Liberté, égalité, fraternité - André Glucksmann

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    AndrGlucksmAnn

    LibErT,GaLiT,FraTErniT

    mai 2011

    www.fondapol.org

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    www.fodapo.org

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    LIBERT, GALIT, FRATERNIT

    Adr GlucksmAnn

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    la Fodatio por iovatio poitiqe

    et thi ta ibra, progreite et erope.

    Pridet : nioa Bazire

    Vie-pridet : chare Beigbeder

    Direter gra : Doiiqe Reyi

    la Fodapo pbie a prete ote da e adre de e travax r

    les valeurs.

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    Je me demande si on ne peut pas envisager la modernit plutt

    comme une attitude que comme une priode de lhistoire un peu, sans

    doute, comme ce que les Grecs appelaient un thos.

    Michel Foucault, Quest-ce que les Lumires ?, 1984.

    LEspRIT du TE mps sE pR TE Au dcLINIsmE

    Tout va de mal en pis dans lUnion europenne et plus que partout en

    notre douce France. Les statistiques saccumulent, les sondages conr-

    ment, les conomistes dressent de sombres bilans, les cologistes non-

    cent des risques apocalyptiques, les politiques regrettent un pass sup-pos glorieux, dplorent le prsent et craignent lavenir, la dmographie

    du Vieux Continent est en berne (sau en France), donc lEst comme au

    Sud, linvasion menace, nous survivons dans une orteresse assige Je

    nen crois rien.

    LIBERT, GALIT, FRATERNIT

    Anr GLucksmANNPhioophe

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    Le citoyen ranais, nous dit-on, est le plus dprim de la plante, son

    taux de pessimisme dpasse celui des aams du tiers-monde, ce qui

    laisse mal augurer de son bon sens : log, nourri, retrait, il a beau pro-

    ter dune vie deux ois plus longue, le voil dix ois plus malheureux !

    Cette aimable hypocrisie est conrme par le dtail des enqutes, quandles sonds en majorit savouent relativement satisaits de leur sort per-

    sonnel, mais irrductiblement inquiets quant un destin collecti. Autant

    dire que le Franais est moins matriellement que moralement dait.

    Le dclinisme ambiant rvle un accablement mental. Sont en jeu,

    non pas les risques et dicults de lexistence, mais bien notre suppose

    incapacit les surmonter. Une ois de plus, lEurope na pas le moral etsafige du vide des valeurs que dnonait Hugo von Homannsthal

    dans lAutriche de la Belle poque. Je minscris en aux contre ce catas-

    trophisme trs partag. Face aux anatismes religieux ou politiques,

    nous ne sommes aucunement dmunis ; loin dtre oensis, ils ne sont

    que ractis, uites chaotiques devant les assauts dune modernit qui se

    mondialise.

    Libert de parole et dinormation, galit entre citoyens et entre sexes,raternit qui spare convictions religieuses et solidarit proane, ces

    revendications, sources de problmes et dembarras, impliquent avant

    tout des choix et des valeurs. Rien ne justie notre dclinisme angoiss,

    alors que, sous tant de latitudes, un dsir dmancipation laque conteste

    tabous et despotismes. Sachons retrouver dans les inormations du jour

    les ides inscrites aux rontons ociels, sublimes antidpresseurs qui

    baptisrent lexception ranaise, jusqu ce que bien dautres terrienssen emparent et sadonnent semblables libertinages.

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    LE pIGE : mA INs BLANchEs, mAINs sA LEs

    Le mot valeur existe en bon ranais depuis un millnaire. Do vient sa

    soudaine promotion aux dpens de quasi synonymes, pourquoi parler

    aussi exclusivement de crise des valeurs, retour des valeurs, combat pour

    les valeurs plutt que de crise des idaux ou retour aux vertus ? Choisir

    un vocable, toujours le mme, pour prsider sminaires et colloques

    internationaux, pour lancer puis commenter enqutes et sondages, ne

    parat pas innocent. Depuis quand et quel prix les rfexions thiques

    de nos contemporains tournent-elles autour des valeurs ?

    Ds le XIXe

    sicle, dans le sillage dun post-kantisme na, le terme valeur vient qualier un devoir-tre radicalement distinct de

    ltre : la science tablit des jugements de aits, la morale procde par

    jugements de valeurs. Dun ct la ralit, de lautre le royaume des ns.

    Un invitable confit souvre alors entre les chevaliers de la vertu , du

    style Don Quichotte et la brutalit domestique du cours du monde .

    La promotion de la valeur marque pour Hegel limpuissance

    moderne des consciences malheureuses, celle des belles mes incapables

    dinscrire leurs options thiques dans un univers tranger et hostile.

    Au XXe sicle, le confit rebondit. Charles Pguy apostrophe les pro-

    esseurs en idal qui gardent les mains blanches mais qui nont pas de

    mains. Max Weber oppose, quant lui, la morale de lintention obsde

    par les valeurs (celles du Sermon sur la montagne ou de labsolutisme

    rvolutionnaire) et la morale de la responsabilit (justiant la politique

    raliste de lhomme daction). Dans la oule, rcusant langlisme,Lukacs puis Sartre saccommodent des crimes du communisme (Les

    Mains sales), quand, inversement, les pacistes de toute nature rcusent

    lusage de la orce, quelles que soient les consquences parois terriantes

    dune pareille abstention.

    Dun ct Don Quichotte et ses moulins vent, de lautre Sancho

    Pana et sa roublardise courte vue, la valeur du ralisme contredit le

    ralisme des valeurs, la non-intervention respectueuse des ralits polmique avec le droit dingrence arguant de lextrme urgence din-

    terrompre des crimes contre lhumanit. Soit on se rclame de lhomme

    tel quil est, soit de lhomme tel quil devrait tre. Le dbat tourne en

    rond et devient astidieux. Persister inscrire la question des valeurs

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    dans lantinomie de ltre et du devoir-tre, cest senermer dans un

    cercle vicieux. Ici simpose lexigence de Wittgenstein : en nir avec le

    bavardage sur lthique .

    Toute valeur est de crise

    Les valeurs, dit-on, soulvent laccord gnral. Le prsuppos unanimiste

    heurte lexprience. Le XXe sicle na-t-il pas subverti les plus incontes-

    tables de nos valeurs ? Au nom de la paix, on a mobilis comme jamais

    pour la guerre ; au nom de la justice, on a justi les plus grandes injus-

    tices ; au nom de la raternit, par millions les tres humains ptirent des

    camps de travail et des camps de la mort ; au nom de la coexistence et de

    la raison, on laissa linhumain crotre et multiplier Notre expriencedes valeurs est, en premier lieu, celle de leur retournement, quand

    triomphe le double langage , Orwell dit la novlangue , avec en

    prime lbranlement abyssal de toute oi en le jour, la vie, la paix

    (Jan Patocka).

    Ne limitons pas semblable renversement des valeurs aux situations

    circonscrites totalitarisme, ascisme, colonialisme. Chaudes ou roides,

    les guerres et les rvolutions sont mondiales, tout comme la dbcle estmorale. La noire modernit ne ait que rveiller une possibilit origi-

    nelle de lhistoire occidentale. Dans lAthnes forissante de nagure,

    Thucydide dcrivait lexplosion dune peste inernale venue ravager,

    outre les corps, les esprits, les repres et les respects humains. Les valeurs

    ne valent qu la condition daronter le risque dune absolue perte des

    valeurs. Sinon, gardiennes de nos sommeils, elles onctionnent tels des

    tranquillisants bas prix.

    Toute valeur est en conit

    Posons lorigine non point la valeur ou quelque harmonieux bou-

    quet de valeurs, mais le confit des divinits et des idaux : le bien, le

    beau, le vrai, le puissant, le juste, le charme entretiennent une rivalit

    permanente sur lOlympe (Homre) comme ici-bas (Max Weber).

