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LIBERTÉ D’ASSOCIATION (version abrégée) 2009 Conseil confédéral Québec, 22, 23,24 septembre 2009

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LIBERTÉ D’ASSOCIATION (version abrégée)

2009

Conseil confédéral Québec, 22, 23,24 septembre 2009

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I. La liberté d’association : un droit fondamental La liberté d’association qui permet à des individus de se regrouper aux fins de poursuivre un même objectif constitue un des aspects fondamentaux de la vie dans une société libre et démocratique. Elle favorise la mise en commun des efforts des citoyens pour faire contrepoids aux interventions de l’État ou de toute autre entité disposant d’un pouvoir important.

II. La liberté d’association et les relations du travail Dans le contexte du monde du travail, la liberté d’action concertée se retrouve sous le vocable de la liberté syndicale et se présente « comme l’une des composantes de l’ordre social fondamental1 ». La liberté syndicale, protégeant autant les buts légitimes poursuivis par un regroupement de salariés que les moyens pour les atteindre, a fait l’objet d’une reconnaissance sur le plan international dès la fin de la seconde guerre mondiale.

III. Sa reconnaissance sur le plan international Lors de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme2 en 1948, l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies a reconnu tant la liberté d’association pacifique que le droit pour toute personne « de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts3 ». Par la suite, deux pactes internationaux adoptés en 1966 ont repris cette affirmation de la liberté syndicale. Puisque le Canada a adhéré à ces deux pactes en 1976, les engagements qui y sont contenus peuvent servir à interpréter notre droit interne. Bien que ces engagements internationaux convenus par le Canada ne se transposent pas directement en droit interne, ils n’en représentent pas moins des affirmations permettant de mieux préciser les volontés gouvernementales exprimées dans les lois.

IV. Sa reconnaissance sur le plan interne En droit interne, tant le Code canadien du travail4, à son article 8, que le Code du travail du Québec5, à son article 3, affirment le droit des salariés à adhérer au syndicat de leur choix et de participer à ses activités. Les chartes6 reconnaissent elles aussi la liberté d’association à titre de liberté fondamentale, mais nous verrons que sa portée telle que définie par la Cour suprême du Canada est loin d’englober toutes les composantes de la liberté syndicale reconnue sur le plan international.

1 Pierre VERGE, Gregor MURRAY, Le Droit et les syndicats, Les Presses de l’Université Laval, 1991, p. 25 2 Déclaration universelle des droits de l’homme, A.G. 3e session, 1ère partie, résolution 217A (111), p.71 Doc.N.U.

A/810 (1948). 3 Id.art. 23 par. 4. 4 Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2. 5 Code du travail, L.R.Q.C. C-27. 6 Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982

sur le Canada (1982, R.-U, c.11)]; Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12.

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D’abord en 1987, la Cour suprême du Canada, dans ce qu’il est convenu d’appeler la trilogie en matière de droit du travail7, a établi sa conception de la liberté d’association telle que contenue à la Charte canadienne des droits et libertés8. Saisie de trois pourvois concernant la validité de lois interdisant la grève et limitant le droit de négocier collectivement certaines conditions de travail, la majorité des juges de la Cour suprême du Canada, tout en reconnaissant que la Charte9 doit recevoir une interprétation large et libérale, ont statué que la liberté d’association, entendue au sens de cette Charte10 et qui appartient à l’individu et non aux groupes ou associations, ne peut englober le droit de négocier ni le droit de grève. En 1990, devant la Cour suprême, s’est posée à nouveau la question de la portée de la liberté d’association telle que contenue dans la Charte canadienne des droits et libertés11, mais cette fois dans le cadre d’une contestation d’une loi encadrant le droit pour un syndicat d’obtenir le statut d’agent négociateur, dans l’affaire Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Territoires du Nord-Ouest (commissaire)12. Comme au Québec, la liberté d’association en matière de relations du travail se manifeste d’abord par une demande d’accréditation pour que l’association de salariés obtienne ce statut d’agent négociateur, le concept du droit à l’accréditation prend ici toute son importance. Par un jugement divisé à quatre contre trois, la Cour suprême du Canada déclare que les objectifs fondamentaux des associations de salariés ne sont pas protégés en vertu de l’alinéa 2 d) de la Charte canadienne13. Selon les motifs du juge Sopinka auxquels souscrivent les juges La Forest et l’Heureux Dubé, une association de salariés ne peut revendiquer aucun droit découlant de l’article 2 d) hormis son droit à l’existence même. Par la suite en 1999, la Cour suprême du Canada a été saisie de la question de la légalité des dispositions excluant le droit à l’accréditation pour les membres de la GRC en regard de la liberté d’association dans Delisle c. Sous-procureurs général du Canada14. Dans ce jugement, la Cour conclut que « la liberté d’association ne comprend pas le droit de former un type particulier d’association défini par une loi particulière15 ».

7 Renvoi relatif à la public service employee relations act (Alb.) [1987] 1 R.C.S. 313; AFPC c. Canada [1987]1

R.C.S. 424; SDGMR c. Saskatchewan [1987]1 R.C.S. 460. 8 Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (1982, R-U, c. 11)]. 9 Id. 10 Id. 11 Id. 12 Institut professionnel de la Fonction publique du Canada c. Territoires du Nord-Ouest (Commissaire) [1982] 2 R.C.S. 367. 13 Précitée, note 15. 14 Delisle c. Sous-procureur Général du Canada . [1999] 2 RCS 989. 15 Id.

