OrsonScottGard

L’hommetransrormé

LADENTELLEDUCYGNE

DUMÊMEAUTEUR

CHEZLEMÊMEÉDITEUR

Leschroniquesd’AlvinleFaiseur

Leseptièmefils

Leprophèterouge

L’apprenti

Lecompagnon

Flammesdevie

Leschroniquesd’AlvinleFaiseur

(lestroispremiersromansenunvolume

avecdouzeillustrationsoriginalesdeGess)LagesteValois

JasonValois

ContesdeCapitoleetdelaforêtdesEauxTerredesorigines

Basilica

Legénéral

L’exode

Leretour

LesTerriens

Patienced’Imakulata

Letrésordanslaboîte

Observatoiredutemps

LarédemptiondeChristopheColomb

OrsonScottGard

PORTULANSDEL’IMAGINAIRE

Lnommetransie

angoisse

TRADUITDEL’AMÉRICAIN

PARARNAUDMOUSNIER-LOMPRÉ

ETLUCCARISSIMO

L’ATALANTE

Nantes

Illustrationdecouverture:Gess

MAPSINAMIRROR-THECHANGEDMAN

©OrsonScottCard,1990

©Librairiel’Atalante,1999,pourlatraductionfrançaise,àl’exceptiondesnouvellessuivantes:

EXERCICESRESPIRATOIRES,TEMPSMORTS,LESEUMÉNIDESDANSLES

TOILETTESDUQUATRIÈMEetQUIETUS,traduitesparLucCarissimo,©ÉditionsDenoël,1982

ISBN2-84172-113-2

Librairiel’Atalante,15,ruedesVieilles-Douves,44000NantesIntroduction

Jesuisincapablederegarderunfilmd’horreuroudesuspenseaucinéma.J’aiessayé,maisl’angoissedevientvitetropforte;l’écranesttropgrand,lespersonnagestropréels.Auboutd’unmoment,jedoisquittermonfauteuiletrentrerchezmoi:jen’enpeuxplus.

Etvoussavezoùjelesregarde,finalement,cesfilms-là?Chezmoi,surlecâble.Lapetitelucarneestbeaucoupplusrassurante,placéeaumilieudemonenvironnementfamilier;etquandçadevienttropinsupportable,jepeuxtoujourszappersurunerediffusiondeDickvanDyke1,deLaPetiteMaisondanslaprairieoud’unnavetabsoludesannéestrenteenattendantdemecalmeretderevenirvoircommentlasituationaévolué.

Ças’estpassécommeçapourAlienetTerminator:jenelesaijamaisvusd’unboutàl’autre.Jemerendsbiencomptequ’enréagissantainsijepervertisledesseinduréalisateur,quiestunenarrationlinéaire;mais,avecmatélécommande,regarderlatélé-

visionestdevenuunartparticipatif:jepuisdésormaiseffectuerunredécoupagedesfilmsquejejugetropangoissants.Pourmoi,L’Armefataleestbeaucoupplusagréableentrelardéd’extraitsdesNuitsblanchesd’IbizaetdesAnimauxdumonde.

Cesremarquesnousamènentàparlerdel’instrumentlepluspuissantdontdisposentlesraconteursd’histoires:lapeur.Etpasseulementlapeur,maisl’angoisse.Destroisformesdelapeur,l’angoisseestlapremièreetlaplusforte:c’estcettetension,cetteattentequinaîtquandonsaitqu’ilyaquelquechoseàcraindremaisqu’onn’apasencoreréussiàidentifierl’objetdecettecrainte;c’estlapeurquinaîtquandons’aperçoitsoudainquesonépousedevraitêtrerentréedepuisuneheure,quandonentendunbruitbizarredanslachambredupetitdernier,quandonserendcomptequ’unefenêtrequ’onestcertaind’avoirferméeestàprésentouverte,quelesrideauxbougentetqu’onestseuldanslamaison.

Laterreur,elle,n’intervientqu’àl’instantoùl’onvoitcedontonapeur:l’intrusquis’avancearméd’unpoignard,lespharesdelavoiturequiremontel’alléedelamaison,leshommesduKuKluxKlanquisortentdesbuissons,l’und’euxunecordeàlamain.C’estl’instantoùtouslesmusclesducorps,hormispeut-

êtrelessphincters,secrispentetsetétanisent,oubienoùl’onsemetàhurler,ouencoreoùl’ons’enfuit.Ilyadelafoliedanscetinstant,uneforceparoxystique-maisc’estuneforcededéchaî-

nement,pasdetension,et,decepointdevue,laterreur,siéprou-vantesoit-elle,estpréférableàl’inquiétude:enfin,onconnaîtaumoinsl’apparencedecequel’oncraint,onenconnaîtleslimites,lesdimensions.Onsaitàquois’attendre.

L’horreurestlaplusfaibledestrois.Aprèsquel’événementredoutés’estproduit,onencontemplelesrestes,lesvestiges,lecadavreaffreusementmutilé;lesémotionsvontdudégoûtàlacompassionenverslavictime,etmêmelapitiéseteintederévulsionetderépugnance;onenvientàrejeterlascèneetàniertoutehumanitéaucorpsqu’onnousmontre;parlarépétition,l’horreurperdsacapacitéàémouvoir,déshumanisejusqu’àuncertainpointlavictimeet,parconséquent,lespectateur.Commel’ontapprislesSonderkommandosdescampsdelamort,quandonadéplacéuncertainnombredecadavresnus,onn’aplusenviedepleurernidevomir:onfaitleboulot,unpointc’esttout.Onacessédelesconsidérercommedesindividus.

C’estpourquoijem’attristedevoirquetantd’auteurscontemporainsd’histoiresd’épouvantes’intéressentpresqueexclusivementàl’horreuretdélaissentl’inquiétude.Lesfilmsgoreneprennentpluslapeined’inspirerauspectateurdelasympathiepourlespersonnages,cequiestpourtantlaclépourleplongerdansl’inquiétude.Lesscènesdeterreurnesontplusterrifiantesgrâceàl’empathiequel’onressentpourlavictime,maisfascinantesparcequelepublicaenviedevoirquelleméthodeinventivedemassacrelescénaristeetleréalisateurontmiseaupoint.

Oh,lavictimetransforméeenchiche-kebab!Ah,génial,lemonstrequifaitjaillirlesyeuxdutypedel’intérieur!

Obsédésparledésirdefilmerl’infilmable,lesréalisateursd’horreurmontrentl’innommableaukilomètreetdéshumanisentdanslemêmetempsleurpublicenfaisantdelasouffrancehumaineun«divertissement»soumisàuneescaladeobscène.

C’estdéjàgrave,mais,àmongrandregret,tropd’écrivainsdeterreurfontdemême;ilsn’ontpasretenulavraieleçondusuccèsdeStephenKing:cenesontpaslespassagesgorequifontl’efficacitédeseslivres,c’estlasympathiequ’ilinspireaulecteurpoursespersonnagesavantledéclenchementdesépisodesd’horreur,etsesmeilleuresuvressontcellesoù,commedansDeadZoneetLeFléau,l’horreurestrelativementréduite.Cesrécitsbaignentplutôtdansuneinquiétudequimèneauxinstantscathartiquesdeterreuretdesouffrance,et,plusimportant,ladouleurqueviventlespersonnagesaunsens.

C’esttoutl’artdel’angoisse:fairesibienpercevoirunpersonnagequ’onenvientàredoutercequ’ilredouteetpourlesmêmesmotifsquelui.Lelecteurnerestepasextérieuràlui,àleregardersefairerecouvrird’unebavesanglanteouàcontemplersesblessuresbéantes:ilestaspiréàl’intérieur,oùiltrembleàl’avancedecequivaseproduireoudecequirisquedesepasser.

N’importequipeutdébiteruncadavreenmorceauxdansunroman;seulunécrivainpeutinspireraulecteurledésirquelepersonnagesurvive.

Doncjen’écrispasd’histoiresd’horreur.C’estvrai,ilarriveàmespersonnagesdesévénementsdésagréables,voireterribles,maisjenevouslesmontrepasenTechnicolor.Jen’enaipasbesoinetjen’enaipasenvieparceceque,prisparl’angoisse,vousimaginerezbienpirequetoutcequejepourraisinventer.

O.S.C.

O.S.C.

L’hommetransrorméetleroidesmots

ILÉTAITUNEFOISunhommequiaimaitsonfilsplusquelavie.

Ilétaitunefoisunenfantquiaimaitsonpèreplusquelamort.

Cesontdeuxhistoiresdifférentes,àvraidire,maisjenepeuxpasvousraconterl’unesansvousraconterl’autre.

L’hommeétaitledocteurAlvinBevis,l’enfantsonfilsJoseph,etlaseulefemmequ’ilsaimèrentl’unetl’autreétaitConniequi,en1977,épousaAlvindansl’espoiretl’allégresse,en1978

donnalejouràJoeàl’oréedelamortetlesadoratousdeuxenconséquence.Ilsformaientunefamilleoùrégnaitl’affection:ilétaitdoncpresquecertainquelemalheurlesfrapperait.

AprèsJoe,Connieneputavoiraucunautreenfant.Mêmelui,ellen’auraitpasdûl’avoir.Sonmédecinlatraitadefollelorsqu’ellerefusad’avorterauquatrièmemois,aumomentoùlesproblèmesapparurent.«Ilseraattardé;vousallezmourirencouches.»Àquoiellerépondit:«J’auraiunenfantoujenepourraipascroirequej’aivécu.»Auseptièmemois,onluienlevaJoeduventre,enmêmetempsquel’utérusetlereste.

Commeilétaitpetitetchétif,lemédecinditàConniedes’attendrequ’ilsoitmentalementdéficientetphysiquementmalcoordonné.Conniehochalatêtesansl’écouter.Elleavaitdelachance:Joeétaitvivant,etellesongea,s’adressantensilenceàtoutescellesquis’apitoyaientsursonsort:JesuisplusfemmequevoustoutesauventresecquidevezencoresurveillerlesphasesdelaLune.

NiAlvinniConnienecrurentuninstantqueJoeseraitretardéet,defait,ilfutbientôtévidentqu’ilnel’étaitpas:ilmarchaàhuitmois,ilparlaàdouze,ilconnaissaitsonalphabetàdix-huitet,àtroisans,ilétaitcapabledeliredestextesdeCE1.Ilétaitcurieux,exigeant,indépendant,désobéissantetexcessivementbeau,avecsatignassecuivreetsonvisagelisseettranslucidecommeunbassind’eauglacée.

commeunbassind’eauglacée.

Insatiable,ilingurgitaitlesconnaissancesetsesparentsavaientparfoisdumalàluifournirlesalimentsnécessaires.Ceseraungrandhomme,semurmuraient-ilsdurantlesconversationssecrètesdelanuit;ilsenétaientfiersmaisilsétaientaussiinquietsdesavoirque,parhasardouselonlegranddesseindeschoses,sonéducationetsasécuritéleuravaientétéconfiées.

DetoutesleslecturesquelesBevisproposèrentàleurfilsaucoursdesespremièresannéesd’existence,cefurentlescontesquicaptèrentsonattention,etcejusqu’àl’obsession.IlseprésentaitavecunlivreenexigeantqueConnieouAlvinleluilise;s’ilnes’agissaitpasd’unrecueildecontes,ilcouraitenchercherunautre,etainsijusqu’àsatisfaction;alorsilrestaitsansbouger,ligotéparlachaînedel’intrigue,muetjusqu’àlafin.Etc’étaitsanscessedes«Ilétaitunefois»,des«Autrefois,ilyavait»etdes«Unjour,leroifituneproclamation»,aupointqu’AlvinetConniefinirentparconnaîtrepresqueparcurtouslesrecueilsd’histoiresdelamaison.Lescontesdeféesavaientsapréférencemais,letempspassant,ilélargitsesgoûtsauxfilms,auxromanscontemporainsetmêmeàl’Histoire.

Leproblème,toutefois,nevintpasdesasoifdecontes;leconflitnaquitparcequ’ildevaitabsolumentmettreceshistoiresenscène.IlselevaitunmatinetannonçaitquemamanétaitMamanOurs,papaPapaOursetlui-mêmeBébéOurs;quandilétaitencolère,ilétaitBoucled’Oretsesauvait;d’autresjours,papaétaitRumpelstiltskin,mamanlafilledumeunieretJoeleRoi;JoeétaitHansel,mamanGreteletpapalaméchantesorcière.

«Etpourquoineserais-jepaslepèredeHanseletGretel?»

demandaAlvin.Illuidéplaisaitdejouerlaméchantesorcière-

necroyezpasqu’ilentiraitdesconclusions,non:cequil’aga-

çait,sedisait-il,c’étaitquesonfilsdécideconstammentdesesdialoguesetdesesactivitésdelajournée.D’uneheureàl’autre,Alvinignoraitquelrôleilallaitjouerdanssapropremaison.

Lessemainespassant,sonagacementmodérésemuaenfrancheirritation;sic’étaitunecrisequetraversaitJoe,ilauraitsûrementdûensortirdepuisletempsqu’elledurait!Alvinproposafinalementd’emmenerlepetitchezunpsychologuepourenfants.Lepraticiendéclaraquec’étaitunecrise.

psychologuepourenfants.Lepraticiendéclaraquec’étaitunecrise.

«Est-cequeçaveutdirequ’illasurmonteratôtoutard,demandaAlvin,oubienquevousnesavezpascequisepasse?

-Lesdeux,réponditlepsychologue,toutguilleret.Vousdevezapprendreàsupporterlasituation.»

MaisAlvinn’avaitpasenviedelasupporter;ilvoulaitquesonfilsl’appellepapa.Ilétaitsonpère,aprèstout!Pourquoidevait-ilseplierauxexigencesdesonfils,toutsurdouéqu’ilsoit,etaccepterdejouerdesrôlesridiculesquandilrentraitchezlui?

Alvinfitacted’autorité:ilrefusaderépondreàunautrenomqueceluidepapa.Aprèsquelquespetitescolèresetdenombreusestentativespourlecirconvenir,Joefinitparrenonceràfaireentrersonpèredanssesmisesenscène;d’ailleurs,autantqu’Alvinpûts’enrendrecompte,Joecessacomplètementdejouerseshistoires.

Ilsetrompait,naturellement:JoecontinuaitavecConnie,maisilattendaitsimplementqu’Alvinsoitpartidécouperdesbrinsd’ADNpourlesréassemblerdefaçoncréative.C’estainsiqu’ilappritàdissimulerdeschosesàsonpère.Ilnementaitpas:ilseréservaitpoursonheure,certainque,s’iltrouvaitd’assezbonneshistoires,papajoueraitànouveau.

Ainsi,quandpapaétaitàlamaison,Joenemettaitpassescontesenscène;ilss’amusaientensembleàdesjeuxdechiffresetdelettres,étudiaientl’espagnolélémentaireentantqu’introductionaulatin,faisaienttournerdesprogrammessimplessurl’Atari,faisaientlesdiablesenriantauxéclatsjusqu’àcequemamandemandeauxgarçonsdesecalmeravantqueletoitneleurtombesurlatête.C’estça,êtreunpère,sedisaitAlvin.Jesuisunbonpère.Etc’étaitvrai.C’étaitvraimêmesi,detempsàautre,Joedemandaitd’untonpleind’espoiràsamère:«Tucroisquepapavoudrabienjouerdanscettehistoire-ci?

-Papan’aimepaslacomédie.Ilaimebienlireteshistoiresmaispaslesjouer.»

En1983,Joeeutcinqansetentraàl’école;cettemêmeannée,leDrBeviscréaunebactériequisenourrissaitdeprécipitationsacidesetlesneutralisait.En1987,Joequittal’écoleparcequ’ilensavaitplusquesesinstituteurs;aumêmemoment,leDrBeviscommençadetoucherdesredevancessurlaculturecommercialedesabactériepourlenettoyagedesplansd’eautropacides.

commercialedesabactériepourlenettoyagedesplansd’eautropacides.

L’universitésongeasoudainaveceffroiqu’ilrisquaitdeprendresaretraitepourvivredesesdroits,sibienquesonnomneseraitplusassociéàl’établissement;onluifournitdoncunlaboratoire,vingtassistants,dessecrétairesetunauxiliaireadministratif,etdecejourBeviseutpratiquementtoutloisird’occupersontempscommeilluichantait.

Cequiluichantait,c’étaitdeveilleràcequelesrecherchessepoursuiventaveclesoinetlaméthodeconvenablesetdanslesdirectionsqu’ilsouhaitait;aprèsquoiilrentraitchezluietsefaisaitprofesseurparticulierdel’universitétrèsprivéedesonfils.

CefutunepériodeidylliquepourAlvin.

Cefutl’enferpourJoe.

Iladoraitsonpère,attention:Joes’amusaitàapprendreetilspassèrentdesmomentsmerveilleuxàlirel’Élogedelafoliedansletexteoriginal,àrefairedesexpériencescélèbres,puisàeninventerd’autres-bref,àselivreràdesactivitéstropnombreusespourtouteslesmentionner.Qu’ilsuffisededirequ’Alvinn’avaitjamaiseud’étudiantdelicenceaussivifàsaisirlesidéesnouvelles,siardentàenconcevoird’autres,plusneuvesencore.

CommentAlvinaurait-ilpusedouterqueJoemouraitd’inanitionsoussesyeux?

Car,quandpapaétaitàlamaison,Joeetmamannepouvaientpasjouer.

Avantqu’Alvinnel’enlèvedel’école,Joelisaitdeslivresavecsamère:toutelajournée,chezelle,elledévoraitJaneEyretandisqueJoeenfaisaitautantàl’école,encachantlelivrederrièreunmanueld’apprentissagedelalecture.Homère,Chaucer,Shakespeare,Twain,Mitchell,Galsworthy,ElswythThane.Etpuis,pendantcesprécieusesheuresentrelafindescoursetl’arrivéed’Alvindesontravail,ilsdevenaientAshleyetScarlett,TibbyetJulian,HucketJim,WalteretGriselde,UlysseetCircé.

Joenedistribuaitpluslesrôlescommequandilétaitpetit:ilssavaientl’unetl’autrequellivreilsétaiententraindelireetilsseplongeaientdanslemilieudécrit.Chacundevaitdeviner,àpartirducomportementdel’autre,quelrôleilavaitchoisicejour-là;instantsublimequeceluioùConnieserisquaitàprononcerlenomdeceluiqu’incarnaitJoe,oùJoeappelaitsamèreparlesien!

prononcerlenomdeceluiqu’incarnaitJoe,oùJoeappelaitsamèreparlesien!Detouteslesannéesoùilsjouèrent,pasunefoisilsnechoisirentlemêmepersonnageetpasunefoisilsn’échouèrentàdécouvrirquelrôlel’autreassumait.

DésormaisAlvinrestaitàlamaison,etlejeuétaitfini:plusdemomentsvolés,passésàlirependantl’école.Papan’aimaitpasleshistoires;l’Histoire,oui;lesmensongesetl’affectation,non.

Ainsi,alorsqu’Alvincroyaitlajoieenfinnée,pourJoeetConnieelleétaitmorte.

Leurvies’emplitd’allusions,dephrasestiréesdelivres,échangéesminederien,dejeuxderôlessubtilsoùilsnes’autorisaientmêmepasàprononcerlenomdel’autre.Ilsjouaientsiparfaitementlacomédiequ’Alvinneserenditjamaiscomptederien;detempsàautre,seulement,ilsubodoraitquelquechosequ’ilnecomprenaitpas.

«Qu’est-cequec’estquecetemps,pourunmoisdejanvier?»fitunjourAlvinenregardanttomberunelourdeaverseparlafenêtre.

«Dubeautemps»,réponditJoe,puis,songeantauContedumarchanddeChaucer,ilsouritàsamère.«Enmainousgrim-ponsauxarbres.

-Quoi?demandaAlvin.Quelrapport?

-J’aimebiengrimperauxarbres,c’esttout.

-Celadépend,ditConnie,silesoleilt’éblouit.»

Quandsamèrequittalapièce,JoeposaunequestionanodinesurlatéléologieetAlvinoublial’échangeprécédent.

Dumoins,ilessayadel’oublier.Iln’étaitpasstupide:JoeetConnieavaientbeauêtretrèssubtils,Alvins’apercevaitpeuàpeuqu’ilneparlaitpluslalanguedesonproprelogis,etilétaitassezlettrépoursaisirauvoluneoudeuxréférences:«transformerenpourceaux»,«labaleineblanche»,«Qu’onluicoupelatête»,desremarquesquinecadraientpastoutàfaitdanslaconversation,desphrasesquisonnaientbizarrement.Etplusilprenaitconsciencedulangageintimedesafemmeetdesonfils,plusilsesentaitisolé;lesleçonsqu’ildonnaitàJoeneluiparurentpluspassionnantesmaiscreuses,

lesleçonsqu’ildonnaitàJoeneluiparurentpluspassionnantesmaiscreuses,commesitousdeuxjouaientunrôle,commes’ilsparticipaientàunehistoire,celledupère-professeuraimantetdufils-élèvebrillantetappliqué.

C’avaitétélapériodelaplusheureusedelavied’Alvin,bienplusbellequelaviequ’ilcréaitaulaboratoire,maisilycroyait,alors;àprésent,cen’étaitplusquedelacomédie.Lavraieviedesonfilsétaitailleurs.

Autrefois,jen’aimaispasjouerlesrôlesqu’ilm’assignait,seditAlvin.Apprécie-t-ilceluiquejeluiaidonné?

«Noussommesarrivésautermedecequejepeuxt’apprendre,déclaraunjourAlvinaupetit-déjeuner,danstouslesdomainessaufenbiologie,naturellement.Jecontinueraidoncàguidertesétudesenbiologie,et,pourlereste,jecompteengagerdesétudiantsdelicencedansdiversesdisciplines;unematièreparjour.»

LeregarddeJoedevintdistant.«Tuneserasplusmonprofesseur?

-Jenepeuxpast’enseignercequejenesaispas»,réponditAlvin,etilretournaaulabo,où,avecunecruautédélicate,ildisséquaunedizainedecellulesetlestransformaencequ’ellesn’étaientpas,quecelaleurplûtounon.

Àlamaison,JoeetConnieéchangèrentunregardperplexe.

Joeavaittreizeans;ilgrandissaitetsemontraitdeplusenplusmalàl’aiseetréservédevantsamère.Depuistroisans,ilsnepartageaientplusd’histoires;tantquepapaétaitlà,ilsavaientjouéauxprisonniersquisetransmettentdesmessagesaunezetàlabarbedugardien;maisiln’yavaitplusdegardienet,sansnécessitédesecret,iln’yeutplusdemessages.Joesemitàsortir,àlireouàjoueravecobsessionàl’ordinateur;denouvellesportesseverrouillèrentchezlesBevis,davantagequ’iln’yenavaitjamaiseu.

Joefaisaitdescauchemarsàlafoisterrifiantsetdoux,toujourslesmêmes,àrépétition;ledécorétaitdifférentmaisl’histoirerestaitsemblable.Ilsevoyaitsurunbateau,etleplat-bordsemettaitàs’émietterdèsqu’illetouchait;ilvoulaitprévenirsesparentsmaisilsnel’écoutaientpas,ilssepenchaientpar-dessusbord,lebastingages’effondraitsouseuxetilstombaientàlamer,oùilssenoyaient.Ilsevoyaitempêtrédansunetoile,ligotécommelaproied’unearaignéemaisl’araignéenevenaitpas,nevenaitjamaisledévorer,ellelelaissaitsedessécher,incapabledeselibérermalgrésescrisetsesefforts.Comment

sedessécher,incapabledeselibérermalgrésescrisetsesefforts.Commentexpliquercesrêvesàsesparents?IlpensaitàJosephqui,danslaGenèse,dis-couraittropsurlessonges;ilsongeaitàCassandre,àJocastequiavaitvoulutuersonenfantparcraintedesoracles.Jesuisprisonnierd’unehistoire,sedit-il,dontjenepeuxpasm’échapper.

Chaquerebondissementestunechute,etchaquechutem’arracheàmoi-même.Sijenepeuxpasdevenirlespersonnagesdeshistoires,quisuis-je?

Laviesepoursuivaitasseznormalement,néanmoins:petit-déjeuner,déjeuner,dîner;sommeil,éveil,sommeil;travailler,gagnerdel’argent,dépenser,acheter;utiliser,casser,réparer.

Touslescyclesdel’existenceordinaires’accomplissaientmalgrél’ombredestermesinévitables.Unjour,Alvinetsonfilsseren-direntdansunelibrairie,leGriffon,quipossédaitlacollectioncomplètedesclassiquesPenguin;Alvinregardaitlestitresàlarecherched’unouvrageutilequandilremarquaqueJoen’étaitplusauprèsdelui.

Sonfils,avecsonmètrequatre-vingt-douzeélancé,setenaitaumilieudelaboutique,penchésurlecomptoir,plongédansuneconcentrationavide.UneterriblenostalgiesaisitAlvin:ilétaitsibeau,etpourtant,aucoursdesestreizeannéesdevie,Alvinl’avaitperdu.Aujourd’hui,ilapprochaitdel’âgeadulteettrèsbientôtilseraittroptard.Quanda-t-ilcesséd’êtreàmoi?sedemandaAlvin.Quandest-ildevenusiexclusivementlefilsdesamère?Pourquoifaut-ilqu’ilsoitaussibeauqu’elletoutenayantl’espritsibrillant?C’estApollon,sedit-il.

Et,encetinstant,ilsutcequ’ilavaitperdu.EnappelantsonfilsApollon,ils’étaitrévélécequ’ilavaitprisàsonfils:lelienentreleshistoiresquesonenfantjouaitetlaconnaissancedesonidentité.Lelienétaitsiréelqu’ilenétaitpresquetangible,etpourtantAlvinétaitincapabledeledécrirepardesmots,incapabledesupportercetterévélation,etdonc…etdonc…

Ilétaitcertaind’avoirmisledoigtsurlavérité,etvoilàqu’elles’évanouissait.Sansmots,samémoirenepouvaitpaslaretenir,etilavaitperdulacompréhensionalorsmêmequ’elleluivenait.

J’avaistoutcomprisetj’aidéjàtoutoublié.Furieuxcontrelui-même,Joes’approchadesonfilsets’aperçutqu’ilnefaisaitriend’intelligent:unjeudetarotétaitétalédevantlui.Ilsetiraitlescartes.

«Dis-moilabonneaventure»,fitAlvin.Ilcroyaitfaireuneplaisanteriemaislacolèreperçaittropdanssavoix.JoelevaversluiunregardempreintdehonteetAlvinsesentitvacillerintérieurement.Rienqu’enteparlantjetefaismal.Ilauraitvoulus’excusermaisiln’avaitpasdestratégiepourcecasdefigure,aussis’efforça-t-ildesoutenirsapremièreplaisanterieparuneseconde:«Tudécouvreslessecretsdel’univers?»

Avecunpâlesourire,Joeramassarapidementlescartesetlesremitàleurplace.

«Non,ditAlvin,non,çat’intéressait;nelesrangepas.

-Cenesontquedesbêtises»,réponditJoe.

Tumens,songeaAlvin.

«Lesensdesprédictionsesttellementvastequ’onpeutytrouvercequ’onveut.»EtJoeéclatad’unriresansjoie.

«C’avaitpourtantl’airdetepassionner.

-Jemedemandaiscommentprogrammerunordinateurpourcejeu.Jemedemandaissijepouvaisécrireunprogrammequilerendraitlogique;passeulementunchoixaléatoiredecartes,tuvois,maisunsystèmequileferaitréagiràlavéritablepersonnalitédequelqu’un,quiluipermettraitd’allerau-delàde…

-Oui?

-Non,rien.

-D’allerau-delàde…

-Deshistoiresquenousnousracontons;detouslesmensongesauxquelsnouscroyonssurnous-mêmes,surnotrevéritableidentité.»

IlyavaitquelquechosedefauxdanscequevenaitdedireJoe,Alvinlesentait,quelquechosed’incorrect.Et,commedanslemonded’Alvinriennepouvaitresterlongtempssansexplication,ilaboutitàlaconclusionquelepetitparaissaitmalàl’aiseparcequesonpèrel’avaitrenduhonteuxdesacuriosité.Etj’aihontedet’avoirrenduhonteux,seditAlvin.Alors,jevaistel’acheter,cejeudecartes.

cartes.

«Jet’achètelescartesetlebouquinquetufeuilletais.

-Non,papa,fitJoe.

-Maissi,maissi;pourquoipas?Amuse-toiavecl’ordinateur,voissitupeuxfairequelquechoseaveccesfadaises.Tiens,tuarriveraspeut-êtreàentirerdebonsgraphiquesettutoucheraslepactoleenvendanttonprogramme.»EtAlvinéclataderire.

Joel’imita.MêmeleriredeJoeétaitunmensonge.

Voicicequ’Alvinignorait:Joen’avaitpashonte.Ilavaitpeur,toutsimplement;carilavaittirélescartescommel’indiquaitlemanuelmaislesexplicationsneluiavaientpaséténécessaires,nilesnomsdescartes.Ilavaittoutdesuitesulesnomsetlesfigures.C’étaitCréonquitenaitl’épéeetlabalance;Ophélia,nue,enguirlandéedeverdure,entouréed’unhomme,d’unfau-con,d’untaureauetd’unlion,Ophéliaquidansaitdanssafolie.

J’étaisautrefoisl’enfantdelasixièmecoupeàlafleur-étoileetquiladonnaitàmamère-enfantquandlesprésentsétaientpossiblesentrenous.Lescartesn’étaientpasdesdés,c’étaientdesnomsetelless’étalaientenhistoiresàmesurequ’illestiraitdujeuetlesplaçaitselonunedispositionquiracontaitdansunegrandemesure,illesavait,l’histoiredesavie.Touslesnomsqu’ilavaitportésseretrouvaientdanscescartes,ettouteslesformesdupasséetdel’aveniryrésidaient,attendantqu’onlesdistribue.C’étaitcequil’effrayait.Ilétaitprivédecontesdepuissilongtemps,saproprehistoiredupère,delamèreetdufilsétaitdésormaissifragilequ’ilseraccrochaitéperdumentàn’importequoi.PapasemoquaitmaisJoedéchiffraitlerécitdescartesetilcroyait.Jeneveuxpaslesrapporteràlamaison.C’estmeplacermoi-mêmeentremespropresmains,emballédansunepochedesoie.«S’ilteplaît,non»,dit-ilàsonpère.

MaisAlvin,quines’enlaissaitpasconter,lesachetaquandmêmepourfaireplaisiràsonfils.

Joen’osapass’approcherdescartesdetouteunejournée.Illesavaittenuesenmainunefois,inutiledejouerànouveauavecsescraintes.C’étaitirrationnel,sedisait-il;cejeurépondaitàlasimpleenviedevoirlessouhaitsseréaliser.Enelles-mêmes,lescartesneveulentriendire.Jen’airienàredouterd’elles;jepeuxlestoucher,jen’enapprendraipaslaplusmincevérité.Etpourtant,tout

peuxlestoucher,jen’enapprendraipaslaplusmincevérité.Etpourtant,toutsoncartésianisme,toutesacertitudequelescartesn’avaientpasdesensn’étaient,illesavaitbien,quedesmensongesqu’ilserépétaitpoursepersuaderd’essayerlejeuànouveau,etsérieusementcettefois.

«Pourquoias-turapportéçaàlamaison?»demandamamandanslapiècevoisined’untonméprisant.

Papaneréponditpas.SonsilenceappritàJoequ’ilnedésiraitpasfournird’explicationqu’unetiercepersonnepuissesur-prendre.

«C’estcomplètementidiot,repritmaman.Jeteprenaispourunscientifique,pourunespritsceptique;jepensaisquetunecroyaispasàcegenredetrucs.

-C’étaitpourrire,c’esttout,réponditpapa,quimentait.J’aiachetécescartespourqueJoepuissebricoleravecsurl’ordinateur.Ilenvisaged’écrireunprogrammetelquelescartesréagi-raientàlapersonnalitédesutilisateurs;ilabienledroitdes’amuserdetempsentemps,cepetit.»

Etdanslesalonoùlepetitordinateurtrônait,muet,sursonétagère,Joes’efforçadenepaspenseràUlyssequivenaitdetournerledosauxhuitcoupesdevinetavançaitlelongdubassindel’Océan.Quarante-huitkilo-octetsetdeuxpetitesdisquettes:c’esttroppeupourcequejeveuxfaire,seditJoe.Jenevaisd’ailleurspaslefaire,biensûr;maisavecl’ordinateurdubureaudepapa,enhaut,avecsondisqueduretl’interfacequ’ilfaut,j’auraipeut-êtreassezdetempsetdemémoirepourtouteslesopérations.Biensûr,jenevaispaslefaire.Jen’aipasenviedelefaire.Jen’osepaslefaire.

Àdeuxheuresdumatinilsortitdesonlit,incapablededormir,descenditl’escalieretsemitàprogrammerlesdessinsdujeudetarotàl’écran;mais,àchaqueimage,ilapportadesmodificationscarilsavaitque,malgrétoutsontalent,l’artisteavaitcommisdeserreurs:iln’avaitpascomprisqueleValetdeCoupeétaitunbouffonauphallusgéantd’oùs’écoulaitlamer;ilignoraitquelaReined’Épéeétaitunestatueetsontrôneunangequigémissaitdesouffrancesouslefardeaudepierrequ’ilsup-portait;l’enfantdelaPortedesDixÉtoilessefaisaitdévorerparleschiensduvieillard;l’hommependulatêteenbas,lesjambescroiséesetlevisageserein,neportaitpasd’auréole;etlaReinedePentaclevenaitdedonnernaissanceàuneétoilesanglantedontlepèren’étaitpascepauvrecocudeRoidePentacle.

Etàmesurequeluivenaientlesimagesetleurshistoires,ilcommença

Etàmesurequeluivenaientlesimagesetleurshistoires,ilcommençad’entendreleséchosdetouteslesautreshistoiresqu’ilavaitlues.Cassandre,laReined’Épée,jetaitsesmotstran-chants,etlesgensleschassaientcommedesmouches,alorsqu’illeursuffisaitdelesattraperetdes’enservirpournepasaffronterl’avenirdésarmés;l’espaced’uninstant,danslesbonnesconditions,UlysseattachéaumâtétaitlePendu;MacbethpouvaitapparaîtresouslestraitsduValetdeCoupeéternellementconfiant,ousefairebroyersousl’ambitieuseReinedePentacle,laReinedeDeniersiellelecroisait.Lescartesdétenaientdeshistoiresdepouvoir,deshistoiresdesouffrancedanslesfilsinvisiblesquilesreliaiententreelles;invisibles,oui,maisJoelessavaitlà,etildevaitexécuterlesimagescorrectement,rédigerleprogrammecommeilfallaitafind’évoquerdeshistoiresvéridiquesquandilconsulteraitlescartes.

Toutelanuitils’échinasurchaqueimagejusqu’àcequ’ellesoitparfaite,etiln’avaitfaitqu’entamerletravailquandils’as-soupitenfin.Sesparentss’inquiétèrentdeletrouverlàaumatinmaisilsn’eurentpaslecurdeleréveiller.Quandilémergeadusommeil,ilétaitseuldanslamaison,etilseremitaussitôtàlatâche,traçalesfiguresàl’écran,lesstockadanslamémoiredel’ordinateur;sapropremémoiren’avaitbesoind’aucuneaidepourselesrappelertoutescarilconnaissaitleurnometleurshistoires,etilcommençaitàdécouvrirqu’elleschangeaientdenomsuivantlescartesaveclesquellesellesétaientassociées.

Lesoirvenu,ilavaitfinidedessiner,etilavaitaussiachevéunpetitprogrammededonnealéatoire.Lesimagesétaientexactes;lesnomsétaientexacts;maisquandl’ordinateurétalalescartesdevantlui-celle-ci,c’esttoi,celle-citecouvre,celle-citecroise-,lerésultatnevoulaitriendire.L’ordinateurétaitincapabledecequelesmainssavaientfaire:comprendrelescartesetleschoisirinconsciemment.Cen’étaitpasunprogrammededonnealéatoirequ’ilfallait,carenréalitélescartesn’étaientpasbattuesauhasard.

«Jepeuxmeservirdetonordinateur?demandaJoe.

-Celuiavecledisquedur?»Papan’avaitpasl’airenchanté.

«Jenetienspasàcequetul’ouvres:jen’aipasenviededevoirencoresortirdixmilledollarscettesemaines’ilyaunepanne.»

Derrièresaréponses’embusquaituneinquiétude:Cetteaffairedetarotsestalléeassezloin;jeregrettedet’avoirachetécescartesetjeneveuxpasquetutouchesàl’ordinateur,surtoutsiçadoitrenforcertonobsession.

«J’aijustebesoind’uneinterface,papa.Detoutemanière,tun’utilisespasleportparallèle,etjeleremettraienplaceaprès.

-L’Atarietledisquedurnesontmêmepascompatibles.

-Jesais»,ditJoe.

Mais,enfindecompte,toutediscussionn’étaitguèrepossible:Joes’yconnaissaitmieuxeninformatiquequ’Alvin,etilssavaientl’uncommel’autrequecequeJoedémontait,Joeétaitcapabledeleremonter.Ilpassadesjoursàbricolerlematérieletàréviserleprogramme,etpendanttoutcetempsilnefitriend’autre;audébut,ilessayadesedistraire:audîner,ilparlaàmamandeslivresqu’ilsdevraientlire,audînerilentretintpapadeNewtonetd’Einsteinjusqu’aumomentoùAlvinluirappelaqu’ilétaitbiologiste,pasphysicien.Nuln’étaitdupedecestentativespourromprel’obsession.Leprogrammedestarotsl’attiraitirrésistiblementaprèschaquerepas,aprèschaqueinterruption,aupointqu’ilfinitparrefuserdedescendremangeretneprêtaplusaucuneattentionauxvisitesqu’onluifaisait.

«Ilfautquetumanges.Tunevaspastelaissermourirdefaimpourceprogrammeidiot!»luiditmaman.

Joeneréponditpas.Elleposaunsandwichprèsdeluietilenavalaquelquesbouchées.

«Joe,c’aassezduré.Ressaisis-toi»,ditpapa.

Joenelevapaslesyeux.«Jevaistrèsbien»,répondit-ilsanscesserdetravailler.

Lesixièmejour,Alvinseplantaentreluietl’écran.«Cettecomédiedoitcesser,fit-il.Tuteconduiscommeungosseavecdegrosproblèmes,etletraitementleplusévidentconsisteàdébrancherl’ordinateur,cequejevaisfairesitun’arrêtespastoutdesuitedetrimersurceprogrammeridicule.Nousnousefforçonsdetelaisserlibre,Joe,maisquandtutefaisdumal,etànousaussi,ilfaut…

-Pasdeproblème,coupaJoe.J’aipresqueentièrementfini,detoutefaçon.»

Ilseleva,allasemettreaulitetdormitquatorzeheuresd’affilée.

Alvinenfutsoulagé.«J’aibiencruqu’ilétaitentraindeperdrelaboule.»

Alvinenfutsoulagé.«J’aibiencruqu’ilétaitentraindeperdrelaboule.»

Connie,elle,serongeaitplusquejamais.«Queva-t-ilsepassersisonprogrammenemarchepas?

-Etcommentveux-tuqu’ilmarche?Àquoipourrait-ilservir?Unepetitepièceetjevousdislabonneaventure?

-Maistun’asdoncpasécoutéJoe?

-Ilnelâcheplusunmotdepuisdesjours.

-Ilcroitàcequ’ilfait;ilestpersuadéquesonprogrammevaluirévélerlavérité.»

Alvinéclataderire.«Ilavaitpeut-êtreraison,tondocteurMachin,là:Joeapeut-êtresubideslésionscérébralespendanttagrossesse!»

Connieluijetaunregardhorrifié.«MonDieu,Alvin!

-Jeplaisantais,voyons!

-Cen’estpasdrôle!»

Sansseconcerter,àdifférentesheuresdelanuit,chacunselevapourallervoirJoependantqu’ildormait.

Quies-tu?sedemandaConnie.Commentvas-turéagirsitonprojetéchoue?Commentvas-turéagirs’ilréussit?

Alvin,lui,secontentadehocherlatête.Ilrefusaitdes’inquié-

ter:c’étaientlesdiversesphasesetétapesdelavie;lesenfantstraversentdescrisesdefolieengrandissant.

Faisledingueàtreizeanssitudoisenpasserparlà,Joe;tureviendrasbienasseztôtàlaréalité.Tuesmonfilsetjesaisquetupréféreraslaréalité,auboutducompte.

Lelendemainsoir,Joeinsistapourquesonpèrel’aideàtestersonprogramme.«Çanemarcherapasavecmoi,réponditAlvin.

Jen’ycroispas.C’estcommelesguérisonsmiraculeusesetlavitamineCpourseprotégerdesrhumes:çanemarchejamaissurlessceptiques.»

Conniesefaisaittoutepetiteprèsduréfrigérateur.Alvinremarquasafaçondeseteniràl’écartdelaconversation.

«Tuasessayé?»luidemanda-t-il.

Elleacquiesçadelatête.

«Mamanl’afaitquatrefois,ditJoed’untongrave.

-L’ordinateurn’apastrouvélabonneréponsedupremiercoup?»demandapapa.C’étaituneplaisanterie.

«Ilesttombéjusteàchaquecoup»,répliquaJoe.

AlvinsetournaversConnie.Ellesoutintd’abordsonregard,puisdétournalesyeuxavecuneexpression…quoi?Craintive?

Honteuse?Gênée?Alvinn’ensavaitrienmaisilsentitquequelquechosedepénibles’étaitproduitpendantqu’ilétaitautravail.«Àtonavis,jedoism’yprêter?demanda-t-ilàsonépouse.

-Non,soufflaConnie.

-S’ilteplaît,fitJoe.J’aibesoindetonaidepourtesterleprogramme:jedoisconnaîtrelesutilisateurspoursavoirs’ilsetrompeounon.

-Tuparlesd’unediseusedebonneaventure!semoquaAlvin.Normalement,tudoisêtrecapabledelirel’avenirdeparfaitsinconnus.

-Jenelispasl’avenir,réponditJoe:leprogrammeditlavérité,c’esttout.

-Ah,lavérité!fitAlvin.Lavéritésurquoi?

-Surcequetuesréellement.

-Pourquoi?Jesuisdéguisé?

-Ilrévèletesnoms,tonhistoire.Demandeàmamansicen’estpasvrai.

-Joe,ditAlvin,jeveuxbienmeprêteràtonpetitjeumaisn’espèrepasquej’yvoielavérité.Jeferaisn’importequoipourtoi,Joe,saufmentir.

-Jesais.

-C’estbienclair?

-Trèsclair.»

Alvinpritplacedevantleclavier;delacuisinevintungémissementsemblableàceluiqueproduitdufonddelagorgeunchienapeuré.C’étaitConnie,etelleétaitterrifiée.Quellequ’ensoitlacause,sapeurétaitcontagieuse:Alvinsentitunfrissoninquietleparcouriretilsemoquadelui-mêmedeselaisserainsiimpressionner.Ilavaittoutsonbonsensetsonangoisseétaitridicule;iln’allaitpasselaisserdéborderparsonproprefils!

«Quedois-jefaire?

-Taperdesinformationsauclavier.

-Quelgenred’informations?

-Cequitepasseparlatête.

-Desmots?Deschiffres?Commentveux-tuquejesachecequ’ilmefautécriresitunemedisrien?

-Peuimporte.Tapesimplementcequetuasenviedetaper.»

Jen’aipasenviedetaperquoiquecesoit,seditAlvin.Jen’aiaucuneenviedemeprêteràcesidioties.MaisimpossibledesortircelaàJoe;ildevaitjouersonrôledepèrepatientetdonnersachanceàcetteabsurdité.Ilcommençaparécriredeschiffresetdesmotscommeilsluivenaient,maisauboutdequelquesinstantslehasardetlesassociationslibresn’eurentplusdepartdansseschoix:iln’étaitpasdanssanaturedelaisserlehasardleguider.Ilsemitàtaperleslonguesséquencesdecodegénétiquedesesdernierssujetsbactériens,desboutsdenoms,desfragmentsdedonnéesnumériques,enprogressantselonl’ordreinternedel’ADN.Enmêmetemps,ilsavaitqu’ildupaitsonfils,queJoeattendaitquelquechosedepersonnel.Mais,songea-t-il,qu’est-cequipeutêtrepluspersonnelquecequejecrée?

«Çasuffit?»demanda-t-il.

Joehaussalesépaules.«Tupensesqueçasuffit?

-Alors,j’auraisputapercinqmotsettuauraisétésatisfait?

-Situpensesavoirfini,tuasfini,réponditJoetranquillement.

-Oh,queltalent!s’exclamaAlvin.Jusqu’auxformulestoutesfaites!

-Bon,tuasfini?

-Oui.»

Joelançaleprogramme,puisilselaissaallercontreledossierdesonsiègeetattenditlerésultat.Ilsentitl’impatiencedesonpèreets’aperçutqu’ilsavouraitledélai,levrombissementetlescliquetisdudisquedur.Enfinlescartescommencèrentàsedessinersurl’écran.Celle-ci,c’esttoi,celle-citecouvre,celle-citecroise;celle-ciestau-dessusdetoi,endessous,devant,derrièretoi;tesfondationsettamaison,tamortettonnom.Joeguettaitl’apparitiondecequ’ilavaitdéjàvu,decequiétaitvenudefaçonsiprévisible,leshistoiresquiavaientdéferlésurluiquand,unedizainedefoisdéjà,ilavaittirélescartespoursamèreetlui-même.Maisnon:iln’yavaitpasd’histoires,parcequelescartesétaienttouteslamême,répétéesurl’écran.PartoutleRoid’Épée.

Joelesobservaetcompritaussitôt:papaavaitmenti.Papaavaitconsciemmentcontrôlésonentréededonnées,ill’avaitordonnéed’unefaçonquidisaitauxcartesqu’ellesétaientcontraintes.Leprogrammen’avaitpaséchoué:paparefusaitqu’onliseenlui,riend’autre.LeRoid’Épée,ensoi,représentaitlepouvoir,commetouslesautresrois.LeRoidePentaclefiguraitlepouvoirdel’argent,lapuissancedelaprébende;leRoideBâton,lepouvoirdelavie,lacapacitéàrenouveler;celuideCoupe,lepouvoirdelanégation,del’oblitération,laforcedumeurtreetdusommeil;etleRoid’Épéeincarnaitlepouvoirdesmotsauxquelsoncroyait.LesÉpéespouvaientdire«Jetetuerai»,êtrecruesetdoncobéies;lesÉpéespouvaientdéclarer«Jet’aime»,êtrecruesetdoncadorées.LesÉpéespouvaientmentir.

Ettoutcequesonpèreluiavaitdonnén’étaitquemensonge.Cequ’Alvinignorait,c’estquemêmelechoixdumensongeexprimelavérité.

«Edmund»,fitJoe.Edmundétaitl’immondementeurduRoiLear.

«Edmund»,fitJoe.Edmundétaitl’immondementeurduRoiLear.

«Comment?fitpapa.

-Noussommesseulementcequelanaturefaitdenous,etriendeplus.

-Tuasluçadanslescartes?»

Joeposasursonpèreunregardsansexpression.

«C’estlamêmecartepartout,ditAlvin.

-Jesais,réponditJoe.

-Etqu’est-cequec’estcenséreprésenter?

-Unepertedetemps»,fitJoe,puisilselevaetsortit.

Alvinrestadevantleclavieràcontemplerlespetitescartesdetarotdisposéessurl’écran;soudain,l’imagesemodifia:uneminceligneentourachaquecarteàsontouretl’images’agranditaupointdepresqueremplirl’écran.LeRoid’Épée,toujours,lapointedesonépéesortantdesaboucheetlesmainscrispéessursonentrejambe.Cen’étaitsûrementpascequiétaitdessinédanslejeudeWaite,seditAlvin.

Conniesetenaitdansl’encadrementdelaportedelacuisine,appuyéeauréfrigérateur.«Etc’esttout?demanda-t-elle.

-Pourquoi?Ilyaautrechosenormalement?fitAlvin.

-Seigneur!souffla-t-elle.

-Ques’est-ilpassépourtoi?

-Rien»,répondit-elleensortantcalmementdelapièce.

Alvinl’entenditmonterlesescaliersquatreàquatreetilsedemandacommentunesituationpouvaitdéraperàcepoint.

Alvinn’arrivaitpasàsavoirquepenserduprojetdesonfils.

Leconceptétaitridicule,ilnevoulaitrienavoiràfairedanssaréalisationetil

Leconceptétaitridicule,ilnevoulaitrienavoiràfairedanssaréalisationetilregrettaitd’avoirachetélescartes.Desjoursdurant,ilrestaitaulaboratoirejusquetarddanslanuitets’yprécipitaitdenouveaulelendemainmatinsansmêmeprendrelepetit-déjeuneraveclessiens;puis,épuiséparlemanquedesommeil,ilselevaittard,descendaitàlacuisineetfeignaittoutelajournéequetoutétaitnormal.Cesjours-là,ildiscutaitavecJoedesesdernièreslecturesoudesespropresexpériencesdegéné-

tique;parfoismême,quandlabonnehumeurartificielles’étaitmaintenueassezlongtempspourparaîtrecrédible,ilparlaitavecJoedesonprogrammedetarots,puisilluiproposaitdelerecommander,deluiobtenirdemeilleursordinateurs,deleconseillersurdesstratégiesdedéveloppementetdepublication.Parlasuite,Alvinregrettaittoujoursd’avoiraidéJoeparcequeladirectionqu’avaitprisesonfilsn’étaitqueletristegaspillaged’unespritsurdoué.EtJoen’enaimaitpassonpèredavantage.

Pourtant,letempspassant,AlvinserenditcomptequecertainsprenaientJoeausérieux:ungroupedepsychologuesfitpasserdesbatteriesdetestsàdescentainesdesujetsquiavaienteuxaussientrédesdonnéesaléatoiresdansleprogrammedetarots.

QuandJoeinterprétaitlestiragesdecesgens,lacorrélationétaitstatistiquementsignificative.Poursapart,Joerejetaitcesrésultatssousprétextequelestestspsychologiquesconstituaientsansdouteeux-mêmesdessystèmesdemesureinvalides;ilaccordaitplusd’importanceauxmoisdetravaildansdiversescliniquespassésàlirelestarotspourdesgensquelesspécialistesconnaissaientintimement.Lespsychologuesparticipants,mêmelesplussceptiques,devaientadmettrequeJoeapprenaitsurlespatientsdesdétailsqu’ilnepouvaitpasconnaître,etlaplupartdisaienttouthautnonseulementqu’ilconfirmaitengrandepartiecedontilsétaientdéjàaucourantmaisqu’illeurfournissaitenoutredebrillantsaperçussurleszonesd’ombre.

«J’ail’impressiond’entrertoutd’uncoupdansl’espritdemesmalades,déclaral’und’euxàAlvin.

-Monfilsesttrèsintelligent,DrFryer,etjeluisouhaitederéussir,maistoutescesfadaisesnesontsûrementpasautrechosequedescoupsdechance.»

LedocteurFryersouritetbutunegorgéedevin.«Joem’aditquevousnevousétiezjamaissoumisautest.»

Alvinfaillitprotester;pourtant,c’étaitvrai:ilnes’yétaitjamaissoumis,mêmes’ilavaitsuivilesdirectivespointparpoint.«Jel’aivuappliquer,ditAlvin.

-Vraiment?Avez-vousvulesrésultatsdequelqu’unquevousconnaissezbien?»

Alvinsecoualatêtepuissourit.«J’aisongéque,sijen’ycroyaispas,çanemarcheraitpasautourdemoi.

-Ilnes’agitpasdemagie.

-Ilnes’agitpasdesciencenonplus,rétorquaAlvin.

-Vousavezraison:ilnes’agitpasdutoutdescience,maiscen’estpasfauxpourautant.

-Ouc’estscientifiqueouçanel’estpas.

-Qu’ilestclairementordonné,lemondeoùvousvivez!fitledocteurFryer.Pourvous,toutesleslimitessontnettementdéfinies.Nousavonsorganisédestestsendoubleaveuglesurceprogramme,DrBevis.Sanslesavoir,Joeaanalysédesdonnéesobtenuesdumêmepatientàdesdatesetdansdesconditionsdifférentes;pourcertainséchantillons,onamêmefournidesinstructionsprécisesausujet,sibienquelesréponsesnedevaientrienauhasard.Savez-vouscequis’estpassé?»

Alvinlesavaitmaisneditrien.

«Nonseulementlestiragesduprogrammeétaient-ilssensible-mentlesmêmespourtouteslesdonnéeslibresdupatient,maislelogicielaaussidétectélespseudo-réponses-etsansdifficulté.

Ensuite,ils’estavéréquecesréponsesfictivesdonnaientunrésultatcohérentpourlafemmequiécrivaitlestestsutiliséspourlesdonnéesnonaléatoires.Mêmequandleprogrammen’auraitpasdûmarcher,ilamarché.

-Trèsimpressionnant,fitAlvinenprenantuntonaussipeuimpressionnéquepossible.

-Vouspouvezledire!

-Maisj’ensuismoinssûrquevous.D’accord,lescartessontcohérentes;cependant,commentêtrecertainqu’ellesveulentdirequelquechoseouquecequ’ellesveulentdireestvrai?

-N’avez-vousjamaissongéquec’estpeut-êtrevotrefilsquifaitqu’ellesdisentlavérité?»

Alvinsemitàtapoterlanappeavecsacuiller,produisantunrythmeétouffé.

«Lelogicieldevotrefilsobjectivelesdonnéesaléatoires,maisseulvotrefilsestcapabledelesdécrypter;pourmoi,celarevientàdirequec’estgrâceàsonespritquesaméthodemarche,pasgrâceauprogramme.Sinousarrivionsàcomprendrecequisepassedanslatêtedevotrefils,DrBevis,saméthodeseraitunescience.Enattendant,c’estunart;mais,artouscience,ellerévèlelavérité.

-Pardonnezcequipourraitparaîtreunaffrontenversvotreprofession,réponditAlvin,maiscommentfichtresavez-vousquecequ’elleraconteestvrai?»

LeDrFryersouriteninclinantlatête.«C’estsimple:jenepuisconcevoirqu’ellesetrompe.NousnepouvonspasserlesinterprétationsdeJoeaubancd’essaicommenousl’avonsfaitpoursonlogiciel.J’aibiencherchédestestsobjectifsàluiappliquer,parexemplevérifierquesesdéclarationscorrespondentàmesnotes,maismesnotesneveulentriendireparcequejenecomprendspasmespatientstantquevotrefilsneleurapastirélescartes.Avantderejetermonaviscommepurementsubjectif,songez,jevousprie,DrBevis,quej’aitoutmotifdecraindreetdecombattreletravaildevotrefils:ilanéantittoutceenquoijecroyais,ilsapel’uvredetoutemavie.EtJoeestcommevous:luinonplusneconsidèrepaslapsychologiecommeunescience.

Pardonnezcequipourraitparaîtreunaffrontenversvotrefils,maisilalecaractèretroublé,froid,etcen’estpasunplaisirdetravailleraveclui.Jenel’aimepasbeaucoup.Alorspourquoilecroirais-je?

-C’estvousqueçaregarde,non?

-Aucontraire,DrBevis.TousceuxquiontvuJoeàl’uvresontconvaincus-saufvous.Ducoup,ilmesembleévidentquevousêteslepremierconcerné.»

LeDrFryeravaittort:toutlemonden’étaitpasconvaincu.

«Non,ditConnie.

«Non,ditConnie.

-Quoi,non?»demandaAlvin.C’étaitl’heuredupetit-déjeuner.Joen’étaitpasencoredescendu,etAlvinetConnien’avaientpaséchangéunmotàpart«Voicilesufs»et«Merci».

Duboutdesafourchette,Connietraçaitdescheminsdanslejaunerépandudanssonassiette.«NedemandepasàJoedetetirerencorelescartes.

-Jen’enavaispasl’intention.

-LeDrFryert’aencouragéàlecroire,n’est-cepas?»Elleposasafourchette.

«Maisjen’aipascruleDrFryer.»

Connieselevadetableetsemitàfairelavaisselleenentre-choquantlesassiettespourfaireleplusdebruitpossible.Plusrienn’étaitnormal.Connieétaitfurieuse;ilyavaitunlave-vaissellemaisellenettoyaittoutàlamain.Toutétaitbouleversé.Alvintentadecomprendred’oùvenaitl’angoissequ’ilressentait.