    Agir, cest choisir. Donc liminer : Trop de valeurs, trop diverses

    simultanment donnes, nous accoutument nous contenter du premierterme de nos impressions (Paul Valry). Loin de constituer lindice

    calamiteux dune dcadence ou dun irrversible naurage, le confit est

    une rgle de vie et de survie pour la cit antique (Nicole Loraux) comme

    pour lindividu moderne.

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    Nos dmocraties inventent et se rgnrent en cultivant leurs divi-

    sions (droite/gauche, dmocrates/rpublicains), comme lAthnes de

    Thucydide, la Rpublique romaine de Tite-Live et lItalie renaissante de

    Machiavel. La querelle des clans et des partis, si pre soit-elle, lemporte

    sur lossication ou la disparition des confits propres aux despotismes.Lesprit occidental est un champ de bataille , crivait Kant, valeurs,

    idaux et vertus nexistent que par, pour et dans ces combats. Loin de

    planer tel un vol de colombes sur le champ de bataille, devoirs univer-

    sels, valeurs et idaux sont des instances darbitrage rgulant des alterna-

    tives existentielles, des mdits ou justes milieux (selon Aristote,

    le courage instaure un juste milieu entre deux extrmes, la lchet et

    la tmrit). Reusant dsormais de rduire les valeurs un devoir-treinconditionnel, universel et pur, rtablissons la synonymie entre idal,

    valeur, n, vertu, norme et cetera.

    Toute valeur est au d

    Les systmes de valeurs nexistent pas en soi , onds une ois pour

    toutes ds lorigine par le truchement miraculeux dune lgislation natu-

    relle ou cleste. Chaque ois que lon croit pouvoir isoler une meslave , une France ternelle , un esprit amricain , on se ourvoie

    parce quon veut privilgier aussement une inscable unit substantielle

    sur le dynamisme transormateur de laventure humaine. Les mytho-

    logies, certes, attribuent toute collectivit une naissance prestigieuse

    que le culte des anctres perptue, Athnes honore Thse et Athna, la

    France sinvente Francion et une origine troyenne. Lhistorien, par contre,

    gnalogise contre-pied : au commencement dAthnes, un ramassis de

    pirates dcouvrant un havre commode pour cumer la Mditerrane ;aux origines de la France, des tribus gauloises en guerre permanente.

    Pour comprendre la gense des idaux dune collectivit, il est nces-

    saire de les analyser en regard des crises et des prils auxquels ils tentent

    de rpondre (Toynbee). Le mana, selon Mauss et Lvi-Strauss, est un

    signiant fottant , un quivalent gnral suppos sous-tendre tous les

    changes confictuels potlatch. Au contraire, depuis les Grecs antiques

    valeurs et idaux ne fottent pas au-dessus de la mle, ils rpondent des

    ds dtermins de manire dtermine. Si la mondialisation condamne

    les valeurs anciennes, cest ace cette dvalorisation que de nouvelles

    se orgent.

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    Toute valeur est acculture

    vitons lalternative allacieuse darmer que les valeurs sont ou bien

    universelles ou bien ne sont pas des valeurs (mais des instincts, des pul-

    sions pr-morales ou barbares). Pourtant acharne combattre le rela-tivisme, lglise romaine elle-mme souligne combien les idaux et les

    prceptes catholiques (= universels) relvent dune acculturation, qui les

    rinterprte en onction des lieux et des poques o opre son credo.

    Les valeurs chrtiennes ne sont pas exactement identiques selon quelles

    simplantent dans lAntiquit grecque et latine ou quelles refeurissent

    dans le Brsil contemporain.

    Une valuation de luniversalit de telle ou telle valeur demeure sco-

    laire et vaine, si lon nglige les ds et les dangers qui motivent et aon-nent ladite valeur. Prenons la libert, lgalit, la raternit, trois idaux

    qui se projettent demble universels. Combien de disputes oiseuses

    nont-ils pas suscites ! Les Franais sont-ils aussi libres que lache le

    ronton des mairies ? Chaque citoyen est-il lgal de lautre ? Et en quel

    sens est-il rre de son voisin de palier ? Sagit-il plutt dune libert

    ctive, dune galit ormelle, de la raternit hypocrite du renard dans

    le poulailler ? Impossible de trancher, impossible de donner sens, impos-sible de jauger libert, galit, raternit, sans dcrypter lacculturation

    plus que millnaire de valeurs nationales autant quuniverselles.

    LIBERT : L A RAcINE dEs vALEuRs

    Sapere aude ! Ose penser, aie le courage de te servir de ton propreentendement. Voil la devise des Lumires . Emmanuel Kant.

    Le culte que les Franais vouent la libert suscite deux types din-

    comprhension goguenarde. Ct allemand, il leur ut longtemps

    reproch de conondre libert et licence. Le Paris des Lumires apparut

    firter dangereusement avec limmoralisme, lrotisme et la pornogra-

    phie. Plus tard, les romans de Zola et tant dautres de la mme veine ne

    urent pas sans soulever le cur des cousins doutre-Rhin, ussent-ilsdes proesseurs mrites (tel Wilhelm Dilthey) ou des aventuriers sans

    tabous (tel Ernst Jnger). Ct anglo-saxon, on condamne aujourdhui

    plus que jamais lintolrance que produirait lexigence dune libert

    individuelle absolue : interdire, ne serait-ce que partiellement, le voile

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    islamique intgral reviendrait tuer la libert au nom de la libert.

    lombre du citoyen sage et assoupi devant sa tl, dcouvrez le jacobin,

    le terroriste et le guillotineur ! De semblables rpulsions, mme carica-

    turales, sont ondes. La libert diuse un inquitant tout est permis

    (t-ce dinterdire) qui depuis toujours accompagne le plaisir et lem-

    barras de se sentir ranais.

    Dun bout lautre de son histoire, la douce France, autoproclame

    lle ane de lglise, nen ut pas moins la lle ane de lincroyance. Si

    le pape Jean-Paul II constatait tristement quaujourdhui les Europens

    vivent comme si Dieu nexistait pas , orce est de reconnatre quen

    matire dincrdulit, Paris, ses environs et ses campagnes ont prcdtout le monde. Premier distinguer, et cela bien avant la Rvolution,

    jouissance et procration en inventant, via le bidet, spcialit nationale,

    un contrle empirique des naissances, le pr carr ranais baouant les

    commandements sacrs se montrait en avance de quelques sicles sur les

    librations de la pilule contraceptive.

    Dentre de jeu, le gallicanisme de la lle ane couronnait son

    roi souverain matre aprs Dieu (Jean Bodin), donc libr du pou-

    voir spirituel de Rome, tellement mancip quil se permit lconomie

    dune rupture racassante dans le style protestant ou anglican. La libert

    la ranaise ne laisse hors datteinte aucune activit humaine, elle est

    sexuelle, philosophique, thologique, trs tt politique, de la Fronde aux

    rvolutions, littraire surtout et toujours, depuis quon crit en langue

    vulgaire sans se cantonner au latin. Cette libert touche--tout ne tombe

    pas comme un ruit mr dune philosophie spcique, elle nest pas

    davantage le produit de linstinct unique du Gaulois, lequel ntait niplus ni moins anarchique que dautres peuples sans tat et sans criture.

    Cest dans les manuscrits, les pomes et les lgendes, les contes et les

    abliaux que lhomme du XIe sicle accde au rapport soi-mme, aux

    autres, la nature terrestre ou cleste et la tradition antique, le latin a

    dli la langue des Franais. Cest parce que la France reprsentait le stu-

    dium, parce que les arts libraux avaient chez elle leur quartier gnral,

    que la posie populaire feurit tout dabord en France 1.

