des histoires ao Différentes histoires correspondant à différents lieux, différentes voix, sont juxtaposées et il appartient au lecteur de les rapprocher. 1) La maladie de Lucy : le 11 août, Mina rapporte la grave crise de somnambulisme de Lucy. Les quelques pages absentes de l’édition abrégée font mention, dès le 8 août, du trouble de la jeune fille, sans que rien de très sérieux ne se produise. Le 11, Lucy s’enfuit de chez elle et se rend en haut de East Cliff où il semble à Mina qu’elle rencontre une créature mystérieuse, « une sombre silhouette », « homme ou animal ». Mina parvient à ramener son amie à la maison et, remarquant une blessure à son cou, elle pense l’avoir blessée avec une broche. La nuit du 14 août, Mina voit Lucy à la fenêtre de sa chambre, en compagnie de « quelque chose qui ressemblait à un oiseau de grande taille. » 2) Le Déméter, chargé de convoyer du sable et des caisses de Varna à Whitby, est le lieu de plusieurs drames. Connaissant successivement tempêtes et brouillard, il voit aussi disparaître progressivement son équipage terrorisé. Le second, l’avant-dernier à mourir, se jette à l’eau après avoir découvert « le secret » : « Il est là. Je connais le secret, à présent. » Pour ne pas quitter le navire dont il a le commandement, le capitaine s’attache à la barre et rapporte lui aussi, avant de mourir, avoir vu « cela ou lui ». C’est un navire qui ne contient plus qu’un cadavre qui entre au port de Whitby. 3) Sœur Agathe, religieuse à Budapest donne des nouvelles de Jonathan Harker que le lecteur avait quitté à la fin du chapitre 4 sur le point de se lancer dans la périlleuse escalade de la muraille afin d’échapper aux femmes vampires et au château de Dracula où il était retenu prisonnier. Le jeune homme se rétablit progressivement après une « violente fièvre cérébrale ». 4) Les notaires Samuel F. Billington et fils ainsi que Carter et Paterson sont chargés de livrer et de réceptionner « un envoi de marchandises expédiées par les Chemins de fer du Grand Nord » consistant en des

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caisses non spécifiées, « cinquante en tout ». Les caisses doivent être déposées dans « l’ancienne chapelle du domaine » de Carfax à Londres. ap Les histoires sont bien distinctes les unes des autres car elles ont chacune un cadre spatial différent : Whitby, la mer, Budapest ou Londres. Elles ont de plus chacune une trame bien spécifique : les troubles de santé de Lucy, le navire maudit, la fièvre cérébrale de Jonathan à Budapest, la livraison des cinquante caisses. De plus, certains personnages n’apparaissent que dans une seule histoire ; c’est le cas des habitants de Whitby, des marins du Déméter, de Messieurs Billington, Carter et Paterson et de sœur Agathe. La forme narrative consistant en une juxtaposition de documents de sources variées contribue également à dissocier les différentes histoires. aq Le lecteur, habitué à lire des romans, suppose que les histoires juxtaposées ont un lien entre elles et que c’est à lui de relier les différents morceaux du puzzle. Des liens explicites sont cependant tissés entre les différents documents. En effet, les événements qui se sont déroulés en Transylvanie (les chapitres 1 à 4 auxquels la lettre de sœur Agathe apporte un dénouement) et ceux qui ont lieu à Whitby (l’étrange maladie de Lucy et l’arrivée du navire) sont liés par le fait que Mina est la fiancée de Jonathan. Le terrible destin du Déméter et les crises de Lucy sont mis en relation par le fait qu’ils sont tous deux rapportés dans le journal de Mina. Quant au navire, son lieu d’origine rappelle l’Europe de l’Est où Jonathan a séjourné. Le lecteur est par ailleurs amené à imaginer une logique des événements en s’appuyant sur la chronologie proposée. On remarque en effet que les crises de Lucy débutent juste après l’arrivée du Déméter à Whitby et que le départ du navire de Valna, le 6 juillet, a lieu une semaine après que le comte Dracula a quitté son château. Les caisses sont également sources d’interrogations pour le lecteur : il en est question en Transylvanie (dernière page du journal de Jonathan dans le chapitre 4), à Whitby quand on apprend que le Déméter convoie des caisses chargées de terre, et dans la correspondance commerciale à propos de la livraison de cinquante caisses pour le domaine de Carfax à Londres. Or le lecteur se rappelle que Dracula a justement acheté, par l’entremise de Jonathan Harker, ce domaine. ar À la fin du chapitre 8, le lecteur peut formuler différentes hypothèses, toutes centrées sur le personnage éponyme, pourtant absent dans ces chapitres. 1) Les caisses dont il est question en Transylvanie, à Whitby et à Londres sont les mêmes. 2) L’enchaînement des dates n’est pas une coïncidence. 3) La maladie de Lucy n’est par ordinaire et la blessure de son cou n’est pas le fait de la broche. 4) L’équipage du Déméter n’a pas été pris d’une démence contagieuse et il s’est produit sur le navire des événements surnaturels. 5) À partir de là, le lecteur, rassemblant les pièces du puzzle, reconstitue les événements sans que l’auteur vienne pour autant valider ses choix : Dracula a quitté son château avec les caisses qu’il a fait charger à bord du Déméter. La présence du vampire à bord du navire explique la tempête, le brouillard et la mort des différents membres d’équipage, la créature effrayante que le second et le capitaine disent avoir vue. Dracula a débarqué à Whitby en se transformant en « un immense chien » et il a commandé la livraison des caisses à Londres. À Whitby, Dracula s’est approché de Lucy : on le voit en haut de East Cliff se pencher sur la jeune fille, la mordre au cou comme les femmes vampires avaient tenté de le faire avec Jonathan ; on le retrouve un plus loin sous la forme d’un grand oiseau à côté de la jeune fille penchée à sa fenêtre. La lettre de sœur Agathe nous apprend que Jonathan a réussi à quitter le château dont il était prisonnier et l’on s’attend à ce qu’il revienne et reconnaisse dans les blessures de Lucy la signature du vampire.

Étudier le journal de bord ( l. 979 à 1056, pp. 48 à 50) as On peut relever, dans le journal du 4 août, des procédés qui caractérisent la forme du journal de bord : - le champ lexical de la mer : « marin », « barre », « second », « immensité bleue », « capitaine ... - les marques grammaticales de la première personne qui caractérisent le journal intime : « je », « mon »… - l’écriture instantanée : phrases nominales (« Fog, toujours »), phrases simples (« Je n’ose descendre »), phrases exclamatives (« Mieux vaut mourir comme un homme !»)… Ces procédés participent à l’effet de réel en donnant l’impression au lecteur qu’il s’agit d’un véritable journal de bord.

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bt On peut relever des termes appartenant au champ lexical de la peur : - « hagard » : adjectif qualificatif - « épouvante » : nom commun - « glacent le sang » : groupe verbal - « terreur » (deux fois) : nom commun - « je n’ose » : verbe à la forme négative bk Le 3 août, le capitaine explique la disparition des hommes d’équipage par la démence du second qui les aurait tués l’un après l’autre : « Je suppose que j’ai percé l’énigme à présent : c’était ce dément de second qui s’est débarrassé des hommes, l’un après l’autre, et qui vient de les rejoindre dans leur tombeau commun. » Plus haut, on relève également : « Il est fou, incurablement fou ». Le 4 août, le capitaine propose une interprétation surnaturelle des événements en se rangeant du côté de son second : « je l’ai vu, cela ou lui ». bl Le lecteur peut interpréter de deux manières les événements racontés dans le journal de bord du Déméter. En choisissant une position réaliste, on peut penser que l’équipage du navire, capitaine compris, a été atteint d’une démence contagieuse qui a conduit tous les hommes à la mort après avoir eu des hallucinations. Le contexte du roman et surtout le journal de Jonathan Harker que nous avons à l’esprit nous conduisent à pencher vers une interprétation surnaturelle : Dracula a voyagé à bord du navire et causé sa perte. Nous reconnaissons bien le registre fantastique à cette hésitation entre deux interprétations et au fait que rien ne puisse prouver définitivement que des événements surnaturels se sont produits puisque tout repose sur des témoignages.

