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Littérature Images en Ophtalmologie Vol. III n° 1 janvier-février-mars 2009 30 Coup d’œil La myasthénie oculaire : une pathologie polymorphe qu’il faut savoir dépister Ocular myasthenia: a polymorphic disease that must be diagnosed J. Boumendil (Service d’ophtalmologie – chirurgie des paupières, groupement hospitalier Necker-Enfants malades) L a myasthénie est une pathologie auto-immune pouvant mettre en jeu le pronostic vital par les troubles respira- toires qu’elle peut engendrer ou son association possible avec un thymome malin. L’ophtalmologiste est en première ligne pour le diagnostic de cette maladie, dont la première manifestation est oculaire dans trois quarts des cas, à type de ptosis ou de diplopie. Ce diagnostic, parfois difficile à établir, repose sur un faisceau d’arguments cliniques et para- cliniques. La prise en charge d’une myasthénie à point de départ oculaire pose deux problèmes pour l’ophtalmologiste, celui du diagnostic et celui du dépistage des pathologies associées. Un problème diagnostique. Qualifiée par certains de “grande simulatrice”, la myasthénie oculaire peut mimer toutes sortes d’atteintes oculomotrices et de ptosis, à l’origine de tableaux cliniques parfois très trompeurs capables de simuler une réelle urgence neurovasculaire ou chirurgicale. La négativité trop fréquente des examens complémentaires, lorsque les symptômes restent localisés à la région périoculaire, rend son diagnostic difficile. Le dépistage des pathologies associées. Pathologies auto- immunes et tumorales s’ajoutent au polymorphisme clinique de cette maladie, illustrant une fois de plus l’immense portail qu’est l’ophtalmologie pour le dépistage de pathologies géné- rales. Rappels physiopathologiques Épidémiologie La prévalence de la myasthénie est de 4 à 6 cas pour 100 000 personnes. Cette pathologie s’observe à tout âge et chez les deux sexes, avec un double pic de fréquence : l’un entre 20 et 40 ans (myasthénie à début précoce), l’autre après 50 ans (myasthénie à début tardif) [1]. Comme beaucoup de désordres auto-immuns, la myasthénie touche préférentiel- lement la femme jeune. Le sex-ratio des myasthénies à début précoce est de 3 femmes pour 2 hommes. En revanche, passé 60 ans, il y a autant d’hommes que de femmes touchés par la maladie, les premiers étant souvent plus sévèrement atteints, avec un risque de thymome plus important (1). La mortalité de la maladie a nettement diminué grâce au développement de thérapeutiques adaptées et à une meilleure prise en charge. Aujourd’hui, le taux de mortalité est de l’ordre de 10 % (2). Comme la plupart des pathologies auto-immunes, un terrain génétique prédisposant (HLA DQA1*0101 et HLA DRB1*03), auquel viennent s’ajouter des facteurs environnementaux (stress, choc émotionnel, grossesse), favorise la survenue de la myasthénie (3). Physiopathologie La myasthénie se caractérise par la présence dans le plasma d’autoanticorps dirigés contre les récepteurs nicotiniques à l’acétylcholine. Ces anticorps, pathognomoniques, sont présents dans 85 % des cas de myasthénie généralisée mais dans seulement 50 % des cas de myasthénie oculaire, et sont à l’origine d’une diminution du nombre de récepteurs disponibles, par trois mécanismes : la destruction par lyse des récepteurs via la voie du complé- ment ; l’augmentation de l’endocytose et par conséquent la destruc- tion des récepteurs à l’acétylcholine, en présence des autoanti- corps de type IgG et en dehors de toute implication de la voie du complément ; le blocage du site de fixation de l’acétylcholine sur le récep- teur par fixation des autoanticorps sur un site proche du site actif, empêchant ainsi l’acétylcholine de venir s’y lier. Dans la myasthénie, une importante partie de l’acétylcholine libérée par la terminaison nerveuse ne peut donc pas jouer son rôle de neurotransmetteur du fait de la rupture de l’équilibre physiologique entre le nombre de sites de liaison disponibles et l’activité enzymatique anticholinestérasique au niveau de la fente synaptique. C’est sur ce processus physiopathologique que reposent les traitements anticholinestérasiques, visant à rétablir, par inhibition de l’acétylcholinestérase, cet équilibre physiologique. Des tableaux cliniques trompeurs Les manifestations cliniques de la myasthénie à point de départ oculaire se caractérisent par un grand polymor- phisme, souvent trompeur. Un ptosis uni- ou bilatéral peut

