LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque –...

44
REVUE HISTORIQUE, CULTURELLE ET LITTÉ RAIRE LiteraruS 6, 2015 (¹ 4 en langue française)

Transcript of LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque –...

Page 1: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

REVUE HISTORIQUE, CULTURELLEET

LITTÉRAIRE

LiteraruS 6, 2015 (¹ 4 en langue française)

Page 2: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

2

La revue est publiée en Finlandeavec le soutien du Ministère de l’éducationet de la culture de la Finlande

ISSN-L 2323-198X ISSN 2323-198X

Rédactrice en chef

Ludmila Kol

Rédactrice adjointe

Julie Laloi ( France )

Comité de rédaction

Anne Delizée ( Belgique )Olga Bainova ( Belgique )Ludmila Kol ( Finlande )Igor Volovik ( France )

Création graphique

Tania Varonen

Web

Evgueni Malitski

La revue a 6 parutions par an dont N°N°1 – 4 en langue russe

tél. rédaction/abonnements

+358 40 [email protected]

Editeur

LiteraruSY-tunnus : 1538941-8

SupportLiteraruS ry

Impression réalisée par GRANO Oy

© LiteraruS, 2015

2003-20132003-2013

Page 3: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

3

REVUE HISTORIQUE, CULTURELLE ET LITTÉRAIRE

SOMMAIRE

POEMESMarina Tsvetaeva. Poésie russe (Traduit par Véronique Lossky) .......................................... 5NOTRE HISTOIRE D’HIER ET D’AUJOURD’HUIRémi Adam. La Courtine 1917, d’une révolution l’autre .................................................... 14Timo Vihavainen. Ressources russes et historiographie finlandaise .................................. 18Lioudmila Gatagova. L’Européen et la Grande Guerre vus par la série« La guerre mondiale en récits et en images » ...................................................................... 22EURONEWSSi vous arrivez à Helsinki ............................................................................................................ 27STUDIOSvetlana Egoutkina. L’homme et la femme .............................................................................. 28Artiom Tatarinov. La fourmi d’or ............................................................................................ 30Tatiana Pertseva. Tribulations ferroviaires ........................................................................... 32PHOTOSL’été en Finlande ...................................................................................................................... 35Moscou d’aujourd’hui .............................................................................................................. 36SCÈNEGilberto Montas. Tribanal ........................................................................................................ 38ARTOlga Biantovskaya ....................................................................................................................... 42Svetlana Liachenko. Ils se sont rencontrés à Paris... ............................................................... 45Dominique Finet & Alexandre Avelitchev. Georges A. de Pogédaïeff .................................. 52

CULTURESIrina Takala. Carélie : zone de contact ou barrière culturelle ? ........................................ 56Svetlana Toivakka. Les noces russes ....................................................................................... 61Polina Kopylova. La traduction, ce catalyseur de l’intégration .......................................... 66Boris Kolymaguine. Livre électronique : danger ou aubaine ? .......................................... 68

FILMAleksandra Svinina. Elégie de Paris : Marina Tsvetaeva .................................................... 70

EMIGRATION RUSSE EN FRANCELydie Augé. Boris Constantinovitch : itinéraire d’un jeune cosaque .................................. 73COMMENTAIRELioudmila Loutsevitch. Le « ping-pong » de la vie .................................................................. 79FESTIVALUne riche saison russe à Limoges (Julie Laloi) .......................................................................... 85Festival international de piano à la Roque d’Anthéron (Igor Volovik) ............................... 86

Pages 1 et 4 : Finlande en été. (Photos d’Igor Volovik)

Page 4: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

4

Page 5: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

5

POEMES

Poésie russe

Marina TsvetaevaMarina Tsvetaeva

***Un jour o ma gracieuse créatureJe deviendrai pour toi un souvenir,

Perdu dans tes yeux bleus, au loinDe ta mémoire, dans le lointain.

Tu oublieras : et mon profil au nez busqué,Et mon front couronné de fumée,

Mon rire importun et fréquentMa main calleuse aux bagues d’argent,

Notre logis d’antan, notre grenier-cabine,De mes papiers la confusion divine,

L’année terrible : malheurs et liesseDe ton enfance, de ma jeunesse.

1919

Traduitpar Véronique Lossky, Paris 2015

1892–1941

Page 6: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

6

POEMES

***Dans ma ville immense c’est la nuit,La maison dort : moi, je la fuis,Les passants pensent : femme, fille…Moi, je ne retiens que la nuit.

Juillet. Le vent balaie ma route,Musique, à une fenêtre, douce –À l’aube, au vent, je marche vite, Moi, je ne retiens que la nuit.

Peuplier noir… fenêtre – une lueur,Une cloche sonne. Dans ma main – une fleur,Un pas au loin, mais il ne suit personne Une ombre là, et ce n’est pas la mienne.

Feux de nuit, à mon cou – perles d’or.À ma bouche – goût de feuilles – liens des jours :Défaites-moi de mes liens, mes amis,Moi, je suis votre songe – dans la nuit.

17 juillet 1916

Page 7: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

7

POEMES

***Pas de pucelle,Dans l’espace froid,Sur ses traces bleues,Je m’en vais seul !

Tel j’étais avant la victoire,Orphelin et veuf,Sur les traces libresDe l’eau de source.

Les traces de pus, de gloire,Sur ma cuirasse je les laverai.Je ferai boire mon chevalÀ la gloire de Dieu !

Oh ! Sainte Colombe,Protège les semis de la grêle, La jeune fille du Dragon,Le héros de la pucelle1.

13 juillet 1921 ?

1 Dans l’une des légendes sur le dragon ilest dit que lorsque Georges l’eut terrassé,le roi lui a proposé la main de sa fille pourson exploit et le guerrier et futur saint l’arefusée.

Page 8: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

8

POEMES

CHEVEUX BLANCS

Cendres de richesses :De pertes, d’offenses.Cendres : devant ellesS’écroule le granit.

Oiseau nu, orphelin,Sans famille, solitaire.Salomon et ses cendres,Sur la grande vanité.

Et la craie menaçanteDes iniques années !Ma maison est en feu :Puisque Dieu est entré.

Souffle libre et fouillisChef des rêves et des jours.L’Esprit lèche les murs.Flamme – tempes chenues !

Trahison – non, des ans

La cachette. Cheveux blancs –Un triomphe d’ÉternitéEt de toutes ses armées.

27 septembre 1922

Page 9: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

9

POEMES

INDICES

Comme une montagne j’ai porté le malDans le bas de ma robe,Je reconnais l’amour à la douleurTout au long de mon corps.

Je suis un champ dévasté au dedans,En creux : tonnerre et éclairsJe vous vois tous de loin, moi – tout près :Je reconnais l’amour à la distance.

Trou profond, au-dedans, en tanière,Jusqu’aux racines, la moelle de l’os,Je reconnais l’amour aux larmes,Aux crampes, tout au long de mes flancs.

Comme les Huns et au vent les crinières,Comme les cordes fines d’une guitare :Gorge rauque – Gorges sombres –Effilée la montagne !

Défilé de la route et rouillée – ma voix rauque.Rouge sang et sel vif de mes larmes,Je reconnais l’amour à la faille

Non, aux trilles …Tout au long de mon corps!

29 novembre 1924

Page 10: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

10

POEMES

***Partis nulle part, ni toi, ni moiPerdues pour nous toutes les plages.Propriétaires d’un sou, été brûlant,Pas dans nos prix les océans,

De la misère – goût toujours sec,Tourne la croûte sèche dans la bouche,Plat – bord de l’eau, mangé l’été !Espace de pauvres, poches retournées.

Anthropophages de Paris,Replets, joufflus, panse luisanteVous tous, mangeurs de poésie,Ripailles de graisse, un franc l’entrée.

Et pour la bouche, lotions-poèmes,Refrains, sonates et versets,Voûtes célestes, fronts étoilés.Eau de toilette – le chant aux lèvres.

Mangé l’été, Paris ! Plages sèches !Pour vous – soyez mauditsPour vous la honte ! RecevezMon autographe dans la figure :

De mes cinq sens – cinq doigts, la signature :Meilleur souvenirs, bons sentiments.

Paris – La Favière 1932–1935

Page 11: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

11

POEMES

***Au diable tous, filez, allez !Brebis soumises et vous – moutons,Esclaves d’Hitler, avec Staline marchez !Troupeaux, volées, avancez donc,Sans une seule marque, sans une pensée !Au grand Staline, obéissez !Affichez de vos corps étalésLes signes : os plats, crochetsDe l’étoile rouge et de la croix gammée.

23 juin 1934

Page 12: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

12

POEMES

ADIEU FRANCE !

Adieu France ! Marie Stuart

La France, de tousLes pays – le plus douxM’a offert deux perles. Elles restent à mes cils,

En mémoire, immobiles,Mémoire d’un départ,Comme le mien, celuiDe Marie Stuart.

3 juin 1939

Extraits de :Marina Tsvetaeva, Poésielyrique (1912–1941),Vol.1 Poésie de Russie.Vol.2 Poésie de maturité.Edition bilingue,traduit du russe et annoté parVéronique Lossky,préfaces de Georges Nivat etTatiana Victoroff,© Editions des Syrtes,Genève, 2015,pour la traduction française.

Ouvrage publiéavec le soutiende l’Institut pour la traductionlittéraire, Moscou et lafondation Neva, Suisse.

Page 13: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

13

En mars 2016LiteraruS fêtera

la parutionde son 50-ème numéro

et organiseraun séminaire littéraire

à Helsinki.

Nous vous convions chaleureusementà ces manifestations.

Suivez les annonces sur notre site webwww.l iterarus.org

Page 14: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

32

STUDIO

Tatiana PertsevaTatiana Pertseva

Tatiana Pertsevavit à Helsinki.

Ses poèmeset nouvellessont publiés

dansde nombreuses

revues littéraires,dont la revue

LiteraruS,dans laquelle

ses textesapparaissentrégulièrement

.

Page 15: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

33

STUDIO

TRIBULATIONS FERROVIAIRES

Ça s’est passé à la gare Centrale. Je revenais du travail et j’avais furieusement envie d’uncafé de chez Robert’s Coffee, une chaîne de cafés où l’on sert de véritables chefs-d’œuvre caféinés. À la place du sucre, on peut ajouter des sirops : pêche, noix, vanille,rhum, irish coffee… Il y a énormément de goûts différents, mais mon préféré, c’est celuià la noix. J’y vais donc, et je me dis que dès que j’aurai pris mon café à emporter et queje l’aurai bu, tout ira mieux, la fatigue disparaîtra et le soleil brillera comme la pièce devingt centimes toute neuve qui traîne au fond de la poche de mon imper.