Étudier une scène fantastique (l. 1076 à 1151, pp. 52 à 54) bm La scène se déroule la nuit durant la pleine lune alors que le temps est instable. À plusieurs reprises au cours de la scène, des nuages viennent masquer la lune et plonger décor et personnages dans l’obscurité. La pleine lune est le moment où traditionnellement se produisent les phénomènes surnaturels ; la nuit et les nuages dissimulent les contours des choses et sont eux aussi propices au mystère et à l’étrange. La scène se déroule dans un lieu écarté de la ville. L’abbaye en ruines et le cimetière sont, comme la nuit et la pleine lune, les éléments privilégiés du roman gothique car s’y rencontrent les thèmes du passé, de la mort et de la religion. Le choix de la hauteur pour le lieu de rencontre entre Lucy et Dracula permet de placer une scène cruciale (la première morsure) comme en marge du réel. bn On relève le champ lexical de l’obscurité : « lourds nuages noirs », « obscurité totale », « obscurcissaient », « ténèbres », « obscurité », « sombre silhouette », « l’ombre », « quelque chose de long et de noir ». On relève le champ lexical de la lumière ou de la blancheur : « silhouette blanche » (deux fois), « un visage pâle », « lumière de la lune », « éclat », « la pleine lune », « pleine lumière », « étroite bande de lumière », « lame éclatante », « la lumière argentée éclairait une silhouette de neige », « lumière », L’unique couleur évoquée dans le passage est le rouge : « des yeux injectés de sang ». Cette opposition entre l’ombre et la lumière s’apparente à un combat qui préfigure celui des forces du bien contre le mal incarné par Dracula. Ici, la jeune fille est du côté de la blancheur et de l’innocence mais la lumière est, elle, maléfique comme le suggère la « lame éclatante ». bo Dracula n’est jamais nommé dans le texte et c’est au lecteur de le reconnaître. Il n’est au début qu’une forme impossible à identifier : « une sombre silhouette se tenait derrière Lucy et se penchait sur elle. Quoi que ce fût, homme ou animal, je ne sais rien de plus. » Plus loin, on relève une expression similaire qui accentue le mystère : « quelque chose de long et de noir ». Puis le portait se précise un peu : « un visage pâle et des yeux injectés de sang ». Le personnage n’est toujours pas nommé mais cette dernière citation exprime clairement la violence et la mort. La nuit et les nuages, comme nous l’avons dit plus haut, contribuent au mystère en dissimulant la scène. bp Cette scène fantastique vise à susciter la peur chez le lecteur. Différents éléments créent cette émotion : le cadre spatio-temporel et notamment le jeu de l’obscurité et de la lumière qui permet des apparitions/disparitions, le caractère désert (« La ville paraissait morte ») de la scène, comme si les deux jeunes filles évoluaient en dehors de la réalité, le mystère autour de Dracula, le fait que le lecteur ne sache pas explicitement ce qui se passe et qu’il doive se l’imaginer à partir de la blessure au cou.

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Lire l’image bq Le personnage de Dracula est présenté comme un être surnaturel, notamment avec ses doigts d’une longueur hors du commun ; les yeux, les oreilles ainsi que l’attitude étrange particulièrement marquée dans l’esthétique expressionniste contribuent également à faire de Dracula une créature surnaturelle, voire satanique si l’on pense que les doigts rappellent les griffes du diable. Le vampire apparaît derrière le capitaine et au-dessus de lui, comme s’il le dominait ; la main levée vient renforcer cette impression de domination sur un personnage courbé sur sa barre. On a l’impression que Dracula s’apprête à s’emparer du marin dont il maîtrise le destin. br On a vu la position dominante du vampire (question précédente) ; le fait qu’il apparaisse derrière le capitaine crée un suspens : quand va-t-il intervenir ? le capitaine va-t-il se retourner et découvrir le monstre qui se prépare à l’attaquer ? Le décor donne l’impression que le marin fait corps avec son navire alors que le vampire se détache nettement sur le ciel. La ligne oblique de la baume à droite creuse le champ pour mieux désigner le vampire.

À vos plumes ! bs Ce sujet propose un travail de transposition d’un point de vue à un autre puisqu’il s’agit de passer du journal de Mina à celui de Lucy. On attend une transposition fidèle des faits et une prise en compte de la position respective des deux jeunes filles (témoin et victime). On valorisera les devoirs qui auront réussi de façon souple à conserver l’hésitation entre une interprétation réaliste (la maladie) et une interprétation surnaturelle (le vampire) des faits.

C h a p i t r e s 1 5 e t 1 6 ( p p . 9 5 à 1 0 6 )

Que s’est-il passé entre temps ? u Lorsqu’il se sent démuni face à la maladie de Lucy, le docteur Seward fait appel au professeur Van Helsing, un spécialiste d’Amsterdam. v Les quatre héros du roman se succèdent pour donner leur sang à Lucy : Arthur Holmwood (le fiancé de la jeune fille), le docteur Seward, le professeur Van Helsing et Quincey Morris. w Van Helsing préconise de disposer dans la chambre et autour du cou de Lucy des fleurs d’ail. x Les expressions « La femme à la dague » ou « La dame en noir » désignent une femme évoquée par les enfants qui ont disparu quelques temps avant d’être retrouvés dans la lande. Van Helsing suppose que cette femme n’est autre que Lucy. y Mina donne à lire le journal de voyage de Jonathan Harker au professeur Van Helsing. U Pour le professeur Van Helsing, les plaies remarquées sur le cou des enfants disparus ont été causées par Lucy devenue vampire.

Avez-vous bien lu ? V Pour vérifier son hypothèse quant au décès de Lucy, le professeur Van Helsing compte entreprendre deux démarches : rendre visite à l’hôpital à l’un des enfants victimes de « la femme à la dague » et passer une nuit « dans le cimetière où dort Lucy. » W Lorsque Van Helsing et Seward examinent le corps de Lucy, ils remarquent la blancheur de ses dents et leur aspect particulièrement pointu : « Encore plus blanches et plus aiguës que de son vivant ! » s’exclame le professeur, voyant là une explication aux morsures identifiées sur le cou des enfants. X Pour sauver Lucy le professeur compte « lui couper la tête, remplir sa bouche d’ail et lui percer le corps d’un pieu de bois. » at Dans le chapitre 16, Van Helsing se rend au cimetière accompagné du docteur Seward, d’Arthur Holmwood devenu Lord Godalming et de Quincey Morris. ak C’est Arthur, le fiancé de Lucy, qui est chargé d’accomplir le macabre rituel fixé par le professeur Van Helsing et destiné à sauver Lucy. al Lors de l’expédition au cimetière, Lucy s’adresse à Arthur et l’appelle : « Venez, Arthur, mon chéri ! Laissez les autres et venez avec moi ! »

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am Pour contenir les forces du mal qui ont pris possession de Lucy, Van Helsing a recours à des hosties et à un crucifix : « Van Helsing s’interposa, tendant son petit crucifix à bout de bras. »

Étudier la progression de la narration an Les trois scènes du cimetière (l’une dans le chapitre 15 et les deux autres dans le chapitre 16) sont consignées dans le journal du docteur Seward. À l’exception d’une lettre de Van Helsing adressée à John Seward et reproduite (version intégrale du roman) dans le chapitre 15, le roman constitué de documents divers se resserre ici, réduit au seul journal du médecin. Cette voix narrative unique donne plus de force à l’action qui prend, avec les trois scènes du cimetière, une intensité dramatique particulière. Ne passant plus d’un document à un autre et n’étant plus appelé à construire lui-même son propre récit et ses propres interprétations, le lecteur suit le médecin et adopte son point de vue, supposé rationnel et objectif, tout au long des deux chapitres. ao Les scènes d’horreur rapportées dans les chapitres 15 et 16 présentent des points communs : - le lieu : le cimetière et plus particulièrement la tombe de Lucy ; - le temps : l’importance du jour (Lucy inanimée) et de la nuit (Lucy en non-morte) ; - le but : observer Lucy. Il s’agit pour le professeur Van Helsing de vérifier, devant John Seward dans un premier temps, puis devant les trois jeunes gens ensuite, la vérité de ses hypothèses quant à l’étrange maladie de Lucy ; - les phénomènes : Lucy, bien que morte, est encore vivante et le mal la possède. ap Les deux scènes du cimetière dans le chapitre 16 reprennent celles du chapitre 15 (la première étant résumée page 97) pour leur donner plus d’ampleur et les mener à leur achèvement. Différents points sont à considérer. Tout d’abord, nous sommes passés de deux personnages à quatre, le professeur Van Helsing se faisant assister par Arthur et Quincey Morris qui viennent s’ajouter au docteur Seward, premier témoin de la scène. De plus, les phénomènes surnaturels sont plus nombreux dans le chapitre 16. En effet, dans le chapitre 15, on découvre Lucy dans sa tombe « plus belle encore qu’auparavant ». Ses lèvres ont « un éclat rouge plus rouge que dans la vie » et ses joues sont « délicatement colorées ». Mais cette vie inquiète car elle surpasse le vivant lui-même et semble d’une autre nature : « plus rouge que dans la vie », « cramoisies », « plus blanches et plus aiguës que de son vivant ». Dans le chapitre 16 (voir question 19), l’aspect vivant, donc surnaturel, du personnage est accentué puisque Lucy se déplace et parle. Comme dans le chapitre précédent, mais de façon plus marquée encore, la vie de Lucy dépasse la mesure (la sensualité) et exprime l’emprise du mal : « une expression de cruauté sadique », « Les lèvres étaient cramoisies de sang frais », « la rage la plus effroyable »… On voit bien que la violence simplement suggérée par l’expression de l’excès (le rouge, la blancheur, les dents aiguës) dans le chapitre 15 est ici déployée avec force détails : « elle jeta sur le sol l’enfant qu’elle avait tenu serré contre sa poitrine ». L’intervention de Van Helsing et de ses compagnons dépasse, dans le chapitre 16, celle des deux personnages dans le chapitre 15. Si, dans le premier cas, il s’agit simplement d’observer, de constater que Lucy est bien une non-morte, il faut ensuite passer à l’action. Le projet annoncé par Van Helsing dans le chapitre 15 (« lui couper la tête », « lui percer le corps d’un pieu de bois ») est mis à exécution par Arthur dans le chapitre 16 : « Arthur prit le pieu et le marteau. […] Puis, de toutes ses forces, il frappa. » Cette composition par reprise et amplification est destinée à impressionner le lecteur qui, dans un premier temps ne fait qu’entrevoir l’horreur en découvrant les dents aiguës de Lucy et le terrible rituel présenté par le professeur. La scène du chapitre 15 suscite des interrogations (comment Lucy se comporte-t-elle comme non-morte ? Comment va s’exécuter le projet du professeur ?) auxquelles répond largement le chapitre 16.

