LIENS Code de la Propriété Intellectuelle. articles L 122....

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AVERTISSEMENT Ce document est le fruit d'un long travail approuvé par le jury de soutenance et mis à disposition de l'ensemble de la communauté universitaire élargie. Il est soumis à la propriété intellectuelle de l'auteur. Ceci implique une obligation de citation et de référencement lors de l’utilisation de ce document. D'autre part, toute contrefaçon, plagiat, reproduction illicite encourt une poursuite pénale. Contact : [email protected] LIENS Code de la Propriété Intellectuelle. articles L 122. 4 Code de la Propriété Intellectuelle. articles L 335.2- L 335.10 http://www.cfcopies.com/V2/leg/leg_droi.php http://www.culture.gouv.fr/culture/infos-pratiques/droits/protection.htm

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  • AVERTISSEMENT

    Ce document est le fruit d'un long travail approuv par le jury de soutenance et mis disposition de l'ensemble de la communaut universitaire largie. Il est soumis la proprit intellectuelle de l'auteur. Ceci implique une obligation de citation et de rfrencement lors de lutilisation de ce document. D'autre part, toute contrefaon, plagiat, reproduction illicite encourt une poursuite pnale. Contact : [email protected]

    LIENS Code de la Proprit Intellectuelle. articles L 122. 4 Code de la Proprit Intellectuelle. articles L 335.2- L 335.10 http://www.cfcopies.com/V2/leg/leg_droi.php http://www.culture.gouv.fr/culture/infos-pratiques/droits/protection.htm

  • Universit Nancy 2

    Facult de Droit Ecole Doctorale Sciences Juridiques Politiques Economiques et de Gestion

    Centre de Recherche de Droit Priv

    LINTERVENTION DE LASSUREUR

    AU PROCES PENAL

    Contribution ltude

    de laction civile

    THESE en vue de lobtention du Doctorat en Droit

    Prsente et soutenue par Monsieur Romain SCHULZ

    le 18 novembre 2009

    Membres du Jury :

    Madame France CHARDIN, Matre de confrences la Facult de Droit, Sciences conomiques et Gestion de lUniversit

    de Nancy,

    Monsieur Franois FOURMENT, Professeur la Facult de Droit et Sciences politiques de lUniversit de Nantes, Rapporteur,

    Monsieur Jrme KULLMANN, Professeur lUniversit Paris Dauphine, Directeur de lInstitut des Assurances de Paris,

    Rapporteur,

    Monsieur Luc MAYAUX, Professeur lUniversit Jean Moulin (Lyon 3), Directeur de lInstitut des Assurances de

    Lyon,

    Monsieur Jean-Franois SEUVIC, Professeur la Facult de Droit, Sciences conomiques et Gestion de lUniversit de Nancy,

    Directeur de la recherche.

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  • 3

    LUniversit nentend ni approuver ni dsapprouver les opinions particulires du candidat.

  • 4

  • 5

    SOMMAIRE Les chiffres renvoient aux numros de pages

    Introduction...... 11

    Premire partie De lexclusion de lassureur ladmission de son intervention ...................... 31

    Titre 1 Lexclusion de principe de lassureur......................................................................... 35

    Chapitre 1 Lexclusion de lassureur par la Cour de cassation......................................... 37

    Section 1 Laffirmation jurisprudentielle de lexclusion de lassureur .............................. 38

    Section 2 Les consquences critiquables de lexclusion de lassureur............................... 69

    Chapitre 2 La conception de laction civile rvle par lexclusion jurisprudentielle de

    lassureur ........................................................................................................... 103

    Section 1 Une conception rpressive de laction civile exerce devant le juge rpressif 104

    Section 2 Une conception de laction civile centre sur la victime dinfraction .............. 135

    Titre 2 Ladmission limite de lassureur ............................................................................. 151

    Chapitre 1 Approche thorique du problme par lanalyse de laction civile................ 153

    Section 1 La nature unique de laction civile et la dualit de son fondement .................. 154

    Section 2 Le rgime de laction civile au regard de sa nature et de son fondement......... 189

    Chapitre 2 La dcision pratique du lgislateur pour une admission limite .................. 227

    Section 1 Ladmission de lintervention de lassureur ..................................................... 228

    Section 2 Ladmission limite par la loi du 8 juillet 1983................................................ 258

    Deuxime partie La mise en uvre de lintervention de lassureur.......................................... 317

    Titre 1 Lassureur devant le juge rpressif........................................................................... 321

    Chapitre 1 Problmes de procdure : modalits de lintervention.................................. 323

    Section 1 Problmes communs aux interventions volontaires et forces de lassureur.... 324

    Section 2 Les rgles spcifiques chaque type dintervention ........................................ 339

    Chapitre 2 Les moyens de lassureur intervenant aux dbats ......................................... 355

    Section 1 Les exceptions de garantie................................................................................ 357

    Section 2 La discussion au fond sur la responsabilit civile............................................. 421

    Titre 2 Lassureur face aux dcisions rendues par le juge rpressif .................................. 457

    Chapitre 1 Les effets des dcisions du juge rpressif........................................................ 459

    Section 1 Lautorit de la chose juge et lopposabilit des dcisions du juge rpressif . 460

    Section 2 La possibilit de prononcer une condamnation ................................................ 474

    Chapitre 2 Les voies de recours .......................................................................................... 505

    Section 1 Lappel.............................................................................................................. 506

    Section 2 Le pourvoi en cassation .................................................................................... 519

    Conclusion....... 533

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    ABREVIATIONS

    AJ Pnal Actualit juridique pnal (Dalloz)

    ALD Actualit Lgislative Dalloz

    A.N. Assemble Nationale

    art. article

    Ass. pln. Assemble plnire de la Cour de cassation

    Assur. fr. Assurance franaise

    B.O. Bulletin officiel

    Bull. Bulletin des arrts de la Cour de cassation

    C. assises Cour dassises

    C. assur. Code des assurances

    CA Cour dappel

    CE Conseil dEtat

    CEDH Cour europenne des droits de lhomme

    Ch. Chambre

    Ch. mixte Chambre mixte de la Cour de cassation

    Chron. Chronique

    Circ. min. just. Circulaire du Ministre de la Justice

    Civ. Chambre civile de la Cour de cassation

    coll. collection

    Com. Chambre sociale de la Cour de cassation

    Comm. Commentaire

    comp. comparer

    concl. conclusions

    Cons. Const. Conseil constitutionnel

    CPC Code de procdure civile

    CPP Code de procdure pnale

    Crim. Chambre criminelle de la Cour de cassation

    D Recueil Dalloz

    db. Dbats

    Defrnois Rpertoire du notariat Defrnois

    Dev. et soc. Dviance et socit

    DH Dalloz hebdomadaire

    DP Dalloz priodique

    Dr. mar. Fr. Droit maritime franais

    Dr. pnal Droit pnal

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    gal. galement

    esp. espce

    ex. exemple

    fasc. fascicule

    Gaz. pal. Gazette du palais

    IR Informations rapides (Recueil Dalloz)

    J.O. Journal officiel

    JCP Juris-classeur priodique, dition gnrale

    JCP E Juris-classeur priodique, dition entreprise

    not. notamment

    obs. observations

    op. cit. ouvrage cit

    P.U.(F.) Presses universitaires (de France)

    prc. prcit

    rapp. rapprocher

    RCA Responsabilit civile et assurances

    Rp. civ. Rpertoire civil Dalloz

    Rp. pn. Rpertoire pnal Dalloz

    Req. Chambre des requtes de la Cour de cassation

    Rev. pnit. Dr. pn. Revue pnitentiaire et de droit pnal

    RGAT Revue gnrale des assurances terrestres

    RGDA Revue gnrale de droit des assurances

    RSC Revue de sciences criminelles et de droit pnal compar

    RTD Civ. Revue trimestrielle de droit civil

    RTD Com. Revue trimestrielle de droit commercial

    S Recueil Sirey

    s. suivants

    Somm. Sommaires

    Soc. Chambre sociale de la Cour de cassation

    t. tome

    T. corr. Tribunal correctionnel

    T. pol. Tribunal de police

    TGI Tribunal de grande instance

    th. thse

    v mot

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    A la mmoire du Docteur Paul Schulz et de Monsieur Jean Brunet

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    INTRODUCTION

    Lorsque lnonc dun problme est exactement connu, le problme est rsolu, ou bien cest quil est impossible. La solution nest donc autre chose que le problme bien clair .

    Emile-Auguste Chartier, dit Alain : Propos de littrature (1934)

    1. Intervention de lassureur et participation de lassureur au procs pnal. Une prcision simpose demble sagissant de lintervention de lassureur au procs pnal : elle ne vise quun aspect de la possible participation dun assureur un procs devant le juge

    rpressif. En effet, un assureur peut, de manire classique et comme tout justiciable, tre

    partie un procs pnal en qualit de partie civile, de prvenu ou daccus, ou encore de

    civilement responsable. Lassureur victime dune infraction peut se constituer partie civile

    afin de poursuivre lauteur et dobtenir rparation de son prjudice1. Lassureur peut

    galement comparatre devant les juridictions rpressives en qualit de prvenu ou daccus

    lorsquil lui est reproch dtre lauteur dune infraction. Lassureur est par dfinition une

    personne morale, mais depuis lentre en vigueur du Code pnal de 1992, une entreprise

    dassurance est, comme toute personne morale de droit priv, susceptible dengager sa

    responsabilit pnale aux termes de larticle 121-2 du Code pnal. Le droit des assurances

    fournit lui-mme des occasions de rechercher une telle responsabilit dans la mesure o il

    rige en infraction certains manquements la rglementation de lassurance, conformment

    une tendance qui npargne aucun secteur2. Lassureur peut enfin tre partie un procs pnal

    en qualit de civilement responsable du prvenu ou de laccus. Une hypothse encore trop

    rpandue est celle de lassureur responsable du fait de lun de ses prposs3, ou dun

    mandataire qui sest rendu coupable dinfraction loccasion de lexercice de lactivit

    dintermdiation en assurance4. Toutefois, ces cas de participation de lassureur au procs

    pnal ne prsentent gure de spcificit, du moins dun point de vue juridique. Lassureur est

    alors trait comme nimporte quelle victime, nimporte quel prvenu ou accus, nimporte

    quel civilement responsable.

