L’indemnisation de la victime d’agression sexuelle après la prescription de l’action pénale

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Droit, déontologie et soin Décembre 2006, vol. 6, n° 4 492 C HRONIQUES L’indemnisation de la victime d’agression sexuelle après la prescription de l’action pénale Camila HABOUBI Doctorante en droit, Lyon Résumé Les délais de prescription, trois ans et dix ans, peuvent s’avérer très courts pour les victimes d’agressions sexuelles, qui subissent, après l’agression, des séquelles psychologiques redoutables. Aussi, la procédure civile, qui ne connaît pas les mêmes contraintes de délai, peut s’avérer un recours très utile dans le processus de reconstruction de la victime. Pour les victimes d’agressions sexuelles, la démarche thérapeutique inclut le recours en justice et la condamnation de l’auteur des faits. Si un processus de reconstruction thérapeutique est la base de tout, très rapidement s’invitera dans le paysage, la plainte contre l’agresseur. L’atteinte faite à l’intimité de la victime est aussi une atteinte au corps social, et la justice doit être en mesure de dire que la loi commune a été violée. Le procès a une double dimension : réponse sociale à la loi transgressée et reconnaissance des droits de la victime. Or, les victimes et leurs thérapeutes, se trouvent en pratique très souvent confrontés à l’impossibilité du recours pénal, car les faits sont prescrits : trois ans en cas de délit, s’agissant d’attentats à la pudeur et dix ans en cas de viol, qui est un crime. Ces délais ne sont pas opposables aux mineurs, qui retrouvent la capacité d’exercer ces actions à leurs dix-huit ans, avec des délais de pres- cription intacts. Mais, le seuil de vingt et un ans est très vite atteint, et la victime d’attentats à la pudeur se trouve alors dans l’impossibilité d’agir. Pour vaincre cet obstacle que crée le temps qui passe, la voie civile peut alors être une très intéressante solution.

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L’indemnisation de la victime d’agression sexuelle après la prescription de l’action pénale

Camila H

ABOUBI

Doctorante en droit, Lyon

Résumé

Les délais de prescription, trois ans et dix ans, peuvent s’avérer très courtspour les victimes d’agressions sexuelles, qui subissent, après l’agression,des séquelles psychologiques redoutables. Aussi, la procédure civile, qui neconnaît pas les mêmes contraintes de délai, peut s’avérer un recours trèsutile dans le processus de reconstruction de la victime.

Pour les victimes d’agressions sexuelles, la démarche thérapeutique inclutle recours en justice et la condamnation de l’auteur des faits. Si un processusde reconstruction thérapeutique est la base de tout, très rapidement s’inviteradans le paysage, la plainte contre l’agresseur. L’atteinte faite à l’intimité de lavictime est aussi une atteinte au corps social, et la justice doit être en mesurede dire que la loi commune a été violée. Le procès a une double dimension :réponse sociale à la loi transgressée et reconnaissance des droits de la victime.Or, les victimes et leurs thérapeutes, se trouvent en pratique très souventconfrontés à l’impossibilité du recours pénal, car les faits sont prescrits : troisans en cas de délit, s’agissant d’attentats à la pudeur et dix ans en cas de viol,qui est un crime. Ces délais ne sont pas opposables aux mineurs, qui retrouventla capacité d’exercer ces actions à leurs dix-huit ans, avec des délais de pres-cription intacts. Mais, le seuil de vingt et un ans est très vite atteint, et la victimed’attentats à la pudeur se trouve alors dans l’impossibilité d’agir. Pour vaincrecet obstacle que crée le temps qui passe, la voie civile peut alors être une trèsintéressante solution.

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I – La victime d’agressions sexuelles

L’agression sexuelle, par ce qu’elle signifie de déni de la personne

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, a tou-jours été qualifiée pénalement, le viol étant reconnu comme un crime depuis laloi du 23 décembre 1980

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. Les victimes sont, à juste titre, parvenues à imposercette criminalisation du viol. Désormais, la réponse procédurale de principe estle dépôt d’une plainte pénale, et l’on sait que les parquets et, sous leur direction,les services de police et de gendarmerie, sont particulièrement diligents dans laconduite de ces enquêtes.