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Images en Ophtalmologie • Vol. III • n° 1 • janvier-février-mars 200930

Coup d’œil

La myasthénie oculaire : une pathologie polymorphe qu’il faut savoir dépisterOcular myasthenia: a polymorphic disease that must be diagnosedJ. Boumendil(Service d’ophtalmologie – chirurgie des paupières, groupement hospitalier Necker-Enfants malades)

L a myasthénie est une pathologie auto-immune pouvant mettre en jeu le pronostic vital par les troubles respira-toires qu’elle peut engendrer ou son association possible

avec un thymome malin. L’ophtalmologiste est en première ligne pour le diagnostic de cette maladie, dont la première manifestation est oculaire dans trois quarts des cas, à type de ptosis ou de diplopie. Ce diagnostic, parfois difficile à établir, repose sur un faisceau d’arguments cliniques et para-cliniques.

La prise en charge d’une myasthénie à point de départ oculaire pose deux problèmes pour l’ophtalmologiste, celui du diagnostic et celui du dépistage des pathologies associées.

Un problème diagnostique. Qualifi ée par certains de “grande simulatrice”, la myasthénie oculaire peut mimer toutes sortes d’atteintes oculomotrices et de ptosis, à l’origine de tableaux cliniques parfois très trompeurs capables de simuler une réelle urgence neurovasculaire ou chirurgicale. La négativité trop fréquente des examens complémentaires, lorsque les symptômes restent localisés à la région périoculaire, rend son diagnostic diffi cile.

Le dépistage des pathologies associées. Pathologies auto-immunes et tumorales s’ajoutent au polymorphisme clinique de cette maladie, illustrant une fois de plus l’immense portail qu’est l’ophtalmologie pour le dépistage de pathologies géné-rales.

Rappels physiopathologiques

Épidémiologie ✔La prévalence de la myasthénie est de 4 à 6 cas pour 100 000 personnes. Cette pathologie s’observe à tout âge et chez les deux sexes, avec un double pic de fréquence : l’un entre 20 et 40 ans (myasthénie à début précoce), l’autre après 50 ans (myasthénie à début tardif) [1]. Comme beaucoup de désordres auto-immuns, la myasthénie touche préférentiel-lement la femme jeune. Le sex-ratio des myasthénies à début précoce est de 3 femmes pour 2 hommes. En revanche, passé 60 ans, il y a autant d’hommes que de femmes touchés par la maladie, les premiers étant souvent plus sévèrement atteints, avec un risque de thymome plus important (1). La mortalité de

la maladie a nettement diminué grâce au développement de thérapeutiques adaptées et à une meilleure prise en charge. Aujourd’hui, le taux de mortalité est de l’ordre de 10 % (2).

Comme la plupart des pathologies auto-immunes, un terrain génétique prédisposant (HLA DQA1*0101 et HLA DRB1*03), auquel viennent s’ajouter des facteurs environnementaux (stress, choc émotionnel, grossesse), favorise la survenue de la myasthénie (3).

Physiopathologie ✔La myasthénie se caractérise par la présence dans le plasma d’autoanticorps dirigés contre les récepteurs nicotiniques à l’acétylcholine. Ces anticorps, pathognomoniques, sont présents dans 85 % des cas de myasthénie généralisée mais dans seulement 50 % des cas de myasthénie oculaire, et sont à l’origine d’une diminution du nombre de récepteurs disponibles, par trois mécanismes :

la destruction par lyse des récepteurs via la voie du complé- •ment ;

l’augmentation de l’endocytose et par conséquent la destruc- •tion des récepteurs à l’acétylcholine, en présence des autoanti-corps de type IgG et en dehors de toute implication de la voie du complément ;

le blocage du site de fi xation de l’acétylcholine sur le récep- •teur par fi xation des autoanticorps sur un site proche du site actif, empêchant ainsi l’acétylcholine de venir s’y lier.

Dans la myasthénie, une importante partie de l’acétylcholine libérée par la terminaison nerveuse ne peut donc pas jouer son rôle de neurotransmetteur du fait de la rupture de l’équilibre physiologique entre le nombre de sites de liaison disponibles et l’activité enzymatique anticholinestérasique au niveau de la fente synaptique. C’est sur ce processus physiopathologique que reposent les traitements anticholinestérasiques, visant à rétablir, par inhibition de l’acétylcholinestérase, cet équilibre physiologique.