«TuvasdemanderàJoedetetirerlescartes,ditConnie,justementparcequetunecroispasleDrFryer.Tuexigestoujoursdetoutvérifiertoi-même:situcrois,tudoisremettretacroyanceencause;situdoutes,tudoutesdetonproprerefusdecroire.Jen’aipasraison?

-Non.»Si.

«Cettefois,jetedisd’avoirfoientesdoutes.Iln’yaaucunevéritédanscestarotsdudiable!»

Depuisletempsqu’ilsétaientmariés,Alvinn’avaitpassouvenird’avoirjamaisentenduConnieemployercetteexpression;et,àsafaçondel’accentuer,elleymettaittouslessous-entendusthéologiques.

«Enfin,reprit-ellepourcomblerlesilence,commentpeut-onprendreçaausérieux?Lacartequ’ilappellelaForce-unefemmequirefermelagueuled’unlion-,d’accord,jeveuxbien;maisensuiteilinventeunehistoiredudiable,selonlaquellelelionvoulaitsonenfantetqu’elleleluiadonnéàmanger.»ElletournaunregardeffrayéversAlvin.«C’estrévoltant,non?

-Iladitça?

-Iladitça?

-EtleDémonquiobligelesamantsàresterensemble:ceseraitlepremier-néetilauraitenchaînéAdametEvel’unàl’autre.C’estpourçaqueJocasteetLaiosontvoulutuerdipe:parcequ’ilssedétestaientetquelebébélesforçaitàresterensemble;maisilsn’ontpaspusesépareràcausedelahontequeleurinspiraitcequ’ilsavaientfaitàunenfantinnocent;ducoup,ilsontracontéàquivoulaitl’entendreunehistoireridiculed’oracleetdeprophétie.

-Illittrop.»

Conniesemitàtrembler.«S’iltetirelescartes,j’aipeurdecequisepassera.

-S’ilmesortcegenred’idioties,Connie,jemeretiendraideluirépondre;nousnenousbattronspas,jetelepromets.»

Elleluitouchalapoitrine.Nonpaslachemise,maislapoitrine;onauraitditquesesdoigtstraversaientletissu.«Jen’aipaspeurquevousvousbattiez,dit-elle.Jecrainsquetunelecroies.

-Etpourquoilecroirais-je?

-NousnevivonspasdanslaMaison-Dieu,Alvin!

-Biensûrquenon.

-JenesuispasJocaste,Alvin!

-Biensûrquenon.

-Nelecroispas.Necroisriendecequ’iltedira.

-Connie,netemetspasdansdesétatspareils.»Etencoreunefois:«Pourquoilecroirais-je?»

Ellesecoualatêteetsortit.L’eaucoulaittoujoursdansl’évier.

Ellen’avaitpasditunmotmaissaréponserésonnaitdanslacuisinecommesiellel’avaitprononcée.«Parcequec’estlavérité.»

Pendantdesheures,Alvinessayades’yretrouver:dipeetJocaste,Adam,Eveet

leDiable,lamèrequidonnesonenfantàmangeraulion.Commel’avaitditleDrFryer,cenesontpaslescartes,cen’estpasleprogramme,c’estJoe,Joeetleshistoiresqu’ilabritedanssatête.Yenavait-ilunequ’iln’aitpaslue?

Touslescontesquel’hommeapuseraconter,toutessesvisions,Joelesconnaissait,etilyaccordaitfoi.Joeétaitledépositairedetouslesmensongesdumonde,etvoiciqu’illesrégurgitaitetonlecroyait,toutlemondelecroyait.

Alvinavaitbeauchercheràtraiterl’affaireavectoutleméprisqu’elleméritait,uneévidenceluirevenaitsanscesse:leprogrammedeJoeavaitdéceléqu’ilmentait,qu’iljouaitlacomédie,qu’ilnedisaitpaslavérité.Sisaméthodeestcapablederéussiruntestnégatif,jenemériteplusletitredescientifiquesijeladécrèteinefficaceavantdel’avoirsoumiseautestpositif.

Cesoir-là,commeJoeregardaitlasérieM.A.S.H.àlatélévision,Alvinentradanslesalonpourluiparler.Ilétaittoujourssaisidevoirsonfilsassisdevantdesémissionsdetélévisionnormales,surtoutdesvieillesdel’époquedelajeunessed’Alvin.

UngarçonquiavaitluUlyssedeJamesJoyce,quienavaitcomprislesenssanss’êtreplongédanslemoindreouvraged’exégèse,etquis’esclaffaitdevantlepetitécran!

Cen’estqu’aprèsavoirprisplaceàcôtédeluietl’avoirobservéunmomentqu’AlvinserenditcomptequeJoeneriaitpasauxgagssoulignéspardesrirespréenregistrés;cen’étaientpaslesgagsquilefaisaientrire,c’étaitHawkeye.

«Qu’ya-t-ildesidrôle?demandaAlvin.

-Hawkeye,réponditJoe.

-Ilestsérieux,pourtant.

-Jesais,maisilestconvaincud’avoirraisonettoutlemondelecroit.Tunetrouvespasçadrôle?»

Franchement,non.«Jeveuxessayerencoreunefois,Joe.»

Malgrélecoq-à-l’âne,Joecompritaussitôt,commes’ilattendaitcettedéclarationdesonpère;ilsmontèrentenvoitureetAlvinlesconduisitàl’université,oùlasectioninformatiquemitundesterminauxencouleuràleur

l’université,oùlasectioninformatiquemitundesterminauxencouleuràleurdisposition.Cettefois,Alvinselaissaalleràécrireauhasard,sansréfléchirlemoinsdumondeàseschoix,enévitanttoutesignificationconsciente.

Quandileneutassez,ilregardaJoe,quihaussalesépaules;iltapaencorequelquesgroupesdelettresetpuisannonça:«Terminé!»

Joeentraunecommandequiordonnaitàl’ordinateurd’analyserlesdonnées,puislepèreetlefilss’assirentcôteàcôtepourvoirl’expériencesedévelopper.

Aprèsuneattenteinterminabledurantlaquellenil’unnil’autrenepipamot,l’imaged’unecarteapparutàl’écran.

«Celle-ci,c’esttoi»,fitJoe.C’étaitleRoid’Épée.

«Qu’est-cequ’ellesignifie?demandaAlvin.

-Pasgrand-chose,ensoi.

-Pourquoil’épéeluisort-elledelabouche?

-Parcequ’iltueparlesmotsdesabouche.»

Alvinhochalatête.

«Etpourquoisetient-ill’entrejambe?

-Jel’ignore.

-Jepensaisquetulesavais.

-Jel’ignoretantquejen’aipasvulesautrescartes.»

Joeenfonçalatouchederetour,etunenouvellecarterecouvritpresqueentièrementlapremière;unemincelignecouruttoutautour,etelleemplitsoudaintoutl’écran.C’étaitleJugement,unangesoufflantdansunetrompettepourréveillerlesmorts,lesquels,grisdecorruption,sedressaientdansleurstombes.

«Celle-citecouvre,ditJoe.

-Queveut-elledire?

-Queveut-elledire?

-C’estainsiquetupassestavie:àjugerlesmorts.

-CommeDieu?JemeprendspourDieu,c’estça?

-C’estcequetufais,papa:tujugestout;tuesunscientifique.Jenesuispasresponsabledecequedisentleslames.

-J’étudielavie.

-Tudécoupeslavieenpetitsbouts,puisturendstonjuge-ment-maisseulementquandelleestréduiteenmiettescommelachairdesmorts.»

Alvintentadedécelerdelacolèreouduressentimentdanslavoixdesonfilsmaiscelui-cirestaitcalmeetprosaïque,l’imagemêmedumédecinauchevetdesonmalade-oudel’historienquiexposelasimplevérité.

Joeenfonçalatouche,etuneautrecarteapparutsurlepetitécran,encoreunefoisau-dessusdesdeuxpremièresmaishorizontalement.«Celle-citecroise»,dit-il;unelignebleueentouralalamequis’agrandit.C’étaitleDiable.

«Qu’est-cequeçasignifie,quimecroise?

-C’esttonadversaire,tonobstacle;lefilsdeLaiosetdeJocaste.»

AlvinsesouvintquesonépouseavaitparlédeJocaste.«ÇaserapprochedecequetuasditàConnie,non?»demanda-t-il.

Joeleregarda,impassible.«Queveux-tuquej’ensacheaprèstroiscartesseulement?»

Alvinluifitsignedepoursuivre.«Celle-citecouronne.»LedeuxdeBâton,unhommequitientlemondedanssesmains,leregardperduauloin,deuxbaliveauxpoussantduparapetdepierreprèsdelui.«Lacouronnereprésentequitupensesêtre,l’histoirequetuteracontessurtoi-même:celuiquidonnelavie,ledieudelaGenèse,leprincedontlebaiseréveillelaBelleauboisdormantetBlanche-Neige.»

Unecarteglisséedessous.«Celle-ciestendessousdetoi;c’estcequeturedoutesleplusdedevenir.»Unhommeétenduparterre,percédedixépéesenrang.Ilnesaignaitpas.

rang.Ilnesaignaitpas.

«Jen’aijamaispassédenuitblancheàtremblerqu’onmeplantedesépéesdanslecorps.»

Joeposasurluiunregardserein.«Mais,papa,jetel’aidit:lesépéesreprésententtrèssouventlesmots.Cequetucrains,c’estdemourirdelamaindesraconteursd’histoires;d’aprèslescartes,tuauraisétédugenreàfaireexécuterlemessagerporteurdemauvaisesnouvelles.»

D’aprèslescartesoud’aprèstoi?MaisAlvincontintsonirritationetsetut.

Unelameàdroite.«Celle-ciestderrièretoi;c’esttonpassé.»

Unhommedansunbateaupiquéd’épées,entrainderemonterlecourantàl’aided’unegaffe,unefemmeetunenfantassis,courbés,devantlui.«HanseletGretelenvoyéssurlameràbordd’unbateauquiprendl’eau.

-Onnediraitpasdesfrèreetsur,observaAlvin;ondiraitplutôtunefemmeetsonenfant.

-Ah!»fitJoe.Unecarteàgauche.«Celle-ciestdevanttoi,elleindiqueceversquoitusaisquetonchemintemène.»Unsarcophagedepierreavecunchevaliersculptésurlecouvercle,unoiseauposésursatête.

Lamort,songeaAlvin.Uneprédictionsansrisque-etpourtanttrèsrisquée:lescarteselles-mêmessemblaientmalveil-lantes;ellesmontraienttoutesdessituationsquihurlaientdedouleuroudeterreur.C’étaitça,letruc,seditAlvin:qu’ellessignifientquelquechoseounon,desimagesimpressionnantesparaîtronttoujoursimportantes;grossesdesenscommeunefemmeenceinte,onpeutlesfaireaccoucherdecequ’onveut.

«Cen’estpaslamort»,ditJoe.

Alvintressaillitdevoirsesréflexionsinterrompuesparuneremarquequitouchaitaussijuste.

«C’estunmonumentposthume,avectesparolesgravéesdessusetau-dessus.Homèrel’aveugle,Jésus,Mahomet;tuveuxqu’onconsidèretesparolescommedesaintesécritures.»

Et,pourlapremièrefois,Alvinressentitunvéritableeffroidevantcequ’avait

Et,pourlapremièrefois,Alvinressentitunvéritableeffroidevantcequ’avaitdécouvertsonfils.Pourtant,sonavenirneleterrifiaitpas.Nes’était-ilpasdéfendud’espéreralorsqu’ilenavaittellementenvie?Non,cequil’effrayait,c’étaitdes’entendrepenserenlui-même:Oui,oui,c’estlavérité.Non!Jerefusedemelaisserpousseràcroirepardebassesflatteries.Maisderrièretoutesleslignesdedoutequ’ilinterposaitentrelescartesetlui-même,ilcroyait;Joepouvaitdirecequ’ilvoulait,illecroirait,etc’estpourcelaqu’ilrefusaitdecroire,nonparmanquedefoimaisparcequ’ilavaitpeur.C’étaitpeut-êtrepourcelaqu’ildoutaitdepuisledébut.

Ensuite,l’ordinateurplaçaunecartedansl’angleinférieurdroit.«Celle-ci,c’esttamaison.»Ils’agissaitdelaMaison-Dieu,fracasséeparunéclairetd’oùtombaientunhommeetunefemmeentourésdelarmesdefeu.

Unecartejusteau-dessus.«Celle-citerépond.»Unhommesousunarbre,prèsd’unruisseau,etunemainsortied’unpetitnuageluitendantunecoupe.«Élieprèsduruisseau,aveclecor-beauquilenourrit.»

Etencoreau-dessus,unhommequis’éloigned’unempilementdehuitcoupes,avecunbâtonetunmanteaudevoyage.Lebâtonestunebaguettesurlaquellepoussentdesfeuilles,etlescoupessontdisposéesdetellefaçonqu’onvoitl’espacequ’occupaituneneuvième.«Celle-citesauve.»

Etpuis,toutenhautdel’alignementdequatrecartes,laMort.

«Celle-ciachèvel’ensemble.»Unévêque,unefemmeetunenfantagenouillésdevantlaMortàcheval.Labêtepiétinelecadavred’unhommequifutroi;prèsdel’hommegîtsacouronneetuneépéed’or.Auloin,unnavirecouledansunfleuvetumultueux;lesoleilselèveentredespiliersàl’est.EtlaMorttientàlamainunebaguettefeuillueavecunegerbedebléattachéeausommet.Unebannièredevieflotteau-dessusducadavreduroi.«Celle-ciachèvel’ensemble»,répétaJoed’untondéfinitif.

Alvinrestalesyeuxfixéssurlescartesenattendantl’explicationdeJoe.MaisJoen’expliquarien;ilcontemplaunmomentlemoniteur,puisselevabrusquement.«Merci,papa,dit-il.Toutestclairmaintenant.

-Pourtoi,c’estclair,lerepritAlvin.

-Oui.Mercibeaucoupdenepasavoirmenticettefois.»

Etils’apprêtaàsortir.

«Hé,uneminute!Tunem’expliquespascequetuasvu?

-Non,réponditJoe.

-Pourquoi?

-Parcequetunemecroiraispas.»

Ilétaithorsdequestionqu’Alvinavoue,etsurtoutpasàlui-même,qu’ilcroyaitdéjà.«J’aimeraisquandmêmesavoir;jesuiscurieux;jen’aipasledroitd’êtrecurieux?»

Joescrutalevisagedesonpère.«J’aitoutexpliquéàmaman,etdepuiselleestincapabledemeparlersuruntonnaturel.»

Ainsi,cen’étaitpasuntourdel’imaginationd’Alvin;lelogicieldetarotavaitenfoncéuncoinentreConnieetJoe.Ilnes’étaitpastrompé.

«Jeteparleraisuruntonnatureluneoudeuxfoisparjour,promis,fitAlvin.

-C’estbiencequejecrains,réponditJoe.

-Fiston,ledocteurFryerm’aditqueleshistoiresqueturacontes,lafaçondonttuassembleslesélémentsserapprochentplusdelavéritésurlesgensquetoutcequ’ilajamaisentendu.

Mêmesijen’ycroispas,n’ai-jepasledroitd’entendrelavérité?

-J’ignoresic’estlavérité-etmêmesilavéritéexiste.

-Si,elleexiste.Cequesontleschoses,c’estça,lavérité.

-Maiscommentsontleschoses,danslecasdesgens?

Qu’est-cequimepousseàressentirceciouàfairecela?Leshormones?Mesparents?Messchémassociaux?Touteslescausesetlesbutsdenosactesnesontquedeshistoiresquenousracontonsànous-mêmes,desfablesauxquellesnouscroyonsounecroyonspasetquichangenttoutletemps;etpourtant,nouscontinuonsàvivre,nouscontinuonsàagir,ettousnosactesontdescausesquelconques.Lesschémass’intègrenttousdansunréseauquireliechacunàtout

quelconques.Lesschémass’intègrenttousdansunréseauquireliechacunàtoutlemonde;etchaquenouvelindividumodifieleréseau,yajoute,entransformelesliens,leméta-

morphosecomplètement.C’estçaquejedécouvreavecceprogramme:commentchacuncroits’intégrerauréseau.

-Cen’estpasplutôtcommentchacuns’yintègreréellement?»

Joehaussalesépaules.«Commentveux-tuquejelesache?

Surquelscritèresmefonder?Jemetsaujourleshistoiresauxquellestucroisleplusintimement,leshistoiresquidéterminenttesactes;maislefaitmêmedelesracontermodifietafaçondecroire,placecertainsélémentsenlumièreetchangetapersonnalité.Jesapemontravailenl’accomplissant.

-Ehbien,sape-leavecmoietraconte-moilavérité.

-Jen’enaipasenvie.

-Pourquoi?

-Parcequejesuisdanstonhistoire.»

Àcetinstant,Alvins’exprimaplussincèrementqu’iln’enavaitl’intention.«Alors,nomdeDieu,raconte-la-moi,parceque,moi,jenesaisfichtrepasquitues!»

Joeretournaverssonsiègeets’assit.«JesuisGoneriletRegan,parcequetum’asobligéàjouerlemensongequetuvoulaisentendre;jesuisdipe,parcequetuasfixémeschevillesensembleetquetum’asabandonnésurleflancd’unecollinepourpréservertonpropreavenir.

-Jet’aiplusaiméquelavie.

-Tuastoujourseupeurdemoi,papa.CommeLear,tucraignaisquejenem’occupeplusdetoiquandjeseraisencorevigoureuxettoiaffaibliparl’âge;commeLaios,turedoutaisquemapuissanceterejettedansl’ombre.Alorstum’asmissoustacoupe;tum’asarrachéàmavraieplace.

m’asmissoustacoupe;tum’asarrachéàmavraieplace.

-J’aipassédesannéesàt’instruire…

-Àm’instruireafindefairedemoipourtoujourstonombre,tonélève,tandisquelaseulechosequej’aimaisvraimentétaitcellequidevaitmelibérerdetoi-leshistoires.

-Desinventionsparfaitementridicules!

-Pasplusridiculesquelafictionàlaquelletucrois,toi:tonhistoiredepetitescellulesetd’ADN,tafableselonlaquelleilexisteraituneréalitéquipuisseêtreperçueobjectivement.Non,maisquelleidéedes’imaginerpouvoirvoirpardesyeuxinhu-mains,sansinterprétation!C’estainsiquevoientlespierres,sansinterprétation,parcequesansinterprétationiln’yapasvision.

-Permets-moid’êtredéjàaucourantdeçaaumoins,ditAlvinens’efforçantderessentirleméprisqu’ilavaitmisdanssavoix.Jen’aijamaisprétenduêtreobjectif.

-Scientifique:voilàlemotclé.Étaitscientifiquecequiétaitvérifiable,ettunem’asjamaislaisséétudierquecequipouvaitsevérifier.L’ennui,papa,c’estqueriendecequiestimportantdanslemonden’estvérifiable.Cequifaitdenouscequenoussommesestinfinimentténu,fragile,commeunetoiled’araignéerongéeetretisséechaquejour.Jenepourraijamaisvoirpartesyeux,etpourtantjenepeuxvoirqueparceuxdetouslesraconteursd’histoiresquim’ontapprisàregarder.C’estçaquetum’asfait,papa:tum’asinterditd’écouterd’autrehistoirequelatienne.C’étaittaréalitéàlaquellejedevaisadhérer,tafictionquejedevaiscroire.»

Alvinsentitsonpassésedérobersoussespieds.«Sij’avaissuquecescomédiesétaientimportantesàcepointpourtoi,jen’auraisjamais…

-Tulesavais,qu’ellesétaientimportantes,lecoupaJoed’unevoixglaciale.Autrement,pourquoiteserais-tucassélatêteàmelesinterdire?Maismamèrem’atrempédansl’eau,toutentiersaufletalon,etj’aireçutoutlepouvoirdonttuessayaisdemedépouiller.Mamann’étaitpasGriselde,vois-tu;ellearefusédetuersesenfantspourl’amourdesonmari,etquandtum’asexilétul’asexiléeaussi.Nousavonsvéculeshistoiresensembletantquenoussommesrestéslibres.

-Commentça?

-Commentça?

-Jusqu’aujouroùtut’esinstalléàlamaisonpourfairemoninstruction.Avant,nousétionslibres;nousmettionsenscènetoutesleshistoiresquenouspouvions-sanstoi.»

Alvineutaussitôtàl’espritl’imagegrotesquedeConnieentraindejouerBoucled’Oretlestroisourstouslesjourspendantdesannées.Malgrélui,iléclataderire,d’unriresecetquinedurapas.

Joeseméprit-àmoinsqu’ilnecomprîttrèsbien.Ilsaisitlepoignetdesonpèreetleserrasifortqu’Alvineutpeur:Joeétaitplusfortqu’ilnelepensait.«GrendelsentlamaindeBeowulfsursatête,murmuraJoe,etilsedit:“J’auraispeut-êtremieuxfaitderesterchezmoicesoir.Jen’aipassifaimqueça,finalement.”»

Uninstant,Alvintentaderécupérersonbras,maisenvain.

Quet’ai-jefait,Joe?s’écria-t-ilenlui-même.Puisilsedétenditets’abandonnaàl’histoire.«Raconte-moicequerévèlentlescartessurmoi,s’ilteplaît.»

Sanslâchersonpère,Joecommença.«TuesLear,ettonroyaumeestvaste.Tavietoutentièreestfaçonnéedetellemanièrequetuvivraséternellementdanslapierreetdanslesmémoires.Tonrêveestdecréerlavie.Tuascruquejepourraisêtrecettevie-là,aussimalléablequelespetitsmondesquetufabriquesavecl’ADN;mais,dèsl’instantdemanaissance,tuaseupeurdemoi:tunepouvaispasmedécouperetmerecombinercommetoustesanimalcules.Ducoup,tuascraintquejenevolelesépéesdetonsépulcre,tuascraintdedevenirlepèredeJosephBevisalorsquetuvoulaisquejesoispourtoujourslefilsd’AlvinBevis.

-J’étaisjalouxdemonfils,c’estça?fitAlvinens’efforçantdeprendreuntonsceptique.

-Commeleratquidévoresesnouveau-nésparcequ’ilsaitqu’unjourilscontesterontsasuprématie,oui.C’estleplusvieuxschémacomportementaldumonde,unehistoireplusvieillequel’inventiondescrocs.

-Continue,c’estpassionnant.»Jerefusedemesentirconcerné.

«Touslesconteurssaventcommentelles’achève;chaquefoisqu’unpèreessaye

«Touslesconteurssaventcommentelles’achève;chaquefoisqu’unpèreessayedemodifierl’avenirparlamainmisesursesenfants,elleseterminedelamêmefaçon:oubienlesenfantssemettentàmentir,commeGoneriletRegan,etfeignentd’êtredevenuscequ’ildésirait,oubienilsdisentlavérité,commeCordelia,etlepèrelesrejette.J’aivouludirelavérité,maisensuitemamanetmoit’avonsmenti;c’étaitbeaucoupplusfacileetçam’apermisdesurvivre.ElleétaitGrimlepêcheuretellem’asauvélavie.»

Jocaste,Laiosetdipe.«Jevoisoùçanousmène,ditAlvin.

Jetepensaisassezintelligentpournepascroireàcesfadaisesfreudiennessurlecomplexed’dipe.

-Freudétaitpersuadéderaconterl’histoiredetoutel’humanitéalorsqu’ilneracontaitquelasiennepropre;néanmoins,cen’estpasparcequelecomplexed’dipen’estpasvalablepourtoutlemondequ’iln’estpasvalablepourmoi.Maisnet’inquiètepas,papa;jenesuispasobligédetetueraucoind’unboispourteprendretontrône.

-Jenem’inquiètepas.»C’étaitunmensonge,uneuphé-

mismevéridique.

«Laiosestmortparcequ’ilnevoulaitpaslaisserpassersonfilssurlaroute.

-Passesurlaroutequetuvoudras.

-EtjesuisleDiable.Mamanettoihabitiezl’Édenavantquej’arrive;àcausedemoi,vousavezétéjetésdehors,etmaintenantvousêtesenenfer.

-C’estmerveilleuxcommetouts’emboîtebien!

-Pourréalisertonrêve,iltefallaitmetueravectonhistoire.

Quandtum’auraisvuétenduparterreavectesépéesdansledos,alorsseulementtuauraiseulacertitudequetonsépulcrenecraignaitrien.Quandtum’auraisexilésurunbateausurlequeljenepouvaispasvivre,alorsseulementtoutdangerauraitétéécarté,croyais-tu.Maisjesuisl’Enfantàlatrompeetlebateaum’atransportérapidementdansmonvéritableroyaume.

-Riendetoutçaneprovientdel’ordinateur,intervintAlvin;çasorttoutdroitdetesrancunesd’adolescent,d’ailleursparfaitementnormales;onenpassetous

detesrancunesd’adolescent,d’ailleursparfaitementnormales;onenpassetousparlà.»

Joeresserrasaprisesurlepoignetdesonpère.«Jenesuispasmort,jenemesuispasétiolé;jedétiensmonpouvoir,aujourd’hui,ettun’espasensécurité.Tamaisonestbrisée,mamanettoienêtesprécipitésduhautdansvotredestructionettulesaiscommemoi.Pourquoiêtrevenumeconsultersicen’estquetutesavaisentraindetefaireanéantir?»

Alvinessayadetournerencoreunefoisl’histoiredeJoeendérisionmaisiln’yparvintpas;Joeavaittranspercébouclieretarmureetl’avaitpourfendudelagorgejusqu’aucur.«AunomduCiel,Joe,commentymettrefin?»Ilavaittoutjusteréussiàs’empêcherdecrier.

Enfin,Joedesserrasapoigne;lesangseremitàcirculerdanslebrasd’Alvin,douloureusement;ilavaitpresquel’impressiondepouvoirenmesurerlefluxdanssesartèrescalibrées.«Ilyadeuxmoyens,ditJoe;maisunseulquitepermettedetesauver.»

Alvinregardalescartesàl’écran.«L’exil.

-Iltesuffitdet’enaller.Va-t’enquelquetemps;laissenoustranquillesunmoment.Laisse-moipassersurlaroute,cessedevouloircommander,cessedevouloirm’imposertonhistoire,etensuitenousverronscequiachangé.

-Oh,commec’estbientrouvé:unfilsquidivorcedesonpère!Çarisqued’êtredifficile,non?

-Oulamort:ladélivrance,l’accomplissementdetesrêves.

Situmeursmaintenant,tumevaincs,commeLaiosfinitparabattredipe.»

Alvinseleva.«C’estdumélodramedebasétage.Personnenevamourirdanscettehistoire!

-Alorspourquoitrembles-tucommeunefeuille?

-Parcequejesuisfurieux,voilàpourquoi!s’exclamaAlvin.

Jesuisfurieuxdelafaçondonttuasdécidédemevoir!Jet’aimeplusqu’aucunautrepèredemaconnaissancen’aimesonfils,maistoi,tupréfèresmevoirsousunjoursinistre!Pluscuisantqueladentd’unserpent…

unjoursinistre!Pluscuisantqueladentd’unserpent…

-Pluscuisantqueladentd’unserpentestd’avoirunenfantingrat!Va-t’en,va-t’en!

-LeRoiLear,n’est-cepas?Tum’asfournitonfichuscénarioetvoilàquejerécitelesrépliques!»

Joeeutunétrangesouriredesphinx.«Maisc’estunebonnerépliquedesortie,non?

-Joe,jen’aipasl’intentiondem’enallernidetomberraidemortàtespieds.Tum’enasditbeaucoup;commetul’asprécisétoi-même,paslavérité,paslaréalité,maistafaçondevoirleschoses;çam’estprécieuxdesavoircommenttuperçoislasituation.»

Joesecoualatêted’unairdésespéré.«Papa,tunecomprendspas.C’esttoiquiasplacécescartessurl’écran,toitoutseul;montirageàmoiestcomplètementdifférent-complètementdifférent,maispasmeilleur.

-SijesuisleRoid’Épée,quies-tu?

-LePendu.»

Alvinhochatristementlatête.«Quelvilainmondetuaschoisid’habiter!

-Unmondequin’estpastoutbeau,toutproprecommeletien,quin’estpasdélimitépardesloiscommeletien.Loisetprincipes,théoriesethypothèses,puissent-ilstecouvrirlesyeuxett’apporterlebonheur.

-Joe,jecroisquetuasbesoind’aide,ditAlvin.

-Commetoutlemonde,répliquaJoe.

-Etmoiaussi.Ilfautpeut-êtreconsulterunconseillerfamilial;entoutcas,uneaideextérieure.

-Jet’aiditcequetupouvaisfaire.

-Jen’aipasl’intentiondefuirmesresponsabilités,Joe,mêmesituenastrèsenvie.

-C’estdéjàfait;tufuisdepuisdesmois.Cesonttescartes,papa,nonlesmiennes.

-Joe,jeveuxt’aideràtesortirdecette…détresse.»

Joefronçalessourcils.«Papa,tunecomprendsdoncpas?LePendusourit.LePenduagagné.»

Alvinnerentrapasàlamaison:ilétaitincapabled’affronterConniepourlemoment,deluiexpliquerl’effetqueluiavaientfaitlesparolesdeJoe.Ilserenditaulaboetseperditdanslalecturedecomptesrendussurl’évolutiondesdifférentsorganismesàl’étude.Ilyavaitdebonsrésultats;s’ilstenaientleurspromesses,AlvinBevisauraitfaitaccompliràl’humanitéungrandpassurlavoiedelacompréhensiondelachaîneADN.IlyavaitduNobellà-dedans,mais,plusimportantencore,ilyavaitduchangement.

J’auraichangélemonde,sedit-il.Etsoudainuneimageluivint,celled’unhommequitenaitlemondeentresesmains,leregarddirigéauloin.LedeuxdeBâton-sonrêve.Joeavaitraison:Alvindésiraitunmonumentéternel.

Et,dansunéclairdeclartéinaccoutumé,Alvins’aperçutqueJoeavaitraisondeboutenbout.N’était-ilpasprécisémententraindefairecequelescartesluiconseillaientpoursesauver:allersecacheraveclehuitdeCoupe?Samaisons’écroulait,toutsedélitait,etilsemettaitenroutepourunlongvoyagequilemèneraitàlasolitude.Àlagrandeur,maisàlasolitude.

IlrestaitpourtantunecartequeJoen’avaitpastraitée:lequatredeCoupe.«Celle-citerépond»,avait-ildit.LamaindeDieuquisortaitd’unnuage,Élieprèsduruisseau.SiDieudevaitmeparleràl’oreille,quemedirait-Il?

Qu’ilyauneerreurfondamentaledanstoutcequ’afaitJoe,songea-t-il,quec’estuncerclevicieux.Ilasynthétisédesélé-

mentsqu’aucunautreespritaumonden’auraitsurapprocherdefaçonsignificative.CommeditleDrFryer,iltoucheauxlimitesdelaVérité;mais,nomdeDieu,ilyaquelquechosedefaux,quelquechosequ’ilaoublié;cen’estpasvraimentuneerreur,maissimplementuneassociationdedeuxélémentsvraisqu’iln’apasréaliséedanssavie:leshistoiresfontdenouscequenoussommes.Lelogicieldestarotsidentifieleshistoiresauxquellesnouscroyons;enentendantl’histoirequecontentlestarots,nouschangeonsnotrepersonnalité;

enentendantl’histoirequecontentlestarots,nouschangeonsnotrepersonnalité;parconséquent…

Parconséquent,personnenesaitdansquellemesureoncroitàl’histoirecontéeparlestarotsparcequ’elleestvéridiqueetdansquellemesureelledevientvraieparcequ’onycroit.Joen’estpasunscientifique,c’estunconteur.Maisleconteurdetalent,leconteurconvaincant,finitbientôtparvivredanslemondedesacréationparceque,pluslenombredeceuxquiycroientaug-mente,plusl’histoiredevientvraie.

RiennenousobligeàdevenirlafamilledeLaios,riennem’obligeàjouerlerôleduroiLear.J’ailedroitderefusercettehistoireetdefairequ’ellesoitfausse.Çan’empêcheraitd’ailleurspasJoedecontinueràlaraconter,parcequec’estàellequ’ilcroit;maisjepeuxchangercequ’ilcroitenmodifiantcequerévèlentlescartes,etjepeuxmodifiercequerévèlentlescartesendevenantquelqu’und’autre.

LeRoid’Épée…Celuiquiimposesavolontéauxautres,quilesforceàvivredanslemondequesesmotsontcréé.Etmonfilsfaitlamêmechose.Maisjepeuxchanger,luiaussi,etalorspeut-

êtrequesongénie,safinessed’espritfaçonnerontunmondemeilleurquel’universrévoltantauquelilnouscontraint.

L’exaltationvenant,Alvinsesentaitenvahidelumière,commesilacoupesedéversaitenluiduhautdelanuée.Ilcroyaitmêmeavoirdéjàchangé,êtreunautrequeceluiqueJoeavaitdécrit.

Letéléphonesonna.Ilsonnadeuxfois,troisfoisavantqu’Alvindécroche.C’étaitConnie.

«Alvin?fit-elled’unepetitevoix.

-Connie,répondit-il.

-Alvin,Joem’aappelé.»Elleparaissaitperdue,lointaine.

«Ah?Net’inquiètepas,Connie,toutvas’arranger.

-Oh,jesais.Toutestenfinclair;c’estcequ’Hélènen’avaitpasréussiàcomprendre,cequeJocasten’avaitpaseulecouragedefaire.MaisÉnidle

comprendre,cequeJocasten’avaitpaseulecouragedefaire.MaisÉnidlesavait,Énidauraitpulefaire.Jet’aime,Alvin.»

Etelleraccrocha.

Alvinrestatrentesecondeslamainposéesurlecombiné;c’estletempsqu’illuifallutpourserendrecomptequeConnieparlaitd’unevoixpâteuse.QueConnieessayaitelleaussidechangerlescartes-ensesuicidant.

Toutlelongducheminquileramenaitchezlui,Alvincraignitdedevenirfou.Ilnecessaitdeserépéterdeconduireprudemment,denepasprendrederisques.IlnepourraitpassauverConnies’ilavaitunaccident;etpuis,enmêmetemps,unepetitevoixquiressemblaitàcelledeJoeluichuchotait:«C’estl’histoirequetuteracontes,maislavérité,c’estquetuconduislentementetprudemmentdansl’espoirqu’ellemourraetquetoutredeviendrasimple.C’estlameilleureissue;Connieatoutrésoluettuvaslentementafinqu’elleréussisse,toutenteracontantquetufaispreuvedeprudenceafindepouvoirtesupporterunefoisqu’elleseramorte.»

Non!répondaitAlvinenappuyantsurl’accélérateur,ensefaufilantdanslacirculation,puisens’obligeantàralentirpournepassetuerafindegagnerdeuxsecondes.Lessomnifèresn’agissaientpassivite;etpuispeut-êtresetrompait-il.Peut-êtren’avait-ellepasprisdecomprimés;àmoinsqu’ilnesetiennecegenredediscourspourallermoinsvite,defaçonqueConniemeureetquetoutredeviennesimplecommeavant…

Tais-toi!s’ordonna-t-il.Vaàlamaison,c’esttout!

Surplace,ilinséramaladroitementlaclédanslaserrureetouvritlaporteàlavolée.«Connie!»cria-t-il.

Joes’encadraitdanslechambranlevoûtéentrelacuisineetlesalon.

«Toutvabien,dit-il.Jesuisarrivéalorsqu’elleteparlaitautéléphone.Jel’aifaitvomiretlaplupartdescomprimésn’avaientpasencoreeuletempsdesedissoudre.

-Elleestréveillée?

-Plusoumoins.»

Joes’écartaetAlvinpénétradanslesalon.Connieétaitassisedansunfauteuil,

Joes’écartaetAlvinpénétradanslesalon.Connieétaitassisedansunfauteuil,apparemmentcatatonique;maisàsonapprocheelledétournalevisage,cequilesoulageaetluifitmalàlafois:aumoinsn’était-ellepasincurablementfolle.Iln’étaitpastroptardpourchanger.

«Joe,dit-ilsansquitterConniedesyeux,j’airéfléchiauxtarots.»

Derrièrelui,Joeneréponditpas.

«J’ycrois.Tuasditlavérité,toutestcommetul’asdécrit.»

Joesetaisaittoujours.Aprèstout,quepourrait-ilrépondre?sedemandaAlvin.Rien.Aumoins,ilm’écoute.«Joe,tudisaislavérité:j’aifoutunotrefamilleenl’air,c’estvrai;jevoulaistoutcontrôleretj’aitoutbousillé.Tum’entends,Connie?Jevousledisàtouslesdeux:jesuisd’accordavecJoesurlepassé.Maispassurl’avenir.Cescartesn’ontriendemagique,ellesnedévoilentpasl’avenir;ellesindiquentseulementl’issuedelasituation,lafaçondontellevas’acheversiriennechange.Maisnouspouvonslamodifier,vouscomprenez?C’estcequeConnieatentéaveclescomprimés:ellevoulaitchangerlaconclusion.

Maisc’estmoiquipeuxvraimentlachanger,enmetransformantmoi-même!Vouscomprenez?J’aidéjàchangé,commesij’avaisbuàlacoupequisortaitdunuage,Joe.Jen’aiplusbesoindetoutcontrôlercommeavant.Toutvas’arranger,etnouspourronsreconstruire,rebâtirsur…»

Lescendres:telsétaientlesmotsqu’ilallaitprononcer.Maiscen’étaientpaslesbons,Alvinl’avaitsoudainsenti.Toussesmotsétaientfaux.Ilssonnaientjusteaulabo,quandilyavaitpensé,maisàprésentilsparaissaienttrompeurs,désespérés,commedescendresdanssabouche.IlsetournaversJoe.Sonfilsnel’écoutaitpaspaisiblement:sonvisagesetordaitderage,sesmainstremblaient,deslarmesruisselaientsursesjoues.

Dèsqu’Alvinleregarda,Joehurla:«Tunepeuxpast’enempêcher,hein!Ilfauttoujoursqueturecommences!»

Ah,jecomprends,seditAlvin.Envoulantchangerleschoses,jelesobligeaisàrestertellesquelles,jecherchaisencoreàmettrelemondeoùilsviventsousmonemprise.Jen’aipasassezréflé-

chi.Dieum’ajouéunsaletourenmedonnantàboiredecettecoupe.

chi.Dieum’ajouéunsaletourenmedonnantàboiredecettecoupe.

«Pardon,ditAlvin.

-Non!criaJoe.Tun’asplusrienàdire!

-Tuasraison,fitAlvinpourlecalmer.J’auraisdû…

-Nedisrien!hurlaJoe,cramoisi.

-D’accord,d’accord.Jenediraiplusun…

-Nedisrien!Rien!Rien!

-Maisjedisquejesuisd’accordavectoi,c’estt…»

Joebonditsursonpèreetluihurlaauvisage:«N’ouvrepluslabouche,nomdeDieu!

-Ah!fitAlvinencomprenantsoudain.Jevois:tantquej’essayed’exprimercequejeressenspardesparoles,jevousimposemavisiondeschosesàtouslesdeux,etsije…»

Joen’avaitplusdemotsàsadisposition.Ilavaitemployétousceuxqu’ilconnaissaitpourréduiresonpèreausilence,maisenvain.Quandlesmotséchouent,restentlesactes;leseulobjetàportéedemainétaitunlourdplatenverreposésurunepetitetable.Joen’avaitpasprévudelesaisirnid’enfrappersonpèreàlatête;ilvoulaitseulementlefairetaire.Maistoutessesincanta-tionsn’avaientserviàrien:sonpèrecontinuaitàparler,sonpèreluibarraittoujourslarouteetrefusaitdelelaisserpasser,etilluiabattitdoncleplatenverresurlecrâne.

Maiscefutleplatquisefracassa,paslecrânedesonpère;lefragmentdeverrequetenaitJoepoursuivitsatrajectoireaprèslechoc,etlebordcoupanttranchanettementlagorged’Alvin,sectionnantlacarotide,lesveinesetsurtoutlatrachée,sibienquel’aircessadetraversersonlarynx.Alvin,muet,tombaenarrièreaumilieud’unefontainedesang,lesmainscrispéessurlesboutsdeverreplantésdanssajoue.

«Ohlàlà!»fitConnied’unepetitevoixd’enfant.

Alvinétaitétenduparterre,surledos,latêteappuyéecontrelecanapé.Ilsentait

Alvinétaitétenduparterre,surledos,latêteappuyéecontrelecanapé.Ilsentaitunbattementeffrayantdanssagorgeetunétrangesilencedanssesoreillesoùlesangneparvenaitplus.Ilnes’étaitjamaisrenducomptedubruitquefaisaitlesangdanslatête,etmaintenantilnepouvaitplusenfairepartàquiconque.Ilnepouvaitquerestersansbouger,sanstournerlatête,lesyeuxouverts.

IlvitConnieregardersagorgeetsemettrelentementàs’arracherlescheveux;ilvitJoe,d’ungestesoigneuxetméthodique,s’enfoncerleboutdeverresanglantd’aborddansl’ildroit,puisdanslegauche.Jecomprends,maintenant,ditAlvinensilence.

Jeregretteden’avoirpascomprisplustôt.Tuavaistrouvélaréponseàl’énigmequinousdévorait,mondipe.Mais,excuse-moi,jenesuispasdouépourlesdevinettes.

LesEuménidesdanslestoilettesduquatrièmeHABITERUNQUATRIÈMEsansascenseurconstituaitunepartiedesavengeance,commepourdireàAlice:«Mets-moiàlaporte,veux-tu?J’iraialorsvivredansunmeublésordideduBronx,oùondoitpartagerlestoilettesavectroisautreslocataires.Meschemisesneserontpasrepassées,macravateperpétuellementdetravers.Vois-tucequetuasfaitdemoi?»

MaisquandilparlaàAlicedesonappartement,ellesecontentaderireamèrementetdit:«Çasuffit,Howard.Jenejoueplusàçaavectoi.Tugagnesàtouslescoups.»

Elleprétendaitneplussesoucierdelui,maisHowardn’étaitpasdupe.Ilconnaissaitlesgens,ilsavaitcequ’ilsvoulaient,etAlicelevoulait,lui.C’étaitsonplusfortatoutdansleursrapports-qu’elleleveuilleplusqueluinelavoulait.Ilypensaitsouvent:pendantsontravaildanslesbureauxdeHumboldtetBreinhardt,designers;pendantsondéjeunerdansunrestaurantbonmarché(uneautrepartiedelapunition);danslemétropourrentreràsonmeublé(AliceavaitgardélaLincolnContinental).Ilpensaitencoreetencoreàquelpointellelevoulait.Maisilnepouvaitoubliercequ’elleavaitditlejouroùellel’avaitjetédehors:SijamaistuapprochesànouveauRhiannon,jetetue.

Iln’arrivaitpasàserappelerpourquoielleavaitditça.Iln’yarrivaitpas,etiln’essayaitmêmepas,parcequecegenredepenséelemettaitmalàl’aise,et,s’ilyavaitunechosequedésiraitHoward,c’étaitbienêtreàl’aisedanssapeau.

yavaitunechosequedésiraitHoward,c’étaitbienêtreàl’aisedanssapeau.D’autrespouvaientpasserdesheuresetdesjournéesentièresàcouriraprèsquelquecompromisaveceux-mêmes,Howard,lui,jouissaitd’unparfaitconfortmoral.Jesuisparfaitementbien,jesuisparfaitementbien,jesuisparfaitementbien.Vaaudiable.«Sivousleslaissezvousmettremalàl’aise,disaitsouventHoward,vousleuroffrezprisesurvousetilssontenmesurederégentervotrevie.»

Howardpouvaittrouverprisesurlesautres,maiseuxnelepouvaientsurlui.

Cen’étaitpasencorel’hiver,maisilfaisaitunfroiddecanardlorsqueHowardrentradelasoiréechezStuàtroisheuresdumatin.Uneréceptionoùilfallaitsemontrersionvoulaitdel’avancementchezHumblodtetBreinhardt.LafemmedeStu,unehorreur,avaitessayédeleséduire,maisHowardavaitjouélesinnocentsetl’avaitmisesimalàl’aisequ’elleavaitlaissétomber.Howardsuivaitdeprèslescomméragesdebureauetilsavaitqu’uncertainnombredesescollèguesavaientprécédemmentdûquitterleuremploiaprèsavoirétésurprisavec,pourainsidire,lepantalonsurleschevilles.NonquelepantalondeHowardconstituâtunebarrièreinfranchissable.IlavaitentraînéDolorèsdanslachambreàcoucherpourl’accuserdeluirendrelavieintenable.

«Despetitsdétails,affirma-t-il.Jesaisquetunelefaispasexprès,maisilfaudraitquetucesses.

-Quelsdétails?»demandaDolorès,incrédulemaismalàl’aise(parcequ’elles’efforçaithonnêtementdefaireplaisirauxautres).

«Tudoist’êtrerenducompteàquelpointtumeplais.

-Non.Celanem’a…celanem’estmêmejamaisvenuàl’esprit.»

Howardpritl’airembarrassé.Iln’enétaitenfaitabsolumentrien.«Alors…euh…alorsje…jemesuistrompé.Excuse-moi.

Jepensaisquetulefaisaisexprès.

-Jefaisaisquoiexprès?

-Que…quetumefrimais…enfin,bon,çafaitmôme,despetitstrucs,bonDieu,Dolorès,j’avaisunbéguindelycéen…

-Howard,jenemesuisjamaisrenducomptequejeterendaismalheureux.

-Howard,jenemesuisjamaisrenducomptequejeterendaismalheureux.

-Seigneur,quelleindifférence,ditHoward,l’airencoreplusmalheureux.

-Oh!Howard,jecomptetantpourtoi?»

Howardproduisitunpetitbruitgeignardqu’ellepouvaitinterpréteràsaguise.Elleavaitl’airmalàl’aise.Elleauraitfaitn’importequoipoursesentirànouveaubien.Elleétaitsimalàl’aisequ’ilspassèrentunedemi-heureplutôtagréableàseréconfortermutuellement.

Personneaubureaun’avaitréussiàtomberDolorès.MaisHowardpouvaittombern’importequi.

Ilsesentaittrès,trèssatisfaitenmontantl’escalierdesonimmeuble.Jen’aipasbesoindetoi,Alice,sedisait-il.Jen’aibesoindepersonne,etjen’aipersonne.Ilsechantonnaitencoresonpetitrefrainenentrantdanslasalledebainscommune.Ilallumalalumière.

Ilentenditungargouillementenprovenancedescabinets,unsonchuintant.Quelqu’unserait-ilrestéenfermédanslenoir?

Howardouvritlaporteetnevitpersonne.Puisilregardadeplusprèsetaperçutunbébéd’environdeuxmois,probablement,aufonddelacuvette.Sesyeuxetsonnezémergeaienttoutjustedel’eau;ilavaitl’airterrifié,lebasdesoncorpsétaitcoincédanslesiphonàpartirdeshanches.Onavaitdetouteévidenceessayédelenoyer…Howardn’auraitpuimaginerquelqu’und’assezidiotpourpenserqu’ilpasseraitparleconduit.

Ilenvisageauninstantdel’abandonnerlà,réagissantaveclatendancedeshabitantsdesgrandesvillesànepass’occuperdesaffairesdesautres,mêmes’ils’agissaitd’uneatrocité.Sauverlebébéentraînaitdestasd’inconvénients:appelerlapolice,s’occuperdel’enfantdanssonappartement,peut-êtremêmelesgrostitres,àcoupsûrunenuitblancheàremplirdesrapports.Howardétaitfatigué.Howardvoulaitallersecoucher.

MaisilserappelaAliceluidisant:«Tun’esmêmepashumain,Howard.Tuesunmonstred’égoïsme.»Jenesuispasunmonstre,répondit-ilsilencieusement,etilsepenchasurlacuvettepoursortirl’enfant.

Lebébéétaitbiencoincé-celuiquiavaitessayédeletuers’étaitarrangépour

Lebébéétaitbiencoincé-celuiquiavaitessayédeletuers’étaitarrangépourqu’ilnepuissepassedégager.Howardéprouvaunbrefsursautd’indignationauthentiqueàl’idéequequelqu’unaitpupenserrésoudresesproblèmesentuantunenfantinnocent.MaisHowardétaitbiendécidéàéviterdepenserauxcrimescommisenverslesenfants,etdeplusileutaumêmeinstantd’autressujetsderéflexion.

Commel’enfantagrippaitsonbras,ilremarquaquelesdoigtsdubébéétaientsoudés,formantcommedesnageoiresauboutdesbras.Lesaileronss’accrochaientcependantàsesbrasavecuneforceinhabituellependantqueHoward,lesdeuxmainsenfoncéesdanslacuvette,essayaitdelibérerlebébé.

L’enfantsedégageaenfindansunjaillissementd’écumetandisquelerestedel’eaus’engouffraitdanslesiphon.Lesjambesaussiétaientréuniesenunseulmembrehideusementcontournéàsonextrémité.C’étaitungarçon;lesgénitoires,plusgrossesquelanormale,étaientdéportéessurlecôté.EtHowardremarquaqu’àl’endroitoùauraientdûêtrelespiedssetrouvaientdeuxautresaileronsauboutdesquelsdestachesrougesavaientl’airdeplaiessuppurantes.L’enfantcria,unpiaillementsauvagequirappelaàHowardunchienàl’agonieduquelilavaitassisté.

(Howardrefusadesesouvenirquec’étaitluiquiavaittuélechienenlejetantaumilieudelaruesouslesrouesd’unevoiture,justepourvoirlechauffeurfaireuneembardée;lechauffeurn’avaitpasfaitd’embardée.)

Mêmelesindividuslesplusatrocementmalformésontdroitàlavie,seditHoward,maismaintenant,l’enfantdanslesbras,iléprouvaitunerépulsionquisetraduisitensympathiepourqui,probablementsesparents,avaienttentédetuerlacréature.L’enfantchangeasapriseet,oùs’étaienttrouvéslesailerons,Howardressentitunedouleurcuisantequisetransformarapidementenmartyreaucontactdel’air.Plusieursplaiesbéantes,énormes,àsonbrassuintaientdéjàdesangetdepus.

Howardmitunmomentàétablirunrapportentrel’enfantetlesplaies.Entre-temps,lesaileronsdesjambesétaientdéjàvenussepressercontresonventre,etceuxdesbrasagrippaientsapoitrine.Lestachesrougessurlesmembresdel’enfantn’étaientpasdesblessures;c’étaientdepuissantsorganesdesuccions’accro-chantsifermementàluiquesapeausedéchiraitlorsquelecontactétaitrompu.Ilessayadesedéfairedel’enfant,maisilnes’étaitpasplustôtlibéréd’unaileronquecelui-ciretrouvaitunendroitoùs’accrocherpendantqueHowardluttaitpourbriserl’étreinted’unautre.

Howardluttaitpourbriserl’étreinted’unautre.

Cequiavaitdébutécommeunactedecharités’étaitmaintenantmuéenviolentebagarre.Cen’étaitpasunenfant,compritHoward.Lesenfantsnepeuventpass’accrochersifermement,etlacréaturepossédaitdesdentsquiserefermaientsursesbrasetsesmainslorsqu’ilspassaientàsaportée.Unvisagehumain,certainement,maispasunêtrehumain.Howardsejetacontrelemurdansl’espoird’assommerlacréaturepourlafairetomber.Ellesecramponnasimplementplusfortet,àl’endroitoùelles’accrochait,lesplaieslefaisaientdavantagesouffrir.MaisHowardfinitparréussiràs’endébarrasserenprenantappuicontreleborddelacabinedestoilettes.ElletombasurlesoletHowardbattitrapidementenretraite,souffrantatrocementdeplusd’unedouzainedecruellesblessures.

Cedevaitêtreuncauchemar.Enpleinenuit,dansunesalledebainséclairéeparunesimpleampoule,avecunsimulacred’humanitésetortillantsurlesol.Howardn’arrivaitpasàcroireàlaréalitédelasituation.

Celapouvait-ilêtreunemutationquiaitréussiàsurvivre?Lachoseétaitcependantbeaucoupplusdéterminée,elleavaitunebienmeilleuremaîtrisedesoncorpsqu’unenfanthumain.

Howard,tourmentéparsesblessures,regardaitlebébéglissersurlesol,paralyséparlapanique.Ilatteignitlemuretlançaunaileroncontrecelui-ci.Laventouses’accrochaetlebébécommençaàs’éleverlentementàlaverticale.Ildéféquaittoutengrimpant,laissantderrièreluiunemincetraînéeverdâtre.Howardregardalatracevisqueuselaisséeparl’enfantsurlemur,regardalesplaiespurulentesdesesbras.

Etsil’animal,quelqu’ilsoit,nemouraitpasbientôtdesonhorribledifformité?S’ilsurvivait?Sionletrouvait,sionl’em-menaitàl’hôpitalpourlesoigner?S’ilparvenaitàl’âgeadulte?

Ilétaitarrivéenhautdumuret,suspenduàl’enversparsesventouses,iltournaetpoursuivitsonavancesurleplafondendirectiondelalampeélectrique.

Lachoseessayaitdeparvenirjusteau-dessusdeHoward,etlesexcrémentscontinuaientàdégouliner.Ledégoûtfutplusfortquelapeur,Howardlevalesbras,attrapalebébéparledosetsonpoidsaidant,ilparvintfinalementàledécollerduplafond.Ilgigotaitetsetordaitdanssesmains,tentantdel’atteindreavecsesventouses,maisHowardrésistadetoutessesforcesetréussitàle

avecsesventouses,maisHowardrésistadetoutessesforcesetréussitàleremettredanslacuvettedestoilettes,têtelapremièrecettefois.Illemaintintainsijusqu’àcequ’iln’yaitplusdebullesetqu’ilsoittoutbleu.Puisilretournachezluichercheruncouteau.

Quellequesoitcettecréature,elledevaitdisparaîtredelafacedelaTerre.Elledevaitmourir,etilnefallaitlaisseraucunindicepermettantdesoupçonnerHowarddel’avoirtuée.

Iltrouvavitelecouteau,maisilpritletempsdemettrequelquechosesursesblessures.Elleslecuisaientamèrement,maiscelasecalmaauboutd’unmoment.Howardenlevasachemise;ilréfléchituninstant,sedéshabillaentièrement,puisilenfilaunerobedechambreetprituneserviettepourretourneràlasalledebains.Ilnevoulaitpasdetracesdesangsursesvêtements.

Maisquandilfutderetourdanslasalledebains,lebébén’étaitplusdanslestoilettes.L’inquiétudes’emparadelui.

Quelqu’unl’avait-ildécouvertentraindesenoyer?Peut-êtrel’avait-onvuquitterlasalledebains-ou,pis,yreveniraveclecouteau?Iljetauncoupd’ilàlaronde.Iln’yavaitrien.Ilretournadanslecouloir.Personne.Ilrestaunmomentdansl’encadrementdelaporte,sedemandantcequiavaitpusepasser.

Etpuisunpoidsluitombasurlatêteetlesépaules.Ilsentitlesventousesluitirerlapeauduvisage,ducrâne.Ilfaillithurler.

Maisilvoulaitéviterderéveillerlesgens.L’enfantnes’étaitpasnoyé,ilavaitréussiàs’extirperdestoilettesetavaitattenduau-dessusdelaporteleretourdeHoward.

Laluttereprit,etencoreunefoisHowarddécrochalesaileronsenseservantdelacabine,bienqu’ilfûtgêné,cettefois-ci,parlefaitquel’enfantsetrouvâtdanssondos.C’étaituntravailépui-sant.Ilavaitdûdéposerlecouteaupourpouvoirseservirdesesdeuxmains,etunedouzainedeblessuressupplémentaireslefaisaientcruellementsouffrirquandileutfiniparjeterlebébéàterre.Tantquel’enfantétaitsurleventre,Howardpouvaitl’attraperpar-derrière.Illepritd’unemainparlecouetramassalecouteau.Ilemmenalesdeuxdanslestoilettes.

Ilduttirerdeuxfoislachassed’eaupourévacuerlesangetlepus.Howardsedemandasil’enfantsouffraitdequelqueinfection-leliquideblancétaitépaisetaumoinsaussiabondantquelesang.Puisiltiraencoreseptfoispourfairepartir

aumoinsaussiabondantquelesang.Puisiltiraencoreseptfoispourfairepartirlesmorceauxdelacréatureparlesiphon.Mêmeunefoismorte,sesventousesadhéraientfortementàlaporcelaine;Howardlesdétachaàl’aideducouteau.

