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L’irresponsabilité pénale au prisme des représentations sociales de la folie et de la responsabilité des personnes souffrant de troubles mentaux Recherche réalisée avec le soutien de la Mission de recherche Droit et Justice – Octobre 2016 – Caroline Guibet Lafaye CNRS, Centre Maurice Halbwachs, EHESS, ENS Camille Lancelevée Institut de Recherches Interdisciplinaires en Sciences Sociales, EHESS Paris Caroline Protais Cermes3, Paris V

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L’irresponsabilitépénaleauprismedesreprésentationssocialesdelafolieetdela

responsabilitédespersonnessouffrantdetroublesmentaux

Rechercheréaliséeaveclesoutiendela

MissionderechercheDroitetJustice–Octobre2016–

CarolineGuibetLafayeCNRS,CentreMauriceHalbwachs,EHESS,ENS

CamilleLancelevéeInstitutdeRecherchesInterdisciplinairesenSciencesSociales,EHESSParis

CarolineProtaisCermes3,ParisV

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L’irresponsabilitépénaleauprismedesreprésentationssocialesdelafolieetdela

responsabilitédespersonnessouffrantdetroublesmentaux

Réaliséepar:

CAROLINEGUIBETLAFAYE,directricederechercheensociologieetphilosophieauCNRS(CentreMauriceHalbwachs–EHESS–ENS).

CAMILLE LANCELEVEE, doctorante en sociologie, Institut de RechercheInterdisciplinaire sur les Enjeux Sociaux, École des Hautes Études en SciencesSociales(Paris).

CAROLINEPROTAIS,docteureensociologie,chercheuseassociéeauCermes3.

Directionscientifique:

CAROLINEGUIBETLAFAYEetCAROLINEPROTAIS

Aveclacollaborationde:

PIERRE BROCHARD, ingénieur d’études en informatique, membre de l’équipetransversaleduCentreMauriceHalbwachs(CNRS–EHESS–ENS)

FRANÇOIS GIRAUD, ingénieur d’études en sciences sociales au Centre MauriceHalbwachs(CNRS–EHESS–ENS)

PIERRE GIRERD, psychiatre, médecin responsable du pôle accueil-urgencespsychiatriquesduCentreHospitalierEdouardToulousedeMarseille

MURIELSCHILOVITZ,webmestreduCentreMauriceHalbwachs (CNRS–EHESS–ENS)

Leprésentdocumentconstitue le rapport scientifiqued’unerechercheréaliséeavec le soutien du GIP Mission de recherche Droit et Justice. Son contenun’engage que la responsabilité de ses auteurs. Toute reproduction, mêmepartielle,estsubordonnéeàl’accorddelaMission.

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Sommaire

Introduction.........................................................................................................................7

Chapitre1:Lapratiquedesexpertspsychiatresoularestrictionduchampdel’irresponsabilitépourcausedetroublemental(1950-2014)..................17

CarolineProtais

I. Pratiquesd’expertsàl’heureactuelle.................................................................20II. Approchehistoriquedelapratiquedel’expertise:laresponsabilisation

des personnes ayant commis des infractions et souffrant de troublespsychiatriques(1950-2014)..................................................................................................34

III. Expliquer la tendanceresponsabilisante: les justificationsdesexpertspsychiatres.....................................................................................................................................44

Conclusion...............................................................................................................................61

Chapitre 2: Repenser le sort des auteurs d’infraction présentant destroublesmentaux:regardsdepsychiatressurl’irresponsabilitépénale....63

CamilleLancelevée,CarolineProtais,CarolineGuibetLafaye

I. Regardsdepsychiatresnon-expertssurl’irresponsabilitépénale........65II. Une position favorable au principe d’irresponsabilité pénale pour

protégerlespatientsvulnérablesàl’hôpital...................................................................79III.Unepositiondéfavorableauprinciped’irresponsabilitépourréintégrer

lespatientscitoyens..................................................................................................................93Conclusion.............................................................................................................................104

Chapitre 3: Histoires vécues: représentations de personnes ayant faitl’objetd’unedécisiond’irresponsabilitépourcausedetroublemental....107

CamilleLancelevéeetCarolineProtais

I. Êtreirresponsabilisé:discourspsychiatriqueetrécitdesoi.................109II. Êtrehospitalisé:protectionouenfermementinique?.............................119Conclusion.............................................................................................................................128

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Chapitre 4: Au cœur des rapports entre juges et experts. Les jugesd’instructionetl’article122-1alinéa1..................................................................131

CamilleLancelevéeetCarolineProtais

I. Déterminer l’irresponsabilitépénalepourcausedetroublesmentaux:unequestionplustechniquequ’idéologique?.............................................................133

II. Dujeudanslaprocédure........................................................................................144III. Regardsdejugesd’instructionsurl’irresponsabilitépénale..................153Conclusion.............................................................................................................................165

Chapitre5:Expertspsychiatresetfaitsdiversdanslapresse......................167

CarolineGuibetLafayeetCamilleLancelevée

I. LeMondefaceàl’expertisepsychiatrique:1950-2016............................168II. Lesfaitsdiversdanslapressenationale:untraitementdifférencié..182

Chapitre6:Effetsdesévolutionslégislativessurlesreprésentationsdelafolieetdelamaladiementale...................................................................................197

CarolineGuibetLafaye

I. Lafabricationdeslois...............................................................................................197II. Évolutionslégislativesdel’irresponsabilitépénale....................................205III.Uneabsencedevolontépolitique.......................................................................215IV. Lamarquedupolitiquesurlapsychiatrie.......................................................222Conclusion.............................................................................................................................229

Conclusiongénérale:lafindel’irresponsabilitépénale?..............................231Annexes.............................................................................................................................235

I. Glossairedesprincipalesnotionspsychiatriques........................................235II. Méthodologieadoptéedanscerapport............................................................238

Bibliographie..................................................................................................................247Tabledesmatières........................................................................................................261

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Introduction

Laquestiondela«responsabilisation»despersonnessouffrantdetroublespsychiatriquesfaitl’objetd’unemédiatisationcroissantedepuislafindesannées1990.Ellesuscitedenombreuxdébatssurlaconditionainsiquesurlenombrejugé trop important de personnes malades dans les prisons françaises.L’implication de l’expert psychiatre dans cet état de fait est critiquée, et ledétournement de sa tâche initiale auprès de la justice comme son éthiqueprofessionnellesontdénoncés.

Le rapport Pradier (1999) ouvre le débat, en envisageant qu’«on ne peutmanquer d’être frappé par le questionnement insistant des médecins surl’inexplicable présence en prison d’un nombre considérable de psychotiquesidentifiés»(Pradier,1999,p.41).Ceconstatferadate: ilserareprispardiversrapports gouvernementaux (voir chapitre 6), et régulièrement pointé du doigtpardesorganismesinternationaux,telslerapportduconseildel’EuroperédigéparThomasHammarbergdu20novembre2008,ouplusrécemmentencore, lerapportpubliéparHumanRightsWatchle5Avril2016.

Parmi les personnesmontrées du doigt pour expliquer cet état de fait: lesexperts psychiatres français (Pradier, 1999, Dubec, 1999, numéro spécial duJournal Français de Psychiatrie, 2001) qui, depuis les années 1950, auraientconsidérablement restreint les conditions d’application de l’irresponsabilitépourcausedetroublementalsurlaquelleilssontamenésàseprononcer.

La folie est reconnue comme une clause suspensive de la responsabilitédepuis le XVIIIe siècle avant notre ère, à une période où le Code babyloniend’Hammourabi (1786-1686av. J.-C.) exonérait depunition envertude l’article206 celui qui pouvait prouver qu’il n’avait pas agi intentionnellement. Depuisl’adoptiondunouvelCodepénal français en1994, c’est l’article122-1alinéa1qui fait vivre ce principe anthropologique, envisageant que: «n’est paspénalement responsable lapersonnequi étaitatteinte,aumomentdes faits,d’untroublepsychiqueouneuropsychiqueayantabolisondiscernementoulecontrôlede sesactes.» (article 122-1 alinéa 1 CP de 1994). Depuis le XIXe siècle, toutepersonneentrantdanslechampd’applicationdecetarticleestrenvoyéeverslesecteur psychiatrique pour y faire l’objet de soins au lieu d’être punie. Ceprincipe est justifié tant par un principe ontologique envisageant qu’unepersonneayantagisousl’emprised’unemaladiementalen’étaitplusmaîtressede ses actes, que par une éthique humaniste souhaitant sa protection au seind’uneinstitutionsoignante,plutôtquesadégradationpsychologiqueauseindumilieucarcéral.

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Lesexpertspsychiatresen«responsabilisant»despersonnesprésentantdestroubles mentaux qualifiés de «graves» (i.e. a minima de nature«psychotique») 1 dérogeraient à un principe anthropologique et éthiquefondateur des sociétés occidentales modernes et de la psychiatrie clinique(Gauchet, Swain, 1980, Castel, 1976, Goldstein, 1977). Reprenant la critiquefoucaldienne à son compte, Michel Dubec, célèbre expert psychiatre parisienexpliqueque« la premièremissionde l’expertisepsychiatriqueétaitde faire lepartage entre folie et raison. Elle a progressivement abandonné ce rôle, sousl’influenceconjuguéedescritiquesdelaprofessionetdelatendancedelajusticepénale à ne plus connaître aucune limite à son action. De ce fait, [...] elle seconsacre désormais à rechercher les déterminants du délit et se montre unauxiliaireprécieuxdel’accusation.Àforcederechercherlesraisonsd’uncrime,elle finitpar inventer le criminel» (Dubec,1999,p.8).Depuis lors, les chiffresprésentésdanslerapportPradiersontconstammentreprisparcequedifférentscommentateursnommentdésormaisle«mouvementderesponsabilisation»desinfracteurssouffrantdetroublespsychiatriques.

«D’unepart, l’attitudedespsychiatres experts […] s’est substantiellementmodifiée aucoursdesdixdernièresannées.Pourcequiestdesprocèsauxassises,c’est-à-diredelacriminalité, on est passé d’une proportion voisine de 16% d’accusés, jugés“irresponsables aumoment des faits” au début des années 80, à 0,17% pour l’année1997» («La Gestion de la santé dans les établissements du programme 13000:évaluationetperspectives: documents, visites, entretiens, réflexions», PierrePradier;Ministèredelajustice,1999,p.41).

Mais qu’en est-il vraiment? Au-delà des rhétoriques professionnelles et dutravailderationalisationdesacteurs,unpremiertravaildethèseréaliséparunedesmembresdel’équipe(Protais,2011;Protais,2016)aeffectivementmontréunerestrictionduchampdel’irresponsabilitépourcausedetroublementalparles experts psychiatres français des années 1950 à 2007/2009 (voir annexeméthodologique),dansdesproportions toutefoismoins importantesque cellesannoncéespar le rapportPradier (voir infra,chapitre1).Ce travail constitueraunpointdedépartàcetterecherche:sesrésultatsserontactualisésetcertainesdesesconclusionsverséesàcerapport.

Cette première recherche présente néanmoins une limite principale: elleanalyse l’évolution de la pratique de l’expertise dans le monde de l’expertise.Mais d’autres mondes, exerçant une potentielle influence sur l’expert ontégalementunpointdevuesurl’irresponsabilitépourcausedetroublemental:lemonde de la psychiatrie en général, le monde des magistrats, etc. Quellesreprésentations de l’irresponsabilité pour cause de trouble mental ont coursdans d’autres univers amenés à prendre partie sur cette question? En quoidiffèrent-elles de celles des experts psychiatres, sont-elles en lien, voire sont-ellessusceptiblesdelesinfluencer?

1Unglossairedesprincipalesnotionspsychiatriquesfigureàlafindurapport.

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Uneapprochedesreprésentationssocialesdelafolieetdel’irresponsabilité

La représentation sociale est classiquement définie comme une «forme deconnaissancecourante»,dite«desenscommun»caractériséeparlespropriétéssuivantes: elle est socialement élaborée et partagée; elle a une viséepratiqued’organisation, de maîtrise de l’environnement (matériel, social, idéel) etd’orientation des conduites et des communications; elle concourt àl’établissementd’unevisiondelaréalitécommuneàunensemblesocial(groupe,classe,etc.)oucultureldonné»(Jodelet,1991,p.681-682)2.

Les représentations peuvent également être abordées sous un angledavantagecognitif,comme«desinterprétationsquiutilisentdesconnaissancespour donner une signification d’ensemble aux éléments issus de l’analyseperceptive»(Richard,2005,p.9)3.«Lesreprésentationssont[alors] lerésultatd’interprétationsquiconcernentd’unepart lesélémentsdelasituation(cequeles auteurs qui étudient la mémoire épisodique appellent l’encodage), ce quirelèvedelacatégorisation,etd’autrepartdelasituationdanssonensemble,cequi relève de la compréhension.» (Richard, 2005, p. 9) Les représentationsconstituent ainsi l’ensemble des informations prises en compte pour lestraitements ultérieurs: «élaboration d’hypothèses d’action, prise de décision,mémorisation d’informations. Les représentations […] sont l’équivalent de ceque d’autres auteurs appellent le contenu de la mémoire de travail ou de lamémoireopérationnelle»(Richard,2005,p.10-20).Ellessontdesconstructionsmentales réalisées en fonction de circonstances particulières, orientées par lanaturedeladécisionàprendre.

Lareprésentationsocialed’unobjetprocèdedoncd’unesélectionetd’untrid’informations. Cette opération peut se réaliser, par exemple, en fonction decritèresnormatifs faisantréférenceauxvaleursculturellesdugroupeainsiquede critères sociaux4. À ce processus d’objectivation succède une phase denaturalisation, permettant à chaque élément d’acquérir le statut d’évidence etd’intégrer ainsi le sens commun. Une phase d’ancrage intervient aussi quienracine la représentation dans le système de valeurs du sujet ou de lacollectivitéafindeluidonneruneefficacitéconcrète.

Enfin,enpsychologiesociale,ondistingue,entoutereprésentation,unnoyaucentral de son système périphérique. Le noyau central assure une stabilitétemporelle à la représentation. Il présente une dimension normative, celle-ciétantmanifestedanslecasdesreprésentationsdelafolie,delamaladiementale,de la schizophrénie (voirKohl, 2006, p. 20). Le systèmepériphérique, pour sa

2JodeletD., «Représentations sociales», inGranddictionnairede lapsychologie, Paris, Larousse, 1991, p.681-682.3Jean-François Richard, Les activités mentales: De l’interprétation, de l’information à l’action, Paris, A.Colin,2005.4MoscoviciSerge,Lapsychanalyse,sonimage,sonpublic,Paris,PUF,1961.

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part, est en prise directe avec la réalité. Il régule les désaccords entre lesélémentsdunoyaucentralet les informations, lesévénementsde laviesocialequotidienne. Les éléments qui le constituent sont plus souples et permettentl’adaptation de la représentation à une nouvelle situation, à un nouveaucontexte.

Ainsi, les représentations ont à la fois un rôle cognitif, en permettant àl’individu de comprendre et d’expliquer le monde dans lequel il évolue. Ellespermettentaussiàl’individudes’orienteretd’orientersespratiquesfaceàuneréalitésouventdifficileàsaisir, toutcommede justifier lesactionsque lesujetaccomplitdanslechampsocial.Lesattitudescorrespondentàlamanièredontunindividu se situe et se positionne par rapport à des objets de valeur5. Cettemanièredesepositionnerinfluence,desurcroît,lesinformationsquel’individurecueille sur cet objetmais aussi la place que cette représentation va prendredans ses interactions sociales. Une représentation sociale d’un objet doitégalementpouvoirêtrepartagéepar lesmembresd’ungroupe.Cetobjetet lesreprésentations qu’il suscite doivent constituer un enjeu pour le groupe,interprétable en termes d’identité ou de cohésion sociale. Les représentationssociales étant un ensemble d’informations et d’attitudes partagées par lesmembresd’ungroupe,ellesassurentunefonctionidentitaire.

La fonctionde justification des pratiques est particulièrement importante àétudierconcernantlamaladiementaleetl’irresponsabilitépourcausedetroublemental dans lemilieu psychiatrique et pénal. Par exemple, certaines attitudessécuritaires concernant lamaladiementale tiennentàdes représentations trèsnégativesetstigmatisantesdelapopulationconcernantlamaladiementale(voirKohl, 2006, ch. 4). Une représentation étant un prêt-à-penser, elle constitueindissolublement un «prêt-à-agir» car elles orientent les individus vers destypesdecomportementsconnusetadmissibles,c’est-à-direquinesontpastropendissonanceaveclesnormesetlesvaleursdugroupesocial.Ellespermettentaux individusd’agir sur le réel en suivantun cheminbalisé, enminimisant lesrisquesd’exclusion.Onpeutdoncimaginerquecesimagesstigmatisantesdelamaladiementalepeuventinfluencerlecomportementd’unexpertinscritdansungroupedepairs(psychiatresetexperts)aumomentoùildoitrendreunavissurlaresponsabilitéd’unepersonneprésentantdestroublesmentaux.

L’analyse des représentations de la maladie mentale a trouvé un point dedépartdansl’enquête«Santémentaleenpopulationgénérale(SMPG).Imagesetréalités,2001-2005».CetteenquêteaétéréaliséeparleCentrecollaborateurdel’Organisationmondialedelasanté(CCOMS)etlaDirectiondelarecherche,desétudes, de l’évaluation etdes statistiques (Drees) auprèsde36000personnesâgéesde18ansetplusenFrancemétropolitaine.Elles’estdérouléeentre1999et 2003 en s’appuyant sur un outil de repérage, le questionnaire Mini, et la

5StoetzelJ.,Lapsychologiesociale,Paris,ChampFlammarion,1978.

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classification internationale des maladies (CIM 10). Elle s’est déroulée surdifférentssitesfrançais,principalemententre1999et2003.LaSMPGinterrogelespersonnessurleursreprésentationsdelamaladiementale.Elleexclutdesonchampd’étudecertainsgroupescommelespersonnesvivanteninstitutions,enmaison de retraite, hospitalisées, incarcérées, ou sans domicile fixe, dont uneproportionsignificativeadespathologiesavérées.

Pour chaque personne interrogée, les questions explorent les propresreprésentationsque les individusontde lasantémentaleainsique laprésencedetroublesmentauxactuelsoupassésetlesrecoursthérapeutiqueset/ouaidesutilisées.L’enquêtesecentresur troismotsquiappartiennentau lexiquede lasantémentale: «fou», «malademental» et «dépressif». Elle donne en outredesélémentssur l’idéequesefait lapopulationgénéraledel’offredesoins,dumoded’accueiletdelaplacedu«fou»,du«malademental»etdu«dépressif»danslasociété.

L’enquêteSMPGpoursuitdeuxquestionnementsdistincts.(a)Ils’agit,d’unepart, pour lespersonnes interrogées,d’associer les termesde«fou», «malademental» et «dépressif» à dix-huit comportements ou conduites reconnuescomme illustratifs de troubles mentaux: par exemple, quelqu’un qui «a undiscoursbizarre,sansaucunsens»ouquelqu’unqui«estnégligé,souventsale».Pour chacun de ces dix-huit comportements, on demande à la personneinterrogée de juger s’ils relèvent d’un «fou», d’un «malade mental», d’un«dépressif»oubiend’«aucundestrois».(b)L’enquêtédevaitensuiteprécisers’il jugeait ces comportements «normaux/anormaux», et «dangereux/peudangereux».

L’undesprincipauxrésultatsconsistedansl’absencedevisioncommunedecequeseraitun«fou»,un«malademental»etun«dépressif»pour86%despersonnesenquêtéesetconcernantlasituationdesimagesassociéesàcestroistermes(voirQuiduetEscaffre,2010,p.15).Néanmoinsle«malademental»estvucommeunindividudéficient,aucomportementouaudiscoursbizarre,tandisquele«fou»seraitplutôtcaractériséparlaviolence(QuiduetEscaffre,2010).Cesimagesnesontguèreinfluencéesparlaconnaissanceconcrètedelamaladiementale.

Le terme«fou»estainsi,plus fréquemmentque«malademental»,etplusencore que «dépressif», associé à l’idée de meurtre. 45 % des personnesinterrogéespensentquecommettreunmeurtreestassociéaufaitd’être«fou».Pourlespersonnesinterrogées,lemot«fou»seréfèreàuneviolencequipeut,dans certains cas, aller jusqu’au meurtre, alors que le «malade mental» estassociéàunproblèmedenaturemédicale,avecdestransgressionsquis’exercentdans les sphères plutôt intimes ou familiales (agressivité, violence envers lesproches, viol) (Anguis etal., 2001, p. 4). En somme, l’association folie-maladiementale = violence-dangerosité demeure présente dans l’imaginaire collectif,

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quoiqu’ilensoitdel’informationvéhiculée.Dupointdevuedelaresponsabilité,desélémentssontàretenir,enparticulier86%desenquêtésconsidèrentqu’unfoun’estpas responsablede sa folie et 76%qu’il n’estpas responsablede sesactes.

Observe-t-on le même type de représentation dans les différents universsusceptibles d’exercer une influence sur l’expert psychiatre appréhendant laresponsabilité d’une personne présentant des troubles mentaux? C’estnotammentàcettequestionquecerapportentreprendraderépondre.

Lesdifférentesarènesdanslesquellescesreprésentationsserontétudiées

L’expert confronté à la question de l’irresponsabilité pénale pour cause detrouble mental entre en interaction avec différentes entités qui véhiculentégalement divers points de vue sur cette question. Nous allons en étudier 5différentesdanscerapport:lespsychiatresnonexperts,lespersonnesestiméesirresponsablesdeleursactesplacéesenpsychiatrie,lesmagistratsinstructeurs,l’opinionpubliquequis’exprimeparlesmédias,lasphèregouvernementalequiédicteleslois.Defait,l’expertestconfrontéàdifférentsmondessociaux(Strauss,1992)6constitués d’acteurs qui véhiculent différentes représentations socialesde la folie et de l’irresponsabilité pénale des personnes atteintes de troublesmentauxayantcommisdes infractions.Onpeutdès lorspasserde lanotiondemondeàcelled’arènes(Dodier,2003),sil’onconsidèrequecesreprésentationssont construites dans des espaces de débat constitué par des personnespartageant globalement une expérience spécifique et située. L’expérience despsychiatres non experts confrontés à la question de la folie et del’irresponsabilitépourcausedetroublementaln’estpas lamêmequecelledespatients ayant fait l’objet de cette mesure et des traitements psychiatriquesqu’elle implique. Aussi, un même monde (celui de la psychiatrie) pourra êtrescindéeendeuxarènes,àpartirdumomentoùonpeutdistinguerdeuxespacesde débat différents. 6 arènes socialesseront successivement étudiées dans cerapport: l’arène des experts psychiatres, l’arène psychiatrique constituée despsychiatres non experts, celle des personnes traitées en psychiatrie ayant faitl’objetde l’alinéa1de l’article122-1, celledesmagistrats,desmédias,etenfinl’arène étatique. La manière dont sont concrètement appréhendées cesdifférentes arènes est détaillée dans l’annexe méthodologique du présentrapport.

Le chapitre 1 de ce rapport sera consacré à l’étude l’arène des expertspsychiatres, centrale dans la mesure où s’y déploie le mouvement deresponsabilisationdesauteursd’infractionsprésentantdestroublesmentauxquenousseronsamenésàconfirmerdanscerapport.Lesexpertspsychiatressonten

6Définis assez globalement par la spécialisation d’une certaine catégorie professionnelle et une activitédominante.

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effet les«spécialistes»desquestionsrelativesà l’irresponsabilitécarc’esteuxqui sont chargés de l’appréhender. Ils sont sensés véhiculer une conceptiontechnique «aboutie» de l’irresponsabilité pour cause de trouble mental,témoignant de leur professionnalité spécifique. Nous allons décrire cettetendancedesannées1950ànosjours,maiségalementanalyseretexpliquerlesreprésentations qui sous-tendent une pratique «responsabilisante» à l’heureactuelle. Ce chapitre montrera ainsi qu’il a toujours existé une zone dedésaccordsentredesexpertsayantuneapprocheextensivedel’irresponsabilitépour cause de trouble mental et d’autres qui en ont une appréhension plusrestrictive. La spécificité de la période actuelle est une extension desreprésentationsconduisantàunepratiqueplusresponsabilisante.

Le chapitre 2 aura pour objectif d’étudier le positionnement de l’arènedespsychiatresnonexpertsquidiffusedesconceptionstechniques«nonexpertes»surlesquestionsdefolieetd’irresponsabilité.Lesmêmesdissensionsquedansle milieu des experts psychiatres existent-ellesdans l’arène psychiatrie engénéral? Peuvent-ils se répartir entre les deux mêmes pôles de positionslorsqu’ilsfontréférenceàlaquestiondel’irresponsabilitépourcausedetroublemental, que les experts psychiatres? Ont-ils la même technicité pourappréhender cette question? Ces questions nous permettrons d’aborderrétroactivementlaquestiondelaprofessionnalitédesexpertspsychiatressurlaquestion de l’irresponsabilité et du lien qu’elle entretient avec la pratiquecliniqueprincipale.

Les psychiatres défendant des conceptions différentes de l’irresponsabilitépourcausede troublemental s’appuient surdes représentationsopposéesdesmalades de la psychiatrie ayant commis des infractions et du rapport qu’ilsentretiennentavec leur responsabilitémorale.Cespointsdevuedépendentdeleur positionnement idéologique sur la question, mais également de leurpratiquequotidienneetleurexpériencedupatientayantcommisdesinfractionsdans le traitement. On peut ainsi légitimement poser l’hypothèse qu’unpsychiatretravaillantenUnitépourmaladesdifficiles(ouUMD,voirencadré1),qui a l’habitude de prendre en charge des personnes ayant été déclaréesirresponsables par recours à l’article 122-1 alinéa 1, n’aura pas les mêmesconceptionsqu’unpsychiatred’Unitésd’hospitalisationspécialementaménagée(UHSA)oudeServicemédico-psychologiquerégional(SMPR),quial’habitudedeprendre en charge des individus présentant des troubles mentaux ayant faitl’objetd’un jugementpénal.L’influencede l’expérienceconstruiteauseinde lapratique psychiatrique quotidienne est un élément qui sera étudié égalementdanslechapitre2decerapport.

Maisqu’enpensentégalementlespatientsconcernés?Outrelepointdevuedes experts sur la question, l’ambition de cette recherche est égalementd’écouter la parole d’une pluralité d’acteurs confrontés à la question del’irresponsabilité pour causede troublemental.Onpeut par ailleurs envisager

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queleurparoleserabiendifférentedecelledesexperts,carliéeàuneexpériencequi leurestpropre.Cerapportproposede fournir lepointdevuedequelquespatientsauxreprésentationsancréesdansunparcoursbiographiquemarquéparune irresponsabilisationpar recoursà l’article122-1alinéa1duCP.Commentappréhendent-ils la décision dont ils ont fait l’objet? La valorisent-ils ou àl’inverse, la déprécient-ils? Comment envisagent-ils leur placement eninstitution psychiatrique? Auraient-ils préféré être jugés, voire être placés enprison?Cesquestionsferontl’objetduchapitre3decerapport.

Encadré 1 Le placement des personnes souffrant de troubles psychiatriques ayantcommisdesinfractionsenFrance

Lesystèmefrançaisobéitàunestricteséparationdeslogiquespsychiatrique-dontrelèvelapersonne ayant une maladie mentale déresponsabilisée - et judiciaire - dont relève l’individuresponsabledesesactes(CollectifContrast,2015).AuXIXe,laloide1838instaureleplacementdumaladementaldéresponsabilisépénalementdansunétablissementpsychiatrique.Elle créeun asile psychiatrique par département qu’elle place sous le contrôle de l’autorité publique etnon judiciaire. Lorsque lemalademental estdéresponsabilisé, le juge transmet sondossier aupréfetquidécide,avecl’aidedel’autoritémédicale(l’expertayantrenduunrapportd’expertisepsychiatrique faisant office d’avis médical) du placement d’office, s’il estime que l’individucomprometlasécuritépublique.Lasortieest laisséeà l’autoritéadministrativeetmédicalesurdescritèresexclusivementmédicaux.

En1990,puisaveclesloisdu5Juillet2011etdu27septembre2013,l’ancienneloide1838est révisée tout en en reprenant les principes essentiels7. C’est bien plutôt la rénovation dusystèmede soinspsychiatriquesdans le cadrede la réformedu secteur française en1960quiinstaure les changements lesplusnotablespour lesdéresponsabiliséspsychiques,quipeuventêtre placés en services d’hospitalisation classique, mais également en Unités pour MaladesDifficiles (dites«UMD») lorsque lepatient«présentepourautruiundanger telqu’ilnécessitedesprotocolesthérapeutiquesadaptésetdesmesuresdesûretéparticulières.»8

Les personnes souffrant de troubles psychiatriques et déresponsabilisées pour cause detroublementalsontdoncsoumisesàtroismodalitésdepriseencharge:oubienl’étatmentaldel’individuàlafindel’informationjudiciairenenécessiteplusd’hospitalisationenpsychiatrie,etl’individu est libre. Ou bien, l’état psychiatrique du déresponsabilisé psychique nécessite unehospitalisation,quipeutdès lorssefairesoitdansunservicedesoinclassique,s’ilneprésentepasdedangerositéparticulière,soitdansuneUnitépourMaladesDifficiles,danslecasinverse.IlexisteactuellementenFrance10structuresdecetype.Lesquatrepremièresontétéconstruitesentre1910et1963.Les6dernièresdepuis2008,etnotonsquelaloidu5Mai2010aprévulacréationde5UMDsupplémentaires.

Lorsqu’unepersonneayantunemaladiepsychiatriqueestestiméeresponsabledesesactes,peut-elle être soignée en milieu carcéral? Au XIXe, les premières annexes pénitentiairesdestinées aux détenus souffrant de ces maladies sont créées, comme le quartier pour aliénés

7Elles viennent redéfinir les différentes modalités d’hospitalisation en psychiatrietout en conservant ladistinction entre les hospitalisations libres (ou Soins Psychiatriques Libres ou SPL), à la demande d’uneautre personne, i.e.d’unepersonnede l’entouragedupatient oud’unmédecin (SoinsPsychiatriques à laDemanded’unTiersouSPDT,SoinsPsychiatriquesencasdePérilImminentouSPPI,SoinsPsychiatriquesàla Demande d’un Tiers en Urgence ou SPDTU), ou à la demande d’un représentant de l’état (SoinsPsychiatriquesurDécisiond’unReprésentantdel’EtatouSPDRE).8Circulairedu14/10/1986.

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criminelsdeGaillonquifonctionnentde1876à1906.En1967,surl’initiativedePaulHivert,desservices psychiatriques en milieu carcéral, dépendant exclusivement de l’autorité sanitaire,remplacent les annexes psychiatriques: les centres médico-psychologiques régionales (dits«CMPR»). En 1977, 14 voient alors le jour sous l’impulsion de Simone Veil. Quelques litsd’hospitalisation y sont présents, mais ils fonctionnent uniquement sous le régime del’hospitalisationlibre(i.e.àlademandedupatient).Lesdétenusnécessitantunehospitalisationd’office une fois en prison, doivent donc être extraits dumilieu carcéral via l’article D3989ducodedeprocédurepénal et êtreplacésdansun serviced’hospitalisation classiqueouenUMD.Pourtant, face à l’engorgement des UMD et des services médico-psychologiques régionales,remplaçantlesanciensCMPR,(dits«SMPR»)cedispositifestcomplétéparlaloidu9septembre2002quiprévoitlacréationd’unitésd’hospitalisationspécialementaménagées(dites«UHSA»)permettantl’hospitalisationpsychiatriquesansconsentementdesdétenusdirectementenmilieucarcéral. Lesdélinquants et les criminels estimés responsablesde leurs actespeuventdès lorsêtre hospitalisés sans sortir du régime de détention (voir à ce sujet la thèse de CamilleLancelevée,2016).

La quatrième arène étudiée ici est celle des magistrats confrontés à laquestiondel’irresponsabilitépourcausedetroublemental,etplusprécisémentdes juges d’instruction. Le juge est le seul à pouvoir rendre une décision dejusticeconcernantlaresponsabilitéd’unepersonne.Ilnecommetunexpertquepourl’éclairer/«conseiller»,àtitred’auxiliaire(Leclerc,2005),danssaprisededécision(voirencadré2).L’affaired’Outreauen2004adonnélieuàunecritiqueacerbedurapportquisenouaitentreunjugeet«ses»expertsdanslecourantd’une instruction. Si un travail récent a montré que le rapport de connivenceentre jugesetexpertsdevaitêtrefortementrelativisé(Pélisse,Protais,Larchet,Charrier, 2009), la question se pose néanmoins sur les cas spécifiquesquestionnantlaresponsabilitéd’unepersonneprésentantdestroublesmentaux.Ces cas sont en effet suffisamment rares, tout en apparaissant aux yeux decertains juges comme«problématiques», eût égard aux conséquences pénalesqu’ilspeuventavoir–àsavoirl’irresponsabilité–,pourmobiliserlaplusgrandeattention du magistrat. Ces cas vont-ils donc faire l’objet d’un traitementspécifique?Sioui,cecipeut-ilêtremisenlienaveclesorientationsidéologiquesdujugesurlaquestiondel’irresponsabilitépourcausedetroublemental?C’està ces questions que le chapitre 3 aura vocation de répondre en étudiant lesreprésentationsdes jugesd’instructionnourriepar leurs fonctionsencontextejudiciaire.

Encadré2L’expertpsychiatreenjustice

L’expertpsychiatreestinscritsurunelistedresséeparlacourd’appelvalablepourcinqans.Ilpeutêtrecommisparunmagistratdansdescontextesdivers:aucivilouaupénal.Aucivil, il

9«Les détenus atteints des troublesmentaux visés à l'article L. 3214-3 du code de la santé publique nepeuventêtremaintenusdansunétablissementpénitentiaire.Auvud'uncertificatmédicalcirconstanciéetconformémentà la législationenvigueur, ilappartientà l'autoritépréfectoraledefaireprocéder,danslesmeilleursdélais,àleurhospitalisationd'officedansunétablissementdesantéhabilitéautitredel'articleL.3214-1ducodedelasantépublique.»

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peutparexempleêtrenomméparlejugeauxaffairesfamiliales,pourévaluerlacapacitéd’undesparentsàobtenirlagardedesenfants.Aupénal(casquivanousintéresserdanscerapport), ilestcommispourévaluerdanslaplupartdescaslaresponsabilitéd’unindividu,maiségalementpour appréhender l’état psychologique du mis-en-examen ou de sa victime. Il peut ainsiinterveniràdifférentsmomentsdel’informationjudiciaire:àl’ouverture,durantlagardeàvueprincipalement,sileprocureurgénéralestimequel’étatpsychiquedusujetpeutposerproblèmequant à la poursuite du processus pénal; par le juge d’instruction qui demandesystématiquement une expertise pour mettre de côté la maladie mentale comme caused’irresponsabilité pénale. Mais il peut également être nommé par le président des assises oud’unechambrecorrectionnelle,lorsquelemagistratdécided’uncomplémentàl’enquête.

La cinquième arène étudiée est celle des médias délivrant desreprésentationscommunesde la folie. Si un certainnombrede commentateursdumouvement de responsabilisation dumalademental dénoncent la pressionsécuritaire (Rossinelli, 2001) exercée par l’opinion publique, une étudeapprofondiedelapressenouspermettait-elledelamettreenévidence,voiredeladater?Yobserve-t-oneffectivementuneapparitiondelafiguredelavictime(Lameyre,2002),ouencoreuneintolérancedelapartdel’universsocialàvoirunepersonneayantcommisdesinfractionsdemeurerimpunie(Salas,2001)?

Enfin, l’arène gouvernementale, étudiée dans le chapitre 6 de ce rapportcontribueàmettreenplacelecadredanslequell’expertréalisesamission.Lesacteurs la constituant commanditent en effet des rapports, commissionsd’enquête,théoriquementdestinésàaiderlelégislateurlorsqu’ilpromulguedeslois touchantdeprèsoude loin laquestionde l’irresponsabilitépourcausedetroublemental. L’ensembledes lois envigueurencadre l’activitédupsychiatreen général et de l’expert en particulier. Certains commentateurs dénoncentl’orientation «sécuritaire» de la politique actuelle à l’égard de la psychiatrie(Doron 2008, Wyvekenskens 2010, Danet 2008, Jean 2008, Pradel 2008,Leturmy2009,DelmasMarty2010).

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Chapitre 1: La pratique des experts psychiatres ou larestriction du champ de l’irresponsabilité pour cause detroublemental(1950-2014)

ParCarolineProtais

C’estàl’originel’article6410ducodepénalde1810puisl’article122-111dunouveaucodepénalde1992quijustifiel’appelàl’expertpsychiatreparlejugeen France. Sa mission dans le cadre de l’expertise est d’évaluer l’état dudiscernement etducontrôle de l’individuaumomentde son crime. Si cesdeuxfonctions sontestiméescommeabolies(alinéa1de l’article122-1)aumomentdes faits, la personne est estimée irresponsable de ses actes. Si elles sontestiméesseulementaltérées(aliéna2),lapersonnedemeureresponsableetdoncpunissable.C’estprécisémentaucœurdecettedistinctionqueseseraitlogéelatendance à responsabiliser des personnes présentant des troubles psychiquesgraves à l’heure actuelle (Zagury, 2001). D’autres causes sont néanmoinsinvoquées, laissant penser que la tendance interviendrait bien antérieurementaux années 1990. Certains questionnent l’impact d’un mouvementpsychanalytiquevantant lesvertus thérapeutiquesde lapeine,maiségalementune certaine idéologie humaniste souhaitant redonner une citoyenneté aumalade mental via l’attribution de sa responsabilité pénale (Dubec, 2001,Chaumont, 1998). D’autres, lemanque de lits d’hospitalisation temps plein enpsychiatrie (Zagury, 2001). Cette carence conduirait un certain nombre deprofessionnels à responsabiliser certains patients face auxquels ils se sententdémunis dans le cadre d’une prise en charge psychiatrique du fait de leurdangerosité(Rosinelli,2001).D’autresenfinpointentuneplusgrandeattentionportée à la victime (de Beaurepaire, 2004; Gravier, 1995) et son désir de«réparation» faceaucrimecommisparunepersonneprésentantdes troublesmentaux.

L’objectifdecechapitreestdefaireunétatdeslieuxsurlatendanceactuelledesexpertspsychiatresfrançaisà«responsabiliser»despersonnesprésentant

10«Iln’yanicrimenidélitsil’individuétaitenétatdedémenceaumomentdesfaits.»11«N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un troublepsychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. La personne quiétait atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré sondiscernementouentravélecontrôledesesactesdemeurepunissable;toutefois,lajuridictiontientcomptedecettecirconstancelorsqu'elledéterminelapeineetenfixelerégime.»

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des troubles psychiques dits «graves» (i.e. de la lignée de la psychosedécompensée12),toutenlarecontextualisantdansl’histoire.

Pour ce faire, ilpropose:departirde lapratiqueactuelle, enprésentant ladiversité des approches des experts psychiatres face à l’irresponsabilité pourcausedetroublemental(I);dedécrirelatendanceàlarestrictionduchampdel’irresponsabilitépourcausedetroublementaldesannées1950ànosjours(II);demontrercommentlesexpertspsychiatresjustifient/motiventleurspratiques,et notamment leur pratique «responsabilisante»et de questionner le cheminqu’ontparcourucesuniversdejustifications/représentationssurundemi-siècle(III). Comment ont-ils circulé durant le second XIXe, sous l’impulsion de quelsévénements? L’étude de cette question permettra de nous positionner surl’ensemble des causes invoquées par les commentateurs du «mouvement desresponsabilisation»desmaladesdelapsychiatrieayantcommisdesinfractions.

Ainsi,l’idéegénéraledecechapitreestd’expliquerl’évolutiondelapratiquedel’expertiseparlesreprésentationsdesexpertspsychiatres.Nousverronsquesicertainesd’entreellessontconstantesavecletemps,ellesn’ontpourtantpaslamêmediffusiondansl’universprofessionnelpsychiatrique.C’estl’extensiondecertaines représentations prônant la responsabilisation des personnesprésentantdestroublesmentauxquipermettentd’expliquerl’étatdelapratiquedel’expertiseàl’heureactuelle.

Cechapitreentendainsicompilerdesmatériauxd’enquêtevariésaccumuléssurunelonguepériode:celuiamassédanslathèsedeCarolineProtais(Protais,2011, 2016) et celui qui a été récolté grâce au budget de la mission Droit etJusticeduGIP-justice(appelàprojet2013)dontl’objectifétaituneactualisationdesrésultatsdelathèse(voirencadré1etannexeméthodologique).

Nousdémontreronsainsiquedesannées1950ànosjours,lechampcliniquedel’irresponsabilités’estprofondémentrestreint,cettetendanceseprolongeantencoredenos jours.La responsabilisationdespersonnessouffrantde troublespsychiatriquesetcriminellessejustifientdepuislesannées1970parunsystèmede représentations (que nous appellerons «répertoire») qui souhaitereconnaître les intérêts des victimes, tout en ventant également les vertushumanisanteset thérapeutiquesde la reconnaissancederesponsabilitépénale.Cesystèmeaétéconstituéaulendemaindelasecondeguerremondialeets’estgénéralisé par la suite sous l’impulsion des critiques de la psychiatrie, del’expositiondel’usagepolitiquedelaprofessionenex-URSS,delaréductiondes

12La psychose est une maladie cyclique. Elle est dite «décompensée» pour renvoyer à un état aigu duprocessus pathologique. Elle semanifeste alors par des signes cliniques dits «positifs» comme le délire(«construction intellectuelle non conforme à la réalité et à laquelle le sujet apporte une croyanceinébranlable»(Porot,1969))oùladissociation(étatdedéstructurationdelapensée).Danslesphasesditesde «rémission» de la psychose, où la personne semble «aller mieux», l’affection se manifeste par dessignesdits«négatifs»,commeunefroideurducontactetunecertaineanesthésiedusentiment.Voirplusgénéralementleglossairedesprincipalesnotionspsychiatriques.

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litsd’hospitalisationenpsychiatrieetde lamontéeenchargede la figurede lavictimedepuislesannées1970.Noustermineronsparunquestionnementsurlamutation de ce système de représentations vers un répertoire de la défensesociale(voirencadré3)dansunepériodetrèsrécente.

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Encadré1:lesdifférentsmatériauxd’enquêteutilisés

Sansentrerdansledétaildel’annexeméthodologique,ilestutileàceniveaudedétaillerlesdifférentsmatériaux utilisés dans le cadre de ce chapitre, tant ses conclusions tiennent à leurcroisement.Ilsserontdétaillésenfonctiondesdifférentesétapesdelaréflexioneffectuéedanscechapitre.

Etudedelapratiquedel’expertisedanslapériodeactuelle:

- matériau de thèse: 50 expertises, certaines concluant à l’irresponsabilité pour cause detroublemental(étudiéesentre2000et2007),certainesconcluantà laresponsabilitémalgré laprésencede troublespsychiqueséquivalentsauxpremièresexpertises (étudiéesentre2000et2009);explorationdelapratiquede29expertspsychiatresàl’aided’entretiensmenésen2009.

-matériaudel’enquêteGIP:10dossiersconcluantàl’irresponsabilitépourcausedetroublemental (étudiées entre2007et2014); 17dossiers concluant à la responsabilitédepersonnesprésentantdestroubleséquivalents(étudiéesentre200413et2012).

Etudedelapratiquedel’expertisedepuis1950:

-matériaude thèse: 270expertises, certaines concluant à l’irresponsabilitépour causedetroublemental(étudiéesentre1950et2007),certainesconcluantà laresponsabilitémalgré laprésencede troublespsychiqueséquivalentsauxpremièresexpertises (étudiéesentre1950et2009);explorationdelapratiquede29expertspsychiatresàl’aided’entretiensmenésen2009.

-matériaudel’enquêteGIP:10dossiersconcluantàl’irresponsabilitépourcausedetroublemental (étudiées entre2007et2014); 17dossiers concluant à la responsabilitédepersonnesprésentantdestroubleséquivalents(étudiéesentre2004et2012).

-matériau communauxdeux enquêtes: exploitation statistiquedes annuaires statistiquesduministèredelajustice.

Etudedesargumentspermettantdejustifierdespratiquesdifférentesdel’irresponsabilité:

-matériaudethèse:29entretiensavecdesexpertspsychiatresinterrogésen2009;analysede 509 articles exploités entre 1950 et 2005dans l’Information psychiatrique, L’évolutionpsychiatrique,lesannalesmédico-psychologiques,lescongrèsannuelsdesmédecinsaliénisteetdespsychiatresdelanguefrançaise.

-matériaudel’enquêteGIP:10dossiersconcluantàl’irresponsabilitépourcausedetroublemental, 17 dossiers concluant à la responsabilité de personnes présentant des troubleséquivalents, 58 résumés d’articles issus de la presse psychiatrique récoltés via les bases dedonnéesmedline,FrancisetPascalentre2005et2014.

I. Pratiquesd’expertsàl’heureactuelle

DepuisleXIXesiècle,lemondedel’expertiseestdiviséentrecertainsexpertsquiconsidèrentqueleprinciped’irresponsabilitépourcausedetroublementaldoits’appliquerd’unemanièreassezlargeetd’autresquiprônentuneapprocheplus restreinte de ce principe. Ce constat révèle la grande labilité des

13Lecritèred’inclusiondesdossiersdansl’enquêteGIPétaitqueladécisionintervienneàpartirde2009.Néanmoins,dans lecasd’affairesayant fait l’objetd’un traitementpénalassez long,oùdifférentsexpertsont été nommés, certaines expertises marginales remontaient à une période antérieure à 2009, la plusvieilledatantde2004.

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interprétations des psychiatres experts. Dans la période actuelle, s’opposentainsi certains qui rendent des rapports allant dans le sens de l’application del’article 122-1 alinéa 1 plusieurs fois par an, à d’autres qui sont amenés àconclureà l’irresponsabilité très rarement (unepetitedizainede foisdansunecarrière d’expert d’une vingtaine d’années). L’émergence de cette dernièrecatégoriequirestreintconsidérablementlechampd’applicationdel’article122-1 al. 1 est une caractéristique de la période actuelle. Nous allons dans unpremier temps décrire les différentes conceptions de l’irresponsabilité pourcausedetroublementalàl’heureactuelle(1),pourensuitepréciserl’universdereprésentations auxquelles elles renvoient (2). Nous verrons que la manièredontl’expertconçoitlaresponsabilitéenlienavecdestroublesmentauxdénotedesareprésentationdelamaladiepsychiatriqueetdelamanièredontellealtèreou non la liberté de la personne. Certains mettent également en place des«stratégies»utilespournepasconclureàl’alinéa1del’article122-1.C’estparladescriptiondecesmanièresdefairestypiquesdesexpertsplutôtdéfavorables,voire clairement opposés, au principe d’irresponsabilité que nous finirons pardécrire(3).

Encadré2.Comprendreletravaildel’expertlorsqu’ilévaluelaresponsabilitéd’unmis-en-examen

Uneexpertisepsychiatriqueestuneréponseà lacommanded’un juge justifiéepar l’article122-1ducodepénaletl’articleC345ducodedeprocédurepénale14.Voiciles6questionslesplusgénéralementposéesparlejugeàl’heureactuelle:

«1)L’examendusujetrévèle-t-ildesanomaliesmentalesoupsychiques?Dansl’affirmative,lesdécrireetpréciseràquellesaffectionsellesserattachent.

2)L’infractionquiluiestreprochéeest-elleenrelationavecdetellesanomalies?

3)Lesujetprésente-t-ilunétatdangereux?

4)Lesujetest-ilaccessibleàlasanctionpénale?

5)Lesujetest-ilcurableouréadaptable?

6) Le sujet était-il atteint aumoment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychiqueayantabolioualtérésondiscernementoualtérélecontrôledesesactesausensdel’article122-1ducodepénal?»15.

Avant 1992, l’article 64 était en vigueur (à la place de l’article 122-1), et la majorité desmagistrats jusque dans le courant des années 1970, n’incluaient pas les questions de l’articleC345.Ilsselimitaientdoncgénéralementàdeuxquestions:

14 Le code de procédure pénale de 1958 reprend la mission de l’expertise psychiatrique en y ajoutant quatre questions : l’individu est-il curable ? Réadaptable ? Présente-t-il un état dangereux ? Est-il accessible à une sanction pénale ? Ces questions ont été fortement contestées au titre qu’elles élargissent le rôle de l’expert psychiatre et qu’elle l’immisce sur des problématiques criminologiques. Pour un aperçu de ces critiques, voir Landry, 1977. 15 Une question subsidiaire existe pour les personnes susceptibles de faire l’objet d’un suivi socio-judiciaire comme les délinquants sexuels, mais elle reste secondaire par rapport à notre objet d’étude.

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1)L’individuétait-ilenétatdedémenceaumomentdesfaits?

2)Préciserledegréderesponsabilitédumis-en-examenaumomentdesonacte?16

Toutefois des années 1950 aux années 2000, le raisonnement que l’expert doitthéoriquementélaborerresteàpeuprèslemême:1) L’expertdoitdansunpremiertempsposerundiagnosticaumomentdel’expertise.2) Ildoitdansundeuxièmetempsenvisagerlelienqu’ilexisteentrelediagnosticautempsde

l’expertiseetlecrime(question2).Pourcefaire,ilposeundiagnosticaumomentdesfaits,appeléassezcommunémentle«diagnosticrétrospectif».

3) Sur cette base, le psychiatre doit évaluer le lien qui peut être établi entre le diagnosticrétrospectifetl’infraction.

4) Cettequestions’articulealorsdeprèsà laquatrièmeétapeduraisonnementexpertaloù ils’agit de résoudre la question de la responsabilité pénale en lien avec un troublemental.Dans la période actuelle, l’expert doit mettre en évidence l’état précis (il faut, nous lerappelons,distinguerl’abolitiondel’altération)desfonctionsdecontrôleetdediscernementdel’individuaumomentdesoncrime.En1950,ildoitdistinguerl’étatdedémencedel’état«normal»,voiredesniveauxderesponsabilité.

5) Dans la période actuelle, il devra enfin résoudre les quatre questions «annexes» -dangerosité,réadaptabilité/curabilité,accessibilitéàlasanctionpénale.

1. Desconceptionsdifférentesdel’irresponsabilité

Lapériodeactuelleestcaractériséepardespratiquesvariantenfonctiondesexperts psychiatres. Beaucoup ont des conceptions différentes del’irresponsabilitépourcausedetroublementalqu’ilsappliquentàdifférentscascliniques. Voici la manière dont les 29 psychiatres experts interrogés dans lecadre de la thèse (Protais 2011, 2016) définissent le champ de l’article 122-1alinéa1ducodepénal:

16 Cette question prend acte de la circulaire Chaumié de 1905 qui demande à l’expert d’évaluer le

degré précis de responsabilité chez le mis-en-examen : « Il importe que l’expert soit mis en demeure d’indiquer avec la plus grande netteté possible dans quelle mesure l’inculpé était, au moment de l’infraction, responsable de l’acte qui lui est imputé. Pour atteindre ce résultat, j’estime que la commission devra toujours contenir et poser d’office, en toutes matières, les deux questions suivantes :

1) Dire si l’inculpé était en état de démence au moment de l’acte, dans le sens de l’article 64 du code pénal. 2) Dire si l’examen psychiatrique et biologique ne recèle point chez lui des anomalies mentales ou psychiques de nature à atténuer dans une certaine mesure sa responsabilité. (...) ». Cette circulaire devait remplacer l’article 64 mais elle demeurera inappliquée à cause des importantes controverses qu’elle a soulevé dans le milieu de l’expertise.

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Figure1-Pratiquesdel’irresponsabilitéchez29expertsinterrogésen2009Source:Protais,2011.

Croisé à l’étude des expertises de la période actuelle (voir encadré 1 etannexe méthodologique), le graphique 1 permet de distinguer 9 manièresdifférentes d’appréhender l’irresponsabilité pour cause de trouble mental.Certains vont plutôt dans le sens d’une association entre irresponsabilité ettroublespsychotiques,làoùd’autresessaientdesoutenirlaresponsabilitédelapersonne dans lamajorité des cas. Plus précisément, les experts 29 à 17 sontamenésàconclureenl’applicationdel’article122-1al.1.plusieursfoisparan;lesexperts12à1quelquesfois,voiretrèsrarementdansleurcarrièred’experts;les experts 18 à 13 constituentdes cas intermédiaires.Nous regrouperons cesprofessionnels en sept grandes catégories de raisonnement, en regroupant lesdeuxpremièrescatégoriesd’expertsprésentésdanslafigure1(enpartantd’unelecturedehautenbas)etlescatégories5et6.Cesprofessionnelstémoignenteneffetderaisonnementsprochesqu’iln’estpasnécessairededistinguer.Nouslesprésenterons ici ces sept formes de raisonnement en allant des approches lesplus«déresponsabilisantes»auxplus«responsabilisantes»-i.e.duhautverslebasdugraphique.

La première catégorie d’experts (experts 29 à 26) témoigne d’unraisonnement de type «diagnostique». Ces derniers associent strictement unevignettecliniqueà l’étatd’irresponsabilitépourcausede troublemental. Ilsneprocèdent pas en un raisonnement spécifique sur l’état des facultés dediscernementetdecontrôledumis-en-examendistinctedel’évaluationclinique,tel qu’y invite l’article 122-1 du CP (voir encadré 2). Ils vont ainsi conclure à

Tendance déresponsabilisante

Tendance responsabilisante

Y compris si psychose stabilisée

Y compris si héboïdophréne

Dont l�infraction est en lien avec la maladie

Sauf si paranoïaque Sauf si tentative de manipulation

Sauf si motivation rationnelle

Irresponsable en état de

décompensation psychotique

Sauf si hallucination

Sauf si inconscience des interdits

Toujours

Responsable

!  29

!  28 !  27 !  26

!  25 !  24 !  23 !  22 !  21 !  20 !  19

!  17

!  18

!  16 !  15 !  14 !  13

!  12 !  11 !  10 !  9 !  8

!  7 !  6

!  5 !  4 !  3 !  2 !  1

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l’alinéa 1 de l’article 122-1 lorsqu’ils peuvent poser le diagnostic de psychosedécompensée,maiségalementdepsychosestabiliséeoud’héboïdophrénie(voirannexedesnotionspsychiatriques).Cesdeuxdernièresvignettescliniquessontdeux affections mentales qui ne se manifestent pas par des troublespsychotiques évidents (dits «positifs» dans le vocable psychiatrique, tels ledélire ou ladissociation, voir annexedesnotionspsychiatriques), évoquantdemanière claire l’état de «folie». Ces experts sont également amenés àdéresponsabiliser des personnes présentant des «débilités mentalesprofondes». Ces cas sont toutefois beaucoup plus marginaux dans le flot despersonnesquelespsychiatresontàexpertiserquelespersonnesprésentantdes«psychoses». Notons que les professionnels interrogés ne font entrer aucunautretypedetroubledanslechampdel’irresponsabilité.

Cette manière d’appréhender l’irresponsabilité en fait des experts qui ontune conception très large de l’irresponsabilité pour cause de trouble mental,pourl’époqueactuelleentoutcas(voirinfra).Cettecatégoriedeprofessionnelsestégalementbienvisibledans lematériaud’enquêteGIP.Analysons lecorpusdes8affairesconcluantenl’applicationdel’article122-1alinéa1trouvéesvialesite légifrance (voir encadré1, voir infra chapitre4 tableau2): dansdeuxdesquatre casoù lediagnosticde schizophrénieestposé, lesexpertsmentionnentégalement une composante «héboïdophrénique», et dans un autre cas, laschizophrénieestconsidéréeenvoixderémission.Cettecatégoried’expertsseretrouveaussiparmiles10dossiersconcluantàl’irresponsabilitépourcausedetroublementalétudiésentre2007et2014(voirinfratableau1).Dansquatrecaslepsychiatreconclutà la schizophrénie, sansprécisersi l’affectionestdansunétatdécompenséounon,commesicelaimportaitpeuàsesyeux.

La deuxième catégorie d’experts (expert 25 à 19) sortent du raisonnementstrictement «diagnostique». Ils considèrent qu’il ne faut pas seulement quel’individu soit dans un état de décompensation psychotique pour êtredéresponsabilisé.Ilfautégalementqu’unlienpuisseêtreétablientrelamaladiementale et l’acte commis. Dans le cas de M. Furet17par exemple, accusé dumeurtredesamèreen2014,parexemple,l’expertexplique:

«Ilconsidéraitquesamèreétaitlediable,quesoncomportementetsesproposétaientdestinésàluinuire,àluiporterpréjudice,àanéantirsavie.Ilapparaîtainsiquelesujetdéveloppait une décompensation psychopathologique aigue caractérisée parl’expressiond’unsyndromededissociationintrapsychiquedelapensée,leconduisantàfonctionner ainsi essentiellement sur un mode interprétatif, sa mère étant définiecomme un mauvais objet qui devait disparaître pour lui permettre de connaître desmodalités psycho-existentielles plus calmes et plus harmonieuses. (…) Ainsi de telstroubles psychopathologiques graves du cours de la pensée paraissent s’inscrire dansl’expression de l’évolution d’une très probable maladie psychotique, à type deschizophrénie de type paranoïde ayant ainsi favorisé et facilité l’expression et le

17Lesnoms,datesetlieuxontétémodifiéspourobteniruneanonymisationdesdonnéesmaximales.

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développementdudéterminismecriminogènede sonpassageà l’acte criminelde typematricide.»

Ces experts décrivent bien le lien entre les symptômes occasionnés par lapathologie et le crime.Pour illustrer le casd’unepersonne,ne relevantpasdel’irresponsabilité, tout en étant tout de même en état de décompensationpsychotique,cespsychiatresprésententgénéralementl’exempled’unepersonnedélirantequivoleraitdel’argentàdesfinsutilitaires.Levold’argentnerelevantpas de la dynamique pathologique, cet individu resterait responsable de l’actedélictueuxcommis.

La troisième catégorie d’experts (expert 17) prône l’irresponsabilité despersonnes en état de décompensation psychotique, à l’exception des individusatteints d’une psychose paranoïaque délirante 18 . Le délire propre à cetteaffection mentale est en effet caractérisé par une cohérence qui lui donnel’apparencedelarationalité.Cetypedesymptômesconduitcertainspsychiatresà considérer que le paranoïaque a choisi de commettre un crime car il estrationnel,etainsiàlereconnaîtreresponsablepénalement.

«Jesaispastropcommentvousdire.Leparanoïaquepourmoic’estpascommelegrandschizophrènedésorganisé.Ilestlogique,ilestcohérent,ilchoisitleschosesfroidement»(expertpsychiatrehospitalier,62ans).

Laquatrièmecatégoried’experts(expert18à13)iraencoreplusloindansleraisonnement précédent, en le généralisant. Pour ces professionnels,l’irresponsabilité s’applique à toutes les personnes en état de décompensationpsychotique,à l’exceptiondecellesqui tententdemanipuler leurauditoire,ouverbalisant des motivations rationnelles en entretien. Cet argument conduitcertainsexpertsà responsabiliserdespersonnesprésentantuneschizophréniedécompenséedontlediscoursestcohérent,commel’expert17lefaitlorsqu’ilestamenéàexpertiserunindividuprésentantuneparanoïadélirante.

Prenonsl’exempleducasdeFrédéricRé,largementétudiédanslathèse,quia tué les deux éducateurs en charge de ses enfantsen 2000: un des expertscommis sur son affaire explique que lemis en examendonne des explicationsrationnelles à son crime, souhaitant se vengerd’unepersonne l’ayantprivédesonrôledepère.Ceconstatjustifieàsesyeuxsaresponsabilisationàunniveaupénal.Voicicequ’ilnousexpliquelorsqu’onleconfronteàcecasenentretien:

«Y’a des schizophrènes dans un état délirant complet qui organisent très bien leurcrime! Un schizophrène ne boit pas son coca par l’oreille! » (expert psychiatrehospitalier,63ans).

18Ilfautàcetégarddistinguerdanslasémiologiepsychiatrique:la«personnalitéparanoïaque»désignantune structuration de la personnalité interprétant à mauvais escient certains éléments disparates de laréalité,dudélireparanoïaquevéritablementconstitué,basésuruneintuitiondéliranteetorganiséensuitedemanièrecohérenteautourd’unethématiqueunique.

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Cette phrase permettait à cet expert de montrer que même les personnespouvant être considérées comme les plus «malades» par la psychiatrie sontcapablesdecohérenceetderationalité,etqu’ellesdemeurentdonc(àquelquesraresexceptionsprès)responsablesdeleursactes.Al’inverse,lepremierexpertconclut à l’irresponsabilité de Frédéric Ré. Il considère en effet que lesmotivations invoquées étaient inscrites dans le faisceau délirant, quoiqu’ayantl’apparence de la rationalité. Ce constat de «décompensation psychotiqueaiguë»enlienaveclepassageàl’actejustifiaitàsesyeuxladéresponsabilisationdumisenexamensurleplanpénal.

La cinquième catégorie d’experts (expert 12 à 18) considèrent que lamajorité des personnes en état de décompensation psychotique demeurentresponsabledesesactes,endehorsdespersonnesdontlecrimeestenlienavecdeshallucinationsinjonctives(voix,visions,etc…).

«La petite voix c’est une voix intérieure de la conscience, mais ce n’est pas unehallucination»(expertisedeVerre,accuséd’homicidevolontaireen2001).

Lecasparadigmatiquedecetypedepositionnementestceluid’unepersonnetuant son co-détenu, «ses» voix lui disant que seul lemeurtre lui permettraitd’échapperà lapersécutionsubie.Lesexpertsquiprônentcetteconceptiondel’irresponsabilité reconnaissent en effet que ces cas sont peu fréquents parmil’ensembledespersonnessousl’emprised’unedécompensationpsychotique.Ilssontdoncamenésàconcluretrèsrarementenl’article122-1al.1.

Lasixièmecatégoried’experts(experts7et6)considèrequelamajoritédespersonnesenétatdedécompensationpsychotiquedemeureresponsabledesesactes, à l’exception de ceux qui, au sein du délire, perdent la conscience desinterdits fondamentaux. Reprenant par coïncidence le cas de M. Furet, lepsychiatre ci-dessous explique comment ce dernier relèverait, selon lui del’irresponsabilité:

«Vousavezlecasd’unschizophrènequidit:jesuisLuciferetmamèreestDieu,etDieuadécidéd’anéantirlemonde.SijenetuepasDieu,lemondeseraanéanti.Iltuesamère.Qui pourrait dire qu’il n’a pas délibéré avec lui-même?» (expert psychiatre, 61 ans,interrogédanslecadredelathèse).

Le critère discriminant pour ce professionnel est celui du discernementmoral: à partir dumoment où lemis-en-examen conserveune consciencedesinterditsfondamentaux,ycomprisauseindudélire, ilresteresponsabledesesactes.

Laseptièmecatégoried’experts(experts5à1)sontradicalementopposésàl’irresponsabilité. Ils s’y opposent pour des raisons idéologiques sur lesquellesnousreviendrons.Certainsd’entreeuxn’ontjamaisconcluenl’article122-1al.1danstouteleurcarrièred’experts:

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«Bonlàsouslapressiondemoncollègue,onaconcluau122-1,maisd’habitudej’ysuistrèsréticente.Sij’aiprononcédeuxirresponsabilitésdansmaviec’estdéjàbeaucoup!»(expertpsychiatrehospitalier,57ans,interrogédanslecadredelathèse).

2. Des représentations différentes de l’effet de la maladie mentale sur lepsychisme

Ces différentes appréhensions de l’irresponsabilité dévoilent desreprésentations différentes de l’effet de la maladie mentale sur le psychismehumain. Les psychiatres interrogés relient eux-mêmes la question del’irresponsabilité à celle de la définition de la pathologie psychiatrique enentretien. Nous rapprocherons dans cette sous-section ces différentesreprésentationsauxseptcatégoriesderaisonnementquenousvenonsdedécriredans le 1). Lorsque nous évoquons ici la «maladie mentale», nous faisonsréférenceàlapsychose,puisquelespersonnesprésentantdespsychosessontlesprincipauxcasàêtreirresponsabilisésdanslapériode2000-2010.

Uneapprocheenglobanteetfixistedelamaladiementale

Lesexpertsquitémoignentd’uneapprochediagnostiquedel’irresponsabilité(expert 29 à 26), i.e. qui préconisent de l’appliquer à toutes les personnesatteintesd’unepsychose,qu’ellesoitdansunétatdécompenséounon,endossentune conception englobante et fixiste de cette entité pathologique. Englobante,danslamesureoù,quelquesoitledegréetleniveaud’altérationdesfonctionsqu’elle occasionne sur la personne, la présence de ce type de trouble mentalréduirait l’ensemble de la personnalité au déterminisme pathologique. End’autres termes, que l’affection mentale influence la personne dans soncomportement ou dans ses pensées reviendrait au même; sa personnalitédemeureraitglobalementaltéréeparleprocessuspsychotique.Fixiste,puisqu’àpartirdumomentoùl’individupeutêtreconsidérécommeatteintdepsychose,ilapparaitraitinfluencédanssonfonctionnementpsychiqueglobalsurunelonguepériode,voiresurl’ensembledesavie.

Dans le cas deM. Elias, par exemple ayant tué l’ensemble de sa famille en2012,lepsychiatreexplique:«M.Eliassavaitcequ’ilfaisaitausensoùiln’étaitniconfusnisousl’emprised’undélire,maisiln’étaitpasenmesuredecontrôlersesactes.»Lasymptomatologiepsychotiqueestbienconsidéréecommeunétataltérant la personne dans son ensemble, même si elle n’influence pasdirectementsaperceptionintellectuelledumondequil’entoure.Onesticifaceàunereprésentationenglobantedelamaladiementale.

Dans l’expertise pour homicide deM. Dit, l’expert explique : «Lemode dedébutdelamaladieestàmonsensassezancienetl’ensembleducomportementdusujetdoitêtre interprétécommeétant liéà lamaladiementaleauthentique

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dontilestatteint.»Lapsychoseestainsiconçuecommeuneentitéinfluençantlapersonne sur le long terme. On est bien face à une conception fixiste de lapathologiepsychiatrique.

Ladécompensationpsychotiquecommeétataliénantlapersonneauglobal

Pour les experts de la deuxième catégorie (expert 25 à 29), ce n’est pas lapsychose en général qui est conçue comme un état aliénant la personne,maisl’étatdedécompensationentantquetel.Dans lecasdeM.Giraudparexempleaccusé de viols en 2010, le point important du raisonnement des expertsconsiste à démontrer qu’il était bien dans un état de décompensationpsychotique au moment des faits. Ils expliquent notamment que lasymptomatologie «était très active au moment de la commission des faits,commel’attestaitd’ailleurscertainesdéclarationsdelavictime.Ilsetrouvaitenruptureavec la réalité.Les faits reprochésau sujet étaientdirectementen lienavec les troubles psychiatriques présents et actifs au moment de leurcommissionetresponsablesdel’abolitiondesondiscernementetducontrôledesesactes.»

Ceraisonnementtémoignebiendel’idéesous-jacenteselonlaquellel’étatdedécompensation psychotique engage d’emblée un rapport à soi-même et à sesactesentravé.C’estexactementlemêmetypedereprésentationqueprésentéci-dessus, mais appliqué à la décompensation psychotique et non à la psychosesoustoutessesformes.

La scission de la personnalité en certaines zones prises dans le processuspathologiqueetd’autresquinelesontpas

Pourtantcertainsexpertsdecettecatégorieontunevision légèrementplusrestrictive.Ilsenvisagentquelapsychosenedéterminepasl’ensembledesactesd’une personne, mais uniquement ceux qui sont en lien avec les symptômespsychotiquespositifs(délire,dissociation)qu’elleoccasionne.

DanslecasM.Memmi,parexemple,ayanttuésacompagneen2009,l’expertexpliqueque«l’élaborationetl’expressiondelapenséesetrouvaitparasitéeetcompromisepar laproductionfleuried’undéliredemécanismeinterprétatoireet intuitif à thèmedemalveillance,depersécution (…)».Cetétatest considérécomme aliénant par l’expert: le processus pathologique altère certainesperceptionsde lapersonne,et lavictimeétait justementconçuepar lemis-en-examencommelepersécuteur.Laperceptiondelavictimeétaitdoncdélirante.L’individupeutdefaitêtreconsidérécommeirresponsabledesesactes.Celienentre le crime et les symptômes occasionnés par lamaladiementale est pourcertains la condition sinequanone pour que la personne entre dans le champd’application de l’article 122-1 al.1. La personne atteinte par la psychose, ycompris décompensée, n’est pas considérée comme déterminée en soi. Sa

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personnalitéestperçuecommescindée:entre lesparties«prises»dansetparleprocessuspathologiqueetd’autresquiresteraientindemnes.

LecasdeM.Melouaccusépourlehold-updelabanquedanslaquelleilétaitemployéen2000 illustreparfaitement le typedecas inverse, i.e.sur lequel lesexperts vont considérer que la partie de sa personnalité ayant commis l’acterestait «saine». Aumoment de l’examen, l’expertmet en évidence un «délireparanoïaque extensif en secteur». La personne allègue avoir fait l’objet demenacesdelapartdesesemployeurs,cepourquoiilauraitcommiscetacte.Laquestionposéeparlecollèged’expertsayantexaminéM.Mélouestlasuivante:

«Surleplandelaresponsabilité,deuxraisonnementsmédico-légauxsontcohérents:-Diagnosticdeparanoïa sensitiveavec lesélémentsdélirantsamenantà l’abolitiondudiscernementouconsidérantquelesélémentsdeniveaudélirantsontprévalentsdanslapériodeconsidérée;etqu’ilssous-tendentl’acte.- Diagnostic de paranoïa sensitive avec existence d’éléments délirants de façonchroniqueensecteur;maisappréhensiondupassageàl’actecommemotivéparundésirdefairepeur(selonlesujet)poursevengerd’unehumiliationsubie; ladynamiquedupassageàl’actes’inscrivantdonclàdanslechampd’uneaffectivitécompréhensible,lesélémentspsychopathologiquesvalantalorsaltérationdudiscernement.(…)Audemeurant,entouterigueurmédico-légale, lesujetrelèveparfoisde l’abolitiondudiscernement,etparfois iln’enrelèvepas.L’essencemêmede l’article122-1estdemettreenrelationunétatmentalàunmomentdonnéetl’infractionquiaétécommise.C’estdoncl’analysedespassagesàl’actequis’avèredéterminante»

«Quelestdonc l’universmotivationnelquiaconduitaupassageà l’acte?»,sedemandel’expert.L’ambiguïtésurlecasdeM.Mélouestbienqu’ilallègueunsentiment de persécution, en même temps qu’un sentiment de vengeance àl’égarddesonpatron.Danslepremiercas, lamotivationducrimeserévèleraitêtredenaturedélirante,maispasdanslesecond.Lesdeuxordresdemotivationétant mêlés dans le discours du mis-en-examen, l’expert hésite. Il finira parvaloriser les motivations rationnelles pour soutenir la responsabilité de M.Mélousurleplanpénal.

Aliénationetdésorganisationtotaledelapensée

Les experts de la troisième et quatrième catégorie (expert 17 à 13)considèrent que seul l’état de décompensation psychotique «grave», i.e. quiengage une déstructuration et une désorganisation totale de la pensée engagevéritablement un état d’aliénation. C’est précisément le cas des experts quiconsidèrent que les malades valorisant des motivations rationnelles etlogiquement construites ne sont pas irresponsables. Aussi, seuls les déliresoccupant une part très importante de la vie psychique, qui occasionnent uneconception absolument biaisée de la réalité seraient conçus commevéritablement aliénants. Le cas deM. Verre, qui est pourtant reconnu commeatteint d’une psychose paranoïaque n’est pas irresponsabilisé pour la raisonsuivante:

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«Iln’estpasprisdansuneinterprétationcomplètedumondedanslaquelleilsedébat»,(expertisedeM.Verreaccuséd’homicidevolontaireen2001).

On voit bien ici que le délire doit être très «envahissant», doit engloberintégralement lechampdeperceptionsdumis-en-examen,pourêtreconsidérécommealiénant.

Toujoursirresponsables,àquelquesexceptionsprès…

Onenarrivedoncàdesexperts(expertsdelacinquièmeetsixièmecatégorie,soit les experts12à6)qui considèrentque,dans lamajeurepartiedes cas, lapsychosedécompenséen’estpasunétataliénant.D’ailleurs,laformequeprendlesrapportsdecesprofessionnelsestcaractéristique:danslamajoritédescas,ils détaillent un certain nombre capacités préservées chez le malade, pourdémontrerinfinequ’ilconserveunrapportàlaréalité,àlui-mêmeetàsesactessatisfaisant, en tout cas suffisamment pour passer en jugement. Le fait deconserverunsouvenirdelasituationcriminelle,dedévelopperunestratégiededéfense, de conserverune consciencede l’interdit, d’être capabled’adaptation,de raisonnement et d’entrer en lien avec les autres sont quelques-unes descapacitéssusceptiblesd’êtrevaloriséesparcesexperts.

«Lestroublesluiontd’ailleurspermisd’exercersonmétieretdeconserverunecapacitéd’adaptationminimale. (…) les troubles présentés par le sujet n’ont pas de caractèrepermanent de gravité majeure; ils sont susceptibles de bénéficier de transitoiresrémissions partielles. Le sujet garde une relation partielle avec la réalité, de qualité etd’intensitévariable,maisd’efficacitérelative.Ilgardedecefaitdescapacitésdejugementet de réflexion pouvait être adaptées et pertinentes mais susceptibles de gravesaltérations dans des phases pathologiques. Pour ces raisons, il garde une capacité dejugement le rendant partiellement accessible à une sanction pénale» (expertise de M.Ferdinan,accusédumeurtredesonfils,en2009).19

Dans cette expertise, une capacité minimale d’adaptation et decompréhensiondelaréalitéjouedanslesensdelaresponsabilisationdumis-en-examen. Les experts 12 à 8 affirment néanmoins que les hallucinations ou lesdélires injonctifs constitueraient des exceptions. Ces deux symptômes nelaisseraient en effet aucune prise au malade pour se raccrocher à desperceptionscommunémentpartagées.Leshallucinationssesubstituenteneffettotalement à une appréhension «juste» de la situation. Généralement ellesprocurent également à l’individu une telle souffrance, qu’il est quasimentimpossible de leurs résister. Ces experts se questionnent ainsi sur le degré decontrôlequelapersonneconserveauseindesondélire.

Les experts 6 et 7 en viendront alors à considérer, nous l’avons vu, qu’endehorsdesquelquesrares,voirehypothétiques,casdanslesquelslespersonnes

19Lespassagesmisenitaliquessontsoulignésparnous.

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perdent la conscience des interdits fondamentaux, la personne demeureresponsabledesesactes.

Danstouslescas:laresponsabilité

Certains psychiatres, comme les experts 5 à 1 semblent également désirerque l’expertisé soit responsabilisé coûte que coûte par la justice. Ils valorisentainsi le fait que la personne réclame sa responsabilité ou est en mesure, aumoment de l’information judiciaire, de répondre de ses actes. Ces experts sedétournentdoncd’uneréflexionsurlediagnosticaumomentdesfaits,tellequ’yinvitepourtantlaformulationdel’article122-1alinéa1(voirencadré2)paruneréflexion sur l’état de la personne aumoment de l’examen. Or lamajorité despersonnesprésentantdes troublespsychotiquessontmisessous traitementaumomentdeleurexpertise.Eneffet,danslamajoritédescas,cesmisenexamensont placés endétentionprovisoire, dansun établissementpénitentiaire où ilssont, la plupart du temps, pris en charge par l’équipe médicale. Mis sousneuroleptiques,lestroublessontainsiatténuésaumomentoùilsrencontrentlepsychiatre expert. Ce dernier peut alors en conclure que la personne peut àprésentêtrejugéeparlajustice.DanslecasdeM.Verreànouveau,undescinqprofessionnelscommissurcetteaffaireexplique:«avoiràrépondredesesactesdevant la justice, Verre en est à présent capable». C’est sur cette base-là,indépendammentdel’étatdelapersonneaumomentdesfaits,quel’expertrendunavisconcluantàlaresponsabilité–quoiquepartielle–dumis-en-examen.Laresponsabilité semble dès lors érigée en «bien en soi» (Dodier, 2003) àpoursuivredanstouslescas,pourdesraisonssurlesquellesnousallonsrevenir.

3. Desstratégiesdecontournementdelaquestiondel’irresponsabilité

L’analyse des expertisesmontre également que parmi ces derniers expertscertainsmettent en place des stratégies destinées à éviter que la question del’irresponsabilitépourcausedetroublementalnesoitposéeparlesjuges.Cettestratégiepermetaupsychiatredenepasjustifiersadécision,etainsideréaliserune«économieargumentative»devantlajustice.Làoùcertainsprofessionnelsopposés au principe d’irresponsabilité pour cause de trouble mentalargumententcepointdevuedevantlajustice,d’autreslacontournent.

Laminimisationdestroubles

Dans quelques expertises, il semble exister une contradiction entre lessymptômes mis en évidence par l’expert et le diagnostic qu’il pose. Cettehypothèseestbiensouventcorroboréepar le faitqued’autresexpertscommissurcetteaffaireou l’équipesanitaireendétentionsoutiennent lediagnosticdepsychose sur la base des mêmes constatations cliniques. Vraies ou fausses

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controverses cliniques? De nombreux soignants en milieu carcéralnousexpliquent:

«Ahbahoui,aulieudeconclureàlapsychoseonconclutàlapersonnalitélimite!C’estcommodecegenredediagnostic»,(psychiatrehospitalier,SMPR,45ans,interrogédanslecadredelathèse).

Certainspsychiatressemblentdonc«tordre»lediagnosticenconcluantsoità la «normalité» du mis-en-examen, soit à des étiquettes cliniquesintermédiaires telles celles«d’état-limite»,de«personnalitépsychotique»,oude «personnalité dysharmonique à la limite de la psychose». Sur le cas deM.Habit par exemple, accusé du meurtre de son épouse en 1979, les expertsexpliquent:

«Habitfondesaconvictionsurdesélémentspeusignifiantsqu’ilinterprèteafind’avoirunepreuvedelajustessedesesidées.(…)Atteintedesescapacitésderaisonnementetde jugement. (…) Le raisonnement correctement structuré repose sur des prémissesdontlavaleurtiredelaconvictionabsolueetnondel’expérience.»

Le délire est défini par la nosographie psychiatrique comme un systèmeperceptif construit sur des prémisses fausses. Le systèmemis en place parM.Habitsemblecorrespondreàcettedéfinition,puisqu’il«fondesaconvictionsurdes éléments peu signifiants». Pourtant, les experts ne concluent pas à lapsychose, à l’inverse de l’équipe soignante en détention qui conclura en ladécompensation psychotique. Les psychiatres commis dans le cadre del’instruction décrivent alors M. Habit comme présentant une «certaineorganisation de la personnalité où prédomine la rigidité du raisonnement, lafaussetédujugement,unimportantégocentrisme,etlapossibilitéd’acquérirdesconvictions absolues». Ceci correspond à la description clinique d’une«personnalité paranoïaque» (voir note 15 et glossaire des notionspsychiatriques),maispasàcelled’unepersonneprésentantunepsychose.

Lanégationdestroubles

Certainsexpertsenviennentmêmeàmasquercertainstroublespsychiquesprésents chez le mis-en-examen pour éviter le diagnostic de psychose. Entémoignecepsychiatreinterrogédanslecadredelathèse:

«Donc,ilm’estarrivédedireàlapersonneaveclaquellejefaisaisl’expertise:«écoutez,moi je vous demande d’enlever le mot délire, parlez éventuellement qu’il a du mal àdistinguerlesfantasmesdelaréalitéàlalimite».Maisparlerdedéliredanscertainscasc’estquandmêmeunautreproblème»(expertpsychiatrehospitalier,65ans).

Laconstructionmoraledel’expertisé

CetteattitudeestdéfinieparMichelFoucault (2000) commeuneopérationde réduction du mis-en-examen à un certain nombre de traits de caractère«négatifs»quisontforcisdansletableaudresséparlepsychiatre.

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Prenonsl’exempledeM.Perezaccusédumeurtredesabelle-mèreen1958.

Voiciunextraitdesonexpertise:

«Cetteaffaireneprésenteaucuneobscuritépsychologique.Perezestpartoutprésentécomme un sujet de caractère fermé, sournois. (...) Ses sens se sont éveillésimpérieusement. C’est un espagnol aux passions ardentes. La cohabitation avec sapseudo-belle-mèreexcitaitsesdésirs.Il lavoyaitsedéshabiller,couchantdansl’uniquechambre.(...)alorsilaétéprisd’unviolentdépit,l’aassomméd’uncoupdemarteau,puisaassouvisurlafemmeinaniméesapassioncharnelle,aprèsquoiill’aachevéeaurasoir.(...)Arrêté,ilatoutavoué.Ils’agitbiend’undrameclassiquedepassionméridionale.Onpourraitressortiràcesujettouslesvieuxclichés,laphrased’Antony,etc.Sicelas’étaitpassé à Tolède, on trouverait l’affaire simple, la couleur locale aidant. Dans le XIème,encorequelequartiersoitmalfamé,elleestmoinsbanale,maislesconditionsethniquesrésistent au changement de latitude. (...) Individuellement Perez est un pervers (...). Ilétaitdéjàentrèsmauvaisevoie.Sonacteprocèdedoncbiendesoncaractèrehabituel.(...) Il est bien évidemment très réticent mais il a toujours été « fermé » de l’avis depresque tous les témoins de son passé, et l’on comprend qu’il lui soit pénible des’épancherouvertement.»

Dans cette expertise, le psychiatre mêle une appréciation dépréciative del’individuàunjugementdecaractèreethnique.Lesespagnolsseprésenteraientcomme des gens « aux passions ardentes », en mesure de les conduire aumeurtre,auviolpostmortem,voireàlamutilationd’unefemmedésirée,sielleserefuseàunhomme.Lecrimeestainsibanalisé,etapparaîtcomme«cliché»,«couleurlocale»,conduisantbieniciàl’oublidel’hypothèsepathologiquedelapartduprofessionnel.L’expertiséseradéfinitivementenfermédansuneidentité« sournoise»,«perverse»,«enmauvaisevoie», auseinde laquelle il sembleinexorablement lié aux éléments ethniques et caractériels précédemmentdécrits. On assiste bien là à une forme de construction du criminel au sein del’expertise bien décrite par Michel Foucault, où le savoir psychiatriqueobjectivantlaisselaplaceàuneformedejugementdevaleurdressantleportraitd’un individu dont sont majorés les traits dépréciatifs. D’ailleurs, confirmantl’impressionqui sedégage à la lecturedu rapport, un an après le jugement, lapsychiatreexerçantdans le lieuoù il est incarcéré rétablit l’ambiguïté cliniqued’unindividuau«contactdifficile, taciturne,renfermé, inhibé,(qui)neregardejamais son interlocuteur, (et) garde le plus souvent la tête baissée»,questionnantl’existenced’unepathologique«psychotique»sous-jacente.

Cettepratique se retrouve toujoursà l’heureactuelle.Le casemblématiquedecetypedepositionnementestceluidePascalSiétudiédanslathèse:

«L’expertisenousmetdoncenprésenced’unhommequireconnaît,quellesquesoientlescirconlocutionsqu’ilprendpourl’expliquer,avoirdonnélamortàunenfant.Quis’estlivrétrèsprobablementàdesactivitéssexuellessur luiavantouaprèsetquiaensuitetenté de se débarrasser du petit cadavre. Homme dont par ailleurs les antécédentspsychiatriquesetjudiciairessontchargés,etàcepointcompatiblesaveclesfaitsqu’onluireprocheactuellement,quesonpsychiatretraitantaccablés’estsentitenud’alerterlajustice.Unhommeenfinquesesconduitesdélictueusesantérieuresontconduit,suivant

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l’appréciationde sonétat cliniqueetde sa responsabilité aussibienenhospitalisationd’officeenunitédemaladesdifficiles,qu’àunséjourenprisonavecunecondamnation.Ilreprésentedoncl’exempletypedespatientsdits«médico-légaux»,quidonnentsouventàpenserqu’iln’existedetoutefaçonpasdebonnesolutionpourrépondresocialementetindividuellementàleurspassagesàl’acte.[...]Cetableautrèsparticulierd’unhommequi parle sans percevoir en apparence le tort qu’il se fait ni le côté extravagant voireodieux[...]finitparcomposerunpersonnageahurissant,quipeutsusciterunerépulsionet une sévérité du jugement qui iraient sans doute au-delà de ce que justifie sonfonctionnementpsychiquequirestequandmêmedenaturenettementpathologiqueetdoit être considéré comme un trouble neuro-psychique au sens de l’article 122.1deuxièmealinéaduCode.»

Silafindel’expertisepermetderelativiserlesproposdel’expert,lerestedurapportestsaturédetermeslaissanttransparaîtrelesvaleursduprofessionnel:il met en évidence un «personnage ahurissant», «accablant» son psychiatretraitant, «extravagant, voire odieux». Ce discours, engage un jugement sansappel pour un non spécialiste de la psychiatrie: le personnage a commis desactes«barbares»,demanièrefroideetdélibérée,ilfautdonclepunir.

II. Approche historique de la pratique de l’expertise: laresponsabilisation des personnes ayant commis des infractionsetsouffrantdetroublespsychiatriques(1950-2014)

Comment caractériser la pratique de l’expertise dans les années 1950 parrapport à cequi vientd’êtredécritdans lapériodeactuelle?Le saut temporelentrecesdeuxpériodespermetdemettreenévidenceunerestrictionclaireduchampdel’irresponsabilitépourcausedetroublemental.Deuxsourcespermetde le démontrer: les statistiques du ministère de la justice constituent lapremière.Remontantjusqu’à1984,ellesnepermettenttoutefoispasd’avoirunevision du phénomène antérieurement à cette date. L’analyse d’un échantillond’expertisesquiquestionnentl’applicationdel’article122-1alinéa1(oul’article64 avant 1950) (voir encadré 1 et annexeméthodologique) depuis 1950 vientcomplétercettepremièreanalysestatistique.

1. L’irresponsabilitépénalepourcausedetroublementalenchiffres1984-2014

Le ministère de la Justice dispose d’un système d’information statistiquedepuis1974.Apartirde1975,iléditeeneffetuncertainnombrededonnéessurl’ensemble de l’activité judiciaire, de la justice civile à l’activité del’administration pénitentiaire, en passant par la justice pénale et celle des

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mineurs20.Nousavonsvuqueleclassementd’uneaffairepénalepourcausedetroublementalpouvaitinterveniràdifférentsniveauxdelachainepénale(voirencadré2en introduction).Néanmoins, leministèrede la justicenerépertorieque les non-lieux par recours à l’article 122-1 CP prononcés au niveau del’instruction.Legraphique2faitunétatdeceschiffres:

Figure2-L’irresponsabilitépénalepourcausedetroublemental1985-2014Source:Protais,2011.

Ces chiffres révèlent une chute claire de l’irresponsabilité pour cause detrouble mental, confirmant ainsi une tendance à la responsabilisation desauteursd’infractionsprésentantdes troublesmentaux.Celle-cisurvientdès lesannées1980, seprolongeantdans les années1990et se stabilisant à labaissedanslesannées2000.Apartirdelafindesannées1990,lacourbedesnon-lieuxpsychiatriques trouve un rythme sinusoïdal à peu près constant s’échelonnantentre0,2et0,6%.Enprenantlestauxlesplushautsetlesplusbasdelapériode1984-2010,onmetenévidenceunedivisionpar4,3desnon-lieuxpourcausedetroublemental.

Deux véritables changements concernant la pratique de l’expertise sontsurvenus dans les trente dernières années. Le premier au début des années1980,oùsesituelachutelaplusclairedutauxd’irresponsabilitépourcausedetroublemental.Toutefois,lesystèmed’informationstatistiqueduministèredelaJusticen’étantpasenmesuredelivrerdeschiffresantérieurementàcetteannéeisolée,nousnepouvonsconclureàunetendanced’ensemble.

Lesecondchangementsurviententre1992et1997,aumomentdel’adoptionde l’article 122-1 du code pénal, venant remplacer le vieil article 64 de 1810,adoptéen1992et entréenapplicationen1994.Cette révisionparaît avoir eu

20SuccessivementappelésLescomptesgénérauxdelajustice,Lesannuairesstatistiquesduministèredelajustice,etdepuis2011Chiffresclés.

0

0,2

0,4

0,6

0,8

1

1,2

1980 1990 2000 2010 2020

article122-1/poptotaleen%

article122-1/poptotaleen%

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certainesrépercussionssur lapratiquede l’expertisepsychiatrique,mêmesi lerapport de causalité précis entre les deux phénomènes reste difficile àdémontrer.Sice lienpouvait toutefoisêtreétabli,onpourrait faire l’hypothèseque l’adoptiondunouvel article122-1et lesusagesauxquels il vadonner lieus’inscrit,voirevientstabiliser,unetendancedéjàbienamorcéedepuislesannées1980etmêmebienantérieurement.

2. Ce que disent les expertises: la restriction clinique du champ del’irresponsabilitépourcausedetroublementaldepuis1950

La vérification d’un mouvement de responsabilisation des auteursd’infraction présentant des troubles mentaux sur une longue période a étépermiseparuntravaildecomparaisonqualitatived’expertises(voirencadré1etannexe méthodologique) concluant à l’irresponsabilité pour cause de troublementalàd’autresn’y concluantpasmalgré laprésencede troublespsychiqueséquivalents.

Cette étude a permis de montrer dans un premier temps, qu’il a toujoursexisté une opposition entre des experts qui ont une approche extensive del’irresponsabilité, et d’autres qui en ont une approche plus restrictive. Ladiversitéde lapratiqueexpertalemiseenévidencedans lapériodeactuellenedate donc pas d’hier. La responsabilité des personnes présentant des troublesmentauxayantcommisdesinfractions,n’ajamaisétéunsujetunivoque,relevantd’approchessocialesstabiliséesetconsensuelles.Maisau-delàdecettediversité,ilyatoujourseucertainscascliniquessuscitantdesdésaccordsentreexperts:cequiévoluedoncentrelesannées1950etlesannées2000,c’estbienletypedecasquisuscitentdescontroversesentrepsychiatres.

Plusprécisément, les cas engageantdes approches contradictoiresdans lesannées1950variaiententredespersonnesprésentantdestroublesdel’ordredelanévrose,maissurtoutcequelanosographiepsychiatriqueactuelledésigneraitpar«troublesducomportement»ou«psychopathie»(voire«perversion»).Ilsétaient à cette époquequalifiéspar la vieillenotionde«déséquilibre»héritéed’Emile Dupré pour désigner des comportements se manifestant par del’agressivité, des conduites antisociales ou «désadaptées», conçues à cettepériode à l’aune du paradigme de l’hérédité. Au-delà de cette zone decontroverse, toutes les personnes qui présentaient des troubles pouvant êtrequalifiés de «psychotiques» à l’heure actuelle, qu’ils soient de naturedécompenséeounonétaientestimésirresponsables.Touteunefrangedecasquiprésentaient des troubles du comportement étaient donc susceptibles d’êtreestimés tantôt responsables et tantôt irresponsables en fonction des expertsdanslesannées1950,voiremêmequelquesrarescasprésentantdestroublesdel’ordredela«névrose».Le«noyaudur»del’irresponsabilitéen1950étaitdonc

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constitué de personnes présentant des troubles psychotiques sous des formestrèsdiversifiées.