    1 Le cas le plus rpandu est celui de lescroquerie lassurance : Crim. 5 dcembre 1961, Bull. n 498 ; Crim. 14

    juin 1995, RGDA 1996 p. 479 note E. Fortis ; Crim. 26 juin 1997, n 96-84030, RGDA 1997 p. 1115 note

    E. Fortis ; Crim. 16 fvrier 1999, RGDA 1999 p. 495, note E. Fortis ; Crim. 16 novembre 2005, n 05-80540,

    Bull. n 297 ; Crim. 4 juin 2009, n 08-85702. Lassureur peut galement tre victime dabus de confiance ou de

    faux et usage : Crim. 8 avril 2009, n 08-84359 ; Crim. 17 juin 2009, n 08-88076. 2 Constituent par exemple des dlits le fait de pratiquer sur le territoire de la Rpublique franaise des oprations

    dassurance sans y tre habilit (art. L 310-27 C. assur.), le fait de ne pas rpondre aux demandes dinformation

    de lAutorit de contrle des assurances ou dentraver son contrle (art. L 310-28 C. assur.), les manquements

    certaines rgles rgissant la constitution et le fonctionnement des entreprises dassurance (art. L 328-5 C. assur.). 3 Comme tout commettant est civilement responsable du fait de son prpos en application de larticle 1384

    alina 5 du Code civil. 4 Larticle L 511-1, III. du Code des assurances prvoit que dans le cadre de lexercice de lactivit

    dintermdiation en assurance, lemployeur ou mandant est civilement responsable, dans les termes de larticle 1384 du Code civil, du dommage caus par la faute, limprudence ou la ngligence de ses employs ou mandataires agissant en cette qualit, lesquels sont considrs pour lapplication du prsent article, comme des prposs, nonobstant toute convention contraire . Ainsi, mme lorsque le mandataire de lassureur dispose dune libert telle quil ny a pas de lien de prposition, lassureur peut tout de mme tre responsable du fait de

    ce mandataire dans les conditions de la responsabilit du commettant du fait du prpos. Par ex. Crim. 16 juin

    1999, n 98-81940 ; Crim. 16 fvrier 2000, n 98-84705 ; Crim. 23 fvrier 2005, n 04-82364 ; Crim. 16

    novembre 2005, n 05-83670 ; Crim. 6 juin 2007, n 06-85374 ; Crim. 13 octobre 2007, n 07-82035.

  • 12

    2. Intervention de lassureur au procs pnal et excution du contrat dassurance. La participation de lassureur au procs pnal qui nous intresse est celle de lassureur de la

    victime, du prvenu ou de laccus, ou du civilement responsable. Lintervention de lassureur au procs pnal dsigne la participation au procs pnal de lassureur de lune des parties principales ce procs. Cest en tant que garant du dommage que cet assureur est mis

    en cause ou intervient volontairement. Lassureur de choses ou de personnes de la victime et

    lassureur de responsabilit civile du prvenu ou du civilement responsable peuvent tre mis

    en cause par leur assur, ainsi que par la victime exerant laction directe en ce qui concerne

    lassureur de responsabilit. En outre, lassureur de la victime subrog dans les droits de cette

    dernire aprs lavoir indemnise doit pouvoir faire valoir ces droits contre les responsables et

    leurs assureurs.

    Par exemple, un automobiliste est poursuivi pour avoir renvers un cycliste par imprudence

    ou ngligence, et lui avoir caus des blessures ainsi que des dommages matriels (bicyclette

    hors dusage). Le cycliste peut solliciter la garantie de son assureur au titre de garanties de son

    contrat multirisque habitation ou dune garantie des accidents de la vie . Il peut

    notamment demander la prise en charge de certains frais mdicaux (assurance de personnes

    indemnitaire) et du remplacement de la bicyclette (assurance de choses). Dans la mesure o le

    cycliste recherche la responsabilit de lautomobiliste, ce dernier peut solliciter la garantie de

    son assureur automobile, au titre de la garantie obligatoire de la responsabilit du conducteur

    ou gardien dun vhicule terrestre moteur. Le cycliste peut galement exercer laction

    directe contre lassureur de responsabilit de lautomobiliste pour solliciter une indemnisation

    de sa part. Lorsque lassureur de choses ou de personnes du cycliste a vers ce dernier, avant

    louverture du procs, une prestation de caractre indemnitaire ouvrant droit un recours

    subrogatoire, il est subrog dans les droits de la victime hauteur de lindemnit verse. Il

    peut alors exercer un recours contre lautomobiliste et/ou lassureur de responsabilit de ce

    dernier.

    Il apparat donc que lintervention de lassureur au procs pnal est lie lexcution du

    contrat dassurance, soit que lintervention de lassureur ait pour objet cette excution (action

    en garantie), soit quelle soit conscutive cette excution (recours subrogatoire de lassureur

    qui a indemnis la victime). En outre, cette excution du contrat dassurance doit concerner

    lindemnisation du prjudice rsultant des faits poursuivis. Ainsi, lorsque la prestation

    dassurance ne concerne pas directement cette indemnisation, lassureur na pas vocation

    participer au procs. Cela est notamment le cas de lassureur de protection juridique dune

    partie, dont le rle est de fournir son assur des prestations dassistance technique et

    financire pour la conduite du procs, mais qui napparat pas en tant que partie linstance.

    Aprs ces quelques claircissements sur la notion dintervention, sur laquelle nous reviendrons dans le cadre de la prsente tude

    5, nous pouvons rapidement circonscrire les

    notions dassureur et de procs pnal.

    3. Assureur intervenant au procs pnal. De ce qui prcde, nous pouvons aisment dfinir lassureur comme la personne qui peut tre tenue, sur le fondement dune obligation dassurance, dindemniser le dommage dcoulant de linfraction. Cette obligation dcoule

    dun contrat dassurance. Au titre de ce contrat, lassureur est tenu de deux obligations : de couverture et de rglement 6. La premire est celle de couvrir ventuellement le risque dfini

    5 Cf. infra n 545 et s., 696 et 876.

    6 L. Mayaux : V Assurances terrestres (2 le contrat dassurance), Rp. civ. Dalloz, septembre 2007, n 4 et

    185 et s. ; J. Bigot et alii : Trait de droit des assurances. t. 3 : Le contrat d'assurance, LGDJ 2002, n 52.

  • 13

    pendant la dure prvue par le contrat. La seconde est celle de rgler la prestation convenue

    en cas de sinistre. Cest lexcution de lobligation de rglement qui est en jeu dans le cadre

    de lintervention de lassureur au procs pnal. Lassureur peut donc tre dfini pour les

    besoins de la prsente tude comme la personne tenue en excution dun contrat dassurance

    dune obligation de rgler une indemnit destine compenser le dommage dcoulant des

    faits pnalement poursuivis7. Nous reviendrons dans le cadre de la prsente tude sur la

    dtermination des personnes pouvant ce titre tre considres comme assureur, et

    susceptibles dintervenir au procs pnal8.

    4. Procs pnal auquel lassureur est susceptible dintervenir. La notion de procs pnal mrite galement dtre prcise. Dans une acception large, elle pourrait dsigner lensemble

    du processus se droulant de la commission de linfraction la fin de lexcution de la peine.

    Toutefois, cest une conception plus restreinte et plus judiciaire que nous retiendrons, dans

    la mesure o lintervention de lassureur au procs pnal est celle de lassureur devant le juge

    rpressif qui statue sur laction civile. Ceci nous conduit exclure lenqute prliminaire, qui

    nest pas une phase judiciaire, ainsi que lexcution de la peine qui, bien que suivie par un

    magistrat, est postrieure aux dcisions rendues par le juge rpressif sur laction publique et

    sur laction civile. De surcrot, lintervention de lassureur na de sens que si le juge rpressif

    est saisi de laction en indemnisation du dommage dcoulant des faits poursuivis. Le procs

    pnal auquel lassureur sera susceptible de participer sera en consquence le procs port

    devant un juge rpressif saisi de laction civile. En rgle gnrale, il sagira dune juridiction

    rpressive de jugement, saisie la fois de laction publique et de laction civile. Mais il existe

    des cas dans lesquels le juge rpressif est saisi de la seule action civile. En outre, la question

    des juridictions dinstruction mrite galement dtre pose en considration de leur

    comptence lgard de laction civile. Nous reviendrons dans le cadre de la prsente tude

    sur la dtermination des juridictions rpressives devant lesquelles lassureur est susceptible

    dintervenir9.

    Les premiers lments qui viennent dtre exposs afin de circonscrire la notion

    dintervention de lassureur au procs pnal font apparatre que cette intervention a pour objet de porter devant le juge rpressif une discussion qui a trait au contrat dassurance. Ceci

    pose la question dune ventuelle antinomie entre lobjet du contrat dassurance et celui du

    procs pnal.

    5. Antinomie entre lobjet du contrat dassurance et celui du procs pnal. On peut se demander si le prtoire pnal est bien un lieu appropri pour discuter de la garantie

    dassurance. Dans son tude de rfrence sur lassureur et le procs pnal, Monsieur Chesn a commenc par souligner lapparente antinomie entre lobjet du contrat dassurance, qui est

    purement patrimonial et ne concerne que des intrts particuliers, et la mission du juge

    rpressif, qui connat la fois des atteintes portes lordre social et des atteintes qui peuvent

    tre portes lindividu poursuivi. Ces dernires dpassent largement les intrts

    patrimoniaux dordre indemnitaire. Il fut un temps, rvolu en France, o le procs pnal

    mettait en jeu la vie ou lintgrit physique de la personne poursuivie. Restent actuellement en

    jeu lhonneur, la libert, le patrimoine et les droits de lindividu poursuivi (qui encourt la

    7 Cet assureur nest pas forcment franais, cest--dire une entreprise dassurance tablie en France. Il suffit

    quil soit lune des entreprises dassurance autorises pratiquer des oprations dassurance sur le territoire de la

    Rpublique franaise en application de larticle L 310-2 du Code des assurances, ce qui stend aux entreprises

    dassurances de lUnion europenne et aux entreprises tablies hors de lUnion qui ont reu un agrment. 8 Cf. infra n 699 et s.

    9 Cf. infra n 752 et s.

  • 14

    dchance de certains droits tels que le droit de vote ou lautorit parentale, ou des

    interdictions telles que linterdiction dexercer certaines professions ou linterdiction du

    territoire franais). Les atteintes patrimoniales encourues devant le juge rpressif (amende,

    confiscation) ont un caractre punitif dont il dcoule quelles sont par dfinition une charge

    lourde supporter10

    . M. Chesn estime toutefois que cette antinomie peut tre rfute et quil

    est possible dtablir entre lobjet du contrat dassurance et celui de la justice pnale une

    relation juridique certaine11

    .