Enfin,l’enfanteutcomplètementdisparu.Howardétaitessouffléàlasuitedesoneffort,écuréparlapuanteuraussibienqueparl’horreurdecequ’ilavaitaccompli.Ilserappelal’odeurdesentraillesdesonchienaprèsquelavoiturel’eutécrasé,etilrendittoutcequ’ilavaitmangéàlaréception.Celafait,ilsesentitpluspropre;ilpritunedoucheetsesentitencorepluspropre.

Enpartant,ils’assuraquelasalledebainsneconservaitaucunetracedesonépreuve.

Puisilsemitaulit.

Ileutdumalàs’endormir.Ilétaittroptendu.Ilnepouvaitécarterdesonespritl’idéequ’ilavaitcommisunmeurtre(pasunmeurtre,pasunmeurtre,j’aisimplementéliminéunechosetroprépugnantepourmériterdevivre).Ilessayadepenseràunedizaine,unecentained’autreschoses.Desprojetsencours-

maislesdessinscomportaienttoujoursdesailerons.Sesenfants-

maisleurvisagefaisaitplaceauvisagetourmentédumonstreacharnéqu’ilavaittué.Alice-ah!maisilétaitplusdurdepenseràAlicequ’àlacréature.

Ilfinitpars’endormir,etilrêva.Danssonrêveilsesouvintdesonpère,mortalorsqu’ilavaitdixans.Howardneserappelaaucunedesscèneshabituelles.Pasdegrandespromenadesavecsonpère,nidepartiesdebasketdansl’allée,nidepartiesdepêche.Ceschosesavaienteulieu,maiscesoir,àcausedesoncombatcontrelemonstre,Howardsesouvintd’événementsplussombresqu’ilavaitlongtempsréussiàsecacher.

«Onnepeutpassepermettredetepayerunvéloàdixvitesses,Howie.Pasavantlafindelagrève.

-Jesais,papa.Tun’ypeuxrien.»Déglutiscourageusement.

«Etjem’enfiche.Quandlesautresirontsebaladeràvéloaprèsl’école,jeresteraisimplementàlamaisonfairemesdevoirs.

-Destasdegarçonsn’ontpasdevéloàdixvitesses,Howie.»

Howiehausselesépaulesetsedétournepourcacherseslarmes.«Biensûr,destas.Hé,papa,net’enfaispaspourmoi.

Howieestungrandgarçon.»

Untelcourage.Unetelleforced’âme.Unesemaineplustard,ilavaitsonvélo.Danssonrêve,Howardétablitenfinunrapportqu’iln’avaitjamaisétécapabled’admettre.Danslegarage,sonpèreavaitunpostederadioamateurassezperfectionné.Maisverscetteépoqueils’enétaitlassé,disait-il;ill’avaitvendu,etavaitfaitnotablementplusdejardinageeteul’airdes’ennuyermortellementtantqueduralagrève.Puisilretournaautravailetsefittuerentombantsousunlaminoir.

LerêvedeHowardseterminadefaçondémente.Ilchevau-chaitlesépaulesdesonpèrecommelemonstreavaitchevauchélessiennescesoir-etilavaituncouteauàlamainaveclequelilfrappaitàcoupsredoubléssonpèreàlagorge.

Ilseréveilladanslalumièredupetitmatin,avantlasonneriedesonréveil,sanglotantfaiblementetgeignant.«Jel’aitué,jel’aitué,jel’aitué.»

Puisilémergeadesbrumesdusommeiletvitl’heure.Sixheuresetdemie.«Unrêve»,dit-il.Quil’avaitréveillétôt,troptôt,avecunmaldetêteetlesyeuxdouloureuxd’avoirpleuré.

L’oreillerétaittrempé.«Foutuemanièredecommencerlajournée»,marmonna-t-il.Et,àsonhabitude,ilallaàlafenêtreetouvritlerideau.

Surlavitre,ventousesfermementcollées,setenaitl’enfant.

Ils’écrasaitcontreleverrecommesi,enaspiranttrèsfort,ilpouvaitarriveràglisseràtraverssanslebriser.Loinendessousretentissaientlesavertisseursdutraficmatinal,lerugissementdescamions,maisl’enfantavaitl’airdenepasserendrecomptedelahauteuràlaquelleilsetrouvaitau-dessusdelarue,sansaucunesailliepourinterrompresachute.Biensûr,ilsemblaityavoirpeudechancesqu’iltombe.SesyeuxfixaientHowardd’unregardperçant.

Howardétaitdisposéàaffecterdecroirequelesévénementsdelanuitdernièren’avaientétéqu’uncauchemarterriblementréaliste.

Ils’éloignadelafenêtre.Ilnepouvaitdétachersonregarddel’enfant,fasciné.Celui-cilevaunaileronpourlecollerplushaut,sehissadansunenouvelle

Celui-cilevaunaileronpourlecollerplushaut,sehissadansunenouvellepositiondefaçonàregarderHowarddanslesyeux.Puis,lentement,méthodiquement,ilsemitàdonnerdescoupsdetêtedanslecarreau.

Lepropriétaireavaittendanceàéconomisersurl’entretiendel’immeuble.Leverreétaitmince,etHowardsavaitquel’enfantn’abandonneraitpasavantd’avoirbrisélavitrepourl’atteindre.

Ilsemitàtrembler.Sagorgeseserra.Ilavaithorriblementpeur.Cen’avaitpasétéunrêve.Laprésencedel’enfantcematinenétaitlapreuve.Maisill’avaitdécoupéenpetitsmorceaux.Ilnepouvaitpasavoirsurvécu.Lavitretremblait,vibrantàchaquecoupdetête.

Leverrecommençaitàs’étoiler.Lacréatureallaitentrer.

Howardattrapaunechaiseetlaprojetasurlafenêtre,versl’enfant.Lavitreéclata.Lesrefletsdusoleilsurlesfragmentsduverrequiexplosaitformèrentunhaloétincelantautourdelachaiseetdel’enfant.

Howardcourutàlafenêtre,regardaau-dehors,regardaenbasetassistaàlachutedel’enfantsurletoitd’ungroscamion.Soncorpseutl’airdes’étalerlorsdel’impact.Desmorceauxdelachaiseetdeséclatsdeverredansèrentautourdeluietrebondirentdanslarueetsurletrottoir.

Lecamionnes’arrêtapas;ilemportalecorpsdésarticulé,lestessonsdeverreetlamaredesang,remontantlarue.Howardcourutjusqu’àsonlitàcôtéduquelils’agenouilla,etilenfouitsonvisagedanslacouverture,tentantderetrouverlecontrôledelui-même.Onl’avaitvu.Danslarue,desgensavaientlevélatêteetl’avaientvuàlafenêtre.Lanuitdernière,ils’étaitdonnébeaucoupdemalpouréviterd’êtredécouvert,maisaujourd’huiilnepouvaitplusrienfaire.Ilétaitfichu.Pourtantilnepouvaitpaslaisserl’enfantentrerdanssachambre.

Despasdansl’escalier.Danslecouloir.Descoupsàlaporte.

«Ouvrez,là-dedans!»

Sijemetienstranquilleassezlongtemps,ilsfinirontparpartir,sedit-il,conscientdesementiràlui-même.Ildevaitselever,répondreàlaporte.Maisilnepouvaitserésoudreàadmettrequ’illuifaudraitjamaisabandonnerlasécuritédesonlit.

«Hé,espècedefilsdepute…»Lesimprécationscontinuaient,maisHowardnepouvaitpasfaireungeste.Quand,soudain,illuivintàl’espritquel’enfantpourraitêtresouslelit,et,simultanément,ilputsentirleboutdel’aileroneffleurersahanche,prêtàsefixer…

Howardselevad’unbondetseprécipitaàlaporte.Ill’ouvritàlavolée.Mêmesic’étaitlapolicevenuel’arrêter,ilspourraientleprotégerdumonstrequilepersécutait.

Cen’étaitpasunpolicierderrièrelaporte.C’étaitl’hommedupremierétagequiétaitchargédecollecterlesloyers.«Espècedefilsdeputeirresponsable!Têtedecon!criait-il,lamoumoutedetravers.Cettechaiseauraitpublesserquelqu’un!Lesvitrescoûtentcher!Dehors!Foutezlecamp,sur-le-champ,dégagezleplancher,jemefousdesavoirsivousêtessaoulcommeuncochon…

-Il…ilyavaitunechosesurlafenêtre…cettecréature…»

L’hommeledévisagead’unairglacial,roulantlesyeuxdecolère.Non,pasdecolère.Depeur.Howards’aperçutquel’hommeavaitpeurdelui.

«C’estunimmeublecorrect,ici,ditdoucementl’homme.

Vouspouvezemportervoscréatures,votregnôleetvossaletésd’éléphantsroses.Etc’estcentbilletspourlafenêtre,centticketstoutdesuite.Jevousdonneuneheurepourdégager,uneheure,compris?Ouj’appellelapolice,vousm’entendez?

-Jevousentends.»Ilavaitentendu.L’hommesortitaprèsqueHowardluieutcomptécinqbilletsdevingt.IlsemblaitévitersoigneusementlecontactdesmainsdeHoward,commesicelui-ciétaitdevenu,enquelquemanière,répugnant.Ehbien,ill’était.Pourlui-même,sicen’étaitpourlesautres.Ilrefermalaportedèsquel’hommefutparti.Ilemballadansdeuxvaliseslesquelquesbiensqu’ilavaitamenésdansl’appartement,puisildescenditl’escalier.Ilhélauntaxietsefitconduireàsontravail.

Lechauffeurleregardadetraversetneditpasunmot.CelaauraitparfaitementconvenuàHoward,siseulementlechauffeuravaitbienvoulucesserdeleregarderdanslerétroviseur-nerveusement,commes’ilavaitpeurdecequesonpassagerpouvaitessayerdefaire.Jenevaisrienessayerdefaire,seditHoward,jesuisunindividuhonnête.Iloffritunbonpourboireautaxi,puisajoutavingtdollarspourqu’iltransportesesbagagesdansleQueens,oùAlicepourraitfoutre

dollarspourqu’iltransportesesbagagesdansleQueens,oùAlicepourraitfoutrebienlesluigarderquelquetemps.Howardenavaitfiniaveclesmeublés-celui-làouunautre.

Celaavaitétédetouteévidenceuncauchemar,cematincommelanuitdernière.Lemonstren’étaitvisiblequepourlui,décida-t-il.Seuleslachaiseetlavitreétaienttombéesduquatrièmeétage,sinonlegérantl’auraitremarqué.

Saufquelebébéavaitatterrisurlecamionetqu’ilpouvaitbienavoirétéréel.Etquelqu’unpouvaitledécouvrirplustarddanslajournée,dansleNewJerseyouenPennsylvanie.

Ilnepouvaitavoirétéréel.Ill’avaittuélanuitdernière,etilavaitréapparucematin,entier.Uncauchemar.Jen’aituépersonne,enfait,serépéta-t-il.(Sauflechien.SaufPère,ditunenouvellevoix,affreuse,aufonddesonesprit.)Autravail.Tirerdesbarressurlepapier,répondreautélé-

phone,dicterdeslettres,éviterdepenserauxcauchemars,àlafamille,augâchisqu’estentraindedevenirtavie.«Sacrementbonnesoirée,hier.»Ouais,n’est-cepas?«Commentvas-tuaujourd’hui,Howard?»Bien,Dolorès,bien…grâceàtoi.«Tuasfaitlescroquispourlemachind’IBM?»Bientôt,bientôt.

Donne-moiencorevingtminutes.«Howard,çan’apasl’aird’aller.»J’aipasséunemauvaisenuit.Lasoirée,tusais.

Ilrestadessinersurlebuvarddesonbureauaulieud’alleràlatableàdessinproduireuntravaileffectif.Ilgriffonnaitdesvisages.Levisaged’Alice,sévèreetréprobateur.Levisagedel’horriblefemmedeStu.LevisagedeDolorès,doux,mouetstupide.EtlevisagedeRhiannon.

Samainsemitàtremblerenvoyantcequ’ilavaitdessiné.Ilarrachalebuvarddusous-main,lechiffonnaetsepenchasouslebureaupourlejeterdanslacorbeille.Lacorbeillebasculaetdesaileronsensortirentenondulantpoursaisirsamaind’uneétreinted’acier.

Howardhurlaetessayaderetirersamain.L’enfantvintavecelle,pendantquelesaileronsdesjambesaccrochaientsajambedroite.Lecontactdesventousesréveillalesouvenirdelasouffrancedelanuitpassée.Ilsedégageaenraclantl’enfantcontreunfichier,puisilcourutàlaporte.Celle-cis’ouvraitdéjà,livrantpassageàplusieursdesescollèguesquiseprécipitèrentdanssonbureau,demandant:«Qu’ya-t-il?Qu’est-cequinevapas?

demandant:«Qu’ya-t-il?Qu’est-cequinevapas?

Qu’as-tuàhurlercommeça?»

Howardlesamenaprudemmentàl’endroitoùauraitdûsetrouverl’enfant.Rien.Justeunecorbeilleàpapierrenversée,lachaisedeHowardbasculéesurleplancher.Maislafenêtreétaitouverte,etilneserappelaitpasl’avoirouverte.«Howard,qu’ya-t-il?Tuesfatigué?Çanevapas?»

Jenemesenspasbien.Jenemesenspasbiendutout.

Dolorèsluipassalebrassurlesépaules,lefitsortirdelapièce.«Howard,jesuisinquiètepourtoi.»

Jesuisinquiet,moiaussi.

«Jepeuxterameneràlamaison?J’aimavoitureaugarage.

Jepeuxterameneràlamaison?»

Quellemaison?Jen’aipasdemaison,Dolorès.

«Chezmoi,alors.J’aiunappartement,tuasbesoindetecoucheretdetereposer.Laisse-moit’ameneràlamaison.»

L’appartementdeDolorèsétaitdécorédanslepluspurstyleHollyHobby,et,quandellemitdesdisquessursachaîne,ils’agissaitdevieuxCarpentersetdesderniersCaptainetTennille.

Dolorèsleconduisitaulit,ledéshabillaavecdouceurpuis,commeill’attiraitverslui,ellesedévêtitetluifitl’amouravantderetournerautravail.Ellefaisaitpreuved’unenaïveardeur.

Elleluimurmuraàl’oreillequ’ilétaitledeuxièmehommequ’elleeûtjamaisaimé,lepremierencinqans.Samanièrestupidedefairel’amourétaitsisincèrequ’elleluidonnaenviedepleurer.

Quandellefutpartie,ilpleuraeffectivement,parcequ’ellepensaitcompterpourluietqu’iln’enétaitrien.

Pourquoiest-cequejepleure?sedemanda-t-il.Qu’est-cequej’enaiàfiche?Cen’estpasmafautesiellem’adonnéprisesurelle…

Cen’estpasmafautesiellem’adonnéprisesurelle…

Assissurlacommode,dansuneattitudecurieusementadulte,setenaitl’enfant.IljouaitnégligemmenttoutenregardantHowardavecintensité.«Non,ditHoward,sedressantàlatêtedulit.Tun’existespas.Personned’autrequemoinet’ajamaisvu.»L’enfantnemanifestaaucunsignedecompréhension.Ilsecontentadebasculeretsemitàdescendreenrampantsurledevantdelacommode.

Howardattrapasesvêtementsetsortitdelachambre.Danslesalon,ils’habillatoutensurveillantlaporte.Trèscertainement,l’enfantrampaitsurletapisendirectiondusalon;maisHowardétaithabilléàprésent,etilsortit.Troisheuresdurant,ildéambuladanslesrues.Audébut,ilétaitfroidementrationnel.

Logique.Lacréaturen’existepas.Iln’yaaucuneraisond’ycroire.

Maissonrationalismes’effritapetitàpetit,emportéparlesapparitionsconstantesdelacréatureàlalimitedesonchampdevision.Surunbanc,leregardantpar-dessusledossier;dansunevitrine;danslacabined’uncamiondelaitier.Howardmarchaitdeplusenplusvite,necherchantpasàsavoiroùilallait,tentantdeconserverunsemblantd’intelligenceàsesprocessusmentaux.

Yéchouanttotalementlorsqu’ilvit,qu’ilvitclairement,l’enfantsebalanceràunfeudesignalisation.

Pourempirerleschoses,de-ci,de-làunpassant,violantlaloitacitequiinterditauxNew-Yorkaisdeseregarderlesunslesautres,ledévisageait,frissonnaitetdétournaitlesyeux.Unefemmecourtauded’allureeuropéennesesigna.Unebanded’adolescentsagressifsneleprovoquapas-ilsseturent,lelaissèrentpasserensilence,leregardèrents’éloigner.

Ilsnepouvaientpeut-êtrepasvoirl’enfant,réalisaHoward,maisilsvoyaientquelquechose.

Et,tandisquesonespritbattantlacampagnedevenaitdemoinsenmoinscohérent,lessouvenirsallaientetvenaient,saviedéfilaitdevantsesyeuxcommeilarrive,paraît-il,àquelqu’unquiestentraindesenoyer.Seulement,réalisat-il,siunhommeentraindesenoyervoyaitcelailengloutiraitprécipitammentdel’eauetlagarderaitdanslespoumonsrienquepourmettrefinauxvisions.C’étaientdessouvenirsqu’ilrefoulaitdepuisdesannées;dessouvenirsqu’iln’auraitjamaisvouluretrouver.

souvenirsqu’iln’auraitjamaisvouluretrouver.

Sapauvremèrebouleversée,sidésireused’êtreunebonnemèrequ’ellelisaittout,essayaitn’importequoi.SonprécocepetitHowardlelisaitaussi,etlecomprenaitmieux.Riendecequ’elleessayaitnemarchaitjamais.Etill’accusaitàmaintesreprisesden’êtrepasassezexigeante,del’êtretrop;denepasluidonnerassezd’amour,del’étouffersousunefausseaffection;d’essayerdeluidétournersesamis,denepasaimerassezsesamis.Aupointd’avoirrendulapauvrefemmesitimide,àforcedelatourmenteretdelaharceler,qu’elleneluiadressaitpluslaparolequ’aveclesplusinfiniesprécautions,s’embrouillantdanssesphrasespouréviterdel’offenser.Et,bienqu’illasurprîtdetempsàautreenl’embrassantetendisant«Quellemamanadmirabletues»,beaucoupplussouventillaregardaitd’unairrésigné:«Encore,maman?Jecroyaisquec’étaitréglédepuisdesannées.»Tuaséchouéentantquemère,c’esttout,luirappelait-ilsanscesse,bienqu’enmoinsdemots,etellehochaitlatête,lecroyait,mourantàpetitfeuàchacundeleurscontacts.

Ilavaitobtenutoutcequ’ilavaitvoulud’elle.

EtVaughnRobles,quiétaitàpeineuntoutpetitpeuplusintelligentqueHoward.Howarddésiraitpar-dessustoutêtrepremierdesapromotion,aussiVaughnetHowarddevinrent-ilslesmeilleursamisdumonde.Vaughnauraitfaitn’importequoipourHoward,etàchaquefoisqueVaughnavaitunemeilleurenotequeluiilnepouvaitmanquerderemarquerqueHowardétaitblessé,queHowardsedemandaits’ilétaitbonàquoiquecesoit.

«Est-cequejesuisbonàquelquechose,Vaughn?J’aibeaufairedemonmieux,ilyatoujoursquelqu’undevantmoi.Jepensequec’esttoutsimplementàcausedecequemonpèrem’aditetrépétéavantdemourir:Howard,soismeilleurquetonpapa.Soislepremier.Etjeleluiaipromis.Mais,bonDieu,Vaughn,jenesuistoutsimplementpasfaitpourça…»Etilavaitmêmepleuré,unefois.VaughnavaitétéfierdeluienécoutantHowardlirelediscoursd’adieuàsapromotion.Qu’étaientquelquesplaces,faceàuneauthentiqueamitié?Howardavaitobtenuuneboursepouralleràl’universitéetn’avaitpratiquementjamaisrevuVaughn.

Etleprofesseurqu’ilavaitamenéàlefrapper,luifaisantperdresonposte;etlejoueurdefootballquil’avaithumilié.

Howardavaittranquillementfaitcourirlebruitquelebonhommeétaitpédé,desortequ’ilfutbannidel’équipeetdutfinalementpartir;etlesjoliesfillesqu’il

sortequ’ilfutbannidel’équipeetdutfinalementpartir;etlesjoliesfillesqu’ilavaitsouffléesàleurspetitsamisrienquepourprouverqu’ilenétaitcapable,etlesamitiésqu’ilavaitbriséesrienqueparcequ’iln’aimaitpassesentirexclu,etlesmariagesqu’ilavaitdétruits,etlescollèguesdetravailqu’ilavaitminésàlabase.Ilmarchaitlelongdesrues,leslarmesruis-selantsursonvisage,sedemandantd’oùremontaienttouscessouvenirsetpourquoi,aprèsêtrerestésdissimuléssilongtemps,ilsrevenaientmaintenantàlasurface.Ilconnaissaitcependantlaréponse.Elleseglissaitdansl’embrasuredesportes,grimpaitauxlampadairessursonpassage,sortaitdutrottoirpresquesoussespieds,agitantversluid’obscènesailerons.

Etlentement,inexorablement,lessouvenirssefrayaientleurchemin,remontantdetortueusesgaleriesverslepassélepluslointain,parcequ’ilsavaittrouverlepointfaibledesgenssansmêmelevouloir.Jusqu’àcequefinalementsamémoirepar-vienneauseulendroitqu’ilsavaitdevoiréviter.

IlsesouvintdeRhiannon.

Elleétaitnéequatorzeansplustôt.Avaitsouritôt,avaitmarchétôt,n’avaitpresquejamaispleuré.Uneenfantadorabledèsledépart,doncuneproiefacilepourHoward.Oh!Alice,desoncôté,étaitaussiunesalope-Howardn’étaitpasleseulmauvaisparentdelafamille.Maisc’étaitluiquimanipulaitlemieuxRhiannon.«Papaaduchagrin,chérie»,etlesyeuxdeRhiannons’élargissaient,elleétaitdésoléeet,quoiquedemandepapa,elleétaitprêteàlefaire.Maisc’étaitnormal,celaappartenaitàl’ordrenatureldeschoses,celaseseraitaisémentaccordéavectoutlerestedesavie,s’iln’yavaiteucederniermois.

Etmêmemaintenant,aprèsavoirpasséunejournéeàs’affligersursonexistence,Howardnepouvaitl’affronter.Maisilyétaitcontraint.Malgrélui,ilserevitpasserdevantlaporteentrouvertedeRhiannon,apercevantunéclairdetissuenmouvementrapide.

Ilouvritlaporteimpulsivement,rienqu’uneimpulsion,aumomentoùRhiannonenlevaitsonsoutien-gorgeenseregardantdanslemiroir.Howardn’avaitjamaiséprouvédedésirpoursafillejusqu’àcetinstant,mais,unefoiscelui-ciéveillé,iln’avaitaucunestratégie,aucunschémapréétablidanssonespritpourseretenird’essayerd’obtenircequ’ildésirait.Ilétaitmalàl’aise,aussipénétra-t-ildanslachambre,fermantlaportederrièrelui,etRhiannonnesavaitpasdirenonàsonpère.LorsqueAliceouvritlaporte,Rhiannonpleuraitdoucement.Aliceregarda,puisaprèsunmomentellesemitàhurler,àhurler.Howardselevadulitetessayad’arrangerleschoses,maisRhiannonpleuraittoujoursetAlicecontinuait

essayad’arrangerleschoses,maisRhiannonpleuraittoujoursetAlicecontinuaitàhurler,luidonnaitdescoupsdepiedàl’entrejambe,lefrappait,luigriffaitlafigure,luicrachaitdessus,luidisaitqu’ilétaitunmonstre,unmonstre,jusqu’àcequ’enfinilpuissefuirlachambre,lamaisonet,jusqu’àmaintenant,lesouvenirdetoutcela.

Ilhurlacommeiln’avaitpashurléalorsetsejetacontreunevitrine,pleurantbruyammenttandisquelesangjaillissaitd’unedouzainedecoupuresàsonbrasdroit,quiétaitpasséàtraverslavitre.Ungrandmorceaudeverreétaitrestéfichédanssonavant-bras.Ilsefrottadélibérémentlebrascontrelemurpourl’enfoncerdavantage.Maisladouleurdesonbrasnepouvaitcombattrecelledesonesprit,etilnesentitrien.

Ilsl’emmenèrentd’urgenceàl’hôpital,pensantnepouvoirluisauverlavie,maisledocteureutlasurprisedeconstaterquetoutcesangneprovenaitquedeblessuressuperficiellesneprésentantaucundanger.«Jenecomprendspascommentvousavezfaitpournepastoucheruneveineouuneartère,dit-il.J’ail’impressionqueleverres’estenfoncépartoutoùillepouvaitsanscauserdeblessuregrave.»

Aprèslemédecin,biensûr,cefutlepsychiatre,maisilyavaitbeaucoupdesuicidairesàl’hôpital,etHowardn’étaitpasdel’espècedangereuse.«J’aieuunpassageàvide,docteur,c’esttout.Jeneveuxpasmourir.Jenevoulaispasmourir,toutàl’heure.Jevaisbien,maintenant.Vouspouvezmerenvoyerchezmoi.»Etlepsychiatrelelaissapartir.Ilsluibandèrentlebras.Ilsnesavaientpasquesonsoulagementvenaitenfaitdecequ’iln’avaitvunullepartdansl’hôpitallapetitecréaturenuetravestieenenfant.Ils’étaitpurgé.Ilétaitlibre.

OnramenaHowardenambulance,puislesinfirmierslevéhiculèrentdanslamaisonoùilslefirentpasserdubrancardàsonlit.DuranttoutcetempsAliceneditpasunmot,sicen’estpourlesdirigerjusqu’àlachambre.Ellesetenaitau-dessusdeluialorsqu’ilreposaitsursonlit,tousdeuxseulspourlapremièrefoisdepuisqu’ilavaitquittélamaisonunmoisplustôt.

«C’estgentilàtoi,ditdoucementHoward,demelaisserrevenir.

-Ilsontditqu’ilsn’avaientpaslaplacedetegarder,maisquetuavaisbesoind’êtresurveilléetsoignéquelquessemaines.

Pourmonplusgrandbonheur,jedoisveillersurtoi.»Savoixétaitbasseetmonocorde,maisl’acidesourdaitdechacunedesesparoles.Celafaisaitmal.

monocorde,maisl’acidesourdaitdechacunedesesparoles.Celafaisaitmal.

«Tuavaisraison,Alice,ditHoward.

-Raisonàquelsujet?Quet’épouseraétélaplusgrosseerreurdemavie?Non,Howard.C’estterencontrerquiaétémaplusgrosseerreur.»

Howardsemitàpleurer.Devraieslarmesquijaillissaientd’endroitsquiavaientjadisétéprofondémentenfouisenluimaisreposaientmaintenantdouloureusementprèsdelasurface.

«J’étaisunmonstre,Alice.Jen’aijamaiseuaucuncontrôlesurmoi.Cequej’aifaitàRhiannon…Alice,j’auraisvoulumourir,j’auraisvoulumourir!»

Levisaged’Aliceétaitamerettourmenté.«Etj’auraisvouluquetusoismort,Howard.Jen’aijamaisétésidéçuequequandledocteuraappelépourdirequetut’ensortirais.Tunet’ensortirasjamais,Howard,tuserastoujours…

-Laisse-le,maman.»

Rhiannonsetenaitdansl’embrasuredelaporte.

«Nerentrepas,Rhiannon»,ditAlice.

Rhiannonentra.«Papa,çavabien.

-Cequ’elleveutdire,ditAlice,c’estqu’onl’aexaminéeetqu’ellen’estpasenceinte.Ellenevapasdonnernaissanceàunpetitmonstre.»

Rhiannonneregardaitpassamère,ellefixaitsimplementsonpèreavecdegrandsyeux.«Tun’aspasbesoinde…d’avoirduchagrin,papa.Jetepardonne.Lesgensperdentparfoisleurcontrôle.Etc’étaitautantmafautequelatienne,vraiment,tun’aspasbesoindetetourmenter,père.»

C’enétaittroppourHoward.Ilcria,hurlasaconfession,commentill’avaitmanipuléetoutesavie,qu’ilétaitunpèretotalementégoïsteetpourri.Quandileutterminé,Rhiannonvintàsonpère,posalatêtesursapoitrineetditdoucement:«Père,çavabien.Noussommescequenoussommes.Nousavonsfaitcequenousavonsfait.Maisçava,maintenant,jetepardonne.»

LorsqueRhiannonfutpartie,Alicedit:«Tuneméritespasunefillecommeça.»

»

Jesais.

«J’allaisdormirsurlecanapé,maiscelaseraitstupide.

N’est-cepas,Howard?»

Jemérited’êtrelaisséseulcommeunlépreux.

«Tum’asmalcompris,Howard.Jedoisrestericipourm’assurerquetunefaisrien.Àtoiouàquelqu’und’autre.»

Oui.Oui,s’ilteplaît.Onnepeutpasmefaireconfiance.

«Netevautrepasdedans,Howard.Net’ycomplaispas.Necherchepasàterendreencoreplusdégoûtantquetun’étaisavant.»

Trèsbien.

IlssombraientdanslesommeilquandAlicedit:«Oh,quandledocteuraappelé,ilm’ademandésijesavaiscequit’avaitfaitcesplaiessurlesbrasetsurlapoitrine.»

MaisHowarddormaitetnel’entenditpas.Unsommeilsansrêves,paisible,lesommeildeceluiquiaétépardonné,quiestlavédetoutefaute.Celaneluiavaitpastantcoûté,aprèstout.

Maintenantquec’étaitfait,celasemblaitfacile.Ilavaitl’impressionqu’ungrandpoidsluiavaitétéôté.

Ileutlesentimentquequelquechosepesaitsursesjambes.Ilseréveilla,ennagebienquelapiècefûtfroide.Ilentenditrespirer.Etcen’étaitpaslarespirationgraveetlented’Alice.C’étaitunerespirationprécipitée,commesiceluiquirespiraitétaitentraindefourniruneffort.

Celui.

Ceux.

L’und’euxétaitentraversdesesjambes,étreignantlacouverturedesesailerons.Lesdeuxautressetenaientdechaquecôté,rampantd’unairdéterminé

ailerons.Lesdeuxautressetenaientdechaquecôté,rampantd’unairdéterminéversl’endroitoùsonvisageémer-geaitdesdraps.

Howardenfutdéconcerté.

«Jepensaisquevousétiezpartis,dit-ilauxenfants.Vousdevriezavoirdisparu,maintenant.»

Alices’agitaausondesavoix,marmonnantdanssonsommeil.

Ilenvitencored’autresremuerdanslescoinssombresdelapièce,unautrequisetortillaitlentementsurlacommode,unautrequigrimpaitaumurversleplafond.

«Jen’aiplusbesoindevous»,dit-ild’unevoixcurieusementhautperchée.

Larespirationd’Alicesefitirrégulière.Ellemarmonna:«Quoi?Quoi?»

Howardneditplusrien,ilrestaétenduentrelesdraps,regardantattentivementlescréaturesmaisn’osantpasfaireunbruitdepeurderéveillerAlice.Ilavaitterriblementpeurqu’Aliceneseréveilleetnelesvoiepas,cequiprouveraitunefoispourtoutesqu’ilavaitperdulatête.

Ilétaitencorepluseffrayé,cependant,qu’elleseréveilleetqu’ellelesvoie.C’étaitlapenséelaplusintolérable,etmalgrétoutillagardaàl’esprittoutaulongdeleurapprocheinexorable,sanslamoindreexpressiondansleurregard,pasmêmedelahaine,pasmêmedelacolère,nimêmedumépris.Noussommesavectoi,semblaient-ilsdire,nousseronsdorénavantavectoi.

Nousseronsavectoi,Howard,pourtoujours.

Aliceroulasurlecôtéetouvritlesyeux.

Quietus

CELAluiarrivabrusquement,unvoilenoiralorsqu’iltravaillaittardàsonbureau.Celaneduraqu’unclind’oeil,maisavantlespapiersquisetrouvaientsursonbureauavaientparuterriblementimportants,etaprèsillesfixaitd’unilvide,sedemandantdequoiils’agissait,avantdeserendrecomptequ’ilsefichaitpasmaldelesavoiretqu’ildevaitmaintenantrentrerchezlui.

Qu’illedevaitcatégoriquement.C.MarkTapworth,desEntreprisesCMT,selevadesonbureausansterminerletravailquis’ytrouvait;c’étaitlapremièrefoisqu’ilfaisaitunetellechoseendouzeans,letempsqu’illuiavaitfallupourfairepassersonentreprisedunéantàuneaffairerapportantplusieursmillionsdedollarsparan.Illuivintvaguementàl’espritqu’iln’agissaitpasnormalement,maisilnes’eninquiétapasvraiment,peuluiimportaitquedavantagedegensachètent…achètent…

Et,pendantquelquessecondes,C.MarkTapworthneputserappelercequefabriquaitsacompagnie.

Celal’effraya.Celaluirappelaquesonpèreetsesonclesavaienttoussuccombéàuneattaque.Celaluifitsesouvenirdelasénilitéprécocedesamèreàl’âgedesoixante-huitans.Celaluirappelaquelquechosequ’ilavaittoujourssumaisqu’iln’avaitjamaistoutàfaitcru:qu’ilétaitmorteletquetouslestravauxaccomplisaucoursdesavieperdraientprogressivementdel’importancejusqu’àsontrépas,àl’heureduquelsavieellemêmeresteraitsonseulacte,lapierreoubliéedontlachuteavaitsoulevésurlelacdesvaguelettesquifiniraientparatteindrelarivesansavoir,toutcomptefait,rienchangé.

Jesuisfatigué,décida-t-il.MaryJoaraison.J’aibesoinderepos.

Maisiln’étaitpasdugenreàsereposer,pasjusqu’àcetinstantoù,deboutprèsdesonbureau,levoilenoirsemanifestaànouveau,cettefoisunesecoussedanssonespritetilneserappelarien,nevitrien,n’entenditrien,sombrantinterminablementdanslenéant.

Puis,miséricordieusement,ilrevintàluietilrestatremblant,regrettantàprésentlestrèsnombreusessoiréesoùilétaitrestétravaillertroptard,lesnombreusesheuresqu’iln’avaitpaspasséesavecMaryJo,lalaissantseuledansleurgrandemaisonsansenfants;etill’imaginaentraindel’attendreéternellement,femmesolitaireécraséeparl’immensesalon,attendantpatiemmentunmariquiallait,

solitaireécraséeparl’immensesalon,attendantpatiemmentunmariquiallait,quidevait,quiétaittoujourssurlepointderentrer.

Est-celecur?Ouuneattaque?sedemanda-t-il.Quoiquecefût,c’étaitsuffisantpourluifaireentrevoirlafindumondeàl’affûtdansl’obscuritéquil’avaitvisité,et,commeleprophèteredescendantdesamontagne,deschosesquiavaientcomptéoutremesuren’avaientplusaucuneimportance,tandisquedeschosesqu’ilavaitlongtempsdifféréeslesollicitaientmaintenantensilence.Ilressentaituneurgenceterribledefairequelquechoseavant…

Avantquoi?Ilrefusaderépondreàcela.Iltraversasimplementlagrandesallerempliedejeunesgensambitieuxquiessayaientdel’impressionnerentravaillantplustardquelui;ilremarqua,maissansyattacherd’importance,qu’ilsétaientvisiblementsoulagésdesevoirépargnerunenouvellesoiréeinterminable.Ilsortitdanslanuit,montadanssavoitureetrentrachezluiparunefinebruinequirepoussaitlemondeàunedistancerassurantedesvitresdesavoiture.

Lesenfantsdoiventêtreenhaut,sedit-il.Personnenevintl’accueilliràlaporte.Lesenfants,ungarçonetunefillemoitiéhautscommeluimaispossédantdeuxfoissonénergie,étaientd’admirablescréaturesquidescendaientl’escaliercommes’ilsétaientmontéssurdesskis,quinepouvaientpasdavantagesetenirtranquillesqu’unoiseau-moucheenpleinvol.Ilpouvaitentendreàl’étagelebruitdeleurspasquicouraientlégèrementsurleplancher.Ilsn’étaientpasvenusl’accueillirparcequ’ilsavaient,aprèstout,deschosesplusimportantesdanslaviequ’unsimplepère.Ilsourit,posasonattaché-caseetserenditàlacuisine.

MaryJoavaitl’airharassée,bouleversée.Ilreconnutinstantanémentlessignes-elleavaitpleuréplustôtdanslajournée.

«Qu’est-cequinevapas?

-Rien»,dit-elle,parcequ’elledisaittoujours:Rien.Ilsavaitqu’elleleluidiraitdansunmoment.Elleluiracontaittoujourstout,cequil’avaitparfoisagacé.Tandisqu’elleallaitetvenaitensilencedelatableàl’évier,duplacardàlacuisinière,préparantencoreunefoisundînerimpeccable,ilserenditcomptequ’ellen’allaitrienluidire.Celalemitmalàl’aise.Ilcommençaàessayerdedeviner.

«Tuastropdetravail,dit-il.Jet’aiproposédeprendreunedomestiqueouunecuisinière.Nouspouvonsbiennouslepermettre.»

cuisinière.Nouspouvonsbiennouslepermettre.»

MaryJosecontentaderenifler.«Jeneveuxpersonnedansmespattesàlacuisine,dit-elle.Jepensaisquelaquestionétaitrégléedepuisdesannées.Est-ceque…est-cequetuaseuunerudejournéeaubureau?»

Markfaillitluiparlerdesesétrangesvoilesnoirs,maisilsereprit.Ildevraityallerprogressivement.MaryJon’étaitpascapabledefairefaceàça,pasdansl’étatoùellesetrouvait.

«Pastropdure.J’aiterminétôt.

-Jesais,dit-elle.J’ensuiscontente.»

Ellen’avaitpasl’aircontente.Celal’irritaunpeu.Leblessa.

Maisaulieudes’éloignerpourpansersesblessures,ilobservasimplementsesémotionscommes’ilétaitunobservateurimpartial.Ilsevit:unimportantself-mademan,maiscependantchezluiunpetitenfantquipouvaitêtreblessé,pasmêmeparunmotmaisparunelégèrehésitation.Sensible,sensible,etilsemoquadelui;uninstantilsevitpresquedeboutàquelquescentimètres,pouvantmêmeobserverl’expressionstupéfaitedesonvisage.

«Pardon»,ditMaryJo,ouvrantlaporteduplacardpendantqu’ils’écartaitdesonchemin.Ellesortitunautocuiseur.«Noussommesàcourtdepommesdeterreenflocons,dit-elle.Ilvafalloirs’yprendredelamanièreprimitive.»Ellemitdanslerécipientlespommesdeterreépluchées.

«Lesenfantssonteffroyablementcalmesaujourd’hui,dit-il.

Sais-tucequ’ilssontentraindefaire?»

MaryJoleregardad’unairabasourdi.

«Ilsnesontpasvenusmedirebonsoiràlaporte.Nonquecelamedérange.Ilsontleurspropresoccupations,jesais.

-Mark,ditMaryJo.

-D’accord,tumeconnaistropbien.Maisj’aiétéseulementunpeublessé.Jevaisvoirlecourrierdelajournée.»Ilsortitdelacuisine.Ilétaitvaguementconscientque,derrièrelui,MaryJos’étaitremiseàpleurer.Ilnes’enémutpas

conscientque,derrièrelui,MaryJos’étaitremiseàpleurer.Ilnes’enémutpastrop.Ellepleuraitfacilementetsouvent.

Ilentradanslesalondontlemobilierlesurprit.Ils’attendaitàytrouverlachaiseetlesofavertsqu’ilsavaientachetéschezDeseretIndustries,etlatailledelapièceainsiquelesantiquitésdebontonluiparurentbizarrementdéplacées.Puisilserappelad’uncoupquelachaiseetlevieuxsofadataientdequinzeans,justeaprèssonmariageavecMaryJo.Pourquoim’attendais-jeàlesvoir?sedemanda-t-il,ànouveauinquiet;ils’inquiétaégalementdes’êtrerenduausalonens’attendantàytrouversoncourrier,alorsquedepuisdesannéesMaryJoledéposaittouslesjourssursonbureau.

Ilentradanssoncabinetdetravail,ramassalecourrier,etilcommençaitàletrierquandilremarquaducoindel’ilqu’unobjetnoiretmassifbouchaitlamoitiéinférieuredel’unedesfenêtres.Ilregarda.C’étaituncercueil,d’unmodèleassezmodeste,posésurunetableroulantedemorgue.

«MaryJo,appela-t-il.MaryJo.»

Elleentradanslebureau,l’aireffrayé.«Oui?

-Pourquoiya-t-iluncercueildansmonbureau?demanda-t-il.

-Uncercueil?dit-elle.

-Prèsdelafenêtre,MaryJo.Commentest-ilvenuici?»

Elleeutl’airinquiète.«N’ytouchepas,s’ilteplaît,dit-elle.

-Pourquoipas?

-Jenepourraispassupporterdetevoirytoucher.Jeleuraiditqu’ilspouvaientlelaissericipourquelquesheures.Maisondiraitbienqu’ilvadevoirrestertoutelanuit.»L’idéequelecercueilrestepluslongtempsdanslamaisonluirépugnaitmanifestement.

«Quil’alaisséici?Etpourquoicheznous?Cen’estpascommesinousétionsdanslapartie.Oubienilslesvendentmaintenantaucoursderéceptionsmondaines,commelesTupperware?

-L’évêqueaappelépourmedemander…ilm’ademandédepermettreaux

-L’évêqueaappelépourmedemander…ilm’ademandédepermettreauxpompesfunèbresdeledéposericienvuedesfuné-

raillesdedemain.Iladitquepersonnenepouvaitallerouvrirl’église,alorssinouspouvionslegarderquelquesheures…»

Illuivintàl’idéequelespompesfunèbresn’auraientpaslaisséuncercueilprévupourunenterrements’iln’avaitétéplein.

«MaryJo,ya-t-iluncadavrelà-dedans?»

Ellehochalatêteetunelarmeperlaaucoindesapaupièreinférieure.Ilétaitmédusé.Illemanifesta.«Ilsontlaissétoutelajournéeuncercueilrenfermantuncadavreàlamaisonavectoi?

Etlesenfants?»

Ellesecachalafigureentrelesmainsetsortitencourant,montal’escalierquatreàquatre.

Marknelasuivitpas.Ilrestadeboutàcontemplerlecercueilavecdégoût.Ilsavaientaumoinseulebongoûtdelefermer.

Maisuncercueil!Ilallaàsonbureau,pritletéléphoneetcomposalenumérodel’évêque.

«Iln’estpaslà.»Sonappelavaitl’aird’importunerlafemmedel’évêque.

«Ildoitenlevercecadavredemonbureauetdemamaisoncesoirmême.C’estunpeufort.

-Jenesaispasoùlejoindre.Ilestmédecin,voussavez,frèreTapworth.Ilopère.Jen’aiaucunmoyendelecontacterpourunmotifdecetordre.

-Quesuis-jedonccenséfaire?»

L’intensitédesaréactionlesurprit:«Faitescequevousvoulez!Traînez-ledanslarue,sivousvoulez!Ceneseraqu’unaffrontdepluspourcepauvrehomme!

-Cequim’amèneàuneautrequestion.Quiest-ce,etpourquoin’est-cepassafamille…

-Iln’apasdefamille,frèreTapworth.Etiln’apasd’argent.

Jesuissûrequ’ilregretted’êtremortdansnotrehospice,maisnousavonspenséque,mêmes’iln’avaitpasd’amisencemonde,quelqu’unpourraitluioffrirunpeudegentillesseàl’heuredelequitter.»

Sapuissancedeconvictionétaitirrésistible,Markdutreconnaîtrequ’iln’avaitaucunespoirdesedébarrasserducercueilcesoir.«Dumomentqu’iln’estpluslàdemain»,dit-il.Quelquesformulesdepolitesseetlaconversationpritfin.Markrestaassissursachaise,fixantlecercueilaveccolère.Ilétaitrentréchezluipréoccupéparsasanté.Etavaittrouvéuncercueilpourl’accueilliràsonarrivée.Bon,dumoinscelaexpliquaitpourquoilapauvreMaryJoétaitsibouleversée.Ilentenditlesenfantssedisputeràl’étage.Ehbien,queMaryJos’enoccupe.Leursproblèmesdétournerontsespenséesdecetteboîte,entoutcas.

Etilrestaainsiàcontemplerlecercueildurantdeuxheures.IlnefitpasparticulièrementattentionquandMaryJoredescendit,retiradel’autocuiseurlespommesdeterrebrûlées,jetaledîneràlapoubellepuisallas’allongersurlesofadusalonoùellepleura.

Ilregardaitlegrainduboisducercueilquiformaitdesmotifssubtilscommedesflammess’enroulanttoutautour.Ilserappelaavoirfaitlasieste,àl’âgedecinqans,dansunechambreimpro-viséederrièreunecloisonencontreplaqué,danslapetitemaisondesesparents.Legrainduboisétaitalorssonpasse-tempsdesheuressanssommeil.Ilétaitcapableàl’époqued’yvoirdesformes:nuages,visages,bataillesetmonstres.Mais,surlecercueil,legrainduboisavaitl’airpluscompliqué,etcependantbeaucoupplussimple.Uneroutemontaitverslecouvercle.Uneépured’ingénieurdécrivaitladécompositionducorps.Ungraphiqueaupieddulit,quinedisaitrienaupatientmaisparlaitdemortàl’espritexercédumédecin.Markpensafugacementàl’évêquequiencemomentmêmeopéraitquelqu’unquipourraittrèsbienfinirdansuneboîtetoutàfaitsemblable.

Lesyeuxfinirentparluifairemal,ilregardalapenduleetsesentitcoupabled’êtrerestésilongtempsenfermédanssonbureaupourunedesraressoiréesoùilétaitrentrétôtdutravail.

ilétaitrentrétôtdutravail.

Ilavaitl’intentiondeselever,d’allertrouverMaryJoetdel’emmeneraulit.Mais,aulieud’agirainsi,ilseleva,s’approchaducercueiletpassasesmainssurlebois.Oneûtditduverre,tantlevernisétaitlisseetépais.C’étaitcommesileboisvivantdevaitêtreisolé,protégéducontactdelamain.Maisleboisn’étaitpasvivant,n’est-cepas?Ilallaitaussiêtredéposéenterreoùilsedécomposerait.Levernispourraitlemaintenirpluslongtempsvivant.Ilévoqua,bizarrement,commentceseraitsil’onvernissaitlescadavrespourlesconserver.LesÉgyptiensn’auraientalorsplusànousenremontrer,sedit-il.

«Non»,fitunevoixenrouéeàlaporte.C’étaitMaryJo,lesyeuxrouges,l’airendormie.

«Nonquoi?»luidemandaMark.Elleneréponditpas,secontentantdebaisserlesyeuxverssesmains.Àsagrandesurprise,Markserenditcomptequesespoucesétaientpasséssouslecouvercle,commepourlesoulever.

«Jen’allaispasl’ouvrir,dit-il.

-Viensenhaut,ditMaryJo.

-Lesenfantssontendormis?»

Ilavaitposélaquestioninnocemment,maislevisagedeMaryJosetorditaussitôtdedouleur,dechagrinetdecolère.

«Lesenfants?demanda-t-elle.Qu’est-cequecelaveutdire?

Etpourquoicesoir?»

Desurprise,ils’appuyacontrelecercueil.Latableroulantesedéplaçalégèrement.

«Nousn’avonspasd’enfants»,dit-elle.

EtMarkserappelaavechorreurqu’elleavaitraison.Àladeuxièmefaussecouche,ledocteurluiavaitligaturélestrompesparcequ’unenouvellegrossesseauraitmissavieendanger.Ilsn’avaientpasd’enfants,pasun,etcelal’avaitaccabléependantdesannées;cen’étaitquegrâceàlagrandepatiencedeMarketàlaconfiancequ’elleavaitenluiqu’elleavaitpuquitterl’hôpital.

Cependant,lorsqu’ilétaitrentrécesoir…ilessayadeserappelercequ’ilavaitentenduenrentrant.Ilétaitsûrd’avoirentendulesenfantsgaloperàl’étage.Ilétaitsûr…

«Jenemesenspastrèsbien,dit-il.

-Sic’estuneplaisanterie,elleestmauvaise.

-Cen’étaitpasuneplaisanterie…c’était…»Maisencoreunefoisilneputpasluiparler,oudumoinsnelefit-ilpas,desesétrangestrousdemémoireaubureau,mêmesic’étaitunepreuvesupplémentairequequelquechosen’allaitpas.Iln’yavaitjamaiseud’enfantssoussontoit,onavaitdiscrètementprévenuleursfrèresetsursdenejamaisamenerd’enfantsauprèsdecettepauvreMaryJodontl’esprits’étaitégaréd’être-quelétaitlemotdel’AncienTestament?-inféconde?

Etcesoirilavaitévoquél’idéed’avoirdesenfants.

«Chérie,jesuisdésolé,dit-il,essayantd’ymettretoutsoncur.

-Moiaussi»,répondit-elleavantdes’engagerdansl’escalier.

Ellen’estcertainementpasencolèrecontremoi,seditMark.

Elleserendsûrementcomptequequelquechosevadetravers.

Ellemepardonneracertainement.

Mais,tandisqu’ilgravissaitl’escalierderrièreelletoutenôtantsachemise,ilentenditànouveauunevoixd’enfant.

«Maman,j’aisoif.»C’étaitlavoixplaintiveetlegeignementqueseulpeutproduireunenfantchoyéetsûrdel’amourqu’onluiporte.MarkatteignitlepalierjusteàtempspourvoirMaryJotraverserlecouloirverslachambredesenfants,unverred’eauàlamain.Ilnesefitpasderéflexionàcesujet.Lesenfantsréclamaienttoujoursunsupplémentd’attentionàl’heuredesecoucher.

Lesenfants.Lesenfants,biensûr,ilsavaientdesenfants.

C’étaitlebesoinpressantqu’ilavaitressentiaubureau,laraisonpourlaquelleil

luifallaitrentrer.Ilsavaienttoujoursvouludesenfants,doncilsavaientdesenfants.C.MarkTapworthobtenaittoujourscequiluitenaitàcur.

«Enfinendormis»,ditMaryJod’unairlasenrentrantdanslachambre.

Endépitdesafatigue,elleluisouhaitabonnenuitenl’embrassantdelamanièrequiluidisaitqu’elleavaitenviedefairel’amour.Ilnes’étaitjamaisbeaucouppréoccupédesaviesexuelle.C’estbonpourleslecteursduReader’sDigest,desepréoccuperderendresaviesexuelleplusricheetmieuxremplie,disait-iltoujours.Poursapart,lesexeétaitunebonnechose,maispaslachoselaplusimportantedesavie;c’étaitjusteunedesmanièresdontluietMaryJorépondaientl’unàl’autre.Cesoir,cependant,ilétaittroublé,inquiet.Nonqu’ilnepuisseluidonnersatisfaction,cariln’avaitjamaissouffertd’impuissance,mêmetemporaire,sauflorsqu’ilavaitlafièvreetn’enavaitdetoutefaçonpasenvie.Cequil’ennuyait,c’étaitqu’iln’yportaitpasvraimentd’intérêt.

Iln’yportaitaucunintérêt,enfait.Ilaccomplissaitsimplementlesgestes,commedesmilliersdefoisauparavant,etcettefois-ci,brusquement,toutcelasemblaittellementidiot,untelrelentdepelotagesurlesiègearrièred’unevoiture.Ilsesentitgênéd’avoirpufairetantdecasd’unepetitecaresse.Aussifut-ilpresquesoulagéquandundesenfantssemitàpleurer.D’habitude,ilauraitditd’ignorersespleurs,ilauraitinsistépourcontinueràfairel’amour.Maiscettefoisilseretira,enfilaunpeignoir,entradansl’autrechambrepourcalmerl’enfant.

Iln’yavaitpasd’autrechambre.

Pasdanscettemaison.Ils’étaitdirigé,danssatête,verslachambrepleined’espoirencombréeparleberceau,latableàlanger,lacommode,lesmobiles,legaipapiermural-maiscettechambredataitdebiendesannées,danslapetitemaisondeSandy,pasici,àFédéralHeights,avecsavuemagnifiquesurSaltLakeCity,avecsonarchitectureetsadécorationadmirablesquiproclamaientlebongoûtethurlaientlafortune,toutenmurmuranttoutbaslasolitudeetlechagrin.Ilpritappuicontrelemur.Ilpouvaitencoreentendrelespleursrésonnerdanssatête.

MaryJosetenaitdansl’encadrementdelaportedeleurchambre,nuemaispressantsachemisedenuitcontresonsein.

«Mark,dit-elle.J’aipeur.

-Moiaussi»,répondit-il.

Maiselleneluiposapasdequestion,ilenfilasonpyjamaetilsretournèrentaulit;et,tandisqu’ilreposaitdansl’obscurité,écoutantlesouffleunpeurauquedesafemme,ileutconsciencequecelanecomptaitpasvraimentautantquecelal’auraitdû.Ilperdaitlatête,maiscelanel’inquiétaitpastrop.Ilsongeaàprier,maisilavaitrenoncéauxprièresbiendesannéesauparavant,quoique,biensûr,celanesefîtpasdefairepartdelapertedesafoiàquiquecesoit,pasdansunevilleoùilestbonpourlesaffairesd’êtremormonpratiquant.Dieuneseraitd’aucuneaidedanssoncas,illesavait.Etiln’yavaitpasnonplusbeaucoupd’aideàattendredeMaryJo,car,aulieudesemontrerfortecommed’habitudeencasd’urgence,elleseraitcettefois,commeellel’avaitdit,effrayée.

Ehbien,moiaussi,seditMark.Iltenditlebraspourcaresserdansl’ombrelajouedesafemme,s’aperçutqu’elleavaitquelquesridesaucoindesyeux,compritquecequil’avaiteffrayéen’étaitpassamaladieparellemême,sibizarresoit-elle,maislefaitquecefûtunsignedevieillissement,desénilité,deséparationimminente.Ilsesouvintducercueilquisetrouvaitaurez-de-chaussée,commes’ils’étaitagidelamortpréposéeàsasurveillance,jusqu’àcequ’ilfinisseparserésigneràpartir.Illeurenvoulutbrièvementd’avoirapportélamortdanssamaison,àcelle-cides’êtreimposéeavectantd’indécence;puisilcessacomplètementdes’enfaire.Ausujetducercueil,ausujetdesesétrangespertesdemémoireoudequoiquecefût.

Jesuisenpaix,constata-t-ilensombrantdanslesommeil.Jesuisenpaix,etcen’estpassiplaisant.

«Mark,disaitMaryJoenlesecouantpourleréveiller.Mark,tuaslaissépasserl’heuredetelever.»

Markouvritlesyeux,marmonnaquelquechosepourqu’ellecessedelesecouer,puisroulasurlecôtépourserendormir.

«Mark,insistaMaryJo.

-Jesuisfatigué,protesta-t-il.

-Jelesais,dit-elle.Aussinet’ai-jepasréveilléplustôt.

Maisilsviennentdetéléphoner.Ilyauneurgence,ouquelquechose…

-Ilspeuventbientirerlachassesansqu’onsoitlàpourleurtenirlamain.

-Nesoispasgrossier,Mark,ditMaryJo.J’aienvoyélesenfantsàl’écolesanstedireaurevoir.Ilsétaientdésolés.

-Bravespetits.

-Mark,ilst’attendent,aubureau.»

Markfermalesyeuxetditd’untonmesuré:«Tupeuxlesappeleretleurdirequejeviendraiquandj’enauraienvieetque,s’ilsnesaventpasréglertoutseulsleursproblèmes,jelesvirepourincompétence.»

MaryJogardaunmomentlesilence.«Mark,jenepeuxpasdireça.

-Motpourmot.Jesuisfatigué.J’aibesoinderepos.Jemesensdrôledanslatête.»

Àcesmots,Markserappelatoutessesillusionsdelaveille,ycompriscelled’avoirdesenfants.

«Nousn’avonspasd’enfants»,dit-il.

MaryJoouvritdegrandsyeux.«Qu’est-cequeturacontes?»

Ilfaillitl’injurier,luidemandercequisepassait,pourquoielleneluidisaitpastoutbonnementlavéritépourunefois.Maisl’indifférenceetlaléthargielegagnèrentànouveauetilsetut,secontentadeseretourneretcontemplalesrideauxquioscillaientdanslesouffleduclimatiseur.MaryJolelaissabientôt,ilentenditdesmachinessemettreenmarcheaurez-de-chaussée.Lamachineàlaver,leséchoir,lelave-vaisselle,lebroyeuràordures:onauraitditqu’ellesfonctionnaienttoutesàlafois.Iln’avaitjamaisentenducesbruitsauparavant-MaryJonelesmettaitjamaisenroutelesoirouleweek-end,quandilétaitlà.