Parcontraste,danslesannées2000jusqu’en2014, lescasquisuscitentdesdésaccordsentreexpertsévoluentnousl’avonsdéjàconstaté:cenesontplusles«psychopathes», mais bien des personnes qui présentent des troubles de lalignée psychotique, s’apparentant au délire, voire à de la dissociation (voirglossaire des principales notions psychiatriques). Dans la période actuelle, lesseulscasquipeuventpostuleràl’irresponsabilitépourcausedetroublementalsont justement les personnes qui présentent des troubles de l’ordre de lapsychose.Dansunéchantillonde20casirresponsabilisésparrecoursàl’article122-1 alinéa 1 du CP constitué entre 2000 et 2007 (Protais, 2011), lasymptomatologie psychotique est dominante, puisque 85% des casirresponsabiliséssontconsidéréscommeatteintsdepsychosedécompensée.Lesautrescasétaientatteintsselonlesexpertssoitde«débilitéprofonde»,soitdepathologiepsychotiquenondécompensée,maisilssontrares.

Lamêmeconclusionestégalementvalableàpartirde2007,puisqueparmiles 10 cas étudiés dans le cadre de l’enquête GIP pour actualiser les résultatsprécédents,lediagnosticdeschizophrénieestpermanent,etdans7expertisesladécompensation au moment des faits est mise en avant par les experts. Letableau1entémoigne:

Tableau1-Expertisesconcluantàl’irresponsabilité(2007-2014)

Cetteconclusionestparailleursrenforcéepar l’analysede la jurisprudenceréaliséedanslecadredecetteenquête(voirtableau2duchapitre4).Huitcasoùla chambrede l’instructionou la courde cassation a confirméouoptépour lenon-lieupourcausedetroublementalontétéanalysés.Danssixdeceshuitcas,le diagnostic est présent dans l’arrêt rendu par la cour d’appel. Dans 4 cas, ils’agitd’uneschizophrénie,etdansdeuxcasd’unedébilité.Ceuxsur lesquels lediagnostic de schizophrénie a été posé sont également décrits par les expertscomme présentant une floraison importante de symptômes psychotiquesdécompensés(délire,dissociation).

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Des années 1950 à nos jours, le champ de l’article 122-1 al. 1 s’est doncrestreint à la débilité profonde, et bien plus encore à la schizophréniedécompensée, se manifestant par un tableau clinique cumulant les différentssignes«positifs»(telsledélireouladissociation,voirglossairedesprincipalesnotionspsychiatriques)delapsychose.

Parailleurs,phénomèneplusmarquantencore, lesdiagnosticsdepsychosedécompenséese retrouventégalementdansunéchantillonde30cas constituédans lathèsedeCarolineProtaisentre2003et2009,sur lesquelsaumoinsunexpert a rendu un avis concluant à la responsabilité pénale de la personnemalgré le signalement de troubles de la lignée psychotique par l’équipesoignante en détention. Parmi ces 30 cas, 11 personnes présentent, pour lepsychiatrequilesaexpertisésunepsychosedécompensée,soit33%descas.Les19 cas restants sont constitués de 6 personnes présentant une «personnalitépsychotique», 3 casdes troublesdu comportementouunedébilité etdans10cas aucune pathologie psychotique n’est décelée au moment de l’instructionjudiciaire. Laprésencede casprésentantdes troublesde la lignéepsychotiqueparmilespersonnes«responsabilisées»parlesexpertsestdoncunphénomèneinédit,caractéristiquedelapériodeactuelle.

Ainsi, les raisonnements consistant à envisager que la personne resteresponsable de ses actes, malgré la présence de troubles psychotiques dequelque nature que ce soit, sont typiques de la période récente. A l’inverse, leraisonnement diagnostique consistant à associer la psychose à l’étatd’irresponsabilitéétaitmajoritairedanslesannées1950.

Laresponsabilisations’estconstruiteprogressivementaucoursdel’histoire.Sidanslesannées1950-1960,lesexpertsneremettaientpasencoreencauselaconceptionfixisteetaliénantedelapsychose.Certainscommençaienttoutefoisàrécusercetyped’appréhensiondel’affectionmentaledanslecasdestroublesducomportement.L’enquêtedeP.BroussoleetM.Chalabreyssedatéede1966,oùun certain nombre de psychiatres ont été interrogés sur la question del’irresponsabilité en témoigne: unemajorité de professionnels à cette périodeaffirmaientvouloirconfronterlepsychopatheauxconséquencesdesesactes.Lecas de M. Jazz par exemple, accusé d’incendie volontaire en 1958, illustreparticulièrementbiencetypedeconception:

«L’acte est directement en rapport avec l’état mental décrit ci-dessus. C’est un gesteimpulsif, commis dans un moment de colère aveugle encore augmenté par une prised’alcool et sans en avoir mesuré les conséquences. [...] Disons cependant que lesanomaliesrelevéeschezl’inculpénesontpasdenatureàlefairereconnaîtrecommeenétat d’irresponsabilité totale. Jazz a su acquérir malgré son arriération quelquesconnaissancesscolaires.[...]Ilaétécapabled’unecertaineadaptationsociale.»

Si l’expert considère que l’acte incriminé est en lien avec les troubles ducaractère couplés à la débilité qu’il met en évidence, pour lui, ce type desymptômes n’ôte pas à la personne sa responsabilité pénale, puisqu’il permet

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une«certaineadaptationsociale».Lavalorisationdescapacitéspréservéesdelapersonnesouventobservéeàl’heureactuellepoursoutenirlaresponsabilitédepersonnes présentant des troubles psychotiques apparaît ici sur des cascliniquesdifférents.

Apartirdelafindesannées1960,lespremierscasdepsychoseparanoïaqueàêtreresponsabilisésparlesexpertsapparaissent.DanslecasdeM.Serrat,parexemple accusé demeurtre en 1967, le premier expert conclut à un délire depersécution ainsi qu’à l’existence d’une psychose paranoïaque. A l’inverse, lesecondpsychiatrecommisdanscetteaffaireexplique:

«Pendant les mois où ils ont cohabité, Serrat a vécu comme spécialement menaçantPatrick lequel jugeait l’amitié envahissante de l’autre à ce point inquiétante qu’il luiinterdisaitsaporte.Est-cepossibledetablersurunepsychosedélirante?Lemodedeviesolitaire évoque une psychose schizophrénique, toutefois le contact facile entre lui etnouspermet d’évincer ce diagnostic. Le détachement vis-à-vis des faits ne semble pastémoigner d’une discordance psycho-affective: il paraît plutôt s’agir d’un mécanismeinconscientdedéfensedestinéàrendresupportablepourlui-mêmeuneculpabilitéqu’iln’ignore pas. Il n’est pas possible non plus de parler de psychose paranoïaquecaractérisée.Lemeurtrenes’inscritpasdansundéveloppementdélirantlogique:ilestlefaitd’uneréactionimpulsivevis-à-visd’unpersonnageressenticommedangereux.Ilconvient plutôt de parler d’un mode de pensée paranoïaque, de comportementsparanoïaques.»

Vraieou faussecontroverseclinique?Cettepériodemarqueentoutétatdecausel’émergencedecetypedecontroversesdansleséchantillonsd’expertisesétudiés.

Dans lesannées1980, lesexpertscommencentàdéclarerresponsablesdespersonnes chez lesquelles la psychose paraît plus présente. Dans le cas deM.Garsin par exemple, accusé de meurtre en 1980, le psychiatre constate une«personnalitéschizoïdetrèsmarquée. Ilétablitdifficilementdesrelationsaveclesautresetprésenteuneaffectivitétrèsinhibée.Ilpasseàl’actemeurtriersansgrandemotivation avec desmotivations tout à fait futiles.» Rappelons que lafroideur affective et le repli social comptent parmi les symptômestraditionnellementdécritsparlespsychiatrespourcaractériserlaschizophrénie.Pourtant l’expert considère que le mis-en-examen conserve un rapport à laréalitésuffisantpourêtreestiméresponsabledesesactes.

Danslesannées1990cesraisonnementssemultiplient.Lesexpertssemblentattendre un niveau d’altération des capacités cognitives plus important pourconclureàl’irresponsabilité.DanslecasM.Richard,parexemple,présentantauxyeux des experts une débilité mentale avancée, accusé de viol en 1995, leraisonnementdupsychiatreestéloquent:

«Il parvient cependant à répondre à un certain nombre de questions et peut préciserdansledomainedelasexualitéqu’ilaeusespremièresrelationssexuellesà23ans.[...]Ilestdoncpossibledesupposerunecertaineconnaissancedubienetdumalenmatièresexuelle.»

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Certains endossent les raisonnements que l’on a mis en évidence dans lapériodeactuelle.Pourcesderniers,ilestnécessairequelapathologieaitabolilaconscience du bien ou du mal pour que la personne entre dans le champ del’alinéa 1 de l’article 122-1. Certains autres considèrent que seules leshallucinationsoulesactesimposésôtentàl’individutoutecapacitédecontrôlesur ses actes. C’est notamment le cas de M. Lassale, diagnostiqué de«paranoïaque»etexpertiséen1992suiteaumeurtrede l’amantdesa femmeque l’expert décrit comme «susceptible, interprétatif, quelque peu retors,»percevant son rival comme «une personne qui selon lui, le narguait (dit quequelqu’unpassaitenklaxonnant,voulantlenarguer)».L’expertexpliquequ’ilneprésentaitpourtant«pasdemécanismehallucinatoire,oud’actes imposés»,etconclutàsaresponsabilité.

3. Recul de la responsabilisation ou généralisation des stratégies decontournementdel’irresponsabilitédansunepériodetrèsrécente?

Terminons cette rétrospective historique par une réflexion sur les années2009-2012. La comparaison de deux échantillons de cas concluant à laresponsabilité de personnes présentant des troubles psychotiques dans lesannées 2000 puis à partir de 2009 (voir encadré méthodologique) invitent àquestionnerune évolutiondes stratégies des experts pour responsabiliser unepersonne.

Unreculdelaresponsabilisationdepuis2009?....

Cesdeuxtableaux(4et5)permettentdecomparerdeuxéchantillonsdecasestimés responsables par la justice, malgré le signalement de troublespsychotiquesparl’équipesoignanteendétention:

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Tableau2-Argumentsmobilisésparlesexpertsdanslesannées2000pourresponsabiliserdes

personnessignaléesendétentioncommeprésentantdestroublespsychotiquesanciensSource:Protais,2011.

Tableau3-Argumentsmobiliséspar lesexpertsentre2004et2012pourresponsabiliserdes

personnessignaléescommeprésentantdestroublespsychotiquesanciensSource: Enquête réalisée pour la mission Droit et Justice. Appel à projet de Juillet 2013. NB: la

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catégorie«discernementmoral intact»aétéretiréedutableau3carcetargumentestpeusortidanscesexpertises.A laplaceaétécrééeunecatégorieplus large:cellede«capacitéspréservées». Idempour lacatégorie«pasd’hallucinations»:lesexpertsdelapériodeactuellecomplètentgénéralementcetargumentpar«pasdedélireinjonctif,nid’automatismemental»,cepourquoicesexpressionsontétérajoutées.

L’impressionprédominante à la lecture du tableau3 est une réductiondes

cas où les experts reconnaissent l’existence d’une psychose décompensée parrapport aux années 2000. Assisterait-on à un essoufflement de la tendanceresponsabilisante«extrémiste» (i.e. concluantà la responsabilitéde toutes lespersonnes, y compris ceux qui présentent des psychoses dans un étatenvahissant)danslesannées2010?

Al’inverse,ilexisteunerecrudescencedescassurlesquelslesexpertsposentdes diagnostics composites, oscillant entre des troubles du comportement(psychopathie ou perversion) et la psychose, sans reconnaissance d’unepathologieclairementdécompensée.Laprésentationcliniquedecespersonnesmises en examen est marquée par l’ambiguïté, ce qui explique la labilité desdiagnosticsposésparlesexperts.Al’inverse,lescasestimésirresponsablesparlesexpertsprésententdestroublespsychotiquesfrancs,sanséquivoque,etsanscomposantepsychopathique,perverse,outoutautretroubleplaçantlapersonneducôtédela«manipulation»oude«l’intentionmalveillante.»

Lapratiquedelaresponsabilisationpourraitdoncconcernerdenosjoursuncertainnombredecasplus«problématiques»auxyeuxduclinicien,c’est-à-direoscillant cliniquement, à leurs yeux, entre les troublesde comportement et lestroublespsychotiques.L’analysedelajurisprudencevapourpartiedanslesensde ces constatations: certains casqui suscitentdes controversesentreexpertsprésentent également une composante psychopathique, voire toxicomaniaque,ou ont déjà été pris en charge en psychiatrie par le passé et concernent despatientsquisesontavéréspeucompliantsauxsoins.DanslecasdeM.Benparexemple accusé de meurtre en 2010, les experts s’opposent à cette décisionpénale valorisant les tendances toxicomaniaques s’ajoutant aux troubles denaturepsychotiques:

«Il s’agit donc d’un sujet qui depuis l’adolescence est aux prises avec unepolytoxicomanie grave qui favorise les décompensations délirantes avec automatismemental, syndrome d’influence, pouvant eux-mêmes entrainer des comportementsmédico-légaux dangereux et ayant motivé à plusieurs reprises des hospitalisation enmilieuspécialisépermettantdefaire,céder,dumoinsdansletempsdelapriseenchargeà la faveurde l’arrêtdestoxiques lessymptômespsychotiquesetnotammentdélirantsproprementdit.Sicesderniersréapparaissent,c’està la faveurde l’arrêtdestoxiques,délibérément décidé par le sujet qui cherche ainsi à manipuler son vécu onirique ethallucinatoire, mais dans la réalité duquel il revient très vite dès le passage à l’acteaccompli.Onestd’ailleurs frappépar lacapacitéqu’aM.Bendedécriresongesteetdereprendre un comportement en apparence adapté tout de suite après. (…) Il fautégalement tenir compte du fait que le Zyprexa n’a jamais permis d’obtenir de réellestabilisation de son fait même, les effets du traitement étant largement combattus parceux autrement plus délétères des drogues. Cela explique la dangerosité persistante du

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sujetquis’estdoncmanifestéeàdeuxreprisespardesviolenceshétéro-agressivesdontladernièreaétéhelasunhomicide.»

Danscetteexpertise,lescomposantestoxicomaniaque,maisaussimanipulatricedu mis en examen sont mises en évidence par l’expert pour conclure à saresponsabilité.

…ou un changement de stratégie des experts pour responsabiliser des personnesprésentantdestroublespsychotiques?

Pourtant,unelectureplusattentivedecesexpertisesainsiquedescasayantfait jurisprudence,vientsoulever l’utilisationdestratégiesdeminimisationdestroubles de la part des experts dans certains cas qu’ils souhaiteraient voirresponsabilisés.

Dans le cas de M. Ben, qui vient d’être cité, la «schizophrénie paranoïdedécompensée»miseenévidenceparcertainsexpertsdevientpourd’autresune«pharmacopsychose». Dans le cas M. Maty également, très médiatisé, qui afinalement été responsabilisé par la justice, les experts s’opposaient sur lediagnostic: les uns plaidant pour la présence d’une «schizophréniedécompensée», lesautrespourune«paraphrénie»ouun«état-limite».Enfin,dans le cas de M. Ferdinand, alors que l’expert décrit très minutieusement leprocessusdélirantayantconduitaumeurtredesonfils,ilconclutpourtantàune«personnalité borderline avec risques importants de décompensationpsychotique transitoire». Dans ces cas, on peut se demander si l’étiquettediagnostique posée par l’expert n’avait pas une utilité «extra-clinique»recherchée sciemment par l’expert: éviter le diagnostic de «psychosedécompensée».

Surcertainsdecescas,lapratiquedeminimisationpotentiellesdestroubless’accompagned’uneconstructionmoraledel’expertisé.DanslecasM.Bendontl’expertisevientd’êtrecitée,lepsychiatresedétournedumomentducrimepourdécrire une personne «dangereuse», manipulant délibérément le «vécuonirique» provoqué par la psychose, refusant le traitement au profit d’autressubstances psychoactives, se mettant donc lui-même dans une attitudesusceptible de le conduire au crime. Cette pratique de constructionmorale del’expertisé,loindestermesdel’article122-1,prendlepasdanslesannées2010(voir tableau 2 et 3). Il semble donc que dans certains cas, il faille à la fois«normaliser» le mis-en-examen, tout en mettant en exergue ses traits depersonnalité manipulatrice ainsi que sa dangerosité criminologique pour qu’ilsoitresponsabilisé.DanslecasdeM.Bencetteopérationde«normalisation»estbien repérable, puisque somme toute, l’expert soutient que le mis en examen«revienttrèsvite(danslaréalité)dèslepassageàl’acteaccompli».

Une question se pose au terme de cette analyse: la période actuelletémoigne-t-elle d’une perte de vitesse de la tendance responsabilisante

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extrémiste,ousimplementd’unchangementdestratégiedesexpertssouhaitantvoir responsabiliserunepersonne?Si lapériodeactuelle témoigned’une fortedisparitéentrelespsychiatressurlaquestiondel’irresponsabilitépourcausedetrouble mental, les composantes psychopathiques, toxicomaniaques,héboïdophrénique d’un psychotique constituent des prises essentielles pourceux qui affectionnent peu le «non-lieu psychiatrique». Ils paraissent ainsi seservirdelacontroversecliniquepourasseoirleursconceptionsmédico-légales.

III. Expliquer la tendance responsabilisante: les justifications desexpertspsychiatres

L’exploitationdesprincipalesrevuesdepsychiatriedesannées1950à2005dans la thèse de Caroline Protais, puis des 2004 à 2015 dans la cadre del’enquêteGIPapermisdemettreenévidencedeuxrépertoires21(Lamont,1995,Lascoumes/ Bezès, 2009, Barbot/ Dodier, 2014). Ce concept de «répertoire»permet de désigner des formes argumentatives fonctionnant comme dessystèmes de représentations (Protais, 2011, 2016) en mesure d’expliquer despositionnements antagonistes sur la responsabilité des individus souffrant detroublespsychiatriquesetayantcommisdesinfractions.

Nous nous inspirons ici de l’analyse de Jean Ayme (1991), quiexpliquait:«on peut dégager deux polarités entre lesquelles s’échelonnent lesprises de position, “les abolitionnistes” (sous-entendu de l’article 64) et les“conservatistes”, encoreque ce soit làdes attitudes extrêmesquepersonnenesoutienne vraiment. Ceux qui sont les plus proches du pôle abolitionnistesouhaitent que lemaladene soit pas dépossédéde son acte, qu’il demeure unsujet de droit et qu’il ait accès à la procédure pénale, sinon à la sanction» (p.318). A partir de l’analyse du discours des experts psychiatres, nousdistinguerons le répertoire de la protection, qui vient justifier une pratique enfaveur de l’irresponsabilité, du répertoire de l’intégration, qui s’y oppose. Lerayonnementdecesdeuxrépertoiresdanslemondepsychiatriquesurundemi-siècle permet de comprendre l’évolution de la pratique de l’irresponsabilitédécriteprécédemment.Nousallonsvoirquesurundemi-sièclelerépertoiredel’intégration, sous-tendant une pratique responsabilisante, prend une ampleursansprécédentdans lemondepsychiatrique.Ceciestenmesured’expliquer latendancedesexpertspsychiatresàresponsabiliserdespersonnesayantcommisdesinfractionsetprésentantdestroublespsychiques.Toutefois,l’analysedecessystèmes de représentations dans une période très récente permet également

21Selonlasociologiemorale,unrépertoireestuneformeargumentativerelativementstable,spécialementappropriée pour rendre compte d’un ensemble de points de vue qui semblent «aller ensemble» et êtremobiliséspardesacteursdansdescontextesd’actionsimilaires.

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d’interroger la naissance d’un répertoire de la défense sociale supplantantprogressivementceluidel’intégration.

Lorsque les experts sont invités à se positionner sur la question del’irresponsabilité, ils s’expriment en général sur plusieurs thématiques quistructurentledébatsurl’irresponsabilité:1)Qu’est-cequ’unebonneéthiquedel’expertise?2)Qu’est-cequelapsychose,etquiestlemaladequienestatteint?3)Faut-illeprotégerauseind’unhôpitalpsychiatriqueoul’intégrerdirectementdansletissusocial?4)Lapeinea-t-elleunedimensionthérapeutique?5)Faut-ilprendre en compte la dangerosité dans une décision sur la responsabilité dumalade mental? 6) Faut-il prendre en considération la victime? Leurpositionnement sur ces différentes thématiques est ce qui va définir unrépertoire. Nous allons les présenter (1 et 2), avant vérifier qu’ils sont bien àl’origine des différentes pratiques d’expertise décrites dans la période actuelle(3), et de suivre leur rayonnement dans le monde psychiatrique depuis lesannées1950(4).

1. Lerépertoiredelaprotection

LerépertoiredelaprotectionnaîtauXIXesiècleetestportéparlespremiersaliénistes partis en croisade pour faire reconnaître leur compétence cliniquepourappréhenderl’irresponsabilitédufou(Castel,1976).

IlsrevendiquaientunhumanismeissuduphilanthropismedesLumières.Cecourant prône l’élévation de l’âme humaine au sein de la tolérance, de lalimitationde la violenceetde labarbarie (Voltaire,1763).Dans ce contexte, ilfautallerausecoursdel’hommesouffrant,maiségalementrétablirlaraisoncheztoutespersonnesquienseraientprivées.Lefouestconçucommel’und’eux: ilfautlesecourirdesviolencesethumiliationsquiluisontfaites(Esquirol,1838)et l’aider à recouvrer la raison. Or, la condamnation du fou par la justice estconsidérée par ces psychiatres comme injuste. Ainsi, l’irresponsabilitépsychiatriqueapparaîtàcetteépoquecommeunpremierrempartaux«mauvaistraitementsjudiciaires»quesubitl’«aliéné».Demême,l’asilepsychiatriqueestconçucommelelieuoùlemaladementaldoitêtreplacépouryêtreprotégéetsoigné22.Ilestvéritablementconçucommeunlieuderéhabilitationsocialeetdepréventiondelarécidivedespatients.

Dans lesannées2000puis2010, laracinephilanthropiquedecerépertoires’estéteinte.Néanmoins,lesexpertsrevendiquantunchampdel’irresponsabilitépluslargequelesautresenvisagenttoujoursl’hôpitalpsychiatriquecommeunesolutiondeprotectionetdesoindumaladementalayantcommisuneinfraction.Ils affichent également toujours un sentiment de sollicitude professionnelle à

22Pourplusdedétailssurl’humanismedesprincipauxaliénistesvoirSemelaigne(1894).

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l’égard (Zagury 2002, Bénézech, 2001) des patients de la psychiatrie. Entémoignel’articledeBénézech,Chidiac,Laxenaireparuen2010danslesAnnalesmédico-psychologiques: «Les personnes délinquantes souffrant de troublesmentaux sévères ne doivent être ni condamnées ni incarcérées. Elles relèventavanttoutdelamédecine(…)»(p.48).

Du temps de Jean-Etienne Esquirol, l’irresponsabilité se justifiait donc parunecertaineconceptiondel’individumalademental.DespremiersaliénistestelsPhilippe Pinel et J-E. Esquirol jusqu’aux psychiatres de nos jours, le malademental est eneffet conçu commeunêtre au rapport à lui-mêmeet à ses actesglobalementaltéréparlapathologie23,dumoinsc’estl’idéequ’ilsentendentfaireprévaloir devant les tribunaux. A l’heure actuelle, les psychiatres promouvantuneplus largeconceptionde l’irresponsabilitépsychiatriqueque lesautresontcetypedereprésentationsprincipalementpourlesmaladesatteintsdepsychosedécompensée(voirsupra).

«Ilestrappeléquela«folie»peutêtre«lucide»,quelespsychotiquesneperdentpastoutcontactaveclaréalité,qu’ilspeuventdissimulerleurstroublesetqu’ilssontparfoiscapablesdepréméditerleuractivitécriminelle.Pourautant,ilsn’ontpasvéritablementconsciencedu caractère pathologiquede leur comportement et leur responsabilité estjuridiquementnullecar l’élémentmoralde l’infractionestabsent» (Bénézech,Chidiac,Laxenaire,2010,p.48).

Aussi, comme au XIXe, ces psychiatres envisagent que la loi ne peut avoird’effet sur le malade, puisque la dissuasion ne détient pas d’impact sur unindividuquinecontrôlepassoncomportement(Zagury,2002).

«On enverrait à l'échafaud des centaines d'individus comme Léger, qu'on nepréviendraitpaslesactionssemblablesàcellesqu'ilacommise.Lacraintedessupplicesn'arrêtepointlesaliénés:onabrûlédesmilliersdesorciersetdepossédés,etplusonenenvoyaità lamort,plus ils'enprésentaità juger.Leschâtimentssontenpareilcasdescruautésinutiles»,(Georget,1825,p.66).

Enfin,danscetypedeconception,ladangerositédumaladementalainsiqueles revendications de la victime n’interviennent pas dans l’avis de l’expert (deBeaurepaire,2004),puisqu’unedécisionsurlaresponsabilitéd’unindividudoits’appuyer, selon ce répertoire, sur l’examen de sa responsabilité morale, etseulement sur cela. Ou plutôt, les psychiatres mobilisant ce répertoireconsidèrentque leurprofession, en tantque spécialistede lamaladiementale,estlamieuxàmêmeàapporteruneréponseàlamaladiementale:

«Lesétudesenpopulationgénéraleoucliniquedémontrentqu’unfaiblepourcentagedemalades psychiatriques ont des comportements violents. Ceux-ci sont du ressort du

23Lespsychiatresnesontpassansnierque lapersonnedisposeparfoisd’unrestedeconsciencedans lapathologie.Cecicorrespondau«restederaison»thématiséparPhilippePinel,lepèredel’aliénisme.C’estd’ailleursens’appuyantsurlescapacitéspréservéesdumaladequeJeanEtienneEsquirol,sonélève,fondrale «traitementmoral» qu’il entend appliquer à ses patients. Ces premiers aliénistes valorisent toutefoisdevantlajusticelaconceptiond’unêtreglobalementaltéréparlamaladiementale.Pourplusdedétailssurcepoint,voirRenneville,2003,Gauchet/Swain,1980,etCastel,1976.

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psychiatre mieux armé pour traiter une pathologie identifiée que pour prédire uncomportementouaccompagnerdesdéviancespourlesquellesiln’existenipreuved’unemaladieévolutive,nithérapeutiqueàl’efficacitédémontrée»(Loo,Olié,2008,p.381).

Enbref,cesexpertssemblentteniràundespiliersdudroitpénalclassique:appliquer le droit de punir uniquement à des individus qui avaient uneconscienceclaireaumomentducrime,etnepassanctionnerquelqu’unquiaagisous l’emprise d’une force qui le dépasse et lui cause souffrance et exclusionsociale.

2. Lerépertoiredel’intégration

Le répertoire de l’intégration émerge quant à lui après la seconde guerremondialesousl’impulsiondespsychiatres«désaliénistes»(Bonnafé,1946,561)représentant la psychothérapie institutionnelle et la réforme du secteurpsychiatriquede196024.Ilsprônentunhumanismebiendifférentdespremiersaliénistesquitrouvesesfondementsdansunecritiquedel’hôpitalpsychiatriqueetdelapsychiatrieengénéral.

Pourcettegénérationdepsychiatres,l’asileestunlieud’aliénationdusujet,la psychiatrie est un outil de contrôle social dans une société excluante (LeGuillan, Bonnafé, 1952). Le savoir psychiatrique et les thérapeutiques utiliséesjusqu’alors ne prennent pas en compte le malade. Ils ne l’humanisent pas; àl’inverse ils le stigmatisent. Il faut dès lors prendre le contrepied d’unepsychiatrie adossée à l’hôpital: l’objectif est ainsi donc mettre en place untraitement psychothérapeutique en dehors des anciens asiles qui respecteramieuxlemaladeetnel’enfermerapasdansdes«étiquettesdiagnostiques».

Or,l’article64signeleplacementdel’individuenhôpitalpsychiatrique.Ainsi,l’article64doitêtreaboli(Rappard,1977,1988)pourquelepsychiatresuivelemalade mental criminel au cours de son parcours de citoyen, fût-il placé enprison.C’estladoublepriseenchargejudiciaireetpsychiatriquequiestprônéeparcerépertoire(Royeretal.,1974).

Cespsychiatresconsidèrentégalementquelemaladementalnedoitplusêtreconsidéré comme «d’une autre nature». Au lendemain de la seconde guerre

24L’ouverture de la psychiatrie française commence à la fin de la seconde guerre mondiale avec lemouvement de «psychothérapie institutionnelle». Celui-ci propose un travail de rénovation de l’hôpitalpsychiatriquecommedesprocédésthérapeutiquesutilisésjusqu’alors,visantla«rééducationsociale»dumalade. Il s’appuie sur l’ouverture et l’humanisation des structures, utilisant la psychothérapie commetechniquedesoin.L’ouvertureprogressivedel’institutionpsychiatriquefrançaisesemanifesteparlaloisurla sectorisationpsychiatriquede1960mettantenplaceundispositifde soinsambulatoiresouvert sur lacitéalternatifàl’hospitalisationenmilieufermé.Ellecréédessecteursgéographiquesde67000habitantsavectoutundispositifdesoinallantdel’hospitalisationenmilieuferméauxcentresmédico-psychologiques(centresdeconsultationenmilieuouvert)enpassantparlesappartementsthérapeutiques(appartementsoùsontlogésetprisenchargedesmaladesmentauxenvoixderéinsertionetdestabilisation).

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mondiale, les réformateurs de la discipline militent pour une reconnaissancesociale des capacités préservées dont dispose le malade mental. L’objectif estainsideluttercontresastigmatisation.Certainsdéfendentalorsl’applicationdece principe à un niveau pénal également: lemalademental criminel doit êtreconsidéré tel un individu comme les autres, qui reste responsable, et doncpassibled’unepeine(Ueberschlag,1956,Rappard,1977).

Cetypedereprésentationesttoujoursprésentàl’heureactuelle.Entémoignela pensée de Jean-Luc Roelandt par exemple, fervent défenseur du secteurpsychiatrique,seprésentantcommel’héritierdelapenséed’unFrancoBasaglia:

«Toute personne vivant dans notre démocratie ne peut être considérée comme uneétiquette. On n’est pas «fou», ni «malademental» pas plus que «dépressif». On estavant tout un citoyen avec des droits et des devoirs. Quel que soit l’état de santé, lasituation sociale, familiale, ou la nationalité, les droits humains s’appliquent à tous lesindividusetlestroublespsychiquesnelesaliènentpas»(Roelandt,2009,p.525).

Cerépertoiredoteégalementlapeinedevertusthérapeutiquesquenientlesreprésentantsdurépertoireopposé. Ilconsidèreeneffetque leprononcéde lapeineestimportantpourstructurerl’individu.Cetargumentestutilisédansuneperspective psychanalytique lacanienne dans les années 1970, dans uneperspectivepsychodynamiqueplusgénéraledans lesannées2000.L’argumentpsychanalytiqueestlesuivant:danslapenséelacanienne,lepsychotiqueabolitlesymbolique.Or,levecteurdusymboliqueestlaloi.Lefaitdeseréféreràlaloidans le cadre d’un procès constituerait le premier moyen pour rétablir lesymbolique que chez le psychotique (Covello, 1978). Dans une perspectivepsychodynamique plus générale, le prononcé de la peine est conçu comme unpréalableàuntravailpsychothérapeutiquesurlecrime(Vignat,1992).

Enfin, ce répertoire promeut une nouvelle conception du droit pénal ayantcomme objectif de protéger la société du crime et de réparer la victime enresponsabilisant tous lescriminels.Cesdeux intérêtssontdoncprisencomptepar ce répertoire, là où l’autre considère que la prise en compte de la victimen’estpasdesonressortmaisdeceluidelajustice.Lespremiersreprésentantsdelapsychothérapieinstitutionnelleproposaienteneffetuneloidedéfensesocialepour les criminels ayant des troubles psychiatriques selon lemodèle de la loibelge de 193025(Abely, 1955), préconisant la création d’établissements de«défense sociale» où une prise en charge interdisciplinaire (judiciaire,psychiatrique,sociale)seraitmiseenplacepour limiter lesrisquesderécidive.En ce sens, le répertoire de l’intégrationpropose demêler l’intérêt dumalademental criminel à ceux de sa victime et à l’intérêt de la société au sein de lasolutiondelaresponsabilisation.

«Cetteirresponsabilitépénaleentraînaitl’irresponsabilitécivileetlesvictimesn’étaientpas indemnisables. Cette situation dura jusqu’à 1968, quand la loi pénalisa lemalade

25PourplusdedétailssurcetteloivoirvandeKerchove(2010).

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reconnucoupabledesfaits,etcelamalgrélenon-lieu.Laloidu25février2008(diteloiDati), en réformant le code de procédure pénale supprime le non-lieu psychiatriquequ’elleremplaceparunedéclarationd’irresponsabilitépénalequinefaitpaséchapperlesujetàlajustice.C’estlajustice,qui,aprèsl’instructionetunmini-procès,décideradelamesure,enfonctiondesdonnéestellesqueladangerositéetlesrisquesderécidive.Ainsiseprofilentdansledroitfrançaisla«défensesocialenouvelle»etlajudiciarisationdesmesuresrelativesauxpersonnescriminellesprésentantdestroublespsychiatriques.LaFrance s’aligne donc sur la plupart des pays européens et anglo-américains. Il enrésultera une modification des pratiques avec l’émergence de nouvellesprofessionnalités en politique psychiatrique et en politique criminelle. La tendanceantisociale sera traitée par les équipes psychiatriques et médico-socio-judiciaires. Laprévention de la récidive et les mesures de sûreté (faute de prédiction scientifique)seront dictées par l’autorité judiciaire, dans le cadre de sentences relativementindéterminées»(Rappard,2009,p.759).

Encadré3:lemouvementdedéfensesociale

La défense sociale est une conception juridique conceptualisée par l’école criminologiqueitalienne représentée par Cesare Lombroso26, Enrico Ferri27ou Raffaele Garofalo28. Elle posecomme objectif la défense de la société, et s’oppose au droit pénal classique en proposant unsystèmedepeinesnonplusbasésurlaresponsabilitémoraledel’individu,maissurlepotentielde dangerosité qu’il représente. Dans ce contexte, tous les individus sans exception feraientl’objet de «sanctions-traitement» destinées à éradiquer les risques de récidive. Les grandsprincipes de cette théorie sont formalisés dans l’ouvrage d’Adolphe Prins, paru en 1910 etintituléLadéfensesocialeetlestransformationsdudroitpénal.Maisc’estsurtoutaprèslasecondeguerremondialeque lemouvementdedéfensesociale trouvesespartisans lesplusnombreux.En1945,lepremiercongrèsinternationaldedéfensesocialealieuàSanRemosousl’impulsionde Filipo Gramatica. En France, l’école criminologique d’Alexandre Lacassagne (ou écolelyonnaise)donneraunéchoparticulieràcesthéoriesaudébutduXXesiècle.En1954,l’ouvragedeMarcAncelLadéfensesocialenouvelledonneunsoufflenouveauàcettedoctrineenlateintantd’humanisme: la défense sociale n’est pas seulement utile pour protéger la société, elle aégalementpourbutd’humaniserlecriminel.La«seconde»écolecriminologiquelyonnaise,dontle grand chef de fil est le psychiatre Marcel Colin se présentera comme l’héritier de cesconceptionsqu’ilmêleauxthéoriesdelapsychothérapieinstitutionnelle.

A partir des années 1970, ces théories sont toutefois en perte de vitesse en France. Ledernier congrès de criminologie a lieu en France en 1972. Une des hypothèses à prendre encomptepourexpliquercetétatdefaitestl’influencedelapenséefoucaldienne(cedernierpourqui, dansLesanormaux, la criminologie est la «science reine» de la normalisation sociale) enFrance et notamment chez la nouvelle génération de psychiatres partisans de l’ouverture del’institution.

3. Répertoiresetpratiques

Cesrépertoires,bienqu’antagonistesetconstruitsàdesmomentshistoriquesdifférents, sont-ils en mesure d’expliquer la diversité de la pratique del’expertise,tellequ’onl’adécriteàl’heureactuelle?

26CesareLombroso,L'hommecriminel,Paris,Alcan,1887.27EnricoFerri,Lasociologiecriminelle,Paris,Dalloz,1893.28RaffaeleGarofalo,Lacriminologie,2eéd.,Paris,Alcan,1890.

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Letableau6reprendlespratiquesdes29expertsinterrogésdanslathèsedeCaroline Protais, analysant le type de répertoire qu’ilsmobilisent. Nous avonsprocédé par démarche inductive: les psychiatres ont justifié librement leurpratique. Nous avons ensuite essayé de voir s’ils mobilisaient les répertoiresobservésdanslesrevuesdepsychiatrie,ousinouspouvionsendégagerd’autres.

Tableau4-PratiquesdesexpertspsychiatresinterrogésetmobilisationdesrépertoiresSource:Protais,2011.Voirpagesuivante

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Tendanceà estimer responsablesdes individus enétatdedécompensationpsychotique

Expert Répertoiremobilisé

Toujoursresponsable Expert1 Intégration

Idem Expert2 Intégration

Idem Expert3 Intégration

Idem Expert4 Intégration

Idem Expert5 Intégration

Toujoursresponsablesaufsipertedeconsciencedesinterdits Expert6 Intégration

Idem Expert7 aucune

Toujours responsable sauf si hallucinations en lien avecl’infraction

Expert8 Défensesociale

Idem Expert9 lesdeux

Idem Expert10 lesdeux

Idem Expert11 lesdeux

Idem Expert12 lesdeux

Irresponsable en état de décompensation sauf si tentative demanipulationdesoninterlocuteur

Expert13 protection

Idem Expert14 protection

Idem Expert15 rejet répertoire del’intégration

Idem Expert16 rejet répertoire del’intégration

Idem Expert17 lesdeux

Irresponsableenétatdedécompensationsaufdanslecasdelaparanoïa

Expert18 protection

Irresponsable si l’infraction est en lien avec l’état dedécompensationpsychotique

Expert19 lesdeux

Idem Expert20 aucune

Idem Expert21 protection

Idem Expert22 protection

Idem Expert23 protection

Idem Expert24 protection

Idem Expert25 protection

Irresponsableycomprisdanslescasd’héboïdophrénie Expert26 protection

Idem Expert27 aucune

Idem Expert28 protection

Irresponsableycomprissipsychosestabilisée Expert29 protection

Tendance à estimer irresponsable des individus atteintsd’unepsychoseaumomentdesfaits

Expert Répertoiremobilisé

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D’une manière générale, ce tableau montre que le lien entre les pratiquesd’expertiseetlesrépertoiresdégagésdanslesrevuesdepsychiatrieesteffectif,puisque le répertoire de l’intégration est prédominant dans la tendanceresponsabilisanteet que celui de la protection l’est dans la tendancedéresponsabilisante. La mobilisation des répertoires permet égalementd’éclairerdespratiquesextrêmes: lesexpertsplacésàuneextrémitédesdeuxpôlesmobilisentquasisystématiquementlesrépertoiresthéoriquementassociésà leur pratique. Quelques cas particuliers existent toutefois, comme celuid’experts qui nemobilisent aucun des deux répertoires29, certains experts quirejettentl’undesdeuxrépertoiressansmobiliserpourautantlesargumentsdeceluiopposé,ou lesexpertsquimélangent lesdeuxrépertoires, témoignantdepratiques «médianes». La diversité des pratiques d’expertise dans les années2000sembledoncbienpouvoirêtrejustifiéeparlabinaritédedeuxsystèmesdereprésentationstémoignantd’unedichotomieperdurantentredesexpertsplutôtfavorables à l’irresponsabilité et d’autres qui ne le seraient pas. Ces constatspermettentdemontrerqu’au-delàdeladiversitédespratiquesàl’heureactuelle,il existe bien des oppositions paradigmatiques structurantes, par rapportauxquelles chaque expert construit une pratique et des représentationsindividualisées.

L’analysede lapressedepuis2005(voir supra)demêmeque l’exploitationdes expertises témoignent également de la perduration et de la portéeheuristiquedecesdeuxrépertoires.Celuidelaprotectionapparaîtparexempleenfiligranedecertainesexpertisesconcluantàl’irresponsabilitédanslesannées2010.Danscertaines,leprincipedusoin,opposéauxeffetsdélétèresdelaprisonestclairementmisenavant.DanslecasdemadameSolo,accuséedevolen2010par exemple, l’expert explique: «Dans l’hypothèse toutefois où la prévenueserait déclarée pénalement responsable, une incarcération ne pourraitqu’aggraver ses symptômes, du fait de son influençabilité et de sa fragilitéaffective.»DanslecasdeM.Bar,accuséd’homicidevolontairepararmeblanche,lepsychiatrevaloriselepointdevuesuivant:

«Ilestàl’évidencedangereuxmaissaviolencen’estquetrèspartiellementuneviolencepsychiatrique. Elle est bien plus biographique,marquée par la carence d’autorité et lesoutien, semble-t-il indéfectible, de samère et de sa sœur, que par la dissociation quicaractériselaschizophrénieparanoïde.Maisilrestefragile,peucapabledecomprendrelasubtilitédesrelationsinterpersonnelles.Ilestcertainementvraiquelemilieucarcéralconstitue pour son équilibremental plus unemenace qu’un bienfait. En conséquence,l’hospitalisationd’officeestlechoixleplusappropriépoursapriseencharge.»

Sollicitude professionnelle à l’égard d’un individu «en souffrance»,valorisationduplacementenhôpitalpsychiatriqueparrapportausoinenmilieu

29Leurpratiqueestjustifiéepardesargumentsbeaucoupmoinsgénéralisésqueceuxutilisésparlesautresprofessionnels,cepourquoinousn’avonspasconsidéréqu’ils’agissaitd’un«répertoire».Cettenotionestsenséerendrecompted’unsystèmeargumentatifvaloriséparcertainsgroupessociaux.

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carcéral,touslesingrédientsdurépertoiredelaprotectionsontréunisdanscerapportd’expertisede2009.Demême,quelqu’uncommeJeanLucRoelandt,déjàcité,témoignebiendelaperdurationdurépertoiredel’intégration.

4. Ladiffusiondecesrépertoiresàtraversletemps

La diffusion de ces répertoires depuis les années 1950 est-elle en mesured’expliquer l’évolution de la pratique de l’expertise que nous avons décrite?L’étudeducheminparcouruparcessystèmesdereprésentationsaufildutempspermet in fine de mener une réflexion plus générale sur les différentsévénements/tendancesd’ensembleayantpuinfluencerlapratiquedel’expertisesur 70 ans. Cette étude est basée sur l’exploitation de 509 articles tirés desprincipales revues de psychiatrie (voir encadré 1), dont les résultats serontnécessairementrésumésici30.

Les années 1950-1960: la naissance du répertoire de l’intégration au sein d’ununiversmajoritairementenfaveurdurépertoiredelaprotection

Dans les années 1950, la pratique des experts est encore majoritairementdéresponsabilisante et le répertoire de la protection est encore largementpartagé.Unbonnombred’expertspublientsurlefonctionnementparticulierdespersonnes présentant des psychoses, notamment lorsqu’ils commettent desinfractions(AlliezetSavy,1956).D’autress’inquiètentdesconceptionsdeleurscollèguesdéfendantuneapprocheplusresponsabilisante.

«Jem’étonnequenotrecollègues’autoriseàconsidérerquelaplupartdescriminelsoudélinquants susceptibles d’être envoyés dans les hôpitaux psychiatriques etspécialement dans les services de sûreté, ne sont pas desmaladesmentaux.(…) Bienqu’il s’agissed’unecatégoriespéciale fortpeuprivilégiéedemalades, forceestbiendelescomprendreetdelessoigner»(Giscard,1954,p.253).

Pourtant, cette période est caractérisée par l’émergence du répertoire del’intégration, la citation précédente en témoigne. En France, durant la secondeguerre mondiale, 40 000 malades de la psychiatrie (Lafont, 1987, vonBueltzingsloewen,2002)sontmortsde faimdans lesasilesà causedes loisderestrictionalimentaire.EnAllemagne,plusde50%delapopulationdesmaladesdits «chroniques» a été euthanasiée avec la collaboration de certainspsychiatresetparfoismêmeà l’intérieurdesasiles.Lespsychiatresayantvécucet événement comme F. Tosquelles, L. Bonnafé, L. Le Guillant ou encore G.Daumézonparaissent, au fildes revuesdepsychiatrie, éprouveraveceffroi leseffets du regard dépréciatif porté sur lamaladiementale en assistant, plus ou

30Pouruneanalyseplusapprofondiedececorpusd’articles,voirProtais,2016,àparaître.

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moinsimpuissants,àcettehécatombe31.Enréponse,aucoursdes«journéesde1945»32, ilsposent lespremiers jalonsd’unmouvementquiproposeun travailderénovationdel’hôpitalpsychiatriqueetdestechniquesthérapeutiquesquiysont pratiquées. Humaniser l’institution c’est non seulement travailler sur lefonctionnement interne de l’hôpital,mais également l’ouvrir pour promouvoirun vrai travail de réadaptation sociale. Il s’agit notamment d’entrer dans uneapproche psychothérapeutique où les capacités résiduelles du malade serontsollicitées, et en particulier sa responsabilité. Mais l’objectif est égalementpolitique:ilconsisteàpromouvoirauprèsdelasociétél’imaged’unmaladequin’estplusun«autre»aliénédanssafolie,maisunindividu«commelesautres»quidisposedefacultéspréservées.

Troisprésupposésàl’originedurépertoiredel’intégrationsontainsiposés:il faut initier le travail psychothérapeutique enmobilisant la responsabilitédumalade; il faut promouvoir auprès du corps social l’image d’un individu«commelesautres»etluttercontresonexclusionsocialeauseindel’institutionpsychiatrique.

Dans ce contexte, quelques experts, toutefois isolés, commencent àpromouvoircesargumentsàunniveaupénal.

«Pourquenosmaladessoientenfintraitésdansladignitéetsanshypocrisie,pourquedans lamesuredupossibleonsauvegarde leurresponsabilité,afinde leurrendre leurpersonnalité. Il n’y a pas pire déchéance que l’irresponsabilité; conclure àl’irresponsabilité,c’estporterun jugementdantesque[...].La justicedeshommesne teconnaîtplus,tasouffrancen’aplusninom,nisens.Quelleinjusticeetquellehorreur!»(Ueberschlag,1956,p.264).

De plus, l’ouverture et l’humanisation des services posent la question desincivilitésetdes troublesducomportementdecertainspatients(enparticulierceuxquiontcommisdesinfractions).Parmicespsychiatres,certainsvontainsipromouvoir un «droit de défense sociale» pour délester la psychiatrie desmaladeslesplus«difficiles»àprendreencharge.

«Maisnefaut-ilpasavanttoutfaire leprocèsdumélangedesmaladesordinairesavecles délinquants mentalement anormaux qui relèvent indiscutablement d’une formed’assistanceparticulière,etdoiventêtreséparésdenosmalades.Onnedirajamaisassezlagênequeces sujetsapportentdansnos serviceset lediscréditqu’ils jettent surnosmaisons»(Daumézon,1946,p.35).

31F. Tosquelles et L. Bonnafé ont notammentmis en place un ensemble d’actions dans l’hôpital de SaintAlban pour lutter contre ce phénomène comme mettre les malades mentaux au marché noir ou àl’agriculturedomestique.32GrandcolloquedespsychiatresfrançaisorganiséàlaLibérationpourinitierlemouvementderénovationdelapsychiatrie.

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Les années 1970: la généralisation des représentations en faveur de laresponsabilisation

À partir du milieu des années 1960, le débat sur la responsabilité desmaladesdelapsychiatries’inscritdanslecontextetrèsspécifiqued’unecritiqueradicaledelapsychiatrievenuedesscienceshumaines.DespenseurscommeM.Foucault ou E. Goffman, mais aussi quelques psychiatres «anti psychiatres»comme R. Laing ou A. Esterson33détiennent une forte influence sur la jeunegénérationdepsychiatrescontestataires issusdumouvementdeMai1968,quidevientunévénementclécontribuantàréorienterledébatsurlaresponsabilitédesmaladesdelapsychiatrie.Cettecritique–quireprendsommetoutelesidéesdesreprésentantsdelapsychothérapieinstitutionnellesanslescitersuruntonplusradical–s’articuleàunecontestationpolitiqueplusglobale:lelibéralismene tiendrait pas ses promesses d’émancipationmais fabriquerait de nouveauxexclus.Lemaladementalapparaîtcommel’und’entreeuxtoutcommesavictimedontlacauseémergeàcettemêmepériode.RichardRechtmanetStéphaneLatté(2006) font en effet remonter l’émergencede cettenouvelle figure auxannées1960sousl’impulsiondesmouvementsféministesouencoredesvétéransdelaguerreduVietnam.

Laconséquencedececontexteparticulierestlaradicalisationdesargumentséthiques et thérapeutiques posés dès 1950par les représentants de lapsychothérapieinstitutionnelleetlagénéralisationdesreprésentationspropresaurépertoirede l’intégrationdans laprofessionpsychiatrique.Dans lesannées1970, il ne s’agit plus seulement de «désenclaver» la maladie mentale, maisd’agiràl’égarddufoucommes’ilnel’étaitpas,pourlaissers’exprimerlavéritédont il est porteur. Au-delà d’une politique d’ouverture de l’hôpitalpsychiatrique, c’est désormais une psychiatrie radicalement communautaire etcontractuellequiestpromue.Lesapprochesphénoménologiquesetlacaniennesapparaissent dans ce contexte comme les seules ressources contre«l’enfermement»dumaladedanslesavoirpsychiatrique.

«L’analyse, si tant qu’elle est, dans les limites de certaines conventions techniques,essentiellementdialogueetprogrèsversunsens.Lessignificationsqu’ellerévèledanslesujet coupable, ne l’excluent point de la communauté humaine. Elle rendpossible unecureoùlesujetn’estpointàlui-mêmealiéné,etlaresponsabilitéqu’ellerestaureenluirépondàl’espoir,quipalpiteentoutêtre,des’intégrerdansunsensvécu.(…)»(Lacan,1956,p.125).

La solution du non-lieu est alors perçue quasi-unanimement commel’exclusion par excellence, non seulement car elle fige l’individu dans une

33Cesderniersproposentuneabolitiontotaledel’hôpitalpsychiatriquefermépouruntypedepsychiatriecommunautaire,etprônentauseind’uneapprochephénoménologiquelalibreexpressiondudélirecommemoyenpsychothérapeutique.FrancoBasagliaenItalieétaitégalementtrèsprochedecetypedeconceptionmaisnesedéfinissaitpascomme«antipsychiatre».

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étiquette de «malademental»,mais aussi parce qu’elle l’exclut du reste de lasociété dans une institution psychiatrique. La majorité des professionnels del’époque(ycomprislesnon-experts)vontdéfendrelerépertoiredel’intégration.Ils tombent d’accordsur l’idée de ne plus conclure à l’article 64 pour ne plusassigner la personne à sa maladie mentale. Ils préconisent par ailleurs de sesaisirduprocèspourpermettreaufoud’extérioriserlesraisonsquil’ontconduitaucrimeet l’inscriredans lapsychothérapie.Ce lieuestainsiconçucommeunespace où la société toute entière doit écouter et reconnaître la parole dumalade.

«Commen’importequi,ilavaitdroitàunjugementhonnête,oùlecomplottramécontrelui pourrait enfin se trouver dénoncé à la face du monde. D’ailleurs ce procès étaitindispensableàl’accomplissementdesondestin.N’avait-ilpasentendusursonpassage,dans les dernières semaines avant son acte incendiaire, des murmures où l’on sedemandaits’iln’étaitpasleChrist?Depuissonincarcérationilsesentaitapaisé,enfinàl’abridesespersécuteurs, ilnousfaisaitconfiancepourquela justiceéclate.CommelePrésidentSCHREBERilavaitécrit lagestedesavie,etnedoutaitpasquecette lecturenouséclairerait.(…)Sansaucundoute, cethommeentraitdans le champd’applicationde l’article 64, comme lors de son premier délit. Mais tout aussi clairement, il étaitévident,quesonpremiernon-lieuavaitcontribuéàrenforcerl’orientationpathologiquedesonexistence»(Jacquot,1978,p.66).

Le répertoirede l’intégration se teinte égalementde lacanisme: au-delàduprocèsc’estbien le rappelde la loiquiestperçucommethérapeutiqueàcettepériode.

«DanslamesureoùlaSociétéestmatricedelaLoi,elledoitaupatientdefournircetteoccasionderencontre,dans lamesureoù lasociétésereconnaît ledevoirde traiter lepatient, elle lui doit aussi cette rencontre utile à la mécanique de sa guérison»(Daumézon,1976,p.249).

Deplus,cesannéesmarquentlarencontreentredesconceptionséthiquesetthérapeutiques d’un côté et l’argument victimaire de l’autre. La solution de laresponsabilisation apparaît comme la meilleure solution pour le malade maisaussipoursavictime.Certainsexpertspsychiatrestrèsimpliquéspolitiquementinvestirontégalement lacausevictimaireetnotamment le féminisme.En1968,leMouvementdelibérationdesfemmesentretientdesrapportsimportantsavecles milieux contestataires de gauche et des féministes comme J. Hyvard, E.Santos, H. Cixous, M. Gagnon qui s’inscrivent également dans les critiquesradicalesportéesàlapsychiatrie.C’estdanscesliensquel’investissementpourune psychiatrie ayant tiré des leçons des théories critiques rencontrent unedéfensedelacausedesvictimes.

Fin1970début1980:responsabiliseràtoutprix

Au fil des revues de psychiatrie étudiées à cette période, les psychiatresparaissent ressentir de plus en plus violemment une critique sociale quis’exprime sous un mode contradictoire. D’un côté, la critique des effets de

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pouvoir détenus dans la psychiatrie atteint un point de paroxysme avec deuxévènementsclés:laréactivationdusouvenirdurégimenazi34etl’expositiondesinternementsarbitrairesenexURSS35.D’unautrecôté, lepsychiatreentretientun rapport de plus en plus conflictuel avec la sphère sociale en général, quisembleluireprocherégalementdenepasapporterderéponsesatisfaisanteàladangerosité de certainsmalades présentant des troubles psychiatriques. Dansl’affaire Prosenjit Poddar aux Etats-Unis par exemple, le jeune hommeparanoïaque avait confié ses fantasmes criminels à l’égard de sa petite amie àsonpsychiatreavantdelatuer.Lepsychiatren’enapasrenducompteàlajusticeetenaétéinquiétéparlasuite.

La conséquence de cette critique oscillant entre l’exposition des effetsdélétères de la psychiatrie et une demande de gestion du comportement«anormal» est une posture professionnelle défensive défavorable àl’irresponsabilitépsychiatriquequidonneralieuàuneadhésiongénéraliséeauxidées défendue dans le répertoire de l’intégration. En 1976, les psychiatresendossentunepositionmajoritaireclaire:neplusdéresponsabiliserpourlimiterlesusagesabusifsde cette solution commeenRussie,mais égalementpourneplusêtreimpliquédansladangerositédecertainsmaladesdelapsychiatriequidoiventainsiêtrerenvoyésàl’institutionjudiciaire.

«La caractérisationd’irresponsabilité, élémentessentielhélasdans touspays,du rejetdu fou hors de la loi commune est utilisé pour escamoter les délits «d’expressiond’opinion», qui n’existent pas et pour condamner sine die, les coupables devenusirresponsables. Que ce crime politique se couvre de la psychiatrie est une de sestendanceslesplusnocives,inspiréesparlespréjugéssociauxcontrelafolie»(Ferdière,1976,p.546).

1985-2007:dangerositéetvictimes

Cesvingt-cinqannéessontcaractériséespardesdifficultés institutionnellesinédites qui posent à l’expert avec une acuité particulière le problème de ladangerosité des criminels présentant des troubles psychiatriques, notamment.Lamiseenplacedelapolitiquedesectorisationpsychiatriques’effectueàpartirdes années 1980 dans un contexte de crise économique et sociale. Celle-ciengagel’ouverturedeshôpitauxpsychiatriquessanspourautantquelesbudgetsalloués à la psychiatrie ne soient réinvestis dans des solutions sectoriellesouvertes sur la cité. Lenombrede lits en secteur fermédiminueconstamment

34en1978,L’expresspublieuneinterviewdel'anciencommissaireauxquestionsjuivesdeVichy;leprocèsKlaus Barbie se tient de 1983 à 1987; en 1979 paraît le feuilletonHolocaustequi compare la vie d’unefamille juive etd’une famillenaziedurant la guerre enAllemagne.Denombreuxarticlesparaissent alorsdanslesrevuesdepsychiatriepouranalyserlerôledespsychiatresdansl’euthanasiedesmaladesmentauxdurantlaguerre.35Nousfaisonsréférenceicià l’affaireLéonidPlioutchdissidentdurégimecommunisteinternésuiteàunavis d’irresponsabilité mentale. Une majorité de psychiatres français se mobilisent en 1976 pour salibération.

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jusquedanslesannées200036.Lespsychiatressoulignentalorsaufildesrevuesprofessionnelles la précarisation de certains schizophrènes chroniquessusceptibles demanifester leurmal-être psychique dans des passages à l’acteviolentsetquestionnentlesmoyenspourlesprendreencharge.

L’exposition médiatique de divers crimes commis par des personnesprésentant des troubles psychiatriques (voir chapitre 5) conduit certainesassociations de victimes à prendre des positions radicales. L’affaire RomainDupuy par exemple, schizophrène qui a tué deux infirmières à Pau en 2004 asuscité de nombreuses manifestations soutenues par des associations devictimes comme la FNAPSY et UNAFAM (auxquelles les revues de psychiatrieaccordentàpartirdeladécennie1990destribunesrégulières)pours’opposeràla solution du non-lieu psychiatrique préconisée pourtant par la majorité desrapports d’expertises dans ce dossier. Dès 1990, M-P. et T. Lavergne font parexemple état d’une «pétition adressée au garde des sceaux par plusieurscentainesdepersonness’élevantcontreuneéventuellesortied’office»(p.670)d’un patient ayant commis un crime. Dans un tel contexte, la posturedéresponsabilisante devient très coûteuse, et certains professionnels sepositionnentdu côtédesvictimesengénéral, làoùd’autres réinvestissentuneapprochede«ladangerositécriminologique».Danslesannées2000,lasolutionde la responsabilisation pourrait donc bien apparaître, pour une majoritéd’experts,commeunesolutionderecourspourdespsychiatrestrèssensibilisésà la question de la dangerosité du malade mental pour lesquels le problèmeinstitutionnelqueconnaîtlapsychiatrieàl’heureactuelleparaîtinsoluble.

Pourtant le répertoire de l’intégration, dans sa version humaniste etpsychothérapeutiqueestencorebienvivace,entémoignelesentretiensréalisésavec les experts en 2009 (voir supra). L’idée selon laquelle la sanction détientune fonction symbolisante semble toutefois s’inscrire dans un contexteépistémologique très spécifique des années 1970-80. La mode de lapsychanalysefaiblissantenmêmetempsquelenombred’adeptesdulacanisme,l’analysedecettepériodepeutlaisserpenserquecetargumentdisparaîtraitaveclagénérationd’expertsayantétéformésàlapsychiatriedanscesannées-là.

Versunrépertoiredeladéfensesociale?

Un certain nombre d’éléments plaident en faveur du renforcement de latendance observée à partir dumilieu des années 1980 dans une période trèsrécente. Ce constat permet de questionner une mutation du répertoire del’intégration vers un répertoire de la défense sociale. Un expert interrogé en2009 (l’expert n°8, dans le tableau 4) avait déjà franchi le pas assumant

36En1980,leministèreBarrotsupprime40000lits,eten1983,leplanrelatifàlasectorisationengendrelafermeturede12000litssupplémentaires.Entre1991et1997oncomptabiliseànouveauunebaissede27%delitspourlesadultesetde42%delitspourlesenfants.

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pleinement un type positionnement allant dans le sens de la prévention de ladangerositéetdelarécidive.

L’étudedesexpertiseslesplusrécentesconcluantàlaresponsabilisationdespersonnesprésentantdes troublespsychotiquesmontreque la valorisationdel’aspectthérapeutiquedelasanctionconstitueaujourd’huiunargumentenvoixderégression(voirtableau3).Ainsi lesexpertsvalorisentbeaucoupmoinsquedans les années 2000 le fait que la personne revendique sa responsabilité ouqu’ellepourraiten«bénéficier».Cecis’accompagneencontrepartied’unemiseen exergue accrue de la dangerosité de certains malades et de leurs aspectsmanipulateurs.

«Lesujetestaccessibleàunesanctionpénaledontilestcapabledecomprendrelesens.En cas de condamnation un suivi psychologique sera nécessaire pour aider le sujet àtirer profit des expériences passées et de la sanction pour remettre en cause soncomportement et pour éviter que la sanction éventuelle n’aggrave le vécu depersécution.Si lesfaitssontavérés, lesujetrisquefortdeprendrel’absenceéventuelledesanctionpouruneimpunitéliéeàsesantécédentspsychiatriques,cequiaccentueraitsatoutepuissanceetsadangerosité.»(expertisedeM.Dit,accuséd’homicidevolontaireen2009).

Lasuspicionmoraledirigéeverscertainsmaladesquiarrêtentrégulièrementleur traitement, le remplacent par des toxiques, qui mettent en échec lespossibilitésthérapeutiquesetprésententunedangerositédépassantlechampdecompétencedelapsychiatrietranspirealorsdecertainesexpertises.Cespatientsapparaissentdèslorscommeles«mauvaismalades»quelapsychiatrierenvoieàlajustice.

Nousl’avionsdéjàconstatédanslecasdeM.Ben.CeluideM.Darsinconstitueunautreexempledecetype.Cedernier,quiaétéreconnucommeatteintd’uneschizophrénieparanoïdedelonguedate,apparaîtcommepeu«compliant»auxsoins. Lorsqu’en 2010 il est accusé d’enlèvement, séquestration, et tentatived’assassinat, l’expert conclut à l’altération du discernement sans argumentclinique particulier, en valorisant uniquement l’épuisement des techniquespsychiatriquesetson«mauvaispronostic»:

«M. Darsin a bénéficié d’une grande partie de la pharmacopée psychotrope avec undénominateur commun à savoir la faible observance thérapeutique. (…)M. Darsin estatteint d’un trouble psychotique de type schizophrénie paranoïde associé à uneproblématique polyaddictive comorbide. L’infraction est en lien avec cette anomaliementale.Celle-cialtèreclairementsonrapportàlaréalitéaffectantparticulièrementsasphère émotionnelle et son jugement.(…) Le pronostic est sombre: l’observancethérapeutiquen’estpasdemise,dessymptômesrésiduelspersistent,onest faceàuneproblématique addictive comorbide, il témoigne d’une anosognosie partielle avec desantécédents de passage à l’acte. (…) On peut considérer que son discernement étaitaltéréausensdel’article122-1alinéa2ducodepénal»(expertisedeM.Darsin,accuséd’enlèvement,séquestration,tentatived’assassinaten2010).

Alors que le diagnostic d’un trouble psychotique de type schizophrénieparanoïde au moment des faits pourrait faire pencher la balance de certains

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expertsducôtédel’irresponsabilité,cetexpertconclutenunesimplealtérationsans même justifier son point de vue. Il faut relever par ailleurs que l’expertcommis exerçait dans le service où le mis-en-examen a été placé durantl’instruction.L’hypothèseselonlaquellel’expertiseétaitorientéeparundésirdefairesortirdesonserviceunpatientdifficileàprendreenchargedoitêtrepriseencompte.

Sicesexpertsnementionnentpasouvertement ladéfensesocialedans leurexpertise, l’observation de la presse spécialisée entre 2005 et 2015 témoigned’unepréoccupationtoujoursplusnettepourladangerosité.Sur les22articlesanalyséssurlapériodetraitantdesthématiquesdudroitetdelajusticeenlienavec la psychiatrie, la dangerosité est celle qui ressort le plus, puisqu’elleapparaît dans 11 articles. Seul un article défend le répertoire de l’intégrationsousune formeplushumaniste, telqu’onapu levoirdans lesannées1970. Ils’agitd’ailleursd’unpsychiatreayantétéforméàladisciplineàcettepériode,entémoigne notamment son imprégnation par les idées de Franco Basaglia. Al’inverse,d’autrespsychiatresainsiquedesexpertsdela«nouvellegénération»proposentdescritèresdepréventiondeladangerositéetdelarécidive(Abondo,Bouvet,Palaric,Spriet,LeGueut,2014;Delacruz,gasser,2012;Baratta,2011;Zouari,Feki,BenThabet,Charfi,Zouari,Maalej,2012), làoùd’autresvalorisentl’obligationdesoins.Desexpériencesétrangèrestellesquel’expériencesuissedeprévention de la récidive (Delacrausaz; Gasser, 2012), ou celles des unitésmédico-légalesenBelgique(Cornu,Mercenier,Giovagnoli,2011)sontégalementprésentées et évaluées. Le résumé de l’article suivant témoigne bien de cetteambitiondevouloirnourrirlaréflexionfrançaisesurladangerositégrâceàdesexpériencesétrangères.

«Nous décrivons dans cet article la pratique de l’expertise psychiatrique pénale tellequ’elle est effectuée au centre d’expertises de l’Institut de psychiatrie légale dudépartementdepsychiatrieduCHUVàLausanne.Yestnotammentabordéelaquestionde la place réservée à l’utilisation d’instruments d’évaluation du risque de récidive.Qu’ils soient actuariels ou à type de raisonnement clinique structuré, ces instrumentsnous paraissent pouvoir trouver à s’inscrire dans une démarche méthodologiquerigoureuse,danslamesureoùcelle-cisedéploiedansuneperspectivequirestefondéesurlaclinique»(Delacruz, Gasser, 2012 , p. 439).

Certains autres se questionnent sur le type d’institution permettant derépondreàlapréventiondeladangerositédespatientssortantd’hospitalisation(Couhet,Cochez,Meriglier,Verdoux,2008)oudeprison(DeBeaurepaire,Pham,2010):

«Maisquelleestexactementlaplacedupsychiatre?Dispose-t-ildesmoyensdestinésà«prédire» la récidive? Et des moyens de la «prévenir»? Après une analyse de laproblématique, et une description des méthodes actuelles d’analyse du risque derécidive chez les auteursd’infractions, nousprésentons lesdonnéesde l’activitéd’uneconsultationmédico-légale destinée à la prise en charge des personnes sousmain dejustice, sortants de prison et probationnaires avec une mesure de soins pénalementordonnés. Cette consultation s’intègre dans un dispositif médical, social et judiciaire

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orienté vers l’insertion des personnes suivies, qui constitue actuellement le meilleurfacteurdeluttecontrelarécidive.L’évaluationcliniqueetstandardiséedupotentielderécidive permet d’ajuster la prise en charge et le partenariat médico-judiciaire deréaliserune«structureintermédiaire»utileàladémarched’insertion » (De Beaurepaire, Pham, p.126).

L’ensemble de la profession ne s’est pourtant pas tout à fait converti à laprévention de la dangerosité et des comportements violents. Un frontd’opposition à cette tendance, avec quelques chefs de fils, comme CatherinePaulet, Gérard Laurencin ou Jean-Louis Senon mettent en garde contrel’«orientationsécuritaire»delapsychiatrie,sedemandantsi:«l’ensembledelapsychiatrie,saurarésisteràl’injonctionquiluiestfaitedeneutraliserplutôtquede soigner?» (David, Paulet, Laurencin, 2012, p. 605). Toutefois, force est deconstater que la thématique occupe le débat, suivant, voire radicalisant lemouvementquel’onapuvoirs’opérerdanslesrevuesdepsychiatrieàpartirdumilieudesannées1990.

Silesexpertsnerevendiquentpasencoretoutàfaitouvertementladéfensesociale, la montée en puissance de la problématique de la dangerosité aveccertains qui s’inscrivent dans une clinique de la dangerosité et de la récidivelaissedoncpenserquecetypederépertoireestbienentraindeprendrelepassurceluide l’intégration,àmesureque lagénérationd’experts formésdans lesannées1970partàlaretraite.37Lephénomèneavaitétéremarquédèslafindesannées1990,ilsembles’affirmertoujoursplusdepuislors.

Conclusion

Ce chapitre a permis de mettre en évidence une restriction du champd’applicationdel’article122-1al.1(anciennementarticle64)depuislesannées1950, toujours à l’œuvre de nos jours. Si au milieu du XXe, une diversitéimportante de troubles mentaux pouvait faire l’objet d’une irresponsabilité«psychiatrique», ce champ est désormais restreint aux débilités mentalesprofondes, mais surtout aux psychoses décompensées caractérisées par unefloraison importantedesymptômesévoquantcettemaladiedemanièrecrianteetincontestable.

Un certain nombre de personnes présentant des troubles qualifiés de«graves»parlesavoirpsychiatriquesontparailleurs«responsabilisées»àunniveau pénal. A minima, ce type de pratiques concerne des personnalitéscumulantdes«traitspsychotiques»etdes«troublesducomportement»,voiredes «tendances toxicomaniaques»; a maxima des personnes présentant despathologiespsychotiquesclairementdécompensées.

37En2009,lamoyenned’âgedesexpertspsychiatresfrançaisétaitde57ans.

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Ces pratiques témoignent d’une évolution des conceptions de la maladiementale et de l’éthique professionnelle des psychiatres experts près destribunaux. D’une approche englobante et fixiste de la maladie mentale,majoritairedans lemilieude lapsychiatriedans lesannées1950, laprofessionest passée à une conception «éclatée». La pathologie est perçue commen’altérant pas l’ensemble des pans de la personnalité du malade de la mêmemanière. Se faisant, la majorité des experts de la période actuelle remettentradicalement en cause l’association entre la psychose et l’aliénation mentaleayant coursdans lapremièrepartieduXXe. L’idéeque la responsabilité seraithumanisanteetlaloithérapeutiquepourlemaladecompteégalementparmilesreprésentationsayantémergédanslasecondepartieduXXeetquiparticipentàce mouvement de responsabilisation des malades souffrant de troublespsychiatriquesetayantcommisdesinfractions.

Plusieurs événements historiques et tendances sociales de long courtpermettentd’expliquerl’auragrandissantedurépertoiredel’intégrationdurantprès de 70 ans. L’événement de la seconde guerre et lamanière dont il a étévécue par un certain nombre de professionnels, la réception des penséescritiquesde lapsychiatriedans lemilieuprofessionneldes années1960-70, lerenforcement de la critique suite à l’exposition sociale des internementsarbitrairesenRussie, lafermeturedeslitsd’hospitalisation…autantd’élémentsdontnouspouvonsconfirmer l’influence.Lamontéeenpuissancede lavictimeainsiquelaquestiondeladangerositéparticipentégalementàcettetendance,etcontribuent potentiellement à faire naître dans une période très récente unsystèmedereprésentationsdanslequellesargumentssécuritairesdeviendraientprédominants, pour constituer ce que nous avons appelé un «répertoire de ladéfensesociale».

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Chapitre 2: Repenser le sort des auteurs d’infractionprésentantdestroublesmentaux:regardsdepsychiatressurl’irresponsabilitépénale

ParCamilleLancelevée,CarolineProtaisetCarolineGuibetLafaye

Les médecins non experts nourrissent également des représentationsrelatives à l’irresponsabilité pour cause de trouble mental. Ces professionnelsexercent dans différentes structures sanitaires (services ouverts, fermés ouambulatoiresd’établissementspublicsensantémentale,servicespsychiatriquesen milieu pénitentiaire, ou dans une moindre mesure, cabinet privé). Laréalisation de 31 entretiens semi-directifs a permis d’explorer cesreprésentations. Outre la question de l’irresponsabilité, ils ont abordé leparcours professionnel, les orientations théoriques et la façon dont cesprofessionnels se représentent la maladie mentale et la folie (voir encadréméthodologique).

Moins directement impliqués dans la dimension légale du principed’irresponsabilité que leurs confrères experts, ces psychiatres observent laquestiondel’irresponsabilitésousl’angledeleurpratiquecliniqueetdelapriseenchargedesauteursd’infractionsprésentantdes troublesmentauxenprisonou à l’hôpital. En effet, la mise en œuvre du principe d’irresponsabilité a desconséquences directes sur le travail quotidien des professionnels rencontrés:ceuxquiexercentenmilieupénitentiaireontdeforteschancesderetrouver,dansleurs services, les personnes incarcérées en dépit de troublesmentaux parfoisimportants. À l’inverse, ceux qui pratiquent en milieu hospitalier doiventaccueillir les personnes irresponsabilisées qui posent parfois des difficultéspratiques et éthiques aux services. Différence notable par rapport à leurscollèguesexperts,laquestiondel’irresponsabilitéestdoncprincipalementsaisieà partir des effets indésirables que produit l’agencement institutionneldichotomiquequicaractériselesystèmepénalfrançais(CollectifContrast,2015).Les professionnels interrogés tirent de ces «dysfonctionnements» desenseignementsparfoisantinomiques:ilfaut,pourcertains,développerlessoinspsychiatriquesenprison, tandisqued’autresestimentnécessairede limiteraumaximum l’incarcération de personnes atteintes de troubles psychiatriques; ils’agit pour certains d’assumer un enfermement de protection pour certainsmalades,tandisqued’autressouhaitentquelapsychiatriesoitenfindélestéedetoutemissionquis’apparenteraitàducontrôlesocial.

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Certains points communs avec l’univers de l’expertise existent toutefois.Nousmontreronsainsiquecespositionnementsautourdelapriseenchargedesauteursd’infractionsprésentantdestroublesmentauxrésultentégalementdelafaçon dont ils perçoivent et considèrent leurs patients, i.e. soit comme despersonnesvulnérablesquelapsychiatrieapourmissiondeprotéger,soitcommedes citoyens à part entière qu’il s’agit de réintégrer au corps social. Cesconstatations nous permettront de montrer in fine que la question del’irresponsabilité est révélatrice d’un clivage central dans la psychiatriecontemporaineautourdelanaturedesamissionetdeladéfinitiondesonobjet.

Avant d’exposer ce clivage, nous analyserons, dans une première partie, lafaçon dont ces psychiatres non-experts parlent de la pratique de l’expertise.Nous verrons que s’ils justifient leur choix de ne pas réaliser d’expertise pardifférentescontraintesprofessionnelles,ilsnesontcependantpasunanimessurla nécessité d’une spécialisation des experts psychiatres. Invités ensuite à semettre dans la peau de l’expert par les enquêtrices, c’est-à-dire à décrire lessituations qui relèvent pour eux de l’irresponsabilité pénale, les psychiatresinterrogés fontune interprétationcontrastéeduprinciped’irresponsabilité.Unmêmespectredepositionsquedanslemilieudel’expertise,allantd’unelecturetrèslimitativedeceprincipeàunelectureenglobantplusdesituationscliniques,pourraêtremisenévidence.

Dans les deuxième et troisième parties, nous verrons que ces lecturesdivergentes de la maladie, résultant d’un désaccord tant scientifiquequ’ontologique38 , s’articulent à l’appréciation que les psychiatres font desdysfonctionnementsinstitutionnelspourproduiredespositionsclivéesquantausort à réserver aux auteurs d’infractions présentant des troublesmentaux. Laligne d’opposition que nous mettrons en évidence n’est cependant pas siimperméable. Lespositionsdespsychiatres rencontrés sont souventnuancées.Departetd’autres, lesdilemmesmorauxsontnombreuxsurla«bonne»façondeprendreenchargelesauteursd’infractionsprésentantdestroublesmentaux.

38Lespsychiatressontendésaccordsur lesorigines,causeset facteursde lamaladiementale (étiologie),maiségalementsurlafaçondontcelle-cimodifiel’êtredesindividus(ontologie).Certainsrefusentd’ailleursde parler de «malade mental», soit parce que le terme essentialise des «troubles psychiatriques» quin’affectentpas,seloneux,l’entièretédel’espritdel’individu,soitparcequeletermeréduitla«folie»àuneentité psycho-pathologique déterminée, laissant entendre que le psychiatre serait seul spécialiste de la«folie».

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Encadréméthodologique

Lecorpusmobilisédanscechapitreestconstituéde24entretienssemi-directifsréalisésparCarolineProtaisentre2014et2015etde7entretiensréalisésen2012-2013parCarolineGuibetLafayedanslecadred’uneenquêteprécédentesurlessoinssansconsentement,etcomplétésen2015àl’occasiondecettenouvelleenquête(voirannexeméthodologique).

L’absence de données de cadrage sur le groupe professionnel des psychiatres rendimpossible l’évaluation de la représentativité du corpus constitué. Quelques éléments decontextualisation peuvent toutefois être apportés: la quasi-totalité des psychiatres rencontrésest salariéeduservicepublichospitalieretexerce soitdansdes servicesouvertsou fermésdepsychiatrie, soit dans des unités ambulatoires du secteur psychiatrique général oupénitentiaire39.Lespsychiatresexerçantenmilieupénitentiairesontsurreprésentésdansnotreéchantillon(7sur3140),tandisquelespsychiatreslibérauxsontlargementsous-représentés(3sur3141).Sur leplanthéorique,unegrandeproportiondespsychiatres interrogéssedécriventcomme formés à la «psychanalyse» (12 sur 31) parmi lesquels 8 se présentent comme deshéritiersdela«psychothérapieinstitutionnelle».Lesautrespsychiatresontsoit:uneapproche«éclectique»(c’est-à-direuneapprochepragmatiquequicombineplusieursapportsthéoriquessans prédilection particulière (9)), une approche fondée sur les «thérapies systémiquesbrèves»42(3),uneapprochedepsychiatriesocialeouréhabilitatrice43(3),uneapprocheneuro-psychiatrique (2), ou bien encore une approche phénoménologique (2). Ces orientationsthéoriquesnedonnentcependantaucuneindicationquantà lareprésentativitédespsychiatresinterrogés, puisqu’il n’existe à notre connaissance pas de statistique portant sur l’orientationthéorique des 15048 psychiatres recensés en France au 1er janvier 2015. A défaut de pouvoirstatuersurlareprésentativitédel’échantillon,nousnousconcentreronsdanscetteanalyse,nonpas sur le poids statistique des réponses, mais bien plutôt sur des positionnementscaractéristiques.Nousanalyseronsplusprécisémentlespositionslesplustranchées,révélatricesdeslignesdeclivagequisedessinentauseindecegroupeprofessionnel.

I. Regardsdepsychiatresnon-expertssurl’irresponsabilitépénale

Les psychiatres rencontrés ont fait le choix de ne pas demander leurinscription sur la liste des experts. Ils invoquent pour cela des contraintes

39Ils représentent 56,4% des 15048 psychiatres recensés par la DREES au 1er janvier 2015 à partir desdonnées du Répertoire partagé des Professionnels de Santé (RPPS): voir http://drees.social-sante.gouv.fr/etudes-et-statistiques/open-data/professions-de-sante-et-du-social/la-demographie-des-professionnels-de-sante/la-demographie-des-medecins-rpps/article/la-demographie-des-medecins-rpps40Ils travaillent au sein des servicesmédico-psychiatriques régionaux (SMPR) ou de dispositifs de soinspsychiatriques (DSP) inclus dans les unités de soin somatiques, ou encore au sein des nouvelles unitéshospitalières spécialement aménagées (UHSA). Si le nombre exact de psychiatres travaillant en milieupénitentiairen’est,ànotreconnaissance,pasdisponible,onpeutrapidementestimercechiffreàpartirdunombredestructures(26SMPR,9UHSAetenviron180DSP)àmoinsde400personnes,soitmoinsde3%despsychiatres.41LesstatistiquesdelaDREESindiquentuneproportionde40%depsychiatreslibérauxexclusifset41%depsychiatresquiontunexercicemixte(salariédelafonctionpubliqueetactivitélibérale).42 Une méthode thérapeutique fondée sur la résolution conjointe, avec le patient, des problèmescomportementauxlesplusaigus.43Cetteméthodethérapeutiqueinsistesurl’importancedel’environnementdupatient,etmetl’accentsurlacapacité des individus à développerdes comportements leur permettant de retrouver une indépendancedanslamaîtrisedeleurenvironnement.

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professionnelles, et, pour certains,des réservesquant auxmissionsexpertales.S’ilssontpeunombreuxàcritiquerlepouvoirconfiéauxexpertspsychiatresenmatière d’irresponsabilité pénale, ils sont cependant partagés sur le fait desavoirsil’artdel’expertiserequiertuneformedespécialisationprofessionnelle.Lespsychiatresrencontréssedivisentparailleursàl’heurededéfiniràquidoits’appliquerleprinciped’irresponsabilité.Lesargumentsantinomiquesinvoquésparlesunsetlesautressoulignentlagrandeplurivocitédusavoirpsychiatrique.

1. Déterminerl’irresponsabilitépénale:untravaild’expert?

Parmi les trente psychiatres interrogés, seuls trois réalisent régulièrementdesexpertisespsychiatriquespénales.Lesautressontparfoissollicitéspourdesexamensmédicauxaumomentdelagardeàvue(article63duCPP),oupourlaréalisation de certificatsmédicaux circonstanciés dans le cadre demesures deprotectionjuridique(tutelle,curatelle),maisontfaitlechoixdenepaspratiquerd’expertisesaupénal.

Desarbitragesprofessionnels

Lesraisonsdecechoixsontmultiples:laplupartdespsychiatresinvoquentun défaut de temps mais également un manque de goût pour l’expertise, etentendentprivilégierletravailcliniqueàcetteactivitéexpertale:

«Alors c’est pas ça qui me passionne! Ce qui me passionne c’est le soin, c’estl’organisationdeséquipes, c’estdemonterdesprogrammesde soin...Voir lespatientsqui évoluent, ça m’amuse beaucoup! L’expertise, c’est de la description d’un tableauquoi,c’estmoinsmon…»EntretienAndréGrignon,40-55ans,milieuhospitalier«Moihonnêtement,j’aipasfaitmédecinepour...maconceptiondelapsychiatrie...parcequej’aifaitmédecinepourêtrepsychiatrie...Bonmaismoiilyaunfacteurpersonnel,jesaisqueçaprendbeaucoupdetemps,jesaisqu’ilfautalleràlaprison,êtretributairedeleur système administratif, euh…moi je n’aimepas ce type de relation avec lemalade.L’expert,çapeutêtredanscertainscastrèstrèsdéterminantquoi.»-C.Protais:C’estvraiquec’estunavisquiestdonnéàunmomentdonné...-Oui,commelavéritéavecungrandV.Bon.»EntretienNicoleMatthieu44,40-55ans,milieuhospitalier

L’expertiseplacelepsychiatredansunepositiond’évaluateuretnonplusdesoignant,unrôlequecertain/esn’ontpasenvied’endosser.Cesdeuxrôlessontantinomiquespourlespsychiatresexerçantenmilieupénitentiairequijustifientleur choix de ne pas faire d’expertise par l’idée que cette pratique seraitincompatibleavecletravailcliniqueréaliséenprison.Siunepsychiatreexerçant

44Lesnomssontfictifs.Nousavonschoisid’anonymiserlesnomsdesenquêtésencréantdespseudonymesafindefaciliterlalecturedutexteetdepermettreauxlecteursderapprocherlesdifférentescitationsd’unmêmepsychiatre.

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enprisonenvisagederéaliserdesexpertisesdansunevillevoisinedecelleoùelle travaille, les autres considèrent qu’ils doivent «rester dans le soin» pourclarifier leur identité,auxyeuxde leurspatients,dansununiverspénitentiairemarquéparlaméfiance:

«Doncpourmoi,laquestiond’êtresoignantenprisonetd’avoirunecasquetted’expertaupénal,toutlemondeestpasd’accord,maismoi,çamesembleconfus,danslesensetdansl’organisation.Doncducoup,dansl’équipedanslaquellejetravaille,personne(…)nefaitd’expertisepénale.Maisc’estunpointdevued’engagementpersonnelsurcettequestion-là.-C.Protais:Parceque...Laconfusionelleestoù?-C’estcompliquépourlespatients.Oualorsoui,alorsj’aidescollèguesquidisent:oui,onfaitdesexpertisesmaisdansuneautreprison,maisalorsçademandeénormémentde temps. Etmoi jeme suis toujours dit, si je quitte la prison, pourquoi pas faire desexpertisesaupénal,maisjevoispascommentonpeutêtredansunepositionsoignanteetdansunepositionexpertaledansunmêmelieu.Pourunmêmelieu.Parcequ’enplusles patients, ils tournent, ils vont, ils viennent, déjà c’est compliqué que les patientsrepèrent qu’on est un lieu de soin, qu’on dépend de l’hôpital, qu’on n’est pas enconfusionaveclajustice,avecl’administrationpénitentiaire,sienplusilsviennentdanslemêmeservicepourêtreexpertisés,...çamesembleconfus!Enfinvoilà.»EntretienGenevièveMoretti,40-55ans,milieupénitentiaire

Ils’agitdoncpourcettepsychiatredenepasmélangerlesrôlesetderesterdanslesoin.Pourd’autrespsychiatres,lefaitdenepasfaired’expertiserésulted’un choix contraint. Ainsi, un psychiatre qui travaille pour partie en cabinetrappelle la contrainte financière que peut représenter l’expertise pour lespsychiatreslibéraux:

«Parcequemoijemesuisdéfaussé,jenemesuisjamaisengagécommeexpert... jemesuisdéfausséparcequemon intérêtestailleurs... etpuisquec’estcompliqué, touscescasembarrassants,complexes...Etpuisc’estmalpayé,y’aquelesmédecinshospitaliersquipeuventfaireça!»EntretienPierreAndré,40-55ans,milieuhospitalieretcabinetprivé

Cette moindre appétence pour l’expertise résulte donc pour beaucoupd’arbitragesprofessionnelsetnond’unrejetdudispositifexpertal.

Unchoixpolitique

Certains psychiatres expliquent cependant leur choix par un refus departiciperàdesprocéduresjudiciairesquiaccordent,seloneux,tropdepouvoiràl’avisdel’expertpsychiatre.

«Jepeuxpasdonneruneexpertisedel’actedequelqu’un,çavoudraitdirequejesaislesensdel’actedequelqu’un(…)C’estpasenunedemieheureoumêmeen2ou3jours...Ilme faudrait 10 ou 15 ans pour avoir une idée de l’acte... Y’a des patients qui meracontentpourquoi ilsont fait tel truc,15ansplus tard!Croirequ’ily’auneexpertisepsychiatrique,c’estuneimposture,quiestcertainementutileenmêmetemps,parcequeça tamponne la toute puissance de l’appareil juridique, mais en même temps qui lacautionne!Alorsc’estvraiquedesgenscommeZagury,lefontbien,ilsessaientdefaireaumieuxpourtamponnerlacruautédeschoses,maisilfauts’enressentir...(…)doncj’ai

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préféré garder tout mon temps pour faire de la thérapie et de la formation... Mais lalogiqueexpertalemeparaîttrèsdouteuse,c’estcommesilesavoirpsychiatriquesavaitlefinmotdel’affairesurunacte.»EntretienChristophePeirère,55-70ans,milieuhospitalier

Pour Christophe Peirère, l’expertise psychiatrique pose problème parcequ’elle prête au savoir psychiatrique une vérité sur les justiciables qu’il nedétient pas. Cette «imposture» permet, selon lui, de cautionner lefonctionnement de la justice. L’argument est ici proche des travaux deMichelFoucault autourde l’expertisepsychiatriquequimontre combien lamontéeenpuissancedelafiguredel’expertpsychiatreestliéeauxtransformationsdel’artdepuniraudébutduXIXèmesiècle:enformalisantunsavoirautourducrime,lesexpertspsychiatresapportentlesélémentsdepersonnalisationnécessairesàunejusticedésormaissoucieusedefairedelapunitionlégaleune«techniquedetransformation individuelle» (Foucault, 1994 (1978), p. 454). Un autrepsychiatre se dit dubitatif face aux attentes excessives de la société envers lesavoirpsychiatrique:

«C’estàlasociété,c’estellequidoitdéfinirlesrèglesselonlesquellesontraitelesgens!On vote des lois!Mais vous entendez bien, le psychiatre on lui demande... comme s’ilétaitcapabledeprédirel’avenir...Ilpeutpas!»EntretienAndréGrignon,40-55ans,milieuhospitalier

À ces deux exceptions près, les psychiatres rencontrés sont plutôt rares àremettreencausel’influencecrucialedesexpertspsychiatressurcettequestionpénale. Certains, comme Alexis Milano, assument mal le pouvoir confié auxexperts, sans nécessairement articuler cemalaise à une critique politique plusgénérale:

«Jemevois pasdire à quelqu’un: je suis désolé, on adiscuté, vous êtesnormal, vousallezentaule.Etpuis jesuispsychiatre... lediagnostic ildoitaiderdanslesoin,c’est ledébutdusoin…»EntretienAlexisMilano,40-55ans,milieupénitentiaire

Lesautrespsychiatres interrogésconsidèrentqu’ilestbienduressortde lapsychiatriedesepositionnersurleprinciped’irresponsabilitépénaleetnefontpas état de réticences vis-à-vis du rôle joué par les experts psychiatres. Ils nes’accordentcependantpassurlaquestiondesavoirsilapratiquedel’expertisedoitounonfairel’objetd’unespécialisationprofessionnelle.

Pouroucontrelaspécialisationdesexperts?