    Homre a oert ses dieux la Grce. La littrature voue la France la

    libert. Non par des leons, des dogmes, des credo, mais en contant des

    1. E.R. crti, La Littrature europenne et le Moyen ge latin, Pree Poet, p. 597.

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    histoires que lauditeur et bientt le lecteur leur guise apprcient, rejet-

    tent, interrogent ou critiquent : la dcouverte de la libert sopre en pleine

    libert. Chaque intress ouvre un crit en sachant quici il ny a plus ni

    Jui ni Grec, il ny a plus ni esclave ni homme libre, il ny a ni homme ni

    emme (Saint Paul). linstar de lengagement religieux quelle inverse,luvre littraire octroie une universalit ngative lamateur quelle sin-

    vente. Exprience de la libert et roman ranais parviennent ne aire

    quun. Au point de usion, on trouve Le Roman de Renart.

    Avec lhrosation de lhumble mais astucieux goupil, terreur des

    basses-cours, lintronisation de Messire Renart ouvre lre du soupon.

    La Renardie promeut la ruse, le doute, le dsenchantement. Poursuivipar la justice du roi lion et la hargne du vilain (paysan), le renard

    tourne son prot les pires situations en substituant la orce quil

    ne possde pas lesprit que nourrit son insolence et son irrespect. Ni

    Dieu ni matre ! Cet anarchiste tout-terrain na cure des menaces et des

    objurgations. Il vandalise les glises, se moque des barons, vilipende la

    cour odale, insulte les autorits et transgresse les tabous sexuels. Il

    prgure le Dom Juan du Grand Sicle, pouseur du genre humain, et

    le sans-culotte de 1789, mais aussi le bourgeois sceptique qui saccom-mode des trahisons les moins glorieuses. Lanimal sans scrupule annonce

    les tours et les dtours dune histoire de France statuant que lhomme est

    un renard pour lhomme.

    Est-il bon ? Est-il mchant ? premire vue, Matre Renart passe

    pour lincarnation animale du diable. En tmoignent la couleur rousse de

    son pelage, une conduite licencieuse, la jubilation quil ache contre-dire les biensances ou le quen-dira-t-on. Autant dindices propres

    conduire au bcher dinamie une si perverse crature. Pourtant la cause

    nest pas entendue davance, les successives branches (pisodes)

    du Roman orent au suspect moult occasions de plaider sa cause de

    aon ort convaincante. Sil trompe les trompeurs, sil abuse les nas, il

    dtrompe les abuss et dniaise le public. Ni saint ni dmon, il a hrit

    dUlysse la mtis lastuce, lingniosit , qui t de son antique homo-

    logue le rival dAthna, la si sage. Renart est le hros de la connaissancede soi, celui dont la lucidit djoue les piges du narcissisme et de lou-

    trecuidance. Certes, il ne dispose daucune prescience supra humaine, il

    vaticine dune msaventure lautre, il sen sort nanmoins pour savoir,

    mieux que quiconque, tirer les leons de ses checs.

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    Il serait rducteur de ravaler une telle geste contestataire au rang des

    ordinaires parodies ou satires animalires, charge pour lours et lne

    de gurer la gourmandise ou la btise des humains. Lattenti dtecte

    la premire apparition dune vis comica particulire la France, quon

    retrouve chez Rabelais, Molire ou Beaumarchais. La Renardie portesur les onds baptismaux un esprit libertin qui jamais plus ne dsertera

    la culture nationale.

    Les aventures de Renart introduisent la paraite quivalence

    du monde animal et de la condition humaine. La Fontaine trouve

    son miel explorer pareille homologie dans les moindres dtails et

    La Rocheoucauld en explicite le principe : Il y a autant despcesdhommes quil y a de diverses espces danimaux, et les hommes sont,

    lgard des autres hommes, ce que les diverses espces danimaux sont

    entre elles. Scandalis par les Lumires ranaises et ce quil nomme

    la socit animale de lesprit , Hegel pingle la jungle idologique,

    sentimentale, sexuelle et politique o se complat le Paris clair. La

    dcision premire didentier univers animal et communaut humaine

    coupe cette dernire au grand dam des philosophes allemands de la

    rrence ombilicale au divin. Renart est notre Mose, il nous conduitvers une terre sans dieux.

    Introduction la lacit : Renart est mort, Renart est vi Renart

    rgne , crit Rutebeu. Toutes les civilisations ont baign dune aon

    ou dune autre dans les ocans du divin, la Renardie sife la n de partie.

    La rupture quinaugure Le Roman de Renart ne relve en rien delanalphabtisme, de linculture ou des navets olkloriques. Elle clate

    dans une priode des plus brillantes la premire de la littrature

    ranaise. En moins de deux sicles surgissent les chansons de geste,

    les lgendes de la Table Ronde, le roman courtois, les traductions et

    les adaptations de la littrature grecque et de la posie latine, tandis

    que la socit ranaise se lance dans les croisades, les guerres civiles,

    la construction de ltat, la foraison de luniversit, des sciences mdi-

    cales et des arts, quitte essuyer des faux en cascade, la peste et lesamines. Dans lclat de cette premire renaissance, Renart propulse une

    rvolution copernicienne de lme, qui, bien avant Copernic, Galile et

    la science mathmatique, ramne sur terre les soucis, les passions dune

    socit qui smancipe.

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    La libert, dans lacception radicale que lui conre la Renardie,

    est-elle une valeur ? Elle mne au pire comme au meilleur, elle abrite

    labme le plus proond et le ciel le plus sublime (Friedrich Schelling).

    Les aventures de Renart ne relvent pas des diantes lgendes dores.

    Plutt ondement des valeurs que valeur elle-mme, la libert de la

    Renardie apparat comme ce sans quoi il nexiste pas de valeurs. Cest

    une archvaleur , comme on dit un archtype, la condition ncessaire

    mais non susante de la vie morale. Ncessaire, parce que sans libre

    choix nul nest responsable. Nous ne laissons pas dprouver en nous

    une libert qui est telle que, toutes les ois quil nous plat, nous pou-

    vons nous abstenir de recevoir en notre croyance les choses que nous ne

    connaissons pas bien, et ainsi nous empcher dtre jamais tromps 2 .Insusante, parce quune socit dtres libres exige quon arbitre leur

    coexistence, au sens o gouverner sans rrent transcendantal ou supra

    mondain, cest comme rgler un hpital de ous 3 . Pari tenu, promet

    la Rpublique des gaux.

    GALIT, ou LA vIE EN socIT

    Tantt matre, tantt valet, toujours prudent, toujours industrieux,

    ami des ripons par intrt, ami des honntes gens par got ; trait poli-

    ment sous une fgure, menac dtrivires sous une autre ; changeant

    propos dhabit, de caractre, de murs, de langage ; risquant beaucoup,

    russissant peu ; libertin dans le ond, rgl dans la orme ; dmasqu

    par les uns, souponn par les autres, la fn quivoque tout le monde,

    jai tt de tout.

    Marivaux, La Fausse Suivante.

    Vritable rbus, lgalit la ranaise suscite lextrieur des ron-

    tires une norme incomprhension. Tantt la presse amricaine titre

    sur une France socialiste o le tiche galit aurait dvor en

    deux sicles les liberts individuelles du citoyen. Tantt la mme socit

    ranaise passe pour un modle positi et non plus ngati o, grce aux lets de scurit de ltat providence, des garde-ous galitaires pro-

    2. Dearte, Principes de la philosophie, 1,6.

    3. Paa, Penses, 331.

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    tgent la libert des plus dmunis. Le double visage de lgalit partage

    les Franais eux-mmes aux prises avec une notion confictuelle, source

    de dbats plus que dun consensus spontan.

    La promotion de lgalit, mdaille dargent sur le podium, nonce un

    dilemme : puisque, au vu et au su de la Renardie originelle, les citoyenssont libres mme sils nen veulent rien savoir, libres aussi de tromper,

    libres de se tromper, comment vont-ils sentendre ? Quelle orme de

    sociabilit de lien social pourrait sinstaurer entre des liberts ?