Àmidi,ilfinitparselever,maisiln’avaitpasenviedesedouchernideseraser,bienquetoutautrejourilsefûtsentisaleetmalàl’aisetantqu’iln’avaitpassacrifiéàcesrites.Ilsecontentad’enfilersonpeignoiretildescendit.Ilavaitenvisagéd’allerprendresonpetit-déjeuner,maisàlaplaceilserenditàsonbureauetouvritlecouvercleducercueil.

Celaluidemandaquelquespréparatifs,biensûr.Ilmarchaunpeudelongen

Celaluidemandaquelquespréparatifs,biensûr.Ilmarchaunpeudelongenlargedevantlecercueil,caressapasmallebois,mais,finalement,ilpassalespoucessouslecouvercleetlesouleva.

Lecadavreavaitl’airraideetempesé.Unhomme,nispécialementvieuxnispécialementjeune.Lescheveuxd’unecouleurrésolumentcommune.N’eûtétélateintegrisâtredelapeau,lecorpsauraitsembléparfaitementnatureletàtelpointordinairequeMarkfutpersuadéqu’ilauraitpuvoirl’hommeunmilliondefoissansselerappeler.Ilétaitcependant,sanserreurpossible,mort,nonpasàcausedusatinbonmarchéquigarnissaitlecercueildefaçonassezlâche,maisàcausedelavoussuredesépaules,delasailliedumenton.L’hommen’étaitpasconforta-blementinstallé.

Ilsentaitleliquideàembaumer.

Marktenaitlecouvercleouvertd’unemain,s’appuyantdel’autreaucercueil.Iltremblait.Ilneressentaitcependantnicrainteniexcitation.Letremblementvenaitdesoncorps,pasdequelquechosequ’ilpuissetrouverdanssespensées.Iltremblaitàcausedufroid.

Ilyeutunlégerbruit,ouuneabsencedebruit,àlaporte.Ilseretournabrusquement.Lecouvercleretombaderrièrelui.MaryJosetenaitcontrelechambranle,vêtued’unerobed’intérieuràfronces,lesyeuxgrandsouvertsd’horreur.

Àcetinstant,lesannéess’enfuirent,elleeutànouveauvingtanspourMark,jeunefilletimideetunpeugaucheéternellementpriseaudépourvuparlesréalitésdelavie.Ils’attendaitàl’entendredire:«Mais,Mark,tul’astrompé.»Ellenel’avaitditqu’unefois,maisdepuisilentendaittoujourscesmotsdanssatêteàchaquefoisqu’ilconcluaitunmarché.C’étaitcequ’ilpossédaitdeplusproched’uneconsciencedanslesaffaires.Celasuffisaitàluiassureruneréputationdeprofondehonnêteté.

«Mark,dit-elledoucementcommesielleluttaitpourconserversoncontrôle.Mark,jenepourraispasvivresanstoi.»

Onauraitditqu’elleredoutaitquequelquechosedeterriblesoitsurlepointdeluiarriver,etsesmainstremblaient.Ilfitunpasverselle.Ellelevalesmains,vintàlui,s’accrochaàluietpleurasursonépauleavecdepetitsgémissementsaigus.«Jenepourraispas.Pasdutout.

-Tun’aspasàt’enfaire,dit-il,désemparé.

-Jenesuistoutsimplementpascapabledevivreseule,dit-elled’unevoixentrecoupéedesanglots.

-Maismêmesije…mêmes’ilm’arrivaitquelquechose,MaryJo,tuauraisles…»Ilallaitdire:lesenfants.Quelquechosenecollaitpasmalgrétout,là-dedans.Ilsn’aimaientpersonneaumondedavantagequeleursenfants;nulsparentsn’avaientjamaisétéplusheureuxqu’euxlorsquetousdeuxétaientnés.Cependant,ilneputpasledire.

«J’auraisquoi?demandaMaryJo.Oh!Mark,jen’auraisplusrien!»

EtpuisMarkserappelaànouveau(quem’arrive-t-il?)qu’ilsn’avaientpasd’enfants,quepourMaryJo,quiétaitassezvieuxjeupourconsidérerlamaternitécommelebutprincipaldesonexistence,Dieuleuravaitôtétoutespoird’avoirdesenfantspourlapunir.Laseulechosequiluiaitfaittenirlecoupaprèsl’opérationétaitMark,sespapotagesausujetdesproblèmesinsignifiantsetparfoisinventésdeMarkaubureau,oulerécitinterminabledesesjournéessolitaires.C’étaitcommes’ilétaitsonancredanslaréalitéetqueluiseullaretiennedepartiràladérivedanslestourbillonsdesesangoisses.Riend’étonnantàcequelapauvrefille(carendetelsmomentsMarknepouvaitpenseràellecommecomplètementadulte)soitbouleverséeàlapenséedelamortdesonmari,etcefoutucercueildanslamaisonn’arrangeaitpasleschoses.

Maisjenesuispasenmesuredeconjurercela,seditMark.Jeparsenquenouille,nonseulementj’oubliedeschoses,maisjemesouviensd’événementsquin’ontpaseulieu.Etsijemourais?Sij’avaisbrusquementuneattaquecommemonpèreetquejemeuresurlechemindel’hôpital?Qu’arriverait-ilàMaryJo?

Ellenemanqueraitpasd’argent.Entremonentrepriseetl’assurance,mêmelamaisonseraitfiniedepayer,avecassezd’argentpourvivrecommeunereinesurlesintérêts.Maislacompagnied’assurancesprendrait-elledesdispositionspourquequelqu’unl’étreignepatiemmentpendantqu’ellepleureraitpourchassersesangoisses?Luifournirait-onquelqu’unqu’ellepuisseréveilleraumilieudelanuitàcausedesterreurssansnomquilahanteraient?

Sessanglotssemuèrentenhoquetsfrénétiquesetsesdoigtss’enfoncèrentplusprofondémentdanssondosàtraversletissusoyeuxdelarobedechambre.Voyezcommeelles’accrocheàmoi,sedit-il,etpuislesténèbresvinrentà

Voyezcommeelles’accrocheàmoi,sedit-il,etpuislesténèbresvinrentànouveau,etànouveauiltombaitenarrièredanslenéant,etànouveauilnesesouciaitplusderien.Nesavaitmêmeplusqu’ilyavaitquelquechoseàproposdequoiilconvenaitdesefairedusouci.

Àpartlesdoigtsquis’enfonçaientdanssondosetlepoidsqu’iltenaitdanssesbras.Jemefichebiendeperdrelemonde,sedit-il.Jemefichemêmedeperdremessouvenirs.Maiscesdoigts.Cettefemme.Jenepeuxpasdéposercefardeauparcequ’iln’yapersonnequipuisseleramasser.Sijel’égare,elleestperdue.

Etcependantilaspiraitàl’obscurité,luienvoulaitdeleretenir.Ilyasûrementunmoyendes’ensortir,sedit-il.Sûrementunéquilibreentreleursdeuxdésirsquilessatisfasseégalement.

Maislesmainsl’étreignaienttoujours.Lemondeentierétaitsilencieuxetcesilenceétaitlapaix,àl’exceptiondesdoigtsacérés,insistants,etilcriadefrustration.Lapiècerésonnaitencoredesoncrilorsqu’ilouvritlesyeuxpourvoirMaryJodeboutcontrelemur,appuyéeaumur,quileregardaitd’unairterrorisé.

«Qu’est-cequinevapas?murmura-t-elle.

-Jesuisentraindeperdre»,répondit-il.Maisilneputpassesouvenirdecequ’ilavaitpenségagner.

Etàcetinstantuneporteclaquadanslamaison,Amyarrivaencourantbruyammentsursespetitspieds,traversantlacuisine,puispénétradanslebureau,sejetadanslesbrasdesamèreetluiracontaenbraillantsajournéeàl’école,etlechienquil’avaitpoursuiviepourladeuxièmefois,etcommentleprofesseurluiavaitditquec’étaitellequilisaitlemieuxdelaclasse,maisDarrelavaitrenversédulaitsurelle,etpourrait-elleavoirunsandwichparcequ’elleavaitfaittomberlesienetmarchédessusparaccidentàl’heuredudéjeuner…

MaryJoregardaMarkd’unairréjoui,clignadel’iletrit.

«Ondiraitqu’Amyaeuunejournéechargée,n’est-cepas,Mark?»

Markneparvintpasàsourire.IlsecontentadehocherlatêtetandisqueMaryJorajustaitlatenuedébrailléed’Amyavantdelaconduireàlacuisine.

«MaryJo,ditMark.Ilyaquelquechosedontjedoisteparler.

-Çanepeutpasattendre?»demanda-t-ellesanss’arrêter.

Markl’entenditouvrirlaporteduplacard,l’entenditdévisserlecouvercledupotdebeurredecacahouète,entenditAmyglousseretdire:«Maman,passiépais.»

Marknecomprenaitpaspourquoiilétaitàuntelpointconfusetterrifié.Amyavaittoujoursmangéunsandwichenrentrantdel’écoledepuisqu’elleavaitcommencéàyaller…mêmebébé,elleprenaitseptrepasparjour,sansjamaisprendreungrammedegraisse.Cen’étaitpascequisepassaitdanslacuisinequiletroublait,cenepouvaitpasêtreça.Cependant,ilneputpasseretenirdecrier:«MaryJo!MaryJo,viensici!

-Papaestfou?entendit-ilAmydemanderàvoixbasse.

-Non»,réponditMaryJo,etellefitirruptiondanslapièceetditd’untonimpatient:«Qu’ya-t-il,chéri?

-J’aisimplementbesoin…besoindet’avoiriciuneminute.

-Vraiment,Mark,cen’estpastongenre,non?Amyabesoinquel’ons’occupebeaucoupd’ellejusteaprèsl’école,elleestcommeça.Jevoudraisbienquetunesoispasrestésansrienàfaireaulieud’allerautravail,Mark,tudeviensvraimentimpossibleàlamaison.»Ellesouritpourmontrerqu’ellen’étaitqu’àdemisérieuseetlequittadenouveaupourrejoindreAmy.

Pendantunmoment,Markressentitunterribleélancementdejalousieàl’idéequeMaryJosoittellementplussensibleauxbesoinsd’Amyqu’auxsiens.

Maislajalousies’évanouitrapidement,commelesouvenirdeladouleurinfligéeparlesdoigtsdeMaryJoenfoncésdanssondoset,avecuneeffroyablesensationdesoulagement,Marknesesouciaplusderien,ilretournaprèsducercueil,quilefascinait,ouvritànouveaulecouvercleetregardaàl’intérieur.C’étaitcommesilepauvrehommen’avaitpasdutoutdevisage,s’aper-

çutMark.Commesilamortvolaitleurfigureauxgensetlesrendaitanonymesmêmeàleurspropresyeux.

Ilfitcourirsesdoigtssurlesatinqu’iltrouvafraisetattirant.

Ilfitcourirsesdoigtssurlesatinqu’iltrouvafraisetattirant.

Lerestedelapièce,lerestedumondereculèrentaulointainarrière-plan.SeulsdemeurèrentMark,lecercueiletlecadavre.

Marksesentaitextrêmementfatiguéetbrûlant,commesilavieellemêmeétaituneterriblefrictionengendrantenluidelachaleur;ilôtasarobedechambre,sonpyjamaetgrimpamaladroitementsurunechaise,enjambalebordducercueil,s’agenouillapuiss’étendit.Iln’yavaitpasd’autrecorpspourpartagerl’étroitespaceaveclui;rienentresoncorpsetlesatinfrais,et,alorsqu’ilreposaitdessus,ilneseréchauffapas,parcequefinalementlafrictionralentissait,serafraîchissait;illevalebras,rabattitlecouvercleettoutdevintnoiretsilencieux,iln’yeutplusniodeurnigoûtnisensationsicen’estlafraîcheurdesdraps.

«Pourquoilecouvercleest-ilfermé?demandalapetiteAmy,accrochéeàlamaindesamère.

-Parcequecen’estpasdesoncorpsqu’ilnousfautnoussouvenir,ditdoucementMaryJo,d’unevoixsoigneusementcontrôlée,maiscommentpapaavaitl’habituded’être.Nousdevonsnoussouvenirdeluiheureux,entrainderireetdenousaimer.»

Amyeutl’airperplexe.«Maisjemesouviensqu’ilmedonnaitdesfessées.»

MaryJohochalatêteensouriant,chosequ’ellen’avaitguèrefaitecesdernierstemps.«C’esttrèsbiendetesouvenirdecela»,dit-elle,puiselleéloignasafilleducercueilpourlaramenerdanslesalonoù,necomprenantpasencorelaterriblepertequ’ellevenaitdesubir,Amyéclataderireetgrimpasurlesgenouxdegrand-papa.

David,l’airsérieuxetlevisagebarbouillédelarmesparcequ’ilcomprenait,vintmettresamaindanscelledesamèreetl’étreignit.«Noustiendronslecoup,dit-il.

-Oui,réponditMaryJo.Jelepense.»

Etsamèreluichuchotaàl’oreille:«Jenesaispascommenttufaispoursupportercelasibravement,machérie.»

LeslarmesvinrentauxyeuxdeMaryJo.«Jenesuispasbravedutout,répondit-ellesurlemêmeton.Maislesenfants,ilsdépendenttantdemoi.Jenepeuxpas

ellesurlemêmeton.Maislesenfants,ilsdépendenttantdemoi.Jenepeuxpasmelaisseralleralorsqu’ilssereposentsurmoi.

-Commecelaseraitterrible,ditsamère,hochantgravementlatête,situn’avaispasd’enfants.»

Danslecercueil,sondernierbesoinsatisfait,MarkTapworthentendittoutmaisneputlegarderdanssonesprit,cariln’yavaitdanssonespritdeplaceoudetempsquepourunepensée:l’approbation.Desavie,desamort,dumondeetdel’éternelleabsencedumonde.Carmaintenantilsavaientdesenfants.

Exercicesrespiratoires

SiDALEYORGASONnes’étaitpaslaissésifacilementdistraire,ilauraitbienpunepasremarquerlarespiration.

Mais,enallantsechanger,ilaperçutletitredujournaletceladétournasonattention.Aulieudemonterl’escalier,ils’assitsurunemarcheetsemitàlire.Ilneputmêmepasseconcentrerlà-dessus,cependant.Ilcommençaàentendretouslesbruitsdelamaison.Àl’étage,Brian,leurfilsdedeuxans,respiraitprofondémentdanssonsommeil.Danslacuisine,Colly,safemme,pétrissaitlapâteàpain.Elleaussirespiraitprofondément.

Leurrespirationétaitparfaitementàl’unisson.Àl’étage,lesoufflerauquedeBrian,encombréparlesmucositésdesonsommeild’enfant;larespirationprofondedeCollyquitravaillaitlapâte.Lejournaloublié,Daleseplongeadanssesréflexions.Ilsedemandasicelaarrivaitsouvent-quedesgensrespirentparfaitementdeconcertpendantdelonguesminutes.Ilcommençaàs’interrogersurlescoïncidences.

Puis,parcequ’ilselaissaitfacilementdistraire,ilserappelaqu’ildevaitsechangeretmontaàl’étage.Lorsqu’ilredescendit,enjeanetsweat-shirt,prêtpourunebonnepartiedebasket-ballenpleinair,maintenantquec’étaitleprintemps,Collyl’appela:«Dale,jesuisàcourtdecannelle!

-Jet’enrapporteraienrentrant!

-J’enaibesoinmaintenant!criaColly.

-Nousavonsdeuxvoitures!»réponditDaleavantdefermerlaporte.Ilsesentitbrièvementmauvaiseconsciencedenepasluirendreservice,maisilseditqu’ilétaitdéjàenretardetquecelaneluiferaitpasdemaldesortirenemmenantBrian;ellesemblaitneplusjamaisquitterlamaison.

Sonéquipe,desamisdeAllwaysHomeProducts,Inc.,gagnalapartie,etilrentrachezluicouvertd’unesueurbienagréable.Iln’yavaitpersonne.Lapâteàpainavaitlevéprodigieusement,serépandantsurtoutleplandetravail,ettombaitparterreenlargescoulées.Detouteévidence,Collyétaitpartietroplongtemps.Ilsedemandacequiavaitpularetarder.

Puislapolicel’appelaautéléphone,etiln’eutplusàseposerdequestions.

Puislapolicel’appelaautéléphone,etiln’eutplusàseposerdequestions.Collyavaitlamauvaisehabitudedegrillerparinadvertancelespanneaux«stop».

Ilyavaitbeaucoupdemondeàl’enterrement,parcequeDaleavaitunefamillenombreuseetqu’onl’aimaitbienaubureau.IlétaitassisentresesparentsetceuxdeColly.Lescondoléancessesuccédaient,monotones,etDale,facilementdistrait,sedisaitque,detouscesgensendeuillés,seulunpetitnombreressentaitunchagrinpersonnel.TrèspeuavaientvraimentconnuColly,quipréféraitéviterlesmondanités,quirestaitlaplupartdutempsàlamaisonavecBrian,enparfaiteménagère,lisantdesromans,solitaire,toutcomptefait.LaplupartdesgensétaientvenusauxfunéraillesparégardpourDale,pourleréconforter.Suis-jeréconforté?sedemanda-t-il.Pasparmesamis-ilsn’avaientpasgrand-choseàdire,gauchesetembarrassés.Seulsonpèreavaitsud’instinctcequ’ilfallaitfaire.Ill’avaitsimplementembrassé,puiss’étaitmisàparlerdetout,exceptédelafemmedeDaleetdesonfils,quiétaientmorts,tellementdéchiquetésaucoursdel’accidentquelecercueiln’avaitétéouvertpourpersonne.IlluiparladepartiedepêchesurlelacSupérieurcetété;decesorduresdelaContinentalHardwarequis’étaientmisdanslatêtequelaretraiteobligatoireàsoixante-cinqansdevaits’appliquerauprésidentdelacompagnie;detoutetderien.Maisc’étaitsuffisant.CelaavaitdistraitDaledesonchagrin.

Malgrétout,ilsedemandaitmaintenants’ilavaitétéunbonmaripourColly.Avait-elleétéréellementheureuse,cloîtréetoutelajournéechezelle?Ill’avaitpousséeàsortir,rencontrerdesgens,maisellen’avaitjamaisvoulu.Et,enfindecompte,commeilsedemandaits’illaconnaissaitàfond,ilneputtrouveruneréponsedontileûtétécertain.EtBrian-ilneleconnaissaitpasdutout.C’étaitungarçonvifetintelligent,construisantdéjàdesphrasesàunâgeoùd’autresenfantssedébattentavecdesimplesmots;maisdequoiDaleetluiavaient-ilsjamaiseuàparler?Lesseulesrelationsqu’avaitBrianétaientavecsamère,etréciproquement.C’était,d’unecertainefaçon,commeleurrespiration-ladernièrefoisqueDalelesaitentendusrespirer-àl’unisson,commesimêmeleursrythmesbiologiquesétaientsyn-chrones.CelafaisaitplaisiràDale,enunsens,depenserqu’ilsavaientaussirenduleurderniersouffleensemble,l’unissonsepoursuivantjusqu’àlatombe;ilsdescendraientmaintenantenterreparfaitementàl’unisson,partageantleurcercueilcommeilsavaientpartagéchaquejournéedepuislanaissancedeBrian.

LechagrinfonditànouveausurDale,àsagrandesurprise,parcequ’ilpensaitavoirpleuréautantqu’illuiétaitpossible,etildécouvraitmaintenantqu’ilavait

avoirpleuréautantqu’illuiétaitpossible,etildécouvraitmaintenantqu’ilavaitencoredeslarmesquidemandaientàcouler.Iln’étaitpassûrdesavoirs’ilpleuraitàcausedelamaisonvidequil’attendaitoubienparcequ’ilavaittoujoursétéd’unecertainemanièreexcludesafamille;cecercueiln’était-il,aprèstout,qu’unsymboledecequeleursrelationsavaienttoujoursété?Cen’étaitpasunemanièreconstructivedepenser,etDaleselaissadistraire.Ilsefitlaremarquequesesparentsrespiraientdeconcert.

Leursouffleétaitléger,difficileàpercevoir.MaisDaleleperçutetillesregarda,voyantleurspoitrinessesouleveretretomberenmêmetemps.Celaletroubla-était-ilpluscourantqu’ilnel’avaitpenséquelesgensrespirentàl’unisson?Ilécoutalesautres,maislesparentsdeCollynerespiraientpasensembleet,sansaucundoute,Daleinspiraitàsonproprerythme.PuislamèredeDaleleregarda,souritetluifitunsignedetête,dansunetentativedecommunicationsilencieuse.Dalen’étaitpasdouépourça;lessilencessignificatifsetlesregardsentendusledérou-taienttoujours.Ilsluidonnaienttoujoursenviedevérifiersisabraguetten’étaitpasouverte.Encoreunedistraction,etilnepensaplusauxrespirations.

Jusqu’àl’aéroport,oùl’avionavaituneheurederetardàlasuited’ennuistechniquesàLosAngeles.Iln’avaitpasgrand-choseàdireàsesparents;mêmelebavardagedesonpèresetarit,etilsrestèrentassisensilencelaplupartdutemps,commelamajoritédesautrespassagers.Unehôtesseetlepilote,quis’étaientassisauprèsd’eux,attendaientaussiensilencel’arrivéedel’avion.

C’estaucoursdel’undecesprofondssilencesqueDaleremarquaquesonpèreetlepilotebalançaientàl’unissonleursjambescroisées.Puisilécoutaetserenditcomptequ’unbruitpuissantemplissaitlasalled’attente,lefrémissementrythmédeplusieurspassagersinspirantetexpirantenmêmetemps.LepèreetlamèredeDale,lepilote,l’hôtesse,plusieursautrespassagers,tousrespiraientensemble.Ilenfutdéconcerté.Commentcelapouvait-ilsefaire?BrianetCollyétaientmèreetfils;lesparentsdeDalevivaientensembledepuisdesannées.Maispourquoilamoitiédesgensquiremplissaientlasalled’attentedevaient-ilsrespirerensemble?

Illefitremarqueràsonpère.

«Assezétrange,maisjecroisquetuasraison»,ditsonpère,plutôtamusédecetévénementinhabituel.LepèredeDaleadoraitlesévénementsinhabituels.

Puislerythmesebrisa,l’avionroulajusqueauprèsdesfenêtres.Lafoules’animaetsepréparaàembarquer,mêmesil’embarquementnedevaitavoirlieu

s’animaetsepréparaàembarquer,mêmesil’embarquementnedevaitavoirlieuqu’unedemi-heureplustard.

L’avions’écrasaàl’atterrissage.Prèsdelamoitiédespassagerssurvécurent.Cependant,toutl’équipageetlerestedespassagers,ycomprislesparentsdeDale,furenttuéssurlecoup.

C’estalorsqueDalepritconsciencequelesrespirationsn’étaientpasl’effetd’unecoïncidence,pasplusquedel’intimitédesgensaucoursdeleurvie.C’étaitunmessagedelamort;ilsrespiraientensembleparcequ’ilsallaientrendreensembleleurderniersouffle.Ilneconfiasonidéeàpersonne,maischaquefoisqu’ilétaitdistraitd’autrechose,ilsemettaitàméditerlà-dessus.

Celavalaitmieuxquedes’étendresurlefaitquelui,pourquisafamilleavaiteuunetelleimportance,enétaitmaintenantprivé;quelesseulespersonnesavecquiilétaitcomplètementlui-même,entièrementdétendu,avaientdisparu,etiln’yavaitplusderepospourlui.Ilétaitbienpréférabledesedemanders’ilpouvaitseservirdesaconnaissancepoursauverdesvies.Aprèstout,sedisait-ilsouvent,ressassantdespenséesquisemblaientsemordrelaqueue,sijeleremarqueànouveau,jepourraisprévenirquelqu’unpourleursauverlavie.Mais,sijeleursauvelavie,respireraient-ilsalorsàl’unisson?Simesparentsavaientétéprévenus,s’ilsavaientchangédevol,pensait-il,ilsneseraientpasmortsetn’auraientdoncpasrespiréensemble,aussin’aurais-jepaspulesprévenir,doncilsn’auraientpaschangédevol,etilsseraientmorts,aussiauraient-ilsrespiréàl’unisson,doncjel’auraisremarquéetlesauraisprévenus…

Plusquetoutcequiluiétaitjamaisvenuàl’esprit,cetteidéeretenaitsonattention,etilnes’enlaissaitpasfacilementdistraire.Celacommençaànuireàsontravail;ildevintlent,fitdeserreurs,parcequ’ilseconcentraituniquementsurlarespiration,écoutantsansarrêtlessecrétairesetautresemployésdelacompagnie,guettantlemomentfataloùilsrespireraientàl’unisson.

Ilmangeaitseulaurestaurantquandill’entenditànouveau.

Detouteslestablesquil’entouraientluiparvenaitsimultanémentlebruitdesrespirations.Celaneluipritquequelquesinstantspours’enassurer;ilbonditalorsdesatableetsortitenvitesse.Ilnes’arrêtapaspourpayer,cartouslessoufflesétaientàl’unissonjusqu’àlaportedurestaurant.

Lemaîtred’hôtel,commeilfallaits’yattendre,futcontrariéqu’ilpartesans

Lemaîtred’hôtel,commeilfallaits’yattendre,futcontrariéqu’ilpartesanspayeretlerappela.Daleneréponditpas.«Attendez!Vousn’avezpaspayé!»crial’homme,suivantDaledanslarue.

Dalenesavaitpasdecombienilluifallaits’éloignerpourêtreàl’abridudangerquiguettaittouslesclientsdurestaurant;ilconclutqu’iln’avaitpaslechoix.Lemaîtred’hôtellerattrapasurletrottoir,àquelquesportesseulementdurestaurant,tentadelefairerevenirenarrière,letirantpourvaincresarésistance.

«Vousnepouvezpaspartirsanspayer!Qu’est-cequevouscroyez?

-Jenepeuxpasretournerlà-bas,criaDale.Jevaisvouspayer!Jevaisvouspayericimême!»Ilfouillaitdanssonporte-feuillequanduneexplosionprodigieuselesjetaausol.Lesflammesjaillirentdurestaurant,lesgenshurlaient,tandisquel’immeublecommençaitàs’écrouler.Ilétaitimpossiblequequiquecesoitaitpusurvivreàl’intérieurdubâtiment.

Lemaîtred’hôtel,lesyeuxécarquillésd’horreur,serelevaenmêmetempsqueDaleetleregarda,commençantàcomprendre.

«Voussaviez!dit-il.Voussaviez!»

Dalefutacquitté-descoupsdetéléphoneprovenantd’ungroupeextrémisteetl’achatdegrossesquantitésd’explosifsdansplusieursÉtatsmenèrentàl’inculpationetàlacondamnationdequelqu’und’autre.MaisilenfutditassezaucoursduprocèspourconvaincreDaleetplusieurspsychiatresquequelquechoseallaitvraimentmalchezlui.IlfutmisenplacementvolontairedansuneinstitutionoùledocteurHowardRummingpassaitdelonguesheuresàdiscuteraveclui,essayantdecomprendresafolie,sonidéefixequelarespirationétaitunsignedemortimminente.

«Jesuissaind’espritsurtouslesautrespoints,n’est-cepas,docteur?»demandaitsanscesseDale.

Etsanscesseledocteurrépondait:«Qu’est-cequelasantémentale?Quiestsaind’esprit?Commentpourrais-jelesavoir?»

Daledécouvritbientôtquel’hôpitalpsychiatriquen’étaitpasunendroitdéplaisantàvivre.C’étaituneinstitutionprivée,etdegrossessommesd’argentyavaientétéinvesties;laplupartdespensionnairesyétaientenplacementvolontaire,cequisignifiaitquelesconditionsdeviedevaientresterexcellentes.C’estunedeschosesquifitéprouveràDaledelareconnaissancepourlafortune

C’estunedeschosesquifitéprouveràDaledelareconnaissancepourlafortunedesonpère.Àl’hôpital,ilétaitensécurité;sonseulcontactaveclemondeextérieurétaitlatélévision.Progressivement,àrencontrerlesgensetàs’yattacher,ilcommençaàsedétendre,àperdresonobsessiondesrespirations,àcesserd’écouteravectantd’attentionlebruitdesinspirationsetdesexpirations,deguetterlafaçondontlesdifférentsrythmesrespiratoiress’accordent.Progressivement,ilretrouvasonvieilego,quiselaissaitfacilementdistraire.

«Jesuispresqueguéri,docteur»,annonçaDaleunjour,enpleinepartiedetrictrac.

Ledocteursoupira.«Jesais,Dale.Ilmefautl’admettre…jesuisdéçu.Pasdevotreguérison,comprenez-moibien.C’estsimplementquevousavezapportéunsouffled’airfrais,sivousvoulezbienmepardonnerl’expression.»Ilsrirentlégèrement.

«Jesuistellementfatiguédesfemmesentredeuxâgesquifontleurdépressionnerveuseparcequec’estlamode.»

Daleperdit-lesdésétaientcontrelui.Maisillepritbien,sachantquelaprochainefoisilavaittoutesleschancesdegagnerhautlamain-commed’habitude.PuisledocteurRummingetluiselevèrentdeleurtablepoursedirigerverslehautdelasalledejeux,oùleprogrammetélévisévenaitd’êtreinterrompupourdiffuseruncommuniquéspécial.Autourduposte,lesgensétaienttroublés:lesactualitéstéléviséesn’étaientjamaisautoriséesàl’hôpital,seulunbulletinsemblablepouvaits’infiltrer.LedocteurRummingavaitl’intentiondelecouperimmédiatement,maisilentenditalorscequiétaitannoncé.

«…àpartirdesatellitescapablesdedétruiretouteslesvillesimportantesdesÉtats-Unis.Leprésidentareçuunelistedescinquante-quatrevillesviséesparlesmissilesorbitaux.L’uned’entreelles,ditlecommuniqué,seradétruiteimmédiatementpourmontrerquelamenaceestsérieuseetqu’elleserasuivied’effets.Lesautoritésdelaprotectioncivileontétéaverties,etlescitoyensdescinquante-quatrevillesdevrontsetenirprêtsàuneévacuationimmédiate.»Suivitalorsledéfiléhabitueldereportagesspéciauxetdequestionsdefond,maislesreportersétaienttousterrifiés.

L’espritdeDalenepouvaitcependantseconcentrersurleprogramme,parcequ’ilétaitdistraitparquelquechosedeloinpluscontraignant.Touslesoccupantsdelapièce,Daleycompris,respiraientparfaitementàl’unisson.Il

occupantsdelapièce,Daleycompris,respiraientparfaitementàl’unisson.Ilessayadebriserlerythme,maisiln’yparvintpas.

C’estàcausedemapeur,seditDale.C’estl’émissionquimefaitpenserquej’entendslesrespirations.

UnjournalistedeDenverapparutalorssurlesondes,interrom-pantl’émissiondelachaîne.«Mesdamesetmessieurs,Denverestl’unedesvillesvisées.Lamunicipaliténousademandédevousinformerquel’évacuationdoitcommencerimmédiatementetdansl’ordre.Observeztouteslesrèglesdecirculation.Dirigez-vousversl’estsivoushabitezlesquartierssuivants…»

Puislejournalistes’arrêtapourécouter,respirantbruyamment.

Ilrespiraitexactementàl’unissondetouslesoccupantsdelapièce.

«Dale»,ditledocteurRumming.

Dalerespirait,sentantlamortplanerdansleciel,au-dessusdesatête.

«Dale,vousentendezlesrespirations?»

Dalelesentendait.

Lejournalisterepritlaparole:«LacibleestDenver.Lesmissilessontdéjàlancés.Veuillezpartirimmédiatement.Nevousarrêtezsousaucunprétexte.Onestimequenousavonsmoinsde…moinsdetroisminutes.MonDieu»,dit-il,etilquittasonfauteuil,respirantprofondément,etsortitencourantduchampdelacaméra.Personne,danslestudio,necoupalesappareils-

l’écrancontinuaitàmontrerlebureaudesinformationslocales,leschaisesvides,lestables,lacartemétéorologique.

«Nousnepouvonspasfuiràtemps,ditledocteurRummingàsespensionnaires.NoussommesprèsducentredeDenver.

Notreseulespoirestdenousallongerparterre.Essayerdanslamesuredupossibledevousplacersouslestablesetsousleschaises.»Lespensionnaires,terrifiés,obéirentàlavoixdel’autorité.

«Autantpourmaguérison»,ditDale,d’unevoixtremblante.

«Autantpourmaguérison»,ditDale,d’unevoixtremblante.

Rummingesquissaundemi-sourire.Ilsétaienttousdeuxétendusaumilieudelapièce,laissantauxautreslesmeublesparcequ’ilssavaientquecelaneserviraitàriendutout.

«Vousn’aviezabsolumentpasvotreplacecheznous,luiditRumming.Jen’airencontrédemavieunhommeplussaind’esprit.»

Daleétaitdistrait,cependant.Aulieudepenseràsamortimminente,ilsongeaitàCollyetBriandansleurcercueil.Ilimaginaitlaterresoulevéeparunetornadeprodigieuse,etlecercueilinstantanémentréduitencendresparl’explosionéblouissantequienvahissaitleciel.Labarrières’écrouleenfin,seditDale,etjevaisêtreaveceuxautantqu’ilestpossible.IlpensaàBrianentraind’apprendreàmarcher,pleurantquandiltombait;ilserappelaCollyluidisant:«Neleramassepasàchaquefoisqu’ilpleure,sinoncelavaluiapprendrequepleurerdonnedesrésultats.»Etalors,troisjoursdurant,DaleavaitécoutépleurerBrianetn’avaitjamaislevéunemainpourl’aider.Brianapprittrèsbienàmarcher,rapidement.Maisàprésent,brusquement,Daleressentitànouveaul’impulsiondeleprendredanssesbras,deposersonpathétiquepetitvisageéplorésursonépaulepourdire:Çava,çava,papatetientdanssesbras.

«Çava,çava,papatetientdanssesbras»,fitDaleàmi-voix.

Puisilyeutunéclaird’unblancsiéblouissantquel’onputvoiràtraverslesmursaussibienqu’àtraverslesfenêtres,cariln’yavaitplusdemurs,etleursoufflefutôtéd’uncoupdeleurscorps,leursvoixfurentdérobéessisoudainementqu’ilspoussèrenttousuncriinvolontaire,puis,pourtoujours,seturent.Leurcrifutemportéparunventviolentquientraînaleson,arrachéàleursgorgesenunensembleparfait,verslesnuagesquiseformaientau-dessusdecequiavaitjadisétéDenver.

Auderniermoment,alorsquelecriluiétaittirédespoumonsetquelachaleurluiarrachaitlesyeuxdelatête,Daleserenditcomptequemalgrétoutesapresciencelaseuleviequ’ileûtjamaissauvéeétaitcelled’unmaîtred’hôtel,uneviedontilsefichaitéperdument.

Commercedegros

LARÉCEPTIONNISTEeutl’airétonnéedelerevoirsivite.

«Ah,monsieurBarth,quelplaisirdevousretrouver,fit-elle.

-Quellesurprise,voulez-vousdire,répliquaBarthd’unevoixgrondantequisemblaitmonterdesbourreletsdegraissedesoncou.

-Non,non,jesuisravie.

-Çafaitcombiendetemps,cettefois-ci?demandaBarth.

-Troisans.Letempspassevite.»

Laréceptionnistesouriait,maisBarthsaisitsonexpressionàlafoisabasourdieetrévulséeàlavuedesamasse.Danssontravail,elleavaitaffaireàdesobèsestouslesjours,maisBarthsesavaitexceptionnel,etilenétaitfier.

«Retouraumagasindegros»,dit-ilens’esclaffant.

L’effortqu’ildutfournirpourrirelelaissasuffocantetilrepritsonsouffletandisqu’elleappuyaitsurunboutonenannonçant:«MonsieurBarthestlà.»

Ilnepritpaslapeinedechercherunechaise-aucunsiègen’étaitcapabledesupportersonpoids-maisils’adossatoutdemêmeaumur:resterdeboutétaituneépreuvequ’ilpréféraitéviter.

Pourtant,s’ilrevenaitauCentreAndersenderemiseenforme,cen’étaitpasàcausedumanquedesouffleoudel’épuisementqu’ilressentaitaumoindreeffort.Cen’étaitpaslapremièrefoisqu’ilsetrouvaitobèseetilappréciaitassezlasensationdemasseécrasantequecetétatluiprocurait,l’impressionqu’ilfaisaitauxgensquis’écartaientpourluilaisserlepassage.Ilregardaitaveccommisérationceuxquin’obtenaientqu’unsimpleeffetdecor-pulence-lespetitsquin’avaientpaslastaturepoursoutenirunpoidsexcessif.Barth,lui,avecunetaillequidépassaitlargementlesdeuxmètres,avaitlesmoyensdedevenirsuperbement,extra-ordinairementgros.Ilpossédaittrentegarde-robesdifférentesetprenaitgrandplaisiràpasserdel’uneàl’autreàmesurequecroissaientsonventre,sesfessesetsescuisses;parmoments,ilavaitlesentimentqu’engrossissantassezilpourraitengloutirlemonde,devenirle

sentimentqu’engrossissantassezilpourraitengloutirlemonde,devenirlemonde.Àtable,c’étaitunconquérantàl’égaldeGengisKhan.

Cen’étaitdoncpassonobésitéquil’avaitramené:c’étaitquelagraisseavaitfiniparcontrariersesautresplaisirs.Lafillequiavaitpartagésasoiréedelaveilleavaiteubeaus’acharner,iln’étaitarrivéàrien-signequ’ilétaittempsderenouveler,derestaurer,deréduire.

«Jesuisunsybarite»,dit-ild’unevoixsifflanteàlaréceptionnistedontilnedemandaitjamaislenom.Elleluirenditsonsourire.

«MonsieurAndersenseralàdansunpetitmoment.

-Vousnetrouvezpasironiquequ’unhommetelquemoi,capabledecomblerlemoindredesesdésirs,nesoitjamaissatisfait?»Unnouveléclatderirelefitsuffoquer.«Pourquoin’avons-nousjamaiscouchéensemble?»demanda-t-il.

Unelueurd’agacementpassadanslesyeuxdelaréceptionniste.«Vousmeposeztoujourscettequestionquandvousarrivez,monsieurBarth,maisjamaisquandvousrepartez.»

C’étaitexact.Àsasortieducentrederemiseenforme,elleneluiparaissaitjamaisaussiséduisantequ’àsonentrée.

Andersonfitsonapparition,beaujusqu’àl’exubérance,expan-sifetchaleureux;ilserralamainépaissedeBarthavecenthou-siasme.«Revoiciundemesmeilleursclients!fit-il.

-Jevienspourletraitementhabituel,réponditBarth.

-Naturellement.Maisleprixaaugmenté.

-Sijamaisvousfaitesfaillite,ditBarthensuivantAndersondanslecouloir,avertissez-moilongtempsàl’avance:jemelaisseallerainsiuniquementdanslacertitudequevousexistez.

-Oh!»Andersoneutunpetitrire.«Nousneferonsjamaisfaillite.

-J’imaginequevouspourriezfairetournertoutel’affairerienqu’avecleshonorairesquevousmedemandez.

-Cen’estpasseulementleserviceeffectuéquevouspayez,voussavez:leprix

-Cen’estpasseulementleserviceeffectuéquevouspayez,voussavez:leprixinclutaussiladiscrétion,l’absenced’intervention,dirons-nous,dugouvernement.

-Àcombiendecessalaudsversez-vousdespots-de-vin?

-Trèspeu,trèspeu-enpartieparcequebeaucoupdehautsfonctionnairesfontappelànosserviceseuxaussi.

-Çanem’étonnepas.

-Lesgensneviennentpasnousvoirseulementpourdesproblèmesdepoids,voussavez:ilyaaussilecancer,lavieillesseetlesséquellesesthétiquesd’accidents.Vousn’enreviendriezpassijevousrévélaisquiestdéjàvenucheznous.»

Çam’étonnerait,songeaBarth.

Lelitl’attendait,immense,moelleuxetinclinédetellesortequ’iln’aitpasdemalàserelever.

«J’aibienfaillimeretrouvermariécettefois»,dit-ilpourentretenirlaconversation.

Andersonsetournaverslui,surpris.

«Maisçanes’estpasfait.

-Non,naturellement:j’aicommencéàprendredupoidsetellenel’apassupporté.

-Enavez-vousparléavecelle?

-Dupoidsquejeprenais?C’étaitassezvisible.

-Non,denous.

-Jenesuispasidiot.»

Anderseneutl’airsoulagé.«Nousnetenonspasàcequedesrumeurssemettentàcirculerchezlesjeunesetlesgensminces,vouscomprenez.

-N’empêche,jecroisquejechercheraiàlarevoiraprès:ellemefaisaitdestrucsqu’unefemmenormalenesaitpasfaire.

Etmoiquimecroyaisblasé!»

AndersonajustaunecalottedecaoutchoucsurlatêtedeBarth.

«Visualisezvotrepenséeclé»,luirappela-t-il.

Mapenséeclé.Audébut,Barthtrouvaitceconceptrassurant,carc’étaitlacertitudequepasuniotadesamémoireneseraitperdu;maisaujourd’huiillejugeaitagaçant,voirepuéril.Unepenséeclé!Quin’apassabaguesecrètededécodageducapi-taineAardvark?Achète-laavanttoustescopainsduquartier!LaseulechosequeBarthavaitfaiteavanttoussescopainsduquartier,c’étaitdevenirpubère.Ilavaitaussiétélepremieràatteindrecentcinquantekilos.

Combiendefoissuis-jedéjàvenuici?sedemanda-t-ilalorsquesoncrânecommençaitàlepicoter.C’estlahuitième,aujourd’hui.Huitfois,etjedisposed’unefortuneplusimmensequejamais,sivastequ’elleenacquiertcommeuneviepropre.Jepeuxcontinuerainsiindéfiniment,sedit-ilavecdélectation.

Mangerindéfinimentsanssoucinirestriction.«C’estdangereuxdeprendretantdepoids,l’avaitprévenuLynette.Tucoursàlacrisecardiaque.»MaistoutcequiinquiétaitBarth,c’étaitleshémorroïdesetl’impuissance:lespremièresétaientgênantes,maislasecondeluirendaitl’existenceinsupportableetleramenaittoutdroitchezAnderson.

Lapenséeclé.Quoid’autre?Lynette,debout,nue,auborddelafalaise,enpleinvent.Ellebravaitlamortetill’enadmirait,presqueàenespérerqu’ellelatrouverait.Ellen’avaitqueméprispourlesmesuresdesécurité:commelesvêtements,c’étaientdesrestrictionsqu’ellerejetait.Unjour,ellel’avaitconvaincudejoueràchatavecellesurunchantierdeconstruction,etilsavaientcourucommedesfoussurlespoutrellesjusqu’àcequelapoliceintervienneetlesobligeàs’enaller;BarthétaitalorsminceencoredesondernierséjourchezAnderson.Maiscen’étaitpasLynetteparmilespoutresqu’ilentretenaitdanssamémoire;c’étaitLynette,lafragileetbelleLynette,quidéfiaitleventdel’emporteretdebrisersoncorpssurlesrochersdufleuve.

Mêmeça,songeaBarth,ceseraituneespècedeplaisir,leplaisirnouveaudesavourerunchagrinacquisdefaçonsimagnifique,siadmirable.

Soudainlespicotementscessèrentdanssoncrâne.Andersonrentradanslachambre.

«Déjà?fitBarth.

-Nousavonsaméliorélaméthode.»Andersonluiretiradélicatementlacalotte,puisaidasonénormepatientàseleverdulit.

«Jenecomprendspaspourquoic’estillégal,ditBarth.C’estpourtanttoutsimple.

-Oh,lesmotifsnemanquentpas:lecontrôledémogra-phiqueetj’enpasse.Nousavonsinventéuneformed’immor-talité,voussavez;maislaraisonprincipale,c’estlarépugnancequeleprocessusinspireauxgens.Leprincipelesrévulse.Vousêtesunhommed’unrarecourage.»

Maisilnes’agissaitpasdecourage,Barthlesavaitbien:ils’agissaitdeplaisir.Ilétaitpressédevoirlerésultatetonnelefitpasattendre.

«MonsieurBarth,jevousprésentemonsieurBarth.»

Ilsentitsoncurseserrerenvoyantsonproprecorpsrede-venujeune,fortetbeau,telqu’iln’avaitjamaisétélorsdesapremièretraverséedelavie.Pourtant,c’étaitbienlui,sansnuldoute,qu’onavaitfaitentrer-hormisleventreplat,lescuissesmuscléesmaisassezmincespournepassetoucheràl’entrejambe.Onl’avaitamenénu,naturellement;Barthl’exigeait.

Iltentadeserappelerlafoisprécédente:c’étaitlui,alors,quiétaitsortidelasalled’apprentissagepoursetrouverfaceàfaceavecl’hommemonstrueusementgrosdonttoussessouvenirsluidisaientqu’ils’agissaitdelui-même.Barthserappelaledoubleplaisirqu’ilavaitressentiàvoirlamontagnedechairenquoiils’étaitmué,etdelavoirparlesyeuxdececorpsmagnifiquementjeune.

«Viens»,ditBarth,etsaproprevoixéveillaenluideséchosdelafoisprécédenteoùc’étaitl’autreBarthquiavaitprononcécemot.Et,toutcommel’autrel’avaitfait,iltouchalejeuneBarthnu,ilcaressasapeaumerveilleusementdouce,etenfinilleserradanssesbras.

EtBarthjeuneluirenditsonétreinte,carc’étaitainsiqueceladevaitêtre.Nuln’aimaitBarthautantqueBarth,minceouobèse,jeuneouvieux.Lavieétaitunefêteenl’honneurdeBarth;sevoirlui-mêmeluicausaitlaplusprofonde

fêteenl’honneurdeBarth;sevoirlui-mêmeluicausaitlaplusprofondenostalgie.

«Àquoiest-cequejepensais?»fitBarth.

LejeuneBarthsourit,lesyeuxdanslessiens.«ÀLynette,dit-il.Nuesurunefalaisedanslevent;tul’imaginaisprécipitéeenbas.

-Tuiraslaretrouver?demanda-t-ild’untonavideàsonjeunealterego.

-Peut-être,oubienquelqu’undanssongenre.»EtBarthconstataavecravissementquecetteidéenelaissaitpasdutoutindifférentsonjeunedouble.

«Ilferal’affaire»,dit-il,etAndersenluidonnalespapierstoutsimplesàsigner-despapiersquin’apparaîtraientjamaisdansaucuntribunalparcequ’ilsprouvaientqueBarthétaitàlafoislavictimeconsentanteetl’auteurd’unactequelestextesdeloidetouslesÉtatsconsidéraientcommeàpeinemoinsgravequelemeurtre.

«Voilàquiestréglé,déclaraAndersenensedétournantdel’obèsepours’adresseraujeunehommemince.VousêtesdésormaismonsieurBarth,responsabledesafortuneetdesonexistence.Vosvêtementssetrouventdanslachambrevoisine.

-Jesais»,réponditlejeuneBarthavecunsourire,etilquittalapièced’unpasélastique.Ilallaits’habillerrapidementetquitterlecentrederemiseenformed’unedémarcheénergique,enremarquantàpeinelaréceptionnisteauphysiquesansintérêt,saufleregardderegretqu’ellelançaitaubelhommeélancéqui,quelquesinstantplustôt,gisaitlecerveauvideenattendantqu’onluidonneunespritetdessouvenirs,enattendantqu’ungroshommevideleslieuxpourpouvoirprendresaplace.

Danslasallederéveil,Barths’étaitassisauborddulit,lesyeuxtournésverslaporte,etilserenditcomptesoudain,avecétonnement,qu’ilignoraitcequidevaitsepasseràprésent.

«Messouvenirss’arrêtentici,fit-ilàAndersen.Lecontratdisait…Quedisaitlecontrat,àpropos?

-Quenousdevionsvousprendreenchargeetvoussoignerjusqu’àlafindevosjours.

jours.

-Ah,c’estvrai!

-Cecontratnevautpasunpetdelapin»,déclaraAndersenensouriant.

Barthleregarda,surpris.

«Commentça?

-Vousavezlechoix,Barth:unepiqûredansleprochainquartd’heureouuntravail.

-Maisqu’est-cequevousracontez?

-Vousnepensieztoutdemêmepasquenousallionsperdrenotretempsetnotreargentàvousfournirlesquantitésmonstrueusesdenourriturequivoussontnécessaires,n’est-cepas?»

Barthsesentitvaciller.Cen’étaitpasceàquoiils’attendait,quoiqueentoutehonnêtetéilnesefûtattenduàrien:cen’étaitpaslegenreàs’inquiéterdel’avenir.Lavieneluiavaitjamaisguèreposédeproblèmes.

«Unepiqûre?

-Decyanure,sivousinsistez;maisnouspréférerionspouvoirpratiquerunevivisectionafinderécupérerautantd’organesutilisablesquepossible.Votrecorpsestencoretrèsjeune.Votrebassinetvosglandespourraientnousrapporterdessommesfabu-leuses,maisilfautvouslespréleveralorsquevousêtesvivant.

-Maisenfinqu’est-cequevousmechantezlà?Cen’estpascedontnousétionsconvenus!

-Jenesuisconvenuderiendutoutavecvous,monami,répliquaAndersensanscesserdesourire.J’aipasséuncontratavecBarth-etBarthvientdesortirdecettechambre.

-Rappelez-le!J’exige…

-Barthseficheroyalementdevotresort.»

Etilcompritquec’étaitvrai.«Vousavezparléd’untravail.

-Eneffet.

-Quellesortedetravail?»

Andersonhochalatête.«Çadépend.

-Dequoi?

-Dutypedetravailquiseprésente.Chaqueannée,ilyenaplusieursquidemandentl’interventiond’hommesvivantsmaispourlesquelsonnetrouvepasdevolontaires.Onnepeutobligerpersonne,pasmêmeuncriminel,àleseffectuer.

-Etmoi?

-Vouslesferez.Dumoinsl’und’entreeux,carilestrarequevouseneffectuiezunsecond.

-Commentpouvez-vousmefaireça?Jesuisunêtrehumain!»

Andersonsecoualatête.«Selonlaloi,ilnepeutexisterqu’unseulBarth,etcen’estpasvous.Vousn’êtesqu’unnuméro-etunelettre:lalettreH.

-PourquoiH?

-Parcequevousêtesungoinfrerépugnant,monami.Mêmenospremiersclientsn’ontpasencoredépassélalettreC.»

Là-dessus,AndersonsortitetBarthrestaseul.Pourquoin’avait-ilpasprévucequiluiarrivait?C’étaitévident,évident!

s’écria-t-ilintérieurement.Biensûrqu’onn’allaitpaslemaintenirenvieàledorloter!Ilavaitenviedeseleverpourtenterdes’enfuir,maismarcherétaitdéjàdifficile,alorscourir…Ildemeurasurlelit,leventrelourdementposésursescuisses,elles-mêmeslargementséparéespardesbourreletsdegraisse.Ilsemitdeboutàgrandahanmaisneputavancerqu’ensedandi-nanttantlagraissel’obligeaitàécarterlesjambesetgênaitsesmouvements.

Ças’estproduitchaquefois,songea-t-il.Chaquefoisquejesuissortidecefoutu

Ças’estproduitchaquefois,songea-t-il.Chaquefoisquejesuissortidecefoutucentrejeuneetmince,j’yailaisséquelqu’uncommemoi,etilsenontfaitcequ’ilsvoulaient!Sesmainstremblaientirrépressiblement.

Ilsedemandaquellesavaientétésesdécisionsprécédentesetcompritaussitôtquelechoixoffertn’enétaitpasun:certainsobèsessefaisaientpeut-êtrehorreuretpréféraientlamortafinqueseulesurviveuneversionélancéed’eux-mêmes,maispasBarth.Barthnepouvaitchoisirdesefairedumal;etpuiseffaceruneversiondelui-même,fût-elleillégaleetclandestine…non,impossible.Entoutétatdecause,ildemeuraitBarth;l’hommequiavaitquittélasallederéveilquelquesminutesplustôtn’avaitpasdépouilléBarthdesonidentité:ill’avaitdupliquée,c’esttout.Onm’avolémonâmeparunjeudemiroirs,sedit-il.Ilfautquejelarécupère.«Andersen!brailla-t-il.Andersen!J’aiprismadécision!»

CenefutpasAndersonquientra,naturellement.Barthnelereverraitplusjamais:latentationauraitététropgrandedeletuer.

«Autravail,H!»crialevieilhommedel’autreboutduchamp.

Barthrestaencoreunpeuappuyésursabinette,puisseremitàsarclerlesmauvaisesherbesentrelesplantsdepommedeterre.

Sescalsauxmainsavaientdepuislongtempsprislaformedumanchedel’outiletsesmusclesétaientcapablesd’accomplirlabesognesansinterventionconscientedesapart;pourtant,celanerendaitpaslatâcheplusaisée.Quandilavaitcomprisqu’onvoulaitluifairecultiverdespommesdeterre,ils’étaitexclamé:«C’estça,montravail?C’esttout?»Onluiavaitriaunezetrépondunon:«Cen’estqu’unentraînementpourvousmettreenforme.»Ainsidonc,depuisdeuxans,iltravaillaitdansleschampsdepommesdeterreetilcommençaitàdouterderevoirunjourleshommes,d’enfinirunjouraveclespatates.

Levieilhommelesurveillait,illesavait.Sonregardétaitplusbrûlantquelesoleillui-même.Levieilhommelesurveillaitet,siBarthsereposaittroplongtempsoutropsouvent,ilrappliquait,lefouetàlamain,pourluiinfligerdeprofondesentaillesetlefairesouffrirjusqu’àl’âme.

Ilaffouillalaterrepourtrancherlaracined’uneplanterebellequisemblaitfixéeauxfondationsmêmesdumonde.«Tuvaslâcher,saleté!»marmonna-t-il.Ilsecroyaittropfaiblepourfrapperplusfort,pourtantilyparvint:lalamecoupalaracineetlechocl’ébranlajusqu’auxos.

racineetlechocl’ébranlajusqu’auxos.

Ilétaitnuettellementbronzéqu’ilenétaitpresquenoir.Sapeaupendaitenvastesplis,souvenirsdelamontagnedegraissequ’ilavaitété.Cependant,souslachairflasque,ilétaitsecetdur.

Ilauraitpus’enréjouir,carchaquemuscleavaitétéacquisparunrudetravailetsousladouleurdufouet;maisiln’entiraitnulplaisir:leprixétaittropélevé.

Jevaismesuicider,sedit-ilcommeilselerépétaitsouvent,lesbrastremblantsd’épuisement.Jevaistrouverlemoyendemesuiciderpourlesempêcherdeseservirdemoncorpsetdemonâme.

Maisjamaisilnesetuerait.Mêmeaupointoùilenétait,Barthétaitincapabledemettrefinàsoncalvaire.

L’exploitationdanslaquelleiltravaillaitn’étaitpasenclose,maislejouroùils’étaitenfuiilavaitmarché,marchétroisjoursdurantsansrencontrerlemoindresignedeprésencehumaine,endehors,icietlà,d’unetracedeJeepdansledésertd’armoiseetdechiendent.Onavaitfiniparleretrouver,onl’avaitramené,lasetdésespéré,etonl’avaitforcéàterminersajournéedetravailauchampavantdel’autoriseràsereposer;etlefouetl’avaitmorducruellement,appliquéparlevieilhommeavecunedélectationquitrahissaituntempéramentsadiqueouuneprofondehainepersonnelle.

Maispourquoimehaïrait-il?s’étaitdemandéBarth.Jeneleconnaismêmepas!Ilavaitconcluquec’étaitàcausedesonobésité,desamollesseévidente,alorsquelevieuxétaitsecaupointd’enêtredécharné,levisagecreusépardesannéesd’expo-sitionausoleil;mais,lesmoispassantetlagraissedisparaissant,emportéeparlasueuretlachaleurinfernaleduchampdepommesdeterre,lahaineduvieuxn’avaitpasfaibli.

Unecinglurecuisantesurledos,leclaquementducuirsurlapeau,puisunedouleuratrocedanslesmuscles.Ils’étaitarrêtétroplongtemps.Levieilhommeétaitlà.

