Livre PDF Fr Violletleduc

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Viollet-le-Duc à Pierrefonds et dans l’Oise Viollet-le-Duc at Pierrefonds and in the Oise region idées et débats Directrice des éditions et de la diffusion : Dominique Seridji Responsable des éditions : Denis Picard Responsable adjointe des éditions : Karin Franques Coordination éditoriale : Caecilia Pieri Maquette, mise en pages et mise en ligne : Opixido, Paris Correction : Isabelle Warolin Administrateur du château de Pierrefonds : Isabelle de Gourcuff

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Transcript of Livre PDF Fr Violletleduc

  • Viollet-le-Duc Pierrefonds et dans lOiseViollet-le-Duc at Pierrefondsand in the Oise region

    ides et dbats

    Directrice des ditions et de la diffusion : Dominique SeridjiResponsable des ditions : Denis PicardResponsable adjointe des ditions : Karin FranquesCoordination ditoriale : Caecilia PieriMaquette, mise en pages et mise en ligne : Opixido, ParisCorrection : Isabelle Warolin

    Administrateur du chteau de Pierrefonds : Isabelle de Gourcuff

  • Rsum

    Christophe Valletprsident du Centre des monuments nationaux, Paris

    Ce colloque, organis loccasion du cent-cinquantime anniversaire de la commande de la reconstruction du chteau de Pierrefonds par lempereur Napolon III, marque le renouveau des tudes scientifiques concernant luvre de larchitecte Viollet-le-Duc. Le btiment et le parc du chteau, ouverts partiellement la visite ds 1868, proprits de ltat franais depuis 1871, sont maintenant placs sous la responsabilit du Centre des monuments nationaux.

    Conserv aujourdhui dans les meilleures conditions aux archives dpartementales de lOise Beauvais, le fonds ancien de lagence de Pierrefonds essentiellement constitu de do-cuments de la main de larchitecte offre une richesse indite dont lexploitation ne fait que commencer pour le chercheur et lamateur.

    Ouverture du cOllOque

  • abstRact

    Christophe Valletpresident, Centre des monuments nationaux, Paris, France

    This symposium, organised on the occasion of the 150th anniversary of the commissioning of the restoration of the Chteau de Pierrefonds (region Oise) by Emperor Napoleon III, marks the renewal of interest in studying the uvre of the architect Eugne Viollet-le-Duc. The chateau and its grounds, partly opened to visitors since 1868 and property of the French state since 1871, now come under the aegis of the Centre des monuments nationaux. Now kept in optimal conditions at the Archives dpartementales de lOise in Beauvais, the collection of the Pierrefonds office essentially made up of documents in the architects own hand offers a new wealth of material to the researcher and admirer, and has just started being used.

    SympOSium OpenS

  • Bruno Foucartdocteur s lettres, professeur honoraire, universit Paris-IV, commissaire gnral de lexposition Viollet-le-Duc Paris en 1980.

    La pratique des anniversaires, commmorations et clbrations, du priv au national, peut quelquefois lasser ; elle a lavantage de donner des tats de situation. Comment Viollet- le - Duc, cent ans aprs sa mort, rapparaissait-il ? Quel tait au vrai ce personnage si divers, si com-plexe, si talentueux, si prsent et si contest, avec lequel le patrimoine nallait plus cesser de vivre, en mal ou en bien, en guerre ou en paix ? Un vritable revival de Viollet-le-Duc tait en tout cas en cours, depuis les annes 1960, comme en tmoignent la thse de Robert Middleton en 1958, les articles parmi dautres de Besset et de Revel de 1960 et 1964, com-me le confirment la recension de Geert Bekaert dans son la recherche de Viollet-le-Duc publi chez Mardaga en 1980 et, bien sr, la bibliographie runie dans le catalogue de 1980, o lanne 1965 marque le dbut dun long, contest et passionn retour en honneur.

    Cette anne 1965 tait celle o la Caisse nationale des monuments historiques (CNMH) cl-brait le cent-cinquantime anniversaire de la naissance de Viollet-le-Duc, le 27 janvier 1814. Lexposition neut pas, semble-t-il, tous les gards quelle aurait mrits mais Pierre- Marie Auzas, cet inspecteur gnral qui stait intrpidement vou Mrime et Viollet-le-Duc, publiait avec lactif engagement de Genevive Viollet-le-Duc et de sa sur, Mme Henriquet, un faux catalogue qui tait une vraie et substantielle biographie-chronologie. La consultation directe des archives familiales transparaissait et donnait toute sa valeur cette somme qui a t republie telle quelle en 1980, comme accompagnement de la CNMH au centenaire de la mort de lartiste survenue le 17 septembre 1879, Lausanne.

    Le centenaire, prcisment, ne pouvait-il donner loccasion dun hommage solennel et rai-sonn ? Aprs tant de polmiques le temps de la comprhension ntait-il pas venu ? Lide de Michel Guy, alors secrtaire dtat la Culture, tait dinitier les nouvelles protections du xixe et du xxe sicle. Il aimait Pierrefonds comme la villa Savoye et, inversement, Bram Van Velde comme Grme. Lentreprise dOrsay avait-elle un sens si on ne se rconciliait pas avec le plus flamboyant inspirateur du sicle ? LAssociation du centenaire de Viollet-le-Duc1 avait le sentiment que Viollet-le-Duc mritait plus. Michel Guy voulut donc symboliquement que lexposition et lieu dans les Galeries nationales du Grand Palais. Viollet-le-Duc ne serait pas ainsi limit son action de restaurateur ; il apparatrait comme un crateur universel, un phare. Convaincu, Jean-Philippe Lecat, ministre de la Culture, donna son accord ; la conjonction avec lanne du Patrimoine fournissait une bonne opportunit. Viollet-le-Duc ntait-il pas dans lhistoire patrimoniale celui qui avait le mieux et continment clbr les noces renouve-les du pass et du prsent ? Ainsi patronne et baptise, lexposition ouvrit le 19 fvrier et se termina le 5 mai 1980.

    Lhonneur du Grand Palais fait un architecte ce qui na pas t renouvel depuis, ft-ce pour Le Corbusier ou Perret impliquait des efforts particuliers de prsentation. Michel Guy pensa Richard Peduzzi ; celui-ci fit confiance Christian Siret. Avec Bruno Donzet, ils rus-sirent reconstituer des espaces, crer une atmosphre colore directement prise la palette de Viollet-le-Duc. La salle des Preuses de Pierrefonds par lintermdiaire de ses pltres ressuscits, les chambres dEu et de Roquetaillade avec leur mobilier prsent en personne, et mme le grand salon du donjon de Pierrefonds, avec des lments de boiserie, apparurent en trois dimensions. Au secours du commissaire gnral, la direction de larchitecture avait envoy Franoise Berc et le muse dOrsay, alors en gestation, ainsi quHenri Loyrette et Caroline Matthieu, jeune stagiaire. Il revint donc cette socit des quatre de mettre en uvre cette montre mise en situation par lquipe Christian Siret-Bruno Donzet.

    1. Association dont les animateurs, autour de Michel Guy, son prsident, taient son arrire-petite-fille Genevive Viollet-le-Duc, Jean Musy, directeur de lcole des beaux-arts, Jean-Jacques Aillagon et moi-mme.

    Lexposition VioLLet-Le-Duc au GranD paLais paris (1979-1980)

  • LExPOSItION VIOLLEt-LE-DUC AU GRAND PALAIS PARIS (1979-1980)

    Bruno Foucart

    Le parti de lexposition ne pouvait tre que celui de luniversel. Il fallait servir Viollet-le-Duc dans tous ses tats : restaurateur, constructeur, dcorateur, thoricien, artiste ; il fallait aussi et dabord que lhomme et sa sensibilit fussent prsents. Comment permettre les lectures les plus comprhensives de celui qui fut une sorte de Lonard-Jules Vinci-Verne ? Lexposition se voulut donc comme le spectre de larc-en-ciel viollet-le-ducien. Il fallait quelle traduise les diversits du grand homme et quen mme temps elle souvre aux diffrentes approches que celui-ci permettait. La varit des contributions vrifie par la table des auteurs du catalogue traduit cette proccupation. Dans cet hosanna il y eut sans doute des absents, peut-tre des oublis mais srement pas dexclus. Les trente-sept signatures du catalogue, toutes gnra-tions et formations mles, conservateurs, inspecteurs, universitaires, indpendants, anctres et jeunes loups reprsentaient assez fidlement le viollet-le-ducianisme des annes 1980. Lune des vertus secondaires de cette exposition est donc davoir tmoign, en ces temps post-modernes, pour lhistoire de lhistoire de lart et de ses acteurs2.

    Quant aux sections, elles concernaient dans lordre le restaurateur, le constructeur, le dco rateur, le dessinateur, la postrit. Chacune tait organise en dossiers, de sorte que Pierrefonds tait par exemple trait la fois par Louis Grodecki pour la restauration, par Marie- Hlne thibierge pour la sculpture, par Colombe Samoyault-Verlet pour le mobilier, par Franois Loyer pour le dcor peint. Avec ses cinq grandes entres, ses soixante et un dos-siers, ses six cent quarante-neuf numros, le catalogue comptait des annexes o lon trouvait un premier inventaire des dessins conservs alors au centre de recherches des monuments historiques de Chaillot et une liste des crits de Viollet-le-Duc due Jean-Jacques Aillagon liste indite et non remplace ce jour. Certes il y eut des manques comme par exemple les chteaux dAbbadia ou de Pupetires ; linfluence du thoricien aurait pu tre davantage approfondie. Mais, en faisant une place privilgie au dessinateur, et dabord celui du massif des Alpes, on suggrait bien que l tait lintuition essentielle de Viollet-le-Duc : dans lunit de lhomme et de lunivers, dans lanalyse logique du cr. Le catalogue avait une ambition : rester utile. Il semble quil nait pas encore dmrit.

    Lexposition du Grand Palais stait trs vite transforme en toile du berger dune nouvelle constellation. peine la dcision prise et connue surgirent de multiples autres propositions. Cette floraison dexpositions pouvait poser quelques problmes un commissariat gnral qui risquait de se voir priv de documents essentiels ; elle tmoignait dabord de la force du sigle VLD. Les lieux et difices qui avaient connu ses interventions commenaient enfin sen glorifier, mme si Saint-Sernin de toulouse un projet de drestauration se posait en excep-tion. Des accords sur le calendrier furent chaque fois trouvs.