Par référence aux analyses les plus fondamentales, cette pénalisation signifieque l’agression sexuelle, atteinte au corps de la victime, constitue aussi uneatteinte au corps social. La réaction sociale, par la conduite d’une enquête depolice et le prononcé d’une peine, souligne la vraie dimension de cet acte délinquant.Aussi, la victime peut avoir le sentiment que ses droits resteront bafoués lorsquela procédure pénale ne peut plus être mise en œuvre du fait de l’écoulement dudélai de prescription.

En effet, si s’agissant des viols, le délai de dix ans laisse en règle généraleà la victime le temps d’agir, le délai de prescription des attentats à la pudeur :trois ans, s’avère très court. En outre, les agresseurs connaissent la règle, pouren faire une véritable ligne de défense : les attentats à la pudeur sont volontiersreconnus, en toute impunité, lorsqu’ils sont prescrits. La victime vit alors undur sentiment d’injustice, cette revendication de la commission de l’infractiondevant une justice impuissante étant à l’évidence traumatisante.

Toutefois, le schéma procédural n’est pas clos par la survenue de la pres-cription pénale. L’action civile peut prendre le relais, l’agression n’étant plusprise en compte sous l’angle de la qualification pénale, mais de la faute civilede l’article 1382 du code civil, avec un délai de prescription qui est alors, selonles cas, de 10 ou de 20 ans.

Plusieurs cas peuvent se rencontrer :

– La victime, surtout si elle est mineure au moment des faits, se trouveplacée dans une situation de torpeur telle, qu’elle n’engage que tardivement laplainte pour attentat à la pudeur.

– La victime a volontairement différé l’engagement de la plainte, car pourelle, existent des faits de viol. Or, lors de l’enquête, la réalité du viol n’apparaîtpas clairement, parce que les déclarations ne sont pas corroborées par des éléments

1. Code pénal, article 222-22 :

« Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avecviolence, contrainte, menace ou surprise ».

2. Code pénal, article 222-23 :

« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelle que nature qu’il soit, commissur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise, est un viol. Le viol est puni de quinzeans de réclusion criminelle ».

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objectifs (date, lieu,…) parce que si l’attentat à la pudeur est établi, l’acte depénétration ou la tentative, élément constitutif du viol, reste très incertain.

– La victime souhaiterait faire reconnaître des faits de viol, alors que le délaide dix ans est prescrit. Cette hypothèse est plus fréquente qu’on ne l’imagine. Ellecorrespond à des situations très lourdes, sur le plan relationnel ou institutionnel :secrets de famille, mise en cause de personnalités, réseaux institutionnalisés…

Dans toutes ces hypothèses, l’action pénale est éteinte alors qu’existe un faitdommageable, établi par reconnaissance, ou vraisemblable par présomption de fait.

II – Les moyens de droit

L’action qui peut être engagée est fondée sur l’article clé de la responsabilitécivile, inchangé depuis la première rédaction du code civil en 1804. C’est l’arti-cle 1382 :

« Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, obligecelui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

La seule référence est le fait dommageable, indépendamment de telle outelle qualification. La généralité du civil s’oppose à la spécificité du pénal.

S’agissant d’une action civile en responsabilité non contractuelle, les délaisde prescription sont fixés par l’article 2270-1 du code civil

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:

« Les actions de responsabilité civile extra-contractuelle se prescrivent pardix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation.

Lorsque le dommage est causé par des tortures et des actes de barbarie,des violences ou des agressions sexuelles commises contre un mineur, l’actionen responsabilité civile est prescrite par vingt ans ».

A – S’agissant de faits d’attentats à la pudeur prescrits

1 – La plainte

Le préalable est que la victime porte plainte. Le dépôt de la plainte, alors que

les faits sont

a priori

prescrits, suppose, de la part de la victime, la démonstrationd’une réelle conviction. La prudence recommande que la plainte soit rédigée parun avocat, cette plainte étant déposée auprès du procureur de la République.

En droit, il n’est pas possible de demander une enquête sur des faits quel’on sait prescrits. En fait, la limite est moins stricte. D’abord, la plainte doitêtre rédigée avec l’attention nécessaire pour permettre de déterminer l’exacte

3. Rédaction de deux modifications législatives : loi n

°

85-6177 du 5 juillet 1985 pour l’alinéa 1 ; loin

°

98-468 du 17 juin 1998 pour l’alinéa 2.

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connaissance des faits : attentat à la pudeur ou viol ? Plus d’une fois, il estapparu que la victime, d’emblée, ne décrivait pas la totalité des faits, et notammentdes faits de viol, soit qu’elle gardait une réserve pour les évoquer, soit qu’ellene savait pas que la qualification pénale était celle du viol.