Étudier le « vertige » fantastique aq Au début du chapitre 15, les révélations du professeur Van Helsing concernant l’implication de Lucy dans le mystère des enfants disparus et retrouvés étrangement blessés bouleversent le docteur Seward qui peine à les accepter. Dans les premières lignes du chapitre, il refuse la révélation qui clôt le chapitre 14 en frappant du poing sur la table et émettant des doutes quant à la santé mentale du professeur. Après avoir écouté les explications posées de Van Helsing, il est pris de « vertige » : « Voilà qui me donna le vertige. » Ce « vertige » s’accompagne d’une « hésitation » que remarque le professeur. Il s’agit bien là d’un balancement caractéristique du fantastique entre d’une part une attitude rationnelle

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considérant que Lucy étant morte ne peut avoir agressé les enfants et d’autre part une interprétation surnaturelle qui est celle du professeur. ar Pour gagner à sa cause, d’abord le docteur Seward, ensuite Arthur et Quincey Morris, Van Helsing joue sur deux tableaux : l’explication et la preuve par l’expérience. L’un ne va pas sans l’autre. Les explications théoriques sont en effet inacceptables sans la preuve apportée par le séjour au cimetière ; de même, les événements du cimetière ne sont supportables qu’éclairés par les propos du professeur. Au chapitre 15, on peut relever pour illustrer cette double démarche : « Il regardait avec une terrible attention le visage de la défunte dont il soulevait les paupières et les lèvres pour mieux examiner les yeux et les dents. Puis il se tourna vers moi pour me dire : ». Et, dans le chapitre suivant : « Une fois tout disposé, Van Helsing déclara : / - Avant de commencer quoi que ce soit, laissez-moi vous préciser certaines choses. » Des deux démarches, c’est évidemment l’expérience qui prévaut et l’on voit que les témoins sont obligés alors de se rendre à l’évidence. Dans le chapitre 15, le professeur demande « presque joyeux » à John Seward : « Vous y croyez, à présent ? » et, dans le chapitre 16, Arthur s’écrie : « Faites comme vous l’entendez ! Faites comme vous l’entendez ! ». as Dans le chapitre 16, les phénomènes surnaturels se multiplient : 1) La « silhouette blanche » porte un suaire et s’avère être Lucy, « mais combien différente de la Lucy vivante ». 2) Lucy parle. 3) Son comportement diffère de celui de la jeune fille que les personnages connaissaient : sensualité, séduction et violence. 4) À midi, Lucy apparaît « inanimée », ce qui rend possible l’accomplissement du rituel prévu par le professeur. 5) Le corps de Lucy se contorsionne quand Arthur enfonce le pieu. bt Todorov définit le fantastique comme une hésitation entre deux interprétations d’un événement ; c’est ce qu’on voit au début du chapitre 15 lorsque le narrateur, pris de « vertige » hésite à suivre Van Helsing sur la voie du surnaturel. Mais par la suite, la preuve du surnaturel étant faite (la conservation plus que parfaite du corps de Lucy), l’hésitation disparaît et n’est réintroduite que lorsqu’Arthur et Quincey Morris peinent, à leur tout, à accepter la théorie du professeur ; mais le lecteur qui a assisté avec le narrateur à la scène du chapitre 15 ne remet plus en question la lecture surnaturelle des événements. On ne saurait donc parler de fantastique au sens de Todorov pour définir le registre de ces deux chapitres. L’horreur est sans doute un terme plus adéquat ici.

Étudier le portrait d’une créature monstrueuse (l. 2232 à 2290, pp. 100 à 101) bk On relève les expressions qui expriment la violence de Lucy : « une expression de cruauté sadique », « cramoisies de sang frais », « grognement furieux », « les feux de l’enfer », « mouvement violent », « la rage la plus effroyable », « des étincelles infernales ». Ces expressions renforcent l’intensité dramatique de la scène et marquent d’autant plus le lecteur que Lucy a été présentée jusque là comme une personne douce et vertueuse. Le contraste est d’ailleurs exprimé à plusieurs reprises dans le texte : « Lucy Westenra, sans doute, mais combien différente de la Lucy vivante ! », « Lucy (faute de mieux puisqu’elle possédait sa silhouette […]) ». bl De nombreuses comparaisons viennent exprimer le caractère inhumain, animal ou diabolique, de Lucy, comme si le langage ordinaire ne suffisait pas pour exprimer la monstruosité du personnage. On peut relever : - « un petit cri, comme en poussent les jeunes enfants dans leur sommeil ou les chiens qui rêvent devant le feu » : Lucy, sans violence encore, est différente de ce qu’elle était et l’animalisation apparaît progressivement. - « elle recula, avec un grognement furieux, comme une chatte surprise dans ses activités » : l’animalisation se poursuit. - « aussi impitoyable qu’une diablesse » : on passe de l’animal (chien, chat) à la monstruosité. - « le grognement qui accompagna son geste me rappela le chien obligé de lâcher un os qu’il voudrait encore ronger ! » : on retrouve l’animalisation mais les chiens endormis et la chatte ont fait place à un animal agressif. - « quelque chose de diabolique »

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- « quelque chose qui ressemblait aux verres que l’on tinte » : on est passé de l’animal à un objet de sorcellerie destiné à envoûter. - « des rides semblables aux serpents de Méduse et la bouche vermillon, naguère si adorable, s’ouvrit presque jusqu’à former un carré, comme ces masques représentant la colère chez les Grecs ou chez les Japonais. » : la double comparaison introduit un univers éloigné du nôtre (l’Antiquité, le Japon) pour décrire la transformation de Lucy et la monstruosité est exprimée par l’évocation de Méduse. On a même l’impression que la mythologie fondatrice de notre civilisation ne suffisant pas, le narrateur éprouve le besoin d’évoquer une civilisation plus lointaine encore. bm On peut relever : « une expression de désir voluptueux », « une lueur perverse », « un sourire voluptueux », « même sourire pervers », « une grâce voluptueuse », « la sensualité bestiale ». À ces expressions s’ajoutent l’invitation claire de Lucy : « Arthur, mon chéri ! », « Mes bras ont envie de vous », « Venez, que nous reposions l’un près de l’autre ». Le recours, à six reprises, à l’impératif exprime aussi une attitude contraire à la réserve naturelle (l’éducation victorienne) de la jeune fille. Alors que Lucy avait été présentée dans les premiers chapitres comme une jeune fille chaste et posée, le narrateur souligne la sensualité du personnage afin de montrer la transformation opérée et indiquer au lecteur que la créature qui apparaît dans le cimetière n’est pas Lucy mais le mal qui s’est emparé de sa personne. Il est intéressant de voir que, dans la société puritaine de l’ère victorienne, la sensualité et la volupté sont associées à la perversité et à la bestialité. Présenter Lucy comme une femme séduisante, usant de ses charmes pour appeler Arthur, c’est, dans ce contexte moral, la déshumaniser, comme si la définition de l’homme excluait sensualité et sexualité.