    6. Lobjet du contrat dassurance est indiscutablement patrimonial. Il est en effet de

    protger le patrimoine de lassur contre les alas pouvant affecter son actif (assurance de

    personnes garantissant les atteintes lintgrit corporelle et assurance de choses protgeant

    les biens de lassur) ou son passif (assurance de responsabilit civile garantissant la dette de

    responsabilit de lassur)12

    . Lexcution du contrat dassurance relve dun rapport

    particulier entre lassureur dune part, et lassur ou le bnficiaire de la garantie dautre part.

    En ce sens, on peut parler de rapports dordre priv13

    . Le contrat dassurance concerne donc

    des intrts particuliers et purement patrimoniaux, et le contentieux de lassurance parat en

    consquence relever de la comptence du juge civil.

    7. A linverse, le procs pnal concerne lintrt gnral. Il a pour objet de statuer sur la

    culpabilit dune personne et de prononcer ventuellement une peine ou une mesure de sret.

    Il met en jeu non pas des intrts purement patrimoniaux, mais dun ct lordre public, et de

    lautre des intrts de la personne poursuivie qui dpassent le cadre patrimonial.

    Le procs pnal est avant tout celui de laction publique. Son objet est la rpression des faits

    poursuivis sous une qualification dinfraction. Or, lintervention de lassureur au procs pnal

    ne relve pas de laction publique. Elle est relative lexcution du contrat dassurance et

    rpond des fins indemnitaires uniquement. La garantie dassurance est mise en uvre dans

    le cadre de laction en indemnisation des dommages dcoulant des faits pnalement

    poursuivis, c'est--dire dans le cadre de laction civile. Il doit tre rappel que le juge naturel

    de laction civile nest pas le juge rpressif mais le juge civil. La question de lintervention de

    lassureur au procs pnal nous renvoie donc lantinomie entre les notions daction publique

    et daction civile, et aux rapports pouvant exister entre ces deux actions.

    8. Antinomie entre action civile et action publique. Laction publique pour lapplication des peines vise larticle 1er du Code de procdure pnale et laction civile en rparation du dommage caus cite larticle 2 du mme Code sont nettement distingues depuis le Code des dlits et des peines du 3 brumaire an IV. Ces deux actions

    sopposent par leurs objets et mme par leurs sujets respectifs. Laction publique, destine

    lutter contre le trouble social provoqu par linfraction, est exerce par le ministre public au

    nom de lintrt de la socit, dont il est le gardien. En outre, elle met en jeu des droits

    fondamentaux, dont la libert et lhonneur des individus. Au contraire, laction civile en

    rparation du dommage noppose que des intrts privs et pcuniaires. Cependant, au-del de

    leur antinomie, laction publique et laction civile sont unies par un lien trs fort : elles

    trouvent leur source commune dans les mmes faits. Cela explique que ces deux actions ne

    10

    En tmoigne limportance des amendes encourues par les personnes morales, qui peuvent reprsenter le

    quintuple de lamende encourue par une personne physique pour la mme infraction. 11

    G. Chesn : L'assureur et le procs pnal, RSC 1965 pp. 284-285. 12

    J. Kullmann : Lamy Assurances 2009, n 7 ; Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur : Droit des assurances, 12

    me d. 2005 Dalloz, n 53 56.

    13 Etant toutefois rappel que les contrats dassurance peuvent le cas chant avoir le caractre de contrats

    administratifs (article 2 de la loi n 2001-1168 du 11 dcembre 2001 portant mesures urgentes de rformes

    caractre conomique et financier, dite loi MURCEF, J.O. du 12 dcembre).

  • 15

    soient pas systmatiquement spares malgr leur antinomie, et que se pose le problme de

    leurs rapports.

    9. Rapports entre action civile et action publique14. Un premier systme concevable de rapports entre laction publique et laction civile est une confusion des deux actions, ce qui

    autorise la victime dfendre la fois ses intrts et ceux de la collectivit. La rpression et la

    rparation ne sont pas clairement dissocies, et la peine peut remplir les deux fonctions15

    .

    Mais ce systme na plus cours de nos jours car les deux actions sont distingues. La question

    est alors de savoir si elles doivent tre totalement spares ou si elles peuvent coexister dans

    un mme procs.

    Les pays anglo-saxons connaissent un systme de sparation totale des actions publique et

    civile : laction civile ne peut tre porte que devant les juridictions civiles et son exercice est

    indpendant de celui de laction publique.

    Un systme dinterdpendance de laction publique et de laction civile peut galement tre

    envisag. Ce systme consacre le fondement commun de ces deux actions qui trouvent leur

    origine dans les mmes faits. Cette interdpendance se traduit par plusieurs rgles, dont la

    plus importante est la facult de porter laction civile au choix devant le juge civil, qui est son

    juge naturel, ou bien devant le juge rpressif conjointement laction publique. En outre,

    laction civile subit plusieurs gards linfluence de laction publique, y compris lorsquelle

    est porte devant le juge civil, notamment par le jeu des rgles du sursis statuer et de

    lautorit de la chose juge au criminel sur le civil. Le systme de linterdpendance de

    laction publique et de laction civile est celui qui a t retenu en France. Cest pourquoi la

    question de lintervention de lassureur au procs pnal dans le cadre de laction civile peut

    tre lgitimement pose, de mme quelle sest pose dans dautres pays16

    .

    10. Interdpendance des actions publique et civile ; lgitimit de la question de lintervention de lassureur laction civile devant le juge rpressif. La question de lintervention de lassureur au procs pnal ne peut se concevoir que dans le cadre du systme

    dinterdpendance des actions publique et civile, parce que le juge rpressif connat alors de

    laction civile. Cela tant, encore faut-il que la ncessit de lintervention de lassureur se

    fasse sentir. Or, nous pouvons observer que lorsque le Code dinstruction criminelle a t

    adopt, consacrant la comptence civile du juge rpressif, lassurance tait trs peu

    dveloppe et son rle dans laction en indemnisation ntait pas important. Aussi, la question

    de lintervention de lassureur laction civile ne se posait pas rellement au dbut du XIXme

    sicle. Il ntait pas gnant que lassureur ne puisse intervenir qu laction en indemnisation

    porte devant le juge civil, le besoin de lattraire devant le juge rpressif restant marginal.

    Cest avec le dveloppement de lassurance et sa place croissante dans lindemnisation des

    dommages, y compris ceux dcoulant dune infraction, que lassureur est devenu un acteur

    presque incontournable de laction en indemnisation et que son absence devant le juge

    rpressif a vraiment t ressentie. Il aura fallu attendre la premire moiti du XXme

    sicle

    pour que la question de lintervention de lassureur devant le juge rpressif se pose avec une

    insistance telle que la Cour de cassation soit amene prendre position. Nous pouvons revenir

    sur cette volution historique, indissociable de lvolution de laction civile et de lassurance

    depuis le dbut du XIXme

    sicle, et dont le point de dpart est linterdpendance des actions

    publique et civile, consacre par le Code dinstruction criminelle.

    14

    R. Garraud : Trait thorique et pratique du droit pnal franais, t. 1, 3me d. 1913 Sirey, n 68 et s. ; R. Merle et A. Vitu : Trait de droit criminel, t. 2 : Procdure pnale, Cujas 5me d. 2001, n 26. 15

    Ctait de cas du Wergeld du droit germanique, destin la fois indemniser les victimes et apaiser le

    trouble social caus par linfraction. 16

    Pour une brve tude de droit compar, cf. infra n 617 et s.

  • 16

    11. Interdpendance des actions publique et civile ; admission de laction civile de la victime devant le juge rpressif. Comme les Professeurs Merle et Vitu lont justement nonc, dans le Code dinstruction criminelle, puis dans le Code de procdure pnale, le droit franais a consacr le systme de linterdpendance de laction publique et de laction civile, qui permet la victime dagir en indemnisation devant les juridictions rpressives 17. Cette formulation met en lumire un point important : cest laction civile de la victime dinfraction qui est consacre et organise par le Code dinstruction criminelle de 1810 puis par le Code

    de procdure pnale de 1958. Selon le schma classique issu du Code dinstruction criminelle,

    les acteurs du procs pnal sont en demande le ministre public exerant laction publique et

    la victime exerant laction civile, et en dfense le prvenu et le cas chant son civilement

    responsable. Ce schma correspond la ralit de lpoque. Laction publique met en relation

    le ministre public et la victime comme parties poursuivantes, et le prvenu comme

    dfendeur. Laction civile concerne la relation entre les cranciers et dbiteurs de lindemnit

    rparant le prjudice dcoulant des faits poursuivis. Or, au dbut du XIXme

    sicle, le

    crancier de lindemnit tait la victime, et les dbiteurs taient le prvenu pour sa

    responsabilit personnelle, et le civilement responsable pour sa responsabilit du fait du

    prvenu18

    . Il en est dcoul une conception relativement restreinte de laction civile, limite

    aux sujets et lobjet de cette action qui pouvaient tre identifis lpoque : laction civile

    consistait alors uniquement en laction en responsabilit civile ne de linfraction, et ne

    concernait donc que la victime et les responsables, ces derniers tant le prvenu et son

    civilement responsable. Cest dans ces conditions que laction civile admise devant le juge

    rpressif a t dfinie dans le Code dinstruction criminelle puis le Code de procdure

    pnale19

    . Par cette admission restreinte, mais lpoque justifie, de laction civile devant le

    juge rpressif, le lgislateur a instaur en 1810 un certain quilibre entre laction civile et

    laction publique.

    12. Facteurs dvolution de laction civile. Toutefois, ladmission limite de laction civile de la victime devant le juge pnal a t dpasse par plusieurs volutions. Lune delles

    concerne tant laction publique que laction civile et remonte la fin du XIXme

    sicle : il

    sagit de lhabilitation de certains groupements et personnes morales exercer les droits reconnus la partie civile 20. Cela nest certes finalement quune prolongation de laction de la victime de linfraction, puisque ce sont des droits calqus sur ceux de la victime qui sont

    confrs dautres personnes. Toutefois, cette ouverture de laction civile a modifi sa

    physionomie.