En outre, eu égard à la réalité de faits, suffisamment graves, l’enquête pré-liminaire doit vérifier leur contenu et leur limite, notamment quant au risquede réitération de l’infraction auprès d’autres victimes.

Ainsi, une enquête préliminaire peut être conduite, alors qu’objectivementet en première analyse, les faits paraissent prescrits.

2 – L’enquête préliminaire

L’enquête préliminaire, en règle générale, n’a recours qu’à des procédéssimples : audition de la victime, audition éventuelle de relations proches, fami-liales, amicales ou professionnelles, audition de l’agresseur supposé, éventuellementconfrontation.

L’expérience établit que très souvent les faits sont reconnus par l’agresseurlors de cette enquête préliminaire, et, d’autant plus volontiers, s’ils sont prescritssur le plan pénal.

Par ailleurs, si les faits ne sont pas explicitement reconnus, ils peuventapparaître très vraisemblables, compte-tenu de la typologie ou de la faiblessedes dénégations.

Enfin, on ne saurait écarter les constatations d’ensemble liées à la pratique deces procédures, constatations confirmées par tous les services de police, selon les-quelles dans plus de 95 % des cas, les déclarations de la victime, et en particulierde la victime mineure, se retrouvent confirmées. Si, à l’évidence, il n’est pas possiblede se satisfaire d’une donnée statistique pour établir des culpabilités, cet élément nesaurait cependant être minoré, notamment quand il peut être mis en corrélationavec des déclarations circonstanciées et précises de la victime, le flou des déclarationsde la personne en cause ou d’argumentaires stéréotypés de défense : allégation derèglement de compte, de recherche de l’argent, de vindicte familiale, de jalousie…

3 – Le constat de faits prescrits

À ce stade, deux situations procédurales se présentent :

– Les faits d’attentat à la pudeur sont reconnus mais sont prescrits, laplainte ayant été déposée plus de trois ans après les faits ou après l’anniversairedes 21 ans pour une victime mineure au moment des faits. Le procureur prendune décision de classement sans suite.

– Les faits restent marqués par le doute, mais un doute suffisant pour conduireà la désignation d’un juge d’instruction. Si l’instruction conduit à la mise en

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évidence de faits non-prescrits, l’action pénale est définitivement engagée. Maisil peut arriver que l’instruction conduise à constater l’existence ou en tout casde l’existence très probable de faits, mais de faits prescrits. Le juge rend uneordonnance de non-lieu.

Dans les deux hypothèses, l’action pénale est éteinte. La culpabilité ne peutplus être établie. Reste la responsabilité.

4 – L’action civile de la victime

Aux termes de l’article 40 du code de procédure pénale :

« Le procureurde la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à

leur donner. Il avise le plaignant du classement de l’affaire ainsi que la victimelorsque celle-ci est identifiée. »

S’agissant des agressions sexuelles, il est prévu que l’avis de classement doitêtre motivé et notifié par écrit.

La victime a la possibilité, par l’intermédiaire de son avocat, d’obtenir unecopie des pièces du dossier pénal.

Pour pouvoir utiliser des pièces pénales dans le cadre d’une procédurecivile, la victime doit solliciter l’accord du procureur de la République.

L’action civile en réparation peut être engagée par la combinaison desarticles 1382 et 2270-1 du code civil, avec une prescription de dix ans pour lesvictimes majeures, et de vingt ans pour les victimes mineures ou en cas d’actesde torture ou de barbarie.

Assignation au fond

La victime agit directement contre l’agresseur pour faire juger sa respon-sabilité par le biais d’une assignation devant la formation civile du tribunal degrande instance. Elle demande à titre principal que soit reconnue la responsa-bilité, puis qu’ensuite le tribunal désigne un expert psychiatre pour apprécierl’étendue du préjudice.

Référé-expertise

On peut également envisager, notamment parce que l’enquête pénale laisseraitapparaître comme certains ou très probables, les faits d’agression, qu’il soit d’abordprocédé à une expertise civile

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. Dès lors, la victime engage, ce qui a le mérite de larapidité, une procédure de référé civile aux fins d’expertise médicale. L’assignationen référé n’est pas un acte accusateur. C’est un avant-procès. Cette expertise,antérieure au procès, est un élément intéressant pour rédiger secondairement

4. Nouveau code de procédure civile, article 145 :

« S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établiravant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instructionlégalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ».