Étudier une scène d’horreur bn Au moment où Lucy apparaît sous la forme d’une « silhouette blanche », on distingue l’attitude du professeur de celle des trois jeunes gens qui se précipitent spontanément alors que Van Helsing reste maître de la situation : « Nous allions nous élancer mais un geste du professeur, que nous ne quittions pas des yeux, nous retint. » Lorsqu’il devient possible de percevoir les traits de Lucy, les personnages partagent la même horreur : « mon cœur se gela en une seconde », « le cri étouffé d’Arthur », « Nous frémîmes, tous ». Et le narrateur revient sur le « tous » en précisant que Van Helsing, cette fois-ci, n’a pas échappé à la frayeur générale : « Van Helsing en personne perdait presque le contrôle de lui-même et de ses nerfs d’acier ». Arthur est sans doute, en sa qualité de fiancé de Lucy, le plus vulnérable : « Si je n’avais pas retenu Arthur par le bras, il se serait sans doute effondré ». On remarque que ce geste du docteur Seward ainsi que le « presque » qui vient atténuer l’affolement du professeur aux « nerfs d’acier » réputés donnent aux hommes de science une place privilégiée. Après que Lucy a parlé et entrepris de séduire Arthur, on retrouve une opposition entre le jeune homme en proie à des émotions incontrôlables et « envoûté » par la jeune fille diabolique et le professeur à nouveau maître de la situation : « Van Helsing s’interposa, tendant son petit crucifix à bout de bras ». Le narrateur exprime ses sentiments lors de la rédaction de son journal et, considérant que l’apparition n’est pas Lucy mais le mal incarné dans le corps de la jeune fille, il se montre prêt à accomplir le geste préconisé par le professeur : « s’il avait fallu l’abattre, en ce moment précis, j’aurais accompli le geste avec un délice sadique. » À la fin du passage, c’est Arthur lui-même qui se range du côté du professeur en s’abandonnant (« Arthur se laissa tomber à genoux ») à la douleur et à l’ « horreur » : « Faites comme vous l’entendez ! ». Ainsi Bram Stoker établit des nuances dans les comportements pour montrer, d’une part l’horreur de la scène à laquelle le professeur lui-même est sensible et, d’autre part l’efficacité de la démonstration puisque Arthur, un moment tenté de répondre à l’appel de Lucy, se rend aux raisons de Van Helsing. bo La seconde mort de Lucy relève bien du genre de l’horreur. D’abord parce que c’est Arthur qui accomplit le rituel (« la terrible tâche ») ; lui qui aime Lucy par-dessus tout est justement celui qui va la tuer. À cette horreur de la situation s’ajoute la violence de la scène et aucun détail ne nous est épargné. En effet les gestes d’Arthur sont décomposés comme au ralenti : « prit le pieu », « posa le pieu », « frappa », « frappait à coups redoublés ». De la même manière, les verbes d’action sont nombreux dans le passage rapportant les réactions de Lucy : « jaillit », « se contorsionna, se tordit », « claquèrent »… Les adjectifs se multiplient pour préciser davantage encore la scène : « un cri terrible, hideux », « aiguës », « rouge »…

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bp À la fin du chapitre 16, Arthur tue la non-morte que Lucy est devenue afin de la sauver de l’emprise des forces du mal. Le narrateur insiste même sur la détermination du jeune homme lorsqu’il accomplit ce geste meurtrier : « sans hésiter ni trembler ». Si Arthur a accepté de suivre les conseils du professeur c’est parce que tout, dans les deux scènes au cimetière, montre que ce n’est pas Lucy telle qu’elle était de son vivant qui lui est apparue. Il ne s’agit pas de détruire Lucy mais bien de détruire le mal qui l’habite (en parlant de ses yeux : « derrière eux brûlaient les feux de l’enfer ») pour la sauver. Enfoncer le pieu, c’est donner vie à Lucy telle qu’Arthur l’a connue.

À vos plumes ! bq On attendra que l’article rédigé adopte le style précis d’un document scientifique tout en présentant des faits ou des explications pouvant justifier les choix du professeur quant au traitement à appliquer à Lucy. On pourra suggérer aux élèves de rapporter, à titre d’exemple illustratif, un fait proche de la maladie de Lucy.

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Que s’est-il passé entre temps ? u Les caisses convoyées par le Déméter et livrées à Whitby ont été finalement déposées dans le domaine de Carfax à Londres. v Cinquante caisses ont été déposées. w Dracula « a gagné son surnom pendant la guerre contre les Turcs » ; il a été considéré comme « un homme supérieurement intelligent ». x Renfield demande au docteur Seward de quitter son établissement. y Mina pense souffrir de problèmes de sommeil et elle demande même un somnifère au docteur Seward ; ses nuits sont troublées par des cauchemars et des visions et, quand elle a l’impression d’avoir profondément dormi, elle ne se sent pas davantage reposée. Le lecteur comprend qu’elle est sous l’emprise du vampire.

Avez-vous bien lu ? U Renfield, le patient du docteur Seward, décède au cours du chapitre, des suites de ses blessures. V Van Helsing, John Seward, Lord Goldaming et Quincey Morris se jettent sur la porte des Harker après avoir entendu les révélations de Renfield. W Mina rapporte les paroles de Dracula. X C’est le sang qui lie profondément Mina et Dracula. Le vampire a bu le sang de la jeune femme et il l’a contrainte à boire le sien en perçant une veine de sa propre poitrine.

Étudier la complexité de la narration at On relève les différents temps employés dans le premier paragraphe du chapitre : - présent : « dois » (indicatif), « puisse » (subjonctif), « arrive » (subjonctif) ; - passé composé : « s’est passé » (indicatif), « ai écrits » (indicatif). Ces deux temps sont des temps de l’énonciation et situent les actions exprimées par rapport au moment de l’énonciation (3 octobre). Les actions s’ordonnent de la façon suivante : « ai écrits » / « s’est passé » / « dois » et « puisse » / « arrive » (valeur de futur). ak Dans le deuxième paragraphe, le passé simple (« arrivai », « trouvai », « approchai », « compris », « raconta ») exprime les actions de premier plan. Nous sommes passés d’un énoncé ancré dans la situation d’énonciation (premier paragraphe) à un énoncé coupé de la situation d’énonciation. Dans les premières lignes du chapitre, le « je » renvoie au docteur Seward narrateur alors que dans le deuxième paragraphe, il s’agit du personnage.

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Le premier paragraphe introduit le journal avant de laisser place au récit proprement dit. al Deux passages rapportent la rencontre du comte et de Mina : 1) « Le clair de lune était si éclatant […] jusqu’au moment de ma mort. » (l. 2817 à 2850) : les derniers instants de la rencontre (Lucy contrainte de boire le sang de Dracula) et le départ du comte. 2) « Pour dormir […] Qu’ai-je fait ? » (l. 2915 à 2995) : l’arrivée du comte et la rencontre jusqu’au moment où Lucy est contrainte de boire le sang du vampire. Les deux moments de la rencontre ne sont pas présentés dans l’ordre chronologique ; le récit de Mina permet une analepse. am Le chapitre propose des récits emboîtés : le journal du docteur Seward contient le récit de Mina. Ce procédé donne au lecteur deux points de vue sur la même scène, celui du témoin, le docteur Seward qui tient son journal, et celui de la victime elle-même. De cette façon, la scène particulièrement monstrueuse au cours de laquelle la jeune femme est obligée de boire le sang du vampire est racontée deux fois, ce qui accroît son impact sur le lecteur. On peut même parler de paroles emboîtées pour ce chapitre : le docteur Seward rapporte les propos de Mina qui, elle-même, rapporte le discours de Dracula. an Deux moments du chapitre 21 préparent les dernières lignes du roman et assurent la cohésion d’un roman que la multiplication des documents contribue à éclater. Les dernières lignes rappellent le courage de Mina, courage souligné dans le chapitre 21: après avoir subi l’agression du vampire, elle a le courage de la raconter et demande même à son mari de se montrer courageux. Il est fait allusion à la disparition des documents originaux attestant de la vérité de l’histoire et l’on apprend dans le chapitre 21 que Dracula s’est emparé des notes et journaux des différents personnages pour les détruire: « Les manuscrits étaient brûlés », « Les cylindres de votre phonographe ont aussi été détruits ». Il ne reste plus que les feuilles (Épilogue : « une série de feuilles dactylographiées ») heureusement déposées dans le coffre du docteur Seward.

Étudier la description (l. 2817 À 2850, pp. 125-126) ao Les compléments circonstanciels de lieu sont nombreux car le passage est à dominante descriptive ; il s’agit de mettre en place les différents éléments évoqués les uns par rapport aux autres. On peut relever : « par les jalousies jaunes », « près de la fenêtre », « à l’autre bout du lit », « le plus près de nous », « À côté d’elle », « sur la poitrine dénudée de l’homme », « dans la pièce », « à l’autre bout du lit », « sur nous », « vers le monstre », « dans son tombeau », « derrière un épais nuage noir », « sous la porte », « vers Mrs Harker ». ap On relève : « Comme nous faisions irruption dans la pièce, le comte tourna la tête, et son visage prit cette expression diabolique dont les autres m’avaient déjà parlé ». - « faisions » : imparfait exprimant une action de second plan ; - « tourna » : passé simple exprimant une action de premier plan ; - « avaient parlé » : plus-que-parfait exprimant une action antérieure à une autre action passée. aq Comme dans la scène avec Lucie se déroulant en haut de la colline à Whitby, la rencontre entre Dracula et Mina se déroule la nuit avec l’éclairage de la lune. « Le clair de lune était si éclatant que sa lumière, passant par les jalousies jaunes, suffisait à éclairer la pièce. » : la lune est présente pour les besoins de la narration mais aussi pour créer une atmosphère inquiétante en introduisant une lumière violente (de même que la scène) et fragmentaire (les jalousies). La lune, souvent perçue comme un astre maléfique, est complice de Dracula dans la mesure où son éclat accompagne l’agression avant de s’effacer pour protéger la fuite du vampire : « Soudain la lumière de la lune disparut derrière un épais nuage noir. ». L’obscurité de la nuit se double de celle du nuage et permet à Dracula de disparaître. L’éclairage artificiel au gaz révèle un univers moins inquiétant puisqu’il est en même temps question de Quincey, d’Helsing et d’Art. Les couleurs sont très réduites dans le texte, ce qui accroît le malaise créé par l’éclairage violent de la lune : - « les jalousies jaunes » (comme la lumière), - « la silhouette blanche de la femme » (la pureté) qui contraste avec l’homme « habillé de noir » (le mal), - « La chemise de nuit blanche » fait ressortir le « sang » qui l’éclabousse et on retrouve ce contraste avec les dents « blanches » « derrière les lèvres dégouttantes de sang »