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Finalement, une décision récente du plus haut tribunal du Canada modifie la position exprimée dans la trilogie et conclut dans Health Services c. Colombie-Britannique16 que la loi de la Colombie-Britannique qui a invalidé certaines dispositions des conventions collectives applicables dans le secteur de la santé et interdit la négociation sur certaines questions dont la sous-traitance, viole la liberté d’association protégée par la Charte canadienne des droits et libertés. Le droit à la négociation reçoit ainsi une protection constitutionnelle par cet arrêt qui ne remet pas en cause par ailleurs le jugement rendu dans l’affaire Delisle17. Finalement, le jugement de la Cour supérieure d’octobre 2008, déclarant inconstitutionnelles les lois 7 et 8 dans CSN et als c. P.G. du Québec18 confirme que le droit de négocier et l’exercice de la liberté syndicale font partie du droit d’association protégé par les Chartes19. Au-delà de la protection constitutionnelle ou non du droit à l’accréditation comme élément de la liberté d’association, il n’en demeure pas moins que ce droit existe bel et bien; il est d’ailleurs spécifiquement reconnu à l’article 21 du Code du travail20 qui précise qu’une association de salariés a droit à l’accréditation si elle rencontre certaines exigences. De même, l’article 3 de ce Code21 qui prévoit la liberté d’association, s’impose à l’employeur dont le comportement est régi sur la base de cette reconnaissance. Comme le mentionne le Tribunal du travail dans Association des employés de Pyradia Inc. c. Pyradia Inc. : « Avant les chartes, il y avait des droits prévus en faveur du citoyen et des organismes dans une foule de lois; depuis les chartes, il y a encore et toujours de ces droits et leur existence n’est pas en soi menacée par le constat d’une absence de garantie par la charte. C’est le cas du droit à l’accréditation22. »

V. Historique législatif au Québec C’est en 1944 qu’est adoptée au Québec la Loi des relations ouvrières23 inspirée principalement par la législation américaine de 1935 (Wagner Act). Cette loi consacre le monopole de la représentation syndicale et les principes de la négociation collective.

16 Health Services c. Colombie-Britannique. [2007] 2 RCS 391. 17 Précitée, note 21. 18 CSN et Alss c. P.G. du Québec, 500-17-018968-043 (C.S.). 19 Précitée, note 13. 20 Précitée, note 12. 21 Id. 22 Association des Employés de Pyradia Inc. c. Pyradia Inc., [1988], T.T. 32,36 23 Loi des relations ouvrières, S.R.Q. 1941, c. 162A

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Dès 1944, le législateur québécois reconnaît que le caractère représentatif d’un syndicat s’établit en fonction du nombre d’adhésions et que le scrutin secret ne sera utilisé qu’à titre de moyen secondaire pour régler des cas particuliers. En 1964, une refonte des lois touchant le travail est entreprise et elle donne naissance au premier Code du travail24 au Québec. À l’occasion de cette refonte, le même mécanisme de reconnaissance des syndicats est retenu. Le calcul de ses adhésions permet au syndicat d’être accrédité à moins qu’une situation particulière ne justifie la tenue d’un scrutin secret. En 1977, sous le premier règne d’un gouvernement péquiste, des amendements au Code du travail25 sont adoptés principalement pour interdire l’utilisation de briseurs de grève. Le mode de représentation syndicale demeure inchangé. En 1985, la Commission consultative sur le travail et la révision du Code du travail appelée la Commission Beaudry dépose son rapport intitulé « Le travail, une responsabilité collective rapport final26 ». Ce rapport fait suite à une vaste consultation auprès des québécois en vue d’une réforme du Code du travail27. Cette commission s’est penchée sur la question de l’usage du vote comme moyen de déterminer le caractère représentatif des syndicats. Elle estime qu’il n’est pas facile de trouver des réponses certaines et judicieuses aux questions soulevées par ce débat. La Commission formule ainsi certaines des questions : « Comme il existe sûrement un délai minimal incompressible dû à l’annonce et à l’organisation du vote, la campagne le précédant peut-elle être égale entre un employeur existant et un syndicat en formation à l’intérieur de l’entreprise ? L’obstruction ou l’intimidation de la part d’un employeur individuel en serait-elle amoindrie comme tous le souhaitent, ou en serait-elle amplifiée? »28 Agissant avec prudence, la Commission maintient la méthode de calcul des effectifs syndicaux par le calcul du nombre d’adhésions. Une autre réforme du Code du travail29 fut entreprise en 2001 par le projet de Loi no. 31. La Commission de l’économie et du travail a entendu les représentations des principaux acteurs impliqués. 24 Précité, note 12. 25 Id. 26 Commission consultative sur le travail et sur la révision du Code du Travail, Le Travail, une responsabilité collective 1985. 27 Précité, note 12. 28 Précité, note 33. 29 Précité, note 12.