    Le festival Viollet-le-Duc se droula sans heurts. De mai novembre 1979 le chteau dEu, partir de ses propres archives, fit lhistorique des travaux excuts de 1874 1879 pour le comte de Paris. Martine Bailleux-Delbecq proposa tout simplement une nouvelle lec-ture du chteau, en lanalysant comme consubstantiellement viollet-le-ducien puisque Viollet-le-Duc rinventait pour Eu le mobilier Louis-Philippe-Bidermeier, dans le mme esprit davant-gardisme qu Pierrefonds pour le mobilier mdival. Les meubles de la chambre dite dore furent exposs Paris. Au muse Bargoin de Clermont-Ferrand, Marie-Laure Hallopeau prsenta Viollet-le-Duc en Auvergne. Le parti tait celui dtudier toutes les pr-sences et activits de Viollet-le-Duc dans une mme rgion : du voyage de 1831 en Auvergne jusqu lachvement de la cathdrale de Clermont-Ferrand partir de 1864, lubiquit du grand homme se vrifiait. Au tour de Lydwine Saulnier et Claude Hohl : Viollet-le-Duc dans lYonne fit lobjet dune enqute comparable. Les chapiteaux de Vzelay, dposs, restaurs,

    2. Nous ne rsistons pas au plaisir de rappeler les noms des 37 : Jean-Jacques Aillagon, Martine Bailleux-Delbecq, Claudine Berger, Franoise Berc, Marie-Claude Bthune, Nicole Blondel, Franoise Boudon, Patrick Bracco, Yvonne Brunhammer, Ghis-laine Cazenave, Rgine Couennaux, Marcel Durliat, Alain Erlande-Brandenburg, Bruno Foucart, Jacques Foucart-Borville, Patrick Goulet, Louis Grodecki, Marie-Laure Hallopeau, Dominique Hervier, Jean-Claude Lasserre, Bernard Lauvergeon, Bertrand Lemoine, Jean-Michel Leniaud, Annie Lotte, Franois Loyer, Henri Loyrette, Catherine Marmoz, Caroline Mathieu, Mathieu Meras, Robin Mid-dleton, Jannie Mayer, Franoise Perrot, Lon Pressouyre, Colombe Samoyault-Verlet, Lydwine Saulnier, Marie-Thrse Thibierge, Genevive Viollet-le-Duc.

  • LExPOSItION VIOLLEt-LE-DUC AU GRAND PALAIS PARIS (1979-1980)

    Bruno Foucart

    firent lobjet dune prsentation particulire. Enfin les catalogues taient modestes mais riches en faits et rvlations. Ainsi se dessinait ce que pouvait tre lchelon national un vritable tout Viollet-le-Duc , dont lexposition de 1980 ne pouvait malgr son ampleur donner une synthse, ft-elle arborescente.

    Deux manifestations tranchaient par leur diffrence : celles de Lausanne et de lcole des beaux-arts parisienne. Lausanne, o Viollet-le-Duc vcut ses dernires annes et mourut, se devait de lui offrir un hommage particulier. Lexposition prsente de juin octobre 1979 clbrait bien sr le restaurateur de la cathdrale, mais aussi le concepteur de lexemplaire chalet pr-wrightien de la Vedette que lon navait su ou pu conserver (cette disparition alors rcente tait une blessure vive). Les dessins de montagnes apparaissaient comme lex-pression finale et synthtique du grand uvre de celui qui fut capable de comprendre et de runir Notre-Dame de Paris et le Mont-Blanc dans un mme lan. Le catalogue ajoutait des contributions gnrales, runissant des grandes signatures, de Georg Germann Jacques Gubler, et de Philippe Junod Robin Middleton.

    Paris, Genevive Viollet-le-Duc, Jean Musy et Jean-Jacques Aillagon tenaient ce que que le voyage en Italie (1836-1837) fasse lobjet dune prsentation particulire3. La beaut des dessins et aquarelles conservs dans ce que lon appelait le fonds Viollet-le-Duc , le retour dans lcole des beaux-arts qui navait pas encore vraiment rpar le drame de 1863 justifiait cette prsentation qui, de janvier mars 1980, dans la chapelle rouverte, se rvla un lieu de grande motion. Le catalogue tait le commentaire illustr et pratiquement exhaustif de ce voyage, dont le jeune Viollet-le-Duc sut renouveler les charmes et les enseignements.

    Le centenaire du 17 septembre 1979, marqu par une telle explosion dexpositions, mani-festations, publications, prolong sur deux ans de 1979 1980, clbrait le triomphe de Viollet-le-Duc ; on ne se demanderait plus sil tait bon o mchant : il existait4. Mais limpor-tant tait bien dans tous ces nouveaux regards convergeant vers un Viollet-le-Duc aimable, et de mieux en mieux aim. Pierrefonds reconnaissait enfin sa vritable paternit. En repu-bliant, quatorze ans aprs sa parution, un texte de Louis Grodecki, admirable de lucidit, en investissant les salles du Grand Palais avec les pltres de la salle des Preuses et les meubles rfrences du salon du donjon, enfin, en commandant Jean-Michel Leniaud une prsen-tation dans les murs de ce que fut cette restauration-cration, le chteau montrait quil tait dcid assumer firement son destin : celui davoir t le laboratoire et latelier du premier des architectes-savants-potes du xixe sicle.

    3. Genevive Viollet-le-Duc avait publi, en 1971, les lettres de ce voyage initiatique.4. Certes, le projet de drestauration de Saint-Sernin de Toulouse prsent par Yves Boiret et libralement accroch aux cimaises du Grand Palais dsesprait tous ceux qui le considraient au mieux comme un anachronisme.

  • Rsum

    Jean Mesquidocteur s lettres, ingnieur gnral des Ponts et Chausses

    Si Pierrefonds est sans doute lun des chteaux franais les plus connus, il le doit essentielle-ment sa restauration. Retrouver, derrire limage et la structure qua imposes Viollet-le-Duc, la ralit de luvre de Louis dOrlans et de ses architectes nest pas tche facile ; pas plus nest-il facile de dmler entre les thses qui ont circul et ont t publies propos de ce chteau emblmatique. Pour autant, mener cette enqute est une tche passionnante, car elle permet de dtruire bien des ides fausses, et de restituer le programme dun chteau hors du commun, palais inachev dun prince qui marqua son poque de sentiments contrasts mais jamais indiffrents.

    Texte non communiqu.

    Le chteau du xve sicLe. Luvre de Louis dorLans Pierrefonds

  • abstRact

    Jean MesquiPhD, construction general engineer, cole nationale des ponts et chausses

    Pierrefonds is undoubtedly one of the best known French chateaux this is mainly due to its restoration. Finding, behind the image and the structure imposed by Viollet-le-Duc, the reality of the work of Louis dOrlans and his architects is not an easy task; nor is it less difficult to untangle the theories that have circulated and were published about this emblematic chateau. For all that, leading this investigation is a fascinating task, as it allows one to demolish a great number of false ideas and to recreate the programme of an extraordinary chateau, the unfinished palace of a prince who inspired contrasting but never indifferent feelings in his time.

    This text is not available.

    the fifteenth-century chateau. the work of Louis dorLans at Pierrefonds

  • Rsum

    Jean-Paul Midantdocteur en histoire, matre-assistant lcole nationale suprieure darchitecture de Paris-Belleville

    Mme si cette destination a t envisage, la reconstruction du chteau imprial de Pierrefonds na pas t mene pour servir de rsidence au souverain. Larchitecte a considr Napolon III comme un mcne au fait de lhistoire de la fortification et de larmement, accep-tant de soutenir sur sa cassette personnelle cette ralisation dexception, plutt que comme un aristocrate nostalgique et rveur. Pierrefonds, difice austre, sans confort moderne, est pour Viollet-le-Duc ce quil nommait dj, en 1857, un spcimen de lart franais, dont la vocation tait de servir d objet dtude . Larchitecte ira plus loin encore : avec la recons-truction de Pierrefonds, cest lart franais du xve sicle quil convient de faire reconnatre au niveau de lart italien du Quattrocento. Le chteau de Pierrefonds conu par Viollet-le-Duc nest donc pas un chteau romantique : cest une leon dhistoire, une leon darchitecture, un monument la grandeur nationale, et un parcours ouvert aux visiteurs pour donner r-flchir sur laction de lhomme quand il construit, quand il fortifie son abri, quand il difie son logis, quand il en excute la dcoration. En rsum, ce chteau a t refait au xixe sicle pour sinterroger sur les moyens et les buts de larchitecture, en suscitant, par un questionnement sur la socit mdivale et ses murs, une interrogation sur lpoque contemporaine (celle de Viollet-le-Duc et, si lon veut bien sy prter, sur la ntre).

    Le chteau de Pierrefonds reconstruit : rsidence ou muse ?

  • abstRaCt

    Jean-Paul MidantPhD in history, lecturer, cole nationale suprieure darchitecture de Paris-Belleville

    Even though this purpose was envisaged, the imperial chateau of Pierrefonds was not rebuilt to serve as the sovereigns residence. The architect considered Napoleon III a patron, ac-quainted with the history of fortification and arms, who agreed to pay out of his own pocket for this exceptional creation, rather than a nostalgic and dreamy aristocrat. Pierrefonds, an austere building with no modern conveniences, was for Viollet-le-Duc what he called in 1857 a specimen of French art, whose purpose was to serve as an object of study. The architect was to go even further: with the reconstruction of Pierrefonds, it is French art of the fifteenth century that should be acknowledged as being on a par with Italian art of the Quattrocento. The Chteau de Pierrefonds conceived by Viollet-le-Duc is thus not a Romantic chateau: it is a history lesson, a lesson in architecture, a monument to national grandeur, and an itinerary open to visitors to inspire thoughts about the acts of man when he builds, when he fortifies his shelter, when he constructs his dwelling, when he decorates it. In brief, this chateau was restored in the nineteenth century to examine the means and the goals of architecture, by giving rise to through the questioning of medieval society and its mores a questioning of the contemporary era (that of Viollet-le-Duc and, if we so desire, our own).

    the reconstructed chateau of Pierrefonds: residence or museum?

  • Jean-Paul Midantdocteur en histoire, matre-assistant lcole nationale suprieure

    darchitecture de Paris-Belleville

    On peut reprer chez Viollet-le-Duc les traces de son intrt pour le chteau de Pierrefonds pendant lanne 1845, quand paraissent sous la direction du Baron Taylor les Voyages pit-toresques de lancienne France consacrs la Picardie. Les vues du chteau lithographies par Eugne Cicri, daprs ses dessins o se sont glisses des erreurs dobservation, in-diquent nanmoins que le jeune architecte restaurateur na pas encore excut de relevs prcis sur le motif, et quil sest inspir des nombreuses gravures alors sa disposition.

    La curiosit que suscitent les restes du chteau achets par Napolon Ier en 1812, grs par ladministration des forts de la Maison du souverain (dont le pre de Viollet-le-Duc fut un temps le chef du bureau au Ministre), accessibles sur demande, est confirme par ces reprsentations, mais elle est aussi atteste dans plusieurs brochures rimprimes rguli-rement. On peut citer la plus complte : le Prcis historique du chteau de Pierrefonds chez Jules Lescuyer Compigne (en circulation depuis 1827 et qui atteint 47 pages illustres de deux lithographies en 1842), o lon prcise quun sauvetage et une mise en scne paysagre avec plantations de pins et de mlzes sur la colline du ct du village et dans lintrieur du chteau ont t ralises sous la direction du duc de Doudeauville, ministre

    Le chteau de Pierrefonds reconstruit : rsidence ou muse ?

    Figure 1Fig. 1. Vue restaure du chteau de Pierrefonds, dans la Description du chteau

    de Pierrefonds par Viollet-le-Duc,

    dition 1857.

  • LE ChTEau DE PIERREFONDs RECONsTRuIT : RsIDENCE Ou MusE ?