J’y vais, je commande, j’oublie la monnaie. Je rigole un peu avec la vendeuse en disantque parfois, après le boulot, il vaut mieux ne pas toucher aux pièces et s’en remettre aupaiement électronique pour s’acquitter des 3,50 € pour un café. Donc voilà, toutdoucement, je reviens à la vie. Et soudain, j’entends quelqu’un parler russe. « Regardez,je vais lui acheter du chocolat, qu’elle essaie seulement de ne pas me comprendre ! »,claironne une voix. Je me retourne et je vois ce groupe de femmes à l’allure intéressante,et au centre, la propriétaire de la voix. À sa vue, je reste un instant foudroyée, commepar le flash d’une bobine Tesla. Une permanente peroxydée trône, imposante, au-dessusd’une tête massive, elle-même attachée à un corps trapu. La tête est barbouillée demaquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières, et sur les lèvres, du rose fluo.Le rose dépasse cependant les limites naturelles de la bouche féminine, rappelant le rictusignoble du clown dans l’adaptation cinématographique du roman de Stephen King, Ça.Cet attirail cosmétique, supposé mettre la beauté en avant et camoufler les imperfections,avait tout l’air d’une astuce beauté trouvée dans un magazine féminin, de celles qu’on sepasse entre copines et qui portent des titres du style « Astuce maison pour des lèvrespulpeuses » ou « Comment mettre vos lèvres en évidence avec un maquillage bien choisiet bien porté ». Visuellement, l’expérimentation cosmétique faisait l’effet d’un coup demarteau-piqueur sur la tête : on perd connaissance cinq secondes, puis soit on s’en sort,soit on finit invalide.

La dame s’approche, presse sa martiale poitrine contre le comptoir du café et seprépare à l’assaut.

« Donnez-moi dix de ces chocolats », aboie-t-elle en russe à la vendeuse, qui necomprend pas et demande à son tour en anglais, « Can I help you ? ». La dame avide desucreries et de spectacle redresse alors les épaules et gonfle le torse solennellement. Jesuis prise de pitié pour la vendeuse avec qui je viens de bavarder si gentiment.

« Bonjour, je peux peut-être vous aider et traduire ce que vous dites à la vendeuse ? »,demandé-je poliment en russe à la dame (qui, heureusement, ne porte ni faucille nimarteau). La dame me regarde, elle hausse les sourcils, deux fils noirs qui setransforment en deux parenthèses sur son front plissé. Elle réfléchit un instant etdécrète :

« Elle doit parler russe.– Mais pourquoi ? m’étonné-je, sincère.– C’est notre gare ! rétorque la dame. »Je reste d’abord figée, puis c’est à mon tour de hausser les sourcils, réfléchir un

instant et demander :« Excusez-moi, mais d’où venez-vous ?– De la Grande Russie, et nous prenons le train dans une demi-heure.

Page 16: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

34

STUDIO

Page de jeunes auteursPage de jeunes auteurs

– Mais pourquoi est-ce votre gare alors, si vous prenez le train dans une demi-heure ? – Parce qu’avant, cette gare faisait partie du Grand Empire russe. Enfin, il faut

connaître l’histoire de la Russie ! Et la langue russe !– Merci, je comprends bien qu’il faille connaître l’histoire russe, mais on est au XXIe

siècle, là, il n’y a plus d’Empire russe qui tienne et la Finlande est un pays indépendant,avec son parlement, son président et sa souveraineté !

– Ah oui ? s’étonne-t-elle, apparemment sans mauvaise foi. Mais c’est importantd’apprendre le russe, il faut apprendre les langues ! Nous les Russes, par exemple, nousapprenons bien les langues étrangères ! » reprend-elle.

Je comprends à ce moment-là que j’ai affaire à la logique féminine à l’état pur, quellesque soient la provenance, la couleur de peau, la confession. Empêchant ma mâchoire dese décrocher à l’aide de mon gobelet de café, je n’ai plus qu’une chose à faire :

« Mais pourquoi alors ne parlez-vous pas à la vendeuse dans d’autres langues, puisquevous les connaissez si bien, et pourquoi voulez-vous qu’elle comprenne le russe ?Essayez donc de ressortir vos phrases anglaises toutes faites ! »

La dame me regarde du coin de l’œil, puis se tourne vers ses compagnes de voyage,elle souffle avec consternation et arrache sa poitrine du comptoir, vexée. Une des damesdu groupe s’approche alors et dit : « Viens Toussia, on n’en a pas besoin de leurchocolat, là ». Et les voilà fièrement parties avec leurs valises bariolées et leurs paquetsmulticolores.

Après avoir expliqué à la vendeuse que la dame voulait acheter du chocolat, maisqu’elle avait changé d’avis, je finis mon café refroidi et sors dans la rue. La place de lagare grouille de gens, dans le ciel, des mouettes tourbillonnent sous un radieux soleilprintanier, et dans ma poche, une pièce de vingt centimes toute neuve traîne. Je faisrésolument demi-tour et entre à nouveau dans la gare.

« Un café. Extra chocolat blanc, extra chantilly, avec mousse d’orange et sirop denoix. À emporter. », demandé-je à la vendeuse.

Tenant mon gobelet de carton vert comme on tiendrait le Graal, je sors de la gare. Laplace grouille toujours de gens, les mouettes tourbillonnent toujours dans le ciel sous lesoleil printanier qui ne s’est pas encore couché, et dans ma poche traîne toujours cettepièce de vingt centimes toute neuve. « Aube d’Orange », voilà le nom de mon miraclecaféiné. Et dans la ville, le printemps fleurit.

L’été sera bientôt là, et moi, je partirai vers le sud. Oublié le travail, oubliés les bureauxmoroses. À moi les aubes d’orange et les couchers de soleil abricot, à moi les galets etles coquillages. Je mettrai ma petite robe blanche et mes sandales, j’écouterai de lamusique et sourirai aux gens, juste parce qu’ils vivent.

Et parce que moi aussi, je vis.Traduit par Magali Roba,

sous la rédaction de Nastasia Dahuronet Anne Delizée,

Département de russe de la Facultéde Traduction et d’Interprétation –

Ecole d’Interprètes Internationaux, Université de Mons

Page 17: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

52

ART

Dominique FinetAlexandre Avelitchev

Georges A.de Pogédaïeff :il faut faire parlerdes archives

LQu’est-ce donc qu’oublier, si ce n’est pas

mourir ?Alfred de Musset.

Lettre à M. de Lamartine,1836

La vie du peintre, scénographe et illustrateurfranco-russe Grigoriy Pojidaïeff (connuplutôt sous son nom d’emprunt Georges A.de Pogédaïeff) n’a rien à envier au scénariocaptivant d’un film d’aventures : sadramaturgie naturelle se déploie au milieudes calamités et bouleversements de laRévolution russe dont les conséquencessanglantes, fratricides et désespérantes l’ontpoussé vers l’émigration. La réalité de son

vécu dépasse de loin toutes les mises enscène théâtrales qui auraient pu êtreimaginées par un réalisateur doué et plein defantaisie. Riche en épisodes dramatiques, enenvols et en accros, en projets et enréalisations, la vie de Pogédaïeff faitjusqu’ici l’objet de multiples questions sansréponses, contient encore des énigmes etdes mystères non résolus, bute sur desmoments non élucidés de son existence. Dequoi éveiller le désir des chercheurs defouiller dans les archives afin de découvrirl’inconnu, l’inédit, l’invisible.

Né en 1894 à Yalta, dans une famille noble,Pogédaïeff a reçu une éducation plutôtsoignée au Corps des Cadets d’Odessa :littérature, deux langues, mathématiques,histoire, géographie, dessin, danse, artmilitaire. Très peu tenté par la perspectived’une carrière militaire, il prend la décisionqui devait marquer sa destinée : il se placesous la houlette des Muses et devientartiste. De nos jours, on retrouve le nom dePogédaïeff-acteur ou décorateur dans lesgénériques de films tournés en Russie et enFrance ; scénographe, il est présent sur lesaffiches de spectacles de ballets et d’opérasdu répertoire russe joués sur les scènes degrands théâtres européens ; ses œuvrespeintes apparaissent dans maints cataloguesde la peinture du 20ème siècle et les livresillustrés par lui figurent sur les listes deventes aux enchères d’éditions bibliophiles.En 1920, il quitte la Russie en passant par laBessarabie et poursuit vers Berlin, Vienne,Paris. A son départ, il est accompagné par sapremière femme, dont on ne connait que trèspeu de choses : elle s’appellerait TatianaAlekseevna et serait actrice decinématographe. En 1926 à un momentdifficile de sa vie, Georges de Pogédaïeffs’installe en France. Le pays deviendra nonseulement sa terre d’accueil, mais luiapportera aussi la gloire et lareconnaissance. Chevalier de la Légiond’honneur, « ami de Paul Claudel et deschiens errants », selon l’expression éléganteet primesautière d’un journaliste provençaldes années 1950, interlocuteur à ses heuresde Jean Giono et de Dora Maar, homme et

Page 18: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

53

ART

artiste respecté par les deux présidents de la 4ème

République, Vincent Auriol et René Coty, Georgesde Pogédaïeff meurt en 1971, dans sa demeure deMénerbes, une maison troglodyte à moitiéencastrée dans le rocher et qui ressemblecurieusement aux décors des pièces deShakespeare qu’il a créés dans les années 1920pour les spectacles de Max Reinhardt. Cet hommedoté de multiples talents, attachant et passionnégît au cimetière de Ménerbes sous une croixtrilobée en bois qu’il avait sculptée lui-même peuavant sa mort.

Il y a quelques temps, intrigués et de plus enplus subjugués par le personnage et son œuvre,nous avons parcouru les publications consacréesà Georges de Pogédaïeff en découvrant avecregret que la base documentaire utilisée par lesauteurs était loin d’être exhaustive et fiable, que sabiographie était bien souvent construite sur lerecyclage constant des mêmes rumeurs,d’hypothèses infondées, de mythes crées àprofusion dans les milieux de l’émigration russe.Tout était à vérifier, à commencer par les dates etles lieux de sa vie et de sa mort. Parmi lesnombreuses questions auxquelles nous avonscherché à répondre, celle concernant l’identité desa première femme Tatiana se révèleparticulièrement intéressante.

Sans aucun indice sur son nom de jeune fille,ses date et lieu de naissance nous sommes tombésplus d’une fois dans des impasses jusqu’aumoment où nos recherches nous ont conduitsvers les archives russes de l’Office Français deProtection des réfugiés et Apatrides (OFPRA).Une toute petite chemise jaunie avec les noms deGeorges, Valentine et Olga Pojidaïeff renfermait 3feuilles de papier, à commencer par une lettremanuscrite adressée en 1959 à l’Office Central desRéfugiés russes (OCRR) et signée par madameMarguerite Emelianoff, résidant aux Etats-Unis etdésirant retrouver à Paris sa sœur ValentinaMikhailovna Jankelevitch. La réponse de l’OCRRnous apprend que la tentative de contacterValentina Jankelevitch a échoué car elle« n’habitait plus à l’adresse indiquée dans sondossier lors de sa dernière visite à l’OCRR en1937». Le retour vers l’OFPRA pour cherchercette fois-ci des dossiers au nom de Jankelevitchnous a largement récompensés : en consultant lapile de documents retrouvés nous apprenons la

date du mariage de Pogédaïeff etValentine avec laquelle il a vécu jusqu’àla fin de ses jours. Ce documentcomporte une précision importante : lemariage a été contracté dans la Mairiedu 16ème à Paris le 27 juillet 1937.Sachant que Pogédaïeff a déménagéplus d’une fois avant de s’installer àson adresse la plus connue : 33 Rue duChamps de Mars, Paris, 7ème, nousavions déjà envoyé auparavant lesdemandes de copie d’acte de mariageaux Mairies des 4ème, 5ème et 1er

arrondissements de la capitale. Sans

G. Pogédaïeff.Portraitde TatianaSavinsky-Pogédaïeff

G. Pogédaïeff.Portraitde ValentineJankelevitch-Pogédaïeff

G. Pogédaïeff.Portraitde PierreFrondaie

Page 19: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

54

ART

résultat. Une nouvelle demande est envoyéeà la Mairie du 16ème cette fois et, quelquesjours plus tard, la copie d’acte de mariageavec filiation arrive chez nous. Sur lesmarges du document on aperçoit un ajout àpeine lisible : « Divorcé de TatianaSavinsky. Approuvé ce renvoi(signatures)». La chance nous sourit. Nousconnaissons maintenant le nom et le prénomde la première épouse de Pogédaïeff. A nousde suivre cette nouvelle piste.