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Dans le cadre de cette consultation, certains groupes dont le Conseil du patronat du Québec ont fait du scrutin secret une condition essentielle à leur aval pour l’instauration d’une Commission des relations du travail et l’abolition de l’appel devant le Tribunal du travail. Est-ce à dire que le vote au scrutin secret permet pour le Conseil du patronat du Québec d’atteindre les mêmes fins que l’appel devant le Tribunal du travail leur permettait d’atteindre ? Le gouvernement du Québec a maintenu dans la loi qu’il a adoptée le calcul des effectifs basé sur le nombre d’adhésions comme moyen de base servant à l’établissement du caractère représentatif et la tenue d’un scrutin secret si des motifs juridiques le justifient. Voici concrètement comment se déroule le processus d’accréditation au Québec. Au Québec, la mise en œuvre de la liberté d’association par la procédure d’accréditation est encadrée par un processus institutionnel qui relève de l’agent de relations du travail et de la Commission des relations du travail. Ce processus implique différentes étapes pour le traitement d’une requête en accréditation.

VI. Le processus d’accréditation Pour la vérification du caractère représentatif, l’agent de relations du travail d’une part vérifie les formules d’adhésion et d’autre part enquête auprès d’un échantillon plus ou moins grand selon le cas de salariés, pour vérifier si leur adhésion est conforme. Si l’agent découvre des irrégularités concernant particulièrement le caractère libre et volontaire de certaines adhésions il l’indiquera à son rapport et le commissaire chargé du dossier pourra en vertu de l’article 32 du Code du travail30 ordonner la tenue d’un scrutin secret. À l’occasion de leur rencontre avec l’agent de relations du travail les salariés ont toute la latitude nécessaire pour dénoncer s’il y a lieu, un comportement répréhensible de la part du syndicat. Une telle dénonciation entraînera une enquête plus exhaustive de la part de l’agent de relations du travail affecté au dossier.

VII. L’équilibre des forces en présence : liberté d’expression des employeurs et pratiques déloyales

Depuis toujours le Code du travail31 ne reconnaît pas à un employeur le statut de partie intéressée pour tout ce qui concerne le caractère représentatif d’un syndicat qui cherche à être accrédité. En conséquence, l’employeur ne peut participer à l’enquête et l’audition sur cette question. Cette interdiction se justifie aisément compte tenu des mesures de représailles que pourraient imposer l’employeur à ses salariés militants.

30 Id. 31 Id.

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Comme les employeurs sont généralement très intéressés par rapport à cette question, ils tentent souvent d’influencer leurs salariés par toutes sortes de moyens. Il n’est pas exceptionnel de voir au Québec des employeurs faire pression sur leurs salariés pour qu’ils n’adhèrent pas au syndicat comme ce fut le cas dans l’affaire impliquant la Charcuterie Tour Eiffel inc.32 Personne ne peut prétendre qu’en contexte d’organisation syndicale, l’employeur et le syndicat en formation ont le même pouvoir de persuasion. Les avantages à venir que peut procurer un syndicat accrédité constitue le seul argument pour le syndicat en formation alors que l’employeur de qui dépend directement le travail des salariés et qui en contrôle les conditions, jouit d’une influence nettement plus importante. On n’a qu’à penser au dossier de Wal-Mart à Jonquière. Que retiennent du message de Wal-Mart ses salariés dans les autres succursales si ce n’est le message suivant : Si vous adhérez à un syndicat et qu’il est accrédité, vous allez perdre votre travail parce que le magasin va fermer. Cet argument est de nature à ébranler plus d’un salarié puisqu’il met en péril directement leur gagne-pain.

VIII. Vote au scrutin secret : Démocratie ou ouverture aux tactiques anti-syndicales ? Comme l’écrivait en 1982 le professeur Fernand Morin dans Rapports collectifs du travail33 : « Scrutin et adhésion sont de nature fondamentalement différente ». D’abord ces deux moyens se situent dans des contextes différents. Le scrutin est tenu à moment précis suivant une campagne de sollicitation publique provenant de groupes opposés. Le vote n’engage pas formellement son auteur qui demeure anonyme. Les adhésions qui sont des actes privés peuvent s’étaler sur une longue période et exigent un engagement personnel de son auteur envers l’organisation à laquelle il adhère. L’adhésion demeurera le moyen essentiel permettant la participation des salariés aux objectifs poursuivis par leur syndicat. Dans le modèle politique, personne ne prétendra que voter pour un parti politique ou en devenir membre sont deux gestes équivalents qui ont la même portée. Dans le cadre de la tenue d’un scrutin secret, les moyens dont disposent les groupes opposés peuvent avoir un effet déterminant sur le résultat. Comment un syndicat en formation peut-il prétendre disposer de moyens aussi efficaces qu’un employeur ou qu’un groupe de salariés appuyés par l’employeur lui permettant de gagner le vote ? Me Louis Morin, ex-juge au Tribunal du travail, écrivait une opinion en 2005 dans laquelle il dit : « Dans toute ma carrière, je n’ai pas rencontré un seul employeur qui ait bien pris la nouvelle lorsqu’un syndicat montrait le bout du nez. Parfois les réactions

32 TUAC, local 501 c. Charcuterie Tour Eiffel, 2004t-262, (CRT). 33 Fernand MORIN, Rapports collectives du travail, Les Éditions Themis, 1982