    Jean-Paul Midant

    de la Maison du roi, au printemps 1827. Comme on peut remarquer la Notice historique sur Compigne et Pierrefonds qui parat depuis 1836 chez Baillet diteur, place de lhtel-de-Ville Compigne , o lon note qu loccasion de la fte donne dans la cour du chteau en 1832 pour le mariage de la fille de Louis-Philippe avec le roi des Belges Lopold Ier, le roi actuel est venu saluer le chteau de Pierrefonds comme le domaine de ses anctres et que lon construit dans la tour principale lescalier et le belvdre quon y voit aujourdhui . Cette curiosit pour lhistoire, propice une future tude venir, saccrot et cela nest cer-tainement pas anodin ici de la dcouverte des vertus thrapeutiques de leau de source lo-cale attestes depuis 1846 (vantes par ltude mdicale sur les eaux minrales sulfureuses de Pierrefonds-les-Bains par le docteur sales-Girons, parue Paris chez Victor Masson en 1853) ; elle est vrifie en 1847 avec lexposition au salon par larchitecte aymar Verdier de deux aquarelles prsentant un tat actuel et un tat restaur du chteau, premier essai architec tural aujourdhui perdu de transformation des ruines.

    Viollet-le-Duc prend srieusement connaissance du site dans la perspective de la paru-tion, en 1854, de larticle architecture , figu rant au premier tome du Dictionnaire raisonn de larchitecture franaise du xie au xvie sicle, o un long dveloppement est consacr larchitecture militaire (repris dans lEssai sur larchitecture militaire au Moyen ge publi la mme anne). Tandis que les observations sur lenceinte et le chteau de Carcassonne ainsi que sur les remparts davignon constituent une part trs importante de la documen-tation exploite ici par larchitecte, la fortification de Pierrefonds est uniquement consi dre partir de ltude des chemins de ronde en maonnerie ceignant les tours et les courtines encore visibles. un premier plan et une pre mire lvation restitus du btiment apparais-sent trois ans plus tard, en 1857, dans la Description du chteau de Pierrefonds (repris dans larticle Chteau du troisime tome du Dictionnaire raisonn, paru la mme anne), et correspondent la volont dapprofondir lanalyse (fig.1). Viollet-le-Duc situe alors le sys-tme fortifi de Pierrefonds au terme dune volution sociale et formelle, depuis le xie sicle jusquau dbut du xve sicle, dont les tapes marquantes seraient successi vement donnes par les dispositions des chteaux d arques-la-Bataille, de Chteau-Gaillard, de Coucy, et par le Louvre de Charles V.

    Les travaux mens Pierrefonds sous la direction de Viollet-le-Duc jusqu sa mort rsul-tent dune commande de Napolon III, formule la fin du mois de dcembre 1857, il y a donc maintenant prs de cent cinquante ans. Le chantier commence quelques jours aprs le 15 janvier 1858, suite lembauche comme inspecteur de Lucjan Wyganowski, ancien collaborateur de larchitecte Jean-Baptiste Lassus, disparu peu de temps auparavant1. La premire proccupation du souverain nest pas mettre sur le compte dune quelconque volont de reconstruire le chteau sous lapparence o nous le voyons aujourdhui. Il sagit dabord, pour Napolon III, en tant que responsable de cette proprit de la liste civile, rduite ltat de ruines, mais renomme et visite, de permettre la restitution dune des tours situe langle nord-est. La tour hector est en effet la mieux conserve aprs le d-mantlement du xviie sicle et cest elle qui a fait lobjet dune illustration dans le modeste essai de restauration de Viollet-le-Duc, paru quelques mois auparavant. Refaire le chemin de ronde, mettre la maon nerie ancienne sous toit, en assurer un accs ais par la rfection de la circulation verticale intrieure est un travail pour lequel larchitecte utilise une somme de cent mille francs prise sur la cassette personnelle de lempereur2. Ce mode de finance-ment ainsi que la focalisation sur une partie du monument juge alors la plus significative sexpliquent par lintrt personnel du souverain pour larchologie. Cet intrt se poursuit sur lensemble du territoire franais, et il apparat ici aux confins des possessions de la liste civile lies au domaine de Compigne comme Champlieu ou saint-Pierre-en- Chastres,

    1. Voir aux archives dpartementales de lOise Beauvais le fonds de dessins de Lucjan Wyganowski raliss dans lagence de Lassus, cot 65 J1-6. Le premier ordre de Viollet-le-Duc est donn le 21 janvier 1858 : Je prie M. Wyganowski de faire consolider le pont de lentre du chteau de Pierrefonds de manire ce que les voitures puissent entrer dans louvrage. Archives dparte-mentales de lOise, 4Tp7, correspondance.2. Les bordereaux de comptes et les attachements figurs pour lanne 1859 sont aux Archives nationales de France gars dans une liasse cote F21 3412/1. Pour lanne 1858, il faut aller aux archives dpartementales de lOise en 4Tp9 et 4Tp10.

  • LE ChTEau DE PIERREFONDs RECONsTRuIT : RsIDENCE Ou MusE ?

    Jean-Paul Midant

    deux autres chantiers mens en parallle par Viollet-le-Duc dans les premires annes des travaux Pierrefonds3. Il est certain que Pierrefonds, forteresse mdivale construite au dbut du xve sicle par le frre du roi de France Charles VI, a sduit dabord lhomme dtat du xixe sicle pour son intrt historique. au mme titre que les ruines du sanctuaire gallo-romain et du thtre que lon pensait alors mrovingien, exhumes proximit de la chausse de Brunehaut, et que le camp de Csar remontant lge du bronze, retrouv quelques kilomtres dans la fort. souvenirs de la Guerre des Gaules, vocation des pre-miers souverains franais et ruines mdivales dressent ainsi un panorama de larchitecture nationale accessible depuis le palais ressuscit de Compigne ; ce sont autant de nouveaux buts de promenades, de dlassement, voire de loisir intelligent pour une Cour fort assagie et rsolument moderne (fig. 2).

    Ds fvrier 1858, un dessin flatteur produit par Viollet-le-Duc ouvre une perspective per-mettant daller au-del des fouilles et des restitutions engages, et atteste quon ait eu dans lentourage de lempereur lide de faire de Pierrefonds une rsidence4. La tour hector est couverte comme langle nord-ouest la tour Godefroy ; toutes deux sont relies par des murs laisss en ruine. Le logis est restitu. Le promontoire sur lequel est

    3. Voir lintervention de Marie-Laure Berdeaux-Le Brazidec dans ce mme colloque.4. Ce dessin bien connu est conserv dans le fonds Viollet-le-Duc aux archives de la Mdiathque du patrimoine. Il a t grav pour figurer dans Baudot, Perrault-Dabot, Monuments historiques, tome 1, et apparat dans la planche 70.

    Figure 2

    Fig. 2. Pierrefonds, tour hector, avec la vis de comble et le chemin de ronde restaurs en 1858.

  • LE ChTEau DE PIERREFONDs RECONsTRuIT : RsIDENCE Ou MusE ?

    Jean-Paul Midant

    install le chteau est trait en jardin langlaise et des communs sont construits au sud. Mais laffaire nest peut-tre pas si facile mener : Pierrefonds a gagn dans lopinion publique ses galons de monument historique (lendroit est continuellement visit, ce dont se plaint dailleurs Wyganowski en cours de chantier5). Et pour Viollet-le-Duc, qui na pas un temprament sen laisser conter, le chteau ruin est assurment un tmoignage de valeur mritant la plus grande attention, malgr lappa rence de son projet dappro-priation. Lhomme a sans doute quelques travers, mais il nest pas courtisan ; du moins, il ne lest plus tout fait depuis le milieu des annes 1840 et la fin du rgne pour lui trs contestable de son premier protecteur, le roi Louis-Philippe. architecte de la cath-drale de Paris avec Lassus depuis 1844, il a dcor ce titre ldifice pour le Te Deum chant le 1er janvier 1852 ; il a galement veill la dcoration du mariage avec Eugnie en 1853, puis accompagn les souverains amiens pour linauguration de son nouvel amnagement de la chapelle de la Vierge dans la cathdrale. Mais son indpendance desprit et la reconnaissance de son travail lui permettent alors une certaine fermet. En 1852, justement, dans la Revue gnrale de larchitecture, Viollet-le-Duc a ainsi dfini le rle de larchologue, rle qui ne peut saccorder des caprices dun monarque ou dune bureaucratie troite : En quoi larchologie peut-elle favoriser lindpendance dans les arts ? Parce quelle admet la critique absolue, parce quelle conduit la collection des faits, indpendamment des influences du moment. Parce quelle fait voir que toutes les poques qui ont produit des uvres originales, logiques, et belles en mme temps, sont celles o lart sest dvelopp sous linfluence puissante et fertile des artistes livrs eux-mmes, et non point sous la volont ou le got dun souverain, dun ministre ou dune acadmie6. aprs de tels propos lempereur, en choisissant Viollet-le-Duc, sait donc quoi sen tenir. En commettant nanmoins ce fameux dessin et surtout cette huile o Napolon III et Eugnie semblent pouvoir couler des jours heureux en leur demeure de Pierrefonds (image que Viollet-le-Duc a dailleurs conserve sans la donner aux souve-rains), larchitecte na-t-il pas t trop complaisant ?

    Dans une srie darticles publis dans LArtiste daot octobre 1858, intituls Larchi-tecture et les architectes au xixe sicle , Viollet-le-Duc montre par ailleurs que la page du romantisme de fantaisie est pour lui tourne depuis longtemps. voquant les ralisations architecturales des annes 1820, il prcise : Cette premire raction, venue avec le ro-mantisme en littrature, nous la dsignons, nous architectes (car il faut bien trouver des noms aux choses et aux temps), sous ce titre : dcole troubadour. Ctait une sorte dart sentimental qui ne dpassa pas le seuil des kiosques, des chapelles, des chteaux, des boudoirs, des thtres de boulevard, et ne fut pratiqu que par quelques amateurs. Car au fond rien nest moins romanesque que larchitecture7.

    avec de telles convictions, la restitution-reconstruction dun monument du Moyen ge lais-se augurer dun srieux qui ne saurait tolrer dinvitables concessions pour organiser ici le sjour de la Cour. Ce projet incongru de rsidence dun chef dtat industrialis au cur dun ensemble mdival voquant la fodalit, auquel a souscrit un temps larchitecte, sexplique peut-tre par le fait quen fvrier 1858, ce dernier est encore loin davoir pris la mesure de lintrt dun difice dont beaucoup de vestiges sont encore enfouis sous les d-blais. Les Descriptions du chteau crites de sa main, modifies cinq reprises entre 1857

    5. Archives dpartementales de lOise Beauvais, 4Tp7. Correspondance. Lettre de Wyganowski Viollet-le-Duc du 12 juin 1859 : M. le maire de Pierrefonds ma rpondu que les demandeurs trouvent cette facult de visiter le chteau avec le gardien insuffisante et quils veulent sy promener comme sur une place publique du matin au soir ; il ma cit comme exemple le jardin des Tuileries Paris et le parc du chteau de Compigne, et cest en vain que je lui ai fait observer que les jardins des Tuileries et de Compigne sont surveills par plusieurs sentinelles, gardiens, sergents de ville. Tandis qu Pierrefonds, il ny a pas un seul gardien et le chteau, un fois livr au public, serait bientt dans un tat dans lequel nous lavons trouv en commenant la restauration, cest--dire le jardin aussi nu et dvast quune place publique de village ; de mme en ce moment malgr la surveillance trs active, nous sommes obligs journellement de rparer les dgts de la veille faits par les visiteurs. Malgr tous mes raisonnements, M. le maire en se retirant a dclar que les habitants et les visiteurs taient habitus depuis longtemps regarder le chteau de Pierrefonds comme un lieu public. 6. Revue gnrale de larchitecture, 1852, col. 371-3727. LArtiste, 1858, p. 227.