Beaucoupdepsychiatressoulignent,parfoisenmanifestant leuradmirationpour tel ou tel expert, les compétences spécifiques qu’il faut selon euxdévelopperpourdevenirexpertet jugentqu’il s’agitd’unartquinécessiteuneformationspécifique,voireuneformedeprofessionnalisation:

«Jem’inscrisenfauxcontrecetteidéequequandonestpsychiatre,onestexpert!C’estunedévaluationde l’expertise!Desexpertises,onenvoitdes trèsdifférentes lesunes

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des autres. Certains sont pas aussi versés dans cette technique que d’autres! C’est unvraiproblèmefrançaisquin’estpasnouveau!-C.Protais:Oui,ilyaunrejetdelaprofessionnalisationdesexperts?- Oui,mais ça c’est pas unemauvaise idée, ceci dit, quand vous regardez à l’étranger,l’Allemagne, laSuisse, leCanada, l’expertiseestfaitepardeséquipes,dansdesservicesdeForensic!»EntretienDominiqueVesper,40-55ans,milieuhospitalieretexpert

Lui-même expert et diplômé de droit, Dominique Vesper participe, par lacréationd’undiplômeuniversitaire, à la formationdespsychiatres aspirant aurôle d’expert. Il milite d’ailleurs, comme nous le verrons plus bas, pour laconstitutiond’unsegmentprofessionnelpsycho-légalsimilaireàlaForensicdespays anglo-saxons. Mais ce n’est pas tant parce qu’elle requiert un bagagepsychiatriquespécifiquequeparcequ’ellenécessiteunebonneconnaissancedesprocédures et du jeu d’acteurs judiciaires que l’expertise psychiatrique estaffairedespécialistes:

«C’est-à-dire que moi je... c’est pas que je me sens pas... Mais c’est mieux d’y avoirréfléchi, d’avoir connaissance des pathologies plus en lien avec ce genre d’actescondamnables,etpuissavoiraussicommentletribunalfonctionne...Uneexpertisec’estpas simplement un texte... c’est un texte en réponse à une question demandée par unjuge,ilfautundiscourssimple,qu’onpourratenirautribunaldansuncadreparticulier...Ilfautêtrecapabled’êtreclair...Fautpenseràtoutça,c’estpassimplementuneanalysetechnique... Etmoi je pense que c’est essentiel de savoir qu’il y a aussi un objectif deconvaincrelapersonnequicommandel’expertise.C’estpasqu’undiscoursscientifique...On défend aussi une conception de la psychiatrie, du malade mental, on va défendrel’irresponsabilité... Ou la responsabilité... Donc y’a une position en arrière fond quidemanderéflexion...Qu’onpeutdéfendreau-delàdelapathologiedupatient…»EntretienCédricDroit,40-55ans,milieuhospitalier

CédricDroit,quiatravaillésurl’évolutiondesclassificationsnosographiques,rappelle dans cet extrait que l’expertise ne peut prétendre énoncer une véritéscientifique: elle excède toujours le domaine du savoir psychiatrique pourinclure une dimension plus politique, qui prend en compte le jeu d’acteurs etd’institutions. C’est justement parce qu’elle implique une part d’engagementpolitique que l’expertise devrait, selond’autres psychiatres, être pratiquée partous:

«Par exemple, enArgentine je crois, ils font des expertises tournantes, ben c’est bien.Moijesuiscontrelessurspécialisationsenpsychiatrie,jesuiscontrelesaddictologues,jesuiscontrelesgérontopsychiatres...Parcequ’ondevraitfairetoutça.Cemorcellement,çasuitlecapitalisme,çacréedespatateschaudes...-C.Protais:Cavousdéconcerne?-Exactement,çanousdéresponsabilise.Et l’expertisec’estunpeuça,pouvoirsouteniruneparole clinique auprès des patients, et uneparole psy générale, citoyenne, auprèsdespatients,desfamilles,etc.C’estçanotreboulotquoi.» EntretienNicolasLabhadi,25-40ans,milieuhospitalier

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L’expertise fait partie des missions de la psychiatrie. D’ailleurs, NicolasLabhadi rappelle, comme Cédric Droit, que l’expertise a été historiquementconsubstantielleàlaprofessionnalisationdesaliénistesencequ’elleaobligélesmédecinsàformaliserlesavoirpsychiatriquesouslaformedeclassificationsetfavoriséunereconnaissanceinstitutionnelledeladisciplineaucoursduXIXèmesiècle.Orlaconstitutiond’uncorpsspécialiséd’expertspsychiatresdistinctdelaprofessionpsychiatriqueestpropice,seloncertains,à la formationd’idéologiesdécoupléesdelapratiqueclinique,voireàunecertainecollusionentreexpertsetmagistrats,néfasteàl’exercicedelajustice.

«(Moi je ne fais pasd’expertise)pourdeux raisonsprincipales: je n’appartienspas auréseau,c’estunréseaulesexpertises,unréseauunpeucurieuxd’ailleurs,danslequellesjuges,lesavocatsetlesexpertssontunpeucopainsquandmême.Lesexpertsjudiciairesilsseconnaissenttous!Doncilfautêtreadoubéparlesystème...Etpuispourmoitantquec’estpasuniversitaire,jememetspasdanscetruclàquoi...»EntretienPascalConstant,40-55ans,milieuhospitalier

Pascal Constant suspecte ici le «réseau» des experts d’un manqued’impartialité,liéàl’existenced’unmicrocosmeprofessionnel.Iljugequ’ilseraitnécessaire que les expertises psychiatriques retrouvent une assise scientifiqueclaire, en s’appuyant explicitement et exclusivement sur les outils declassificationreconnusauplaninternational,telsqueleDSMIVoulaCIM1045.Cefaisant,ilaspireàunifierleregardqueportentlespsychiatressurlestroublesmentaux. Pourtant la grande plurivocité du savoir psychiatrique est soulignéesanséquivoque, lorsque lespsychiatres interrogésseprononcentsur lechampd’applicationduprinciped’irresponsabilité.

2. Unspectredepositionssimilaireàceluidesexperts

L’évaluation de l’irresponsabilité fait, depuis le début du XIXème siècle,l’objet de controverses importantes entre psychiatres pour déterminer quelsjusticiablesdoiventreleverdeceprincipe.Cescontroversestiennentàlalabilitédes termesde la loi: commentdéterminer«l’abolitiondudiscernementouducontrôle des actes» mais également à la pluralité des interprétations de lamaladie mentale (voir chapitre 1). Or on remarque chez les psychiatres quiexprimentuneopinionsurlechampd’applicationduprinciped’irresponsabilité,lesmêmespointsdedésaccordsquechezlesexpertspsychiatres.

45Lemanuelstatistiqueetdiagnostiquedestroublesmentaux(diagnosticandstatisticalmanuelofmentaldisorders–DSM)estpubliéparlasociétéaméricainedepsychiatrie(APA)depuisledébutdesannées1950.Laquatrièmeversion(DSMIV,1994)faitautoritédanslespublicationsscientifiques,quis’appuientparfoisaussi sur la classification internationale des maladies (CIM 10), produite en 1992 par l’organisationmondiale de la santé (OMS). Représentatifs d’une évolution du savoir psychiatrique dans le sens d’unelecture symptomatique– etnonplus causaliste –desmaladiespsychiatriques, cesoutilsde classificationsontcependantcontroversésauseindelaprofessionpsychiatrique(voirinfra).

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Notons cependant que parmi les psychiatres interrogés, beaucoup refusentde prendre position de manière générale, estimant que la question del’irresponsabilité relève d’une casuistique qui justifie le recours à l’expertisepsychiatrique. Ces psychiatres reprennent généralement les termes de l’article122.1alinéa1ducodepénal.Pourcespsychiatres,repérerl’irresponsabilitéestune«pratiqueprudentielle»46(Champy,2011),quisupposepour lepsychiatrede récupérer toutes les informations nécessaires pour pouvoir établir si letrouble était présent aumoment des faits. D’autres psychiatres restent vaguesdansleurréponse,rappelantàl’enquêtricequ’ilsn’ontpaschoisid’êtreexpertetn’ont donc pas d’avis, a priori, sur les limites de ce principe. Un psychiatre(AndreasDrongiti) expliqueainsique leprononcéde l’irresponsabilitédépend«dudegrédedésorganisationmentale»delapersonne,maisneseprononcepassurledegréau-delàduquelunepersonnedevraitêtreestiméeirresponsable.Cefaisant, ces psychiatres indiquent en creux qu’ils se dessaisissent de cettequestion,ets’enremettentàl’autoritédeleurscollèguesexperts.

Àl’exceptiondesquelquespsychiatresquid’embléesedisent«hostiles»auprinciped’irresponsabilité,lesautresacceptentdejouerlejeudel’expertetd’endélimiter lechampd’application.Lespositionstémoignentd’uneinterprétationvariabledeceprincipe.Onretrouvedanscesentretiensunsoclecommunautourde la «psychose décompensée», identique à celui identifié chez les expertspsychiatres: le cas archétypal du «schizophrène paranoïde, qui perçoit desinjonctionshallucinatoires etdélirantes» fait ainsi l’unanimité.Desdésaccordssedessinentensuiteautourduspectredetroublespouvant,enthéorie,justifierleprononcéd’unedécisiond’irresponsabilité.

Certains, comme François Julhès, aimeraient que tous les schizophrènes,même interpellés pour des faits de faible gravité qui ne sont peut-être pasdirectement en lien avec la pathologie, soient irresponsabilisés. D’autressoulignent au contraire que ces patientsne forment pas un tout homogène etpeuvent garder une capacité de discernement au moment de commettre uneinfraction:

«Enrevanche,sicemêmepatient(schizophrène)commetunvolcrapuleuxsansrapportavec son délire, il reste aumoins en partie responsable (même si une atténuation deresponsabilitépeutêtrediscutée,selonlapartquejouesontroublementaldansl’acte).»EntretienJean-PaulEspelet,55-70ans,milieuhospitalier

Comme chez les experts, les psychiatres ne sont pas unanimes quant à laquestion d’évaluer les effets de la schizophrénie sur le contrôle des actes:certainsjugentquelamaladiepeutamputerdurablementcecontrôle,tandisque

46 Florent Champy emprunte l’adjectif «prudentiel» à la philosophie aristotélicienne, qui définit laprudence commeunmode spécifiquede connaissanceetd’actionquinepeut s’appuyer sur la scienceetdonc sur un raisonnement universel pour résoudre des situations contingentes. Les experts psychiatressont ainsi une «profession à pratique prudentielle» dans le sens où ils n’appliquent pas de façonsystématiquedessavoirsformalisésmaisjugentlessituationsaucasparcas.

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d’autres estiment que ce contrôle n’est suspendu que ponctuellement, aumomentdesdécompensationspsychiques.

À propos de la paranoïa47 , qui est source de nombre de controversesd’experts, les avis divergent également. Certains incluent a priori la paranoïadanslechampd’applicationdel’irresponsabilitéauprétextequ’elle«envahitlechamp de la conscience» et place les personnes «sous l’emprise du délire»(Pierre Hervé). Mais ceux qui estiment que la paranoïa devrait entraîner unedécision d’irresponsabilité admettent cependant immédiatement le caractèreparticulièrementcomplexedecettepathologie:

«Jepenseque laquestionde laparanoïa,c’estunpeu lapierred’achoppementsivousvoulez… Pourmoi, tel que je vois les choses, les psychiatres ne savent pas soigner laparanoïa, les médicaments qu’on a à notre disposition, ils marchent bien chez lesschizophrènesquiprésententunehallucination,undélirepolymorphefloride...Chezlesparanoïaques,çamarchepas,onsaitpasbienlestraiter...C’estpourçaqu’onlesvoitpasà l’hôpital psychiatrique, c’est pour ça qu’on les retrouve en prison, responsabilisés...C’estuneffetdelapsychiatrie...Enfinmoijevoisunpeuleschosescommeça...Maisc’estvrai,qu’onenauncertainnombreà l’UHSAetc’estvraiquec’estdespersonnes,enfinbeaucoup, je tendrais à les irresponsabiliser si j’étais expert...Mais c’est vrai que avecl’arrière-pensée que ce serait très compliqué pour les collègues qui suivraientderrière...»EntretienFrançoisJulhès,25-40ans,milieupénitentiaire

D’autresestimentquecettepathologiequi sedéveloppegénéralementchezdessujetsplusâgésestmarquéeparunemoindredésorganisationmentale.Lespersonnesparanoïaquesseraientainsiaumoinspartiellementresponsablesdeleurs actes,dans lamesureoùelles garderaientune capacitédediscernement.Beaucoup considèrent donc qu’un sujet paranoïaque ne saurait être reconnuirresponsable, mais peut, en revanche, se voir reconnaître une altération dudiscernement.

La question des «états-limites» ou «troubles borderline» 48 produitégalementdesdiscourscontradictoires.Certainsjugentquelessujetsatteintsde

47Le terme renvoie ici à la «psychose paranoïaque», classée dans le DSM-IV parmi les «troublesdélirants»,etdoitêtredifférenciédela«personnalitéparanoïaque»dufaitdelaprésenced’undélirequeles psychiatres qualifient d’interprétatif (c’est-à-dire organisé autour d’un thème particulier: jalousie,complot,etc.maissanshallucinations).Silaparanoïaestaucœurdecontroversesd’expert,c’estparcequeseposelaquestiondesavoirsiunepersonneatteintede«psychoseparanoïaque»conserve,ounon,malgréun discernement altéré voire aboli par le délire, le contrôle de ses actes (et donc la capacité à ne pascontreveniràlaloi).48Les termes renvoient à des classifications psychiatriques différentes et controversées au sein de laprofession.Parlerd’«état-limite»supposeainsiquelepsychiatreaccepteladivisionentre«névroses»et«psychoses»(l’état-limiteétantalorsunepathologiedel’entred’eux).Les«troublesborderline»décriventun état psychique similaire, mais renvoient plutôt à une lecture symptomatique de la maladie mentale,appuyée sur les classifications internationales lesplus récentes (CIM10ouDSMV). LeDSM-IVdéfinit le«troubleborderline»comme«unschémaenvahissantd'instabilitédanslesrelationsinterpersonnelles,del'imagedesoietdesaffects,égalementmarquéparl'impulsivitécommençantchezlejeuneadulteetprésentdansungrandnombredecontextes».Parmilessymptômesdecetrouble(impulsivité,instabilitéaffective,difficulté àmaîtriser ses affects), on trouve la survenue, pendant les périodes de stress, de «symptômes

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ces troubles n’entrent pas dans le champ de l’irresponsabilité pénale, car lestroublesrelèventnondelamaladie,maisd’unepersonnalitépathologique.Iln’yadoncpaslieudeparlerd’abolitiondudiscernement.Quelquespsychiatresontun avis plus nuancé, estimant que les troubles borderline peuvent envahir lechamp de la conscience et se traduire par des actes impulsifs sur lesquels lesindividusn’ontpluslecontrôle:

«Alors en premier lieu pour moi, c’est les patients schizophrènes dans un délireparanoïde, épisode totalement délirant... Euh... après vous avez lors de grandesdésorganisations... chez les patients borderline dans certaines situations, pareil, dedissociationtrèsforte.Maisc’estdespatientsquipeuventsesouvenirbeaucoupplusdecequis’estpasséetcritiquerbeaucoupplus leuracte.Mais jepensequ’onpourrait lesirresponsabiliser... Après j’aimerais pas être l’expert.... Après tout peut arriver, sur unraptusanxieuxparexemple...ilpeuttoutarriver,maislàc’estrarissime.»EntretienZoéTalbot,25-40ans,milieupénitentiaire

La plupart des psychiatres excluent d’emblée la «prise volontaire detoxiques»duchampdel’irresponsabilitépourcausedetroublemental:

«L’irresponsabilité, c’est pour ceux pour lesquels la conscience est totalement altéréepar le trouble.Mais attention, lesprises volontairesde toxiques, y compris l’alcool, nedoiventpasexonérerdelaresponsabilitémêmes’ils“fontpéteruncâble”.»EntretienPaulFreissat,40-55ans,milieuhospitalier

Mais de façon assez hétérodoxe, une psychiatre exerçant en milieupénitentiaire juge que l’irresponsabilité devrait pouvoir également concerner«certainscasd’addiction»(dontellenedonnepasledétail).Elleconsidère,enoutre,enaccordaveccertainsdesescollègues,qu’unerupturede traitement49nepeutêtreinvoquéepourjustifierlaresponsabilisationd’unjusticiable:

«Parcequelaquestionde...quandvousavezunemaladiechronique,mêmeleplusgranddiabétique,ils’estessayéàpasprendresontraitement,donclaquestiondutraitement,ça fait partie de la prise en charge des patients, je trouve que c’est un discours deresponsabilisationdesusagersquiestutiliséjetrouvedefaçonpastellementadéquate,en tous cas, vraiment je levis commeça…Non, autanty’ades choses sur lesquelles jesuis...mais la questionparanoïaque, la questiondes addictions, je suispour le casparcas, et puis la question du traitement, bientôt on va vous dire: ‘oui, mais ils étaientinformés,ilsavaientsignélepapier’,maisilssaventpascequec’estquelapsychosecescollègues!Oualorsilsvoientplusdepatientsschizophrènes!»EntretienGenevièveMoretti,40-55ans,milieupénitentiaire

Geneviève Moretti est ici en désaccord avec d’autres psychiatres, quiestiment au contraire que la gestion du traitement ne fait pas partie de lamaladie, mais relèvent d’un choix que même les patients les plus maladespeuvent faire en connaissancede cause. Lespersonnesqui décidentdenepas

dissociatifs sévères». C’est à ce titre que certains experts considèrent que «l’état-limite» peut abolir lediscernementetlecontrôledesactes.49Laquestionsoulèveégalementdescontroversesd’expertsdans lamesureoùcertainsexpertsestimentquecertainspatients font lechoixderompre le traitementenétantconscientsdesconséquencesd’untelgestesurleurstroublesmentaux.

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prendre leur traitementontdoncétécapablesdediscernementetdoiventêtrejugés(partiellement)responsables.

Si les psychiatres non experts développent, dans le cadrede ces entretiensdes raisonnements moins détaillés et moins structurés que leurs collèguesexperts,onretrouvecependantdanscesextraitsd’entretienlesmêmespointsdecontroversesqueceuxqueCarolineProtaisa identifiés(Protais,2016)chezlesexpertspsychiatresetquesynthétise lechapitre1decerapport.Cespositionscontrastées peuvent, à première vue, donner l’impression qu’on peut dire, surtous les troublespsychiatriques, lemêmeetsoncontraire.Elles témoignentducaractère controversé du savoir psychiatrique, qui n’est pas un savoir unitairemalgrél’ambitiondesoutilsdeclassificationinternationalevisantàharmoniserle regardporté sur les troublesmentaux.Nousverronsdans lesparties2 et 3que ces positions s’articulent autour de deux lectures contradictoires de lamaladie mentale et du rôle de la psychiatrie face à elle. Néanmoins lespsychiatres non experts interrogés s’arrêtent longuement sur la difficulté àmettre enœuvre le principe d’irresponsabilité dans le dispositif institutionnelactuel.

3. Undispositifinstitutionnelsouspression

Nousverronsdanslesparties2et3quelepointdevuedespsychiatressurlesystème institutionneletsursanécessaireréformerésulteengrandepartiedeleurregardsurleurspatientsetsurlesmissionsdelapsychiatrie.Cependantunrelatif consensus sur les conséquences institutionnelles de l’irresponsabilitéémerge.Touslesprofessionnelsinterrogéss’accordentsurl’idéequ’unecertainepression sécuritaire pèse sur l’hôpital et complique l’accueil des auteursd’infractions irresponsabilisés. Tous estiment par ailleurs que le champ del’irresponsabilités’estprogressivementréduit,entraînantuneaugmentationdunombredepersonnesprésentantdestroublesmentauxenprison.

Leshôpitauxpsychiatriquessoumisàunepressionsécuritaire

Un consensus se dessine, dans les entretiens réalisés, sur l’ambiancesécuritaire qui pèse sur la clinique psychiatrique. Une grande partie desenquêtés évoque une pression sociale qui se manifeste par une attentionmédiatique pour les patients qui ont commis les crimes les plus graves (voirchapitre5):

«J’espèrequemescollèguessoignentcesgens-làcommelesautres.Jepensequeoui.Laplupartdesservices...Cequimegêneenrevanche,c’est la lecturepubliquequ’ilyadeça.Imaginons,unindividucommetunmeurtresousl’emprised’uneboufféedélirante.Ilse guérit... Comment faire passer l’idée qu’il peut sortir? Alors que l’opinion publiqueveutvengeance,veutqu’onleretienne... jepensequ’onvaversuneduréeminimumdeprise en charge hospitalière, on est dans la logique: pas question qu’une personne

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irresponsabiliséerestemoinsde6moisdansunhôpital...Ducoup,c’estpluslesoin, lacliniquequivadéfinirlasortie…»EntretienAlexisMilano,40-55ans,milieupénitentiaire

Cettepressionsocialesemanifesteparuneréticencedespréfetsà lever lesarrêtésd’hospitalisation:

«Ahbahoui!C’estcommeletueurdel’Oise,voussavez, letypequiétaitgendarme,etquiassassinaitdesjeunesfillesdansl’Oise,y’a25-30ans...etilaétéirresponsabilisé,ilapassé presque tout son temps à Sarreguemines... et il a été transféré à un hôpitalpsychiatrique,maisilpouvaitpasallerdansl’Oise,parcequec’étaittropprégnant...etila été placé dans un autre hôpital dans le Nord Pas de Calais... Et la collègue qui s’enoccupe,onluiadit,‘voussavez,ilsortirajamais’!»EntretienHervéGaldery,55-70ans,milieuhospitalier«Çaprendplusde tempsparcequ’il fautprendredes tasdeprécaution, faut fairedescertificats, faut convaincre, s’exposer à des refus du préfet... Donc ça prend du temps,quelqu’un qui a commis un crime, il sort pas avant deux trois ans...Mais pour autant,c’est pas quand ils sont dans le service, stabilisé, parce que justement c’est de lapathologie et pas de la psychopathie ou que sais-je, ils sont plus faciles à traiter quecertains,parceque...bahvoilà,lapathologie,onsaitcommentfaire!»PatrickGuerlain,55-70ans,milieuhospitalier

Cettepressionsocialesembleplusfortedanslespetitesvilles,danslesquellesl’interconnaissanceestplusgrande:

«-Maislapression,ellevientdequi?De la part de la famille, qui nous dit gardez-le le plus longtemps possible. On l’a despouvoirs publics, desmaires qui disent: ‘nous le renvoyez pas!’. Des préfets qui vontdire: ‘nonmois je lèvepas leSDRE!’De lasociété, lesvoisins fontdespétitions...danscertainsimmeublesà(villedetaillemoyenne),j’enaiuneàl’hôpital,lesvoisinsontfaitunepétitionpourpasqu’ellereviennechezelle!»EntretienNicoleMatthieu,40-55ans,milieuhospitalier

Plusieurs psychiatres mentionnent les risques judiciaires désormaisencourus si un patient commet un acte grave. Il est souvent fait référence àl’affaire Canarelli, psychiatre de Marseille condamnée en première instance(mais relaxée en appel), après le meurtre commis par l’un de ses patients enfugue. Cette affaire est évoquée dans plusieurs entretiens et témoigne d’unecertaineanxiétéfaceauxpoursuitesjudiciairesdésormaispossibles.

Unepressionsocialequimodifielaclinique

Ceséquipesnesontd’ailleurspasimperméablesauxreprésentationssocialesqui tendentàassocier troublesmentauxgravesetdangerositénià lademandede sécurité qui leur est imposée (voir chapitre 5). Elle se traduirait par de laméfiance et par le recours croissant à des moyens de contention médicale(physiqueouchimique):

«Ondit lesneuroleptiques,grâceàeux,ona faitdes tasdeprogrès,mais lesgensquisont dans les hostos donnent des traitementsmassifs de neuroleptiques et en plus ilsisolentet ilsattachent...Alorsy’aquelque-chosequidéconnecomplétement!Alorsque

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nous on donnait des neuroleptiques à dose homéopathique et on n’attachait pas lespatients!Y’aquandmêmequelque-chosequidéconnecomplètement!»EntretienAlainDitard,55-70ans,milieuhospitalieretcabinetprivé«Cequiestdramatique,c’estplutôtqu’enpsychiatrie,onaréintroduitdesnormesdelaprison, avec les chambres d’iso, les contentions, voilà. Tous ces derniers temps... latendancedesinfirmiersàl’hôpitalestl’enfermement!Onavaitunechambred’isoy’a40ans, qui était rarement utilisée, avec des services qui en avaient pas du tout, etaujourd’hui, on en a une et trois autres, et c’est tout le temps plein! Et le patient lui-même a introjecté le système! D’être enfermé, donc il produit le comportementd’agitationpourêtreenfermé!Donctoutfonctionnedanscettelogique-làdepunitiondelafolie!»EntretienChristophePeirère,55-70ans,milieuhospitalier

Les psychiatres sont unanimes quant à la nécessité d’ouvrir un débat50surl’enfermementenpsychiatrie – ilsne sont cependantpasd’accord sur laplacequedoitoccuperl’enfermementenpsychiatrie,commenousleverronsdanslespartiessuivantesdecechapitre:

«Maisoui,mêmeactuellementparrapportàlasituationdelapsychiatrie,ondemandequ’ilyaitundébat immensequis’ouvreavec toutceretourdespratiquesasilaires,del’enfermement, de l’isolement, il faut mettre ça sur la table, c’est pas possible que çacontinuecommeçaquoi...Etdonceffectivement,qu’ilyaitundébat,onvapasdire,c’esttrès mal, c’est honteux! Alors qu’on sait que dans certains endroits, les gens ils fontcomme ilspeuvent!Doncc’estpas justeproposerunepositiond’indignation,mêmesionpeut être révoltépar rapport à... ce quenous ànotre époqueonn’a jamais fait, ons’aperçoitqueçarevientenretourcommeçasepasse,c’estterriblequoi!»EntretienAlainDitard,55-70ans,milieuhospitalieretcabinetprivé

Certainspsychiatresreconnaissentquecettedemandedesécuritéamodifiéleursproprespratiquescliniques:

«Et donc des fois y’a des patients où vous sentez que tout est fermé,mais c’est toutfermé pourquoi? Comment? C’est des situations bloquées, des patients qui ont laréputation d’agresser les autres, de menacer les autres, tout le monde s’en méfie etmêmevous,vousêtes...vousarrivez,vousêtesvictimedecetterumeur,quis’enracinedansquelque-chosedevraimais…»EntretienPierreHervé,55-70ans,milieuhospitalier

Les précautions qui entourent l’accueil des personnes irresponsabiliséess’inscriraientdansun retourde la contrainte (Moreau,2015),qui se traduiraitparailleurssurleplanmatérielparlasécurisationdeshôpitauxpsychiatriques,l’ouverture de chambres d’isolement ou la création de nouvelles Unités pourMaladesDifficiles51.Ensomme,lestransformationsdelongcoursdel’institution

50Cedébatad’ailleurs lieu,notammentauseinducollectif contre laNuitSécuritaire,qui s’est forméà lasuitedudiscoursprononcéparNicolasSarkozysurlasécurisationdelapsychiatrieendécembre2008(voirnotesuivante)51Cesmesures, annoncées par le président Nicolas Sarkozy lors du «discours d’Anthony» (3 décembre2008), sont présentées comme une réponse à un fait divers tragique (le meurtre d’un étudiant par unpatient hospitalisé sans son consentement à Grenoble en novembre 2008). Ce discours témoigne de

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psychiatrique compliqueraient l’accueil des patients irresponsabilisés, quiseraientparailleurs,aunomdeleurdangerositépotentielle,prisdanslalogiquesécuritairequisedéploieraitautouretauseindelaclinique.

L’augmentation des troubles mentaux en prison: effet indésirable de la«responsabilisation»

Un second point d’accord se dessine autour de l’idée que le nombre depersonnes malades a augmenté au cours des dernières décennies en milieucarcéral52. Certains psychiatres y font simplement allusion53, d’autres, et toutparticulièrement ceux qui travaillent en milieu pénitentiaire, développentdifférents arguments pour expliquer ce phénomène. Ils soulignent ainsi le rôlejouépar la réformede l’article64du codepénal en1992,qui, en introduisantune nuance entre la responsabilité et l’irresponsabilité avec «l’altération dudiscernement» a conduit à l’incarcération de nombreuses personnes quiauraientéchappéàlaprisonavantlaréforme:

«Sur la question de la responsabilité partielle... elle a été beaucoup portée par lespsychiatresetenparticulierdansunsensderetouràlacitoyenneté, lefaitdedirequec’estuncitoyencommeunautredoncqu’ildevaitavoirlecontrôledesesactes...C’estunbeau principe mais qui... qui en pratique... a des effets inverses à l’idéal porté par ceprincipe là... parce que les responsabilités atténuées... font qu’une grande partie despsychotiques sont en prison et condamnés sans comprendre vraiment le sens de leurpeine.Cequiestpasforcément...Jepensequ’ilyaquelquechoselàautourde...quiseraitpresqueundénidepathologiedelapartdespsychiatres.»EntretienMarionLucey,40-55ans,milieupénitentiaire

Cette modification législative s’inscrirait cependant dans un contexte pluslarge, celui de la «désinstitutionnalisation» de la psychiatrie, que nous avonsparailleursconfirméedanscerapport(voirchapitre1):

«Moi je considère que la désinstitutionnalisation de la psychiatrie ne s’est pas faitecommeelleauraitdû...Entouscaspasentotalitéetquemalheureusementy’abeaucoupdepatientsquisesontretrouvésenprisonquoi!Etquifontdesallers-retoursentrelarueetlaprisonquoi.

l’importancedesfaitsdiversdanslamiseenplacedesdispositifsdeprécautionactuels(Doron,2009).Ilapar ailleurs marqué le début d’une mobilisation importante de psychiatres hostiles à cette invitation àmettrelacliniqueauservicedelasécurisationdelasociété(voirlecomitédes39contrelanuitsécuritaire-http://www.collectifpsychiatrie.fr/).52 Il est cependant difficile de démontrer empiriquement cette augmentation, faute de donnéesépidémiologiquescomparablessurlalonguedurée.L’enquêteépidémiologiquemenéeparBrunoFalissardet publiée en 2004 établit à environ 30% la proportion de personnes détenues présentant des troublesmentaux graves – c’est-à-dire nécessitant, du point de vue des enquêteurs, une prise en chargepsychiatrique(Falissardetal.,2004).53Notonsqu’uneseulepsychiatre(ClaudineNourarier)rejettel’idéequelesprisonsseraientconfrontéesàuneaugmentationdunombredepersonnesprésentantdes troublesmentaux.Elleestimeque lesprisonsont toujours accueilli des personnes malades, et considère qu’il n’y a pas vraiment eu de«responsabilisation»desauteursd’infractionprésentantdestroublesmentaux.Sonopinionestcependantminoritaire.

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- Et désinstitutionnalisation parce que vous mettez sur le compte... les psychiatresresponsabiliseraientplusàcauseduservicedanslequelilstravaillent?-Moij’aitendanceàpenserqu’ilyaunecertainepartdepsychiatresexpertsqui...àmonavis... c’estmonhumble avis... qui est peut-êtreunpeuprovocateur, unpeu choquant,maisqu’ilyacertainspatientsqu’onn’apasenviedevoirenpsychiatriegénérale,c’estsûrqu’ilyadespatientsdifficilesàprendreencharge,y’adespatientsquinetrouventplus leur place dans l’hôpital psychiatrique qui n’est plus un asile... et moi j’ail’impression que ces patients, bah ils sont chez nous, quoi, à l’UHSA, parce qu’ils netrouvent plus leur place à l’hôpital psychiatrique, qui n’en veut plus, qui n’a plus lesmoyensdelesprendreencharge...»EntretienFrançoisJulhès,25-40ans,milieupénitentiaire

Témoinsd’uneaugmentationapparente,bienquedifficilementdémontrableempiriquement, du nombre de personnes détenues présentant des troublesmentaux, les psychiatres exerçant en milieu carcéral ainsi qu’une grandemajorité de leurs collègues, souscrivent à l’hypothèse d’un transfert depopulations entre l’hôpital et la prison, sur lemode des vases communicants.Cette hypothèse est désignée dans la littérature scientifique comme la «loi dePenrose»,dunomd’unpsychiatreetmathématicienanglaisquiaétablidanslesannées1930l’existenced’unrapportinverseentrelespopulationscarcéralesethospitalières. Elle a été testée pour la France par Sacha Raoult, qui met enévidence cette corrélation sur la longue durée (il remonte à 1851) à partir del’étudedesdonnéesdémographiquesdesdeuxinstitutions(Raoult,2014).Outrelescausesavancéesparlespsychiatresinterrogésdanslecadredecetteenquêteet confirméesdans le chapitre1dece rapport, la littératureavanceégalementdesraisonsliéesaufonctionnementdela justice–notammentl’accélérationdelajusticenotammentparlebiaisdescomparutionsimmédiates,sévéritépénaleettendanceàconsidérerlestroublesmentauxcommeunfacteurdedangerosité(Brahmy,2005;Chantraine,Bérard,2008;Lancelevée,2016).

Si les psychiatres s’accordent à dire que ni l’hôpital ni la prison ne sontaujourd’hui parfaitement adaptés pour accueillir des auteurs d’infractionsprésentantdestroublesmentaux,nousverronsdans lesdeuxpartiessuivantesque ce diagnostic commun amène les psychiatres à des conclusionsdiamétralement opposées sur la nécessaire réforme de l’accueil des patientsresponsabilisés ou irresponsabilisés. Nous verrons que le regard porté sur lesréformesdudispositif institutionnelsenourritd’uneréflexionsur le rôlede lapsychiatrie.Doit-elleprotégerdesmalades,perçusdès lorscommevulnérablesdu fait même des troubles dont ils souffrent ou doit-elle plutôt viser uneréhabilitation sociale de patients considérés d’abord et avant tout comme descitoyensàpart entière, bienqu’affectéspardes troublespsychiatriquesquinejustifientcependantpasleurmisesoustutelledelapsychiatrie?

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II. Une position favorable au principe d’irresponsabilité pénalepourprotégerlespatientsvulnérablesàl’hôpital

L’institutionasilaireasubid’importantescritiquesàpartirdesannées1970.Cesontautantlesconditionsdel’enfermementqueleseffetsperversdecelui-ciqui nourrissent la critiquemilitante, intellectuelle et professionnelle (Henckes,2007): ladisciplineasilaire,dontErvingGoffmandécritfinementlamécaniquedans un ouvrage qui servira en France de programme de lutte contre les«institutions totales» (Goffman, 1968), est perçue comme dégradante, maisl’asileestégalementsuspectédechroniciserles«fous»enlesplaçantsousunetutellepsychiatriquearbitraire.Sicettecritiqueacontribué,danslesdécenniessuivantes, à uneprofonde transformationdudispositif psychiatrique,marquéeparunerelativeouverture54,unepartiedespsychiatresinterrogésestimequ’encherchantàsupprimerl’asile,onaaussipartiellementprivélapsychiatriedesacapacité à «faire asile», c’est-à-dire à constituer un lieu d’accueil pour despersonnes atteintes de troubles psychiatriques graves associés à une certainemarginalité sociale. Ces psychiatres voient en l’irresponsabilité un principefondateur de cette mission protectrice de la psychiatrie. Il faut, selon eux,corriger la tendance contemporaine à responsabiliser les auteurs d’infractionsprésentantdes troublesmentaux,et redonnerà l’hôpitalunecapacitéd’accueilpourcespatientsvulnérables.

1. L’irresponsabilité,unprincipeprotecteur

Unprincipemoral

Si le principe d’irresponsabilité constitue pour ces psychiatres un principeinaliénable, c’est tout d’abord parce qu’il est vu comme consubstantiel à unesociétééclairée.En l’absenced’untelprincipe, lasociétérisqueraitdesombrerdansla«barbarie»:

«C’estleminimumdelacivilisationetlerefusdelabarbariequoi,quandquelqu’unestsousl’emprisedudélireoud’uneforcequ’ill’empêched’exercersaconscience,c’esttrèsimportantquelasociétépuisselereconnaître.Caveutpasdireque...Effectivement,onpeuttravailleràlaresponsabilisationdesonacte,ensuitedemanièrethérapeutique,parcontrelepunir,l’envoyerenprisonpsychiatrique,çameparaîtmonstrueux.» EntretienChristophePeirère,55-70ans,milieuhospitalier

Ceprincipeconstitueunfondementmoraldenossociétés:

54Letermeestenréalitéplutôtemployépourdécrirelasituationaméricaine.EnFrance, ladiminutiondemoitié du nombre de lits d’hôpitaux et l’ouverture de nombreuses structures ambulatoires nemodifientcependant pas complètement la structure du dispositif psychiatrique qui reste centré sur l’institutionhospitalière(Eyraud,Velpry,2014).

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«Comment dire, une société repose en partie sur l’existence de ce principe-là. Parcequ’elle repose sur le principe de responsabilité, pour qu’on vive en société, il faut uncertain nombre de règles que chacun accepte, et quand elles sont pas respectées, lapersonnedoitpouvoirêtresanctionnée.Sinonc’estl’anarchie.Can’estpossiblequesilesgenssontlibresderespecteroudenepasrespecterlesrègles.Doncquandonadesgensquinesontpaslibresdelesrespecter,ehbah,ilfautpasquelaréponsesocialesoitunesanction,çan’auraitpasdesens.C’estleprincipedel’irresponsabilité.»EntretienPierreHervé,55-70ans,milieuhospitalier

Il s’agit en outre d’un principe fondateur de la psychiatrie, qui a permis,commelerappelleunautrepsychiatre(NicolasLabhadi)d’éviterquenombredefous ne soient condamnés à mort. Hérité de l’histoire de la psychiatrie, ceprincipesemble,pourcespsychiatres,ensymboliser lamissionprincipale,unemission de protection des patients. Toutefois les psychiatres qui s’attachent àdéfendreleprinciped’irresponsabilitéjugentparailleursexcessifslesargumentsavancés par les tenants d’une «responsabilisation» des auteurs d’infractionprésentantdestroublesmentaux.

Uneresponsabilisationutopique

Leprinciped’irresponsabilitépénalearégulièrementfaitl’objetdecritiquesdelapartdel’universpsychiatrique.Aucoursdesannées1980,c’estaunomdel’aliénationqu’ilfaitsubirauxpatientsqueceprincipeestremisencause.Orlesargumentsalorsavancésparceuxquirevendiquaientlasuppressiondel’article64 sont regardés avec méfiance par les psychiatres qui se disent attachés auprinciped’irresponsabilité.

Ainsi, plusieurs psychiatres contestent l’idée que les personnesirresponsabilisées, en échappant à la sanction pénale, se verraient exclues ducorpssocial:

«Mais la loi dit aussi qu’il y a des gens qui ne sont pas confrontables, c’est-à-dire lapersonnen’estpasenétatd’êtrecondamnée.Quandlejugeprononceunarticle122.1,cen’estpasqu’ils’exonèredelaloi,ilditlaloi.Doncilssontconfrontésàlaloi.Laloidit:commetuesmalade,tuesexonérénonpasdetaconfrontationàlaloimaisdufaitquetupuissesrépondedetonacte.»EntretienJean-PierreBrady,55-70ans,milieuhospitalieretexpert

L’argumentest jugé idéologiqueparcertainspsychiatresquidéconstruisentlelienentreresponsabilitépénaleetresponsabilitésociale:

«C’estunepositionidéologique,depenserquepourqu’ilssoientdanslasociétéilsfautqu’ils soient responsables!Maisnosenfants, ils sontdans la société,nospatients sontdans lasociété,etaumomentoù ilsontdumalàsavoircequ’ils font,on leuroffreuncertain nombredepossibilités pour leur permettre de se soigner,moyennant quoi, ilsvontréintégrerplusefficacementlasociété...Doncpourmoi,y’apasdecontradiction!Etl’inverse n’est pas viable, ils n’ont pas de réponse ces gens-là! Ca veut dire quoi,responsabiliser!» EntretienDominiqueVesper,40-55ans,milieuhospitalieretexpert

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D’autresestimentquel’irresponsabilitépénaleestparfoisunmeilleurmoyenpouratteindreunobjectifderesponsabilisation:

«Je suis pas du tout d’accord (avec l’idée qu’il faut responsabiliser les auteursd’infractionprésentantdestroublesmentaux),jepensemêmequec’estcontre-productif,unpatientschizophrènequifaitunactehétéro-agressifdansunépisodedélirant,sionlemetenprison, jetrouveçacomplètementillogique, justementenluidisant,vousl’avezfait contre votre gré, et il faut prendre un traitement pour éviter que ça ré-arrive, jetrouveçaplusproductif.»EntretienZoéTalbot,25-40ans,milieupénitentiaire

À l’idée que le rappel à la loi ou à la sanction aurait des vertusthérapeutiques, ceux qui avancent plutôt des arguments en faveur del’irresponsabilitépénalerétorquentquecertainespersonnesnesontparfoispasenétatdesuivre lesprocédures judiciairesnidecomprendre lessanctionsquileursontimposées:

«Ah... Came fait penser à une caricature de Plantu dans leMonde, il avait dessiné untribunalavecunjuge,unmalademental,avecunentonnoirsurlatête,entourédedeuxinfirmiers, et le jugedisait: ‘avez-vousquelque chosede fouànous rajouter?’ (Rires).Boneuh…»EntretienMarionLucey,40-55ans,milieupénitentiaire

Unpsychiatre,militantpourtantpourleretraitdel’article64danslesannées1980, explique qu’il a changé d’avis depuis cette époque, et qu’il regardedésormaisavecuncertaindédainlesargumentsauxquelsiladhéraitalors:

«C.Protais:Etqu’est-cequevouspensezdel’argumentquiconsisteàdirequelapeineestthérapeutiqueensoi?-(Ilrit)Ahc’estuneconnerie!Camarchedéjàpaspourlesgensquisontnormaux,onsait maintenant que la prison c’est l’école du crime... (…) çamarche déjà pas.. Que lasociété ait besoin de se protéger j’entends, mais ça marche pas pour la délinquance,pourquoi ça marcherait pour la psychose? Ce serait fantastique! Qu’on ait trouvé lemoyendesoignerlesgenssimplementenlesenfermant!» EntretienChristophePeirère,55-70ans,milieuhospitalier

En illustrant son propos par l’exemple de la psychose, ce psychiatrecaricaturepeut-êtrevolontairement l’argumentd’unedimension thérapeutiquede la peine, qui est plus généralement mobilisé par les partisans de laresponsabilisation pour des patients qu’ils décrivent comme «borderline»,«état-limite»oupourdespatientsprésentantune«paranoïa»55.

Undernierargumentenfaveurdelaresponsabilisationestsouventregardéavec suspicion par ceux qui plaident pour une irresponsabilité maximale:l’argument selon lequel l’irresponsabilité ne permettrait pas à la personne de«liquider sa culpabilité», argumentavancénotammentparLouisAlthusser56àpartir de sa propre expérience, et qui était, dans les années 1980, largement

55Voirannexedestermespsychiatriques.56Dansunouvrageautobiographiqueparuàlafindesannées1980,L’avenirdurelongtemps,écritaprèsquel’auteuraétéjugéirresponsabledumeurtredesafemme.

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repris par les militants d’une réforme de l’article 64 du code pénal (Protais,2016).

«Moij’aivuplusieursfoisdansmonexistencedepsychiatredespatientsrevenirsurdesactes affreux qu’ils avaient pu commettre, quand ils ont pu retrouver un peu de senscommunetilsétaientcapablesd’essayerdevivre...Lefaitd’avoirétéenprisonoupas,çan’a rien à voir! La sanction qu’ils s’infligent par leur sentiment de culpabilité est plussévèreetplusférocequecellequ’onappliquedanslechamppénal!»EntretienHervéGaldery,55-70ans,milieuhospitalier

Les arguments en faveur de la responsabilisation sont donc perçus commesimplistes et utopiques, sans lien avec la réalité vécue par les personnesprésentantdespathologiesmentales.

«C.Protais:Doncvousêtesplutôtfavorableauprinciped’irresponsabilité?-Ahoui!C’estundesgrandsavantagesdudroitromain,qu’ongardénotresociétéelleest basée là-dessus depuis 2000 ans, ou plus quoi, mais d’envisager que les maladesmentaux sont responsables totalement, tout le temps en permanence de leurs actes...C’estune…dérivesociétalequiestinquiétante…-Sécuritaire?- Oui et puis qui ne prend pas la réalité dumonde telle qu’elle est... (…) lesmaladesmentaux doivent être responsables, ils le sont pas mais ils doivent l’être et donc onconsidèrequ’ilslesont,etdonconlesenferme...C’estunesorted’aveuglementetunpeudepenséemagique,sijedisqu’ilestresponsable,ilvaquelquepartprendreconsciencedesesactes,etilvapayer…»EntretienChristianSchmidt,55-70ans,milieuhospitalier

Uneautrepsychiatres’indignedevoircondamnéesdespersonnesprésentantdelourdespathologiespsychiatriquesaumotifqu’ellesauraientcommisundélitouuncrimeaprèsavoirarrêtéleurtraitement:

«C.Protais:Cequevousvoulezdireavecdénidepathologiec’estqueçafaitpartiedelamaladied’arrêterletraitement?- Et plus que ça, je pense que ça fait partie de l’expérience humaine. C’est un passageobligédutraitementd’expérimenterlanécessitéoupasd’unmédicament...Etqu’onpeutpas... Et pour le coup, c’est pas forcément une histoire que consciente, ou que devolonté...- C’est intéressant, ce que vous dites sur l’orientation actuelle de la psychiatrie, c’estqu’engrosonoubliedeprendrelamaladiecomme....- ... comme un bouleversement du rapport aumonde. Comme... Oui, après certains demescollègues...C’estaussil’aplatissementdelapsychoseàunemaladieneurologique,onseditque...voilà,laschizophréniec’estjustequelqu’unquiadeshallucinations,sionlesenlève,ildevraitêtrenormal...Enfin!»EntretienMarionLucey,40-55ans,milieupénitentiaire

Dans ces critiques transparaît une lecture concurrente de la maladiementale: lespatientssontperçuscommevulnérablesetnécessitant,dece fait,une protection et une attention que seule la psychiatrie est en mesured’apporter.

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Despatientsvulnérables

Si le principed’irresponsabilité est crucial pour cespsychiatres, c’estparcequ’il permet de protéger des patients que les psychiatres envisagent commeprésentant des vulnérabilités qu’il s’agit de soigner. Le soin est alors envisagécomme un outil de protection de ces individus fragiles, tel que l’envisage lerépertoirede l’intégration(voirchapitre1). Il s’agitmoinsd’aider lespatientà(re)trouverl’usagedeleurraisonquederépondreàleursbesoinsdesoin:

«Jesuispassûrqu’onsoitcitoyendufaitqu’onsoitcondamnéparlajustice,jevoispasleschosescommeça.Jepensequec’esttraiterlesgensdemanièreplushumainequedeleurdonnercedontilsontbesoin,c’est-à-diredessoins...»EntretienFrançoisJulhès,25-40ans,milieupénitentiaire«Oui,moijemeverraiplutôtducôtééthique...laplaced’unmaladementalquidoitêtrehospitalisé est à l’hôpital dans les mains des soignants, enfin pas forcément hôpital,parce qu’on peut soigner aussi en dehors de l’hôpital. Voilà,mais on ne punit pas unhommeparcequ’ilestmalade!On lesoigne!Sivousvoulez,c’estça leprincipe!Dansl’intérêt supérieur du malade et de la société démocratique aussi, et du rapport à lafolie!Maisalorsjugerdesfous,mettreenprisondesfousquidevraientêtreàl’hôpital,ça,çameparaîtêtrevraimentuneaberrationdecivilisation,desociété,dedémocratiemoderne…»EntretienPierreAndré,40-55ans,milieuhospitalieretcabinetprivé

S’ils doivent être protégés, c’est, pour certains psychiatres, parce que cespatientsvivent–ouconnaissentponctuellement–desétatsd’aliénationqui lesséparentdenotremonde:

«Oui,jepensequ’ilyadessituationsoù...lesgensfontdestrucseuh...etonpeutpasleurimputeruneresponsabilitésurcequ’ilsfont...parcequ’ilyaunvraiimpactpotentieldelamaladiementalesurlecomportement,surlesrelations,surlesactes,donc…»PatrickGuerlain,55-70ans,milieuhospitalier

Cetteséparationestparfoispenséecommeunerupturedéfinitive,quiferaitdes patients des êtres marqués par une altérité radicale. Un psychiatred’orientation lacanienne (Pierre André) considère ainsi que la psychosestructure autrement l’individu qui présente dès lors un «trou dans lesymbolique» qui ne peut être comblé, mais seulement contourné. Un autre,d’orientationpsychanalytique«freudienne»parlededegréde«désorganisationpsychique».Unetroisièmede«relationauréelquiexplose»:

«Bah alors plus vous allez vers une désorganisation, plus les fondamentaux de l’êtrehumainsediluent...donc lesschizophrènes lesaventmoinsbienque lesparanoïaques,ils sont pas complètement ignorants! Le confus, le dément, le vieillard dément quiétranglesafemme...Doncc’estuncontinuumévidemment.»EntretienAndreasDrongiti,55-70ans,milieuhospitalieretcabinetprivé«Pourmoidanslafolie,ilyaunerelationauréelquiexplose.C’estquandmêmequandun êtren’est plusdans ses habits de sujet et vaperdreun ancragedans le réel et sesarticulationsonvadireavecceréel-là,quilerenddansunétatdeconsciencedesavie,unepossibilitédeseprésentercommesujet.Avecdanslafolie...Pourmoi,ilya(hésite)

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quelquechosede laconstructionquia flanchédans l’ordresymbolique.C’estdesêtresquiontététraverséspardeshéritagesgénérationnels...Oùils’esttrouvéassignéàuneplacedontilestporteurunpeumalgrélui,çaaétésonrecourspourtrouverplacedanslemonde…»EntretienMarianneVachet,40-55ans,milieupénitentiaire

Cespsychiatresentendentdoncaiderlespatients,parletravailrelationnel,àtrouverunancragedanslemonde.Notonsd’ailleursquecespsychiatresjugentsouventletermede«folie»moinspéjoratifqueceluide«maladiementale»quisignale l’emprisede lamédecine sur lepsychisme.Cen’estdoncpas tantpoursoignerdes«malades»quepouraccompagnerdespersonnesensouffranceenraisond’une foliequiperturbe leur rapport à eux-mêmeset aumondeque lespsychiatresdoiventintervenir.Onpeuticisoulignerledésaccordquisedessineentre ceux qui considèrent la «folie» comme productrice d’une irrémédiablealtérité(le«fou»estunautre)etceuxquiconsidèrentqu’ellefaitaucontrairepartiedel’expériencehumaine:

«Pourmoi c’est une disposition inhérente à l’existence humaine. Du coup, la folie estconstitutive à notre existence. Et là je suis très Tosquellessien, quelqu’un qui est fou,c’estquelqu’unquiratesafolie.C’estengros,lafoliec’estcellequinousfaitrentrerdanslemondequoi. (…)La folie,c’estvraiment l’existence,Dasein.Qu’est-cequ’il fautpourqu’unhumainsoitdanslemonde.Fautquandmêmeavoiruncertaingraindefoliepourpouvoirtomberamoureux,vivreaveclesautres...Maisc’estunefolietravailléeça.Etlafoliedesfous,cellequiproduitdesmanifestationspsychotiques,onpeutdirequec’est...unesouffrancetrèsprécoce,trèsfondamentale.»EntretienNicolasLabhadi,25-40ans,milieuhospitalier

C’estdoncaunomdecettecommunehumanitéque«ceuxquiontréussileurfolie» se doivent de venir en aide, par le soin, à ceux qui l’ont manquée. Cespsychiatres reconnaissent parfois le caractère paternaliste de leur postureprofessionnelle:

«Parce quemoi ça me pose pas problème l’irresponsabilité, je suis peut-être un peupaternalisteaveclespatients,c’estpasbienmais…»EntretienGenevièveMoretti,40-55ans,milieupénitentiaire

Ces psychiatres insistent moins sur l’autonomie et la responsabilitéindividuellequesurleslienssociauxetlesancragesrelationnelsquipermettentàcespatientsdestabiliser leurrapportaumonde.Danscesdiscours, le travaildupsychiatreconsistedoncsurtoutàcomprendrelafolie,àcréerunlienaveclepatient et à le protéger d’une société dans laquelle il a du mal à trouver sesmarques.

Cespsychiatresdéfendentl’idéequelaprisonnepeutremplircomplétementcettemissionetconstituedèslorsunlieulargementinadaptépourlaplupartdesauteursd’infractionprésentantdestroublespsychiatriquesgraves,quel’hôpitaldoitprendreencharge,enrepensantnéanmoinslesconditionsdesonaccueil.

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2. Corrigerlesexcèsdelaresponsabilisation:fairesortirlesmaladesdeprison

Les psychiatres les plus enclins à dénoncer les excès de la«responsabilisation»desauteursd’infractionsprésentantdestroublesmentauxsont ceux-là même qui travaillent en milieu carcéral (Lancelevée, 2016). Ilsconsidèrentquemalgrélaprésenced’équipespsychiatriquesenprison,l’universpénitentiairerestepathogèneetinadaptépourcespersonnesetontlargementlesentiment que les soins psychiatriques en ces lieux servent de caution à untournantsécuritaire.

Uneprisonpathogène

Selon ces psychiatres, la prison ne peut constituer un lieu de soin adéquatpour de nombreuses personnes présentant des troubles mentaux, en partieparcequelesmoyenspsychiatriquesysontinsuffisants57,maiségalementparceque le fonctionnement carcéral a tendance à aggraver les pathologiespsychiatriques.

«Euh... je pense que par ailleurs y’a trop de psychotiques en prison. Y’a trop depathologiesmentalesenprison,y’avraimentdespersonnesquisontpasadaptéespource milieu-là... En fait, si vous voulez, je pense quand même, je vais parler morale etphilosophie deux secondes, je pense que la prison doit entre guillemets remettre ducadreàdesgensquienmanquent.Doncdesgensquimanquentdecadresinternes,etleproblèmec’estquelaprisonc’est le lieuoùlecadreest lemoinsfixedumonde,oùlesrègles, toutes les règles sont relatives, oùpersonnene respecte les règles, desmatonsaux prisonniers, à nous par rapport à nos traitements... C’est vraiment un lieu de nondroitquoi…»EntretienFrançoisVoisin,25-40ans,interneenpsychiatrie(stageenSMPR)

Cependant ces psychiatres estiment généralement que la prison est ununivers pathogène qui peut alimenter et aggraver certains troubles gravescommelaparanoïa:

«Leparanoïaquevatrouverdanslaprison,quiestunmilieucomplétementparanoïsant,dumatériel,ilvasenourrir...touslesjours,delaprison!Doncilvarefusertouslessoinsquiluisontproposés,parcequ’iln’estpasfou,pourlui,onl’aresponsabilisé,doncilestpas fou.Donc il vaêtre condamnéengénéralàune lourdepeine,parcequ’onauraditqu’ilétaitparanoïaque...Etpuismaintenantaveclesexpertisesdepré-libération,surladangerosité, la récidive, on commence à voir des paranoïaques qui sont incarcérésdepuis20ans,quisonttoujoursaussidélirants,quin’onteuaucunsoin...Etonleurdit,aumomentdesortir:‘onval’envoyeràl’hôpitalpsychiatrique!’.Doncçapourmoic’estfou!»

57 Les quelques deux cents établissements pénitentiaires français disposent de 26 services médico-psychologiques régionaux (avec des services ambulatoires et d’hospitalisation de jour – 380 lits) etdésormais de 9 unités hospitalières spécialement aménagées (405 lits). Dans les établissements qui nepossèdentpasdeservicepsychiatriqueadhoc,despsychiatresetpsychologues interviennentauseindesunitéssomatiquessouslaformede«DSP»(dispositifdesoinpsychiatrique).Lesdifficultésderecrutementsontcependantimportantespourlesvacationsdepsychiatrie(voirnotammentLeBianic,Malochet,2009;Sénat,2006).

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EntretienGenevièveMoretti,40-55ans,milieupénitentiaire

Toutefois, le cas de la paranoïa, présenté comme une «pierred’achoppement» du principe de l’irresponsabilité, amène certains de cespsychiatres à nuancer leur propos. Ainsi si AlexisMilano considère qu’ils sontirresponsables, il n’est cependant pas certain que l’hospitalisation puisse êtreunesolutionadéquate:

«Jeconnaispasmaldeparanoïaques,c’estdifficiledevoiroùçaglisse,oùonpassedudiscours logique au discours paralogique. La seule conclusion possible, c’est de direqu’ilssontfous!Ilsparlentlamêmelanguequenous,maisilsnesontpasdanslamêmeraison.Doncilsdoiventêtre irresponsabilisés.Aprèscequ’onenfait,c’estautrechose.Ce sont des gens qui sont assez dangereux, qui vontmal vivre à l’hôpital, parce qu’ilssontcommevousetmoi, ilsontsimplementdesconvictions,mais ilsvivent leschosesavecunsentimentd’injusticemarqué,ilsontpasl’émoussementdupsychotique…»EntretienAlexisMilano,40-55ans,milieupénitentiaire

Silespsychiatresexerçantenmilieupénitentiairejugentquepourcertainespersonnes, la prison apu constituerunpointd’arrêt, les aidant à engagerunedémarchedesoin, ils regardentavecscepticisme l’incarcérationdespersonnesprésentantdespathologiespsychotiques: laprisonn’est,poureux,pasun lieuadapté, quand bien même ces affections mentales n’auraient pas entravé lediscernementdel’individuaumomentdupassageàl’acte:

«Alorsmoijeconsidèrequequelquesoitlelienavecledélitoulecrime,siy’aunétatclinique qui relève manifestement d’une décompensation, ça doit pouvoir relever del’irresponsabilité même pour des petits délits, et c’est d’ailleurs le gros problème... àl’heureactuelle,c’estquel’irresponsabilisation,onseposelaquestionquequandy’adescrimesquoi,etc’estpourçaquefinalement laprisonestpleinedepsychotiques,parcequ’ilsseretrouventincarcéréspourdespetitsdélits,qu’ilscommettentgénéralementenrécidive,ilsseretrouventavecdespeinesdeplusenpluslongues,qu’ilsaggravent58endétentiondufaitdeleurcomportement,doncc’estvraiquec’estunpeulechienquisemordlaqueuequoi…»EntretienFrançoisJulhès,25-40ans,milieupénitentiaire

Une jeune psychiatre, exerçant en UHSA, considère que ces unités peuventavoirpoureffetperversdecautionnerl’incarcérationdepersonnestrèsmalades,entraînant une certaine ambiguïté sur le sens de la peine à laquelle elles sontcondamnées:

«Alorsonpeutbiensoigner, leseulproblème,c’estquemoi j’aidespatients, jemedismaislerenvoyerendétention,ilestpasapte...maisenmêmetempss’ilétaitàl’hôpitaljeleferaissortir,jelemettraisdansunestructureadaptée.Ilsontpasleurplaceàl’hôpitalparcequ’ilssonttropstabiliséspourça,maislesretournerendétention,çavalesfairedécompensertoutdesuite.Donconarrivedansquelque-chosequiestunpeupervers,oùçaveutdirequ’ilssontcondamnésàdel’hôpital,etlàjetrouvepasçanormal.»

58L’administrationpénitentiairen’apasdepouvoirdécisionnel sur la longueurde lapeine, le psychiatreparle icideséventuelsdélits (oucrimes)commisendétentionet jugéspar les instances juridictionnelles,quipeuventvenirajouterdutempsàlapeineinitiale.Quelquesévénementsdramatiquesontainsidéfrayélachronique(unfaitd’anthropophagiedanslamaisond’arrêtdeRouenen2007parexemple).

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EntretienZoéTalbot,25-40ans,milieupénitentiaire

Plusieurs psychiatres exerçant en prison considèrent par ailleurs que ledéveloppement des soins psychiatriques enmilieu carcéral a eu pour effet decautionnerl’incarcérationdepersonnesprésentantdegravestroublesmentaux,en levant les dernières réticences de certains magistrats et experts, confiantsdans la qualité des soins que les personnes pourront trouver en prison (voirchapitre4decerapport).Cesentimentdeservirde«caution»àl’incarcérationdepersonnes,quiauraient toutà fait leurplaceà l’hôpital, explique lemalaisedes psychiatres exerçant en milieu pénitentiaire et transparaît dans desentretiensquenousavonsanalyséparailleurs(Contrast,2015).Lespsychiatresexerçant en milieu pénitentiaire ont ainsi parfois l’impression d’être invités à«mettredel’huiledanslamachinepénale»,selonl’expressiondeJulesArcadias,qui travaille aussi en milieu pénitentiaire. De plus, comme l’explique MarionLucey, ce transfert de population permettrait à la psychiatrie générale de se«défausser»delaquestiondel’enfermement:

«J’entendsbienl’argumentducôtéde...(l’hôpitalnedoitpasêtreuneprison)…Maissil’enfermementest laprison, jesaispasdansquellemesurec’estpasunemanièrepourlespsychiatresdesedéfausserdecettequestion-là!»EntretienMarionLucey,40-55ans,milieupénitentiaire

Ce regard critique sur l’institutionpénitentiaire et sur les limites des soinspsychiatriques en prison amène ces psychiatres (ainsi que certains de leurscollègues,moins familiersdumilieupénitentiaire)àdévelopperdesargumentsenfaveurd’unelimitationdel’incarcérationdespersonneslesplusmalades.

Fairesortirdeprisonlespersonneslesplusmalades

Danscetobjectif,plusieurspsychiatresproposentderéformerl’article122.1pourajouteràlanotion«d’abolitiondudiscernement»unequestionrelativeàl’«accessibilité à la sanction», voire d’«accessibilité aux procéduresjudiciaires».Ilfaut,commel’expliquentplusieurspsychiatres,quela«peineaitdusenspourlepatient»:

«Jesuis favorabled’unepartà l’irresponsabilitépour troublemental,etd’autrepartàunequestion, jene saispas si vous avez étudié çadans les expertises, de savoir si lesgenssontaccessiblesàlasanctionpénale.Jepensequ’ilfautdissocierlaquestiondelaresponsabilitéetdel’accessibilité.Alorsquejepensequ’onpeutdevenirinaccessible,etunepersonneinaccessibleàlasanctionpénaledevraitsortirdeprison.»EntretienAlexisMilano,40-55ans,milieupénitentiaire

Dans lamême logique, un psychiatre suggère que soit évaluée, en plus del’état«aumomentdesfaits», l’évolutiondecetétatdepuisquelesfaitsontétécommis, pour vérifier si la personne est accessible à la sanction. D’autrespsychiatresconcentrent leurattentionsurleseffetsperversde«l’altérationdudiscernement» (alinéa 2 de l’article 122.1) qui a conduit selon eux à

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l’augmentation du nombre de personnes présentant des troubles mentaux enprison.Unpsychiatreproposeainsidereveniràunelogiqueduale:

«Doncpourmoi,fautêtredansunelogique,soitonestcomplètementirresponsable,soitonestresponsable.-Pourquoi?- Parce que... dans l’usage qui est fait de l’irresponsabilité partielle, l’altération, çaconduità l’inversedecequeçaveutpromouvoir,etvucomment lasociétéestcentréesurdesprocessussécuritaires,etc.Bienentenduquecequiestintermédiairevatoujoursallerdanslesensdelarelégationetdelaségrégationquoi.Etsurtout,çalégitimeaussilefaitqu’ons’occupepasdesgensquoi.L’argumentquejetrouveétonnantc’estdediresiondéclarel’altération,onvapasavoiràleprendrecheznous,quoi,alorsjesaispassilesexpertsonttousdesoccupationshospitalières,maisbon...Doncpourmoi,ilfautquecesoit...ouiounon.Maisaprès,lapersonnedoitpasfairesapeinedepsychiatrie,siellesesoigne, et que ça va bien mieux, elle ressort. On assume la logique psychiatrique aubout.»EntretienNicolasLabhadi,25-40ans,milieuhospitalier

Pour les mêmes raisons, un psychiatre propose de revenir à la circulaireChaumié de 1905, qu’il résume ainsi: «demi fou, demie peine». Pour lui,l’expert-psychiatre ne devrait se prononcer que sur des troubles que lapsychiatrie a la possibilité de prendre en charge en l’état actuel desconnaissances cliniques, et l’altération du discernement devraitsystématiquementêtreappréhendéecommeunecirconstanceatténuanteparlesmagistrats. Cette disposition a été introduite en août 2014 dans la loi dite«Taubira»,mêmesi la formulationde ceprincipe soumet samiseenœuvreàl’interprétationdelajuridictiondejugement59.

Plusieurs psychiatres exerçant en milieu pénitentiaire considèrent parailleurs qu’il faudrait multiplier les passerelles entre milieu pénitentiaire ethospitalier.Ainsi,unpsychiatrequiregrettel’ouverturedesUnitésHopitalièresSpécialementAménagées(UHSA)auxquelles ilreprochedecréeruntraitementspécial pour des patients «comme les autres», plaide en faveur d’undépoussiéragedel’articleD398,quiencadreleshospitalisationshorsdeprisondespersonnesdontl’étatestjugéincompatibleavecl’incarcération60:ilsuggèred’hospitaliser librement les détenus qui ne présentent pas par ailleurs dedangerosité criminologique particulière, et de prévoir une garde statique pour

59Loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité dessanctionspénales:«Siestencourueunepeineprivativedeliberté,celle-ciestréduitedutiersou,encasdecrimepunidelaréclusioncriminelleoudeladétentioncriminelleàperpétuité,estramenéeàtrenteans.Lajuridictionpeuttoutefois,parunedécisionspécialementmotivéeenmatièrecorrectionnelle,déciderdenepasappliquercettediminutiondepeine.»60articleD398ducodedeprocédurepénale:«Lesdétenusatteintsdestroublesmentauxvisésàl'articleL.3214-3 du code de la santé publique ne peuvent êtremaintenus dans un établissement pénitentiaire.».Danslapratiquecependant,leshospitalisationsd’office,quiontaugmentédefaçonexponentielleaucoursdes années 1990, sont souvent réalisées dans des conditions jugées contraires aux soins par différentsrapports publics du fait de l’utilisation excessivede la chambred’isolement. Cesdysfonctionnements ontd’ailleursétéunargumentimportantenfaveurdelacréationd’unitéshospitalièresenmilieupénitentiaire(voirCollectifContrast,2015).

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les «quelques-uns qui risquent d’en profiter pour s’évader» 61 . Une autrepsychiatre, également inquiète de l’ouverture des UHSA lesquelles entérinentselon elle l’idée que la prison pourrait être un lieu de soin62, espère que lareformulation de l’article du code de procédure pénale concernant la«suspension de peine pour raison médicale»63permettra de faire sortir deprisonlespatientsquin’yontpasleurplace:

«Moi je vais voir ce que ça va donner ces suspensions de peines pour raisonspsychiatriques. Parce que je pense à des tas de patients qui ont fait la navette entrel’hôpital, dans des chambres d’isolement, l’hôpital, la prison, pour finalement se voirrefuser tous lesaménagementsdepeinedemandésalorsque l’aménagementdepeine,c’était pour être hospitalisés au long court! Des refus? Pour que finalement les genssortent en fin de peine! Moi je trouve ça... Moi ça m’attriste hein? Voilà, c’est ça lecontexte…»EntretienGenevièveMoretti,psychiatre40-55ans,milieupénitentiaire

Pourcettepsychiatre,unemeilleurearticulationentrel’universpénitentiaireet l’univers hospitalier en milieu ouvert permettrait de corriger les effetsindésirablesdelaresponsabilisationdespatientsmalades.

«L’évitement de l’incarcération» 64 des personnes présentant de gravestroublesmentauxestdoncjustifiéparlavolontédeprotégercespersonnesd’ununiversjugéinadaptéàleurpriseenchargeetquelapsychiatrieapourmissionde protéger. C’est également pour mieux protéger ces patients qu’un secondensembledepsychiatresentendrevoirlesconditionsd’accueilqueleurréservel’hôpitalpsychiatrique.

3. Lutter contre la pression sécuritaire: repenser l’accueil à l’hôpital despatientsdéclarésirresponsables

Comme nous l’avons vu, les enquêtés font unanimement le constat d’unedemandesocialecroissantedesécurité,quipèsesurlapratiquepsychiatriqueenmilieu hospitalier. Si certains considèrent que la psychiatrie doit s’abstenir departiciperàdesmissionsquirelèveraientducontrôlesocial(voirinfra),certains

61Ilproposeensommedecopierpourlapsychiatrielefonctionnementdeshospitalisationsconcernantlesautresdisciplinesmédicales.62Elleparticipenéanmoinsà lacréationde l’unedecesunités.Pouruneanalysede l’inconfortmoraldespsychiatresexerçantenmilieupénitentiairefaceauxUHSA,voir(CollectifContrast,2015).63L’article 720-1-1 a été reformulé à l’occasion de la loi du 15 août 2014. Il est désormais étendu aux«condamnésdontilestétabli(…)queleurétatdesantéphysiqueoumentalestdurablementincompatibleavec le maintien en détention». Il semble cependant qu’aucune suspension de peine pour raisonpsychiatriquen’aitétéprononcéedepuiscechangementlégislatif.64Le concept «d’évitement à l’incarcération» est utilisé parMédecins duMonde, qui tente demettre enœuvre à Marseille un programme d’intervention psychiatrique en amont des comparutions immédiates,fortes pourvoyeuses de détenus présentant de graves troubles psychiatriques. Voir l’intervention deThomasBosetti lorsduséminaire IRIS-OIP:«Maladesmentaux,commentéviter laprison?», le8 février2016.Disponiblesurdemandeàl’adresse:https://prison.hypotheses.org/

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psychiatres entendent résister à cette demande excessive en repensant lesmodalitésdepriseenchargeenmilieuhospitalier:

«C.Protais:Doncvouspointezdudoigtlefaitquelespsychiatresn’ontplusderéflexionsurlapriseenchargeenmilieufermésurlalongueduréequoi?-Oui,unsavoir-faireetpuisunethéorieaussiquis’estcomplétementperdueouais...Dufaitdecettegestionàcourttermedespathologiespsychiatriquesoùongèrel’urgenceeton fait vite sortir des patients et après on essaie de trouver un vague équilibre àl’extérieur, qui souvent est précaire et qui fait qu’il y a des décompensations qui ré-interviennentrapidement…»EntretienFrançoisJulhès,25-40ans,milieupénitentiaire

Ens’ouvrant,lapsychiatresembleavoirabandonnélafrangelaplusprécairedesonpublic:

«Moi je suis catastrophé, enfin par rapport à la psychiatrie! Psychothérapieinstitutionnelle,toutça,ças’esteffondré...Onseretrouveàfairedestraitementsrapides,mettrelesgensdehors,ons’enfout…Non,c’estpasvrai,lesgenssebattentencorepourlesmalades,maisdanscertaineslimites...Avantonauraitpeut-êtregardélesgensunan,deuxansàl’hôpitalpourlesstabiliser,lescalmer,faireunprojetdesortie...Maintenant,onpeutplus,c’estfini,totalement…»EntretienAndréGrignon,40-55ans,milieuhospitalier

Bien conscients que les patients irresponsabilisés sont directementconcernésparcettedemandedesécurité–toutparticulièrementaumomentdela levée de l’hospitalisation d’office, plusieurs psychiatres expliquent commentils tententdeconvaincre lespréfecturesd’accorder leurconfianceaudispositifpsychiatriqueetaujugementdesmédecins:

«OnauntypequiatuétroispersonnesdansleRER,y’aplusieursannéesdeça... ilestrestécinqansàl’hôpital,ilétaitcomplètementmalade.(…).Bon,làilestsorti,çaaprisdutemps,maisilaunchezlui,ilareprisleboulot,ilsuitsestraitements,ilestbienencontact... Ca va, mais ça a pris vachement de temps, parce que le préfet, il lâche pasfacilement...Doncfautfairebeaucoupdepermissions,pourdirequeçavabien…»EntretienNicolasLabhadi,25-40ans,milieuhospitalier

Ces psychiatres considèrent dès lors que la prise en charge de patientsirresponsabiliséssur le long terme faitbienpartiedesmissions légitimesde lapsychiatrie et ne remettent pas en cause l’existence de services fermés nid’UnitéspourMaladesDifficilespouraccueillir lespatientsquiauraientbesoind’unepriseenchargeplusétroite.Cependant,àcetravailenaval,doits’ajouter,selon plusieurs enquêtés, un travail en amont. Exerçant dans une structureouverte et ambulatoire, Christophe Peirère estime que le recours accru à lacontrainteestuneconséquencedeladiminutiondesmoyensaccordésautravailde prévention, qui relève lui aussi de la psychiatrie. Il s’agirait pour lui derenforceraucontrairecettedimensionpréventivedutravailpsychiatrique:

«Ilvaudraitmieuxqu’ilyaitunaccueilenamont!Aujourd’hui,onapprendauxjeunespsychiatres à diagnostiquer des signes extérieurs de psychose, et on n’apprend pas àécouter,oronpeutécouterquelqu’unetrepérerlaparanoïaavantqu’ilyaituncrime,ça

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vaudraitmieux!Caveutpasdirequ’onpeutprévenirlecrime,maisquandmême,quandquelqu’unestécouté,quandmêmeonamoinsdepassageàl’acte.Onenatrèspeu…»EntretienChristophePeirère,55-70ans,milieuhospitalier

D’autres psychiatres, comme celui-ci, estiment que l’accueil des personnesirresponsabiliséesneposepasdeproblèmeparticulierauxéquipessoignantesàconditionquecetaccueilaitétépréparé:

«Benmoijediraisqu’engénéralçasepassebien.Onenaunlà...Moijeconsidère,jesuispeut-êtreidéaliste,maisjeconsidèrequetoutmalade,mêmeleplusfou,leplusdélirant,adansuncoindesatête,unpetitmorceausain, ilsaitqu’onne luiveutpasdemal. Jepensequelesgens...aprèsilfautquelepersonnelsoitgentil,soitsoignant.Lesmaladessaventtrèsbienqu’onn’estpaslajustice,qu’onn’estpaslàpourleurfairedumal,mêmelesplusdélirants,mêmelesplusfous…»EntretienNicoleMatthieu,psychiatre40-55ans,milieuhospitalier

Ce travail demande un effort particulier de l’équipe soignante, toutparticulièrement quand les patients accueillis ont commis des faitsparticulièrement graves. Plusieurs psychiatres, s’inspirant souvent de lapsychothérapie institutionnelle, engagent ainsi un travail pédagogique auprèsdeséquipessoignantes.Àproposde l’accueildespersonnes irresponsabilisées,unpsychiatrejugecetravailcrucialpouréviterlerecoursàlacontrainte:

«Faut juste travailler les choses en amont avec l’équipe, il faut que l’équipe soitsuffisammentsolide.C’estcommequandonaccueilleuntypeenD398,il fauttravailleravec l’équipe. Si l’équipe est futée, on peut dire: non on lemet pas à l’iso (isolement)directement, on peut peut-être faire autrement. Du coup quand on s’est formé à ça,quandjedis l’équipe,c’estaussinoushein.Parcequ’onestdanslefantasme,doncfauttraiternospropresprojectionsd’abord…»EntretienNicolasLabhadi,25-40ans,milieuhospitalier

Il s’agitégalementdemieux former leséquipessoignantespouratténuer laméfiance croissante à l’égard des patients, qui résulte pour certains de ladéspécificationdumétierd’infirmierpsychiatrique65:

«Autrefois, les infirmières étaient formées en psychiatrie! Nous on a des jeunesinfirmiers qui ont dans leur cursus pratiquement aucune formation en psychiatrie, cesontdesgenstrèsbiens,desfillesjeunes,adorables,pleinesdebonnevolonté,souventtrèspertinentes,bon...Moijeconsidèrequ’onn’arrivepasenpsychiatrieparhasarddetoutes façons,maisquin’ontaucune formation...Parexemple l’autre jour, il yavaitunpsychotiquequigardaitsonanorak,alorsvoussavezlespsychotiques,poureuxc’estunesorte de cocon, alors voilà l’infirmière qui lui dit d’enlever son manteau pour allermanger,l’autreillaregarde,ilallaitlafrapper,doncjesuisintervenue(…).Ilssontpasformés!»EntretienNicoleMatthieu,psychiatre40-55ans,milieuhospitalier

Maisceteffortfaitpartiedesmissionsdelapsychiatrie:

«Après pour des personnesmettons, présentant des troubles schizophréniques et quiontcommisunactecrimineletquisontprisenchargeaulongcours,jemesuisjamais

65Cemanque de formation résulte selon lui de la suppression de la formation spécifique d’infirmier desecteurpsychiatrique,remplacéeen1992parundiplômepolyvalent.

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dit‘ilvaudraitmieuxqu’ilsoitenprison’.Non!Ilfautqu’ilssoientsoignés.Ilsrequièrentdessoins.»PatrickGuerlain,55-70ans,milieuhospitalier«Doncsiunpsychiatrevousdit, l’hôpitalpsychiatriqueestplusaliénant,onaenviedeluidire:‘bahfaitesdesortequevotreservicenelesoitpas!’»EntretienAndreasDrongiti,55-70ans,milieuhospitalieretcabinetprivé

Il s’agit donc, pour ces psychiatres, d’engager une réflexion collective, auniveaulocalduservicehospitalieretpluslargementdelasociétéentière,surlesreprésentations de la maladie mentale, de la dangerosité et les réponses à laviolence des personnes présentant des troubles mentaux. Adoptant uneapprochecontextuelledecetteviolence,ilstiennentundiscoursprochedeceluidéveloppé dans le rapport de la commission «Violence et santé mentale»,dirigéeparAnneLovell,quipréconisaitd’étudierensemble lescomportementsviolentsliésauxtroublesmentauxetlesviolencesquepeuventsubirlespatients,notammentàl’hôpital(Lovell,2005,voiraussiVelpry,2011).Seloncesenquêtés,c’estdoncmoinsparlacontrainteetlacontentionqueparletravailrelationneletthérapeutiquequelasécuritépeutêtregagnée.Siaucundecespsychiatresneremet en question l’existence des Unités pour Malades Difficiles (UMD) quiproposent pourtant une prise en charge très contraignante pour les patients,certainssuggèrentd’enrevoirlefonctionnement:

«C.Protais:OnentendparfoisquelesUMD,c’estpirequelaprison?-Bahpeut-êtrequ’ilfautaméliorerlesUMD!-Pourvous,cen’estpasunargumentpourresponsabiliser?-Non!Est-cequeleservicedegériatrieestmieuxqueleservicedepsychiatrie,c’estpaspour ça que je vais envoyer mes malades en gériatrie! Mais je vais demander qu’onrefasselapeintureduservicedepsychiatrie!Là,ondevraitdemanderquelesconditionsde vie des patients soient meilleures en UMD! Je crois qu’on prend le problème àl’envers, là. Et puis oui, bien-sûr les patients ils ont pas envie d’aller en UMD, maispersonnen’aenvied’allerenUMDouenpsychiatrie,hein,y’aquelespsychiatreshein!»EntretienChristianSchmidt,55-70ans,milieuhospitalier

Si ces unités ne sont pas critiquées, c’est sans doute parce qu’elles sontperçuescommefaisantpartiedusystèmedepriseenchargepsychiatrique.C’estainsiégalementquelespsychiatresexerçantenUMDjustifientleurintervention(Velpry,2016),car lespatientsquiyséjournentontvocationàrevenirvers lesservicespsychiatriquesclassiques:

«Peut-être que pour certains patients, ils peuvent être euh... avoir des momentsdangereux, etplacésdans certainesunités,maispendantun tempsdéterminé!Pasdefaçonpermanente!Etbon,est-cequ’ilyavaitbesoindecréerdesUHSA,alorsqueavecHenriColin,Sarreguemines,Cadillac,etc...Est-cequeçasuffisaitpas?Enfinvoilà…»EntretienAlainDitard,55-70ans,milieuhospitalieretcabinetprivé66

66Le discours de ce psychiatre est intéressant: militant dans les années 1980 pour la suppression del’article 64 et la responsabilisation des malades mentaux, ce psychiatre semble avoir depuis changédiamétralement d’avis à propos de la question de l’irresponsabilité, comme s’il avait pris conscience deseffetsperversdesonapplicationconcrète.Sondiscoursporteencorelestracesd’unecertaineambiguïté:il

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Ces psychiatres ne se disent pas tous hostiles à la contrainte, maisconsidèrentquecelle-cidoitêtreutiliséedansunobjectifthérapeutique,pourlebien du patient (y compris sans son consentement) et non en réponse à unedemandesocialedesécurité.

Refaireasile?

Le discours de ces psychiatres articule donc une lecture de la maladiementaleauprismedes fragilitésqu’elleentraîne,etde l’hôpital comme lieuoùces fragilités sont susceptibles d’être le mieux prises en considération. Cettelecture est très proche du répertoire de la protectionmobilisé par les expertspsychiatres, favorables à l’irresponsabilité pour cause de troublemental (voirchapitre 1). Ces psychiatres sont ainsi amenés à considérer que le principed’irresponsabilité,dont ilsdéfendentune interprétation large,estunargumentdepluspourrepenserl’accueildespatientsaulongcours.L’hôpitaldoitdonc,àleurs yeux, redevenir un lieu d’accueil au long cours. Le soin ne doit pas serésumeràuneinterventionmédicale,maisàuntravailthérapeutiquequipermetau patient de retrouver une place dans la société. Il s’agit de permettre à lapsychiatriederefaireasile,c’est-à-direderetrouverunecapacitéàaccueillirlespatients marginalisés, déviants et éventuellement dangereux, que la société atendanceàvouloirenfermerdansunréflexededéfensesociale.L’hôpitalnedoitdoncpasredevenir le lieud’enfermementarbitrairequeconstituait l’asiledanslesreprésentationscollectives.Cediscoursentreencontradictionavecceluidespsychiatres qui estiment que la psychiatrie n’a plus à assumer des missionsrelevant du contrôle social des patients, et qui appréhendent le principed’irresponsabilité comme un obstacle à l’avènement d’une psychiatrie enfinlibéréedesambivalencesdel’asile.

III. Une position défavorable au principe d’irresponsabilité pourréintégrerlespatientscitoyens

Laréformedel’article64ducodepénalaudébutdesannées1990témoigne,comme nous l’avons montré au chapitre 1, d’une tendance sociale à laresponsabilisationdes personnes présentant des troublesmentaux, portée pardes psychiatres qui, dans la droite ligne des courants de pensée anti-asilaires,avaientdéfenduledroitdeleurspatientsàêtrereconnuscommedescitoyensàpart entière. Cette réforme a vraisemblablement contribué à légitimerl’incarcération de personnes présentant des troublesmentaux graves, au nomd’unealtérationetnonplusde l’abolitionde leurdiscernement.Unepartiedes

tient en effet toujours les arguments dudiscours «responsabilisateur» commede bons arguments,maisconsidèrecependantquec’estàl’hôpital,etnonàlaprison,d’accueillirlesauteursd’infractionsmalades.

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psychiatres rencontrés estime néanmoins que cette réforme va dans la bonnedirection:laresponsabilisationresteseloneuxl’objectifthérapeutiqueprincipalde la psychiatrie, la reconnaissance de responsabilité pénale constituant unmoyen d’y parvenir. Conscients des dysfonctionnements qu’entraînel’incarcérationdepersonnesprésentantdestroublesmentaux,ilsestimentpourcertainsqu’il estnécessaired’améliorerencore ledispositifdepriseen chargepsychiatrique en milieu pénitentiaire. D’autres jugent nécessaire de penser lacréation d’institutions spécifiques – mais bien séparées de l’institutionpsychiatrique–pourlesauteursd’infractionsprésentantdestroublesmentaux.

1. Laresponsabilité,unidéalpourlesoin

Parmi lespsychiatresrencontrés, seuls troissedisentouvertementhostilesau principe d’irresponsabilité.Néanmoins, on retrouve chez une petite dizainede psychiatres un discours en faveur de la responsabilisation, avec desargumentssimilairesàceuxquiontmotivé,danslesannées1970puis1980,lasuppressiondel’article64ducodepénalde1810:

«Je suis trèsdéfavorableauprinciped’irresponsabilitédespatientsmaladesmentaux,car lesconfronterauxconséquencesde leursactesenpremier lieune lesdisqualifientpas de leur appartenance au genre humain, les renvoyant à un statut d’infantilisation,avecendeuxièmelieul’effetthérapeutiquedelesconfronteràlaloi,auxrègles.Enfin,endernierlieu,seprofilelaquestiondelaréparation.Arrêtersontraitementpeutavoirdesconséquences,suiteàunpremierépisodemédico-légalparexemple.Bienentendu,danscecontexte,ilseraitnécessairequelaloiprévoieunecollaborationaveclesmagistrats,afind’éviterquechacunrésisteàlatentationd’évacuerleproblèmesurl’autre,politiquehélastrèsnéfastede‘lapatatechaude’,avectransfertdesresponsabilitéssurlesservicesdepsychiatrie.»EntretienHenriGargian,55-70ans,milieuhospitalier

Un autre psychiatre, actif dans la critique anti-asilaire et acteur dudéveloppementd’unsecteurpsychiatriquerevientsurcettelutte,quiavaitselonluipourvertuderappeler,selonsestermes,que«lemaladementalavaitdroitdecité»:

«C’étaitpaslereconnaîtrecommeêtrehumainàpartentièrequoi...Effectivement,y’enaquis’appuientsuruncouranttrèsmédical,dirontbahnonilssontsousl’emprised’unemaladie,endehorsd’eux-mêmes,maisvoilàducoup,c’est lesmettretotalementàpartquoi! Donc j’ai pas de solution pour dire ce qu’il faut faire, bien sûr, mais moi, jeconsidère qu’ils sont responsables, ça a la valeur de reconnaître que ce sont messemblables! Parce que à partir de ça, du coup, tout un enchaînement quoi, lesconséquences,lafaçondontonvaleconsidérerquoi...»EntretienAlainDitard,55-70ans,milieuhospitalieretcabinetprivé

Ces deux psychiatres, formés à la psychanalyse dans les années 1970,avancent des arguments politiques: il faut considérer lesmalades comme descitoyens à part entière et donc refuser tout ce qui pourrait les placer sous latutelled’unepsychiatrie toutepuissante.Leursarguments s’inscriventdansun

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discours similaire à celui qui a porté la critique de l’asile et la réforme de lapsychiatrie dans la secondemoitié du XXe siècle. La responsabilité pénale estconsidérée,parcespsychiatries,commeuncorollairedeladignité:

«À un moment donné le sujet, la personne cherche un répondant, des repères, deslimites,etpuisquandonvousrenvoieuneresponsabilité,c’estaussiunedignitéqu’onvousrenvoie!»PatrickGuerlain,55-70ans,milieuhospitalier

Certainspsychiatresvontplusloindanscettequêted’égalité,enremettantenquestion la spécificité de la maladie mentale: une psychiatre cite ainsi lestravauxdePhilippeRappard,unpsychiatreparticulièrementengagédanslaluttecontre l’article 64, qu’il considérait archaïque. En effet, selon lui, la pathologiepsychiatriquen’entrave ni le contrôle des actes ni, par conséquent, la capacitépénale:

«Vous avez entendu parler de Rappard hein? Je trouvais ça très intéressant, mêmecomme jeune psychiatre. Ca se discute... Oui oui, ça peut être ça. C’est pour ça que jepensequec’estbienqu’ilsaillentenprison,aumoins le tempsdu jugement,pasqu’ilsrestent à l’hôpital psychiatrique d’emblée.Même pour des chosesmoins graves. Et çac’estpasbon.Jepensequec’estbien,dumomentquelapersonneestunpeustabilisée,d’assumerunpeuleschoses.»EntretienClaudineNourarier,55-70ans,milieuhospitalier

Àl’exceptiondelapsychosedécompensée,cettepsychiatreestimeainsiqueles personnes présentant des troublesmentaux doivent être jugés comme desauteursd’infractionscommelesautres.Lasanctionapourelleuneffetéducatifvoire thérapeutique: elle permet aux patients d’apprendre à «assumer leschoses».C’estd’ailleursàpartirdecerestederaison,decenoyausain,que lapsychiatriepeutintervenirparlesoin,quivisealorsjustementàaiderlepatientàretrouveruneresponsabilitésociale:

«C. Protais: Alors est-ce qu’il y a des gens qui ne sont pas responsables de ce qu’ilsfont?-Moijepenseque...direleschosescommeça,c’estvraimentêtreàl’opposédecequ’atoujours été la psychiatrie, c’est-à-dired’aller chercher toujours le fait que le sujet estresponsableetquec’estpasparcequelafolieestlàetqueparfoisons’appartientpas...queobligatoirementy’aplusderesponsabilité. Jetrouvequec’estpascohérent.Onesttoujoursàlarecherchejustementdecequirestemalgrétoutcetétat,encoredequelque-chosequipeutencoretenirlaroute!Sinon,sionabandonnecetteidée...autantchangerdetravailquoi!»EntretienPierreHervé,55-70ans,milieuhospitalier

Onretrouvel’idéequelapathologiepsychiatriquenesauraitêtreconsidéréecomme un élément déterminant dans le passage à l’acte, dans le discours depsychiatresdéfendantuneapprochesymptomatiquedestroublesmentaux.

«C.Protais:Expliquez-moiducoup?Pourvoustouslesmalades…sontresponsables?-Non,paslesmalades, lespersonnesquiontdestroublespsychiques,c’estàdirenoustous,onesttousresponsablesoui.

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-Maisalorsducoup, jevaisremonterenamont,vousêtesfavorableoudéfavorableauprinciped’irresponsabilitépourtroublesmentauxpénalement?-Alorsmoijesuis...jepensejedoisêtreclair,jesuisdéfavorable.Trèsclairement.Fauts’entendre, pourmoi toute personne qui commet un acte illégal doit passer devant lajustice.Laloicesdernierstempsaquandmêmeamélioréleschoses,parcequemêmesivous... commettez un crime dans le plus grand des délires, vous allez tout de mêmepasserdevantlachambreduconseil,lachambrerestreinte,...Doncc’est-à-direy’auraundébat sur l’imputabilité d’abord... On doit pas clore un dossier sans que l’imputabilitésoit faite. Et c’est quand l’imputabilité est certaine qu’il faudrait avoir des expertises,pourdéciderdelapeine…»EntretienBernardDrieux,55-70ans,milieuhospitalier

Danscetteapprochesymptomatique67,lepatientestvucommeunepersonneatteinte par des troubles qui peuvent entraver son fonctionnement psychiquesans pour autant annihiler sa raison. Ce psychiatre corrige ainsisystématiquement l’enquêtrice, lorsqu’elle parle de «maladie mentale»: enrefusant de qualifier de «malades» – et a fortiori de «fou» – des personnestouchées par des troubles psychiatriques graves, il entend souligner que letrouble est temporaire et qu’il ne définit pas l’individu de façon substantielle.C’est à ce titre que les personnes atteintes de troubles psychiatriques restent,selon lui, accessibles à la sanction pénale. C’est également sur cette base ques’enclenche la dynamique du soin, comme l’explique un autre psychiatre,d’orientationphénoménologique:

«Mêmes’ilsétaientsousinfluence lesécartertotalementdelaresponsabilitécompliqueletravailthérapeutiquederrière…entantqu’onconsidèrecetravailcommelefaitdeseréapproprier…lefaitd’êtreunsujet.C’estsouventçaquiestenquestionpourlepatientpsychotiqueilyalaréappropriationd’unepositiondesujet–elleestquandmêmelàaminimaetquandilssontmisendehorsd’unsystèmesymbolique(celuide la loi),c’estcompliqué.»EntretienPierreHervé,55-70ans,milieuhospitalier

Au-delà de leurs différences théoriques importantes, ces psychiatressemblent cependant légitimer, de façon analogue, leur interventionthérapeutique:elles’appuiesurl’idéed’unecitoyennetépartagéeetviseàaiderle patient à retrouver sa part de raison afin de retrouver son autonomied’individulibre.

2. Améliorerl’accèsauxsoinsenprison

Dotésdesmêmesdroitsetdesmêmesdevoirsque tous lesautrescitoyens,les personnes présentant des troubles mentaux ne devraient donc pas êtreexemptées de peine. Admettant que les transformations de l’hôpitalpsychiatrique compliquent l’accueil des personnes irresponsabilisées, ces

67C’est-à-direquiconsidèrequ’iln’yapasde«maladiementale»,maisdes«troubles»,quisemanifestentpardessymptômes.Lepsychiatreintervientdonc,danscettelecture,exclusivementsurcessymptômes.

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psychiatresestimentcependantquelaréformedoitnonpasconcernerl’hôpitalpsychiatrique, mais bien plutôt les établissements pénitentiaires, qui doivents’aménager pour accueillir les patients responsabilisés dans de bonnesconditions:

«Oui,maisattendez,pourmoi,y’auneconfusiondanslesrôles!Franchement,mêmesila cité veut avant tout... comment dire… délocaliser un problème: on n’arrive pas àrésoudre un problème dans un endroit, donc on va le délocaliser ailleurs! Si y’a unproblèmepourunpatientschizophrènedanslaprison,ilestàréglersurplacesionvaauboutduraisonnement...Vousvoyez?Onestbiendanscettepositionpermanenteaveclespersonnesditesfolles,jamaisinsituseposelaquestiondecequ’onfait!»EntretienPierreHervé,55-70ans,milieuhospitalier

Ils sont toutefois conscients des nombreuses critiques qui ont entourél’institution carcérale depuis la fin des années 1990. Ces psychiatres estimentdoncqueleproblèmeàtraiterenprioritésesitueauniveaude laprison:si laprisonadumalàprendreenchargelespatientsresponsabilisésquiprésententdes troublesmentaux, alors c’est à elle de développer les soins psychiatriquesnécessairespourcorrigercettesituationproblématique.