    Une autre volution concerne spcifiquement laction civile et tend remettre en cause la

    conception hrite du Code dinstruction criminelle. En effet, cette conception restrictive ne

    laisse pas de place lintervention laction civile de personnes qui, comme lassureur, ne

    sont ni la victime de linfraction, ni un responsable. Or, depuis la seconde moiti du XIXme

    sicle, deux mouvements sont venus modifier lquilibre entre laction civile et laction

    publique devant le juge pnal. Dune part, les questions dindemnisation des victimes ont pris

    17

    R. Merle et A. Vitu : op. cit. t. 2, n 27. 18

    Selon les rgles du Code civil contemporain du Code pnal et du Code dinstruction criminelle. 19

    Avant dtre abrog, lalina 3 de larticle 10 du Code de procdure pnale a expressment affirm que rserve

    faite de la solidarit des prescriptions (dailleurs supprime en 1980), laction civile est soumise tous autres gards aux rgles du Code civil . En outre, larticle 74, devenu article 69 de lancien Code pnal disposait que les cours et tribunaux devant qui ces affaires seront portes se conformeront aux dispositions du Code civil, livre III, titre IV, chapitre II , ce qui renvoyait donc expressment aux articles 1382 1386 du Code civil. 20

    Selon une formule que lon retrouve dans plusieurs textes, dont certains des articles 2-1 et suivants du Code de

    procdure pnale qui drogent larticle 2.

  • 17

    une place croissante dans le procs rpressif. Dautre part, lassureur a de son ct acquis une

    place croissante dans laction en indemnisation du dommage.

    13. Place croissante des questions dindemnisation des victimes dans le procs rpressif. A lorigine, dans le Code dinstruction criminelle, les questions dindemnisation nont t

    admises que de manire limite devant le juge rpressif. Le procs pnal est avant tout celui

    de la rpression dirige contre le dlinquant. Cest par faveur pour la victime quon la

    autorise porter devant le juge pnal son action en responsabilit civile, afin quelle puisse

    obtenir plus facilement et plus rapidement rparation du dommage quelle a subi du fait de

    linfraction. Toutefois, les questions dindemnisation des victimes ont par la suite pris une

    place croissante dans le procs rpressif. Ce phnomne sest manifest de deux manires :

    non seulement par un accroissement de limportance de laction civile devant le juge

    rpressif, mais galement par lutilisation de techniques de procdure pnale permettant de

    rechercher lindemnisation des victimes par des techniques autres que laction civile. Nous

    pouvons voquer brivement ces dernires avant de revenir sur laction civile.

    14. Indemnisation des victimes par des techniques de procdure pnale autres que laction civile21. Suite ladoption de la loi du 8 juillet 1983 renforant la protection des victimes dinfractions , un commentateur a pu voquer le problme irritant, trop longtemps dlaiss par le droit pnal, de lindemnisation des victimes et la prise de conscience de plus en plus aigu de ce que le droit pnal manque partiellement sa fin, sil nglige le sort des victimes dinfractions 22. Or, la facilitation de laction civile na pas t le seul moyen adopt par le lgislateur pour favoriser lindemnisation des victimes dinfractions. Des

    dispositions de droit pnal ou de procdure pnale ont galement t adoptes dans le but

    dassurer lindemnisation des victimes par des mcanismes relevant plus de laction publique

    que de laction civile. Ces mcanismes peuvent impliquer lindemnisation de la victime

    diffrents stades de la procdure.

    Sagissant des alternatives aux poursuites pnales, des mcanismes permettent dinciter

    lauteur indemniser la victime pour viter la mise en uvre de laction publique : le

    classement sans suite sous condition dindemnisation de la victime23

    , la mdiation pnale24

    ,

    elle-mme inspire du mcanisme de mdiation-rparation 25

    , la composition, pnale26

    .

    En cas de poursuites, le cautionnement fourni ou les srets constitues par la personne mise

    en examen sont affectes la garantie non seulement de la reprsentation de cette personne,

    mais galement au paiement prioritaire de la rparation des dommages causs par linfraction et des restitutions, ainsi que de la dette alimentaire lorsque la personne mise en examen est poursuivie pour le dfaut de paiement de cette dette , par prfrence aux amendes

    27.

    21

    J. Pradel : Procdure pnale, Cujas 14me d., n 262 et s. 22

    M. Blin : La loi du 8 juillet 1983 sur la rparation du prjudice rsultant dune infraction (un an dapplication jurisprudentielle), Gaz. Pal. 1985, 1, doctr. 141. Ph. Bonfils estime que la protection lgislative en faveur des victimes a t amorce par la loi du 8 juillet 1983 : La participation de la victime au procs pnal, une action innome, in Le droit pnal laube du 3me millnaire, mlanges offerts Jean Pradel, Cujas 2006, p 179 note 2. Certaines dispositions favorables aux victimes sont antrieures, mais elles taient parses. 23

    Article 41-1, 4 du Code de procdure pnale. 24

    Article 41-1, 5 du Code de procdure pnale permettant la victime, lorsque lauteur des faits sest engag

    lui verser une indemnisation, den demander le recouvrement par la procdure dinjonction de payer au vu du

    procs-verbal de mdiation. 25

    Article 12-1 de lordonnance du 2 fvrier 1945 relative lenfance dlinquante. 26

    Articles 41-2 et 41-3 du Code de procdure pnale, issus de la loi du 23 juin 1999. 27

    Article 142, 2 du Code de procdure pnale. Il est remarquable que le crancier de lindemnisation du

    prjudice dcoulant dune infraction prime dans ce cas le Trsor public, ce qui est loin dtre la rgle.

  • 18

    En cas de dclaration de culpabilit par le juge rpressif, la rparation du dommage caus est

    lune des conditions de la dispense de peine28

    . Le rgime du sursis avec mise lpreuve

    permet dimposer au condamn lobligation de rparer en toute ou partie, en fonction de ses facults contributives, les dommages causs par linfraction, mme en labsence de dcision sur laction civile 29. Lajournement simple du prononc de la peine et lajournement avec mise lpreuve tendent inciter le prvenu indemniser la victime dans le meilleur dlai et

    de prfrence avant sa comparution laudience de jugement, cette indemnisation tant

    considre comme le meilleur des gages damendement30

    . Pour les personnes condamnes

    une peine privative de libert, une part des valeurs pcuniaires des dtenus, inscrites un

    compte nominatif ouvert ltablissement pnitentiaire, est affecte au dsintressement des

    parties civiles et des cranciers daliments ; ces dispositions sont galement applicables aux

    personnes places en dtention provisoire31

    .

    La loi n 2007-297 du 5 mars 2007 a instaur une peine la fois principale et alternative, la

    sanction-rparation, qui consiste dans lobligation pour le condamn de procder, dans le

    dlai et selon les modalits fixs par la juridiction, lindemnisation du prjudice de la

    victime (article 131-8-1 du Code pnal). Si le condamn ne respecte pas cette obligation, il

    encourt une peine que la juridiction fixe en mme temps que lobligation dindemniser, et

    dont le juge dapplication des peines pourra ordonner la mise excution, en tout ou partie.

    Le Professeur Conte souligne que le lgislateur a donc franchi le pas consistant admettre que

    lunique rponse dune juridiction de jugement la commission dune infraction puisse tre

    lobligation den effacer les consquences, si bien que le coupable dune faute pnale nest

    pas trait autrement que lauteur dune simple faute civile32

    . Linstitutionnalisation dun tel

    dispositif se rvle dconcertant bien des gards 33

    . Il y a l une regrettable confusion

    entre la fonction rpressive et la fonction rparatrice.

    Nous pouvons galement relever la cration dun juge dlgu aux victimes (JUDEVI) par un

    dcret du 13 novembre 200734

    . Ce juge nintervient pas dans lexamen de laction civile mais

    exerce dautres fonctions destines faciliter lindemnisation des victimes. Il prside la

    Commission dindemnisation des victimes dinfractions35

    ; il peut intervenir pour transmettre

    au magistrat du sige ou du parquet la demande prsente par une victime dont laction

    publique a t traite dans le cadre dune mesure alternative aux poursuites36

    ; il vrifie les

    conditions dans lesquelles les parties civiles sont informes de leurs droits, participe

    llaboration et la mise en uvre de dispositifs daide aux victimes et tablit un rapport

    annuel sur lexercice de ses attributions37

    .

    Enfin, la loi n 2008-644 du 1er

    juillet 2008 a institu une aide au recouvrement des

    dommages-intrts la charge du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et

    28

    Article 132-59 du Code pnal. 29

    Article 132-45, 5 du Code pnal. 30

    Articles 132-60 et 132-63 du Code pnal instaurs par la loi du 11 juillet 1975. 31

    Articles 728-1 et D 325 du Code de procdure pnale. La part des revenus du dtenu affecte lindemnisation

    des parties civiles et cranciers daliments est dtermine selon les taux prvus par larticle D 320-1 du Code de

    procdure pnale (dont les dispositions ont remplac au 1er

    novembre 2004 celles de larticle D 113 qui a t

    abrog). 32

    Ph. Conte : La loi sur la prvention de la dlinquance (loi n 2007-297 du 5 mars 2007) : prsentation des dispositions de droit pnal, Dr. pn. mai 2007 tude 7 22. 33

    Ph. Salvage : Les peines de peine, Dr. pn. juin 2008 tude 9. 34

    Dcret n 2007-1605 du 13 novembre 2007, J.O. du 15 novembre 2007. 35

    Articles D 47-6-2 et D 47-6-3 du Code de procdure pnale. 36

    Articles D 47-6-4 D 47-6-11 du Code de procdure pnale. 37

    Articles D 47-6-12 D 47-6-14 du Code de procdure pnale.

  • 19

    autres infractions pour toutes les victimes qui ne peuvent pas bnficier dune indemnisation

    par la CIVI38

    .

    15. Outre ces mcanismes de procdure, le droit pnal spcial a galement t mis en

    uvre afin de garantir lindemnisation des victimes dinfractions. Ainsi, le dlit

    dorganisation frauduleuse dinsolvabilit a t cr par la loi du 8 juillet 1983 renforant la protection des victimes dinfractions 39. Antrieurement mais de manire indirecte, le dlit de fuite a contribu la protection des intrts des victimes : il incrimine en effet un dol

    spcial consistant pour lauteur tenter dchapper sa responsabilit pnale ou civile, ce qui vise limiter le risque pour la victime de ne pouvoir se retourner contre un responsable

    inconnu40

    .