Les Archives de l’OFPRA nousfournissent quelques nouveaux détailsconcernant Tatiana, son adresse parisienne,l’histoire de son passeport « soviétique »,délivré à Podolsk le 28 mai 1920, la perteautomatique de sa citoyenneté russe à lasuite de l’expiration du passeport jamaisrenouvelé, l’obtention de la carte d’identitéde réfugiée. Les toutes dernières donnéescontenues dans le dossier sont datées dejuin 1937, au moment du remariage deGeorge de Pogédaieff. A partir de là, sestraces se perdent (second mariage ?changement de nom ? départ dans un autrepays ?). Comment savoir ? Les recherchesdans les archives russes par les parents(Alexis Savinsky et sa femme Zénaide, néeSchöning) n’apportent rien de nouveau.C’est la lecture attentive de la presse russede la période prérévolutionnaire qui éclairenotre lanterne.

Le nom de Tatiana Savinsky, jeunedanseuse aux pieds nus, formée à l’écoled’Ella Rabenek, apparaît le 1 octobre (18septembre) 1912 dans les pages duquotidien moscovite Rannee Utro (AuRéveil)1 qui informe ses lecteurs del’imminente mise en scène au ThéâtreInternational de Moscou du ballet Chrysisdu compositeur Reinhold Glière d’après leroman « Aphrodite » de Pierre Louÿs. En1915, elle est à nouveau citée dans l’histoiredu théâtre futuriste La Lampe Rose : « Leclou du spectacle fut la danse moderneprésentée aussi bien dans l’espace scéniquequ’au-delà des limites de la scène : il s’agitde « danses accompagnées de poèmes »interprétées par T. Savinsky et N. Mil. Unautre numéro fut interprété par un danseur

aux pieds nus ».2 Plus tard, on rencontre lenom de Tatiana dans le canevasautobiographique du poète VladislavKhodassevitch3, ainsi que dans le génériquedu film dont les rushs n’ont pas étéconservés – La Symphonie de la Folietourné en 1917 par le réalisateur VladimirKassianov (autres titres connus pour lemême film – La Mort des Condamnés et LaMalédiction de l’Amour). Nous découvronsque le rôle de l’amant de l’héroïne deSavinsky dans ce film a été interprété par…Grigoriy Pojidaïeff. La première du film aeu lieu le 16 janvier 1918, et le 27 janvier de lamême année Savinsky et Pojidaïeff se sontmariés. Mais l’histoire ne s’arrête pas là.

Le vendredi 10 août 1934 le journalL’Avenir d’Arcachon publie sur sa Une unarticle intitulé Le Grand Artiste 4 entièrementconsacré au peintre russe Georges dePogédaïeff et signé par l’ancien Député deBordeaux Albert Chiché. Une petite citations’impose : « La nature est belle à Arcachonpar ces magnifiques journées d’été, mais lacontemplation du Bassin ne doit pas nousfaire négliger les beaux-arts. Allons doncvisiter les portraits exposés par le peintrerusse Georges de Pogédaïeff dans le salonde la maison « Husson sœurs », Boulevardde la Plage <…> L’artiste s’y trouve, hommesuperbe, souriant, sympathique. Saréputation de portraitiste lui attira denombreuses commandes. Elles composent lagalerie de pastels dont voici <…> le portraitde Pierre Frondaie. L’éminent romancier estd’une ressemblance frappante. Qui ne lereconnaîtrait à première vue ? Sa figureénergique s’apparente à celle de Mussolini.Prince de la littérature française, il semble faitpour commander et créer». Remarquons enpassant que ce magnifique portrait deFrondaie est, plus d’une fois, passé par lesventes aux enchères sous le titre « Portraitd’homme ». C’est ce même portrait qui a étéexposé à l’Hôtel Miramar de Cannes en été1935 (du 15 août au 15 septembre) et admirépar le public. Ce sont nos recherches del’été dernier sur la base d’étudescomparatives des données d’archives et laconsultation de nombreux documents

Page 20: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

55

ART

photographiques qui ont permis à ce portraitde retrouver son nom. Ces résultats ont étévalidés depuis par la Fondation PierreFrondaie à Arcachon.

Sur la liste des portraits exposés parPogédaïeff à Arcachon figure aussi celui duprofesseur de danse Charles Gruber,« artiste du ballet de Moscou ». Larecherche des informations le concernant apermis d’établir que, dans sa jeunesse,Charles Gruber était un danseur de ballet derenom et devint plus tard chorégrapheformant au passage un certain nombre dedanseuses qui firent carrière. Pour ne donnerqu’un seul exemple, il a travaillé avec lajeune ballerine Hélène Sauvaneix dont undes portraits a également été dessiné parGeorges de Pogédaïeff. Dans les années1930, Charles Gruber organisa plus d’unefois des soirées-gala de ballet, et y participamême en tant que danseur, (notamment, àBordeaux et Arcachon)5. Mais le fait le plusintéressant, est qu’il était marié à unedanseuse de ballet Madame Milioukova-Gruber, habituellement présentée elle aussicomme danseuse du Ballet de Moscou.

Le nom de Natalia Milioukova (connueaussi sous le nom de scène N. Mil) seretrouve dans la presse russe de début du20ème siècle. On le découvre dans le livre deA.V. Koulakov et V.M. Pappe. Ce livre dressela liste presque exhaustive des premièreschorégraphiques du 20ème siècle6. Il s’avèreque le nom complet de Mme Milioukova estNatalia Alekseevna Savinsky. C’est elle qui,en 1912, a écrit le livret et réalisé lachorégraphie du ballet Chrysis dont nousavons déjà parlé. Dans ce spectacle a prispart la petite sœur de N. Milioukova, TatianaSavinsky née en 1900.

Ainsi, grâce à l’aide des archives russesde l’OFPRA, avons-nous pu rétablir encoreune page importante et jusqu’ici inconnuede la vie de Georges de Pogédaïeff. Lesdocuments découverts ces derniers tempsconfirment le fait que Valentine Jankelevitchet Tatiana Savinsky se connaissaient, et parlà même renforcent les témoignages dequelques Ménerbiens proches de la famillede Pogédaïeff selon lesquels Tatiana était

devenue marraine d’Olga de Pojidaïeff née en1928.

Jusqu’à la fin de ses jours Pogédaïeffentretiendra des rapports étroits avec lascène, avec le monde du théâtre. Mais il serend à l’évidence que la grande révolutiondu ballet lancée au début du 20ème siècle parMichel Fokine et Serge Diaghilev a vécu. Il seconsacre désormais à la peinture (portraits,natures mortes, paysages), expose dans lesgaleries Durand-Ruel (1952), Marguerie(1955), Raymond Creuze (1958), et s’adonne,sans compter, à la passion qui vit en luidepuis ses jeunes années – l’illustration detextes littéraires, de grands livres del’humanité tel Apocalypse de Saint-Jean quifait désormais partie du patrimoine universelde l’illustration.

1 http://starosti.ru archive.php?m=10&y=19122 Boult, Džon. Natal’â Gonèarova i

futuristièeskij teatr.(John Bolt. NataljaGontcharova et le théâtre futuriste) – Poèziâi živopis’: Sb. trudov pamâti N.I. Hardžieva /Pod. red. M.B. Mejlaha i D.V. Sarab’ânova. –M.: Âzyki russkoj kul’tury, 2000. – (Âzyk.Semiotika. Kul’tura). – s. 248–259.

3 Hodaseviè Vl. Kamer-fur’erskij žurnal(Khodassevitch Vl. Journal intime d’écrivain./Vstupitel’naâ stat’â, podgotovka teksta,ukazateli O. P. Demidovoj. – M.: Èllis Lak2000, 2002.– Notes datées du 12 février 1923et du 5 juin 1928

4 Un Grand Artiste. Par Albert Chiché,Ancien Député de Bordeaux. – L’Avenird’Arcachon. 1934, 10 août. Numéro 4247.

5 Archives Internationales de la Danse.1933, le 15 octobre. N°4, p.171 ; L’Avenird’Arcachon. 1933, le 28 août. P.2

6 Kulakov V.A., Pappe V.M. 2 500horeografièeskih prem¹er XX veka (Les2 500 premières chorégraphiques du20ème siècle). (M., 2008).S.179

MonsAoût 2015

AADF&

Page 21: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

56

CULTURES

Irina TakalaIrina TakalaChargée de cours à l’Université d’État dePetrozavodsk, Russie

Carélie : zone decontact ou barrière

culturelle ?

Le rôle de la Finlande et de la Caréliedans les relations culturelles russo-européennes du XVIIIe au XXIe siècle

AÀ quel point la Russie fait-ellevéritablement partie de l’Europe ? Quesignifie pour elle le problème de l’identitéculturelle européenne ? Comment définit-elle sa propre identité et quelle placeoccupe-t-elle au sein du dialogueculturel ? Nombreux sont ceux à se poserces questions aujourd’hui. Les récentsévénements politiques ont ranimé l’intérêtde la société russe pour les débats du XIXe

et du début du XXe siècle : discussionsentre slavophiles et occidentalistes,conceptions diverses de « l’idée russe »1,ou encore doctrines eurasiatiques.

Rappelons ce qui a précédé l’apparitionde ces débats. On estime généralementque la longue période durant laquelle laRussie a construit son identité commenceavec les réformes de Pierre le Grand, quia incontestablement tourné le pays versl’Europe. Toutefois, pendant presque toutle XVIIIe siècle, ni les intellectuels russes niles observateurs d’Europe occidentalen’étaient enclins à reconnaître unedestinée propre à la Russie, une mission

Page 22: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

57

CULTURES

particulière qui lui aurait été confiée. Aucontraire, la société européenne, elle,soutenait entièrement l’existence de cettemission, au même titre que d’autres, etavançait l’idée (avec parfois une certaineironie, il faut le reconnaître) que la Russieétait désormais membre légitime de tousles processus historiques dont l’avenir dumonde dépendait. L’autorité de Pierre leGrand était indéniable : il était presqueconsidéré comme le plus grand souveraineuropéen des temps nouveaux. Mis à partle scepticisme de quelques penseurseuropéens tels que Rousseau, nombreuxétaient ceux qui se représentaient laRussie à la manière de Voltaire et voyaientdonc en elle un État, certes jeune, maisfaisant malgré tout partie de l’Europe.

Les choses changent en revanche dansl’Europe postnapoléonienne. En raison dudynamisme politique de l’Empire russe deplus en plus puissant et des critiquesgrandissantes envers la civilisationeuropéenne à l’agonie (cette idée existaitdéjà bien avant Oswald Spengler), laRussie se retrouve également au cœur desgrandes prévisions et prophétiesphilosophico-historiques. En réalité, c’esten Occident que sont apparues, au débutdu XIXe siècle, les premières hypothèsesreposant sur l’existence d’un destinpropre à sa voisine de l’Est, aspirant siardemment à faire partie de l’Europe.Prêtant une oreille attentive auxdivergences d’opinions à leur sujet, lesintellectuels russes prirent aussitôt part audébat : à l’Europe « malade et sans foi »,comme la qualifiaient les slavophiles, futopposé le monde slave orthodoxe, Russieen tête.