«C.Protais:Doncl’UHSAc’estpassimal?-Caaétémal fait,mais c’est labonne solution.Mais leproblèmec’est laprison. Sionregardelesgensquiontdestroublespsychiquesenprison,onvatrouvertoutlemondehein... La prison n’améliore pas... pour certains ça les améliore, les caïds, y’a pas deproblème,mais tous les autres, qui sont un peu victimes, vous allez voir ce que ça vadonner!-Vousdites:nousonaréussiàhumaniser l’hôpital,pourque lesgenssoient trèspeuenfermés,doncvous,humanisezlaprison,demanièreàcequelesgensaientlesmêmessoins?...Quedanslacité...Oui,biensûr!»EntretienBernardDrieux,55-70ans,milieuhospitalier

Moins optimiste sur la capacité de transformation de la prison, unepsychiatresuggèrequecertainspatientspourraientdébuterleurpeineenmilieuhospitalier le temps de stabiliser leur état, avant de rejoindre la prison pourpurger la peine à laquelle ils ont été condamnés. Ce mécanisme lui paraîtparticulièrementintéressantpourcertainspatients:

«Ilyacertainspatientsquisontunpeuétat-limite,quiontdesdéliresdepersécutionetpour lesquels, échapper complètement au pénal, ça les laisserait dans un désarroiterribleetilsnepourraientjamaispasseràautrechose;carpoureux,iln’yapasd’effetderéeletsonttoujoursvictimesdequelqu’un.Toutcequiestdéliredepersécution,étatlimite paranoïaque, ce sont des êtres, c’est difficile de faire l’économie du passage aucarcéral.Onnepeutpastravailler laquestionde laculpabilités’iln’yapasuneffetderéel.Aunmomentilfautqu’ilssoientarrêtéscesgens.Y’aquelquechosequidoitfaireunpointd’arrêtpoureux.»EntretienMarianneVachet,40-55ans,milieupénitentiaire

Si les efforts doivent se porter sur la prison, c’est également parce quel’hôpitaln’estplusenmesured’accueillircespatients.Unepsychiatreparleainsiduregardidéaliséquesescollèguesquiexercentenprisonportentsurl’hôpital:

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«Jedisqu’on faitpasdesmerveilles.Parfoisdéjà lescollèguesà l’intérieur fantasmentsur les effets des traitements hospitaliers... mais nous on peut pas garder.... C’est pasparcequelesgensvontêtredehorsqu’ilsvontallerbienetqu’ilsvontsesoigner...Onn’apas de logement particulier pour les patients…Mais donc moi par rapport àl’irresponsabilisation,jevoispasdevraiscandale.»EntretienClaudineNourarier,55-70ans,milieuhospitalier

Danscetextraitd’entretien,leslimitesdel’hôpital–quin’apluslesmoyensd’accueillirdespatientsaulongcoursensituationdeprécarité–sontavancéescommeunargumentenfaveurd’uneréformedessoinsenprison.

Le discours de ces psychiatres, favorables au développement des soins enmilieu carcéral, entre en résonance avec la politique «d’accès aux soins»conduite en milieu carcéral depuis le milieu des années 1980 qui a doté lesétablissements pénitentiaires de vingt-six services médico-psychologiquesrégionaux (SMPR), et progressivement augmenté la taille des équipesintervenant dans ces services ou dans les établissements qui n’en étaient paséquipés. C’est dans la continuité de cette politique qu’ont été développées aucours des années 2000 les UHSA, qui sont présentées dans la communicationofficielle comme un effort dans le sens d’unemeilleure équivalence des soinsentrelededansetledehors68.

Cependant,onremarquequ’àl’exceptiondespsychiatresquiytravaillent–etd’unpsychiatrequiaparticipéàl’élaborationdecesunités(BernardDrieux),etquiontd’ailleurstousunavismitigésurcettestructure,aucundespsychiatresinterrogésneseditouvertementfavorableauxUHSA.Ainsi,ClaudineGourarier,qui s’affirme favorable audéveloppementde soinspsychiatriquesenprison semontre cependant ambivalente face aux UHSA: elle salue cette créationinstitutionnelle qui résout selon elle l’épineuse question des hospitalisationsd’officedepersonnesdétenues69,maiss’interrogedanslemêmetemps:

«L’UHSAjevoispascommentçavaêtregéré.Cafaitunpeuségrégationquandmême...Parcequedans l’hôpital, çavaêtreunbâtimentàpart, sécurisé, avecdes surveillants,vousvoyezcequejeveuxdire?Doncceseradelaprisondansunhôpital,doncilsvontêtrestigmatisés,alorsquequandilssontunpeupartout, lapopulationsaitpasqu’onadesdétenus...Eteuh…»EntretienClaudineNourarier,55-70ans,milieuhospitalier

L’argumentrejointl’idéequelesUHSApourraientavoirpourconséquencelamise en place d’une «filière ségrégative» (Paulet, 2004). Le discours despsychiatresfavorablesaudéveloppementdessoinsenprisonachoppeainsisur

68Voir notamment le GuideMéthodologique publié en 2012par leministère de la Santé et de la Justice,p.116-129.69En réalité, les chiffres avancés par l’administration pénitentiaire laissent penser que si l’ouverture desUHSA a permis de réduire le nombre d’hospitalisation sans consentement en vertu duD398 du code deprocédurepénale(c’est-à-direenmilieuhospitalierclassique),ladiminutionn’estpastrèsimportante.Onremarquepar ailleurs en additionnant à ces hospitalisations sans consentement enmilieuhospitalier leshospitalisationssansconsentementenUHSA,onremarqueaucontraireuneaugmentationdecelles-ci(voirinterventiondeSergeCanapeauséminaireIRIS-OIPdu8février2015:https://prison.hypotheses.org/220)

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ceparadoxe: ledéploiementdessoinspsychiatriquesenprisonpermetd’aiderles personnes présentant des troubles mentaux à retrouver une certaineresponsabilité,maiscomportecependantlerisquedelessoumettreàunedoublestigmatede«patients-détenus».

Quelques psychiatres assument ce paradoxe, nécessaire selon eux auparachèvement de l’entreprise de déstigmatisation de la psychiatrie et de sespatients,débutéedanslesannées1970:ils’agitpoureuxdedélesterunebonnefoispourtoutelapsychiatriedelagestiondel’enfermementetdoncdelapriseenchargedesauteursd’infractionprésentantdestroublesmentaux,qu’ilssoientounonirresponsables.

3. Délester l’hôpitalde lapriseenchargedesauteursd’infractionsprésentantdestroublesmentaux

C’est au nom de l’avènement d’une psychiatrie démocratique, quiconsidérerait enfin ses patients comme des citoyens ordinaires, que quelquespsychiatresestimentque l’hôpitalnedevraitplusêtresollicitépour lapriseencharge d’auteurs d’infractions présentant des troubles mentaux. Cesprofessionnelsseprésententcommedeshéritiersdelapolitiquedesectorisationet d’ouverture de la psychiatrie mais tendent paradoxalement à approuver lacréation d’une institution spécifique pour les auteurs d’infractions, présentantdes troubles mentaux ainsi qu’une certaine dangerosité. Ils se font l’écho desthéoriesdela«défensesociale».

L’hôpitalcommelieud’enfermementillégitime

Pour ces psychiatres, il est intolérable que l’hôpital psychiatrique continued’assumer une mission de sécurisation de l’ordre social. Si l’institution alongtemps fait office de seconde prison, il faut que les choses évoluentdéfinitivement:

«Labasedel’asileçaaétédedire,onvamettredansunlieudesoinlespersonnesquine devraient pas être en prison.Mais quelle erreur! C’est bien en théorie ça,mais enpratiquesesontretrouvésà l’hôpitalpsychiatriqueauXIXèmesiècle lespauvreset lescriminels...etlesystèmequiétaitlàpoursoigneravecl’ordremoral,c’étaitsurtoutçaàl’époque, il est devenu fermé partout... parce qu’a primé dans les hôpitauxpsychiatriques,lefaitquelesgensnedevaientpass’évaderetrecommettredescrimes...parcequ’onlesavaitsortisdeprison,dufaitdel’irresponsabilitépsychiatrique.Etçaonlepaieencore.Vousavez90%desservicesenFrancequisontfermés!Alorsquecesontdesservicesdemédecine,çan’existepasailleurs,toutça.Caonlepaietrèsclairement.Cette histoire d’irresponsabilité... On a transformé les hôpitaux en prison, avecl’irresponsabilité.OnafaitundeuxièmesystèmecarcéralenFrance.»EntretienBernardDrieux,55-70ans,milieuhospitalier

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Ce psychiatre, se présentant comme un héritier de l’antipsychiatrie,considère que l’ouverture des hôpitaux psychiatriques ne peut souffrird’exception. Il est fier de n’avoir jamais eu recours à l’hospitalisation en UMDpour ses patients. Les services fermés constituent pour lui une «secondeprison»:

«C. Protais: Parce que pour vous, l’hôpital fermé, c’est comme la prison, c’estassimilable?-Ahbahoui.Ecoutez,allezàl’hôpital.Vousavezaucuneportefermée.Vousentrezdanslesservices,c’estunhôpital,hospitalité.Enpsychiatrie,paf...voustombezsuruneportefermée,regardezquelleambiance.Imaginezvousdansunservicefermé!C’estcommeàl’hôpital,parfoisondit‘nonvousbougezpas’,ondoitenarriveràlessédater,etc.maisaumoins,lesportessontouvertes...»EntretienBernardDrieux,55-70ans,milieuhospitalier

Il estime en effet que l’enfermement doit relever de la prison, non de lapsychiatrie. C’est pour cela qu’il se dit par exemple hostile aux Unités pourMaladesDifficiles:

«C.Protais:Doncl’UMDc’estpirequelaprison?- Ahbien sûr, je suis contre, enfinpour la fermeturedesUMD,mais je suis tout à faitminoritaire. Parce que l’UMD... Robillard, il a eu une pirouette en disant, c’est du soinintensif.Monœil,sidusoinintensifc’estdemettreuntrucplussurveilléqu’enprison,c’est pas du soin intensif... C’est une surveillance intensive...Moi j’étais pour un statutspécial, qu’on mette le même statut qu’en prison, les UHSA. Puisque les gens sontenfermés!»EntretienBernardDrieux,55-70ans,milieuhospitalier

Au nom d’une psychiatrie qui respecterait les «droits de l’homme», cepsychiatredéfendl’idéequeleséquipessoignantesnedevraientplusparticiperàl’exercice de la contrainte ou à la gestion de l’enfermement des patients. Sil’hôpital fermé peut être comparé à une prison, c’est également, selon PascalConstant, parce que l’expérience des personnes irresponsabilisées n’est paséloignéedecellequeviventlespersonnescondamnéesàdespeinesdeprison:

«Être interné enpsychiatrie c’est unepeineplusdifficile quede se retrouver ailleurs,croyezmoihein!»EntretienPascalConstant,40-55ans,milieuhospitalier

La prison serait même pire, en raison du caractère indéfini de la duréed’hospitalisationdespersonnes irresponsabilisées.Sansadhérercomplétementàcetteidée,notonsquedenombreuxpsychiatresrelatentlesproposdepatientsquiaffirmentparfoispréférerlaprison,oùladuréedel’enfermementestfixéeapriori,àl’hospitalisationsanshorizondesortie.

Déstigmatiserlapsychiatrieetsespatients

Laperpétuationdeservicesfermésàl’hôpitalpsychiatriesoulèveégalementun enjeu en termes de représentations. La question de la stigmatisation despatientsdepsychiatrie(Kohl,2006;Lovelletal.2011),quipeutavoirentraîner

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diversesformesdediscriminationsociale(AngermeyeretSchulze,2004),estaucœur du discours des psychiatres favorables à la création d’institutionsspécifiquespourlesauteursd’infractionsprésentantdestroublesmentaux.

Trèssoucieuxde lastigmatisationdespatientsdepsychiatrie (qu’il inviteàdésigner sous le terme de «personnes présentant des troubles mentaux»),BernardDrieuxconsidèrequecelle-ciatroplongtempscontribuéàleurmisedecôtéenparticipantaumaintiendel’ordrepublic:

«Maisvoilà,moi jevois lastigmatisationqueçaentraînepour tout l’hôpitalhein,c’estunecatastrophe...Moijemesuistoujoursperçucommeunsoignant,doncl’enfermementpour moi c’est anormal. On doit lutter contre l’enfermement. Je dis pas ça pour lesprisons,c’estautrechose,lesprisons.Maisl’hôpital,çadoitêtrel’hôpital.Etlessoinsenvilledoiventêtrelessoinsenville…»EntretienBernardDrieux,55-70ans,milieuhospitalier

Pascal Constant partage cet avis et se dit favorable à une répartition clairedesmissionsdesoinetdecontrôle:

«(Avec les patients irresponsabilisés), le psychiatre il est dans unemission où il doitsurveiller lesgens,et c’estpassamissiondesurveiller lesgens!C’est lamissionde lapolice, voilà. Donc c’est toute l’ambiguïté de l’internement en France... Donc c’est passeulement la question desmalades irresponsabilisés, c’est la question de comment onmetenplacel’internementetlasurveillanceengénéral.(…)Cequejevousdis,c’estunechose très simple à comprendre,mais je vais vous ledire encoreplus simplement: cen’estpaslerôledumédecindepriverdeliberté,c’estlerôledujuge.»EntretienPascalConstant,40-55ans,milieuhospitalier

Cepsychiatreestimeluiaussiquelapsychiatrien’apasàgérerlaquestiondel’enfermementetdessoinssansconsentement.OncomprenddanslediscoursdePascalConstantquelavolontéde«déstigmatiser»lespatientsdelapsychiatrieestindissociabled’uncombatvisantà«déspécifier»lapsychiatrie,pourenfaireunedisciplinemédicalecommeuneautre.

Ces psychiatres ne sont d’ailleurs pas les seuls à regretter les effets destigmatisationquepeutentraînerl’hospitalisationenpsychiatrie.Unpsychiatre,plutôt favorable à une prise en charge hospitalière des personnesirresponsabiliséesjugeainsilaprisonlargementmoinsdégradantepourl’imagedesoidespersonnesenfermées:

«Ouibiensûr,y’enaquipréfèrentallerenprison.Maisçaveutpasdirequeleurplaceestenprison...J’aiunpatientschizophrène,ilétaitenprison,etilaeul’amnistiedu14Juillet,et ilvoulaitabsolumentyrester,parcequ’enprison,c’étaitpasunmalade!Et ilvaut mieux être un ex-taulard qu’un schizophrène déficitaire qui a l’AAH (allocationadulte handicapé)! C’est moins bien vu dans un quartier quand même! Mais mêmepartout,quandonaétéunpeu ‘baroudeur’,unpeuunméchantgarçon,qu’onaplantédeuxtroispersonnesdansdesrixes,c’estquandmêmepaspareilque legrandfou!Etpuisuntaulardentraîneplusdecompassionqu’unschizophrène!Globalementdans lapopulation, quand même, on a plus de visiteurs de prison que de visiteur dans leshôpitauxpsychiatriques!»EntretienChristianSchmidt,55-70ans,milieuhospitalier

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Toutefois si Christian Schmidt juge que cette stigmatisation éventuelle neremet pas en cause la nécessité de services fermés, Bernard Drieux et PascalConstant, eux, sont convaincus qu’il est temps de parachever l’ouverture deshôpitauxpsychiatriquesetdepenserlacréationd’uneinstitutionadhocpourlesauteursd’infractionsprésentantdestroublesmentaux.

Une institution spéciale pour les auteurs d’infraction présentant des troublesmentaux?

Contrairement à d’autres pays européens (Belgique, Pays-Bas, Allemagnenotamment),laFrancen’apasdéveloppéd’institutionsspécifiquementdestinéesà la prise en charge des auteurs d’infraction présentant des troublesmentaux(Lancelevée,2014).Ces institutions (Centresdedéfensesociale belgeouencoreMaßregelvollzug allemand) ont été mises en place au début des années 1930,alorsquelesthéoriesdeladéfensesocialedominaientlaréflexionautourdelaréformepénale. Cespsychiatres regrettent que la Francenedisposepasd’uneinstitutiondecetype,quipermettraitdedélesterleshôpitauxpsychiatriquesdela question de l’irresponsabilité pénale, mais surtout de cesser d’alimenter laconfusionentreviolenceettroublesmentaux:

«Cette histoire d’irresponsabilité... On a transformé les hôpitaux en prison, avecl’irresponsabilité.OnafaitundeuxièmesystèmecarcéralenFrance.-Ducoup,c’estunproblèmepourlesautresmalades?-Evidemment,commentvousvoulez...moij’aivuuntasdegensquirefusaientlessoins,quirefusaientdeseretrouveràl’hôpitalpsychiatriqueparcequ’ilyavaitdescriminels...Alorsquebon,siondoitalleràl’hôpital,qu’onaitcommisunacteillégaloupas,ondoitêtre soignéde lamêmemanière. Lespsychiatres et infirmiersnedoiventpas êtredesgardiensdeprison.Onestlàpourlessoins...»EntretienBernardDrieux,55-70ans,milieuhospitalier

Un autre psychiatre suggère ainsi la création de «prisons psychiatriques»(André Grignon) pour les personnes irresponsables, une idée que préconiseégalementPascalConstant:

«C. Protais: Vous seriez pour ça, pour des institutions pour les personnesirresponsablespénalement?-Ahbahalors100%!-CommelesUMD?-C’estpasquelesUMD,lesUMDc’estundesdispositifs!MaisçanedevraitpasêtrequelesUMD,ceseraitlesinstitutsmédico-légaux,danslesquelslesUMDauraientleurplace,bah oui, faudrait créer des instituts spécifiques... ça favoriserait la recherche,l’enseignement,desprisesenchargedequalitéavecdesgenscompétents…»EntretienPascalConstant,40-55ans,milieuhospitalier

Au nom de la déstigmatisation de la psychiatrie et de ses patients, cesmédecins proposent un traitement spécifique pour les auteurs d’infractionsprésentant des troubles mentaux. Sans s’avancer sur l’opportunité de cetteinstitution spécifique, un autre enquêté juge cependant que la France aurait àgagner des exemples étrangers, en développant des postes de criminologues

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cliniciens, qui pourraient, selon lui, être plus à même que les psychiatres deprendre en charge correctement les auteurs d’infractions présentant destroublesmentaux:

«Alorsçac’estentrainunpeud’évoluerparcequ’onserendcompteaveclesexemplesétrangers font que... ces personnes là ont une place dans la prise en charge despersonnesquicommettentuncertainnombrede...d’infractionsetque...onn’apersonnequisoitréellementbienforméspourlefaireetpourprendreleurplacequoi,donconestun certain nombre de psychiatres en France à avoir un peu touché ça du doigt, maisd’une façonqui est très superficielle je crois, et ce serait pas forcément unemauvaisechosequ’ilyaitdesdiplômesdecriminologieclinique…»EntretienDominiqueVesper,40-55ans,milieuhospitalieretexpert

Enplaidantpourlaconstitutiond’unchampprofessionnelspécifiqueautourdes auteurs d’infractions présentant des troubles mentaux, ces psychiatresrejoignent les préconisations de différents rapports sur la dangerositécommandésparlespouvoirspublicsaucoursdesannées2000(voirchapitre6),quiproposaientdecomblerledéficitdeformationdontsouffriraitlaFranceparlapromotiondela«rechercheet(de)l’enseignementencriminologie»(rapportLamanda,2008).Laconstitutiond’untelchampprofessionnelpermettraitainsiselon ces psychiatres de délester la psychiatrie publique de la prise en chargedes personnes déclarées irresponsables et la dissocierait d’une mission decontrôlesocialdésormaisétrangèreàsonmandatprofessionnel.

Latentationdeladéfensesociale

Dans un discours diamétralement opposé à celui des psychiatres quisuggéraient de repenser l’hôpital psychiatriquepour lui permettre de «refaireasile», ces psychiatres, défendent des idées proches du répertoire del’intégration (voir chapitre 1). Ils suggèrent au contraire que l’hôpital doitdevenir un lieu de soin ouvert et enfin dessaisi des missions relatives à lasécurisation de l’ordre public, intrinsèquement étrangères au soin. La créationd’institutionsspécifiquespour lesauteursd’infractionsprésentantdestroublesmentaux–etplus largementpour lespatients jugésdangereux–permettraitàleursyeuxdeporteràsonterme leprojetanti-asilaire.Lapsychiatriegénéralepourrait devenir unemédecine comme les autres, et ses patients des citoyenscommelesautres.Ceprojetprésentecependantunparadoxe: lanormalisationde la psychiatrie et de ses patients se réaliserait au prix d’une stigmatisationredoubléed’unepartied’entreeux,enfermésdansdesinstitutionshybridesàlacroiséedusoinetdelapeine.Leparadoxeestrésolu,pourcespsychiatres,parl’idéeque,citoyenscommelesautres,cespatientscriminelsdoiventégalementpurgerunepeine.Maisdecediscourstransparaîtunevolontédesedébarrasserd’un problème jugé encombrant pour la psychiatrie, au risque d’abandonnercertains patients qui trouvaient dans lesmurs de l’hôpital un cadre sécurisantleurpermettantdeconstruireleurvie.

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Conclusion

Laquestiondel’irresponsabilitérévèleunelignedefractureprofondeauseindelaprofessionpsychiatriquesurcequedoitêtre lapsychiatrieaujourd’huietrejaillitsurlemilieudel’expertise.Lesentretiensréalisésauprèsdepsychiatresnonexpertspermettentdedistinguerdeuxfaçonsassezdifférentesd’envisagerle principe d’irresponsabilité, qui se rapprochent des deux «répertoires»,inhérents aux discours des psychiatres-experts et décrits au chapitre 1 de cerapport.Archétypede lamissionprotectricede lapsychiatriepour certains, leprincipe d’irresponsabilité est plutôt vu pour d’autres, comme le résidu d’unemissiondecontrôlesocialdespatientsdont lapsychiatriedevrait s’émanciper.Ces appréciations divergentes se fondent, comme nous l’avons vu, sur desreprésentations contrastées de lamaladiementale et de l’objectif principal dusoin:s’agit-ilavanttoutdeprotégerdespersonnesfragiliséesoudepermettreàdes patients-citoyens de retrouver une certaine autonomie? Cespositionnementsrejaillissentsur lesmanièresdont lespsychiatresnonexpertsappréhendent le champ de l’irresponsabilité pour cause de trouble mental.Celles-cisontquasi-identiquesàcellesrepéréeschezlesexperts(voirchapitre1,graphiqueI).Davantagedepointsdevuemarginauxémergenttoutefoischezlespsychiatres, comme ceux qui appliqueraient l’alinéa 1 de l’article 122-1 à despersonnes pouvant être diagnostiquées «cas-limite» ou à des personnesprésentant des troubles addictifs. C’est peut-être dans une plus grandehomogénéitédespointsdevuedesexperts(quirestetoutefoisrelativeauxvuesdelalabilitédesinterprétationsexpertales)quelaspécialisationdecesderniersserévèle.

De plus, les psychiatres non experts tendent à évaluer le principed’irresponsabilité à l’aune des conditions concrètes de prise en charge desauteurs d’infractions présentant des troublesmentaux. On peut d’ailleurs êtreétonnéquelaformulationlégaleduprinciped’irresponsabilité(article122.1al.1 et2)n’inclutpas laquestiondesmodalitésdeprise en chargedes individusconcernés par cet article.Onpourrait ainsi imaginer, à l’aune de ce qui se faitdansd’autrespays,que le jugedemandeà l’expertpsychiatrede seprononcernon seulement sur l’état psychique de la personne aumoment des faits, maiségalementsurl’accessibilitéàlasanctionetsurl’accessibilitéauxsoins.

Si tous les psychiatres rencontrés estiment que le système dichotomiquefrançaisdysfonctionne,lediagnosticn’estcependantpasconsensueletlespistesde réformes imaginées diffèrent. Elles peuvent être synthétisées sous la formed’untableauàquatreentrées,quiarticuleleregardportésurlesinstitutionsetlafaçondeconcevoirlesoinpsychiatrique:

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LEPATIENT

COMME

CITOYEN

LAPRISONESTPATHOGENE

LE PATIENT

COMME

PERSONNE

VULNERABLE

Améliorerl’accèsauxsoinsenprison

Fairesortirlespersonneslesplusmaladesdeprison

Délesterlapsychiatriedelaquestionde

l’enfermementetdelacontrainte

Donnerlesmoyensàlapsychiatried’accueillirconvenablementles

patientsirresponsabilisés

L’HOPITALESTINADAPTEFigure3-Psychiatrescliniciensfaceauprinciped’irresponsabilité

Cespositionssonttoutefois«idéal-typiques»,danslamesureoùlesdiscoursdes psychiatres interrogés se situent souvent àmi-chemin entre ces positionstranchées. Ce discours est, comme nous l’avons montré dans ce chapitre,déterminépar lafaçondont lespsychiatressereprésentent lamaladiementaleet conçoivent leur rôle,maiségalementpar l’expérienceprofessionnelledecespsychiatres et les lieux dans lesquels ils ont été amenés à exercer. Les deuxdimensionssontévidemmentliées:onnechoisitpasparhasardd’allertravailleren milieu pénitentiaire plutôt qu’au sein des structures les plus ouvertes dudispositif de santé mentale. Une enquête longitudinale70serait d’ailleurs utilepour réfléchir à la façon dont se construisent les carrières et les orientationsthéoriquesdespsychiatres.

Dans quelle direction faut-il réformer ces institutions? La réponse à cettequestion dessine, au sein de la profession, un clivage fort entre ceux quiaimeraient une réforme de l’hôpital pour lui permettre d’assumer pleinementsonrôleprotecteur–aurisquecependantd’accepterdegérerunenfermementqued’aucunpourrait juger arbitraire – et ceuxqui estimentque lapsychiatriedevraitsedélesterdecettequestiondel’enfermementafindedéstigmatiserlespatients ordinaires de la psychiatrie – mais qui pourraient être suspectés devouloirabandonnerlespatientslesplusdérangeants.

70Cette enquête pourrait suivre une cohorte d’étudiants en psychiatrie et retracer, tous les 5 ans, leparcours réalisé par ces professionnels et l’évolution de leur discours théorique sur les savoirspsychiatriques.

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Lespsychiatresinterrogéssemblentcependantd’accordpourconsidérerquela question de l’irresponsabilité, au-delà de sa dimension technique, est unequestion politique qui ne concerne pas seulement la profession psychiatrique,maisl’ensembledelasociété.Cesentretiensinvitentdoncàouvrirlaréflexionàdes acteurs sociaux extérieurs au champ de la psychiatrie autour du sort despersonnes ayant commis des infractions pénales et présentant des troublesmentaux.

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Chapitre 3: Histoires vécues: représentations de personnesayantfait l’objetd’unedécisiond’irresponsabilitépourcausedetroublemental

ParCamilleLancelevéeetCarolineProtais

L’irresponsabilitépénalepourcausedetroublementalsuscitedenombreuxdébatschez lesexpertspsychiatres, lesmagistratsouencoreparmi leséquipespsychiatriques qui accueillent in fine les personnes concernées dans leursservices. Les points de controverse portent sur les transformations desinstitutionscarcéraleetpsychiatrique,dontonquestionnelacapacitéàaccueillirdesauteursd’infractionsprésentantdestroublesmentaux.Lacontroverseporteégalement sur les bénéfices à attendre d’une (ir)responsabilisation pour lapersonneàlaquelles’appliquecettemesure(voirchapitre1).

Dans ces débats, la façon dont les personnes concernées conçoiventl’irresponsabilité pour cause de troublemental constitue un enjeu important:certains experts défendent l’idée que les malades ne voudraient pas êtreirresponsabilisés,pourjustifierunusagetrèsrestreintdeceprincipe,alorsqued’autresmettent en avant le soulagementdespatients d’être reconnus commenoncoupablesd’unactequileuraéchappé.Quelesttoutefoislepointdevuedespersonnes ayant fait l’objet de cette mesure et qui en subissent lesconséquences? Ce chapitre, fondé sur la réalisation de 15 entretiens semi-directifs avec des personnes irresponsabilisées, tentera de répondre à cesquestions.

La présente analyse s’inscrit dans la continuité d’un ensemble de travauxportantsur lasubjectivitédespatientsdepsychiatrie:depuis lesannées1970,l’intérêt sociologique pour l’expérience personnelle de la maladie («illness»selonleconceptdéveloppéparKleinman,1988)estvenucompléterl’étudedesaqualificationmédicale(«disease»).Denombreuxauteurssesontainsipenchéssurlesrécits(narratives)depatientsdepsychiatrie(Estroff,1985;Lovell,1997;Velpry, 2008, etc.). Cette préoccupation pour la dimension subjective etnotammentlastigmatisationassociéeauxtroublespsychiatriquesestdésormaisincorporéeauxoutilsstandardisésd’évaluationetdediagnostic(AngermeyeretSchulze, 2003; Lovell et al., 2011, etc.). L’analyse des récits de patientsconcernant leur expérience en psychiatrie semble poser un problèmeméthodologique: en effet, le discours peut être suspecté d’être pris dans lamaladie. Livia Velpry considère en conséquence que «l’instabilité du régime

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d’interprétation des actes et des paroles des personnes étiquetées maladesmentales devient une composante essentielle de l’objet d’étude qui doit êtreintégrée à part entière dans l’analyse.» (Velpry, 2008).Dansun article sur lessans-domicilesfixeschizophrènesdesruesdeNew-York,AnneLovellremarquepoursapartquelesensdurécitbiographiquedecespersonnesnepeutémergerque de la rencontre entre celui qui raconte et celui qui écoute, qui permet decomblerlesanomaliesdudiscoursafinderétablirunecohérencechronologique(Lovell,1997,p.365).

Cette question du senset de la cohérence du récit de soi apparaît centraledans l’analyse du rapport que les personnes interviewées entretiennent avecl’irresponsabilitépénale:cespersonnesontcommisdesactessouventgraves(del’agression physique ou sexuelle à l’homicide) pour lesquels elles ont été, à lasuite souvent deplusieurs expertises psychiatriques, puis, pour certains, d’uneaudience devant la chambre de l’instruction voire d’un procès aux Assises,irresponsabilisées. Cette décision d’irresponsabilité, les expertisespsychiatriques ainsi que les interactions avec les équipes psychiatriques deshôpitauxdanslesquelsellessontplacées,leurfournit,grâceàl’énonciationd’undiagnostic, des éléments de justification qui leur permettent d’expliquer desactes qui ont souvent échappé à leur volonté ou à leur contrôle. Or toutes lespersonnes n’accueillent pas de la même façon ces éléments apportés par lediscourspsychiatrique:sicertainesutilisentlediagnosticcommeunsupportde«subjectivation»(Foucault,1994)qu’ils’agitd’intégreraurécitdesoi,d’autresyvoitunetentative«d’assujettissement»71quilesforceàabandonnerleurproprevérité au profit d’une histoire exogène et considérée comme mensongère. Ornous verrons dans ce chapitre que la façon d’accueillir la décisiond’irresponsabilité(etlediagnosticquilajustifie)estdéterminantepourlasuitede l’hospitalisation, vécue par certains comme une étape nécessaire de leurparcoursetparlesautrescommeunenfermementinique.

Encadréméthodologique

Lesquinzeentretiensquiconstituent lematériaudecechapitreontétéréalisésparPierreGirerd (psychiatre) et/ou par Caroline Protais (sociologue) et retranscrits par CamilleLancelevée.Quatred’entreeuxont fait l’objetd’uneanalyse cliniquedétailléedans la thèsedepsychiatriedePierreGirerd(2015).Cesentretiensabordentdifférentsaspectsdelaquestiondel’irresponsabilité: la façon de concevoir l’article 122-1 alinéa 1 définissant l’irresponsabilitépénale,l’expériencedelamaladie,dutraitementetdel’hospitalisationpsychiatrique.Lenombrerestreintd’individusinterrogésdanslecadredecetteenquêten’autorisequedesconclusionsàtitre exploratoirequidemanderaient à être validées àpartird’une campagned’entretiensplus

71Les concepts de «subjectivation» et d’«assujettissement» sont employés par Michel Foucault (voirnotammentFoucault, 1994, p. 222-243)pour analyser les effets dupouvoir, défini de façon relationnellecomme un «action sur les actions» ou encore une «conduite des conduites», sur les individus.L’assujettissement décrit le mécanisme d’imposition d’un discours sur les individus tandis que la«subjectivation»renvoieàlafaçondontl’êtrehumainsetransformeensujet,enintégrantcequiaétéditsurlui.

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ambitieuse. Il demeure toutefois que l’irresponsabilité pénale n’est prononcée annuellementqu’enmoyennedans0,4%desdossiers(voirchapitre1)etquel’onnedisposed’aucunedonnéede cadrage sur le nombre et le devenir de ces personnes. Il a donc fallu, pour cette premièrecampagne d’entretiens, retrouver des personnes irresponsabilisées dans différents services depsychiatrie(voirannexeméthodologique): l’échantillondespersonnesentenduesest constituéprincipalementd’hommes(treizehommespourdeuxfemmesinterrogées),quiontenmoyennetrente-septans(leplus jeuneavingt-deuxanset leplusâgésoixante-septans). Ilsontpour laplupartcommisdesagressionsàl’armeblancheouunhomicide(ouplusieurs)surdespersonnestrès proches (parents, enfants, compagne, autre(s) personne(s) de la famille). Nous avons faitvarierladistancedansletempsparrapportàladécisiond’irresponsabilité,toutautantquelesstructuresoùsonthospitaliséescespersonnes:huitontétérencontréesenUMD,sixenhôpitalpsychiatriqueetunétaitsorti,aprèsneufansd’hospitalisation,aumomentde l’entretien.Deuxétaient en attente des conclusions de l’expertise, alors que la personne la plus âgée étaithospitaliséedepuistrente-troisansenpsychiatrie.Cepartiprisapermisderecueillirdespointsdevuecontrastésetdeprendreenconsidérationlemoded’hospitalisationainsiquel’évolutionduregardportéparcespersonnessurl’irresponsabilitépénale.

I. Êtreirresponsabilisé:discourspsychiatriqueetrécitdesoi

L’irresponsabilité pénale confronte les personnes concernées à undiscourspsychiatrique sur leur comportement et sur leur psychisme. Or toutes lespersonnes n’accueillent pas de la même façon ces éléments exogènes. S’ilsapportent à certaines des éléments qui viennent s’inscrire dans leur récitautobiographiquepourluiredonnerdelacohérence,ilssontreçuspard’autrescomme des élucubrations mensongères qui viennent concurrencer le regardqu’ilsportentsurleurhistoire.

1. Unrécitdesoiincomplet

Lorsqu’elles reviennent sur les faits pour lesquels elles ont étéirresponsabilisées, les personnes rencontrées témoignent d’une perte decontrôle,semanifestantaumomentdes faitsparunecertaineconfusionmêléed’angoisse:

«Etlà,pétagedeplombcomplet,j’étaisdéjààboutquandjesuisparti,j’étaisdéjààbloc.Etjesuisrentré,j’aifait2000kmetj’aituémamère»MonsieurBrunet,45ans,hospitalisédepuis9ans72«Quellesétaientvosidéesàcemoment-là?-Des idéesdemort, voilà, je repensaisàmesdeux tentativesde suicideque jen’avaispas…Jenevoyaisplusl’intérêtdecontinuer.Après,quelmécanismeafaitquejepassedepulsiondemort surmoi à despulsionsdemort surd’autrespersonnes inconnues,mêmeaveclerecul,jenesaispasexactementpourquoiças’estpassécommeça.»

72Lesnomsdespersonnesrencontréesontétémodifiésetlesâgesetduréesd’hospitalisationlégèrementcorrigésafindepréserverleuranonymat.

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MonsieurDanel,32ans,hospitalisédepuis2ans

Pour certains s’ajoute à ce mal-être profond la présence de symptômesdélirants:

«(Lesvoix)disaient:‘situletuespas,t’espasavecmoi!Demoncôté!Situletuespas,c’est toiqui iraenenfer!C’est toiquiaura lemalheur...’, ‘Si tu le faispas, c’est toiquiaurademauvaiseschosesdanslavie’.-Ducoup,ellesvousontpousséàlefairequoi?Ellesm’ontpousséjusqu’aubout,etmoidansmatêtejemesuisdit: ‘sijelefais...vousallez pas me dire que j’ai fait quelque chose de mal, parce que vous me poussez aubout...’»MonsieurKaluta,23ans,hospitalisédepuis1an«Jeme souviensplus bien,mais…On lisait dansmespensées. J’avais unemission surterre.J’interprétaislesparolesdesgens.Ilfallaitquejefassequelquechose,jesavaispasquoi.Cafaisait4-5moisquejesouffraisdepascomprendre,plusparlerauxgens,d’avoirl’impressionqu’ilsm’adressaientdesparolespourmefairecomprendredeschoses(…)Lefaitdepascomprendreétaituncridedésespoir.C’étaituncridedésespoir.»MonsieurLapierre,28ans,sortiaprèsunehospitalisationde9ans

Les registres sémantiques les plus couramment utilisés pour évoquer leurétat au moment des faits sont ceux de la perte de contrôle («j’ai pas pu mecontrôler»,«j’étaiscommepossédé»);del’absencedevolonté(«j’aipasvouluça»); de l’emballement émotionnel («après ça a dérapé», «j’étais en colère,j’arrivaispasàmecalmer»).Certainss’engagentégalementdansdesréflexionssur le rapport qu’ils entretenaient à eux-mêmes durant le crime («j’étais pasmoi»,«j’étaispasvraimentmoi»,«j’étaisfou»).

Parailleurs,ce«troudansleurrécit»estassociéàdesaffectstrèsforts:tousontcommisdesactesgraves(del’agressionphysiqueàl’homicide),etlaplupartprésenteunegrandetristesseàl’évocationdesfaits.

«Quandj’ypensejepleure!»MonsieurKaluta,23ans,hospitalisédepuis1an

MadameRoux,quiadonné lamortà sesenfants il yaplusieursannéesneparvient pas à revenir sur les faits, tandis queMonsieur Oliveira, auteur d’unmatricideethospitaliséaprèsdeuxansd’incarcération, refusedeparlerde cetacte:

«Nanmais j’en ai tropparlé, après ça vame rester... Je l’ai souvent en tête ceque j’aifait...Maissij’enparleaprès,jesaisquejevaispasarrêterd’ypenserdelajournée…»MonsieurOliveira,22ans,hospitalisédepuis2ans

Cerefusdeparlerdesfaitstémoigned’uneculpabilitéquecertainsexprimentouvertement:

«J’aiessayépartouslesmoyensdemesuicider.(…)Jemesentaiscoupable...Jemesenstoujourscoupable,d’ailleurs…(…)jel’aimaisbeaucoupmamère…vraimentbeaucoup…Quandonparlaitavecmessœurs,elleslacritiquaientetmoijeluitrouvaistoutletempsdes excuses, j’ai toujours été de son côté, ce qui rend les choses encore plusincompréhensibles»

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MonsieurVerdoux,20ans,hospitalisédepuismoinsd’unan

En somme, pour toutes ces personnes, les actes commis marquent unecertaine rupture dans leur parcours biographique – rupture accentuée parl’incarcérationou l’hospitalisationdontellesontété l’objet.Or il sembleque lediagnostic posé par les experts psychiatres vient, pour certaines, combler unvide dans leur récit et apporter une explication à un acte perçu commeirrationnel.Pourd’autres, il estaucontraireuneexplication imposée, exogène,quientreenconcurrenceavecunrécitdesoicohérentpourlesujet.

2. Adhésion:lediagnosticcommesupportdesubjectivation

Plusieurspersonnes(8)trouventdanslediagnosticquileuraétéassociéunélémentd’explication,parfoisinédit.Ilsl’accueillentavecuncertainsoulagementcomme une information qui leur permet de redonner de la cohérence à leurhistoire. Ainsi Monsieur Comte, déclaré irresponsable après le meurtre de sacompagneexplique:

«(L’expertise m’a permis de comprendre) la maladie... c’était une névrose hystéro-phobique,jemesouviensencoredunometc’estvrai...C’estvraijesouffraisdenévrosehystéro-phobique,c’étaitvrai...-C’estça,maisest-cequeçavousafaitprendreconsciencedeceque...?- C’est grâce à ça que j’ai pris conscience que je souffrais demaladiementale et qu’ilfallaitmesoigner.»MonsieurComte,67ans,hospitalisédepuis30ans

Son insistance sur la «vérité» du diagnostic témoigne de l’importance decelui-ci qui vient donner une explication à un geste qu’il se reproche jusqu’àaujourd’hui,d’avoircommissurunefemmequ’ilaimaitmaisqu’ilavaitpeurdeperdre.MonsieurVerdouxestluiaussienaccordaveclediagnosticunanimedesexperts psychiatries,même si l’identification de la pathologie («schizophrénieparanoïde»)neluipermetpasd’encomprendrelesorigines:

«J’aijusteprisconsciencepetitàpetitquecequej’avaiseuc’étaitundélire.Etquetoutça, ça avait pas... J’avais pas... J’avais pas de raison de faire ça et je sais toujours paspourquoij’aifaitçaetjecomprendraissûrementjamais...-Etçalefaitd’avoircompris...vousl’avezcomprisquand?-Jel’aicomprisaufuretàmesurequej’avançaisdanslessoins.Jemesuisrenducomptequec’étaitundélire...Lasoucoupevolantequej’aivue,jevenaisdelavoirsurinternetdansunreportage...pas longtempsavant...C’était lemêmemodèle.Doncvoilàd’où j’aisortiça...Et jem’ensuisrenducompte,çam’afaitunchoc... Jemesuisditmaismerde,qu’est-cequej’aifait...Pourquoijesuispartilàdedans...»MonsieurVerdoux,20ans,hospitalisédepuismoinsd’unan

Mêmeenl’absencedediagnosticconsensuel,commedanslecasdeMonsieurFerdinand, qui présente des troubles schizophréniques selon un expert, destroubles borderline selon plusieurs autres et aucune pathologie psychiatrique

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selonundernier, la confrontationavec les expertisespeutaiderà comprendresonacte:

«Cam’apermisdemeremettreenquestion,d’avoirdesélémentsderéponse;mêmesiçarestecompliquémais...ouiçam’aquandmême...aprèsçanem’apasdonnétoutelesréponsesmaisçam’aaidéquandmême.»MonsieurFerdinand,21ans,hospitalisédepuis2ans«J’arrivedésormaisàparler,àmettredesmotssurdeschosesquej’arrivaispasàpenseravant.»MonsieurVerdoux,20ans,hospitalisédepuismoinsd’unan«Icic’estpositif,çam’afaitavancer.Cam’expliquemonmodedefonctionnement.(…)çam’aideàcomprendrecequis’estpassé.»MadameRoux,34ans,hospitaliséedepuis3ans

Ladécisiond’irresponsabilitérevêtuneimportanceréelleàleursyeux,parcequ’elle atteste, parfois publiquement – lorsqu’il y a une audience devant lachambredel’instruction–d’uncrimequileuraéchappéetquiestbiensouventregretté. S’il est clair que l’irresponsabilité permet d’abaisser le seuil deculpabilité des personnes interrogées, ce phénomène est vécu, la plupart dutemps, comme salvateurpourdespersonnesqui vivent trèsmal le fait d’avoircommisuncrimesurunepersonnequileurétait(leplussouvent)trèschère.Lareconnaissance de l’abolition du discernement au moment des faits contribuemoinsà«déculpabiliser»celuiquilesacommisqu’àattesterpubliquementd’unfonctionnementpsychique,quiluiaéchappé,aucœurduquelunepartiedelui-mêmes’estperdue.

«Commentavez-vousréagiquandonvousaditquevousétiezirresponsable?- J’étaisplutôt contentqu’ondiseque j’étaispasdansmonétatnormal,que j’étaispasvraimentmoi,quej’aisombrédanslafolie.(…)J’aiprisconsciencequecequej’avaiseuétait un délire et que j’avais pas eu de raison de faire ça, et que je sais toujours paspourquoij’aifaitça,etquejecomprendraispeut-êtrejamais.-Cavousauraitfaitquoidepasêtreirresponsabilisé?-Camefoutraitlesboulescaronmereconnaîtraitpasmalade.»MonsieurVerdoux,20ans,hospitalisédepuismoinsd’unan«Si j’avaisété reconnue responsable, j’auraisaccepté.Mais jen’aipasvoulu cequiestarrivé.-C’estimportantquelajusticereconnaisseça?-Oui.»MadameRoux,34ans,hospitaliséedepuis3ans«Pourvousçasignifiequoid’êtreirresponsabilisédesesactes?- En terme...enfin moi... ce n’était pas l’irresponsabilisation telle qu’elle, en fait maisplutôtquelesgensm’aiententenduetcomprennentquecequej’aifaitjenevoulaispasle faire.C’étaitpluspar rapportà ça.Et, engros, enfin lavérité... engros jepensequel’irresponsabilitéc’estcequicorrespondaitleplus.-Caveutdirequoipourvousça,d’êtreirresponsabilisé?

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-Engros, après c’estque je vais à l’hôpital tout ça... Pourmoi, c’était un soulagement.C’était ce que je souhai... on vadire, en gros c’était ce qui correspondait à l’acte, je nevoulaispas le faire..., çacorrespondaitàmonétatd’esprit.Etçaycorrespondtoujoursaujourd’hui.»MonsieurFerdinand,21ans,hospitalisédepuis2ans

Ladécisiond’irresponsabilitéconstitueainsilareconnaissanceofficielled’unrécit dans lequel ils ne sont pas «responsables» des actes qu’ils ont commis.MonsieurComte,condamnéaucoursdesannées198073,regretteainsiden’avoirpaseud’audiencepubliqueoudeprocès,pourpouvoirexpliquersongeste:

«Vous aviez pas peur d’aller en psychiatrie? Vous auriez pas préféré être jugéresponsableparexemple?-J’aitoutfaitpourêtre...irresponsable...j’aitoutfait...pourtant,c’estparadoxal,j’auraisvouluêtrejugéparlepeuple.-D’accord.- Voilà,moi j’étais exclu de la loi, j’étais pas sous le coup de la loi, j’aurais voulu... unjugement...avecdesjuges,avecunjury...-Pourquoi?-Pourexpliquermonhistoire...»MonsieurComte,67ans,hospitalisédepuis30ans

Si ces personnes acceptent facilement le diagnostic énoncé par les experts,c’estpeut-êtreparcequelessymptômesdontellessouffraientontdisparusousl’effetdesantipsychotiques:eneffet,pourcespatients,lapathologieseracontesouventaupassé.Ilsontété«malades»,voire«fous»,maisnelesontplus:

«Bahnon, j’aiplus rien... J’ai l’impressiond’être redevenunormal, j’aiplusdepenséesbizarres...J’aivraimentl’impressionquej’étaispasmoiquoi,j’étaisrentrédansundélirede fou... Et je sais pas comment j’ai pumaintenir ce délire de fou jusqu’à l’acte, sansrevenirsurterreàunmoment...»MonsieurVerdoux,20ans,hospitalisédepuismoinsd’unan

Dès lors, si le diagnostic permet de rationaliser des comportements et lesactionsquileurontéchappés,ilestcependantd’autantplusdifficiledel’intégreràl’histoirepersonnellequelessymptômesnesontplusprésents:

«Cameparaîtévidentquej’étaisirresponsable,maisj’aidumalàl’accepter.J’aidumalàfairefaceàcetteimagedefou.Maisj’étaisirresponsable,çasediscutemêmepas.»MonsieurLapierre,28ans,sortiaprèsunehospitalisationde9ans«-Vousavezl’impressiond’êtremalade?-Jedoisl’intégrer.C’estdifficile,maisjedoisl’intégrer.»MadameRoux,34ans,hospitaliséedepuis3ans

Les patients hospitalisés depuis plusieurs années parlent d’une lenteassimilationdudiagnostic,quiredéfinitactuellementleuridentitépersonnelle:

73Jusqu’à la réforme de l’irresponsabilité pénale en 2008, les personnes dont le discernement était jugéaboli aumoment des actes étaient directement hospitalisées sous la forme d’une hospitalisation d’office.Désormais,lachambredel’instructionpeutorganiseruneaudiencedequelquesheures.

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«Lemot schizophrénie, il a fallu un petitmoment pour le digérer, c’était un petit peudifficile(…)Ilm’afalluunpeudetempspourlepenservraiment.Aujourd’hui,jepensequec’estbon».MonsieurDanel,32ans,hospitalisédepuis2ans

Cette étrangeté dans le ressenti de la folie explique que certainsl’appréhendentcommeextérieureouétrangèreàeux-mêmescarilsn’imaginentpasque leurespritpuisseavoirproduitce typedereprésentationqu’ils jugentaujourd’hui erroné. Pourtant une fois la prise de conscience de ce processusmentalréalisée,untravaild’élaborationpsychologiquesemetenplace,aucoursduquellesindividussemblentauxprisesaveccetteredéfinitiondeleuridentitépersonnelle:

«Etça...Pourvous,lamaladiec’estextérieuràvousouàl’intérieurdevous?-Moijepenseplusquec’estextérieur...Pfff…-C’est-à-dire?Oui,c’estdifficilecommequestion…-Bah jesaispasc’estdes trucsque j’entendais!Pourmoi, jepouvaispas inventerdeschosespareillesquoi...Lesvoix, toutça!Y’ena ilsdisentçavientducerveau,c’estdestrucsqu’onadanslapenséequisemanifestent...maispourmoic’estpasça,jepouvaispasinventerdestrucspareils!-Cavenaitdel’extérieurenfait?Vousaviezl’impressionqueçavenaitdel’extérieur?-Benouais,mais enmême temps, ça voudrait direque je croisque ça vientpasde lamaladie!Ahjesaispas!»MonsieurOliveira,22ans,hospitalisédepuis2ans

Cespatientsdéveloppentcequelapsychiatriequalifierait«d’insight»,c’est-à-dire la conscience du trouble qui les affecte. Ainsi, Monsieur Lapierre,désormaissortidel’hôpitalpsychiatriqueaprèsunehospitalisationdeplusieursannées, a longuement cherché à se réapproprier le diagnostic de«schizophrène»quiluiavaitétédonné.Aujourd’hui,ilsedéfinitcomme«fou»etjugemêmeavecunecertainesagesseque«l’idéed’êtrefouauquotidien(le)pousseàêtreplus lucide». Il abeaucoup lu,notamment les travauxdeGustavJung, beaucoup réfléchi à son histoire familiale, et tenté de comprendre lesdéliresquil’habitaientàlafindesonadolescence:

«Etçac’étaitl’idéedominante,l’idéequ’onlisaitdansvospensées?-Ouais...Oui, c’estune idéequim’adonné l’impressiond’avoirunemissionsur terre...Quandona16ans...Onconnaîtriendumonde,surtoutmoiquiétaitisolé,jemefaisaisdes tas d’idées... Après je pense que l’idée que j’ai eue est pas sortie de nulle part, jepense que tout le monde a déjà vécu des coïncidences, ces moments où on pense àquelqu’un et il vous appelle... sauf que moi je les ai mal interprétées et avec monisolement,lecannabis,jesuisrestédanscetteidée-làaprès...»MonsieurLapierre,28ans,sortiaprèsunehospitalisationde9ans

OnlevoitavecMonsieurLapierre,cen’estpasseulementlediagnostic,maiségalement un travail d’appropriation au long cours, aidé notamment par larencontreavecdespsychothérapeutes,quipermetauxindividusd’accueillircetélémentexogènequeconstituelamaladieetdeleréintégrerprogressivementaurécitdesoi.

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3. Résistance:refuserd’êtreassujettiaudiagnostic

Pourd’autresenquêtés(troisparmilespersonnesrencontrées),lediagnosticvientnonpaséclaireruncomportementirrationnel,maisentreaucontraireencontradictionavecunrécitdesoidéjàcohérent. Ilestdès lorsvécucommeunassujettissement (Foucault, 1994, voir note supra) insupportable, etl’irresponsabilitéqui l’accompagneconstitueunedécision injustevoireundénidejustice,c’est-à-direunrefusdespouvoirspublicsderendrejustice.

Déjà hospitalisé plusieurs années à la suite d’un matricide, lorsqu’il avaitvingt ans,MonsieurBrunet est de nouveau irresponsabilisé après avoir tué sacompagne, alors qu’il avait arrêté, quelques temps auparavant, le traitementantipsychotique qu’il supportait mal. Il récuse la réalité de la pathologie(schizophrénieparanoïde):elleestuneinterprétationfallacieusedesexpertsetdes psychiatres. Selon lui, ses actes sont consécutifs à un empoisonnement àl’héroïne, dont seraient coupables ses deux anciennes compagnes, et qui l’aconduitàdeux«descentesauxenfers».Lapremières’estsoldéeparlemeurtredesamère(«c’estmaplusgrosseerreur. Jen’aurais jamaisdûm’enprendreàma mère. C’est Nicky la responsable»), l’autre par le meurtre de sa secondecompagne,Nathalie,quiauraitprovoquécedrame:

«Vousétiezunpantin?- Bah oui, avec l’héroïne, oui, j’étais un pantin, oui. Complétement... Elle voulait medominer... Ouais non mais je vois bien le truc, moi je voulais pas de ça, quoi, j’étaisautonome, j’étais épanoui, je lisais, j’étais passionné par mes lectures... Et j’avais pasbesoindeça,jel’emmerdaispas...Jelisais,jefaisaismavie,jelavoyaislesoir,lemidi,çasepassaittrèsbienmais...Non,elleatoutvoulu...elleatoutperdu...Etbentantpispourelle! Et puismoi aussi, je suis dans lamerde! 14 ans que je suis enfermé à cause deça…(…)C’estmalheureuxàdire,maisjeregrettequ’ellem’aitfaitça.Parcequejeseraisencoreavecelle,j’auraispeut-êtredesenfants.J’étaisprêtàfairemavieavecelle.Maisvoilà,ellevoulaittoutetelleatoutperdu...»MonsieurBrunet,45ans,hospitalisédepuis9ans

Monsieur Brunet refuse donc un diagnostic qui vient perturber le récitlogiqueauquelilcroitfermementmalgrésesincohérencesapparentes.MadameArborel tenteelleaussid’obtenir justiceetderétablir lavérité: selonelle,ellen’estpasmalade,maisbienlavictimed’uncomplottraméparsafamilleetparles forcesde l’ordrede sonvillaged’origine. Si elle reconnaît avoir agresséungendarme,elleestimecependantavoiragienétatdelégitimedéfense:

«Maispourquellemaladievousa-t-onhospitalisée?-Jenesaispas,déliredepersécution,formechronique.-Etvous,vousêtesd’accordavecça?-Non (…) «déliredepersécution»notamment jene suispasd’accord. Parceque fautparlerde…J’habitaisà(nomduvillage)danslamaisonfamilialeetj’avaisuneentréeparlaportedederrièreetdevantlaportec’étaitunepetiterueoùlesgensaimentstationnermaisquand ilsstationnaient tropprèsdemaporte, jen’arrivaispasà l’ouvrir.Donc lamairieetlapoliceontmisunmarquageausol.Maismalgréçalesgenssegaraient.C’est

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pourça,jerentraisenconflitavectoutlemonde.Carsilaporteétaitfermée,lalumièredujournerentraitpasdansmondomicile.Etlàonteditdéliredepersécution,etlàjenesuis pas d’accord. Parce que j’ai une lettre de la mairie comme quoi personne nerespectaitlemarquageausoletmalgréçailsnevenaientpasquandjelessollicitais.»MadameArborel,62ans,hospitaliséedepuis3ans

Cet extrait illustre la logiquedans laquelleMadameArborel inscrit les faitsqui lui sont reprochés. L’entretien tout entier est un réquisitoire contrel’injustice que représente l’irresponsabilité à laquelle elle a été «condamnée».Cependant, commeMonsieurBrunet, qui parlait d’une «descente aux enfers»,elle explique aussi avoir traversé une période très difficile, faite d’errancesangoisséesetdusentimentpermanentd’êtremenacée–c’estd’ailleurspourcelaqu’elle ne sortait plus sans un couteau sur elle. Néanmoins, les «troublespsychiques» identifiés par les experts ne s’articulent pas avec le récit que cesdeuxpersonnessesontconstruit.

Cespatientsgardentdoncunerancœurimportantecontrelesexpertsquineles ont pas compris et dont les avis leur semblent dès lors fallacieux etarbitraires.CetteamertumeaffleuredanslediscoursdeMonsieurZetkin,quiluiaussiconteste lediagnosticde«schizophrénie»: il se jugeaucontrairemaîtredesesactions,etdonneunejustificationrationnelleàsonagression(laréponseàunemenaceimminente).Ildécritsesinteractionsaveclajusticeetlesexpertscommeunrapportdeforceinéquitable:

«C’esteux(lesexperts),ilsnem’ontpaslaisséparlé.Tousseulsdansleurpaperasse,ilssesontpermis,ilsontosémemettrededans.Ilssesonttousmiscontremoi.-Commentlesavez-vous?- Ben, je les ai vus, ils parlaient entre eux et puis ils neme regardaientmêmepas, ilsrestaientlenezdansleurpaperassepourparlersurmoncompte.-Maisilsétaientsimplementlàpourvoussignifierladécisiond’irresponsabilitépénalepourtroublemental,vousnecroyez-pas?-Passeulement,c’étaitaussipourm’enculer...»MonsieurZetkin,40ans,hospitalisédepuis2ans

Pour Madame Arborel, c’est une justice au service des puissants qui a étérendue:

«Comment avez-vous vécu l’idée que des gens puissent dire que vous êtesirresponsable?-C’estlaparoled’unagentdepolicefaceàcelled’uncitoyen.-Vous-vousêtessentie…?-Inférieureoui.»MadameArborel,62ans,hospitaliséedepuis3ans

Ces enquêtés ont donc le sentiment d’avoir été ignorés au cours desprocéduresjudiciairesparceuxquidétenaientlepouvoird’arbitrersurleursort.Une histoire s’est écrite sans eux. Elle contredit leur récit d’eux-mêmes. Onperçoitdanscesentretiensunecertainesouffranceden’avoirpasétécomprisetunecolèreinaltérablecontrelesmensongesdelajusticeetdelapsychiatrie.

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Tâtonnement:accepterlediagnosticsansrenonceràunevéritéconcurrente

Lesautresenquêtés(4)entretiennentunecertaineambivalenceàl’égarddudiagnostic et de la déclaration d’irresponsabilité. Le diagnostic semblepartiellementaccepté,mais lespersonnesnesemblentpasprêtesàrenonceràunevéritéconcurrente.Ainsi,MonsieurKaluta, irresponsabiliséaprèsavoirtuéunmembredesafamille,expliquequ’ilest«irresponsable»etqueleplacementà l’hôpital lui a permis de prendre conscience de la singularité de soncomportement:

«Jesuisir...irresponsable!Jesuisconscientmaisj’arrivepasàmecontrôler,j’arrivepasàcomprendre,j’essaiedemecalmer,maisj’arrivepas,etjesuisalléjusqu’aubout…»(…)«Avant j’étaisdanslaviolence.C’estcommesi j’avais lesyeuxfermés.Etdepuisquejesuisici,j’ail’impressiondemeréveiller.(…)Jemesensmieuxmaintenant.»MonsieurKaluta,23ans,hospitalisédepuis1an

Néanmoins,iln’acceptequepartiellementlediagnosticdeschizophrénie.Eneffet, pour lui, les hallucinations acoustiques qu’il perçoit toujours ne sont paspathologiques:

«Je pensepas que c’est unemaladie... C’est unepersonne, c’est comme si c’était vous,vous êtes au bout dumonde là-bas, et je vous entends parler, on s’entend parler, ons’entend super bien... Tu peux parler calmement comme tu peux parler aussi fort,agressif,oucalme,douce…»MonsieurKaluta,23ans,hospitalisédepuis1an

Ces voix qui l’ont «poussé à bout» continuent à l’habiter, mais de façonapaisée.Lerécitqu’ilfaitdesonpassageàl’acteillustreàlafoissondésarroiden’avoirpasréussiàse«contrôler»,maiségalementlefaitqu’iladhèretoujoursàuneexplicationquelapsychiatriedécriraitcomme«délirante»:

«Etvoilà...Dèsquejerentredanslamaison,jevoisunsacrouge,unpetitsaccommeça...etdèsquej’aivulesac,mesyeux,toutmoncorps,monespritaétéattirésurcesac...Jecomprenaispas...Jedisaisàmoncousinquejesavaispas...Doncvoilà,jesuisrentré,j’aiouvertlesac,j’airegardé,j’aivudeshabits,etj’airefermé...(…)C’étaitlesac,j’étaisattiréverslesacet...»MonsieurKaluta,23ans,hospitalisédepuis1an

Danssonréciteffréné,partiellementcompréhensiblepourl’interlocuteur,ce«sacrouge»énigmatiqueconstituelepointdedépartd’undérapageincontrôlé–maisguidéparunedélibérationangoisséeavecDieudont il entend lavoix–vers le meurtre de son cousin. Si Monsieur Kaluta se reconnaît partiellementcomme irresponsable, c’est parce que la décision lui permet d’expliquer cesentimentdenepasavoir réussi àmaîtriser ses actes,néanmoins, il refuseundiagnosticquil’obligeraitàrévoquerunepartiedesonidentitéetàréécriresonrécitdesoi.

Monsieur Corbot est lui aussi assez ambivalent quant à son rapport audiagnostic. Il semble l’avoir pour partie accepté («je suis schizophrène certes,

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paranoïde, paranoïaque, certes,maispasmégalomaniaque...»)mais l’articule àun récit qu’il ne parvient pas vraiment à rendre intelligible pour les autres, etdans lequel il explique son geste (un matricide) par un manque d’amour quiseraitlapreuvequ’ilauraitétéabandonnéparsesvraisparentsetenlevépardesparents adoptifs violents. S’il accepte le diagnostic, il a donc le sentiment derester incompris, comme en témoigne le compte-rendu qu’il fait de l’audiencedevantlachambredel’instruction:

«Pendant...bahj’airéponduauxquestionsqu’onmeposait,j’aiessayédemedéfendre,j’aipaslâchéuniotadecequejepensaissurpleindechoses...Notammentsurlesdéliresde filiation, ce qu’ils appellent un délire de filiation moi je sais très bien que c’est lavérité,doncvoilà,c’esttout…»MonsieurCorbot,35ans,hospitalisédepuis3ans

Lediscoursde cespersonnes témoigned’une certaine confusionquant à lasignification du diagnostic de schizophrénie qui renvoie plus, selon elles, à lacapacité de se maîtriser qu’à une perte de contact avec la réalité. Un regardpsychiatriqueestimeraitqu’ellesn’ontpasd’«insight»parrapportàl’altérationapparentedeleurprocessussensoriel(«hallucinations»deMonsieurKaluta)oudufonctionnementdeleurpensée(«délire»deMonsieurCorbot).Ellesontdèslorsunpointdevueambivalentsurlediscoursqueportesurelleslapsychiatrie.

Parfois,onperçoitchezlapersonneinterrogéeunedélibérationinternesurlefait d’adhérer ou non à l’idée d’une pathologie. Ainsi, lorsqu’il parle de sesinteractionsaveclesexperts,MonsieurSarfaouirestetrèsambigu:

«Ouic’estassezy’avaitrienàdire.J’aiexpliquélesfaitsetc’esttout.Jeluiaiditquejefaisais partie des services secrets. Lui il a compris, il communiquait aussi avec lesservices secrets… (…)L’expert il a comprisque j’étais fou. J’ai dit la vérité.Que j’avaisfaim,quejevoulaisrentrerdansleservice.(…)Enfaitjemesuisfaitpassépourfou».MonsieurSafraoui,31ans,hospitalisédepuismoinsd’unan

MonsieurSafraouiseprésente,danslemêmegeste,comme«fou»etcommeunsimulateur.Plusloin,ilavouequ’il«necroi(t)pastrop»àla«schizophrénieparanoïde»,maisqu’ilpense toutdemêmesouffrirde«TACetdeTOC»,qu’ildécrit comme «lamaladie de la sécurité sociale» et qui semanifeste par uneimpressionde «flottement». Ces hésitations et ces revirements, ainsi que l’airmalicieuxqu’il prendpour les exprimer, laissentdevinerque se jouedans sonesprit un débat encore non tranché, comme s’il prêtait attention au discourspsychiatriquesanstoutefoisrenonceràsonproprerécit.

Peut-êtrecettedélibérationintérieureest-elleliéeàunecertaineméfianceàl’égard des experts, des psychiatres – et ici des enquêteurs. Le regardrétrospectif que porte Monsieur Oliveira sur ses interactions avec les expertspeut nous aider à comprendre comment cette délibération peut trouver unerésolution:

«Ety’enauneoùenfaitaudébut,c’étaitledocteurB.,ilm’avaitmisjustealtérationenfait...(…)Àcemoment-là,j’entendaisencoredesvoix,et(…)lesvoixm’avaientditdepas

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enparlerdepourquoij’avaisfait letruc-là...Doncçafaitquejeluiaimenti, jeluiaiditouais,j’aiinventéunehistoire,jeluiairaconté,etenfaitaprèsj’enaiparléàmonavocat,monavocat, ilm’adit, ouais, ce seraitbienquevous repassiez l’expertise, etquevousdisiezlavérité,iladit,commeçasivousêtesdéclaréaussiirresponsable,çapasseralesdeuxtrucssurlamêmeirresponsabilité,surlamêmehospitalisation...Doncaprèsjeleurairacontébiencommentças’étaitpassé,etducoupilsm’ontdéclaréirresponsable»MonsieurOliveira,22ans,hospitalisédepuis2ans

Grâceàlaconfiancequ’ilaaccordéeàsonavocat,MonsieurOliveirasembleavoiracceptéderacontersavéritéauxexperts,etapuainsiengagerundialogueentresavéritéetcelledespsychiatres,quil’aamenéàchangerprogressivementde version. Par contraste, ces hommes semblent encore hésiter entre deuxversions: ilsn’acceptentpas lediscoursdelapsychiatriemaisn’exprimentpasnonplusàsonégardd’aversionirrévocable.

La déclaration d’irresponsabilité a pour effet de valider officiellement undiscours psychiatrique, en vertu duquel les infractions ont été commises enraisond’un troublementalquiaaboli lediscernementet lecontrôledesactes.Pour certains, ce discours sert rapidementde support de subjectivation: il estréintégré dans le récit autobiographique, recompose l’identité personnelle etamène à une réflexion sur l’étrangeté de la folie. Pour d’autres, il apparaît aucontraire comme une volonté d’assujettissement intolérable, repose sur unmensonge et met en danger l’identité personnelle. Entre ces deux lectures,plusieurspersonnessemblenthésiter,peut-êtretemporairementpourcellesquiviennent tout juste d’être hospitalisése, plus durablement pour les autres. Decette rencontre plus ou moins conflictuelle avec le discours psychiatriquedécoulentdesexpériencestrèsdifférentesdel’hospitalisation.

II. Êtrehospitalisé:protectionouenfermementinique?

Une grande part des débats autour du principe d’irresponsabilité concerneles avantageset les inconvénientsde l’hospitalisationenpsychiatriequi suit ladécision d’irresponsabilité. Si l’hospitalisation est perçue par certainspsychiatrescommeuneprotectionbienfaisante,d’autrespsychiatresyvoientaucontraire un enfermement illégitime (voir chapitre 2). L’hospitalisation auraitpour effet d’infantiliser les individus en les plaçant sous la tutelle du soinpsychiatrique.Ellepriveraitparailleurscespersonnesd’uneconfrontationavecles normes sociales et les empêcherait d’éprouver un sentiment de culpabilitéjugéédifiant.Elleamèneraitenfincertainsàexagérerdefaçonstratégiquevoiremanipulatrice leurs troublespour échapper à la peinedeprison etprofiterdu«confort»del’hôpital.

Danslesentretiensréalisés,unedifférencesedessineentrelesindividusquisouscriventaudiscourspsychiatriqueets’enremettentdèslorsàunerelationdesoinaidanteet,d’autrepart,ceuxquicontestentlavéracitédecediscoursetne

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parviennentpasàdonnerunsensthérapeutiqueàleurséjourhospitalier.Maissileséjourenpsychiatriepeutêtreplutôtbienouplutôtmalvécu, lespersonnesrencontrées portent toutes un regard ambivalent sur leur hospitalisation: ellerestepourtousuneexpérienceéprouvante.

1. Accepterousupporterl’hospitalisation

Entoutelogique,lespersonnesquiadhèrentàl’idéedesouffrir–oud’avoirsouffert – de graves troubles psychiatriques acceptent l’idée d’un séjour àl’hôpitalets’enremettentauxsoinsproposésparleséquipespsychiatriques:

«Vousavezdoncétécontraintàdessoinspsychiatriquespouruneduréeindéterminéeetnonpasàunpeinedeprison.Qu’enpensez-vous?-Jepensequec’estlogiqueàpartirdumomentquec’estunemaladie.Unemaladieilfautlasoigner.Laprisonn’estpasthérapeutique.Etc’estvrai,est-cequ’unjourjeneseraisplus sous SDRE (soinsà lademanded’un représentantde l’Etat i.e. sans consentement),c’estpossible,paspour lemomentmedit ledocteurP. Je lesouhaiteun jour,passeràautrechose.Enfinfaudraquejeprennemontraitementàviemaisjenesaispas.»MonsieurDanel,32ans,hospitalisédepuis2ans

Danscetextrait,MonsieurDaneltémoignedelaconfiancequ’ilaccordeàsonpsychiatre, ledocteurP.,auquelil laisselesoind’arbitrersursonsort(lalevéede l’hospitalisation sous contrainte) au moment qu’il jugera opportun. PourMadameRoux,ilenvad’uneprotectioncontrel’hostilitédelasociété.Coupabled’un infanticide, elle se sent pour l’instant incapable de vivre à l’extérieur,d’affronter«le regarddesautres»etdeperdre«lesbonnesrelations»qu’elleentretient avec lesmédecins et les infirmiers. Submergéepar la culpabilité, aupointdenejamaispouvoirévoquerlesfaitsquil’ontamenéeàêtrehospitalisée,ellejugesavie«complétementgâchée».Néanmoins,elletrouveentrelesmursde l’Unité pourMaladesDifficiles un «cadre bienveillant», où se dessine pourelleunefragilepossibilitéde«sereconstruire».MadameRouxsembleaufondremettre sa vie entre les mains de l’équipe psychiatrique. Sans cettehospitalisation, elle aurait sans doute envisagé, commeMonsieur Verdoux, demettrefinàsesjours:

«Enprison,vouspensezquevousauriezpuêtresoigné?-Jesaispas...Jesaispascommentçasepasselà-bas?J’auraissûrementréussiàremettrelespiedssurterre,ouais.Apartsijem’étaissuicidéparceque...audébutj’aitouttentépourme suicider quandmême... je memettais debout et je me faisais tomber, je mefrappais la têtecontre labarre...Cam’apas tué... J’avaismaplaie,y’avaitdespointsdesuture, j’ai tout arraché avec les dents, et je saignais comme ça, à côté du lit pourmourir... j’étaisdansunétat... j’avaisvraimentenviedemourir,quoi,j’étaisdéterminé...Jevoulaisunrasoirpourmecouper lesveines...Enprison,y’a lapossibilitéd’avoirunrasoir...»MonsieurVerdoux,20ans,hospitalisédepuismoinsd’unan

Loin d’évacuer la culpabilité, l’hospitalisation semble la rendre plussupportable pour ces personnesqui souffrent terriblementdes crimesqu’elles

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ont commis. D’ailleurs, certaines voient dans l’enfermement auquel elles sontsoumises la possibilité de purger cette culpabilité. Ainsi, Monsieur Comte,hospitalisé après lemeurtrede sa compagne, se souvientde sonmutisme lorsdes premières années d’hospitalisation. Être aidé lui semblait alorsinsupportable,ilauraitvoulu«qu’on(le)laissemourirdansuncoin»:

«J’étaisfoudedouleur.(…)J’aidécidédepayercelaparlesannéesd’enfermement, lesmédicaments,lesbrimadesdecertainssoignants.»MonsieurComte,67ans,hospitalisédepuis30ans

S’ilgardeunvifsentimentdeculpabilité,iladésormaisacceptédeseconfieraux soignants et semble s’être consciencieusement plongé dans un travailthérapeutique.C’estd’ailleurscetravailsursoiquijustifiealorsl’hospitalisation:

«Euh...bon,j’aifaitdeladétention,doncjesaiscequec’est.Moi,personnellement,pourma réinsertion, je trouveque j’ai plus avancé... ça fait deux ans et demique je suis enhôpital, je trouveque j’ai plus avancé endeux ans etdemi à l’hôpital que trois ans endétention.Jepensequejevaisplusavanceràl’hôpital.Jepensequeladétention,mêmes’ilyaquandmêmedessoinsettoutça,jepensequeçanem’auraitpasaidésurlelongterme.Puisquedujouraulendemainjemeseraisretrouvédehorsenfinvoilà,çan’auraitpasétélameilleuresolutionpourmoi.»MonsieurFerdinand,21ans,hospitalisédepuis2ans

Comme Monsieur Ferdinand, ces patients «préfèrent» l’hospitalisation àl’incarcération,parcequ’ilspeuventyengageruntravailsureux-mêmes.Celanesignifiepasqu’elleestnécessairementfacileàvivre:

«Bah non, je préfère être jugé irresponsable... Enfin dans tous les cas, c’est la galère.Dans tous les cas, je vais rester longtempsà l’hôpital et... déjà ici, etpuis après je vaisresterdesannéesdanslesunitésd’entrée.Etvoilà,maisbon...»MonsieurVerdoux,20ans,hospitalisédepuismoinsd’unan

Outre la douleur des souvenirs et l’ennui que produit l’hospitalisation(MonsieurVerdouxregrettel’importancedestempsderepos, lasiesteimposéeentre 12h et 14h, l’heure avancée du coucher à 20h), la difficulté tient auxincertitudes concernant la durée de l’hospitalisation. Ainsi, Monsieur Danel sesouvientdesescrainteslorsqu’ilsetrouvaitendétentionprovisoire:

«Etpuis,pendantunmoment,jemedisaislaprisonj’ysuis,jesaiscommentçamarche.Jen’ysuispassimal.Pendantunmomentj’aieupeurd’alleràl’hôpital.Jeneconnaissaispas,j’avaispeurducomportementquepouvaientavoirlesautres,j’avaispeurqu’onmedonnedesmédicamentsentrop.Deschosesdontjen’avaispasforcémentbesoin…oui,jene sais pas comment dire. A unmoment, y a une période où je n’ai pas souhaité êtreirresponsabilisé. C’est à dire après tout… je craignais l’hôpital, voilà. Mais bon aprèsquandjesuisarrivéà l’hôpital,assezrapidement…jesuissortidusecteurferméaprèsdeuxmoisetdemi,encoretrois-quatresemainesaprès,j’aieumapremièrepermission.(…)-Vousn’auriezpaspréféréêtreresponsabiliséetpurgerunepeine?-Enfin,quandonsort,onpeuttoujoursavoirunsuivisocio-judiciaireouquelquechosecommeça.Maisc’estcequejemedisaisàunmoment,ouijefaismontempsdeprisonetaprèsjerentrechezmoietjesuistranquille.Maisbon,c’estp’têtreplusadaptécequiaétédécidé.»

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MonsieurDanel,32ans,hospitalisédepuis2ans

La méfiance de Monsieur Danel s’est rapidement effacée à son arrivée àl’hôpital, tout particulièrement à partir du moment où il a vu se dessiner unchemin vers la liberté. CommeMonsieurDanel, les enquêtés qui adhèrent auxsoins nourrissent l’espoir d’une sortie à moyenne échéance. Ceux qui ontstabilisé leur traitement psychotrope et ont le sentiment de ne plus présenteraucunsymptômede la«schizophrénie»diagnostiquée, réfléchissentà laplaceque va désormais occuper la psychiatrie dans leur vie. Monsieur Verdouxexpliquequ’ilacceptel’idéequ’ilva«devoirprendredesmédocstoutesavie»,et comprend «qu’on puisse (le) juger dangereux». Il se prépare ainsi à vivretoute sa vie à proximité de la psychiatrie, dans un modèle de «coopérationintégrée» (Velpry, 2008). À l’inverse, certains espèrent ne pas continuer àdépendre de la psychiatrie une fois sortis et être plutôt dans une forme de«coopération distanciée» (idem), à l’instar de Monsieur Oliveira, qui pensepouvoirdésormaissepasserd’untraitementqui«l’assomme»:

«Làmaintenant,jesuisauclairavecça(lapathologie)...C’estpourça,j’aidéjàditàdespsychiatres,j’aidéjàdit,maintenantonvaarrêterlestraitements,jesaisquejevaispasrefairedeconnerie...(…)C’estlàquejesuispasd’accordaveceux,c’estqu’ilsdisentques’ilsarrêtentlestraitements,çavatoutdesuitereflamber,jevaispasmecontrôler…-Vousallezrecroire?- C’est là que je suis pas d’accord avec lesmédecins... (…) Ils se basent sur des trucsd’avant...desautrespersonnes...maisonpeutpasnégligerqueunpatient ilpeutavoirunepathologie...maisqu’ilaitpaslesmêmesréactionsquetouslesautresavantquoi...-Etpuisilpeutserendrecompte...-Enfin,onn’estpasdesrobots,onn’estpas...on fonctionnepassur lemêmemodedepenséeettoutçaquoi...»MonsieurOliveira,22ans,hospitalisédepuis2ans

Critiquant le lourd traitement antipsychotique qu’il doit subir, MonsieurOliveiraentendnégocierlestermesdesonsuivipsychiatrique,commed’ailleurslestermesdesonsuivijudiciaire:ilcontestel’interdictiondepermisdeconduirede20ansquiaétéprononcéeàsonencontre.Néanmoins,ilposeauxenquêteursdesquestionssurl’aggravationdessymptômesencasderupturedetraitement,quilaissesupposerqu’iltentedepeserlesrisquesetavantagesdecedernier.Cetextraitmontrequemêmepourlespatientslesplusconsentants,l’hospitalisationet les soins psychiatriques bouleversent la trajectoire de vie et suscitent desquestionnements nombreux sur l’avenir. Monsieur Oliveira semble vouloir seconvaincrequ’ilvapouvoirretrouversavied’avant,maissesdoutestémoignentdu fait qu’il est peut-être en train d’accepter la bifurcation importante de la«trajectoire» (Strauss, 1992) qu’induit l’identification à une pathologiechroniquecommelaschizophrénie.Cesquestionnementsnecessentpasaveclalevéedel’hospitalisation:ainsiMonsieurLapierre,sortidel’hôpitaldepuisdeuxans après un long séjour, témoigne de difficultés importantes de réinsertion:c’est grâce aux structures de prise en charge ambulatoire (appartementthérapeutique, centremédico-psychologique) qu’il a pu retrouver sesmarques

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danslasociété.Lapsychiatriecontinuedèslorsd’êtreunsoutienindispensablepourlui,enparticulierdanssadimensionpsychothérapeutique74.

Sil’hospitalisationestdoncacceptéeparcesenquêtés,c’estparcequ’elleestvécue comme une étape nécessaire de leur «trajectoire» de patient. Elle leurfournit asile, protection, soutien, accompagnement. Ils y expérimentent leurnouveau statut de patient, y trouvent des explications aux troubles qui lesaffectent, négocient l’ajustement de leur traitement, engagent unetransformation importante de leur rapport à soi, découvrent la chronicité etpréparentleurretourdanslasociété.C’estdoncuneétapedanslaquelleilssontpleinementengagés,participantactivementà«l’arcdetravail»quiseconstitueautourd’eux«c’est-à-direl’ensembledutravail(réalisé)pourmaîtriserlecoursde lamaladie et remettre lepatientdansune forme suffisammentbonnepourquecelui-cipuisserentrerchezlui.»(Strauss,1992,p.176)

Pourlespersonnesquirefusentlediagnosticproposéparlapsychiatrie,cet«arc de travail» n’a pas lieu d’être et constitue un carcan insupportable:l’hospitalisationestpurementetsimplementuneprivationdeliberté.

2. Refuserouserésigneràl’hospitalisation

Lesenquêtésquis’attachentàunrécitdesoi incompatibleavec lediscourspsychiatriques’indignentpourdécrireleurhospitalisation:MadameArborelsesent condamnée à «perpétuité», Monsieur Zainoun vit «un calvaire» etcomparel’hospitalisationàune«torture».Sil’hospitalisationestinvivable,c’estd’abord qu’elle s’enracine dans un mensonge: celui de la maladie, que cespersonnesn’admettentpas,commenousl’avonsvuplushaut.

Plusieurspersonnesestimentenoutrequel’hospitalisationlesaprivésd’unvéritableprocès,quiauraitpuvalider leurversiondes faits.Lorsde l’entretienavecMonsieurBrunet,plusdedixansaprèssonsecondmeurtre,ilexpliquequ’ilaurait souhaité être responsabilisé pour pouvoir bénéficier d’une instructionjudiciaire plus approfondie, au cours de laquelle le complot tramé contre luiaurait pu être révélé au grand jour. Désormais il craint que la preuve de sonempoisonnement demeure à jamais introuvable («ils m’ont pas fait d’analysetoxicologique, alors qu’ils auraient vu dans les cheveux»). Il tente d’ailleursd’écrireun livrepour raconter sonhistoire, que sonhospitalisationa selon luipermis «d’étouffer». Madame Arborel pense elle aussi qu’avec un procès,«l’affaire aurait été close», parce que le harcèlement dont elle était victimeaurait été dévoilé. Leurs revendications, que la psychiatrie décrirait comme le

74Monsieur Lapierre jette lui aussi un regard perplexe sur le traitement. S’il a le sentiment d’en avoirbesoin,ilsedemandes’ilnes’agitpasd’unesolutionpardéfaut:«Jemedemandesic'estpasparcequ'ilsontpasdesolutionconcrètepourfairesortirledélire,doncducoup,ilssontlà,lessoignants,ilsdonnentlesmédicamentsendisant‘çavapasser,çavapasser’.»

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symptômed’unecertaine«quérulence»75,visentàrétablir leurvérité,dérobéeparlajusticeetlapsychiatrie.

L’hospitalisation est en outre suspectée de participer à la production dessymptômes qu’elle prétend soigner. Monsieur Brunet dresse un réquisitoirecontreletraitementqu’ilestcontraintd’absorber:

«C’estvraimentunehontetoutcequej’aivu,toutcequej’aivécu!Ilsrespectentpaslesgens. Déjà forcer les gens à prendre des toxiques... des médicaments, sans leurconsentement, c’est contre les droits de l’homme ça... (…) C’est des poisons cesneuroleptiques,ilsnousforcentàprendredespoisons!C’estincroyable!(…)OnestenFrance…(…)Maisjevousdis,unhôpitalsionpouvaitdiscuter...(…)C’estunesouffrance,c’est terrible ces trucs-là, ça vous bousille le corps, c’est terrible ces trucs-là... Moi sij’étaispasforcé,j’enprendraispas.Maisàl’avenir,mêmesijesors,quandjevaissortir,jeseraiobligédefairelapiqûre...C’estlourdcommemesure...c’estlourd!(…)-Ceseraitquoidesvraissoins?-Bahdel’amour,delacompassion,del’attention,maisfautpasdroguerlesgensencore.Pasenrajouterunecouche!Ondonnelesmédicamentspourlesgensquisontviolentspour les calmer, quand c’est vraiment trop important.Mais donner systématiquementdesneuroleptiques,c’estmauvaisc’estpasbon,c’estpasdessoins,çadétruitlecorps,çasoignepas,onpeutpasdirequeçasoigne,c’estpasvrai.Lesvraissoinsc’estdiscuter.C’estavoiruneviesaine.Avoirunbonentourage,dusoutien,desgensattentifs,voilà,del’amour…L’amourc’estimportant...enpsychiatrie,vousavezpasbeaucoupd’amour…»MonsieurBrunet,45ans,hospitalisédepuis9ans

Malgrécediscourstrèscritique,MonsieurBrunetreconnaîtquesonmédecinactuel est bienveillant à son égard. L’idée que les antipsychotiques produisentdes troubles, plus qu’ils ne contribuent à les apaiser, est répandue parmi cesenquêtés:

«Etc’estquoiquivousafaitsombrerdansquelquechosedetrèsfoucommevousdites?-Bahj’ensaisrien...onvousdonneuntraitement,untraitementfort...onvousdonneunTercian100danslecerveau...alorspendant15joursvousdormez!Onm’endonnait5parjour!Doncy’apasqueça...j’aieudesdélires...-Vouspensezqueçaaaccentué?-Limiteçaprovoquedelafoliedeprendredesmédicaments,deresterdansdesmilieuxcommeça...»MonsieurZainoun,45ans,hospitalisédepuis7ans

Au-delà des traitements, c’est la violence de l’hospitalisation qui estdénoncée:

«Doncmoisijefaisunepeine,aprèsonmeremetencoreenpsychiatriealorsqueçafait23ansquejesuisenpsychiatriepourrien...En1992j’avaistuépersonnemoien92.Onm’ahospitalisé,onm’a torturé...Voilàhein! (…)C’estduracismeou jesaispas...Parcequemoijesuisquelqu’undebonnefamille...Commejet’aidit, j’aiconnulapsychiatrieen 92, et y’avait aucune raison que je connaisse la psychiatrie. J’ai vu le docteur leweekend,leweekendilavaitledroitdemelibérer,ilmelaissaittranquille,jemesuisfait

75Laquérulence est une tendancepathologique à seplaindred’injustices et àmultiplier les actionspourredresserundommagedontonest(oudontonsecroit)victime.Elleestmentionnéedanslaclassificationinternationaledesmaladiesdansles«autrestroublesdélirantspersistants».

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taper(…).Lapremièrefoisquej’aiétéhospitalisé,pendantdeuxmois,j’aipratiquementrienmangé,j’avaisplusquelesossurlapeau...Doncmoijesuisici...jesuispasbien...jesuispasbienvu...beaucoupd’agressionsverbales,jerépondspas,jefaisriendutout…»MonsieurZainoun,45ans,hospitalisédepuis7ans

L’hospitalisation est vécue comme un événement traumatisant – sans qu’ilsoitparfoispossibledefairelapartentrelaviolenceressentieetlamaltraitanceeffectivementsubie76.LesUMDsontparticulièrementdénoncées:

«En UMD, j’y ai été 14mois. Et là ils ont faillime tuer ces cons. C’est pour ça que lapsychiatrie,jepeuxplusenentendreparler...C’étaiten2002.Jemesuisénervé,jelesaiengueulés,l’équipe,lemédecin,ilsm’ontsautédessus,ilsm’ontattaché…»MonsieurBrunet,45ans,hospitalisédepuis9ans«Alors j’avais fait deux fois l’UMDà Sarreguemines. Et jemedemande si ça a pas étépathogène et criminogène à cause... parce que la violence avec mes parents allaitcrescendo. Donc je me demande si ça a pas été ces séjours en UMD qui ont étéiatrogènes!»MonsieurCorbot,35ans,hospitalisédepuis3ans

Face à cet enfermement insupportable, la prison pourrait paradoxalementapparaîtrecommeunespaceoùlalibertédespersonnesseraitmoinscontrôlée:le système de «cantine» permettrait une gestion plus large des effetspersonnels, lesrégimesdecirculationpermettraientunelibertédemouvementplus importante, les durées d’incarcération étant déterminées, l’institutionn’incarneraitpasunpouvoirabsolusurlespersonnes:

-Vouspensiezquevousauriezétémieuxenprison?-Jepréfèrelaprisonmoi.-Pourquoi?-Jenesupportepasl’UMD.C’estpirequelaprison.-Qu’estcequiestpire?-Toutquiestpasbien....Onvaenpromenade,onfume,onfaitcequ’onveut;làenUMD,c’estpaspareil. (…)Toute la journéevousêtessurveillé,onpeutrien faireentre.Vousêtes là entrequatremurs,onvousenfermedans la chambre toute la journée,onvouspique,onvousattache…»MonsieurZetkin,40ans,hospitalisédepuis2ans

Néanmoins, beaucoup ont un discours moins tranché sur la prison. Unecertaine ambivalence apparaît ainsidans lediscoursdeMonsieurZainoun,quiexpliquesubirdesviolencesinsupportablesàl’hôpital,maisredouteencorepluslaprison:

«Alorsducouppourquoivouspréférezêtreàl’hôpital?-Parcequ’enprisononpeutsebattre... etmoi j’aipude... si jemebats, jemecasse larotule, j’ai été opéré trois fois de la rotule... C’est fragile, j’ai plus de quadriceps, doncvoilà…»MonsieurZainoun,45ans,hospitalisédepuis7ans

76Certains patients qui ont plutôt bien vécu leur hospitalisation racontent la perversité de certainsinfirmiers (ainsiMonsieurLapierre racontecommeun infirmier«prenaitplaisirà réveillerbrusquementlespatients»etàenforcerunquidétestaitl’eauàprendresadouche).

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Demême,siMonsieurCorbotcritiquecettehospitalisationquil’infantilise,ilconsidèretoutdemêmequesaplaceestbienici:

«Parrapportàcequej’aifait,jedirais(quemaplace)estplutôtici,parcequ’enprisonçadeviendraitpirequeçan’aété...[...]j’auraisétéagressédavantage…»MonsieurCorbot,35ans,hospitalisédepuis3ans

Même ambivalence pour Monsieur Safraoui, qui ne supporte pas d’êtreenfermésansperspectivedesortiedel’hôpital(«çam’angoisse,etjemesoigneauZyprexa»),maisquiredoutededevoirunjourallerenprison(ilditavoir«8moisdesursis»suruneautreaffaire),dontilauneimagesinistre:

«Laprison,jemedis,c’estcouteauentreleshomoplates».MonsieurSafraoui,31ans,hospitalisédepuismoinsd’unan

Cette ambivalence témoigne d’un certain désarroi: ces personnes neparviennent finalementpasàdonnerdesensà l’hospitalisationà laquelleellessont soumises, mais constatent néanmoins leur vulnérabilité. Si elles refusentd’adhérerauxsoinsdispensés,ellessemblentserésigneràsubirl’enfermementpsychiatrique,sommetoutemoinseffrayantquelaprison.