    16. Dveloppement de laction civile devant le juge rpressif. Laction civile admise devant le juge rpressif par le Code dinstruction criminelle tait trs restreinte, car elle se

    limitait laction en responsabilit civile de la victime contre le prvenu et le civilement

    responsable sur le fondement des articles 1382 et suivants du Code civil. Cette action civile a

    par la suite connu un impressionnant dveloppement qui sest traduit par un largissement

    concernant la fois ses sujets et son objet et qui a conduit un renouvellement de lanalyse de

    sa nature.

    17. Sagissant de ses sujets, laction en indemnisation du dommage a t ouverte des

    personnes autres que la victime, le prvenu et le civilement responsable. En demande, laction

    civile nest plus rserve la victime. Outre les groupements et personnes morales habilits

    par la loi exercer les droits reconnus la victime, par drogation larticle 2 du Code de

    procdure pnale41

    , la jurisprudence a admis lexercice de laction civile par certaines

    personnes : assureur agricole, caisses de Scurit sociale, Etat, collectivits publiques et

    certains tablissements publics, ce alors quelle excluait strictement des personnes dans des

    situations similaires, comme lassureur subrog dans les droits de la victime42

    . De surcrot, la

    loi a expressment autoris laction de personnes subroges dans les droits de la victime,

    comme le Fonds dindemnisation des victimes dinfractions43

    et, depuis la loi du 8 juillet

    1983, lassureur lorsque le prvenu est poursuivi pour homicide ou blessures involontaires44

    .

    En dfense, peuvent dsormais intervenir laction civile le Fonds de garantie des assurances

    obligatoires de dommage45

    ou lassureur en cas de poursuites pour homicide ou blessures

    involontaires46

    . Ladmission de certaines de ces personnes est rvlatrice de lvolution de

    laction civile.

    18. Sagissant de son objet, laction civile na gure volu en ce sens quelle reste

    laction en indemnisation du dommage. Nous pouvons toutefois relever cet gard un

    recentrage de laction civile sur son caractre indemnitaire, si ce nest une viction du

    38

    Articles 706-15-1 et 706-15-2 du Code de procdure pnale et articles L 422-7 L 422-10 du Code des

    assurances. 39

    Article 404-1 de lancien Code pnal, articles 314-7 314-9 du Code pnal. 40

    Article 434-10 du Code pnal (article L 2 du Code de la route). 41

    Il sagit de syndicats professionnels, de diverses associations ou encore dinstitutions : cf. supra n 12 et infra n 356 et 374. 42

    Cf. infra n 373 et n 85 et s. 43

    Article 706-11 du Code de procdure pnale. 44

    Article 388-1 du Code de procdure pnale. 45

    Article L 421-5 du Code des assurances. 46

    Articles 388-1 388-3 du Code de procdure pnale.

  • 20

    caractre rpressif qui lui a t ou lui est encore reconnu47

    . Cela tant, laction civile a

    indniablement volu en ce qui concerne le fondement juridique de lindemnisation. Force

    est de constater que laction civile nest plus aujourdhui fonde uniquement sur les

    responsabilits civiles dlictuelle, quasi-dlictuelle ou du fait dautrui des articles 1382 et

    suivants du Code civil. En premier lieu, dautres fondements de responsabilit civile peuvent

    dsormais tre invoqus devant le juge rpressif : responsabilit sans faute telle que la

    responsabilit du fait des choses ou des animaux, responsabilit en cas daccident de la

    circulation (loi du 5 juillet 1985) ou responsabilit contractuelle48

    . En second lieu, la

    responsabilit civile nest plus le seul fondement envisageable de la demande de rparation du

    dommage prsente dans le cadre de laction civile : en particulier, la garantie dun assureur

    ou dun Fonds de garantie peut tre sollicite, bien quelle ne puisse en principe donner lieu

    une condamnation civile prononce par le juge rpressif mais une simple opposabilit de la

    dcision. Nous observons un recul de linfraction comme fondement de laction civile49

    , au

    profit de fondements purement civils parfois dconnects de la notion de faute.

    19. Laction civile a galement acquis une place accrue devant le juge rpressif lorsque ce

    dernier sest vu reconnatre la possibilit de statuer sur laction civile aprs relaxe du prvenu,

    dans les conditions de larticle 470-1 du Code de procdure pnale. Ces dispositions

    introduites par la loi du 8 juillet 1983, et dont la version en vigueur rsulte de la loi du 10

    juillet 2000, reprsentent un grand progrs car antrieurement, le juge rpressif ne pouvait

    statuer sur laction civile quaprs avoir reconnu le prvenu coupable. Elles autorisent en

    outre expressment le juge pnal accorder rparation en application des rgles du droit civil , ce qui a permis llargissement de lventail des fondements juridiques pouvant tre invoqus dans le cadre de laction civile. Il est de surcrot remarquable que laction civile se

    soit un peu plus dtache de laction publique, laquelle elle survit mme lorsque les

    poursuites se sont soldes par une relaxe. Le Professeur Bouloc a dailleurs voqu une

    action purement civile propos de laction en indemnisation dont le juge rpressif connat aprs relaxe

    50.

    20. De manire plus gnrale, un facteur de dveloppement de laction civile est la

    pnalisation croissante de lensemble des activits humaines. Lincrimination nouvelle de

    comportements ouvre la voie lexercice, devant le juge rpressif, de laction en

    indemnisation des dommages dcoulant de ces comportements, dont le juge pnal navait

    jusqualors pas connatre.

    Paralllement lacquisition par laction civile dune plus grande place dans le procs pnal,

    on a pu observer que lassureur occupait une place croissante dans laction en indemnisation.

    21. Place croissante de lassureur dans laction en indemnisation du dommage. Les contours de laction en indemnisation du dommage datent pour lessentiel du Code

    dinstruction criminelle, cest--dire du dbut du XIXme

    sicle. Laction en indemnisation

    tait elle-mme conue selon les dispositions de lalors rcent Code civil, dont les

    articles 1382 et suivants avaient mis en place un systme de responsabilit individuelle et

    47

    Sur la nature indemnitaire de laction civile, cf. la thse de Ph. Bonfils : Laction civile. Essai sur la nature juridique dune institution, P.U. Aix-Marseille 2000. Cf. infra n 437 et s. 48

    Toutefois, lexception de lapplication de la loi du 5 juillet 1985, la jurisprudence nadmet linvocation de

    lensemble des fondements de responsabilit civile que dans lhypothse dune demande forme dans le cadre de

    la prorogation de comptence de larticle 470-1 du Code de procdure pnale. Cf. infra n 1158 et s. 49

    Ph. Bonfils, th. prc. p. 317 et s. 50

    B. Bouloc : Chronique lgislative : loi n 83-608 du 8 juillet 1983, RSC 1984 p. 117.

  • 21

    subjective51

    . A cette poque, lassurance ntait pas dveloppe de manire significative. En

    particulier, lassurance de responsabilit ntait pas considre comme licite car il apparaissait

    contraire lordre public de garantir les consquences dune faute52

    . Or, le systme de

    responsabilit sest avr insuffisant face la rvolution industrielle . A propos de

    linfluence de la rvolution industrielle sur lvolution de la responsabilit civile, le

    Professeur Genevive Viney note que paralllement la multiplication soudaine des accidents

    qui a mis en lumire les insuffisances du systme de responsabilit individuelle et subjective

    conu par les rdacteurs du Code civil, le dveloppement de lassurance bouleversa lquilibre

    interne du systme traditionnel de la responsabilit civile en ouvrant la voie la

    collectivisation des risques, cependant que le progrs des proccupations galitaires, du souci

    de la scurit et du bien-tre matriel dans un contexte denrichissement gnral incitait

    crer des mcanismes dindemnisation nouveaux destins prendre en charge certains risques

    dits sociaux 53

    .

    Il apparat donc que lassurance sest dveloppe pour rpondre un besoin dindemnisation.

    Lassurance de responsabilit civile, garantissant la solvabilit du responsable et dont la

    validit a t admise depuis un arrt rendu par la Cour dappel de Paris en 184554

    , a

    accompagn une mutation de la responsabilit civile. Lassurance directe de choses ou de

    personnes a contribu favoriser lindemnisation des victimes assures. Un parallle peut

    dailleurs tre fait entre lassurance et dautres mcanismes de socialisation du risque. Cette

    volution a conduit une participation croissante de lassureur laction en indemnisation

    intente devant le juge civil, dont il est devenu un acteur essentiel.

    22. Recherche de lindemnisation et dveloppement des assurances. On a pu observer de manire gnrale que lurbanisation et lindustrialisation dune part, le dclin de la solidarit

    familiale dautre part, favorisrent lessor remarquable des compagnies dassurances et des

    mutuelles au cours du XIXme

    sicle55

    . Lindustrialisation et la mcanisation ont conduit une

    multiplication des accidents, notamment des accidents du travail et des accidents de

    transports. Face cette multiplication des risques et des dommages, se sont dveloppes dans

    la socit une aversion au risque et une recherche systmatique dune indemnisation.

    Lassurance permettant de rpondre ces besoins de matrise des risques et de garantie dune

    indemnisation, il nest pas tonnant que le XIXme

    sicle ait t pour elle la priode de lessor.

    Le dveloppement du secteur de lassurance fut tel quil apparut ncessaire de lgifrer afin

    de rglementer la matire du droit des assurances, et notamment du contrat dassurance, qui se

    distinguait dsormais du droit civil commun des obligations. Le Code civil ne mentionne en

    effet le contrat dassurance quen son article 1964, pour le ranger au nombre des contrats

    alatoires. Cest dans ces conditions que fut vote la loi du 13 juillet 1930 sur le contrat

    dassurance. Encore faut-il prciser que la France tait en retard par rapport dautres pays

    europens qui staient dj dots dune loi gnrale sur le contrat dassurance, tels la

    51

    Ces dispositions du Code civil devaient servir de rfrentiel au juge rpressif statuant sur laction civile, ainsi

    que le prvoyait larticle 74, devenu article 69 de lancien Code pnal. 52

    La licit de lassurance de responsabilit na t admise quen 1845, avec laffaire de lAutomdon : Paris 1er

    juillet 1845, D 1845, 2, p. 126. Encore faut-il relever quelle a alors t subordonne lexclusion des fautes

    intentionnelles et labsence denrichissement de lassur qui, au surplus, doit demeurer expos aux sanctions

    pnales dues son comportement. J. Kullmann : Lamy Assurances 2009, n 171. 53

    G. Viney : Introduction la responsabilit, in Trait de Droit civil, sous la direction de J. Ghestin, LGDJ 3

    me d. 2008, n 17.