Tout au long de l’opposition idéologiqueet politique qui a suivi, aucun des deuxcamps n’a cédé. Le XXe siècle, avec sesnouvelles idées et ambitions politiques, nefit que renforcer ce bras de fer. Le XXIe

siècle ne promet pas non plusd’amélioration pour l’instant, mais semble

plutôt augurer un retour au XIXe siècle et àses théories sur la menace russe, dont laRussie est elle-même la source, ainsiqu’aux prophéties du style de celles deNikolaï Danilevski : selon lui, ni laconstitution ni le parlement en Russie « nepourront jamais avoir d’autre soutien quecelui de la volonté du tsar qu’ils sedoivent de limiter », et ces institutions nepeuvent donc être « qu’une mystification,une comédie ».

Pourtant, je continue d’espérer quel’idée selon laquelle la culture russe faitpartie d’une seule grande cultureeuropéenne tout en conservant soncaractère unique triomphera des autres...Mais revenons à notre sujet.

Les réflexions et les débats au sujet del’antagonisme entre les mondes slave etromano-germanique prennent rarement encompte les processus d’interaction et demétissage des cultures, ainsi que les« zones de contact » (ou périphéries)dans lesquelles ces phénomènes seproduisent avant tout. Par « zone decontact », nous désignons toute zonefrontalière où se confrontent ets’entremêlent différentes cultures. D’unpoint de vue culturel, la notion defrontière a plusieurs significations : c’estun lieu qui abrite des échanges culturelsplus intenses qu’ailleurs, mais c’est dansle même temps un cloisonnement, unezone dans laquelle on rejette résolument(brutalement) « l’autre » (D.Likhatchev).

En fonction de ce qui prévaut, latendance à s’ouvrir à d’autres cultures ouà s’en isoler, cette frontière peut soit jouerle rôle de vecteur, d’émetteur de nouvellesimpulsions permettant aux cultures de semétisser et d’évoluer ; soit jouer le rôle detampon, de cordon de sécurité, de zoned’isolement, accentuant ainsi leséparatisme et le conservatisme culturels.De plus, les zones de contact peuventparfois revêtir un caractère particulier,comme nous pouvons le remarquer dans

Page 23: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

58

CULTURES

le cas de la frontière finno-carélienne. Eneffet, le monde finno-ougrien, qui étaitdevenu une sorte de zone tampon entrel’Ouest et l’Est, s’est retrouvé diviséculturellement après plusieurs siècles deguerre entre la Russie et la Suède, tout enconservant son identité pleinement établie.

Rappelons que la Carélie, située de partet d’autre de la frontière entre la Finlandeet la Russie, est l’une de ces nombreusesrégions frontalières d’Europe qui ontsouvent fait office de pomme de discordeentre États. En 1323, les Caréliens furentséparés et devinrent pour la première foissujets de deux États différents, lorsque laSuède et Novgorod divisèrent leurterritoire. À dater de ce jour et pendantplusieurs siècles, la Carélie finlandaise futséparée de la Carélie russe par unefrontière, dont le tracé fut modifié neuffois en tout.

Cette frontière, sous ses nombreuxaspects, est restée un élément important,sinon primordial, dans la construction dela région et de son identité. Pour laFinlande, les relations avec ses voisins del’Est ont toujours été un facteurconstitutif de son européanité et de sa« finlandité ». Pour la Carélie orientale,cette confrontation était un élémentaccentuant l’importance de son rôled’avant-poste à la frontière de l’Étatrusse, d’abord pour défendrel’orthodoxie, ensuite pour défendre lesocialisme au XXe siècle. De plus, mêmede 1809 à 1917, lorsque la Finlande devintpartie intégrante de l’Empire russe,réunissant ainsi tout le territoire de laCarélie au sein de l’empire, la frontièreentre le Grand-Duché et la Carélie russen’a néanmoins jamais cessé d’exister, tantsur le plan administratif que culturel etpsychologique.

Remarquons également que le métissageet l’enrichissement mutuel des culturessont dans ce cas-ci évidents : la Carélieoccidentale, à l’instar de la Carélie

orientale, appartenait en effet au mondeorthodoxe. Par ailleurs, la Carélie russepossède certains principescaractéristiques de la culture européenne,tels que l’ouverture aux culturesétrangères et la liberté de s’exprimer entant qu’individu. En outre, le Kalevala2 estle phénomène le plus célèbre del’expression d’un espace culturelcommun au XIXe. La « présence » de laCarélie russe est incontestable dans laconstruction de l’identité nationalefinlandaise et s’est notamment manifestéepar un mouvement idéologico-culturel, lecarélianisme3.

Sans entrer dans les détails de l’histoire,je dégagerais quatre étapes fondamentalesdans ce dialogue culturel transfrontalier,qui se déroule bilatéralement de Périphérieà Périphérie. Ce dialogue, qui s’estsouvent développé non pas grâce à, maismalgré la politique des autorités des deuxÉtats, a contribué à entretenir descontacts culturels entre la Russie et lemonde occidental.

Première étape : création du dialogueCette étape s’est déroulée durant

presque tout le XVIIIe siècle, qui fut ledernier durant lequel la Russie et la Suèdes’affrontèrent pour les territoiresfrontaliers.

C’est à la fin de la grande guerre duNord, puis de la « guerre des chapeaux4»,que la zone de contact russo-européennes’élargit. La naissance de l’Empire deSaint-Pétersbourg et du gouvernement deVyborg sur la frontière nord-ouest, outreson apport politique, stimula ledéveloppement rapide de zoneséconomico-commerciales et culturellesconsidérables, grâce auxquelles la Russieet l’Europe purent nouer le dialogue.

Le Siècle des lumières donna naissanceà un nouveau genre de contacts culturels :les liens entre scientifiques russes eteuropéens. La zone frontalière finno-carélienne acquit petit à petit son propre

Page 24: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

59

CULTURES

visage et prit part au dialogue culturelentre l’Est et l’Ouest, comme entémoignaient les relations de l’universitéde Turku avec l’Académie des sciencesde Saint-Pétersbourg ou la confédérationd’Anjala5.

Deuxième étape : développementdu dialogueCe développement eut lieu au XIXe siècle,

alors que les confins nord-ouest del’Empire russe, le grand-duché deFinlande et la Carélie orientale, jouaientdéjà, dans bien des domaines, un rôlemajeur de passerelle via laquelles’échangeaient (non sans conflit parfois)les valeurs propres aux cultures de Russieet d’Europe occidentale.

Outre le phénomène de Saint-Pétersbourg et les migrations massivesd’un côté à l’autre de la frontière,l’activité des colporteurs de Carélie devintune forme majeure d’interactiontransfrontalière dans la région. Cetteactivité est également propice àl’enrichissement mutuel des cultures soustoutes leurs formes : langue, coutumes,pratiques culturelles. Si la communicationfut facilitée par la proximité linguistique dela population finno-ougrienne de la région,il s’agit véritablement d’un dialogueculturel entre la Russie et l’Europe. Onassociait les habitudes des colporteurscaréliens moins à la Finlande qu’à laRussie, on les appelait d’ailleurs en finnoislaukkuryssä (laukku = sac ; ryssä =Russe).

Bien entendu, le contexte défavorabledes nombreuses guerres entre la Russie etla Suède a influencé la formation deconceptions et de stéréotypesréciproques. Cependant, il ne s’agit icique de la représentation contradictoire duVoisin comme l’Autre/l’Étranger. Il suffitde se rappeler que les Caréliens eux-mêmes associaient fréquemment lesFinlandais aux Suédois, Ruočči en languecarélienne, et que « chardon » se disait

Ruoččiheinä, littéralement « herbe deSuède » ; cela n’a pourtant pas empêchéun dialogue culturel intense. Comme on lesait, à la fin du XIXe siècle, la Finlande estdevenue le chef de file de la culturepolitique occidentale aux yeux deslibéraux russes.

Troisième étape : majeure partiedu XXe siècleDans cette étape, on peut distinguer

différentes périodes qui ont joué des rôlesparfois diamétralement opposés et qui, enelles-mêmes, sont assez paradoxales.

Au début du siècle, la région setransforme une nouvelle fois en arène oùles différentes forces en actions’opposent violemment. Une nouvellefrontière est alors tracée entre la Finlandeindépendante et la Russie soviétique. Audébut des années 1930, cette frontièrecesse d’être invisible et finit par êtredéfinitivement fermée, devenant un murinfranchissable entre les nouveauxmondes. Toutefois, dans le même temps,la République socialiste de Carélie est bâtiepar des représentants de la cultureeuropéenne et ce facteur finlandais seradétectable encore longtemps dans laCarélie russe.

Dans le monde d’après-guerre, laFinlande devient une « fenêtre surl’Europe » pour le citoyen soviétique, etce de diverses manières (tourisme, liensfamiliaux, échanges régionaux), ce quidéfinira la relation particulière entre laFinlande et l’Union soviétique après 1948.

Quatrième étape : Russie postsoviétique et EuropeUne fois de plus, les rôles de la Finlande

et de la Carélie se modifient quelque peuau sein de la communicationinterculturelle entre le monde slave etoccidental.

D’une part, la Finlande est une portevers l’Europe, notamment pour desmilliers d’émigrants de Russie. D’autrepart, c’est une province européenne qui

Page 25: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

60

CULTURES

s’ouvre à nouveau sur le dialogue culturelentre la Russie et l’Europe. La Carélie,avec la perte d’une partie considérable desa population finno-ougrienne, retrouve deplus en plus le visage d’une provincerusse ordinaire, et abandonne cettecouleur culturelle européenne qui lui étaitpropre jusque dans les années 1980.

Aujourd’hui, la Finlande et la Caréliecontinuent sinon d’intensifier, tout aumoins de maintenir leurs interactions demanière bilatérale, bien qu’elles acquièrentà nouveau toutes deux le statut depériphéries culturelles sans grandeinfluence sur le dialogue entre la Russie etl’Europe. Il n’est cependant pas à exclureque les événements récents nousrenvoient à nouveau au temps de la guerrefroide, et donc au renforcement du rôlede la frontière finno-carélienne dans lesrelations de la Russie avec le reste dumonde. Il existe encore d’autres scénariospossibles, bien plus sombres. Cependant,détruire l’identité régionale qui s’estimprégnée de la spécificité des culturesd’Europe occidentale et orientale ne serapas chose aisée.

1 Notion philosophique introduite par lepenseur russe Dmitri Soloviov au XIXe

siècle, qui fait référence à l’interprétationde l’identité, de la culture et du destin dela Russie.

2 N.D.T. Le Kalevala est une épopéecomposée au XIXe siècle sur la base depoésies populaires de la mythologiefinnoise transmises oralement. Cetteœuvre a été composée à partir de poèmesissus des campagnes finlandaises etnotamment de Carélie.

3 N.D.T. Le carélianisme est unmouvement culturel de la fin duXIXe siècle dans le Grand-duché deFinlande, qui tend à diffuser une visionromantique de la Carélie.