3. Hospitalisationetlienssociaux

Si l’hospitalisation constitue une rupture dans les parcours des personnesinterrogées,c’estparcequ’elleaégalementpoureffetderompreleurviesocialeet familiale. Mais tous les enquêtés ne semblent pas égaux à cet égard. Lescontactsfamiliauxetparfoisamicauxsemblentplusfréquentspourcellesetceuxquiadhèrentauxsoins.Ainsi,MonsieurVerdouxreçoitrégulièrementlavisitedesessœurs:

«J’aidesbonnesrelationsavecelles,ellessontvenuesmevoirassezvite...etellesm’ontvraimentredonnélemoral,ellesm’ontditqu’ellesétaientlà,‘c’estgravecequet’asfait,maisonesttoujourslàetonresteralàpourtoi’.-Ça,çavousaidepourvousprojeterpourunaprès?-Ouais...j’aienviederevoirmanièceetmonneveuaussi...Cafaitlongtempsquejelesaipasvus...»MonsieurVerdoux,20ans,hospitalisédepuismoinsd’unan

Demême,lesfamillesdeMonsieurLapierreetMonsieurDanelontcontinuétoutaulongdeleurhospitalisationàleurrendrevisiteetàlessoutenir,mêmesil’ombredesactescommiscontinueàplanersurcesrelations:

«Des fois jemedemandesi... làmaintenant jerevoisma famille, je faisdesrepasaveceux des fois, et j’ose jamais en parler du sujet, personne n’en parle... Personne n’enparle...Cam’estdéjàarrivéd’enparleravecmasœurou...mamèretrèsrapidementdansuncontexte,enétantàdeux...maisdesfoisdansdesrepasdefamille,j’aimeraisbienunpeucasserletabouou...essayerdem’excusermais...Moijepenselameilleurefaçonc’estpeut-êtredelesremercierd’avoirétéprésents...Etj’aidumalàenparleraveceux…»MonsieurLapierre,28ans,sortiaprèsunehospitalisationde9ans

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Cestroispersonnespartagentdescaractéristiquescommunes,quipeut-êtreexpliquent les bonnes relationsmaintenues avec leur cercle proche: c’est leurpremièrehospitalisation,ilsrépondentbienautraitement,neprésententplusdesymptômedelapathologieschizophrénique.Ilsproviennentparailleurstouslestrois demilieux sociaux plutôt aisés77, proches de celles desmédecins qui lesprennentencharge,cequiapeut-êtreuneinfluencepositivesurlaconfianceetl’adhésionauxsoins.

Pour ces personnes qui adhèrent aux soins, l’hôpital est, on l’a vu, perçucommeunespacedetransitionversunavenirpossibleoùilsespèrent«réussiràretravailler», «rencontrer quelqu’un», «construire une famille»… Certainstrouventcependantdanslesservicespsychiatriquesunefamilledesubstitution,commeMonsieurComte,quiadésormaispeurdequittercetespacesécurisantdanslequelilaseshabitudesetd’excellentesrelationsaveclessoignant.e.s:

«Çavousfaitpeurdevivreseul?-Çamefaitpeurdevivreseuldehors! J’ai toutoublié,unemachineàcafé, jesaispluscomment ça fonctionne, il faut que je demande... J’ai tout oublié! Avant je payaismesachatsenbonsd’achats.Avec...jedonnaisunbond’achat,maintenantnon,ilfautquejemeréhabitueàcompterlamonnaie...-Onvousaccompagneàréapprendretoutça?-Non,seul...surlesconseilsde...dupersonnel,detoutlemonde...Ilfautquej’apprennetoutdoucement...MonsieurComte,67ans,hospitalisédepuis30ans

Il semble que l’hospitalisation soit vécue sur unmode apaisé, lorsque sontaussi apaisés les liensavec la famille –ouque l’hôpital tient lieude familledesubstitution. À l’inverse, les patients les plus en conflit avec l’hôpital sontsouvent aussi en rupture avec leurmilieu d’origine78. Une importante solitudetransparaît dans leurs récits. AinsiMadameArborel revient régulièrement surl’inquiétude qu’elle éprouve pour son fils âgé d’environ vingt ans, qui ne luidonneplusdenouvelle.Elles’accrocheàl’espoird’unesortie,quiluipermettraitderenouerlecontactaveccefils:

«Commentenvisagez-vousvotreavenir?-Acheterunappartementcarj’aidel’argentpour.Etêtreàcôtéd’uneécoled’Artpourfaire de la sculpture. Mon fils rêve de partir à l’étranger, il aura des affaires, et sesaffairesilfaudraitqu’illesmetteoù?Avoirunancrageunenracinement.»MadameArborel,62ans,hospitaliséedepuis3ans

Ilestpeuquestiondevisitespourcesenquêtés,quitémoignentaucontrairesouvent de relations conflictuelles avec leur famille. Madame Arborel estbrouilléeavecsamèreetsessœurs,MonsieurCorbotetMonsieurBlondeln’ontplus de contact avec leur père. D’autres n’en parlent tout simplement pas,

77Onpeutdéduirecetteappartenancesocialedeplusieursindicesfournisdanslesentretiens:leurprénom,lesprofessionsdesparents,lesloisirsethabitudesdeviequitémoignentd’untraindevieplutôtbourgeois.78 Cette hypothèse gagnerait à être vérifiée systématiquement à partir d’un échantillon plus larged’entretiens.

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commeMonsieurKalutaquisembleexclusivementpréoccupéparsavolontédecomprendresonacte.

Ilsembleraitdèslorspossibled’interpréter,commelefaitMonsieurLapierre,certainesexpériencesmystiquescommeunetentativedecomblercettesolitudeetderecréerdesliensaffectifs:

«Moi cepatientque je connaisqui s’enestpris sursamère, il... abeaucoupbeaucoupculpabilisé lui... ila... jepenseparceque luin’apaseu lavisitedesonpèreaprès... Ilajamaisrevusonpère,ilestdécédéàc’t’heure-ci...Etluic’estgrâceàlafoiqu’ilaréussiàtrouverlapaix, ilasenticommesionl’avaitpardonnéetducoup,c’estcommeçaqu’ilvit,ilesttrèscroyant,il…»MonsieurLapierre,28ans,sortiaprèsunehospitalisationde9ans

Cettehypothèse,quimériteraitd’êtreexploréeplusavantdansdenouveauxentretiens,pourraitéventuellementexpliquerlesmanifestationssupranaturellesdontparleparexempleMonsieurBrunet:

«Alors il s’est passé des phénomènes un peu bizarres... C’est à dire que j’avaisl’impression qu’elle était enmoi, quand elle estmorte, qu’elle a explosé et qu’elle estvenueenmoi...Etelleétaitenmoi,elleprenaittoutl’espacedemoncorpsetellerevivaitenmoi,soncorps,unepartiedesonâmeétaitpartie,maiselleétaitenmoi.Etc’étaittrèsfort...Jemesoignais…»MonsieurBrunet,45ans,hospitalisédepuis9ans«Ce qui m’a sauvé, ici, c’est Dieu! J’ai retrouvé la foi ici! Et je me rappelle encorel’endroitetquandj’airetrouvéça.Jecogitais...j’avaisunetête...j’étaisàboutdeforce...etd’uncoup,Dieum’a touché.Bahçapeutparaître incroyable,mais j’ai l’impressionquemoncerveau,y’aunfilquiremettaittoutenplace.Etjemere-souviensdecemomentlà,etlàj’aieulapreuvequeDieuétaitlà.J’aieulapreuvedesaprésenceetçafaitpresqueunandeça,etdepuisj’entendsdansmatête,presqueenpermanence,desvibrations,çafait‘prrrr’hyperrapides,etc’estdesondesqu’ilenvoie,etjemerecharge,jemesoigneenfait.Monseulmédecin,c’estJésus!»MonsieurBrunet,45ans,hospitalisédepuis9ans

L’expérience de l’hospitalisation et son appréciation dépendent doncfortement des liens qui parviennent ou non à se construire avec les équipespsychiatriques. Si «l’alliance thérapeutique» va de soi pour les patients quiadhèrent à l’idée qu’ils souffrent de troubles psychiques, elle est au contraireproblématique pour les autres, qui ne parviennent pas à donner un sens àl’hospitalisation dont ils sont l’objet. Ces personnes témoignent d’une certainedétresse,d’unesolituderedoubléeparlarupturedesliensfamiliaux.

Conclusion

Cette enquête sociologique donne pour la première fois la parole à despersonnes hospitalisées après une déclaration d’irresponsabilité pénale. Elleprésente incontestablement la limite de s’appuyer sur un faible nombred’entretiens, limite qui tient, nous l’avons vu, à la difficulté d’interroger des

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individus dont la prise en charge est éclatée en différents lieux (Unités pourMalades Difficiles, unités de soins intensifs en psychiatrie, services de soins«classiques» en milieu psychiatrique fermé, voire services ouverts ouambulatoires).Ilseraitdoncnécessaireàl’avenird’élargirvoiredesystématiserle recueil de ces témoignages, d’autant plus importants qu’ils permettentd’appréhenderdirectement l’opiniondecespersonnessur lamesuredontellessontl’objet.Ilseraitparailleursintéressantd’incluredansunetelleenquêtedespersonnes responsabilisées malgré la présence de troubles psychiatriquesimportants79.Uneplusgrandevisibilité socialede cesexpériencespermettrait,outre une meilleure appréhension des besoins de ces personnes maintenuesdans l’ombre, de dégonfler des représentations communes nourries par untraitement médiatique émotionnel des faits divers qui associent parfois troprapidement«schizophrénie»et«dangerosité».

Cesentretienséclairenttoutparticulièrementlafonctionquepeutremplirlediscourspsychiatriquedans labiographiepersonnelle:certainespersonnes,ense réappropriant ce discours, semblent accepter d’engager une constructiond’elles-mêmes en interaction avec le monde psychiatrique et plus largement,avec autrui. Au contraire, le refus du diagnostic implique nécessairement, enmilieuhospitalier,unisolement.Cesindividussemblentsesoustraireauxautres,oudumoinsresterdansunesituationdifficilementcommunicable.

Cesentretiens témoignentcependantdu faitque lesargumentsdesexpertslesplusradicalementfavorablesàlaresponsabilitépénalen’ontquepeudesenspour les individusquiadhèrentauxsoins: l’hospitalisationne lesempêchepasd’éprouverdelaculpabilité–ellelesprotègeenrevanchesouventd’unpassageàl’acte suicidaire; l’hospitalisation ne les écarte pas de la société – elle leurpermetaucontrairedesereconstruireetderéparerleslienssociauxbrisésparunacte tragique.Cesargumentsontpeut-êtreplusdesenspour lespersonnesqui rejettent le discours que porte la psychiatrie sur leur histoire: certainesd’entre elles se sentent infantilisées, privées de parole, voire aliénées parl’enfermement psychiatrique. Néanmoins, très peu considèrent que la prisonseraitunenvironnementplusadaptéàleursituation.C’estenréalité,au-delàdudéni de justice que ressentent ces personnes, la solitude qui résulte de ladifficulté à partager avec d’autres leur récit de soi qui paraît rendre siinsupportableleurhospitalisation.

79Camille Lancelevée propose quelques portraits de personnes ainsi responsabilisées dans sa thèse(Lancelevée,2016).

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Chapitre4:Aucœurdesrapportsentre jugesetexperts.Lesjugesd’instructionetl’article122-1alinéa1

ParCamilleLancelevéeetCarolineProtais

Procédure exceptionnelle, l’irresponsabilité pénale concerne au maximumquelquesaffairesparanpourchaquejuged’instruction80.Saisiparleprocureur,le juge d’instruction est chargé d’instruire les enquêtes judiciaires au termedesquelles il rend, si les charges sont suffisantes81, une ordonnance de renvoidevant les juridictions pénales (tribunal correctionnel ou cour d’Assises). Enrevanche,sil’irresponsabilitédelapersonnepoursuivieestmiseenévidenceparuneexpertisepsychiatrique,lejuged’instructionpeut,autitredel’article122.1alinéa 1 du code pénal, prononcer une déclaration d’irresponsabilité pénale.Danscechapitrenousnous intéressonsauregardportéparcesmagistratssurl’irresponsabilitépénale,maiségalementàlafaçondontlesexpertisesviennents’inscriredanslesprocessusdécisionnelsdelajustice.Leprésentchapitreviseàanalyser la participation et/ou la résistance des magistrats au mouvementcontemporainde«responsabilisation»desauteursd’infractionsprésentantdestroublesmentaux.

Les juges d’instruction ne sont évidemment pas les seuls magistratsconcernésparlaquestiondelaresponsabilitépénale,quipeutseposerendiversendroitsdelachaînepénale(voirencadré2del’introduction).Ennouscentrantsurletravaildujuged’instructionàpartirde23entretienssemi-directifsetdeprès de 50 décisions de jurisprudence impliquant les alinéa 1 (abolition dudiscernementouducontrôledesactes)et2(altérationdudiscernementouducontrôle des actes) de l’article 122-1, nous avons choisi d’analyser leraisonnement qui conduit cesmagistrats à conclure ou non à une ordonnanced’irresponsabilité. Comment les représentations des juges pèsent-elles dans la

80Ilyavait577jugesd’instructionen2010selonl’annuairedelajustice.Lenombredecasdedéclarationd’irresponsabilité a diminué depuis les années 1980 (voir Sénat, 2010, p. 30 pour un tableau précis desstatistiques judiciaires): en 1989, on compte 611 déclarations d’irresponsabilité (représentant 0,8%desmisesenexamen),contre196en2006(0,4%)avecuncreuxàlafindesannées1990(en1997,ilyavait190déclarationsd’irresponsabilité,0,3%desmisesenexamen).La tendance longueestdoncà labaisse,avecunelégèreaugmentationtemporaireentre1998et2002.Selonl’annuairedelajustice,140personnesontétédéclaréesirresponsablesen2010.81Si leschargessontaucontraire insuffisantes, le juged’instructionrendune«ordonnancedenon-lieu».Avant 2008, l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental donnait également lieu à une«ordonnancedenon-lieu».Laformulation,correctesurleplanjuridique,maisquipouvaitlaisserentendreauxoreillesprofanesquel’acten’avaitpaseulieu,aétémodifiéeparlaloidu25février2008relativeàlarétentiondesûretéetàladéclarationd’irresponsabilitépénale.

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décision judiciaire face aux auteurs d’infractions présentant des troublesmentaux?Commentcaractérisercesreprésentations?Sont-ellesinfluencéesparcellesdesexpertspsychiatres?

Les relations entre juges et experts ont suscité un regain d’intérêtsociologiquecesdernièresannées,avecdes travauxquis’intéressentà laplacedes acteurs technico-scientifiques dans la construction du jugement (voir parexempleChauvaud,Dumoulinetal.,2003;Pélisseetal.,2012).Loindesouscrireàununivoque«pouvoirdes experts», ces travauxanalysent la façondont cessavoirs expertaux «remettent en question le monopole du droit dans laconstruction du juste» (Dumoulin, 2000) et constituent un ensemble deressources et de contraintes pour les magistrats. La place plus spécifique desexpertspsychiatresaelleaussifaitl’objetdetravauxempiriques(Renard,Sicot,Saetta, 2009; Bensa, Fernandez, Lézé, Leroy, 2010), qui constatent que lesmagistrats utilisent les rapports d’expertise comme un réservoir d’argumentsquileurpermettentdeconstruireune«véritéjudiciaire»(Saetta,2011)fondéesurune«constructionmorale»dujusticiable(Fernandez,Lézé,Strauss,2011).Au-delàducheminparcouruparl’expertisedanslachaînepénaleetl’usagequienestfaitparlemagistrat,cechapitreouvreégalementunquestionnementsurla co-construction de représentations entre juges et experts. La situationd’expertiseestenelle-même«hybride»(Callon,Rip,1992):untechniciendelamaladiementaleestamenéàseprononcersurunenotion juridiqueetmorale,celledudiscernement.De cette situationnaît-ilunéchangede représentationsentrelesdeuxarènes?

L’expertisepsychiatriquederesponsabilitépénaleestdansunpremiertempsprésentéepar les jugesd’instructionrencontréscommeunobjet techniquequinécessitedescompétencesspécifiquesenpsychiatrieetquiposeavanttoutdesproblèmes d’organisation pratiques liés à la difficulté d’obtenir de «bonnes»expertises dans des temps raisonnables du fait d’une pénurie d’experts.Néanmoins, les juges d’instruction les plus longuement installés à leur posteconnaissent et se préoccupent de l’orientation idéologique éventuelle desexperts sollicités. Un détour rapide sur la jurisprudence laisse penser qu’enmatière d’irresponsabilité pénale, les juges d’instruction pratiquent égalementl’«art de la pioche» (Dumoulin, 2007, p.113), c’est-à-dire puisent dans lesexpertises les informations qui confirment l’opinion qu’ils se sont faite del’affaire.

Dans ce chapitre, nous montrerons que la neutralité affichée du juge enmatière d’irresponsabilité pénale s’effrite, lorsque l’on observe la procédurejudiciaire et la façon dont elle est utilisée: nousmontrerons que les juges neprocèdent pas de la même manière face à des cas d’irresponsabilité, etnotamment en matière criminelle et correctionnelle. Si cette différence detraitement est en partie due à l’organisation de la justice, les magistrats onttoutefois des marges de manœuvre qu’ils utilisent peu, en matière

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correctionnelle notamment. Deuxmanières de faire se dessinent alors qui ontpourconséquenced’augmenteroudediminuerlaprobabilitédevoirprononcéeune irresponsabilitépénale.Cesmanièresde faires’ancrentdansdeux lecturesdivergentesdurôlequela justicedevrait jouerfaceàlapsychiatrie,considéréeparcertainscommeununiversclairementdistinctdanslequellajusticen’apasàintervenir,etpard’autrescommeundomaineàcontrôleraunomdelasécuritépublique.

Encadréméthodologique

Cechapitres’appuiesuruncorpusd’entretienssemi-directifsréalisésparCarolineProtaisen2007-2008 (10 entretiens retranscrits par Caroline Protais) et en 2014-2015 (13 entretiensretranscritsparCamilleLancelevée).S’ilestdifficiled’évaluerlareprésentativitédel’échantillonconstitué,lesdifficultésrencontréesdanslerecrutementdesenquêtésnousdonnentcependantquelques indicationsàcesujet.Lamajoritédesmagistratsquinousontrépondud’eux-mêmes,après la seconde relance avait unpoint de vue favorable ouneutre à l’égardde ce principe.Àl’inverse, l’ensemble des magistrats ayant un point de vue défavorable à ce principe a étérencontrésoitaprèsdenombreusesrelancestéléphoniques,soitparréseau(unprésidentdelachambredel’instructiond’unecourd’appelayantincitélesautresjugesd’instructionàrépondreàl’enquête).Àl’évidence, lesmagistratsfavorablesàceprincipesontbeaucoupplusdisposésàparticiperàcetteenquête.Cedernierélémentestparticulièrementimportantpourapprécierlavalidité de nos conclusions et nous amène à privilégier une analyse des positions les plusdivergentes plutôt qu’à nous prononcer sur la représentativité statistique de ces positions auseindelaprofessiondejuged’instruction.

I. Déterminer l’irresponsabilité pénale pour cause de troublesmentaux:unequestionplustechniquequ’idéologique?

Les 23 magistrats rencontrés tiennent des propos assez similaires sur lafaçon de choisir les experts psychiatres dans le cadre de l’instruction. Lescontraintes sont d’abord pratiques: il s’agit de trouver un expert qui pourrarépondre aux exigences de la justice de manière satisfaisante. L’orientationidéologique de l’expert est donc présentée comme secondaire face à cescontraintes pratiques. Elle peut cependant avoir, pour certains magistratsexpérimentés, une importance particulière aumoment de la commission d’unexpert.

1. Lebonexpert,labonneexpertise:descontraintespratiques

Garderlesbonsexpertspourlesaffairescomplexes

Aumomentdecommettreunexpertpsychiatre, les jugessetrouventfaceàune double contrainte paradoxale: la loi exige que soit réalisée une expertise

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psychiatrique dans un nombre croissant de cas82, mais le nombre d’expertspsychiatre tend à diminuer83. Plusieursmagistrats soulignent ce paradoxe, quitientseloneuxnotammentàlaréductiondubudgetdelajustice,auxretardsdepaiement des experts et au manque d’encadrement professionnel et dereconnaissanceinstitutionnelledutravaild’expertise(Pélisse,Protais,LarchetetCharrier, 2012). Troisième contrainte, les magistrats disposent de peud’informations précises sur la formation ou la spécialisation éventuelle desexpertsinscritssurleslistesdescoursd’appel.Enconséquence,iln’estpasfacilede constituer un réseau d’experts sur lesquels lemagistrat pourra s’appuyer:GenevièveBleriot,arrivéedepuisunanautribunald’unevilledetaillemoyennen’a pour l’instant pas trouvé «de bons experts». Malgré un changement derégion, Lucas Petiot continue de solliciter les experts affiliés à la cour d’appelqu’ilaquittéequelquesmoisplustôtpour lesaffairesdans lesquelles ilestimeavoir besoin d’un «bon éclairage psychiatrique». SelonOdile Ciarabelli, il fautquelquesannéesavantdeserecréerunréseausolided’experts:

«Moiquand jesuisarrivée, j’aidésigné lesmêmesexpertsquemonprédécesseur.Moij’étaispasjuged’instructionavant,engénéral,onarrivedansuncabinetoùonrécupèredesdossiers,onregardecequ’afaitceluid’avantet,dansuncertainnombredecas,oncontinueàdésignerlesmêmesexpertsquesonprédécesseur.Etpuisaprès,aufildelapratiqueoudecequ’onentenddescollèguesoudesgensqu’onpeutrencontrer,onpeutdésigner une nouvelle personne qu’on apprécie, qu’on n’apprécie pas. Donc ça, c’estvraiment des désignations intuitu personæ en fonction de l’appréciation quepersonnellementonportesurletravaild’unexpert.»OdileCiarabelli,40-50ans,8ansd’expérience84(entretien2008)

Lemarché des experts psychiatres, opaque pour lesmagistrats, est abordépartâtonnementpar les jugesd’instructionquiseconstituentprogressivementunréseaupersonneld’expertsqu’ilsestimentfiablesetcompétents85.

Dèslors,lesjugesd’instructiontententde«garderlesbonsexpertspourlesaffaireslespluscomplexes»,commel’expliqueOlivierCreilquipasseuncertain

82Lenombred’expertsinscritssurleslistesdescoursd’appel,quiavoisinaitles800en2006estenbaisseconstante,notammentdufairedesdépartsàlaretraite(voirrapportdelaHauteAutoritédeSanté,2007).83Depuislaloidu17juin1998quicréelesuivisocio-judiciaire,lenombred’expertisesobligatoirespourlajusticen’acesséd’augmenteravecl’extensionprogressivedupubliccibléparlesuivisocio-judiciaire(loidu12décembre2005):désormais,outrelesexpertisesderesponsabilitépénale(quinesontpasobligatoiresetdépendentde l’appréciationsouverainedes juges), lesmagistratsdoiventsystématiquementrecouriràuneexpertisepsychiatriquedanslecasoùunsuivisocio-judiciairepeutêtreprononcé(pourdesfaitsaussidiversquedesinfractionssexuelles,homicides,actesdetorturesetbarbarie,enlèvementsetséquestrations,destructionsdangereusespourlespersonnes,etc.).Lesexpertspsychiatresdoiventalorsseprononcersurla«dangerosité»desinfracteursetleuraccessibilitéauxmesuresdesoin.84Lesnomsdesmagistratsontétémodifiéspourpréserver l’anonymatdespersonnesquiontacceptéderépondre à nos questions. Nous indiquons systématiquement l’âge approximatif ainsi que le nombred’annéesd’expérienceentantquejuged’instruction.Noussignalonslesentretiensréalisésen2008,c’est-à-direavantlaréformedel’irresponsabilitépénale.85La difficulté à se repérer dans le champ de l’expertise, ajoutée à la diminution du nombre d’experts,explique sans doute que certains juges renoncent parfois, notamment dans les procédures accéléréescommelacomparutionimmédiate,àcommettreunexpert.

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temps à «vendreses bonnes affaires» aux experts compétentsmais débordésqu’il aimerait solliciter. Les juges d’instruction distinguent de façon unanimedeuxcasdefigure:desaffairesdanslesquellesl’expertiseestobligatoire,etlesaffaires dans lesquelles l’expertise est jugée nécessaire, ces deux cas de figurepouvant,éventuellement,serecouper:

«C’estvraiqueçadépend.Pourquelqu’unquicommetdesbraquagesàrépétitionetqui,finalement,al’airdecommettrecesfaitspourdesmotifsutilitairesetdedésocialisation,qu’oncomprendfacilement,onn’attendpasénormémentdel’expertise,simplementonlafaitparcequec’estrenvoyédevantlaCourd’Assise,donc,danscas-là,ilfautlefaire86.Maintenant,pourquelqu’unquimet le feuouquicommetuncrimedesang, c’estplusintéressant,onenattendplus,évidemment.»JulieManoukian,40-50ans,12ansd’expérience(entretien2008)

Le genre d’expert commis sur une affaire va donc varier en fonction du«besoinpsychiatrique» évaluépar lemagistrat: les expertsde confiance sontréservés aux affairesquiposent la questionde la responsabilitépsychiatrique,tandis que des experts jugés moins compétents seront nommés dans lessituationsoùlacomplexitépsychiatriqueparaîtmoindre:

Ilya(des)dossiersdanslesquelseffectivement,ilyamanifestementunproblème.Donclàaussi,onchoisitenfonctiondelaqualitédel’expert.Enfin,moije(…)vaischoisirdesbonsexpertspourdescasdifficiles.Etpuisceuxqui…Lesadeptesducopié-collé,onvaleschoisirpourdesdossiersdanslesquelsonsaitmanifestementquel’expertisen’apasd’intérêt,pour ledossier judiciaire j’entends.Elleestobligatoiremais,aumoins,onvavite.MathieuHaber,40-50ans,10ansd’expérience(entretien2008)

De lamême façon,BéatriceDupuisdistingue les«expertisespour la forme,pourlaprocédure»des«expertisessérieuses»;VéroniqueGrangédistinguelesexperts «lambda» de ses trois experts «chouchous». Cette distinction estprésente dans tous les entretiens: le recours aux «bons experts» signale uneinterrogation dumagistrat au sujet de la responsabilité pénale de la personnemiseenexamen.End’autrestermes,lacommissiond’un«bonexpert»suggèredéjà que la décision a plus de chance d’aller vers la reconnaissance d’uneabolition ou d’une altération du discernement. À l’inverse, les magistratsattendent des experts «lambda» qu’ils ne soulèvent pas la question de laresponsabilitépénale:

Albane Courteillac parle d’un dossier de tentative d’homicide qu’elle espérait pouvoirboucler rapidement pour un renvoi devant les assises: «Donc là, je demande à unexpert,jesaisqueceserapasfouillé,ilfautquecesoitfaitrapidement,lapersonneestdétenue donc... on est dans des délais très courts, j’attends plus que ça... Et là!Irresponsabilité! Avec un paragraphe tout court sur la démonstration del’irresponsabilité!-(Rirespartagés)

86L’obligationdeprocéderàuneexpertisepsychiatriqueenmatièrecriminellen’estpasinscritedanslaloi.Ellerelèvesemble-t-ild’unepratiqueayantprislaforcedel’habitude.

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-Maissurlecoup,çanem’apasfaitrire,vraiment!Doncilafalluquejemeprostitueautéléphone pour avoir un collège d’experts... Pour qu’ils me rendent leur expertiserapidementparcequ’ilesttoujoursdétenudoncj’attendsqueça!Etdonclàj’aivraimentpas compris, l’irresponsabilité! Et là je suis en attente! Je viensde le faire!Nanmaisl’expert qui conclut à l’irresponsabilité, dont on sait qu’il rencontre les personnes unedemieheurevoireuneheure...»AlbaneCourteillac,30-40ans,6ansd’expérience

Unbonexpertestdoncenpremierlieuunexpertquirenddumisenexamen«unportraitquicorrespondàl’idéequ’onenavait»(LaraBahloul).D’ailleurs,ilestplutôt rareque l’expertisepsychiatriquedévie complétementde ceque lesmagistratsavaientanticipé:

«C’est vrai aussi quand même que, lorsqu’on a un rapport d’expertise concluant àl’existenced’unecause,enfind’irresponsabilitéliéeà122-1,c’estquandmêmerarementunedécouverte.Çatombepasducielcommequelquechoseàquoionnes’entendaitpas.C’estquandmême soit parcequ’onest en facedequelqu’unqui est enhospitalisationd’office dès le début, bon voilà. Les cas rarissimes où on peut dire, où les expertsconcluentàl’abolitioncomplètedudiscernementnetombentpasduciel.»OdileCiarabelli,40-50ans,8ansd’expérience(entretien2008)

Lesbonsexpertssontdoncréservésauxaffairesquinécessitentunéclairageparticulier.Cequidistinguecesbonsexpertsdesautres,c’estqu’ilsassistentlesjugesdansleurtravaild’instruction.

Bonneexpertiseetimpératifsdel’instruction

À la question de savoir ce qu’est un «bon expert», les juges d’instructionapportentdesélémentsderéponsetrèssimilaires:unbonexpertvarencontrerlonguementlemisenexamen,éventuellementplusieursfois,ilva«fouiller»soncas.Sicertainsjugespréfèrentdesexpertisessynthétiquesalorsqued’autreslespréfèrentdétaillées,ilss’accordentsurl’idéequ’ellesdoiventêtre«cohérentes»et«argumentées».ValérieLemaitre,pluscritiquequesescollèguesàl’égarddusavoir psychiatrique («parfois, on est en plein délire»), met l’accent sur lesméthodesd’investigationetsurlalogiqueargumentativedesexpertises.Commeelle,JulieManoukianestime:

«Un bon rapport d’expertise,moi j’aime bien, ce que ne font pas forcément XX et YY,qu’il y ait la démonstration de la méthode utilisée pour en arriver à une conclusion,qu’on retrouve assez rarement quand même. C’est vrai notamment pour lespsychologues, c’est surtout vrai pour les psychologues en fait, parce que certainspsychologuesdisentqu’ilsontfaitteltest,teltestetlà,c’estintéressant,onvoitsurquoiçasebase.Onpeutsefieràuneméthodeaumoins.D’autresn’intègrentpasçadanslerapport, alors est-ce que ça veut dire qu’ils ne les font pas ou bien qu’ils ne lesreprennentpasdanslerapport?Àvraidire,onn’ensaittroprien.»JulieManoukian,40-50ans,12ansd’expérience(entretien2008)

Plusieurs magistrats soulignent l’importance de la «scientificité» del’expertise.Onattendainsidecelle-ciqu’ellefournissedesargumentsd’autorité,qui pourront alimenter la décision du juge. Lorsque l’affaire a des chances de

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passer en cours d’assises, face à un jury, les juges attendent également del’expert qu’il soit bon orateur, capable de se faire comprendre d’un publicprofane.Ensomme,unbonexpertpermettraaumagistratdemenerunebonneinstruction:ilrépondraauxquestionsposéesparlejugeettrancheraclairementla question de la responsabilité pénale, fournira au magistrat des argumentssusceptiblesdel’aideràprendreetàmotiversadécisionainsiqu’àexpliquerdefaçon pédagogique aux parties civiles l’état psychique de la personnemise enexamen.Ilaideralemagistrat,ensomme,àbouclersondossierd’instruction:

«Onouvretouteslesportes,onlesouvreetonlesreferme,lebutétantque,lorsqu’onvasoumettreledossierautribunal,toutaétéexploité.Qu’onseretrouvepasaussidevantletribunalàdécouvrirquelquechosedansledossierquin’apasétéexploitéetqu’onnepourrapasjugerlesgens».EtienneWinter,30-40ans,3ansd’expérience(entretien2008)

En raison de la pénurie de «bons experts», les magistrats s’attendentgénéralement à des délais plus longs,mais estiment tout demême qu’un bonexpert rendra son travail dans des délais raisonnables 87 : ainsi plusieursmagistrats ne recourent plus à certains experts qu’ils apprécient pourtantbeaucoup en raison de leurs délais. Le recours à l’expertise psychiatrique doitpermettreaujugedebienconstituersondossieretderépondreauximpératifsdel’instruction.

2. Lapositiondel’expertsurl’irresponsabilitépénale:unenjeumarginal?

Ces exigences n’ont à première vue rien à voir avec une connivenceidéologique supposée entre experts psychiatres et magistrats. Les jugesrencontrés insistent au contraire sur l’importance de l’indépendance et de laneutralitédesexpertscommispar la justice88.Néanmoins,quelquesmagistratsindiquent connaître les orientations théoriques des experts psychiatres enmatière d’irresponsabilité, et avoir parfois tendance à solliciter ces experts enfonction de l’avis qu’ils espèrent voir rendu. Il semble, au vu des entretiensréalisés,quecettetendances’accentuechezlesmagistratslesplusexpérimentés,commesilapratiquecréaitdesaffinitésélectivesentreexpertsetjuges.

87Les juges d’instruction sont tenus par des délais obligatoires lorsque la personne mise en examen setrouveendétentionprovisoire.Cesdélaissontnéanmoinstrèssouples:eneffet,ladétentionprovisoireestlimitéeà6moisenmatièrecorrectionnelle,maislejugealapossibilité,danscertainscas,d’enprolongerladurée jusqu’à2ans.Enmatièrecriminelle, laduréeestapriori limitéeà1anavec làaussi lapossibilité,danscertainscas,deprolongerladétentionprovisoirejusqu’à4anset8mois(articles137et143-1à148-8ducodedeprocédurepénale).88Onpeutpenserque l’affaireOutreau,dans laquelle lacollusionentreexpertet jugeavaitconduitàuneerreur judiciaire très médiatisée (voir Protais, 2008) a renforcé cette valorisation de la neutralité del’expert.Certainsmagistratsrencontrésdanslecadredecetteenquêteontd’ailleursparticipéauprocèsenappel, au cours duquel les expertises psychologiques ont été placées au centre des débats, avec unepolémique sur le tarif des experts – «comparable à celui des femmesdeménage» selon Jean-LucViaux,expertpsychologue.

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L’importancedelaneutralitédel’expertetdujuge

Selon les magistrats rencontrés, la neutralité et l’indépendance de l’expertconstituent un principe fondamental des rapports entre juges et experts. Lesliens entre juges et experts sont d’ailleurs plutôt distants: leurs contactsépistolaires ou téléphoniques sont ponctuels; hors des enseignementséventuellementdispensésàl’Écolenationaledelamagistratureoudecolloquesponctuels, cesdeuxgroupesprofessionnels semblentpeu se côtoyer. Les jugesneconnaissentlesexpertsqueparlesprestationsqu’ilsfournissent:expertisesécriteset/ouoraleslorsdesaudiences.

Cetteneutralitéguideparexemplelechoixdespiècesdudossiertransmisespar lesmagistrats aux experts: une partie desmagistrats considère ainsi qu’ilfautdonnerlemoinsdepiècespossiblespour«quelesexpertsaientunregardneutre» (Béatrice Dupuis) ou pour «éviter que l’expert soit influencé parl’instruction»(ValérieLemaitre).Maislesmagistratsquiremettentaucontraireun maximum de pièces sont eux aussi motivés par la volonté de garantir laneutralité de l’expert: ainsi, Lucie Marignan remet tout le dossier en versionélectronique pour que l’expert puisse «sélectionner les informations qui luiparaissent pertinentes». Demême, Lucas Petiot estime que l’accès au dossiercompletpermetauxexpertsd’avoirunevued’ensemble,quineserapasbiaiséeparleregarddujuged’instruction.

Cettevolontédepréserverl’indépendancedesexpertss’exprimeparailleursdans l’insistancedes jugesd’instructionà fairede l’irresponsabilitépénaleunequestionstrictementtechnique,quinerelèveraitpasdeleurcompétence:

«Soitilyaabolition,soitiln’yapasabolition,aprèslanaturedel’infractionn’entrepasdu tout en considération. C’est une question médicale exclusivement, moi je n’ai pasd’opinionàavoirsurlaquestion!»GuillaumeKasel,20-30ans,2ansd’expérience«Jepensequejen’aipasd’avisàavoirsurcettequestion!Jenemepositionnepas!»GenevièveBleriot,40-50ans,4ansd’expérience

Néanmoins,lesmagistratsontpourlaplupartconsciencequelaquestiondela responsabilité pénale soulève des débats théoriques et moraux chez lesexperts psychiatres. Cependant, les magistrats rencontrés – et toutparticulièrementceuxquioccupent leurpostedepuispeude temps–disent leplus souvent ignorer ou ne pas vouloir connaître la position spécifique desexpertsqu’ilscommettent. Ils insistentsur l’importancede laqualitétechniquedel’expertise,considérantqu’ilsn’ontparailleurspasàinfluencerlerésultatdel’expertiseenchoisissantteloutelexpert:

«Oui, donc moi j’attends pas que l’expertise me dise quelque chose de particulier, jeveux justequ’ellemedise s’il y a des troublesde la personnalité identifiés, si onpeutdiagnostiquer une maladie psychiatrique, si elle a un lien avec l’infraction qui a étécommiseetsiondoitentirerdesconséquencesjuridiques,voilà.Point!Aprèslereste,c’estpasmontravail.Moi jemandatepas l’expertenluidisant: ‘jevousprévienslui, il

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doitpasêtredéclaréfou,ilfautqu’ilprennesesvingtansauxAssises!’(…)Unjugequiraisonneraitcommeça,jepensequ’ilsetromperaitdemétier!-Y’enaquiraisonnentcommeça?-Ahmaisjepense,oui.Aprèsilsvousledirontjamaisclairement!»LucasPetiot,30-40ans,4ansd’expérience

Lucas Petiot, comme d’autres magistrats, admet connaître l’orientationthéoriquedesexpertsqu’ilssollicite.Iljuge,commeAlbaneCourteillac,quecelanedoitpasentrerenconsidérationlorsqu’unexpertestcommis:

«Alors (lesexpertsque j’ainommé là), je les connaispas... j’aidemandéconseil àmescollègues... je lesconnaispas,onverra...maisjelesaipasnommésparcequ’ilsontunepositionprooucontre...-Non,j’aicompris...-Non,onlesait,maisc’estdifficiledenommerunexpertdonttoutlemondesaitqu’ilestsoitprosoitcontrel’abolition...Parcequeforcémentçaveutdirequ’onaunpartiprisetqu’onessaiede…»AlbaneCourteillac,30-40ans,6ansd’expérience

Si lesmagistrats rencontréssontnombreuxàadopterundiscours légaliste,qui se contente de paraphraser la loi, cinq magistrats interrogés considèrentnormal de connaître les orientations théoriques des experts et ne cachent pasquecetteconnaissancepeutavoirunimpactsurleurchoix.Cesmagistratssontalors prêts à attendre plus longtemps l’expertise d’un psychiatre dont ilspartagentlesvues.

Unecertaineporositéidéologiqueentrelejugeetsesexperts?

Lapratiqueexpertaleainsiquelajurisprudencetémoignentd’unmouvementderesponsabilisationdesauteursd’infractionsprésentantdestroublesmentaux(voir chapitre 1). Parmi les magistrats interrogés, on remarque que certainssemblent avoir pris acte de cette tendance. Ainsi, lorsqu’on leur demande dedéfinir les cas qui relèvent selon eux de l’abolition du discernement, certainsmagistrats adoptent une définition très restrictive, qui correspond à cettetendanceàresserrerlechampdel’irresponsabilité:

«S’ilyaunevéritableabolition,iln’estplusdutoutsensibleàlaloi,ilestdansunautremonde...Doncmoi j’aurais tendancedemettre lecurseurde l’abolition,demanièreunpeuélevéquoi...»PatriceMessier,50-60ans,plusde30ansd’expérience

PatriceMessierestimeque l’abolitionnepeutêtredécidéequedans lescasoù la personne semblait incapable de faire usage de son discernement aumoment de commettre les actes qui lui sont reprochés. De même ValérieLemaitrereconnaîtavoirunevisionrestrictivede l’irresponsabilité: il fautêtre«frapadingue»,«complétementinconscient».Elleexplique:

«Moi je préfère qu’il y ait un petit brin de doute sur la responsabilité pour qu’il ailledevantsesjugesetsesvictimes...»ValérieLemaitre,50-60ans,5ansd’expérience

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D’autres magistrats s’appuient sur le code pénal pour justifier une lecturerestrictivedel’irresponsabilitépénale:

«C’est au moment des faits que le passage à l’acte doit être inévitable avec unepathologiequipermettededirequec’estbienliéàlapathologie.»SylvieKellerman,50-60ans,5ansd’expérience

SylvieKellermanreprocheàcertainsexpertsdenepasassezsepenchersurle «moment des faits» et de considérer qu’une personne qui présenterait destroubles psychiatriques graves doit être irresponsabilisée, même si l’actecommisn’estpasenrelationdirecteavec lapathologie.Demême,OlivierCreilest scandalisé du travail d’un expert psychiatre qui concluait à l’altération dudiscernementchezunepersonnequiavaitconsommédesstupéfiants:

«L’article 122.1, c’est abolition ou altération en raison de troubles mentaux. Laconsommationd’alcooloudetoxiques,çanerentrepaslàdedans!»OlivierCreil,30-40ans,2ansd’expérience

Certainsmagistrats semblent avoir appris avec l’expérience à raisonner enexpertspsychiatres:ainsi,CaroleFragonardexpliquecommentelleparvientàlaconclusionquel’undesesmisenexamenprésenteunealtération–etnonuneabolition–dudiscernement:

«Alorseffectivement... ilestschizo,ilesttoutcequ’onveut...maispourmoi,lefaitqueaprèsavoirfaitlesfaitsqu’illuisontreproché,ilaitpiquéleporte-monnaiedelavictimeavant de se barrer, c’est pas l’attitude de quelqu’un de complétement irresponsable...qu’ilsoitmalade,certes,qu’ilsoittotalementirresponsable,non...C’estmonavis...»CaroleFragonard,40-50ans,plusde10ansd’expérience

Le raisonnement de Carole Fragonard s’appuie sur l’idée d’un reste dediscernement au moment de l’acte, qui tendrait à invalider l’hypothèse d’uneabolition totale du discernement. Ce raisonnement accrédite plutôt le discoursdesexpertsquitendentà«responsabiliser»lespersonnesschizophrènes.

Parmi ces juges plutôt favorables à une lecture restrictive du principed’irresponsabilité, deux reconnaissent explicitement nommer des experts quiiront vers le122.1 alinéa2. SolangeArchet cite ainsi quelquesnomsd’expertsconnuspour leurspositionsplutôthostilesauprinciped’irresponsabilité. Ilyaen effet pour ces juges des situations dans lesquelles le justiciable doit êtrereconnuresponsable,enraisondeladangerositéparticulièrequ’ilprésente(voirinfra):

«Moi j’aiquandmêmevuune femmequi a tuéune fois,122-1,qui a tuéune secondefois, 122-1. Et la dernière fois, elle avait émasculé son mari et elle s’était coupée lesoreillesenpointe.Donctroisfoisetlatroisièmefois,çarecommençait.-Etc’étaittoujourslesmêmesactes?-Oui,elleadoraitlesciseaux.Auboutdelatroisièmefois,denouveau122-1.Onsedit:c’estpaspossible.Etauboutdedeuxans,ilslamettentsoustraitementetellesort.Maisbon, ilyaunsouci.Et là,onsedit: lapsychiatrieneprendpas,enfinneprendpasencomptelescaslesplusgraves.-Etcommentvousavezfaitlatroisièmefois?

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-Latroisièmefois,j’aitrouvédesexpertsquim’ontditqu’elleétaitpas122-1etvoilà.»AudeKersauson,40-50ans,10ansd’expérience

Parmi les 23 juges rencontrés, seules deux magistrates reconnaissentexplicitementéviter lerecoursà l’article122-1al.1.Cependant,onpeutpenserque d’autres magistrats se sont censurés, estimant a priori leur opinionillégitime,maissurtoutilestvraisemblablequel’échantillonconstituéprésenteici un biais en raison du mode de recrutement des magistrats (voir encadréméthodologiquesupra).Eneffet,àl’inverse,lesmagistratslesplusfavorablesauprincipe d’irresponsabilité disent «naviguer à contre-courant» (OdileCiarabelli).AinsiJulieManoukianexplique:

«Jecroisquelatendanceactuelle,c’estquandmêmedevouloirresponsabiliserlesgensàtoutprixparcequ’onconsidèreenplusquec’estthérapeutiqued’avoirlasanctionoujesaispasquoi.Ilyauneidéecommeçaquicourt.Moijesuiscontreça,jetrouvequ’ilyadesgensquin’ontrienàfaireenprison,quidoiventêtresoignés.Etmalgréça,onsentqu’ilyadesexpertsqui–c’estplutôtdanscesens-là–quipoussentàlaresponsabilité.»JulieManoukian,40-50ans,12ansd’expérience

Commeelle,LucieMarignans’étonnedelaprésenceenrevancheimportantedepersonnesqu’ellejuge«dingues»danslescoursd’Assises:

«Aprèsmoijesuispasmédecin,doncjemerendspascompteforcémentdel’étatdelapersonne, là pour le coup, vraiment moi je me fie à l’expert... C’est une question demédecin...Enrevanchecequiestvrai,c’estqu’onapeut-être...alorsdesabolitionsonenatrèsrarement,etvraimentessentiellementsurlesschizophrènesparanoïdes.Aprèsona pasmal d’altérations de responsabilité et là ça recouvre tout un panel de situationsvraiment différentes les unes des autres... Après moi pour avoir vu des aboliscomplétementdingues etdans lebox, ça fait quandmêmepas avancer le... enfin, c’estbon pour personne quoi! Donc on peut avoir la personne altérée,mais qui est quandmême capable d’assister à son procès d’une manière adaptée... J’ai vu aussi despersonnesaltéréesoùonavait...onavaitunfou,quoi,danslebox!Etlàonsedit,maisquelest l’intérêtde toutça,qu’est-cequ’ilencomprend?Est-cequ’ilauraitpasmieuxvalu,carrément,uneabolition...»LucieMarignan,30-40ans,3moisd’expérience

Certainsmagistratsestimentnécessairedereveniràuneinterprétationpluslarge de l’irresponsabilité pénale, qui dépasse par exemple le «moment desfaits»pourprendreplus largement en compte l’étatpsychiquede lapersonnemiseenexamen(OdileCiarabelli).Ellen’hésitepas,commeVéroniqueNoble,àcritiquerlesexpertisesqu’ellejuge«responsabilisantes»àtort:

«Parfoisonvoitdestypescomplétementincohérents,unefoisy’enaunquiaavaléunstylo en audience devant nous. Je dis à mes collègues non mais là on peut pas leresponsabiliser et là elles brandissent le rapport etme disent: nonmais regarde il lejugeresponsable.Qu’estcequevousvoulezfaire?Ellesontpasderegardsurl’expertise.Alorsquec’estfoucaronlepouvoirdedire‘ilestcomplétementjetécetype’.Maisilsnese ledonnentpas.Sinonc’estsouventpar incompétence. Ilyaunpeuunehontedesesentir pas apte, et dans ce cas on a là une grande humilité sur son défaut decompétences.Nonmaisvousn’imaginezpas.»VéroniqueNoble,40-50ans,12ansd’expérience(entretien2008)

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Ces deux magistrates expliquent donc avoir tendance à commettre desexpertsfavorablesauprinciped’irresponsabilité:

«Onsaitquionnomme,voussavezuneententeentrejugesetmagistratselleestfaitedepointsdevue idéologiques communs!Des experts commeX,YouZqui travaillenttrèsbien: ilspeuventencoredéresponsabiliser.Aprèsc’estpasàchaquefoismaiscelane les dérange pas. De toutes façons sur 35 experts j’en ai 5 qui arrivent encore àdéresponsabiliser. Le reste c’est que du jugement moral! A, B ou C, jamais dedéresponsabilisation!»VéroniqueNoble,40-50ans,12ansd’expérience(entretien2008)

VéroniqueNoble,commeOdileCiarabelli,estimequesabonneconnaissancedes débats d’experts autour de l’irresponsabilité pénale lui permet desélectionnerlesexpertsquisaurontrester«neutres»,c’est-à-direquipourront,lecaséchéant, identifierune«abolitiondudiscernement»etplaiderenfaveurde l’irresponsabilitépénale.C’estdoncpourremettrede laneutralitédansunepratiqueexpertalequiselaisseraittropguiderpar«lejugementmoral»quecesdeux magistrates sélectionnent des experts favorables au principed’irresponsabilité.

Un«artdelapioche»?

Silesentretienslaissententrevoirlapossibilitéd’un«artdelapioche»(dansle sens où les expertises fournissent aux juges divers arguments dont ilspourrontsesaisirpourjustifierleurdécision), ilsnepermettentcependantpasdevérifierempiriquementlafaçondonts’organisecetteinterprétationsélectivedesexpertisesparlejuge.Ils’agiraitpourcefaired’analysersystématiquementlesrapportsrendusparlesjugesd’instructionpourvoircommentlesexpertisespsychiatriquessontinterprétéesettraduitessouslaplumedumagistrat.

Néanmoins, le travail exploratoire réalisé sur les quelques dossiers qui ontdonné lieu à une jurisprudence permet d’envisager comment cet «art de lapioche»pourraitopérerenmatièred’irresponsabilité.Ainsi,parmilesdossiersque nous avons eus enmain, deux affairesmédiatisées ont été renvoyées auxassisesmalgré la présence de plusieurs rapports concluant à l’irresponsabilitépour cause de trouble mental. Dans le cas de Monsieur M., les expertisesresponsabilisantesétaientrédigéespardesexpertsconnusnationalementpourne jamais conclure à l’irresponsabilité, comme si ces choix avaient été réaliséssciemment par le magistrat instructeur. Dans la seconde affaire, celle deMonsieurB.,oùautantderapportsconcluantàl’irresponsabilitéetderapportsconcluant à la responsabilité atténuée existaient, l’argumentaire du magistratinstructeurprendclairementpartiepourlaresponsabilisationdelapersonne:

«Rejetant une nouvelle demande d’expertise, considérant à bon droit qu’une 5en’apporterait aucunélément.Audemeurant, l’appréciationde sa responsabilitépénalenesauraitreposer,defaçonmécaniquesurlenombredesavisd’expertsexprimésdansun sens ou dans un autre. Cette appréciation, qui doit nécessairement être globale,repose au contraire sur l’ensemble des éléments de fait rassemblés dans le dossier et

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analysésparlesdifférentsrapportsd’expertisefigurantaudossier.Decepointdevueilexistesuffisammentd’élémentsdansledossierpourdireques’ilestindéniablequeBenprésente des troubles de la personnalité depuis des années, susceptibles d’altérer sondiscernement ou le contrôle de ses actes, on ne saurait pour autant laisser sansconséquencelefaitquel’aggravationdesoncomportementprocédaitprécisémentdesapropre volonté de rechercher et d’accroître délibérément, par la consommation destupéfiantsetl’arrêtvolontairedutraitementunétatdontilavaitconscience.Lavolontéhomicideadoncétédélibérémentrecherchée,stimuléeetentretenueparluiaumoyend’une renonciation aux soins et une surconsommation de produits stupéfiants, cecomportementétantundesélémentsmêmedelapréméditation.»

Laminimisationdestroublesdelapartdumagistratesticiflagrante,puisquel’existencedetroublespsychotiquesdécompensés(«schizophrénieparanoïde»selonlesexperts)setransformeiciensimples«troublesdelapersonnalité».Deplus,lemagistrateffectueunsautdansladémonstrationentrelefaitquelemis-en-examenarrêtedélibérémentsontraitementetconsommedestoxiqueset«lavolonté homicide […] délibérément recherchée». Cette interprétation estégalement repérable dans le cas de Monsieur M. pour lequel existe unedistorsion claire entre le diagnostic de l’expert psychiatre et le rapport de lapsychologuequiconclutàdestroublespsychotiques,alorsmêmequelemisenexamenaétéhospitalisépourcausededécompensationpsychotiqueaigue.Dansce contexte, le magistrat instructeur n’a pas demandé d’autre expertise, et nesembledoncpasvouloirs’assurerqu’unepathologieremettantpotentiellementencauselaresponsabilitépénaledumis-en-examennesoitprésente.

Si le nombre d’expertises concluant dans un sens ou dans l’autre est unélément favorisantounon l’applicationde l’article122-1, il reste toutefoisdescassuffisammentcontroverséspourques’exprimentlesdifférentsavisdesjugessur ces questions. Dans les deux cas controversés ci-dessus, qui aboutirontfinalement à une déclaration d’irresponsabilité, la cour d’appel et la cour decassationontrenduunarrêtmobilisantprécisémentdesargumentscontraires.Dans l’affairedeMonsieurD., trèsmédiatiséequi s’est conclueparunnon-lieuprononcé par la chambre de l’instruction, la présidente de la chambre del’instructionprenddespositionscliniquessignificatives,parfaitementcontrairesàcellesdelamagistratedel’affairedeMonsieurB.Surlaquestiondutraitementetdelatoxicomanie,elleexpliquenotamment:

«Attenduque laresponsabilitépénaledeMonsieurD....nesauraitêtrerecherchéeauxmotifs qu’il a lui-même volontairement participé à l’aggravation de sa pathologie enrefusant de se soigner; qu’en effet le déni de la maladie est, selon les experts enpsychiatrie,uneconstantedel’attitudeduschizophrèneparanoïdequiestconvaincudesa «normalité» et qui est persuadé de «l’anormalité» du monde ambiant qui lemenace;qu’ilneseraitdoncluiêtrefaitgriefd’unecomposanteetd’unemanifestationmêmedesapathologie.Que, par ailleurs, ne se considérant pas comme malade, il ne pouvait pas non plusprendreconsciencedelanocivitédelaconsommationdecannabissursonétat.»

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De même, alors que dans le cas de Monsieur B. et de Monsieur M. lesdésaccords entre experts interviennent dans le sens de la responsabilisation,dansl’affairedeMonsieurP.oùlescinqexpertssemblentendésaccord,lacourdecassationvaloriselefaitque:

«que si, au terme de l’information, il subsiste un doute sur ce point, ce doute doitprofiteràl’auteurdesfaits,quidoitdoncêtredéclaréirresponsablepénalement».

On voit donc, sur un point technique tel que le fait de savoir si laconsommationdeproduitstoxiquesdoitêtreinterprétéeàchargeouàdéchargede lapersonne inculpée, comment les jugesd’instructionpeuvent sélectionner,danslesexpertisescontradictoiresqu’ilsontàdisposition,desinformationsquiviendrontplutôtsoutenirlaresponsabilitéoul’irresponsabilité.

Avec l’accroissement du recours à des acteurs technico-scientifiques aumoment de l’instruction, on serait tenté de conclure de façon univoque àl’accroissement du pouvoir exercé par les experts sur la justice ou bien, àl’inverse,àunemanipulationparlajusticedesexpertscommis.Larelationentreexperts psychiatres et magistrats autour de la question de l’irresponsabilitépénaleestenréalitébienpluscomplexe: le jugeabienlapossibilitédechoisirdes experts plutôt favorables ou défavorables au principe d’irresponsabilité,maiscettedimensionestrelativementsecondairedansl’arbitragedesmagistratslesplusrécemment installés.Unbonexpertn’estainsipasunexpertenfaveuroudéfaveurduprinciped’irresponsabilité,maisunexpertquisauraargumentersonavisde façonclaireet fondéeet le rendredansdes temps raisonnables. Sil’opinion de l’expert à l’égard du principe d’irresponsabilité pénale n’est pasaussi insaisissable et insignifiante que certains magistrats l’affirment, elledemeure toutefois toujours secondaire par rapport à ces considérationspratiques. Les magistrats sont généralement plutôt réservés à propos duprinciped’irresponsabilité,ausujetduquelilsestimentpourunelargepartqu’ilsn’ontpasd’opinionàavoir–ils’agitd’unarticleducodepénalquileurimposeuneneutralitéimpartiale89.Mais,commenousallonslevoirdanscettesecondepartie, leur position ressort de la façon qu’ils ont d’interpréter la procédurepénale,c’est-à-diredejustifierleurmanièred’instruirelesdossiersdanslesquelsestposéelaquestiondel’irresponsabilité.

II. Dujeudanslaprocédure

Concernant l’irresponsabilité pénale pour cause de troubles mentaux, laprocédure laisse unemarge demanœuvre auxmagistrats, qui, bien qu’étroite,peutavoirdesconséquencesimportantessurlesortdesjusticiables.

89Il serait ici intéressant de confronter les discours des magistrats à leurs pratiques en étudiant plussystématiquementlesrapportsdesjugesd’instruction,quiparleurtravaildesélectiondesargumentsjugésseloneuxpertinents,laisseraienttransparaîtreleuropinionsurl’irresponsabilité.

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1. Contre-expertiseetrenvoi

Au cours de l’instruction, deux éléments sont laissés à l’interprétation dumagistratenmatière d’irresponsabilité pénale: si le codedeprocédurepénalelaisse entendre qu’une seule expertise psychiatrique suffit pour que soitprononcée l’irresponsabilité pénale 90 , certains magistrats tendent àcommanditerd’officeunecontre-expertise91,lorsqu’unpremierexpertaconcluàl’abolitiondudiscernement.Demême, en casde controversed’experts – si lesconclusionsdedeux expertises sont contradictoires – le codepénal ne précisepas si la décision d’irresponsabilité doit être prise aumoment de l’instruction(avec éventuellement une audience devant la chambre de l’instruction) ou sil’affaire doit nécessairement être jugée en correctionnelle ou en criminelle. Orcespratiques,apparemmentanecdotiques,ontdesconséquencesimportantesetcombinéesenmatièred’irresponsabilité:

1) Face à la tendance d’une partie des experts à plaider en faveur d’uneinterprétation très limitative duprinciped’irresponsabilité (voir chapitre 1 duprésent rapport), la commission d’un contre-expert à la suite d’une premièreexpertise d’abolition du discernement augmente mathématiquement laprobabilitéd’unecontroversed’experts.

2) On remarque par ailleurs que la probabilité pour un justiciable d’êtredéclaré irresponsable diminue à mesure qu’il passe les étapes successives decette chaîne pénale: ainsi, selon un rapport du Sénat de mai 2010, sur 44décisionsd’irresponsabilitéprononcéesentreseptembre2008etjuillet2009,30ontétéprisesaumomentdel’instructionoudevantlachambredel’instruction,13pardestribunauxcorrectionnelset1seulementparunecourd’Assises.

3)Onpeutdoncpenserquelerenvoisystématiquedevantunejuridictiondejugement des affaires dans lesquelles les experts et contre-experts sont endésaccordconduitdoncàunediminutiondunombred’irresponsabilitéspénales.

2. L’inégalitédetraitementdescrimesetdesdélits

L’analysede la jurisprudencede26 cas sur lesquels sepose laquestiondel’irresponsabilitédeleursactes,etdescasquiontétéestimésirresponsablesdeleursactesetde22casquiontétéconsidéréscommerelevantde l’alinéa2del’article 122-1 (altération du discernement ou du contrôle) (voir annexeméthodologique) montre que le recours à l’expertise est très inégal, lorsqu’il

90En revanche, la contre-expertise doit être accomplie par aumoins deux experts (voir article 167-1 ducodedeprocédurepénale).91Cette contre-expertise est «de droit» pour la partie civile. Après la notification des résultats de lapremièreexpertiseàlapartiecivile,celle-cidisposed’undélaidequinzejourspourformulerunedemandedecomplémentd’expertiseoudecontre-expertise(voirarticle167-1ducodedeprocédurepénale)

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s’agitd’uncrimeoud’undélit.Lesconditionsd’accèsàl’irresponsabiliténesontdoncpaslesmêmesdanscesdeuxsituationspénalesdifférentes.

Le tableau 2 présente l’ensemble des affaires disponibles sur le siteLegifrancesurlesquelleslaquestiondel’applicationdel’article122-1alinéa1aété posée. Le nombre d’expertises demandées sur ce type de cas estremarquable: les huit cas dans lesquels les infractions sont des délits et pourlesquelles nous connaissons le nombre d’expertises commanditées, ont faitl’objet d’une unique expertise. Au contraire, pour les crimes, le nombred’expertiseoscilleentredeuxetsix.

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Tableau5JurisprudenceabolitiondudiscernementTableaurécapitulatifdescasétudiésoùlaquestiondel’abolitiondudiscernementestposéelorsd’un

procèsenappeloulorsd’unpourvoiencassationSource:sitewww.legifrance.frLecture:lesnomsmentionnéssontceuxdesarrêtsrenduspublicsparlesite.Sontindiquésengrasles

affairesquiseconcluentàunnonlieu92pourcausedetroublemental,enrougelesrecourscontreunnon-lieu,enbleulesrecoursenfaveurd’uneabolitiondudiscernement.

A l’évidence, lesmagistratsacceptentplusfacilement l’irresponsabilitépourles délits que pour les crimes, sur lesquels un grand nombre d’expertises estcommanditée.Silesexpertisesdecrimesnousétaientdéjàapparuescommeplusdétailléesetplus rigoureusesdans le raisonnement, les juges témoignentde lamêmeattitudedeprécautionqueleursexperts:usantducontrôledelacontre-expertisepours’assurerqu’ilsrendrontunedécisionconformeaupointdevuemajoritairedanslacommunautépsychiatriquequantàlaresponsabilitédeleurmis-en-examen.

Le tableau ci-dessus montre en effet que ce qui semble conduire àl’applicationdel’article122-1alinéa1estlenombred’expertisesallantdanslemême sens. Dans six cas sur huit, le nombre d’expertises concluant àl’irresponsabilitéestmajoritaire(dansdeuxcas,ellessonttoutesconcordantes,dans un cas huit experts sur neuf penchent pour l’abolition). D’une manièregénérale, il faut donc que les expertises concluant à l’irresponsabilité soientmajoritaires pour que l’affaire impliquant un crime puisse se conclure parl’application de l’article 122-1 al. 1. Ce constat est d’ailleurs confirmé par lescontroverses d’experts portant sur la responsabilité dumis-en-examen qui sesont soldées in fine par une responsabilisation plutôt que par unedéresponsabilisationdel’accusé.Dansaucundescasenquestion, l’abolitiondudiscernement n’a été une solutionmajoritairement préconisée par les expertscommisdanscesaffaires.Danslescasdecrimes,lesmagistratssontdoncloinde

92La notion de non-lieu n’est plus présente dans la formulation actuelle de l’article 122-1 alinéa 1 alorsqu’elleétaitcontenuedansl’article64vialavieilleformule«iln’yanicrimenidélit…»remplacéeen1992par «n’est pas pénalement responsable». Néanmoins, lorsque le magistrat instructeur clôt le dossier, ilconcluttoujoursàunnon-lieuparrecoursà l’article122-1ducodepénal. Ilexistedonctoujoursdanslesfaits,mêmes’iln’estpasformulécommeteldanslecodepénal

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se contenter d’une expertise allant dans le sens de l’irresponsabilité, ilsrenforcent leur décision en commettant des contre-expertises. Quand on saitqu’unemajoritédesexpertsd’unecourd’appelontunpointdevuedéfavorableàl’irresponsabilitépourcausedetroublemental,cejeuestbienloindevaloriserceprincipe.

Encadré:Desmanièresdefairedesexpertisesdifférentesenfonctionducontextejudiciaire

Lescontextesderéalisationdesexpertisessontbiendifférentsenmatièrecriminelleetdélictuelle. Ils impliquentdes conditions de réalisation de l’examen et des conséquences bien différentes: le psychiatre commis pour un délitmineurdoitrendresonrapportdanslesjours,voiredanslesheuresquiviennent,dèslorsquedanslescasdecrimesoudedélitsplusimportants,lesexpertsrendentenmoyenneleursconclusionsdansundélaisdetroismois(Pélisse,Protais,Larcher,Charrier,2012).

Tableaurécapitulatifdesexpertisesconcluantàl’irresponsabilité(2007-2014).

Reprenons les expertises concluant à l’application de l’article 122-1 alinéa 1 étudiées auchapitre 1, pour voir si le contexte judiciaire dans lequel est commanditée l’expertise a uneinfluence sur la forme du rapport. Les expertises réalisées par un même expert ont un stylecommun:cellesquisontréaliséespar l’expert1étudiéesdans le tableau1sontplutôtcourtes(5p,4p,4p);sonraisonnementestrapide.Àl’inverse,lesexpertisesréaliséesparl’expert5sontd’unedizainedepages; leraisonnementdel’expertestapprofondi,onyretrouvebeaucoupdedétailscliniqueset l’analysedulienentre lepassageà l’acteet lecrimeestapprofondi.Chaqueexpert a donc son style et sa manière de réaliser des expertises. Certaines expertises fonttoutefoisexception:cellesquisontréaliséesdurantlagardeàvue.Unrapportdecetypeaétéréalisépar l’expertn°5 et ladifférence est frappante: l’expertise est beaucoupplus courte, etbeaucoupmoinsdétaillée.L’instructionlaissethéoriquementàl’expertlapossibilitéde«prendreletemps»pourréalisersamissionetainsiposer«lebondiagnostic»cequiestapriorimoinslecas durant la garde à vue, le temps consacré à l’entretien et à la rédaction du rapport étantconsidérablementrestreint.

D’ailleurs,sioncomparedansnotreéchantillonde12expertises(voirtableau1)concluantàl’article122-1alinéa1,cellesquiconcernentuncrimeetcellesquiserapportentàundélit,unedifférence de traitement des affaires de la part des experts apparaît. La commission d’unhomicidesembleeneffet inviter l’expertàdavantagederigueurdans leraisonnementmédico-légal, qu’un vol. Dans le cas de M. Tipi par exemple ayant volé un sac, l’expertise estparticulièrementcourte:onn’ydécèle,pasderéflexionsurlelienentrelepassageàl’acteetlestroubles,lepsychiatrenequestionnepasl’éventualitédusuivid’untraitementneuroleptiqueaumomentdesfaits,alorsquel’onsaitparailleursqueM.Tipiestsuivienpsychiatrie.Idemdansle

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cas de Madame Solo, mis en cause pour un vol de sac, chez qui l’expert retrouve peu desymptômespsychotiquespositifs.

Laconclusionquis’imposeestcelled’unniveaud’exigencemoinsimportantedanslescasdepetitsdélitsquisontengénéralclosavantl’instruction.Cetyped’infractionestdoncexposéàlagrandelabilitédesinterprétationsetdesorientationsthéoriquesdesexpertsmisesenévidenceprécédemment,bienplusquedans lescrimes,davantageexposésau jeude lacontre-expertise.Dèslors,oubienlemis-en-causetombesurunexpert«trèsdéresponsabilisant»etleschancespourqu’il soitdéclaré irresponsable sontplus importantesqu’enmatière criminelle,oubien iltombe sur un expert d’orientation idéologique opposée, voire, cas le plus fréquent n’est pasexpertisé,etyapeudechancedevoirreconnuesonirresponsabilitééventuelle.

3. Unaccèsdifficileàl’expertiseencorrectionnelle

Néanmoinsilnefaudraitpascroirequelesaffairesdélictuellesseconcluentplus facilement par une déclaration d’irresponsabilité: si les juges semblentaccepterplusaisémentuneirresponsabilité,l’accèsàl’expertiseencettematièreestplusdifficile.Ellen’esteneffetpasobligatoireenmatièrecorrectionnelle,sanécessitéétantlaisséeàdiscrétiondumagistrat.Pourlescasquinebénéficientpasd’uneexpertiseenpremièreinstance,l’accèsàl’irresponsabilitépourcausedetroublementalestrendutrèsdifficile.Onpourraitnéanmoinsenvisagerquelesmagistrats commettent des expertisesdans le casdepersonnesprésentantdes troubles mentaux évidents. Mais Monique Bourcier et Monique de Bonis(1999)montrentqu’ilexisteenréalitéunedistorsionclaireentrelecasméritantuneexpertisepsychiatriquepourlemagistratetpourlepsychiatre.Desurcroît,la rapidité avec laquelle certaines affaires doivent être jugées, tels les cas decomparutionimmédiate,faitqueleprocureurn’aparfoismêmepasletempsdesefaireuneopinionsurlapersonnalitédumisencause.

Notreanalysedelajurisprudencenouspermetd’identifierdessituationsoùseposelaquestiondel’applicationdel’alinéa2del’article122.1(i.e.altérationdudiscernementouducontrôle).Cessituationsfrappentparleurhomogénéité:ilestcomposédansunelargemajoritédecasjugésencorrectionnelleenpremièreinstance, où aucune expertise n’a été demandée, et qui ont bénéficié del’altération du discernement lors du jugement en appel. Dans ces affaires, leprocèsenappelsefaitdanslamajoritédescassurlademandedel’avocatdeladéfense,réclamantunexamenpsychiatriqueconstatantlestroublesmentauxdesonclient.C’estainsiàceseconddegréde lachaînepénalequ’apparaissent lespremièresexpertises.

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Tableau6JurisprudencealtérationdudiscernementTableaurécapitulatifdescasétudiésoùlaquestiondel’altérationdudiscernements’estposéelorsd’un

procèsenappeloulorsd’unpourvoiencassationSource:sitewww.legifrance.fr.Lecture: sont mises en rouge les affaires qui concluent à une aggravation de la peine, en vert les

affairesoùlapeineestdiminuée.

Il existe dans cet échantillon, un certain nombre de cas (5/8 jugés encorrectionnel,soitunemajorité),oùilexisteunedistorsionentrelaprésencedetroublesd’allurepsychotiquedécompensésetlaconclusiondujugequiseportevers la simplealtération sur labased’une seuleetuneuniqueexpertiseallantdans ce sens. Cette distorsion existe également en matière criminelle (nousl’avonsconstatésur lesaffairesétudiéesdans lechapitre1),maiselle s’appuiesur un nombre plus conséquent d’expertises, en général divergentes, sur laquestionde l’irresponsabilité. Enmatière criminelle, la défense adoncplusdepossibilités de soulever la question de l’irresponsabilité pour cause de trouble

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mental devant le juge. À l’inverse, en matière correctionnelle, l’absenced’expertise en première instance ne permet généralement pas de véritablescontroverses d’experts. Durant l’appel, une seule expertise est ordonnée à lademandedel’avocat.Lejugedélibèresurlabasedecetteuniqueexpertise.

Si,enappel,ilsemblepersisterunedistorsionimportanteentrelestroublespsychiatriques et les conclusions de l’expertise, la cour de cassation demandetrèsrarementunecontre-expertise–commel’indiquentlesaffairesétudiéesici.Lacourdecassationtendeneffetàneseprononcerquesurla«forme»d’uneaffaireplutôtquesurle«fond»,enaccordavecsamissionofficielle.L’évaluationdelanécessitéd’unecontre-expertiseoul’évaluationd’uneexpertiseconcluantàl’altérationétantconsidéréecommedesquestionsdefondetnondeforme,cettequestionestdoncexcluedudomainedecompétencedecettecour.Entémoignenotamment l’affaire deM. Raphael X, jugé par la cour d’appel de Versailles en2010,pourmenaces,appelstéléphoniquesmalveillants,destruction,dégradationoudétériorationdebien appartenant à autrui.Dans son cas, l’expert conclut àune altération du discernementmalgré un diagnostic évoquant la présence detroubles psychotiques chez lemis-en-examen. L’avocat demande le pourvoi encassation enmettant en cause l’interprétation que la cour a fait de l’expertise,maislacourdecassationrejettelepourvoidelasorte:

«Attenduque,[…]l’arrêtretientqueleprévenuétaitatteint,aumomentdesfaits,d’untrouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement et entravé lecontrôle de ses actes, sans les abolir;Attenduqu’en l’état de cesmotifs procédant deson appréciation souveraine, la cour d’appel a justifié sa décision;D’où il suit que lemoyen n’est pas fondé;Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme;rejette lepourvoi.»

Lerésultatdeceprocessusestdoncunedévaluationdesdroitsdeladéfenseen correctionnelle. Si le mis-en-examen n’a pas bénéficié d’une expertise enpremière instance ou en seconde instance, l’expertise est réalisée par unprofessionneltenantpeuauprinciped’irresponsabilitépsychiatrique.Cefaisant,lesmargesdecontestationdeladéfensesontréduites,voirenulles,carlejeudelacontre-expertisenepeutalorspasfonctionner.

En définitive, les processus pénaux à l’œuvre dans les crimes et les délitss’avèrent défavorables au principe de l’irresponsabilité pour cause de troublemental,quoiquepourdesraisonsdifférentes.Danslescasdecrimes,lapressionde la partie civile rend globalement les magistrats très précautionneux pourconclureaunon-lieuparrecoursàl’article122-1alinéa1:ilsfontdèslorsjouerla contre-expertisepour renforcer ladécision. Les experts ayantune approcherestrictivedel’irresponsabilitépourcausedetroublementalétantmajoritairessurunecourd’appel,cettestratégiedéfavorisecettesolutionpénale.Danslescasde délits, les juges témoignent de moins de précautions pour prendre leursdécisions, mais l’accès réduit à l’expertise, tout comme les conditions deréalisation des examens dans le courant de la garde à vue nuisent à l’activité

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diagnostiqueetexposentlesdélitsàlagrandelabilitéd’appréciationdesexpertset des juges décidant de l’opportunité de l’expertise. Qui plus est, l’accès plusdifficile à l’examen psychiatrique en correctionnel laisse des possibilités derecoursbeaucoupmoinsimportantesàl’avocatdeladéfensefaceàunexpertquirendraitunavisresponsabilisantalorsquelemisencauseprésentedestroublespsychiatriquesgraves.

4. L’altérationdudiscernement,unecirconstanceaggravante?

Autermedecetteanalysedesprocédures,quediredeseffetsdel’altérationdu discernement suspectés, par de nombreux commentateurs (journalistes,sociologues, juristes ou psychiatres), d’entraîner une aggravation de la peineprononcée?

Dansl’échantillondecasétudiésprésentantunealtérationdudiscernementaux yeux des juges, la cour de cassation a pris le soin de réaffirmer plusieurschoses: d’une part que l’altération du discernement conduisant, à un niveaujuridique, à l’appréciationd’une responsabilitéatténuéechez lemis-en-examen,n’entraînepasunediminutiondepeinesystématique–laloide2014amodifiécepoint93.Cetargumentestrégulièrementmobilisépour justifier le faitqu’ellenecassepasunedécisiond’altérationdudiscernementconduisantàunepeinelourde. C’est également pour cette raison que la cour de cassation affirme(l’argumentestretrouvédanslesdécisionsétudiées)quecettequestionnedoitpasêtresystématiquementposéeparleprésidentdesassisesauxjurés.Lacourdecassationréaffirmedoncsavolontédelaisser les juges,statuantsurlefond,souverainspourappréhendercettequestion.

Que se passe-t-il du côté des juges du siège de première et de secondeinstance? Nous avons récolté trop peu de cas pour tirer des conclusions,néanmoins, sur troiscas,une fois l’altérationaconduitàuneatténuationde lapeineet lesdeuxautresfoisàuneaggravation.Dansdescasdecrimes,commepourM.M.quiaétécondamnéà30ansderéclusioncriminellepourassassinat,latendancenesemblepasêtreàladiminutiondepeine.

Toutefois semblent se dessiner des pratiques contrastées, selon lesmagistrats, selon les cas, voire selon la dangerosité présumée de certainscriminels.Les23entretiensdejugesd’instructionréalisésnouspermettenticide

93Jusqu’à la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité dessanctions, la juridiction de jugement était libre de définir le régime de la peine, en fonction de cettecirconstance. Cette loi a consacré le principe d’atténuation de la peine prononcée en cas d’altération dudiscernement.Lemaximumlégalestdésormaisréduitd’untiersenmatièrecorrectionneletencasdecrimepuni de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à perpétuité, ramenée à trente années. Lesexceptionssontpossibles,maisdoiventêtremotivées.Iln’existeàcejourpasd’évaluationdecettenouvelledisposition.

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distinguer deux manières d’interpréter la procédure, lesquelles s’articulent àdeux positions très différentes sur les relations que devraient avoir justice etpsychiatrie.Si certainsmagistratsmanifestentunecertaineconfianceenvers lapsychiatrie, qui aura la charge des personnes irresponsabilisées, les autresentourent au contraire la déclaration d’irresponsabilité de précautionsspécifiquescarellesoulève,seloneux,unenjeumajeurdesécuritépublique.

III. Regardsdejugesd’instructionsurl’irresponsabilitépénale

1. L’irresponsabilitépénale:undomaineréservédelapsychiatrie

Pour une bonne moitié des magistrats interrogés (environ 13 sur 23), ladécision d’irresponsabilité ne nécessite pas systématiquement de contre-expertise,etdoitêtrepriseaumomentde l’instruction.Lesargumentsavancéspar ces magistrats pour justifier des pratiques plutôt favorables au principed’irresponsabilité témoignent d’une volonté de résister à une demande desécuritéjugéeexcessiveàl’égarddelajusticemaiségalementdes’opposeràlatendance contemporaine à l’incarcération des personnes présentant de gravestroublespsychiatriques.

Àchacunsonmétier:assumersesresponsabilitéssansempiétersurcellesdesautres

Le juged’instruction est, pardéfinition, chargéd’instruireune affaire et deconstituerundossiercompletqu’ilpourrarenvoyerdevantunecourde justiceou conclure par une ordonnance d’irresponsabilité. Quelques magistratsconsidèrent par conséquent que le devenir des dossiers instruits – et despersonnesconcernées–nerelèveplusdeleurresponsabilité:

Non,nonpuisqu’ondit…Non,puisqu’onpartduprincipequ’ilestirresponsable,donconpeutpas lui imputerune infraction,qu’ilne relèvepasd’unesanction, il relèvepasdupénal, s’il relève du médical, chacun son boulot. S’il relève que du médical, il faut lesoigner. Après,moi ça fait partie…C’est la conséquencede ce grandprincipe dudroitpénalgénéral,que l’intentioncriminellec’estunélémentconstitutifde l’infraction. (…)Donc, il faut que la personne qui commette l’infraction, elle ait une volonté libre decommettre cette infraction, qu’elle ait été lucide, qu’elle ait une espèce d’intelligencelucidedecommettrel’infraction.»EtienneWinter,30-40ans,3ansd’expérience(entretien2008)

Le juge d’instruction a donc pour mission exclusive d’instruire l’affaire enl’état actuel du droit et doit donc appliquer le principe d’irresponsabilité s’ilconstitue la réponse la plus juste. Si cela ne relève pas de samission, le juged’instruction n’a en outre pas la possibilité matérielle de vérifiersystématiquementcequedeviennentlespersonnesmisesenexamen:

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«Moi, le jour où je rends une ordonnance de non-lieu parce que la personne estirresponsable, on s’arrange évidemment avec la préfecture, le bureau de la santémentalepourqueçacorrespondeàunarrêtéd’hospitalisationd’office,etc’estfini,pourmoi,après.J’allaisdirec’estlejeudesinstitutionsetdelalégislation,ilestirresponsable,ilestirresponsable.Aprèsqu’ilreste15joursou15ansdansunhôpital,quelquesoitlastructuredel’hôpital,çanerelèveplusdemacompétence.(…)Etpourtoutvousdire,onn’est pas au courant (de ce que deviennent les justiciables). Etmême, pour tout vousdire,jenesuispasaucourantdesdécisionsquisontrenduessurmesdossiers,devantlaCourd’Assisesouletribunalcorrectionnel.Si,laCourd’Assises,jesaisparceque,quandjesaisquemesdossierspassentdevantlaCourd’Assises,jevaistoujoursjeterunpetitcoupd’œil,mais sinononne sait pas ce que ça devient.Ou alors les avocats viennentvousledire,oulapersonne,quiétaitauParquet,nousinformedurésultat.»MathieuHaber,40-50ans,10ansd’expérience(entretien2008)

Pour ces deux magistrats, un travail bien fait consiste à «bien remplir samission». Si leur propos paraît tautologique, il traduit en réalité une certainerésistance à l’air du temps: se contenter de bien faire son travail est difficile,lorsque le juge est soumis à une pression sociale qui l’invite à prendre enconsidérationlaquestiondelasécuritépublique.

Résisteràlatendancesécuritaire

Face à une demande croissante de responsabilisation, le juge d’instructiondoitparfoissefaireledéfenseurdelalettredelaloi.

«Parcequ’onsentunecertainepressiondelavictimeautourdelajusticequoi?-C’estlemoinsqu’onpuissedire...-Doncjemedemandesic’estpasunpeuinconfortablequandonestfaceàuncrime?-Alorsça,c’estonnepeutplusinconfortable,parcequ’ilyapasquelespartiesciviles,y’alesavocats,y’atoutlemonde,c’estinfernal,maisc’estlecadrejuridique,c’estcommeça...Non, jepensequ’il fautessayerdegarderunecertaineobjectivité.Peut-êtrequ’onprendraplusdeprécautionssurlaqualitédel’expertqu’onvanommer,sionadesfaitstrèsgraves,évidemment...Maisceciétant,sionnousditsurdesfaitspastrèsgravesoutrès graves qu’il y a un 122.1, de toutes façons, ça se conclut sur une déclarationd’irresponsabilité!»DidierEmery,40-50ans,5ansd’expérience

Pour Didier Emery, le «principe d’irresponsabilité» constitue la base dudroitpénal.Ilestimeainsiquefaceàdesexpertisesconcluantmajoritairementàl’abolitiondudiscernement,lejuged’instructionnedoitpas«botterentouche»,c’est-à-direrenvoyerl’affaire,maisassumerladécisiond’irresponsabilité,mêmesiellesoulèvelacolèredespartiesciviles.VéroniqueNobleestimeelleaussiquela décisiond’user de l’article 122.1 alinéa1 relèvedes responsabilités du juged’instruction:

«Alorsc’estvraiqu’ilyaunecertainetendancechez lesmagistratsde l’instruction: letribunal, la cour d’assises se débrouillera. Le mec est dangereux, je ne prends pas laresponsabilité de le sortir de détention provisoire et le tribunal tranchera. C’est ça lepassage à la dangerosité. C’est une tendance globale à se décharger de sa propreresponsabilité. Mais on est une juridiction, c’est pas normal. La question de laresponsabilitéc’estànousdelatrancher.Aprèsilfautsuivrecequisepasse,moiquand

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j’aiuncasd’irresponsabilitéjemobilised’embléelepréfet,jel’appelleunefois,deuxfois,troisfois,parfoisc’estpasfacile,mais jem’assurequ’ilsoitbieninterné.Aprèsc’estausecteurdes’enoccuper.(…)Làjecroisquec’est‘chacunsonboulot’.C’estcommelaloipourlarétentiondesûretémaintenantceseraaumagistratdedéciderdel’internementetdesasortie.Nonmaislàc’estunehonte!Ilfautpastoutmélanger.Maislescollèguesilsontpeurque ça leur retombedessus si lemec ressort etqu’il arriveun trucgrave.Maisilfautprendresesresponsabilités»VéroniqueNoble,40-50ans,12ansd’expérience(entretien2008)

Commeelle,VéroniqueGrangé considèrequemêmedans les cas lesmoinsévidents, dans lesquels les expertises sont contradictoires, c’est au juged’instruction de trancher la question de la responsabilité. Un renvoi devant lacourd’Assisesseraitmême,selonMathieuHaber,unepratiquepeuresponsable:

«Età l’inverse,pourpasmalconnaître laCourd’Assises, jevoispaspourquoi je feraispeserlaresponsabilitéd’arbitrerà12personnes,dont9citoyensquin’yconnaissentpasforcémentgrand-chose.Ilyaunexpertquivaleurdireblanc,ilyaunexpertquivaleurdirenoir,çavapeut-êtredépendredelacapacitédel’expertàdéfendresonpointdevue.Vulesconséquencesquandmême,parcequesionditblanc,ilestacquitté,sionditnoir,nonseulementiln’estpasacquittémaisilrisquedes’enprendreplusparcequ’ilvaêtrejugédangereux.Non,àcemoment-là,onprendletempsd’avoirunetroisièmeexpertise.Engénérald’ailleurs,toutlemondeestd’accordpourqu’ilyenaitunetroisième.Aprèslaquestion…Là,engénéral,jeprendsunecollégialité(i.e.deuxexperts).»MathieuHaber,40-50ans,10ansd’expérience(entretien2008)

MathieuHaberestimequelejuged’instructionseraplusàmêmedeprendreunedécisionplusjustequ’unjuryd’assisesconcernantlaresponsabilité.Ilprendparailleursenconsidérationlerisque–voirel’injustice–devoirunepersonnecondamnée à une peine plus lourde en raison du caractère supposémentdangereux de ses troubles psychiatriques. Il justifie donc sa pratique par lavolontédenepaslaisserlajusticeinstrumentaliséepardesconsidérationsextra-juridiques.OdileCiarabelliestimeainsiquelajusticedoitrésisterauxdemandesexogènes:

«Quand on est victime et partie civile, on a évidemment des droits et le droit d’êtrerespecté par la justice pénale et d’être pris en compte par la justice pénale. Mais laprocédurepénaleetlejugement,mêmesionsaitbienqueçaauneimportancepourlesvictimes de faits graves, je suis évidemment consciente de ça, néanmoins ce fait-là, laprocédurepénalen’estpasunmodethérapeutiquedetravaildedeuilpourlesvictimes.Et, il ne me semble pas non plus, que le jugement puisse représenter… A partir dumomentoùonaundiagnosticd’irresponsabilitépénale,(…)ilnemesemblepasquelejugementpuissefairepartied’unprocessusdesoinoud’unprocessusthérapeutique.Ilme semble qu’il faut que les champs soient distincts. En tout cas dans ma pratiquepersonnelle,ilmesemblequeleschosesrelèventdechampsdistinctsetquelaconfusiondeschampsentraîneuneconfusiondesrôlesnéfasteetquipeutêtregrave.»OdileCiarabelli,40-50ans,8ansd’expérience(entretien2008)

PourOdile Ciarabelli, la justice laisse uneplace croissante aux victimes, ouplus exactement à l’idée qu’il faut nécessairement juger voire punir unresponsablepouraiderlesvictimesàtournerlapage.Lesmagistratsrencontrésen2014-2015etprochesdecettepositionconsidèrentd’ailleursquelaréforme

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de l’irresponsabilitépénale en2008et lapossibilité introduitepar la loid’uneaudiencedevantlachambredel’instructionvadanslemauvaissens:

«La saisine de la chambre de l’instruction, ça s’inscrit dans l’histoire du ‘ouais maisquandmême il est coupable et ça va faire du bien aux victimes’. Donc si le procureurdemande,jen’aipaslechoix.Pareilpourlapartiecivile.Moijedistoujoursauxvictimeset notamment aux victimes de crimes de sang, quand la personne est complètementdéglinguée,quandjenotifielesexpertises,jeleurdis,vouspouvezdemandez...maismoije pense que c’est pas une bonne solution... parce que c’est terrible, les gens ilscomparaissent, alors certes y’a unedécision judiciaire qui leur dit ‘oui, il est coupabledesfaits’.Trèsbienmaisilslesavent,c’estreconnu!122.1c’estpasunereconnaissancedenon-culpabilité,enfinsi,maisçaveutpasdirequ’ilapasfait lesfaits!Doncc’estceque je leur dis... il a commis ces faits là,mais il était pas en pleine possession de sesmoyens,etilvadélireràl’audience...»DidierEmery,40-50ans,5ansd’expérience

Ils’agitpourlejuged’instructionderésisteràlatentationd’interpréterlaloidans un sens sécuritaire pour éviter de mettre sa propre responsabilitéprofessionnelleencause.

Untravailpédagogiqueautourdel’irresponsabilitépénale

Lucas Petiot tente lui aussi d’éviter que les parties civiles ne demandentsystématiquementuneaudiencedevantlachambredel’instruction.Ilconsidèreen effet que le juge d’instruction a le devoir de faire un travail pédagogiqueauprèsdespartiesciviles:

«Moi je reçois les gens, je leur dis très franchement... Voilà, ça va vous semblerdégueulasse,maisc’estcommeça,ilatuéunprocheàvous,voustrouvezçascandaleux,vous avez sûrement enviede lui faire lapeau...Mais commen’importequi... qui seraitconcernéparlamortviolented’unproche,c’estsijel’aisouslamain,jel’étripe,bonbenjugeoupasjuge,onatouslamêmeréaction,c’esthumain.Aprèsonréfléchit,lajusticeafaitsonjob,maisçavapasalleraubout...Vousvousdites,c’estinjuste,maisbon,voilà,c’estlaloi…»LucasPetiot,30-40ans,4ansd’expérience

Demême,OdileCiarabelliconsidèreque le juged’instructiondoitexpliquerlaprocédureauxpartiescivilesdansunobjectifdepacificationsociale.Pourelle,l’irresponsabilitépénalen’estpasseulementuneréponselégale,maiségalementuneréponsequipeutêtrepluslégitime:

«Finalement l’irresponsabilité ou la pathologie psychiatrique est aussi une réponseparfois plus acceptable, en tout cas plus compréhensible, à un acte particulièrementbarbare,sionpeutliercetactebarbareàl’étiquette–jevaisparlerrapidement–maisdefolie,çaaquelquechosed’aumoinsacceptablepartous.»OdileCiarabelli,40-50ans,8ansd’expérience(entretien2008)

Selon ces magistrats, l’irresponsabilité pénale doit donc faire l’objet d’untravailpédagogiqueparticulierafindedéconstruirelatentationdelavengeanceet expliquer qu’une décision d’irresponsabilité peut être plus juste qu’unecondamnation pénale. L’argument prend ici un tour moral: ces magistrats

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considèrentquelaplacedesinfracteursprésentantdegravestroublesmentauxn’estpasenprison.

Éviterl’incarcérationdesplusmalades

Ladéfenseduprinciped’irresponsabilitéviseaussiàéviterl’incarcérationdepersonnes dont l’état se révélera incompatible avec la prison. Ainsi BéatriceDupuisdéfinitd’embléeleprincipedel’irresponsabilitépénale,auquelellesedit«attachée» comme «le dernier garde-fou pour éviter qu’on incarcère lesmaladesmentaux».

Plusieursmagistrats regrettentdevoirdiminuer lenombrededéclarationsd’irresponsabilitéetaugmenter,enrevanche, lerecoursà lanotiond’altérationdu discernement qui conduit à l’incarcération de personnes présentantd’importants troubles mentaux. Ainsi Julie Manoukian reconnaît la nécessitéd’enfermer les personnesmalades les plus dangereuses,mais estime que leurplacenepeut être enprison.DemêmeVéroniqueGrangéestimequepour cespersonnes«entredeux»concernéesparl’altérationdudiscernement,laprisonn’estpasune«solutionsatisfaisante».Eneffet,elleconsidèrecommeVéroniqueNoblequelaprisonneconstituepasunenvironnementadaptéàdespersonnesprésentantdegravestroublespsychiatriques:

«Moimonboulotc’estdem’assurerquesiletypeestfouilnecroupissepasenprison.Nonmaisjevousjureparcequecestypeslàc’estingérableenprison.Lesparanoïaquespar exemple, ils sont insupportables avec les surveillants, très souvent il leur fautunecelluleindividuelle.J’enaiunencemomentàlaSantéilsn’enpeuventplus!Non,aprèsc’estleboulotdusecteur.»VéroniqueNoble,40-50ans,12ansd’expérience

Ces magistrats n’ignorent pas le reproche souvent fait à l’encontre de lapsychiatrie publique, qui n’aurait, selon l’opinion commune, plus les moyensd’accueillir lespersonnes reconnues irresponsablespénalement.Cependant, ilsestimentquecettesituationnesauraitconduireàdesincarcérationspardéfaut.