Des tableaux cliniques trompeurs

Les manifestations cliniques de la myasthénie à point de départ oculaire se caractérisent par un grand polymor-phisme, souvent trompeur. Un ptosis uni- ou bilatéral peut

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s’associer aux troubles oculomoteurs et mimer des pathologies infl ammatoires, tumorales ou vasculaires qu’il faudra s’efforcer d’éliminer par des examens complémentaires.

Ptosis et rétraction palpébrale ✔Le ptosis est le signe clinique le plus fréquent de la myas-thénie. Le ptosis myasthénique est souvent bilatéral et asymé-trique ou à bascule et peut être isolé ou associé à des troubles oculomoteurs. Si beaucoup de patients consultent initialement pour un ptosis unilatéral, l’examen clinique révèle souvent une atteinte en réalité bilatérale et asymétrique, la paupière la moins atteinte passant généralement inaperçue, un niveau palpébral correct étant maintenu par la rétraction palpébrale secondaire aux lois de Hering et Sherrington. Lorsque les signes sont limités à l’œil, il est essentiel d’éliminer par une imagerie un processus occupant de l’espace intracérébral ou orbitaire, même si la clinique est très évocatrice de myasthénie. Enfi n, le ptosis, s’il est bilatéral, peut tout à fait être majeur et symétrique, en particulier chez les patients présentant égale-ment une ophtalmoplégie sévère. L’importance du ptosis varie typiquement au cours de la journée et notamment en fonction de la fatigue. Le début des signes cliniques est assez insidieux et, si de nombreux patients décrivent l’apparition d’un ptosis depuis quelques jours ou quelques semaines, leur entourage a souvent déjà noté cette anomalie minime, parfois présente uniquement en cas de fatigue, depuis plusieurs mois. Il est utile de demander d’anciennes photographies du patient pour juger de l’évolution de la position des paupières. Au-delà du caractère fl uctuant du ptosis, très évocateur de myasthénie, certains traits cliniques sont importants à rechercher car ils apportent des arguments forts en faveur de l’origine myas-thénique du ptosis.

La révélation d’un ptosis ou d’une rétraction palpébraleComme nous l’avons dit précédemment, nombre de patients myasthéniques ont un ptosis bilatéral et asymétrique qui semble souvent de premier abord unilatéral. En effet, ceux-ci stimulent activement le muscle releveur de leur paupière la plus atteinte pour qu’elle laisse l’axe visuel dégagé. Du fait de la loi d’égale innervation de Hering, cette hyperstimulation du muscle releveur est également communiquée au muscle controlatéral moins atteint, ce qui permet ainsi à la paupière controlatérale de maintenir un niveau d’ouverture palpébrale en apparence normal, voire d’entraîner une rétraction palpé-brale. Si l’on maintient ouverte avec un doigt la paupière ptosée, l’hyper stimulation compensatrice du muscle releveur cesse, révélant un ptosis controlatéral jusqu’alors passé inaperçu ou faisant disparaître la rétraction palpébrale. Par ailleurs, la prévalence des maladies thyroïdiennes dysimmunitaires est plus importante chez les patients myasthéniques (4), et une hyperthyroïdie peut être à l’origine d’une rétraction palpébrale uni- ou bilatérale. Chez un patient myasthénique, une rétrac-tion palpébrale unilatérale en l’absence de ptosis controlatéral devra faire rechercher une maladie thyroïdienne associée. Il est cependant possible de différencier la rétraction palpé-

brale d’origine myasthénique de celle d’origine thyroïdienne. En effet, la rétraction disparaît si le regard est dirigé vers le bas lorsqu’elle est d’origine myasthénique, mais persiste en cas d’orbitopathie basedowienne, laissant apparaître la sclère supérieure ; c’est le phénomène de lid lag.

Le test du glaçon Le test du glaçon consiste à rechercher une diminution du ptosis après application d’un glaçon sur la paupière pendant 1 minute. Le test est considéré comme positif s’il permet une augmentation d’au moins 2 mm de la fente palpébrale ; cette amélioration dure en général moins de 1 minute. Il est important d’observer le patient pendant 1 à 2 minutes après le test, la correction du ptosis pouvant être légèrement retardée (fi gure 1). La positivité de ce test est un argument majeur pour le diagnostic de myasthénie car sa sensibilité est proche de 95 % pour les myasthénies oculaires (5-8) et sa spécifi cité est évaluée à 97 % (9). Le test du glaçon est en effet le test diagnostic le plus sensible pour le diagnostic de myasthénie oculaire. Les principales limites à sa spécifi cité semblent être la possible amélioration minime de 1 mm de certains ptosis aponévrotiques, mais le test reste en revanche négatif pour les autres étiologies de ptosis (myopathie, ptosis congénital, paralysie du III). Par ailleurs, le test peut être négatif chez des patients myasthéniques présentant un ptosis complet avec altération majeure de la fonction du releveur (10). Enfi n, il faut garder à l’esprit que la négativité du test ne doit pas remettre en question le diagnostic de la maladie si les arguments cli-niques en faveur d’une myasthénie restent forts.