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sont virulentes. Est-ce plus démocratique de voter contre la syndicalisation après que l'employeur eut menacé les salariés de fermeture, de perte de droits, etc. que d’avoir signé une carte d’adhésion même si c’est avec persistance qu’on a demandé de le faire34 » ? La tenue d’un scrutin secret obligatoire pour l’obtention d’une accréditation entraîne nécessairement un délai supplémentaire et en cette matière, tous savent que le temps c’est le nerf de la guerre. Plus les délais sont longs pour obtenir une accréditation plus les employeurs peuvent tenter d’influencer les salariés à la défaveur du syndicat. Il n’était donc pas surprenant qu’en 2001 le Conseil du patronat du Québec tente de marchander son appui à l’abolition de l’appel devant le Tribunal du travail et la création d’une Commission des relations du travail contre le scrutin obligatoire. Le délai permet la multiplication des pratiques déloyales visant la négation directe du droit d’association. Par ailleurs, comme la tenue d’un scrutin secret suppose au préalable la tenue d’une campagne visant à promouvoir les points de vue opposés, les salariés qui militeront ouvertement en faveur de l’accréditation du syndicat s’exposeront au pire, surtout en cas d’un résultat négatif. En effet, ils seront identifiés par l’employeur comme des trouble-fêtes et risqueront des représailles de sa part et ce, en l’absence de toute la protection que procure généralement la présence d’un syndicat et la conclusion d’une convention collective. De plus, ces salariés pourront-ils faire leur propagande sur les lieux du travail sans risque de sanction alors qu’il est évident que les anti-syndicaux bénéficieront de l’appui ou au moins d’une bienveillante tolérance de la part de l’employeur ? En somme, une véritable campagne pré-vote ne peut être menée à armes égales et son résultat ne peut représenter véritablement le choix individuel de chaque salarié impliqué.

IX. Le contexte nord-américain : réalités, études de cas et perspectives En 2001, lors des débats précédents, l’adoption du projet de loi venu modifié le Code du travail afin de créer la CRT, l’harmonisation du droit québécois avec les législations nord-américaines se présentait comme l’un des premiers arguments des partisans du vote obligatoire. S’agissant d’un grand terrain de jeu concurrentiel, l’Amérique du Nord devrait être le gabarit des mesures adoptées dans le cadre québécois.

Or, quant au vote obligatoire, le Canada et ses provinces constituent un véritable laboratoire permettant de tester l’impact de son adoption sur le taux de syndicalisation et l’équilibre des relations de travail. En effet, les dernières décennies ont été marquées par un va-et-vient législatif sur cette question modulée au gré des élections.

34 Le Devoir, 16 mai 2005.

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X. L’état du droit au Canada En 1976, aucun travailleur canadien n’était régi par une loi forçant le vote en cas de demande d’accréditation. Il est impressionnant de constater qu’en 2006, c’est près de 7 travailleurs canadiens sur 10 qui vivaient dans une province où le vote était désormais obligatoire afin d’être accrédité. Le tableau suivant fait état du type de processus d’accréditation que l’on retrouve dans les différentes provinces canadiennes et au fédéral en 2008.

Tableau résumé des procédures d’accréditation en 2008 au Canada

Législation Preuve d’appui ! % nécessaire ! type

Procédure

Possibilité d’accréditation en cas de pratiques déloyales*

Fédérale

! demande d’adhésion signée

! versement de 5$ ! dans les 6 mois

précédents la demande

Plus de 50% : ! accréditation sans scrutin

Si entre 35 et 50% : ! scrutin obligatoire ! quorum 35%, sinon nul ! résultat : majorité des

voix exprimées

Oui

Colombie-Britannique

! 45% d’appui ! déclaration d’adhésion ! versement des

cotisations ! dans les 90 jours

précédents

! scrutin obligatoire dans les 10 jours de la demande (depuis 2001)

! quorum 55%, sinon possibilité second vote

! résultat : majorités des voix exprimées

Oui

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Alberta

! 40% d’appui ! demande d’adhésion

signée ! versement de 2$ ! ou : pétition signée par

les membres (40%) ! Dans les 90 jours

précédents

! scrutin obligatoire ! quorum non spécifié ! résultat : majorité des

voix exprimées Non

Saskatchewan

! 45% d’appui ! attestation d’adhésion

écrite ! 90 jours précédents

! scrutin obligatoire (depuis 2008)

! quorum à 50% des travailleur-euses éligibles

! résultat : majorité des voix exprimées

Non (ordonne plutôt un nouveau scrutin, malgré

l’absence du 45% d’appui

initial)

Manitoba

! 40% d’appui ! preuve d’adhésion ou

de maintien ! 6 mois précédents

Plus de 65% : ! accréditation automatique

(avant, le vote était obligatoire dans tous les cas)

Entre 40 et 65% : ! vote obligatoire dans les

7 jours du dépôt ! quorum non spécifié ! résultat : majorité des

voix exprimées

Oui

Ontario

! 40% ! liste de membres

accompagnée des demandes signées

! scrutin obligatoire dans les 5 jours du dépôt

! quorum non spécifié ! résultat : majorité des

voix exprimées Secteur de la construction (nouveau) : + de 55% : ! accréditation possible

sans vote ! Entre 40 et 55% : vote

obligatoire

Oui (ou ordonner un nouveau

vote dans les conditions

nécessaires pour en assurer

l’intégrité) sur requête du syndicat

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Nouveau-Brunswick

! 40% d’appui ! document écrit et paiement de

1$

+ de 50% : ! accréditation sans scrutin possible

+ de 60% : ! accréditation automatique

Entre 40 et 50% : ! vote possible ! résultat : 50% des personnes

ayant droit de vote et présentes au moment du vote

Oui

Nouvelle-Écosse

! 40% d’appui ! adhésion signée accompagnée

d’un minimum de 2$ ! 3 mois précédents

! scrutin obligatoire dans les 5 jours du dépôt et dans les 3 jours de l’avis de dépôt envoyé à l’employeur