4 N.D.T. Guerre entre la Russie et laSuède (1741-1743).

5 N.D.T. Du nom d’une anciennemunicipalité de Finlande. Grouperéunissant des officiers finlandais prônantla signature d’un traité de paix entre laFinlande et la Russie (fin du XVIIIe siècle).

Bibliographie

Bagno V. K istorii ideï na Zapade :« Rousskaïa ideïa »,Toronto Slavic Quarterly,http://sites.utoronto.ca/tsq/12bagno12.shtml

Danilevski N. Gore pobediteliam,Moscou, 1998.

Likhatchev D. Izbrannye troudy porousskoï i mirovoï koultoure,Saint-Pétersbourg, 2006.

Solomechtch I. Torgovlia i koultoura //De Urbe Uloa, 2008, Oulu, 2009,pp. 34–36.

Traduit par Faustine Body,Céline Curvers, Maxence De Mey,

Lola Decamps, Tiffany Jandrain,Olivia Kläy, Alexandra Logeot,

Sophie Paquet, Christophe Scouflaire,Lesja Trybukhovska,

Margaux Van’t Westeinde etMarisa Verfaillie

sous la rédaction de Anne Delizée,Département de russe de la Facultéde Traduction et d’Interprétation –Ecole d’Interprètes Internationaux,

Université de Mons

Page 26: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

70

FILM

Aleksandra SvininaAleksandra Svinina

Cependant, au cours des recherchespréliminaires, les précieux vestigesbiographiques que constituent lesappartements loués par la famille Efron enbanlieue parisienne, conservés presqueintacts, ainsi que leurs lieux depromenades préférés, associés à desindications éloquentes tirés des œuvresépistolaires de la poétesse, ont déterminéet modifié la trame de notre film d’unemanière inattendue. On peut en définir ledéroulement en s’appuyant sur la règledes trois unités de Boileau. On sait bienque d’ordinaire un film documentaire n’apas de structure dramatique. Cependant,la valeur artistique du matériaubiographique nous a, en fait, incités àsuivre une apparente spontanéité et àreproduire une forme de dramaturgiecréée par la vie elle-même. L’existence dela poétesse répondait effectivement à larègle d’unité de temps et d’espace, tandisque son œuvre obéissait à la règle del’unité d’action.

Ainsi, les parallélismes entre leséléments biographiques et la création

Elégie de Paris :Marina Tsvetaeva

Le film documentaire

LLe travail sur notre film est terminé depuiscinq ans et il est désormais possible deréfléchir sur ses prémisses.

La vie de Tsvetaeva et de sa famille enFrance était un aspect de sa biographieassez peu connu pour le lecteur russe.Notre objectif principal était de partageravec un public élargi l’originalité du séjourde la poétesse en France. Les élémentsmatériels en étaient auparavant inexplorés.J’espérais que ces nouveaux éclairageséveilleraient l’intérêt des spectateurs etapporteraient une contribution intéressanteà l’héritage littéraire de Marina Tsvetaeva.

Aleksandra Svinina est réalisatrice defilms documentaires et membre d’ungroupe qui a pour but de populariserl’œuvre de Marina Tsvetaeva en France

Page 27: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

71

FIILM

artistique d’une période choisie et unetentative d’en caractériser une certaine loiinterne ont constitué l’objectif principal dece travail cinématographique. C’estpourquoi le film, conçu selon lachronologie, semble acquérir sa vitalité aumoment de l’arrivée de Tsvetaeva enFrance et la perdre au moment du départde la poétesse pour Saint-Pétersbourg(Leningrad) et Moscou. Cette vitalité étaitun héritage de l’épisode pragois et uneanticipation de la période soviétique. Toutcomme chaque être humain à chaqueinstant de sa vie porte en lui même unetrace de son passé ainsi que son avenirpotentiel, de même la période parisiennede Marina Tsvetaeva occupe une placelégitime et particulièrement importantedans la vie et l’œuvre de la poétesse.Notre tâche se réduisait donc à unexamen le plus attentif possible d’un lapsde temps nettement déterminé, devenuainsi unique, avec un début et une fin biendélimités.

Marina Tsvetaeva est arrivée en Francele 1er novembre 1925, âgée de 33 ans. Ace moment-là elle est une femme mûriepar l’expérience de la vie, elle a partagéavec tant de gens les graves épreuveshistoriques de la Russie. Elle est déjà uncréateur du verbe reconnu, elle a déjà unevéritable biographie de créateur. Ceux quiconnaissent, même dans les grandeslignes, le déroulement de ces quatorzeannées en France, comprennent bien quecette période a été marquée par unemétamorphose profonde de la vie et del’œuvre de Marina Tsvetaeva.

Toutefois la nature de cettemétamorphose n’est pas facile à saisir.On peut supposer que ceux qui lisent etétudient son œuvre risquent même d’êtreinvolontairement surpris par l’apparitiond’un mystère.

On ne peut ignorer ce sentiment, toutcomme il est difficile à expliquer si l’on nes’appuie que sur les éléments historiques,

biographiques et artistiques, à cause deleur complexité et de leur ambiguïté. Aubout de plusieurs années d’un travailpréliminaire sur la tramecinématographique dans laquelle chaqueélément-question recevait une réponse,souvent insatisfaisante, il m’a paru évidentque le pressentiment du mystère était aucentre de ma tâche. Désormais l’espoir dedécrire ce phénomène, prenant enconsidération l’impossibilité de l’épuiser,est devenu l’objectif principal de notretravail. Ainsi, l’inexplicable pressentimentde ce mystère est devenu uneprésupposée naturelle au genre élégiaque,comme si le genre élégiaque permettait derévéler et d’expliquer ce mystère plusfacilement. Mûs par ce pressentiment,nous nous sommes efforcés d’utiliser

Page 28: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

72

FILM

tous les procédés d’expression possibles,pour concevoir l’essentiel de ce mystèrequi, malgré toutes les tentativesd’analyse, demeure difficile à embrasser.

Marina Tsvetaeva est arrivée à Paris aumoment où l’être humain entre dans ladeuxième moitié de sa vie. Selon lesdifficultés que notre destin nous réserve,il devient évident à l’instar de beaucoup degens, que la jeunesse fait place aumûrissement. Lui sont échues toutes lesépreuves qui rapprochent le moment del’épanouissement de la vie intérieure et quiouvrent le chemin naturel d’avancée selondes lois qui lui sont propres.

Cependant, ces métamorphoses subtilesdont, semble-t-il, chaque lecteur peutremarquer la présence, ont précisémentcoïncidé avec la période parisienne, c’est-à-dire à la deuxième partie de sa vie. Encela Marina Tsvetaeva partagel’expérience d’un grand nombre depersonnes. On peut dire qu’au faîte de lavie, l’ensemble des quatorze ans passés àParis constitue une épreuve complexed’acquisition de profondeur spirituelle. Encette période unique du destin humain lecaractère exceptionnel du verbe poétiquese marie avec la nécessité absolue del’exprimer. Le continuum de ces quatorzeans, leur entité et leur sens profond nousont marqués à tel point que nous avions lesentiment que la vie même avait donné àl’être humain et au poète la possibilitétemporelle et spatiale de toucher à sonmystère.

Pour ces raisons, il devient possible deparler de la synchronisation entre la vie dupoète et son œuvre devenant de plus enplus complexe et introspective d’un pointde vue philosophique. Au milieu desannées 1930 cette tendance a cédé laplace au caractère rétrospectif de saprose, ce qui peut s’expliquer par lanécessité d’une personne d’âge mûr àinterroger sa vie passée. On connait les

épreuves qui ont été celles de la familleTsvetaeva-Efron après le retour à Moscoude Marina Ivanovna et de son filsGueorgui, alors âgé de 14 ans. La vie dela poétesse c’est achevée deux ans etdeux mois après la fin de la périodefrançaise dont nous parlons dans notrefilm. Ainsi, cette partie de sa vie estdevenue le germe de la partie finale. Lapériode de l’épanouissement constitue ledéclin, formant ensemble un phénomènetrès composite.

Aujourd’hui, 5 ans après la fin de notretravail cinématographique, je voudrais direque ce matériau poétique et biographiquecomplexe et contradictoire révèle etexprime une expérience humaine quisurpasse bien la mienne. C’est ce quiconstitue, d’une part, un danger dont j’aipris le risque en considération et dontj’assume le caractère menaçant. D’autrepart, j’oserai affirmer, que pour moi etpour les gens de ma génération, le contactavec un tel matériau a une significationprofondément personnelle : nous nepourrions le comparer qu’avecl’empreinte laissée par des rencontresexceptionnelles qui nous sont échues aucours de notre vie. En outre, je suispersuadée qu’une telle tâche estimpossible à accomplir sans uneparticipation et une implication personnellede gens, dont l’expérience vécue peutaider à aborder ce phénomène. Pour moice rôle a été joué par mon professeur etmon amie, Véronique Lossky, grâce à quice travail a vu le jour. J’espère que mesintentions seront claires aux yeux de nosspectateurs.

Paris

Page 29: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

73

EMIGRATION RUSSE EN FRANCE

Lydie Augé

une petite fille de cosaque

BorisConstantinovitch :itinéraire d’un jeunecosaque,de Novotcherkasskà Paris

La classe de BorisConstantinovitchà Yambol(collection privée)

CCet article a pour intérêt de raconterun des parcours singuliers des jeunescosaques du Don et de leur exil àl’étranger. Ils ont dû quitter leur payssuite à la Révolution russe, au débutde l’année 1920. Des chercheurs ontcommencé à s’intéresser à eux, ce quifut pour moi d’une très précieuse aidepour essayer de reconstituer ceparcours au plus près possible de lavérité historique. Ce n’est guère facilequand on ne dispose que de très peud’éléments comme juste quelquesarchives et photographies. Ce qui suiten quelques pages est l’histoire demon grand-père, BorisConstantinovitch, cosaque du Don etfier de l’être, jusqu’à sa mort en 1990.

J’espère que ce texte seraintéressant pour les lecteurs ou pourceux qui, comme moi et ma mère, ontsu très peu de choses pendant trèslongtemps sur ce passé familial. C’estun lent travail au fil des années quim’a permis de reconstituer cetitinéraire particulier.

Page 30: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

74

EMIGRATION RUSSE EN FRANCE

Je dédie cet article à ma mèred’abord, à tous ces jeunes cosaques duDon, à leurs familles et leursdescendants… et aussi aux femmescosaques qui sont trop bien souventmises dans l’ombre.

Jeunesse en Russie dans la région duDon, 1902 – 1920

Boris Constantinovitch, mon grand-père,était un cosaque du Don deNovotcherkassk.

La littérature russe comporte plusieursouvrages sur ces fameux cosaques duDon : Léon Tolstoï et « Les Cosaques »,Nicolas Gogol et son « Tarass Boulba » etle fameux « Don Paisible » de MikhailSholokov. Cette société cosaque était trèshiérarchisée et structurée avec ses villescomme Novotcherkassk et ses stanitsas(villages cosaques), mais aussi ses écolesmilitaires atamanes (chefs cosaques)réservées à l’élite. La ville deNovotcherkassk fut fondée en 1805 parMatvei Platov à qui on doit cettearchitecture bien particulière, avec sesgrandes avenues et ses arcs de triomphedont un célébrant une victoire surNapoléon !