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    et 1869, rvlent une prise de conscience progressive. Il nest pas possible ici danalyser en dtail les ajouts, les repentirs, les avances dans le raisonnement que lon peut remar-quer dans le texte, mais les conclusions des ditions de 1857 et 1861 indiquent combien Viollet-le-Duc sattache un difice au point quil ne peut permettre de le laisser au bn-fice dun seul, ft-ce le monarque. En 1857, alors mme que le chantier nest pas encore engag, larchitecte termine ainsi sa Description du chteau de Pierrefonds : Tel quil est encore aujourdhui, avec ses btiments rass et ses tours ventres la sape, le chteau de Pierrefonds est un sujet dtudes inpuisable. Des fouilles ont dj dgag les ouvrages au sud vers le foss, et si ces travaux taient continus, ils donneraient des renseignements prcieux ; car cest de ce ct, comme tant le plus accessible, que devaient tre les d-fenses les plus fortes []. Le chteau de Pierrefonds, demeur intact, nous donnerait une ide de ce qutaient ces demeures dj richement dcores lintrieur, o les habitudes du luxe et de confort mme commenaient prendre une grande place dans la vie des seigneurs fodaux.

    En 1861, la conclusion est la suivante : Depuis le commencement de lanne 1858, des travaux considrables de dblaiement, puis de restauration, ont t entrepris au chteau de Pierrefonds, par ordre de lempereur Napolon III. Lempereur a reconnu limportance des ruines de Pierrefonds au point de vue de lhistoire et de lart. Le donjon et presque toutes les dfenses extrieures reprennent leur aspect primitif ; ainsi nous pourrons voir bientt le plus beau spcimen de larchitecture fodale du xve sicle en France renatre par la volont auguste du souverain. Nous navons que trop de ruines dans notre pays, et les ruines ne donnent gure lide de ce qutaient ces habitations des grands seigneurs les plus clairs du Moyen ge, amis des arts et des lettres, possesseurs de richesses immenses. Le chteau de Pierrefonds, rtabli en totalit, fera connatre cet art la fois civil et militaire, qui, de Charles V Louis XI, tait suprieur tout ce que lon faisait alors en Europe. Cest dans lart fodal du xve sicle en France, dvelopp sous linspiration des Valois, que lon trouve en germe toutes les splendeurs de la Renaissance, bien plus que dans limitation des arts italiens.

    Ce programme complet de restauration, Viollet-le-Duc le mnera effectivement, bien quil soit peu compatible avec ltablissement dune rsidence impriale Pierrefonds. Le btiment lui-mme rsiste sa transformation. De 1859 la fin de lanne 1862, Viollet-le-Duc refait avec prcaution la tour Godefroy, la tour carre du donjon, les trois grandes salles superposes du logis, et construit avec beaucoup de libert le nouvel escalier dhonneur en avant du donjon. Toutefois, si la toiture a t place sous ce premier ensem-ble, il manque encore la plupart des parquets et les menuiseries des baies. Les travaux de Pierrefonds alternent alors avec ceux de Champlieu et de saint-Pierre-en-Chastres, sans apparatre comme une priorit8. lautomne, rendez-vous est pris, chaque anne, avec lempereur, pour lui faire dcouvrir lavancement du chantier, mais ce sera seulement aprs la visite des souverains et de leurs soixante invits, le 30 septembre 1862, que laf-faire prendra une autre ampleur9. On pense alors en effet doubler la partie dj ralise en adoptant rsolument le projet de 1858. un dessin prcisant les dispositions envisa-ges en 1863, conserv aux archives dpartementales de lOise Beauvais, le confirme : il faut donc imaginer, au premier tage du logis mdival restitu, la chambre de limp-

    8. Archives dpartementales de lOise, Beauvais, 4Tp7. En juin 1859, lactivit cesse compltement sur le chantier de Pierrefonds pour reprendre Champlieu jusquen dcembre. Le camp de Saint-Pierre est fouill au cours de lanne 1861 et lessentiel de lacti-vit de Wyganowski se concentre l pendant lhiver et le printemps 1862. Voir Correspondance W et VLD.9. Archives dpartementales de lOise, Beauvais, Tp7. Pendant la visite de Pierrefonds, le 8 septembre 1862, lempereur semble malgr tout beaucoup proccup par les trouvailles rcentes effectues sur le site du camp de Saint-Pierre. Wyganowski Viollet-le-Duc : Leurs Majests lempereur et limpratrice, accompagns de leurs invits en nombre de soixante personnes, sont venus au chteau de Pierrefonds. La visite a dur une heure et demie. Pendant ce temps, les invits ont parcouru les salles du grand logis admirant les dtails de lescalier ainsi que la tour carre. Lempereur ma dit quil na pas trouv les pierres de fronde en silex quil a vues Saint-Pierre. Jai rpondu Sa Majest que je les avais mises au fond de la petite bote en les recouvrant avec une feuille de papier et il est probable que la personne charge de retirer les objets de cette bote ait laiss lesdites pierres au fond. Sa Majest a dit que cela est possible et vous communique cette particularit afin que vous ayez la bont de vrifier la bote en question pendant votre sjour Compigne.

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    ratrice prvue dans la tour Charlemagne, au mme niveau que la chambre de lempereur, sise dans la tour Jules Csar lemplacement est beaucoup plus conforme aux usages du xixe sicle que celui qui est indiqu aujourdhui dans la visite , et dans ce mme logis tous les services ncessaires. Mais la tour Charlemagne est totalement reconstruire, comme la tour Jules Csar. Et ces travaux sont subordonns de longues et dlicates fouilles dans cette partie la plus ruine de ldifice, o il faut en outre retrouver et redessiner lac-cs au monument par le sud. Ces travaux colossaux, engags avec lexigence scientifi-que de larchitecte, prennent du temps malgr limportance des moyens engags. Cest le dbut dune fuite en avant sur un projet densemble non tabli10 : on lance, en 1864, la reconstruction de laile ouest comprenant la salle des mercenaires, la grande salle et son dcor, au-dessus des deux tages de caves encore debout (dont celui situ laffleure-ment du sol de la cour est repris, consolid et surlev). Lenveloppe projete permet dy installer une vaste salle de banquets au niveau de la cour et une salle de bal avec son parquet au niveau suprieur : tout cela exige de larchitecte-archologue une argumenta-tion acrobatique au regard dune probable vrit historique. Faire de Pierrefonds un palais moderne, du moins utilisable pour le souverain et sa Cour, entre cette fois-ci directement en contradiction avec le souhait initial, qui tait de fixer, travers la reconstruction du chteau, un tat de la pense sur larchitecture au dbut du xve sicle, la manire de se dfendre et dhabiter. Viollet-le-Duc et son commanditaire ont sans doute men ensemble la rflexion qui devait dboucher sur labandon du programme rsidentiel.

    En 1865, Napolon III prend la dcision dorganiser la seconde Exposition universelle du rgne Paris et den fixer linauguration au 1er avril 1867. Restaur, accessible de la gare de Compigne, ouvert au public, bnficiant dune capacit daccueil lie au dveloppement de la station thermale, Pierrefonds peut devenir un but de promenade pour les visiteurs attendus dans la capitale, comme pour les chefs dtat et leurs entourages. Le chteau acquiert de cette manire une valeur dautant plus importante aux yeux du rgime. Viollet-le-Duc, quant lui, et ce manifestement depuis lanne 1863 avec la parution de la nouvelle srie de la Gazette des Architectes et du Btiment, codirige par son fils, a pris rsolument le parti de lart industriel et plus gnralement encore de lindustrie du btiment et de len-semble des progrs de toute sorte quelle introduit alors dans le domaine de larchitecture , souhaitant ainsi participer cet change incessant et facile de communications, qui fait que chacun est mis en veil sur tout ce qui se produit de nouveau11 . avec ses charpentes mtalliques, ses modes de couvertures et son ornementation en mtal repouss, son dcor peint dun caractre indit ralis selon un procd la dtrempe expriment pour locca-sion dont lemploi a t chaque fois justifi par Viollet-le-Duc au bnfice de la science archologique , le chantier de Pierrefonds se fait lcho dune proccupation de plus en plus pressante, runissant lhistoire, le prsent et lavenir.

    Le commanditaire et son architecte partagent donc un mme intrt rendre visitable le chteau de Pierrefonds pour lExposition. Dautre part, ds 1862, selon la volont de lempereur, la restauration du chteau de saint-Germain-en-Laye12 a dbut pour y ins-taller le muse des antiquits nationales, suivant une dmarche archologique mene par mile Millet, architecte proche de Viollet-le-Duc, qui se veut elle aussi exemplaire. Les

    10. Le projet de reconstruction de la grande salle daprs Viollet-le-Duc rsulte uniquement daprs lui dune srie dobservations menes Pierrefonds sur le terrain (voir Description du chteau de Pierrefonds, dition de 1872, p. 23-24). On peut penser que lar-chitecte sest inspir de dispositions visibles encore Coucy, documentes dans Androuet du Cerceau en ce qui concerne la che-mine monumentale. La salle de bal, avec sa tribune pour les musiciens, son vestibule curieux tabli comme un narthex, et surtout sa statuaire plutt mivre, est la partie du chteau traite avec le plus de fantaisie : elle reste unique en ce genre Pierrefonds. Et, lexception du nuancier de couleurs de son dcor mural et ses motifs, elle illustre un art de cour anachronique teint de romantisme trs annes 1820, qui se dtourne totalement de larchologie.11. Ces citations successives de Viollet-le-Duc sont extraites de la Gazette des architectes et du btiment, tudes sur lExposition universelle de 1867 , p. 2 et 3.12. Viollet-le-Duc soutient le projet dEugne Millet pour le chteau de Saint-Germain devant une commission de spcialistes runie pour loccasion, et obtient la suppression des adjonctions faites pendant le rgne de Louis XIV. Les deux architectes se connaissent bien et sestiment notamment depuis le passage de Millet dans lagence de Viollet-le-Duc, quand ce dernier obtient quil devienne son adjoint sur ses chantiers de restauration ds 1847.

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    Figure 3

    Figure 4

    Fig. 3. Pierrefonds, chambre dite du seigneur . Photo J.-P. Midant.

    Fig. 4. Pierrefonds, cabinet de lEmpereur. Photo J.-P. Midant.

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    chteaux de Pierrefonds et de saint-Germain peuvent donc ouvrir au public, en 1867, pour devenir la vitrine de ce nouveau rationalisme rformateur13 dans larchitecture dont Viollet-le-Duc veut tre le hros son optique tant de constituer de lun lautre une rtrospective de larchitecture et de lart franais, de lantiquit la Renaissance (avec la redcouverte de larchitecture du chteau de saint-Germain soulage des ajouts du rgne de Louis XIV).

    En 1866, la salle de bal devient galerie de muse, avec linstallation, dans le vestibule et la grande salle de laile nouvellement reconstruite de Pierrefonds, de la collection darmures et darmes de poing acquise par lempereur la vente soltikoff, prsente auparavant dans le palais de lIndustrie aux Champs-lyses14. Lvocation de la socit fodale est complte par la dcoration dune partie du grand logis. La pice dite chambre de lempereur , ainsi que sa voisine, dite cabinet de travail , sont les premires tre termines au cours de lanne 1866. sur les murs le chiffre imprial tablit le parallle ente le prince du Moyen ge et le souverain du xixe sicle; mais il indique que ce dernier y demeurera en tant que mcne. Quant au premier (et unique) appartement livr au ch-teau par Viollet-le-Duc, il est situ non loin de l, entre le vestibule de la salle des gardes et la chambre du pont-levis, dans la courtine termine par la tour artus ; il est habit par le sieur Taupin, surveillant militaire charg de faire visiter la partie du btiment ouverte au public partir du dimanche 2 juin 1867 (fig. 3 et 4).