    54 Paris 1

    er juillet 1845, D 1845, 2, p. 126 (affaire de lAutomdon).

    55 Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur : Droit des assurances, Dalloz 12me d. 2005, n 9 ; M. Picard et

    A. Besson : Les assurances terrestres en droit franais, t. 1 : Le contrat d'assurance, 5me d. LGDJ 1982, n 2 p. 4.

  • 22

    Belgique en 1874 et la Suisse et lAllemagne en 190856

    . La loi du 13 juillet 1930 est le socle

    du Code des assurances qui fut cr en juillet 197657

    .

    Plusieurs types dassurances ont bnfici de ce dveloppement. Il en va ainsi des assurances

    directes de nature procurer la victime assure une indemnisation immdiate, comme les

    assurances de choses ou les assurances de personnes prestations de caractre indemnitaire.

    Cest galement le cas de lassurance de responsabilit qui, outre quelle permet lassur de

    garantir le risque de devoir faire face une responsabilit crasante, constitue galement une

    garantie de lindemnisation de la victime, notamment face au risque dinsolvabilit du

    responsable. Il a t affirm avec force que lassurance de responsabilit tait une garantie de la crance de la victime 58. Lassureur peut tre un garant de lindemnisation de la victime deux gards : lassureur de responsabilit est garant au bnfice de la victime, et lassureur

    de choses ou de personnes de la victime est garant au bnfice de son assur59

    .

    23. Assurance de responsabilit civile et volution de la responsabilit civile. Le dveloppement de lassurance de responsabilit civile en vue de garantir lindemnisation des

    dommages entretient des rapports troits avec lvolution de la responsabilit observe au

    XIXme

    sicle et qui sest poursuivie au XXme

    sicle. Le Professeur Viney dmontre que

    lassurance de responsabilit a certainement t la cause essentielle de lessor prodigieux qua connu la responsabilit civile entre les annes 1880 et la priode actuelle 60 et que cette extraordinaire inflation de la responsabilit civile ne sest en effet ralise quau prix dune transformation profonde qui a en ralit compltement dfigur linstitution imagine par les rdacteurs du Code civil 61. Cette institution correspondait une responsabilit individuelle et subjective. Or, la ncessit de dmontrer une faute pour caractriser la

    responsabilit constitue pour la victime un frein lobtention dune indemnisation de la part

    de lauteur du dommage. Cependant, lvolution vers une responsabilit objective entranant

    une reconnaissance plus facile de la responsabilit ne pouvait tre admise si elle devait

    conduire craser les responsables sous la charge de lindemnisation, ce qui naidait

    dailleurs pas la victime se heurtant alors linsolvabilit de la personne reconnue

    responsable. Cest lassurance de responsabilit qui a permis lextension de la responsabilit

    civile en rpartissant sur une mutualit la charge dune indemnisation que les seuls

    responsables auraient t dans lincapacit dassumer. Le responsable sefface derrire

    lassureur dans la position de dbiteur de lindemnit62

    . Naturellement, ce phnomne sest

    traduit en procdure par la mise en cause de lassureur du responsable, au ct de ce dernier

    ou mme hors sa prsence car la victime peut exercer une action directe contre lassureur de

    responsabilit sans mettre en cause lassur responsable.

    24. Le rle de lassurance de responsabilit dans lindemnisation des victimes a t

    consacr par le dveloppement des assurances obligatoires de responsabilit. Alors que la

    libert contractuelle a t un postulat du libralisme du XIXme

    sicle, les obligations dassurance constituent sans doute lune des caractristiques actuelles les plus frappantes du

    56

    J. Bigot et alii : op. cit. t. 3, n 296. 57

    Dcrets n 76-666 et 76-667 et arrt du 16 juillet 1976, J.O. 21 juillet. 58

    Y. Lambert-Faivre : Le sinistre en assurance de responsabilit et la garantie de lindemnisation des victimes, RGAT 1987 p. 193 ; Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur : Droit des assurances, Dalloz 12me d. 2005, n 631. 59

    L. Mayaux : Lassureur est-il un garant ?, Mlanges Lambert, Dalloz 2002 p. 281. 60

    G. Viney : op. cit., n 20. 61

    G. Viney : op. cit., n 21 et s. ; B. S. Markesinis : La perversion des notions de responsabilit civile dlictuelle par la pratique de lassurance, RIDC 1983 p. 301. 62

    G. Viney : op. cit., n 26.

  • 23

    droit moderne de lassurance 63. Ces obligations dassurances se sont dveloppes en France durant la seconde moiti du XX

    me sicle, la premire avoir un vritable impact sur le public

    tant la loi du 27 fvrier 1958 instituant lobligation dassurance en matire de circulation de

    vhicules terrestres moteur64

    .

    25. Assurance directe de choses ou de personnes et indemnisation des victimes. Plutt que devoir rechercher lindemnisation de son dommage auprs dun responsable et de son

    assureur65

    , la victime peut prfrer garantir son indemnisation en souscrivant elle-mme une

    assurance directe : assurance de choses pour les risques datteintes ses biens et assurances de

    personnes pour les risques datteintes son intgrit corporelle. Lassurance directe constitue

    un moyen commode dobtenir une indemnisation rapide, indpendamment de la mise en jeu et

    mme de lexistence de la responsabilit dun tiers. Lassureur indemnise son assur victime

    partir du moment o les conditions de garantie sont remplies, charge pour lui dexercer les

    ventuels recours contre les responsables et leurs assureurs66

    . La victime est ainsi la fois

    indemnise et libre du poids de laction en responsabilit. Ceci explique quelle se soit

    dveloppe pour rpondre au besoin de scurit qui na cess de crotre. Cette volution a t

    reconnue par les pouvoirs publics et comme pour les assurances de responsabilit, on a pu

    observer une multiplication des assurances directes obligatoires. Ainsi, lassurance directe

    obligatoire a t lorigine du systme des assurances sociales et de la Scurit

    sociale 67

    . Lassurance obligatoire peut se traduire soit par la souscription obligatoire dune

    assurance68

    , soit par ladjonction obligatoire dune garantie une assurance souscrite

    librement69

    . En outre, les assurances directes non obligatoires continuent aussi prolifrer.

    26. Ce dveloppement de lassurance directe a galement eu une incidence sur lvolution

    de laction en indemnisation. Cette incidence est en particulier due au recours subrogatoire

    que lassureur de la victime qui a indemnis cette dernire peut exercer contre le responsable

    (et son assureur). En premier lieu, lassurance directe de la victime a une incidence sur

    lapprciation de la responsabilit civile et soppose alors lassurance de responsabilit

    civile. Alors que lassurance de responsabilit favorise lextension de cette responsabilit,

    lassurance directe peut conduire les juges nadmettre la responsabilit que de manire

    restrictive, afin de ne pas modifier lquilibre conomique tabli en matire de charge de

    63

    Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur : op. cit., n 20. 64

    Lobligation dassurance de responsabilit en ce domaine a permis lavnement, avec la loi du 5 juillet 1985,

    de la responsabilit objective du conducteur et du gardien du vhicule impliqu, le conducteur et le gardien ayant

    par ailleurs obligatoirement la qualit dassur (article L 211-1 du Code des assurances). Un lien similaire existe

    entre la responsabilit objective dcoulant de la prsomption de responsabilit du constructeur et lassurance

    obligatoire de la responsabilit civile dcennale, instaures par la loi du 4 janvier 1978 (article L 241-1 du Code

    des assurances).

    En Belgique galement, la rforme du rgime de responsabilit civile en matire daccidents automobiles et

    lassurance obligatoire sont lies. Cf. R. Piret : La loi belge du 1er juillet 1956 sur lassurance obligatoire de la responsabilit civile en matire de vhicules automoteurs, RTD Com. 1956 p. 623 (spc. n 2). 65

    Ce qui suppose dune part quil y ait un responsable et dautre part que celui-ci soit bien assur 66

    Ce qui suppose toutefois que lassurance stipule le versement de prestations indemnitaires permettant une

    subrogation. 67

    G. Viney : op. cit., n 28-1 et 28-4. 68

    Par exemple lassurance dommage ouvrage que doit souscrire le matre de louvrage (article L 242-1 du Code

    des assurances). 69

    Par exemple la garantie des risques de catastrophes naturelles qui doit tre ajoute aux contrats garantissant les

    dommages dincendie ou tous autres dommages des biens situs en France (articles L 125-1 et s. du Code des

    assurances), ou encore la garantie des risques de catastrophes technologiques (articles L 128-1 et s. du Code des

    assurances).

  • 24

    lindemnisation70

    . En second lieu, le recours subrogatoire a modifi la physionomie de

    laction en indemnisation car lassureur subrog peut exercer cette action, en lieu et place de

    la victime sil la intgralement indemnise, et au ct de la victime sil ne la indemnise que

    partiellement.

    27. Assurance et socialisation du risque. La mutualisation des risques par lassurance sest dveloppe conjointement dautres moyens de socialisation de certains risques destins

    fournir lindemnisation de dommages71

    . Alors que lindemnisation des dommages reposait sur

    la responsabilit civile individuelle et subjective dans les Codes napoloniens, la

    jurisprudence a franchi une premire tape dans la socialisation directe des risques en

    admettant la responsabilit directe des personnes morales72

    . Il aura fallu attendre le Code

    pnal de 1992 pour que la responsabilit pnale des personnes morales soit admise ct de

    la responsabilit pnale des individus.

    28. Dautres mcanismes sont proches de lassurance et relvent dune philosophie

    voisine73

    . Ainsi, lassurance directe de personnes ou de choses qui stait dveloppe

    spontanment a t rendue obligatoire par le lgislateur dans certains domaines, pour donner

    naissance aux assurances sociales . Ces dernires ont abouti la mise en place de la

    Scurit sociale en 1945, cette dernire pouvant tre considre comme une vritable nationalisation de lassurance en matire de maladie, maternit, invalidit, vieillesse, dcs, lobligation dassurance y tant aggrave dun monopole des organismes 74. Toutefois, la Scurit sociale se distingue de lassurance par son caractre universel et surtout par le

    mcanisme de solidarit qui lui est propre ; en outre, elle intervient sur des risques

    techniquement mal assurables75

    . Comme lassureur de personnes, une caisse de Scurit

    sociale peut exercer un recours subrogatoire contre les responsables en lieu et place de la

    victime laquelle elle a vers certaines prestations.