! quorum non spécifié ! résultat : majorité des voix

exprimées

Oui

Ile-du-Prince-Édouard

! aucun pourcentage pour déposer

! adhésion au syndicat ! ou document d’appui signé ! 2$ de cotisation ! 3 mois précédents

+ de 50% : ! accréditation possible sans scrutin

La commission peut tenir un vote sur le caractère représentatif en tout temps : ! résultat : majorité des membres

éligibles ayant exprimée leur vote

Non

Terre-Neuve et Labrador

! l’association peut déposer si elle croit être appuyée par la majorité

! demande d’adhésion signée ! 90 jours précédents

40% et + : ! scrutin obligatoire dans les 5 jours

du dépôt, majorité des travailleurs de l’unité

! l’employeur et le syndicat peuvent déposer une entente commune à l’effet que le vote n’est pas nécessaire

Non

* Les différentes lois étudiées comportent leur propre définition de « pratique déloyale », on entend généralement par là des actes posés par l’employeur visant à contrer l’accréditation ou la vie syndicale en influant sur le rapport de force entre les parties, entre autre par l’usage d’intimidation, la diffusion de messages anti-syndicaux, l’usage de promesse ou de menace, etc.

Note 1 : données consultées le 12 novembre 2008, sources législatives diverses, à jour minimalement depuis août 2008.

Note 2 : Ces législations prévoient le refus d’accréditation dans le cas d’association dominé par l’employeur.

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XI. L’impact sur le taux de syndicalisation : études de cas

-The card-based system has proven to be an effective way of gauging employee wishes and we are not convinced that it is unsound or inherently convincing to employers. It requires a majority of all workers, not just those who vote. It reduces the opportunities for inappropriate employer interference with the employee’s choice-

Rapport de la commission Simms sur la révision du code canadien du travail de 1995

XII. Le vote obligatoire affecte-t-il le taux de syndicalisation?

En commission parlementaire, c’était d’une voix unanime que les tenants du vote obligatoire déclaraient ne pas vouloir s’attaquer au droit des travailleurs de se syndiquer. En fait, c’était au nom de la « démocratie syndicale » que ces personnes se faisaient les croisées de la défense du droit des travailleurs à un choix « éclairé » sous le symbole du vote, principe premier de notre démocratie selon celles-ci. Avant d’expliquer le détail des études rapportées ici, un constat s’impose :

L’adoption d’une procédure de vote obligatoire a un impact négatif et significatif sur le taux de syndicalisation.

Deux hypothèses peuvent être retenues expliquant ce constat. La première est à l’effet que le délai engendré par la procédure offrirait la possibilité aux employeurs de décourager la syndicalisation. De ce fait, les employeurs auraient recours à une série de pratiques déloyales. À l’inverse, l’hypothèse sacrée du patronat lors des travaux parlementaires de 2001 est que la pression par les pairs et les tactiques syndicales durant la période « d’effervescence » que constitue une campagne d’accréditation auraient engendrer une surreprésentation de leurs appuis. Vérifions ces hypothèses.

XIII. Études pan-canadiennes : la syndicalisation en baisse Une étude de 2002 comparant l’historique des procédures d’accréditation dans plusieurs provinces canadiennes permet d’affirmer que l’adoption d’une procédure de vote obligatoire réduit le taux de réussite d’une requête en accréditation de près de 9%. Selon l’auteure de cette étude, si l’on émet l’hypothèse que de 1980 à 1998 le vote aurait été obligatoire dans toutes les provinces, le taux de syndicalisation globale au Canada aurait été inférieur de 3 à 5% au taux réel.

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Identifier le coupable Dans une autre étude, une chercheure de l’université de Toronto a vérifié l’affirmation à l’effet que les employeurs canadiens seraient plutôt complaisants envers les associations cherchant à être accréditée. S’appuyant sur un sondage réalisé sur une base volontaire auprès d’employeurs dans huit juridictions canadiennes entre 1991 et 1993, l’auteure conclut que l’opposition à l’accréditation est la norme, phénomène se manifestant sous diverses formes. En bref, l’auteure relève les différents pourcentages de réponse qui suivent :

! 88% des employeurs ont posé des gestes visant à restreindre l’accès du syndicat aux employés;

! 68% d’entre eux s’étaient adressé directement aux travailleurs pour

contrer la campagne de syndicalisation; ! 29% ont entrepris diverses mesures de surveillance et de restriction des

règles d’atelier; ! 12% ont admis ouvertement avoir recours à des pratiques déloyales; ! De plus, 32% d’entre eux avaient entraîné leurs cadres pour qu’ils et

elles puissent déceler et réagir à une campagne d’accréditation; ! Le tout, sans compter les procédures de contestation judiciaire de

l’accréditation (29%). En somme, 80% des employeurs ont fourni des réponses allant dans le sens d’une opposition à l’accréditation, même si les gestes posés n’étaient pas explicitement considérés comme des « pratiques déloyales ». En fait, 1/5 d’entre eux ont été accusés ou ont admis ouvertement avoir utilisé de telles pratiques déloyales. Cette étude démontre aussi que ces pratiques déloyales auront un impact marqué pour la suite des relations de travail. Laisser un plus long délai à l’employeur, c’est instaurer une possibilité de plus de voir les relations de travail s’envenimer et le climat de négociation futur se pourrir. Mise en relation, les deux études précédentes permettent donc de conclure que l’hypothèse à l’effet que la période de vote permet une intrusion plus accrue de l’employeur dans le processus d’accréditation semble se confirmer.