Boris Constantinovitch venait donc de laville de Novotcherkassk où il est né en1902. Il a grandi là et y reçu uneéducation cosaque jusqu’en 1920,moment où il a dû quitter définitivement laRussie sans jamais pouvoir y revenir, cequi fut la plus grande tristesse de sa vie.Cet arrachement en 1920 à sa terre natale,lui a rendu son exil parfois bien péniblecar il avait aussi perdu ce qu’il y a de pluscher à chacun – sa famille. Il partira deRussie sans souvenirs familiaux oupapiers qui lui furent volés au moment dudépart.

En effet, il a connu tragédie familiale surtragédie familiale jusqu’à l’âge de 14 ans.

Tout d’abord, ce fut le décès de son père,l’année de sa naissance, mort dansl’explosion d’une mine de charbon dubassin noir du Don. Il était ingénieur desmines. Plus tard, ce fut le tour de sonfrère ainé Constantin, qui décéda alorsque Boris n’avait que 7 ans, puis survintle décès de sa mère à l’âge de 9 ans. Ilsera confié alors à son tuteur et onclematernel, mais malheureusement, cetoncle décéda alors qu’il n’avait que 14ans. La suite fut la maltraitance de satante par alliance qui n’avait guère enviede se préoccuper de ce neveu et qui lui lefit bien sentir, alors ce fut la fugue, puisl’accueil par son nouveau tuteur etbienfaiteur appelé Monsieur Abramenkov,directeur de l’école de commerce, qui sutlui apporter un peu de bonheur en luiouvrant sa bibliothèque. Il ne cessera delire toute sa vie, même très désargenté, lalecture lui a permis de supporter tout celaet bien plus.

Comme tout jeune cosaque, Boris a reçuune éducation plutôt militaire d’abord aulycée classique Matvei Platov deNovotcherkassk, puis à l’école techniquesupérieure d’agriculture de 1917 à 1919.Les cours furent vite interrompus malgrésa vocation et sa passion pour lamécanique, qui le poursuivra d’ailleurstoute sa vie, avec les événements de laRévolution russe. Il se retrouva dansl’école militaire de l’Ataman de 1919 à1922 qu’il terminera en Bulgarie. Ilrejoignit donc le régiment des cadets duDon, au moment de la campagne deCrimée et de la guerre civile, dans l’arméedu général Piotr Wrangel. Il fit partie decette campagne de Crimée pour suivre lescamarades…

Il participa aussi à la défense deNovotcherkassk le 24 décembre 1919qu’il mentionne dans ses notes. La suitefut après l’évacuation de Sébastopol et ladéfaite de Novotcherkassk : l’évacuationpar bateau de Novorossisk le 12 mars

Page 31: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

75

EMIGRATION RUSSE EN FRANCE

1920 où Boris vit pour la dernière fois sachère Russie. Il sera stationné ensuite,pour un premier temps, sur l’île grecquede Lemnos. Puis ce sera le départ pour laBulgarie et des années plus tard celui pourla France.

Après l’exécution du Tsar et de safamille, une partie survivante desRomanov a quitté la Russie presque defaçon similaire en passant de Yalta enCrimée, via Constantinople, pour aller àMalte à bord du navire britannique le HMSMarlborough sous la protection de leurgarde du corps cosaques de Kouban.1

Grèce – « Lemnos – l’île aux cosaques »

Après une attente des jeunes cosaques aularge de Constantinople, puis fortprobablement d’abord à Tchataldja enThrace, se fit l’évacuation par bateau, endécembre 1920, sur l’île de Lemnos,isolée au nord de la mer Egée, soit environ35 000 cosaques du Don et de Koubandonc 26 500 du Don particulièrement.2

Boris et ses camarades y restèrent plusd’une année recevant toujours uneéducation militaire atamane mais hébergésdans des camps (voir photo ci-dessous).Les cosaques du Don étaient sous l’égidede l’armée française de l’Orientcommandée par le Général Broussaud àpartir de novembre 1920. Il a été choisicar considéré comme un slavophile aprèssa campagne en Serbie mais, selon BrunoBagni, ses relations avec les officiersrusses furent plus que tendues la plupartdu temps. Le commandement russe étantassuré par le général Abramov,commandant du corps du Don sur cetteîle, il supervisait et formait tous cesjeunes cosaques. Ils étaient 450 élèvesofficiers que l’on continuait à former pourune armée déchue…

Ces jeunes cosaques, furent ensuiteévacués et dispersés en 1921 vers laSerbie, la Bulgarie, la Grèce et la France.Pour Boris Constantinovitch, ce serad’abord la Bulgarie et ensuite la France.Certains même seront de retour vers laRussie à Odessa et seront considéréscomme des traitres par le général

Camp à Lemnos(collection privée)

Page 32: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

76

EMIGRATION RUSSE EN FRANCE

Wrangel, inébranlable dans sesconvictions sur le futur de la Russie.

La Croix rouge sera l’organisme encharge pour décider de leur sort. Ilsemblerait qu’ils furent divisés parcatégorie en fonction de leur formation etde leurs études. Mon grand-père avaitchoisi l’école technique supérieured’agriculture à Novotcherkassk avant dese retrouver dans l’école militaireatamane, alors il fut décidé qu’il irait avecd’autres camarades poursuivre sonéducation et sa formation en Bulgarie, àYambol d’abord, puis à Sofia, la capitale.La Bulgarie fut généreuse pour accueillirces milliers de refugiés russes sur son solet doit être reconnue pour ce rôle.

La Bulgarie : terre d’accueil

Certains jeunes cosaques du Donarrivèrent en Bulgarie en novembre 1921 àbord d’un bateau qui fait penser àd’autres bateaux de pauvres refugiésd’aujourd’hui, dans le port de Bourgas ausud-est de la Bulgarie.

Ensuite, ils partirent pour la région deYambol au sud-est de la Bulgarie, connuepour ses terres fertiles. Ils restèrent làpour une période de deux ans, pour fairepartie en premier lieu de l’école militaireatamane de la 3ème compagnie et puis de1921 à 1923, pour parfaire leur formationde mécanique agricole. C’est le début desgrosses machines agricoles, ancêtres denos moissonneuses-batteusesd’aujourd’hui – si j’en juge lesphotographies d’époque – et bien sûr, ilfallait des mécaniciens expérimentés pourentretenir et réparer ces machinesagricoles. Boris Constantinovitch atravaillé en même temps dans des harasde la région, comme il le mentionne dansses notes. Il est vrai qu’une desréputations célèbres des cosaques estcelle d’avoir été des cavaliers hors pair,

certains vivront de cet art plus tard dansdes spectacles équestres. BorisConstantinovitch n’a jamais montré unamour particulier pour les chevaux par lasuite.

En septembre 1923, ce fut le départvers Sofia, la capitale de la Bulgarie, pourcertainement parfaire son éducation et saformation de technicien en mécanique deprécision, on dirait aujourd’huid’ingénieur. D’ailleurs j’ai su que l’écolede Sofia, où il a étudié, formait il n’y apas encore si longtemps des ingénieurs.J’ai demandé à une amie bulgare de metraduire les certificats de cette école. Ensouriant elle m’a dit que son père y avaitété formé. Que le monde est petit !

La formation de Boris dura deux ans, ilsemble qu’ils étaient, lui et ses camaradesà ce moment-là, sous la protection del’YMCA (l’Union des jeunesseschrétiennes mondiales) qui devaitcertainement les soutenir financièrement.Il terminera son diplôme brillamment etc’est peut-être pour cela qu’il fut choisipour aller travailler en France. Il avaitobtenu un visa de départ valable 6 mois àcondition de promettre de ne pasretourner en Russie !

Il quitte la Bulgarie en août 1925.

La France : terre d’asile – la Lorraineet Knutange

Le départ en France de ces jeunesrefugiés cosaques fut certainement bienorganisé à l’avance. Mon grand-pèrearrivé par ses propres moyens, souvent apied, fut donc placé dans une usinemétallurgique de la Lorraine, à Knutange,tout près de Thionville. Cette région devaitavoir un énorme besoin de main d’œuvremais d’autant plus, de main d’œuvrequalifiée. Mon grand-père y travaillacomme ajusteur sur les machines. Cettepartie de la Lorraine n’est pas des plus

Page 33: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

77

EMIGRATION RUSSE EN FRANCE

riantes, et cela ne m’étonne pas que Borisdécida de ne pas renouveler son contrat àson échéance au bout d’un an, alors quela proposition de renouvellement lui futfaite. Ce sera donc encore un autredépart, mais cette fois pour unedestination pour ainsi dire définitive, où ilpassera une grande partie de sa vie, à partles neuf années en Afrique juste avant etpendant la deuxième guerre mondiale.Cette destination est, bien sûr, Paris.Paris, la ville des lumières qui faisait rêverbeaucoup de jeunes étrangers par sa vieculturelle et intellectuelle. Paris rayonnaitpartout dans le monde à cette époque,certainement encore plus qu’aujourd’huien tous cas. Les cosaques étaientapparemment plutôt francophiles, peut-être grâce à notre héritage philosophiqueet révolutionnaire, ou tout simplement àcause de Napoléon ! Rappelez-vous l’arcde triomphe à Novotcherkassk !

Paris 1926

Boris Constantinovitch arriva à Paris en1926, fin du voyage d’exil commencépresque cinq ans plus tôt lors de sondépart de la Russie et de Novotcherkassk.Ce fut donc un long itinéraire pourtrouver la liberté, recommencer etconstruire une vie. A Paris il rencontral’amour, celui d’une jeune française quiparlait russe, car ayant vécu elle-même enRussie. Ils se marieront et auront troisenfants. La cadette est ma mère.A Paris, tout au début, BorisConstantinovitch a vécude petits emplois, serveur dans des caféspar exemple, pour étudier la journée etpasser son baccalauréat internationalqu’il réussit et qui lui permit aussi desuivre des cours de mathématiques et dephysique à la Sorbonne. Nous sommes en1927–28. J’ignore s’il était parvenu àobtenir ses diplômes. En tous cas, sa

passion pour la physique ne le quitterajamais non plus…Après cela, il travailla pendant denombreuses années dans une manufactured’orgues à Paris. En 1937, c’est le départen Afrique, déjà mentionné plus haut, cequi fut certainement une excellenteprémonition, vu les événements sombresde 1939-45 et qui lui aurait valu d’êtredéporté s’il était resté vivre à Paris ! Lesapatrides étaient visés par la Gestapo etpar le régime de Vichy. Le Mémorial desMartyrs de la Déportation à Paris,inauguré en 1962 par le général de Gaulle,juste derrière le chevet de Notre-Dame,rend hommage à tous les persécutés durégime nazi, comme certaines catégoriesde déportés souvent oubliées de l’histoire :les apatrides, les tziganes ou leshomosexuels.

Boris reviendra en Europe en 1946, àParis encore une fois, avec sa petitefamille. Il terminera sa carrière à lacompagnie CSF (compagnie générale detélégraphie sans fil) dans leur bureau derecherches basé à Orsay. Là enfin, toutesses études de mécanique de précision etsa passion de la physique furent mises àcontribution, à bon escient. Enfin il putmontrer son réel potentiel d’ingénieur ausens premier du mot : chercher la solutionà un problème technique. Il contribua à lamise au point du téléviseur-couleur !Nous sommes au début des années 1960et Boris fut très fier d’avoir participé àcette aventure. Il resta en contact avec lesingénieurs français de cette équipe jusqu’àla fin de sa vie. C’était une amitiéscientifique qui unissait ces hommes. Ilprit sa retraite tôt, pour des raisons desanté, mais voulait aussi se retirer dumonde. Il n’aspirait qu’au calme et à latranquillité après cette vie tourmentée.