En revanche pour avoir été juge d’application des peines à XX, la psychiatrie aénormément demal à prendre en charge, en termes d’hospitalisation d’office etc., lespersonnes qui souffrent de pathologies mentales... Et donc, il y a quand même unnombre de cas psychiatriques qui sont en détention, en dehors de toute caused’irresponsabilité, en général! Mais un certain nombre de ces personnes n’ont rien àfaireenprison.Ellesdevraientêtreprisesenchargedanslecadred’unaménagementdepeineenpsychiatrie,mais, iln’yapasd’aménagementdepeineenpsychiatrie,ouàdetrèsrarescas.BéatriceDupuis,40-50ans,4ansd’expérience

Comme Béatrice Dupuis, Catherine Mineaud estime que l’enfermementcarcéralpeutaggraverlessituationspsychiatriques,etestimequelapsychiatriedevrait avoir plus demoyens pour accueillir les personnes qui n’ont pas leurplace enprison.Elle jugequ’il serait nécessaired’augmenter les ressources enamont, pour améliorer le travail de prévention et anticiper la dégradation des

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troublespsychiatriquesquipeut amener certainespersonnesà commettredesinfractionspénales:

«Jepenseque l’hôpitaln’estpasà lahauteur, il peutpas! Il fautdeshôpitauxunpeuplusencadrés,qu’ilyaitplusdelieuxdanslesquelsilyadelapsychiatrie,plusdetravailqui soit fait en amont. […]. Je vois, dans cette affaire Y (un homme poursuivi pourviolencessurautruidanslarue),lamère,elleavaittoutdesuitevuqu’ilrentraitdansunephasedifficile.Elleavaittéléphoné:‘prenez-le,gardez-le’.ElleavaittéléphonéauCMPP:‘maisgardez-le’,‘ahmais,non,Madame,c’estpaspossible!’.»CatherineMineaud,50-60ans,15ansd’expérience(entretien2008)

Néanmoins, si les ressourcesde la psychiatrie sont jugées insuffisantesparcesmagistrats, ils tendent à faire confiance auxpsychiatresqui «font cequ’ilspeuvent, comme nous» (Carole Fragonard). Ainsi, Odile Ciarabelli revient surune affaire qui l’a inquiétée: une femme déclarée irresponsable après unetentative d’homicide sur ses enfants a été hospitalisée, mais la magistrateapprendunanplustardquelafemmeestsortiedel’hôpital.Ellecommencepars’en inquiéter,avantdeserappelerque la logique judiciairen’estpas lamêmequelalogiquemédicale:

«Enessayantderaisonneretaussienlienaveccequejevousaidit,sionestdansdeschamps, si on considère le champ pénal avec les réponses, et la réponse était‘irresponsabilitépourcausedemaladie’.Après,onrentredans lechamppsychiatriqueavecunpsychiatrequidit: ‘cettedameaévolué,ellen’aplusbesoindesoinenmilieuhospitalier ferméet elle peut être suivie en ambulatoire’, c’est évidemmentpas l’arrêtdessoins,maisellepeutêtresuivieselond’autresmodalités,aprèsenraisonnant,jemesuisdit:ducoup,moij’aipasd’avis,enfinjen’aipasàavoird’avislà-dessus.»OdileCiarabelli,40-50ans,8ansd’expérience(entretien2008)

Odile Ciarabelli est d’accord avec Mathias Haber pour considérer que laréponsepénalenepourraitconstitueruneréponsealternativesatisfaisante:

«Oui, mais au nom de quoi, le fait qu’il reste dans l’institution judiciaire va mieuxprotégerlasociétéques’ilvadansl’institutionhospitalière?Siaprès,ilyaunproblèmedans l’institution hospitalière, oui, pourquoi pas en discuter, mais ça relève du débatcitoyen,çarelèvedulégislateur.Jevoispaspourquoi,cetteprétentionqu’onaurait,nous,àmieuxprotégerlesindividus.Quandonvoitl’étatdesgensquisortentdeprison,jen’aipasvraimentl’impressionqu’onaitdesleçonsàdonnerenmatièrederécidive.»MathieuHaber,40-50ans,10ansd’expérience

Pourcesmagistrats,ilestdoncnécessairedemaintenirunedistinctionforteentrelavoiepénaleetlavoiemédicale,quidoitcependantêtremieuxdotéepourpouvoiraccueillirdefaçonsatisfaisantelespersonnesdéclaréesirresponsables.

2. L’irresponsabilitépénale:unenjeudesécuritépublique

À l’inverse, lesmagistrats dont les pratiques semblent plutôt contribuer àdiminuer la probabilité de voir déclarée l’irresponsabilité considèrent que ceprincipedudroitpénal soulèveaujourd’huiunenjeudesécuritépublique: cesjuges d’instruction témoignent d’une méfiance importante à l’égard de

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l’institutionpsychiatriqueetdesacapacitéàprotégerlasociété.Ilsplaidentpourune meilleure surveillance des auteurs d’infractions présentant des troublesmentauxetunecertaine«dangerosité».

Faibleconfianceenverslapsychiatrie

Alors que les magistrats militant en faveur du principe d’irresponsabilitéestimaientqu’ilfallaitfaireconfianceàlapsychiatrie,tenuepourresponsabledusort des personnes concernées par l’article 122.1 alinéa 1, ces magistratsinsistent au contraire sur les lacunes du système de prise en chargepsychiatrique. Celles-là sont la conséquence d’une politique dedésinstitutionnalisation à marche forcée, qui aurait privé les hôpitaux de leurcapacité à prendre en charge les patients les plus dangereux et les plusprécaires:

«Bençadépend...enHPilfiniraaussiparsortir...parcequedanslesannées70quandilsont commencé à fermer des trucs... aujourd’hui dans les prisons, y’a des mecs quirelèventdelapsychiatrie,soyonsclairshein!(…)Etc’estpasétonnant,enfermanttouslesservicesdechroniques...etpuis lespsychiatres ilsveulentpastropsemouiller...Leparapluie il est bien ouvert quoi... Donc vous les gardez plus ces mecs qui sontdangereux... On a fait ce choix financier... on a fermé les lits depsychiatrie, c’était unepolitiquedecourtterme,çaamissurletapisdesgarsqu’onmetendétention.Enplusjesuis pas sûre qu’ils aient leur place... dans un établissement pénitentiaire... Etinversement, je trouve que les détenus de droit commun qui sont pas forcément trèsmalins, qui ont peut être un pois chiche dans la tête mais qui sont pas maladespsychologiquement ni psychiatriquement parlant... Ben qu’ils aient à supporter... Vousallezvousbaladerdanslarue,y’adestypesagressifs,maisceuxlàavantilsétaientdansleschroniques.Ehbenc’estqu’ilssontpastoutàfaitdangereuxs’ilssontprisencharge,soignés,s’ilsontdequoimanger,maiss’ilssontsouslesponts...Voilà,c’esttout...»ValérieLemaitre,50-60ans,5ansd’expérience

L’ouverture de l’hôpital psychiatrique aurait ainsi contribué à relâcher lesmailles du filet de l’asile, qui permettait de maintenir sous surveillance desindividus à la frontière de la maladie psychiatrique et du comportementtransgressif.Lestransformationsdelapsychiatriecontribueraientainsiàposerlaquestiondusortdesjusticiablesdangereux.Cesmagistratsestimentdefaçonunanimequela«psychiatrielaisseressortirlesgenstropvite»(OlivierCreil):

«Parce que vous avez l’impression qu’on ressort plus facilement de l’hôpitalpsychiatrique?-Ahbahc’estpasjusteuneimpression!- Votre expériencede JLD (jugedes libertés et de ladétention), elle vous a apprisdeschoseslàdessus?-NonpasdeJLD...c’estplusauparquet,parcequetrèssouventcommejevousledisais,des gardes à vues étaient levées parce qu’il était incompatible ou partiellementincompatibleeuh...etducoup,onsedisait,dèsqu’ilsort,parcequeparfoisy’avaitunecertainedangerosité, ouun risquedepassage à l’acte à nouveau, on se disait bondèsqu’ilsortonvaessayerdemaintenirlelienavecl’hôpitalpoursavoirquandlapersonneallaitsortir,ilétaittrèsrarequelesmédecinsnouspréviennent,engénéral,onl’apprendplusieursjoursaprès,leserviceenquêteuretleparquet,etonapprenaitquelapersonne

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étaitressortiequandilyavaiteudenouveauxfaitsquoi...alorsqu’oninsistaitsurlefaitdenousprévenir,pourqu’on fasseunereprisedegardeàvue,qu’onessaiede le faireéventuellement expertiser, présenter à un juge d’instruction pour avoir une expertisepluscomplète,etc’étaittrèsrarequ’onsoitinformé,parcequecommejevousdisais,s’ilyaun troubledemanièreponctuelle,quand ilssont traités, les troublesdisparaissent,doncy’aplusderaisonsdelesmaintenirenhospitalisations’ilsontplusdetroubles…»GenevièveBlériot,40-50ans,4ansd’expérience

Comme pour Geneviève Blériot, c’est souvent l’expérience demagistrat duparquetquidonneauxjugeslesentimentd’unepsychiatrietropouverte,quinepeutplusassurerlaprotectiondelasociété.Ainsi,LucieMarignan,quivientdeprendre des fonctions de juge d’instruction après plusieurs années passées auparquet, expliquequ’elleavudenombreuxpatientsdepsychiatrie condamnésrégulièrementpourdepetitsdélitsencomparutionimmédiate.Sielleestimequela prison n’est pas la meilleure des solutions, elle pense en revanche que laporositédesmursdel’hôpitalpsychiatriquenepeutêtred’ungrandsecoursfaceaux malades mentaux dangereux. Certains magistrats, comme Solange Archetconsidèrent en outre qu’on prête trop de pouvoir à la psychiatrie qui peine àapporter une réponse satisfaisante à certaines pathologies. Pour elle, lapsychiatrie«enestàsesbalbutiements»,ellene«saitpastraiterlafolie»etasimplementremplacéla«camisoledeforceparunecamisolechimique».

Cesmagistratsontdoncundiscourscritiqueà l’égardde lapriseenchargepsychiatrique et semblent réticents à l’idée de confier le sort des justiciables,qu’ilsestimentdangereux,àunemédecinedontilsnereconnaissentpastoujourslescompétences.

Pourunejusticeplusattentiveauxvictimes

Cette inquiétudefaceaux limitesde lapsychiatrietémoignedusoucidecesmagistrats de s’assurer que les justiciables les plus dangereux sont mis horsd’état de nuire. Elle rejoint donc une préoccupation pour les victimespotentiellesquis’inscritdansunelogiquedepréventiondesrisquesderécidive.Contrairementauxmagistratsplusfavorablesauprinciped’irresponsabilité,cesjuges considèrent en somme que leur mission ne s’arrête pas au moment deboucler l’instruction d’une affaire, mais doit également anticiper l’avenir, defaçonàpallierauxdysfonctionnementsdelapsychiatrie.

«Etlenombredepersonnesquisontlimites–limitesetquisontabsolumentpasprisencharge.Etonlesvoitparceque,malheureusement,onlesvoitetonlesvoitetonlesvoit.Etonlesvoitsombrerquoi,avecdesactesdeplusenplusgraves,desactesdeplusenplusviolents,alorsautantpoureuxquepourlesautres.Etonvoitquelapsychiatrienefaitrien.-Etdans cesmoments-là, vous vous sentez vraimentune responsabilitépar rapportà lavictime?-Benoui,biensûr,auxvictimes,à lasociété,vousvousdites: jeremetsdans laviedetoutàchacunundangerpublicquipeutà toutmomenttuerquelqu’un.Etonestaussicitoyen,onadesenfants,onadesparents,onades frères,onadessœurset ilyaun

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momentoùonsedit:maissic’estmongaminoumonfrèreoumasœuroumesparentsquitombentsuruntypecommeça,maisattendez.-Est-ceque,danscecas-là,lanaturedel’actecompte?- Bien sûr, bien sûr. Si c’est quelqu’un qui, par exemple, ne commet que des actesd’atteinteauxbiens,maisc’estquandçadevientdesatteintesauxpersonnes.Benoui,ilyaquandmêmeuneéchelle.Uneatteinteauxbiens,onsedit:bon, il fautquandmêmequ’il comprenne, qu’il soit sanctionné, mais ça n’est qu’une atteinte aux biens. Il y aquandmêmeuneéchelle.Enrevanche,quandçadevientdesatteintesauxpersonnesdeplus en plus violentes, de plus en plus graves, on se dit: il faut que ça s’arrête. Parcequ’une atteinte aux biens est toujours réparable, une atteinte aux personnes c’estimpossible.»AudeKersauson,40-50ans,10ansd’expérience

Faceauxéchecsdelapsychiatrie,lajusticenepeutpassecontenterdejugermaisdoit,selonAudeKersauson,sepréoccuperdusortdesjusticiablesunefoisle jugement rendu. Comme elle, Valérie Lemaitre explique clairement qu’elleprend en considération la «dangerosité sociale» des personnes mises enexamen,qu’ellepréférerarenvoyerdevantunecourdejustice«neserait-cequepourlesvictimes».Ladangerositéestdéterminantepourcesmagistrats:

«Alorsforcément,plusc’estgrave,plusonvas’entourerdeprécaution,c’estcequifaitd’ailleursqu’ilyatrèspeude122.1pourlesfaitslesplusgraves,c’estque...encherchantbienontrouvetoujoursunexpertquivadirequ’ilyapeut-êtreunpeuderesponsabilité,alorsquesic’étaitmoinsgraveonauraitditbenok,ilestirresponsable.Mais...doncoui,plusc’estgrave,plusonvachercherlaresponsabilité.»OlivierCreil,30-40ans,2ansd’expérience

Pourcesmagistrats,l’irresponsabilitépénaleestperçuecommeunedécisionpénalequinerépondpasauxattentesdespartiesciviles.Ilsestimentd’ailleursque lesdernièresévolutions législativesontpermisd’améliorer lasituation,endonnant aux parties civiles une plus grande place dans la procédure dereconnaissancedel’irresponsabilité:laloidu25février2008donneeneffetàlapartiecivilelapossibilitédedemanderuneaudiencepubliqueetcontradictoiredevant la chambre de l’instruction, au cours de laquelle la personne mise enexamenpeutêtreinterrogée,lestémoinsetlesexpertsentendus,etundébatsurlamatérialitédesfaitscommisorganisé.Lapartiecivilepeutenoutredemanderlerenvoidel’affairedevantletribunalcorrectionnelpourqu’ilseprononcesurlaresponsabilitéciviledelapersonneetstatuesurlesdemandesdedommageset intérêts 94 . Malgré ces modifications du code de procédure pénale quipermettent selon eux demieux accueillir les parties civiles, cesmagistrats ont

94Cette loi ne constitue cependant pas une rupture avec la procédure habituelle. Elle est en réalité lerésultatdeplusieursréformessuccessives:dès1995(article199-1ducodedeprocédurepénale),lapartiecivilepeutdemanderunexamendelachambredel’instructionlorsd’uneséancepublique;àpartirde2000(article 349-1 du code de procédure pénale), l’examen de l’irresponsabilité est distinct de celui del’imputabilité;en2004(article177ducodedeprocédurepénale),lajusticedoitpréciserdanslecasd’uneordonnance de non-lieu s’il existe des charges suffisantes établissant que la personnemise en examen abiencommislesfaitsreprochés.(Sénat,2010).

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cependant tendance à considérer que la déclaration d’irresponsabilité pénalen’estpaslameilleuresolutionpourprotégerlasociétédesplus«dangereux».

Neutraliserlesplus«dangereux»

La question de la dangerosité, qui semblait secondaire pour lesmagistratsfavorablesauprinciped’irresponsabilitéestaucontrairecentralepourcesecondgroupe:c’est justementcettepréoccupationpour ladangerositéquiamènecesjugesàtrouverl’irresponsabilitépénaleproblématique.

Garderlespersonnesreconnuesirresponsablessousmaindejustice

Celanesignifiepasquecesmagistratsexcluentcomplétement lapossibilitéderendreuneordonnanced’irresponsabilitépénale.Néanmoins,ilss’assureront,danslecasoùlejusticiableconcernéprésenteunrisqueparticulierderécidive,quelapsychiatrieabienprisenconsidérationcettedangerosité:

«Etpuisceuxquiontdéjàdesantécédentsenmatièrecriminellenotamment...oùonadespersonnesqu’onretrouve,quiontdéjàtué...moij’aidéjàeuunbonhommequiavaitdéjàtuétroisfois!Jemesuisbattu,ilaétéenvoyéàCadillac!-AhàCadillac?-C’estrare,mais...voilà, ilaété jugéirresponsable.Ilavaitunelistede69personnesàtuer.-Oh,ilaétédiagnostiquécommentparlesexperts?Schizophrèneparanoïaque?-Ahouioui,toutàfait!Maismoijemesuisbattupourqu’ilailleàCadillacetpasdansunhôpitalpsychiatriquepourqu’onlerelâcheassezrapidementcommeçaavaitétéfaitauparavant... C’était assezaffreux, il avait tué sonancienne femmeparcequ’elle l’avaittrompé,avecsonamant,lesavaitfaitalignercontrelemuretlesavaitfusilléenfait...etilavaitétélibéré...iltravaillaitdansuncirque,ilfaitlaconnaissanced’unefleuriste,quiletrompeànouveau...IlamislefeuàlaCathédraledeXX,doncy’aaussilecôtéincendiairequiestassezintéressant,etilsongequ’endéfinitive,samèreavaitdûtrompersonpère,ilpartdusuddelaFrance,ilvalarevoirdanslesYvelines,etlà,lamèretoutecontentedelerevoir,ildit:c’estvraiquetuastrompépapa?Quiétaitmortdepuisunbonboutdetemps..."Benoui"."Bonbenjereviensdemain".Et le lendemain, lamèreachètedespetits gâteauxet tout lebazar, il arrive, il la tueet il jettedeuxpiècesetpuis sa cartebancaire,illoueunevoiture,etheureusementonl’aarrêtéàtempsparcequ’ilétaitpartipour aller tuer... sa deuxième femme... alors ça... Et en plus... il avait un nom... àconnotationreligieuse,ilétaitnélejourdelafêtedessaintsinnocentsetenplusilétaitné dans une ville à connotation religieuse... et puis fallait voir le courrier qu’ilm’envoyait,avecdesbombes,destrucscommeça,bonc’est... làc’estvéritablementuncas...Bonben...-Etcetypelà,irresponsabilitépsychiatrique?-Totale!-Etlesexpertsétaientd’accord?-Ahoui!-Y’aeucombiend’expertisessurceMonsieur?- J’ai peut être été directement... quandmême avec des personnes assez pointues... etpuis en plus il y avait d’autres expertises dans son dossier, donc là, y’a pas eu deproblème, ça a été au niveau de l’instruction...mais jeme suis battu pour qu’il aille àCadillac!»PatriceMessier,50-60ans,plusde30ansd’expérience

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Dans cet extrait d’entretien, Patrice Messier explique qu’il a pesé sur lapréfecture et sur la psychiatrie pour obtenir le placement de la personnedéclarée irresponsable, dans l’unité pour malades difficiles de Cadillac, enespérant ainsi le placer pour longtemps hors d’état de nuire. Sans doute salongueexpériencedejuged’instructionetsabonneconnaissancedesrouagesdusystème lui permet-elle ainsi d’influencer les acteurs chargés de la prise encharge des personnes déclarées irresponsables. Pour des magistrats moinsexpérimentés au poste de juge d’instruction, le soutien de la chambre del’instructionestaccueilliavecsoulagement:

«Siunepersonneétaittrèsdangereuse,etquel’expertprononcel’abolition?- Bah ouais mais là on transmet le dossier en même temps que de le non-lieu à lachambredel’instruction...quidécided’ordonnerdesmesuresdecontraintespourquelapersonne ne soit plus dangereuse pour la société... personnellement ça me poseraitbeaucoup plus de cas de conscience si je savais que le non-lieu impliquaitautomatiquementlalibérationdelapersonneetlefaitdelaremettredanslanature,ousoumiseàdessoinspsychiatriquesdontonsaitque...àl’hôpitallestroisquartsdutempsquandlesgenssontsoustraitement,mêmelesschizophrènes,hein,sontstabilisés...doncpetitàpetit, ilsneprésententplusdepathologieparcequ’ilsontun traitement,on lesremetdehorsetàpartirdumomentoùonlesremetdehors,çarecommencequoi...-Lachambred’instructionvoustranquillisesurcettequestionlàquoi?-C’estça...»GenevièveBlériot,40-50ans,4ansd’expérience

AlorsquePatriceMessiersemblaitfierd’avoirtranchéuneaffairedélicateauniveau d’instruction et décidé directement avec les acteurs compétents desconditionsde lapriseen charge,GenevièveBlériot semblemoins soucieusededéfendre son autonomie de juge d’instruction. Elle pense au contraire que lacollégialitédelachambredel’instructionluipermetdenepasprendreseulelaresponsabilité de prononcer un article 122.1 alinéa 1. Les deux magistratstombentcependantd’accordsur le faitque la justicedoitgarderunœilsur lespersonnes irresponsabilisées particulièrement dangereuses. Comme SolangeArcher, qui estimait en 2008 qu’il serait nécessaire de mettre en place une«politiquedesignalementpourlespersonnesquirompraientleurtraitementouneserendraientpasauxconsultations»,cesjugesestimentquedesmesuresdesûretésontnécessairespourpallierauxlimitesdelapsychiatrie. Ilsaccueillentfavorablement les nouvelles dispositions de la loi de 200895. Certains jugesestimentenrevanchequecelles-cinesontpassuffisantes;pourcesmagistrats,la prison devient dès lors une solution par défaut pour s’assurer que lespersonnessontplacéeshorsd’étatdenuire.

95 Avec la loi du 25 février 2008, la justice peut prononcer à l’encontre d’une personne reconnueirresponsable une ou plusieurs mesures de sûreté, pour une durée maximale de dix ans en matièrecorrectionnelleetdevingtansenmatière criminelle (interdictiond’entreren relationavec lavictime,deparaîtredanscertainslieux,dedétenirouporterunearme,d’exercercertainesactivitésprofessionnellesoubénévoles, par exemple). Certains magistrats hostiles à ces mesures de sûreté posent la question desmoyensmisàdispositionpourlecontrôledecelles-ci.

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Laprisonàdéfautd’institutionplusadéquate?

Parmilesmagistratsrencontrés,quatre jugesexpliquentouvertementqu’ilsconsidèrent la prison comme une option plus adéquate pour les auteursd’infraction présentant des troubles psychiatriques graves et un risque derécidiveimportant.

«Onal’impression–jesaispassimescollèguesjugesd’instructionvouslediront–maisonal’impressionques’ilvaenhôpitalpsychiatrique,onvaleretrouverdanslarued’iciquelquetemps.Parcequecequidépenddel’Assistancepublique,ondominepasdutout,alorsqu’endétention,onauncontrôle.Ceciétant,l’administrationpénitentiairenousenveutbeaucoupde luiadresser,soitentantque juged’instruction,soitentantque jugecorrectionnel, de leur envoyerdespersonnesquin’ontpas leur tête etquiposentdesproblèmes, en détention, énormes. (Mais) quand on plaide à longueur de journée: ‘laprisonnelerendrapasmeilleur,ilrisquederessortirpire’.Ok,maispendantqu’ilseraentaule,dehors,onrespire.Etpuisquelquefois,quandj’étaismoi-mêmeauParquet, jedisais: ‘jeregrette,saplaceestenprison,ellen’estpasdehors,c’estpaspossible.Tantqu’ilestcequ’ilest,aprèsilchangeouilchangepas,onsaitpascommentd’ailleurs,maissaplaceestenprison’.»LaraBahloul,40-50ans,3ansd’expérience

Lara Bahloul a bien conscience, comme tous les magistrats, que la prisonn’est pasnécessairementbien adaptée à l’accueil depersonnesprésentant destroublespsychiatriques graves.Néanmoins, elle estime, commecertainsde sescollègues, qu’un placement en détention permet à la justice de garder uncontrôlesurcespersonnesqu’ilestnécessairedemettrehorsd’étatdenuire:

«Bon, parce que moi y’a aussi l’aspect dangereux... Voilà, entre un type qui tue safemme...l’exempleénorme,letypequituesafemme,parcequ’elleluiaemmerdésavie,bon,luiilvapasretueraprès!Untypequivaprendredesgaminsàlasortiedel’école...J’enairienàfoutredesavoirmachin,jevaisledéclarercoupableetpuisjevaisl’envoyerpourêtresûrequ’ilbougeraplus...Doncmoic’estglobalementmonapproche,quelqu’unqui est pas dangereux, quelqu’un qui a un boulot, quelqu’un... voilà... quelqu’un dedangereuxpourlapersonne...Voilà!-Alorsquelqu’uncommeça,vousavezplusdemalàrendreuneirresponsabilité?-Moivoilà,cequejeveuxc’estqu’ilsorteducircuits’ilestdangereux,voilà.Doncceseralameilleuresolutionpourqu’ilsoitbienneutralisé...-AlorsprisonouHP?-Jemedisprisonc’estpasmalparcequelesvraisdangereux,ilssontdansdesprisonshôpitauxpsychiatriques,y’enadeuxtroiscommeça...vousvoyez...-Doncplutôtirresponsabledesesactes?-Non,responsable,ilvaendétention,maisilestdétenuenpsychiatrie…»ValérieLemaitre,50-60ans,5ansd’expérience

Pour Valérie Lemaitre, la justice doit prendre en compte la question de ladangerosité: si celle-ci est saillante, alors une condamnation à une peine deprisonfermeestnécessaire.Ellepourrad’ailleurssedéroulerdansunestructurepsychiatrique–ValérieLemaitrepenseiciauxunitéshospitalièresspécialementaménagées (UHSA), crééesofficiellementpourdonner auxpersonnesdétenuesunmeilleur accès aux soins psychiatriques. Son raisonnement illustre la façon

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dontlesUHSApeuventcautionner,auxyeuxdesmagistrats,laresponsabilisationpénaledesauteursd’infractionprésentantdegravestroublespsychiatriques96.

Néanmoins,elleserait,commetroisautresmagistratsinterrogés,favorableàla création d’une institution spécifique pour les infracteurs présentant destroublesmentaux:

«Mais leproblèmeaussi, c’estque je trouvequ’aujourd’hui iln’existepasdestructureintermédiaire. Iln’existepasdestructureintermédiaireetmoi, j’aivudesgensquiontétéreconnus122-1,oùlapsychiatrielesaprisenchargepeudetemps.»AudeKersauson,40-50ans,10ansd’expérience

Ces structures intermédiaires permettraient de garder les personnesreconnuesirresponsablessousmainde justice, touten leurapportant lessoinspsychiatriques dont ils ont besoin. Sans se référer directement aux exemplesétrangers,cesmagistratsesquissentunmodèledepriseenchargequiressemblefortauxcentresdedéfensesocialebelgesouencoreauxhôpitauxallemandsdeMaßregelvollzug97 . Une telle structure intermédiaire constituerait ainsi unetroisième voie, entre la voie hospitalière classique et la voie carcérale, quipermettrait,selonelles,d’alliersoinetsécurité.

Conclusion

Cechapitreamontréquelesmagistratsontdeuxmoyensd’accompagneroude résister au mouvement de responsabilisation pénale, étudié dans cetterecherche: ilsont toutd’abord lapossibilité, contraintepardesconsidérationspratiques, de choisir des experts en fonction de leur position théorique etidéologique.Ilsont,d’autrepart,lapossibilitédesélectionnerlesargumentsdesexpertsqui leursembleront lespluspertinents,c’est-à-dire lesplusprochesdeleur propre appréciation de la responsabilité pénale des justiciables. Laprocédurepénale leurdonne égalementunemargedemanœuvre étroitemaisdécisivesurl’irresponsabilitépénale.Silesaffairescriminellessontsoumisesaujeudelacontre-expertise,l’accèsàl’expertiseesttrèslimitédanslesaffairesdedélits,lesexposantàlagrandelabilitédesévaluationsexpertales.Lesmagistratsn’ont toutefois pas toujours une claire conscience des effets de ces choix.Certainssociologuesontd’ailleursmontréqueceschoixs’inscriventégalementdans des évolutions plus générales du système pénal français (Mouhanna,Bastard,2007).Ladiminutiondunombred’expertisesenmatièredélictuelleestégalementlerésultatdel’impératifderapiditéauquelestsoumiseactuellement

96C’est le raisonnementque redoutentunebonnepartiedespsychiatresexerçant enmilieupénitentiairequiontlesentimentqueleurprésencevientlégitimerl’incarcérationdepersonnesquin’ont,seloneux,pasleurplaceenprison(voirchapitreXXduprésentrapport).97VoirLancelevée2014pourunecomparaisoneuropéennedesliensentrepsychiatrieetjustice.

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lajustice.Enmatièrecriminelleoucorrectionnelle,unmêmerésultatdemeure:écarterlasolutiondel’irresponsabilitépourcausedetroublemental.

Les magistrats rencontrés se divisent autour de la question des relationsentre justice et psychiatrie. Une partie d’entre eux, plutôt confiants envers lapsychiatrie, plaidepourunenette séparationde la voie judiciaire etde la voiemédicale.Lesautres,plusméfiantsàl’encontredelapsychiatrie,estimentqu’uncontrôle judiciaire renforcé des personnes irresponsabilisées serait nécessairevoire soutiennent l’idée d’une hybridation de la voie pénale et de la voiemédicaleparlacréationd’institutiondédiéeauxauteursd’infractionprésentantdes troubles mentaux, au nom d’une protection de la société contre ladangerosité.

De laresponsabilitépénale…

Le sort despersonnes déclaréesirresponsables relèvede la psychiatrie quidoitêtremieuxdotéepourlesaccueillir

(12magistrats)

Le sort despersonnes déclaréesirresponsables relèvede lapsychiatrie,maisla justicedoitavoirunrôledecontrôle

(5magistrats)

Le sort despersonnes déclaréesirresponsablesdevrait releverd’institutionshybridesdesoinsousmaindejustice

(6magistrats)

…À ladangerosité

Figure4-Jugesd’instructionfaceàl’irresponsabilitépénale

Aussi, ce chapitre aura permis demontrer que les avis des experts et desmagistrats sur la question de l’irresponsabilité sont structurés par unemêmeopposition. Des systèmes de représentations proches du répertoire de laprotectionetd’unrépertoiredeladéfensesociale,peut-êtreplusassuméparlespsychiatres et les experts psychiatres, se retrouvent également chez les juges.Cessystèmesdereprésentationss’organisentautourdethématiquescommunes,tellesque la conceptionde lapsychiatrie, laplacede la victimedans leprocèspénal et la prise en compte de la dangerosité du mis-en-cause. Ce faisant,certainsmagistrats particulièrement aguerris paraissent «raisonner en expertpsychiatre», développant des conceptions du discernement et du contrôleprochesdecellesdeleursexperts.

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Chapitre5:Expertspsychiatresetfaitsdiversdanslapresse

ParCarolineGuibetLafayeetCamilleLancelevée

Lalittérature,enparticulierdesourcemédicale,asouligné,depuisplusieursdécenniesdéjà,lerôlenégatifdelapresseetdesmediadanslesreprésentationsquelapopulationavaitdespersonnessouffrantdetroublespsychiatriques:«Lamaladiementale est représentée demanière particulièrement négative que cesoit dans la presse écrite audiovisuelle ou dans les fictions littéraires etcinématographiques.» (Kohl, 2006, p. 3) Cette mise en cause des media estprésente dans nombre d’études. Celle portée par l’Agence Régionale de Santé(ARS)duNordPas-de-Calais,en2014sur«Proposdejournalistes&d’expertsausujet de 5 maladies mentales», montre que la presse peut avoir uneresponsabilitéquantàladocumentationdesfaitsdivers,auvocabulaireutiliséetà sesmauvais usages ainsi qu’à l’usage de certains qualificatifs. Dans lamêmeperspective, une analyse de contenu d’un échantillon de presse écriteaustralienne (de six cents textes) permet d’établir que les maladies mentalessont présentées comme la cause de la dangerosité et de l’imprévisibilité despatients (Allen et Nairn, 1997). De même, dans les programmes télévisésaméricains,lesindividusdonnéscommedesmaladesmentauxapparaissentdixfois plus violents que l’ensemble des autres personnages (voir Diefenbach,1997).LaCommunityAttitudestowardstheMentallyIllSclae(CAMI),développéeparTayloretDear(1981),anotammentétéemployéepourdécrirel’impactdesmediasurlesattitudesdelapopulation(voirThorntonetWahl,1996;WahletLefkowits,1989).

Lesrécitsnégatifsqueproposentlesmediasontperçuscommecontribuantàl’attitudenégativeque lescitoyensontà l’égarddespersonnes touchéespar lamaladiementale(ThorntonetWahl,1996).Cetteassertionestanciennepuisque,dès 1963, Thomas Scheff formule l’hypothèse selon laquelle les informationsdonnéesparlesmediarenforcentlesstéréotypessurlesmaladiesmentales (Kohl,2006, p. 108). Les individus intérioriseraient les stéréotypes culturels de lamaladiementalequ’ilsrencontrentdèsl’enfance,danslesmilieuxdanslesquelsilsévoluent,cesstéréotypessetrouvantcontinuellementrenforcésparlesmedia(Wilson et al., 2000), notamment lors de la survenue d’événements tragiques,impliquant des personnes ayant des troubles psychiatriques. Toutefois cettehypothèserelèvedavantagedel’intuitionetd’unecroyancelargementpartagéeplutôtqu’ellenereposesuruneconfirmationempiriquesolidementétablie(voirKohl,2006,p.108),etonestimeunpeurapidementquel’influencedelapresse

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écriteseraitdemêmenaturequecelledel’audiovisuel(télévisionetfilms)(voirDomino,1983;Wahl,1992;WahletLefkowits,1989;ThorntonetWahl,1996,p.22).

Ce chapitre entend nuancer l’hypothèse d’une participation de la pressegénéraliste à la propagation de stéréotypes négatifs concernant les personnessouffrant de troubles psychiatriques, en étudiant le traitement médiatique del’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, à partir de l’analysesémantiqueetstatistiqued’articlespubliésdansLeMondeentre1950et2016etdes articles publiés par cinq quotidiens nationaux autour de deux «affaires»récentesdanslesquellesaétéposéelaquestiondelaresponsabilitépénale.Dansunepremièrepartie,nousobserverons l’évolutiondes représentations socialescommunes autour de l’irresponsabilité pénale: si la question des auteursd’infractionsprésentantdestroublesmentauxsusciteunintérêtconstantdanslapresse, qui se penche ainsi sur la personnalité des auteurs de faits divers, onobserve depuis le milieu des années 1990, une transformation du regard etl’émergence d’une préoccupation sociale pour le risque de récidive et ladangerosité, tout particulièrement des «auteurs de violences sexuelles» maiségalement, plus largement, des personnes présentant des troubles mentaux98.Cependant, la presse nationale, largement alimentée par les débatsprofessionnels dont ce rapport rend compte, est loin de participer de façonunivoque à la diffusion de stéréotypes négatifs sur les auteurs d’infractionsprésentantdestroublesmentaux:afind’envisagerlesnuancesdutraitementparla presse des meurtres commis par des personnes atteintes de troublespsychiatriques,nousanalyseronsdeuxaffaireslargementmédiatisées:ledoublemeurtrecommisparRomainDupuyet la fusilladeperpétréeparRichardDurnaucoursd’unconseilmunicipalàNanterre.

I. LeMondefaceàl’expertisepsychiatrique:1950-2016

L’analysediachroniqueréaliséesuruncorpusd’articlespubliésparLeMondeentre1950et2016permetdemettreenévidenceuneévolutionduregardportésur les affaires impliquant des auteurs d’infraction présentant des troublesmentaux. Cette évolution tient tout d’abord à la place accordée aux expertspsychiatres,quigagnentprogressivementenvisibilitésurlascènemédiatiqueetcontribuent à la diffusion de termes techniques relatifs aux troublespsychiatriques.Lapressesefaitenoutrel’échoduretour,danslesannées1990et2000,d’unevolontédedéfensesociale,quisetraduitparunepréoccupationmarquéepourlaquestiondelarécidiveainsiquepourletraitementdesauteurs

98 La question de savoir si les «violences sexuelles» résultent ou non d’un «trouble mental» estévidemmentaucœurdudébat.

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d’infraction jugés dangereux. La tonalité est cependant souvent critique: lesmesuressécuritairessontprésentéesdefaçoncritiquecommeproblématiques.

1. Méthoded’analyse

Lecorpusdepresseestconstituéde668articlespubliésdansLeMondeentre1950 et 2016 et disponibles sur la plateforme Europresse. L’expression légale«irresponsabilité pénale» étant rarement utilisée dans la presse, nous avonssélectionné tous les articles dans lesquels sont évoqués une «expertisepsychiatrique» et/ou un/des expert(s) psychiatre(s). Cette optionméthodologiqueprésentel’avantagedereplacerlaquestiondel’irresponsabilitépénale dans un contexte plus large, celui des relations entre justice etpsychiatrie.

Cecorpusaétésoumisàuneanalysedecontenuclassique(parlalecturedesarticles) ainsi qu’à une analyse systématique probabiliste (ou PLSA 99 ),convoquant la méthode du topic modeling 100 , c’est-à-dire un traitementautomatisé du langage courant, fondé sur l’idée intuitive selon laquelle toutecollection de documents présente une variété de thèmes hétérogènes. Cetteméthode permet, outre le traitement de corpus d’envergure, de faire émergerdestopicsqu’uneanalyseclassiqueauraitpunégliger.LelogicielMalletutiliséicis’appuiesurlemodèleduLatentDirichletAllocation(LDA),développéparDavidBlei (Bleietal.,2003).Reposantsuruneexplorationprobabilistedescorpus, ilopèreparidentificationglobaledestructuresdecooccurrencesdanslesarticlesdu corpus. Ces structures sont affectées à un nombre donné de topics nondéterminés préalablement par le chercheur, mais résultant au contraire del’exploration probabiliste. La méthode n’est donc pas supervisée, c’est-à-direqu’elle ne requiert aucun apprentissage préliminaire (Deveaud et al., 2014):aucunparamètren’estfixémanuellement,sicen’estlenombredetopicsquel’on

99L’analysesémantiquelatente(LSA)consisteàétablirdesrelationsdeproximité(cooccurrences)auseinducorpus,entrelesdocumentsquileconstituentainsiqu’entrelestermesducorpus,enconstruisantdesthèmes (topics), associés à ces items (documents et termes). L’analyse sémantique latente probabiliste(PLSA) repose sur un principe analogue mais use d’une méthode de statistique probabiliste. LatentSemanticIndexing(Deerwesteretal.,1990)(LSI),probabilisticLatentSemanticAnalysis(Hofmann,2001)(pLSA)etLatentDirichletAllocation (Bleietal., 2003) (LDA) sont lesméthodes lesplus connuesdans ledomaine.Lesthèmes(oucatégories)qu’ellesproduisentsontcomplexesetfréquemmentbiencorrélésavecdesconceptsqueproduiraitl’analysedecontenu100 Le topic modeling a été utilisé pour explorer différents objets, avec des finalités diverses (voirAndrzejewskietButtler,2011;Luetal.,2011;ParketRamamohanarao,2009;WeietCroft,2006;YietAllan, 2009). En sciences sociales, laméthode a été utilisée par plusieurs chercheurs anglo-saxons pourexaminerlesdiscourspolitiques(Monroeetal.,2008;Quinnetal.,2010;Grimmer,2010),ladynamiqueetl’évolution des agendas politiques (Baumgartner et Jones, 1993) ainsi que les relations internationales(Connelly,2015).

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souhaiteconstituer(7,10,15,20)101.Cestopicssontconstituésdesmotslesplusfréquemmentutilisésdans lesdocuments identifiéspar le logicielcommeétantles plus significatifs (Lavrenko et Croft, 2001) et proposent donc unereprésentationintuitiveetdescriptiveducorpus.Unefoislestopicsidentifiésparl’analyse sémantique, le chercheur peut analyser leur contenu substantiel, etainsipréciser lanaturedechacundes«thèmes»décritspar lestopics.Ainsi, ilpeut mettre en évidence les thématiques dominantes et les différences dediscoursauseinduoudescorpus.

Le nombre d’articles contenant les expressions «expertise(s)psychiatrique(s) ou expert(s) psychiatre(s)» est largement plus important àpartir des années 1990, en partie pour des raisons liées à la productionmédiatiqueouàunmeilleurarchivagenumériquedelapresse–mêmesicetteaugmentationsembletraduireaussiunintérêtcroissantdelapressepourcettequestion, qui fait, au cours des années 1990, l’objet d’une réforme importante(voir chapitre 6 du présent rapport). Pour éviter une surreprésentation desthématiquesde lapériodecontemporaine, le corpusadoncétéscindéendeuxsous-corpus,correspondantd’unepartauxpériodes1950-1990(233articles)et,d’autre part, 1990-2016 (435 articles). En analysant l’univers sémantique dechacunde ces corpus, il est possible de comparer le traitementmédiatiquedel’expertisepsychiatriqueavantetaprès1990etdemettreenévidenceplusieursévolutionsimportantes.

Lestableaux1et2ci-dessousprésententlestopicsgénérésparl’outilMallet.Lesmotssontainsiproposésparlelogicielsurlabased’uneanalysesémantiqueprobabiliste.

Tableau1:Topicsissusdel’analysesémantiqueprobabilistepourlecorpus1950-1990

Topic ParamètreDirichlet

Motsdestopics

0 0,46669 cour mort assises accusé avocat homme procès audience expertvingtpeineprésident jeunedevait faits jurésréclusionpsychiatrecoups

1 0,17716 psychiatredocteurpsychiatresmédecinhommepsychiatrieexpertpsychiatriquementalemalademédecinequestionexpertsmaladiepsychiatriquesproblèmepratiquesociétéresponsabilité

2 0,08746 docteur professeur diallo mériel experts médecin affaireinstruction poitiers rapport mort assassinat berneron médecinsnicolearchambeaucorpspierreanesthésie

3 0,08175 politiques soviétique psychiatrique pays camp occident bettauerpolitique hôpitalmalades soviétiques psychiatrie opinion stocker

101Encela,laméthodesedistinguedeméthodeslexicographiquesquis’appuientsurunebasededonnées,constituée d’un dictionnaire des formes rencontrées dans le texte (comme Lexico par exemple). Lesrésultatsproposéssontalors issusdecalculs statistiques,portantà la fois sur les formeset les segmentsrépétésducorpusmaisdépendentd’unapprentissagepréliminairedelapartdel’utilisateur(voirLebartetSalem,1994).

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mondialecongrèsdroitsamislutte

4 0,14796 mèrefemmepèreenfantmichelfilsprésidentenfantsfamillemarijeannicolefillejeunepetitfrancsparentsclaudegérard

5 0,05261 david procès paris lacan zampa barbie christian jacquesmauricejuramydocteurprésident colombdébatsmédecin rouillan renvoidirectecommissaire

6 0,58737 juge justice tribunal expertise affaire psychiatrique instructionhôpitalprison rapport jeanmagistratsappelavocatparisdéfensejudiciairecourdossier

Tableau7-Topicsgénérésparl’analysesémantiquepourlecorpus1950-1990

Topic ParamètreDirichlet Motsdestopics

0 0,59873 couravocataccuséassiseshommemèreprocèsjeunejeanfamillepère expert faits président prison audience psychiatre victimemort

1 0,10432 procès président expertise tribunal scientologie justice eurosfrancs enquête ancien pays ministre lyon procureur attentatseglisesuisseunisfrance

2 0,36499 justice peine psychiatrique loi prison juge pénale judiciairepsychiatres peines commission victimes libération détenusexpertisedétentionpsychiatrepénalexperts

3 0,08178 michel dubec paris expert psychiatre brunerie maxime mondefilm richard durn didier omar paulin jacques touvier politiquesalahsport

4 0,05709 tangorreclaudeluclivrerocancourtjudiciaireancienchristopheeurosmatthieu examen lucas françois réalité guerre condamnépariscévenolagnès

5 0,19087 enfants juge examen parents enquête affaire procureur enfantinstruction garde vue gendarmes août psychiatrique fille pierrefemmeenquêteurscourjault

6 0,15608 police jeune psychiatrique hôpital homme policier feu cellulephilippe policiers tribunal prison matin el nuit mort saint ericmaison

Tableau8-Topicsgénérésparl’analysesémantiquepourlecorpus1990-2016

Une interprétationdes topics, réalisée à partir de la lecture des articles lesplussignificatifsdechacundestopics,permetdeproposeruneinterprétationdesthèmescorrespondants(tableaux3et4).

Topic Interprétation

0 Scènesdetribunal

1 Réflexionssurlenormaletlepathologique

2 Affairesliéesàdesabusdepouvoirdemédecins

3 PsychiatrieetluttecontreladissidenceenURSS

4 Récitsd’affairesdecrimesintra-familiaux(infanticidesnotamment)

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5 Récitsd’affaires«politiques»(ActionDirecte,Mafia,etc.)

6 Discussionsautourdedécisionsdejustice

Tableau9-Interprétationdestopics(1950-1990)

Topic Interprétation

0 Scènesdetribunal

1 Affairespolitiquesetfinancières

2 Récidive,dangerositéetréformedel’irresponsabilitépénale

3 Réflexionautourdecatégoriesspécifiquesdecriminels

4 Quelquesaffairesd’agressionssexuellesparticulièrementmédiatisées(affaireTangorre,meurtred’AgnèsauLycéeCévenol)

5 Affairesdontlesvictimessontdesenfants(infanticides,viols,etc.)

6 Divers

Tableau10-Interprétationdestopics(1990-2016)

2. Lesexperts,delaméfianceàlavisibilité

Sur l’ensemble de la période, nombre d’articles décrivent des scènes detribunal et proposent des chroniques judiciaires souvent très descriptives: teljusticiable, soupçonné de tel délit ou crime, a été entendu par le tribunal etsoumis à une expertise psychiatrique. Ces articles constituent un genrespécifique distinct des autres thèmes du corpus, dans lequel est convoqué lechamp lexical de la justice pénale (cour, audience, président, jurés, assises,avocat,etc.).Néanmoins, lorsqu’onsepenchesur lecontenudecesarticles,onremarque que la place dévolue à l’expert psychiatre a largement évolué:présentécommeunacteurmarginalduprocèsdanslesannées1950à1980102,ilprend–ainsiquelesconclusionsdesesrapports–uneplaceimportantedanslesannées 1990 et 2000. Une analyse des autres thèmes des corpus permetd’éclairercetteévolution.

Avant1990, la figurede l’expertpsychiatreapparaîtdansplusieurs thèmesindiquant une certaine méfiance à l’égard du savoir psychiatrique et de sesusagespolitiques(thèmes1,2et3).Lapressesefaitainsil’échodesréflexionsde l’époque autour de la distinction entre le normal et le pathologique(Canguilhem, 1943): ainsi plusieurs articles se demandent s’il est possible de«définir lamaladiementale», à l’instarde ce texte,publiédans le journal le3décembre1975:

102Denombreuxarticles se contententainside signalerqu’une«expertisepsychiatriqueaétédemandéeparlejuge»,sansenpréciserlesconclusions.

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«Qu’est-ceque lanormeau-delàde laquelle lasociétépeut légitimementconsidérer lesujet commeun ‘déviant’? L’intelligence est, bien sûr, unpremier critèred’adaptationsociale,nonexclusifetquedestestspermettentdedéfinirassezprécisément.Ainsiquel’a rappelé le professeur P. Pichot (Paris), on considère généralement commepathologique tout sujet ayant un quotient intellectuel (Q.I.) inférieur à 70, l’hommemoyen ayant un Q.I. de 100. Encore les normes varient-elles dans le temps, puisquel’Organisation mondiale de la santé (O.M.S.) a fait apparaître dans sa nouvellenomenclatureunecatégoriedite‘niveaumentallimite’dontleQ.I.estcomprisentre70et 85. Quel que soit l’ensemble des critères et des normes que l’on choisit,inévitablement et statistiquement apparaissent des déviants, auxquels la sociétésuggéreraouimposerauntraitement,àmoinsque,parunemesured’internement,ellene les exclue purement et simplement. Et, en plus de l’évolution dans le temps descritères du ‘normal’, la tolérance des sociétés envers les anormaux est éminemmentvariable: encore considérée dans certains pays comme un crime, l’homosexualité est,dansdenombreuxautres,parfaitementbienassimilée.Inversement,unexemplecitéparun criminologue met bien en évidence que, sous beaucoup d’aspects, le niveau destolérances tend à baisser: ‘Pendant quinze ans, raconte le docteur Jacques Leyrie, unexhibitionnisteasévidansunpetitvillage,auvuetausudetous:ilétaittoléréparleshabitants. Ila finiparêtrearrêté,surplaintedeParisiensquivenaientd’établir là leurrésidencesecondaire.’»LeMonde,3décembre1975,«Lepsychiatre,l’individuetlasociété»

Reprenant les théories anti-psychiatriques de l’époque (Cooper et Laing enAngleterre,BasagliaenItalie,SzaszauxEtats-Unis,FoucaultenFrance),certainsarticles abordent la question de savoir si «l’alternative à la psychiatrie» neserait pas de «lutter contre les contradictions sociales» (Le Monde, 10 mars1976). Dans ce contexte, l’expertise psychiatrique est sujette à caution: ellebutte,seloncettetribuned’unneuropsychiatre(DocteurGabrieleff,LeMonde,4février 1977), «sur le mythe, sur l’espoir d’avoir une vision globale, uneexplicationexhaustivedel’homme:or,enl’étatactueldenosconnaissances,cen’estpaspossible,quecesoitd’unmot(normaloupas,responsableoupas)oud’unlongrapport».Lemédecincitéconclutsatribuneparunappelàl’humilité:«plusnoussavons,plusnoussavonsquenousnesavonsrienetl’inexplicable–toujourspossible – fait partie intégrantedenotre condition.»Cettedimensiond’incommensurabilitédel’hommeetdesesactionsestpalpabledanslesarticlesqui font le portrait d’auteurs d’infractions(thème 4): plutôt que de prétendrecerneretqualifierlapersonnalitédesjusticiables,lesjournalistesproposentdesportraitsauxaccentsparfoislittéraires:

«Très vite, les deux frères qui boivent trop et ne pensent pas assez, vont fantasmer,fabuler. Tous les malheurs de la famille, du clan Hérisson, c’est l’autre. Maléfices etcompagnie. La mort du père Hérisson, c’est Camus. La mort subite, en août 1974,d’Eugène,lefrère,trente-troisans,unecrisecardiaque?Pasdutout.JeanCamusn’avait-ilpasditàDaniel: ‘L’Eugène,ymourraundecesmoisd’août.’Lamauvaiserécoltedepommesde terre, l’accidentdechassedeDaniel, lamortduchien, lavaricelledupetitneveu,lesdeuxaccidentsd’auto,l’épizootietouchantlesvolailles,l’herbequinepousseplus,lespoulesquinepondentguère?Camus,Camus,Camus,car‘touscesmalheurs,sicen’estpaslebonDieu,c’estCamus’.»(LeMonde,14mai1977,«LamortdusorcierdeHesloup»)

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Avant 1990 (et tout particulièrement dans les années 1970), l’expertisepsychiatrique semble donc considérée avec un certain recul critique. Cetteméfianceestenoutrealimentéepar lamédiatisation importante,enFrance,del’utilisationenUnionSoviétiquedel’internementpsychiatriquecommeoutilderépressiondesintellectuelsdissidents.Lefaitquecethèmeémergedel’analyseprobabiliste (thème3) témoignede son importancedans l’univers sémantiquedel’expertisepsychiatriquedel’époque:onassocieaussilafiguredel’expertàcelledesmésusagespolitiquesde lapsychiatrie.À l’occasionde laparutiondel’Archipel du Goulag de Soljenitsyne au début de l’année 1975, des articlesdénoncent les mécanismes de la «répression», qui utilise la psychiatrie pour«réduirelesdissidentsausilence».Ainsi,en1976,LeMondedonnelaparoleàLeonid Pliouchtch, mathématicien ukrainien, dissident soviétique, membre dumouvementclandestinenfaveurdesdroitsdel’homme,internéabusivementenURSSpendantplusieursannées:

«En mai 1972, je fus envoyé pour une prétendue expertise psychiatrique légale enmilieu hospitalier à l’Institut Serbsky. Mais je passai les six mois entiers à la prisonmoscovite de Lefortovo. La décision de me contraindre à un traitement fut prisesimplement après quelques entretiens avec des psychiatres, dont notammentl’académicien Snejnevski, Lountz, Nadjarov et Morozov, tous éminents psychiatressoviétiques. Il y eut deux expertises. J’appris ultérieurement que le diagnostic était lesuivant: ‘Schizophrénie torpide depuis l’adolescence’. J’ai été interné à l’hôpitalpsychiatriquespécialdeDniepropetrovskdejuillet1973au8janvier1976.J’aisubiun‘traitement’ par neuroleptiques (halopéridol et triftazine) et deux curesd’insulinothérapie.»LeMonde,4février1976,«J’espèrequemonhistoirerenforceralaluttepourlesdroitsdel’homme»

Unecertaineméfianceplanedoncsurlapsychiatrie,dontlespratiquesetlessavoirssontsujetsàcaution.Elleexpliquepeut-êtrelasousreprésentationdelafiguredel’expertpsychiatredanslapresse.

Après 1990, l’univers sémantique autour de l’expertise psychiatrique estdifférent et semble largement recentré autour de la sphère pénale françaisecommeentémoignent lesmotsclésdestopics résultantde l’analysestatistiqueprobabiliste et de son interprétation. Quand Le Monde parle d’experts oud’expertisespsychiatriques,c’estenlienavecdesaffairespénales.Sansdoutelesréformesdel’irresponsabilitépénale103contribuent-ellesàcerecentrement.Cesréformes donnent lieu à des articles qui expliquent de façon pédagogique «lenouveaudispositif»(LeMonde,20juin1995)oulecritiquent(LeMonde,2mars1994: le fou en justice). Elles offrent par ailleurs la parole aux expertspsychiatres, qui occupentuneplacedeplus enplus importantedans la pressequotidienne:ainsi,denombreuxarticlesmentionnentlesnomsdeDanielZagury(29articles),MichelDubec(29articles)ouencoreRolandCoutanceau(5),Jean-ClaudeArchambault (5),PaulBensussan (5)ouSergeBorstein (5). Lespropos

103Lecodepénalde1994,maiségalementlaloide2008,voirchapitre6

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des experts sont tout d’abord cités dans les comptes rendus de procèsretentissants. Ainsi, lors du procès du responsable des attentats parisiens de1985 et 1986, Fouad Salah, Le Monde cite en longueur les propos de MichelDubec:

«Enréalité,l’organisateurduréseauterroristechiiteàParisauraitatteintunétatvoisinduravissementdurantlesvaguesd’attentatsde1985-1986.Lasituationletransformaiten‘interlocuteurdel’Etat’,cequinepouvaitquesatisfairesavolonté‘d’imposersaloiàun moment donné à l’ensemble de la société’, explique le docteur Dubec. Méfiant,psycho-rigide, orgueilleux sous un vernis de modestie, affublé d’une fausseté dejugement,Salahprésenteenrésumétouteslescaractéristiquesd’un‘exaltéàl’espritvifetfin’»Le Monde, 6 avril 1992, «Fouad Salah devant la cour d’assises de Paris Exaltationscontrôlées»

Le Monde reprend ainsi de longs extraits des exposés des expertspsychiatriquesàl’occasiondesprocèsdePaulTouvier(condamnéen1994pourcrimes contre l’humanité pendant la Seconde Guerre mondiale), MaximeBrunerie (auteur d’une tentative manquée d’assassinat sur le président de laRépublique en 2002), Patrice Alègre (condamné en 2002 pour plusieursmeurtres et viols), Boulem Bensaïd (condamné en 2002 pour les attentatscommis à Paris en 1995). Ils sont sollicités à l’occasion du procès Outreau,notammentpourdonnerleuravissurlacrédibilitédelaparoledesenfants(PaulBensussan: «Recueillir la parole de l’enfant, undéfi»LeMonde, 25novembre2011), ou encore à l’occasion de la fusillade de Nanterre, pour décrypter lapersonnalité de l’agresseur (Trois questions à Michel Dubec sur le suicide deRichardDurn,LeMonde,30mars2002).

Sollicitésàproposdecertainescatégoriesdecrimes,lesexpertsfournissentuneanalysepsychiatrique.Ainsi,PaulBensussanestinterviewéen2009danslecadre de l’affaire dite des «bébés congélés» au terme de laquelle l’accusée,VéroniqueCourjault,estcondamnéepourplusieursinfanticides:

«En seize ans d’expertises judiciaires où j’ai examiné une trentaine de mèresinfanticides, je n’en ai rencontré «que» deux ayant eu recours à la congélation, dontVéronique Courjault, dont on oublie souvent qu’elle a incinéré - et non congelé - lepremierdestroisnouveau-nésqu’elleatuésàlanaissance.Pourquoiconserverlebébétuéaucongélateur?Lacongélationpermetaucorpsd’échapperàlaputréfaction,etdesuspendreletemps.Nepasseséparerducorpsd’emblée,c’estagircommesilasituationétaitencoreréversible.Onnepeutexclurequelapublicitédonnéeàl’affaireCourjaultaitmarquélesinconscientsetpuisseinfluersurlesmèresnéonaticides.»LeMonde, 5mai 2011 «Paul Bensussan: «Il n’est pas exclu que l’affaire Courjault aitinfluencélesmèresnéonaticides»

DemêmeDanielZaguryestinterrogésurle«parricide»ousurles«femmescriminelles»:

«Lesdoublesparricidessontcommispresque toujourspardespersonnesatteintesdepsychose,lecrimeconstituantlepassageàl’acteinaugurald’entréedanslamaladie.Lapsychoseestundésordregraveetprofond,marquéparuneruptureaveclesperceptions

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habituelles du monde, accompagné d’un sentiment de changement corporel et d’uneactivité délirante. Souvent, on s’aperçoit a posteriori que la personne n’allait pas biendepuisunmoment,etcedemanièrenonspectaculaire.»LeMonde,30octobre2004,«TroisquestionsàDanielZagury»«Nousneparvenonspasànouslibérerdumythedelamèreetdesapureté.Lescrimesde femmes sont souvent marqués par des passions au sens propre du terme. A ladifférencedeshommes,pluspulsionnels.»LeMonde,3juillet2015,«Lesogresses».

Lespublicationsdesexpertspsychiatresfontégalementl’objetd’unecertainemédiatisation. Le journal présente longuement l’ouvrage publié par MichelDubec sur les escrocs en 1996, Les maîtres-trompeurs vrais et faux escrocs. Àl’occasion de la parution du Plaisir de tuer (Dubec, 2007), Le Monde proposemêmeunportraitdel’expert:

«Ilétudielescheminstorturésdesâmesaccusées,cellesdeChristineVillemin(mèredupetitGrégory),deMaximeBrunerie (qui tentad’assassiner JacquesChirac),des tueursensérieGuyGeorgesouPatriceAlègre.CellesdeJean-MarcRouillan(membred’Actiondirecte), du terroriste Fouad Ali Salah ou de Maurice Joffo, condamné pour recel debijoux. Il constate dans son livre, Le Plaisir de tuer (Seuil, 224 p., 21€), cetterationalisation initiale qui donne’le permis de tuer’. Le tueur en série, comme legénocidaireouleterroriste,tuesurunstigmate.S’empared’unecaractéristiqueoud’unthème pour le détruire. Michel Dubec trime actuellement sur l’expertise de YoussoufFofana,soupçonnéd’avoirassassinéIlanHalimi.Maisilaeusadose.DepuisTouvier,lesmonstresluienontassezapprissurlui-même.‘Onpourraitpenserqu’ons’accoutumeaucrime,dit-il.Moi,c’estlecontraire.Jesuishabitédefantômes,dedrames.Onnesortpasimpunémentdetoutça,saufsions’enfout.J’aiaimécesgens.J’aibienaiméRouillan.J’aiaiméêtreavecPaulTouvier.J’aifaitletourdemaquêteàmoi.’»LeMonde,10mai2007,«MichelDubecLebonetletruand»

Outre qu’ils contribuent à visibiliser les experts, qui sont nommés etidentifiés, ces articles obligent les journalistes à expliciter le raisonnementexpertaletàemprunterpourcelaaulexiquepsychiatrique.Onobserveainsiquelesarticlesrelatifsà l’expertisepsychiatriqueproposentuneanalyse techniquedespersonnalités,descomportementsetdespathologiesdans lesannées1990et 2000.Mais les experts psychiatres sont particulièrement sollicités à proposd’unequestionquisusciteuneattentionsocialeimportanteàpartirdudébutdesannées1990:celledelarécidivedesauteursd’infractionssexuelles.

3. Unecritiquemédiatiquedesmesuressécuritaires

Lesannées1990et2000voientsemanifesterunepréoccupationimportantepourlaquestiondelarécidive,ettoutparticulièrementd’ungroupeparticulierd’auteurs d’infractions: les auteurs d’agressions sexuelles. Ainsi l’analyseprobabilistefaitémergerunethématiqueautourdelaquestiondeladangerositéetdelarécidive(thème2),etunesecondeautourdesaffairesdecrimessexuels(thème4).

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Ces articles relatifs à la question des violences sexuelles médiatisentcertaines affaires, comme le procès de Luc Tangorre en 1992, qui,malgré despreuvesmatériellessolides,clamesoninnocencefaceauxviolspourdesquelsilestaccusé–ilseracondamnéà18ansderéclusioncriminelle.Différentsarticlesportentsurdesaffairesdepédophilie(l’affaireDutroux,maiségalementl’affaireOutreau).Plusrécemment,LeMondesepenchesurl’affaireduLycéeCévenol(unviol suivi dumeurtre d’une jeune fille) et sur la personnalité deMatthieuM.,secondmineur condamné à unepeinedeprison à perpétuité. Le journal parleégalementdeplusenplussouventdesvictimes–oudesfamillesdesvictimes–de ces violences au tournant des années 1990. Ainsi, s’il est question de«victime»etde«famille»respectivementdans27%et22%desarticlesde lapériode1950-1990,prèsd’unarticlesurdeux(49%pour«victime»,40%pour«famille») des articles publiés après 1990 font mention de ces deux acteurs,commedanscetarticlepubliéen1995:

«Lahonte, lacrainte, lacomplicitépassivede l’entourage, lespesanteurssocialessontautantd’obstaclesà lamanifestationde lavérité.Ainsi,un jeunehommedevingt-cinqans, accuséd’avoir violé une adolescentedequatorze ansqui enparaissait dix-huit etauraiteu ‘uncomportementprovocant’,n’aétécondamnéqu’àunmoisdeprisonavecsursis.Cettemansuétudeobligeparfoisdesmagistratsàtraduireencorrectionnelledesauteurspassiblesdelacourd’assises.Celaaétélecaspourcetofficierenretraite,âgédecinquante-cinq ans, condamné à sept ans de prison par le tribunal correctionnel deDignepourdes‘attentatsàlapudeur’surdeuxfillettes,dontl’une,autiste,n’a,biensûr,putémoigner.»LeMonde,20avril1995,«Lecalvairedesvictimesd’abussexuels».

Ilsembledoncquelequotidienenregistreunedemandesocialecroissantedesécurité après 1990, tout particulièrement face aux «auteurs de violencessexuelles»,maispluslargementàl’égarddes«dangereux»,c’est-à-diredetousceuxquipourraientcommettredesagressionssurautruienraisond’untroublemental.Legraphiqueci-dessousillustreainsilacroissancefulgurantedunombred’articles portant sur les victimes, les violences sexuelles, mais également laquestiondelarécidiveetdeladangerosité.

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Figure 5 - Nombre d’articles avec au moins une occurrence des termes victime, sexuel,

dangerositéourécidivePourunelectureennoiretblanc:dehautenbasen2002,ontrouvelescourbes«victime»,«sexuel»,

«dangerosité»,«récidive»)

Sicesthématiquessécuritairesémergentdansuncorpusd’articleautourdel’expertisepsychiatrique,c’estparcequ’ellesviennent(re)poserlaquestiondesliens entre psychiatrie et justice, soin et peine. En effet, ces affaires sontl’occasionde s’interroger sur les caractéristiquesprésentées commepropres àces auteurs de violences sexuelles: le mécanisme du «déni» des troublesmentauxquicompliquelapriseenchargemédicaledecesauteursd’infractions,ladifficultéàévaluerleurdangerositéetlerisquederécidivequ’ilsprésentent.Une série d’articles rend compte des évolutions législatives souhaitées par lesparlementaires et le gouvernement pour protéger la société des auteurs deviolencessexuelles:ilestainsiparexemplequestiondela«perpétuitéréelle»,adoptéeaveclenouveauCodepénalaudébutdesannées1990,maiségalementdel’introductionde«l’injonctiondesoin»en1998,undispositifdestinéàmieuxencadrerlesuivimédicaldes«délinquantssexuels»:

«LesdéputésadoptentleprojetsurlaperpétuitéréelleTouslescondamnéspourcrimesetdélitssexuelsserontsoumisàunsuivipsychiatrique»,LeMonde,11décembre1993.«La santé mentale derrière les barreaux. Jadis soignés en hôpital psychiatrique, lesdélinquants sexuels sont de plus en plus nombreux en prison», LeMonde, 16 février1994«LaChancellerieétudiedenouvellesmesuresdesuividesauteursdecrimessexuels»,LeMonde,1août1995.«Lapriseenchargemédicaled’unvioleurdevantlacourd’AssisesdeParis»,LeMonde,23février1996.«Les députés souhaitent une meilleure évaluation de la dangerosité des délinquantssexuels»,LeMonde,8juillet2004.

Ainsi lequotidienenregistre lapréoccupationaffichéedespouvoirspublicsfaceàla«dangerosité»quisetraduitparlapublicationdenombreuxrapports

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autourdecettequestion.LeMonderendparexemplecomptedesconclusionsdurapportdessénateursPhilippeGoujonetCharlesGautier:

«Après l’exécution de la sanction pénale, les sénateurs n’abandonnent pascomplètement l’idée d’un placement contraint. Celui-ci serait fondé sur la dangerositépsychiatrique et non sur des échelles de risque criminologique telles que les utilisenotamment le Canada. Selon le rapport, «si l’état de dangerosité devait persister, letribunalde l’applicationdespeinesou le jugedes libertéspourraient,à lademandeduprocureur et après avis convergent de deux experts, décider de maintenir l’intéressédanscettestructurepouruneduréededeuxans»renouvelable.»LeMonde,28juin2006,«Délinquants«dangereux»:lespropositionsduSénat».

Si LeMonde fait état de ces demandes de sécurité, le journal apporte uneanalyse critique des mesures mises en place qui s’appuie notamment surl’opiniondesexpertspsychiatreslesplushostilesàcesmesures.Ainsi,àl’heuredemettreenplacel’injonctiondesoinspourlesauteursd’agressionssexuelles,unetribunedeMichelDubecestpubliée,danslaquelleils’interroge:

Peut-on subir des soins comme on subit une peine? Dans une telle configuration, lessoinscourentlerisqued’êtreillusoires,jamaisinvestisparlesujet,porteursd’unefaussesécurité.Quiporteralaresponsabilitédetelséchecs?Lespsychiatresont-ilslesmoyensetl’expériencedessoinsenmatièredetransgressionsexuelle?«Peut-oncondamnerlesdélinquantssexuelsàsesoigner?»,LeMonde,1mars1997.

Danscetarticle,ilmetenavantlecaractèreillusoireduprincipedeprécautionets’interrogesurlaparticipationdespsychiatresàcetteentreprisesécuritaire.Demême, alors que la rétention de sûreté a étémise en place (loi du 25 février2008), Daniel Zagury se déclare inquiet face aux nombreux discoursdémagogiquesautourdelarécidive:

«Le risque zéro est une quête ‘illusoire car inhumaine’, selon le docteur Zagury, quidénonce ‘l’utilisation de ces drames humains à des fins politiques et électoralistes’.Diminuerencorecephénomènederécidiveluisemblecependantpossible. ‘Laballeestdans le camp des politiques, assure-t-il. Ils doivent contribuer à mettre en place unechaîned’interventionsrationnelles,etadopter–commec’estlecasauQuébec–lemêmediscours que tous les autres acteurs de cette chaîne sur l’efficacité de la libérationconditionnelleetdel’encadrementparrapportàlarécidive.’Ils’agitnotamment,selonle docteur Zagury, de se dégager de l’obsession des soins et des traitements, pourfavoriser‘uncontrôlebienveillantmaisferme,àbased’accompagnementthérapeutiqueetdebalisageduparcours’. ‘Larencontreavec l’agentdeprobationetd’insertionouletravailleur social est tout aussi utile que le soutien thérapeutique, conclut le docteurZagury.Carcequipousseledélinquantsexuelàlarécidiveleplussouventn’estpasunepulsion,maisunsentimentd’isolementetd’abandon.’»LeMonde,10décembre2010,«LepsychiatreDanielZagurydénonce«lastigmatisationdémagogique»delarécidive»

Mais la critiquede cesmesures sécuritaires est alimentéepar le constat d’uneaugmentation du nombre de personnes présentant des troubles mentaux enmilieucarcéral.Denombreuxarticlesducorpusfontétatavecindignationdecephénomène, qui résulte notamment d’une responsabilisation abusive par lesexpertspsychiatres:

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«Guislain Yakoro n’aurait sans doute jamais dû être incarcéré. Aujourd’hui âgé de 24ans,lemeurtrierdeMichelLestage,quiaétéreconnupénalementirresponsabledesoncrime, vit à l’unité des malades difficiles (UMD) de Cadillac (Gironde). Dans cettestructurehospitalière,quiaccueilledespatientsdangereux,M.Yakoroestenfinprisenchargeàlahauteurdesapathologielourde.Ilauracependantfallutoutel’énergiedesafamille et de son avocat pour qu’il puisse bénéficier de ce placement et quitter lesétablissementspénitentiaires,oùilmultipliaitlespassagesàl’acte.»LeMonde,28janvier2002,«Le«déliredepersécution»dumeurtrierétaitincompatibleavecl’incarcération»

Ce parti pris du quotidien contre la tendance «responsabilisante» estparticulièrement visible dans les comptes rendus de controverses d’experts.Ainsi, autour de l’affaire Pascal Roux (auteur d’un double meurtre surl’éducateuretlanourricedesesenfantsdontilréclamaitlagardeetcondamnéà21 ans de prison), le journal semble seméfier de l’idée d’une «clinique de laresponsabilité»:

«Catégorique, le docteurDaniel Zagury, expert psychiatre, a tranché: ‘M. Roux est undélirant. Il a une psychose délirante dont le thème est la persécution et dont lemécanismeest l’interprétation.’Unepathologieévolutiverepéréeaucoursdetroisdescinq séjours en hôpital psychiatrique de l’accusé. ‘C’est un tableau psychiatriquearchiclassique.Unétatmentalpathologiquealiénantenrelationdirecteavecl’infractionquiluiestreprochée.Pournous,iln’yaaucundoutepossible.PascalRouxétaitatteint,aumomentdesfaits,d’untroublepsychiqueayantabolisondiscernement.’(…)Invitéàsontouràlabarre,ledocteurPierreLamothe,expertpsychiatredudeuxièmecollègequipermit le renvoi aux assises, a expliqué en substance que son diagnostic médical nedivergeaitpasdesesconfrèresDubecetZagury.Mais ildisaitcentrersoninterventionsur‘lacliniquedelaresponsabilité’,marquantsadifférencesurl’interprétationmédico-légale.Ilsoutenaitqu’unepersécution‘n’estpastoutàfaitdéliranteparcequ’ellereposesurlaréalité’.Etquecette‘interprétationgauchiedelaréalité’nes’étaitpasfaitesansuncertain‘librearbitre’.»LeMonde,26octobre2001,«PascalRouxaétécondamnéà21ansderéclusionparlesjurés»

Ou encore, plus récemment, à propos de l’auteur présumé du meurtre deValentin, en 2011, le journal met en évidence le caractère idéologique decertainesdécisionsd’experts:

«StéphaneMoitoiretavait-iltoutesaraisonlorsqu’ilatuéValentinCrémault,10ans,de44 coups de couteaux en juillet 2008? Devant la cour d’assises de l’Ain qui juge ceroutard de 42 ans pour «assassinat» et «actes de torture et de barbarie» , et sacompagne, Noëlla Hego, 52 ans, pour «complicité d’assassinat» , le docteur PaulBensussanaétécatégorique.«C’est lapremièrefoisdemaviequejevoisdeuxgrandsdingues, dignes de l’asile psychiatrique, dans un box de cour d’assises, s’est insurgél’expert-psychiatre, vendredi 9 décembre. Le législateur a prévu qu’on ne juge pas lesfous.»Faitrare,ledocteurBensussans’estdésolidarisédu«collège»qu’ilformaitavecses confrères SergeBornstein et Agnès Peyramond. Evoquant «une certaine lucidité»chez M. Moitoiret, ces derniers ont conclu à l’«altération» de son discernement, quiouvre la voie aux poursuites, tandis que le docteurBensussan a conclu à l’ «abolitiontotale»,quientraîne l’irresponsabilitépénaleetpeutdonner lieuàunehospitalisationaccompagnéedemesuresde sûreté. […]LedocteurBensussan a vivement critiqué les«raisons idéologiques»quiont, selon lui, conduit sesdeuxco-expertsà«tricherdans

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leur diagnostic». Vendredi, le docteur Peyramond a concédé croire «aux vertusthérapeutiques» de ce procès «pour la famille», comme pour «la partie [de lapersonnalitédesaccusés]connectéeàlaréalité».LeMonde,12décembre2011:«MeurtredeValentin:batailled’expertsauprocès»

En somme, le quotidien émet de nombreuses réserves face au retour de ladéfense sociale et participe à une critique virulente du mouvement deresponsabilisation pénale des auteurs d’infraction présentant des troublesmentaux.

Conclusion

L’analyse thématiqueréaliséeavec le logicielMalletsurcecorpusd’articlesduMondeautourdel’expertisepsychiatriquepermetdemettreenévidencetroisrésultats principaux. Tout d’abord, l’expert psychiatre est devenu, dans laseconde moitié du XXème siècle une figure incontournable du paysagemédiatique:ilestidentifiéetsondiscoursestreprisdanslesarticlesportantsurlajusticepénale.Lapressesembleicienregistrerl’importancecroissantedecetacteur technico-scientifique dans les dernières décennies (voir chapitre 4 duprésent rapport). L’analyse quantitative permet ensuite demettre en évidencel’évolution des thématiques traitées dans le corpuset tout particulièrementl’apparition d’une préoccupation sociale pour la question de la récidive des«dangereux», à commencer par les auteurs de violences sexuelles, maiségalement les auteurs d’infractions présentant des troubles mentaux. Cemouvement de «défense sociale», est cependant largement critiqué et lequotidiendonneunelargeplaceauxexpertslesplushostilesàcettevolontédepunir pour traiter les plus «dangereux». Nous allons voir dans une secondepartie que les quotidiens ne parlent pas de la même façon des auteursd’infraction présentant des troubles mentaux: si certains jettent un regardcritique sur ces évolutions, d’autres semblent participer à la construction decettefiguredela«dangerosité»etargumenterdanslesensd’uneneutralisationde cespersonnes, commeva lemontrer l’analysedu traitementmédiatiquededeuxfaitsdivers:l’affaireRichardDurnetl’affaireRomainDupuy.

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II. Les faits divers dans la presse nationale: un traitementdifférencié

Un fort consensus existe quant à la thèse selon laquelle les attitudescommunes à l’égard des maladies mentales sont partiellement induites etentretenuesparlafréquencedesstéréotypesnégatifsvéhiculésparlesmedia.Leprincipal vecteur de l’engendrement de ces stéréotypes résiderait dans lacouverture médiatique de faits divers, commis par des personnes ayant desantécédents psychiatriques (Steadman et Cocozza, 1977-78;Wahl et Harman,1989;Castilloetal.,2008,p.618;Tassone-Monchicourtetal.,2010,p.21).Ainsil’étude proposée par l’ARS Nord-Pas-de-Calais conclut que la presse nationaleécrite et audiovisuelle évoque en majorité la schizophrénie à l’aune de faitsdivers, où il est question de meurtre, de massacre, de fusillade (41% desarticles),dansuncontexteoùl’évocationdecesévénementstendàaugmenter104.Demême,l’effetcumulatifetlarépétitiond’articlesstigmatisantssontidentifiéscommeayantunrôledélétère(ThorntonetWahl,1996,p.23;ARS,2014,p.45).

Toutefois les études évoquées omettent de considérer les caractéristiquesspécifiques des sources qu’elles analysent (i.e. caractéristiques des journaux)ainsiqueladiversitédesarticlesconcernantdeprèsoudeloinlapsychiatrieetpubliésaulongcours.L’appréciationdurôledesmediadanslaconstructiondesreprésentations communes suppose une approche plus nuancée de cessupports105. La production de la presse écrite, en particulier, ne peut êtreabordée en se situant à un plan d’analyse excessivement général, ainsi que defaçon indifférenciée, sans s’intéresser au champ idéologique de ces supports,notammentàleursorientationspolitiques.Lapriseencomptedecesdernièrespermet de nuancer les conclusions des études précédemment mentionnéesrelativesà lapresseécrite.Nousavonschoiside faireréférenceà5quotidiensfrançais remarquables pour leur positionnement dans le champ sociopolitique(voirRéseaux,1999;Horellou-LafargeetSegré,2007;Maigret,2009,2015)etdisponibles sur labased’Europresse, facilitant leurexploitationquantitativeetstatistique et de centrer notre attention sur le traitementmédiatique de deuxaffairesrécentes:l’affaire«RomainDupuy»etl’affaire«RichardDurn».

104«Selon une étude de l’INA, en dix ans, le pourcentage des faits divers dans lesmedia a augmenté de73%.»(LeMonde,17.06.2013).Toutefoistoutesleschaînesn’accordentpaslamêmeimportanceauxfaitsdivers(voirINAStat,30,Juin2013).105L’étudedel’ARSNord-Pas-de-Calaissefondesurlaconsultation,denovembre2012àjuillet2013,de40à50articlesdepressepourchacunedesmaladiessélectionnées(schizophrénie,troublebipolaire,psychose,autisme,psychopathie)maislecorpusn’estpasspécifié.Onignorel’originedesarticlesretenus.

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1. Letraitementde«l’affaireRomainDupuy»

Certains experts soulignent le rôle crucial joué par le retentissementmédiatiquedudoublemeurtrecommisàl’hôpitaldePauen2004:unmédecininterrogéconsidèreainsiqu’«avant2004,untravailrégulièrementaccompliparla communauté pour lutter contre la stigmatisation commençait à porter sesfruits»(ThomascitéinARS,2014,p.71)etquel’affairedePauneconstituepasseulementunrenversementmaisreflète la façondont lasociétéet le juridiqueont fait évoluer l’image de la schizophrénie vers une responsabilité atténuée.Pourtant, une analyse plus précise des articles publiés autour de cette affairemontreunedisparitédetraitemententrelesdifférentsquotidiensnationaux.

Autourdecetteaffaire,lecorpussecomposede47articles.AinsiL’Humanitépropose 7 articles sur «l’affaire R. Dupuy», La Croix 5, Libération13 (et unementionoccasionnelledeR.Dupuydansunautrearticle),LeMonde22avecdesarticlestrèslongs,leFigaro30dontcertainssontaussitrèslongs.Lenombredesignes consacrépar chaquequotidien à ce sujet est respectivementde18.812,8.053,54.182,70.746,85.414,cettevariationquantitativeattestedel’intérêtquechaque journal porte à ce type de thématique. D’un point de vue quantitatif,lorsque l’ons’intéresse,une fois les«motsoutils»écartés, auxcentpremièresoccurrencesprésentesdanschaquequotidien106, sedétacheuncertainnombredetermespertinentspoursaisir lesassociationsentre lemeurtreet lamaladiementale, la référence à la schizophrénie, la place des familles et des victimesdansletraitementdecesaffaires.

Le tableau ci-dessous met en évidence les différences dans le recours àcertains registres de langue, concernant la schizophrénie en particulier vs.l’évocation de la folie, celles relatives aux champs sémantiques, concernantnotammentàladangerosité–quis’avèretrèsprégnantdansLeMondeetdansLeFigaro– ou à la sécurité ainsi que la place faite à la remise en question de ladispositionjuridiquequ’estlenon-lieu.

L’association du crime avec un problème psychiatrique varie selon lesquotidiens et est d’autant plus marquée que le journal est situé à droite del’échiquier politique. L’analyse de contenu permet de préciser le traitementspécifiquedel’affaireparchaquejournal.

106Cetteméthodepermetdecontourner ladifficulté tenantàcequechaquequotidienneconsacrepas lemêmenombred’articlesàl’affaireconsidérée.

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Termes L’Humanité LaCroix Libération LeMonde LeFigaro

psychiatrique 18 15 43 55 71

psychiatre/

psychiatrie

9+5 8+1 11+3 31+12 17+16

malade(s) 3 6 26 40 33

schizo* 4 0 9 34

(14pourschizophrénieseulement)

13

folie 0 0 14 10 4

irresponsabilité/

irresponsable

15 5 24 24 33

discernement 4 3 9 13 16

abolition 3 1 3 8 5

non-lieu(x) 13 12 10 34 32

altération 1 2 2 6 7

victime(s) 9 3 17 40 30

famille(s) 5 4 10 12 25

juge(s) 6 2 8 20 20

dangereux/

dangerosité

5 1 9 26

(dangereux,dangerosité)

23

(danger,dangereux,

dangerosité)sécurité 0 1 5 5 13arme 3 1 5 9 12police 1 0 13 22 28

Nombred’articles 41 5 17 79 59

Nombredemots 18.089 1.281 15.368 52.609 30.151

Tableau11-Occurrencedanschaquequotidien

L’Humanité

L’expressiondansL’Humanitésecaractérisenonseulementparuntonplutôtmodéré(«RomainDupuy,vingtetunans; le jeunehomme;RomainDupuy, lemeurtrier présumé (2 occurrences); l’auteur présumé; des problèmes deschizophrénie; souffrantdeschizophrénieavecdesboufféesdélirantes»)107, et

107Audébutdesannées2000,avantleprocèsladésignationdel’individuappréhendéseporteplutôtsurlamentionde«meurtrierprésumé»(surtoutdanslesjournauxdegauche).

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laréférenceàlaschizophrénien’intervientqu’àtroisreprises(bienqu’en2007,à l’occasion de l’appel du procès, le journal soit plus explicite: «unschizophrène»).

Dans l’ensemble, le quotidien se sert de cette affaire pour critiquer legouvernement et les décisions politiques prises au nom des familles desvictimes.

«Il y a unmomentdonnéoù la société françaisedoit exprimer sans complexedequelcôté elle se trouve: la politique que nous menons, c’est une politique qui assure unsoutientotalauxvictimes,pasauxcoupables.»LediscoursvalaitdéjàquandiloccupaitlaPlaceBeauvau,NicolasSarkozy,aujourd’huiàl’Élysée,reprendleflambeaudémagogueavec mise en œuvre immédiate. Après les délinquants récidivistes, vite rebaptisés«prédateurs»,qu’il fautenfermeràvie, voilà les fousqu’il faut juger, celaafind’offriraux victimes – comme l’a argumenté sans rire l’ex-magistrate et actuelle garde desSceaux–«lapossibilitédefaireleurdeuil».(L’Humanité,«Jugerlesfous,l’autrelubiedeNicolasSarkozy»,Société,mercredi29août2007,p.6)

Au-delàdecetteviséecritique,lequotidienfaitlepointsurl’irresponsabilitépénale (L’Humanité, Tribune libre, mercredi 5 septembre 2007, p. 17,«Réflexionssur lanotiond’irresponsabilitépénaleet lenon-lieupsychiatrique.Citoyenneté juridique pour tous ou morcellement social?») 108 , commeLibération le fait àd’autresoccasions, ainsique sur les réformes judiciairesdugouvernement Sarkozy. L’ambition est certes critique mais le quotidiens’emploie à préciser les enjeux associés à la rétention de sûreté (L’Humanité,Société,jeudi29novembre2007,p.10,«La“prisonaprèslaprison”validéeparlesministres»).

LaCroix

LejournalLaCroixsesituesurunepositionintermédiaireentreL’HumanitéetLibération. CommedansL’Humanité, la référence à la schizophrénie est peuprésente dans les articles (aucune mention) et le vocabulaire concernant R.Dupuy très peu stigmatisant («jeune homme, qui souffre de graves troublespsychiatriques; l’auteur du double meurtre (3 occurrences)»). Comme dansLibération, le quotidien s’efforce d’éclairer le débat public sur les enjeuxjudiciaires et psychiatriques posés par cette affaire, notamment concernantl’irresponsabilité pénale (La Croix, n° 37837, France, mercredi 29 août 2007, p. 6,Explication «Psychiatres et juristes considèrent qu’il est impossible de “juger lesfous”»).Lesarticles constituentunsuivide l’affaireetdes«rebondissements»duprocès.LesdéclarationsdeN.Sarkozysontévoquées.

108L’articleconsisteenuneinterviewduBernardDoray,psychiatre.

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Libération

Libérationpropose,entre2005et2008,13articlesmentionnantoutraitantde l’affaire Romain Dupuy. Comme dans L’Humanité et parce que les deuxjournaux s’inscriventdans l’opposition, cetteaffaireestutiliséepour traiterdesujetspolitiquesetjudiciaires,voiredesujetsdesociété,relatifsàlapsychiatrie.Lejournalsouligneparexemple,defaçoncritique,lesnégligencesdelapoliceetde l’hôpital psychiatrique. La récurrence d’articles évoquant cette affaires’expliquenonseulementdufaitdusuividuprocès(commedansLeMondeetLeFigaro)maiségalementenraisonde l’actualitépolitique.Eneffet,N.Sarkozyaconverticetteaffaireenunsujetpolitiqueetjudiciaire.

Lejournalsedistinguetoutefoisparletraitementqu’ilproposedesquestionsde fond, enmatière de psychiatrie. Ainsi il repose la question de la place desindividus criminels présentant des troubles psychiatriques: hôpital ou prison(«Libération, n° 7550, Société, jeudi 18 août 2005, p. 10, «Meurtres de Pau:nouvelle expertise. Des psychiatres relativisent la responsabilité du tueurprésumé»)?Lemeurtreconstitueunpointdedépartpermettantdemettreenlumière,puisdes’interrogersurlasituationdecrisequetraverselapsychiatrieen France: «Quelle est la situation au moment du crime? Un condensé dumalaisedelapsychiatriefrançaise»(Libération,n°7732,samedi18mars2006,Cahier spécial, Villes. Pau. «Droit d’asile»). Les articles sont longs car, commedans ce numéro spécial, Libération se donne les moyens de retracer la vieordinaire dans un hôpital psychiatrique et de le replacer dans sonenvironnement.OuvrantsescolonnesàdespersonnalitéscommeRobertCastel,sociologue,lequotidieninitieuneréflexiondefondsurleprocèsdelafolie(voirLibération, jeudi 8 novembre 2007, «La folie de Romain Dupuy peut-elle êtrepunie?»).Decepointdevue,LibérationfaitéchoàL’Humanitéquoiquedefaçonmoins polémique. En ce sens, on ne peut accuser le journal de contribuer àl’amalgameentrefouetcriminel.

Le choix des spécialistes s’exprimant sur le sujet, comme Robert Castel ouBrunoFalissard, auteurd’uneétude sur la santémentaleenprison109, autoriseun propos nuancé et s’écartant des préjugés sur la violence des personnesprésentant des troubles psychiatriques. Annonçant le lundi 26 mai 2008 undocumentaire de France 5 sur «Malades ou coupables? Télé. Difficulté dereconnaître la folie, impossibilité de la juger», le journal contribue à cetterécusation des stéréotypes et redonne une humanité aux personnes pourlesquelleslaquestiondelafolieoudelaresponsabilitépénaleestposée.

109ÉtudeeffectuéepourlesministèresdelaSantéetdelaJusticedejuin2003àseptembre2004,portantsur800détenusinterrogésetexaminés.

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187

LeMonde

Avec Le Monde, une rupture intervient dans le traitement de l’affaireconsidérée.Cette rupture se retrouveradans le traitementde l’affaireR.Durn.Tant que la culpabilité demeure présumée, les descriptions proposées par lejournalsontfactuellesetplutôtinformatives(articlesdes2et3février2005).Defaçon remarquable et contrairement aux précédents quotidiens, le mot«schizophrène»estdavantageutilisé(voirtableau1supra).Ainsiilapparaîtdèslepremierarticle(mentionde«symptômesdeschizophrénieavecdesboufféesdélirantes») et dans le titre du troisième article consacré au sujet (LeMonde,Société, vendredi 4 février 2005, p. 12, Faits divers, «La longue dérivepsychiatriquedeRomainDupuy, schizophrène.Quel traitement judiciairepourles malades mentaux?»). L’adjectif «schizophrène» est ensuitesystématiquement accolé au nom de Romain Dupuy, dans les titres d’articlesjusqu’au 15 février 2005. La fréquence avec laquelle l’événement et le procèssont traités est supérieure à celle des quotidiens précédents. Les dépêches del’AFPdonnantlesdernièresinformationssurcetteaffairesontprésentées.

Toutefoisonnoteundécalageentre,d’unepart,l’expositiondesaffaires,dessituationsetdesprotagonisteset,d’autrepart,lefonddesarticlesquiestd’uneautrefacturepuisqueLeMondeposefinalementlesmêmesquestionsdesociétéque les précédents journaux, en insistant toutefois davantage sur la questionjuridiquequesurlaquestionpsychiatrique.Eneffet,denombreuxarticlessontconsacrés à l’explication des enjeux du procès autour de la distinctionabolition/altérationdudiscernement entre le 19 août 2005 et le 15décembre2007. Il est peut-être fait davantage de place aux arguments en faveur del’altération110.Plusieursarticlesinterrogentlanotiondenon-lieu,alternantentredesargumentsremettantenquestionsonexistenceetdesarticlesendéfendantlebien-fondé, lorsqueparexemplelaparoleestdonnéeàunexpertpsychiatre,PaulBensussan111.

L’Humanité LaCroix Libération LeMonde LeFigaroaltération 1 2 2 6 7non-lieu(x) 13 12 10 34 32Nombred’articles

41 5 17 79 59

Unregardcritiqueestportésurle«simulacre»deprocèspourlespersonnesirresponsabilisées (LeMonde, Société, vendredi 4 février 2005). Une réflexion

110VoirLeMonde,Politique,vendredi9novembre2007,p.12.111LeMonde,Dialogues,jeudi15novembre2007,p.19.

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sur le droit et ses enjeux est initiée112. L’événement est aussi l’occasion deréinterroger le partage entre soin et prison. Ainsi, par exemple, après ladéclaration de non-lieu, le journal revient sur les problèmes généraux de lapsychiatrieetdesmaladespsychiatriquesenprison(LeMonde,Politique, lundi17décembre2007,p.10).

Letondeladénonciationestmarquéquoiqu’àladifférencedeL’HumanitéetdeLibération,ilsoitdefacturemoinspolitiquequesociale:l’irresponsabilitédespsychiatres est dénoncée, l’hôpital de Pau est à plusieurs reprises mis encause113. De ce point de vue, l’orientation est très nettement distincte de celleadoptée par Libération, La Croix ou L’Humanité. En particulier, la dimensionsécuritaire,absentedesprécédentessources,percedansLeMonde,enlienaveclethèmedeladangerosité(voirtab.1).AlorsqueLibérationouvresescolonnesàunarticlesurl’hôpitaldePau(voirsupra),aumêmemoment,LeMondeconsacreun article à la schizophrénie en lien direct avec l’affaire Romain Dupuy,contribuantparlààl’assimilationdesdélinquantsdangereuxetdesmaladesdela psychiatrie, cette assimilation étant réitérée à l’occasion de la parution durapport Burgelin où l’affaire Romain Dupuy est rappelée (Le Monde, Société,lundi28mars2005,p.7,«Unrapportpréconiseune“augmentationdesmoyens”pour traiter les délinquants dangereux»). Cette tendance présente plusieursoccurrencesdontl’unesematérialiseavecl’évocationdescriminelssexuels114.