Le signe de CoganCe signe, mis en évidence par Cogan en 1965, est très évocateur de myasthénie. Il se manifeste lorsque le regard du patient, après s’être dirigé vers le bas pendant 5 secondes, revient rapi-dement à sa position initiale. Immédiatement après avoir repris la fi xation, la paupière atteinte dépasse alors légèrement vers le haut sa position de base avant de retomber rapidement à sa position ptosée. Ce phénomène palpébral est lié à la fois à une faculté de récupération très rapide du muscle myasthénique et à sa fatigabilité extrêmement sensible.

Troubles oculomoteurs ✔La diplopie est également un symptôme très commun de la myasthénie et est souvent associée au ptosis. Comme toute atteinte musculaire myasthénique, la diplopie se caractérise par une grande variabilité au cours de la journée et la fatigabi-lité des muscles oculomoteurs. Tous les muscles oculomoteurs peuvent être atteints, séparément ou non, ce qui donne des tableaux cliniques divers et variés. L’atteinte du muscle oblique supérieur mimera une mono-neuropathie de la quatrième paire crânienne. L’atteinte du muscle droit inférieur, surtout si elle est associée à une rétraction palpébrale liée à un léger ptosis controlatéral, peut mimer une orbitopathie basedowienne. Le muscle le plus fréquemment atteint lors de la myasthénie est le muscle droit médial, et son atteinte isolée simule en tout point un tableau d’ophtalmoplégie internucléaire antérieure,

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avec une abduction conservée, une adduction limitée, une petite convergence respectée lors de l’accommodation et un nystagmus controlatéral lié aux lois de Hering (fi gure 2). Parfois, une légère atteinte de la verticalité s’ajoute à l’at-teinte du muscle droit médial, simulant alors une paralysie extrinsèque de la troisième paire crânienne, surtout lorsqu’un ptosis y est associé (fi gure 3). Cela justifi e la pratique systéma-tique d’une imagerie cérébrale et orbitaire. Il n’y a par contre jamais d’atteinte pupillaire dans la myasthénie, et la sensibi-lité cornéenne est toujours normale. Enfi n, certains patients peuvent se présenter avec une atteinte oculomotrice majeure mimant une ophtalmoplégie externe progressive (fi gure 4). Par ailleurs, si l’examen ne met pas en évidence de trouble de la motricité oculaire, l’étude des saccades peut s’avérer utile en montrant des mouvements oculaires d’amplitude normale mais un retour en position initiale souvent ralenti en fi n de course. Ces saccades, que l’on appelle “saccades hyper-hypo métriques”, sont souvent diffi ciles à mettre en évidence et doivent être recherchées avec attention car elles sont un argument supplémentaire pour une myasthénie.

Des signes extraoculaires ✔En dehors des symptômes oculaires, les muscles les plus fréquemment atteints lors de la myasthénie généralisée sont les muscles faciaux, notamment les muscles d’expression mimique, de mastication, de déglutition et de phonation. Il est essentiel, en cas de suspicion de myasthénie, de rechercher une voix nasonnée au cours de conversations prolongées ou des fausses routes indiquant une possible généralisation de la myasthénie et nécessitant une prise en charge thérapeutique rapide. Au niveau corporel, ce sont surtout les muscles proxi-maux des membres supérieurs et inférieurs qui peuvent mani-fester des signes de faiblesse : le patient peine à monter les escaliers, marcher sur de longues distances, se lever d’une chaise (signe du tabouret) ou exécuter les gestes de la vie courante, comme se coiffer ou se sécher les cheveux.