Dracula – 17

Étudier le mélange des registres (l. 2810 à 2833, pp. 125-126) ar La scène est dramatique car la vie de Mina est en jeu ; elle est entre les mains du vampire et le lecteur connaît l’issue de cette emprise puisqu’il a suivi pas à pas la maladie de Lucy. La mise en place des personnages, dans une position figée, théâtrale, contribue à dramatiser la scène ainsi que l’éclairage violent qui disparaît brusquement. S’ajoutent les contrastes symboliques entre la blancheur de Mina, le noir et le rouge rattachés au comte. On comprend aisément que Murnau, le cinéaste expressionniste allemand, ait été inspiré par le roman de Bram Stoker. as Curieusement, dans ce passage éminemment dramatique, deux situations comiques apparaissent mais elles ne sont qu’esquissées pour ne pas ruiner l’horreur de la scène. « Dans un terrible craquement, elle céda, et nous nous retrouvâmes presque par terre. Presque, pour nous, car le professeur, lui, tomba bel et bien et, une seconde, j’eus la vision loufoque de Van Helsing à quatre pattes - une seconde, car une autre vision, plus impérieuse, s’emparait de nous et me fit dresser les cheveux sur la tête. ». Cette scène burlesque met à mal la tension dramatique d’autant plus qu’elle s’effectue en deux temps et constitue à elle toute seule une mini-histoire au sein de l’intrigue. En effet, la reprise détournée du « presque » rebondit sur la nuance pour présenter au contraire une aggravation de la situation. Le terme « loufoque » est même esquissé. Mais, en même temps, la portée de la scène est minimisée et la « vision loufoque » disparaît rapidement au profit de la scène d’épouvante qui fait « dresser les cheveux sur la tête ». « La scène présentait une terrible ressemblance avec une scène plus familière – par exemple un enfant que l’on oblige à avaler un brouet qu’il n’aime pas. » L’adjectif « terrible » contraste avec « familière » et l’image de l’enfant capricieux est en décalage avec la violente agression du comte. Mais la présence de la comparaison repousse la situation comique au second plan ; le comique n’est qu’effleuré et ne met pas en péril l’horreur de la scène. bt On retrouve dans de nombreux romans anglais du XIXe siècle (Jane Austen, Georges Eliot…) cette légère distance humoristique vis-à-vis des événements narrés. Le mélange des registres, qui ne dénature pas l’horreur de la scène, invite le lecteur à prendre lui aussi ses distances et peut-être à remettre en cause la vérité de ce qui lui est raconté. D’une certaine façon, en introduisant cette touche amusante, Bram Stoker attire l’attention sur les clichés de la scène : l’arrivée fracassante des personnages est digne d’une comédie et la terrible scène de vampirisme n’est-elle pas aussi familière au lecteur que celle d’un enfant refusant d’avaler son brouet ? En effet, d’autres scènes similaires ont eu lieu dans le roman et l’auteur s’inscrit aussi dans une tradition populaire et littéraire qui fait de ce passage un véritable topos du genre.

Étudier la scène du récit de Mina (l. 2899 à 3014, pp. 128 à 131) bk À la toute fin du chapitre, il est facile de mesurer l’impact du récit de Mina sur son époux : il se traduit par une réelle altération physique : « les cheveux avaient blanchi ». Par ailleurs, son attitude tout au long du passage manifeste sa profonde affectation : « son mari laissait échapper un gémissement », « Une fois encore, son mari gémit ». À la fin du récit, les gémissements qui expriment la souffrance font place à une résignation plus douloureuse encore : « Harker restait calme et silencieux mais, sur son visage, se lisait une sombre expression ». Jonathan est bouleversé par ce qui est arrivé à sa jeune épouse car il l’aime et il partage ses souffrances ; peut-être pense-t-il aussi, comme le lecteur, à la triste fin de Lucy. La souffrance du personnage, en écho à celle de Mina, souligne l’horreur de la scène et contribue à émouvoir le lecteur. La place accordée aux réactions violentes de Jonathan invite à regarder la scène d’une manière un peu particulière. Il s’agit en effet de la souffrance d’un mari qui vient de surprendre sa femme dans les bras d’un autre homme. La rencontre entre Mina et le vampire prend alors toutes les apparences d’un viol. Et l’on peut voir dans les scènes de vampirisme une représentation monstrueuse d’une relation sexuelle. L’expression « devenir mienne » qui achève le discours de Dracula ou, un peu plus haut, le terme de « compagne » autorisent cette interprétation. La rencontre entre Jonathan et les trois femmes vampires particulièrement sensuelles nous avait déjà mis sur la voie de cette lecture du roman. On peut même penser que l’infidélité de Jonathan séduit par les femmes dans le château de Dracula trouve son prolongement (sa vengeance ?) dans cette scène entre le comte et Mina.

Réponses aux questions – 18

bl Dracula nous apparaît dans cette scène à la fois comme humain (il tient Mina dans ses bras) et surhumain. Le narrateur souligne en effet le pouvoir surhumain du vampire. Si son corps semble celui d’un être humain (les ongles, le sang…), ses yeux expriment une puissance démoniaque : « les yeux étaient tellement rouges ». Dracula semble d’abord avoir endormi Jonathan pour parvenir à ses fins : « Je me tournai pour éveiller Jonathan, mais il dormait si profondément qu’on aurait juré qu’il avait avalé le somnifère, lui, et non moi ». Mina se sent aussi prisonnière du vampire, incapable d’agir : « J’aurais voulu hurler, mais j’étais paralysée ». Le pouvoir que le vampire peut exercer sur les autres se double d’une capacité à apparaître et disparaître : « comme jailli du brouillard, ou, mieux, comme si le brouillard s’était concrétisé en lui ». Rappelons que Dracula a disparu tout aussi mystérieusement de la chambre des Harker. bm Mina rapporte le discours de Dracula en conservant toute son éloquence. Différents procédés peuvent être relevés. 1) L’emploi de la modalité exclamative traduit l’émotion du personnage. 2) L’anaphore du pronom « vous » dans les trois premières phrases désigne Mina de façon agressive ; on retrouve cette répétition du « vous » plus loin : « Et vous, vous qu’ils adorent tous, vous êtes à présent chair de ma chair ». 3) De façon plus générale, la répétition est un procédé récurrent et certains mots viennent ponctuer les propos et imprimer un rythme au discours de Dracula : « contre moi », « chair », « sang »… 4) L’énumération souvent doublée d’une gradation donne également du poids à la tirade éloquente du comte : « moi qui ai commandé des nations, combattu à leur tête, lutté pour les défendre », « chair de ma chair, sang de mon sang, race de ma race». 5) L’expression de l’obligation grâce au verbe devoir (« je dois ») ou au futur (« vous connaîtrez »…) peut aussi être relevée de l’éloquence du discours.

À vos plumes ! bn La science-fiction permet de quitter le domaine pesant et chargé de connotations de cette scène du roman. On attend des élèves qu’ils aient compris les procédés du récit emboîté et de l’analepse et qu’ils sachent calquer la construction d’un passage pour bâtir leur propre narration.

C h a p i t r e 2 7 e t é p i l o g u e ( p p . 1 6 3 à 1 7 4 )

Que s’est-il passé entre temps ? u Les différents titres de propriété de Dracula se trouvent dans la salle à manger de la maison de Piccadilly. v Van Helsing hypnotise Mina pour suivre le parcours de Dracula. La jeune femme est en effet liée par le sang au comte et elle peut pénétrer ses pensées comme il pénètre les siennes. w Le professeur et ses compagnons attendent le navire à Varna, lieu d’où était parti le Déméter. x Le Tzarine Catherine arrive en fait à Galatz. y Le comte voyage sur une rivière (le Sereth) puis par la route grâce aux Bohémiens.

Avez-vous bien lu ? U Les réponses justes sont : b), d), f) et h).