Levieuxsetaisait;ilsecontentaitdebrandirlefouet,prêtàfrapperànouveau.Barthlevalabinettepourreprendreletravail.

Pourlacentièmefois,ilsongeaquel’outilavaitlamêmeportéequelefouetetunimpactaussiefficace;mais,pourlacentièmefoisaussi,ilvitleregarddu

unimpactaussiefficace;mais,pourlacentièmefoisaussi,ilvitleregardduvieuxetcequ’ilylutsuffitàl’empêcherd’agir,sansqu’ilcomprîtpourquoi:ilétaitincapabledesevenger.Ilnepouvaitquecourberl’échine.

Lefouetnes’abattitpasunesecondefois;Barthetlevieilhommes’entreregardèrent.Lacinglureluibrûlaitledossouslesoleil;desmouchestournoyaientautourdeluienbourdonnant.Ilnepritpaslapeinedeleschasser.

Enfinlevieilhommerompitlesilence.

«H»,dit-il.

Barthneréponditpasetsecontentad’attendrelasuite.

«Onvienttechercher.Tonpremiertravail»,poursuivitlevieilhomme.

Tonpremiertravail.Barthmitunmomentpourcomprendrecequecelasous-entendait:fini,leschampsdepommedeterre,fini,lesoleil,fini,levieuxetsonfouet,fini,lasolitudeou,dumoins,l’ennui.

«Merci,monDieu»,fitBarth.Ilavaitlagorgesèche.

«Vatelaver»,ditlevieux.

Barthrapportalabinettedanslaremise.Ilserappelaqu’elleluiavaitparuépouvantablementlourdeàsonarrivée,aupointqu’ils’étaitévanouiauboutdedixminutesausoleil.Onl’avaitranimédanslechampetlevieilhommeavaitdit:«Rapporte-la.»Alorsilavaitrapportélalourde,lourdebinetteavecl’impressiond’êtreleChristportantsacroix.Bientôt,lesautreshommess’enétaientallésetils’étaitretrouvéseulaveclevieux,maisleritueldelabinetten’avaitjamaischangé:ilsserendaientàlaremiseetlevieuxmettaitl’outilsouscléafinqueBarthnepuisseallerlechercherlanuitpourletuer.

Ensuite,ilrentradanslamaisonetsebaigna;l’eauréveillasesblessuresetlevieilhommeluipassaundésinfectantatrocementdouloureuxsurledos.IlyavaitlongtempsqueBarthn’espéraitplusd’anesthésiant:cen’étaitpaslegenreduvieux.

Desvêtementspropres,quelquesminutesd’attente,etpuisl’hélicoptère.Unjeunehommeàl’airsérieuxendescendit,inconnudeBarthdansledétailmaistrèsfamilierparsonaspectgénéral:c’étaitl’échodetouslesjeunesgenssérieux

trèsfamilierparsonaspectgénéral:c’étaitl’échodetouslesjeunesgenssérieuxàquiilavaitdéjàeuaffaire.Lejeunehommes’approchasansunsourireetdemanda:«H?»

Barthhochalatête.C’étaitleseulnomqu’onluidonnait.

«Vousavezuntravail.

-Lequel?»fitBarth.

Lejeunehommeneréponditpas.DerrièreBarth,levieuxmurmura:«Tulesaurasbienasseztôt-etlà,turegretterasden’êtrepasrestéici,H.Quandontediradequelboulotils’agit,tusupplierasqu’onteramèneauxchampsdepommesdeterre.»

MaisBarthendoutait:depuisdeuxansqu’ilytrimait,iln’avaitpasconnuunseulinstantdeplaisir.Lacuisineétaitatroceetjamaisenquantitésuffisante,iln’yavaitpasdefemmesetilétaitengénéraltropépuisépours’offrirunegâteriesolitaire.

Rienqueladouleur,letravailetlasolitude,tousaffreux.Ilallaitlaissercetteviederrièrelui;n’importequoivaudraitmieux,n’importequoi.

«Maisquellequesoitlatâchequ’onvateconfier,repritlevieilhomme,ellenepourrapasêtrepirequelamienne.»

Barthluiauraitvolontiersdemandéenquoielleconsistait,maisriendansletonduvieuxn’invitaitlaquestionetriendanslepassédeleurrelationnepermettaitdelaposer.Aussi,sansparler,ilsregardèrentlejeunehommetendrelamaindansl’hélicoptèrepouraiderunautrehommeàensortir:unhommemonstrueusementgros,nucommeunveretblanccommelachaird’unepommedeterre,apparemmentpétrifié.Levieuxs’avançaversluid’unairdécidé.

«Salut,I,dit-il.

-Jem’appelleBarth»,répliqualegroshommed’untonirrité.Levieuxlefrappasèchementàlabouche;lalèvretendreéclataetdusangsemitàcoulerlàoùlesincisivesavaiententaillélapeau.

«I,répétalevieilhomme.Tut’appellesI.»

Legroshommehochalatêted’unairpitoyablemaisBarth-

Legroshommehochalatêted’unairpitoyablemaisBarth-

H-neressentaitnullepitiépourlui.Deuxans,cettefois!Deuxpetitesannéesseulementetilétaitdéjàdanscetétat,nomdeDieu!Barthserappelaitvaguementlafiertéqu’iléprouvaitdevantlamontagnedechairqu’ilétaitdevenu;àprésentilneressentaitplusquedumépris,quel’enviedeseplanterdevantl’obèseetdeluicrierauvisage:«Pourquoias-tufaitça?Pourquoias-turecommencé?»

Maissesreprochesseraientrestéslettremorte:pourI,commepourH,c’étaitlapremièrefois,lapremièretrahison.Samémoiren’avaitgardélatraced’aucuneautre.

Levieilhommeplaçaunebinetteentrelesmainsdel’obèseetleconduisitdanslechamp.Deuxautresjeunesgenssortirentdel’hélicoptère;Barthsavaitcequ’ilsallaientfaire,illesvoyaitpresqueaiderlevieuxpendantquelquesjoursjusqu’àcequ’ilapprennel’inutilitédetouterésistanceetdetoutatermoie-ment.

MaisBarthn’eutpasl’occasiond’assisteràlaréitérationdestourmentsendurésdeuxansplustôt:lepremierjeunehommelefitmonterdansl’hélicoptère,l’installadansunsiègeprèsd’unhublotetpritplaceàcôtédelui.Lepilotefitvrombirlesmoteursetl’appareilcommençades’élever.

«Lesalaud»,ditBarthenregardantlevieilhommegiflerbrutalementI.

Lejeunehommeeutunpetitrire,puisilluiannonçaquelétaitsontravail.

Barths’agrippaaurebordduhublotavecl’impressionquesavies’échappaitdeluienmêmetempsquelesols’éloignait.«Jenepeuxpas.

-Ilyapirecommetravail»,fitlejeunehomme.

Barthnelecrutpas.

«Sijesurvis,dit-il,sijem’ensors,jeveuxrevenirici.

-Çavousapluàcepoint?

-Pourletuer.»

Lejeunehommeleregardad’unairinexpressif.

«Levieux»,expliquaBarthavantdes’apercevoirquelejeunehommeétaitfondamentalementincapabledecomprendrequoiquecesoit.Ilsetournadenouveauverslehublot.Levieilhommeparaissaittoutpetitàcôtédel’énormemassedechairprèsdelui.BarthéprouvasoudainunterribledégoûtpourI,unterribledésespoir,aussi,deserendrecomptequ’aucunapprentissagen’étaitpossible,quesesalteregorejoueraientindéfinimentlehideuxscénario.

Quelquepart,l’hommequiunjourseraitJdansait,s’adonnaitaupolo,séduisait,pervertissaitetsavouraittouteslesfemmes,touslesadolescentset,Dieulesavait,touslesfaiblesquiluitombaientsouslamain;quelquepart,l’hommequiunjourseraitJdînait.

Icourbasamonstrueusesilhouettesouslesoleiletessayamaladroitementd’utiliserlabinette;soudain,ilperditl’équilibre,tombaetrestaàsetordredanslaterre.Levieilhommelevasonfouet.

Àcemoment,l’hélicoptèreviraetBarthn’eutplusquelecieldevantlesyeux;ilnevitpaslefouets’abattremaisill’imagina.

Ill’imagina,ils’endélectaetileutenviedesentirtoutlepoidsducoupdanssonproprebras.Frappe-leencore!cria-t-ilenlui-même.Frappe-lepourmoi!Etenlui-mêmeilabattitencorelefouetunedizainedefois.

«Àquoipensez-vous?demandalejeunehommeensouriant,del’airdeceluiquiconnaîtd’avancelachuted’uneblague.

-Jemedis,réponditBarth,quelevieuxnepeutpaslehaïrautantquemoi.»

C’étaitapparemmentlachuteattendue:lejeunehommesemitàrireàgorgedéployée.Barthnevoyaitpasquelleétaitlaplaisanterie,cependantilavaitlacertituded’enêtrel’objet.Ilauraitaiméenvoyersonpoingdanslafiguredesonvoisinmaisiln’osapas.

Peut-êtrelejeunehommeperçut-ilunetensiondanslecorpsdeBarth,àmoinsqu’ilnevoulûtsimplements’expliquer;toujoursest-ilqu’ilcessaderiremaissansparveniràeffacersonsourire,quitransfixaBarthbiendavantagequesonhilarité.

«Vousn’avezdoncpascompris?demanda-t-il.Vousnesavezpasquiestle

«Vousn’avezdoncpascompris?demanda-t-il.Vousnesavezpasquiestlevieux?»

Non,Barthnelesavaitpas.

«Quecroyez-vousquenousavonsfaitdeA?»Etlejeunehommedes’esclafferdeplusbelle.

Ilyadestâchespiresquelamienne,seditsoudainBarth.Etlaplushorribleseraitdepassertoutessesjournées,pendantdesmoisetdesmois,àsurveillercetanimalméprisablequ’ildevaits’avouerêtrelui-même.

Sablessureaudossaignaitunpeuetlesangcollaausiègeenséchant.

Tempsmorts

GEMINIs’enfonçadanslefauteuilcapitonnéetseposalaboîtesurlatête.Àl’intérieurilfaisaitnoircommedel’encre,àl’exceptiondelalumièrequipénétraitparunintersticeàhauteurdesépaules.

«Bon,onyva»,ditOrion.Geminisecramponna.Ilentenditledéclicd’uninterrupteur(ouquelqu’unavait-ilclaquédesdentsdesurprise?)etletempostatserefermasurlui,absorbantlalumière,puisduvert,del’orangeetuneautrecouleurindéfinissable,plusfoncéequelepourpre,dansèrentàlalimitedesonchampdevision.

Etilseretrouvabrusquementdeboutdansl’herbehauteaubordd’uneroute.Unebranchechargéedefeuillesluicaressaledos,pousséeparlevent.Ilavança,enquêtede…

Laroute,toutcommel’avaitditOrion.Environuneminuteàattendre,donc.

Geminiglissamaladroitementenbasdutalus,secouvrantlesmainsdeterre.Àsagrandesurprise,celle-ciétaithumideetmolle,collantauxdoigts.Ils’étaitattenduqu’ellesoitdure.Voilàcequiarrivequandonfaitconfianceauxgravuresdesency-clopédies,sedit-il.Et,soussespieds,lesols’enfonçaitlégèrement.

Ilregardaderrièrelui.Deuxsillonsmarquaientsonpassagesurletalus.Ilavaitlaisséunetracesurcemonde,aprèstout,sedit-il.Celan’aaucuneimportance,maisilyaunetracedemoi,encestempsoùleshommespouvaientlaisserdestraces.

Puisilvitdeslumièresaveuglantesausommetdelacôte.Lecamionarrivait.Geminihumal’air.Ilnesentitrien-pourtanttousleslivressoulignaientcombienlesmoteursàessencesentaientmauvais.Ilétaitpeut-êtretroploin.

Leslumièreschangèrentalorsdedirection.Levirage.Ilseraitlàdansuninstant,laparoidelamontagneluicachantlavisibilitéjusqu’àcequ’ilsoittroptard.

Geminis’avançasurlaroute,parcourud’unfrissonanticipé.

Oh,ilavaitdéjàutiliséàplusieursreprisesletempostat.Commetoutlemonde,ilavaitassistéauxévénementsimportants:Michel-Angedécorantlachapelle

ilavaitassistéauxévénementsimportants:Michel-AngedécorantlachapelleSixtine.Haendelentraind’écrireLeMessie(interdictionformelleàquiconquedefredonnerlamoindremélodie).LapremièrereprésentationduSacreduprintemps.Etquelquesévénementsmineurs,liésàsapassionpourl’histoire:l’assassinatdeJohnF.Kennedy,unpoliticien;larencontreentreLaurentdeMédicisetleroideNaples;Jeanned’Arcsurlebûcher-horrible.

Etmaintenant,enfin,l’occasiond’expérimenterdanslepasséunechosequ’illuiétaitimpossibledevivredansleprésent.

Lamort.

Lecamionsortitdelacourbeentanguant,sesphareséclairèrentletalusopposéavantderevenirsurlaroute,illuminantuninstantGeminiavantqu’ilbondisseverslepare-brise(levisagehorrifiéduchauffeur,lesphareséblouissants,lemétalsidur),puislasouffrance.Ah,unesouffrancedéchirantequiluifit,pourlapremièrefois,prendreconsciencedelamoindreparcelledesoncorpshurlantdedouleur.Lesoscraquèrent,volantenéclatscommeduboissecsouslacognée.Lachairetlagraissegiclèrententoussenscommedelaconfiture.Lesangéclaboussalacalandred’unefaçondémentielle.Lesyeuxjaillirentdesorbitestandisquelecerveaucherchaitàtraversersoncrânequis’écrasait.Nonnonnonnonnon,hurlaGeminidansledernierfragmentdesoncerveau.Nonnonnonnonnon,arrêtez!

Levert,l’orangeetleplus-que-pourpredansèrentdevantsesyeux.Unecontractiondesesentrailles,unfrissonmental,etilfutderetour,arrachéàlamortparlesinexorablesloismathématiquesdutempostat.Ilsentitsoncorps,intact,seréassembler,ensentitchaqueparticule,oui,aussinettementquelorsquelevéhiculel’avaitfrappé,maiscettefois-ciavecdélectation-unedélectationsitotalequ’ilneremarquamêmepaslepurorgasmequesoncorpsajoutaitàlasymphonietriomphale.

Letempostatsereleva.Laboîtefutôtée.Geminirestaenplace,haletant,ennage,riantetpleuranttoutàlafois,saisid’uneenviedechanter.

«Commentétait-ce?demandèrentavecimpatienceceuxquisepressaientautourdelui.Commentest-ce,est-cecomme…

-Celanepeutsecompareràrien.C’est…»Gemininepouvaittrouverdemots.«C’estcommecequeDieupromettaitauxjustesetcequeSatanréservaitauxpécheurs,mêlésenuneseulesensation.»Iltentad’expliquerlasouffrance

pécheurs,mêlésenuneseulesensation.»Iltentad’expliquerlasouffrancedélicieuse,lajoiesurpassanttoutejoie,le…

«Est-cemieuxquelapoussièredesfées?»demandaunjeunehommetimide.Geminiserenditcomptequ’ilétaitsiréservécesoirpourlabonneraisonqu’ilétaitindubitablementenvapé.

«Aprèscela,ditGemini,lapoussièredesféesnefaitpasplusd’effetqued’allerauxtoilettes.»

Toutlemonderit,bavarda,seproposapourleprochaintour(«Orionsaitanimerunesoirée»),tandisqueGeminiquittaitlesiègedutempostatpourrejoindreOriondevantletableaudecommandes,àquelquesmètresdelà.

«Lapromenadet’aplu?»demandaOrion,souriantavecgentillesseàsonami.

Geminisecoualatête.«Plusjamais»,dit-il.

Uninstant,Orioneutl’airtroublé,inquiet.«Tuastrouvéçasipénible?

-Paspénible.Fort.Jenel’oublieraijamais.Jenemesuisjamaissentiaussi…vivant,Orion.Quil’eûtcru?Quelamortsoitsi…

-Brillante»,ditOrion,trouvantlemotjuste.Seslongscheveuxluitombèrentdanslafigure;ilsedégagealesyeux.

«C’estmeilleurladeuxièmefois.Onaplusdetempspourapprécier.»

Geminisecoualatête.«Uneseulefoismesuffit.Lavienemeparaîtraplusjamaisterne.»Ilsemitàrire.«Ehbien,onpasseausuivant?»

Harmonys’étaitdéjàinstalléedanslefauteuil.Elles’étaitdéshabillée,pourleplusgrandplaisirdesinvités,disant:«Jeneveuxriensentirentremoietlemétalglacé.»Orionlafitattendrependantqu’ilajustaitlesréglages.Alorsqu’ils’activait,unequestionvintàl’espritdeGemini.«Combiendefoisas-tufaitcela,Orion?

-Assezsouvent»,répondit-iltoutenobservantl’imageholographiquedelaboucletemporelle.Geminisedemandas’iln’yavaitpasuneaccoutumanceàlamortdumêmeordrequ’àlapoussièredesfées,àlacoquetterieouautravail.

Surmontantsasurpriseetsonhorreur,RodBingleyréussitàarrêterlecamion.

Surmontantsasurpriseetsonhorreur,RodBingleyréussitàarrêterlecamion.Lesyeuxsetrouvaientencoredanslarigoledupare-brise.Euxseulsparaissaientréels.Leresteétaitétalésurlaroute,réduitenbouillieparlespneus.

Rodouvritlaportièreàlavoléeetcontournaaupasdecoursel’avantducamion,dansl’espoirde…quoifaire?Iln’yavaitaucunespoirquel’hommesoitencorevivant.Maispeut-êtrepourrait-ill’identifier.Undingoéchappéd’unasile,égarésurlesroutesdemontagnedanssesétrangesvêtementsblancs?Maisiln’yavaitpasd’hôpitaldanslecoin.

Etiln’yavaitpasdecadavreàl’avantducamion.

Ilpassalamainsurlemétalbrillant,surlepare-brisepropreQuelquesinsectesécraséssurlacalandre.

Lemétalétait-ildéjàenfoncéencetendroit?Rodn’arrivaitpasàs’ensouvenir.Ilfitletourducamion.Aucunetracedequoiquecesoit.

Ildevaitavoirtoutimaginé.Maiscelaavaitsemblésiréel.

Etiln’avaitrienbu,n’avaitpasprisderemontants-unroutierdouédebonsensneprendjamaisdestimulants.Ilsecoualatête.

Ilavaitlachairdepoule.Ilavaitl’impressiond’êtreobservé.

Ilregardapar-dessussonépaule.Riend’autrequelesarbresquisebalançaientlégèrementdanslevent.Pasmêmeunanimal.Quelquespapillonsattirésparlalueurdesphares.C’étaittout.

Honteuxdes’effrayersansraison,ilsautamalgrétoutenvitessedanslacabine,claqualaportièrederrièreluietlaver-rouilla.Ilmitenroute.Etildutseforceràleverlesyeuxpourregarderparlepare-brise.Ils’attendaitàmoitiéàyvoirencorelesyeux.

Lepare-briseétaitdégagé.Et,commeilavaitunhoraireàrespecter,ilsehâta.Devantlui,laroutezigzaguaitàl’infini.

Ilconduisaitplusvite,résoluàrejoindrelacivilisationavantd’avoiruneautrehallucination.

Enabordantunvirage,tandisquesespharesbalayaientlesarbresdel’autrecôtédelaroute,ilcrutapercevoirunéclairblancsurladroite,aumilieudelaroute.

delaroute,ilcrutapercevoirunéclairblancsurladroite,aumilieudelaroute.

Lalumièrelahappajusteavantquelecamionlaheurte,unejoliefillenue,voluptueuseetpassionnée.Follementpassionnée,debout,lesjambeslargementécartées,lesbrasgrandsouverts.

Ellesebaissa,puisbonditenavantaumomentoùlecamionlaheurtaitbienqueRodécrasâtlapédaledefreintoutendonnantuncoupdevolant.Sonembardéefitqu’ilnelacueillitpasdepleinfouetmaisaveclecôtégaucheduvéhicule,justedevantlui.

Undesesbrass’écrasacontreleflancdelacabine,lamaingriffantlavitredelaportière.Elleaussifutécrasée.

Gémissant,Rodarrêtaunenouvellefoislecamion.Lamainétaitmollementretombéecontrelahanchedelafemme,aussinebloquait-ellepluslaportière.Roddescenditenhâte,contournaprécipitammentlaporteettouchalafemme.

Lecorpsétaitchaud.Lamainréelle.Iltouchalafesselaplusprochedelui.Elleétaitdouceetélastique,maisRodputconstaterqu’endessouslebassinétaitbrisé.Puislecorpssedétachaducapot,glissasurlebitumedelaroutegravillonnéeetdisparut.

Unpremiertemps,Rodconservasoncalme.Elleavaitglisséducapot,puisplusrien.Àpartunelégère(etindubitablementnouvelle!)fêluredupare-brise,ilnesubsistaitaucunetraced’elle.

Rodneyhurla.

Del’autrecôtédelagorge,l’écholuirenvoyasoncri.Lesonparutserenforcerentreletroncdesarbres.Unechouetteluirépondit.

Finalement,Rodremontadanslecamionetseremitenroute,lentementmaisirrésolument,sedemandant,grandDieu,cequipouvaitbiensepasserdanssatête.

Harmonyquittalefauteuil,pantelanteetsecouéedeviolentsfrissons.

«Est-cemeilleurquefairel’amour?»luidemandaunhomme.

Celui-ciavaitindubitablementessayé,sanssuccès,del’entraîneraulit.

Celui-ciavaitindubitablementessayé,sanssuccès,del’entraîneraulit.

«C’estl’amour,répondit-elle.Maisc’estmeilleurquel’amouravectoi.»

Toutlemonderit.Quellesoiréeformidable!Quipourraitfairemieux?Leshôtesenpuissancedésespéraient,mêmes’ilsréclamaientàgrandscrisd’essayeràleurtourletempostat.

Mais,àcetinstant,laportes’ouvritavecunbourdonnementindiquantquelapoliceavaitdéconnectélesystèmedesécurité.

«Noussommesfaits!»s’écriajoyeusementquelqu’un,déclen-chantriresetapplaudissements.

Lapolicièreétaitjeuneetsemblaitpeufamiliariséeavecleschampsdeforce;elletraversacelui-cimaladroitement.Ellegagnalecentredelapièce.

«OrionOverweed?demanda-t-elleenjetantuncoupd’ilàlaronde.

-C’estmoi»,réponditOrionsansquittersonsiège,sursesgardes.Geminisetenaitàsoncôté.

«OfficierdepoliceMercyManwool,delabrigadetemporelledeLosAngeles.

-Oh!non!murmuraquelqu’un.

-Cetendroitnerelèvepasdevotrejuridiction,ditOrion.

-Nousavonsunaccordd’interventionréciproqueaveclaCanadianChronospotCorporation.Etnousavonstoutesraisonsdepenserquevousbrouillezlessillonstemporelsdelahuitièmedécennieduvingtièmesiècle.»Elleeutunbrefsourire.«Nousavonsassistéàdeuxsuicideset,aprèsavoirsoigneusementvérifiél’usagequevousavezfaitdevotretempostatprivécesdernierstemps,nousenavonsdécouvertplusieursautres.Vousavezapparemmenttrouvéunenouvellefaçondepasserletemps,monsieurOverweed.»

Orionhaussalesépaules.«Cen’estqu’unefantaisiepassagère.Maisjenebrouillepaslessillonstemporels.»

Ellegagnalaconsoledecontrôleet,d’unairassuré,tenditlamainversl’interrupteur.Orionluiattrapaaussitôtlepoignet.

Geminifutsurprisdevoiràquelpointlesmusclesdesonavant-brasparaissaientpuissants.Seserait-iladonnéàquelquesport?

Celaluiauraitbienressemblé,desecomportercommeunmembredesclassesinférieures.

«Votremandat»,ditOrion.

Elleretirasamain.«J’aiuneplainteofficielledel’équipedesurveillancedelabrigadetemporelle.C’estsuffisant.Jedoismettrefinàvotreactivité.

-Selonlaloi,ditOrion,vousdevezproduiredespreuvesdecequevousavancez.Riendecequenousavonsfaitcesoirnemodifieral’histoireenaucunefaçon.

-Cecamionn’étaitpaspilotéparunrobot,dit-elleenhaus-santleton.Ilyavaitunhommeauvolant.Vousavezmodifiélecoursdesavie.»

Orionsecontentaderire.«Vosobservateursn’ontpasbienfaitleurtravail.Moisi.Regardez.»

Ilsetournaverslescommandesetpassauneséquenceaccélé-

réemontrantuneimageobscurcieducamionquidévalaitàtoutevitesseuneroutedemontagne.Lesviragessuccédaientauxvirageset,commel’hologrammeétaitcentréenpermanencesurlevéhicule,lepaysageenvironnantdéfilaitd’unmouvementsaccadé,oscillantdedroiteàgaucheetdehautenbaslorsquelecamions’inclinaitdansunvirageoupassaitsurunebosse.

Puis,prèsdufonddelafailleentrelesmontagnes,lecamionabordaunelonguecourbedefaiblerayonmenantàunpontétroitquienjambaitlarivière.

Maisiln’yavaitplusdepont.

Etlecamion,incapabledes’arrêter,dérapaavantdebasculerpar-dessusleborddelaroutetronquée,restantuninstantsuspendudanslesairsau-dessusduprécipice,puisilculbuta,rebondissantd’unbordàl’autreduravin.Ilrestacoincéentredeuxentablementsrocheuxàplusdedixmètresau-dessusdel’eau.Lacabineétaitcomplètementécrasée.

«Ilmeurt,ditOrion.Cequisignifiequetoutcequenousfai-sonsavecluiavant

«Ilmeurt,ditOrion.Cequisignifiequetoutcequenousfai-sonsavecluiavantsamort,etaprèssonderniercontactpossibleavecunautrehumain,estlégal.Selonlecode.»

Lapolicières’empourpradecolère.

«J’aiassistéàvospetitsjeuxaveclesavionsetlesbateauxenperdition.C’estdelacruauté,monsieurOverweed.

-Lacruautéenversunmortn’estpas,pardéfinition,delacruauté.Jenemodifiepasl’histoire.MonsieurRodneyBingleyestmort,ilestmortdepuisquatresiècles.Jenefaisdemalàaucunêtrehumainenvie.Vousmedevezdesexcuses.»

L’officierdepoliceMercyManwoolsecoualatête.«JepensequevousêtesaussipervertiquelesRomainsquijetaientdansl’arènedesgensenpâtureauxlions…

-J’aientenduparlerdesRomains,ditfroidementOrion.Etjesaisquiilstraitaientainsi.Dansmoncas,cependant,ils’agitdemesamis.EtjelesramèneentoutesécuritégrâceausystèmedesécuritéHamburger,partieindissociabledetouttempostat,quilesrécupèreetlesréassemble.Vousmedevezdesexcuses.»

Elleseredressa.«LabrigadetemporelledeLosAngelespré-

senteàOrionOverweedsesexcusesofficiellespouravoiravancédesallégationsinjustifiéesconcernantlesactivitésduditOrionOverweed.»

Orionluiadressaunsourirenarquois.«Onnepeutpasdirequecelavientvraimentdufondducur,maisjelesaccepte.

Pendantquevousêtesici,puis-jevousoffrirunverre?

-Sansalcool»,répondit-elleimmédiatement,avantdesetournerversGeminiquil’observaitd’unregardtristemaisinsistant.Orionpartitchercherdesverresetessayerdetrouverdanslamaisonuneboissonsansalcool.

«Tut’enesbiensortie,ditGemini.

-Ettoi,Gemini,dit-elled’unevoixbassedétimbrée,tuasétélepremieràfairelevoyage.»

Geminihaussalesépaules.«Iln’ajamaisétéquestionducontraire.»

Elleluitournaledos.Orionrevenaitavecunverre.Ilrit.

«Coca-Cola,dit-il.JedoislefaireimporterduBrésil.Ilsboiventencoredeça,là-bas,voussavez.Recetted’origine.»Elleleluipritetbut.

Orionserassitdevantsontableaudecommandes.

«Ausuivant!»cria-t-il.Uncouplepritplaceensemblesurlefauteuilenrianttandisquelesautresleurposaientlaboîtesurlatête.

Rodavaitperdulecompte.Ilavaittoutd’abordessayédecompterlesvirages.Puisleslignesblanchesdelachaussée,jusqu’àcequ’unecouched’asphalteneuflesrecouvrit.Puislesétoiles.Maisleseulchiffrequiluitournaitdanslatêteétaitneuf.

9.

NEUF.

MonDieu,priait-ilensilence,quem’arrive-t-il,quem’arrive-t-il,changezcettenuit,réveillez-moi,quoiqu’ilm’arrive,faites-lecesser.

Unhommegrisonnantsetenaitauborddelaroute,urinant.

Rodralentit.Ralentitaupointdenepresqueplusavancer.Ildépassal’hommesilentementque,sicelui-ciavaitfaitlemoindremouvement,Rodauraitpuarrêterlecamion.Maisl’hommeauxcheveuxgristerminasimplementd’uriner,laissaretombersarobeetfitgaiementsignedelamain.Rodpoussaalorsunsoupirdesoulagementetaccéléra.

Laisséretombersarobe.L’hommeportaitunerobe.Leshommesneportaientpasderobe,saufaucoursdecettenuitsanglante.Ilaperçutaumêmeinstantdanssonrétroviseurlatérall’éclairblancdel’hommequisejetaitsouslesrouesarrière.Rodécrasalefrein,posasatêtesurlevolantetpleurabruyamment,éclatantensanglotsdéchirantsquiébranlèrenttoutelacabinequifirentoscillerlecamionsursespuissantsamortisseurs.

ParcequeRodrevoyaitàchaquemortlevisagedesafemmeaprèsl’accidentdelacirculation(cen’étaitpasdemafaute!)quil’avaittuéesurlecoup,alorsque

lacirculation(cen’étaitpasdemafaute!)quil’avaittuéesurlecoup,alorsqueluiétaitsortidel’épavesansuneégratignure.

Puisilrelevalatête.

Orionriaitencoredurécitd’Hectorexpliquantcommentilavaitamenéleconducteuràaccélérer.

«Ilpensaitquej’étaisentraindepisserdanslesfourrésauborddelaroute!»répéta-t-il,etOrionrepartitd’ungrandéclatderire.

«Etpuistuassautéenarrièresurlaroute,soussespneus!

J’auraisbienvouluvoirça!»criaOrion.Lerestedesinvitésriaientégalement.ÀpartGeminietl’officierdepoliceManwool.

«Vouspouvezlevoir,bienentendu»,ditdoucementManwool.Ilsl’entendirent,malgrélebruit,etOrionsecoualatête.

«Uniquementsurl’holo.Etl’imagen’estvraimentpasbonne.

-Celaferal’affaire»,dit-elle.

DerrièreOrion,Geminimurmura:«Pourquoipas,Orry?»

LasonoritédecevieuxsurnomamicalsurpritOrion,mais,bizarrement,celaleréconforta.Cessouvenirsluiétaient-ilsdoncaussichersqu’àOrion?Ilsetournalentement,plongeadansleregardtristeetprofonddeGemini.«Aimerais-tulevoirsurl’holo?»demanda-t-il.

Geminisecontentadesourire.Ouplutôtiltorditleslèvresencedemi-sourirefugacequ’Orionconnaissaitdepuissilongtemps(seulementquaranteans,maiscelameramèneàmonenfance,quandj’avaisàpeinetrenteansetGemini-combien?-quinze.

IloteetmoiSpartiate;SlaveetmoiHun).Orionluirenditsonsourire.Sesdoigtsvoltigèrentsurlescommandes.

Unbonnombred’invitéss’étaientrassemblésautourd’eux,bienquecertains,lassésdesalléesetvenuesdutempostatmalgrél’extravagancedecettedistractionmondaine(«Suffisammentd’énergiepouréclairerpendantuneheurelavilleentièredeMexico»,avaitditl’hommeaurirefrivolequiavaitdéjà

lavilleentièredeMexico»,avaitditl’hommeaurirefrivolequiavaitdéjàpromissoncorpsàquatrehommesetunefemme,etquil’offraitencemomentàuneautrequinepouvaitattendre),fussententraindeselivreràdesactivitésdécadentes,délicieusesetdistrayantesdanslescoinssombresdelapièce.

L’holos’illumina.L’imageclignotantemontralecamionentraindedescendrelentementlaroute.

«Pourquoicelaclignote-t-il?»demandaquelqu’un.Orionréponditmachinalement:«Leschrononssontmoinsnombreuxquelesphotons,etilsontbeaucoupplusdechampàcouvrir.»

Puisonvitunhommeauborddelaroute.Ilsrirentenrecon-naissantHectorquipissaitdetoutsoncur.Ilyeutunautreéclatderirelorsqu’illaissaretombersarobeetsalua.Lecamionaccéléra,etlasilhouettesejetaenarrièresouslesroues.Lecorpssursautasouslespneusjumelés,puisrestasurlaroute,flasqueetdésarticulé,tandisquelecamions’arrêtaitquelquesmètresplusloin.Uninstantplustard,lecadavredisparut.

«Admirablementbienjoué,Hector!hurlaOrion.Beaucoupmieuxquetunel’avaisdit!»LesautresapplaudirentpourmarquerleurassentimentetOriontenditlamainpouréteindrel’holo.

Maisl’officierdepoliceManwooll’arrêta.

«N’éteignezpas,monsieurOverweed,dit-elle.Bloquez-leetbougezl’image.»

Orionlacontemplauninstant,puisilhaussalesépaulesetfitcommeelleavaitdit.Ilélargitlechamp,faisantrapetisserlecamion.Puisilseraiditbrusquement,ainsiquelesinvitésassezprochesetintéresséspourpouvoirserendrecompte.Leravin,avecsonpontcoupé,setrouvaitauplusàdixmètresducamion.

«Ilpeutlevoir»,hoquetaquelqu’un.L’officierManwoolpassauncordond’amouraupoignetd’Orion,leserraetenatta-chal’autreextrémitéàsonceinturon.

«OrionOverweed,vousêtesenétatd’arrestation.Cethommepeutvoirleravin.Ilnemourrapas.Ilaétéamenéàs’arrêteràtempspours’apercevoirqu’ilcouraitàunemortcertaine.Ilvivra,conservantlesouvenirdecequ’ilavucettenuit.Etvousavezdéjàaltérélefutur,leprésentettoutlepassédepuissonépoquejusqu’àmaintenant.»

époquejusqu’àmaintenant.»

Pourlapremièrefoisdesavie,Orioncompritqu’ilavaittouteslesraisonsd’avoirpeur.

«Maisc’estuncrimecapital,fit-ilpiteusement.

-Jeregrettesimplementqu’ilnesoitpaspassibledetorture,ditavecfeul’officierManwool.Legenredetorturequevousavezinfligéeàcepauvrechauffeur!»

PuisellesemitendevoirdetirerOrionhorsdelapièce.

RodBingleylevalesyeuxetregardalarouted’unairégaré.

Lespharesducamionl’illuminaientsurunegrandedistance.

Pendantcinqsecondes,ouunedemi-heure,outoutautrelapsdetempsàlafoisbrefetinfini,ilnecompritpascequecelasignifiait.

Ilsortitdelacabinepours’approcherdubordduravinetregarderenbas.Pendantquelquesminutes,ilsesentitsoulagé.

Puisilrevintauprèsducamionetcomptaleschocssurlacar-rosserie.Lesbossesdelacalandreetdumétalpoli.Troisfêluresaupare-brise.

Ilserenditàl’endroitoùs’étaittenul’hommepoururiner.

Sansconteste,bienqu’iln’yaitpasd’urine,uncreuxmarquaitlaplaceoùleliquidechaudavaitfrappélesol,etlesgouttelettesavaientdessinédeséclaboussuresdanslapoussière.Etsurl’asphaltefrais,posésansaucundoutecematin(maisalorspourquoin’yavait-ilpasdepancarted’avertissementàl’entréedupont?

Leventdecesoirlesavaitpeut-êtrerenversées…),lestracesdesespneusétaienttrèsnettes.Saufsurunebandedelalargeurd’unhommeoùsesrouesarrièren’avaientlaisséaucunemarque.

AlorsRodneyserappelalesvisagesmorts,écrasés,toutspé-

cialementlesyeuxlividesetbrillantsaumilieudusangetdesoséclatés.TousressemblaientàRachel,Rachelquiavaitvouluqu’il…qu’ilquoi?Nepouvait-il

ressemblaientàRachel,Rachelquiavaitvouluqu’il…qu’ilquoi?Nepouvait-ilmêmeplussesouvenirdesrêves?

Ilretournadanslacabineetempoignalevolant.Latêteluitournaitetlefaisaitsouffrir,maisilsesentaitauseuild’uneconclusionmerveilleuse,d’uneréponsesimpleàtoutcela.

C’étaitl’évidence,oui,mêmesilescorpsavaientdisparu,ilétaitévidentqu’ilavaittuécesgens.Ilnel’avaitpasimaginé.

Cedevaitdoncêtre(ilbutasurlemot,mêmedanssonesprit,ritdelui-mêmeenconcluant)desanges.Jésuslesavaitenvoyés,illesavait,commeleluiavaitapprissamère,desangesextermi-nateurschargésdeluiapprendrelamortqu’ilavaitdonnéeàsafemmetandisqu’ilosait,lui,s’ensortirindemne.

L’heureétaitvenuedepayersadette.

Ilmitenmarcheetsedirigea,lentement,délibérément,verslaportionderoutecoupée.Lorsquelesrouesavantplongèrentdanslevide,ilyeutunmomentangoissantoùilcraignitquelesrouesmotricesneréussissentpasàdéplacerlepoidsducamion.Ilsepritlatêteentrelesmainsetpriatouthaut:«Enavant!»

Puislecamionglissaversl’avant,basculaàmoitié,suspenduentrecieletterre,ettomba.Soncorpssetrouvaplaquéaudossier.Sesmainscroiséesvinrentluifrapperlevisage.Ilvoulutdire«Entretesmainsjeremetsmonesprit»,maisilhurlaàlaplace«Nonnonnonnonnon»,enunenégationinfiniedelamortqui,aprèstout,étaitinutile,étantdonnéqu’ils’étaitremisentrelesmainsmiséricordieusesetimplacablesduravin.Ellesseresserrèrentetl’étreignirent,luifermèrentlesyeuxetluienfouirentlatêteentrelegranitetleréservoird’essence.

«Attendez,ditGemini.

-Pourquoidiableledevrions-nous?»demandal’officierdepoliceManwool,s’arrêtantàlaporte,docilementsuivieparOrionauboutducordond’amour.Orions’arrêtaégalementetregardalapolicièreaveccetteexpressiond’adorationqu’arborenttouslesprisonniersducordond’amour.

«Accordez-luiunechance,ditGemini.

-Ilneleméritepas,dit-elle.Nivousnonplus.

-Jevousdisdeluiaccorderunechance.Attendezaumoinsd’avoirlapreuve.»

Ellerenifla.«Quellepreuvesupplémentairevousfaut-il,Gemini?UnedéclarationsignéedeRodneyBingleycommequoiOrionOverweedestunpetitHitler?»

Geminisourit,tendantlesmains.«Nousn’avonspasvraimentvucequeRodneyafaitensuite,n’est-cepas?Ilapeut-êtreétéfoudroyédeuxheuresplustard,avantd’avoirvuquiquecesoit-

jeveuxdirequevousêtesrequisedeprouverqu’ilyaeupréju-dice.Etjeneressensaucunemodificationduprésent…

-Voussavezbienqu’onnepeutressentirlesmodifications.

Onnepeutmêmepassavoirqu’ellesonteulieu,étantdonnéquenousnenoussouvenonsquedesévénementsquisesonteffectivementproduits!

-Regardons,aumoins,ditGemini,cequisepasseetàquiparleRodney.»

EllereconduisitOrionautableaudecommandeset,sursonordre,celui-ciremitamoureusementl’holoenmarche.

IlsregardèrenttousRodneyBingleys’approcherdubordduravin,puisremonterdanslecamion,leconduiredroitverslegouffreetmourirsurlesrochers.

Àcespectacle,Hectorhurladejoie.«Ilestmort,toutcomptefait!Orionn’arienchangé,paslemoindrefoutumachin!»

Manwoolsetournaverslui,dégoûtée.«Vousmerendezmalade,dit-elle.

-L’hommeestmort,ditjoyeusementHector.LibérezdoncOriondecettestupidecorde,oujeporteplaintepourabusde…

-Allezvousfairefoutre»,dit-elle.Quelquesfemmesfirentsemblantd’êtrechoquées.Manwooldesserralecordond’amouretenlibéralepoignetd’Orion.

Aussitôt,ilsetournaverselle,hargneux:«Sortezd’ici!

Dehors!Dehors!»

Illasuivitjusqu’àlaporte.Geminin’étaitpasleseulàsedemanders’ilallaitla

Illasuivitjusqu’àlaporte.Geminin’étaitpasleseulàsedemanders’ilallaitlafrapper.MaisOriongardasonsang-froidetellepartitsansdommages.

Orionrevintensefrottantlesbrascommepoursesavonner,commes’ilessayaitdeleslaverducontactaveclecordond’amour.«Cettesaletédevraitêtreinterdite.Jel’aimaisvraiment.J’aimaisréellementcettefilledeputedesaleflicpuant!»

Ileutunfrissonsiviolentqueplusieursinvitéséclatèrentderire,rompantlesilence.

Orionesquissaunsourireetlesinvitésretournèrentàleursdistractions.Avecletactdontmêmelesgensinsensiblesetblasésfontparfoispreuve,ilslelaissèrentseulavecGeminidevantletempostat.

Geminitenditlamainpourécarterunemèchedecheveuxdesyeuxd’Orion.«Procure-toiunpeigne,unjour»,dit-il.Orionsouritetcaressadoucementlamaindesonami.Celui-cilaretiralentement.«Désolé,Orry,ditGemini,maisc’estfini.»

Orionébauchaunhaussementd’épaules.«Jesais,dit-il.

Mêmepasensouvenirdubonvieuxtemps.»Ilritdoucement.

«Cettestupidecordem’aforcéàl’aimer.Onnedevraitpasfaireunechosepareille,mêmeauxcriminels.»

Iltripotalesboutonsdel’holo,quiétaittoujoursbranché.

L’imageserapprocha;lacabineducamiongrandit.Leschrononsétanttropdispersés,l’imagecommençaàsebrouilleretàs’effacer.Orionl’immobilisa.

Ensepenchantlégèrementpourregarderparlafenêtredelacabine,OrionetGeminipouvaientvoirl’endroitprécisoùl’avancéedurocheravaitécrasélatêtedeRodBingleycontreleréservoir.Lesdétailsétaientbiensûrindiscernables.

«Jemedemande,finitpardireOrion,siçafaitunedifférence.

-Siquoifaitunedifférence?demandaGemini.

-Lamort.Sicelafaitunedifférencequandonneseréveillepasaprèscoup.»

-Lamort.Sicelafaitunedifférencequandonneseréveillepasaprèscoup.»

Unsilence.

PuislerireassourdideGemini.

«Qu’ya-t-ildedrôle?demandaOrion.

-Toi,réponditsoncadet.Ladernièrechosequetun’aiespasessayée,hein?

-Commentlepourrais-je?demandaOrion,àdemisérieux(seulementàdemi?).Ilsmecloueraient,toutsimplement.

-Cen’estpascompliqué,ditGemini.Toutcequ’iltefaudrait,c’estunamiquiveuillebiencouperlamachinependantquetuesdel’autrecôté.Tunelaissesrien.Ettupeuxarrangertonsuicide.

-Monsuicide,ditOrionavecunsourire.C’estbiendetoid’employerletermelégal.»

Etcettenuit-là,tandisquelerestedesinvitéscuvaientleuralcooldansdeslitsouautreslieuxadéquats,Orions’installadanslefauteuiletseplaçalaboîtesurlatête.AprèsundernierbaiserdeGeminisurlajoue,Oriondit:«Trèsbien.Vas-y.»

Quelquesminutesplustard,Geminiétaitseuldanslapièce.Ilnepritpasletempsderéfléchiravantdes’approcherdudisjonc-teuretdecoupertotalementl’énergiedurantquelquessecondescritiques.Puisilrevints’asseoirseuldanslapièce,àcôtédelamachinedéconnectéeetdesonfauteuilvide.Lesignaldelaportebourdonnabientôt,livrantpassageàMercyManwool.EllevintdroitàGeminiqu’elleembrassa.Illuirenditsonbaiser,passionnément.

«C’estfait?»demanda-t-elle.

Ilacquiesça.

«Cetteordureneméritaitpasdevivre»,dit-elle.

Geminisecoualatête.«Tuasétéfrustréedetavengeance,Mercychérie.

-N’est-ilpasmort?

-Oh!çaoui!Maisc’estcequ’ildésirait,tusais.Jeluiaiditcequej’avaisprojeté.Etilm’ademandédelemettreàexécution.»

Elleleregardaaveccolère.«Biensûr.Etensuitetumeleracontespourgâchermonplaisir.»Geminisecontentadehausserlesépaules.

Manwools’écartadeluiets’avançaversletempostat.Ellecaressalaboîteduboutdesdoigts.Puiselletirasonlaserdesaceintureetfitfondrel’enginjusqu’àcequ’iln’enresteplusqu’unemassedeplastiquefumantsurunsoclemétallique.Lesquelquescomposantsmétalliquesavaienteux-mêmesfondu,segauchissantlégèrement.

«Audiablelepassé,entoutcas,dit-elle.Pourquoinepeut-ilpasresteroùilest?»

Jeuxsansfrontières

HORMISDonnerPass,laroutequireliaitSanFranciscoàSaltLakeCityétaitmortellementinintéressante.Stanleyl’avaitparcourueunedizainedefois,aupointd’avoirlaconvictiondeconnaîtreleNevadaparcur:unerouteinterminablequiserpentaitentredescollinescouvertesd’armoise.

«QuandDieuaeufinidefabriquerledécor,disait-ilsouvent,illuirestaitpleindeterraindansleNevada,etIladit:“Ah,audiable!”Çaexpliquel’étatduNevadaaujourd’hui.»

Cettefois,Stanleyétaitdétendu,riennelepressaitderentreràSaltLake;aussi,pourtrompersonennui,ilselançadansdesjeuxd’autoroute.

Iljouatoutd’abordàl’«angebleu».SurlescontrefortsdelaSierraNevada,iltombasurdeuxvoituresquiroulaientcôteàcôteàquatre-vingtskilomètresàl’heure;ilplaçasaDatsun260Zentroisièmepositionetilsavancèrentainsidefront,àquatre-vingtskm/h,enbloquantlestroisfilesdel’autoroute.Lacirculationcommençaàs’épaissirderrièreeux.

Lejeufonctionnaitbien:lesdeuxautresconducteursétaiententrésàfonddanslapartie.Quandlevéhiculedumilieupritunpeud’avance,Stanleyralentitpourresteràlahauteurduconducteuràsadroite,sibienqu’ilsfilèrentsurl’autoroute

enV,aprèsquoiilsformèrentdesdiagonales,desentonnoirs,dansèrentlesunsautourdesautrespendantunedemi-heure;et,lorsquel’und’euxaccéléraitlégèrement,leschauffeursàboutdenerfsquilessuivaientmanuvraientfollementpourdoublerlavoituredetête.

Stanleyfinitparcelasserdujeumalgréleplaisirqu’ilprenaitauxcoupsdeklaxonetauxappelsdepharesderrièrelui.Ilcornadeuxfois,agitalamaind’unairdésinvolteàl’adresseduconducteurprèsdelui,puisenfonçal’accélérateuretbonditàcentdixkilomètresàl’heure,pourredescendrepeuaprèsàquatre-vingt-dixtandisquedesdizainesdevoituresledoublaientàtouteallure,menéespardeschauffeursquis’efforçaientderattraperletempsperdu(oudesedéfoulerdeleurlongueattente).Beaucoupseportèrentàsahauteuretklaxonnèrentavecdesregardsfuribondsetdesgestesobscènes.Stanleyleurréponditàtousparunsourireradieux.

Àl’estdeReno,l’ennuilereprit.

Cettefois,ildécidadejouerà«je-te-cours-après».Justedevantlui,uneAMHornetjauneroulaitàquatre-vingt-dix,quatre-vingt-quinzekilomètresàl’heure.Unebonnevitesse.

Stanleyseplaçaderrièrelavoiture,àtroislongueursenviron,etsemitàlasuivre.C’étaitunefemmequiconduisait;sescheveuxchâtainsdansaientaugréduventquientraitparlesvitresbaissées.Stanleysedemandacombiendetempsilluifaudraitpourremarquerqu’onlasuivait.

Deuxchansonsàlaradio(lamesuredetempsqu’employaitStanleyquandilconduisait)etunedemi-pubpourunelaquedecoiffureplustard,ellesemitàaccélérer.Stanleys’enorgueillis-saitd’avoirdebonsréflexes:elleneluipritmêmepasunelongueurdevoiture;ellemontaàcentdixmaisildemeuracolléderrièreelle.

IlfredonnaitsurunevieillechansondeBillyJoëlquandl’émetteurdeRenocommençadefaiblir.Ilcherchaunautrepostemaisnetombaquesurdelamusiquecountry,qu’ildétes-tait.IlsuivitdoncensilencelaconductricedelaHornetquiralentissaitpeuàpeu.

Elledécélérajusqu’àquarante-cinqkilomètresàl’heure,maisilneladoublapas.Ilsemitàriretoutbas.Àcestadedujeu,elledevaitêtreentraind’imaginerlepire:unvioleur,unvoleur,unkidnappeurrésoluàlatuer.Elle

jetaitsanscessedescoupsd’ildanssonrétroviseur.

«Net’inquiètepas,mapetitedame,ditStanley,c’estjusteungarsdeSaltLakeCityquis’amuseunpeu.»Elledescenditàtrenteetilrestaderrièreelle;elleremontasoudainàsoixante-quinze,maissaHornetnepouvaitaccélérerplusvitequelaZ.

«J’aifaitgagnerquarantemilledollarsàlaboîte,chantonna-t-ildanslesilencedesavoiture,etçaenfaitsixmillepourmapoche.»

LaHornetarrivaderrièreuncamionquis’essoufflaitàgrimperunecôte.Ilyavaitunevoiededépassementmaisellenes’yengageapas,dansl’espoirsansdoutequeStanleyladoublerait.

Stanleyneladoublapas.LaHornetdéboîta,seplaçaàlahauteurdel’avantducamionetyrestajusqu’ausommetdelamontée.

«Ah!fitStanley.Onjoueàl’angebleuaveclePacificInter-mountainExpress.»Illatalonna.

Enhautdelacôte,lavoiededépassements’acheva;autoutderniermoment,laHornetserabattitdevantlecamionennelaissantentreeuxqu’unécartdedeuxoutroismètres.Stanleyn’avaitpaslaplacedes’inséreretunevoiturearrivaitdroitsurluisurlaroutedésormaisàdeuxvoies.

«Lagarce!»murmura-t-il.Enunefractiondeseconde,parcequ’encolèreStanleyn’aimaitpass’avouervaincu,ildécidadenepasselaisserdamerlepion:auculot,ilserabattitversl’espaceinsuffisantquiséparaitlaHornetetlecamion.

Leroutierklaxonnaenfreinant;lafemmepritpeuretaccé-

léra.Stanleyseglissaentreeuxàl’instantoùlevéhiculed’enface,conduitparunhommeencompagniedesonépouseetdeplusieursenfantsturbulents,lemarietlafemmepétrifiésparl’accidentauquelilsvenaientd’échapperdejustesse,passaitsurlagauche.

«Tutecroismaligne,pouffiasse?MaisStanleyHowardestpleinauxas!»Celanevoulaitriendire,maisçasonnaitbienetilchantonnalaphrasesurdifférentstonstoutensuivantlafemme,quimaintenaitàprésentunevitessedecentkilomètresàl’heureàdeuxlongueursdevoituredevantlui.LaHornetétait

centkilomètresàl’heureàdeuxlongueursdevoituredevantlui.LaHornetétaitimmatriculéedansl’Utah:ellen’allaitpasquitterlaroutedesitôt.

LespenséesdeStanleysemirentàvagabonderdesplaquesdel’Utahausouvenird’undéjeuneraurestaurantAliotoetdujuge-mentqu’ilyavaitporté:l’établissementpourraitbiens’installersurlesquaismêmes,lepoissonneseraitpasmeilleurquechezBratten,àSaltLake.Ilfaudraitqu’ilyretourneundecesjourspourvérifiersonimpression;proposeràLizdel’accompagner?

Était-cevraimentlapeine,vusonmanqueévidentd’intérêt?

Peut-êtreGenevièveaccepterait-elles’illuidemandait.

LaHornetn’étaitplusdevantlui.

Ilnefaisaitplusquedusoixante-dixetlecamiondelaPIE

étaitentraindelerattrapersurunelignedroite.Unpeuplusloin,laroutedécrivaitdesviragesdanslamontagne-lafemmeavaitdûaccéléreralorsqu’ilétaitdistrait;maisileutbeauappuyersurlechampignon,ilnelavitnullepart.Sansdoutes’était-ellearrê-

téequelquepart,etStanleysemitàglousser:ill’imaginaithale-tante,lecurbattantlachamade,jusqu’àcequ’ilpassedevantellecommeuneflèche.Quelsoulagementc’avaitdûêtre!sedit-il.Lapauvre!Queljeusadique!Etilsemitàrireavecravissement,sansbruit,leventreetlapoitrineagitésdesoubresautsmuets.

IlfitlepleinàElko,achetaunpaquetdemadeleinesàundistributeurdelastationets’apprêtaitàremonterenvoiturequandilvitlaHornetfilersurlaroute.Ilagitalamainmaislafemmeneleremarquapas;enrevanche,ilobservaqu’elles’arrê-

taitdansunestationAmocounpeuplusloin.

Cen’étaitqu’unpasse-temps.Jepousselebouchontroploin,songea-t-ilalorsmêmequ’ilattendaitdanssavoituredevoirlafemmesortirdelastationd’essence.Ellesortit.Stanleyhésitauninstant,puisdécidad’abandonnerlapoursuiteets’engageadansl’avenueprincipaled’Elko,àquelquesruesdedistancedelaHornet.Lafemmefithalteàunfeurouge.Quandilpassaauvert,Stanleysetrouvaitjustederrièreelle.Illavitregarderdanssonrétroviseuretse

Stanleysetrouvaitjustederrièreelle.Illavitregarderdanssonrétroviseuretseraidir;ilyavaitdelapeurdanssesyeux.

«Pasdepanique,madame,dit-il.Jenevoussuisplus,cettefois.Jerentrechezmoibienpeinard.»

Sanscriergare,lafemmes’engouffradansuneplacedeparking.Stanleypoursuivitsaroutecalmement.«Vousvoyez?

fit-il.Jenevoussuispas.Jenevoussuispas.»

Quelqueskilomètresaprèslasortied’Elko,ilquittalarouteets’arrêtaluiaussi.Ilsavaitcequ’ilattendaitets’endéfendait.Jemerepose,c’esttout;jefaislapauseparcequeriennemepressederentreràSaltLakeCity.Maisilfaisaittrèschaudet,maintenantquelavoitureneroulaitplus,ilnepassaitpluslemoindrecourantd’airparlesfenêtresdelaZ.C’estcomplètementidiot!

sedit-il.Pourquoipersécuterencorecettepauvrefille?Qu’est-cequejefousarrêtéici?

Iln’avaittoujourspasredémarréquandellepassadevantlui.

Ellelevit,elleaccéléra.Stanleypassalapremière,quittal’épaulementpours’engagersurlaroute,rattraparapidementlaHornetetsecaladerrièreelle.«Jesuisunpeigne-cul,déclarat-il.Jesuisleconnardleplusminabledetoutel’autoroute;ondevraitmefusiller.»Etilétaitsincère.Maisilrestaderrièrelafemmesanscesserdesetraiterdetouslesnoms.

Danslesilencedesavoiture(lebruitduventnecomptaitpasetilétaithabituéàceluidesonmoteur),illuttouthautleschiffresducompteur:«Quatre-vingt-dix,quatre-vingt-quinze,centdansunvirage,çanevapaslatête,jeunedame?centdix-

houlà,attentionauxflicsducoin.»Ilsnégociaientlescourbesàdesvitesseseffrayantes;detempsentemps,ellefreinaitbrusquement;lesréflexesrapidesdeStanleyluipermettaienttoujoursderesteràquelqueslongueursderrièreelle.