Enfi n, l’atteinte des muscles respiratoires constitue l’ urgence thérapeutique de cette pathologie, pouvant conduire à une décompensation respiratoire brutale qui fait toute la gravité de la maladie. Les poussées les plus graves, appelées crises myasthéniques, se caractérisent par une insuffi sance respira-toire aiguë qui nécessite un prise en charge urgente en réani-mation. L’ophtalmologiste, qui n’est pas familiarisé avec ces troubles généralisés, doit savoir par des questions simples dépister la présence de ces troubles musculaires qui signent une myasthénie généralisée. Le patient doit alors être adressé rapidement à un neurologue afi n de prévenir d’éventuelles crises myasthéniques mettant en jeu le pronostic vital.

Des pathologies associées variées

Le polymorphisme de la myasthénie est également lié aux nombreuses pathologies associées, telles, notamment, les pathologies tumorales et auto-immunes.

Pathologies tumorales ✔Le thymus semble jouer un rôle important, bien qu’encore mal compris, dans la pathogénie de la myasthénie, et plusieurs éléments suggèrent son implication dans la physiopathologie de la maladie (11). La fréquence des anomalies thymiques chez les patients myasthéniques ainsi que le classique bénéfi ce clinique de la thymectomie en sont la première preuve. En effet, l’hyperplasie thymique (thymus macroscopiquement normal mais caractérisé par la prolifération de follicules germinatifs à centre clair) apparaît chez environ 50 % des patients atteints de myasthénie, alors qu’un thymome malin, plus fréquent chez l’homme âgé, est présent dans 10 % à 30 % des cas selon les études (12), justifi ant la réalisation systématique d’un scanner thoracique. Certains auteurs considèrent la myasthénie, lorsqu’elle est associée à un thymome, comme un possible syndrome paranéoplasique de ce thymome. En effet, il n’existe pas de myasthénie, associée à un thymome, sans anticorps antirécepteurs à l’acétylcholine dans le plasma (13). Cepen-dant, si la thymectomie permet le plus souvent une diminution du taux d’anticorps dans le plasma, l’amélioration des symp-tômes myasthéniques reste minime et ceux-ci doivent le plus souvent faire l’objet d’un traitement spécifi que. En revanche, quelques cas d’authen tiques myasthénies paranéoplasiques secondaires à des carcinomes hépatiques (14) ou rénaux (15) ont été décrits. Dans une récente étude réalisée sous la direc-tion du Dr Vignal-Clermont à la Fondation ophtalmologique de Rothschild et portant sur 15 cas de myasthénie à point de départ oculaire, nous avons dépisté un cas de myasthénie paranéoplasique secondaire à un carcinome hépatocellulaire primitif, avec disparition totale des symptômes myasthéniques et des anticorps antirécepteur à l’acétylcholine après l’exérèse carcinologique (fi gure 5).

Pathologies auto-immunes ✔Douze pour cent des patients myasthéniques développent secondairement une pathologie auto-immune associée. Diffé-rentes pathologies immunitaires sont possibles, telles qu’une polyarthrite rhumatoïde, une anémie de Biermer, un lupus érythémateux disséminé, une sarcoïdose, un syndrome de Gougerot-Sjögren, une polymyosite, une rectocolite hémor-ragique, un pemphigus, un purpura thrombopénique ou une anémie hémolytique auto-immune (16), mais la pathologie la plus fréquemment associée est l’hyperthyroïdie. Une dysthy-roïdie est donc systématiquement recherchée en cas de suspi-cion de myasthénie, d’autant que certains tableaux cliniques oculaires myasthéniques peuvent tout à fait mimer une orbi-topathie basedowienne. La pathologie auto-immune apparaît généralement quelques années après le début des symptômes myasthéniques. Le développement secondaire d’une myas-thénie chez des patients présentant déjà une maladie auto-immune est beaucoup plus rare. Ainsi, seuls 1 % des patients présentant une dysthyroïdie développent secondairement une myasthénie, alors que 12 % des patients myasthéniques déve-loppent secondairement une dysthyroïdie autoimmune (17). Quelques cas de neuromyélite optique associée à une myas-thénie ont été publiés. Les patients décrits dans ces études

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Figure 2. Patiente présentant un tableau clinique de myasthénie simulant une ophtalmoplégie inter-nucléaire antérieure bilatérale.

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Figure 1. Patiente présentant un ptosis droit (1a). Disparition du ptosis après test du glaçon, et apparition d’un ptosis gauche initialement masqué par une rétraction palpébrale gauche liée aux lois d’égale innervation de Hering et Sherrington (1b).