    La poursuite des travaux dans la cour intrieure reoit une impulsion dfinitive lorsque Viollet-le-Duc, accompagn de son collaborateur anatole de Baudot et de Wyganowski, vient, en fvrier 1866, mettre au point les dessins de la faade de la chapelle, ainsi que le projet de laile des remises et de laile des cuisines15. Il sapplique ensuite architec-turer les abords de ldifice louest, au nord et lest, une fois fixe dfinitivement, en 1869, lentre principale du parc lemplacement daujourdhui. De lautre ct, sur le plateau au sud, les premiers talus, raliss ds 1861, sont aussi repris. un plan complet de fortifications avances est dress sur lensemble de la proprit avant la chute de lempire16. Ici encore, la collaboration entre le souverain et son architecte passe par une complicit sur le terrain de lhistoire. Cest la dernire fois quelle sexprime Pierrefonds, mais elle est la plus rvlatrice de leur rel intrt commun : larchitecture militaire. Louis Napolon Bonaparte avait en effet fait paratre, dabord chez Dumaine, en 1846, puis lorsquil tait prince prsident en 1851, les deux premiers tomes de son tude sur Le Pass et lAvenir de lartillerie, prcds dun avant-propos qui ne pouvait manquer de plaire son architecte. On y lisait : Pour entreprendre un travail de si longue haleine, il me fallait un puissant mobile, ce mobile cest lamour de ltude et de la vrit historique. Jadresse donc mon ouvrage tous ceux qui aiment les sciences et lhistoire, ces guides dans la prosprit, ces consolateurs dans la mauvaise fortune. (Louis Napolon faisait allusion dans cette dernire remarque sa captivit au fort de ham o il avait trouv le temps de se consacrer cet ouvrage.)

    Ouverts au public sous le second Empire comme un muse, le btiment et son parc, une fois la dfaite consomme, retrouvent cette vocation, et, jusquen 1879, date de la mort de Viollet-le-Duc les travaux damnagement se poursuivent. Pourtant, ds lanne 1870, la collection darmures a t dmnage. Vide, le chteau est loin dtre termin.

    13. Ce terme est celui qui, selon Viollet-le-Duc, dfinit le mieux son attitude vis--vis du projet darchitecture contemporain. Voir LArtiste, 1859.14. Voir lintervention du conservateur du muse de lArme dans ce mme colloque.15. Archives dpartementales de lOise Beauvais, 4 Tp7, Correspondance, lettre du 20 fvrier 1866 : Mon cher Wyg, jemmnerai de Baudot avec moi mardi, pour qu nous trois nous fassions force besogne. Faites disposer une table sur laquelle il puisse tra-vailler. Jenvoie des planches de Paris. 16. notre connaissance, aucun plan conserv dans les archives publiques aujourdhui ne rend compte exactement des travaux raliss par Viollet-le-Duc dans le parc. Notamment en ce qui concerne les leves de terres situes au sud, qui voquent un camp romain ou plutt un camp celtique, la manire de celui qui se trouve quelques kilomtres dans la fort Saint-Pierre-en-Chas-tres. Quoique Nicolas Faucherre reste dans lexpectative, nous aimons penser, au vu des tmoignages reprables aujourdhui, que le dessein de larchitecte tait de faire du parc de Pierrefonds un muse de la fortification en plein air.

  • Les visiteurs se font rares. Ils afflueront plus tard, dautant quen 1884, date du dcs de Maurice Ouradou, gendre de larchitecte, qui avait poursuivi lentreprise daprs les dessins de son beau-pre, le train arrivera Pierrefonds.

    Mais, aprs 1870, Viollet-le-Duc programme seul la reconstruction du chteau. Lempe-reur est absent, humili par les Prussiens, oubli, et, en dfinitive, il passe aux yeux de Viollet-le-Duc pour le plus incapable des militaires et le plus mauvais des historiens ; larchi-tecte prpare donc sans lui le devenir de cette uvre si peu ordinaire et fait de la recons-truction de Pierrefonds une leon pour le prsent.

    Nous avons un tort aujourdhui, auquel nous ne saurions apporter de remde, nous venons trop tard. Les anciens nous ont vols, en venant avant nous avec des ides sim-ples et belles, que nous eussions eues, peut-tre. Nous ne pouvons plus, comme eux, ramener un systme unique. Notre rle dartiste est trs difficile. Nous avons une infinit de vieux prjugs, de vieilles habitudes qui tiennent une civilisation morte et, en mme temps, nous avons nos besoins, nos habitudes, nos convenances modernes. Cependant nous avons comme les anciens la facult de raisonner et un peu celle de sentir. Cest au moyen de ces deux facults que nous devons chercher le vrai et le beau. Je suis

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    Figure 5

    Fig. 5. Pierrefonds, faade sud. Photo J.-P. Midant.

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    convaincu quon perfectionne le got de notre gnration en lhabituant raisonner. Observez que, dans un grand nombre de cas, le raisonnement rend compte du jugement que le got a prononc. Trs souvent (peut-tre toujours), le sentiment du got nest quun raisonnement involontaire dont les termes nous chappent. acqurir du got nest autre chose que prendre lhabitude du beau, cest--dire choisir ; or nous appelons notre aide, pour pouvoir faire ce choix, notre facult de raisonner. Nous voyons un difice ; tout dabord notre esprit est charm ; nous disons : Voil un beau monument. Mais ce jugement dinstinct ne suffit pas ; nous nous demandons : Ce monument est-il beau ? Nous voulons dcouvrir les causes de leffet quil produit sur nous. Nous cherchons alors analyser toutes les parties de luvre qui nous charme, afin de pouvoir nous livrer la synthse lorsque nous devrons produire notre tour.

    Nous sommes ainsi persuads qu Pierrefonds Viollet-le-Duc na pas travaill pour un homme, pour sa famille, ou la gloire du rgime politique qui lemployait. Pour autant, il na pas fait uvre de rigoureux archologue. son but tait certainement ailleurs : sans doute a-t-il pens donner, en faisant du chteau un muse, une leon sur lart et sur larchitecture que tous ceux qui voudraient bien la recevoir pourraient partager.

    tant de traditions plus ou moins anciennes, ce ne sont donc pas des formes quil faudrait prendre, mais ces principes invariables comme la raison humaine. Et plus un art se rappro-chera de ces principes, plus il en sera la fidle et simple expression et plus nous devrions nous efforcer dimiter [] non les formes quil a adoptes, mais la mthode quil a suivie pour les trouver []. laide de ce procd intellectuel si naturel, nous pourrions laisser ainsi des monuments que les sicles futurs tudieraient avec profit []. Ce serait donc au public prendre en main cette question, puisquil est partie intresse ; ce serait donc au public ne plus regarder les uvres darchitecture comme lmanation dune tude myst-rieuse, dune secte dinitis, mais comme un art qui, au contraire, doit toujours tre prt expliquer ses moyens, rendre raison ses conceptions. (Fig.5.)

  • Rsum

    Nicolas Faucherreprofesseur dhistoire de lart luniversit de Nantes (Loire-Atlantique)

    Depuis les travaux dlagage et de dgagement effectus dans le parc du chteau, en ana-lysant les plans du domaine rcemment sortis de loubli, on observe que le traitement des abords a t ralis sous la conduite de Viollet-le-Duc avec un objectif singulier : celui doffrir au visiteur un parcours didactique dans lhistoire de la fortification, depuis lAntiquit jusqu sa propre poque, peut-tre mme avec lide que ces ouvrages puissent un jour servir.

    Confront lpreuve du feu en 1830 puis en 1870, tenu de ngocier avec llite du gnie mi-litaire Carcassonne en 1854, Viollet-le-Duc a-t-il pu tre un passeur de recherches formelles dans les derniers soubresauts de la fortification de pierre ?

    Texte non communiqu.

    Le parc du chteau du pierrefonds, un projet singuLier

  • abstRact

    Nicolas Faucherreprofessor of History of Art, universit de Nantes (Loire-Atlantique, France)

    Since the pruning and clearing carried out in the chateau grounds, when analysing the plans of the estate recently brought out of oblivion, one notices that the treatment of the surroun-dings was carried out under the supervision of Viollet-le-Duc with a remarkable objective: that of offering the visitor an educational itinerary through the history of the fortification, from antiquity to his own era, perhaps with the idea that these works would one day be of use. Himself confronted with the ordeal by fire in 1830, then in 1870, and obliged to negotiate with the military engineering elite in Carcassonne in 1854, was Viollet-le-Duc able to be a facilitator of formal research into the dying days of fortification?

    This text is not available.

    the chateau grounds at pierrefonds, a remarkabLe project

  • Rsum

    tienne Poncelet architecte en chef et inspecteur gnral des monuments historiques

    Pierrefonds, Eugne Viollet-le-Duc est architecte et pdagogue. Son programme est exprim de manire claire en 1853 : Le chteau de Pierrefonds, rtabli en totalit, fera connatre cet art la fois civil et militaire qui, de Charles V Louis XI, tait suprieur tout ce que lon faisait alors en Europe.

    Cette proclamation de nationalisme architectural sera concrtement mise en uvre tout au long de sa carrire professionnelle, accompagne dun argumentaire pdagogique bas sur une stratgie de publications.

    Luvre de Pierrefonds est donc une leon darchitecture. Elle est un manifeste du rper-toire dcoratif architectural, directement issu de ses dessins et de lemploi des procds constructifs performants de son temps. La silhouette gnrale du chteau est rehausse par la virtuosit des nombreux et varis accessoires de toitures (lucarnes, crtes de fatage, pis, poinons, girouettes et bannires). Nous sommes en prsence dun vritable catalogue douvrages in situ complt par la collection du couvreur Monduit, expose dans les salles.

    Si lapparence est mdivale, les procds constructifs sont ceux du xixe sicle. Lusage du fer est gnralis, visible dans les combles pour les charpentes et dissimul dans les planchers dont lme des poutres est renforce de mtal. Les couvertures dardoise sont poses au crochet. Le confort moderne fait son apparition avec linstallation dun calorifre rpartissant lair chaud dans les salles par des boisseaux en fer et pltre.

    Les portails et le pont-levis sont entirement mtalliques.

    La leon darchitecture est donc la mise en uvre de matriaux les plus performants et co-nomiques possibles, notamment le fer, au service dune forme ou dune apparence extrieure no-mdivale. La vrit architecturale est rduite la forme, masquant, sil le faut, les artifi-ces constructifs modernes.

    Ces avances technologiques seront prsentes lExposition universelle de 1867.

    Un chteaU reconstrUit dans les annes 1860 (la leon darchitectUre)

  • abstRact

    tienne Ponceletchief architect and general inspector, Monuments historiques

    At Pierrefonds, Eugne Viollet-le-Duc was both architect and teacher. His programme was clearly expressed in 1853: The Chteau de Pierrefonds, entirely restored, will make known the civil and military art, which, from Charles V to Louis XI, was superior to all that was being carried out in Europe at that time.

    This proclamation of architectural nationalism was to be implemented in concrete terms throu-ghout his professional career, accompanied by an educational argument based on a publica-tions strategy.