    Comment poser lgalit entre ingaux (par la richesse, les talents, le

    hasard des origines et les alas de la vie quotidienne) ? Force est de distin-

    guer entre des acceptions souvent antinomiques des valeurs galitaires.

    galit entre choses contre galit entre personnes

    Lgalitariste se plat imaginer quil sut dhomogniser biens, avoirs

    et chances davenir. Version socialiste : lautorit publique doit crmer

    les grosses ortunes pour relever les plus basses, la loi du maximum

    dicte par les Jacobins ouvrit la voie. Version librale : la main invi-

    sible du march se charge automatiquement, concurrence aidant, de

    ladite galisation. Autant de vulgarits, dont le simplisme nest direc-tement imputable ni Karl Marx ni Adam Smith. Le pch originel

    de lgalitarisme des idologies socialistes ou librales rside dans leur

    commun conomisme, cest--dire lillusoire promesse de dnir lga-

    lit relle des citoyens par une galit entre choses Tu possdes

    ceci, je dtiens cela, galisons nos patrimoines. Comment comparer

    lincomparable ? Comment tablir une juste galit entre des biens

    intrinsquement ingaux ? La prtendue valeur travail , suppose

    substance commune de toutes les richesses, reste une ction thoriquechappant toute mesure eective. Impossible de mettre en quation

    le travail dun proesseur, celui dun comique troupier, celui dun mtal-

    lurgiste de Flins ou dun pcheur de perles. En consquence, une innie

    contestation assure que la re devise de nos mairies est purement hypo-

    crite, couvrant sous lapologie rivole dune galit ormelle lab-

    sence dgalit relle .

    Lobjection ne date pas dhier. Dj ormule dans lAntiquit, elle

    conduisait Aristote distinguer avec soin lgalit arithmtique en

    onction des objets et lgalit gomtrique en onction des sujets. La

    seconde savre plus ondamentale car proportionnelle non plus

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    lavoir mais ltre de chacun. La justice distributive est alors en jeu,

    hirarchisant les revenus relativement aux mrites et impliquant la recon-

    naissance par chaque citoyen de la valeur (dignit, axia ) de lautre.

    La thorie mathmatique des jeux distingue jeux contre la nature etjeux contre lautre. Lgalitarisme se pense comme un jeu du premier

    type, les saint-simoniens recommandaient, en promouvant une juste dis-

    tribution, de substituer au gouvernement des hommes ladministration

    des choses . Au contraire, avec la proportionnalit Aristote introduit le

    drame, chacun ayant se mesurer lautre et svaluer ace lui. Nous

    passons dune utopie statique de lgalit une stratgie de lgalisation

    o chacun doit apprendre respecter ses concitoyens et se aire res-pecter deux.

    galit communautaire ou galit sociale

    Dans une socit traditionnelle stable, chacun est estim selon le mrite

    et lutilit que lui conrent les us et coutumes. La rgle de proportionna-

    lit aristotlicienne est alors peu ou prou applicable ; on hirarchise les

    mrites en onction de leur utilit collective : un stratge vaut deux potestragiques et quatre pilotes de navire. Les temps modernes gnralisent

    lbranlement tous azimuts de la libert, les chelles de valeurs seritent et

    paralllement la valeur de chacun est remise en question. Lgalit nest pas

    donne ni proportionne aux usages collectis xes, il aut la construire.

    Dans des socits ondes sur une libert radicale, lgalit devient la rsul-

    tante ugace et provisoire dune capacit dgalisation partage.

    Politiques et penseurs allemands connurent une cruelle dception au XXesicle. Ils croyaient vivre au sein dune communaut stable (Gemeinschat),

    dont les valeurs consensuelles dnissaient la place de chacun. Ils dni-

    graient la socit (Gesellschat) anglo-saxonne ou ranaise, aux repres

    incertains, aux principes conus donc livrs aux mouvements browniens

    de liberts indisciplines. Ils dchantrent doublement quand Hitler ut

    venu, leur sens de lordre les dsarma contre les pires dsordres, leur reus

    des licences de la libert ont dmultipli leurs angoisses de sy dissoudre. Il

    allut les canons pour quils se rsolvent saccepter Gesellschatau mme

    titre que les autres dmocraties modernes.

    Lgalit la ranaise ne se vit pas sur le mode persuasi, mais dis-

    suasi. Nous ne sommes pas gaux parce que nous croyons de la mme

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    Libert,

    galit

    ,

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    aon et partageons la mme oi, celle dune glise unique ou celle dune

    raison dtat. La soumission une autorit spirituelle inaillible (le Pape,

    selon Joseph de Maistre) ou la servitude volontaire prne par la tho-

    logie politique gallicane (Bossuet vs La Botie) demeurent une tentation

    permanente, ternellement battue en brche par lexigence dune libertsouveraine. La libert consiste pouvoir aire tout ce qui ne nuit pas

    autrui. (Dclaration des droits de lhomme et du citoyen, 1791). Non

    pas tre tous daccord pour penser et agir pareillement (persuasion),

    mais saccorder modestement pour viter de nous nuire (dissuasion).

    Lenjeu dcisi du rapport que nouent les Franais est une galit

    toujours voulue, jamais assure. Les grandes institutions rpublicaines lcole pour tous, les liberts dexpression, les lois sociales, etc. valent

    comme terrains dopration o la dmocratie savre sans cesse aire

    ou rejouer. Les droits de lhomme lmentaires sont autant doutils

    stratgiques pour survivre dans une Gesellschatexpose au brasier des

    violences et des corruptions. Les droits de lhomme nintroduisent pas

    lden dune perection ; ils permettent au citoyen de se dendre et de ne

    pas cder sur sa dignit. Lgalit devant la loi implique une mme rgle

    du jeu pour tous les citoyens, si divers et ingaux soient-ils.

    La lutte pour la reconnaissance.

    Dans lhistoire de France, la vie sociale sest dveloppe autour du

    double rejet des prestiges du prtre et du guerrier, quitte dtruire lun

    par lautre et rciproquement. Les guerres de religion ne se terminrent

    pas comme ailleurs par le triomphe dune religion. Non sans peine, non

    sans soubresauts, un statu quo nit par stablir, lequel neutralisa lesprtentions thologiques au prot dun libre examen annonciateur de

    la lacit. La souverainet monarchique Ltat, cest moi suscita

    pareillement lantidote dune contre-socit la Fronde, les salons, les

    Lumires , qui lemporta sur les rois guerriers et les empereurs conqu-

    rants. Achevant le travail de sape lanc par Homre et la cit grecque, la

    socit ranaise se purgea des vestiges de lidologie indo-europenne

    et de sa tripartition en tages : en bas producteurs et reproducteurs,

    en haut les souverainets temporelles et spirituelles, entre les deux,

    lentresol, les guerriers orces de lordre. Au cours dun long procs, la

    France smancipe en sautorisant une existence autonome et dclri-

    calise. Marguerite de Navarre, sur de Franois Ier, combat dans ses

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    pomes pour une vie sentimentale et amoureuse quassumeront drama-

    tiquement Madame de Laayette et sa Princesse de Clves, sans trop de

    respect pour lautorit cleste, royale, virile et guerrire.