«Enréalité,jesuisuntypetrèssympa,jeunedame»,dit-ilàlafemme,quiétaitjolie,commeils’enaperçutsoudainenserappelantsonvisagelorsqu’elleétaitpasséedevantluiàElko.

«SivoustombiezsurmoiàSaltLakeCity,jevousplairais.

«SivoustombiezsurmoiàSaltLakeCity,jevousplairais.

Peut-êtremêmequejevousproposeraisunrancart;etsivousn’êtespasunepetitemormonecul-pincé,onpourraitsefaireunepartiedejambesenl’air.Sansrire,jesuislemecsympa.»

Elleétaitjolieet,toutenroulantderrièreelle(«Quoi?Centtrente-cinq?Jen’auraispascruqu’uneHornetpouvaitmonteràcenttrente-cinq!»),ilsepritàfantasmer.Elletombaitenpanned’essenceetsemettaitàpaniquerparceque,touteseulesuruneportiondésertederoute,elleseretrouvaitàlamercidudinguequilapourchassait.Maisdanssonfantasme,quandils’arrêtait,c’étaitellequiavaitunpistolet,ellequiavaitl’avantage.Elleluipointaitl’armesurlatempe,l’obligeaitàluiremettresesclésdecontact,puisleforçaitàsedéshabiller,luiprenaitsesvêtementspourlesfourrerdanslecoffredelaZets’enallaitavecsavoitureàlui.«C’estvous,ledangerpublic,jeunedame»,dit-il.Ilserejouaplusieursfoislascèneetàchaquerepriseellepassaitdavantagedetempsavecluiavantdel’abandonnertoutnusurleborddelarouteavecuneHornetenpanned’essenceetlesgonadesensurchauffe.

Stanleyeutsoudainconsciencedel’orientationqu’avaientprisesesfantasmes.«Çafaittroplongtempsquetuesseul,dit-il.

Tropdesolitudedepuistroplongtemps,etLiz,illuifautunpermispourdéboutonnerquoiquecesoit.»Lemot«solitude»

luiévoquacertainsversdemirlitonetiléclataderire,puisilsemitàchanter:«Nem’enterrezpasdanslaprairiesolitaireoùhurlentlescoyotesetsoufflelevent‘.»

Desheuresdurantilsuivitlafemme.Elles’étaitrenducomptequec’étaitunjeu,ilenétaitcertain;elleavaitdûfinirparcomprendrequ’ilneluivoulaitpasdemal:iln’avaitrienfaitpourl’obligeràs’arrêter;illuicollaitauxtalons,c’étaittout.

«Commeunbonchien,fit-il.Ouah!Ouah!Grrr!»Etilseremitàfantasmerjusqu’àcequeleslumièresdeWendoverapparaissentbrusquement:ilfaisaitnuit.Ilallumasesphares.LaHornetaccéléraaussitôt,seslanternesarrièrebrillèrentuninstant,puisleuréclatsefonditdansceluidesfeuxetdesenseignesquiannonçaientladernièrechancedeperdredel’argentavantdeseretrouverenUtah.

Àl’entréedelaville,unevoituredepoliceétaitstationnéeauborddelaroute,gyropharesallumés:sansdouteunpauvrecouillonquis’étaitfaitpiquerenexcèsdevitesse.Maligne,lafemmeallaitsûrements’arrêterderrièrelespoliciersenattendantqueStanleyfranchisselafrontièreetsortedelajuridictionduNevada.

Maisnon:laHornetpassadevantlevéhiculesansralentir,enaccélérantmême,etStanleyrestaunmomentperplexe.Était-ellefolle?Elledevaitêtrecomplètementpaniquéepournepassaisirl’occasion.PuisStanleyréfléchitensuivantlaHornetquisortaitdeWendoverets’engageaitdanslalonguesectiondroited’autorouteau-dessusdesSaitFlats:biensûrqu’ellenes’étaitpasarrêtée!Lapauvrefilleavaittellementconscienced’avoirdépassélalimitedevitessequ’elleavaitpeurdesflics!

1.ExtraitdeHomeonthéRange,traditionnelaméricain(NdT).

C’étaitdingue.Lestressfaisaitfairedestrucsdingues.

L’autoroutefilaittoutdroitdansl’obscurité.Pasdelune,quelquesétoiles,maisiln’yavaitpasdebornessurleborddelachausséeetlesvéhiculesroulaientàtombeauouvertcommedansuntunnelavecpourseulsguideslalignehypnotiquesurleurgauche,lespharesderrière,lesfeuxarrièredevant.

Combiend’essencecontenaitleréservoirdelaHornet?LecheminétaitlongdanslesSaitFlatsavantlespremièresstationset,comptetenudel’heured’été,ildevaitêtredixheuresetdemie,onzeheuresdusoir-oupeut-êtreseulementdixheures,maiscertainespompesdevaientdéjàfermer.AvecunpleinàElko,laZdeStanleyarriveraitàSaltLakeetilluiresteraitencoredelamarge,maislaHornetrisquaitdetomberenpanneavant.

Stanleyserappelasesrêveriesdel’après-midietlestranscrivitpourl’obscurité,l’affolementdelafemmedanslanuit,lepistoletquiétincelledanslesphares.Cettenanaétaitarméeetdangereuse;ellepassaitdeladrogueenUtahetelleleprenaitpourquelqu’undumilieu.Ellecroyaitsansdoutequ’ilvoulaitluifairesonaffairedanslesSaitFlats,àdeskilomètresdetoutehabitation.Elledevaitêtreentraindevérifierlechargeurdesonarme.

Centtrente-cinq,affichaitlecompteur.

«Vousroulezdrôlementvite,jeunedame»,dit-il.

Centquarante-cinq,annonçalecompteur.

Maisoui,songeasoudainStanley:sonréservoirestpresquevideetelleessayedeprendrelemaximumdevitesse,demedistancerpeut-être,entoutcasd’accumulerassezd’élanpourcontinuerenrouelibrequandelleseraenpanne.

C’estridicule,sedit-il.Ilfaitnuitetcettepauvrenanacrèvedetrouille.Ilfautquej’arrête.Ilfaitnoir,c’estdangereuxetçafaitsixcentsbornesquedurecejeuidiot.Jen’avaispasl’intentiond’yjoueraussilongtemps.

Stanleyaperçutlessignauxroutiersquiluiindiquaient,accoutuméqu’ilétaitautrajet,quelepremierviragesérieuxapprochait.CeuxquineconnaissaientpaslesSaitFlatscroyaientquelarouterestaitdroitecommeunid’unboutàl’autre,maisilyavaitunviragesansobjetbienavantlesmontagnes,bienavanttout.Et,selonlabonnehabitudedesservicesautoroutiersdel’Utah,lepanneauindicateurétaitplacéenpleinmilieuduvirage.Instinctivement,Stanleylevalepied.

PaslaconductricedelaHornet.

Àlalumièredesesphares,Stanleyvitsavoituresortirdelaroute.Ilécrasalapédaledefreinet,enpassant,illadistinguaquirebondissaitsurl’avant,faisaitundemi-tour,retombaitsurl’arrière,puiss’écrasaitàplatsurletoit.Uninstant,plusriennebougea.Stanleys’arrêta,regardapar-dessussonépaule.LaHornetexplosadansunegerbedeflammes.

Ilnerestaqu’uneminute,haletant,frissonnant.D’horreur.

D’horreur!serépétait-ilenmurmurant:«Qu’est-cequej’aifait!MonDieu,qu’est-cequej’aifait!»,maisilsavait,alorsmêmequ’ilfeignaitl’épouvante,qu’ilavaitunorgasme,quelestremblementsquiagitaientsoncorpsprovenaientdelapluspuis-santeéjaculationqu’ilavaitjamaisconnue,qu’ilessayaitd’encu-lerlaHornetdepuisRenoetqu’enfin,enfin,ilavaitjoui.

Ilrepartit.Vingtminutesplustard,ilarrivaitàunestationd’essenceéquipéed’untéléphoneàpièces.Ildescenditdevoitureavecdesmouvementsraides,lepantalontrempé,collant,etilallapêcherdanssapochehumideunepièce

pantalontrempé,collant,etilallapêcherdanssapochehumideunepiècepoisseusequ’ilinséradanslafentedel’appareil.Ilcomposalenumérodesurgences.

«Je…jesuispassédevantunevoituredanslesSaitFlats;ellebrûlait.Àvingt,vingt-cinqkilomètresdelastationChevronoùjesuis.Ellebrûlait.»

Ilraccrochaetseremitenroute.Quelquesminutesplustard,unvéhiculedepatrouille,gyrophareallumé,lecroisaàtouteallure;ilvenaitdeSaltLakeCityets’enfonçaitdansledésert.Etplustardencoreilvitpasseruneambulanceetuncamiondepompiers.Stanleyserralesdoigtssursonvolant:ilsallaienttoutdécouvrir,ilsallaientvoirlestracesdesoncoupdefrein,quelqu’unallaitleurparlerdelaZquiavaitsuivilaHornetdepuisRenojusqu’àcequelaconductricesetueenUtah.

Mais,par-delàsonangoisse,ilsavaitquepersonnenedécouvriraitrien:ilnel’avaitpastouchée,iln’yavaitpaslamoindremarquesursavoiture.

L’autoroutesetransformaenuneavenueàsixvoiesbordéedemotelsetderestaurantsmiteux.Ilpassasouslavoieexpress,franchitlavoiedechemindeferetremontaNorthTempleStreetjusqu’àlaDeuxièmeAvenue,l’universitésurlagauche,lespanneaux«ralentir»,toutcommed’habitude,toutcommeill’avaitlaissé,dansl’étatoùilretrouvaitlavilleretourd’unlongvoyage.

LStreet,résidenceChâteauLeMans;ilsegaradansleparkingsouterrainetdescenditdevoiture.Sesclésouvrirenttouteslesportes.Personnen’avaitfouillésonlogement.

Maisàquoiest-cequetut’attendais,monpauvre?Àentendredessirènesconvergersurtonappartement?Àtrouvercinqinspecteursdanstonsalonprêtsàtecuisiner?

Lafemme,lafemmeétaitmorte.Ilessayadesetrouverrépugnant,maisunsouvenirl’obsédait,leseulimportantpourlui:l’intensetremblementqu’ilavaitressenti,l’impressionquel’orgasmenes’achèveraitjamais.Iln’yavaitrien,riendecomparableàça.

Ils’endormitrapidement,passaunenuitsereine.Assassin?sedemanda-t-ilens’assoupissant.

Maissonesprits’emparadumotetlerangeadansuncoindesamémoireoù

Maissonesprits’emparadumotetlerangeadansuncoindesamémoireoùStanleyneleretrouveraitpas.Jenepourraiplusjamaismeregarderenface.Plusjamais.Etilneseregardadoncplusenface.

Lelendemainmatin,Stanleysesurpritàéviterderegarderlejournal,aussis’obligea-t-ilàleparcourir.Cen’étaitpasenpremièrepage;c’étaitaufinfonddesnouvelleslocales.Elles’appelaitAlixHumphreys,elleavaitvingt-deuxans,elleétaitcélibataireettravaillaitcommesecrétairedansuncabinetd’avocats.Laphotomontraitunejoliejeunefille.

Selonlapolice,laconductriceseseraitendormieauvolant.

Levéhiculeroulaitàplusdecenttrentekilomètresàl’heurequandl’incidents’estproduit.

L’incident.

Tuparlesd’untermepourunevoitureenflammes.

Pourtant,Stanleyserenditàsontravailcommed’habitude,flirtaaveclessecrétairescommed’habitudeetconduisitmêmeavecprudenceetcourtoisie,commed’habitude.

Ilneluifallutpaslongtemps,toutefois,pourreprendresesjeuxd’autoroute.EnallantàLogan,iljouaà«je-te-cours-après»etunefemmeauvolantd’uneHondaCivicheurtadefaceunecamionnettealorsqu’elleessayaitbêtementdedoublerunsemi-remorqueensommetdecôte,àSardineCanyon.Lerapportdepolicenementionnapas(carpersonnenelesavait)qu’elles’efforçaitdesemeruneDatsun260Zquinelalâchaitpasdepuiscenttrentekilomètres.Elles’appelaitDonnaWeeks,etsonmarietsesdeuxenfantsl’attendaientàLoganlesoirmême.

Onneparvintpasàlasortirdesavoitureenunseulmorceau.

DepassageàDenver,unejeunefillededix-septanspassionnéedeskiperditlecontrôledesaVWsurunerouteenneigée;levéhiculericochacontreleversantdelamontagneetdégringoladuhautd’unefalaise.Incroyablemaisvrai,undesskisattachéssurletoitdelaCoccinelledemeuraintact;l’autrefutréduitenpetitbois.Latêtedelaconductricetraversalepare-brise;soncorpsnesuivitpas.

LeréseauroutierentrelecomptoirdeCameronetPage,enArizona,étaitlepiredumondeetnulnes’étonnaquandunejeunefilleblondededix-huitans,

dumondeetnulnes’étonnaquandunejeunefilleblondededix-huitans,mannequindesonmétier,venantdePhoenix,setuaenpercutantl’arrièred’unecaravanegaréesurlebas-côté.Elleroulaitàplusdecentsoixante,cequinesurpritpassesamis:elleconduisaittoujourstrèsvite,surtoutlanuit.Unenfantquidormaitdanslacaravanemourutdansl’accidentetsafamillefuthospitalisée.Nulnesignalalapré-

senced’uneDatsunimmatriculéedansl’Utah.

EtlessouvenirscommencèrentàreveniràStanleyplussouvent:iln’yavaitpasassezdeplacedanslesrecoinssecretsdesonespritpourlescontenirtous.Ildécoupalesphotosdesvictimesdanslesjournaux;ilsemitàrêverd’elleslanuit.Danssessonges,elleslemenaçaienttoujours,ellesméritaienttoujourslesortquilesattendait.Chaquerêves’achevaitparunorgasme,maisjamaisaussipuissantquel’extasedescollisionssurl’autoroute.

Échec.Etmat.

Enjoue,feu.

Àvosmarques,prêts,partez.

Desjeux,rienquedesjeux,etl’instantdelavérité.

«Jesuismalade.»Ilsuçotaitl’extrémitédesonstyloquatre-couleurs.«Ilfautqu’onm’aide.»

Letéléphonesonna.

«Stan?C’estLiz.»

Salut,Liz.

«Stan,pourquoineréponds-tupas?»

Vatefairefoutre,Liz.

«Stan,àquoiest-cequetujoues?Jenet’appellepaspendantneufmoisetmaintenantturestessansriendirealorsquej’essayedeteparler?»

Viensauplumard,Liz.

«C’estbientoi,non?

-Ouais,c’estbienmoi.

-Maisenfin,pourquoinerépondais-tupas?Stan,tum’asflanquéunetrouillebleue.J’aivraimenteupeur.

-Excuse-moi.

-Stan,ques’est-ilpassé?Pourquoin’as-tupasappelé?

-J’avaistropbesoindetoi.»Mélo,mélo.Maisvrai.

«Jesais,Stan.Jemesuisconduitecommeunegarce.

-Non,non,pasvraiment.C’estmoiquiétaistropexigeant.

-Stan,tumemanques.Jevoudraisêtreavectoi.

-Toiaussitumemanques,Liz.C’aétédur,touscesmoissanstoi.»

Ellecontinuades’épanchertandisqueStanleychantonnaitenlui-même:Oh,nem’enterrezpasdanslaprairiesolitaireoùhurlentlescoyotes…

«Cesoir?Chezmoi?

-Quoi?Tumelaisseraisfranchirlasacro-saintechaînedesûreté?

-Nesoispasméchant,Stanley.Tumemanques.

-Jeviens.

-Jet’aime.

-Moiaussi.»

Auboutdetantdemois,Stanleynesavaitpluss’ildevaitseréjouir,plusdutout;maisc’étaitunfétuauquelilpouvaitseraccrocher.«Jemenoie,dit-il.Jemeurs.Morior.Mariât.Mor-tuussum.»

Àl’époqueoùilsortaitavecLiz,oùilsétaientensemble,Stanleyneselivraitpasàcesjeuxd’autoroute.Stanleyneregardaitpascesfemmesmourir.Stanley

pasàcesjeuxd’autoroute.Stanleyneregardaitpascesfemmesmourir.Stanleyn’étaitpasobligédesefuirlui-mêmedanslesommeil.«Caedo.Caedam.Cecidi.»

C’étaitfaux.IlsortaitavecLiz,lapremièrefois.Iln’avaitrompulesrelationsqu’après…qu’après.Lizn’avaitrienàyvoir.

Rienn’yferait.«Despero.Desperabo.Desperavi.»

Et,parcequ’iln’enavaitaucuneenvie,ilseleva,s’habilla,descenditaugarageetserenditsurl’autoroute.Ilseretrouvaderrièreunefemmeauvolantd’uneAudirouge.Etillasuivit.

Elleétaitjeunemaiselleconduisaitbien.IllafiladepuisSixthSouthjusqu’àl’embranchementoùl’autoroutesescindeendeux,la1-15quipoursuitverslesudetla1-80quivireàl’est.Ellerestasurlafilededroitejusqu’auderniermoment,puisfranchitbrusquementdeuxvoiespours’engagersurla1-80.Pasquestiondelalâcher:àsontour,Stanleycoupalacirculation.Uncarklaxonna,despneuscrissèrent,laZdeStanleyseretrouvasurdeuxrouesetilperditlecontrôle.Unlampadairesedressadevantlui,puispassasurlecôté.

EtStanleyfutsurla1-80,quelquescentainesdemètresderrièrel’Audi.Ilréduisitrapidementl’écart.Cettefemmeétaitastucieuse,sedit-il.«Tuesrusée,mademoiselle.Avectoi,l’erreurn’estpaspermise.Personneaujourd’hui.Personneaujourd’hui.»Ilvoulaitdire:personnenemourraaujourd’hui,etc’étaitbiencequ’ildisait,illesavait(ill’espérait,illerefusait),maisils’interdisaitdeledireenentier.Ilparlaitcommesiunmicrosuspenduau-dessusdesatêteenregistraitsesparolespourlapostérité.

L’Audisefaufilaitdanslacirculationàcentvingtkilomètres-heure;Stanleynelalâchaitpasd’unesemelle.Parfoisuntrouentredeuxvoituresserefermaitavantqu’ilpuisses’yglisser;ilentrouvaitunautre.Maisilsétaientséparésparunedizainedevéhiculesquandelledéboîtaetpritladernièresortieavantquela1-80s’engagedanslamontéeversParley’sCanyon.Elleroulaitdésormaissurla1-215endirectiondusud,etStanleyl’ysuivitenfreinantviolemmentpournégocierlevirageserréquimenaitd’uneautorouteàl’autre.

Elleparcourutrapidementla1-215jusqu’aubout,tournadansuneétroiterouteàdeuxvoiesquiserpentaitaupieddelamontagne.Naturellement,uncamionchargédegraviers’ytraînaitàquarante-cinqkilomètresàl’heureenrépandantdesgravillonssurlaroutecommedespelliculessuruncostume.L’Audiresta

desgravillonssurlaroutecommedespelliculessuruncostume.L’AudirestaderrièrelecamionetStanleysecolladerrièrel’Audi.

Lafemmen’étaitpasbête:vuleslacets,ellenecherchapasàdoubler.

Quandilsarrivèrentaucarrefouroùaboutissaitlaroutequiconduisait,parBigCottonwoodCanyon,auxstationsdeski(ferméesauprintemps,sibienqu’iln’yavaitpasdecirculation),elleparutvouloirprendreàdroitepouremprunterFortUnionBoulevardquilaramèneraitàl’autoroute,maiselletournaàgauche.Stanleyavaitprévulafeinteets’engagealuiaussiàgauche.

Ilsnes’étaientguèreavancésdanslecanyonsinueuxquandStanleysefitlaréflexionquelaroutenemenaitnullepart:àSnowbird,elleformaituncul-de-sac,unebouclequiobligeaitàrepartirparoùonétaitvenu.Lajeunefemmeapparemmentsifutéevenaitdeselancerdansunemanuvrestupide.

Jepourraisbienl’attraper,songea-t-ilalors.«Jepourraisbient’attraper,minette.Faisgaffe.»

Ilignoraitcequ’ilferaitdanscecas.Elledevaitavoirunpistolet.Elleétaitsûrementarmée,sansquoielleneledéfieraitpasainsi.

ElleprenaitlesviragesàunevitesseeffrayanteetStanleydevaitfaireappelàtoussestalentsdepilotepournepasselaisserdistancer.C’étaitlapartiede«je-te-cours-après»laplusaccrochéeàlaquelleilaitjoué,maisellemenaçaitdes’achevertroptôt:aupremiertournantellerisquaitdepercuterlamontagneouunevoiturearrivantensensinverse.Faisattention,sedit-il.Faisattention,soisprudente,cen’estqu’unjeu,n’aiepaspeur,pasdepanique.

Pasdepanique?Dumomentoùelles’étaitvuesuivie,elles’étaitmiseàaccélérer,àfeinter,àl’entraînerdansunejoyeusecourse-poursuite.Paslemoindresigned’affolement,aucontrairedesautres;elleavaitlapêche,celle-là.Quandillacoincerait,ellesauraitquefaire.Ellesaurait.«Veniebam.Veniam.Ventes.»

Ilritdesaplaisanterie.

Ilcessabrusquementderire,braquaviolemmentàdroitetoutenécrasantlapédaledefrein.Ilavaitentraperçuunéclairrougeentrainderemonterunepetiterouteperpendiculaire.Rienqu’unéclair,maisc’étaitassez.Cettegarceàl’Audirougecroyaitlerouler,ellecroyaitpouvoirs’enfilerdansuneroutesecondaire

rougecroyaitlerouler,ellecroyaitpouvoirs’enfilerdansuneroutesecondairesanssefairevoir!

Ildérapasurlegravierdel’épaulement,repritlecontrôledesonvolantetfonçasurl’étroitepisteenterre.L’Audiétaitarrêtéequelquescentainesdemètresplusloin.

Arrêtée.

Enfin.

Ilserangeaderrièreelle,posalesdoigtssurlapoignéedelaportière.Maisellen’avaitpaseul’intentiondesegarer,apparemment:ellevoulaitseulementdisparaîtreletempsqu’illadépasse.Ilavaitétéplusruséqu’elleetill’avaitvue.Àprésent,elleétaitcoincéesuruneroutedemontagnecomplètementperdue,humidedeneigefondue,enpleineforêt,paruntempstropchaudpourlesskieurs,tropfroidpourlesrandonneurs.Elleavaitcruleberneretc’estluiquil’avaitpiégée.

Elledémarra.Illasuivit.Surlapisteaccidentée,trentekilomètresàl’heurerendaientlaconduitedifficile;elleroulaitàquarante-cinq.Stanleyétaitentraindebousillersesamortisseurs,maispasquestionqu’elleluifileentrelesdoigts.Elleneluiéchapperaitpas.SonAudipromettaitd’intensesvoluptés.

Aprèsuneinterminablemontéecahoteuselelongducanyonsecondaire,lesmontagness’ouvrirentsoudainsurunepetitevallée.Laroutedevintunmomenthorizontaletoutenrestantsinueuse,etl’Audis’ylançafollementàsoixante.Elleneserendaitpas.Etelleconduisaitcommeunepro.MaisStanleyluiaussiconduisaitcommeunpro.«Jedoism’arrêter»,dit-ilaumicroinvisible.Maisilnes’arrêtapas.Ilnes’arrêtapas.

Cefutlaroutequis’arrêta.

Ilpassauntournantbordéd’arbres,etsoudainiln’yeutplusderoute.Rienqu’unetrouéedanslavégétationet,quelquescentainesdemètresplusloin,l’autreversantd’unravin.Àdroite,ducoindel’il,ilaperçutlaroutequiformaitunvirageenépingleàcheveux,l’Audiarrêtéeaumilieu,etilcrutvoirunvisagehorrifiéquil’observait.Et,àcausedecevisage,ilsetourna,ilvoulutregarderpar-dessussonépaule,nevoirquecestraitstandisquelesarbressecourbaientgracieusementverslui,quelesrochersmontaient,grossissaient,s’enflaient,etqu’ils’empalait,luietsaDatsun260Z,surunrocérigéquifrissonnaquand

Stanleyenavalalebout.

Assisedansl’Audi,elletremblait,convulséedegrossanglotsdesoulagementetd’horreur.Desoulagementetd’horreur,oui.

Maisellesavaitàprésentquesestremblementsnetrahissaientpasquecela.Ilsexprimaientaussil’extase.

Ilfautqueçacesse,cria-t-elleenellemême.Quatre,quatre,quatre.«Quatre,çasuffit!»dit-elleenfrappantlevolantdupoing.Enfinelleserepritetl’orgasmereflua,hormislesfrémissementsquiagitaientsescuissesetlescrampesquiluitétani-saientlesmusclesparinstants;ellemanuvrapourfairedemi-tour,puisredescenditlecanyonetrepritladirectiondeSaltLakeCityoùelleauraitdéjàdûarriverdepuisuneheure.

Leschantsausépulcre

ELLEPERDAITL’ESPRITquandlapluietombait.IlplutpresquetouslesjourspendantquatresemainesetlepersonneldelamaisondereposducomtédeMillardnesortitaucundespatients,quis’énervaient,naturellement,etrendaientlavieparticulièrementimpossibleauxinfirmièresenseplaignantsanscesseetenexigeantdesdistractions.

Elaine,elle,n’exigeaitpasdedistractions;ellenedemandaitd’ailleurspasgrand-chose.Maislapluiel’affectaitdavantagequelesautres,peut-êtreparcequ’ellen’avaitquequinzeansetqu’elleétaitlaseuleadolescented’uneinstitutionconsacréeàladétresseadulte,plusvraisemblablementparcequ’elledépendaitdavantagequelaplupartdesheurespasséesàl’extérieur;entoutcas,elleenretiraitplusdeplaisir.Lesinfirmièreslamettaientdanssonfauteuil,luiglissaientdesoreillersdansledospourlatenirdroitepuislapoussaientàtoutealluredanslecouloirverslesportesvitréespendantqu’Elainecriait«Plusvite,plusvite!»

jusqu’àcequ’ellesarriventau-dehors.Ellesm’ontapprisqu’elleneparlaitguèredansleparc:ellerestaitaumilieudelapelouseetobservaittoutsansriendire;etonlarentraitplustarddanslajournée.

Jel’aisouventvueainsiramenéedanslebâtiment-plustôtqued’habitudeàcausedemaprésence,sanspourtantqu’ellesesoitjamaisplaintedemesvisites

causedemaprésence,sanspourtantqu’ellesesoitjamaisplaintedemesvisitespendantsesheuresdesortie.

Quandjelavoyaispousséedanssonfauteuilendirectiondesportes,ellemefaisaitunsouriretellementradieuxquemonespritluiinventaitdesbrasqu’elleagitaitfollement,enharmonieavecsonexpressionderavissementenfantin;jeluiinventaisdesjambes,jel’imaginaiscourantsurl’herbe,fendantl’aircommeonsejettedanslesgrandesvagues.Mais,àlaplacedesesbras,ilyavaitdesoreillersquil’empêchaientdes’effondrerdecôté,etlaceintureàsataillel’empêchaitdetomberenavant,carellen’avaitpasdejambespourseretenir.

Ilplutquatresemainesetjefaillislaperdre.

Montravailétaitundespiresdel’État:jetournaissursixmaisonsdereposdansautantdecomtésetjepassaisdanschacuneunefoisparsemaine.Jefaisaisdela«psychothérapie»làoùlesresponsablesdesétablissementslejugeaientnécessaire;jen’aijamaiscomprissurquoiilssefondaient:touslespatientsétaientfousàuncertaindegré,laplupartatteintsdeladémenceirréversibledugrandâge,lesautresvictimesdel’angoissepropreauxinvalidesetauxinfirmes.

Onneseretrouvepaspsychothérapeuted’Étatsil’onafaitmontredegrandesdispositionsàlafac.Jefeinsparfoisdecroirequejen’yaipasfaitd’étincellesparcequejemarchaisausond’unautretambour,maisc’estfaux.Commemel’aditunprofesseurcompatissant,sansméchancetémaissansprendredegantsnonplus,jen’étaispasfaitpourlascience.Maisj’étaissûrd’êtrefaitpourdevenirpsychothérapeute:depuisquej’avaissoutenumoralementmamèrependantlesdernièresannéesdesoncancer,j’étaispersuadéd’avoirledond’aiderlesgensàseremettred’aplomb.J’étaisleconfidentuniversel.

Cependant,jen’auraisjamaiscrumeretrouveràtraiterdesincurablesdansunsecteurdel’Étatoùmêmelesrichesavaientàpeinedequoivivre.Commetoutefoismestitresnemepermettaientpasd’espérermieux,unefoissurmontée(avecquellematuritéd’esprit!)ladéceptioninitiale,jedécidaideprendrelasituationduboncôté.

Etleboncôté,cefutElaine.

«Ilpleut,ilpleut,ilpleuttoujours.»C’estparcesmotsqu’ellem’accueillitlorsquejevinslavoirletroisièmejourdepluie.

«Tucroisquejenem’ensuispasaperçu?rétorquai-je.J’ailescheveuxtrempés.

«Tucroisquejenem’ensuispasaperçu?rétorquai-je.J’ailescheveuxtrempés.

-J’aimeraisbienavoirlescheveuxtrempés.

-Tuparles!Tuattraperaisunrhume.

-Moi?Jamais.

-MonsieurWoodburyditquetuesdéprimée.Jedoisteremonterlemoral.

-Faitesquelapluies’arrête.

-TumeprendspourlebonDieu?

-Ilauraitpusedéguiser.Moi,parexemple,jesuisdéguisée.»C’étaitundenospetitsjeuxhabituels.«JesuisungrostatouduTexasquiaeuledroitdefaireunvu.J’aisouhaitédevenirunêtrehumain,maisiln’yavaitpasassezdetatoupourfabriquerunhumaincomplet,etvoilàlerésultat.»Ellesourit;jesourisàmontour.

Danslesfaits,quandelleavaitcinqans,uncamion-citerneavaitexplosédevantlavoituredesesparents,lestuanttouslesdeuxetluiarrachantbrasetjambes.Qu’elleaitsurvécu,c’étaitunmiracle;qu’elleaitdûcontinueràvivre,uneinimaginablecruauté;etqu’elleaitréussiàdevenirquelqu’underelativementheureux,çamedépasse.Peut-êtren’avait-ellepasd’autresolution:lesmoyensdesuicidesontlimitésquandonn’anibrasnijambes.

«Jeveuxallerdehors»,dit-elleendétournantlatêtepourregarderparlafenêtre.

«Dehors»,cen’étaitpasgrand-chose:quelquesarbres,unepelouseet,plusloin,uneclôturedestinéeàempêchernonlespatientsdesortirmaisleshabitantslesplussordidesd’unevilleellemêmeassezsordided’entrer.Néanmoins,descollinesbassesseprofilaientàl’horizonetlesoiseauxchantaientsouventgaiement.Pourl’heure,naturellement,lapluieavaitforcécollinesetoiseauxàsecacher;iln’yavaitpasdeventsibienquelesarbresnesebalançaientmêmepas.Lapluietombaittoutdroit,bêtement.

«L’espace,c’estcommeaujourd’hui,ditElaine:çafaitlemêmebruitquedehors,commeunlégercrépitementdefond.

dehors,commeunlégercrépitementdefond.

-Pasvraiment,répondis-je.Iln’yapasdesondansl’espace.

-Qu’est-cequevousensavez?

-Iln’yapasd’air;sansair,pasdeson.»

Ellemejetaunregardméprisant.«C’estbiencequejepensais:vousn’ensavezrien.Vousn’yêtesjamaisallé,hein?

-Tucherchesladispute?»

Elleouvritlabouchepourrépondre,seravisaethochalatête.

«Saletédepluie.

-Aumoins,tun’espasobligéedeconduiredessous»,dis-je,maissesyeuxsefirentmélancoliquesetjecomprisquej’avaispoussélataquinerietroploin.«Tiens:dèsqu’ilfaitbeau,jet’emmènefaireuntourenvoiture.

-Cesontleshormones,fit-elle.

-Quoi,leshormones?

-J’aiquinzeans.Jen’aijamaisaiméresterenfermée,maismaintenantj’aienviedehurler.J’ailesmusclestoutraides,l’estomacnoué,j’aienvied’allerdehorsetdehurleràpleinspoumons.Cesontleshormones.

-Ettesamis?demandai-je.

-Vousrigolez?Ilssonttousdehorsàjouersouslapluie.

-Tous?

-SaufGrognon,évidemment.Ilfondrait.

-Etoùest-il,Grognon?

-Aucongélateur,naturellement.

-Undecesjours,lesinfirmièresvontleprendrepourdelacrèmeglacéeetle

-Undecesjours,lesinfirmièresvontleprendrepourdelacrèmeglacéeetleservirauréfectoire.»

Ellehochalatêtesanssourire:jen’arrivaisàrien.Elleétaitvraimentdéprimée.

Jeluidemandaisiellevoulaitquelquechose.

«Pasdemédicaments.Çamefaitdormirtoutelajournée.

-Sijetedonnedesamphétamines,tuvasgrimperauxmurs.

-Génial,fit-elle.

-C’esttrèsfort.Alors,tuveuxquelquechosepournepluspenseràlapluieetàcesquatremursjaunâtres?»

Ellesecoualatête.«J’essayedenepasdormir.

-Pourquoi?»

Ellesecoualatêteànouveau.«Ilnefautpas.Ilnefautpasquejedormetrop.»

Jerépétaimaquestion.

«Parcequejerisquedenepasmeréveiller.»Elleavaitparléd’untonsecetjecomprisquejenedevaispasinsister.Ellesemontraitrarementimpatienteavecmoi,maiscettefoisj’étaisdangereusementprèsdeneplusêtrelebienvenu.

«Ilesttempsquejem’enaille,dis-je.Tuteréveilleras,net’inquiètepas.»Puisjepartisetjenelavispasdelasemaine;àlavérité,d’ailleurs,jenesongeaiguèreàelle,entrelapluieincessanteetunsuicidedanslecomtédeFordquim’ébranladurement:lavictimeétaittrèsjeuneetelleavaittoutcequ’ilfallaitpourvivre,àmonavis.Maisellen’étaitpasd’accordetelleavaiteulederniermotàladure.

Jepassemesweek-endsdansunecaravaneàPiedmont.Jevisseul.Toutestd’unepropretéirréprochablechezmoiparcejesuisunscrupuleuxduménage;enoutre,jemedisqu’unsoirjepourraisavoirenviederamenerunefemme.Celam’arrivemêmequelquefoisetj’yprendsparfoisduplaisir,maismonhumeurs’assombritquandellescommencentàsemêlerdevouloirmodifiermeshorairesdetravailousefaireemmenerdanslesmotelsoùjeséjourne,ouencore,commecelas’estproduitunefois,qu’ellesessayentdepersuaderledirecteurduterrain

celas’estproduitunefois,qu’ellesessayentdepersuaderledirecteurduterraindeleslaisserentrerdansmacaravaneenmonabsence-pourm’arrangerunintérieursympa.Unintérieur«sympa»,çanem’intéressepas.C’estsansdoutedûàlamortdemamère;soncanceretlefaitqu’ilm’afallutenirlamaisonpourmonpèreexpliquentprobablementquejesoisunmaniaquedelapropreté.Thérapeute,soigne-toitoi-même.

Lesjourspassèrent,pleinsdepluie,d’autoroutesetdegensdéprimantsetdéprimésàenperdrelatête;lesnuitspassèrent,pleinesdetélévision,desandwichesetdelitsdemotelsauxfraisdel’État;puislemomentvintderetourneràlamaisondereposducomtédeMillardoùm’attendaitElaine.C’estalorsquejepensaiàelleetquejem’aperçusqu’ilpleuvaitdepuisplusd’unesemaine.J’achetaiunecassettedeCoplandinterprétéparCopland;elledemandaittoujoursdescassettesparcequ’ellesétaientcourtes;leshuitpistesn’enfinissaientpasdetourner,àlarendrefolle.

«Qu’est-cequivousaretenu?fit-elled’unevoixtendue.

-UncruelducdeTransylvaniem’aenfermédansunecage;jenemesuraisqu’unmètreetj’étaissuspenduau-dessusd’unbassinremplidecrocodiles.J’aiforcélaserrureaveclesdents;heureusement,lescrocodilesn’avaientpasfaim.Ettoi,qu’as-tufait?

-Jeneplaisantaispas.Vousn’avezpasunemploidutempsàsuivre?

-Jelerespecte,Elaine.Noussommesmercredi;j’étaisicimercredidernier.Cetteannée,Noëltombeunmercredietjeserailà.

-J’ail’impressionquec’estdansunan.

-Dixmois,pasplus,d’iciNoël.Elaine,tuesunvrairabat-joie.»

Ellen’avaitpasenviederire.Ilyavaitdeslarmesdanssesyeux.«Jen’enpeuxplus,dit-elle.

-Jeregrette.

-J’aipeur.»

Etc’étaitvrai:savoixtremblait.

«Lanuitetaussilejour,chaquefoisquejem’endors.Jesuisjusteàlabonne

«Lanuitetaussilejour,chaquefoisquejem’endors.Jesuisjusteàlabonnetaille.

-Pourquoi?

-Commentça,pourquoi?

-Tuviensdedirequetuétaisjusteàlabonnetaille.

-Ahbon?Oh,jenesaispascequejevoulaisdire.Jedeviensfolle.C’estbienpourçaquevousêtesici,non?Pourm’empêcherdedégringoler.C’estlapluie.Jenepeuxrienfaire,jenevoisrienettoutcequej’entends,lestroisquartsdutemps,c’estlebruitdelapluie.

-Commedansl’espace»,fis-jeenmeremémorantsaréflexiondelafoisprécédente.

Elleavaitapparemmentoubliénotrediscussion;elleeutl’airintriguée.«Commentlesavez-vous?

-C’esttoiquimel’asdit.

-Iln’yapasdebruitdansl’espace.

-Ah!

-Iln’yapasd’air.

-Jesais.

-Alors,pourquoiavez-vousdit:“Ah,biensûr”?Cesontlesmoteurs.Onlesentenddanstoutlevaisseau.Çafaitunbourdonnementcontinu,exactementcommelapluie.Saufqu’auboutd’unmomentonnel’entendplus.Çadevientcommedusilence.

C’estAnansaquimel’aexpliqué.»

Encoreuncompagnondesoninvention.D’aprèssondossier,elleavaitgardésescamaradesimaginaireslongtempsaprèsquelesautresenfantslesavaientoubliés.C’étaitpourcelaqu’onmel’avaitconfiée,àl’origine:pourladébarrasserdesesamis.

Grognon,lecochonenglace,Howard,lepetitgarçonquitapaitsurtoutlemonde,SueAnn,quiapportaitsespoupéesetjouaitavecellesenleurfaisantfairecequ’Elainedemandait,Fuchsia,quihabitaitaumilieudesfleursetnemesuraitqu’unedizainedecentimètres,etj’enpasse.Aprèsquelquesséances,j’avaiscomprisqu’ellelessavaitinventés,maisilsl’aidaientàtuerletemps.

Ilssortaientd’ellemêmeetagissaientàsaplace.Àmonsens,ilsneluifaisaientpasdemal,etanéantircemondeimaginairenepouvaitquerenforcersasolitudeetlarendreplusmalheureuse.

Ellen’étaitpasfolle,c’étaitcertain,pourtantjecontinuaisàlavoir,etcen’étaitpasuniquementàcausedel’affectionquejeluiportais;jemedemandaisaussisiellem’avaitjouélacomédieenaffirmantsavoirquesescamaradesn’étaientpasréels.Anansaétaitunenouvelle.

«Quiest-ce,Anansa?

-Bah,çanevousintéressepas.»Ellen’avaitpasenviedeparlerd’elle,çacrevaitlesyeux.

«Si,çam’intéresse.»

Elledétournalevisage.«Jenepeuxpasvousobligeràvousenaller,maisj’aimeraisenêtrecapablequandvousdeveneztropcurieux.

-C’estmontravail.

-Votretravail!»Ilyavaitduméprisdanssavoix.«Tous,vousn’arrêtezpasdecourirsurvosbellesjambesbiensolidespourfairevotretravail!»

Querépondre?«C’estnotrefaçonderestervivants.Jefaiscequejepeux.»

Àcetinstant,uneétrangeexpressionpassadanssonregard.

J’aiunsecret,semblait-elledire,etj’aimeraisquetumel’arraches.

«Jepourraispeut-êtretrouveruntravailmoiaussi.

-Peut-être.»Jecherchaicequ’ellepourraitfaire.

«Ilyatoujourslamusique.»

«Ilyatoujourslamusique.»

Jememépris.«Tunepeuxpasjouerdebeaucoupd’instruments.C’estcommeça.»Lapetitedosederéalitéindispensable.

«Neditespasdebêtises.

-D’accord;jenerecommenceraiplus.

-Jeveuxdirequ’ilyatoujourslamusiquedemontravail.

-Etc’estquoi,commetravail?

-Vousaimeriezbienlesavoir,hein?»dit-elleenprenantunairmystérieuxpuisendétournantlevisage.Danslecasd’uneadolescentenormale,j’auraispenséqu’ellemefaisaitducharme.

Maisilyavaitunautreélémentsous-jacent,commeunsentimentdedésespoir.Elleavaitraison:j’auraisvraimentaimélesavoir.

Jefabriquaiunehypothèseassezlogiqueenraboutantlesdeuxsecretsqu’elleessayaitdemefairepercer.

«QuelgenredetravailvatedonnerAnansa?»

Ellemeregarda,ahurie.«Alorsc’estvrai.

-Qu’est-cequiestvrai?

-Çameterrifie.Jen’arrêtepasdemerépéterquec’estunrêve,maisc’estlaréalité,n’est-cepas?

-Quoidonc?Anansa?

-Vouscroyezquec’estundemescompagnonsimaginaires,maiseuxneviennentpasdansmesrêves,pascommeça.

Anansa…

-Oui?

-Ellechantepourmoiquandjedors.»

Monespritbienentraînédepsychologueévoquaaussitôtdesfiguresmaternelles.«Biensûr,dis-je.

-Elleestdansl’espaceetellechantepourmoi.Vousn’encroiriezpasvosoreilles.»

Celamerappelalacassettequejeluiavaisachetée.Jelaluimontrai.

«Merci,dit-elle.

-Derien.Tuveuxl’écouter?»

Elleacquiesça.J’insérailacassettedanslemagnétophone.

AppalachianSpring.Ellebalançaitlatêteenrythmeetjel’imaginaiendanseuse:elleavaitlesensdelamusique.

Maisauboutdequelquesminutesellecessadesebalanceretsemitàpleurer.

«Cen’estpaspareil,fit-elle.

-Tuasdéjàentenducemorceau?

-Arrêtezlacassette.Arrêtez-la!»

Jecoupail’appareil.«Jem’excuse,dis-je.Jepensaisqueçateplairait.

-Ettoujourslaculpabilité,rienquelaculpabilité.Vousvoussenteztoujourscoupable,hein?

-Presquetoujours,oui»,répondis-jed’untonenjoué.Pasmaldemespatientsmejettentdujargondepsychologueàlafigure-oudesrépliquesdesoap-opera.

«C’estmoiquim’excuse,reprit-elle.C’estque…cen’estpaslamusique.Cen’estpaslavraiemusique.Maintenantquejel’aientendue,toutparaîtsombreàcôté.Commelapluie,toutegrise,lourdeetindécise,commesilecompositeuressayaitdevoirlescollinesmaisquelapluieluibouchaittoujourslepaysage.Pendantquelquesminutes,j’aieul’impressionqu’ilyétaitarrivé.

-Lamusiqued’Anansa?»

Ellehochalatête.«Jesaisquevousnemecroyezpas,maisjel’entendsquand

Ellehochalatête.«Jesaisquevousnemecroyezpas,maisjel’entendsquandjedors.Elleditquec’estleseulmomentoùellepeutcommuniqueravecmoi.Pasparlaparole:toutpasseparseschants.Elleestdansl’espace,danssonvaisseaustellaire,etellechante.Etlanuitjel’écoute.

-Pourquoitoi?

-Pourquoiseulementmoi,vousvoulezdire?»Elleéclataderire.«Àcausedecequejesuis.Vousl’avezexpliquévous-même:parcequejenepeuxpasmedéplacer,jevisdansmonimagination.Elleditquelesliensquiunissentlesespritssonttrèsténusettrèsdifficilesàmaintenir;maislemien,elleyarriveparcequejeviscomplètementdansmatête.Elles’accrocheàmoi.Quandjem’endors,jenepeuxplusluiéchapper.

-Luiéchapper?Jecroyaisquetul’aimaisbien.

-Jenesaispascequimeplaîtenelle.J’aimebien…j’aimebienlamusique.MaisAnansaabesoindemoi.Elleveutquej’aie…elleveutmedonneruntravail.

-Àquoiressemblentseschants?»Surlemot«travail»,elles’étaitmiseàtrembleretàserefermer;j’étaisrevenusurunsujetdontellesemblaitparlervolontierspourrelancerlaconversationquis’enlisait.

«Ilsneressemblentàrien.Elleestdansl’espace,ilfaitnoir,onn’entendquelebourdonnementdesmachinesquifaitcommelapluie,etellecherchedanslapoussièreduvidepourenrapporterdeschants.Elletendses…sesdoigtsousesoreilles,jenesaispasexactement.Ellelestend,elleramènelapoussièreetleschantsetelleenfaitlamusiquequej’écoute.C’esttrèspuissant:elleditquecesontseschantsquilafontvoyagerentrelesétoiles.

-Est-elleseule?»

Elainehochalatête.«Elleabesoindemoi.

-Elleabesoindetoi…Àquoipeux-tuluiservir,alorsquetuesicietellelà-haut?»

Elainesepassalalanguesurleslèvres.«Jen’aipasenviedeparlerdeça,répondit-elled’untonquimefitcomprendrequ’elleétaitsurlepointdemelerévéler.

révéler.

-Moi,j’aimeraisbien.J’aimeraisvraimentquetum’enparles.

-Elledit…elleditqu’ellepeutm’emmener.Elleditquesij’arriveàapprendreleschants,ellepeutmesortirdemoncorps,m’emmenerlà-haut,medonnerdesbras,desjambes,desdoigts,etquejepourraicourir,danseret…»

Elleéclataensanglots.

Jeluitapotailaseulepartiedesoncorpsqu’elleautorisaitàtoucher,sonpetitventretendre.Ellerefusaitqu’onlaserrecontresoi.J’avaisessayé,plusieursannéesauparavant,etellem’avaithurléd’arrêter.Unedesinfirmièresm’avaitexpliquéqu’autrefoissamèrelaserraittoujourscontreelle;aujourd’hui,Elainevoulaitrendrel’étreinte-etellenepouvaitpas.

«Ilesttrèsjoli,tonrêve,Elaine.

-Ilesthorrible,oui!Vousn’avezdoncpascompris?Jeseraicommeelle!

-Etcommentest-elle?

-Elleestlevaisseau.Elleestlevaisseaustellaire.Etelleveutquejelarejoignepourdevenirlevaisseauavecelleetpourquenousvoyagionsdansl’espaceenchantantpendantdesmilliersetdesmilliersd’années.

-Cen’estqu’unrêve,Elaine.Ilnefautpasenavoirpeur.

-Onleluiafait,onluiacoupélesbrasetlesjambes,etonl’abranchéeaumilieudemachines.

-Maispersonnenevatemettredansunemachine.

-Jeveuxallerdehors,dit-elle.

-Impossible:ilpleut.

-Saletédepluie!

-Oui,c’estcequejedistouslesjours.

-Jen’aipasenviederire!Ellem’aspiretoutletempsmaintenant,mêmequand

-Jen’aipasenviederire!Ellem’aspiretoutletempsmaintenant,mêmequandjesuisréveillée.Elleessayedem’emmener,ellem’endort,ellechanteetjelasensquim’aspire,quim’attire.

Sijepouvaisallerdehors,jepourraisrésister.Jesuissûrequejetiendraissijepouvais…

-Hé,ducalme!Attends,jevaistedonnerun…

-Non!Jeneveuxpasdormir!

-Écoute,Elaine:cen’estqu’unrêve.Ilnefautpastelaisserbouleversercommeça.Lapluiet’empêchedesortir,c’estellequiterendsomnolenteet,ducoup,tufaistoujourslemêmerêve.

Maisnetebraquepas;c’estunbeaurêve,dansunsens.Pourquoinepastelaisseremporter?»

Elletournaversmoiunregardterrifié.

«Vousêtesfou!Jeneveuxpasm’enaller.

-Non,biensûr,jeneveuxpasquetut’enailles,maistunet’eniraspas,tucomprends?C’estunrêve,deflottercommeçaentrelesétoiles…

-Elleneflottepas:ellefoncetellementvitequej’enailevertigequandellememontre.

-Alors,acceptelevertige.Dis-toiquec’esttonespritquiatrouvélemoyendetefairecourir.

-Vousnecomprenezpas,monsieurlethérapeute.Jepensaisquevouscomprendriez.

-Jefaisdesefforts.

-Sijeparsavecelle,jemeurs.»

«Quiluifaitlalecture?demandai-jeàl’infirmière.

-Toutlepersonneletdesbénévolesdelaville.Ilsl’aimentbien.Ilyatoujoursquelqu’unpourluifairelalecture.

quelqu’unpourluifairelalecture.

-Ilfaudraitsurveillerçadeplusprès.Quelqu’unluibourrelecrâned’histoiresdevaisseauxspatiaux,depoussièreinterstel-laireetdechantscosmiques,etelleestterrorisée.»

L’infirmièrefronçalessourcils.«Tousleslivressontsoumisànotreapprobation;ellelitcegenrederécitsdepuisdesannéesetçaneluiajamaisfaitdemal.Pourquoimaintenant?

-C’estlapluie,jesuppose.Coincéeentresesquatremurs,elleperdcontactaveclaréalité.»

L’infirmièrehochalatêted’unaircompatissant.«Jesais.

Quandelledort,ellefaitdestrucstrèsbizarres,encemoment.

-Quoiparexemple?Quelgenredetrucs?

-Ehbien,ellechanted’affreuseschansons.

-Vousvousenrappelezlesparoles?

-Iln’yenapas.Ellechantonne,sionveut,maislesmélodiessontépouvantables;onnediraitmêmepasdelamusique.Etelleprendunedrôledevoixrâpeuse,alorsqu’elledortàpoingsfermés.Elledortbeaucoup,cestemps-ci,etc’esttantmieux,jecrois.Elles’énervetoujoursquandellenepeutpassortir.»

L’infirmièreavaitmanifestementdel’affectionpourElaine.Ilétaitdifficiledenepasavoirdepeinepourquelqu’undanssonétat,maisElainedemandaitenplusàêtreaimée,etlesgensl’aimaient-ceuxquipassaientoutrel’horribleabsencedereliefdesdrapsautourdesontronc.«Écoutez,dis-je,onnepeutpasbienl’emmitoufleretlafairesortirmalgrélapluie?»

Lafemmefitnondelatête.«Iln’yapasquelapluie:ilfaitfroid,etl’explosionquil’alaisséetellequ’elleestatoutmisdetraversàl’intérieur.Ellenefonctionnepasnormalement,ellen’aaucunedéfensecontrelesmaladies;alors,l’exposeràuntempspareilrisqueraitdelatuertôtoutard.Jenetienspasàessayer.

-Danscecas,jeviendrailavoirplussouvent,répondis-je.

-Danscecas,jeviendrailavoirplussouvent,répondis-je.

Aussisouventquepossible.Elleauntrucdanslatêtequiluiflanqueuneterreurmortelle.Ellecroitqu’ellevamourir.

-Oh,lapauvrepetite!s’exclamal’infirmière.Qu’est-cequipeutbienluidonnercetteidée?

-Peuimporte.Undesescompagnonsimaginairesestentraindes’emballer.

-Vousn’aviezpasditqu’ilsétaientinoffensifs?

-C’étaitvraijusque-là.»

Aumomentdequitterlamaisondereposcesoir-là,jefisuncrochetparlachambred’Elaine.Elledormaitetj’entendissonchant.J’eneuslefrisson.JereconnaissaisçaetlàdesthèmesdelamusiquedeCoplandqu’elleavaitécoutée,maisdéformés,etlaplupartdutempslesmélodiesétaientméconnaissables-cen’étaitmêmepasdelamusique.Ellechantaitd’uneétrangevoixdetêtequichangeaitsoudainpourdevenirbasseetrauque,et,l’espaced’uninstant,j’yperçuslebourdonnementd’unénormemoteurétouffépardesparoismétalliques,transportépardemincestigesd’acier,ungrandrugissementabsorbéparunimmenseédredondenéant.JemereprésentaiElaineavecdesfilsissusdesesépaulesetdeseshanches,latêteenferméedansunboîtierdemétal,lesyeuxclos,endormie,pareilleàsonAnansaimaginaire,entraindepiloterlevaisseaustellairecommesic’étaitsonproprecorps.CedevaitêtreattirantpourElaine,enunsens;aprèstout,ellen’étaitpasnéeainsi,elleavaitdessouvenirsdegalopadesetdejeux,elleserappelaits’êtrealimentéeetvêtuetouteseule,peut-êtremêmeavoirapprisàlire,àprononcerlesmotsàmesurequesonindexsuivaitleslettres.Mêmeartificiels,lesmembresd’unvaisseauspatialrempliraientlegrandvide.

Lecentredesenfantsnesesituepasàl’intérieurdeleurcorps:ilestplacéau-dehors,aupointoùserencontrentlesdoigtsdelamaindroiteetceuxdelamaingauche.Ilsviventlàoùsetrouvecequ’ilstouchent;leurpersonnalité,c’estcequ’ilsvoient.EtElaines’étaitperduedansuneexplosionavantd’avoirpusetransféreràl’intérieurd’ellemême.Parcetétrangerêved’Anansa,ellerécupéraitunepersonnalité.

Maisunepersonnalitéeffrayantemalgrétout.Jem’assisprèsdesonlitpourl’écouterchanter;soncorpsbougeaitlégèrement,sondoss’arquaitunpeuen

l’écouterchanter;soncorpsbougeaitlégèrement,sondoss’arquaitunpeuenmesureaveclamélodie.Hautetclair,basetrauque;lestimbresalternaientetjemedemandaicequ’ilssignifiaient.Quesepassait-ilaufondd’ellepourprovoquercechant?

Sijeparsavecelle,jemeurs.

Biensûrqu’elleavaitpeur.Mesyeuxseposèrentsurleblocdechairinformequisoulevaitledrapendessousdesatêteposéesurl’oreilleretjem’efforçaidemodifiermonpointdevue,d’observersoncorpstelqu’ellelevoyait,d’au-dessus.Ildisparaissaitpresque,alors,àcausedelaperspectiveetdesacagethoraciquequiréduisaientànéantsonventreetsesesquissesdehanches.Maisellen’avaitriend’autreet,siellecroyait-commeelleensemblaitconvaincue-ques’abandonneraufantasmed’Anansaentraîneraitlamortdececorpspitoyable,lamortest-ellemoinsterrifiantepourceuxquin’ontjamaispuvivrecomplètement?J’endoute.PourElaine,entoutcas,lepeud’existencequ’elleavaitconnueavaitétéjoyeux;ellenel’échan-geraitpasvolontierscontreunevierestreinteàdeschantsetdesbrasdemétal,enferméedanssonesprit.

Maisilyavaitlapluie;rienpourellen’étaitaussiréelquelegrandair,lesarbres,lesoiseaux,lescollinesauloinetlabrisequilatouchaitavecuneviolencequ’Elainenepermettaitàpersonne.Àprésentquelapluielacoupaitdecetteréalité,del’aspectpositifdesavie,combiendetempspourrait-ellerésisteràl’attractionincessanted’Anansaetdesapromessedebras,dejambesetdechantséternels?

Suruneimpulsion,jetendislamainet,trèsdoucement,luisoulevailespaupières.

Sesyeuxdemeurèrentouverts,braquésversleplafond,sansciller.

Jeluirabaissailespaupièresetellesneserouvrirentpas.

Jeluitournailatêteetellerestatournée.Ellenes’éveillapas;ellepoursuivitsonchantcommesijen’avaisrienfait.

Catatonieoudébutdecatalepsie.Elleperdl’esprit,pensai-je;sijenelaramènepas,sijenetrouvepaslemoyendelamaintenirparminous,Anansaval’emporteretl’établissementnes’occuperaplusqued’unpaquetdechairinsensibledurantlesannéesqu’onparviendraàconserverenviecevestiged’Elaine.