    Pierrefonds is thus a lesson in architecture. It is a manifesto of the architectural decorative repertory, directly stemming from his drawings and the use of the efficient construction pro-cesses of his era. The general shape of the chateau is enhanced by the virtuosity of the many and varied roof accessories (dormer windows, cresting, finials, king posts, weathervanes, and banners). We are in the presence of a veritable catalogue of works in situ complemented by the collection of the roofer Monduit, which is exhibited in the rooms.

    While the appearance is medieval, the construction processes are those of the nineteenth century. The use of iron is widespread, visible in the roof trussing and concealed in the floors whose webs are reinforced with metal. The slate roofing has been laid using hooks. Modern conveniences make their appearance with the installation of a furnace distributing warm air among the rooms via iron and plaster flues.

    The gates and drawbridge are entirely in metal.

    The lesson in architecture is thus the use of the most high-performance and economic ma-terials possible, particularly iron, in the service of neo-medieval form or external appearance. The architectural truth is reduced to form, masking, if need be, the modern construction devices.

    These technological advances were presented at the Exposition universelle of 1867.

    a chteaU reconstrUcted in the 1860s (the lesson in architectUre)

  • tienne Ponceletarchitecte en chef et inspecteur gnral des monuments historiques

    Pierrefonds, Eugne Viollet-le-Duc est architecte et pdagogue. Il esquisse son programme de manire claire, en 1853 : Le chteau de Pierrefonds, rtabli en totalit, fera connatre cet art la fois civil et militaire qui, de Charles V Louis XI, tait suprieur tout ce que lon faisait alors en Europe. Cette proclamation de nationalisme architectural sera concrtement mise en uvre tout au long de sa carrire professionnelle, accompagne par un argumentaire pdagogique bas sur une stratgie de publications. Par ces justificatifs crits, en amont et en aval du chantier, il inaugure la mthode de travail des Monuments historiques fonde sur les tudes pralables et les dossiers documentaires et des ouvrages excuts. Luvre de Pierrefonds est donc une leon darchitecture. Alors qu notre poque, ltat cherche se replier sur son strict rle de censeur, Viollet-le-Duc nous donne une illustration concrte de ce qutaient le pouvoir de lexemple et la force du monument.

    En 1830, Viollet-le-Duc a seize ans. Les Trois Glorieuses vont inaugurer le lever de rideau de la socit moderne dont notre architecte sera lun des acteurs dans le domaine de la construction. La conjonction du nouveau pouvoir politique dirig par le roi des Franais va de pair avec la naissance du service des Monuments historiques. Lenvol du romantisme architectural sera servi par lessor du sicle de fer dont les technologies se dvelopperont en mme temps que le chantier de Pierrefonds.

    Un premier vnement a lieu en 1832 : les vins dhonneur du mariage de la princesse Louise sont organiss au milieu des ruines de Pierrefonds. Cette anecdote mondaine est prtexte la fte inaugurale du monument revisit, celle dune ruine habite et bientt dun chteau reconstruit.

    Rappelons-nous les quelques dates du formidable dveloppement de lindustrie qui accom-pagnera la gense et la ralisation du projet de Pierrefonds. Ce sicle est marqu par le dve-loppement des nergies nouvelles fondes sur le charbon et la vapeur. Celles-ci permettront le dveloppement de la sidrurgie sous ses formes militaires mais aussi architecturales. En 1837, Polonceau ajuste ses fermes mtalliques. En 1840, Hittorff assemble ses ouvrages de fonte de dimensions exceptionnelles place de la Concorde, raliss par la fonderie Muel. En 1855, le palais de lIndustrie et la galerie des Machines accueillent les visiteurs Paris donnant voir les possibilits de la construction moderne. Lacier Martin est brevet en 1864. Les premiers btons arms sont couls en 1867. Pendant ce temps, Baltard et Ballu rivalisent de virtuosit dans larchitecture monumentale arme de fer Saint-Augustin et La Trinit.

    Cest dans ce contexte que Viollet-le-Duc grandit et forge sa doctrine. Voir cest savoir, nous dit-il. Dessiner cest bien voir. La premire tape est un corps--corps avec lpreuve du dessin. Il pratique lart du relev Coucy et Arques-la-Bataille, en 1834. Lorsquil publie sa description du chteau de Pierrefonds, en 1857, il nest pas le premier tudier le monument. Les ruines du chteau sont dj classes comme monuments historiques depuis neuf ans. Questel et Leblanc viennent dy raliser les premires fouilles archologiques.

    La pdagogie de larchitecture commence par ltude pralable du monument. Viollet-le-Duc nous en donne une premire synthse qui sera publie ds 1857 dans sa Description du chteau de Pierrefonds.

    Son approche de larchitecture sappuie sur un postulat qui servira de base la doctrine des Monuments historiques : Le monument seul commande.

    Lvocation des hypothses de restitution forme un manifeste architectural que lempereur as-sume bientt comme un programme dopration. La mcanique de lautoconstruction se met alors en marche et nourrira les phases de chantier jusqu la mort de larchitecte, et mme au-del, jusquaux finitions assumes par son gendre Maurice Ouradou.

    Un chteaU reconstrUit dans les annes 1860(la leon darchitectUre)

  • UN CHTEAU RECONSTRUIT DANS LES ANNES 1860(LA LEON DARCHITECTURE)

    tienne Poncelet

    La mthodologie labore pour le chantier est exemplaire. Il faut mettre en place la vie dun important chantier dans un espace escarp, daccs difficile. Ce sera luvre de Wyganowski, embauch en 1858 comme inspecteur de chantier de larchitecte. Celui-ci sinstallera en 1866 dans l agence dont les ruines sont encore visibles sur le site. Maurice Ouradou, le gendre de Viollet-le-Duc, y assurera la prsence virtuelle du matre jusquen 1884, cinq ans aprs sa mort. Jean-Just Lisch sera ensuite le premier architecte en chef en titre des Monuments historiques, succdant prs de trente ans dtudes et de chantier continus qui nous ont livr le chteau que nous connaissons. Pendant cette priode, les entreprises se confrontent aux difficults daccs (le chemin de fer narrivera Pierrefonds quen 1870), aux questions dapprovisionnement en eau (le puits artsien nest fonc que tardivement, plusieurs dizai-nes de mtres de profondeur), lexigut des zones de travail in situ, dans lembarras des petites carrires ouvertes sur lperon lui-mme et de quelques ruines peine pargnes par Viollet-le-Duc. Mais les atouts existent galement sur place. Lexcellente pierre de Bonneuil utilise pour le chteau nest exploite qu quelques kilomtres. Le sable est sur place. En revanche la chaux, le pltre et le fer doivent venir par convois. Il en est de mme pour les ar-doises ardennaises loignes du site. La logistique du chantier est donc la premire prouesse de cette geste architecturale.

    Au-del de lorganisation de chantier, la leon darchitecture de Viollet-le-Duc se poursuit pour chacun des corps dtat. La maonnerie est ralise de manire traditionnelle. On sacrifie cependant lusage des placages agrafs par des cavaliers en fer rendus inoxyda-bles par traitement. Les fers sont chauffs de bleu minral en remplacement du minium. Les charpentes des planchers sont ralises avec des poutres composites ralises avec des assemblages de bois et de fer boulonns entre eux. Les sondages que nous avons effectus nous ont confirm les limites structurelles de ces premiers essais de poutres armes dmes mtalliques gnralisant lemploi du moisage boulonn et du placage. Les charpentes de toiture sont ralises pour lessentiel en fer. Ces structures sont assembles aux murs gouttereaux par des boulons scells au plomb, les entretoises portant des lments couds en L sur lesquels reposent des fentons, retenant les hourdis en pltre . Sur ces charpentes, conomisant le bois et limitant les risques dincendie, sont fixes les voliges en fer , selon le systme mis au point par le serrurier Lachambre, en 1864. Ce principe permet dadapter le mode de crochets en cuivre rouge utiliss par M. Monduit pour soutenir les ardoises sans les clouer . Les poinons mtalliques des charpentes ser-vent galement de paratonnerre. Au corps dtat de la couverture se rattachent les ouvra-ges dcoratifs de toiture, en grande partie dus lentreprise Monduit laquelle succdera lentreprise Marais. La sculpture monumentale Pierrefonds est relativement classique, voire acadmique. Il nen est pas de mme de lexubrance des fatages et poinons d-coratifs dessins avec virtuosit par Viollet-le-Duc et excuts avec un luxe de dtails par les couvreurs et plombiers.

    Les fatages, poinons et girouettes en plomb et en cuivre qui dcoupent la silhouette du chteau sont la signature personnelle de Viollet-le-Duc.

    Les murs intrieurs sont lambrisss et dcors de peintures appliques sec selon les procds modernes de lpoque. La peinture industrielle est ainsi ralise selon le procd de M. Borrome. Aprs avoir stri la pierre, celui-ci encolle le parement en deux couches dune lotion dhuile de lin avec essence de trbenthine liquide de Venise . Sur ce fond unique revtu dun enduit glac la planchette est applique la peinture. M. Borrome dveloppera ce procd de peinture la dtrempe quil appliquera au chteau de Pierrefonds et labbaye de Saint-Denis.

    Le chantier, interrompu par la dfaite de Sedan en 1870, avait bauch la mise en place dquipements de confort. Linstallation de calorifres a t commence par le fumiste Spinetta. Les chaudires sont en place, ainsi que les conduits dair chaud raliss par des boisseaux de terre cuite hourds au pltre sur une petite armature mtallique. Des essais de mise en chauffe de ces installations ont t faits en 1914 puis abandonns.

  • UN CHTEAU RECONSTRUIT DANS LES ANNES 1860(LA LEON DARCHITECTURE)

    tienne Poncelet

    En conclusion, nous pouvons nous interroger sur la finalit de cette leon darchitecture que nous livre Viollet-le-Duc au chteau de Pierrefonds.

    la diffrence des choix de notre temps qui privilgient la vrit des savoir-faire tradition-nels, Viollet-le-Duc place en premier le rsultat formel. Celui-ci prime sur les moyens mis en uvre pour y parvenir. Lusage systmatique des solutions conomiques et performantes est au service dune enveloppe extrieure prestigieuse mais dont il faut reconnatre laspect factice au premier sens du mot. Viollet-le-Duc privilgie la forme sur le fond. Paradoxalement, le fonctionnalisme dont il se rclame ne se traduit pas, Pierrefonds, par une expression architecturale spcifique. La leon darchitecture est donc la mise en uvre de matriaux les plus performants et conomiques possibles au service dune forme ou dune apparence extrieure no-mdivale. La vrit architecturale est rduite laspect, masquant les artifices constructifs modernes. Les avances technologiques mises en uvre Pierrefonds seront prsentes lExposition universelle de 1867 comme un manifeste architectural de lart de construire. Mais le chteau de Pierrefonds restera, quant lui, lexpression dun dcor archi-tectural, spcifiquement formaliste.

    Le chteau, class en 1848 comme monument historique, reconstruit en 1860, est une u-vre vraie du xixe sicle, la fois pour son dcor vu que pour sa structure cache. Si lon veut rester fidle lesprit de Pierrefonds, il nous appartient donc de poursuivre la dmonstration de Viollet-le-Duc par la restitution scrupuleuse de ses formes extrieures, mais aussi de ses artifices techniques.