    29. Les fonds de garantie ou fonds dindemnisation sont un autre mcanisme de prise en

    charge des risques sociaux76

    . Ils sapparentent la prise en charge de certains risques par

    lEtat, ceci prs que ce nest pas lEtat mais le fonds qui assure lindemnisation. Ces fonds

    se distinguent en particulier des assurances par leur domaine dintervention, qui est souvent

    complmentaire et subsidiaire : ainsi le Fonds de garantie des assurances obligatoires de

    dommages intervient en labsence de garantie par une assurance de responsabilit77

    . Dautres

    fonds interviennent sur des risques techniquement impossibles assurer, par exemple le

    Fonds de garantie des calamits agricoles. Les fonds de garantie ne sont pas financs par des

    primes calcules en contrepartie du risque reprsent par chaque ventuel bnficiaire.

    Parfois, le fonds peut tre financ par des prlvements oprs autoritairement au dtriment

    des titulaires de certains contrats dassurance qui nont pas de rapport direct avec le risque

    70

    B. S. Markesinis : La perversion des notions de responsabilit civile dlictuelle par la pratique de lassurance, RIDC 1983 p. 306. 71

    M. Picard et A. Besson, op. cit. t. 1, n 3. b., p. 6 et s. 72

    G. Viney : op. cit., n 28. 73

    H. Cousy : La fin de lassurance ? Considrations sur le domaine propre de lassurance prive et ses frontires, Mlanges Lambert, Dalloz 2002 p. 111, spc. n 13 s ; J. Moret-Bailly : Assurance, assurance-maladie et Etat : qui doit payer pour les fautes de mdecins ?, RCA 2004 Alertes 11. 74

    Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur : op. cit. n 21. 75

    Id. 76

    Sur des perspectives darticulation de lassurance et des fonds de garanties afin dassurer lindemnisation des

    victimes, voir par exemple G. Viney, op. cit. n 44 et s. et 61 et s. ; L. Mayaux : Lassureur est-il un garant ?, Mlanges Lambert, Dalloz 2002 p. 281, n 45. 77

    Lorsque le responsable des dommages est inconnu, lorsquil nest pas assur, ou lorque lassureur du

    responsable est totalement ou partiellement insolvable (article L 421-1 du Code des assurances).

  • 25

    pris en charge par le fonds, comme cest le cas pour le risque de terrorisme78

    , ce qui est

    contestable79

    .

    30. Participation de lassureur laction en indemnisation devant le juge civil. Lassurance a donc acquis, avec dautres mcanismes de socialisation du risque, une place

    importante et parfois incontournable dans lindemnisation des victimes, en particulier dans les

    domaines o lassurance est obligatoire. Les chiffres tmoignent de limportance quoccupe

    dsormais lassurance dans lindemnisation des dommages, et plus gnralement dans

    lconomie et dans la socit. Les statistiques de la Fdration franaise des socits

    dassurance (FFSA), qui regroupe 254 entreprises reprsentant 90 % du march franais de

    lassurance, sont loquentes. En 2008, ces entreprises employaient 216 000 personnes et ont

    ralis un chiffre daffaires directes de 183,3 milliards deuros. Les actifs grs par ces

    socits dassurances reprsentaient 1 409,4 milliards deuros et les sommes attribues aux

    assurs 154,8 milliards deuros (dont 123,6 milliards pour les assurances de personnes et

    31,2 milliards pour les assurances de biens et de responsabilit)80

    .

    Cette importance de lassureur dans lindemnisation des dommages na pas manqu de se

    traduire par une place non moins importante, voire incontournable, de lassureur dans laction

    en indemnisation. Cette place est en tout cas consacre dans le cadre du procs civil, dont

    lassureur est devenu un acteur majeur. Il est dsormais parfaitement admis que lassureur du

    responsable puisse tre appel en la cause par son assur ou par la victime exerant laction

    directe, que lassureur de la victime puisse tre attrait par cette dernire devant le juge pour

    solliciter sa garantie, et mme que lassureur de la victime, subrog dans les droits de cette

    dernire aprs lavoir indemnise, puisse exercer son recours subrogatoire devant le juge civil.

    31. Cette participation de lassureur laction en indemnisation nest quun lment de

    lvolution de cette action. Celle-ci sest galement ouverte dautres acteurs de la

    socialisation du risque tels que certains fonds de garantie ou dindemnisation de dommages,

    intervenant comme garants, ou la Scurit sociale exerant son recours subrogatoire. En outre,

    les fondements de laction en indemnisation se sont diversifis car la victime ne recherche

    plus seulement tablir une crance fonde sur la responsabilit civile, mais fait galement

    valoir des droits fonds sur des garanties lgales ou contractuelles, dont la garantie

    dassurance nest quun aspect. La victime peut ainsi fonder son action sur une garantie

    contractuelle dassurance contre son assureur de choses ou de personnes, sur un droit

    autonome fondant laction directe contre lassureur du responsable, sur une obligation lgale

    dindemnisation contre un fonds de garantie

    Dans la mesure o laction civile exerce devant le juge rpressif est laction en

    indemnisation du dommage caus par linfraction, il tait lgitime de se demander si cette

    action civile ne devait pas connatre une volution similaire celle de laction en

    indemnisation porte devant le juge civil.

    32. Question de la participation de lassureur laction civile exerce devant le juge rpressif. Le rle acquis par lassureur dans lindemnisation devait forcment conduire voquer la question de sa participation laction en indemnisation porte devant le juge pnal.

    Cette question tait devenue incontournable dans la premire moiti du XXme

    sicle. En

    1965, dans son article prconisant ladmission de lintervention de lassureur au procs pnal,

    78

    Articles L 422-1 et R 422-4 du Code des assurances. 79

    G. Viney, op. cit. n 28-3. 80

    FFSA : Lassurance franaise en 2008, rapport annuel, disponible sur le site www.ffsa.fr, rubrique lassurance franaise .

  • 26

    Monsieur Chesn relevait le remarquable essor de lindustrie de lassurance depuis plusieurs

    dcennies et laccroissement continu du nombre des instances pnales intressant les

    assureurs81

    . En particulier, il constatait laccroissement spectaculaire du parc automobile

    franais82

    avec deux consquences : dune part un accroissement corrlatif des assurances de

    responsabilit des vhicules moteur, rendues obligatoires par la loi du 27 fvrier 1958, et

    dautre part une constante progression des accidents du roulage occasionnant des dommages

    corporels aux tiers. Nous pouvons relever que de nos jours, les accidents de la circulation sont

    lorigine de la majeure partie des condamnations prononces par les juridictions rpressives

    franaises pour homicides ou violences involontaires : sur les 13 117 dcisions de

    condamnation rendues en 2007 sous ces qualifications, 11 313 concernaient des faits commis

    par des conducteurs de vhicules83

    . Or, outre la circulation automobile, lassureur est

    dsormais impliqu dans lindemnisation des dommages rsultant de nombreuses activits,

    pour ne pas dire de la plupart des activits humaines. Ceci explique limportance des sommes

    verses par les assureur pour lindemnisation des dommages, que nous avons voque84

    . Les

    particuliers, les professionnels, les associations, les personnes publiques souscrivent des

    contrats dassurance afin de garantir leurs activits quotidiennes, professionnelles ou de

    loisirs, et plus prcisment les dommages quils peuvent subir ou occasionner loccasion de

    ces activits. En considration de cette quasi-omniprsence des assurances, il nest pas

    tonnant que la question de lintervention de lassureur au procs pnal se pose

    immanquablement lorsque laction en indemnisation des dommages relve de la comptence

    du juge rpressif.

    33. Il chet ici de rappeler que lintervention de lassureur au procs pnal signifie en

    ralit ni plus ni moins quune participation de lassureur laction civile, qui est laction en

    indemnisation du dommage dcoulant des faits pnalement poursuivis. Dans ces conditions, le

    double constat de lvolution de la physionomie de laction en indemnisation et de la

    comptence du juge rpressif lgard de laction civile conduit se poser la question dune

    volution de laction civile.

    En effet, les deux mouvements observs sagissant de laction civile peuvent tre les

    prmisses dun raisonnement syllogistique. La majeure est la place croissante de laction

    civile devant le juge pnal, ou tout le moins la reconnaissance de la comptence du juge

    rpressif lgard de laction civile. La mineure est la place acquise par lassureur dans

    laction en indemnisation. La conclusion logique du syllogisme est daccorder lassureur

    une place dans laction civile exerce devant le juge rpressif. En dautres termes, lvolution

    gnrale de laction en indemnisation nimplique-t-elle pas une volution de laction civile

    exerce devant le juge rpressif par rapport la conception hrite du Code dinstruction

    criminelle ? Cette volution comporterait notamment ladmission de lintervention de

    lassureur au procs pnal, plus prcisment laction civile, de la mme manire que

    lassureur peut intervenir laction exerce devant le juge civil. Ceci pose les termes du dbat

    sur lintervention de lassureur au procs pnal.

    34. Dbat sur lintervention de lassureur : principe de ladmission et rgime de lintervention. Le problme de lintervention de lassureur au procs pnal se traduit par deux questions successives. La premire question est celle du principe de lintervention, cest--

    81

    G. Chesn : L'assureur et le procs pnal, RSC 1965 pp. 290-291. 82

    Ce parc tait pass de 4 700 000 vhicules en 1952 environ 14 351 000 vhicules en 1960. 83

    Selon les statistiques du ministre de la Justice : http://www.justice.gouv.fr. Cette proportion tend rester

    stable. Cf. les statistiques de ces dernires annes, infra n 859. 84

    Cf. supra n 30.

  • 27

    dire de ladmission ou du rejet de la participation de lassureur laction civile. La seconde

    question est celle du rgime de cette intervention.