Étudier l’évolution d’un personnage : Mina V Mina interrompt son journal parce qu’elle n’est plus en état de le tenir et c’est le professeur Van Helsing qui prend la relève. Alors que la jeune femme s’est appliquée depuis le début du roman à noter tout ce qui se passait, le fait qu’elle cesse d’écrire montre que son état s’est fortement détérioré. Pour le lecteur, ce silence d’un personnage très présent jusqu’ici est comme une sorte de mort. D’une certaine façon Mina est en train de quitter le monde des hommes, appelée par celui des vampires. W Des signes physiques viennent s’ajouter au silence de Mina pour suggérer, sans jamais le dire clairement (conformément à l’esthétique globale du roman), la transformation de la jeune femme en vampire. Dans l’ordre du texte, on peut relever : 1) Mina, qui a préparé le repas du professeur, affirme avoir déjà mangé, ce qui fait que le professeur mange seul. 2) Durant la nuit, elle garde « les yeux grands ouverts, des yeux brillants ».

Dracula – 19

3) Il est impossible d’hypnotiser Mina : « elle ne s’endort pas ». 4) Mina s’endort au lever du soleil et elle « ne cesse de dormir ». 5) L’apparence de la jeune femme se modifie, comme si sa nature même était changée : « dans son lourd sommeil, elle me semble plus fraîche, plus saine que jamais. » Le fait que la jeune femme ne puisse partager le repas ordinaire du professeur, la modification de son rythme de sommeil, la transformation du personnage durant ce sommeil particulièrement profond, sont autant de signes de la métamorphose de Mina en vampire. X Découvrant les différents signes de la métamorphose progressive de Mina, le professeur s’exclame : « j’ai peur, peur, peur ! ». La modalité de la phrase renforcée par la répétition du mot « peur » rappelle le caractère oral et spontané du journal intime. Le diariste exprime ses pensées sans s’embarrasser des règles de l’écrit et des effets de style ; il écrit en toute sincérité. Le lecteur ne peut qu’être inquiet pour Mina : les signes sont clairs et si le professeur, homme rationnel et combatif, se met à éprouver de la peur, c’est bien que la situation est critique. Lucy, l’héroïne de la première moitié du roman, est décédée malgré les efforts inouïs du professeur et des trois jeunes gens pour la sauver. Le lecteur peut légitimement s’interroger sur ce qui va arriver à Mina. Va-t-elle, elle aussi, devenir définitivement la proie de Dracula ? at Mina reprend la rédaction de son journal après que le professeur a ouvert les tombes du château pour détruire les trois femmes vampires. Ces trois femmes ont appelé Mina qui est tentée de les rejoindre mais qui, protégée par le cercle d’hosties de Van Helsing, a pu résister. Sans doute la disparition définitive des trois femmes vampires réduit-elle l’emprise du monde des vampires sur Mina, ce qui peut expliquer la reprise du journal.

Étudier une scène d’horreur Lignes 3814 à 3883, pp. 165 à 168 ak La scène de la destruction des trois femmes vampires rappelle le passage du cimetière au cours duquel, suivant les instructions du professeur, Arthur plante un pieu dans la poitrine de Lucy afin de l’arracher au monde des non-morts. La destruction des trois femmes annonce aussi celle de Dracula à la toute fin du roman. Ces échos assurent la cohésion d’un roman que la multiplication des voix risquerait de faire éclater. al Le professeur s’est fixé comme tâche de détruire les femmes vampires et la voix de Mina lui rappelle cette mission capitale : « un gémissement si long, si pitoyable, si douloureux qu’il m’éveilla comme une sonnerie de clairon. C’était la voix de ma chère Mrs Mina que j’entendais. » Mais la mission est un moment compromise car le professeur est sous le charme des trois femmes. Le champ lexical de l’envoûtement est fortement présent dans le passage : « une terrible fascination », « troublé », « un étrange charme » (on donnera son sens fort, magique à ce terme qui apparaît à deux reprises), « envoûtement », « vertige », « enivré ». Plusieurs explications sont proposées. Le professeur se réfère d’abord aux circonstances : « manque de repos », «oppression de l’air ». Plus loin, la fascination est mise sur le compte de l’attirance sexuelle : « enivré par cet instinct mâle qui nous pousse à adorer et à protéger un être de l’autre sexe ». On a déjà vu au cours du roman cette dimension sensuelle du vampirisme : Jonathan aurait succombé au charme des trois femmes si Dracula n’était pas intervenu et Arthur, sans le professeur, se serait jeté dans les bras de Lucy lors de la scène du cimetière. Mais, de manière implicite, le roman propose au lecteur une interprétation surnaturelle ; en effet, l’adjectif « étrange » est récurrent dans le texte, notamment associé à des termes renvoyant à une lecture réaliste de l’événement : « une étrange oppression de l’air ». L’envoûtement dépasse de plus la simple attirance sexuelle puisque l’emprise des femmes s’exerce aussi sur l’âme : « désir qui semblait paralyser mes facultés et s’emparer de tout mon être, jusqu’à mon âme elle-même. » am Le professeur ouvre les tombes des trois femmes vampires puis celle de Dracula qui est bien entendu vide. La découverte s’accompagne d’une gradation. En effet, après avoir ouvert les tombes des deux premières femmes, le professeur en découvre une troisième « plus grande que les autres, comme si elle était consacrée à une femme plus aimée que les précédentes ». Les deux comparatifs de supériorité marquent cette progression et on retrouve cette construction lorsqu’il s’agit de décrire la troisième femme vampire, « la plus belle ». Le comparatif a fait place à un superlatif qui lui-même cède le pas à des intensifs : « si belle », « si éclatante », « d’une sensualité si bestiale ». Lorsqu’il s’agit de la tombe du

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comte, la comparaison vient souligner sa suprématie : « plus noble que toutes les autres ». Le personnage domine ainsi que le suggèrent la mise en page et la typographie mettant en relief le nom DRACULA. Cette mise en page est à l’image de la tombe elle-même (« une énorme tombe », « gigantesque et merveilleuse ») comme à l’image du comte lui-même : « l’empereur des vampires ». Lignes 3862 à 3881, pp. 166 à 168 an On peut relever plusieurs verbes au conditionnel passé première forme : - « aurais pu poursuivre » : pouvoir (auxiliaire de modalité) - « aurais poursuivi » : poursuivre - « aurais supporté » : supporter Ces trois verbes sont à la forme négative et le conditionnel exprime ici une action qui n’a pas eu lieu. Il s’agit donc ici de soumettre les actions (pouvoir poursuivre, poursuivre et supporter) à une condition (« Si je n’avais pas été possédé », « Heureusement que j’avais observé ») pour en exprimer la difficulté. - « aurais fui » : fuir Le verbe est cette fois-ci à la forme affirmative et le conditionnel exprime une action qui n’a pas eu lieu. - « aurait dû » : devoir Le sujet n’est plus le « je » renvoyant au professeur mais « qui » mis pour « la mort » ; là encore le conditionnel exprime une action qui n’a pas eu lieu. ao Le présent de l’énonciation est utilisé à plusieurs reprises dans le passage (« je tremble », « je puis à présent ») ; le professeur exprime ses émotions au moment où il rapporte la scène afin d’en souligner l’impact. On le voit particulièrement dans la phrase qui reprend le verbe trembler au présent après l’avoir employé au passé composé : « J’ai tremblé, je tremble encore en écrivant ». ap On peut relever de nombreux adjectifs qualificatifs dans la phrase qui rapporte le coup de pieu frappé par le professeur : - « horrible » : épithète du nom « crissement » - « torturée » (participe passé employé comme adjectif) : épithète du nom « femme » - « voluptueuses » : épithète du nom « lèvres » - « sanglante » : épithète du nom « écume » Les adjectifs sont nombreux afin de préciser davantage la scène d’horreur en exprimant à la fois la sensualité vivante de la femme (« voluptueuses ») et l’horreur de l’acte. aq Le champ lexical de la peur est présent dans le passage : « épouvante » (deux fois), « tremble » (deux fois). Différents procédés contribuent également à exprimer la peur : 1) Le recours au présent de l’énonciation montre l’impact de l’événement sur le narrateur (voir plus haut, la valeur du présent). 2) La modalité exclamative et l’interjection « Ah ! » 3) L’apostrophe qui appelle un réconfort : « Mon ami John ! » 4) Le contraste entre des phrases longues et des phrases brèves (« Mais c’est fini ! ») pour exprimer le désordre émotif du narrateur.

Étudier la position du narrateur et le point de vue interne (l. 3898 à 3946, pp. 169-170) ar Mina raconte la scène à la première personne ; le narrateur est donc intradiégétique comme toujours dans ce roman de Bram Stoker qui ne recourt jamais à un point de vue omniscient. Le point de vue est doublement interne car deux personnages regardent à tour de rôle la scène : Mina et le professeur. On peut relever différents verbes ou expressions qui expriment ce double point de vue interne : « Il me tendit ses jumelles et désigna quelque chose du doigt », « j’observai », « nous pouvions embrasser », « Droit devant nous », « Je le découvris »…. as Van Helsing et Mina se sont installés sur un promontoire rocheux qui présente le double avantage d’être un lieu protégé et un poste d’observation. De cet endroit, les deux personnages dominent la scène et Mina pourra donc la rapporter dans ses moindres détails. Le surplomb permet un large point de vue (« nous pouvions embrasser une énorme zone de terrain ») et un recul indispensable à un regard objectif.