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Arguments logiques À ce sujet, certains constats permettent de comprendre les différences significatives entre les deux types de procédures d’accréditation pour chacun des trois groupes d’acteurs impliqués que sont le syndicat, les travailleurs et l’employeur. Les voici :

1. Les « coûts » économiques et psychologiques pour les travailleurs et les associations lorsqu’ils supportent une campagne d’accréditation sont plus élevés dans le cas du processus de vote obligatoire :

a) Effectivement, à la base pour qu’une campagne soit entreprise, des

travailleurs doivent avoir approcher ou supporter une association: sous une procédure de vote, l’employeur a plus de loisir de sévir directement contre eux, considérant les délais.

b) Le vote se tenant généralement dans les locaux de l’employeur, celui-ci

jouit d’une somme considérable d’informations sur les votants : les travailleurs ont donc plus de craintes à l’effet que l’employeur tire des conclusions négatives face à leur présence lors du vote.

c) Le syndicat doit défrayer des coûts supplémentaires pour s’assurer du

maintien de son appui lorsqu’une campagne est déclenchée.

d) La participation de l’employeur à cette campagne implique aussi des coûts additionnels pour le syndicat, afin de riposter à ses tactiques.

2. Selon les études, les employeurs ont plus d’opportunité, et sont plus portés, à

s’engager dans des pratiques déloyales lors de vote obligatoire. 3. Les tactiques anti-syndicales sont plus efficaces en cas de vote obligatoire :

a) Ces constats découlent tout simplement de la période entre le dépôt de la requête (moment où l’employeur apprend officiellement qu’il y a campagne en cours) et le vote.

b) Les tactiques mises de l’avant par l’employeur une fois la requête

déposée dans le cas d’un système sur carte ne peuvent influencer le support que connaît l’association pour le décompte de celui-ci.

4. Le rapport de force se transfère littéralement du côté de l’employeur dans le cas

du vote obligatoire.

a) Dans un processus de vote, l’employeur acquiert le plus de poids parce que : d’une part, il peut influencer les travailleurs dans leurs décisions quant au vote; d’autre part, il peut influencer les décisions de l’association quant à l’opportunité d’entreprendre ou de continuer une

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campagne de syndicalisation, ou encore en forçant les réactions de l’association par ses tactiques déloyales.

b) Ce rapport de force est donc modulé par le fait que les tactiques de

l’employeur sont rendues plus efficaces sous cette procédure. Il est à noter que les constats qui précèdent sont appuyés par les faits que voici. Québec, Colombie-Britannique et Ontario Colombie-Britannique Le cas des modifications législatives en Colombie-Britannique en est un des plus intéressants. Effectivement, de 1978 à 1998 cette province est successivement passée d’un système basé sur l’accréditation sur carte, pour se voir imposer en 1984 l’introduction du vote obligatoire dans les 10 jours du dépôt de la requête. Finalement, en 1993, le système d’accréditation sur carte était réintroduit, l’association pouvant être accréditée sans vote si elle prouvait l’obtention de 55% d’adhésion. Partant de l’hypothèse à l’effet que le scrutin obligatoire ouvre une porte aux mesures anti-syndicales de la part des employeurs, l’auteur dénote ceci: s’il y a pratiquement aucune différence entre les deux périodes d’adhésion sur carte (avant 1984 et après 1992), le vote obligatoire peut être considéré responsable d’une diminution de 19% du taux de succès des campagnes d’accréditation dans le secteur privé (de 1984 à 1993). De plus, l’auteur constate que les pratiques déloyales des employeurs voient leur effectivité augmentée de 160% durant la période de vote obligatoire étudiée. Celles-ci étant directement responsable d’une réduction additionnelle de 6 à 8% du taux de succès des campagnes d’accréditation et ce, alors qu’un délai maximal de 10 jours pour la tenue du vote était prévu à la loi. Ontario En 1995 dans la province ontarienne, le gouvernement Harris adoptait le « Bill 7 », intitulé le Labour Relation Act of 1995. Cette loi rendait alors le vote obligatoire, éliminant de ce fait la possibilité d’être accrédité sur la base d’un pourcentage d’adhésion de 55%, pratique instaurée par le gouvernement NPD de 1992. Entre 40 et 55% d’adhésion, l’association obtenait le droit à la tenue d’un vote. L’étude des changements survenus dans le portrait syndical ontarien permet de pousser plus loin notre réflexion. Étant établi que le taux de syndicalisation se voit affecté à la baisse lorsque le vote est obligatoire, cette étude permet de cerner l’influence de cette procédure de vote sur le choix des unités ciblées par les campagnes d’accréditation des associations. Ainsi, se référant aux données recueillies dans la période qui a suivi l’adoption du vote obligatoire en Ontario, l’auteure en arrive aux constats suivants :

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1. Une baisse de 12% du taux de réussite a été notée suite à l’adoption du vote. 2. De plus, une augmentation de 21% du taux de rejet des demandes par la

commission a été notée lors de la période couverte par le vote obligatoire.