    La lutte pour lgalisation (des conditions, des sexes) est une lutte pour

    la dignit. Laquelle, enseigne Marianne, lenant trouve, suppose le res-

    pect de soi et de son me : ceux qui nont ni rang ni richesses

    qui en imposent, il leur reste une me, et cest beaucoup. Mais ce

    nest pas susant. Il aut aussi, deuxime condition, imposer le respect :

    Hlas, monsieur, quoique je naie rien et que je ne sache qui je suis,

    il me semble que jaimerais mieux mourir que dtre chez quelquun en

    qualit de domestique. (Marivaux, La Vie de Marianne). Mais serait-ondomestique que la lutte pour lgalisation rebondirait de plus belle. Dans

    la oule de Molire, le thtre de Marivaux et de Beaumarchais comme

    les opras de Mozart tmoignent de linni renversement des rapports de

    orce entre matres et valets, matresses et suivantes, hommes et emmes,

    pres et ls. La lutte pour la dignit est un combat pour la reconnaissance.

    Hegel a paraitement saisi que lanarchique socit ranaise rgne

    animal de lesprit tournait autour du confit des liberts. Et cela selonla dynamique dune lutte (pour la reconnaissance) dite du matre et de

    lesclave (du serviteur, plus exactement). Le philosophe, pour son mal-

    heur, sobstine qualier cette lutte mort de strile : soit le vainqueur

    devenu matre pourrit dans loisivet, retour la case dpart ; soit les

    deux combattants meurent ; si, en dnitive, lesclave tire le bon lot,

    cest parce quil sduque par le travail, aprs avoir abandonn la lutte

    par peur de mourir. Lesprit de srieux allemand a rapp. Hegel, vou-lant conclure la lutte pour la reconnaissance par une solution dnitive,

    mne laventure dans limpasse. Voil sous la plume du matre, lexact

    contraire des revendications de Marianne ou des cabrioles insouciantes,

    mais conqurantes, des valets de comdie. Lgalit nest pas grave dans

    le marbre, Rien nest jamais acquis lhomme, ni sa orce, ni sa ai-

    blesse, ni son cur... (Louis Aragon).

    Labolition des privilges ne ut pas conquise une ois pour toutes dansla nuit du 4 aot 1789. Certains sont dcapits, dautres selochent,

    tandis que de nouveaux surgissent par surprise. Lgalit nest pas un

    tiche clbrant la victoire de la socit bourgeoise sur la socit

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    Libert,

    galit

    ,

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    odale , elle nest pas davantage une mystication camoufant les

    horreurs du capital . La volont dgalit, pas toujours triomphante,

    pas toujours vaincue, anime le travail de la socit sur elle-mme et lexi-

    gence de dignit du citoyen.

    Une ducation amoureuse

    La qute sans n dgalit domine la relation sociale et davantage

    encore les microstructures individuelles. La littrature europenne gra-

    vite autour des drames et comdies damour, jamais nanmoins aussi

    vertigineusement quen France, o parler damour et mditer lamour

    demeura longtemps le privilge du paysan de Paris. Ailleurs, la passion

    amoureuse meuble souvent des instants astueux, estis, mais ugaces

    et limits. Ainsi, le roman dducation goethen enerme la dcouverte

    sentimentale de soi et dautrui dans les adolescentes annes dappren-

    tissage , aprs viennent la vie de amille, le travail et lesprit de srieux.

    Au contraire, le jeu de lamour et du hasard, que mettent en scne des

    sicles de littrature ranaise, ne sarrte jamais. Ici, lamour constitue

    lpreuve des preuves, une sorte de Jugement dernier assum ici et

    maintenant ; il ne peut trouver dautre terme quune nouvelle passion(encore plus invincible) ou la mort (physique parois, spirituelle souvent,

    la dpression ou le spleen). Lpilogue reste secondaire, il importe peu

    quils se marient et assent beaucoup denants, ce happy end nint-

    resse personne, seule compte la preuve de soi donne par des consciences

    acharnes sassumer gales, quoique socialement, sexuellement et

    culturellement dissymtriques.

    Lamour ne mne rien. rien dautre que lui-mme. Dans le thtre

    sentimental par excellence, celui de Marivaux, le dnouement ne conduit

    nulle part, la lutte des sexes ne poursuit pas de but qui saccomplirait

    une ois le rideau tomb. Nul souci de transcender le drame du couple en

    vue de onder une amille, de pondre des hritiers ni denrichir la dmo-

    graphie nationale. Non, lamour se passe entre deux tres qui tentent de

    saimer, sans plus. Seul compte larontement sur scne de leurs deux

    liberts, qui, par moments, dcouvrent leur galit. Temps de lamitichez Montaigne : Parce que ctait lui, parce que ctait moi. ; cet

    clair de reconnaissance rciproque est un instant dternit, la prsence

    dun prsent sur lequel lavenir viendra reprendre orce, si tant est que

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    la passion survive. Fausses condences et vrais sentiments. Fidlit ou

    indlit. Tout se passe sur scne, dans un duel permanent pour la recon-

    naissance qui na dautre dnouement que son droulement.

    FRATERNIT

    Dans le progrs gnral, un nuage est suspendu sur le sort des indi-

    vidus. lantique srnit dun peuple de paysans certains de tirer de la

    terre une existence mdiocre mais assure, a succd chez les enants du

    sicle la sourde angoisse des dracins.

    Charles de Gaulle, Mmoires despoir.

    clbre Fraternit, qui es-tu ? Une ide clairante, voire lumineuse

    (je le pense) ou une pauvre idologie relayant les contes et lgendes

    que les peuples se orgent en guise didentit cleste ? Sagit-il dune

    amulette trompeuse ou dune ondation indispensable notre tre-

    ensemble ? Idal post en troisime position, il lui arrive de prendre le

    pas sur les autres : Libert mais pour les rres ranais dabord, galitpour les rres ranais seulement. Dcrte ainsi condition pralable, la

    Fraternit deviendrait rgle de ermeture dune communaut exclusive

    et close.

    linverse, si on accorde la libert sa radicalit premire, et lgalit

    le travail dune reconnaissance citoyenne toujours en chantier, la raternit

    dsigne la solidarit propre aux dracins de la libert et de lgalit.

    La pense du Gnral cite en pigraphe additionne les deux versions

    prcdentes de linjonction raternelle. Hier et avant-hier, les Franais par-

    tageaient la srnit dune amille paysanne. Aujourdhui, ils sont rres en

    dracinement, livrs la sourde angoisse de se retrouver, peut-tre, rres

    en non-raternit. Constatant le dcs dune France ternelle , abrite

    dans la providence dune civilisation rurale, les enants du sicle sont

    propulss hors providence sous une pe de Damocls et ont ace desprils mortels. Le virage est donn pour irrmdiable : nous sommes tous

    des dracins , les Franais de souche autant que les mtques ,

    jadis exorciss par Barrs chantant La Terre et les morts. De Gaulle a

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    Libert,

    galit

    ,

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    des lettres, son adresse Barrs sonne comme lanticipation de Mai 68

    ( Nous vivons tous en mtques vaut Nous sommes tous des juis

    allemands ). Sur un terrain aussi mouvant, quen est-il des raternits ?

    La crise raternitaire

    Peut-on imaginer une raternit de mtques ? Pendant deux sicles, le

    problme ne sest pas pos : au catchisme, les Franais taient rres

    en Jsus-Christ mort sur la croix ; lcole laque, les enants de la

    Rvolution se rvaient rres en Bara et Viala, morts 13 ans pour que

    vive la Rpublique. Les deux versions antagoniques reposaient sur un

    socle unique, celui dune substance France, prsente ds lorigine. La

    France est une me , pontiaient les doctes historiens (tel Michelet),relays par les manuels pour enants. Conte par Montorgueil 4 et image

    par Job, France, llette sous Clovis, devient au l des sicles la plus belle

    des emmes et (...) dans lhistoire du monde, un personnage trs impor-

    tant. De longtemps, rien ne saccomplira plus hors de sa prsence et

    sans sa volont. Elle aura ses peines et ses daillances, elle connatra

    les retours de ladversit, mais elle aura des heures de bon travail et de

    noble conqute. Quelle sera charmante dans les chagrins comme danslallgresse, et quon la jalousera dans lUnivers ! .