L’itinéraire du jeune cosaque seterminera donc en 1990, il trouvaauparavant un endroit dans l’Est de laFrance qui ressemblait à un petit coin de

Page 34: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

78

EMIGRATION RUSSE EN FRANCE

Russie, semblable à la « Iasnaïa Poliana »de Tolstoï dont il était un immenseadmirateur. La compagnie des arbres luisuffisait, au désespoir de ma grand-mèrequi aspirait à plus de compagnie humaine,comme Sophie Tolstoï. Toutes deuxn’eurent guère la vie facile avec lecaractère rude et solitaire de leur mari.

La boucle fut presque bouclée entrouvant cet endroit où, l’été, on buvait lethé sous le tilleul avec le samovar sur latable.

C’était ma petite Russie à moi aussi etlà-bas est né mon intérêt pour tout ce quiest russe, mais essentiellement pour lalittérature et l’art russes.

Merci Boris Constantinovitch,Diedouchka, de m’avoir fait ce cadeau, tum’as fait lire Tolstoï, Gogol, Tourguéniev

… Toi, le jeune cosaque deNovotcherkassk, fidèle tout au long de tavie à cette culture, mais qui aimaitprofondément la France aussi.

Mai 2015

Notes

1 A ce sujet, voir Frances Welch,The Russian court at Sea,(Londres, Short Books, 2011).2 Voir Bagni Bruno,« Lemnos, l’île aux Cosaques », Cahiers du monde russe1/2009 (Vol 50), pp. 187-230URL : www. cairn. info/revue-cahiers-du-monde-russe-2009-1-page-187. htm

LALA

Page 35: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

79

COMMENTAIRE

Lioudmila LoutsevitchLioudmila Loutsevitch

Docteur en philologie, professeur àl’Institut de Culturologieet de Linguistique anthropocentriques del’Université de Varsovie

Le « ping-pong »de la vie

Les œuvres autobiographiques occupentdepuis lors une place de choix dans lemonde de la création littéraire. Citons parexemple1 :

- Les confessions d’un homme en trop(1990) d’Alexandre Zinoviev ;

- Ispoved knigotcheïa (Confessionsd’un amateur de livres, 1991) dumédiéviste renommé Vadim Rabinovitch ;

- Izgnanie iz Edema. Ispoved evreïa(Chassé de l’Eden. Confessions d’un juif,1994) d’Alexandre Melikhov ;

- Une Place vraiment Rouge (1995),repentir littéraire des romanciers à succèsissus de l’émigration, Edward Topol etFridrich Neznansky ;

- Priznania skandalista (Confessionsd’un homme à scandales, 1999) del’auteur mythique Victor Toporov ;

En Russie, le genre littéraire de laconfession est apparu à la fin du XVIIIe

siècle et s’est plus largement répandu aucours du XIXe siècle. À l’époquesoviétique, sa popularité s’est amoindrie,pour finalement s’épanouir dans toute sasplendeur après la chute du rideau de fer.

Ludmila Kol.20 ans de création littéraire

Page 36: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

80

COMMENTAIRE

- Ispoved syna nachego veka(Confessions d’un enfant du siècle, 2006)d’Edvard Radzinsky ;

- Pokaïanie svidetelia, ili Poïskisioujetov v vek tchoumy (Confessionsd’un témoin ou Recherches de sujets entemps de peste, 2010) du cinéaste LeonidAgranovitch ;

- Ispoved oustavchego grechnika(Confessions d’un pécheur fatigué, 2013)du dramaturge et écrivain AndreïMaksimov ;

- …

À la fin des années 1990, Ludmila Kols’est elle aussi tournée vers ce genrelittéraire. La première version de sonroman Igra v ping-pong. Ispoved ne-Gueroïni (Partie de ping-pong.Confessions d’une anti-Héroïne) estd’abord parue en Finlande2 avant d’êtreétoffée et publiée en Russie3. Son desseinlittéraire transparaît dans ses déclarations,telles que : « Au fond, toutes mes œuvreslittéraires sont des fragments de ma vie.La seule différence est ma position :actrice ou observatrice. N’importe quelrécit, nouvelle, histoire ou roman peut êtreconsidéré comme autobiographique. » 4

Cette citation est tirée de l’essai deLudmila Kol Iz moïeï zaroubejnoïavtobiografii (Fragments de ma vie àl’étranger), précurseur du roman Svidanies gueroïem (Rencontre avec un héros,2007) et indique que Partie de ping-pongest bel et bien un roman autobiographique.Dans celui-ci, l’auteure est tour à tourhéroïne, observatrice impliquée, gardiennedes traditions familiales, mais aussianalyste et interprète faisant valoir sespropres sentiments et opinions.

Le titre Partie de ping-pong renvoie àdeux métaphores :

1. La vie est un jeu

Cela nous rappelle cette célèbre citation deShakespeare : « Le monde entier est unthéâtre et tous, hommes et femmes, n’ensont que les acteurs. » Cette conceptionshakespearienne a influencé le roman deLudmila Kol, qui, quant à elle, compareplutôt la vie à une partie de ping-pong.

2. Le ping-pong

Ce jeu tire son nom du bruit que fait laballe en rebondissant sur la table.L’équivalent russe de cette onomatopée ainspiré à Tourgueniev le nom d’un de sesromans, dans lequel il évoque dessouvenirs de jeunesse5,6. La jeune héroïnedu roman s’est plongée dans la lecture deses œuvres dès l’âge de neuf ans, et il estdevenu l’un de ses auteurs préférés. « Jelisais Tourgueniev et je rêvais » (p. 82).Les amis de Nadia la surnommaient même« la jeune fille à la Tourguéniev» (p. 207).

Revenons-en au titre du livre Partie deping-pong.

Le principe du ping-pong est de serenvoyer, à l’aide de raquettes, une petiteballe légère de part et d’autre d’une tabledivisée en deux par un filet. Ces échangesdoivent respecter des règles assez strictesdont la moindre violation est sanctionnée.L’espace de jeu se limite à la surface de latable (les dimensions de celle-ci sont trèsprécises : 274 cm de long, 152,5 cm delarge et 76 cm de haut) et rien n’empêchela balle de tomber. La partie est égalementlimitée dans le temps : cinq ou sept setsd’une dizaine de minutes chacun pour unedurée totale d’une heure et demie. Je nem’étends pas sur le ping-pong par hasard.Il me semble que ce titre reflète lathématique principale du livre, c’est-à-dire, les rythmes de la viequotidienne : « se lever, se brosser lesdents, prendre sa douche, son petit-déjeuner, partir, revenir… » (p. 231). Vers

Page 37: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

81

COMMENTAIRE

la fin du livre, le mari de l’anti-Héroïne,irrité, s’exclamera même : « Nous jouionsau ping-pong… et tu gagnais toujours »(p. 231). Cependant, comme on lecomprend plus tard, l’anti-Héroïne neremporte pas toujours la partie : « La vieest une simple partie de ping-pong où ilfaut renvoyer la balle à temps. Alors, tupossèderas une villa avec piscine. Y a-t-ilquelque chose de plus important ? C’estl’objectif ultime des efforts incessants detout être humain ! Il semble que l’anti-Héroïne ait perdu la partie » (p. 290-291).

Ce titre ne se contente pas de refléter lathématique du livre, il en incarne lesfondements conceptuels eux-mêmes.Dans ce roman, le ping-pong n’illustrepas seulement la répétition quotidienne,mais également l’éternel cycle de la vie : lavie et la mort, l’amour et la haine, lesvictoires et les défaites, les départs et lesarrivées, les rencontres et les séparations.Lors d’un match de ping-pong, lespongistes changent constamment deposition : ils refusent, acceptent, donnent,reprennent, attaquent, se défendent… Ilsemblerait pourtant qu’à la fin du match,ils soient tous vaincus puisque le tempsest écoulé et qu’il n’est plus possible derenvoyer la balle.

Je souhaiterais souligner que le motif dujeu est le thème en filigrane dans tout leroman. Tout est lié ! Si dans la premièrepartie du récit, les jeux d’enfants s’yréfèrent, en revanche, dans la seconde, ils’agit plutôt d’une mise en abymethéâtrale et de l’hypocrisie des adultes.L’une des dernières répliques du romanfait un clin d’œil à Shakespeare : « Voilà,la scène est déserte, les acteurs sontpartis, il ne reste que les décors laissés àl’abandon » (p. 297).

Nadejda Lapteva (Nadia), qui prendraensuite le nom de Nikitina, est lepersonnage principal. Dans la premièrepartie du roman, elle est l’auteur d’un

journal intime, tandis que dans la seconde,elle incarne l’anti-Héroïne, une écrivaine àsuccès qui vit hors de Russie, personnagequ’elle a elle-même créé. Le temps est unautre personnage emblématique : commedans toute œuvre, celui-ci estinextricablement lié à l’espace. Pourdéfinir cette unité, Mikhaïl Bakhtine aintroduit le concept de chronotopeartistique : « Le temps se condense, seresserre et devient tangible sur le planlittéraire. L’espace s’intensifie et est aspirédans la spirale du temps, du sujet, del’histoire. Les signes du temps éclosentdans l’espace et l’espace est interprété etmesuré à l’aune du temps. » 7 Cette unitéchronotopique est révélée dans lastructure du texte. Le contenu du romanest divisé en deux parties. La premièrecorrespond aux quelques décennies quirelient la fin de la guerre à la perestroïka,autrement dit, durant la périodesoviétique. La seconde concerne lesannées perestroïka, ou le commencementde la période postsoviétique. La narratricefait continuellement des allers et retours(principe du ping-pong) entre ces deuxépoques.

La notion d’espace correspond, quant àelle, à la zone géographique de l’Unionsoviétique dans la première partie, et àcelles des pays en développement et del’Europe dans la seconde.

La première partie est presqueexclusivement consacrée à la descriptionde l’enfance de Nadia. Cette fameuseenfance, période la plus importante sur leplan axiologique dans la vie de notrehéroïne. En grandissant, elle a trouvé savocation et a commencé à rédiger « destextes… ne sachant pas encore ce qui ensortirait » (p. 252). Mais elle étaitconvaincue depuis le début que « racontersa vie, et particulièrement son enfance,rend toute œuvre meilleure et plusauthentique » (p. 254). La perception de

Page 38: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

82

COMMENTAIRE

enfance s’accompagne constamment del’évaluatif : « Elle a eu une belle enfance »(p. 254). Cela s’inscrit dans le mythetraditionnel russe de l’enfance dorée,même si la jeune héroïne n’a pas vécudans des conditions hors du commun.Bien au contraire, elle a connu desmoments difficiles, comme la majorité desfamilles moscovites durant l’après-guerre.Cependant, ce qui importe ici, c’estl’atmosphère dans laquelle a grandiNadia : celle où des enfants joyeuxdécouvrent la vie. Notre héroïne a habitéune pièce de 12m² dans un appartementcommunautaire jusqu’à ses 6 ans : « Lavie entière se déroulait dans cette pièce…elle ne traversait l’appartementcommunautaire que pour s’y enfermer àdouble tour » (p. 9). « Pour moi, notreappartement… illustrait la vie normale ; jen’avais rien vécu d’autre » (p. 11).L’agencement de cet appartementcommunautaire est vraiment particulier, ilpourrait même faire l’objet d’une étudeultérieure. Chaque époque a laissé sestraces dans l’organisation de la viequotidienne. Par ailleurs, les adultes et lesenfants perçoivent le quotidien de manièredifférente : « Ce qui est vu par les adultescomme une insoutenable tragédie estsouvent perçu par les enfants comme unjeu amusant » (p. 11). Tous lesingrédients étaient réunis pour fairerevivre l’exceptionnel esprit de l’époque.