    La question de ladmission de lintervention ou de son rejet est de loin la plus importante. Il

    sagit en effet dune question de principe, et de la rponse apporte dcoule galement la

    rponse la question du rgime. Le rejet de lintervention de lassureur au procs pnal rend

    sans objet la question du rgime de cette intervention. En revanche, ladmission de

    lintervention porte en elle-mme la dfinition de son rgime. Ladmission de lintervention

    de lassureur au procs pnal correspond en effet une certaine conception de laction civile,

    selon laquelle laction civile exerce devant le juge rpressif est la mme que laction en

    indemnisation porte devant le juge civil. Il rsulte de cette conception que le rgime de

    laction civile doit correspondre une application devant le juge rpressif du rgime gnral

    de laction en indemnisation, avec les adaptations ventuellement ncessites par la

    comptence du juge rpressif en matire civile et les rgles de la procdure pnale. Il rsulte

    galement de cette conception de laction civile que lintervention de lassureur doit tre

    admise devant le juge rpressif dans des conditions similaires celles de son intervention

    devant le juge civil.

    Sur la base des dispositions lgales rgissant laction civile, en particulier le Code

    dinstruction criminelle puis le Code de procdure pnale, la jurisprudence a fermement

    rpondu de manire ngative la question de ladmission de lintervention de lassureur. Pour

    remdier cette solution dont lopportunit tait discutable et discute, le lgislateur a

    instaur lintervention de lassureur au procs pnal par la loi du 8 juillet 1983 qui a intgr en

    ce sens des dispositions dans le Code de procdure pnale. Mais cette intervention nest

    admise que de manire limite et selon un rgime restrictif.

    35. Principe prtorien du rejet de lintervention de lassureur laction civile devant le juge rpressif. En consquence du dveloppement du rle de lassureur dans lindemnisation des dommages des victimes, et donc des victimes dinfractions, les juridictions rpressives ont

    t saisies, dans le cadre de laction en indemnisation des dommages dcoulant de

    linfraction, de demandes dinterventions volontaires ou forces dassureurs. Le phnomne a

    pris une ampleur telle dans la premire moiti du XXme

    sicle que la Cour de cassation a t

    conduite se prononcer. Aprs quelques dcisions rendues dans les annes 1930, la Chambre

    criminelle a confirm sa position ferme de rejet de lintervention de lassureur dans les annes

    1950. Cette jurisprudence, fixe sous lempire du Code dinstruction criminelle, na pas connu

    dvolution avec le Code de procdure pnale de 1958.

    36. Quil sagisse de lintervention force de lassureur susceptible de garantir le

    dommage ou de lintervention volontaire de lassureur subrog dans les droits de la victime

    aprs lavoir indemnise, le rejet de lintervention rvle un refus de voir laction civile suivre

    lvolution de laction en indemnisation. A cet gard, lexclusion de lassureur se situe dans

    un contexte jurisprudentiel plus gnral de refus, dans les annes 1950 1970, dadmettre la

    participation laction civile de personnes autres que la victime, le prvenu et le civilement

    responsable. Lhostilit de la jurisprudence nest lpoque pas dirige exclusivement contre

    les assureurs, et vise galement les groupements et associations.

    Le rejet de lintervention de lassureur fait cho aux deux arguments les plus frquemment

    avancs contre lintervention de lassureur au procs pnal. Le premier argument est que

    ladmission de lassureur ferait prendre beaucoup trop de place aux dbats sur les intrts

    civils dans le procs pnal, au dtriment du jugement de laction publique. La crainte

    exprime est que laction civile perde son caractre accessoire par rapport laction publique,

    ou plutt que laction publique perde sa place prpondrante. Le second argument est la

    crainte dune interfrence de lassureur dans le jugement de laction publique, et mme dune

  • 28

    concurrence de lassureur, partie puissante et prive, avec le ministre public, dpositaire de

    lintrt gnral et partie en charge de laction publique. Ces arguments ne sont pas sans

    rappeler ceux opposs contre lintervention des groupements et associations laction civile.

    Comme la jurisprudence excluant lassureur du procs pnal nest pas dnue de fondement

    lgal, il aura fallu une modification du Code de procdure pnale pour inflchir le principe

    dexclusion de lassureur.

    37. Admission limite de lintervention de lassureur au procs pnal par la loi du 8 juillet 1983. Aprs son affirmation ferme par la jurisprudence dans les annes 1950, le principe de lexclusion de lassureur a rapidement suscit des critiques doctrinales, ds les annes 1960.

    Des praticiens de lassurance ont aliment ces critiques, ce qui explique en partie que laccent

    ait t mis sur les arguments dordre pratique concernant les inconvnients de lexclusion et

    les avantages de lintervention de lassureur, qui constituent les deux faces dune mme

    mdaille.

    Lexclusion prive la victime de la possibilit dexercer son recours contre lassureur devant le

    juge rpressif. La victime est donc contrainte dintenter un second procs devant le juge civil,

    ce qui est source de complication procdurale. Ladmission de lintervention de lassureur

    permet au contraire un examen de lensemble des questions de rparation dans le cadre de

    laction civile exerce devant le juge rpressif, ce qui est une simplification du contentieux,

    source dconomies de temps et de moyens. Cet avantage ne bnficie pas seulement la

    victime, mais galement aux autres acteurs du procs pnal (en ce inclus lassureur admis

    intervenir) ainsi qu linstitution judiciaire.

    Ladmission de lintervention permet lassureur de dfendre ses intrts devant le juge

    rpressif, dont la dcision a une influence directe sur la situation de lassureur. Lintervention

    permet galement dviter le recours des procds dintervention occulte tels que la clause

    de direction de procs, qui est de surcrot un mcanisme mal adapte au procs devant le juge

    pnal. En rsum, ladmission de la prsence de lassureur permet de clarifier les dbats

    devant le juge rpressif, lassureur pouvant intervenir ou tre mis en cause et dfendre ses

    positions au vu et au su de tous.

    38. Cest dans ces conditions que le lgislateur est intervenu pour instituer une

    intervention de lassureur au procs pnal par certaines dispositions de la loi du 8 juillet 1983

    intgres dans le Code de procdure pnale85

    . Toutefois, si ces dispositions de la loi de 1983

    renforant la protection des victimes dinfraction ont constitu un indniable progrs, elles ont pu dcevoir et leur qualit a t remise en cause. Le rgime actuel de lintervention

    de lassureur, qui dcoule des dispositions de cette loi, encourt les mmes critiques. Nous

    pouvons donc nous interroger sur la manire dont le droit positif a rsolu la question de

    lintervention de lassureur laction civile exerce devant le juge rpressif. Face un

    principe de rejet de cette intervention aussi fermement tabli par la jurisprudence que son

    opportunit est discutable, le lgislateur na institu quune intervention de lassureur limite,

    tant dans son champ dapplication que dans son objet et ses effets. Les solutions du droit

    positif sont instructives et prtent discussion en ce qui concerne non seulement la question

    du principe de ladmission ou du rejet de lintervention, mais galement la dtermination de

    son rgime lorsquelle est admise.

    39. Plan. Critique du droit positif : principe de ladmission et rgime de lintervention. Ainsi quon ne le soulignera jamais assez, le problme de lintervention de lassureur nest

    85

    Loi n 83-608 du 8 juillet 1983 : J.O. 9 juillet 1983, p. 2185 ; D 1983 lg. p. 351, Gaz. pal. 1983.2, lg. p. 513,

    RGAT 1983 p. 400. Les articles 6 11 de la loi ont insr dans le Code pnal des articles 388-1 388-3 et 385-1

    et 385-2, et ont modifi les articles 497, 509, 515 et 533 du mme Code.

  • 29

    quun aspect de laction civile exerce devant le juge rpressif. Au risque de paraphraser les

    propos dAlain cits en dbut de la prsente tude, nous pouvons dire que la solution du

    problme de lintervention de lassureur au procs pnal nest autre chose que le problme

    bien clair par un nonc renvoyant lexercice de laction civile devant le juge rpressif.

    Force est de constater que le principe dexclusion de lassureur, fermement pos par la

    jurisprudence en application du Code de procdure pnale, correspond la conception de

    laction civile qui prvaut en droit positif. La question de lventuelle admission de

    lintervention de lassureur au procs pnal implique donc de rechercher une solution par une

    tude de laction civile et dune ventuelle rforme de cette dernire. Il apparat en effet que

    ladmission de lintervention tant contraire la conception de laction civile en vigueur, elle

    suppose une modification de cette conception. A dfaut, lexclusion de lassureur simpose.

    Telle nest toutefois pas la voie qui a t suivie par le lgislateur lors de llaboration de la loi

    du 8 juillet 1983. Il na pas modifi la conception de laction civile dominant le droit positif et

    a donc instaur lintervention de lassureur comme une drogation cette conception. Ceci

    explique que lintervention de lassureur ne soit admise que de manire limite en droit

    positif. Ceci explique galement les insuffisances du rgime de lintervention de lassureur au

    procs pnal sagissant de sa mise en uvre. Ces insuffisances dcoulent en effet directement

    de la manire dont il a t rpondu la question de ladmission de lintervention de lassureur.

    Nous pourrons donc aborder successivement et de manire critique lvolution de lexclusion

    de lassureur vers ladmission de son intervention laction civile exerce devant le juge

    rpressif (I), puis la mise en uvre de cette intervention (II).

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    PREMIERE PARTIE

    DE LEXCLUSION DE LASSUREUR A

    LADMISSION DE SON INTERVENTION

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  • 33

    40. La question de ladmission de lintervention de lassureur devant le juge rpressif

    aurait pu rester quelque peu abstraite si cette intervention navait pas t introduite en droit

    franais par la loi du 8 juillet 1983. Cette loi vient en effet imposer une admission restrictive

    de lintervention de lassureur face un principe dexclusion antrieurement affirm avec

    force par la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation. Ainsi, le point de

    dpart de lvolution du droit positif concernant lintervention de lassureur au procs pnal

    apparat tre une exclusion fermement affirme.

    41. Cest dabord historiquement que lexclusion de lassureur est le point de dpart de

    lvolution du droit positif vers une admission limite : le principe de lexclusion a prcd

    ladmission. Lorsque la Cour de cassation a eu se prononcer sur le problme devenu

    pressant de lintervention de lassureur au procs pnal, cest pour le rejet quelle sest

    prononce, sa position ayant t nettement affirme par une srie de dcisions rendues dans

    les annes 1950. Ladmission a t introduite une trentaine dannes plus tard par le

    lgislateur. En outre, le contexte de lexclusion catgorique de lassureur a nourri la rflexion

    qui a abouti ladoption de la loi consacrant son intervention au procs pnal.

    42. Cest ensuite juridiquement que lexclusion de lassureur est le point de dpart d