    Les idologues chapeautaient une machine intgrer trs ecace.

    Lcole et le service militaire obligatoires rassemblaient tous les enants

    puis les adolescents, quelles que soient leurs origines (droit du sol) et

    les prparaient au sacrice suprme si ncessaire. En prime, syndicats et

    partis de gauche mobilisaient pour une lutte suppose nale les immigrs

    de rache date, mineurs polonais, manuvres italiens... Lorsque cettebelle machine et les raternits qui la coiaient sautent, dans le mitan du

    XXe sicle, lidentit ranaise entre en crise.

    Identit ? Le Franais daujourdhui en compte de nombreuses. Il

    veut vivre et mourir au pays (sa province), il se revendique dune

    gnration , il senerme dans sa amille de gauche (ou de droite),

    sa communaut Fait daut la raternit, qui nagure runiait desappartenances multiples. Do dinlassables tentatives de retour aux

    solides convictions jadis partages ds le berceau. Nostalgie quand tu

    4. France, son histoire, par G.motorgei, iage par Job, librairie ddatio de a jeee.

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    nous tiens, tu nous perds. On ne recolle pas volont, ni politiquement

    ni idologiquement, une identit perdue.

    Quand la France a roid

    Gaullistes et antigaullistes tentent de reconstituer des raternits par-

    pilles en pataugeant dans les lieux de mmoire, multipliant les cr-

    monies anniversaires, invoquant les anctres prestigieux et les pages de

    gloire. On dressera une grande croix de Lorraine sur la colline qui

    domine les autres. Tout le monde pourra la voir. Comme il ny a per-

    sonne, personne ne la verra. Elle incitera les lapins la rsistance. De

    Gaulle se moque, loin du culte na dun pass dpass, il prconise en

    revanche un arrt lucide sur le prsent. Quest-ce qui runit les Franais

    en 1940-1944, en 1953, en 1958 ? Le ace--ace avec ladversit : Il

    a allu quun homme agisse en dehors des chemins ociels pour que

    les Franais marchent, mais il a allu aussi le roid. Sans le roid, pas

    dAbb Pierre ! Quand la France aura roid, je pourrai agir moi aussi ,

    conait-il, prmonitoire, en lhiver 1953.

    Les mobilisations contre la misre, lexclusion, la trahison, la cor-ruption, ou encore la guerre vaudraient-elles comme autant dersatz

    une raternisation positive onde sur un bien commun ? Pas du tout. Il

    ne sagit pas dun pis-aller l'usage de populations en perte de repres.

    La re devise rpublicaine se laisse dcliner : la libert ou la mort,

    lgalit devant la mort, la raternit contre la mort. Notre nitude par-

    tage touchant la maladie, la misre, la cruaut, linvasion, dnit notre

    commune condition. Pareille ncessit de se coaliser contre avantde sunir pour prcde la Rpublique laque. LEurope chrtienne

    dsunie entre Rome et Constantinople, clate ensuite entre Rorme

    et Contre-rorme, nen implorait pas moins tout uniment le Seigneur

    Protge-nous de la aim, de la guerre et de la peste . Entendons des

    horriques chaos corporels et mentaux. Ltat royal reprit son compte

    cette obligation prophylactique. Depuis toujours, la raternit se recom-

    mande dune raternisation contre les maux et ladversit.

    Nommons, sil vous plat, raternit ngative la coalition de

    citoyens diviss quant au meilleur et sentendant nanmoins pour

    rsister au pire. Pareille pratique nest pas une exclusivit ranaise. Jan

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    Patocka, philosophe tchque, la baptise solidarit des branls . Elle

    savra tre le ressort unicateur du continent europen depuis 1945.

    Lorsqu'Edmund Stoiber, ministre allemand de lconomie, rappelle com-

    bien les crises sont un principe de rebond et de progrs pour lEurope, il

    explicite le dynamisme de lUnion ds son origine rcente. Hants par les

    rsurgences toujours possibles dun pass calamiteux (guerres mondiales

    et gnocides), inquiets devant un utur menaant (Staline, le rideau de

    er et le goulag), les pres ondateurs ont lev leurs reus communs

    (de lextrmisme nationaliste, raciste ou communiste) au-dessus de leurs

    apptences religieuses ou doctrinaires (ils taient catholiques, agnos-

    tiques, libraux, sociaux-dmocrates). Les dissidents dEurope de lEst

    en rsistance contre la tyrannie ont creus un sillon parallle, en surmon-tant des clivages sculaires pour inventer une alternative dmocratique

    (Solidarnosc, Charte 77, puis Charte 08) contre le pouvoir totalitaire.

    Quand la France a roid, quand lEurope angoisse, elles trouvent

    dans leur dtresse une issue que les idologies dantan ngligeaient.

    Nous pouvons nous entendre sur notre non-entente, cela sappelle la

    dissuasion. Nous pouvons entreprendre de barrer les portes des eners,

    sans prtendre ouvrir celles du paradis : telle est la raternit (ngative)des dracins. Ladversit rejete en commun est le noyau drateur des

    rvolutions pour les droits de lhomme, le mot dordre tunisien condense

    merveille la contagion du rejet : Dgage !

    Selon loptique des idologues, est mal ce qui nest pas bien, est inhu-

    main ce qui nest pas humain. Seule une ide pralable du bien commun

    ou de lhumanit comme-il-aut permettrait de dnir par soustrac-tion linadmissible. Llan de solidarit ngative inverse lengagement :

    lexprience de linsoutenable commande, charge pour ceux quelle

    insupporte, de saccorder ensuite autour dun pas mal . Lchelle des

    maux est premire. Le partage dune rvulsion onde les rvolutions :

    propos des droits ondamentaux de lhomme et du citoyen, la constitu-

    tion de 1793 stipulait que la ncessit dnoncer ces droits suppose ou

    la prsence ou le souvenir rcent du despotisme (article 7). Autrement

    dit, cest parce que nous avons subi ou rl la servitude que nous pou-vons nous entendre pour dnir des droits des garde-ous dnissant

    une certaine ide de la civilit ou de la raternit.

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    Cette raternit ngativement onde nest pas rserve aux enants

    du sicle viss par De Gaulle. Elle est plus ancienne que les idologies

    dominantes prnant une raternit positive, religieuse ou laque. Plus

    proonde que la srnit immobile dune population paysanne, que De

    Gaulle imagine pour aiguiser le contraste. La France de la Renardie

    ou du rgne animal de lesprit tait dj dracine. La Fontaine le

    rappelle, la libert du loup errant amlique et le collier du chien domes-

    tique bien nourri ne sont pas conciliables. Lordre des trois grces au

    ronton de nos mairies nest pas indirent : poser une libert absolue

    au ondement de lexprience projette demble hors providence, la ra-

    ternit qui suit doit, elle aussi, se passer du recours toute intercession

    religieuse ou proane, la raternit que les Franais sinventent est ds ledpart un antidestin.

    Sentendre contre le mal suppose quon exerce son regard le dvisager

    dans la multitude de ses acettes. Telle est loriginalit, tel est le mrite

    que Nietzsche attribue aux classiques ranais, Racine, Pascal et tous ces

    archers hors pair, tireurs qui visent juste et mettent rgulirement dans

    le noir pile dans le noir de la nature humaine 5 . Nietzsche conrme

    ici le oss creus entre la pense optimiste allemande et la pense sarcas-

    tique de Voltaire et des encyclopdistes. Pangloss, leibnizien primaire

    qui croit vivre dans le meilleur des mondes, soppose Candide, qui jauge

    les malheurs du monde sans dtourner les yeux, quitte en n de partie

    cultiver son jardin . Mais pas nimporte lequel, pas un lopin de terre

    cltur dgosmes, celui dpicure plutt, o sbauche la raternit

    des clops de lexistence. Voltaire rdigea le conte sur ond de dtresse

    personnelle la mort de Madame du Chtelet, sa grande amie , et dedsastres collectis cent mille morts Lisbonne, le tremblement de terre

    rappe lheure de la messe , quoi sajoutent les horreurs de la guerre

    de Sept Ans. Pour qui consent ne pas se voiler la ace, la solidarit

    entre mortels manque rarement de catastrophes naturelles ou politiques

    susceptibles de nourrir un sursaut de raternit.