Dans un premier temps, notre jeunehéroïne est limitée à « l’espace familial » :d’abord la chambre, puis l’appartementcommunautaire et, plus tard, le deux-pièces. Dès l’enfance, elle a commencé àvoyager à travers l’Union soviétique pourrendre visite à ses proches. L’été, lafamille se rendait « en Ukraine, parce quepapy et mamy avaient une maison àSoumy » (p. 19). Pour y arriver, ellepassait soit par la ville de Konotop, deBelgorod ou de Kharkiv. La maison de

Soumy était tout le contraire du« minuscule appartement de Moscou »(p. 22). Il ne s’agissait pas seulementd’une belle maison, mais bien d’uneauthentique propriété dont la terrasseparcourait les quatre façades, et d’unmystérieux jardin ombragé. Elle disposaitde « hautes portes à doubles battantsornées de poignées en laiton », ainsi qued’un « poêle en faïence blanche », d’unétrange « thermomètre de Réaumur à vif-argent » et de « chaises en bois à dossiercintré » (p. 22). Portraits et peinturesétaient accrochés aux murs ; sur l’und’eux, un village enneigé s’endormait à lalueur des flammes qui réchauffaient lesmaisonnées, tandis que sur un autreapparaissait au loin un « château gris-bleu » sur « fond azur du lac et du ciel »(p. 23).

Dans cette maison, « quelque chose demagique et de féerique » (p. 23) seréveillait dans l’âme de la petite héroïne,bien que personne ne lui lise rien de tel là-bas. Toutes ses histoires, souvent tristes(« La reine portait toujours un masque detristesse et pleurait souvent » [p. 17]),étaient restées à Moscou avec sa mamyNina. Le destin de sa mamy était, luiaussi, très triste. Les récits de Soumyn’étaient pas des contes de fées, mais devraies histoires sur l’amour inconditionnelde Procha et Moura (ses grands-parents)dont des lettres et mots d’amour étaient lapreuve irréfutable (p. 31). Dans lamémoire de la petite fille sont gravées detrès vives impressions de la maison enUkraine, ainsi que des voyages et desvilles qu’elle a visitées : Soumy est uneville « propre, aux rues baignées delumière » (p. 19), Kharkiv est« harmonieuse… il y règne une tranquillitéabsolue… […] nous flânions dans lesrues » (p. 21). Dans la mémoire del’héroïne, la Moscou de l’époque c’est : le« métro… le Kremlin… les trolleybus-autobus-tramways » (p. 33).

Page 39: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

83

COMMENTAIRE

Peu à peu, une nouvel espace s’estajouté à celui de son quotidien : l’école.Cette dernière était un bâtiment à troisétages qui abritait une magnifiquebibliothèque, des laboratoires de biologie,de chimie, de physique et même un atelierde dessin, ainsi qu’un bureau de gestionde services rendus par les élèves à lacollectivité. Et bien que située dans labanlieue de Moscou, près de la PetiteCeinture ferroviaire (p. 60), l’écoleperpétuait les bonnes vieilles traditions.

À noter : le kolkhoze « Smytchka »,délimité par une palissade verte, était situétout près d’immeubles moscovites. Unevie à part se déroulait à l’intérieur de cetteenceinte, indépendante de la vie de lacapitale.

Moscou, ainsi que ses topoï(Tcheriomouchki, Kountsevo) et loci (lesmagasins, la bibliothèque pour enfants, lethéâtre Bolchoï, l’exposition industriellepansoviétique, le hall Gueorguievski duKremlin…) constituent la toile de fond durécit. Cependant, les valeurs essentiellesqui ont éclairé l’enfance de l’héroïne sontliées à ses voyages dans le Sud : l’Ukrainey est dépeinte comme ensoleillée, calme,enchanteresse, tandis que Moscou estplutôt décrite comme froide, dynamiqueet réaliste.

Plus tard, l’héroïne va découvrir de« nouveaux espaces » grâce à denouvelles possibilités de voyages offertespar ses études universitaires. Par exemple,son excursion universitaire dans un villagerusse qui a miraculeusement conservé sonfolklore et son dialecte, ou encore sesvoyages dans les anciens pays satellites del’Union soviétique, tels que la Hongrie, laTchécoslovaquie ou la Pologne grâce auxprogrammes d’échanges entre étudiantssoviétiques (p. 123). Le principe du ping-pong est toujours d’application : départ-arrivée, rencontre-séparation, passé-présent…

Dans la seconde partie, l’auteur seconcentre sur cette femme hors ducommun enfermée dans une bulle desolitude. Parallèlement à l’espace del’Union soviétique, d’autres se dessinent :Copenhague, un pays « en voie dedéveloppement » (p. 145), ou encore laFrance (p. 159). Dans cette partie duroman, elle dépeint avec beaucoupd’amertume et de sarcasme leschangements radicaux de la vie en Russieau début de la perestroïka, et commentses compatriotes se sont efforcés dereconstruire leur vie à l’étranger. Libertéde circulation ne signifie pas forcémentliberté intérieure.

Ainsi, le roman est une table où se joueune partie de « ping-pongconfessionnel », c’est-à-dire l’espace dela mémoire où le passé et le présent d’unefamille et d’un pays, avec ses topoï et locigéographiques et culturels, sontconstamment en interaction dialogique.Cependant, il s’agit seulement d’une desperspectives du roman. L’autre ouvre unefenêtre sur l’histoire, la politique, lepouvoir et la culture avant, pendant etaprès l’époque soviétique en tant quephénomène sociologique des pluscomplexes qui, dès son apparition, aengendré des modèles comportementauxet une hiérarchie axiologique, ce quimériterait de faire l’objet d’autres études.

Toutes les citations accompagnées d’unnuméro de page sont tirées de l’éditionsuivante :

KOL, Ludmila. Igra v ping-pong.Ispoved ne-Gueroïni. (Partie de ping-pong. Confessions d’une anti-Heroïne.),Saint-Pétersbourg, Aletheia, 2011, 305 p.

1 Les dates mentionnées sont celles de laparution des œuvres en russe.

Page 40: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

84

COMMENTAIRE

2 KOL, Ludmila. Igra v ping-pong.Ispoved ne-Gueroïni. (Partie de ping-pong. Confessions d’une anti-Heroïne.),Helsinki, Nord Print, 1999, 152 p.3 KOL, Ludmila. Igra v ping-pong.Ispoved ne-Gueroïni. (Partie de ping-pong. Confessions d’une anti-Heroïne.),Saint-Pétersbourg, Aletheia, 2011, 305 p.4 KOL, Ludmila. Svidanie s gueroïem :roman-triptikh. (Rencontre avec unhéros : trilogie), Saint-Pétersbourg,Aletheia, 2007, p. 55 TOURGUENIEV, Ivan. Recueil en 12tomes, tome n°8, Moscou,Khoudojestvennaïa literatoura, 1978,p. 4896 NDT : Si le titre de la version françaiseest Toc ? Toc ? Toc !, la version originales’intitule, quant à elle, Stouk…

stouk…stouk !... (1870), soit l’équivalentrusse de l’onomatopée « ping-pong ».7 BAKHTINE, Mikhaïl. Voprocyliteratoury i estetiki. Issledovania raznykhlet. (Questions de littérature etd’esthétique. Études menées sur plusieursannées.), Moscou, Khoudojestvennaïaliteratoura, 1975, p. 235

Traduit par Elodie Broze et Anne-SophiePerez Y Aguilar, révisé par Robin Noël et

Chloé Tremblay, sous la rédaction deAnne Delizée,

Département de russe de la Facultéde Traduction et d’Interprétation –Ecole d’Interprètes Internationaux,

Université de Mons

UMONS

La revue adresse ses remerciementsaux enseignants et étudiants

de la Faculté de Traduction et d’Interprétationde l’Université de Mons

pour la traduction d’articles et de textes de fictionainsi que pour leur soutien lors de la préparation de ce numéro.

Page 41: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

85

FESTIVAL

Une riche saison russe à LimogesA la rentrée 2015–2016 la Russie sera à l’honneur sur la scène culturelle limougeaude.

Avec le Festival russe, l’Opéra de Limoges abordera une thématique très forte et brossera un largepanorama de la musique russe, de Tchaïkovski à la scène électro alternative moscovite. Le ballet

contemporain « Cendrillon » de Sergueï Prokofiev avec le Malandain Ballet de Biarritz ouvrirala saison le 16 janvier. De différentes manifestations suivront, dont le récital « Mélodies pour

le tsar » le 19 janvier, le concert d’improvisation et de jazz « Pentagramme » revisitant le Groupedes Cinq le 26 janvier, le concert symphonique « Hiver à l’est » avec au programme Nicolaï

Rimski-Korsakov, Nikolaï Medtner et Sergueï Rachmaninoff le 2 février. Le Chœur de l’Opéranous plongera dans la tradition chorale russe avec les cantiques de la liturgie orthodoxe et

les chants populaires – « Russie sacrée, Russie profane », le 12 février. Le jeune public découvrirale spectacle musical « Le coq d’or » le 1 mars. Le festival sera clôturé le 8 et 10 avril par l’opéraEugène Onéguine chanté en russe et surtitré (mise en scène de Marie-Eve Signeyrole plaçant les

personnages dans le contexte des années 1999).La Bibliothèque francophone multimédia proposera le 18 novembre 2015 la conférence de Rémi

Adam et Jean Gavrilenko : « La révolte des soldats russes en France (1915–1920) ».Le film de Marina Migounova « Miroirs » retraçant la vie de Marina Tsvetaeva sera projeté

le 4 mars 2016 et le classique du cinéma muet « Le Cuirassé Potemkine » en ciné-concert seraaccompagné en direct par les musiciens le 18 mars.

Enfin, le Musée des Beaux-Arts accueillera une exposition « Les Ballets russes de SergeDiaghilev » en janvier-février 2016.

Julie Laloi

Page 42: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

86

Notre correspondant Igor Volovik a assistéau Festival international de piano à la Roque d’Anthéron,

petite ville française située dans le Midi.Ce festival qui s’est déroulé à la fois

à La Roque d’Anthéron et à Aix-en-Provenceprès de Marseille,

a débuté le 24 juillet et s’est clôturé le 21 août 2015.L’école pianistique russe a été représentée

par plusieurs interprètes, tels que : Boris Berezovsky,Grigori Sokolov, Ioulianna Avdeïeva…

Page 43: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

87

Page 44: LiteraruS 6, 2015 ( ¹ 4 en langue franaise) · PHOTOS L’été en Finlande ... Gorge rauque – Gorges sombres – ... maquillage : des nuances de bleus criards sur les paupières,

88

[email protected]

INTERNATIONALFEDERATION

OF RUSSIAN-SPEAKINGWRITERS

http://rulit.org

Malgré toute notre attention, certaines erreurs ont pu se glisser lors de laconception de cette revue. Nous vous prions de nous en excuser.

Le comité de rédaction