«Jereviendraisamedi,annonçai-jeaudirecteur.

-Pourquoisivite?

-Elainetraverseunetrèsmauvaisepasse.»Unefemmeimaginaireveutl’emmeneraufinfonddel’espace-cela,jeletus.«Demandezauxinfirmièresdelagarderéveilléeautantquepossible;qu’onluifasselalecture,qu’onjoueavecelle,qu’onparleavecelle.Sesheuresdesommeillanuitluisuffisent;qu’elleévitelessiestes.

-Pourquoi?

-J’aipeurpourelle,c’esttout.Jecroisqu’ellerisqueàtoutinstantdesombrerdanslacatatonie.Sonsommeilestanormal;jeveuxqu’onlasurveillevingt-quatreheuressurvingt-quatre.

-C’estsigravequeça?

-Oui.»

Levendredi,letempsparutvouloirs’améliorermais,aprèsquelquesminutesàpeined’éclaircie,unenouvellemassed’énormesnuagesarrivaparlenord-ouestetcefutpirequ’avant.

Distrait,jebâclaimontravail,m’arrêtaideparleràplusieursreprisesencoursdephrase,cequifinitparagacerunedemespatientes;ellemeregardadetravers.«Vousn’êtespaspayépourruminervosproblèmesdecurquandvousdiscutezavecmoi.»

Jem’excusaietm’efforçaideluiprêterattention.C’étaitunebavardeetmespenséesnecessaientdevagabonder.Maiselleavaitraison,dansunsens:jeneparvenaisàsongerqu’àElaine;etsamentiondes«problèmesdecur»avaitdûprovoquerundéclicdansmatête.Aprèstout,larelationquej’entretenaisavecElaineétaitlapluslongueetlaplusintimequej’avaiseueavecunefemmedepuisplusieursannées-sionpouvaitconsidérerElainecommeunefemme.

Lesamedi,jeretournaidanslecomtédeMillardoùjetrouvailesinfirmièresassezaffolées:ellesavaientenfinprislamesuredusommeilexcessifd’Elaineenessayantdel’empêcherdedormir,medirent-elle.Elles’assoupissaitdeuxoutroisfoisparmatinée,davantagel’après-midi;elles’endormaitàseptheures

troisfoisparmatinée,davantagel’après-midi;elles’endormaitàseptheurestrentelesoiretneseréveillaitquedouzeheuresplustard.«Etellechantesansarrêt.C’estépouvantable!Mêmelanuit,ellenecessepasdechanteruneseuleseconde.»

Pourtant,ellenedormaitpasquandj’allailavoir.

«Jesuisrestéeéveilléepourvous.

-Merci,dis-je.

-Unevisitelesamedi…jedoisvraimentpéterlesplombs.

-Non,maistatendanceàtropdormirm’inquiète.»

Elleeutunsouriretriste.«Jen’ysuispourrien.»

Monsourirefut,jepense,plusgaiquelesien.«Etmoijecroisquec’esttoutdanstatête.

-Croyezcequevousvoulez,docteur.

-Jenesuispasdocteur.D’aprèsmondiplôme,jen’aiqu’unemaîtrise.

-Quellehauteuratteintl’eaudehors?

-Pardon?

-Avectoutecettepluie,ildoityavoirdequoifaireflotterunedizained’arches.Dieuest-ilentraindedétruirelemonde?

-Malheureusementnon.Quoiqu’ilaitnoyélemoteurdequelquesvoituresquiallaientunpeuvitedanslesflaques.

-Combiendetempsfaudrait-ilqu’ilpleuvepoursubmergerlemonde?

-Lemondeestrond:toutel’eaus’eniraitparenbas.»

Elleéclataderire.C’étaitbondel’entendrerire,maiselles’interrompittropbrusquementetmeregardad’unaireffrayé.

«Jem’envais,voussavez.

«Jem’envais,voussavez.

-Ah?

-J’aijustelabonnetaille:ellem’amesuréeetjerentreparfaitement.Elleatrouvélelogementquimeconvient,biensitué:j’entendslamusiquedelapoussièreetjepeuxapprendreàlachanter.Jem’occuperaidesmoteursdedirection.»

Jehochailatête.«Grognonlecochondeglace,c’étaitsympa,maisça,non,Elaine.

-Jen’aijamaisditqu’Anansaétaitsympa.Àpropos,Grognonexistaitvraiment:monpèrel’avaitfabriquéavecdelaglacepiléepourunrepashawaïen,maisilafonduavantqu’onsortelevraicochondelafosseàbraise.Mesamis,jenelesaipasinventés.

-Fuchsialafille-fleur?

-Mamèrecoupaitdesfleursdufuchsiaquipoussaitdevantnotreported’entrée.Onjouaitavecsurl’herbecommesic’étaientdespoupées.

-MaispasAnansa.

-Anansaestentréedansmatêtependantquejedormais.

C’estellequim’acherchée;jenel’aipasinventée.

-Tuneterendspascompte,Elaine,quec’estainsiqueleshallucinationscommencent?Ellesontl’airparfaitementréelles.»

Ellesecoualatête.«Jesaistoutça.J’aidemandéauxinfirmièresdemeliredesbouquinsdepsychologie.Anansaest…

Anansaestdifférente.Ellenepeutpasvenirdemoi;elleestautrechose;elleexiste.J’entendssamusique;ellen’estpasplatecommecelledeCopland,ellen’estpasfausse.

-Elaine,mercredi,pendantquetudormais,tuétaisentraindetomberencatatonie.

-Jesais.

-Jesais.

-Tusais?

-J’aisentiquevousmetouchiezetquevousmetourniezlatête.J’auraisvouluvousparler,vousdireadieu,maisellechantait,vouscomprenez?Ellechantait,etmaintenantellemepermetdechanteravecelle.Quandjel’accompagne,jemesenspartirversellecommeunearaignéelelongd’unfil.Dansl’obscurité;c’esttrèsloindetout,là-bas,c’esttoutnoiretilfaitfroid,maisjesaisqu’auboutdufilelleseralà,qu’elleseramonamiepourtoujours.

-Tumefaispeur,Elaine.

-Iln’yapasd’arbresdanssonvaisseau;c’estcequimefaitm’accrocherici:jepenseauxarbres,auxcollines,auxoiseaux,àl’herbeetauvent,etjemedisquejeperdraistoutça.Alorselleestencolèreaprèsmoi,etunpeutristeaussi.Maisçamepermetderesterici.Saufquemaintenantj’aidumalàmerappelerlesarbres;j’essaye,etc’estcommesijecherchaisàrevoirlevisagedemamère.Jemesouviensdesarobe,desescheveux,maissonvisageadisparu.Mêmequandjelaregardeenphoto,c’estuneinconnue.Lesarbressontdesinconnuspourmoi,maintenant.»

Jeluicaressailefront.Elleécartad’abordlatête,puislaramena.

«Excusez-moi,dit-elle.D’habitude,jen’aimepasqu’onmetouchelà.

-Jeneleferaiplus.

-Non,allez-y.Çanemedérangepas.»

Jeluicaressaidonclefront.Lapeauétaitfraîcheetsèche,etElainesoulevalatêtepresqueimperceptiblementpourserapprocherdemamain.L’expressiondelavieilledamemerevintsoudain:desproblèmesdecur.JetouchaisElaineetjemevisentraindeluifairel’amour.Jechassaiaussitôtcettepensée.

«Retenez-moi,dit-elle.Empêchez-moidepartir.J’aitropenviedepartir,maisjenesuispasfaitepourça:j’ailabonnetaillemaispaslabonneforme.Cenesontpasmesbras;jesaistrèsbienqueleffetmefaisaientmesbras.

-Jeteretiendraisijepeux,maisilfautm’aider.

-Jeneveuxpasdedrogues;ellesm’arrachentàmoncorps.

-Jeneveuxpasdedrogues;ellesm’arrachentàmoncorps.

Sivousm’endonnez,jevaismourir.

-Alorsquepuis-jefaire?

-Retenez-moipartouslesmoyens,c’esttout.»

Puisnousdevisâmesdebêtisesparcequenousétionstropsérieuxetonauraitditqu’ellen’avaitpaslemoindresouci.Nousfinîmesparparlerdelamesse.

«Jenesavaispasquetuétaiscroyante,dis-je.

-Jenesuispascroyante,maisqu’est-cequ’onpeutfaired’autreledimanche?Lesfidèleschantentdescantiquesetjelesaccompagne.Dimanchedernier,j’aientenduunsermonquim’atourneboulée:lepasteurracontaitleChristausépulcre,ildisaitqu’ilyétaitrestétroisjoursavantquel’angelelibère;jemesuisimaginécequec’avaitdûêtredesetrouverenferméaufondd’unegrotte,danslenoir,complètementseul.

-L’angoisse.

-Non,pasvraiment.C’amêmedûêtreréjouissantpourlui-

enfin,siças’estvraimentproduit:allongésursapierre,àsedire:Onmecroitmort,maisjesuislà.Jenesuispasmort!

-Àt’écouter,ilfaitunpeucontentdelui.

-Etpourquoipas?Jemedemandesij’auraislamêmeimpressionsij’étaisavecAnansa.»

EncoreAnansa.

«Jesaiscequevouspensez.Vouspensez“EncoreAnansa”.

-Exact,répondis-je.J’aimeraisquetul’effacesetquetuenreviennesàdesamismoinsdangereux.»

Elleeutsoudainuneexpressionfurieuse.

«Croyezcequevousvoulez,maisfichez-moilapaix!»

«Croyezcequevousvoulez,maisfichez-moilapaix!»

Jevoulusm’excusermaisellerefusadem’écouter;ellepersis-insistantauprèsdupersonnelpourqu’onl’empêchedetropdormir.Lesinfirmièresparaissaientinquiètesellesaussi:toutcommemoi,ellesvoyaientleschangementsquis’opéraientenElaine.

Cesoir-là,commej’étaisdanslecomtédeMillardpourleweek-end,j’appelaiBelinda.Ellen’étaitpasmariéenirienpourlemoment;elleserenditàmonmotel,nousdînâmes,nousfîmesl’amour,puisnousregardâmeslatélé.Enfin,elleregardalatélépendantquejeréfléchissais,allongésurlelit;c’estpourquoi,quandlamireapparutetqueBelindaseleva,embruméeparlabièreetpassionnée,jepensaisencoreàElaine.Pendantqu’ellem’embrassait,mecaressaitetmesoufflaitdesstupiditésàl’oreille,jem’imaginaisansbrasnijambesetjedemeuraiimmo-bilesaufdelatête.

«Qu’est-cequ’ilya?Tun’aspasenvie?»

Jemeressaisis:paslapeinededécevoirBelinda.Aprèstout,c’étaitmoiquil’avaisinvitée;j’avaisuneresponsabilité-

quoiquepasbiengrande,etc’étaitbiencequimetourmentait.Jefisl’amouràBelinda,lentement,méticuleusement,maislesyeuxfermés:jenecessaidesurimposeràsonvisageceluid’Elaine.

Desproblèmesdecur.C’étaientlesdoigtsdeBelindaquimontaientetdescendaientlelongdemondos,maisjemevoyaisfairel’amouràElaine-etsesmoignonsdebrasetdejambesm’inspiraientmoinsderévulsionquejenel’auraispensé;plutôtdelatristesse,unprofondsentimentdeperte,d’échec,commesiElaineétaitmortealorsquejepouvaislasauver,telleprincedescontesdefées;unbaiser,sisymbolique,etlaprincesses’éveillepourvivreheureuse.Etcebaiser,jenel’avaispasdonné.Jel’avaistrahiepardéfaut.Quandnouseûmesfini,jememisàpleurer.

«Oh,monpauvrechéri!s’exclamaBelindad’unevoixpleinedecompassion.Qu’est-cequit’arrive?Non,nemedisriensituneveuxpas.»Ellemeserraaucreuxdesesbrasetjem’endormisenfin,latêtecontresapoitrine.Ellecroyaitquej’avaisbesoind’elle.Cefutpeut-êtrevrai,brièvement.

JeneretournaipasvoirElaineledimanchesuivantcommeprévu;jepassailajournéeàmedécider,puisàmeraviser.Aulieudesortirdumotel,jerestais

journéeàmedécider,puisàmeraviser.Aulieudesortirdumotel,jerestaisassisàregarderl’incroyabledéfilédesépouvantablesémissionsdudimanchematin;etquandjesortisenfin,bienrésoluàmerendreàlamaisonderepospourvoircequ’Elainedevenait,jemeretrouvai,mesbagagesdanslecoffre,surlaroutedemacaravane,oùjem’assisànouveaupourregarderlatélévision.

Qu’est-cequim’empêchaitd’allerlavoir?

Retenez-moi,avait-elledit,partouslesmoyens.

Etjepensaisconnaîtrelemoyen.C’étaitbienleproblème.Aufonddemoi,lasituationétaittropréelleetlescontesdeféessetrompaient:leprincen’éveillaitpaslaprincessed’unbaiser,ill’éveillaitd’unepromesse:danssesbras,ellenecraindraitjamaisrien.Elles’éveillaitpourvivreheureuse;siellen’avaitpasétésûrequ’ildisaitlavérité,laprincesseauraitpréférédormirpourtoujours.

Qu’est-cequ’Elaineattendaitdemoi?

Etpourquoienavais-jepeur?

Cen’étaitpasmonboulot.Unprofessionnelnes’impliquepasémotionnellementavecunpatient.

D’unautrecôté,jen’avaisjamaisétéunprofessionnel.Jefinisparallermecoucherenregrettantl’absencedeBelindaetduréconfort,simincesoit-il,qu’ellepouvaitm’apporter.Pourquoitouteslesfemmesn’étaient-ellespascommeelle,douces,affec-tueusesetpeuexigeantes?

Pourtant,alorsquejem’assoupissais,c’étaitElainequejerevoyaisetc’estsonvisageetsonhideuxmoignondecorps,reprochevivant,quimehantèrentdansmesrêves.

Etellemehantaitencorelorsdemestournéesdulundietdumardi;enfincefutmercredietj’avaistoujourspeurd’alleràlamaisondereposdeMillard.Jenem’yrendisquel’après-midi;c’étaitlafindejournée,lapluietombaitplusfortquejamais,ilyavaitdeslacsdansleschampsetdestorrentsroulaientdanslescaniveauxtropétroitsdelaville.

«Vousêtesenretard,meditledirecteur.

-C’estlapluie,répondis-je,etilhochalatête,maisilavaitl’airsoucieux.

-Nousespérionsvousvoirhiermaisvousétiezinjoignable.

C’estElaine.»

Etjecomprisquemonretardavaitatteintsonsinistrebut,commejel’avaisprévu.

«Ellenes’estpasréveilléedepuislundimatin.Elleestdanssonlitetellechante.Onl’aplacéesousperfusionmaisellecontinueàdormir.»

Elledormait,eneffet.Jefissortirtoutlemondedesachambre.

«Elaine»,dis-je.

Rien.

Jerépétaisonnomplusieursfois,jelatouchai,jefispivotersatêteàdroiteetàgauche;ellerestaitdanslapositionoùjelapla-

çais.Etlechantsepoursuivait,toutbas,aigupuisgrave,purpuisrocailleux.Jeluicouvrislabouche:ellecontinuadechantercommesiderienn’était.

Jerepoussailedrapetluipiquaileventreavecuneépingle,puislachairfineprèsdelaclavicule:aucuneréaction.Jelagiflai:aucuneréaction.Ellen’étaitpluslà.Jelarevisbranchéesurlevaisseaumais,cettefois,jecomprismieux:cen’étaitpassoncorpsquiavaitlabonnetaille:c’étaitsonesprit.Etsonespritavaitsuivilemincefild’araignéeafinderejoindreAnansaquil’attendaitpourluidonneruncorps.

Untravail.

Lesélectrochocs?Jel’imaginai,déjàdifforme,sursauterets’arquersousl’effetdel’électricité;non,jen’arriveraisqu’àtorturerunechairinconsciente.Lachimie?Jenevoyaisaucunmédicamentsusceptibledelaramenerdesonexil.Enunsens,mesemble-t-il,jecroyaismoiaussiàAnansa,àcemoment-là;jel’appelai.«Anansa,relâchez-la.Laissez-larevenirauprèsdemoi;jevousenprie,j’aibesoind’elle.»

Pourquoiavais-jepleurédanslesbrasdeBelinda?Ahoui!

Parcequej’avaisvulaprincesseetquejenel’avaispaséveillée,parcequelui

Parcequej’avaisvulaprincesseetquejenel’avaispaséveillée,parcequeluioffriruneexistenceheureusereprésentaitunboulotdudiable.

Jen’agispassouslechocdesadisparition;cenefutpasunactedepassion,depeursoudainenidechagrin.Non,jerestaiassisauprèsd’elledesheuresdurantàcontemplersoncorpsdébileetimpuissant,àprésentsivide;jevoulaisvoirsesyeuxs’ouvrirtoutseuls,lavoirs’éveilleretl’entendremedire:«J’aifaitunrêvepascroyable.»L’entendremedire:«Jevousaibieneu,hein?J’aifailliréagirquandvousm’avezpiquée,maisjevousaieu.»

Non,ellenefeignaitpas.

Aussi,souslecoupnondelapassionmaisdudésespoir,jemelevaipuismepenchaisurelle,posaimesmainsdepartetd’autredesonvisage,appuyaimajouecontrelasienneetluiparlaiàl’oreille;jeluipromistoutcequimepassaitparlatête:lebeautempspourtoujours,desarbres,desfleurs,descollines,desoiseauxetduventautantqu’elleenvoudrait.Jeluipromisdel’emmenerdelamaisonderepospourvoirdeschosesdontellen’avaitpuquerêverjusque-là.

Etenfin,lavoixenrouéeàforcedelasupplier,lajouecontresescheveuxmouillésdemeslarmes,jeluifislaseulepromessequipouvaitlaramener:jemepromisàelle.Jeluipromisunamouréternel,plusfortquetousleschantsd’Anansa.

C’estalorsquelechantmonstrueuxsetut.Ellenes’éveillapasmaislechants’éteignit,etellebougeadesaproprevolonté;satêtesetournadecôtéetelleparutpasserdansunsommeilnormaletnonpluscatatonique.Jedemeuraiàsonchevettoutelanuit;jem’endormisdanslefauteuiletuneinfirmièreétenditunecouverturesurmoi.Aumatin,lavoixd’Elainemetirademonassoupissement.

«Vousêtesvraimentunsalementeur!Ilpleuttoujours!»

J’éprouvaisunsentimentdepuissanceàsavoirquej’avaisrappeléquelqu’und’unséjourplusténébreuxqueceluidesmorts.Elleavaituneviepénibleetpourtantmapromessededévouementsuffisaitapparemmentàcompensersessouffrances;tellefutdumoinsmonanalyseet,toutàmonexultation,jerestaiaveugleetsourdàcequis’étaitréellementpassé.

Jen’étaispasleseulàmeréjouir:lesinfirmièresétaientauxpetitssoinsavecElaineetledirecteurm’assuraqu’ilallaitrédigerunrapportélogieux.«Écrivezunarticle,medit-il.

-C’esttroppersonnel»,répondis-je.Mais,dansunobscurrecoindemonesprit,jecherchaisdéjàunmoyendefairepublierlecas,d’entirerunavantagepourmacarrière.J’avaishontedemevoirdétournerunengagementsincère,sansarrière-pensée,àmonprofitpersonnel;maisj’étaisincapabledemépriserlesoudainrespectquememanifestaientdesgenspourqui,quelquesheuresplustôt,jen’étaisqu’unindividuordinaire.

«C’esttroppersonnel,répétai-jed’untonferme.Jen’aipasl’intentiondepublier.»

Et,àmongranddégoût,jemesurprisàsavourerl’admirationquecettedécisioninspiraitaudirecteur.Impossibled’échapperàl’autosatisfactionquienflaitenmoitantquejeresteraisaumilieudegensquitenaientàmepayerenclinquant;enpsychologueavisé,jemetournaiverslaseulepersonnesusceptibledemedonnerdelareconnaissanceplutôtquedescoupsd’encensoir.Lareconnaissancequejemérite,medis-je.J’allaivoirElaine.

«Salut,fit-elle.Jemedemandaisoùvousétiezpassé.

-Jen’étaispasloin;jebavardaisaveclesreprésentantsduprixNobel.

-Ilsveulentvousrécompenserdem’avoirramenée?

-Ohnon:ilsavaientprévudemedécernerleprixpouravoircontactéuneespèceextraterrestredufinfonddel’espace,mais,commej’aifoirél’affaireenteramenant,ilssontassezénervés.»

Elleeutl’airdémontée.Cen’étaitpassongenre:d’habitude,elleavaitlarepartiefacile.«Maisqu’est-cequ’onvavousfaire?

-Meplongerdansl’huilebouillante,sansdoute.C’estlaprocédureordinaire.Àmoinsqu’ilsaienttrouvélemoyendemefairefrireàl’énergiesolaire;c’estmoinscher.»Laplaisanterieétaitfaiblemaisellenelarelevapas.

«Cen’estpascequ’elleavaitdit…elleavaitditquec’était…»

Elle.Jem’efforçaideresterinsensibleàlaterreursourdequimetordaitsoudainl’estomac.Analyse,medis-je.«Elle»,çapeutêtren’importequi.

«Elle?Qui?»demandai-je.

«Elle?Qui?»demandai-je.

Elainesetut.Jeluitouchailefront:ilétaitcouvertdetranspi-ration.

«Qu’ya-t-il?Tuasl’airbouleversée.

-J’auraisdûlesavoir.

-Savoirquoi?»

Ellesecoualatêteetdétournalevisage.

J’avaiscompris,medis-je.J’avaiscomprisleproblèmemaisilyavaitsûrementmoyendefaireface.«Elaine,tun’espascomplètementguérie,c’estça?Tun’espasencoredébarrasséed’Anansa,n’est-cepas?N’essayepasdem’épargner.C’estvrai,j’auraisaimétevoirsortied’affairemaisc’auraitététropbeau;jenefaispasdemiracles.Nousavonsprogressé,c’esttout.Noust’avonstiréedetacatalepsie;nousfinironsbienpartelibérerd’Anansa.»

Ellesetaisaittoujours,leregardtournéverslafenêtregrisedepluie.

«Netefatiguepasàfairesemblantd’êtreguérie.C’étaittrèsgentildetapartetçam’abienremontélemoralpendantunmoment,maisjesuisadulte;cen’estpasunepetitedéceptionquivam’abattre.D’ailleurs,tuesréveillée,tuesrevenueparminousetc’esttoutcequicompte.»Adulte,tuparles!J’étaishorriblementdéçu,ethonteuxenplusdem’exprimerdefaçonaussimalhonnête.Jenel’avaispasguérie,jen’étaispasunhéros,niunmagicien,niunchampion;rienqu’unpsychologuesansriend’exceptionnel,finalement.

Maisjerefusaidetropprêterl’oreilleàcesémotions.Soisprofessionnel,medis-je;elleabesoindetonaide.

«Alorsnevapastesentircoupable.»

Ellemeregarda,lesyeuxpleinsdelarmes.«Coupable?»Ellesouritpresque.«Coupable.»Ellenemequittaitpasduregard,bienqu’elledûtmevoirbrouilléàcausedeslarmesquiperlaientsursescils.

«Tuasessayédefairecequ’ilfallait,repris-je.

-Vouscroyez?Vraiment?»Elleeutunsourireamer,unsourireétrange,et,durantunaffreuxinstant,ellecessaderessembleràmonElaine,àmajeune

durantunaffreuxinstant,ellecessaderessembleràmonElaine,àmajeunepatientesibrillante.«Jevoulaisresteravecelle,fit-elle.Jelavoulaisprèsdemoi,ellesivivanteet,quandenfinelles’estintégréeauvaisseau,qu’elles’estmiseàchanter,àdanser,àbougerlesbras,jemesuisdit:Voilàcequ’ilmefallait;voilàcequejedésiraissifortpendanttouscessièclesquej’aipassésperduedansleschants.Maisàcetinstantjevousaientendu,vous.

-Anansa!soufflai-jeencomprenantsoudainàquijeparlais.

-Jevousaientendul’implorer.Croyez-vousquej’aieprismadécisionsuruncoupdetête?Ellevousentendaitelleaussi,maisellenevoulaitpasrepartir.Ellen’auraittroquésesnouveauxbrasetsesnouvellesjambescontrerienaumonde;c’étaittropneufpourelle.Maismoij’enavaisprofitéassezlongtemps;cequejen’avaispaseu,c’était…vous.

-Oùest-elle?

-Là-haut.Ellechantemieuxquejen’aijamaischanté.»Ellepritl’airmélancolique,puiselleeutunsourirelugubre.«Etmoijesuisici.Maisj’aifaitunemauvaiseaffaire,n’est-cepas?Jenevousaipastrompéetvousn’allezpasvouloirdemoi:c’estElainequevousvouliezetellen’estpluslà.Jel’ailaisséeseulelà-haut.Pendantlongtemps,çaluiseraégal.Maisunjour…unjourellecomprendra;ellecomprendraquejel’aibernée.»

C’étaitlavoixd’Elaine,letragiquepetitcorpsd’Elaine,maisjesavaisdésormaisquej’avaiséchoué:Elaineétaitpartiedansl’espaceinfinioùl’espritsecachepours’échapperàlui-même.

Et,àsaplace…Anansa,uneinconnue.

«Vousl’avezbernée?Commentça?

-Riennechange.Auboutd’unmomentonconnaîttousleschantsetilsnechangentjamais.Riennebouge.Onavance,onavanceéternellementjusqu’àcequetouteslesétoiless’éteignent,etriennebouge.»

Jemepassailamaindanslescheveux.Lecontactdemesdoigtstremblantsmesurprit.

«MonDieu!»fis-je.Cen’étaitqu’uneexclamation,pasuneprière.

«Vousmehaïssez»,dit-elle.

«Vousmehaïssez»,dit-elle.

Moi,lahaïr?Haïrmapetitefolled’Elaine?Ohnon!Mahaineavaitunautreobjet:lapluie;lapluiequil’avaitcoupéedetoutcequiassuraitsasantémentale.Jehaïssaissesparentsquinel’avaientpaslaisséeàlamaisonlejouroùleurvoiturelesavaitconduitsàlamort.Maissurtoutjemerappelaislesjourspassésàmecacherd’elle,lesjourspassésàrésisteràsesbesoins,àfairesemblantdel’avoiroubliée,denepaspenseràelle,denepasavoirbesoind’elle.Elleavaitdûsedemandercequimeretenait,avantderenonceràl’espoir,decomprendrequepersonnenelaretiendrait;alorselleétaitpartieet,quandj’étaisenfinarrivé,c’étaitAnansaquim’attendaitdanssoncorps,l’amieimaginairequiavaitprisvied’effrayantefaçon.Jesavaisquijedevaishaïr.J’eusl’impressionquej’allaispleurer,j’enfouismêmemonvisagedansledrap,làoùauraitdûsetrouversajambe,maisleslarmesnevinrentpas.Jerestaiprostré,ledraprêchecontremafigure,etjememaudisdetoutemonâme.

Lorsqu’elleparla,savoixétaitcommeunemaindouce,unemainsuppliantequimetouchait.«Jerépareraissijelepouvais,dit-elle.Maisjenepeuxpas:elleestpartieetjesuisici.Jesuisvenueàcausedevous;jesuisvenuevoirlesarbres,l’herbe,lesoiseauxetvotresourire.Lavieheureusedescontesdefées;c’estpourçaqu’ellevivait,voussavez,rienquepourça.S’ilvousplaît,souriez-moi.»

Jesentisdelachaleursurmescheveux;jerelevailatête:iln’yavaitplusdepluieàlafenêtre.Unrayondesoleilescaladaitdesplisdudrap.

«Allonsdehors,dis-je.

-Ilnepleutplus.

-C’estunpeutard,non?répondis-je,maisjeluisouris.

-Vouspouvezm’appelerElaine,fit-elle.Vousnedirezrienàpersonne,n’est-cepas?»

Jesecouailatête.Non,jeneparleraispas;ellenecraignaitrien.Jeneparleraispasparcequ’alorsonlatransféreraitlàoùlespsychiatresrégnentsansensavoirassezpourguérir.Jel’imaginaienferméeavecd’autresquis’étaientenfuiseuxaussidelaréalitéetjecomprisquejenepourraisriendireàquiconque.Jecomprisaussiquejeseraisincapabled’avouermonéchecavantlongtemps.

D’ailleurs,jen’avaispascomplètementéchoué;ilrestaitdel’espoir.Elainen’avaitpastotalementdisparu;elleétaitencorelà,dissimuléedanssapropretête,masquéeparcettepersonneimaginairequ’elleavaitcrééepourprendresaplace.Unjour,jelatrouveraisetjelaramèneraischeznous.Aprèstout,mêmeGrognonlecochondeglaceavaitfiniparfondre.

Jem’aperçusqu’ellefaisaitnondelatête.«Vousnelaretrou-verezpas,dit-elle.Vousnelaramènerezpas;jenefondraijamais.Elleestbeletbienpartieetvousn’auriezrienpufairepourl’enempêcher.»

Jesouris.«Elaine»,fis-je.Etjeprisalorsconsciencequ’elleavaitréponduàdespenséesquejen’avaispasexprimées.

«C’estça,reprit-elle,soyonshonnêtesl’unenversl’autre.Detoutefaçon,vousn’avezpaslechoix:vousnepouvezpasmementir.»

Jesecouailatête.L’espaced’uninstant,égaré,désespéré,j’yavaiscru,j’avaiscruàlaréalitéd’Anansa;maisc’étaitabsurde.

Elainen’avaitaucunmalàdéchiffrermespensées,naturellement:ellemeconnaissaitmieuxquemoi-même.

«Sortons»,dis-je.Unratéetuneinfirmequiallaientprendrelesoleil,lequelréchauffaitimpartialementlejusteetl’injustifiable.

«Çam’estégal,dit-elle.Choisissezcequivousplaît:ElaineouAnansa.Peut-êtrevaut-ilmieuxquevouspersistiezàchercherElaine;peut-êtrevaut-ilmieuxquevousvouslaissiezbercerd’illusions.»

Lepluséprouvant,danslesfantasmesdesmaladesmentaux,c’estqu’ilssontépouvantablementcohérents;ilsnecèdentjamais,ilsnevouslaissentpastranquilleuneseconde.

«JesuisElaine,fit-elleensouriant.JesuisElainequifaitsemblantd’êtreAnansa.Vousm’aimezetc’estpourçaquejesuisvenue;vousavezpromisdemerameneretvousl’avezfait.

Conduisez-moidehors:vousavezfaitcesserlapluiepourmoi,vousaveztenutoutesvospromesses,jesuisrevenueetjevousprometsdenejamaisvousquitter.»

Ellenem’apasquitté.Jevienslavoirtouslesmercredisdanslecadredemontravail,etlesamedietledimanchedanslecadre,leplusagréable,demaviepersonnelle.Nousallonsparfoisfaireuntourenvoiture,nousbavardonssansfin,jeluifaislalectureetjeluiapportedeslivresquejechargelesinfirmièresdeluilire.

Aucunenesaitqu’ellen’estpasguérie:pourelles,c’esttoujoursElaine,plusgaiequejamais,Elainequimanifesteunravissementtouchantdevanttoutcequ’ellevoit,sent,goûte,devantlamoindretexturequ’onmetencontactavecsajoue.Seul,jesaisqu’elleestconvaincuedenepasêtreElaine;seul,jesaisquejen’aipasprogresséd’unpoucedepuislors,quedansdesinstantsdeterriblesincéritéjel’appelleAnansaetqu’ellemerépondd’untontriste.

Maisjesuissatisfait,enunsens:larelationn’aguèrechangéentrenous,envérité,et,auboutdequelquessemaines,j’aiacquislacertitudequ’elleestplusheureusequ’ellenel’ajamaisété.Aprèstout,elleprofitedumeilleurdesmondespossibles,desonpointdevue:ellepeutsedirequelavéritableElainesetrouvetrèsloindansl’espace,occupéeàdanser,àchanteretàécouterdeschants,brasetjambesenfinretrouvés,tandisquelamalheureuseconfinéedansuntroncàlamaisondereposducomtédeMillardestenréalitéuneextraterrestrequisejugetrèsfortunéedepossédercecorps,silimitésoit-il.

Quantàmoi,jerespectel’engagementquej’aiprisenverselleetcelamerendheureux;jen’ensuispasmoinshumain-j’inviteparfoisuneautrefemmeentremesdraps-maiscelanegênepasAnansa.C’estmêmeellequimel’asuggéré,quelquesjoursseulementaprèssonréveil.«RevoyezBelindadetempsentemps:ellevousaimeelleaussi,voussavez.Çameseraégal.»Jen’arrivetoujourspasàmerappelerluiavoirparlédeBelinda,maisaumoinscelaneladérangepas,etjen’aipaslieud’êtremécontentdemavie.Saufque…

SaufquejenesuispasDieu.J’aimeraisêtreDieu:j’opéreraisquelquesmodifications.

QuandjemerendsàlamaisondereposducomtédeMillard,jen’entrepastoutdesuitedanslebâtiment:ellenes’ytrouvejamais.Jefaisletouretjefouilleduregardl’oréedesarbres,àl’autreboutdelapelouse;j’yrepèreimmanquablementlefauteuilroulant,quejedistinguedesautresparl’éclatblancdesoreillerssouslesoleil.Jen’aipasbesoindesignalermaprésence;auboutd’uninstant,ellem’aperçoit,lesinfirmièresfontpivotersonfauteuiletluifonttraverserlapelousedansmadirection.

fonttraverserlapelousedansmadirection.

Commeellel’adéjàfaitcentfois,ellesedirigeversmoi,tendueenavant,etjemeforceàladétaillerduregardafindenepasvoirmonElainebaignéed’obscurité,filantdansl’espace,occupéeàamasserdelapoussièreetdeschants,àbondiretàdanseravecsesnouveauxbrasetsesnouvellesjambesqu’elleaimedavantagequemoi.J’observelefauteuil,lesouriresursestraits.

Elleestheureusedemavisite,siraviedumondequil’entourequesoncorpsnepeutpaslacontenir.Et,quandmonimaginations’emballe,jedeviensDieuuninstant,jelavoiscourirversmoienagitantlesbras;jeluidonneunemaingauche,unemaindroite,délicateetforte;jeladoted’unejambegauche,longueetféminine,etd’unedroitetoutaussisolide.

Etpuis,l’uneaprèsl’autre,jelesluireprends.

Contraintepréalable

J’AIFAITlaconnaissancedeDocMurphyàuncoursdestylistiquedispenséparunFrançaiscomplètementfouàl’universitéd’UtahdeSaltLakeCity.Jevenaisdequittermaplacederédacteurencostume-cravated’unmagazinefamilialréactionnaireetj’avaisunpeudemalàmefaireàl’idéedemeretrouverànouveaudanslapeaud’unrustaudd’étudiant.Delabanded’olibriusquenousformions,Docétaitleplusfarfeluet,dèsl’abord,jem’étaispréparéàletrouverexaspérantetànepastenircomptedesesopinions;orcefutimpossible,d’unepartàcausedecequ’ilmefit,d’autrepartàcausedecequ’onluiavaitfait.J’enaiétéchangé;sonpassésedressedevantmoidèsquejem’assoispourécrire.

Armand,leprofesseur,quin’avaitpasgagnéauchangeenremplaçantsonaccentfrançaisparceluideBoston,brandissaitmanouvelledevantlaclasseavecunairperplexe.«Cettehistoireestcommercialementviable,dit-il.C’estaussidelamerde.

Quepeut-ondired’autre?»

CefutDocquis’enchargea.Lesclousdansunemain,lemarteaudansl’autre,ilnousmitaupilori,manouvelleetmoi.

Attenduladécisionquej’avaisprisedenepasluiaccorderlamoindreattention

etl’orgueilquem’inspiraitmapositionaltièredeseulétudiantàavoirvenduunroman,jem’étonnedeluiavoirprêtél’oreille;pourtant,sous-jacentàl’attaquepresquefurieusedemonuvre,ilyavaitautrechose:unrespectfondamental,jepense,pourcequedoitêtreunbonécrivain-etpourlepetitgermequiindiquait,dansmanouvelle,qu’unbonécrivainsom-meillaitpeut-êtreenmoi.

Jel’écoutaidonc-etjeretinslaleçon.Peuàpeu,àmesurequeleFrançaisdevenaitdeplusenplusdingue,jemetournaiversDocpourapprendreàécrire.Ilavaitbeauêtrefarfelu,ilavaitl’espritbeaucoupplusvifquetouslescolsblancsdel’éditionquej’avaispucôtoyer.

Nouscommençâmesànousvoirendehorsdescours.Mafemmem’avaitquittédeuxansplustôt,jedisposaisdoncdebeaucoupdetempslibreetd’unegrandemaisondelocationoùmevautrer;nousbuvions,lisionsoubavardionsdevantunfeu,devantunappétissantveauauparmesanpréparéparDoc,ouentailladantuneplantegrimpantequiessayaitfourbementdes’emparerdelaplanèteencommençantparmacourdederrière.PourlapremièrefoisdepuisledépartdeDenae,jemesentaischezmoidansmamaison;Docparaissaitsavoirinstinctivementquelssecteursrecelaientdemauvaissouvenirset,bientôt,ilfitsibienpourapporterunecompensationquejem’ysentisànouveauàl’aise.

Oumalàl’aise:Docn’avaitpasquedesgentillessesàlabouche.

«Jecomprendsquetafemmet’aitquitté,medit-ilunjour.

-Toiaussi,tumetrouvesnulaulit?»C’étaituneplaisanterie:niluinimoin’avionsdepenchantshorsducommun.

«Aveclesgens,tut’yprendscommeunneandertalien,c’esttout.S’ilsnevontpaslàoùtuveux,unboncoupdemassueentrelesoreilleset,hop!parlescheveux,danslabonnedirection.»

C’étaiténervant:jen’aimaispaspenseràmafemme.Nousn’étionsrestésmariésquetroisans,troismauvaisesannées,maisjel’aimaisàmafaçon,jenevoulaispasqu’elles’enailleetellememanquaitbeaucoup.Jen’appréciaispasqu’onmemettelenezdedans.«Àmaconnaissance,jenet’aijamaisflanquédecoupdemassue.»

Pourtouteréponse,ilsourit,et,naturellement,jemerepassaiaussitôtnotreconversationpourm’apercevoirqu’ilavaitraison.

Sonsourireétaithaïssable.

«D’accord,fis-je,tuesleseulbabacoolàcheveuxlongsaupaysdesdernierssurvivantsdelacoupemilitaire.Dis-moicequetutrouvesàMorris.

-Jeneluitrouverien;pourmoi,c’estunmaquereauquivendlalibertédesautrespourempocherdesvoix.»

Là,j’étaislargué.Jen’arrêtaispasdetaperàbrasraccourcissurcecherMorris,dit«Donnant-donnant»,Commissioner‘ducomtédeDavis,parcequ’ilavaitsaquéladirectricedesbibliothèquesducomtésousprétextequ’elleavaitosémettreaucata-logueunlivre«pornographique»malgrésesobjections.Morrisprésentaittouslessymptômesdufascisteillettré,iljouissaitd’uneextrêmepopularité,etj’auraiscravachéavecplaisirlechevalquil’auraitportélorsdesonlynchage.

«Alors,toinonplus,tunepeuxpassentirMorris…Qu’est-cequej’aiditdemal?

-Lacensuren’estenaucuncasexcusable,d’aprèstoi.

-Tuespourlacensure?»

Àcetinstant,notreconversation,jusque-lààdemisérieuse,prituntongrave:Docévitasoudainmonregard,iln’eutplusd’yeuxquepourlefeu,jevislesflammesserefléterdansdeslarmesaccrochéesàsescils,etjem’aperçusencoreunefoisqu’avecDocjepataugeaiscomplètement.

«Non,répondit-il.Non,jenesuispaspour.»

Enfin,aprèsunlongsilence,ilavaladeuxverresdevincoup1.Àpeuprèséquivalentànotreconseillergénéral(NdT).

surcoup,commeça,puisilsortitprendresavoiturepourrentrerchezlui.IlhabitaitdansEmigrationCanyon,toutauboutd’unerouteétroiteetsinueuse,etj’avaispeurqu’iln’aittropbu,mais,àlaporte,ilmeditsimplement:«Jenesuispasivre.Ilmefautaumoinsdeuxlitresdevinrienquepourreveniràlanormaleaprèsavoirpasséuneheureavectoi,tellementtuessérieux.»

Unweek-end,ilm’emmenaàsontravail.DocgagnaitsavieauNevada.NousquittâmesSaltLakeCityunvendrediaprès-midipourWendover,lapremièrevilleaprèslafrontièredel’État.

Jepensaisqu’ilétaitemployédanslecasinodevantlequelnousnousarrêtâmesmais,aulieudepointer,ildonnaseulementsonnomàuntype,puisils’assitdansuncoinavecmoi.

«Tunevaspastravailler?demandai-je.

-Jetravaille,répondit-il.

-Ladernièrefoisquejem’ysuispriscommeça,jemesuisfaitvirer.

-J’attendsmontouràunetable.Jet’avaisbienditquejegagnaismavieaupoker.»

Etjecomprisenfinquec’étaitunprofessionnelindépendant,unjoueur,unspécialistedescartes.

IlyavaitquatretypesnommésDoccesoir-làaucasino.DocMurphyfutletroisièmeàêtreappeléàunetable;iljouasansesbroufe,perditrégulièrementmaisdessommesminimespendantdeuxheures,puis,soudain,enquatreparties,ilrécupératoutcequ’ilavaitperduetyajoutapresquemillecinqcentsdollars.

Enfin,ils’excusaaprèsunnombreconvenabledepartiesper-dantesetnousregagnâmesSaltLakeCity.

«D’habitude,jesuisobligédejoueraussilesamedisoir»,meconfia-t-il.Ileutunsourirerayonnant.«Maisaujourd’huij’aieudelachance:jesuistombésurunidiotquicroyaitsavoirjoueraupoker.»

Lavieillesciemerevintàl’esprit:NejamaismangerdansunrestaurantbaptiséChezMaman,nejamaisjoueraupokeravecunhommenomméDocetnejamaiscoucheravecunefemmequiaplusd’ennuisquesoi.C’étaitlapurevérité.Docmémorisaitlejeu,connaissaittouteslesmisesparcuretperçaitàjourlejoueurleplusimpassible.

Àlafindutrimestre,jem’aperçusquedepuisledébutdescoursjen’avaisjamaislulamoindredesesuvres:iln’avaitpasécrituneligne!Pourtant,il

avaitunenotesurletableaud’affichage:A.

J’enparlaiàArmand.

«Ohsi,Docécrit,assura-t-il.Mieuxquevous,etvousavezobtenuA-Dieusaitcomment,alorsquevousn’avezaucuntalent.

-Maispourquoin’enfait-ilpasprofiterlesautresétudiants?»

Armandhaussalesépaules.«Etpourquoileferait-il?Ceseraitdonnerdesperlesauxcochons.»

Néanmoins,celacontinuaitàm’agacer.AprèsavoirvuDocéreinterplusd’unécrivain,ilmesemblaitinjustequesonpropretravailnepassejamaissurlebillot.

Letrimestresuivant,ilsuivituncycledeTPpourlediplômedefind’annéeenmêmetempsquemoietjeluiposailaquestion.

Iléclataderireetmeditdelaissertomber;j’éclataiderireàmontouretjeluidisqu’iln’enétaitpasquestion:jevoulaislirecequ’ilécrivait.Aussi,lasemained’après,ilmeremitunmanuscritdetroispages;c’étaitl’histoireinachevéed’unhommeconvaincuquesafemmel’aquitté,alorsqu’illatrouvechezluitouslessoirsenrentrantdutravail.C’étaitundesmeilleurstextesquej’ailusdetoutemavie,àquelqueaunequ’onlemesure:lefondétaitassezclairetpassionnantpourquetoutabrutiquiapprécieHaroldRobbinsyprenneplaisir,etcesquelquespagesrévélaientunstyleassezricheetunsujetassezprofondpourravalerlaplupartdes«grands»écrivainsaurangd’éleveursdevolaille.Jereluslemanuscritàcinqreprisespourm’assurerquejen’avaisrienmanqué.Lapremièrefois,jefuscertainquel’histoireétaitunemétaphoredemapersonnalité;latroisième,jesavaisqu’elleparlaitdeDieu;lacinquième,jecomprisqu’elletraitaitdetoutcequiestimportant,etj’avaisenvied’enliredavantage.

«Oùestlasuite?»demandai-je.

Ilhaussalesépaules.«Toutestlà.

-Çanedonnepasl’impressiond’êtrefini.

-Cen’estpasfini.

-Cen’estpasfini.

-Ehbien,qu’est-cequetuattends?Doc,tupourraisplacercetexten’importeoù,mêmeauNewYorker.Poureux,tun’auraissansdoutemêmepasbesoindeleterminer!

-MêmeauNewYorker.DouxJésus!

-Jen’ycroispas,àtesgrandsairs,Doc.Achève-le;jeveuxsavoircommentçasetermine.»

Ilsecoualatête.«Toutestlàetiln’yaurariend’autre.»

Laconversations’arrêtalà.

Maisdetempsentempsilmefaisaitlired’autresmanuscrits,chacunmeilleurqueleprécédent;et,entre-temps,nousnousrapprochâmesl’undel’autre,nonpasàcausedesontalentévidentd’écrivain-jenesuispasportéàl’effacementdemoi-mêmeaupointdenefréquenterquedesauteursquimedépassentdecentcoudées-maisparcequec’étaitDocMurphy.NousrendîmesvisiteàtouslesdébitsdebièredeSaltLakeCity,activitéquinedemandepasuntempsconsidérable,nousvîmestroisbonsfilmsetunedizained’autressinulsquec’enétaitréjouissant,ilm’enseignaàjoueraupokeraupointquejefinisparéquilibrermesgainsetmesperteschaqueweek-end,ilsupportamespetitesamiessuccessivesetprophétisaquejefiniraissansdouteànouveaumarié.«Tuesjusteassezfaiblepourvouloiressayer»,medit-ild’untonenjoué.

Enfin,alorsquej’avaisrenoncédepuislongtempsàmaquestion,ilm’expliquapourquoiiln’achevaitjamaisrien.

J’enétaisàmadeuxièmebièreetdemie,etluibuvaitunatrocemélangedeCocalightetdejusdetomatequ’ilavalaitquandilsouhaitaitsepunirdesespéchés,enpartantduprincipequec’étaitencorepirequeboiresapropreurine,selonlatraditionhindoue.Unedemesnouvellesvenaitd’êtrerefuséeparunmagazinequiauraitdûpourtantmel’acheter,croyais-je,etjesongeaisàlaissertomber.Ils’esclaffa.

«Jeneplaisantepas,protestai-je.

-Quandonauntantsoitpeudetalent,onn’apasbesoindelaissertomber.

-Écoutezquiparle:leroidesécrivainsquivontjusqu’aubout!»

-Écoutezquiparle:leroidesécrivainsquivontjusqu’aubout!»

Ils’assombrit.«Tufaisleparaplégiquequisemoquedel’unijambiste.

-J’enaimarre.

-Abandonne,alors:ceseradupareilaumême.Laisselaplaceauxnègres-d’ailleurs,tuenessansdouteuntoi-même.»

Docn’avaitrienbuquipûtlemettredansunetellehargne,pasdansunehargned’ivrogneentoutcas.«Eh,Doc,cesontdesencouragementsquejedemandais!

-S’iltefautdesencouragements,tunelesméritespas.Iln’yaqu’unefaçond’empêcherunbonécrivaind’écrire.

-Nemedispasquetusouffresd’unblocagesélectifquit’interditdeterminertestextes.

-Unblocage?GrandDieu,jen’aijamaisconnuça.Unblocage,c’estcequiarrivequandonn’apasassezdetalentpourécrirecequ’onsaitdevoirécrire.»

Lamoutardecommençaitàmemonteraunez.«Maistoi,naturellement,tun’esjamaisenpannedetalent,hein?»

Ilsepenchaversmoietplantasonregarddanslemien.

«Jesuislemeilleurécrivainanglophonevivant.

-Jetel’accorde:lemeilleurquin’achèvejamaisrien.

-J’achèvetout,répliqua-t-il.J’achèvetout,bien-aimécamarade,puisjebrûletoutsauflestroispremièrespages.Jetermineuntexteparsemaine,parfois.J’aipondutroisromanscompletsetquatrepièces.J’aimêmeécritunscénariopourlecinéma;lefilmauraitrapportédesmillionsdedollarsetilseraitdevenuunclassique.

-D’aprèsqui?

-D’après…peuimporte.Lescénarioétaitacheté,lesrôlesdistribués,lefilmn’avaitplusqu’àêtretourné.Ildisposaitd’unbudgetdetrentemillionsdedollars:lesdirigeantsdustudioycroyaient-pourunefoisqu’ilsagissaientintelligemment.»

intelligemment.»

Jerestaisincrédule.«Turigoles!

-Tuvoisquelqu’unrigoler,ici?Non,toutestvrai.»

Jamaisjeneluiavaisvuunetelleexpressiondesouffrance,dechagrin.Toutétaitvrai,eneffet,sijeconnaissaisbienDocMurphy,etjepensequejeleconnaissaisbien-c’estd’ailleurstoujourslecas.«Pourquoi?demandai-jealors.

-Lecomitédecensure.

-Quoi?Çan’existepasenAmérique,untrucpareil.»

Iléclataderire.«Pasàpleintemps,entoutcas.

-Mais,nomdeDieu,c’estquoi,cecomitédecensure?»

Etilmeraconta.

Quandj’avaisvingt-deuxans,jevivaisenOregon,dit-il,danslacambrousse,pastrèsloindePortland;lesboîtesauxlettresperchéessurdespiquetsauborddelaroute,tuvoislegenre.

J’écrivaisdespiècesdethéâtre-jepensaisquejepourraisyfairecarrière-etjevenaisjustedememettreauroman.Jesuissortiunmatinaprèslepassagedufacteur;ilbruinaitmaisj’avaislatêteailleurs:j’avaisentrelesmainsunelettredemonagentd’Hollywood.C’étaituncontrat.Pasuneoption,unevente,centmilledollars.Jevenaisdemerendrecomptequej’étaistrempéetquejedevaisrentrerquanddeuxhommessontsortisdesbuissons-oui,jesais,maisilsdevaientaimerlesapparitionsthéâtrales.

Ilsétaientencostumed’affaires-jedétestelestypesencostumed’affaires!L’undesdeuxatendulamainenmedisant:«Donnez-moiçatoutdesuite,çavousépargnerapasmald’ennuis.»Quejeluidonnel’enveloppe?Jeneluiaipascachécequejepensaisdesasuggestion.Onauraitditdestruandsdelamafia,ouplutôtuneparodiedetruands.

Ilsavaientàpeuprèslamêmetailleetilsavaientl’airjumeaux,jusqu’àl’éclatférocequibrillaitdansleursyeux;etpuisjemesuisrenducomptequema

férocequibrillaitdansleursyeux;etpuisjemesuisrenducomptequemapremièreimpressionétaitfausse:l’unétaitblond,l’autrebrun.Leblondavaitlementonunpeufuyant,cequidonnaituneexpressiondouceaubasdesonvisage;lebrunavaitdûavoirdegrosproblèmesdermatolo-giques:lapeaudesoncouévoquaitl’écorced’unarbreetluiconféraitunairstupide,commesisafigureavaitétéplaquéesursagorgesanslaisserdeplacepourlatête.Cen’étaientpasdesgensdelamafia:c’étaientdesgensordinaires.

Saufencequiconcernelesyeux:l’éclatdeleursyeuxn’avaitriendefeint,etc’estcequim’avaittoutd’abordtrompésurlesdeuxpersonnages.C’étaientdesyeuxd’hommesquiavaientvudesgenspleurer,quiavaientcompatietquiavaientquandmêmecontinuéàleurfairedumal.Ilsavaientunregardquedesyeuxd’humainsnormauxn’ontpas.

«Cen’estqu’uncontrat,nomdeDieu!»leurai-jedit,maislebrunauxtracesd’acném’arépétédeleleurdonner.

Entre-temps,j’avaissurmontémoninquiétude;ilsn’étaientpasarmésetj’avaispeut-êtredeschancesdemedébarrasserd’euxsansviolence.J’aientreprisderetournerverslamaisonetilsm’ontsuivi.

«Maisenfin,pourquoivoulez-vousmoncontrat?j’aidemandé.

-Cefilmneseferapas,m’aréponduBrebis,leblondaumentonfuyant.Nousnelepermettronspas.»

Jemesuisdit:Quiest-cequileurécritleursdialogues?IlslespiquentdansFenimoreCooper?«Lescentmilledollarsqu’onmeproposeprouventquelesgarsdustudioontenvied’essayer;etmoiaussi,j’aienviequ’ilsessayent.

-Vousn’aurezjamaiscetargent,Murphy;quantàcecontratetàcescénario,ilsn’existerontplusd’iciquatrejours,ça,jevouslegarantis.

-Vousêtescritiquedecinémaouquoi?jeluiaifait.

-Presque.»

J’avaispassélaported’entréeetilsétaientdehors,surleseuil.

J’auraisdûlaleurclaqueraunez,maisjesuisjoueur:jenedevaispasquitterla

J’auraisdûlaleurclaqueraunez,maisjesuisjoueur:jenedevaispasquitterlapartieparcequejevoulaissavoirquelgenredejeuilsavaient.«Vousavezl’intentiondevousenemparerdeforce?

-Parlaforcedeschoses,plutôt»,aréponduTroncd’Arbre.

Etpuisilaajouté:«Voyez-vous,monsieurMurphy,vousêtesquelqu’undedangereux;avecvotremachineàécrireSelectricIlàcorrectionautomatiqued’IBMquiaunretourdechariotsilentqu’ellefrappeparfoisdeslettresàquelquesespacesdelafindeligne;avecvotrepèrequivousaditunjour:“Billy,pourt’avouerlavéritétoutenue,jenesaispassijesuistonpèreounon;jen’étaispasleseultypeavecquitamèresortaitquandjel’aiépousée,alorsquetucrèvesoupas,çanemefaitnichaudnifroid.”»

Ilm’avaitrépétémotpourmotcequemonpèrem’avaitditquandj’avaisquatreans.Jen’enavaisjamaisparléàpersonneetilmel’avaitrépétémotpourmot.

LaCIA?Nemefaispasmarrer!

Non,ilsn’étaientpasdelaCIA.Ilsvoulaientsimplements’assurerquejen’écriraisjamaisrien-ou,plutôt,quejenepublieraisjamaisrien.

Jeleurairéponduqueleursinsinuationsmelaissaientdemarbre.Etj’avaisvujuste:cen’étaientpasdesgrosbras;jen’aieuqu’àfermerlaporteetilss’ensontallés.

Etlelendemain,alorsquejeroulaisàborddemavieilleGalaxyendessousdelavitesselimite,ungosseàvéloadébouchésousmonnez.Jen’aimêmepaseuletempsdefreiner;ilestarrivéenunclind’iletjeluisuisrentrédedans.Levéloestpassésouslavoituremaislegosseestpassépar-dessus-engrandepartie.Sonpieds’estempêtrédanslepare-chocs,coincéparlevélo,etleresteaglissésurlecapot;çaluiaécartelélahancheetcassélacolonnevertébraleenquatre.L’ornementdubouchonderadiateurl’aéventréetlesangaéclaboussélepare-brisecommeuneaversed’orage,aupointquejen’yvoyaisplusrien,plusrienquesonvisageécrasécontrelavitre,lesyeuxgrandsouverts.Ilestmortsurlecoup,naturellement.Çavalaitmieux.

IljouaitauxMartiensouquelquechosecommeçaavecsonfrère.Lefrèreenquestionétaitauborddelarue,sonpistoletàrayonsenplastiqueàlamain,l’airhébété.Samèreestsortiedechezelleenhurlant.Jehurlaismoiaussi.Deuxvoisinsavaientvul’accident,l’und’euxaprévenulesflicsetappeléune

voisinsavaientvul’accident,l’und’euxaprévenulesflicsetappeléuneambulance,l’autreafaitsonpossiblepourempêcherlamèredemetuer.Jenesaisplusoùjemerendais;toutcedontjemesouviens,c’estquelavoitureavaitmisplusdetempsqued’habitudepourdémarrercematin-là,uneminuteetdemie,jepense-cequiestlongpourdémarrerunevoiture.Sij’étaisparticommed’ordinaire,jen’auraispasrenversélegamin.Jen’arrêtaispasdemerépéterquecen’étaitqu’unecoïncidencesij’étaispassélàjusteàcetinstant;unedemi-secondeplustôt,ilm’auraitvuetilm’auraitévité,unedemi-secondeplustardetc’estmoiquil’auraisvu.Unesimplecoïncidence.Cequim’asauvédemefaireassassinerparlepèrequandilestarrivé,dixminutesaprès,c’estquejepleuraiscommeunemadeleine.L’affairen’estpasalléeautribunalparcequelesvoisinsonttémoignéquejen’avaispasletempsdefreiner,etl’enquêtedepoliceaprouvéquejen’allaispastropvite.Iln’yavaitmêmepaseunégligence;c’étaitjustelehasard,unaffreuxhasard.