    Cette raternit est comme lart, lantidestin dont parle Malraux. Il

    dsigne sous ce che un art moderne qui na pas lambition dincarner

    sur la toile ou dans le marbre une prexistante et dnitive ide de

    5. F. nietzhe, Humain, trop humain, I, 36.

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    Libert,

    galit

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    la beaut. Picasso se bat avec le chaos des corps, des ormes, des v-

    nements, il nidalise pas. Do longtemps, ace aux ombres noires de

    Rembrandt, au chardon de Drer, aux pieds sales dune Vierge peinte

    par Caravage, lincomprhension dun public scandalis, qui nit par

    comprendre que la beaut ne sige pas au-del, mais quelle rside dans

    cette bataille mme, dans le corps corps du peintre et dun monde

    en usion et conusion. Pareillement, la raternit moderne ne descend

    pas de quelque Olympe cleste, vtue de lin candide, elle ne promet pas

    lden, elle mobilise contre les turpitudes alentour. Les Franais gotent

    la bonne chre et les beaux esprits, ils prennent plaisir aux plaisirs et aux

    conversations dlies, ils sont les premiers-ns dune socit de consom-

    mation. Ils ont choisi de stopper leurs trs cruelles guerres de religion,non par linstauration dun dieu unique, mais par la conscration de la

    poule au pot et les Essais de Montaigne. Le secret de la sociabilit rside

    dans le bonheur de ne point sentre-gorger. Facile ? Pas acile ?

    Le seul [pays] o, depuis longtemps, sinscrivent sur les difces

    communs trois notions philosophiques majeures, quon ne se contente

    pas dafcher mais quon seorce de graver, vaille que vaille, dans les

    murs.

    Roger-Pol Droit, Le Monde, 11 juillet 2008.

    La triade rpublicaine, Libert, galit, Fraternit , rappe par sa

    cohrence. Loin damalgamer au hasard des bons sentiments ou des slo-

    gans publicitaires, lensemble des trois idaux vhicule une vision du

    monde indivisible, o une certaine ide (absolue) de la libert appelle

    une pratique dsenchante de lgalit et la construction dune raternit

    proane des dracins. La cohsion ainsi dessine doit tre qualie de

    laque en lacception ranaise du mot parce quelle coupe nos

    valeurs cardinales de toute ondation religieuse ou thologique.

    Pareille coupure entre lici-bas et lau-del peut, la suite de Messire

    Renart, sillustrer chez Montaigne avec quelque humour : Nous cher-

    chons dautres conditions, pour nentendre lusage des nostres et sortons

    hors de nous, pour ne savoir quel y ait. Si, avons nous beau monter

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    sur des eschasses, car sur des eschasses encores aut-il marcher de nos

    jambes. Et au plus haut lev throne du monde, si nous ne sommes assis

    que sus nostre cul.

    On aurait tort de buter sourire aux lvres sur lapostrophe gaillarde

    sans se remmorer limmense travail philosophique qui la porte. En

    invoquant le renversement socratique qui substitue aux soucis clestes

    une enqute trs terrestre , la pense ranaise, ds Montaigne, rompt

    avec lthique religieuse en gnral et chrtienne en particulier. Le plus

    long chapitre des Essais, lApologie de Raymond Sebond, constitue le

    manieste peine dguis dune lacit radicale, dsormais intrinsque-

    ment nationale, labsolu possible de la oi seace sous les preuvesquotidiennes de la relativit humaine 6 .

    Lunicit de la triade rpublicaine est athologique. Pourquoi trois

    idaux cls, sinon quils rpondent en toute inconscience mais point par

    point aux trois valeurs thologiques censes rattacher les cratures au

    Crateur ?

    la oi fdes, ce lien indissoluble entre lhomme et Dieu , succdeune libert plus orte que nimporte quelle oi, puisquelle est capable de

    rvoquer en doute les certitudes et les sentiments supposs inbranlables :

    Il est toujours possible de nous retenir de poursuivre un bien clairement

    connu ou dadmettre une vrit vidente, pourvu que nous pensions que

    cest un bien darmer par l notre libre arbitre. (Descartes, Lettre

    au Pre Mesland, 9 vrier 1645). Cette libert premire et suprme met

    hors jeu la primaut de la oi prescrite par le Credo. 7

    la charit, vertu thologique, se substitue lgalit, lutte de tous avec

    tous pour la reconnaissance et la dignit. On la vu, lgalit ne peut tre

    onde en nature, cest lingalit qui est naturelle. Lgalit ne relve

    pas davantage dune grce surnaturelle, cest ici et maintenant, dans la

    prose de la vie quotidienne, quopre le travail sans n de lgalisation

    des ingalits.

    6. Hgo Friedrih, Montaigne, Gaiard, 1967, p. 115.

    7. cf. Ferdiad Aqi, La Dcouverte mtaphysique de lhomme chez Descartes, PuF, 1959, p. 292.

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    La charit vise une image de lHomme que lacte charitable restitue

    dans la religion cleste ou cre ex nihilo dans des idoles proanes. En

    revanche, lgalit na pas de modle extrieur, ni Adam rgnr ou

    rdim ni homme utur. Distinguons ici deux types dengagement incon-

    ciliables. Le premier dont relve entre autres la charit implique une

    production qui saccomplit dans une uvre extrieure, une statue, une

    paire de souliers. Le second est une action, o produit et producteur

    ne ont quun ; cest le travail de soi sur soi quexerce un individu qui

    sauto-duque ou une socit qui sinvente un mode de vie. La lutte

    pour lgalisation relve de ce deuxime type. Aristote la dsigne comme

    praxis par opposition la poisis , production du premier type.

    Lesprance, troisime vertu thologique, cde la place la vertu quasi

    antonyme de la raternit du dsespr, celle du citoyen qui branl,

    dsenchant ou dracin soblige, par lucidit, se mer de ses esp-

    rances. Rien l nintroduit au pessimisme le plus noir. La mise en doute

    des espoirs trop armatis est une rgle prudentielle constitutive de la

    philosophie grecque : lesprance tait cadeau empoisonn des Dieux

    (via Pandore), spciquement ourdi pour aoler et perdre les hommes

    (selon Hsiode). Lexprience des guerres de religion conrma cettervocation, tuer les gens, il aut une clart lumineuse et nette , dit

    Montaigne. Trouvez clart plus lumineuse que lesprance, elle guide la

    bombe humaine.

    Jadis (souvent aujourdhui encore), les prceptes qui conduisaient

    laction paraissaient dduits de vrits incorruptibles : le ciel ne ment

    pas, la rvolution ne ment pas, la terre ne ment pas Mal nous en prend,la terre, le sang, la rvolution, le peuple sont des puissances trompeuses,

    et mme si Dieu ne ment pas, les hommes se mentent son sujet. Nos

    valeurs ne peuvent se soutenir dune divinit qui soit nexiste pas, soit

    (selon Pascal) se cache. Ni la libert, ni lgalit, ni la raternit ne se

    rclament en France dun bien suprme, mais toutes trois de son absence.