Quant aux caractéristiques des unités d’accréditation visées :

1. Les unités visées sous la procédure de vote obligatoire étaient significativement plus grandes que celles sous la procédure permettant l’accréditation sur adhésion :

a) Ces unités seraient perçues selon l’auteure comme plus facile à

syndiquer, notamment quant aux coûts liés à la campagne. 2. Une baisse de 50% des demandes d’accréditation et une baisse de 50% du

taux de succès des demandes déposées visant des unités d’accréditations composées principalement de travailleurs à temps partiel ont été dénotées lors du passage vers le vote obligatoire :

a) Cette catégorie de demandes composait déjà une minorité de toutes

celles déposées avant l’adoption du vote obligatoire.

3. Un transfert significatif du secteur des services vers le secteur manufacturier du nombre total de demandes d’accréditation est observé :

a) Les demandes d’accréditation concernant le secteur manufacturier ont

subi une hausse de 9% par rapport au total des demandes d’accréditations dans le secteur privé.

De façon générale, les auteurs de ces deux dernières études concluent dans une autre étude que le taux de réussite des campagnes d’accréditation dans le secteur privé se situait entre 60%-70% dans les provinces de la Colombie-Britannique et de l’Ontario lors de l’imposition du vote obligatoire. Par opposition, ce taux de succès était de façon générale de 90% lors d’un régime d’adhésion sur carte. De plus, il y aurait eu approximativement deux fois plus de tentatives d’accréditation en Ontario pendant une période d’adhésion sur carte plutôt que lors de la période sous le régime du vote obligatoire. Cette différence aurait été de une fois et demi en Colombie-Britannique dans le secteur privé. Ajoutons que les taux de révocation de l’accréditation auraient subi des hausses respectives de 25% et de 70% en Colombie-Britannique et en Ontario durant les périodes d’application des procédures de vote obligatoire.

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Les pratiques déloyales et mesures anti-syndicales : Comparaison Québec-Ontario Selon une étude de 1998, les employeurs du Québec et de l’Ontario auraient eux aussi eu recours à un nombre considérable de pratiques déloyales ou de mesures contre une campagne d’accréditation. À titre d’exemple, plus ou moins 50% des cas étudiés dans ces deux provinces faisaient état des tactiques suivantes (la tendance étant généralement plus basse au Québec) :

! Discours devant un auditoire captif; ! Réunion de petits groupes; ! Resserrement des règles de travail; ! Interrogatoire des travailleurs.

X1V. L’état du droit aux États-Unis

Lorsque l’on compare les situations américaines et canadiennes quant au taux de syndicalisation, un paradoxe s’impose. Effectivement, contrairement à la croyance populaire, une large proportion de travailleurs états-uniens voudrait se syndiquer. De fait, en 2004 près de 50 millions de ces travailleurs non syndiqués auraient voulu l’être, soit le tiers du secteur privé. Cependant, un fort pourcentage de ces répondants ne considérait pas réaliste de tenter une campagne, par peur des représailles. Or de la seconde moitié des années 1950 à 2004, le taux de syndicalisation aux États-Unis a chuté à 12,5%, avec un pourcentage des plus dramatiques de 7,9% dans le secteur privé. Pour la seule période allant de 1975 à 1996, le taux de syndicalisation aux Etats-Unis s’est vu couper de moitié, de 28,9 à 14,5%. De façon beaucoup plus surprenante, une autre étude nationale rapporte que les travailleurs américains avaient une attitude plus positive envers la syndicalisation que leurs homologues canadiens, mais que ces premiers devaient affronter plus d’obstacles. Plusieurs études relatent que le type de procédure d’accréditation est justement la cause des écarts entre les taux canadiens et états-uniens. L’anti-syndicalisme inc. Aux Etats-Unis, une association doit actuellement obtenir un minimum de 30% de signatures d’adhésion afin qu’un vote soit tenu. Ensuite, des semaines et des mois de contestation s’ensuivent normalement, période marquée par les embûches procédurales quant au caractère représentatif de l’unité d’accréditation. Cette procédure de vote, sans délai maximal, a ouvert la voie à une véritable « entreprise » de l’anti-syndicalisation aux dires de divers commentateurs. Les chiffres à ce sujet sont d’ailleurs éloquents.

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Ainsi, des proportions allant de 66 à 75% des cas étudiés, présentent un recours à la tactique du discours devant un auditoire captif. Dans le même ordre d’idée, des réunions de petits groupes visant à décourager la syndicalisation auraient été tenues dans des proportions de 36% ou 92% des cas. Les employeurs eurent recours à des promesses d’augmentation de salaire dans des proportions allant jusqu’à 56 et 64% des cas. Les militants syndicaux furent l’objet de mesures directes recensées dans des pourcentages allant jusqu’à 56% des cas. Quant aux stratégies de surveillance accrues des employés, la tactique de l’imposition de règles de travail plus sévères s’est retrouvée dans une proportion de 56%. Et finalement, des employeurs auraient été jusqu’à procéder à des interrogatoires des travailleurs dans 2 cas sur 3. Force est d’ailleurs de constater que la loi états-unienne actuelle ne possède que peu de mordant face à des situations avérées de « pratiques déloyales ». Par exemple, la Commission pourra ordonner un nouveau vote, qui se soldera plus souvent qu’autrement par le même résultat. S’ajoute à ceci le fait que les procédures liées à la reconnaissance d’une situation de « pratique déloyale » engendrent des délais si longs que l’appui au syndicat devient pratiquement virtuel. Si bien que seules 50% des tentatives d’accréditation seraient fructueuses. La promesse Obama : Yes, we can: certify! Le conseil du patronat disait vrai en commission parlementaire : le droit nord-américain doit être uniformisé. Mais ceci doit évidemment être fait, dans le sens des intérêts collectifs donc, de ceux des travailleurs et des travailleuses. Or, le président désigné des Etats-Unis, Barack Obama, l’a bien compris. C’est pourquoi il a promis en 2007 de faire présenter à nouveau un projet de loi intitulé le Employee Free Choice Act :