Alorsquelesprécédentsquotidienss’efforçaientderedonnerunehumanitéauxpatients de la psychiatrie, certaines tournures duMonde sont inattendues,commecelles-cienincipitdel’article:

«À quoi ressemble un homme qui, une nuit de décembre 2004, a lardé de coups decouteauxuneinfirmièreetuneaide-soignanted’unhôpitalpsychiatrique,décapitél’uned’entreellesetdéposésatêtesurunpostedetélévision,estrentrésecoucherchezluipuis, six semaines plus tard, lors d’un banal contrôle, a tiré à bout portant sur lespoliciersquiluidemandaientsespapiers?»(LeMonde,Politique,vendredi9novembre2007,p.12

LeFigaro

Le Figaro se distingue par un traitement remarquable de l’affaire, nonseulement par le nombre de pages qu’il lui consacre, mais également par lesdétails proposés sur le crime puis par un suivi quotidien du procès. Dans lespremiers articles, RomainDupuy est décrit comme «le jeune homme» puis, à

112LeMonde,Dialogues,jeudi15novembre2007,p.19.113La principale occurrence politique concerne la dénonciation de la place accordée aux victimes par N.Sarkozy(LeMonde,Politique,jeudi31janvier2008,p.9,«Rétentiondesûretédescriminelsdangereux:laplacedesvictimessuscitelacontroverse»).114LeMonde,Politique,mercredi28novembre2007,p.12,«Legouvernementrenonceàlaculpabilitéciviledesmaladesmentauxcriminels»;LeMonde,Politique,jeudi31janvier2008,p.9,«Rétentiondesûretédescriminelsdangereux:laplacedesvictimessuscitelacontroverse».

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partir de février 2005, la qualification de «schizophrène» intervient danschaque article. Comme dans LeMonde, l’institution psychiatrique est mise encausemaiss’yassocie,cette fois,uneperspectiveassumant lepointdevuedespoliciers (voir aussi tab. 1)115. Lediscours s’avère fréquemmentorienté contrelespsychiatres.

La question de la sanction et de la peine est très vite posée (Le Figaro,mercredi2février2005,p.9)avecl’introductiond’uneidéequiserarécurrente:le malade «échappe» au procès. De même, le thème de la sécurité est trèsprésent (voir tab.1), y comprisdans l’évocationultérieured’autres crimespardes personnes souffrant de troubles psychiatriques 116 . Le journal abordeégalementladiscussiondelaresponsabilitépénaleetduprocèsaucivildecettepopulation, lorsqu’elle a commis des crimes. Le rapprochement entre crime etmaladiementaleestportéà sonapogée lorsdu rappel, en2007,de l’affaireR.Dupuydansunarticletraitantdelarécidivedesdélinquantssexuels117.Toutefoiscette assimilation n’est pas tant le fait de la presse que celle du politique. Ildemeure que LeFigaro contribue à entretenir la conviction d’une dangerositédesmaladesdelapsychiatrie,enévoquantparexempleR.Dupuylorsqu’iltraitede l’affaire Thomas Anderson (Le Figaro, samedi 19 janvier 2008, p. 10). Demême,uneassociationindueestproduiteentreR.Dupuyet«l’affaired’Outreauet [les] multirécidivistes» 118 . Un glissement infondé s’opère ainsi d’uneproblématiqueàl’autre.

Comme dans L’humanité, l’affaire R.D. est mobilisée avec des intentionspolitiques puisqu’elle constitue une occasion de promotion du plan de santémentale, porté par Ph.Douste-Blazy en2005119, puis en2007une occasiondetraiterdesconflitsdeN.Sarkozyaveclamagistratureaumêmetitrequel’affaireÉvrard ou la pénalisation du droit des affaires120. Le journal sert de relais àl’appuidespolitiquesdugouvernement,endonnantuneparoleauxvictimes121quecesoitdanslecasdeR.D.oudansdesaffairesultérieures122,anticipantsur

115LeFigaro,n°18816,mercredi2février2005,p.9;LeFigaro,mercredi2février2005,p.1,9.116VoirLeFigaro,jeudi6décembre2007,p.9;LeFigaro,vendredi4avril2008,p.10etd’autresarticlessurl’hôpitaldePauavant2007;LeFigaro,lundi4janvier2010.117LeFigaro,Samedi27octobre2007,p.10.118LeFigaroetvous,mardi17février2009,p.37.119«Plusdevingtrapportssur lapsychiatrieontétécommandésdansnotrepaysaucoursdesdernièresdécennies,mais c’est lapremière foisqu’unplannationalestproposé.» (LeFigaro, n°18818,vendredi4février2005,p.11)120VoirLeFigaro,samedi1septembre2007,p.7.121LeFigaro, samedi 3 novembre 2007, p. 9; LeFigaro, n° 19678,mercredi 7 novembre 2007, p. 8; LeFigaro, n°19680,vendredi9novembre2007,p.9;LeFigaro, n°19703, jeudi6décembre2007,p.9;LeFigaro,n°20078,mardi17février2009,p.37.122VoirLeFigaro,n°19741,samedi19janvier2008,p.10.

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les réformes qui donneront lieu à l’audition pénale, dans les procès oùl’irresponsabilitédesauteursaétéreconnue123.

2. Letraitementde«l’affaireRichardDurn»

La polarisation de la presse,mise en évidence à l’occasion de l’analyse desarticles traitant du cas R. Dupuy, se retrouve, lorsque sont évoquées d’autresaffaires criminelles dont les auteurs présentent un passé psychiatrique. Nousenvisagerons à présent le meurtre perpétré par Richard Durn à Nanterre124,antérieurement aux faits commis par R. Dupuy. Les quotidiens y dédientdavantaged’articles,certainementenraisondesoncaractèresensationneletdufaitqu’iltouchelaclassepolitique.L’Humanitéyconsacre41articles,Libération17,LeMonde79125,leFigaro59.Ladifférenced’approcheestànouveauflagranteen particulier dans la mention de la référence à la maladie psychiatrique del’auteur des faits.L’Humanité le désigne comme «un/le forcené», le terme de«folie» n’étant évoqué qu’à distance de l’événement dans un article du 27décembre 2002, faisant la chronologie de l’année: «Retour chaque jour dansl’Humanitésurlestempsfortsdel’année».Cetarticleestleseulàfaireallusionàlamaladiementaleetaudiagnostic126.Enrevanche,dèsleurpremierarticlesurlesujet,Libération,LeMondeetLeFigaromentionnentrespectivementlepatient,ladémence,«unpsychopathesuicidaire».

L’analyse de l’ensemble des chiffres qui suivent doit tenir compte de lamajoration du nombre d’articles produit par Le Monde sur le sujet.

123LeFigaro,n°19741,samedi19janvier2008,p.10;LeFigaro,n°20323,mercredi2décembre2009,p.10.124Nous avons choisi de ne pas traiter cette affaire de façon introductive, dans lamesure où la variablepolitiquejouaitunrôledepremierplanpuisquelesvictimesappartenaientauconseilmunicipaldelamairiecommunistedeNanterre.Danslamesureoùl’auteurdesfaitss’estsuicidé,l’affaireprésenteunprofilmoinstypiquequelaprécédente.125R.Durnestmentionné348foisdansLeMonde.Lacouverturedel’événementestquotidienneetintensejusqu’au 22 avril 2002. Certains articles assez longs évoquent, à partir du 31 janvier 2003, de façonanecdotiqueR.Durn,audétourd’unephrasemaisentrentnéanmoinsdanslecomptage.126OnnoteraqueseulsL’HumanitéetLeMondementionnentlaschizophrénie,avecrespectivement1et4occurrences.LeFigaroévoquelapsychopathie(2)etlapsychose(2),toutcommeLibération(3occurrencesdecechampsémantique)ouLeMonde(5).

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Termes L’Humanité LaCroix Libération LeMonde LeFigaro

psychiatrique

psychiatre/

psychiatrie

psychiatr* 15 9 18 62 49

malade(s) 7 2 10 3 14

schizo* 1 0 0 4 0

psychose 0 0 1 2 3

folie 4 5 16 16 6

forcené 13 11 8 5 16

victime(s) 51 39 18 70 53

famille(s) 27 22 12 45 19

juge(s) 0 3 2 7 10

dangereux/

dangerosité

1 4 2 15 21

sécurité 4 9 3 29 26arme* 43 41 45 117 100police* 66 42 52 194 154

irresponsabilité/

irresponsable

0 3 1 0 5

discernement 0 0 0 1 2

abolition 0 0 0 1 1

non-lieu(x) 0 0 0 1 2

altération 0 0 0 0 1

Nombred’articles 41 26 17 79 59

Nombredemots

Commedanslecasprécédent,L’Humanitéprocèdeàunemiseenperspectivepolitiquede l’événementets’ensertpourprocéderàunecritiquesociale(voirL’Humanité,vendredi29mars2002)127.Iloffreaujournall’occasiondeformulerdesattaquesrépétéesàl’encontredelapréfecturedepoliceainsiquedeJacquesChirac (L’Humanité, 30 mars 2002, p. 3) s’engageant dans un discourssécuritaire128. Ainsi la notion de «faute» des services de police a 11 citations

127Citant JacquelineFraysse, le quotidienmentionne très viteque le «procès»n’aurapas lieudu fait dusuicidedeR.Durn.128 «Indignation et colère, enfin, devant l’insupportable récupération du drame par la droite, etsingulièrementparceluiqui lareprésentedanslabatailleélectorale, JacquesChirac.PiétinantsonrôledeprésidentdelaRépublique,quiauraitdûleconduiredansdetellescirconstancesàincarnerladignitédela

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(occurrences pertinentes) alors qu’elle est absente des autres quotidiens quiferontplusvolontiersréférenceàlanotiond’«enquête»129.Lejournalsepartageentreladénonciationpolitiqueetuneformed’empathiepourlesvictimesdelasociété, dont R. Durn est une illustration. Il est présenté comme un exclusocial130,«unhommepsychologiquementfragilehabitéd’intentionssuicidaires»(30mars2002,p.4),«unpaumé»(6avril2002).Ladimensionpsychiatriqueetla possibilité qu’il soit psychiatriquement malade sont très peu suggérées. R.Durnapparaîtplutôtsouslestraitsdu«forcené»(12occurrences).

En revanche, le passé psychiatrique de ce dernier est souligné dansLibération,dèslepremierarticleconsacréauxfaits(Libération,n°6491,jeudi28mars 2002, p. 3, 4). Très rapidement il est fait allusion à sa prise en chargepsychiatrique(n°6492,vendredi29mars2002)ainsi,àplusieursreprises,qu’àses problèmes «psychologiques». Libération s’affirme comme le quotidienévoquantlepluslamaladiedel’auteurdesfaits(10occurrences131).Récusant–àladifférencedeL’Humanité–qu’ilsoitunevictimedelasociété(n°6499,samedi6avril2002,p.46),lejournalsouligneplutôt«sadémence»(n°6507,mardi16avril 2002), sa «folie» 132 (n°6510, vendredi 19 avril 2002), la «maladiementale», son profil de «psychotique» – propos rapportés d’un médecinconseillermunicipal.Toutefois,letondemeuremodérécommelesuggèrentcesproposrapportésdeLaurentElGhozi,adjointPSdelamairiedeNanterre:«“Ilfaut accepter le côté radicalement incompréhensible de la folie. Le reste estdérisoire, c’est un leurre que l’explication, à la limite de l’escroquerie.”» (n°6507, mardi 16 avril 2002) Enfin le quotidien récuse, de façon critique, lanécessitéd’unprocèspourlesvictimesetleursfamilles(n°6499,samedi6avril2002).

Comme Libération, Le Monde mobilise la qualification de la folie dès lespremiersarticles(«unactededémence»,jeudi28mars2002).Lelendemain,lequotidien publie la déclaration de R. Durn: «“Je suis fou. Je suis devenu unclochard. Je dois mourir”» (vendredi 29 mars 2002, p. 01)133. Ses troublespsychologiques sont réévoqués levendredi29mars2002,p.07.Undiagnosticest également proposé: «les psychiatres n’hésitent plus guère aujourd’huiqu’entre ces deux entités diagnostiques que sont la paranoïa et laschizophrénie»(vendredi29mars2002,p.06).LeMondefaitassezpeumentiondelaschizophrénieetpubliemêmeunarticle,lemardi12novembre2002,p.6,donnant laparoleàMichelSchneider,psychanalyste,remettantencause le fait

nationdevant ledrame, lecandidatChiracahonteusementsautésur l’occasionpournourrirsondiscourssécuritaire.[…]»(30mars2002,p.3)129L’«enquête»n’estpasévoquéeparLibération,maisellen’est57 foisparLeMonde («enquêteurs»37fois)et43foisparLeFigaro.130VoiraussiL’Humanité,mardi2avril2002,p.14.131Etaucunedanslesautresmedia.132«RichardDurnétaitfou.»133LejournalévoquedanslemêmearticlelasituationsocialedeR.Durn,RMIste.

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queR.Durnsoitun fou. Il ledécritcommeune«personnalité limite».R.Durnest, le plus souvent, désigné par son nom. Des investigations détaillées surcertainsaspectsdesaviesontpubliées,souslestitresplusieursfoisrepris:«LejournaldeRichardDurnoulerécitd’unevie“delâcheetdecrétin”»(articlesdu10avril2002).

Le quotidien se sert des faits pour introduire des discussions sociales etpolitiques. À l’occasion de cet événement, des questions de société sontsoulevées,relativesàlaviolencesociale(vendredi29mars2002,p.07),aurôledesmediadanscetypedeviolence(vendredi29mars2002,p.06:«Quelleestlaresponsabilitédes imagesde la télévisiondans cette tuerie?»), à l’articulationentre justiceetpsychiatrie(lundi5août2002,p.06134)ouà«l’implicationdesresponsables politiques locaux dans la prévention de la “souffrance psycho-sociale”» (samedi 26 juin 2004, p. 16), ou encore aux différends, voire à lapolémique entre policiers etmagistrats135(samedi 30mars 2002, p. 08).136Cesenjeux sociopolitiques sont encore placés au devant de la scène, lorsquel’attentionestportéesur la situationdesmairesauxprisesavec lesagressionsdes citoyens et sur les désillusions des citoyens à l’égard de la politique(vendredi29mars2002).

Surleversantpolitique,lejournalsefaitàlafoisl’échodesproposmodérésdupremierministreLionel Jospin,«“Il sera toujoursdifficilede faire faceàunactede folie […].C’estunactede foliemeurtrièrequis’estproduitet ilne fautdonc pas le traiter comme d’autres phénomènes dont on parle par ailleurs.”»(jeudi 28mars 2002) mais offre également une large place à «l’affrontementChirac-Jospin»(samedi30mars2002,p.06)137,ensoulignant lerôleconféréàl’événementdanslacampagneprésidentielle.Cefaisant,lethèmedelasécuritéentre dans le discours, le journal s’en faisant l’écho, en mentionnant dansplusieurs de ses titres la notiond’«insécurité»138mais également en évoquantles décisions prises par N. Sarkozy, tout au long de sa carrière politique (voirmardi16juillet2002,p.05)139.Néanmoinsdansl’ensemble,letondesarticlesdu

134«[…] en finir avec cette opinion trop répandue – y compris chez les magistrats – qui veut qu’unepersonnehospitaliséedansunservicedepsychiatriesoitimmanquablementperçuecommen’étantpasenmesuredepouvoir répondrede ses actes etque cellequi est incarcéréenepuisse, à l’inverse, prétendresouffrird’uneaffectionpsychiatrique».135R.Durns’estsuicidéensautantparlafenêtre,lorsdesoninterrogatoireàlabrigadecriminelleduQuaidesOrfèvres.136Le Monde insiste moins que L’Humanité sur le fait que l’affaire soit classée par l’IGS (la police despolices).137LeMondeestlequotidienquifaitleplusallusionàJ.Chirac:45occurrencescontre13dansL’HumanitéetLaCroix,17dansLeFigaro.138L’occurrence de la problématique consiste en cinqmentions dansL’Humanité, 15 dansLaCroix, troisdansLibération,69dansLeMonde,28dansLeFigarosachantquecesdeuxderniersquotidiensévoquentR.Durndansrespectivement79et59articles.139«Leprojetdeloisur lasécurité,présentéle10juilletpar leministredel’intérieur,NicolasSarkozy,etquiseradébattuàl’automneàl’occasionduvoted’uneloispécifique(LeMondedu11juillet),proposeàsontourundurcissementdelalégislation.Ilprévoitlacréationd’unfichiernationalautomatisédespersonnes

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Mondeestsobre.L’affairepasseausecondplanàpartirduvendredi31janvier2003.

Letraitementdel’affaireR.DurnparLeFigarosecaractérisepardeuxtraits:d’unepart,une très forteassociationdes faitsà laquestionde la folie sousunjour stigmatisant et, d’autre part, un usage politique de l’événement visant àintroduire les propositions législatives de N. Sarkozy. Ainsi la «piste de ladémence»intervientdèslepremierarticle(n°17926,Jeudi28mars2002,p.8).La folie est souvent évoquée dans ces premiers articles, tout comme après lesuicide (Vendredi 29 mars 2002, p. 13). Le champ sémantique convoque destermescomme«ledéséquilibré»(n°17926;Vendredi29mars2002,p.12;n°17932, Jeudi4avril2002,p.13,etc.),«letueurfou»(n°17926, Jeudi28mars2002, p. 1, 8, 9), «psychopathe suicidaire» (n° 17926), «psychopathe» (n°17930),«fousanglant»(n°17930,Mardi2avril2002,p.15),«unpathologiquedéséquilibre…» (n°17930).Dans chaquearticle figureun termeévoquantunepathologieouuneétiquettepsychiatrique140,alorsmêmeparexemplequecettetendance n’intervient quasiment pas dans L’Humanité. L’adjectif «fou» estassocié de façon récurrente au nom de R. Durn, ce que ne font passystématiquementlesautresquotidiens.

L’orientationcritiquequ’assumeparfoisLeFigaroviseàsuggérerlanécessitédes réformes qui seront ultérieurement proposées par N. Sarkozy. Ainsi sontmisesencausedes«personnestenuesausecret[qui]n’ontriendit»(n°17927,Vendredi29mars2002,p.13).Le journalpublie«uncourrierduministèredel’Emploi et de la Solidarité [qui] interdit aux forces de l’ordre d’accéder auxinformationssurdesaliénésdangereux»(n°17944,Jeudi18avril2002,p.11).Cette publication devient l’occasion d’une discussion sur «l’aménagement dusecretmédical en faveur des services de police» (n° 17944) ainsi que sur lesoutilsàladispositiondelapolice,concernantnotammentlespersonnesatteintesdetroublespsychiatriques.Orle10juillet2002,N.Sarkozysuggèredeleverlacontraintedusecret.Demême,laplaceconféréeauxvictimes,fondéesurl’idée«qu’un procès leur aurait permis d’achever leur travail de deuil»141prélude àl’introductionde l’audiencepénale des auteurs de crimesdéclarés pénalementirresponsables142.Alorsquelaresponsabilitépénaledespersonnesayantcetype

interditesd’acquisitionoudedétentiond’armes. Il suggèreaussid’instaureruneobligationd’informationpour les professions soumises au secret (médecins, services sociaux...), qui seraient désormais tenuesd’alerterlesautoritésencasdecomportementsuspect.»140VoiraussiVendredi5avril2002,p.14;LeFigaroMagazine,samedi6avril2002,p.48-50.141LeFigaroMagazine,samedi6avril2002,p.48-50.142Endécembre2003, un groupede travailmis enplace par leministre de la justiceDominiquePerbenpropose d’organiser une audience publique, composée de troismagistrats, visant à faire comparaître lesaccusésdevantunejuridictionadhoc,différentedelacourd’assisesetdutribunalcorrectionnelexistants.Cetteprocédureserainstauréeparlaloin°2008-174du25février2008relativeàlarétentiondesûretéetà la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Elle autorise une procédurealternative selon laquelle en cas de non-lieu pour démence, les familles «privées» de procès peuventdemanderuneaudiencedevantlachambredel’instruction.

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detroublesn’estévoquéeparaucundesautresquotidiens,LeFigaroyrevientàplusieurs reprises. Ainsi la critique sociale s’exprimant dans le journal –notamment à l’encontre des professionnels de santé 143 – présente uneorientation sécuritaire (voir n° 17944) et répressive propre à ce quotidien. Laquestiondessanctionsestprégnante.

Au-delà de cet aspect polémique, les articles ont aussi une valeurinformative 144 . Ils abordent la détention du port d’armes, la déclarationd’irresponsabilitépénale, l’indemnisationdesvictimes, la responsabilitépénaledes individus présentant des troubles psychiatriques, «la sécurité des élus enFrance» (n° 20344, lundi 28 décembre 2009). La réitération des articlesconsacrés à la détention d’armes – mais aussi à la police – permet de placercontinûmentaupremierplanlaquestiondelasécurité,deplusenplusprésenteàpartirdefévrier2003(n°18195,Jeudi6février2003,p.10).Lejournalestleseul à faire mention de la sécurité de façon insistante (20 occurrences). Lechamp sémantique convoqué par ce quotidien est caractéristique puisqu’il estcelui dans lequel les occurrences des termes «police/policiers» et «armes»interviennent le plus fréquemment, respectivement 123 et 97 fois, y comprisavantmêmeladésignationdes«élus», termeleplusconvoquéparchacundesautresquotidiensaprès«Durn,Nanterre,Richard».Parcomparaison, le terme«armes»n’estévoquédanschacundesautresjournauxrespectivementque28fois (H.), 29 (L.C.), 41 (Lib.), 84 (LMd.). La préoccupation sécuritaire s’affirme,plusl’orientationpolitiquedesjournauxestmarquéeàdroite.

Conclusion

Cette analyse a permis de souligner combien le traitement de la foliecriminelle variait selon les quotidiens et, en particulier, selon leur orientationpolitique. L’association d’un vocabulaire, connotant la maladie mentale, à lamentiondel’auteurprésuméducrimeainsiquelaprécocitédel’évocationdelafolie, dans le traitement de l’affaire, sont d’autant plus fortes que le quotidienassumeuneorientationpolitiquededroite.Demême,laplacedesvictimesyestplus importante que dans les journaux de gauche, au même titre qu’unesensibilité accrue pour la responsabilisation pénale d’individus, touchés par lamaladiementale.Letonaveclequelcesaffairessonttraitéesetladuréependantlaquelle lequotidiencontinuedelesévoquervarientgraduellementselonleurs

143La psychiatrie est stigmatisée car, selon Philippe Douste-Blazy, elle laisse sortir les patients médico-légauxprécocement(n°17934,LeFigaroMagazine,samedi6avril2002,p.48-50).144Quoiqu’ilyaitaussideladésinformationdansLeFigaro.Voir:«DurniraàtroisreprisesenIsraëlpourserecueillirsurlatombedeBaruchGolstein,uncolonjuifquiatué29Arabesen1994.Puisdansdescampspalestiniensoùilloueralecouragedeskamikazes.»(Mardi2avril2002,p.15)LecertificatmédicalréalisépourDurn(Jeudi4avril2002,p.13).

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options politiques 145 . Ainsi la période durant laquelle chaque quotidien acontinuédes’intéresseràl’affaireDurnestrévélatricedeleurpostureàl’égarddecetyped’événements.Lesarticlestraitantréellementdecelle-làprennentfindansL’Humanitéàpartirdu27décembre2002–ils’agitd’hommages146–,dansLibérationdu19avril2002,dansLeMondedu31janvier2003,dansleFigarodumardi 13 avril 2004. Le traitement réservé par les quotidiens français auxaffairesDupuyetDurnadoncpermisdesoulignerunclivagequantàl’approchedes«affairescriminelles»par lesquotidiensdegaucheetdedroite.Ceclivagen’intervient pas seulement dans la présentation des affaires criminelles maispourraitégalementbiencaractériserletraitementparlapressedesquestionsdepsychiatrieentantquetelles(voirGuibetLafaye,2016).

Uneautreanalyseapermisdemontrerquelesconclusionsquel’onpeuttirersurlerôledelapressedépendentduchampdepresseanalysé,c’est-à-direselonque l’on s’intéresse aux articles évoquant des crimes ou bien à la pressegénéraliste.L’orientationpolitiquedessupportsdepresseécriteauneincidenceà la fois sur le traitement des questions de psychiatrie mais également surl’intérêtportéauxfaitsdivers.Contrairementàcequiaétémisenévidencedansd’autresétudes,lapressesefaitplusvolontiersl’échodudébatpolitiquequedesfaitsdivers.Pluslejournalsesitueàgaucheetpluscesdébatssontconsidérés.En revanche, l’écho conféré à l’événementiel tragique varie selon lespositionnementspolitiquesdesjournaux.Unelargepartiedespublicationsdelapresse écrite consiste, lorsqu’elle traite du sujet général de la folie ou de lapsychiatrie,àdétricoterdespeurs,rétablirdesvérités(tellesquelesmaladesdelapsychiatriesontplussouventvictimesqu’agresseurs),ens’appuyantsurdesdonnéesstatistiques,éventuellementprésentéesdanslesarticles(voirLeMonde,30/12/2008). La criminalité n’occupe pas systématiquement le devant de lascène,lorsquelapsychiatrieestabordéeparlapresse,celle-cis’intéresseplutôt–quoiquedefaçonvariableselonlesorientationspolitiquesdesquotidiens–auxréformes advenant dans le champ ou aux sujets d’actualité en psychiatrie(autisme,génétique,toxicomanie).

145DansLeFigaro, letonestampoulé.L’Humanitéestempathique.Lepointdebascule,dansletraitementdel’informationetlavolontéd’objectivation,intervientavecLeMonde.146Onsesouvientqueledrameaeulieudansunecommunecommuniste.

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Chapitre 6: Effets des évolutions législatives sur lesreprésentationsdelafolieetdelamaladiementale

ParCarolineGuibetLafaye

Lorsdelapromulgationdesdernièresloisenpsychiatrie(enparticuliercelledu 5 juillet 2011), on s’est inquiété du virage sécuritaire qu’imposaient lesréformes gouvernementales dans le champ147. Antérieurement, des chercheursontsouligné«lacollusiondupolitiqueaveclejuridiqueetl’absorptionparl’Étatde l’événementiel pour imposer une politique déjà réfléchie par ailleurs»(Kalampalikisetal.,2007,p.842).

I. Lafabricationdeslois

1. Unedoubletendance

Uneanalysedecontenudes textes législatifspubliésdepuis1950148permetdesouligner,surl’ensembledelapériode,unedoubleorientationenmatièredepsychiatrie.Àl’exception,dansunecertainemesure,delacirculairede1956149,lesannées1950sontmarquéesparunsoucisécuritairecommelemontrenttroistextes:lacirculairen°109du5juin1950duministèredelaSantépubliquequiprévoit,d’unepart,dessubventionspour laconstructiond’équipementpour letraitement des «malades mentaux difficiles», et propose d’autre part uneclassification de ces malades en trois catégories; la loi du 15 avril 1954,prévoyant le traitement des «alcooliques dangereux pour eux-mêmes ou pourautrui», dans des centres ou des sections de rééducation spécialisés, et quiconstitueunexemplecaractéristiquedeloidecontrôlesocial;enfin laréformeduCodedeprocédurepénalede1958introduisantlanotiond’accessibilitéàunesanctionpénale.

147Nousfaisonsnotammentallusionaucollectifdes39quis’estconstituécontre«lanuitsécuritaire».Voirletextepréparatoireàlatable-rondedujeudi21mai2013ainsiquelesauditionsde4deleursmembresparlacommissionRobiliard.148Pourétablirlachronologiedesloispertinentesdansledomaine,nousavonsprocédéàunerechercheparmotscléssur labasedeLégifranceetétudiésystématiquementtoutes les loispromulguéesconcernant lapsychiatrieentre1950et2015ainsiquelesdécretsetcirculaires.149Circulairedu24mars1956, concernant l’établissementdudeuxièmepland’équipement sanitaire, quipréconisenotammentlacréationdedispensairesd’hygiènementaleetl’ouverturedehomesdepost-cure.

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Les années 1960 constituent un pendant de ces orientations avec, enparticulier,lacirculairedu15mars1960relativeauprogrammed’organisationet d’équipement des départements en matière de lutte contre les maladiesmentales.Elleconstitueuntournantdansl’approchepolitiquedelapsychiatrie,visantàprendredesdistancesavec l’asile.L’accentestportésur laprévention,l’hôpital de jour, le foyer de postcure, les ateliers protégés, ainsi que sur lacontinuité des soins et surtout l’évitement de l’hospitalisation ou de laréhospitalisation150. À la fin de la décennie, i.e. en 1968, la problématique duhandicap émerge151. Ouverture vers la ville et souci sécuritaire marquent lerapportdupolitiqueàlapsychiatriejusqu’ànosjourss’esquisseàpartirdecesannées.Eneffet,l’organisationd’uneouverturedel’hôpitalverslavilleetlamiseenplace de la sectorisation s’opèrent en contrepoint de l’affirmationd’aspectsrépressifs et de la création d’une catégorie spécifique d’individus, les détenussouffrant de troubles psychiques. Ainsi, d’une part, la circulaire du 30 juillet1967créelesCentresMédico-PsychologiquesRégionaux(CMPR),aujourd’huilesSMPR, en plaçant le personnel médical sous la direction du chef del’établissement pénitentiaire, et la loi du 3 janvier 1968, d’autre part, rend lemalademental,reconnupénalementirresponsable,civilementresponsable(art.489-2CodeCivil).

Cettedouble tendancedemeureà l’œuvredurant ladécennie1970.Celle-ciest, pour une part, marquée par la sectorisation152mais également, pour uneautre part, par la persistance d’un souci de contrôle social, toutefois moinsaccentué qu’il ne le sera dans des décennies ultérieures. L’ambivalence semarque dans les deux dispositions législatives de l’année 1970:ma loi du 17juillet1970établitquel’ordonnancedenonlieuestsusceptibled’appeldelapartdelavictime,partiecivile,etlacirculairedu4septembre1970étendl’actiondusecteur, base du service public dans la lutte contre les maladies mentales, àl’alcoolismeetàlatoxicomanie.Cedoublemouvementtraverselesannées1980,avec la légalisation du secteur psychiatrique (1985)153et l’organisation de lasectorisation (1986), d’un côté, et, d’autre part, la persistance de laproblématique sécuritaire, s’affirmant dans la loi dite «Sécurité et liberté» du

150Lacirculaire:«Ainsiestréaliséedelafaçonlaplussatisfaisantelacontinuitédessoins;chaquefoisquecelaestpossible,l’hospitalisationoularéhospitalisationestévitée;l’insertionoularéinsertiondumaladeestfaitedanslesmeilleuresconditions,grâceàlaconnaissancequel’équipemédico-socialeapuacquérir,non seulement du malade, mais encore du milieu économique et social du secteur et, notamment, desressourcesdelogementetdesdiversespossibilitésd’emploiqu’iloffre.»(chap.3,1.).151Loi n° 68-5 du 3 janvier 1968 portant réforme du droit des incapablesmajeurs; loi de 1968 sur lestutellesetcuratelles.152Jusqu’à la fin des années 1970, les textes juridiques se consacrent à la structuration du champpsychiatrique.Surlesecteur,voirBenoîtEyraudetLiviaVelpry,«Lesecteurpsychiatrique:uneinnovationinstituante?»,Socio-logos[Enligne],7|2012,http://socio-logos.revues.org/2651.153 La législation en matière de psychiatrie est marquée par une lenteur d’opérationnalisationcaractéristique.Voirlamiseenœuvredusecteurainsiquelesdétailsderévisiondelaloidu27juin1990.

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2février 1981154 , dans l’organisation des UMD et la création des ServicesMédico-PsychologiqueRégionaux(SMPR)en1986.Laloide1981introduitdansledébatpublic(avecletitreI,chap.1)lathématiquedelarécidiveainsiquelesdispositionsrelativesauxdroitsdesvictimes.

Ladécennie1990–etplusexactementlapériodes’étendantde1989(arrêtBrousse)à1998–placel’accentsurlesdroitsdespatients,réaffirmésdanslaloidu27juin1990.Celle-cialignelapsychiatriesurlesstatutsdusystèmegénéralde santé155. Le souci des droits des patients156se conjugue avec une volontéd’ouverturedel’hôpitalpsychiatriquesurlaville157setraduisantégalementdansdestextes,promouvantl’accueildespatientsdansdesfamilles158,le«réseaudesoins» (1996, 1999159), la normalisation de l’ensemble des soins proposés enpsychiatrie160.Néanmoinscettevolontéd’ouvertureapourpendant–illustrantunenouvellefoisledoublemouvementanimantlalégislationdanslechampdelapsychiatrie– la loin°98-468du17juin1998relativeà lapréventionetà larépressiondesinfractionssexuellesainsiqu’àlaprotectiondesmineursquicréel’injonction de soin et modifie la pratique de l’expertise psychiatrique, laconvertissant d’une évaluation psychiatrique de responsabilité en uneestimationdurisquederécidivepost-sentencielle.

Dans les années 2000, la double orientation soulignée persiste puisque s’ydessinent à la fois l’émergence de la figure de l’usager mais égalementl’approfondissement d’une logique sécuritaire, ancrée sur la prévention de larécidive,àl’œuvredès1998.Ainsidanslacontinuitédelaloidu27juin1990et

154«La loi dite “Sécurité et liberté” du 2 février 1981 contribue à renforcer les droits des personneshospitaliséessansleurconsentementenimposantauprésidentdutribunaldegrandeinstance,saisid’unedemandedemainlevéed’unedécisiond’hospitalisation,d’organiserundébatcontradictoireetdemotiversadécision,l’autorisantparlàmêmeàassureruncontrôlerigoureuxdel’actiondel’administration.Ainsi, depuis 1981, le juge judiciaire n’a plus à se limiter à vérifier si l’internement est médicalementjustifié:ildoitégalements’assurerqueladécisionestbienfondéeeuégardàl’étatdepersonne.»(Rapportau Sénatpour le «Projetde loi relatif auxdroits et à laprotectiondespersonnes faisant l’objetde soinspsychiatriquesetauxmodalitésdeleurpriseencharge»)155Extrayant par là les patients de la psychiatrie de la problématique du handicap à laquelle ils ont étéassociésàpartirdelafindesannées1960.156S’exprimantdans la circulaireWeil du19 juillet 1993–qui rappelle égalementque l’enfermementnedoit plus être la norme, y compris pour les personnes hospitalisées sous contrainte –, par la circulaireDGS/DHn°95-22du6mai1995relativeauxdroitsdespatientshospitalisésetcomportantuneChartedupatienthospitaliséetparl’annulationd’unemesured’hospitalisationàlademanded’untiers(HDT)parletribunaladministratifdeCaenen1997aumotifquelademandedutiersavaitétéétablieparunesecrétairedel’établissementdontlesliensaveclepatientn’étaientpasdémontrés(jugementdu25juin1997).157LeprojetdecirculaireDH/E04/DGS/SP3/98relativeà l’évolutiondudispositifdesoinsenpsychiatriesoulignequeceux-cirequièrentl’ouverturedeshôpitauxpsychiatriquesverslapopulationetversd’autresinstitutions.158Loin°89-475du10juillet1989relativeàl’accueilpardesparticuliers,àleurdomicile,àtitreonéreux,depersonnesâgéesouhandicapéesadultes.159Lacirculairedu25novembre1999élargitlanotionaux«réseauxdesoinspréventifs,curatifs,palliatifsousociaux».160La loi n° 94-43 du 18 janvier reconnaît aux personnes incarcérées le droit d’être soignées comme enmilieulibre.

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delapromotiondesdroitsdespatients,sevoitpromulguéelaloidu4mars2002quidonnethéoriquementaccèsàleurdossierauxpatientsdelapsychiatrie.Demême,l’arrêtduConseild’Étatdu3décembre2003souligne,commeen1997,lanécessitéd’unlienpersonnel,antérieuràlademandedesoins,entrelapersonnemaladeetletiers,requérantunehospitalisationsansconsentement.Laloidu30octobre2007porte créationducontrôleurgénéraldes lieuxdeprivationde laliberté. La loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie deproximitéoffreuncadredeconcertationrenforcéparlacréationobligatoiredeconseilsdequartierdanslescollectivitéslocalesdeplusde80.000habitants.Cestexteslégislatifstraduisentunsoucideschampssanitaire,socialetmédico-social(2001-2002) 161 , de l’intégration des patients de la psychiatrie dans lacommunauté (2002) – déjà à l’œuvre dans la décennie 1990 –, de la prise encharge du handicap (2005) 162 , de la défense des droits des patients 163 .Mentionnonsenfinleplandesantémentalede2002etlaloidesantépubliquede2004164.

Toutefois cesmesures doivent êtremises en regard de la prolifération destextesprincipalementsoucieuxdesécuritépublique.Depuis1998etledébutdesannées2000,onassisteàundurcissementdesmesuresdejusticeetdesécurité,marquéparneufloisetundécret(loiPerbenIen2002aveccréationdesUnitésHospitalières Spécialement Aménagées (UHSA); loi du 9 mars 2004 portantadaptationdelajusticeauxévolutionsdelacriminalité165;loin°2005-1549du12décembre2005relativeautraitementdelarécidivedesinfractionspénalesàcertains crimes particulièrement graves166; loi du 5 mars 2007 relative à lapréventiondeladélinquance;loidu10août2007surl’injonctiondesoins;loisurlarétentiondesûreté,adoptéeparleParlementle7févrieretpubliéele10juin2007;loin°2008-174du25février2008relativeàlarétentiondesûretéetà la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental167;décretn°2008-1129du4novembre2008relatifàlasurveillancedesûretéetàlarétentiondesûreté168;loin°2010-242du10mars2010tendantàamoindrir

161VoirlacréationdesGroupementsd’IntérêtPublic.162Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et lacitoyennetédespersonneshandicapées,prolongeantlesdispositionsprisesàlafindesannées1960.163Avecl’instaurationd’uncontrôleparlejugedeslibertésetdeladétention(JLD)deshospitalisationssansconsentementen2011.164Loi de programmation de santé publique du 9 août 2004. Elle définit «plusieurs objectifs de santépubliquedansledomainedesaffectionsneuropsychiatriquesetdeuxplansministérielssuccessifs,couvrantlespériodes2002-2005et2005-2008,ontétémisenœuvre»(rapportLefrand,2011).165Loin°2004-204du9mars2004créantleFichierjudiciairenationalautomatisédesauteursd’infractionssexuelles.166La loi du 12 décembre 2005 a introduit le placement sous surveillance électronique mobile et lasurveillancejudiciaireenlesqualifiantexpressémentde«mesuresdesûreté».167Rapport Lamanda, «Amoindrir les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux», 30mai2008.168La loi stipule que lemédecindoit informer l’administrationpénitentiaire si la personne fait courir undangeràl’institution.Elleinclutdesurcroîtunepossibilitédedemanderdesmesuresdesûretéàl’égarddes

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le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédurepénale; le5mai2010l’AssembléeNationalepréconisedecréerde5nouvellesUMD169; loin°2011-803du5 juillet2011 sur les soins sans consentement enambulatoire).Lalogiqueducontrôlesocialopèreégalementdansl’amendementau Code de la santé publique, proposé par Bernard Accoyer, et adopté le 8octobre2003170visantàréglementerlespsychothérapies,ainsiquedanslaloin°2007-127du30janvier2007quiluifaitéchoetréglementantl’organisationdecertainesprofessionsdesanté171.

Défensedesdroitset logiquesécuritaire continuentd’animer lespremièresannées de la décennie 2010. Cette logique s’affirme dans trois lois: la loi n°2010-242du10mars2010visantàamoindrirlerisquederécidivecriminelleetportantdiversesdispositionsdeprocédurepénale,laloin°2011-803du5juillet2011quiinstituelapossibilitédesoinssansconsentementenambulatoire,laloin° 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l’exécution des

personnesprésentantdestroublespsychiatriques.Ladécisiond’irresponsabilitén’estplusunnonlieu,elleest inscrite sur le casier judiciaire. Sur demande de la victime, il est possible de faire comparaître lapersonneaccuséedevantletribunalcivilpourstatuersurdesdommagesetintérêts.Lejugepeutprononceruninternementd’office.LespsychiatresdeSMPRouUCSAsontobligésdefournirlesélémentsdudossieraumédecincoordinateur.169Ainsis’ouvrirontdans lesannéesquisuivent l’UMDdeMonestier-MerlinesenCorrèze,en2011, l’UMDducentrehospitalierLeVinatieràBrondansleRhône,endécembre2011,l’UMDdeChâlons-en-ChampagnedanslaMarne,enjanvier2012,l’UMDd’AlbidansleTarn,en2011,l’UMDdeSotteville-lès-RouenenSeine-Maritime,enmai2012.Cesunitésaccueillentactuellementuntotald’environ530patientsdont40femmes.170«ArtL3231:Lespsychothérapiesconstituentdesoutilsthérapeutiquesutilisésdansletraitementdestroublesmentaux.Lesdifférentescatégoriesdepsychothérapiessontfixéespardécretduministrechargéde la santé. Leur mise en œuvre ne peut relever que de médecins psychiatres ou de médecins etpsychologues ayant les qualifications professionnelles requises fixées par ce même décret. L’agencenationaled’accréditationetd’évaluationensantéapportesonconcoursàl’élaborationdecesconditions.Lesprofessionnelsactuellementenactivitéetnontitulairesdecesqualifications,quimettentenœuvredespsychothérapiesdepuisplusdecinqansàladatedepromulgationdelaprésenteloi,pourrontpoursuivrecette activité thérapeutique sous réserve de satisfaire dans les trois ans suivant la promulgation de laprésente loi à une évaluation de leurs connaissances et pratiques par un jury. La composition, lesattributionsetlesmodalitésdefonctionnementdecejurysontfixéespararrêtéconjointduministrechargédelasantéetduministrechargédel’enseignementsupérieur.»171Loi n° 2007-127 du 30 janvier 2007 ratifiant l’ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative àl’organisationdecertainesprofessionsdesantéetà larépressiondel’usurpationdetitresetdel’exerciceillégal de ces professions etmodifiant le code de la santé publique (1) (Titre résultant de la décision duConseil constitutionneln°2007-546DCdu25 janvier2007). Le chap. III est intitulé «Mesuresde sûretépouvantêtreordonnéesencasdedéclarationd’irresponsabilitépénalepourcausedetroublemental».Titre II,article6:«Sansque leursoientopposables lesdispositionsde l’article226-13ducodepénal, lespraticienschargésdedispenserdessoinsenmilieupénitentiairecommuniquentlesinformationsmédicalesqu’ilsdétiennentsurlecondamnéaumédecincoordonnateurafinqu’illestransmetteaumédecintraitant.»Titre II, article 8: «Dès lors qu’il existe un risque sérieux pour la sécurité des personnes au sein desétablissementsmentionnés aupremier alinéaduprésent article, les personnels soignants intervenant auseindecesétablissementsetayantconnaissancedecerisquesonttenusdelesignalerdanslesplusbrefsdélais au directeur de l’établissement en lui transmettant, dans le respect des dispositions relatives ausecretmédical,lesinformationsutilesàlamiseenœuvredemesuresdeprotection.«Lesmêmesobligationssontapplicablesauxpersonnelssoignantsintervenantauseindesétablissementspénitentiaires.»

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peines172, et avec la circulaire interministérielle DGOS/R4/PMJ2/2011/105 du18mars2011relativeàl’ouvertureetaufonctionnementdesUHSA.Endépitdece climat, la tendance à la défense des droits continue de s’affirmer avec ladéfinition des «affections psychiatriques de longue durée», en 2010; avec ladécision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010 du Conseil constitutionnelconcernant le rôle du Juge des Libertés et de la Détention (JLD), gardien deslibertés individuelles; le contrôle par le JLD des Soins Psychiatriques surDécision du Représentant de l’État (SPDRE) et des Soins psychiatrique à laDemanded’unTiers(SPDT)aveclaloin°2011-803du5juillet2011etcellen°2013-869du27septembre2013dontletitreIconcernele«Renforcementdesdroits et garanties accordés aux personnes en soins psychiatriques sansconsentement».

Cetteanalysesuggèredoncquesileclimatsocialgénéralaévolué,euégardàcequ’ilapuêtredans lesannées1970-80, iln’yapasàproprementparlerdevirage sécuritaire dans le champ législatif, régissant la psychiatrie, mais uneaccentuation d’une tendance sécuritaire présente dès les origines, enl’occurrencedèslesannées1950.Lacréationdusecteur,danslesannées1970,aconstituéunmomentprivilégié,uneparenthèsedansdesdispositifssécuritairesquis’appliquentdefaçontendancielleàlapsychiatrie,depuislelendemaindelasecondeguerremondiale.D’autresl’ontsoulignéavantnous,

«[…]lamiseenplacedecedispositifdesécuritéquimetensoncentre,commevaleurcentralesinonabsolue,lasécuritédespersonnesetlapréventiondesmenaces,n’estpasconjoncturelle. On pourrait croire le contraire dans la mesure où ce sont certainesaffaires qui ont servi de légitimation à sa mise en place; c’est même l’une descaractéristiques de sa construction: elle prend appui sur des drames dont l’émotionqu’ils suscitentpermetd’outrepasser, dans l’urgence et lanécessité, certainsprincipesfondamentauxdeslibertéspubliques.»(Doron,2009,p.181)

Le rapport du politique au psychiatrique s’articule donc selon un doublemouvement,aumoins,conjuguantl’ouvertureverslaville,ladéfensedesdroitsdes patients, pour une part, et, pour une autre part, une préoccupationsécuritaire fortement marquée mais dont les accentuations varient au fil desdécennies.

2. Unelégislationdufaitdivers

La volonté d’ouverture des structures psychiatriques hospitalières vers laville ainsi que la défense des droits des patients s’expliquent par des raisonscontextuellesethistoriques.Lessoubresautssécuritairessemblent,enrevanche,avoirdesaspectsconjoncturels.Si laporositéet l’influence,à la findesannées

172L’annexeprévoitqu’«unnouvelétablissementseraconstruitpouraccueillirlesdétenusquisouffrentdegravestroublesducomportementsanspourautantreleverdel’internementpsychiatrique,surlemodèledel’actuelétablissementdeChâteau-Thierry.Cettestructureoffrira95places.»

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2000, des faits divers sur les élaborations législatives ont d’ores et déjà étésoulignées (Kalampalikis et al., 2007, p.841), il semble cependant que cetteporositésoitattestéedèslesannées1990,commenousallonslemontreràpartirdecinqexemples.

(1)Lacirculaire–sansforcecontraignantetoutefois–n°48D.G.S./SP3/du19 juillet 1993 (dite «circulaire Weil») portant sur le rappel des principesrelatifs à l’accueil et aux modalités de séjours des malades hospitalisés pourtroublesmentauxaétépubliée,par leministèrede laSanté,aprèsun incendiemortelsurvenudansuneunitéfermée.Cettecirculaire,produiteenréponseàunévénement ponctuel et dramatique, contribue à réinterroger l’ensemble despratiques liéesà l’enfermement,enl’occurrencelespratiquesd’isolementetdecontention.

(2)L’évolutionen1995desdispositionsrelativesàl’irresponsabilitépénaleetaujugementdespersonnesirrresponsabiliséesfaitsuiteàunmeurtrecommispar une personne présentant des troubles psychiatriques et à une pétitionnationale,lancéeen1994parlesparentsd’unevictime,«réclamantquetousles“présumés coupables” soient jugés,mêmes’ils sont internésensuiteenhôpitalpsychiatrique. “Le sort du criminel [doit être] décidé par la justice de laRépublique et non uniquement par les psychiatres”, déclarait la mère de lavictime.»(LeMonde.Jeudi26mars1998,p.8)173L’incidencedufaittragiqueet,enparticulier,desesconséquencessurlesfamillesdevictimessembleconstituerun facteur décisif d’évolution de la situation juridique174. L’irresponsabilitépénale est régulièrement remise en question à l’occasion de faits diversdramatiques.

(3)Ainsi latuerieperpétréeenmars2002parRichardDurnàNanterreestsuivie,en2004,d’uneréponsepolitiqueetjudiciaire.Enfévrier2004estpubliéunrapportauSénatsur«L’irresponsabilitépénaledesmaladesmentaux»175.Ysuccèdelaloin°2004-204du9mars2004portantadaptationdelajusticeauxévolutionsdelacriminalitéetcréantleFichierjudiciairenationalautomatisédesauteursd’infractions.

173Cesévénementsserontégalementsuivisde lapublicationde lacirculairede laDGSn°10du8 février1995définissantlaprocédureadoptéepoureffectuerl’évaluationdelaloidu27juin1990.174Ainsi que de nouvelles dispositions sur l’irresponsabilité pénale: «Face au désarroi des victimes, leParlement a donc introduit en 1995 de nouvelles dispositions sur l’irresponsabilité pénale.» (LeMonde,Jeudi26mars1998,p.8)L’articlepoursuit:«Siuneexpertiseconclutà l’“abolition”dudiscernementdumis en examen, les parties civiles peuvent désormais demander un complément d’expertise, voire unecontre-expertise qui est “de droit”. Surtout, en cas d’appel d’une décision de non-lieu, la chambred’accusation peut, à la demande de la partie civile, entendre les experts et ordonner la comparutionpersonnelledumisenexamen“sisonétatlepermet”.Silapartiecivileledemande,lesdébatssedéroulentenséancepublique.»175DocumentsdetravailduSénat,Sérielégislationcomparée,2004.

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(4)Aucoursdesmêmesannées,ledramedePau,endécembre2004176,puislemeurtre,le13janvier2005ausoir,d’unmaladedel’hôpitalpsychiatriquedeSaint-Venant(Pas-de-Calais)parunautrepatientconstituentlepointdedépartexplicite de plusieurs réformes subséquentes177. Le 20 avril 2005, PhilippeDouste-Blazyalorsministrede laSanté,présenteunplan«Psychiatrieetsantémentale» (2005-2008) 178 . Ce dernier, en l’occurrence sa préparation, lesorientationsministériellesenmatièredesantémentaleainsiquelesobjectifsàatteindrepour2008, ont été accélérés et influencéspar ledramedePau (voirKalampalikisetal.,2007,p.839).LesUHSAsontcréesen2005etenmarsdelamêmeannée,lerapportBurgelin,pourlacommissionSantéetJustice,abordeleproblèmedesdélinquantsdangereux179.

(5)Défendantexplicitementlepointdevuedesvictimes(Burgelin,2005,p.41),lerapportreprendunepropositionformuléeen2003parleministèredelajustice, visant à introduire l’audience pénale, y compris dans les casd’irresponsabilitépénale.LerapportBurgelin,GoujonetGarraud180, remis le6juillet2005auxministresdelajusticeetdelasanté,préconisederenforcerlesmesures visant à empêcher la récidive des délinquants particulièrementdangereux ou malades mentaux. Ce rapport est présenté par la CommissionSanté-Justice, présidée par J.-F. Burgelin, commission mise en place en juillet2004, alors que plusieurs affaires impliquant des criminels en libertéconditionnellesoulevaientdes interrogations181. Ila inspiré laréformeducodepénaletlaloin°2008-174du25février2008relativeàlarétentiondesûretéetàladéclarationd’irresponsabilitépénalepourcausedetroublemental.Cetteloi,présentée en conseil desministres par le garde des Sceaux à la fin novembre2007, constitue la réponse donnée à deux événements: le non-lieu pourirresponsabilitépénaleenraisondetroublesmentaux,ordonnédansl’affaireR.Dupuy,etlarécidivedeFrancisEvrard,aprèsplusieurscondamnationspourdesinfractions à caractère sexuel (voir Sautereau et al., 2009). En matière

176Conduisantaumeurtred’uneinfirmièreetd’uneaidesoignante.177«SuiteaudramedePauen2004etaumeurtrele13janvier2005d’unpatientparunmaladedel’hôpitalpsychiatriquedeSaint-Venant (Pas-de-Calais),M.PhilippeDouste-Blazy,ministrede la Santéannonceunnouveauplandesantémentalequiseraprésentéle20avril2005.»(voirLeMonde,13/05/2005)178 Ministère français de la Santé et de la Protections sociale. Plan Psychiatrie et Santé mentale.www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/sante_mentale/plan_2005-2008.pdf.179 «Santé, justice et dangerosités: pour une meilleure prévention de la récidive», Rapport de lacommissionsanté-justiceprésidéeparmonsieurJean-FrançoisBurgelin,juillet2005.180http://www.vie-publique.fr/actualite/alaune/justice-comment-prevenir-recidive.html181L’incidencedufaittragiquesurlerapportestsoulignéeparlapresse:«aunomdesvictimes,M.Burgelinreprend une proposition émise par le ministère de la justice en 2003: il s’agit de créer une audiencespécifique, permettant aux criminelsdéclarés irresponsablesmentaux (etbénéficiant à ce titred’unnon-lieu) de se voir imputer les faits. Cette juridiction ad hoc “devrait également pouvoir se prononcer surl’opportunitéd’ordonnerdesmesuresdesûretéà l’encontrede l’intéressé”.Lespersonnes irresponsableshospitalisées d’office par le préfet devraient, elles aussi, êtremieux suivies: avant toute sortie, l’autoritéadministrativedevraitavertirleprocureur.Celui-cipourraitensuitedemanderaujugedeslibertésetdeladétentiondeprononcerdesmesuresdesûreté.»(LeMonde,Société,lundi28mars2005,p.7).

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d’irresponsabilité pénale et de répression de ce dernier type d’infraction, lepolitique réagit à l’actualité et légifère en fonction d’elle, ainsi que le suggèrel’une des mentions du rapport Fenech: «Le “non-lieu psychiatrique” requiscontrel’auteurprésumédumeurtreen2004dedeuxinfirmièresdansunhôpitalpsychiatrique de Pau («Affaire Dupuy») a quant à lui révélé les failles d’uneprocédureetl’incompréhensiondesfamillesdesvictimesdevantunnon-lieuquisemblenierl’existencemêmedeleursouffrance.»(Fenech,2007,p.9)

Ces relations de causalité sont suggérées par les acteurs politiques eux-mêmescommeMmeJacquelineFraysse,lorsdeladiscussiondurapportLefranc(2011), lorsqu’ellementionne«cette impressiond’uneénième loid’inspirationsécuritaire, qui découle […] du drame de Grenoble, lequel avait été suivi dudiscours du Président de la République à Antony et de la circulaire de MmeBachelotetdeM.Hortefeuxsurlessortiesd’essai.Cecontexte“plombe”untextequi, pourtant, est utile.» (Lefranc, 2011, p. 50) De la même façon, le députéDenys Robiliard note que la loi du 5 juillet 2011, relative aux droits et à laprotectiondespersonnesfaisantl’objetdesoinspsychiatriquesetauxmodalitésde leur prise en charge, est «née sous les auspices du discours d’Antony»(Robiliard,2013,p.7).«LePrésidentdelaRépubliqueavaitconcluàlanécessitéde mettre en place un plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques,permettantdemieuxcontrôlerlesentréesetlessortiesdesétablissementsetàprévenirlesfugues,grâce,entreautres,àlacréationdenouvellesunitésferméeset de chambres d’isolement, lamise en place de dispositifs de géo-localisationdes patients ou encore la création d’unités supplémentaires pour maladesdifficiles.»(Robiliard,2013,p.7)

Cesélémentsaccréditentlathèseselonlaquellelepolitiqueréagitàl’actualitéetlégifèreenfonctiond’elle.S’appuyantsuruneétudedelapresse,Kalampalikisetal.ontconcluà«lacollusiondupolitiqueaveclejuridiqueet[à] l’absorptionpar l’État de l’événementiel pour imposer une politique déjà réfléchie parailleurs»(Kalampalikisetal.,2007,p.842).Nousl’avonsvérifiéprécédemmenten mettant en perspective les évolutions législatives avec le contexteévénementiel, en l’occurrence plusieurs faits divers. Nous allons à présentconfirmerlapertinencedecettethèseparl’étudedesrapportscommandésparlepolitiquedanslechampdelapsychiatrie.

II. Évolutionslégislativesdel’irresponsabilitépénale

1. Laloi,vecteurd’assimilationentremaladiementaleetdangerosité

Lesévolutionslégislativesetlesdécisionspolitiquescontribuentàforger,parlehaut,lesreprésentationscommunes,àlesconforter.Ilapparaîtainsiquelaloielle-mêmecommecertainsdiscourspolitiquescontribuentàl’assimilationentre

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personnes souffrant de troubles psychiatriques et criminels dangereux. Lesdispositions prises autour de l’irresponsabilité pénale participent de cetteconstruction.

Chronologiedesévolutionslégislativesafférentesàl’irresponsabilitépénale

La question de l’irresponsabilité pénale a été abordée juridiquement parplusieurstextesissusduCodepénalde1810:

1°LacirculaireChaumiéde1905introduisantlaresponsabilitéatténuée.

2°LaréformeduCodedeprocédurepénalede1958 introduisant lanotiond’accessibilitéàunesanctionpénale.

3° La loi du 3 janvier 1968 rendant la personne souffrant de troublesmentauxirresponsablepénalement,civilementresponsable(article489-2CC).

4°LenouveauCodepénal(loidu27juillet1992)n’annulantplusl’acte.

5° La modification du Code de procédure pénale en son article 199-1permettantauxvictimesdefaireappeld’uneordonnancedenon-lieu.

6° L’article D398 du CPP permettant la prise en charge hospitalièrepsychiatriqued’undétenuprésentantdestroublespsychiatriques.

7° L’institution des servicesmédicopsychologiques dans les établissementspénitentiaires.

Del’article64àl’article122-1

L’article 64 du Code pénal de 1810 stipule qu’«Il n’y a ni crime ni délit,lorsqueleprévenuétaitenétatdedémenceautempsdel’action,oulorsqu’ilaétécontraintparuneforceàlaquelleiln’apurésister.»Ainsi

«L’article64neditpasquelaréalitématérielleducrimeoududélitn’ajamaisexistéouadisparu.Simplementendroitpénal,cetteréalitématériellen’estpassusceptibleàelleseulederecevoirlaqualificationpénaledecrimeoudedélit.Pourqu’uncrimeouundélitsoitconstitué,ilfautcequel’onappellel’imputabilité,c’est-à-dire lavolontéconscientede l’auteurde l’actematérielde le commettre.Dans le casd’une démence constatée, la volonté consciente de l’auteur qui a été dans l’incapacitéd’apprécier la portée de son acte fait défaut. Il ne peut donc être retenu contre lui decrimeoudedélit»(Thyrode,Albernhe,1995,pp.881-882).

L’article 64 du code pénal évolue progressivement grâce à série decommissions ministérielles qui aboutissent à un nouvel article en 1992, aumoment de l’adoption du nouveau code pénal. Le nouvel article 122-1 seprésentealorscommelasynthèsed’unesériedeseptprojetsproduitsentre1975à1992quiaffirmentunedoubleambition: faire casde la foliepartielleetdestroubles intermédiaires, toutendéfinissantplusprécisément lescontoursd’un

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état de folie, altérant suffisamment les fonctions de l’individu pour conduire àune irresponsabilité totale, sans toutefois qu’un état d’inconscience totale soitrequis(Protais,2011,p.87-88).

En 1973, une commission sur «la situation des délinquants anormauxmentaux» est créée sous la direction du juge Pageaud, du pénaliste JacquesLéauté,puisdugardedes sceauxRobertBadinterqui enprend ladirectionen1981,lorsqu’ilestnomméministredelajustice.En1975estproposéunpremierprojetde loiquidisposequ’«Iln’yapasd’infractionpunissablelorsquel’auteurétait atteint, au temps de l’action, d’un trouble psychique ayant aboli sondiscernementoulecontrôledesesactes».

Avec ce texte, les principes de l’article 122-1 sont posés: le terme dedémenceestremplacéparuneterminologiedontPierreGominetestimequ’elleest «plus adaptée à l’état d’évolution de la science psychiatrique»182. YvesRoumajon et Jean Ayme considèrent également que la formule de «troublespsychiques ou neuro-psychiques» est davantage en accord avec les avancéesde la science psychiatrique contemporaine. L’article confirme le statut de lafoliecommeunétatremettantenquestionl’imputabilitéplutôtquelaculpabilitécar,d’unepart,iln’annuleplusl’infractionpénaleet,d’autrepart,envisagelafoliecomme entravant le discernement ainsi que la liberté de l’individu. Lareformulation de l’article 122-1 est donc centrée sur le discernement et lecontrôle. Contrairement à ce qui était le cas avec l’article 64, la présence d’untroublepsychiqueaumomentducrimen’induitplusipsofactol’irresponsabilité.Enoutre,laclausedenon-imputabilitéporteàinclureunensemblepluslargedetroubles,danslacatégoriedes«nonpunissables»,quoiqu’unenuancejuridiquesoitajoutée:letroublerepérédoitavoirabolilediscernementoulecontrôledesactespourquel’individusoitexemptédepeine.L’article122-1reposedoncsurla thèse selon laquelle la folie n’est jamais (ou très rarement) totalementaliénante et suppose une définition stricte des moments où le contrôle del’individusursesactespeutêtreconsidérécommeaboli.

Néanmoins des ambiguïtés persistent puisque tout en mentionnant quel’individudontlediscernementestaboli«n’estpaspunissable», l’article122-1nefaitnullementmentiond’uneabsencederesponsabilité.Pourtantdufaitdenepas pouvoir imputer devrait se déduire l’absence de responsabilité, dans lamesureoùcettedernièreestconstituéedesdeuxélémentscomplémentairesquesontlaculpabilitéetl’imputabilité.Enrevanche,lanon-punissabilitén’estqu’unerègleparticulièrederégimedespeines,laissantlaquestiondelaresponsabilitéde côté. En 1992, la formulation «n’est pas punissable» est définitivementremplacée par l’amendement de Jacques Toubon «n’est pas pénalementresponsable»,pourrésoudreleproblèmedel’appréciationdelaresponsabilitélaisséedecôtéparlesprécédentespropositions(voirProtais,2011,p.90).

182CommissionprécédantladépositiondurapportdeM.Marchand,n°896.Rapportécrit,p.1509.

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Le Code pénal du 22 juillet 1992 n’apporte pas de modificationsfondamentalesauCodepénalde1810.Laformule«Iln’yanicrimenidélit»estremplacée par «n’est pas pénalement responsable». (Rappard, 2008, p. 570)L’acte n’est donc plus annulé et le principe de la responsabilité civile de lapersonne souffrant de troubles psychiatriques (précisée dans l’art. 489-2 duCodecivil183parlaloidu3janvier1968portantréformedudroitdesincapablesmajeurs)estconfirmé.Néanmoinsl’article489-2aggravelaresponsabilitéciviled’une telle personne ayant causé un dommage à autrui, dans lamesure où leprincipe d’équité (figurant dans l’art. 1382 du Code civil, où il tempère laréparation en fonction de la faute) s’efface. «Le principe de l’irresponsabilitépénaleaboutitàunepénalisationaucivildumalademental.»(Rappard,2008,p.571)

L’art.122-1dunouveauCodepénal184séparel’ex-étatdedémence(remplacépar la formule plusmoderne «troubles psychiques ou neuropsychiques ayantabolisondiscernementoulecontrôledesesactes»)del’étatdecontrainte(art.122-2). Le deuxième alinéa de l’article 122-1 réintroduit le principe de laresponsabilitéatténuéeconcernantdes«troublespsychiquesayantsimplementaltéré lediscernementouentravé le contrôledesesactes».Ces sujets sontduressortdestribunauxpénauxquidéterminerontlapeineetenfixerontlerégime.La notion de non-punissabilité n’est pas nouvelle et ne modifie pas le statutjuridique des malades dits médicolégaux, mais elle met en harmonie le CodepénalavecleCodecivil.

Ainsiaveclecodepénalde1994etl’alinéa2del’article122.1,«lapersonnequiétaitatteinteaumomentdesfaitsd’untroublepsychiqueouneuropsychiqueayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeurepunissable»(SenonetManzarena,2006,p.825).Cesévolutionsonteupoureffetde produire à une «remise en cause de l’irresponsabilité pénale pour raisonspsychiatriques,aveccesnotionsflouesdeculpabilitécivile,deprocèspublicausein duquel l’exhibition du fou est supposée apaiser la douleur des victimes»(Dubret,2008,p.543).

Lerecoursà l’article122-1privilégiemoins laquestionde laresponsabilitéqu’un intérêt pour les modalités de la prise en charge de l’inculpé et laréadaptationdumalade(voirlaloidedéfensesocialebelgede1930).Ainsitroiscatégories d’individus sont définies: (a) ceux dont le comportement est

183Art 489-2 du Code civil: «Celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il était sous l’empire d’untroublementaln’enestpasmoinsobligéàréparation.»«si un crime est commis par folie, maladie, trop grande vieillesse ou enfance, l’auteur doit payer ledommagequ’ilafait,maisilseraexemptédetoutepeine»(Platon,LoisIX,864d,citéparFranckBouyssou,p.71)183Art.1382duCodecivil:«Toutfaitquelconquedel’homme,quicauseàautruiundommage,obligeceluiparlafauteduquelilestarrivéàleréparer.»184Art. 122-2 du nouveau Code pénal: «N’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sousl’emprised’uneforceoud’unecontrainteàlaquelleellen’apurésister.»

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entièrement déterminé par la maladie mentale, laissés à une prise en chargeexclusivementpsychiatrique;(b)ceuxdontlecomportementestinfluencémaisnon exclusivement par la maladie mentale, objet d’une prise en chargealternative; (c) ceux exempts de troubles, objet d’une logique exclusivementjudiciaire.

2. Lecodepénalde1994etl’article122-1

Effetperversdel’altérationdudiscernement

Ce faisantetdepuis l’entréeenvigueuren1994dunouveauCodepénalde1992etenparticulierdel’article122-1al.2,letauxdesaffaireseninstruction,bénéficiant d’une irresponsabilisation pénale pour troubles mentaux s’esteffondré (voirPaulet, 2004, p. 310).Depuis les années1980et jusqu’audébutdes années 1990, ce taux était à environ2 à 3%; à partir de 1995, il passe à0,45%etydemeuredepuislors185.Àcechiffre,s’ajoutentlesprévenusjugésencorrectionnellequin’ontpasfaitl’objetd’uneexpertisepsychiatrique.Enoutre,«demultiples enquêtes,nonpubliées pour la plupart, et des sondages réalisésparl’InspectionGénéraledesServicesPénitentiairesconfirmentquel’altérationdu discernement devient, notamment pour les juges en Assises, un facteur demajoration de la responsabilité pénale et donc de surpénalisation» (Senon etManzanera,2006,p.825).

Sil’onpeutconsidérerquelenombredepersonnesjugéesirresponsablesaumoment d’un acte délictueux (article 122.1 du Code pénal) n’a pas augmentédepuis17ans(Roelandt,2009,p.531),enrevanchelanotionderesponsabilitéatténuée a contribué à remplir les prisons. S’y accumulent des personnessouffrantde troublespsychiatriques, reconnuescommeresponsables,avecunesimplealtérationdeleurdiscernement,selonuneorientationentotaleconditionavec la circulaire Chaumier de 1905. Ce point aveugle d’une justice pénaleresponsabilisantdefaçonexcessivelespersonnesdontlestroublesmériteraientqu’un traitement sanitaire leur soit appliqué, tandis que leur est imposé unrégimepénitentiaireordinaire,n’estpasnouveau186.

Enoutre,lesjuryspopulairesauraientuneréactionsécuritairefaceàunsujetprésentécommeunmaladementalmaisnerelevantpasdesoins,danslecadred’une irresponsabilisation de l’article 122.1 alinéa 1. «Cette situation peuts’expliquerparlacraintedujurypopulairedevoirremisenlibertéàtropbrèveéchéance des individus dont il présume qu’ils présentent un état dangereuxsingulier,euégardauxtroublesdontilssouffrent.»(RapportBurgelin,2005,p.

185Casile-HuguesG.Irresponsabilitépénaleettroublesmentaux,lepointdevuedujuriste.Communicationàla12eJournéerégionaleduSMPRdeMarseille,juin2003.186Endépitdel’ouverturede9UHSAaudébutdesannées2010.

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49). La maladie mentale fait peur. Elle est assimilée à la dangerosité et à laviolence, ce qui engendre une confusion dans l’esprit des jurés et les amène àpenserqu’un individuaux facultésmentales altéréesmérited’être incarcéré lepluslongtempspossible,afindenepasnuireàlasociété.MêmelaCommissionprésidéeparM.Burgelinsuggèrequelesmagistratsprofessionnelsinformentlesjuréssurlesprincipesfondateursdel’article122.1alinéa2ducodepénal187.

Enfin, tous les efforts faits pour améliorer la célérité de la justice jouent àl’encontredespersonnessouffrantdetroublespsychiatriques,nonreconnuesentant que telles, dans les procédures rapides de jugement telles que lacomparution immédiate188. Ainsi «une grande majorité de malades mentauxentrent en prison sans jamais avoir vu aucun expert, tout simplement dans lecadre des procédures correctionnelles ou des comparutions immédiates, danslesquelleslesexpertisesnesontpassystématiques.Lenombred’affairestraitéesparlescabinetsdesjugesd’instructionnereprésenteplusque5%dutotaldesaffairespénales,tandisquelescomparutionsimmédiatesontaugmentéde20%en 2002.» (Dubret, 2008, p.546) En outre, l’utilisation accrue des procéduresrapidesdejusticepénale,danslesquellesl’expertestrarementsollicité,participede l’évictionde l’article122-1 (voirLopezMora,2010,p.34).Oren juin2001,55% des personnes entrant en détention souffrent d’au moins un troublepsychiatrique de gravité plus ou moins importante189(étude menée par deséquipesdeSMPR)(LopezMora,2010,p.55).

«Altérationdudiscernement»etaggravationdespeinesprononcées

L’altérationdudiscernement,bienplussouventprononcée,conduitdansunesociétémarquée par les préoccupations sécuritaires à une surpénalisation despersonnes souffrant de troubles psychiatriques, alors même que la circulaireChaumierde1905visait,enatténuantlaresponsabilité,àlimiterlarigueurdelapeine(voirSenonetManzanera,2006,p.826;Dubret,2008,p.543,p.546).Dès2001, à l’occasion de leur mission conjointe sur l’organisation des soins auxdétenus, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspectiongénéraledesservicesjudiciaires(IGSJ)avaientnotéqueplusieursprocureursetprocureursgénéraux leuravaient signaléque l’applicationdusecondalinéadel’article122-1ducodepénaljouaitcontrelespersonnesprévenuesouaccusées,

187Malgré de considérables différences procédurales, cette situation rappelle celle que connaissent lesjuridictions de l’État de New-York où l’existence de trois niveaux d’irresponsabilité ou de responsabilitépartielleestpeuopérantecarlalogiquesécuritaired’unsystèmejudiciaireassimilantcrimeetfolieconduitles défenseurs des justiciables au discernement altéré à ne pas plaider ce chef d’atténuation de pénalité(voirLameyre,2007).188VoirJ.L.SenonetC.Manzanera,«Psychiatrieetjusticepénale»,AJPénal,Dalloz,n°10/2005,p.353-357.J.L.SenonetC.Manzanera,«L’expertisepsychiatriquepénale:lesdonnéesd’undébat»,AJPénal,Dalloz,n°2/2006,p.66-69.189La santé mentale et le suivi psychiatrique des détenus accueillis par les SMPR, Études et Résultats,PublicationdelaDRESS,MinistèredelaSanté,n°181,juillet2002.

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laprésencedetroublesmentauxmotivantdespeinesalourdies,lesréquisitionsduparquetétantdeplusenplussouventdépasséesparlescoursd’assises(voirLameyre,2007).

Alors que l’introduction du principe de responsabilité pénale reposait surl’idée qu’il pouvait être nécessaire que la personne considérée commemaladementalesoitjugée(Coffin,2011,p.184).Larevendicationdejugementtendàsetransformer en volonté exclusive de punir. Or on voitmal en quoi la punitionpourrait être un acte thérapeutique à moins de céder au principe du boucémissaire. Désormais on jugerait et punirait des individus présentant destroublespsychiatriques,cequilesplaceraitaumêmeniveauquen’importequelleautre personne. Néanmoins cette égalité dans l’infortune conduit à unesurpénalisationpuisqu’unefoislapeineaccomplie,lapersonnalitédesindividussouffrantdetroublespsychiatriquesestutiliséepourlimiterlalibertéàlaquelleilspourraientprétendre,commen’importequelcitoyenayantpurgésasanction.L’anciendispositif(article64)quirevenaitàplacerlemaladesousl’expressionde circonstances atténuantes est désormais un processus qui aboutit à descirconstances aggravantes.Unaménagement a toutefois été récemment réaliséet dont on ignore encore les effets, avec la loi n° 2014-896 du 15 août 2014,relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions.Elle amodifié l’article 122-1 du Code pénal consacrant, en cas d’altération dudiscernement de l’auteur aumoment des faits, le principe d’atténuation de lapeineprononcée.Lemaximumlégaldelapeineaétéréduitd’untiersenmatièrecorrectionnelle et en cas de crime puni de la réclusion criminelle ou de ladétentioncriminelleàperpétuité,ilaétéramenéàtrenteannéesderéclusion.

Pourtantet à l’instarde l’excusedeminoritéqui,dansnotrepays, emporteatténuation de responsabilité (art. 122-8 CP et art. 2 et 20-2 à 20-9 del’ordonnancen°45-174du2février1945),ilseraitenvisageabled’appliquerauxpersonnes dont la conscience ou la volonté est altérée une réductionde peineautomatique,ainsiqueleprévoitl’article21ducodepénalespagnol,relatifàlaresponsabilité atténuée (voir Lameyre, 2007). Pour éviter la surpénalisationprécédemment décrite, on pourrait même envisager, comme en Suède,d’interdire que l’emprisonnement soit prononcé à l’encontre de délinquantssouffrantdegraves troublesmentaux (article6ducodepénalde1962).Enfin,commec’estlecasenAllemagne,auDanemark,enEspagneouauxPays-Bas,onpourrait imaginer que l’autorité judiciaire, constitutionnellement garante deslibertésindividuelles,soitcompétentepourdéciderdesmesuresapplicablesauxdélinquantsdontlediscernementestabolioualtéré.

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3. Rôledelaloidu25février2008danslaconstructiondecesreprésentations

Acontrario, la loi française contribue ainsi que les évolutions législatives àl’assimilation entre personnes ayant des troubles psychiatriques et criminelsdangereux.Eneffet,sonttraitéesdansunmêmetextedeloi(Loin°2008-174du25février2008)larétentiondesûretéetladéclarationd’irresponsabilitépénalepourcausedetroublemental190.Cefaisant,laloiprocèdeàunamalgameentrelaquestiondescriminelslesplusdangereuxetcelledesindividusirresponsabiliséspourcausedetroublemental(voirSautereauetal.,2009).

La loi du 25 février 2008 a été précédée par le rapport Burgelin, «Santé,justiceetdangerosité»quidéjàassimilaitdélinquantsrécidivistesdangereuxetmalades de la psychiatrie. Ce rapport est présenté par la Commission santé-justice,présidéeparJean-FrançoisBurgelin,commissionmiseenplaceenjuillet2004, alors que plusieurs affaires impliquant des criminels en libertéconditionnellesoulevaientdesinterrogations.Lerapport,remisle6juillet2005aux ministres de la justice et de la santé, préconise de renforcer les mesuresvisant à empêcher la récidive des délinquants particulièrement dangereux oumalades mentaux. En outre, «les récentes procédures de la loi du 25 février2008 continuent à faire en partie référence à la pratique de l’expertisepsychiatriquejudiciaire,alorsquecettemodalitéd’expertisenerépondplusauxconnaissances scientifiques modernes de la criminologie et qu’elle se révèleincapable d’évaluer correctement les auteurs de comportements criminelsgraves.»(Bénézechetal.,2009,p.39)

Le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclarationd’irresponsabilitépénale,pourcausedetroublemental, résulteetcomplète lestextesdeloiévoquésen2.1.a(voirRappard,2008,p.572).Leprojetinitialétait,sil’onencroitlesdéclarationsd’intentiondupersonnelpolitique,deremettreencause leprinciped’irresponsabilitépénaledespersonnessouffrantde troublespsychiatriques (voir Dubret, 2008, p.546). L’élaboration du projet de loi apermis de ramener les politiques à la raison et d’écarter cet objectif du texteprésenté devant le Parlement. Les premiers débats ont également permis desupprimer la notion floue de «culpabilité civile» qui persistait dans le projetgouvernemental.

Silaloide2008aleméritedeposerlaquestionnonrésoluedurisquedelarécidive, liée à la dangerosité intrinsèque d’un individu, elle tend à réaliserl’amalgame entre les concepts de dangerosité (qu’elle pousse du côté de lamaladiementale)etd’irresponsabilitépénaledanslecadred’untroublemental(qu’elle tendàassocierà ladangerosité) (Sautereauetal., 2009). «La croyancepopulaire confond crime fou et crime d’un fou, et cette loi [la loi de 2008], en

190Laloidu25février2008relativeàlarétentiondesûretés’accompagned’undeuxièmevoletrelatif«àladéclarationd’irresponsabilitépénalepourcausedetroublemental».

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prenant dans un même texte des dispositions concernant les personnesdangereuseset lespersonnes irresponsabiliséesenraisond’un troublemental,renforcecetamalgame.»(Sautereauetal.,2009)

Pourtant la pathologie mentale n’est que rarement pourvoyeuse dedangerosité. Ainsi les personnes souffrant de troubles psychiatriquesreprésentent,selonlespays,entre1auteurd’homicidesur20et1sur50(Senon,2008191). Il arriveque leurcrimesoit spectaculaireet incompréhensiblecequiles rendmédiatiques. Toutefois cettedangerosité-là, secondaire à la pathologiementale,estcertainementplusaccessibleauxsoinsqu’auxmesuresderépressionet d’enfermement. Les chiffres évoqués suggèrent que la dangerosité existe leplussouventendehorsde lapathologiementale.Cependant il fautreconnaîtrequedansuncertainnombredecas,mêmes’ilnes’agitpasdepathologieausensclassique du terme, les processus psychiques conduisant au passage à l’actetémoignentpourlemoinsd’untroubledelapersonnalitéetfontconsidérer,auxyeuxducorpssocial,ledélinquantcommeunmalademental.

Dans son deuxième volet, la loi prévoit également des modificationsconcernant le parcours judiciaire des personnes reconnues irresponsablespénalementenraisondetroublesmentaux.(Sautereauetal.,2009)Alorsqueleclassique«nonlieu»seprononçaitparordonnanceduseuljuged’instruction,ladéclaration d’irresponsabilité pénale pour trouble mental aura lieu désormaislorsd’unecomparutiondevant lachambrede l’instruction,où lapersonne,sonavocat et les parties civiles seront présents et entendus. Cette juridiction seracompétentepourprononcerunehospitalisationd’office,alorsquecettemesured’hospitalisation sous contrainte relevait jusqu’à présent des autoritésadministrativesreprésentéesparlePréfet.

Enl’absencedetoutemodificationdelanotiond’irresponsabilitépénalepourmotif psychiatrique, la loi du 25 février 2008 consacre la possibilité pour lavictime ou ses ayants droit de faire venir l’affaire devant la chambre del’instruction,enaudiencepubliquecontradictoire, lorsquelemisenexamenest«susceptible»debénéficierdel’applicationdupremieralinéadel’article122-1ducodepénal(Bénézechetal.,2009,p.41).Laloiprévoitdésormaisd’apprécierla responsabilité pénale desmaladesmis en examen lors de procès publics aucoursdesquelsladétressedesfamillesdevictimespeutpesersurladécisiondesmagistrats192.Auparavant,cesaudiencesétaientdéjàprévuesdanslaprocédureet pouvaient se dérouler en audience restreinte devant la chambre del’instruction. Ainsi la loi du 25 février 2008 s’inscrit dans un mouvement deréformedelaprocédurepénaleenfaveurdesvictimesmaisl’audiencepublique

191Senon J.L., Manzanera C., «Psychiatrie et justice: de nécessaires clarifications à l’occasion de la loirelativeàlarétentiondesûreté»,AJPénale,Dalloz,4/2008.176.192On a pu en effet suggérer que la formule «il n’y a ni crime, ni délit» «apparaît comme uneincompréhensible injustice pour les familles des victimes»(Bouyssou, 2003, p. 103).

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participe également du phénomène de judiciarisation de la maladie mentale(voirLopezMora,2010,p.43).

Étant donné les difficultés des hôpitaux psychiatriques pour accueillir lesdétenus, la loi d’orientation et de programmation de la justice de 2002 (JORF,2002) a prévu la création d’Unités d’Hospitalisation Spécialement Aménagées(UHSA). Ces neuf unités sont implantées dans un hôpital psychiatrique etdisposent d’une surveillance périmétrique assurée par l’administrationpénitentiaire. Elles accueillent des détenus, dont les troubles psychiques sontincompatiblesaveclemaintienendétention,avecousansleurconsentement.

La loi introduit également la possibilité, pour le juge, de prononcer desmesures de sûreté montrant ainsi combien «la loi veut anticiper le crime enincriminantlaprobabilitécriminelle»(Salas,2009,p.213).Aveclarétentiondesûreté193, on retrouve les arguments que M. Foucault (1978)194avançait déjàdans les années 1970 dans sa lutte contre les quartiers de haute sécurité:désormais,onnejugeplusunhommepourcequ’ilafait,maispourcequ’ilest.Onacréé«l’infractionpsychologique», le«crimedecaractère»(Zagury,2009,p.95).Eneffet,aveclarétentiondesûreté,«lasanctionn’aurapaspourbutdepunirunsujetdedroitquiauravolontairementenfreintlaloi,elleaurapourrôlede diminuer dans toute la mesure du possible soit par élimination, soit parexclusion, soit par des restrictions diverses, soit encore par des mesuresthérapeutiques le risque de criminalité représenté par l’individu en question»(Foucault,1999,p.461).

Avec cette loi, la France s’alignedonc sur la plupart despays européens etanglo-américains.S’introduisentainsidans ledroit français la«défensesocialenouvelle» et la judiciarisation des mesures relatives aux malades mentauxcriminels» (Rappard, 2009). La «théorie de la défense sociale propose unsystèmedepeinedontl’objectifseraitd’éradiquerladangerositéetlarécidivedel’individu» (Protais,2011,p.60).Lesdécisionspolitiquesdans le champet lesréformeslégislatives,depuis2008aumoins,s’inscriventdanscette inspiration.Les choix politiques ont ici un rôlemajeur car les dispositions de la loi du 25février2008s’expliquentlargementparlefaitqueledroitpénaletlaprocédurepénaletendentàdevenir“unmodedecommunicationpolitique”(Delage,2007,p.797).Àchaque faitdivers, la réponsedupolitique–pesantsur leprocessuslégislatif – semble être la même: l’édiction d’une nouvelle loi qui serait alorscomme «un message […] adressé aux victimes et à tous ceux émus de leurdétresse»(Delage,2007,p.797).

193VoirleRapport2007–«Rétentiondesûretéetirresponsabilitépénale»,N°0497.194M.Foucault,«Attention:danger»[1978],Ditsetécrits,III,1976-1979,p.507.

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III. Uneabsencedevolontépolitique

Le pendant de la réactivité à des événements tragiques s’illustre dans laréticencepolitique, faceà toute innovationenmatièrepsychiatrique.Cedéfautde volonté politique, concernant l’impulsion et le soutien à une approchealternative de la psychiatrie, est soulignée dès le début des années 1980, ycomprisdanslesrapportscommandésparleMinistèredelaSanté:«iln’yapaseu de volonté politique cohérente, claire et novatrice pour impulser, au plannational et dans un mouvement d’ensemble, une politique en tous pointsdifférente de l’héritage reçu du passé.» (Demay et Demay, 1982, p. 7) Noussoulignerons, dans ce qui suit, la permanence de cette frilosité au cours desdernièresdécennies.

1. Desplanssystématiquementrelégués

Undocument de la Cour des comptesmet en exergue l’absence d’initiativepolitique dans l’institution de réformes en psychiatrie. Le tableau 1 met enévidence,defaçonsynthétique,ledécalageentrelespropositionsdesrapportsetlesdécisionspolitiquessubséquentes,depuisledébutdesannées2000:

CC2000

IGAS2001

DHOS2001

PieletRoela.2001

PLAN2001

LIVREBLANC2001

Roelandt

2002

Charzat

2002

DGS2002

Clery-

Merlin

2003

PLAN2005

MNASM

2005

Couty2009

SénatetAss.Nat.2009/10

Milon2009

1.Améliorerl’information

● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ●

2.Formationdesprofessionnels

● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ●

3.Faciliterl’accèsauxsoins

● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ●

4.Réduirelesdisparitésrégionales

● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ●

5.Collaborationhospitalier/libéral

● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ●

6.Meilleureorganisationgéographique

● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ●

7.Continuitédepriseencharge

● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ●

8.Décloisonnersanitaire/social

● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ●

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CC2000

IGAS2001

DHOS2001

PieletRoela.2001

PLAN2001

LIVREBLANC2001

Roelandt

2002

Charzat

2002

DGS2002

Clery-

Merlin

2003

PLAN2005

MNASM

2005

Couty2009

SénatetAss.Nat.2009/10

Milon2009

9.Travailenréseausoinsdeville

● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ●

10.Représentationdesusagers

● ● ● ● ●

11.Promouvoirdroitsdesusagers

● ●

● ● ● ● ●

● ● ●

12.Luttercontrelastigmatisationdespersonnesavectroublesmentaux

● ●

● ●

13.Souteniretimpliquerlesfamilles

● ● ●

● ● ●

● ● ● ●

14.Impliquerleséluslocaux

● ●

● ● ●

15.Suivipers.ssmainjustice

● ● ●

16.Étudier&améliorerHO,HDT

● ●

● ●

17.Développerlarecherche

● ●

Tableau12-Principalesrecommandationsderapportspubliésrelatifsà lapsychiatrie(2000-2009)195

Laréticencepolitiqueàmettreenœuvrelespropositionsavancéesdanslesrapports,commandéspar l’exécutif,estsoulignéeparcesderniers196,aumêmetitre que le désintérêt des pouvoirs publics concernant la psychiatrie. Chaquerapport atteste de cette situation de relégation, comme le montrent ces deuxextraitsproposésà10ansd’intervalle:«Faut-ilrappelerqu’ilyabientôtvingtans le rapport de notre collègue Demay préconisait le «dépérissement» desasiles?EtqueFrancoBasaglia,àTrieste,pensaitl’arrêtdesadmissionsàl’asilecommeuneétapeversson“dépassement”.»(PieletRoelandt,2001,p.24)«Unmouvement de transfert des moyens de l’hospitalisation temps plein vers lesprisesenchargeambulatoireshorshôpital a commencédans lesannées1970.Toutefois, cettepolitiquen’apasétémiseenapplicationdemanièrenationale,coordonnée,homogèneetéquitable.»(Roelandt,2010,p.781)Letémoignagede

195Source: Cour des comptes, en partie d’aprèsManuel de psychiatrie, sous la direction de J.-D.Guelfi etF.Rouillon,Paris,ElsevierMasson,2007,p.666.196VoirparexempleRoelandt(2002).

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ce désintérêt s’exprime encore dans les derniers rapports à l’Assembléenationale(Robiliard,2013a197,p.29;Robiliard,2013b,p.20)198:«Bienquelesréflexionssurl’avenirdel’organisationdessoinspsychiatriquesnesemblentpasavoirmanquédepuisunedécennie,votreRapporteurtientàrelever lenombreimportantderapportsquiontétérendussur lesujet,sansavoirvéritablementabouti.De 2000 à 2009, ce ne sont pasmoins de quinze rapports qui ont étéélaborés.»(Robiliard,2013b199,p.20)

«lamiseenœuvre,depuis2002,deplansministérielssuccessifsdansledomainedelasantémentale,n’apasréussiàapporterdesréponsessatisfaisantesàcettesituation.LaCourdes comptes ad’ailleursdresséunbilan trèsnégatif duplanpsychiatrie et santémentale 2005-2010, pointant ses «médiocres résultats» en raison d’un défaut depilotageetdel’insuffisancedesmoyensfinanciersengagés200.Si laCouraainsiqualifié«d’importants» les financements liés à la sécurisation du parc immobilier, elle a jugé«difficilementidentifiables»ceuxdestinésàlacréationd’emploiset«trèsinsuffisants»ceuxallouésà la recherche.LaCouraégalementdénoncé l’accentuationentre2000et2010 des inégalités territoriales en équipements et services, alorsmême que l’un desobjectifsduplanétaitderésorberces inégalités. Il estdonc tempsde fairede la santémentaleuneprioritédelasantépubliqueetdes’interroger,pluslargement,surlapriseenchargepsychiatrique.»(Robiliard,2013a,p.29)«Bien que les réflexions sur l’avenir de l’organisation des soins psychiatriques nesemblent pas avoir manqué depuis une décennie, votre Rapporteur tient à relever lenombreimportantderapportsquiontétérendussurlesujet,sansavoirvéritablementabouti.De2000à2009,cenesontpasmoinsdequinzerapportsquiontétéélaborés.Comme le relève la Cour des comptes dans le tableau résumant les principalesrecommandations des rapports publiés entre 2000 et 2009 figurant dans son rapportsur les effets duPlanpsychiatrie et santémentale (2005-2010)201nombrede constatssont récurrents. Selon votre Rapporteur, plusieurs hypothèses pourraient expliquercetteabsencedesuividesrecommandationsproposéesdanscesrapports.1. La première serait une inadaptation de ces propositions, bien qu’elles soientrécurrentes.2.Un intérêt toutrelatifpourcesquestions,quisuscitentencorepeuretrejet,pourraitégalement êtreun facteurd’explication.Par ailleurs, lesmalades souffrantde troublespsychiatriques,eux-mêmes,sontrarementdansunelogiquedesollicitation,étantdansledénivoirel’oppositionàtoutsuivi.3. En troisième lieu, la force d’inertie de professionnels œuvrant dans ce domainerendraitdifficiletoutemiseenœuvredecesrecommandations.4.Enfin,l’absencedevolontépolitiquecontribueraitàl’absencederéformeimportantedanscedomaine.Laministredesaffairessocialesetdelasanté,danssaprésentationdelastratégienationaledesanté le23septembre2013 lorsd’uneconférencedepresseà

197Denys Robiliard, «Santé mentale et avenir de la psychiatrie», Rapport d’information à l’Assembléenationalen°1662,déposéle18décembre2013.198«Ilestdonctempsdefairedelasantémentaleuneprioritédelasantépubliqueetdes’interroger,pluslargement,surlapriseenchargepsychiatrique.»(Robiliard,2013,p.29)199Denys Robiliard, Rapport à l’Assemblée nationale n° 1284 fait au nom de la commission des affairessocialessurlapropositiondeloirelativeauxsoinssansconsentementenpsychiatrie,17juillet2013.200Rapportsur l’organisationdessoinspsychiatriques: leseffetsduplan«psychiatrieet santémentale»2005-2010,présentélemardi20décembre2011.201Courdescomptes,L’organisationdessoinspsychiatriques:leseffetsduPlanpsychiatrieetsantémentale(2005-2010),décembre2011.

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l’occasiondelaremisedurapportdeM.AlainCordier«Unprojetglobalpourlastratégienationale de santé», a d’ailleurs souligné que la santé mentale avait été longtempsnégligée.Unenouvelleimpulsionpolitiquesurlesujetestdoncnécessaire.»(Robiliard,2013b,p.20)

Le rapporteur lui-même identifie «l’absence de volonté politique» commel’un des facteurs expliquant «l’absence de réforme importante dans [l]edomaine»delapsychiatrie(Robiliard,2013b,p.20).DenysRobiliardn’estpasleseul à formuler cette hypothèse car ce défaut de volonté politique est mis enexerguedanslaplupartdesrapportspharesenpsychiatrie.