Dracula – 21

bt Les jumelles jouent un rôle essentiel dans l’observation de la scène et différents passages les mentionnent : 1) « Il me tendit ses jumelles et désigna quelque chose du doigt. » 2) « Il me reprit les jumelles et, profitant de l’accalmie suivante, scruta le paysage. » 3) « Prenez les jumelles et regardez, avant que la neige ne vous en empêche ! » 4) « après avoir regardé jusqu’à ce qu’une nouvelle attaque de la neige l’en empêchât » : on devine que Mina a rendu ses jumelles au professeur afin qu’il regarde ce qu’elle vient de découvrir. Les jumelles passent des mains de Van Helsing à celles de Mina de sorte que les observateurs se relaient au lieu de confronter leur regard. Ainsi un seul regard est posé sur la scène. De plus la présence des jumelles rappelle que les deux personnages se tiennent à distance de l’action principale, ce qui leur permet à la fois d’avoir une vision globale de l’action (un point de vue quasi omniscient) et un recul garantissant leur objectivité. Paradoxalement les jumelles soulignent à la fois l’existence d’un point de vue interne (et donc subjectif) et son objectivité. Au lecteur donc de voir s’il accorde crédit au double témoignage.

Étudier la scène de dénouement (l. 3947 à 4020, pp. 170 172) bk Le soleil est mentionné à plusieurs reprises au cours de la scène car le combat contre Dracula se double d’une lutte contre le soleil : « ils voulaient en finir avant que le soleil n’eût disparu », « Le soleil allait disparaître derrière les pics », « Il vit que le soleil avait presque disparu et le regard de haine devint regard de triomphe », « Le château de Dracula se dessinait à présent, net, contre le ciel rouge », « Le soleil avait maintenant disparu derrière la montagne et ses derniers rayons, rouges, tombaient sur mon visage ». Le soleil joue un rôle important car sa disparition à l’horizon laisse la place à la nuit, domaine de Dracula. Les personnages précipitent le combat, ce qui augmente la tension dramatique, afin de venir à bout du vampire avant que la nuit ne lui redonne ses pouvoirs. Les modalisateurs « allait » et « presque » ralentissent l’action pour accroître la tension et l’on est sur le point d’assister au « triomphe » du comte. Le comte une fois vaincu, le soleil est évoqué à deux reprises et sa couleur rouge en arrière plan du château ou sur le visage de Mina rappelle sans aucun doute le sang versé par les vampires. Mais à la fin le rouge est vaincu par le blanc synonyme de pureté : « la neige n’est pas plus pure que son front… La malédiction est terminée ! » bl Arthur Goldaming et le docteur Seward d’un côté, Jonathan et Quincey Morris de l’autre se rapprochent du convoi des Bohémiens. Les quatre jeunes gens vont unir leur force pour venir à bout des convoyeurs et de Dracula. Mais, Mina a les yeux rivés sur Jonathan et Quincey Morris de sorte que les deux autres personnages sont laissés de côté lors de la description de l’assaut. On voit juste le docteur Seward rejoindre le professeur pour porter secours à leur ami blessé : « Les deux docteurs se précipitèrent aussi ». Van Helsing et Mina sont tenus à l’écart par Bram Stoker même si on voit le professeur brandir un fusil pour menacer les Tziganes. Comme on l’a vu, il est nécessaire de marquer une distance entre les personnages qui participent à l’action et ceux qui la rapportent. Le journal rapporte les impressions et réactions de Mina ; les verbes de perception (« Je n’avais pas quitté Jonathan du regard », « j’avais observé », « j’avais distingué »…) sont nombreux pour montrer le statut de témoin de Mina dont les émotions contribuent à dramatiser la scène : « Je hurlai quand je vis mon mari trancher la gorge offerte ». bm Le coucher du soleil est sur le point de donner la victoire à Dracula ; mais la détermination de Quincey Morris et de Jonathan aura le dernier mot comme l’expriment maintes expressions au fil du récit (« Rien ne semblait pouvoir les arrêter ») et des termes signifiant l’énergie tels « l’impétuosité », « la volonté », la « vigueur », « l’énergie du désespoir ». Les actions des deux héros se combinent pour exprimer toute leur ardeur et expliquer leur victoire : « je vis mon mari trancher la gorge offerte pendant que Mr Morris plongeait son arme jusqu’à la garde dans la région du cœur. » La blessure mortelle de Quincey vient souligner le courage du jeune homme : « je vis que sa main gauche était crispée sur son flanc et que du sang lui coulait entre les doigts. Il ne s’interrompit pas pour autant ». bn L’élément de résolution du roman est la disparition de Dracula après avoir été frappé par Jonathan et Quincey Morris. Alors que les yeux du vampire venaient de briller, le corps du personnage disparaît totalement : « Devant nos yeux, le temps d’une inspiration, le corps entier était tombé en poussière ». Le terme religieux employé pour désigner cet événement surnaturel est le « miracle ». Ce terme exprime la dimension surhumaine, irréelle du phénomène tout en inscrivant ce qui s’est passé dans une perspective chrétienne. Le combat contre le comte est une lutte contre les forces du mal et,

Réponses aux questions – 22

quelques pages auparavant, Dracula a été désigné comme « l’empereur des vampires » régnant sur l’ « enfer ». À la fin du chapitre les jeunes gens tombent à genoux et murmurent « Amen » quand ils assistent à un deuxième miracle : la trace sur le front de Mina a disparu. D’une certaine façon, à une époque où triomphent la science et le rationalisme, le surnaturel trouve une justification en se rattachant au miraculeux reconnu, quant à lui, par la religion encore fortement implantée.

Étudier l’épilogue bo La première phrase de l’épilogue introduit le bilan qui va être dressé en soulignant de deux façons la distance temporelle entre les événements qui ont été racontés dans les pages qui précèdent et l’épilogue lui-même. L’indicateur de temps « sept ans » est placé en tête et la locution adverbiale « à présent » montre l’opposition entre un passé terrible (« les flammes », « les souffrances endurées ») et un présent heureux (« le bonheur que nous connaissons »). bp Le chapitre 27 se clôt sur la disparition de Dracula, la mort de Quincey Morris et la guérison de Mina. L’épilogue complète les informations quant au devenir des personnages en insistant sur le bonheur rétabli. La quiétude de Jonathan et de Mina se traduit par la naissance d’un enfant. « Lord Goldaming et Seward sont tous deux mariés », ce qui montre que les souffrances liées à la mort de Lucy ont été dépassées. Le professeur est un familier de la maison de Jonathan et, à la fin du roman, on le voit jouer avec le jeune Quincey Harker. Mais les événements passés ne sont pas gommés et l’on voit que le présent se construit sur le souvenir du passé. Les personnages se réunissent pour évoquer leur combat (« nous avons évoqué ensemble le passé »), ils retournent en Transylvanie, le fils de Jonathan et Mina porte les prénoms des héros et c’est, comme autrefois, Van Helsing qui a le dernier mot : « C’est Van Helsing, une fois encore, qui a trouvé la réponse définitive ». bq Avec une sorte de clin d’œil plus proche de la littérature du XXe que de celle du XIXe siècle, le roman se montre dans les dernières lignes sous la forme d’ « une série de feuilles dactylographiées ». Il s’agit ici des notes et journaux tapés par Mina mais le lecteur peut y voir également le manuscrit que l’auteur remet à son éditeur. Et si « il n’est plus aucun texte authentique », c’est que les pages que le lecteur a entre les mains relèvent de la plus pure fiction. Mais, plus simplement, on peut aussi voir dans cette pirouette finale un des traits du fantastique tel qu’il apparaît tout au long du roman : la multiplication des documents crée une illusion de réel et, en même temps, elle soumet le récit à des points de vue subjectifs. Ce brouillage donne toute sa force à l’intrusion du surnaturel dans le réel. Enfin, cette conclusion est, à l’image du roman, un ultime appel au lecteur qui doit décider de ce qu’il veut croire ou non. La lecture devient affaire de foi : « Nous ne pouvons plus demander à qui que ce soit d’accepter pareille histoire sans preuve directe ! », affirme Jonathan. Et les derniers mots du professeur, concernant le jeune Harker mais aussi peut-être le lecteur, substituent l’amour à la raison (« Il ne nous faut pas de preuve »).

Lire l’image br Les vêtements d’Anthony Hopkins rappellent le XIXe siècle et la grande croix, qui tranche sur le tissu sombre et dont le cordon est lui aussi très visible, montre l’importance des signes religieux dans la lutte contre les vampires. Les trois têtes correspondent aux trois femmes vampires décapitées par le professeur même si le roman ne nous dit pas que Van Helsing les emporte. Les bras pendants de l’acteur, son visage légèrement penché comme si ses épaules portaient un poids infini, son regard et ses lèvres entrouvertes expriment tout l’accablement du professeur après la terrible scène du château.