“The Employee Free Choice Act will allow workers to form a union through majority sign-up and card-checks, and strengthen penalties for those employers who are in violation. The choice to organize should be left up to workers and workers alone. It should be their free choice.”

(Chicago Tribune, 3/4/07) Bonne nouvelle pour le modèle québécois, ce projet de loi proposait justement une accréditation automatique lorsque le syndicat pourrait justifier d’une majorité d’adhésion auprès des membres de l’unité d’accréditation. Ce projet de loi annonçait aussi des peines beaucoup plus graves quant à l’ingérence patronale dans une campagne d’accréditation (jusqu’à 20 000$ pour l’employeur pour chaque violation). Or, qu’est-il arrivé du Employee Free Choice Act? proposé une première fois par une coalition formée de sénateurs et de représentants au Congrès des partis républicain et

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démocrate, ce projet de loi a obtenu en mars 2007 l’aval de la majorité au Congrès. Par la suite en juin 2007, ce projet de loi n’a malheureusement pas obtenu le nombre de voix requis au Sénat pour pouvoir être adopté lors de cette session législative. Dans tous les cas, le sort de ce projet de loi était d’ailleurs décidé d’avance, la Maison Blanche ayant annoncé dès février 2007 que le président Georges W. Bush allait opposer son veto à ce projet s’il se rendait à lui. En fait, la promesse Obama de réintroduire ce projet de loi s’est matérialisée car le président Obama a remis à l’agenda ledit projet de loi qui prévoit non seulement l’abolition des votes secrets obligatoires, mais l’imposition d’amendes en cas d’intimidation et de renvois illégaux suite à une campagne d’organisation syndicale. La réaction patronale à ce projet de loi est plus que virulente. Pour le cofondateur de Home Dépôt, Bernie Marcus, il s’agit de la « fin de la civilisation », selon ce que Jean-François Lisée rapporte dans l’Actualité de septembre 2009. Un appel au financement de la campagne contre le projet de loi est lancé à tous les patrons de chaînes de distribution. Nous verrons si la détermination d’Obama l’emportera sur le pouvoir financier des grandes entreprises. CONCLUSION En cette ère de promotion des droits et libertés de la personne, la liberté d’association est la mal-aimée de toutes. Elle doit encore s’exercer dans la clandestinité sous peine d’encourir des représailles pour l’avoir exercée. Même si la liberté d’association est promulguée à titre de droit fondamental, elle doit être exercée avec beaucoup de précautions puisque souvent le droit au travail des salariés qui la revendiquent en dépend. À preuve, quand voyons-nous au Québec une campagne de recrutement syndicale se faire au grand jour dans une entreprise non syndiquée ? Dans le cadre de la législation actuelle, l’obtention d’une accréditation à partir de la compilation des cartes d’adhésions n’est pas chose facile; il ne faut pas y ajouter une embûche supplémentaire en imposant le vote obligatoire comme condition additionnelle. Les législations encadrant le droit d’association sont à géométrie variable. Celles imposant la tenue d’un scrutin secret obligatoire permettent généralement l’émission d’une accréditation suite à une preuve de pratiques déloyales de la part de l’employeur et ce même sans l’obtention d’une majorité. Suite à la tenue d’un vote à scrutin secret, un syndicat peut être accrédité avec une majorité plus faible dépendamment du nombre de salariés exerçant leur droit de vote. En effet, l’accréditation à partir de la compilation des cartes d’adhésion nécessite

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l’obtention de la majorité absolue des salariés de l’employeur alors que l’accréditation suite à la tenue d’un scrutin secret nécessite l’obtention d’une majorité des salariés se prévalant de leur droit de vote. Une procédure de vote obligatoire a un impact négatif sur l’exercice de la liberté d’association en ce qu’elle permet une plus grande intervention des employeurs pour en contrer l’exercice. Les moyens dont disposent les employeurs pour ce faire sont variés et étendus. Ils englobent l’intervention directe auprès des salariés, les menaces de représailles voire de fermeture, l’imposition de mesures disciplinaires, l’embauche d’agents de sécurité à titre de salariés pour surveiller les autres salariés, etc. En somme, l’imposition d’un vote obligatoire pour l’obtention d’une accréditation est une attaque directe à l’exercice du droit d’association. Marilaine roy et Jonathan Leblanc Service juridique Note : ce texte sera disponible sur le site Web de la CSN à l’adresse

www.csn.qc.ca/web/csn/documentation conseils confédéraux – septembre 2009

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