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l’assignation en responsabilité civile dans la mesure où l’expertise sera de nature àfaire état d’un certain nombre d’éléments corroborants les dires de la victime.

La personne poursuivie peut-elle s’opposer à l’expertise ? Sans aucundoute, et elle peut déposer des conclusions en ce sens.

Pour autant, le référé expertise ne suppose pas une reconnaissance préa-lable de responsabilité. Une reconnaissance de faits, plus ou moins sincère, dansle cadre de l’enquête pénale, qui serait versée aux débats donnerait à la victimeun cadre suffisamment établi pour convaincre le juge d’ordonner une expertisecontradictoire.

Expertise sur requête

L’expertise, ordonnée dans le cadre du référé civil, est soumise au principedu contradictoire. Elle doit avoir lieu et les parties présentes ou en tout cas appelées.

Mais le code de procédure civile permet d’obtenir des expertises non-contradictoires. La procédure n’est pas engagée par assignation, mais par requête,et le demandeur doit exposer les raisons de fait qui le conduisent à sollicitercette mesure d’instruction civile non-contradictoire.

La tension susceptible d’apparaître à l’occasion de cette expertise contra-dictoire peut conduire, le cas échéant, à préférer la procédure non-contradictoire.Le juge doit apprécier si, compte-tenu de la nature des faits, il est préférable quecette première phase du dossier ne soit pas contradictoire.

Pour la victime, l’expertise se déroule alors,

grosso modo

, comme dans lecadre pénal. À la suite du dépôt du rapport d’expertise, la victime, par l’inter-médiaire de son avocat, engage alors la procédure en reconnaissance de respon-sabilité, au fond. Dans le cadre de cette procédure, une nouvelle expertise, cettefois-ci contradictoire, pourrait être envisagée.

Dans le pire des cas, si l’expertise est rejetée, la victime garde la possibilitéd’agir au fond pour faire préalablement reconnaître la responsabilité civile.

5 – La charge de la preuve

S’agissant d’un recours en responsabilité civile, la charge de la preuverepose sur les textes fondamentaux du nouveau code de procédure civile relatifsà l’engagement de l’action. Il revient à la partie demanderesse de fonder sademande en droit, par l’article 1382 du code civil, et de la justifier en faits.

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5. Nouveau code de procédure civile, article 6 :

« À l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charged’alléguer les faits propres à les fonder ».

Article 9 :

« Il incombe à chaque partie de prouver conformémentà la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention » ;

Article 10 :

« Le juge a le pouvoir d’ordonnerd’office toutes les mesures d’instruction légalement admissibles ».

; article 11 :

« Les parties sont tenuesd’apporter leur concours aux mesures d’instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d’une abstentionou d’un refus ».

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Des déclarations consignées dans les procès-verbaux peuvent se trouvercorroborées par d’autres éléments de fait : difficultés scolaires, ruptures dans la vied’un enfant, mais aussi un avis médical non contradictoire décrivant les troublesde personnalité ou encore expertise médicale non contradictoire obtenue surrequête préalable à l’engagement de la procédure.

Le défendeur à l’action est tenu, s’agissant d’une assignation devant letribunal de grande instance, de faire choix d’un avocat faute de quoi il seraitcondamné par défaut. Il lui reviendra alors éventuellement d’expliquer pour-quoi ses déclarations lors de l’enquête de police ne sont pas probantes.

En définitive, la décision relève du tribunal qui apprécie souverainementles mérites de la démonstration de la victime et des dénégations de la personneassignée. S’agissant d’une situation de fait, le juge civil dispose de la même capa-cité d’analyse et d’interprétation que le juge pénal, notamment pour ne pas s’entenir aux apparences ou aux formalités.

6 – La déclaration de responsabilité et l’allocation de dommages et intérêts

L’aboutissement de la procédure est la déclaration de responsabilité del’agresseur et l’allocation de dommages et intérêts correspondant au dommagesubi. Il résulterait du jugement que les dommages et intérêts sont causés par desfaits de nature infractionnelle, et la commission d’indemnisation des victimesd’infractions (CIVI) pourrait être saisie pour assurer le paiement.