  • UN CHTEAU RECONSTRUIT DANS LES ANNES 1860(LA LEON DARCHITECTURE)

    tienne Poncelet

    Figure 1

    Figure 2

    Figure 5 Figure 6

    Figure 3 Figure 4

    Fig. 1, 2 et 3. Description du chteau de Pierrefonds, Paris, Bance, 1857.

    Fig. 4. Dtails des charpentes en fer , Gazette des architectes et du btiment, 1865.

    Fig. 5. Charpente mtallique et couverture au crochet.

    Fig. 6. Fatage dcoratif en plomb.

  • Rsum

    Jean-Pierre Reverseauconservateur gnral du patrimoine, directeur adjoint du muse de lArme, Paris

    En organisant sa prsentation au chteau de Pierrefonds et en poursuivant une campagne dcide pour viter sa dispersion en 1873, la carrire de Viollet-le-Duc apparat lie lhis-toire de la collection darmes anciennes runie par Napolon III. Le souverain et lauteur du Dictionnaire raisonn du mobilier ont partag un got commun pour ces pices ; linverse, semble-t-il, dun Nieuwerkerke, ils napparaissent pas comme des connaisseurs avertis, mais plutt comme des amateurs clairs sensibles tout dabord aux dimensions historiques et laspect pittoresque et spectaculaire des armures.

    Le spcialiste et observateur impartial retiendra cependant une action patrimoniale exemplaire lorigine dun enrichissement significatif des collections nationales.

    Le cabinet darmes de napoLon iii pierrefonds

  • abstRact

    Jean-Pierre Reverseauheritage chief curator, deputy director of the Muse de lArme, Paris

    By organising its presentation at the chteau de Pierrefonds and by pursuing a determined campaign to prevent its break-up in 1873, Viollet-le-Duc seems to be linked to the history of the collection of antique weapons put together by Napoleon III. The sovereign and the author of the Dictionnaire raisonn du mobilier (Analytical Dictionary of Furniture) shared a taste for these pieces but, unlike, it seems, Nieuwerkerke, they did not appear to be well-informed connoisseurs, but rather as informed amateurs first and foremost who were sensitive to the historical dimension, and picturesque and spectacular appearance of the armour. The specia-list and the impartial observer remember, however, an exemplary act of cultural heritage that was resulted in a significant enrichment of the national collections.

    napoLeon iiis coLLection of armour at pierrefonds

  • Jean-Pierre Reverseauconservateur gnral du patrimoine, directeur adjoint du muse de lArme, Paris

    En peuplant darmes et darmures un chteau de lgende, Napolon III adhre pleinement aux gots de son temps. Il ne reconstitue pas la salle historique dun espace nobiliaire mais restitue lambiance et lenvironnement supposs dune demeure mdivale en y installant son cabinet darmes .

    Lempereur, dont on connat lintrt pour les progrs techniques et notamment ceux de lartillerie, et qui savait que larmement travers lHistoire a constitu un domaine dapplication des techniques les plus avances1, a montr un intrt trs vif pour les armes anciennes. Jeune, durant un sjour en Angleterre, il a particip, en revtant le harnois, un tournoi organis en 1839 Eglinton et demeur clbre2. Proche de lempereur, le surintendant des Beaux-Arts et directeur des Muses, le comte de Nieuwerkerke, avait rassembl une importante collection dobjets comprenant de nombreuses armes anciennes3 ; installes dans son appartement du Louvre, ces pices dont certaines firent lobjet dchanges avec Napolon III entrrent dans la clbre collection de Richard Wallace4 aprs lexil du surintendant en 1870. Napolon III ne se connaissait pas en armes il savait quune pe tait une pe, une arme une arme et rien de plus Ce jugement extrme port dans ses Mmoires5 par Ren de Belleval qui, par la suite, devait vendre lempereur sa collection personnelle, mrite dtre quelque peu nuanc. loppos de Nieuwerkerke, Napolon III nest certes pas un amateur trs averti ; mais, linstar de ses contemporains, il est sensible au pittoresque de larmure et des armes anciennes dont les donnes techniques lui sont connues. Son dessein vident est de donner un crin son cabinet darmes et, selon Viollet-le-Duc, il veut faire Pierrefonds un muse du Moyen ge tout comme il composait un muse gallo-romain6 Saint-Germain-en-Laye une approche para-doxale puisque, lexamen, la majorit des pices runies Pierrefonds datent du xvie sicle.

    Le noyau de la collection de lempereur fut constitu par lacquisition, en 1861, de la collec-tion Soltykoff 7. Dautres achats suivirent auprs de particuliers (le comte dArmaill, le mar-quis de Belleval notamment en 1869), de nombreux marchands et, ltranger, en Sude et au Danemark. Des pices provenant du Louvre appartenant aux anciennes collections Sauvageot et Revoil compltrent lensemble.

    Le prince Soltykoff avait transform son htel particulier de la rue Bretonvilliers, sur lle Saint-Louis Paris, en un vritable muse ouvert aux amateurs chaque jeudi.

    Le catalogue tabli pour la vente des objets dart, en 1861, fournit une liste impressionnante de chefs-duvre dont certains, achets par Alexandre du Sommerard, entrrent au muse de Cluny8. La mme anne Napolon III acqurait, pour un montant de 250 000 francs, len-semble runi darmes anciennes. Lors des voyages du prince, limportante section des armes orientales, elle, avait t achete en bloc par le tsar de Russie pour tre expose au palais de Tsarkoe Selo. Nous connaissons lorigine de quelques-unes de ces acquisitions, notamment dans la clbre collection Debruge-Dumnil, dont proviennent des pices trs importantes

    1. Bonaparte, Louis Napolon : tudes sur le pass et lavenir de lartillerie, 6 volumes, Paris, 1846-1871 ( partir du t. 3 rdaction du capitaine I. Fave).2. Watts, Karen, The Eglinton Tournament, 1839 , in Riddarlek och tornerspel, cat. exp. Stockholm, juin-dcembre 1992, p. 449-451.3. Le Comte de Nieuwerkerke. Art et pouvoir sous Napolon III, cat. exp. muse national du chteau de Compigne, octobre 2000- janvier 2001, p. 128-135.4. Wallace collection catalogues, European Arms and Armour, tome I, Armour introduction p. xIII-xx.5. Belleval, Ren de, Souvenirs de ma jeunesse, Paris, 1895, chapitre VIII, p. 269-292.6. Viollet-le-Duc, Eugne, Expos des faits relatifs la transaction passe entre le gouvernement franais et lancienne liste civile, muse des Armes et Muse chinois, Paris, Hetzel, 31 dcembre 1873.7. Darcel, Armand, Gazette des Beaux-Arts, La collection Soltykoff , 1861, vol. 2, p. 173.8. Belleval, Ren de, La Panoplie du xve au xviiie, Paris, 1873 , Catalogue des objets dart et de haute curiosit composant la clbre collection du Prince Soltykoff, htel Drouot, lundi 8 avril et jours suivants, Paris, 1861, p. 125.

    Le cabinet darmes de napoLon iii pierrefonds

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    Jean-Pierre Reverseau

    telles que lpe ralise par lorfvre Gasparo Mola9 ou le chanfrein de Philippe II. on sait en effet le rle qua jou auprs de lui le marchand Louis Carrand (1827-1888) qui la orient vers les pices occidentales.

    La dominante germanique est sensible dans limportante collection que Napolon III fait transporter dans des locaux des Tuileries en bordure de la rue de Rivoli. En 1865, comme Nieuwerkerke, lempereur expose des pices au palais de lIndustrie10. En 1869, il acquiert la collection rassemble par le marquis Ren de Belleval, rudit et collectionneur, qui comprenait 123 pices dont 18 armures ; Belleval en avait publi le catalogue11 avant de sen sparer lorsquil avait quitt son chteau du Bois-Robin en 1869, se rservant les pices provenant authentiquement de ses anctres , qui seront disperses en vente publique en 1901 et dont certaines sont entres au muse de lArme12. Personnalit intressante, Belleval semble lar-chtype du collectionneur de la deuxime partie du xixe sicle, amateur rudit ou fortun13.

    Cest un spcialiste rput, le lieutenant-colonel octave Penguilly lHaridon (1811-1870), conser-vateur du muse dArtillerie, polytechnicien et auteur dun catalogue remarqu du muse, que lempereur confie le soin dtudier et de publier la collection de Pierrefonds dont lintressant catalogue (1864) est complt trois ans plus tard dun remarquable album lgend (1867) ras-semblant 61 planches photographiques par Auguste Chevallier14. Ce catalogue et cet album pho-tographique fournissent des informations descriptives dtailles ; les notices, concises, traduisent la volont vidente dune approche scientifique. La provenance Soltykoff correspond la mention CS , les autres origines sont identifies par ASM ( Sa Majest) et ML pour muse du Louvre. on se doit de souligner les dimensions historiques et qualitatives de nombreuses pices au moins gales celles conserves dans les collections du muse dArtillerie. Les provenances germaniques, dj soulignes, sont majeures au niveau des armures.

    Les travaux de recherche contemporains permettent de les identifier. Soltykoff avait runi quatre armures de joute pour le Gestech (une joute allemande) (fig. 1), commandes par la cour de Vienne ; vraisemblablement ralises pour lempereur Maximilien Ier, dans latelier Lorenz Helsmchmied dAugsbourg, au dbut du xvie sicle, ces harnois (inv. G 162 G 165) appartiennent aux grandes sries impriales qui subsistent de nos jours au Leibrustkam-mer de Vienne. Dune gale importance, deux extraordinaires armures denfant pour la joute (le Rennen allemand, inv. G 184) relvent dautres commandes impriales. Aux collections dAmbras, proximit dInnsbruck, appartiennent trs certainement plusieurs armures de joute commandes par larchiduc ferdinand II, la fin du xvie sicle15. Du chteau de Nieswiez en Lituanie, proprit de la famille Radziwill et dont larmurerie a t disperse au dbut du xixe sicle, proviennent de trs importantes pices : une salade (dfense de tte) pour un en-semble de joute ralis pour le prince Nicolas IV Radziwill et en partie conserv Vienne16. Lexceptionnelle armure incomplte attribue Koloman Helmschmied, probablement rali-se lusage imprial vers 1530, proviendrait galement de cette armurerie, notamment un remarquable armet, de travail franais et au dcor maniriste, ralis pour le duc dAnjou et datable de lphmre royaut du futur Henri III sur le trne de Pologne (inv. H 259). Lors

    9. Buttin, Charles, Le chef-duvre de Gasparo Mola au muse de lArme , Gazette des Beaux-Arts, 1924, p. 111 sqq.10. Union centrale des beaux-arts applique lindustrie, Muse rtrospectif, Paris, palais de lIndustrie, catalogue des collections de Sa Majest lEmpereur dress par M. Octave Penguilly lHaridon, 1865.11. Belleval, Ren de, 1873, op. cit. p. 126.12. Larmure dite de Belleval, inv. MA G 84 ; le garde-rein, inv. MA G 348. Marquis de Belleval et de Licques, vente du Beauvais 21 janvier 1901, nos 11 et 14.13. Deux exemples clbres : dans la premire partie du xxe sicle, par exemple les richissimes Pauilhac ou le clbre Wallace, ou, plus tt, lrudit douard de Beaumont (1821-1888).14. Penguilly lHaridon, Octave, Catalogue des collections du cabinet darmes de Sa Majest lEmpereur, Paris, 1864. Album du Cabinet dArmes de Sa Majest lempereur Napolon III, pour faire suite au catalogue dress par M. Octave Penguilly lHaridon, photographies dAuguste Chevallier, Paris, 1867.15. Les quatre armures monumentales destines la joute, sous sa forme allemande appele Gestech, portent au muse de lArme les numros dinventaires G 162-165. Les 2 armures denfant destines au Rennen ont t inventories sous la cote G 184. Pr-leves par loccupant en 1941, elles seraient actuellement conserves dans les rserves dun muse de Moscou. Les armures de joute inv. MA G168/169 appartiennent aux sries dAmbras.16. Salade Inv. H 52, travail de K. Lochner, v. 1555-Vienne, Leibruestkammer, Inv. A 1412.