À vos plumes ! bs Le dialogue est ici prétexte à un jeu de questions réponses au cours duquel Mina récapitule le roman en en présentant les différents protagonistes. On attend une bonne maîtrise de l’insertion du dialogue : temps du récit, incises. Les devoirs qui auront su exprimer l’affection de Mina pour son fils et son émotion au souvenir des événements passés seront valorisés.

Dracula – 23

R e t o u r s u r l ’ œ u v r e ( p p . 1 7 9 - 1 8 0 )

u Les branches de rosier sauvage, l’ail, les hosties, les crucifix et le soleil permettent de se protéger des vampires. v a-7) Mina Murray, b-1) Lucy Westenra, c-2) John Seward, d-6) Arthur Holmwood/Godalming, e-3) Quincey Morris, f-4) Quincey Harker (le fils de Jonathan et de Mina), g-5) Jonathan Harker. w Les événements se produisent dans l’ordre suivant : c), h), g), b), d), e), a), f), i), j). x a) le Déméter, b) la maison de Lucy à Londres, c) Transylvanie, dans le voisinage du château de Dracula, d) East Cliff à Whitby, e) le château de Dracula. y a) Mina, b) Van Helsing, c) Jonathan, d) Mina, e) Lucy, f) le docteur Seward.

Proposition de séquence didactique – 24

P R O P O S I T I O N D E S E Q U E N C E D I D A C T I Q U E

Questionnaire Étude de la langue Technique littéraire Expression écrite

1 chapitres 1 à 4

Les types de phrases Le champ lexical de la religion L’évocation de la mort

L’incipit La mise en place des personnages Le récit fantastique Le récit à la première personne Le journal intime

Le journal intime L’hésitation fantastique L’univers du château

2 chapitres 7 et 8

L’expression de la peur Les champs lexicaux de l’obscurité et de la lumière

Les voix narratives Le traitement du temps et de l’espace Une scène fantastique Les hypothèses de lecture

Le journal intime Le récit fantastique

3 chapitres 15 et 16

Le champ lexical de la sensualité Les comparaisons

La construction de la narration Le fantastique et ses effets L’horreur et la monstruosité

L’article scientifique

4 chapitre 21

Valeurs des modes et des temps Les compléments circonstanciels de lieu Les procédés de l’éloquence

Le traitement du temps Les récits emboîtés Le mélange des registres

Les récits emboîtés

5 chapitre 27 et épilogue

Les adjectifs qualificatifs et leurs fonctions Comparatifs et superlatifs Valeurs des modes et des temps

L’évolution d’un personnage L’horreur Le point de vue Le dénouement L’épilogue

Le dialogue inséré dans un récit au passé

Dracula – 25

E X P L O I T A T I O N D U G R O U P E M E N T D E T E X T E S

Le corpus proposé rassemble des textes écrits avant et après le roman de Bram Stoker. On pourra développer les pistes suivantes.

◆ Perspective historique : les origines du mythe Le roman qui a directement inspiré Bram Stoker (Carmilla) : les éléments que l’on retrouve dans Dracula. On pourra aussi étudier un extrait du Vampire de Polidori (voir plus loin). Les constantes que l’on retrouve dans les différents textes. Les textes qui constituent directement le mythe et celui (Odyssée) qui le frôle seulement.

◆ Perspective historique : l’évolution du mythe Les constantes L’évolution Les réécritures : comment un texte (Je suis une légende, Richard Matheson) se nourrit d’une œuvre antérieure tout en affirmant sa spécificité.

◆ Étude d’un personnage (constantes et variations) Ses caractéristiques physiques Son caractère Son passé et son avenir Un personnage inquiétant

◆ Étude d’un genre/registre Le cadre spatio-temporel La place du surnaturel La place du réalisme L’effet sur le lecteur : peur, attente

◆ Textes complémentaires John William Polidori, Le Vampire, 1819. La nouvelle de Polidori, intitulée Le Vampire et parue en 1819, a sans doute inspiré Bram Stoker. On y rencontre un personnage affable et fascinant, Lord Ruthwen, qui s’avérera être un vampire. Le héros, Aubrey, séjourne en Grèce et, malgré les avertissements de ses hôtes qui croient aux vampires, il s’attarde la nuit dans la forêt. Avant qu’Aubrey fût loin dans la forêt, l’orage avait éclaté sur sa tête avec fureur. Le tonnerre grondait coup sur coup et, répété par les nombreux échos d’alentour, ne laissait presque point d’intervalles de silence. La pluie, tombant à torrents, forçait son passage jusqu’à Aubrey à travers l’épais couvert du feuillage, tandis que les éclairs brillaient autour de lui, et que la foudre même venait quelquefois éclater à ses pieds. Son coursier épouvanté tout à coup l’emporta à travers le plus épais du bois. L’animal hors d’haleine à la fin s’arrêta, et Aubrey, à la lueur des éclairs, remarqua près de lui une hutte presque enterrée sous des masses de feuilles mortes et de broussailles, qui l’enveloppaient de tout côté. Aubrey descendit de cheval, et approcha de la hutte, espérant y trouver quelqu’un qui lui servirait de guide jusqu’à la ville, ou du moins s’y procurer un abri contre la tempête. Au moment où il s’en approchait, le tonnerre s’étant ralenti pour quelques instants, il put distinguer les cris perçants d’une femme1 auxquels répondait un rire amer et presque continu : Aubrey tressaillit, et hésita s’il entrerait ; mais un éclat de tonnerre, qui soudain gronda de nouveau sur sa tête, le tira de sa rêverie ; et par un effort de courage, il franchit le seuil de la hutte. Il se trouva dans la plus profonde obscurité ; le bruit qui se prolongeait lui servit pourtant de guide ; personne ne répondait à son appel réitéré.

1. Il s’agit de Lanthe, la jeune fille dont Aubrey est amoureux.

Exploitation du groupement de textes – 26

Tout à coup […] Aubrey se sentit saisi avec une vigueur qui lui parut surnaturelle. Décidé à vendre chèrement son existence, il lutta, mais en vain : ses pieds perdirent, en un instant, le sol ; et, enlevé par une force irrésistible, il se vit précipiter contre la terre, qu’il mesura de tout son corps. Son ennemi se jeta sur lui ; et, s’agenouillant sur sa poitrine, portait déjà ses mains à sa gorge, quand la réverbération d’un grand nombre de torches, pénétrant dans la hutte par une ouverture destinée à l’éclairer pendant le jour, vint troubler le monstre dans son épouvantable orgie ; il se hâta de se relever, et, laissant là sa proie, s’élança hors de la porte : le bruit qu’il fit en s’ouvrant un passage à travers l’épaisse bruyère cessa au bout de quelques instants. Théophile Gautier, La Morte amoureuse, 1836 (autre extrait). Un matin, j’étais assis auprès de son lit, et je déjeunais sur une petite table pour ne la pas quitter d’une minute. En coupant un fruit, je me fis par hasard au doigt une entaille assez profonde. Le sang partit aussitôt en filets pourpres, et quelques gouttes rejaillirent sur Clarimonde. Ses yeux s’éclairèrent, sa physionomie prit une expression de joie féroce et sauvage que je ne lui avais jamais vue. Elle sauta à bas du lit avec une agilité animale, une agilité de singe ou de chat, et se précipita sur ma blessure qu’elle se mit à sucer avec un air d’indicible volupté. Elle avalait le sang par petites gorgées, lentement et précieusement, comme un gourmet qui savoure un vin de Xérès ou de Syracuse ; elle clignait les yeux à demi, et la pupille de ses prunelles vertes était devenue oblongue au lieu de ronde. De temps à autre elle s’interrompait pour me baiser la main, puis elle recommençait à presser de ses lèvres les lèvres de la plaie pour en faire sortir encore quelques gouttes rouges. Quand elle vit que le sang ne venait plus, elle se releva l’œil humide et brillant, plus rose qu’une aurore de mai, la figure pleine, la main tiède et moite, enfin plus belle que jamais et dans un état parfait de santé.

Dracula – 27

P I S T E S D E R E C H E R C H E S C O M P L E M E N T A I R E S

On pourra proposer les travaux suivants : - Les grands romanciers anglais du XIXe siècle - La représentation de la modernité dans le roman du XIXe siècle (Bram Stoker, Dickens, Zola, Verne, Maupassant…) et dans la peinture - Les créatures monstrueuses - Le vampire au cinéma - Les créatures éternelles dans la mythologie et dans le roman - La reprise contemporaine des grands mythes littéraires

Bibliographie complémentaire – 28

B I B L I O G R A P H I E C O M P L E M E N T A I R E

Svetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Seuil, 1970. Sous la direction d’Antoine Faivre et Jean Marigny, Les Vampires, Colloque de Cerisy, Albin Michel, 1983. Sous la direction de Charles Grivel, Dracula, de la mort à la vie, Cahiers de l’Herne, 1997. Sous la direction de Jean Marigny, Dracula, Autrement, « Figures mythiques », 1997. Sous la direction de Claude Fierobe, Dracula, Mythe et métamorphoses, Septentrion, 2005.