2. LerapportDemay

Ilesteneffetpossibledemettreenévidencel’écartentreleprogressismeetl’innovationportésparplusieursdesrapportsrédigéspardesmédecinsetl’échopolitiquequileurestdonné.Pourcefaire,nousnousarrêteronssurunrapportparadigmatiqueréaliséen1982.

LesdocteursM.etJ.Demayontrédigé,àlademandeduministredelaSanté,JackRalite,unrapportsur«Unevoiefrançaisepourunepsychiatriedifférente»(juillet1982).Alorsqueledocumentposelaquestiondesdroitsdesmalades,ycomprisauplanlégislatif(p.12)202,laréponseàcetteexigencen’atoujourspasétéapportéedansladeuxièmemoitiédesannées2000, leJLDn’étant introduitqu’en2011dans leshospitalisations sous contrainte.Récusant l’exclusionet lastigmatisation203 , refusant de voir la personne ayant un trouble psychiquecomme un danger pour la société, les auteurs rejettent, «sur des basestechniques, que ces personnes souffrant de troubles psychiques soientenfermées dans une désignation aliénante de fous, forcenés, aliénés, dedéséquilibres, d’arriérés, d’handicapés,bien souvent utilisée dans unmode dedéfense.»(DemayetDemay,1982,p.10)Cerapport,àladifférencedeceuxquiseront produits dans les années 2000-2010, assume une représentation de lamaladieconsidéréecommeunmomentdansunprocessusévolutif204,alorsqu’àla fin des années 2000, les rapports rendus aux ministres figent certainsindividus dans la catégorie de personnes dangereuses, sachant que la seule

202«Uneconceptionoffensivedesdroitsdel'homme,quidoitaffirmerégalitédesdroitsetsolidaritédelacollectivité,doitsavoirassurer,auplandudroitcommunetsansdélaiaucun,lasolutiondetoutcequipeutêtre nécessaire au maintien et au rétablissement de la santé (1). 1) Le très remarquable projet dedéclarationdeslibertéssoumisàladiscussiondesFrançais,VivreLibres,constitueuneréformeessentielle(éditiondel’HumanitéJuin1975).»(DemayetDemay,1982,p.12)203«cette exigence de renouveau pourra et devra, définitivement, abolir la vieille habitude de mettre àl’écart,etsipossibled’oublier,toutcequiinquiète,dérangeouencombre,aboliraussietainsilaloide1838etsonasilequiavaientmisen formeetenactescettepratiquedel’exclusionméthodiqueetsystématique»(DemayetDemay,1982,p.5).204«Tout trouble mental est évolutif; l’expérience prouve que la chronicité n’est pas irréversible. Lesnotionsdemaladiementaleetdehandicaptendentàorganiserlafixation.»(DemayetDemay,1982,p.11)Cettedéclarationconstituelapremièredesseptprémissesd’unrenouvellementdelapsychiatrie.

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potentialité de la dangerosité – i.e. le «risque» de récidive – les réifie dans lacatégoried’individudangereux(Doron,2009205;Danet,2009,p.82).

Larécusationdelanormalisationestaffirméecommeuneexigenceéthique:«Leconceptdeprévention,s’ilseréfèreàunenotiondenormalité,leconceptdeguérison, s’il se réfèreàunenormalisation,etenfin leconceptd’assistance, s’ilnécessite l’étiquetage et l’invalidation, vont à l’encontre de toute démarchethérapeutiquedanslechampdelapsychiatrie.»(DemayetDemay,1982,p.12)À l’encontre de la représentation, ancrée dans le paradigme de l’aliénation, lerapport insiste sur la nécessité du respect du «libre choix» du patient206, cerespect étant l’un des principes fondateurs d’une «éthique de la Psychiatrie»,dont on sait qu’il est certes présent dans le déclaratif des médecins exerçantactuellement mais pas toujours à l’œuvre dans les pratiques (Guibet Lafaye,2015,2016207).Ainsilerespectdeslibertésestinstitué,danslerapport,commel’un des principes de «l’éthique de la psychiatrie». Alors que l’aliénation estrécusée –oudumoinsdisqualifiée commeétant leproblèmeprincipal208–, onparlede«patientmental»pourlequelunereconnaissanceestdemandéeetvis-à-visduqueloninstauredesdevoirsnousengageantàsonégard209,lafiguredel’«aliéné» est rémanente dans les rapports ultérieurement produits par lepersonnelpolitique(voirlesrapportrespectivementfaitsparG.Fenech,député(2007, 2008) et J.-R. Lecerf, sénateur (2008)210). Dans le rapport de 1982, lapersonnemaladen’estpasappréhendéeàpartirdel’unedesescaractéristiques,

205DoronC.-O.,«Unevolontéinfiniedesécuritéversunerupturegénéraledanslespolitiquespénales?»,inPh.ChevallieretT.Greacen,Folieetjustice:relireFoucault,Toulouse,Érès,2009,p.179-201.206«Dans une convivance facilitant les bonnes relations nécessaires, le libre choix toujours respecté dumaladedemeureraunfacteurdepartageessentieletdéterminant.»(DemayetDemay,1982,p.9)207Guibet LafayeC., «Irréductibilité des conflits normatifs et dilemmesmoraux enpsychiatrie»,Éthique,Politique etReligions, Institut de recherches philosophiques de Lyon, Paris, n° 7, 2015. Guibet Lafaye C.,«Quelleéthiquepourquelspsychiatres?»,Sociologie,Paris,PUF,n°2,vol.7,2016,p.169-186.208«Au-delàdutermed’aliénation c’est la difficulté, pour ne pas dire l’insupportable du rapport à l’autrequ’ellemetenévidence,nonseulementcommefaitpathologique,maiscommeparadoxeconstitutifdetoutliensocial.»(DemayetDemay,1982,préambule)209«Cetteexigenced’unchangementprofondestundûaupatientmental tropsouventméconnu,négligé,rejetéetmalmené.»(DemayetDemay,1982,p.3)210«M.PierreFauchon,sénateur,aobservéqueledeuxièmealinéadecemêmearticle,telqu’adoptéparleSénat,luiparaissaitdépourvudesignification,voiredangereux.IlarappeléquelaprésencedecetalinéaavaitpuêtrejustifiéeparlesouciduConseild’Étatqueladécisionprononçant une rétention de sûreté soit fondée sur lamention de cette éventualité dans le jugementabinitio,dès ladécisionde lacourd’assises,aux finsderespecter lesstipulationsdua)duparagraphe1del’article5delaConventioneuropéennedesauvegardedesdroitsdel’hommeetdeslibertésfondamentalesqui prévoient «que nul ne peut être privé de sa liberté, sauf s’il est détenu régulièrement aprèscondamnation par un tribunal compétent».Mais il a estimé que la possibilité de placer en détention un«aliéné»enapplicationdue)duparagraphe1dumêmearticledeladiteconventionsuffisaitàcouvrirlescasderétentiondesûretédéfinisparleprésentprojetdeloi.Ilapréciséque,laCoureuropéennedesdroitsdel’hommen’ayantjamaiseuàconnaîtredelaquestiondelarétentiondesûretéd’un“aliéné”,onpouvaitadmettre qu’à une question nouvelle, la rétention ne pouvant constituer une sanction au sens pénal duterme,soitdonnéeuneréponsenouvelle.Ilad’ailleursrappeléquelacourdeStrasbourgelle-mêmeavaitreconnuquelesensdutermealiénénecessaitd’“évolueraveclesprogrèsdelarecherchepsychiatrique”.»(http://www.senat.fr/rap/l07-192/l07-192_mono.html)

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telle la «dangerosité» (voir Doron, 2009, p. 196), mais conformément à uneapproche globale, consistant à la replacer dans son contexte de vie211– cetteperspectivesystémiqueétantcomplètementabandonnéedanslesrapportsdeladeuxième moitié des années 2000, où c’est l’individu en tant que tel (et passimplement l’individu identifié comme dangereux) qui est stigmatisé dans sasingularité. Le rapportDemaydénonce l’inégalité de traitement dont souffrentles personnes en psychiatrie: «Aucun service public ne traite avec un telarbitraireetunetelle inégalitédescitoyenségauxendroit.»(DemayetDemay,1982, p. 8) Cette thématique reviendra, à 20 ans d’écart, dans les rapports de2001soulignantlaplacequiluiestréservéeàl’extérieurdel’agendapolitique.

À l’encontre d’une logique répressive et concentrationnaire, le rapportpropose un «contrôle gestionnaire des usagers et des représentants de lapopulation» sur les institutions de soins, c’est-à-dire une forme de contrôledémocratiquequifaitéchoaurapportde2002surladémocratiesanitairemaisdontlecontrasteestsaisissantaveclesrapportsde2005-2008212.L’introductiondececontrôleaunevocationexplicitementpolitique:«Celapermetuncontre-pouvoir aux instances de tutelle et au pouvoir psychiatrique; cela permet desréponsesde solidaritéenvers ceuxqui sontditsmaladesmentaux» (DemayetDemay,1982,p.10)213.Quoiquecette logiquetrouvedeséchosdanslerapportde 2002 sur la démocratie sanitaire, elle sera ensuite en net le recul et neconnaîtraaucuneformederéalisation,sicen’estdefaçontrèsatténuéeaveclesConseils Locaux de Santé Mentale (CLSM). Les médecins réinstituent lapsychiatrie dans sa dimension politique, là où les politiques –députés etsénateurs notamment–, chargés par l’exécutif de la production de rapports,vident la psychiatrie de cette dimension, pour la replacer dans une logiquerépressive, en faisant coller à l’image des patients de la psychiatrie celle del’individu dangereux. Dans le rapport Demay, la psychiatrie est moins penséecomme étant au service du corps social qu’au service de ses patients214. Sadistance à l’égard du politique est conçue comme une exigence éthique de la

211«Ilyalàunefaçond’aborderetdecomprendrel’atteintementaledanssaglobalité,d’enrechercher,demême, sources et remèdes dans une démarche qui doit absolument déborder de la singularité de lapersonne.»(DemayetDemay,1982,p.3)212En l’occurrence, les rapports du procureur général Burgelin (2005), du député Garraud (2006), dudéputéFenech(2007),dumagistratLamanda(2008),desdéputéFenechetsénateurLecerf(2008).213Le rapport propose d’autres occurrences de la lutte politique, entreprise par cesmédecins, contre lecontrôle social: «Si l’accès à l’autonomiepasseparunephasenécessairededépendance, celle-ci nedoitêtrequetemporaireetnonpastutélaire,cartoutpouvoirpossèdeengermeleconservatisme.»(DemayetDemay,1982,p.11)214«La fonction des professionnels du champ de la psychiatrie est celle d’accompagnement de leurspatientsetcelle,éventuellement,dedéfensevis-à-visducorpssocialetvis-à-visdespuissancesdetutelle;avecpourobjectifladésaliénationdespatients,lerespectdeleursituationspécifique,lareconnaissancedeleur droit à la régression, le décryptage de leur demande au travers et au-delà des symptômes qu’ilsprésentent,etenfinleurautonomisation.»(DemayetDemay,1982,p.12)

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profession215–distancedontnousverronscombienelles’estérodéeàpartirde2006-2008.

3. Lenteurdelaprisededécisionpolitique

L’exemplemagistraldelalenteurpolitiqueestl’absencederévisiondelaloidu27 juin1990senséeêtrerevueaprès5ansd’applicationmaisquine l’aétéqu’en juillet 2011. Toutefois cette temporalité n’est pas un hapax. Ainsi lamissionCléry-Melin (1995), dont le travail a abouti à un rapport d’orientationsur:«Desalternativesàl’hospitalisation»,faitentrerdansledébatlaquestiondesmodalitésde l’hospitalisation sous contrainteainsiquede l’«obligationdesoinsenambulatoire», concernant lesquels le législatifnestatueraqu’en2011puis en 2013. De surcroît, les modifications de la loi proposées en 2011 netiennentpassimplementàunmûrissementduprocessuslégislatifmaisàl’effetdifféréd’événementsdramatiques,enl’occurrenceledramedePau216.Demême,lamissionde l’IGAS (1997),présidéeparHélèneStrohl,préconisait la créationd’une seule modalité d’entrée en soins sans consentement, la suppression del’ordre public comme motif d’hospitalisation sans consentement, ainsi que lajudiciarisation a priori des décisions d’hospitalisation, or cette judiciarisationn’estfinalementlégaliséequ’en2011souslapressioneuropéenne.Ilnes’agitdesurcroîtqued’unsimplecontrôle judiciaire, ladécisionrestantentre lesmainsde l’administration etdespréfectures. Ce retard estmêmemis en exerguepardes députés (voir Robiliard, 2013b, p. 28217). Bien que se trouve, pour lapremière fois, avancée en 1997 la nécessité du contrôle judiciaire et del’ouverturede l’hôpitalpsychiatriqueàun regardextérieur218, il faudra14anspour que la mesure soit adoptée. Alors que le rapport Strohl insiste sur lanécessité de connaître «les circonstances pathologiques et environnementalesderecoursà l’hospitalisationsansconsentement» (Strohl,1997,p.57),aucuneenquête n’a encore été diligentée en la matière en 2015 (voir DACS-PELJ,2015219;Moreau,2015).Même lerapportStrohl,beaucoupmoinsprogressiste

215«Ilest inacceptablequelessoignantspuissentconcourirenquoiquecesoitàcettedénaturationdelapsychiatriequ’est sonutilisationàdes finsde répressionpolitique. Il est indispensableque les soignantspuissent s’abstrairedesvaleursmorales,sociales,politiquesdominantes.Celles-cinepeuvent enaucuncasconstituerlefacteurdéterminantdeleurconduiteprofessionnelle.»(DemayetDemay,1982,p.12)216CettecausalitéestsoulignéeparlerapportRobiliard(2013b,p.7).217«silerapportdugroupenationald’évaluationdelaloidu27juin1990,ditrapportStrohl(dunomdesaprésidente), publié en 1997, a osé avancer des propositions radicales sur l’organisation du dispositiffrançaisd’admissionensoinspsychiatriquessansconsentement,aucunen’aétémiseenœuvreàcejour,endépit toutefois du soutien prononcé des professionnels de santé et des magistrats en faveur d’uneunification du régime d’entrée en soins actant la fin du rôle spécifique du préfet assortie d’unejudiciarisationcomplètedudispositif.»(Robiliard,2013b,p.28).218«Enplusdel’améliorationdel’exercicedudroitderecours,ilfautrenforcerlecontrôledelalégalitédeshospitalisationssansconsentementparlaCDHP.»(Strohl,1997,p.27).219VoirM.ColdefyetC.Nestrigue,«L’hospitalisationsansconsentementenpsychiatrieen2010:premièreexploitationduRim-Petétatdeslieuxavantlaréformedu5juillet2011»,Irdes,n°193,décembre2013;

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que celui des Demay, n’a pas reçu d’écho que l’on considère les soins sansconsentement en ambulatoire ou la judiciarisation. Le manque de volontépolitique en matière de réforme de la psychiatrie s’affirme une nouvelle fois.Bienquelamissiontentederécuserl’imagedu«foudangereux»(Strohl,1997,p. 6)220, celle-ci reviendra en force dans les discours politiques de la fin desannées2000(notammentlediscoursd’Anthony,2008),commenousleverronsultérieurement.

Lafrilositédupolitiqueenmatièredepsychiatriesevoitmêmedénoncée,àplusieurs reprises, par la Cour des Comptes: «Ce plan [«psychiatrie et santémentale» 2005-2010] a produit des résultats que l’on peut qualifier demédiocres,enraisondel’insuffisancedesmoyensfinanciers,deladéfaillancedupilotage, et du défaut d’un portage suffisamment fort.» (Cour des Comptes,2011b).Demême,lesobjectifsdudernierplan«psychiatrieSantéMentale»de2011-2015 montrent à quel point toutes les ambitions affichées pendant desdécenniesrestentlettremorteenpsychiatrie:«Parmilesprioritésmajeuresdunouveauplan:garantirunégalaccèsàdessoinsdequalitéquelquesoitlelieudevieoulasituationsocialedelapersonnevivantavecdestroublespsychiatriques,prévenir lesrupturesdans lesparcoursdeviedecespersonnesenconjuguantnotamment les soins et l’accompagnement, lutter contre la stigmatisation despersonnes malades, donner toute leur place aux aidants et leur apporter unsoutienlorsquec’estnécessaire.»221

IV. Lamarquedupolitiquesurlapsychiatrie

1. Unusagesélectifdesrapports

Lalenteurd’applicationn’estpaslaseulecaractéristiquedel’usagepolitiquedesrapportsremis.Ellesedoubled’unusagesélectifdespropositionsformuléespar ces derniers. Trois éléments au moins mettent en évidence cet usage (laréférence à l’insight, à l’anosognosie et la responsabilisation accrue despersonnescriminellesatteintesdetroublespsychiques).Ilconcerne,enpremierlieu, la caractérisationdu troublepsychiqueàpartirde l’insight, élémentétayé

«Statistiqueenmatièrede soins sous contrainte. Saisinedu JLD2012,2013et2014»,DACS-PELJ, juillet2015.220«La représentation sociale de la maladie mentale, alimentée par les faits divers dans les médias, sefocalise sur l’image du “fou dangereux” alors que les “médico-légaux”, c’est-à-dire les personneshospitalisées en applicationde l’article L.348du codede la santépubliquene représententqu’une faiblepart desmesures d’hospitalisation sans leur consentement (228 personnes représentant 3% des HO et0,5%deshospitalisationssansleurconsentementen1995).»(Strohl,1997,p.6)221«PlanPsychiatrie et Santémentale 2011-2015», Paris,Ministère du travail de l’emploi et de la santé(éd.),2012/02,43p.

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scientifiquement mais discutable sur les mêmes bases222, mais également laréférenceàl’anosognosie.LerapportStrohlseconstruitsurleprincipedudénide la pathologie par le malade, ce déni constituant la justification clinique del’impositiondelacontrainte:«ilnousasembléqu’ilyavaitunespécificitédelapathologiementaledanscedéni:pluslemaladevamal,plussonétats’aggrave,plus il refuse les soins. C’est cette caractéristique de certaines pathologiesmentales qui légitime certaines formes de contraintes, à condition qu’ellesrestentrespectueusesdumaladeetcirconscritesdansletemps.»(Strohl,1997,p.14)Bienque laréférenceà l’anosognosiepartage laprofession223,c’estcettenotionqueretiendralepolitique.

L’usage sélectif, par le politique, des éléments des rapports remis opèreégalement, lorsqu’il estquestionde la responsabilisationaccruedespersonnesatteintesde troublespsychiques et ayant commisdes crimes ainsi quede leurcomparution devant une juridiction ad hoc. Ce mouvement s’amorce dans lerapportStrohl224.Bienqu’avecretardet,unenouvellefois,souslapressionàlafoisd’événementstragiquesainsiquedesfamillesdevictimes,cettemesureestreplacée au devant de la scène par les rapports au Sénat n° LC132 (2004) etBurgelin(2005)etrepriseparlaloidu25février2008relativeàlarétentiondesûretéetàladéclarationd’irresponsabilitépénalepourcausedetroublemental,soulignantainsil’influenceduprocureurgénéral auprèsdelaCourdecassation.

2. Lesorientationsdonnéesparlepolitique

Les rapports produits par les médecins, au début des années 2000,continuentde formulerdesorientationsprogressistespourorganiser lechampde la psychiatrie. Ainsi l’idée de «la démocratie sanitaire [qui] ne [peut] secomprendrequeparl’égalitédetraitementdetoussesacteurs»estpromueparlerapportRoelandt(2002).Elleviseàconférerauxélusetauxacteurspolitiquesune fonction sans précédent dans les politiques de santémentale ou dans les

222VoirrespectivementFosterQreenMichaeletKeithH.Nuechterlein,«ShouldSchizophreniaBeTreatedas a Neurocognitive Disorder?», Schizophrenia Bulletin, vol. 25, n° 2, 1999, p. 309-319, et Bottéro A.,«Insightetpsychose»,Neuropsychiatrie:TendancesetDébats,2008,33,p.9-11.223Certainsladéfendentalorsqued’autreslacritiquent:voird’uncôtéBraitmanA.etal.,«Critèresdeprisededécisionauxurgencesde l’hospitalisationsans leconsentement»,AnnMedPsychol,2011,169,p.664-667.CapdevielleD.etal., «Insightet capacitéà consentirausoinetà la recherche:étudeexploratoireetpointsdevueéthiques»,AnnMedPsychol,2011,169,p.438-440.Etd’unautrecôté,BottéroAlain,«Contrel’hérésiedes“soinssansconsentementenambulatoire”»,juillet2011(textenonpubliémaiscommuniquépar l’auteur) et Auxéméry Y., «“Névrose” et “Psychose”: quelles définitions pour la psychiatriecontemporaine?»,AnnMedPsychol,2015,souspresse.224 «le groupe, relayant d’ailleurs l’ensemble des professions psychiatriques, propose une solutionnuancée: Il serait appliqué la même procédure que les troubles mentaux aient aboli ou altéré lediscernementd’unepersonne:leprocèsalieu,lapersonneestpunissable.Maisleprocèspeutconclureàladispensedepeineencasd’abolitiondelacapacitédediscernement.»(Strohl,1997,p.37)

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plans antérieurs relatifs à la psychiatrie 225 . Démocratie de proximité etdémocratie sanitaire sont conçuesdansuneperspective conjointe226.Toutefoisla trajectoireest corrigéedès l’annéesuivanteparunecommandepolitiquedeJean-François Mattei, Ministre de la Santé, de la Famille et des PersonnesHandicapées, convoquant unemissiondont l’objectif est: «[…]deproposer unpland’actionsciblésurlaréorganisationdel’offredesoinsenpsychiatrieetensantémentale, […] et en prenant en compte le choix et lamise enœuvre desobjectifsdepréventiondéterminésdanslecadredelaloid’orientationensantépublique […]»227. Cette lettre de mission souligne le rôle du politique et del’exécutif dans les inflexions des politiques de santé en psychiatrie: certainsconcepts,extraitsdesrapports– lanotiondesantémentaleenétant l’exempleemblématique228–,sontprivilégiésalorsque lesorientationspolitiquestracéesparlesmédecinssontécartéesdefaçonrécurrente(voirDemayetDemay,1982;Roelandt,2002).

La cause de ce revirement relève d’un registre sécuritaire et d’un souci decontrôle socialpuisqu’elleestdésignéecommecoïncidantavec«notre rapport“Agirauxracinesdelaviolence”(Mars2003),surlethèmedelaviolencedanslecadre de la santé mentale, et dont de nombreux éléments, qui concernent enparticulier la prévention des problèmes liés à l’intrication drogue - alcool -addictions et psychiatrie, doivent être intégrésdans le pland’actions.» (Cléry-Melin,2003,p.5)Cetteopérationpolitiques’appuiesuruneréinscriptiondelapsychiatriedans le champmédical (Cléry-Melin,2003,p. 6)229, enporte à fauxaveclespasserellesqueRoelandt(2002)tissaitaveclemondesocialetmédico-socialvoirepolitique.

L’orientationproprementpolitique, imprimépar l’exécutif et le législatif auchamp psychiatrique, se dessine avec netteté à partir de 2005230, dans uncontexteoùl’opacitédesmesuresd’hospitalisationsouscontrainteestpourtantsoulignée231.Laproblématiquedeladangerositéoccupeledevantdelascène,ledramedePaujouantunrôled’accélérateur–etpasexactementdedéclencheur

225Un exemple parmi d’autres tiré de la conclusion: «plus que les usagers, c’est l’implication des éluslocaux dans la question de la santémentale, par le biais de la santé en général et du handicap qui seraprépondérantepourlesannéesàvenir.»(Roelandt,2002)226Voir aussi «Le Livre Blanc de la Fédération Française de Psychiatrie 2003». «Le Livre Blanc de laFédération Française de Psychiatrie 2003» insiste aussi sur cette dimension politique attachée à lapsychiatriemaisennesoulignantpasdelamêmefaçonquelerapportRoelandtleslieuxoùlesélusdoivents’engager.227Au fil du temps la notion de «prévention», présente dans les rapports successifs, glisse du registresanitaireauregistresécuritaire.228BellahsenM.,Lasantémentale.Versunbonheursouscontrôle,Paris,LaFabrique,2014.229Recentrementqu’opéraitégalementleLivreBlancdelapsychiatrie(2003).230N.Sarkozyestministredel’Intérieurdepuis2003.231 Voir «Dans son rapport pour 2000, la Cour des comptes a ainsi estimé que le “nombre deshospitalisations sans consentement a connu une augmentation spectaculaire qui pose avec acuité laquestion de l’indispensable conciliation entre des impératifs de sécurité et le respect des droits desmalades”.»(Briot,2004,p.16)

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car la préoccupation sécuritaire s’affirme dès 2003, comme le montre lecommuniquédu23décembre2003parDominiquePerben,ministredelajustice,surle«Traitementjudiciairedesmaladesmentaux»232.Lesrapportspharesnesont plus commandés par leministère de la santémais par leministère de lajustice, conjointement avec le ministère des solidarités, de la santé et de lafamille233,etpar lePremierMinistre234voirepar lePrésidentde laRépublique(Lamanda, 2008). Cette substitution des experts consultés montrel’investissementdupolitiquedanslechamppsychiatrique.Lerôledupolitique,et en particulier de l’exécutif, devient alors décisif puisqu’en l’occurrence, leprésidentdelaRépubliqueN.Sarkozy,suiteàladécisiondenonrétroactivitédelamesurederétentiondesûreté,affirméeparleConseilConstitutionnel,aconfiéau premier président de la Cour de cassation, M. Lamanda, la rédaction d’unrapportafindeformuler«toutespropositionsutilesd’adaptationdenotredroitpour que les condamnés, exécutant actuellement leur peine et présentant lesplusgrandsrisquesderécidive,puissentsevoirappliquerundispositiftendantàl’amoindrissementdecesrisques»(NicolasSarkozy,PrésidentdelaRépublique,parlettredu25février2008;noussoulignons).Àpartirdesannées2005-2006,lesrapportsorchestrantlechampdelapsychiatrieetconcernantlespersonnessouffrant de troubles psychiques ne sont plus seulement commandés par leministère de la santé mais directement par le président de la république, N.Sarkozy,oulegardedessceaux.Unjeud’instrumentalisationdel’expertiseparlepolitique semet en place. Le rapport Garraud, par exemple, constitue le refletexact des politiques mises en place, à la même époque, par le ministre del’Intérieur,N.Sarkozy235.

Laproblématiquede ladangerositémarque lesannéesquisuivent(voir lesrapportsGoujon,2006236; Fenech,2007237; Lamanda,2008; FenechetLecerf,2008238)commelesouligned’ailleurslesénateuretmédecinA.Milon(2012)239.

232 http://www.presse.justice.gouv.fr/archives-communiques-10095/archives-des-communiques-de-2003-10237/traitement-judiciaire-des-malades-mentaux-11703.html La loi du 5 juillet 2011 est «née sous lesauspicesdudiscoursd’Antony»(Robiliard,2013,p.7).233RapportdelaCommissionSanté-Justicedejuillet2005intitulé«Santé,justiceetdangerosité,pourunemeilleurepréventiondelarécidive».234VoirJean-PaulGarraud,«Réponsesàladangerosité»,Rapport,PremierMinistre,Paris,FRA/com.,2006.235Par la loi sur la sécurité intérieure du 18mars 2003, complétée par la loi Perben II, le fichage ADN,instauréen1998et limitéà l’origineauxdélinquants sexuels, a étéétenduà toutepersonne soupçonnéed’unquelconquedélit(saufdélitd’initiéoufinancier).236Ph. Goujon, «Les mesures de sûreté concernant les personnes dangereuses», rapp., Rapport, Sénat,Paris,FRA,2006.237RapportfaitparM.GeorgesFenech(député)aunomdelacommissiondesloisconstitutionnelles,delalégislationetdel’administrationgénéraledelaRépubliquesurleprojetdeloi(n°442),relatifàlarétentiondesûretéetàladéclarationd’irresponsabilitépénalepourcausedetroublemental.238Rapport n° 678 fait par M. Georges Fenech (député) et M. Jean-René Lecerf (Sénat) au nom de lacommissionmixteparitaire(1)chargéedeproposeruntextesurlesdispositionsrestantendiscussionduprojet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause detroublemental(urgencedéclarée).

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Ph. Goujon (2006) propose un correctif au rapport de 2005 240 mais ledéploiement de cette logique globale s’accompagne d’un processus destigmatisation des personnes ayant des troubles psychiatriques: «lesinsuffisances du système français portaient essentiellement sur la prise encharge des délinquants dangereux atteints de troubles psychiatriques» (voirultérieurement Barbier, 2010241)242. Ainsi la dimension sécuritaire va jusqu’àinfiltrerlesdispositifsdesanté,relatifsàlapsychiatrie,puisquelerapportCouty(2009), «Missions et organisation de la santé mentale et de la psychiatrie»,souligneque:«Lamaladiementalepeutconduirequelqu’unàcompromettrelasécuritédespersonnesetàtroublerl’ordrepublic.EdouardCoutyinsistant,danssonrapportremisàlaministrechargéedelasantéen2009,surlefaitquetouteorganisationdel’offredesantédoitproposerdesdispositifsprenantencomptecettedimension.»Laprévalencederapportsproposéspardesnonmédecins,enl’occurrence par V. Lamanda, Premier président de la Cour de Cassation, par

239«Malgré une actualité souvent tragique et une vingtaine de rapports publiés depuis dix ans, lapsychiatrie française n’a été abordée par la loi que sous l’angle de la dangerosité des malades, optiquerestrictivequelacommissiondesaffairessocialesavaitregrettée.»(Milon,2012;noussoulignons)«[…]ladernière réforme en date – la loi du 5 juillet 2011 relative à l’hospitalisation sans consentement – s’estfocaliséesurlaquestiondeladangerosité.»(Milon,2012)240 «En 2005, la commission Santé-Justice, présidée par M. Jean-François Burgelin, avait proposénotamment la création de centres fermés de protection sociale destinés à accueillir, après l’exécution deleur peine, des personnes considérées comme toujours dangereuses. Cette propositionmettant en causecertainsprincipesfondamentauxdenotredroit etposant laquestionessentielledupointd’équilibre entreconsidérations de sécurité publique et respect de la liberté individuelle, il a semblé indispensable à lacommissiondesloisqueledébatseprolongeets’approfondissedansuncadreparlementaire.Pourcela,elleadécidédecréerunemissiond’informationconfiéeconjointementàM.PhilippeGoujonetCharlesGautiersur les mesures de sûreté susceptibles d’être prises à l’égard des personnes considérées commedangereuses.»(Goujon,2006;noussoulignons)Lamissiond’informationacherchéàapporterdesélémentsderéponseàtroisinterrogationscomplexes:1.Ledispositiffrançaisconcernantlespersonnesdangereusesest-iladapté?2.Quelsenseignementspeut-ontirerdesexpériencesétrangères?3.Lamiseenplacedestructuresferméespouraccueillirdesdélinquantsaprèsl’accomplissementdeleurpeineest-elleenvisageableetàquellesconditions?Sur la base des observations recueillies, la mission a constaté que les insuffisances du système françaisportaient essentiellement sur la prise en charge des délinquants dangereux atteints de troublespsychiatriques et propose plusieurs pistes de réflexion qui s’articulent autour de trois axes: renforcerl’expertise,mettre enplacedes unités spécifiques, renforcer le suivi des personnes après leur libération.(Goujon,2006)241G.Barbier,«Rapportd’informationsurlapriseenchargedespersonnesatteintesdetroublesmentauxayantcommisdes infractions»,Rapport,Sénat.CommissiondesAffairesSociales,Paris,FRA,2010.«Si lerapport du groupe national d’évaluation de la loi du 27 juin 1990, dit rapport Strohl (du nom de saprésidente), publié en 1997, a osé avancer des propositions radicales sur l’organisation du dispositiffrançaisd’admissionensoinspsychiatriquessansconsentement,aucunen’aétémiseenœuvreàcejour,i.e.lacréationd’uneseulemodalitéd’entréeensoinssansconsentement,suppressiondel’ordrepubliccommemotifd’hospitalisationsansconsentement, judiciarisationaprioridesdécisionsd’hospitalisation,endépittoutefoisdusoutienprononcédesprofessionnelsdesantéetdesmagistratsenfaveurd’uneunificationdurégimed’entréeensoinsactantlafindurôlespécifiquedupréfetassortied’unejudiciarisationcomplètedudispositif.»(Robiliard,2013,p.27-28)242Le vocabulaire du politique reste celui des «maladesmentaux»: voir Rapport du Sénat en 2004 surl’irresponsabilitépénaledesmaladesmentaux.

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Milon, sénateur, coïncide avec le déploiement d’une logique sécuritaire243. Lerapport Milon (2009) récuse les soins en milieu ouvert au profit del’enfermement244. La référence à l’actualité et à une actualité dramatique estexplicite dans les rapports Fenech (2007)245et Milon (2009, 2012), suggérantque le politique s’appuie sur cette actualité pour procéder à desmodificationslégislatives, là où les conclusions des rapports, notamment réalisés par desmédecins, lors des décennies précédentes, sont restées lettre morte. Deuxrapportsausénat(Milon,2009;Lecerf,2011)246jouentunrôledécisif,danslesorientations récentes prises en psychiatrie, puisque le dernier prépare laréformedelaloide2011247.

Ces éléments suggèrent donc une tendance du politique à suivre lesrecommandations de ses propres corps administratifs et législatifs plutôt que lesrapports desmédecins, pourtant spécialistes du champ de la psychiatrie248. Laseule contrainte réelle s’exerçant sur le politique – législatif et exécutifconfondus – vient du Conseil constitutionnel plutôt que des rapports oupréconisations des professionnels du secteur 249 . Le rapport Robiliard lereconnaît, concernant le rôle du préfet dans les hospitalisations d’office, enrappelant le rapport Lefranc250: «Se refusant à engager cette réflexion, le

243Voir A.Milon, «Rapport sur la prise en charge psychiatrique en France», Rapport, Sénat, Paris, FRA,2009.Demême,lessoinssansconsentementsontpartiellementlefruitd’uneréflexionpréalableàlaloidu5juillet2011, argumentée,notammentdans le rapportde lamission conjointedes Inspectionsgénéralesdes affaires sociales et des services judiciairesdemai2005 (cf.RapportRobiliard, 2013), cette évolutioncontinuenéanmoinsdesusciterdenombreusesoppositionsdanslemilieumédical.244«Plusieurs incidentsdramatiquesontpuaccréditer l’idéequ’enremplaçantl’enfermementpardessoinsenmilieuouvert,onprendlerisquededéfaillancesdanslasurveillancedepersonnesqu’ilfaudraitd’abordempêcherdenuire.»(Milon,2009)245Fenech,2007,p.9:Évocationdesfaitsdivers:«AffaireÉvrard»,«AffaireDupuy».246J.R.Lecerf,«Avisrelatifauxdroitsetàlaprotectiondespersonnesfaisantl’objetdesoinspsychiatriquesetauxmodalitésdeleurpriseencharge»,Rapport,Sénat,Paris,FRA,2011.247CetavisrassemblelespropositionsduSénatsurleprojetdeloin°2494(2010-2011),complétéparunelettre rectificativen°3116, adopté avecmodificationspar l’Assembléenationale, relatif auxdroits et à laprotectiondespersonnesfaisantl’objetdesoinspsychiatriquesetauxmodalitésdeleurpriseencharge.248Commelesuggèrecetextrait:«LelégislateuraainsisuivilesrecommandationsdelamissionconjointeIGAS/IGSJ,quiplaidaitnotammentpourunemeilleuregestiondelacriseetdutransportdesmaladesgrâceàl’instaurationd’unprotocoledépartementaldéfinissantlesmodalitésd’implicationdesservicesconcernésetaadoptédeuxdispositifs,quifigurentdésormaisauxarticlesL.3222-1-1AetL.3222-1-1ducodedelasantépublique[…].»(Robiliard,2013,p.21)l’aval de l’hospitalisation, les dispositions introduites en 2011 ne paraissent pas totalement à même derépondre aux préoccupations des acteurs de terrain, dont on ignore d’ailleurs s’ils ont concrètemententreprisdelesmettreenœuvre.Lerisqueestgrand,commelesoulignaitlamissionconjointeIGAS/IGSJde2005que«l’improvisation[continuedeprendre]unepartimportantedanslaprisededécision»enl’absence,d’unepart,declarificationdesresponsabilitésdechacunet,d’autrepart,dedéterminationdes limitesdel’intervention de chacun. Ce point est d’autant plus crucial que le Conseil constitutionnel a désormaisclairement indiqué que la contrainte n’était susceptible de s’exercer sur les personnes admises en soinspsychiatriques sans consentement que lorsque celles-ci sont prises en charge sous la forme d’unehospitalisationcomplète.[…]»(Robiliard,2013,p.22)250«On ne peut toutefois que regretter que l’intervention du préfet n’ait pas été questionnée ni mêmediscutée sérieusement à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif aux droits et à la protection des

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Gouvernementavaitpréféréintroduiredesdispositionspermettantderépondreponctuellement aux exigences du Conseil constitutionnel. Ce choix n’avaitcependantriend’évident[…].»(Robiliard,2013b,p.26;noussoulignons)251.Orceschoixpolitiquesposentdavantagededifficultésqu’ilsn’enrésolvent252.

L’accent porté sur la dangerosité va de pair avec une assimilation du«malade mental» et de l’individu dangereux, se dessinant au sein même dudiscours politique: «La commission présidée par Jean-François Burgelin,procureurgénéralhonoraireàlaCourdecassation,aétéchargéeen2005parlesministres de la Justice et de la Santé de proposer des pistes de réflexionsusceptibles d’améliorer la prise en charge médicale et judiciaire des auteursd’infraction “atteints de troubles mentaux ou qui présentent un profildangereux”.» (Fenech, 2007; nous soulignons) quelles que soient les nuancesultérieurement apportées dans le rapport253. Le souci du contrôle social et lasolutiondel’enfermements’affirmentaveccettesériederapports:«Autotal,lesdifférentes mesures existant aujourd’hui sont insuffisantes à l’égard depersonnes particulièrement dangereuses, dont le risque de récidive estparticulièrementélevé,quinerelèventpasd’unehospitalisationd’officecarnesouffrentpasdetroublesmentaux,etquiontpurgélatotalitédeleurpeine.Leurpriseenchargeenmilieuouvertnesuffitpas:ilétaitdoncnécessairedeprévoiruneprocédurepermettantdeplacercescondamnésenrétentionàl’issuedeleurdétention.» (Fenech, 2007, p. 23) Tel est bien l’expression du «grandrenfermement» que souligne la littérature scientifique (Castel, 1971; Danet,2013254).Sajustificationnormativerésidedansleconceptde«précaution»ainsique dans la logique de la «défense sociale» explicitement convoqués par ledéputé(Fenech,2007,p.35)255.

personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.» (Robiliard,2013,p.25)251RappelonsqueD.RobiliardestundéputéPSplacédansl’oppositionàl’époqueduvotedelaloide2011.252«LerapporteurGuyLefrancledéploraitd’ailleursencestermes:“ladécisionduConseilconstitutionnelpose plusieurs difficultés, qu’il eût été loisible au législateur d’étudier plus longuement avant de devoir entransposerlesprincipesdanslaloi. […] leParlementestaujourd’huicontraintde légiférersous lapressiondu juge constitutionnel sansdisposerd’aucundélaide réflexion. Il est regrettableque lesparlementairessoientplacésdanscettesituation,préjudiciableaubonfonctionnementdenos institutions”.Latraductiondans la loi des principes dégagés par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 juin 2011 n’enlèvecependantrienàlanécessitédemeneràsontermecetteréflexionsurl’interventiondupréfet,demanièreàcequecelle-cipuisse,lecaséchéant,débouchersuruneréformesusceptibledetrouversaplacedansuneloidesantépublique.»(Robiliard,2013,p.26-27)253«Toutepersonnedangereusen’estpasnécessairementatteintedetroublesmentauxettoutepersonneatteintedetroublesmentauxn’estpas,automatiquement,unepersonnedangereuse.»(Fenech,2007)254CastelR.,«L’institutionpsychiatriqueenquestion»,Revuefrançaisedesociologie,1971,12/1,p.57-92.Éric Favereau, «L’enfermement revient en force dans les hôpitaux psychiatriques», Libération, 27novembre2009.DanetF.,«LaPsychiatrie.Dugrandrenfermementaudéveloppementpersonnel»,Lumière&Vie,n°299,juil.-sept.2013,p.25-35.255«Le rapport deM. Jean-Paul Garraud a préconisé l’instauration d’une “mesure de suivi de protectionsociale”, sur lemodèledesmesuresde sûreté enmilieuouvertmises enavantpar laCommissionSanté-Justice.Danslecadredecettemesure,prononcéepouruneduréeindéterminéeparlejugedeslibertésetde

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L’assimilation maladie mentale - dangerosité au sein même des discoursproduits par le politique met en évidence son rôle dans la production desstéréotypes sociaux, comme le suggèrent d’ailleurs certains rapportsparlementaires: «Les malades mentaux sont cependant victimes aujourd’huid’une représentation sociale associant trouble mental et violence. Les imagesvéhiculéespar lesmédias, lecinéma,maisaussi lesdiscourspolitiques,commeceluid’Antony,montrantlapersonnemaladecommeagressive,voirecriminelle,contribuent à cette image dégradée loin, très loin, de la réalité vécue parl’écrasantemajoritédesmalades.»(Robiliard,2013,p.8)

Conclusion

La double mise en perspective des évolutions législatives concernant lapsychiatrie avec, d’une part, le contexte événementiel et, d’autre part, laproductionderapportsdansledomainesoulignelacontradictiondanslaquellelepolitiques’inscrit.D’uncôtéetdepuis1945,plusieursdizainesderapports,delois et deux plans nationaux sur la psychiatrie ont été publiés, avec desrecommandationsallanttoutesdanslemêmesens(Roelandt,2010,p.781)–etdontonpeutdirequ’iln’enestguère tenucompte–enrevanche,d’autrepart,des décisions sont prises très rapidement (notamment en 2008 et 2011) dansdes circonstances précises et sous des gouvernements clairement identifiablespolitiquement. En dépit des ouvertures que propose chaque rapport sur lapsychiatrie, la maladie mentale et la santé mentale, les choix du politique, de1950à2015–àl’exceptiondelapérioded’instaurationdusecteur–,vontdanslesensd’unrenforcementdelasécuritéettendentdoncàtoujourssoulignerlecaractère dangereux des personnes présentant des troubles psychiatriques.Toutefois il serait erroné de dire, comme l’a montré l’étude systématique destexteslégislatifsordonnantlechampdelapsychiatrie,quelatendancepolitiqueestdeplusenplus sécuritaire.L’approchepolitiquede lapsychiatriea toujoursété sécuritaire, à l’exception de la parenthèse des années 1970. Alors que lavolontéd’ouverturedesstructurespsychiatriqueshospitalièresverslavilleainsiqueladéfensedesdroitsdespatientss’enracinentdansdesfacteurscontextuelset historiques (voir respectivement les années 1970 et le début des années2000), les soubresauts sécuritaires semblent avoir des raisons conjoncturelles,liéesenparticulieràdesévénements tragiques.Cesélémentspermettentenfinde souligner le rôle du politique dans la structuration des représentations de

la détention et révisée tous les deux ans, la personne concernée serait tenue “de respecter certainesobligationsou interdictionscomparablesàcellespouvantêtreprononcéesdans lecadred’unsuivi socio-judiciaire”.» (Fenech, 2007; nous soulignons) «D’une façon générale, l’évolution des méthodes enpsychiatrieaconsacrélesservicesouvertsaudétrimentdesservicesfermés,rendantplusdifficilel’accueildespersonnesdétenuesau regardde la sécuritéetdes risquesd’évasionnotamment.» (Fenech,2007,p.18)

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l’opinionpubliquefaceàlapresse,notamment,quel’onaccusevolontiersmaisàtort(voirGuibetLafayeetBrochard,2016256),bienquel’onpuisseenvisagerunjeu d’influence réciproque entre la presse et le pouvoir politique (voirKalampalikis et al., 2007). Ils mettent également en évidence le poids dupolitique dans la fabrication des représentations touchant les personnessouffrantdetroublespsychiquesetpsychiatriques.

256GuibetLafayeC.etP.Brochard,«Entrefaitsdiversetdébatspublics:commentlapresseécriteabordelapsychiatrie?»,Questionsdecommunication,décembre2016.

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Conclusiongénérale:lafindel’irresponsabilitépénale?

La controverse autour du principe d’irresponsabilité traverse les différentsuniversprofessionnelsamenésàlemettreenœuvreetétudiésdanscerapportau moyen d’entretiens (experts psychiatres, juges d’instruction, psychiatrescliniciens) et d’analyses documentaires (presse, presse spécialisée,jurisprudence, textes de loi). Dans ces milieux professionnels, on observe unspectredepositionsquis’étenddeladéfensedeceprincipeàsaremiseencause.Ces positions sont fondées sur des arguments moraux et pragmatiquesantagoniques: on trouve, chez les acteurs favorables à une interprétationmaximaliste du principe d’irresponsabilité257, l’idée que l’hospitalisation desauteursd’infractionprésentantdes troublesmentauxseraitun traitementplus«humain»ouplus«juste».Ilsadhèrentégalementàlaconvictionselonlaquelleilseraitmoralementintolérabledepuniretd’incarcérercespersonnesdansdesétablissements pénitentiaires inadaptés à leur prise en charge. À l’inverse, lesprofessionnels favorables à une interprétation limitée ou minimaliste de ceprincipe, voire à la suppression du principe d’irresponsabilité pénale,considèrent à la fois que l’hôpital psychiatrique n’a plus les moyens – ou nedevraitplusassumerlamission–deprotégerlasociétédesauteursd’infractionprésentant des troubles mentaux, mais également que le traitement pénalprésentedesvertusensoi,deresponsabilisationetd’intégrationsociales.Ainsi,il sembleque l’onretrouvedanscesdifférentsgroupesprofessionnels lesdeuxrépertoires de la «protection» et de «l’intégration» identifiés par CarolineProtaischezlesexpertspsychiatres(Protais,2016).

Ces positionnements convoquent des représentations divergentes de lapsychiatrie, de sonmandat, de sesmissions et de l’état de ses institutions. Enarticulant l’analyse des différentes arènes professionnelles que constituentl’espacedusoinpsychiatrique,celuidelajustice,del’expertise,celuidelapresseet enfin celui de la production législative. Le présent rapport permet donc deréfléchiràlacirculationdecesreprésentationsentredesuniversprofessionnelseninteraction.Onobserveainsidesaffinitésélectivesentrejugesd’instructionsinstallésdanslaprofessionetexpertspsychiatres,maisaussilerecoursdanslequotidienLeMondeà certains experts – plutôt favorables à une interprétationlarge du principe d’irresponsabilité –, ou encore l’influence de certainspsychiatrescliniciensnonexpertssurlesévolutionslégislatives.Cescirculationsprofessionnelles expliquent sans doute la diffusion des arguments et

257Voire favorable à un retour à l’article 64 pour corriger les effets pervers du second alinéa de l’article122.1surl’altérationdudiscernement.

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l’harmonisation des représentations. En effet, dans ces univers professionnels,on retrouve cette même controverse autour du principe d’irresponsabilité,laquelle se décline en fonction des missions de chacun: certains psychiatrescliniciensestiment intolérable, à l’oréeduXXIèmesiècle,dedevoirprendreenchargedesquestionsrelevantà leursyeuxde lasécuritépubliqueetnonde lamédecine, tandis que d’autres jugent insupportable d’observer les prisons seremplirdepersonnesprésentantdestroublesgravesetdéfendentlaspécificitéhistoriquedelapsychiatrie,quinepeutdevenirunedisciplinemédicalecommeles autres. De leur côté, les juges vont soutenir ou résister aumouvement deresponsabilisation pénale, considérant pour certains que la société est mieuxprotégéequandlesauteursd’infractionpénaleprésentantdestroublesmentauxsont en prison, et pour d’autres qu’il faut laisser la psychiatrie gérer de façonautonome le sort des personnes dont la responsabilité pénale est abolie voiretrès altérée. Lapresseprésentepour sapartdesdiscoursplus contrastésqu’iln’yparaît:certainsquotidiensonttendanceàmettreenavantlaquestiondeladangerosité et des risques de récidive, quandd’autres journaux s’appliquent àcritiquerunarsenallégislatif,fondésurleprincipedeprécaution,quiconduitàl’incarcérationabusivedepersonnesmalades.

L’étude du recours à l’irresponsabilité pénale permet ainsi de mettre enévidenceune lignedefracturerécurrentedans lasociété françaiseentre,d’unepart,ceuxquivoudraientleretouràunepsychiatriepuissanteetautonome,bienque potentiellement paternaliste et détentrice d’un pouvoir de contrainte et,d’autre part, ceux qui promeuvent au contraire l’idée d’une psychiatrie plustechnicienne, médecine des troubles psychiques délestée de la question del’enfermement –mais qui interviendrait éventuellement, pour desmissions desoin uniquement, dans des institutions pénales. Les évolutions législativestémoignentd’unecertainehésitationentre lerenforcementde lasécuritéetducontrôleàl’hôpital(créationdenouvellesunitéspourmaladesdifficiles,miseenplace de mesures de suivi pour les personnes déclarées irresponsables) etl’aménagement de la prison pour accueillir des personnes présentant destroubles psychiatriques (développement du dispositif d’accès aux soinspsychiatriques).

En somme, la présente analysemet en évidence unmouvement général deresponsabilisation pénale des personnes présentant des troubles mentaux,auquelparticipentdifférentsacteursprofessionnels: seules lespersonnesdontlessymptômespsychiatriquessontlesfacteursexclusifsdupassageàl’actesontaujourd’huiàpeuprèsassuréesd’êtredéclarées irresponsables, lecaséchéant.Ainsi, les personnes rencontrées en milieu hospitalier après avoir étéirresponsabilisées avaient toutes, à l’exception d’un homme interné dans lesannées1980,commisuncrimeenliendirectavecundélirerésultantdetroublesschizophréniques. Ces personnes portent, comme on l’a vu, des jugementscontrastés sur l’hospitalisation dont elles sont l’objet: celles qui réussissent à

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replacer ce séjour à l’hôpital dans un récit de soi cohérent en acceptent lesmodalités, tandis que les autres souffrent d’un enfermement injustifié à leursyeux.Ilseraiticiintéressantdepoursuivrel’analyseenétudiantlestrajectoiresdepersonnesprésentant des troublesmentaux et incarcérées afin d’évaluer lemouvementderesponsabilisationdupointdevuedespersonnesquienfontlesfrais. L’approche responsabilisante semble donc trouver une vigueur nouvelledepuislafindesannées1990etlaissepenserquelaFrances’engagedanslavoiedeladéfensesociale,c’est-à-diredanslacréationd’untraitementhybride,àmi-cheminentrelapeineetlesoin,quiviseraitàmieuxprotégerlasociététoutenproposant un accompagnement adapté aux personnes vues comme«dangereuses».Néanmoins, ce rapportmetenévidence,dans tous lesmilieuxprofessionnels,larésistanceàcestransformationsd’unepartiedesacteurs.Cetterésistanceexpliquesansdoutel’ambiguïtédesdernièresréformesconcernantletraitementdesauteursd’infractionspénalesprésentantdestroublesmentaux.

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Annexes

I. Glossairedesprincipalesnotionspsychiatriques

Décompensation psychotique: étape aigue du processus psychotiquecaractériséepardessymptômespositifscommeledélire,ladissociation.

Délire: construction intellectuellequi repose surdesprémisses fausses.Cesymptôme est caractéristique des psychoses. Le délire est dit «systématisé»,lorsqu’il semble se tisser des liens entre des idéesmystiques, de grandeur, depersécution et certaines conceptions que le patient se fait de sa personne. Ledélireestdit«désorganisé»lorsqu’aucunlienlogiquenepeutêtreétabliauseindudélire.

Délireparanoïaque:proprede lapsychoseparanoïaque. Ilestaxésuruneintuitiondélirante.Il faitensuiteappelaumécanismeinterprétatif. Ilestcentrésurunseulthème(jalousie,préjudice,complot,érotomanie,etc.).Ilestconsidérécomme hautement systématisé: les prémisses sont délirantes (on parle d’uneintuitionfausseinitiale).Ledéliresedéploiedemanièreparfaitementorganisée,logique,claire,cohérente,pouvantmêmeassezsouventemporterl’adhésiondesauditeurs.

Délireinterprétatif:estaxésuruneintuitionfausseetsedéveloppeparlasuite selon le mode de l’interprétation fausse des faits en relation avec cetteintuitioninitiale.

Délireparanoïde:estpropreà laschizophrénie. Ilestconstruitàpartirdemécanismesmultiples(hallucination,illusion,interprétation,intuition,imagination).Il comprend des thèmesmultiples imbriqués, il est non structuré, hermétique,flou, bizarre. Il est non systématisé, c’est-à-dire qu’il n’obéit à aucune logiqueinterne: les thèmess’enchaînentsans lien logique,s’imbriquent, seconfondentdonnantuneimpressiondedésorganisationdusensetdelapensée.

Déséquilibre: le «déséquilibre» est un terme très usité dans les années1950, dont l’antériorité revient notamment à Emile Dupré. Il désigne unecatégorie de troubles se manifestant principalement par une difficultéd’adaptation aux normes de la vie sociale, une impulsivité, un parcours de vieémaillé d’actes antisociaux ainsi qu’une difficulté à construire des relationsaffectivesdurables.

Discordance: «incohérence, au sens propre, entre les pensées, lessentimentset leurexpression.En1912,Chaslindécrit, «le groupeprovisoire»des folies discordantes: hébéphrénies, catatonies, démence précoce, dont

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EugèneBleuler258afaitlegroupedesschizophrénies»259.Lespsychiatresdisentd’unpatientqu’ilestdiscordantlorsqueparexempleilparledudécèsdesamèreenéclatantderiresansqu’aucunecohérencepuisseêtredéceléeentrelerireetlesproposdelapersonne.

Dissociation:«dissocierapparaît,auXIVe,danslesensdeséparer,désunir,désagréger,désintégrer,dissoudre,désorganiser.Ladissociationquiestl’actionde dissocier signifie la disjonction. (…) Janet, (1909), développe quel’énergétisme psychologique ou synthèse et association sont les grandscaractèresdesopérationspsychologiquesnormales, et où ladissociationest lefait de toutes les maladies mentales» 260 . Ce terme renvoie donc à unedésorganisationdesprincipalesfonctionscognitives.

Etat-limite: correspond à un groupe de personnalité dont la structure neseraitninévrotique,nipsychotique,maissesitueraitentrecesdeuxchamps.Cespatients oscilleraient au cours de leur existence entre des périodes où lapersonnalitéeststructuréesousunmodenévrotiqueetàd’autresmarquéesparla décompensation psychotique. Le besoin d’affection de ces sujets seraitimmense et insatiable. Cette catégorie rend compte d’un comportementparticulierdeséductionvisantàprévenirunrisqueimportantdedépressionoudedésorganisationdelapersonnalité.

Héboïdophrénie: le terme «héboïdophrénie» a été employé pour lapremièrefoisvers1890parKarl Kahlbaumpourdéfiniruneformedepsychoseschizophréniquenesemanifestantpaspardessymptômesproductifscommeledélire ou la dissociation, mais pas des symptômes dits «négatifs» comme ladiscordanceet la froideuraffective,avecuneprédispositionaupassageà l’acteviolentimmotivé.

Névrose: «décrit par Sigmund Freud, dont les symptômes sont liés à descompromis évitant l’apparition de l’angoisse déclenchée par l’insatisfactionsexuelle»261.

Paranoïa: «folie raisonnante avec ou sans hallucinations. E. Kraeplinspécifie le caractère insidieuxd’undélire systématiséeetdistingue laparanoïavraie,desdéliresparanoïdes(…).Ledéliresedévelopperaitenréseau,àpartird’une expérience délirante primaire, véritable coup de tonnerre dans un cielserein.Mais ni l’altération du jugement, ni la rigidité n’atteignent les capacitésintellectuellesoulesfonctionsinstrumentales»262.

258EugenBleuler,DementiapraecoxoderGruppederSchizophrenien,LeipzigundWien:F.Deuticke,1911.259S.D.Kipman,A.Kipman,M.Thurin, J. Torrente, Dictionnaire critiquedes termesdepsychiatrie etdesantémentale,op.cit.p.110.260Ibid.,p.112.261Ibid.,p.272.262Ibid.,p.293.

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Personnalité interprétante: caractérisée par une tendance à produire desinterprétations erronées du réel sans qu’elles n’aient toutefois nécessairementde lien entre elles. Terme souvent utilisé pour désigner une personnalitéparanoïaque.

Personnalité paranoïaque: se caractérise par un sentiment ambiant depersécution,paràtendanceàinterpréterlesactesd’autrui.Maiségalementpardesambitionsdémesuréesetunegotrèsvalorisé.

Positifs/ négatifs (signes): la clinique psychiatrique a coutume dedistinguer deux catégories de symptômes dans le cadre des troublespsychotiques: les signes positifs (délire, dissociation) qui se caractérisent pardesproductionspsychiquespathologiques,etlessignesnégatifsquiengagentlaperte de certaines facultés (associabilité, émoussement des affects, froideuraffective, etc.). Les symptômes dits «positifs» caractérisent les psychosesdécompenséesalorsque lessignesdits«négatifs»caractérisentengénéral lespsychoses«froides».

Psychopathie: «terme générique pour toute pathologie psychique. Il n’esttoutefoisplusemployécommetel.Ilesttoutefoisutilisé,defaçonpourlemoinsdiscutable, pour parler des troubles permanents de la personnalité d’un sujetd’intelligence normale, se manifestant par des troubles du caractère et ducomportement peu accessible aux traitements actuels. C’est une personnalitéantisociale: mode général de mépris et de transgression des droits d’autrui(…)»263.

Psychose:«termecrééen1844.Affectionmentaleréputéegrave,quiatteintl’ensemble de la personnalité du malade. (…) Toutes les psychoses ontcliniquementencommunl’absencedeconsciencede labizarreriedes troubles,les difficultés de communication qui en découlent et le repli sur soi(autisme)»264.

Psychose froideou blanche: une psychose dite «froide» se manifesteuniquementparunesymptomatologienégative.L’héboïdophrénieestassimiléedanscertainesexpertisesàunepsychose«froide»,ou«blanche».

Schizophrénie: «troubles psychiatriques sévères, les schizophrénies sontdes formes particulières de psychoses caractérisées par les hallucinations, ladésorganisationde lapensée,un troublegravedes interactionssocialesetuneinadaptationdescomportements»265.

Troublesducomportement:termegénériquequidésigneunecatégoriedetroubles qui affectent uniquement le comportement de la personne et qui semanifestent généralement par une conduite antisociale ou désadaptée. Les

263Ibid.,p.332.264Ibid.,p.335.265Ibid.,p.368.

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troubles du comportement recoupent généralement ce qui sera par la suitenomméle«déséquilibre»etplustardla«psychopathie».

II. Méthodologieadoptéedanscerapport

La recherche qui vient d’être présentée s’inscrit dans une méthodologiepluraliste couplant des méthodologie qualitatives (réalisation d’entretiens etanalyse d’archives) à des méthodes quantitatives (analyse de la presse via lelogicielMallet).

1. Rappeldesdifférentestâchesautourdesquelless’organiselarecherche

Le projet tel qu’il est défini en introduction implique la réalisation dedifférentestâches:

La tâche 1 vise à faire état du mouvement de responsabilisation despersonnesatteintesdetroublesmentauxentre1950et2016.

Latâche2viseàmettreenperspectivelapratiquedel’expertiseàpartirdel’évolution des représentationsmédicales de la folie. Cette tâche a été réaliséegrâceàl’explorationdel’opiniondespsychiatresnon-expertssurlaquestiondel’expertise,de la folieetde la responsabilitépénaledespersonnesatteintesdetroublesmentaux.

La tâche 3 vise à expliquer la pratique de l’expertise psychiatrique parl’évolutiondes représentationsde la folieetde l’irresponsabilité depersonnessoignées en psychiatrie et qui ont fait l’objet d’une décision d’irresponsabilitépourcausedetroublemental.

La tâche 4 vise à expliquer la pratique de l’expertise psychiatrique parl’évolution des représentations de la folie et de l’irresponsabilité en contextejudiciaire. Cette tâche est explorée dans une direction principale : celle desrapportsquisetissentaveclesjugesd’instruction,quisontlesdestinatairesdesexpertisespsychiatriquesétudiéesdanscerapport.

La tâche 5 vise à expliquer la pratique de l’expertise par l’évolution desreprésentations sociales « communes » de la folie, de l’expertise et del’irresponsabilité pour cause de trouble mental. Elle analyse l’évolution desreprésentationscontenuesdanslapressegénéralistesurcesquestions.

Latâche6consisteenuneexplorationduvoletlégislatif.Elleconsisteenuneanalyse des principales lois et rapports gouvernementaux parus sur la santémentaleentre1950et2014.

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239

2. Les5corpusréunisaucourdel’enquête

Corpusn°1:Expertisespsychiatriques

L’analysedececorpusparticipeàlatâche1delarecherche.Ellesebasesurle principe méthodologique suivant: comparer des expertises de personnesprésentantdestroublespsychiquesgravesestimésirresponsablesdeleursactesparrecoursàl’article122-1al1ducodepénal266;etlesexpertisesdepersonnesatteintesdetroublespsychiqueséquivalentsquiontétéestimésresponsablesdeleursactes(oupartiellementresponsablesparrecoursàl’article122-1al2267).LecorpusaétéréuniencompilantlematériaurécoltédanslathèsedeCarolineProtais pour la période 2000-2007 (pour les expertises de personnesirresponsabilisées)/ 2009 (pour les autres types expertises) et celui constituédanslecadredecetteenquête.

Dans la thèsedeCarolineProtais, lesdeux typesd’expertisesdifférentsontétérécoltésdanslesarchivesd’unecourd’appeldebanlieueparisienne(pourlescasayantétédéclarés irresponsablesparrecoursà l’article122-1al1)etdansles archives de la maison centrale de Château Thierry et du CNO de Fresnes(pour les personnes atteintes de troubles mentaux tout de même estiméesresponsables de leurs actes par les experts et la justice)268. Un contact deCaroline Guibet Lafaye (dont nous tairons ici le nom pour des raisons deconfidentialité) de part son accès facile aux dossiersmédicaux des patients etson réseau de collègues experts judiciaires a permis de récolter une premièrepartieducorpusd’expertisesconcluantàl’irresponsabilitéparrecoursàl’article122-1al.1CPdepuis2007.L’accèsobtenuparailleursparCarolineProtaisdansun service de soin comprenant un certain nombre de personnesirresponsabiliséesparrecoursaumêmearticleapermisunsecondcomplémentdu corpus. Nous avons ainsi récolté 12 expertises de personnesirresponsabiliséesentre2007et2014.

Lacompilationducorpusd’expertisesconcluantàlaresponsabilitédumisenexamenaobéià lamême logiquequecellede la thèsedeCarolineProtais.LesaccèsauxarchivesdelamaisoncentraledeChâteauThierry,caractériséeparlaprésence importante en son sein de détenus présentant des troublespsychotiques (Aigrot,Sériot,2000)ontété renégociéspour lapériodeactuelle.Cetteméthode a permis de réunir 17 dossiers de patient détenus à lamaison

266L’article122-1énonce:«Al.1:n’estpaspénalementresponsablelapersonnedontlediscernementoulecontrôledesactesétaitaboliaumomentdesfaits.»267122-1Al.2:Toutepersonnedont lediscernementou lecontrôledesactesétaitaltéréaumomentdesfaitsdemeurepunissabletoutefoislajuridictionentientcomptelorsqu’elleenfixelerégime.»268Ces deux lieux ont été choisis pour la proportion importante de personnes présentant des troublespsychiquesgravesqu’ilsaccueillaient.PourplusdedétailssurcepointvoirProtais(2011).

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centrale présentant des troubles allant de la catégorie «état-limite» à lapsychosedécompenséeetestimésresponsablespénalementdeleursactes.

Corpusn°2:Textesderéférenceenpsychiatrie

Cetravailparticipeàlatâchen°2delarecherche.Cecorpusaétéintégréauchapitre1,principalementrédigéparCarolineProtais.

Il engage un travail en deux tempsde recueil d’articles issus de revuesprofessionnelles de référence entre 1950 et nos jours. Ce travail a été réalisédans la thèse de Caroline Protais sur L’Information psychiatrique, L’Évolutionpsychiatrique, Les Annales médico-psychologiques, Les Congrès annuels desmédecinsaliénistesdelanguefrançaise.Ilaété,àce jour,complétédepuis2005(dateoùs’étaitarrêtéCarolineProtaisdanssestravauxdoctoraux).Cerecueilanotamment été effectué grâce au site biblio SHS qui regroupe plus d’unevingtaine de bases de données d’articles spécialisés en médecine et scienceshumaines(dontPascal,Francis,ouMedline,baseslesplusreprésentéesdansnosrecherche).

La recherche a été effectuée par mots-clés en français, eux-mêmesdisponibles dans la description des thésaurus des bases Francis/Pascal etMedline.Cesthésaurussontdisponiblessurlesitewww.termsciences.com.Nousavonsrecherchélesmotscléspertinentssusceptiblesdenousrenseignersurlamanièredontlafolieétaittraitéeparlespsychiatresàl’heureactuelleainsiquecelle de l’expertise et de la responsabilité des personnes atteintes de troublesmentaux. Nous avons donc interrogé la question de la folie, de l’évolutionépistémologiquede lapsychiatrieà l’heureactuelle,maiségalement lapriseencharge institutionnelledespersonnesatteintesde troublesmentaux (quenousprésupposionsavoiruneincidencesurl’appréciationdel’irresponsabilitépénalepour cause de trouble mental chez les psychiatres). Nous avons égalementenvisagé la question de la dangerosité qui semble également intervenirnotablement dans le traitement des expertises à l’heure actuelle. Voici donc letableau des mots clés avec lesquels nous avons travaillé ainsi que le nombred’articles balayés. Sont reportés en rouge les croisements donnant le plus deréférencesintéressantespourlarecherche.

niveau1 niveau2 niveau3

résultatstoutes revuesconfondues

Psychiatrie, folie et prise enchargeinstitutionnelle

hôpitalpsychiatrique 436

psychiatriesecteur 208

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241

psychiatrie folie 71

psychiatrie épistémologie 59

troublepsychiatrique épistémologie 56

psychiatrie diagnostic 166

diagnostic troublepsychiatrique 335

troublepsychiatrique nosologie 180

psychiatrie nosologie 97

troublepsychiatrique classification 178

psychiatrie classification 97

psychiatrie psychanalyse 153

psychiatriebiologique 37

psychanalyse psychiatriebiologique 7

psychiatriethérapiecomportementale 9

psychiatrie génétique 36

psychiatrie phénoménologie 51

psychiatrie expertise etirresponsabilitépénale

psychiatriemédicolégale 125

psychiatriemédicolégale expertisemédicolégale 62

psychiatriemédicolégale prison 23

psychiatriemédicolégale responsabilitépénale 26

psychiatrie capacité 2

psychiatrie incapacité 2

psychiatrie autonomie responsabilité 3

psychiatrie autonomie 42

psychiatrie expertise 94

psychiatrie criminologie 23

hôpitalpsychiatrique dangerosité 2

hôpitalpsychiatrique responsabilitépénale 4enanglais

psychiatriesecteur dangerosité 1

psychiatrie maladedifficile

Tableaudesmotsclésutiliséspourmenezlarecherchesurlapressespécialisée

Au total, 58 articles se sont avérés exploitables et sont analysés dans ce

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rapport.

Corpusn°3:Jurisprudence

Le recueil de ce corpus a été réalisé par François Giraud. L’analyse de cecorpusparticipeà la tâche1et4de l’enquête. Il a étéprincipalementexploitédans le chapitre1,principalement rédigéparCarolineProtais, et le chapitre4,principalementrédigéparCamilleLancelevée.

LesiteLégifrancepermettaitderépertorierl’ensembledesdécisionsoùilestquestiondel’article122-1alinéa1ou2au-delàdeladécisiondéfinitiverenduepar la juridiction concernée. Ce site permettait donc la recension d’un certainnombred’affaires,questionnantlaresponsabilitépénaledueàuntroublementaldumis-en-examen et permettait de suivre leur parcours judiciaire une fois laquestiondeleurresponsabilitéposée.Encesens,cetravailmetenévidencedescas«problématiques»susceptiblesde«fairejurisprudence»,danslamesureoùils sont portés au niveau juridictionnel le plus haut en France et qu’ils sontdiffusés assez largement via le site Légifrance. Ce travail sur des cas«problématiques», à l’issue incertaine, vient compléter le travail sur lesexpertises.Ilspermettentdepasserdelaquestionduraisonnementdel’expertpsychiatre dans le cas d’une personne présentant des troubles psychiatriquesavérés,àcelledudevenird’uncasposantlaquestiondurecoursdel’article122-1auseindel’institutionjudiciaire.Enbref,depasserdelaquestiondel’activitéd’expertise à celle du devenir de l’expertise dans la sphère judiciaire et dutraitement de la question de la responsabilité des individus présentant unepathologiepsychiatriqueparl’institution.

Cetterechercheaétéeffectuéaveclesmotscléssuivants:

àAbolitiondudiscernement

àAltérationdudiscernement

àArticle122-1

Ce travail a conduit àuncorpusde26affairesexploitablesquestionnant laquestion de l’application de l’article 122-1 alinéa 1 – i.e. d’abolition dudiscernement - (avec 8 décisions concluant au non-lieu pour cause de troublemental) entre 1997 et 2014; et un corpus de 22 affaires exploitablesquestionnant l’application de l’article 122-1 alinéa 2 – i.e. d’altération dudiscernement-entre1995et2014.

Corpusn°4:Articlesdepresse

L’analysedececorpusparticipeàlatâchen°5.IlaétéeffectuéparCarolineProtais, François Giraud et Pierre Brochard. Caroline Guibet Lafaye a réalisél’exploitation de ce travail avec Pierre Brochard et Camille Lancelevée.

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L’exploitation de ce corpus a été principalement réalisé dans le chapitre 5principalementrédigéparCarolineGuibetLafayeetCamilleLancelevée.

Larécoltedesarticlesanalysésdanscetterechercheaétéréaliséegrâceàunerecherche par mots-clés des les archives de différents journaux. Initialement,trois quotidiens nous intéressaient de part leurs orientations politiquesdifférentes toutautantquepar leur largedegrédiffusionenFrance:LeMonde,Libération,LeFigaro.

Lacollectedesarticlesdanscesdifférentsjournauxprésentaitunedifficultéméthodologiquemajeure relative à l’accessibilité des sources sur une périodehistoriqueallantde1950ànos jours.LesiteEuropresserenddansunpremiertemps accessible une grande diversité d’articles de journaux numérisés. Sonaccès permettait donc d’accéder facilement à l’intégralité des articles sur lesthématiques qui nous intéressent. Pour autant, il débute la numérisation desarticles à partir des années 1990, pour la rendre réellement systématique àpartir de 2004. Pour pouvoir être exhaustif, il fallait donc faire une rechercheauprès de chaque journal entre 1950 et 2004. Or, seul le journal Lemonde aprocédéenunerépertorisationsystématiquedesarticlesdepuissafondationen1945.

Ainsi:1)Lapériode1950-2004aétédépouilléeuniquementsurlejournalLeMonde dont les articles étaient plus facilement accessibles. Cette recherches’avérait présenter une quantité d’articles suffisamment importante pour quenous puissions réaliser une analyse textuelle via Mallet. De plus, la ligneéditorialecentristeduMondepermettaitdenepasavoirunelignepolitiquetropmarquée,etainsid’avoiraccèsàdesconceptionssocialesmédianesdelafolieetde l’irresponsabilitépsychiatrique.2)Grâceauxpossibilitésoffertespar le siteEuropresse,ledépouillementdelapériodeactuelleaétéélargiàuneplusgrandediversitédejournaux,dontL’ExpressetdeL’Humanité.

Cette recherche a été réalisée grâce aux mots-clés suivants: «expertisepsychiatrique», «folie et psychiatrie», «psychiatrie». Le mot clé «expertisepsychiatrique»s’avéraitplusefficaceque«article122-1»ou«irresponsabilitépour cause de trouble mental», qui restreignaient beaucoup trop le nombred’articles trouvés, alors même que le terme «expertise psychiatrique»permettaitd’obtenirunnombred’articlesplusimportantautourdecettenotion.Lesmotsclés«folieetpsychiatrie»permettaientd’appréhenderlamanièredontla folie était perçue en lien avec la maladie mentale, là où l’unique mot clé«folie» ouvrait une trop grande diversité d’articles. Enfin, l’entrée«psychiatrie»s’estavéréetrèsefficacepourrendrecomptedelamanièredontle débat social se représente les débats institutionnels et épistémologiquesinternesàladiscipline.

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Corpusn°5:Textesdelois

L’exploitationdececorpusparticipeàlatâche6delarecherche.Lescorpusde lois sur les questions d’expertisementale et de santémentale déjà effectuéparCarolineProtaisetCarolineGuibetLafayedansleurstravauxderecherchesrespectifs ont été complété via le site Légifrancequi répertorie l’ensembledeslois et décisions juridictionnelles émanant des cours d’appel et de la cour decassationde Francedepuis 1997. Il a été réalisé par CarolineGuibet Lafaye etFrançois Giraud et a été exploité dans le chapitre 6 principalement rédigé parCarolineGuibetLafaye.

Ce travail de récolte des lois sur la question de l’expertisementale et plusgénéralementsurlapsychiatrieaétéeffectuésurLégisfranceaveclesmotscléssuivants:

àsurlaquestiondel’expertisementale:expertisepsy*,obligationdesoin,suivisocio-judiciaire

à sur la question de la psychiatrie: psychiatr*, troubles mentaux, santémentale

Corpusn°6:Entretiens

Le recueil de ce corpus estutile aux tâches2, 5, 6. Il a été exploitédans lechapitre1principalementrédigéparCarolineProtais,puis leschapitres2et4,principalement rédigésparCamilleLancelevée, et le chapitre3principalementrédigéparCamilleLancelevéeetCarolineProtais.

29entretiensavecdesexpertspsychiatresontétéréalisésjusqu’en2009danslecadredelathèsedeCarolineProtais.Ilsontcouplésd’échangesinformelsrenouveléstoutaulongdelathèseavectroisd’entreeux.Cesentretiensontétéréalisésprincipalementaveclesexpertsdontlesexpertisesavaientétéétudiées.L’échantillon a été constitué demanière aléatoire, puis en fonction des profilsprofessionnelsquenoussouhaitions«tester»au filde l’avancéede la thèse. Ilestplusconstituéde:

- quatre psychiatres libéraux (13% de notre échantillon, alors qu’ilsreprésentent18%delapopulationdesexperts269)

-quatrepsychiatresuniversitaires(13%,alorsqu’ilsreprésentent10%delapopulationdesexperts),

- 21 psychiatres hospitaliers (68%, alors qu’il représentent 67% de lapopulationdesexperts),donttroispsychiatresexerçantenSMPRetunenUMD(13%,alorsqu’ilsreprésentent4%delapopulationdesexperts).

269Ces chiffres sur la constitution de la population des experts psychiatres sont tirés de l’enquête Deschiffres,desmauxetdeslettres.Pourplusdedétailssurlaréalisationdel’enquêteetsareprésentativité,sereporteràl’ouvrage.

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Les praticiens libéraux sont donc légèrement sous-représentés. A l’inverse,lespsychiatresdeSMPRetd’UMDétaientsur-représentéspuisquel’hypothèseàtesterétaitcelledel’impactdecespratiquessurlaconceptiondel’expertise.

La méthode d’entretiens adoptée pour interroger ces experts couple desquestionsgénéralespermettantdesonderl’avisduprofessionnelsurlaquestionde laresponsabilitédes individusprésentantdestroublespsychiatriquesàunemiseensituationdestinéeàqualifierleurpratique.L’exploitationdesexpertisesréaliséedansunpremiertempsapermisdeconstituerunensembledequestionspermettant de comprendre comment le professionnel se positionnait sur cettequestion,etenparticulierlessuivantes:

1)L’hallucinationest-ellepourvousuncritèredéterminantpourconclureàuneirresponsabilité?

2) L’organisation du crime compte-t-elle dans votre appréhension de laresponsabilité?

3) L’apparente luciditédans la commissiondes faits est-elle un élément enmesured’intervenirdansvotreévaluationdelaresponsabilité?

4) La conscience des interdits compte-t-elle dans votre appréhension de laresponsabilité?

5)Lefaitquelemisenexamenrevendiquedesmotivationsrationnellestoutautant que sa responsabilité sont-ils des éléments discriminants dans votreappréhensiondelaresponsabilité?

Parailleurs,l’exploitationdesexpertisesapermisderepérercertainscasquisemblaientemblématiquesd’unedivisionentrepsychiatres.LecasFrédéricRépar exemple qui a tué les éducateurs en charge de ses deux enfants, et quiprésenteunétatdedécompensationpsychotiqueaigueaumomentducrimeestun de ceux-là. Cette personne est intéressante puisqu’elle valorise desmotivationsrationnellespour justifiersonacte.Enoutre,nousavonsvuque laparanoïafaisaitl’objetdedésaccordsentreprofessionnels.LecasdeM.Verreaégalementétéproposéà l’ensembledesexperts interrogés.Enfin,pourvérifierles limites de la conception de l’irresponsabilité psychiatrique des plus«déresponsabilisants»,nousavonsproposéuncasd’héboïdophrénieainsiqueceluid’unindividuenétatderémission.

Les entretiens avec les psychiatres ont été réalisés pour partie parCarolineProtaisentre2014et2015etparCarolineGuibetLafayeen2012-2013dans le cadre d’une enquête précédente sur les soins sans consentement. Cesderniersontétécomplétésen2015à l’occasionde lanouvelleenquêtepour leGIP-justice.Lespsychiatresontétérecrutéspar interconnaissanceetselonuneméthodologie«bouledeneige».Cerecrutementdepsychiatresaétéaisé, tantcesderniers se sontavérés intéresséspar le sujetde l’irresponsabilité, commeintéressésparlasituationd’entretien.

Lesentretiensavec les jugesd’instructionsesontconfrontésàplusieursdifficultés: 200 courriers ont été envoyés auxmagistrats des cours d’appel derégion parisienne, puis d’autres sélectionnés sur la base des circulaires de

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nominationannuelledesjugesd’instructiondisponiblessurlégifrance.Tousontétérelancéaumoinsunefois,et40(basésenrégionparisienne)ontétésoumisàplusieursrelancestéléphoniques.Letauxderéponseàl’enquêteestdoncde8,5%, ce qui est particulièrement bas. Plusieurs hypothèses peuvent être poséespour expliquer ce taux: 1) Un débordement chronique dans leur activitéprofessionnelle quotidienne. C’est un argument couramment entendu dans lemondejudiciaireetbiensouventmobilisépourexpliquerlerefusdel’entretien.2)Unedéfianceàl’égardd’uneenquêteréaliséeenpartiepourleministèredelajustice. Cet argument a été mobilisé par deux magistrats pour expliquer leurrefus:«Encoreunerecherchedeplusquinevaserviràrien»,nousaexpliquéune magistrate. 3) Un désintérêt pour la question de l’irresponsabilité pourcausedetroublemental,voireunavisdéfavorableàl’encontredeceprincipe.Cedernierpointseraanalysédanslechapitre1Vdurapport.

Lesentretiensauprèsdespersonnesayantfaitl’objetd’unnon-lieuparrecoursà l’article122-1alinéa1présententunedifficulté:celled’entretiensavecdespersonnesbiensouventtrèsaltéréesparlamaladiementale,aussibiendans leurs capacités intellectuelles que dans leur comportement. Enconséquence deux questions se posent: comment aborder ces personnes?Comment sélectionner les personnes en mesure d’être interrogées? Lacollaborationdel’interneenpsychiatriePierreGirerd,psychiatreàMarseille,quia réalisé sa thèse de médecine sur le vécu des personnes d’une décisiond’irresponsabilité par recours à l’article 122-1270a permis de résoudre cesdifférentesquestions.D’unepartcesentretiensontréalisésenbinômepourquele psychiatre puisse donner des recommandations au sociologue et aider audéroulementdel’entretien.D’autrepart,lesentretiensréalisésparailleursdanslecadredesathèseontétéétudiésdanscerapport.Cesentretiensontétéréalisédansdeuxlieuxdifférents:uneUMD,unservicedepsychiatrieaccueillantpourmoitié des personnes ayant fait l’objet d’un non lieu pour cause de troublemental.

Autotal:à29entretiensavecdesexpertspsychiatresontétéanalysésdanslecadre

delatâche1.à31entretiensavecdespsychiatres,utilesàlatâche2à23entretiensavecdesmagistrats,utilesàlatâche5à15entretiensavecdespersonnesayantfaitl’objetdel’article122-1duCP,

utilesàlatâche6

270VoirGirerd,2015.

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Tabledesmatières

Sommaire..............................................................................................................................5Introduction.........................................................................................................................7

Une approche des représentations sociales de la folie et del’irresponsabilité...................................................................................................................9

Les différentes arènes dans lesquelles ces représentations serontétudiées.................................................................................................................................12

Chapitre1:Lapratiquedesexpertspsychiatresoularestrictionduchampdel’irresponsabilitépourcausedetroublemental(1950-2014)...................17

I. Pratiquesd’expertsàl’heureactuelle.................................................................201. Desconceptionsdifférentesdel’irresponsabilité....................................222. Desreprésentationsdifférentesdel’effetde lamaladiementalesur

lepsychisme.............................................................................................................................27Uneapprocheenglobanteetfixistedelamaladiementale.....................27Ladécompensationpsychotiquecommeétat aliénant lapersonneau

global......................................................................................................................................28La scission de la personnalité en certaines zones prises dans le

processuspathologiqueetd’autresquinelesontpas.....................................28Aliénationetdésorganisationtotaledelapensée.......................................29Toujoursirresponsables,àquelquesexceptionsprès…...........................30Danstouslescas:laresponsabilité....................................................................31

3. Desstratégiesdecontournementdelaquestiondel’irresponsabilité 31

Laminimisationdestroubles...............................................................................31Lanégationdestroubles.........................................................................................32Laconstructionmoraledel’expertisé...............................................................32

II. Approchehistoriquedelapratiquedel’expertise:laresponsabilisationdes personnes ayant commis des infractions et souffrant de troublespsychiatriques(1950-2014)..................................................................................................34

1. L’irresponsabilité pénale pour cause de troublemental en chiffres1984-2014.................................................................................................................................34

2. Ce que disent les expertises: la restriction clinique du champ del’irresponsabilitépourcausedetroublementaldepuis1950............................36

3. Recul de la responsabilisation ou généralisation des stratégies decontournementdel’irresponsabilitédansunepériodetrèsrécente?...........40

Unreculdelaresponsabilisationdepuis2009?..........................................40…ouunchangementdestratégiedesexpertspourresponsabiliserdes

personnesprésentantdestroublespsychotiques?...........................................43III. Expliquer la tendanceresponsabilisante: les justificationsdesexperts

psychiatres.....................................................................................................................................441. Lerépertoiredelaprotection...........................................................................452. Lerépertoiredel’intégration............................................................................47

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3. Répertoiresetpratiques.....................................................................................494. Ladiffusiondecesrépertoiresàtraversletemps...................................53Lesannées1950-1960:lanaissancedurépertoiredel’intégrationau

sein d’un univers majoritairement en faveur du répertoire de laprotection.............................................................................................................................53

Lesannées1970:lagénéralisationdesreprésentationsenfaveurdelaresponsabilisation.............................................................................................................55

Fin1970début1980:responsabiliseràtoutprix......................................561985-2007:dangerositéetvictimes.................................................................57Versunrépertoiredeladéfensesociale?.......................................................58

Conclusion...............................................................................................................................61Chapitre 2: Repenser le sort des auteurs d’infraction présentant destroublesmentaux:regardsdepsychiatressurl’irresponsabilitépénale....63

I. Regardsdepsychiatresnon-expertssurl’irresponsabilitépénale........651. Déterminerl’irresponsabilitépénale:untravaild’expert?...............66Desarbitragesprofessionnels..............................................................................66Unchoixpolitique......................................................................................................67Pouroucontrelaspécialisationdesexperts?..............................................68

2. Unspectredepositionssimilaireàceluidesexperts.............................703. Undispositifinstitutionnelsouspression...................................................74Leshôpitauxpsychiatriquessoumisàunepressionsécuritaire...........74Unepressionsocialequimodifielaclinique..................................................75L’augmentationdestroublesmentauxenprison:effet indésirablede

la«responsabilisation».................................................................................................77II. Une position favorable au principe d’irresponsabilité pénale pour

protégerlespatientsvulnérablesàl’hôpital...................................................................791. L’irresponsabilité,unprincipeprotecteur..................................................79Unprincipemoral......................................................................................................79Uneresponsabilisationutopique........................................................................80Despatientsvulnérables.........................................................................................83

2. Corriger lesexcèsde laresponsabilisation: fairesortir lesmaladesdeprison....................................................................................................................................85

Uneprisonpathogène..............................................................................................85Fairesortirdeprisonlespersonneslesplusmalades...............................87

3. Lutter contre la pression sécuritaire: repenser l’accueil à l’hôpitaldespatientsdéclarésirresponsables............................................................................89

Refaireasile?...............................................................................................................93III.Unepositiondéfavorableauprinciped’irresponsabilitépourréintégrer

lespatientscitoyens..................................................................................................................931. Laresponsabilité,unidéalpourlesoin........................................................942. Améliorerl’accèsauxsoinsenprison...........................................................963. Délester l’hôpital de la prise en charge des auteurs d’infractions

présentantdestroublesmentaux...................................................................................99L’hôpitalcommelieud’enfermementillégitime..........................................99Déstigmatiserlapsychiatrieetsespatients.................................................100Une institution spéciale pour les auteurs d’infraction présentant des

troublesmentaux?.........................................................................................................102Latentationdeladéfensesociale.....................................................................103

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Conclusion.............................................................................................................................104Chapitre 3: Histoires vécues: représentations de personnes ayant faitl’objetd’unedécisiond’irresponsabilitépourcausedetroublemental....107

I. Êtreirresponsabilisé:discourspsychiatriqueetrécitdesoi.................1091. Unrécitdesoiincomplet..................................................................................1092. Adhésion:lediagnosticcommesupportdesubjectivation..............1113. Résistance:refuserd’êtreassujettiaudiagnostic.................................115Tâtonnement: accepter le diagnostic sans renoncer à une vérité

concurrente........................................................................................................................117II. Êtrehospitalisé:protectionouenfermementinique?.............................1191. Accepterousupporterl’hospitalisation.....................................................1202. Refuserouserésigneràl’hospitalisation..................................................1233. Hospitalisationetlienssociaux......................................................................126

Conclusion.............................................................................................................................128Chapitre 4: Au cœur des rapports entre juges et experts. Les jugesd’instructionetl’article122-1alinéa1..................................................................131

I. Déterminer l’irresponsabilitépénalepourcausedetroublesmentaux:unequestionplustechniquequ’idéologique?.............................................................133

1. Lebonexpert,labonneexpertise:descontraintespratiques.........133Garderlesbonsexpertspourlesaffairescomplexes...............................133Bonneexpertiseetimpératifsdel’instruction............................................136

2. La position de l’expert sur l’irresponsabilité pénale: un enjeumarginal?................................................................................................................................137

L’importancedelaneutralitédel’expertetdujuge.................................138Unecertaineporositéidéologiqueentrelejugeetsesexperts?........139Un«artdelapioche»?.........................................................................................142

II. Dujeudanslaprocédure........................................................................................1441. Contre-expertiseetrenvoi...............................................................................1452. L’inégalitédetraitementdescrimesetdesdélits..................................1453. Unaccèsdifficileàl’expertiseencorrectionnelle..................................1494. L’altérationdudiscernement,unecirconstanceaggravante?.........152

III. Regardsdejugesd’instructionsurl’irresponsabilitépénale..................1531. L’irresponsabilitépénale:undomaineréservédelapsychiatrie..153Àchacunsonmétier:assumersesresponsabilitéssansempiétersur

cellesdesautres...............................................................................................................153Résisteràlatendancesécuritaire.....................................................................154Untravailpédagogiqueautourdel’irresponsabilitépénale.................156Éviterl’incarcérationdesplusmalades.........................................................157

2. L’irresponsabilitépénale:unenjeudesécuritépublique.................158Faibleconfianceenverslapsychiatrie............................................................159Pourunejusticeplusattentiveauxvictimes...............................................160Neutraliserlesplus«dangereux»...................................................................162

Conclusion.............................................................................................................................165Chapitre5:Expertspsychiatresetfaitsdiversdanslapresse......................167

I. LeMondefaceàl’expertisepsychiatrique:1950-2016............................1681. Méthoded’analyse...............................................................................................169

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2. Lesexperts,delaméfianceàlavisibilité...................................................1723. Unecritiquemédiatiquedesmesuressécuritaires...............................176Conclusion........................................................................................................................181

II. Lesfaitsdiversdanslapressenationale:untraitementdifférencié..1821. Letraitementde«l’affaireRomainDupuy»............................................183L’Humanité.................................................................................................................184LaCroix.........................................................................................................................185Libération....................................................................................................................186LeMonde.....................................................................................................................187LeFigaro......................................................................................................................188

2. Letraitementde«l’affaireRichardDurn»...............................................190Conclusion........................................................................................................................195

Chapitre6:Effetsdesévolutionslégislativessurlesreprésentationsdelafolieetdelamaladiementale...................................................................................197

I. Lafabricationdeslois...............................................................................................1971. Unedoubletendance..........................................................................................1972. Unelégislationdufaitdivers...........................................................................202

II. Évolutionslégislativesdel’irresponsabilitépénale....................................2051. La loi, vecteurd’assimilation entremaladiementale et dangerosité

205Chronologiedes évolutions législatives afférentes à l’irresponsabilité

pénale...................................................................................................................................206Del’article64àl’article122-1...........................................................................206

2. Lecodepénalde1994etl’article122-1....................................................209Effetperversdel’altérationdudiscernement.............................................209«Altérationdudiscernement»etaggravationdespeinesprononcées

.................................................................................................................................................2103. Rôle de la loi du 25 février 2008 dans la construction de ces

représentations.....................................................................................................................212III.Uneabsencedevolontépolitique.......................................................................2151. Desplanssystématiquementrelégués........................................................2152. LerapportDemay................................................................................................2183. Lenteurdelaprisededécisionpolitique...................................................221

IV. Lamarquedupolitiquesurlapsychiatrie.......................................................2221. Unusagesélectifdesrapports........................................................................2222. Lesorientationsdonnéesparlepolitique.................................................223

Conclusion.............................................................................................................................229Conclusiongénérale:lafindel’irresponsabilitépénale?..............................231Annexes.............................................................................................................................235

I. Glossairedesprincipalesnotionspsychiatriques........................................235II. Méthodologieadoptéedanscerapport............................................................2381. Rappel des différentes tâches autour desquelles s’organise la

recherche.................................................................................................................................2382. Les5corpusréunisaucourdel’enquête..................................................239Corpusn°1:Expertisespsychiatriques..........................................................239Corpusn°2:Textesderéférenceenpsychiatrie........................................240

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Corpusn°3:Jurisprudence..................................................................................242Corpusn°4:Articlesdepresse..........................................................................242Corpusn°5:Textesdelois...................................................................................244Corpusn°6:Entretiens.........................................................................................244

Bibliographie..................................................................................................................247

Tabledesmatières........................................................................................................261