    La France a invers lordre des ondements thiques, elle ne part pas du

    plus haut, elle raisonne en partant du plus bas que terre. Le socle des

    valeurs ne rside plus dans la recherche de Cythre. Depuis les guerresde religion, lantidestin ranais parie que lentente citoyenne onde sur

    (et contre) les maux est premire. chacun son dieu, tous lexprience

    partage ou partageable du mal. Les terribles preuves du XXe sicle

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    ont convaincu lEurope, et parois la plante, de la ncessit de com-

    battre linhumain avant que de satteler au surhumain. Ce qui conre

    aux valeurs ranaises un dynamisme contagieux et un certain parum

    duniversalit.

    La libert lutte contre la libert du crime. Lgalit combat linga-

    lit sans cesse renaissante. La raternit est une union sans communion.

    Mystiques et platoniciens se rcrient : le mal nest que daillance du

    bien. Pour le citoyen, conront aux durs ppins de la ralit, le bien est

    la daillance souhaite du mal. Ce ut la voie choisie par la mdecine

    occidentale dcidant dtre lat des dsordres, dnissant la sant

    avec modestie comme ce qui rsiste aux maladies. vouloir en revanchedistribuer une sant reine, le gourou se substitue au soignant et le trou de

    la scurit sociale devient aussi inni que les thrapies censes conrer

    limmunit des corps et le ravissement des mes. Retour sur terre, o les

    vertus sont nos garde-ous et o le ou, cest nous.

    Andr Glucksmann,

    philosophe

    Paris, le 15 mars 2011

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    Ferdinand Tnnies, Communaut et Socit, PUF 1944

    Karl Marx, Salaires, Prix et Profts, E , 1966

    Max Weber, Le Savant et le Politique, P 2006

    Arnold Joseph Toynbee, La civilisation lpreuve, G, 1951

    Nicole Loraux, La cit divise, P, 1997

    Jan Patocka, Essais Hrtiques, V , 2007

    Le Roman de Renart, P G, 1998Gustave Cohen, Le Roman de Renart, 4 (CDU)

    Claude Reichler, La Diabolie, E. M, 1987

    Le Goupil et le Paysan, , H C, 1990

    Jean Goldzink, Comique et Comdie au sicle des Lumires, LH, 2000

    Mona Ozouf, Les mots des emmes, essai sur la singularit ranaise, F, 1995

    Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Phnomnologie de lEsprit, A

    M, . J H, T 1, 1939

    Marivaux, Thtre, P G, 1979

    Claude Levi-Strauss, Introduction l'uvre, Marcel Mauss, Sociologie etanthropologie, PUF, 1950

    BIBLIoGRAphIE

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    Quelle industrie pour la dense ranaise ?Guillaume Lagane, mai 2011, 26 pages

    La religion dans les afaires : la responsabilit sociale de l'entrepriseAurlien Acquier, Jean-Pascal Gond, Jacques Igalens, mai 2011, 44 pages

    La religion dans les afaires : la nance islamiqueLila Guermas-Sayegh mai 2011, 36 pages

    O en est la droite ? LAllemagne

    Patrick Moreau, avril 2011, 56 pagesO en est la droite ? La Slovaquietienne Boisserie, avril 2011, 40 pages

    Qui dtient la dette publique ?Guillaume Leroy, avril 2011, 36 pages

    Le principe de prcaution dans le mondeNicolas de Sadeleer, mars 2011, 36 pages

    Comprendre le Tea PartyHenri Hude, mars 2011, 40 pages

    O en est la droite ? Les Pays-BasNiek Pas, mars 2011, 36 pages

    Productivit agricole et qualit des eauxGrard Morice, mars 2011, 44 pages

    LEau : du volume la valeur

    Jean-Louis Chaussade, mars 2011, 32 pagesEau : comment traiter les micropolluants ?Philippe Hartemann, mars 2011, 38 pages

    Eau : ds mondiaux, perspectives ranaisesGrard Payen, mars 2011, 62 pages

    Nos dERNIREs puBLIcATIoNs

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    Internet, politique et coproduction citoyenneRobin Berjon, septembre 2010, 32 pages

    O en est la droite ? La PologneDominika Tomaszewska-Mortimer, aot 2010, 42 pages

    O en est la droite ? La Sude et le DanemarkJacob Christensen, juillet 2010, 44 pages

    Quel policier dans notre socit ?Mathieu Zagrodzki, juillet 2010, 28 pages

    O en est la droite ? LItalieSoa Ventura, juillet 2010, 36 pages

    Crise bancaire, dette publique : une vue allemandeWolgang Glomb, juillet 2010, 28 pages

    Dette publique, inquitude publiqueJrme Fourquet, juin 2010, 32 pages

    Une rgulation bancaire pour une croissance durableNathalie Janson, juin 2010, 36 pages

    Quatre propositions pour rnover notre modle agricolePascal Perri, mai 2010, 32 pages

    Rgionales 2010 : que sont les lecteurs devenus ?Pascal Perrineau, mai 2010, 56 pages

    LOpinion europenne en 2010Dominique Reyni (dir.), ditions Lignes de repres, mai 2010, 245 pages

    Pays-Bas : la tentation populisteChristophe de Voogd, mai 2010, 43 pages

    Quatre ides pour renorcer le pouvoir dachat

    Pascal Perri, avril 2010, 30 pages

    O en est la droite ? La Grande-BretagneDavid Hanley, avril 2010, 34 pages

    Renorcer le rle conomique des rgionsNicolas Bouzou, mars 2010, 30 pages

    Rduire la dette grce la ConstitutionJacques Delpla, vrier 2010, 54 pages

    Stratgie pour une rduction de la dette publique ranaiseNicolas Bouzou, vrier 2010, 30 pages

    O va lglise catholique ? dune querelle du libralisme lautreEmile Perreau-Saussine, Octobre 2009, 26 pages

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    lections europennes 2009 : analyse des rsultats en Europe et en FranceCorinne Deloy, Dominique Reyni et Pascal Perrineau, septembre 2009,32 pages

    Retour sur lalliance sovito-nazie, 70 ans aprs

    Stphane Courtois, juillet 2009, 16 pages

    Ltat administrati et le libralisme. Une histoire ranaiseLucien Jaume, juin 2009, 12 pages

    La politique europenne de dveloppement :une rponse la crise de la mondialisation ?

    Jean-Michel Debrat, juin 2009, 12 pages

    La protestation contre la rorme du statut des enseignants-chercheurs :

    dense du statut, illustration du statu quo.Suivi dune discussion entre lauteur et Bruno BensassonDavid Bonneau, mai 2009, 20 pages

    La Lutte contre les discriminations lies lge en matire demploilise Muir (dir.), mai 2009, 64 pages

    Quatre propositions pour que lEurope ne tombe pas dans le protectionnismeNicolas Bouzou, mars 2009, 12 pages

    Aprs le 29 janvier : la onction publique contre la socit civile ?Une question de justice sociale et un problme dmocratiqueDominique Reyni, mars 2009, 22 pages

    LOpinion europenne en 2009Dominique Reyni (dir.), ditions Lignes de repres, mars 2009, 237 pages

    Travailler le dimanche : quen pensent ceux qui travaillent le dimanche ?Sondage, analyse, lments pour le dbat

    (coll.), janvier 2009, 18 pages

    Retrez ntre atalit et n bliatin r www.nal.rg

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    Pour renorcer son indpendance et conduire sa mission dutilitpublique, la Fondation pour linnovation politique, institution de la

    socit civile, a besoin du soutien des entreprises et des particuliers. Ilssont invits participer chaque anne la convention gnrale qui dnitses orientations. La Fondapol les convie rgulirement rencontrer sesquipes et ses conseillers, discuter en avant premire de ses travaux, participer ses maniestations.

    Reconnue dutilit publique par dcret en date du 14 avril 2004, la Fondapolpeut recevoir des dons et des legs des particuliers et des entreprises.

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    Avantage scal : votre entreprise bncie dune rduction dimpt de60 % imputer directement sur lIS (ou le cas chant sur lIR), dansla limite de 5 du chire daaires HT (report possible durant 5 ans).

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