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Les tribunaux, s’ils ne sont pas tenus au civil par les qualifications du codepénal, garderont une certaine réserve, de manière à retenir un degré dans lafaute, ce degré étant apprécié au regard du préjudice qu’il a causé. En effet, lesprocédures peuvent faire apparaître un certain nombre de carences éducatives,sans doute regrettables, qui ne connaissent pas la qualification pénale, mais quiau surplus ne seraient pas fautives, même sur le plan civil, au point d’avoir généréun dommage substantiel pour la victime. Il s’agit notamment de ne pas ouvrirla voie de manière inconsidérée à des actions en dommages et intérêts engagéespar des enfants du fait des carences éducatives des parents. Le principe de cetteaction existe, mais la limite se trouve dans la stricte application de l’article 1382

6. Au terme de l’article 706-3 du code de procédure pénale,

« Toute personne ayant subi un préjudicerésultant de faits volontaires ou non, qui présentent le caractère matériel d’une infraction, peut obtenir laréparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne… »

L’article 706-5 définit lesconditions de délai. À peine de forclusion, la demande d’indemnisation doit être présentée dans le délaide trois ans à compter de la date de l’infraction.

Lorsque des poursuites pénales sont exercées, ce délai est

prorogé et n’expire qu’un an après la décision de la juridiction qui statue définitivement sur l’actionpublique, ou sur l’action civile engagée devant la juridiction répressive. Toutefois, la commission relèvele requérant de la forclusion lorsqu’il n’a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans les délais requisou lorsqu’il a subi une aggravation de son préjudice ou pour tout autre motif légitime »

. La victime auraà démontrer son incapacité à exercer ses droits dans les délais requis ou tout autre motif légitime.

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du code civil : la faute doit avoir causé un dommage. Et la référence, n’oublionspas les classiques, est le comportement du « bon père de famille »…

B – S’agissant de faits de viols prescrits

Le schéma décrit reste inchangé, sous deux réserves.

La première est la difficulté de justifier l’engagement d’une enquête préli-minaire au-delà du délai de prescription de dix ans. S’agissant d’une affaire demœurs, et alors même que les faits d’attentat à la pudeur semblent prescrits,l’enquête préliminaire est légitime car elle peut mettre en lumière des faits denature criminelle. Lorsque le délai de prescription criminelle est atteint, la pro-blématique n’est plus la même. On peut toutefois justifier l’engagement de cetteprocédure eu égard à la gravité des faits reprochés ou au risque d’une éventuelleréitération au détriment d’autres victimes.

La seconde est liée à l’application du délai de prescription civile. L’actioncivile peut être engagée dans un délai de vingt ans, selon l’article 2270-1 du codecivil :

« Lorsque le dommage est causé par des tortures et des actes de barbarie,des violences ou des agressions sexuelles commises contre un mineur, l’actionen responsabilité civile est prescrite par vingt ans ».

Ainsi, l’action civile ne survit à l’extinction de l’action pénale que dansdeux hypothèses :

– Les actes de torture et de barbarie. La qualification de viol rentre-t-ellenécessairement dans cette approche ? La question n’est pas évidente, car le jugecivil, dans son devoir d’interprétation, doit tenir compte d’autres référenceslégales, notamment sur le plan pénal qui distingue viol simple et viol avec actesde torture ou de barbarie.

– En revanche, s’agissant des violences et des agressions sexuelles commisescontre un mineur, le délai de prescription est de vingt ans. Particulièrement s’ils’agit d’un viol.

Pour conclure

Cette procédure civile n’est pas un succédané, une solution de repli aprèsl’échec de la sanction pénale. Sans nul doute, l’agression sexuelle justifie l’inter-vention sociale sous la conduite du procureur de la République. Mais pour lavictime, disposer d’un jugement, acte de justice, reconnaissant les faits et ouvrantdroit à une indemnisation, ne saurait être analysé comme une solution de repli.Le code de procédure pénale permet le lien entre l’action civile et l’action pénale,ce qui n’est pas le cas dans tous les systèmes étrangers. Intellectuellement, il restedeux actions distinctes, et la prescription de l’action pénale n’interdit pas à la

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victime d’obtenir une décision judiciaire reconnaissant les faits et l’existenced’un dommage causé par ces faits. L’action civile permet la reconnaissance desfaits et une indemnisation, dans des conditions maîtrisées par la victime. Cetteprocédure est par nature réparatrice. Enfin, rappelons que le procureur de laRépublique a capacité d’intervenir dans toutes les procédures, y compris civiles.