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    Jean-Pierre Reverseau

    Figure 2

    Figure 1

    Fig. 2. Armure et barde de cheval dite de Louis XIII, travail franais, v. 1630 (inv. G 124-G 564), photo RMN.

    Fig. 1. Armure pour la joute (Gestech), travail vraisemblable de Lorenz Helmschied pour Maximilien Ier v. 1500-1510, (inv. G 164), photo RMN.

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    Jean-Pierre Reverseau

    de la vente Debruge-Dumnil, en 1850, Soltykoff stait rendu acqureur dune magnifique pe due lorfvre romain Gasparo Mola, vers 1600 ; il demanda ensuite faberg den complter la garde ainsi que celle de sa dague de main gauche (inv. H 259). Le chanfrein de Philippe II, uvre de Jorg Sigman et Koloman Helmschmied, est de la mme provenance17.

    Au centre de la galerie de Pierrefonds figuraient une barde de cheval ainsi quune armure de cavalier (planche B) assorties des pices pour la joute. Cet ensemble, souvent reli Louis XIII et dont une partie a trs certainement t refaite au xixe sicle, avait t offert Napolon III pour la fte de la Saint-Napolon , le 15 aot 1862 : limpratrice lavait achet chez lanti-quaire Petitprtre, quai Voltaire Paris. galement offerte par Eugnie lempereur, une armu-re dapparat (inv. G 93), qui avait t dcouverte en Belgique, dans le chteau de la famille de Perglas. Enfin, on notera la prsence de deux pices galement remarquables : un corselet, de travail milanais, provenant de lancienne collection Revoil appartenant au Louvre et, dans la srie des armures maximiliennes, une armure dont larmet visage humain provient de la collection Belleval (inv. G 30) entre Pierrefonds en 1869. Lorigine des nombreuses pes et armes feu, souvent de grande qualit, est en revanche plus difficile identifier18.

    Charg de la conservation de la collection de lempereur, Viollet-le-Duc bnficiait donc de la plus large documentation sur les armes anciennes, bien qu lvidence, la part des pices correspon-dant la priode mdivale, centre de son intrt et de ses proccupations, apparaisse rduite.

    on sait que lobjet principal de son Dictionnaire19 tait de fournir aux artistes une docu-mentation prcise et date des accessoires quils devaient utiliser et faire entrer dans leurs compositions et uvres afin dviter les erreurs et les anachronismes. Les illustrations du dictionnaire offrent lhabituelle qualit du trait, le souci affirm de lanalyse ; il fouille de son crayon, dmonte, remonte, tale les pices constitutives20 , a-t-on pu crire.

    Lune de ces meilleures tudes reprsente larmet complmentaire de larmure (inv. G 4, plan-che C) du muse de lArme admire de Belleval, la plus ancienne armure complte de la collection de Pierrefonds21. on ne peut que clbrer lextrme probit du dessinateur dans le rendu des divers lments constitutifs de la pice : le timbre, le mzail et sa vue, le colletin gorge (planche D).

    Malheureusement, les tudes de cette qualit restent trop rares. Sur un nombre important dillus-trations notamment dans la catgorie spcifique des dfenses de ttes, bassinets, heaumes , les reprsentations sont pleines dinexactitudes, surcharges de dtails et daccessoires fantai-sistes. Leurs sources ont t dvoyes, les pices sont devenues techniquement irrationnelles, incohrentes. Par exemple, larticle Bassinet (t. 6, p. 125), une dfense de tte ayant laspect dun heaume offre des formes extravagantes qui voquent certaines coiffures civiles dorigine japonaise ; ailleurs, un heaume (t. 6, p. 121) prsente une construction absurde ; il en va de mme pour le bassinet (planche E) (t. 5, p. 159) et nombreux sont ces exemples consternants

    Dans le domaine des armures compltes, lexemple de ltude figurant un harnois (t. 5, p. 139) tmoigne de la mme incomprhension pour les seules dimensions utilitaires ou techniques de ce type de dfense. Au premier abord, la reprsentation de Jeanne dArc cheval, revtue de larmure (planche f) (t. 5, p. 137), semble correcte. Cependant, lapproche technique rvle des inexactitudes flagrantes : la salade est dune forme inusite, quant aux paulires, dune construc-tion absurde, elles adhrent au torse au point de contrarier le dplacement des membres ! De tels

    17. pe et dague, travail de Gasparo Mola, v. 1620, inv. MA J129 cf.BUTTIN, 1924, op. cit.Chanfrein de Philippe II dEspagne, travail de Jorg Sigman et Koloman Helmschmied, 1550, remis au gouvernement espagnol en 1914, le muse de lArme en conserve une rplique.18. Larmure dite de Louis xIII inv. G164-G564, in Jean-Pierre Reverseau, Les armures des rois de France au muse de lArme , Saint-Julien-le-Sault, 1982 p. 98-102. Pour larmure provenant de la famille de Perglas, voir Armes & Armures anciennes et souvenirs historiques les plus prcieux, gnral Niox (dir.), Paris, 1917, planche xxIV.19. Viollet-le-Duc, Eugne, Dictionnaire raisonn du mobilier franais de lpoque carlovingienne la Renaissance, t. 5 et 6, 8e partie, armes de guerre offensives et dfensives, Paris, 1874-1875.20. Foucart, Bruno, dir., Viollet-le-Duc, cat. exp. Paris, Galeries nationales du Grand Palais, 19 fvrier-5 mai 1980, Paris, RMN, 1980, p. 339.21. tude la mine de plomb, date du 19 octobre 1871, reprise la p. 59 du Dictionnaire raisonn du mobilier..., t. 5, 1874, et dans le catalogue de lexposition Viollet-le-Duc de 1980, p. 348.

  • LE CABINET DARMES DE NAPoLoN III PIERREfoNDS

    Jean-Pierre Reverseau

    Figure 3 Figure 5

    Figure 4

    Fig. 3. Harnois composite, vers 1500 (Inv G 4), photo RMN.

    Fig. 4. tude de larmet mont sur larmure du muse de lArme inv. G 4, mine de plomb date du 19 octobre 1871, Tome 5 du Dictionnaire raisonn du mobilier 1874.*

    Fig. 5. Bacinet, selon Viollet-le-Duc, page 159, tome 5 du Dictionnaire raisonn du mobilier 1874.*

    * Clichs Muse de lArme, Paris

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    Jean-Pierre Reverseau

    exemples pourraient tre multiplis, illustrant cette incomprhension des dimensions tech-niques de larmure et cette absence de sens critique, de logique scientifique dans le rendu des sources auxiliaires : peintures, manuscrits, sculptures anciennes sans cesse sollicites et adaptes sans discernement. Les textes des notices complmentaires qui suivent ceux de John Hewitt, publis en 1855/1860 en Angle-terre et eux-mmes inspirs des recherches de Samuel Rush Meyrick, ne semblent gure se hausser au-del des gnralits.

    Les vnements tragiques de 1870 ont leurs rpercussions immdiates sur le devenir de la collection qui, ds le 16 aot, est mise en caisse par les soins de Viollet-le-Duc, en prsence de Nieuwerkerke. Les caisses sont achemines par les voitures du Garde-Meuble vers le muse du Louvre o elles sont entreposes dans un cou-loir voisin de lappartement du surintendant22. Investissant Pierrefonds, les envahisseurs rcla-meront en vain les armes quils rechercheront jusque dans les caves du chteau. Dans son mmoire relatif la transaction passe entre le gouvernement et lancienne liste civile , Viol-let-le-Duc sest longuement attach rapporter et dtailler les faits qui suivirent la dcouverte, par la commission charge de la conservation des muses, des caisses sur lesquelles avaient t porte linscription du nom Porto , trahis-sant un projet dexpatriation de la collection.

    La commission de liquidation de lancienne liste civile avait reconnu, en 1873, la dette de ltat envers la succession de lempe-reur et envisageait la vente de la collection23. Viollet-le-Duc oppose ce projet la volont de Napolon III de conserver dans le patrimoine national la collection de Pierrefonds, expertise lpoque pour un montant de 500 000 francs, et pour laquelle Richard Wallace avait propos 2 millions de francs. Les ngociations durrent jusquen 1879 et, le 21 fvrier 1880, un dcret prsidentiel devait affecter la plus grande par-tie des collections darmes de Napolon III au muse dArtillerie. Lancien rfectoire situ au sud-ouest de la cour dhonneur connu sous le nom de salle franois Ier devenue salle Pierrefonds devait accueillir la collection clbre et dispute jusqu la Seconde Guerre mondiale. Depuis, on la intgre lensemble des fonds du dpartement ancien des Armes et Armures : ce faisant, on a certainement suivi la volont de Napolon III ainsi que, vraisem-blablement, laction dtermine et prservatrice de Viollet-le-Duc.

    22. Viollet-le-Duc, Eugne, 1873, op. cit.23. La liste exhaustive des pices (soit 1 407 numros, certains rassemblant plusieurs objets) est porte sur le livre des entres au mois de mai et daot 1980 ; le prsident de la Rpublique, vu le jugement du Tribunal de premire instance de la Seine, en date du 12 fvrier 1979 attribue lEtat la proprit de la collection dArmes et dArmures dite de Pierrefonds. Cf. Reverseau, Jean-Pierre, La salle Francois Ier, mtamorphoses musographiques , Peintures murales aux Invalides. Luvre rvl de Joseph Parrocel, p. 94-103, ditions Faton, Dijon, 2005.Le procs-verbal de rception au muse dArtillerie a t dress par E. Saglio, conservateur au Louvre, le 11 mai 1880 pour la dcharge et par le colonel Leclerc, conservateur du muse dArtillerie pour la prise en charge (archives du muse de lArme). La totalit de la collection de Pierrefonds fut inventorie par le colonel L. Robert dans son Catalogue des collections composant le muse dArtillerie, dont le 1er tome fut publi partir de 1890.

    Figure 6

    Fig. 6. Jeanne dArc cheval, page 137, tome 5 du Dictionnaire raisonn du mobilier 1874.

  • Rsum

    Martin Bressaniprofesseur agrg, cole darchitecture, universit McGill, Montral (Canada)

    Expert en fortification, inspecteur gnral de ladministration et grand promoteur du mythe du Moyen ge franais, Viollet-le-Duc dfend une ide de lEmpire et de la nation dont le chteau de Pierrefonds reconstruit, avec son muse darmes anciennes, est une des ma-trialisations les plus concrtes. Le clbre Dictionnaire raisonn de larchitecture franaise du xie au xvie sicle, avant tout ouvrage de btisseur, se mesure aussi laune de lidologie militariste du Second Empire. Commence quelques mois seulement aprs la proclamation de lEmpire, le 2 dcembre 185