Figure 3a, b, c, d, e. Patiente présentant un tableau simulant une paralysie partielle bilatérale de la troisième paire crânienne. L’atteinte des muscles oculo-moteurs est non proportionnelle, dominant sur les muscles droits médiaux. 3f, test de Lancaster avant traitement. 3g, test de Lancaster normal après introduction du traitement.

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présentent de grandes similitudes cliniques : myasthénie à début précoce, anticorps antirécepteurs à l’acétylcholine posi-tifs, hyperplasie thymique bénéfi ciant d’une thymectomie, et développement, une dizaine d’années après la thymectomie, d’une neuromyélite optique avec anticorps anti-NMO plas-matiques (18).

La chronologie de ces associations auto-immunes peut être expliquée par certaines études montrant un risque plus élevé de développer secondairement une pathologie auto-immune chez les patients myasthéniques thymectomisés que chez les patients non thymectomisés (19). Cela serait lié au rôle paradoxal du thymus, déjà mis en évidence sur les modèles animaux, à la fois protecteur pour certaines pathologies auto-immunes et potentialisateur pour d’autres (20).

Généralisation secondaire inconstante

Environ deux tiers des patients voient leur myasthénie se généraliser dans les 2 à 3 ans suivant le diagnostic (1, 21). Cependant, ce taux est très variable selon les études, et les

mécanismes physiopathologiques expliquant pourquoi certaines myasthénies se généralisent et d’autres non sont encore mal compris. La plupart des auteurs font une distinction entre myasthénie généralisée et myasthénie oculaire, les examens diagnostiques étant souvent négatifs dans cette dernière, et les anticorps antirécepteurs à l’acétylcholine présents dans seulement 50 % des cas. Cependant, la myasthénie débutant dans trois quarts des cas par des symptômes oculaires, il est impossible, au stade initial de la maladie, de savoir s’il s’agit d’une myasthénie qui restera exclusivement oculaire ou qui se généralisera par la suite, avec possible apparition secondaire d’anticorps antirécepteurs à l’acétylcholine. Cela soulève un point important : le rôle particulier de l’ophtalmologiste dans la prise en charge thérapeutique des patients myasthéniques. Du fait du mode d’évolution de cette pathologie, l’ophtalmo-logiste a cet avantage de pouvoir recevoir en consultation les patients à un stade précoce de la maladie, les patients présen-tant des signes de généralisation s’orientant plutôt vers un neurologue. Si un certain nombre de myasthénies peuvent passer inaperçues lorsque le patient n’est pas examiné par un ophtalmologiste aguerri, la plupart des myasthénies oculaires peuvent en revanche être diagnostiquées par l’ophtalmologiste

Figure 4a, b, c, d. Patient présentant une ophtalmoplégie quasicomplète dominant sur les deux muscles droits médiaux et simulant une ophtalmoplégie externe progressive.

Figure 5. Patient présentant un ptosis bila-téral associé à une parésie des muscles oblique supérieur gauche et droit supérieur droit (5a). L’élévation de la coupole diaphragmatique au scanner thoracique a conduit à réaliser un scanner abdominal et à la découverte d’un carci-nome hépato-cellulaire primitif (5b).

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qui s’ attache à rechercher des signes l’orientant vers cette pathologie (signe de Cogan, variabilité, saccades hyper-hypo-métriques, test du glaçon). Les traitements anticholinestéra-siques n’étant que partiellement effi caces sur les symptômes ophtalmologiques, près de 50 % des patients devront suivre une corticothérapie (22) pour juguler les symptômes oculaires. Cette prise en charge adaptée avec mise en route précoce d’un traitement immuno modulateur pourrait ainsi permettre, selon de plus en plus d’études rétrospectives de cohorte (21, 23-27), une diminution du risque de généralisation de la maladie expli-quant le faible taux de généralisation chez les patients traités précocement par corticoïdes.

Conclusion

La myasthénie reste une maladie rare mais que tout ophtal-mologiste est amené à rencontrer au moins une fois dans sa carrière. Par la place particulière qu’il occupe parmi les différents médecins que le patient sera amené à consulter au cours de son suivi, l’ophtalmologiste joue un rôle important dans la prise en charge du patient, permettant le diagnostic précoce de la maladie et améliorant ainsi son pronostic par le dépistage précoce des pathologies tumorales associées. Une collaboration étroite entre ophtalmologistes et neurologues est primordiale pour assurer un suivi adéquat de ces patients et permettre d’améliorer leur qualité de vie en minimisant, dans la mesure du possible, les effets secondaires des traitements médicaux administrés. IIII

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