J’ailul’articledanslapresse:legossen’avaitqueneufans,maisilsuivaitdescoursparticuliersàl’école,ilétaittrèsbrillant,trèsgentil,ildistribuaitlecourrierdanssonquartieretils’occupaittoujoursdesesfrèresetsurs.Dequoiarracherdeslarmesàtouslesabonnés.J’aisongéàmesuicider,etpuislestypesencostumed’affairessontrevenus.Ilsavaientquatreexemplairesdemonscénario;jen’enavaisfaitquequatrecopies-l’originalétaitdansmondossier.

«Commevouslevoyez,monsieurMurphy,nousdétenonstouslesdoublesduscript.Vousalleznousdonnerl’original.»

Jen’étaispasd’humeuràsupporterleursidiotiesetj’aivoulurefermerlaporte.

«Vousavezungoûtparfait»,j’aidit.Pourlemoment,ilm’étaitbienégaldesavoircommentilsavaientmislamainsurlescopies:jecherchaisunmoyendedormirjusqu’àcequ’àmonréveillegossesoitànouveauvivant.

Ilsontpoussélaporteetsontentrés.«MonsieurMurphy,ilafalluquenousréglionsvotrevoiturepourquevotrecheminetceluidupetitsecroisent.Nousavonsdûnousyreprendreàquatrereprisespourarriveraubonminutage,maisnousavonsréussi.C’estlecôtépratiqueduvoyagedansletemps:sionseloupeunefois,onpeuttoujoursrecommencer.»

Ilsvoulaientendosserlamortdugamin?C’étaitincroyable!

«Maispourquoifaire?»j’aidemandé.

Etilsm’ontexpliqué.Apparemment,lemômeavaitencoreplusdetalentqu’onnes’endoutait;ilseraitdevenuécrivain,journaliste,critique,etilauraitposébeaucoupdeproblèmesàuncertaingouvernementquaranteansplustard,enparticulierenécrivanttroislivresquiauraientmodifiélafaçondepenserdepasmaldegens-etpasdanslebonsens.

«Nous-mêmessommesécrivains,m’aditBrebis.Riend’étonnantdoncàcequenousprenionslesécritstrèsausérieux-

davantagequevous.Lesauteurs,lesbonsauteurs,peuventfairechangerlesgens,etcertainsdeceschangementsnesontpaslesbienvenus.Entuantcegossehier,voyez-vous,vousavezempê-

chéuneguerreciviled’éclaterd’icisoixanteans;nousavonsdéjàvérifiélesrésultats:ilyabienquelqueseffetssecondairesdéplaisants,maisriendontonnepuisseveniràbout.Septmillionsdeviesépargnées:vousn’avezpasàvousculpabi-liser.»

Jemesuissouvenudecequ’ilssavaientsurmoietquepersonnenepouvaitsavoir,etjemesuissentiridiculeparcequejecommençaisàlescroire;j’avaispeur,aussi,àcauseducalmeaveclequelilsparlaientdelamortdupetit.J’aidemandé:«Etqu’est-cequejeviensfairelà-dedans?Pourquoimoi?

-Oh,c’esttoutsimple:vousêtesunexcellentauteur,destinéàdevenirlemeilleurdevotretempsgrâceàvosromans-etàcescénario.Danstroiscentsans,onvouscompareraàShakespeare,audésavantagedupauvrevieuxBill.L’ennui,Murphy,c’estquevousêtesunimmondesybariteetunpessimisteincurable;aussi,envousempêchantdepublierquoiquecesoit,nousallégeonsconsidérablementl’humeurartistiquededeuxsièclesdansl’avenir-sansparlerd’unefaminequenouséviteronsdanssoixante-dixans.L’Histoireétablitdesliensétranges,Murphy,etvousêtesaucurdebeaucoupdesouffrances.Sivousnepubliezjamais,lemondeenserabienmeilleur.»

Tun’étaispaslà,tunelesaspasentenduparler.Tunelesaspasvus,assissurmoncanapé,lesjambescroisées,àponctuerleurdiscoursdehochementsdetêteetdegestesdesmainscommes’ilsm’exposaientlachoselaplusnaturelledumonde.

Auprèsd’eux,j’aiapprisàdécrirelafolieauthentique;nonpasquelqu’unavecl’écumeàlabouche:seulementquelqu’unquisetientassislà,commeunbonami,etquiracontedestrucsimpossibles,destrucsatroces,etquisourit,qui

ami,etquiracontedestrucsimpossibles,destrucsatroces,etquisourit,quis’échauffeetqui…BonDieu,tunepeuxpascomprendre!Parcequejelescroyais;ilssavaient,vois-tu.Etilsétaientexagérémentfous;undingueclassiqueauraitinventéunmeilleurcanularqueça.Sijetedonnel’impressionquejelescroyaisdefaçonintellectuelle,détrompe-toi;jenepensed’ailleurspasréussiràteconvaincre,maisfais-moiconfiance:jesaissiunhommebluffeous’ilditlavérité,etcesdeux-lànebluffaientpas.Unenfantétaitmortetilssavaientcombiendefoisj’avaistournélaclédecontact;etc’étaitlavéritéqu’ilyavaitaufonddecesyeuxeffrayantsquandBrebisadéclaré:«Sivousvousabstenezdevotrepleingrédepublier,ilvousseraaccordédevivre.Sivousrefusez,vousmourrezdanslestroisjours.Unautreauteurvoustuera-accidentellement,bienentendu.Nousn’avonsledroitdetravaillerqueparlebiaisdesécrivains.»

Jeleuraidemandépourquoi;laréponsem’afaitrire:ilsappartenaientàl’Associationdesauteurs.«C’estunequestionderesponsabilité:sivousrefusezd’assumerlaresponsabilitédesconséquencesfuturesdevosactes,nousdevonslareportersurquelqu’und’autre.»

Ducoup,j’aivoulusavoirpourquoiilsnemetuaientpastoutdesuiteaulieudeperdreleurtempsàessayerdemeconvaincre.

C’estTroncd’Arbrequim’arépondu,etilpleurait,lesalaud.

«Parcequenousvousaimons;nousadoronstoutcequevousécrivez.Toutcequenoussavonssurl’écriture,c’estdevousquenousl’avonsappris;etnousleperdronssinousvoustuons.»

Ilsontcherchéàmeconsolerenmefaisantvaloirenquelleprestigieusecompagniejemetrouvais.ThomasHardy-ilsl’ontobligéàlaissertomberleromanetàsecantonneràunepoésiequepersonnenelisaitetquineprésentaitaucundanger.Brebism’adit:«Hemingwayapréférésetuerplutôtqued’attendrequenousnousenchargions;etpuisilyenad’autresquin’ontétéforcésàrenoncerqu’àunseullivre.Çaleurafaitmal,maisFitzgeraldapuquandmêmemenerunecarrièreconvenableaveclesuvresqu’ilaeuledroitd’écrire,etPerelmansnousapasséunsavonsurlemodecomiqueparcequ’iln’étaitpasautoriséàécriresonuvreauthentique.Nousnenousoccuponsquedesgrandsauteurs;lesécrivaillonsnemettentpersonneendanger.»

Nousavonsconcluuneespèced’accord:jepouvaiscontinueràécriremais,chaquefoisquejetermineraisuntexte,jedevaislebrûler,sauflestroispremièrespages.«Sivousl’achevez,m’aditBrebis,nousenauronsunecopiecheznous.Nousavonsunebibliothèquequi…euh…leplussimpleseraitpeut-êtredeladécrirecommeendehorsdutemps.Vousserezpublié,enunsens,maispasàvotreépoqueniaucoursdeshuitsièclessuivants;cependant,vouspouvezécrire.D’autressontobligésdeneplustoucherdutoutàleurplume.Çanousbriselecur,croyez-moi.»

Lecurbrisé,j’enconnaissaisunrayon,merci.Depuis,j’aitoujourstoutbrûlésauflestroispremièrespages.

Iln’yaqu’uneseulebonneraisonpourqu’unécrivainrenonceàécrire:c’estquandleComitédecensureluitombedessus.

Celuiquiabandonnepourunautremotifn’estqu’untristecrétin.

Lavraiecensure,Donnant-donnantnesaitmêmepascequec’est;çanesepassepasdanslesbibliothèques:çasepassesurlecapotdesvoitures.Alors,vas-y,fais-toiagentimmobilier,vendsdesassurances,engage-toichezlePèreNoëlpournettoyerlesbousesderenne,jem’enbatsl’il;maissitulaissestomberunartquejenepourraijamaisexercer,jen’aiplusrienàtedire.

J’écrisdonc,etDoclitmestextesavantdelesréduireencharpie;toussaufcelui-ci.Celui-ci,ilneleverrajamais,sinonilmetueraitsansdoutesurplace.Maisqu’est-cequej’enaiàcirer?Ilneserajamaispublié.Non,non,jepècheparorgueil:vousêtesentraindelelire,pasvrai?Ah,quandl’egos’enmêle…Sijesuisassezdouécommeécrivain,simonuvrepossèdeuneenverguresuffisantepourchangerlemonde,deuxtypesencostumed’affairesviendrontmefaireuneoffrequejenepourraipasrefuseretvousnepourrezpaslirecetexte.Oui,maisvousêtesentraindelelire;alors?Pourquoiest-cequejemetortureainsi?J’espèrepeut-êtrequ’ilsseprésenteront,cequimefourniraituneexcusepourarrêterd’écrireavantdem’apercevoirquemesmeilleurstextessontderrièremoi;mais,là,jefaisunpieddenezàcesfichuscritiquesdel’avenir,et,ens’abstenantd’intervenir,ilsmedonnentl’exactemesuredelavaleurdemonuvre.

Oualors…siçasetrouve,j’aidutalent,maismonuvreauneffetpositifoubienelleneprovoquepasdevaguesmalvenuesdansl’avenir.Jefaispeut-êtrepartie

desprivilégiésquipeuventcréerunmonumentsansqu’ilsoitnécessairedelescensurerpourprotégerlesgénérationsfutures.

Etpeut-êtrequelespoulesontdesdents.

Souvenirsdematête

MÊMEaveclespreuvessouslesyeux,jepariequetun’accorderaspasfoiaucompterendudemonpropresuicide;ouplutôttupenserasqu’ilestbiendemamainmaisquejel’airédigéavantlesfaits:tusupposerasquej’aiécritlaprésentelettreàl’avance,sansêtresûrpeut-êtredecoincerensuitelefusilentremesgenoux,deplacerunerèglesurladétenteetd’appuyerd’ungesteétonnammentfermejusqu’àcequelechienserabatte,quelapoudres’enflammeetqu’unegrêledepetitplombàcourteportéem’emportelatêteetprojettedesboutsdecervelle,d’os,depeauetquelquescheveuxcarbonisésauplafondetcontrelemurderrièremoi.Maisjet’assurequecedocumentn’estniuntextepréparéd’avance,niunemenacedéguisée,niriend’autrequel’explicationaprèscoupdemonacte.

Tudoisdéjàavoirdécouvertmoncorpsdécapitédevantmonbureauàrideau,danslecoinleplussombredusous-soloùlaseulesourced’éclairageestlevieuxlampadairequin’allaitplusavecl’ensemblequandonaredécorélesalon.Cependant,imagine-moi,s’ilteplaît,nonpascommetum’astrouvé,inerteetprivédevie,maisplutôttelquejesuisactuellement,tenantmafeuilledelamaingauchetandisquemamaindroitesedéplaced’unmouvementfluidesurlepapieretnes’arrêtequepourallertremperlaplumedanslesangaccumuléparmilemagmadéchiquetédemuscles,deveinesetdechicotsd’ossituéentremesépaules.

Pourquoi,étantdécédé,medonne-jelapeinedet’écrire?Sijen’aipasjugéutiledem’exprimeravantdemetuer,peut-êtreaurais-jedûm’enteniràcettedécisionaprèslamort.Toutefois,cen’estqu’aprèsavoirexécutémonprojetquejemesuistrouvéavoirquelquechoseàtedire;dèslors,l’écrituredevenaitlaseulesolution,l’élocutionordinaireétantinaccessibleàceluichezquimanquentlarynx,bouche,lèvres,langueetdents.Tousmesinstrumentsphonatoiressesontéparpilléssurleplacoplâtre;j’airéalisélamutitéabsolue.

Tut’étonnesquejecontinueàmouvoirmesbrasetmesmainsaprèsladisparitiondematête?Moipas:moncerveauétaitdébranchédemoncorps

disparitiondematête?Moipas:moncerveauétaitdébranchédemoncorpsdepuisdesannéesettoutesmesactionsétaientdevenuesdeshabitudes;lesstimuliremontaientlesnerfsjusqu’àlamoelleépinièreetn’allaientpasplusloin;quandtumedisaisbonjourlematinouque,lanuit,tumebassinaisdetescommentairespendantdesheures,j’intercalaismesréponseshabituellessansqueceséchangessuscitentlamoindrepenséedansmonesprit.C’estàpeinesijemerappelleavoirvéculesdernièresannées-ou,plusexactement,jemerappelleavoirétévivant,maisjesuisincapablededistinguerunjourd’unautre,unNoëldesautres,unmotdetoiden’importequelautrequetuaspuprononcer.Tavoixétaitdevenueunbruitdefondet,quantàlamienne,jen’avaisplusécoutélamoindredemesparolesdepuisladernièrefoisoùjem’étaishumiliédevanttoi,cequit’avaitfaitretrousserlalèvred’unairméprisantetretournertroiscartesdetonjeudepatience.Jenemerappellepasnonpluslequeldetesnombreuxretroussisdelèvreetretournementsdecartescorrespondàmondernieravilissementdevanttoi.Àpré-

sent,moncorpspavloviencontinued’agirainsiqu’ill’afaitaucoursdetoutescesannéesetilrédigececompterendudemonsuicideenuneultimecrispation,complexeetinvolontaire,desmusclesdemonbras,demamainetdemesdoigts.

Tuassûrementdéjàdétectél’incohérencedecequej’écris.Tuastoujourssudéjouermespitoyableseffortspourm’exprimer:tuattendssimplementdesaisirauvolunecontradictionapparentedansmondiscoursettut’appuiesdessuspourrefuserd’enécouterdavantagesousprétexteque,n’étantpaslogique,jenesuispasrationnel,etquetuneparlespasauxgensirrationnels.

L’incohérencequetuasrelevéeestcelle-ci:sijesuisàcepointunêtred’habitudes,commentai-jepumesuicider,puisqu’ils’agitd’uncomportementnouveau,nonpashabituel?

Mais,vois-tu,iln’yanulleincohérencecartum’asdresséàtouslesartsdel’autodestruction.Demêmeque,parsympathie,lamaingaucheapprenddansunecertainemesuredesgestesquines’accomplissentquedeladroite,j’aisibienprisleplidesub-sumermonidentitéàlatiennequec’estpresqueparpurréflexequej’aiaccomplil’annihilationphysiquedemoi-même.

D’ailleurs,onpeutconsidérercommelepointculminantd’unelongueassuétudelefaitqu’àl’instantoùjem’affirmeleplusfortdetoutemonexistence,où

j’exécutemonnumérolepluséblouissant,oùjevismonplusbeaucentièmedeseconde,àcemêmeinstantjeperdsmesyeuxetmetrouveincapabledepercevoirlaréactiondupublic.Jet’écrismais,toi,tunem’écrirasninemeparleras,et,danslecascontraire,jen’auraiplusd’yeuxpourtelirenid’oreillespourt’entendre.Temettras-tuàhurler?(Quelqu’und’autremedécouvrira-t-iletest-cecettepersonnequihur-lera?Maisnon,ilfautquecesoittoi.)Jet’imaginedégoûtée,prisedehaut-le-cursurlevieuxtapis,seuledécorationquenousavionslesmoyensd’installerdansmoncoindesous-sol.

Etplustard,quidéplâtreraleplafond?Quiarracheralespanneauxdumur?Etunefoislemurdécortiquéjusqu’aulattis,quefera-t-ondesgrandesplaquesdeplâtrelabouréesdeplombetseméesdecervelleetd’os?Enenterrera-t-ondesfragmentsdansmatombe?Ou,même,lesexposera-t-ondansmoncercueilouvert,proprementcasséesetmisesentasàlaplacedematête?

Ceneseraitpasinopportun,jepense,puisqu’uneproportionnonnégligeabledemoncadavres’ytrouvecolléeaulieud’êtreattachéeaurestedemoncorps.Etsil’oninhumeavecmoiquelquemorceaudetaprécieusemaison,peut-êtreviendras-tudetempsentempsverserunelarmesurmatombe.

Jem’aperçoisque,danslamort,jenesuispasexemptdesoucis:privédelaparole,jenepuiscorrigerlesfaussesinterprétations.Imaginonsqu’ondise:«Cen’estpasunsuicide:lefusilesttombéetlecoupestpartiaccidentellement.»Ouqu’onsupposeunmeurtre.Quelquevagabonddepassagesefera-t-ilappré-

hender?S’ilaentendulecoupdefeu,s’estprécipité,etqu’onl’aitsurpris,lefusilàlamain,bredouillant,lesyeuxfixéssursesdoigtsensanglantés?Ou,pire,entraindemefairelespochesetdevolerlebilletdecentdollarsquejeportetoujourssurmoi?

(Rappelle-toi:jedisaistoujoursenplaisantantquejelegardaispouracheterunticketdecaraucasoùjedécideraisdetequitter,jusqu’aujouroùtum’asinterditd’enreparler,sansquoituneseraispasresponsabledecequetumeferais.Depuislors,j’aigardélesilencesurlesujet-l’avais-turemarqué?-carjeveuxquetusoistoujoursresponsabledetesactes.)Lemalheureuxvagabondn’auraitpum’administrerlespremierssecours-jesuisbiencertainqu’iln’auraitpastrouvélemoindreparagraphedanslemanuelduparfaitboy-scoutsurlessoinsàdonneràunepersonnedontlatêteaétésicomplètementarrachéequ’ellen’amêmeplusdecoupouryplacerungarrot.Etpuisquelepauvrediablenepouvaitplusrienpourmoi,pourquoineseserait-ilpasservi?Jeneluirefuse

pouvaitplusrienpourmoi,pourquoineseserait-ilpasservi?Jeneluirefusepascescentdollars-jeluifaisdonparlaprésentedetoutl’argentetautresobjetsdevaleurqu’ilpourraittrouversurmapersonne;onnepeutl’accuserd’avoirvolécequejeluiaccordelibrement.J’affirmeégalementparlaprésentequ’ilnem’apastué,qu’iln’apastrempémaplumeàdessindanslesangdemontronçondecou,puisprismamainpourformerleslettresquiapparaissentsurlafeuillequetulis;tuenestémoincartureconnaismonécriture.Nulnedoitpayerpourmamortquin’apasprispartàlacauser.

Maislaplusgrandecrainten’estpasl’inquiétudecompatis-santequem’inspireraitquelqueinconnuquidécouvriraitmoncorps;elleseraitplutôtqu’onnemedécouvrîtpasdutout.Ayantpresséladétente,j’aieuleloisirderédigertoutescespages;certes,j’aidûécriregrosetenlaissantungrandespaceentreleslignes,carjetravailleenaveugleetilmefautprendregardequelesmotsetleslignesnesechevauchentpas,maiscelanechangerienaufaitqu’unlapsdetempsconsidérables’estécoulédepuisquelebruitaisémentidentifiabled’uncoupdefeuaretenti.Unvoisinl’asûremententendu,lapoliceasansdouteétéprévenueetmènel’enquêtesurlesappelsangoissésausujetd’unedétona-tionémanantdenotredemeuredigned’unlivred’images;peut-

êtremêmelessirèneshurlent-ellesdanslarueetdesvoisinscurieuxsemassent-ilssurleurpelousepourvoirquelleespècedefaixlespoliciersemportentdelamaison.Maisj’attendsquelquesinstants,laplumeensuspensau-dessusdelapage,etjeneper-

çoisnullevibrationdepaslourdsdanslesmarches;nullemainneseglissesousmesaissellespourm’écarterdubureau;j’enconclusqu’aucuncoupdetéléphonen’aétépassé.Personnen’estvenu,personneneviendra,sauftoi-cartuviendras.

Neserait-ilpasironiquequetuaieschoisijustementdemequitteraujourd’hui?Sij’avaispatientéjusqu’àl’heurehabituelledetonretour,j’auraisconstatétonabsenceet,aulieudemeplanteruntubed’acierfroidentrelesgenoux,j’auraispudéambulerdanslamaisonaveclesentimentqu’ellem’appartenaitunpeu;lanuits’avançant,j’auraisacquislacertitudecroissantequetunereviendraispas,etalorsdequellesaudacesn’aurais-jepasétécapable!J’auraispud’uncoupdepieddérangerleschaussuresproprementalignéesdansleplacard;j’auraispumettremestiroirsenfouillissanscraindredesermonlorsquetuledécouvrirais;j’auraispulirelejournaldanslesaintdessaintset,quandj’auraisdûrépondreàunappeldelanature,lelaissergrandouvertsurlatableàcaféaulieudelerepliersoigneusementtelquel’avaitapportélefacteur.Àmonretour,jel’aurais

repliersoigneusementtelquel’avaitapportélefacteur.Àmonretour,jel’auraisretrouvégrandouvert,exactementcommejel’auraislaissé,sansavoiràaffrontertonfroncementdesourcils,tonpiedquitapeimpatiem-mentleplancherettalitaniedeplaintescontrelesindividusincapablesdevivreavecdesgenscivilisés.

Maistunem’aspasquitté,jelesais.Tuvasrentrercesoir;c’auraétéunedecessoiréesoùtuaurasétéretenueaubureauetjesaurais,sij’étaisquelqu’undeproductif,qu’ilestdesoccasionsoùl’onnepeutlaissersontravailenplanetrentrerchezsoisimplementparcequel’horlogeasonnélescinqcoupsdel’heurearbitrairedesortie.Tuvasarriveràseptouhuitheures,aprèslatombéedelanuit;là,tuconstaterasquelechatn’estpasdanslamaisonettucommencerasàbouillirdecolèreparcequejel’ailaissédehorsbienaprèssonheured’exercicedanslepatio.

Maisilauraitétédélicatdemesuicideraveclechatàl’intérieur,n’est-cepas?Commentt’écrireunemissiveaussiclaireetélo-quente,madouce,sitoncompagnonfélinbien-aiménecessaitdemegrimpersurlesépaulespourlaperlesangquimetientlieud’encre?Non,lechatdevaitresterdehors,tuenconviendras;j’avaisuneraisonvalabled’enfreindrelesrèglesdelaviecivilisée.

Cependant,chatounon,lesangs’esttarietjemesersàpré-

sentdemonstyloàbille.Naturellement,jesuisincapabledemerendrecomptes’ilcontientencoredel’encre;jemerappellequ’ilesttombéenpanne,maisils’agitdusouvenirdenombreuxstylosarrivésdenombreusesfoisautermedeleurréserve,etilnemerevientpasdequanddatelaplusrécentepanned’encre,pasplusquejenesaissileplusrécentachatdestyloaeulieuavantouaprès.

C’estd’ailleursleproblèmedelamémoirequimetroubleleplus.Commentsefait-ilque,privédetête,jemesouviennedequoiquecesoit?Jeconçoisquemesdoigtssachentformerleslettresparréflexe,maiscommentpuis-jemerappelerl’ortho-graphedesmots,commentunetelleconnaissancepeut-ellesurvivreenmoi,commentpuis-jemeraccrocheràcespenséesassezlongtempspourlescouchersurlepapier?Pourquoiai-jelesouvenirfantomatiquedetoutcequejesuisentraindefairecommesijel’avaisdéjàaccomplidansquelquelointainpassé?

Jemesuisdécapitédelamanièrelaplusbrutalepossibleetpourtantlamémoirepersiste.C’estd’autantplusironiqueque,sijemerappellebien,c’estlamémoirequej’espéraisleplusanéantir.C’estunparasitequirésideenmoi,une

mémoirequej’espéraisleplusanéantir.C’estunparasitequirésideenmoi,unecréaturemutantequiaescaladémacolonnevertébraleet,perchéedésormaissurmoncoldéchiqueté,m’accabledesarcasmestoutenémettantdesonabdomen,telleunearaignée,unfilgluantqu’elletisseetfaçonneendesformesquidurcissentàl’airetsetransformentenos.Jesuisledindondelafarce;l’organismehumainn’estnormalementpascapablederégénérerdespartiesdelui-mêmepluscomplexesquelesonglesoulescheveux,orjesensduboutdesdoigtsquelesosdemoncousesontmodifiés:mesvertèbressontànouveauintactesetlabasedemoncrâneacommencéàsereformer.

Àquelrythme?Tropvite!Etàl’intérieurdelacavitéosseusecroissentdesmatièresplusmolles,l’épouvantablepetitecréaturequihabitaitautrefoismatêteetpersisteànepasvouloirmourir.

Ceboutonausommetdemacolonnevertébraleestl’embryond’unlobelimbique;jelereconnaiscar,quandjelepresselégèremententremesdoigts,j’éprouved’étrangespassionsquej’avaisàdemioubliées.Bientôt,toutefois,cetteanimalitéserahorsdeportéecarlestissusbourgeonnerontpourformeruncervelet,puisuncerveaugrisetplissé;alorslecrâneserefermera,gainédepeauridéeauxcheveuxrares.

Anéanti,monanéantissement,etbeaucouptropvite.Quesepassera-t-ilsimatêtearecouvrésonintégritésurmesépaulesavanttonretour?Tumetrouverasausous-solaumilieud’ungâchissanglant,incapabled’enfourniruneexplicationration-nelle.Jet’entendsd’icienparleràtesamis:tunepeuxpasmelaisserseuluneheure,malheureusequetues,c’estunfardeaudetouslesinstantsquedevivreavecquelqu’unquifaitbêtisesurbêtiseetquimentpoursedéfendre.Rendez-vouscompte,leurdiras-tu:unelettreentière,toutescespagespourexpliquercommentjemesuissuicidé!Ceseraitdrôlesicen’étaitsitriste!

Tuvasmesoumettreauméprisdetesamis,maiscelanechangerien:lavéritérestelavérité,mêmetournéeendérision.

Néanmoins,pourquoidevrais-jedivertircessinistrespersonnagessansâmequineviventquepoursemoquerd’unhommedontilsnesontpasdignesdedénouerleslacets?Situnedoispasmedécouvrirdécapité,jerefusedetelaisserapprendremongeste.

Tunelirascettelettrequeplustard,aprèsquej’aurairéussiàmouriretquejemeseraifaitembaumer.Tudécouvrirascespagescolléesaurubanadhésifsouslefondd’untiroirdemonbureauoùtuserasalléefureter,nonparcequetu

lefondd’untiroirdemonbureauoùtuserasalléefureter,nonparcequetuespèresytrouverunderniermessagedemapart,maisparcequetuchercheslebilletdecentdollarsquej’yauraiaussifixé.

Quantausang,auxfragmentsdecervelleetd’osquitapissentleplacoplâtre,ilsnetetroublerontpas:jeraclerai,jeponcerai,jepeindrai,et,quandturentreras,tutrouveraslesous-solempuantidetérébenthine;alors,tuprendrastesairsdemartyre,tuempor-teraslespotsdepeintureettum’enverrasdansmachambrecommeunenfantsurprisàécriresurlesmurs.Tun’aurasaucuneidéedelasouffrancequej’auraienduréependanttonabsencenidusangquej’auraiversédansl’uniqueespoirdemelibérerdetoi.Tucroirasqu’ils’agissaitd’unjourcommelesautres;maismoijesauraiqu’encejour,quiseracommelejalonquisépareavantJ.-C.d’aprèsJ.-C.,j’aitrouvélecouragedemettreàexécutionunsoudainetterribleprojetquejen’avaispassoumisd’abordàtonapprobation.

Maistoutcelan’a-t-ilpasdéjàeulieu?Serai-je,dansledédaledelamémoire,incapabledemerappeler,entredenombreusesdécapitations,laquellem’aconduitàt’écrirecemessage?Découvrirai-jeenouvrantletiroirquesoussonfondestdéjàfixéeuneépaisseliassedefeuillesquirenfermeunbilletdecentdollars?Iln’yariendenouveausouslesoleil,disaitlevieuxSalomondansl’Ecclésiaste;Vanitédesvanités,toutestvanité.Rienàvoiravecl’ânerieduroiLemuelàlafindesPro-verbes:Biendesfillesontfaitpreuvedevaleur,maistoi,tulessurpassestoutes!

Quesesuvrespublientsalouange;ha!Moi,jedis:quesatêtefestonnelesmurs.

JEMEsuisLONGTEMPSDEMANDÉsijedevaisprésentercerécitsousformedefictionoudecompterendu.Leraconteravecdesnomsinventéslerendraitplusfacileàaccepterpourcertains;pourmoiaussi.Maisdissimulermonpropreenfantperduderrièreunpseudonymereviendraitàl’effacer.Jevaisdoncnarrercettehistoiretellequ’elles’estdérouléeetpeuimportequecesoitounonplusfacilepourlesunsetlesautres.

Kristine,lesenfantsetmoidéménageâmesàGreensborole1ermars1983.Montravailnemedéplaisaitpas-jen’étaispassûrd’avoirenvied’untravail,c’esttout;maisleséditeursétaienttousaffolésàcausedelarécessionetaucunneproposaitd’avancesuffisantepourmepermettredeprendreletempsd’écrireunroman.Biensûr,j’auraissansdoutepupondretouslesmoissoixante-quinze

roman.Biensûr,j’auraissansdoutepupondretouslesmoissoixante-quinzemillemotsdelittératuredequatresousetlespubliersousunedemi-douzainedepseudonymes,maisilnoussemblait,àKristineetàmoi,quenousnousentirerionsmieuxàlongtermesij’avaisunboulotpourpasserlarécession.

D’ailleurs,mondoctoratdephilosophieétaitdansleschoux:jemedébrouillaispasmalàNotre-Damemais,quandjedemandaiàprendrequelquessemainesenpleinmilieud’unsemestrepouracheverEspoir-du-Cerf,lesresponsablesdelasectiond’anglaissemontrèrentaussicompréhensifsqu’onpeutl’attendredegensquipréfèrentlesauteursdécédésoudomestiqués.Vousn’arrivezpasànourrirvotrefamille?C’estbienregrettable.Vousêtesécrivain?Ahoui,maispersonnen’arédigéd’essaisavantsurvous.

Bonvent,camarade!

Donc,évidemment,j’étaiscontentd’avoiruntravailmaiscedéménagementàGreensborosignifiaitaussiquej’avaiséchoué;jenepouvaispassavoirquemacarrièred’écrivainn’étaitpasachevée.J’allaispeut-êtredevoirécrireetannoterdesouvragessurl’informatiquejusqu’àlafindemesjours;peut-êtrelalittératuren’était-ellequ’unephasetransitoireenattendantdetrouverunvraijob.

Greensboroétaitunetrèsbelleville,surtoutpourdesgensquidébarquaientdudésertdel’Ouest,siboiséeque,mêmeenpleinhiver,onserendaitàpeinecomptequ’onsetrouvaitdansuneagglomération.Kristineetmoientombâmesaussitôtamoureux.

Ilyavaitdesproblèmeslocaux,naturellement-lesgensautourdenousseplaignaientdutauxdecriminalité,parlaientdetensionracialeetautre-,mais,pournousquiarrivionsd’unecitéindus-trielleduNordoùlesémeutesracialesfaisaientragedanslesuniversités,c’étaitleparadis.Desrumeurscirculaientselonlesquellesplusieursdisparitionsd’enfantsétaientàmettreaucompted’unkidnappeurensérie,maisc’étaitl’époqueoùl’oncommençaitàvoirdesphotosd’enfantsdisparussurlescartonsdelait,etonentendaitlamêmehistoiredanstouteslesvilles.

Nouseûmesdumalàtrouverunlogementdécentdansnosmoyens;jedusdemanderuneavanceàmacompagnierienquepourledéménagementetnousavonsaboutidanslamaisonlaplusmochedeChinquaDrive.Imaginez:unebâtisseàfaçadedemauvaisboisdansunquartiertoutenbriques,l’excentriqueducoinensimplerez-de-chausséeentouréed’habitationsàdeuxétagesouà

ducoinensimplerez-de-chausséeentouréed’habitationsàdeuxétagesouàétagesdécalés,assezvieillepourêtredélabréemaispasassezpourparaîtrepittoresque.Cependant,ellepossédaitunevastecourferméeetdessallesdebainsennombresuffisantpourtouslesenfants,etaussipourmonbureau-carjen’avaispasrenoncéàmacarrièrelittéraire,pasencore,pascomplètement.

Lesderniers-GeoffreyetEmily-trouvaientl’aventurepassionnantemaisScotty,l’aîné,avaitunpeuplusdemal:ilavaitpassésamaternelleetlamoitiédesapremièreannéedeprimairedansunemerveilleuseécoleprivéedeSouthBend,àuneruedecheznous;etvoilàqu’ildevaittoutrecommencerenmilieud’annéeaprèsavoirperdutoussesamis,etprendrelebusavecdesinconnus.L’idéededéménagerluiavaitdéplud’emblée,etcelan’allaitpasens’arrangeant.

Naturellement,jenemerendaiscomptederien;moi,jetravaillais-etj’appristrèsviteque,pourréussirchezComputeBooks,ilfallaitrenonceràquelquesdétailstelsquevoirsesenfants.Jem’étaisattenduàcorrigerdesouvragesécritspardesgensquinesavaientpasécrire,etjetombaidesnuesenm’apercevantquejecorrigeaisdeslivressurl’informatiqueécritspardesgensquinesavaientpasprogrammer!Tousn’étaientpasdanscecas,évidemment,maisilyenavaituneassezgrandeproportionpourquejepassebienplusdetempsàréécriredesprogrammesafinqu’ilstiennentdebout-voirequ’ilstournent,toutsimplement-qu’àreprendrelestyledesauteurs.Jememettaisàlatâcheàhuitheuresetdemieouneufheuresdumatinetjetravaillaisd’untraitjusqu’àneufheuresetdemieoudixheuresetdemiedusoir;jeprenaismesrepasdansunThreeMusketeerouj’achetaisunpaquetdechipsaudistributeurdelasalledesemployés,et,pourtoutexercicephysique,jetapaisàlamachine.

Jetenaismesdélaismaisjeprenaisunkilotouslesquinzejours,mesmuscless’atrophiaientetjenevoyaismesgossesquelematin,aumomentdepartiraubureau.

SaufScotty:commeilprenaitlebusscolaireàsixheuresquarante-cinqetquejequittaisrarementlelitavantseptheurestrente,jenelevoyaisjamais.

ToutlefardeaudelafamilleétaitretombésurlesépaulesdeKristine.Pendantmesannéesenlibéral,de1978à1983,nousnousétionsaccoutumésàunecertaineroutinefondéesurlapré-

sencepermanentedepapaàlamaison;ellepouvaitsortirfairequelquescommissionsenlaissantlesenfantsparcequej’étaislà,et,siundespetitsavait

commissionsenlaissantlesenfantsparcequej’étaislà,et,siundespetitsavaitdesproblèmesdediscipline,j’étaislàaussi.Àprésent,sielleavaitdutravailpar-dessuslatêteetqu’elleavaitbesoind’unarticleàl’épicerie,quelestoilettesétaientbouchéesoulaphotocopieusesecoinçait,elledevaitsedébrouillertouteseule.Elledécouvritlesjoiesdescoursesavecuncaddiepleindegosses;sionyajoutequ’elleétaitenceinteetqu’elleavaitenviedevomirlamoitiédutemps,oncomprendraquej’aieeuparfoisdumalàdécidersielleétaitbonnepourlacanonisationoupourl’asile.

Àcetteépoque,nousn’avionspasletempsdenouspenchersurlessubtilitésdel’éducationdesenfants.EllesavaitqueScottynesefaisaitpasbienàsanouvelleécole,maisquepouvait-elleyfaire?Etmoidonc?

Scottyn’avaitjamaisétéaussiextravertiqueGeoffreyetilavaittoujoursbeaucoupfaitbandeàpart,maiscelatournaitmaintenantàl’extrême;ilnerépondaitplusqueparmonosyl-labesoupasdutout;ilavaitl’airconstammentmorose,commes’ilétaitencolère,etpourtant,sic’étaitlecas,ill’ignoraitourefusaitdelereconnaître.Ilrentraitàlamaison,expédiaitsesdevoirs(est-cequ’ondonnaitdesdevoirsquandj’étaisenCP?),puisilbroyaitdunoirdanssoncoin.

S’ilavaitludavantageoumêmeregardélatélé,nousnenousserionspastantfaitdesouci.SonpetitfrèreGeoffreydévoraitdéjàlesbouquinsàcinqansetScottyétaitcommelui;maisdésormaisilchoisissaitunlivre,puislereposaitsanslelire.Ilnesuivaitmêmepassamèrepartoutdanslamaisonnirien;ellelevoyaitassisdanslesalon,allaitchangerlesdrapsdeslits,rangeaitunemachinedelingepropre,et,àsonretour,elleleretrouvaitassisaumêmeendroit,lesyeuxouvertsdanslevide.

J’essayaideluiparler.Laconversationfutsansuneombred’originalité:

«Scotty,tunevoulaispasdéménager,nouslesavonsbien,maisnousn’avionspaslechoix.

-Biensûr.Cen’estpasgrave.

-Tuteferasdenouveauxamis,peuàpeu.

-Jesais.

-Iln’yapasdeschosesquiteplaisent,ici?

-Iln’yapasdeschosesquiteplaisent,ici?

-Si,si,çavabien.»

Bentiens!

Maisnousn’avionspasletemps;pasletempsderéparercequisedétériorait.Sinousavionspuimaginerquec’étaitladernièreannéedeviedeScotty,nousnousserionspeut-êtredémenésdavantagepourarrangerlasituation,mêmesij’avaisdûyperdremaplace,mais,ceschoses-là,onnelessaitjamaisàl’avance.Ons’enaperçoittoujoursquandilesttroptardpourychangerquoiquecesoit.

Et,defait,quandl’annéescolaires’acheva,lasituations’amé-

lioraquelquetemps.

D’abord,jevoyaisScottylematin;ensuite,iln’étaitplusobligéd’alleràl’écoleaumilieud’untasdegossesquiluimenaientlaviedureouluitournaientledos;enfin,ilnepassaitplussontempsàbroyerdunoirdanslamaison:maintenant,ilbroyaitdunoirdehors.

Audébut,Kristinecroyaitqu’iljouaitavecnosautresenfants,commeàl’époqueoùl’écolenelesavaitpasencoreséparés;mais,peuàpeu,elleserenditcomptequeGeoffreyetEmilyjouaienttoujoursensembleetqueScottynesejoignaitpresquejamaisàeux.Ellevoyaitlespetitss’aspergeravecleurspistoletsàeau,courirsouslestourniquetsd’arrosageouchasserlelapindegarennequinichaitdanslesenvirons,maisScottyn’étaitjamaisaveceux:ilenfonçaitunebrindilledanslesnidsdeche-nillesprocessionnaires,danslesarbres,ouilcreusaitsouslabor-durequicouraittoutlelongdelamaisonetempêchaitlespetitsanimauxdesefaufilerdanslevidesanitaire.Uneoudeuxfoisparsemaine,ilrentraitsisalequeKristinedevaitlemettreaubain,maisellen’entiraitpaspourautantlaconclusionrassurantequ’ilseconduisaitnormalement.

Le28juillet,Kristinefutadmiseàl’hôpitaletmitaumondenotrequatrièmeenfant.CharlieBenfituneapoplexieàlanaissanceetilpassalespremièressemainesdesonexistenceensoinsintensifstandisquelesmédecinsluifaisaientsubirtoutessortesdetests,pours’apercevoirfinalementqu’ilsignoraientcequin’allaitpas.C’estplusieursmoisplustardqu’onprononçaletermede«paralysiecérébrale»,maisnotrevieavaitdéjàétébouleversée.Elleétaitentièrementcentréesurl’enfantquiavaitleplusgrandbesoindenous-c’estce

entièrementcentréesurl’enfantquiavaitleplusgrandbesoindenous-c’estcequisefaitnormalement,dumoinslecroyions-nous.Maisàquelleaunemesurerlesbesoinsd’unenfant?Commentcomparerceuxdesunsetdesautres,etdéciderquiméritequoi?

Quandnousrefîmesenfinsurface,nousdécouvrîmesqueScottys’étaitfaitquelquesamis;souvent,quandKristinedonnaitleseinàCharlieBen,Scottyrentraitenracontantqu’ilavaitjouéauxsoldatsavecNickyouauxpiratesaveclescopains.Ellesongeatoutd’abordqu’ils’agissaitd’enfantsduquartiermaisunjour,commeilparlaitdefabriquerunchâteaufortdansl’herbe(jen’avaisguèreletempsdepasserlatondeuse),elleserappelal’avoirvubâtirlechâteauenquestiontoutseul;ledoutenaquitenelleetellesemitàluiposerdesquestions:Nickycomment?

Jenesaispas,maman;Nicky,c’esttout.Oùhabite-t-il?Danslecoin;jenesaispas.Souslamaison.

End’autrestermes,c’étaientdesamisimaginaires.

Depuiscombiendetempslesfréquentait-il?Nickyavaitétélepremiermaisilyavaitàprésenthuitnoms:Nicky,Van,Roddy,Peter,Steve,Howard,RustyetDavid.NiKristinenimoin’avionsjamaisentenduparlerdequelqu’unquiavaitplusd’uncamaradeimaginaire.

«Cegosseréussiramieuxquemoicommeécrivain,dis-je:inventerhuitpersonnagesdanslamêmesérie,bravo!»

Kristinerestahermétiqueàmonhumour.«Ilesttropsolitaire,Scott,répondit-elle;j’aipeurqu’ilneperdepiedunjour.»

C’étaiteffectivementtrèsinquiétant.Maisqu’yfaires’ilperdaitlaboule?Nousessayâmesmêmedel’amenerdansuncentremédical,bienquejen’aieaucuneconfiancedanslespsychologues:leursexplicationsromanesquesducomportementhumainmeparaissentfranchementnullesetleurtauxderéussiteestminable-unplombierouuncoiffeurquiauraitleurefficacitéseretrouveraitauchômageauboutd’unmois.JeprissurmontempsdetravailpourconduireScottyaucentretouteslessemainespendantlemoisd’août,maisiln’aimaitpasçaetlapsychologuenefitquenousrépétercequenoussavionsdéjà:Scottysesentaitseul,ilétaittriste,iléprouvaitunpeuderancuneetunpeud’inquiétude;laseuledifférenceentreelleetnous,c’estqu’elleemployaitdestermesplustarabiscotés:aulieudenousapporterdel’aide,onnousdonnaituneleçonde

tarabiscotés:aulieudenousapporterdel’aide,onnousdonnaituneleçondevocabu-laire.Enrevanche,lathérapiequenousavionsinventéenous-mêmescetété-làparaissaitefficace;nousnereprîmesdoncpasrendez-vousaucentre.

Notrethérapiemaisonconsistaitàl’empêcherd’allerdehors;ilsetrouvaitquelepèredenotrepropriétaire,quinousavaitpré-

cédésdansleslieux,repeignaitjustementlamaisoncettesemaine-là,cequinousfournissaitunebonneexcuse.Demoncôté,jerapportaiunpaquetdejeuxvidéo,sousprétextedeles

226

L’HOMMETRANSFORMÉ

essayerpourCompute!maisenréalitédansl’espoird’attirerScottyversuneactivitéquiledétourneraitdesescamaradesimaginaires.

Celamarcha-plusoumoins.Ilneseplaignaitpasdenepluspouvoirsortir(d’unautrecôté,ilneseplaignaitjamaisderien),etiljouaitauxjeuxinformatiquespendantdesheures.Kristinen’étaitpassûrequecefûtvraimentunbien,maisc’étaituneamélioration-dumoinslepensions-nous.

Encoreunefois,d’autrespréoccupationsdemandèrentnotreattentionetnousrestâmesquelquetempssansnousinquiéterdeScotty:nousavionsdesproblèmesd’insectes.Unenuit,ungrandcrideKristinemeréveilla;mais,toutd’abord,uneprécision:quandKristinecrie,celaveutdirequetoutvabien,dansl’ensemble.Quandilseproduitquelquechosedevraimentépouvantable,ellegardesonsang-froid,neditrienetelles’enoccupe;maislorsqu’ils’agitd’unepetitearaignée,d’unegrossemiteoud’unetachesuruncorsage,là,ellecrie.Jem’attendaisdoncàlavoirrevenirdansnotrechambrepourmedécrirelemonstrueuxinsectequ’elleavaitdûfrapperàcoupsdetalondanslasalledebainsjusqu’àcequemorts’ensuive.

Seulement,cettefois,ellecontinuadecrier;jemelevaidoncpourvoircequisepassait.Ellem’entenditarriver-j’étaismontéàcentquinzekilosetjefaisaisautantdebruitquetoutelacavale-riedugénéralCuster-etellemelançacetavertissement:«Metsd’abordteschaussures!»

J’allumaidanslevestibule:ilpullulaitdegrillons.Jeretournaidansmachambreetenfilaimeschaussures.

etenfilaimeschaussures.

Aprèsqu’onareçuuncertainnombredegrillonssursesjambesnuesetqu’onlesasentigrouillerentresesmains,oncessed’avoirenviedevomir:onlesattrapeàpleinespoignéesetonlesfourredanslesacpoubelle.Évidemment,parlasuite,onpassesixheuresàserécureravantd’avoirlasensationd’êtrepropreetonadescauchemarsoùonsefaitchatouillerpardeminusculespattes;mais,surlemoment,oncessedepenseretonfaitcequ’ilfautfaire.

L’invasionprovenaitduplacarddelachambredesenfants,oùScottyoccupaitlelitduhautetGeoffreyceluidubas.IlyavaitquelquesgrillonssurlelitdeGeoffmaisilneseréveillamêmepasquandnouschangeâmessondrapdedessusetsecouâmessacouverture.Nousrepérâmeslafissureaufondduplacard,l’aspergeâmesdeRaidpuislabouchâmesàl’aided’unvieuxdrapquinousservaitàfairedeschiffons.

Enfin,nousnousdouchâmesennousdisantenmanièredeplaisanteriequenousaurionseubienbesoindequelquesmouettespournousdébarrasserdenosgrillons,commeellesenavaientdébarrassélespionniersmormonsdeSaltLake,etnousnousrecouchâmes.

Nosennuisnes’arrêtèrenttoutefoispasauxgrillons.Lelendemainmatin,Kristinem’appeladenouveau:ilyavaitdeshannetonsmortssurseptouhuitcentimètresd’épaisseurdanslafenêtreau-dessusdel’évier,entrelavitreetlacontre-fenêtre.

J’ouvrislebattantpourlesenleveravecl’aspirateuretlescadavrestombèrentsurleplandetravaildelacuisine.Quandjelesaspirai,ilsfirentundésagréablepetitbruitdegrenailledansletuyaudel’appareil.

Lelendemain,ilyenavaitencoreautant,etlesurlendemainaussi,puisl’invasionsecalma.Lesjoiesdel’été.

Nousappelâmeslepropriétairepourluidemanders’ilvoulaitbiennousaideràpayerunedésinsectisation;enréponse,ilnousenvoyasonpèrearméd’unpulvérisateur,qu’ilemployadanslevidesanitaireavecunetelleardeurquenousdûmesnousenfuiràborddelavoitureetpassertoutlesamedisurlaroutejusqu’àcequ’unoragedefind’après-midibalayel’odeurou,dumoins,l’étouffeassezpournouspermettrederentrer.

Bref,entrecesennuis-làetlesproblèmessansfindeCharlie,Kristineneserenditpasdutoutcomptedecequisepassaitavecl’ordinateur.C’estun

renditpasdutoutcomptedecequisepassaitavecl’ordinateur.C’estundimancheaprès-midi,alorsquejemetrouvaisàlacuisineentraindeboireunCocalight,quej’entendisScottyéclaterderiredanslesalon.

C’étaittellementrarecheznousquej’allaiàlaportedusalonpourleregarderjouer.Ilavaittrouvéunpetitjeugénialavecdesanimationsincroyables:desenfantsdansunbateau,despiratesquis’acharnaientàlesaborderetdesoiseauxgéantsqu’ilfallaitabattreavantqu’ilsdéchirentlavoile.Iln’avaitpasl’aspectmécaniquedesjeuxhabituelsetj’appréciaiparticulièrementunedescaractéristiques,àsavoirquelejoueurn’étaitpasseul:d’autresenfants,pilotésparl’ordinateur,étaientlàpouraiderlepersonnageàvaincrel’ennemi.

«Vas-y,Sandy!criaScotty.Vas-y!»Surquoil’undesenfantsenfonçasonépéedanslecurduchefpirateetmitsessbiresendéroute.

J’étaisimpatientdevoirquelnouveauscénariolejeuallaitsuivre,maisàcetinstantKristinem’appelapourquejel’aideàsoignerCharlie;quandjerevins,Scottyn’étaitpluslàetEmilyavaitlancéunautrejeusurl’Atari.

Cefutpeut-êtrelemêmejour,peut-êtreunautre,quejedemandaiàScottylenomdujeudesenfantssurlebateaupirate.

«C’étaitunjeu,c’esttout,p’pa,répondit-il.

-Maisilabienunnom,quandmême?

-Jenesaispas.

-Oùas-tuprisladisquettepourlamettredanslamachine?

-Jenesaispas.»Etilrestaassisàmeregardersansmevoir;jerenonçai.

L’étés’acheva;Scottyretournaàl’école,et,commeGeoffreyentraitenmaternelle,ilsprenaientlebusensemble.Plusimportant,notresituationsestabilisavis-à-visdupetitdernier,Charlie;iln’existaitpasdetraitementcontrelaparalysiecérébralemaisaumoinsnousconnaissionsdésormaisleslimitesdesonétat.Parexemple,çan’empireraitpas;çanes’amélioreraitpasnonplus.

Ilparleraitetmarcheraitpeut-êtreunjour,maiscen’étaitpascertain;notrerôleconsistaitàlestimulerassezpourque,s’ils’avéraitqu’iln’étaitpasretardé,ilpuissesedéveloppermentalementmêmesisespossibilitésphysiques

puissesedéveloppermentalementmêmesisespossibilitésphysiquesdemeuraientterriblementrestreintes.C’étaitfaisable;lapeuravaitdisparuetnouspouvionsreprendrenotresouffle.

Puis,àlami-octobre,monagentem’appritqu’elleavaitplacémasériedes«Alvin»àTomDoherty,chezTORBooks,etqueTomproposaituneavancesuffisantepournouspermettredevivre.CettenouvelleajoutéeaunouveaucontratpourLaStraté-

gieEndermefitcomprendreque,pournousdumoins,larécessionétaitpassée.JerestaiquelquessemainesencorechezCompute!Books,surtoutparcequej’avaistantdeprojetsencoursquejenepouvaispasleslaissertomberdujouraulendemain;maisjeprisalorsconsciencedecequecetravailimposaitàmafamilleetàmonorganisme:leprixàpayerétaittropélevé.

Jedonnaiunpréavisdequinzejoursenpensantterminerlesprojetsquej’étaisseulàpouvoirachever,mais,paranoïaque,ladirectionrefusad’acceptermesdeuxsemainesetmefitvidermonbureaul’après-midimême.Tantdehargnemelaissaungoûtamermais,aprèstout,audiable:j’étaislibre.Jerentraichezmoi.

Àlamaison,lesoulagementfutpresquetangible:GeoffreyetEmilyretrouvèrentaussitôtuneconduitenormale;jefisenfinlaconnaissancedeCharlieBen;Noëlapprochait(jecommencetoujoursàjouerdelamusiquedeNoëlquandlesfeuillesdesarbresjaunissent)ettoutétaitbiendanslemonde.SaufScotty.

SaufScotty,commetoujours.

C’estàcemomentquejedécouvriscertaineschosesquej’ignoraistotalement:Scottynejouaitjamaisàaucundesjeuxquej’avaisrapportésdechezCompute!Jem’enrendiscomptelorsquejelesrendis:GeoffetEmseplaignirenthautement-

maisScotty,lui,nesavaitmêmepasquelsjeuxavaientdisparu;plusimportant,celuidesenfantsetdespiratesnesetrouvaitpasdanslelot,nidansceuxquej’avaisrendusnidansceuxquinousappartenaient.EtpourtantScottycontinuaitàyjouer.

Ilyjouaitunsoiravantdesecoucher.J’avaistravaillétoutelajournéesurLaStratégieEndercarjevoulaisterminerlebouquinavantNoël.Jesortisdemon

StratégieEndercarjevoulaisterminerlebouquinavantNoël.Jesortisdemonbureaulorsquej’entendisKristinerépéterpourlatroisièmefois:«Scotty,vaaulittoutdesuite!»

Pouruneraisonquej’ignore,sanséleverlavoixnidistribuerdegiflesnirien,j’aitoujoursréussiàmefaireobéirdesgossesquandKristineneparvientplusàleurfairereconnaîtresasimpleexistence-sansdouteunecaractéristiquepropreauxvoixmâlesgraves;parexemple,quandGeoffreyavaitdesproblèmesdesommeil,j’aitoujourspul’endormirenluichantantdeschansonsalorsqueKristinen’arrivaitàrien.Aussi,quandjem’encadraidanslechambranledelaporteetdéclarai«Scotty,ilmesemblequetamèret’aditd’allertecoucher»,jenem’étonnaipasqu’iltendeaussitôtlamainpourcouperl’ordinateur.

«Jel’éteindrai,repris-je.Aulit!»

Ilvouluttoutdemêmeatteindrelebouton.

«Vatecoucher!»tonnai-jedemaplusbassevoixdeDieulepère.

Ils’enallasansmeregarder.

Jem’approchaidel’ordinateurpourlemettrehorstensionetjevisalorslesenfants,lesmêmesquelapremièrefois;maislàilsnesetrouvaientplussurunbateaupirate:ilsétaientàbordd’unevieillelocomotiveàvapeurquifonçaitsurdesrails.Queljeu!

medis-je.Lesdisquettessimplefacedel’Atarinecontiennentque100ko,etilsontréussiàycaserdeuxscénarioscomplets,toutescesanimationset…

Etiln’yavaitpasdedisquettedanslelecteur.

C’étaitdoncunjeuàchargerenmémoire,aprèsquoionenlevaitladisquette,cequivoulaitdirequ’iltenaittoutentierdanslaRAM;parconséquent,toutescesanimationsdequaliténeprenaientpasplusde48kodeplace.Pourmoiquim’yconnaissaispasmalenprogrammation,c’étaitquasimentunmiracle.

Jecherchailadisquettesurlebureau:rien.Scottyadûlaranger,medis-je;pourtant,j’eusbeaufouiller,jenetrouvaiaucunedisquetteinconnuedansnotrecollection.

Jem’assispourjoueràmontour-maislesenfantsavaientdisparu;iln’yavaitplusqueletrainquifonçait.Etl’arrière-planavaitluiaussidisparu:seull’écran

plusqueletrainquifonçait.Etl’arrière-planavaitluiaussidisparu:seull’écranbleus’étendaitderrièreletrain.Plusderailsnonplus;etenfinplusdetrain.Touts’évanouitetl’écranretrouvasacouleurbleuehabituelle.Jetripotaileclavier:leslettresquejetapaiapparurent.Ilmefallutquelquesretoursàlalignepourcomprendrecequisepassait:l’Atariétaitenmodebloc-notes.Jesongeaitoutd’abordquec’étaitunfabuleuxsystèmedeprotectionàlacopiedepassersurunmodequiinterdisaitd’accéderàlamémoiresanséteindrelamachine,cequividaitautomatiquementlaRAM.Maisjem’aperçusalorsqu’uneboîtecapabledefabriquerunjeudecettequalité,avecuncodeaussicompact,afficheraitcertainementsonlogoàlafindelapartie.Etd’abordpourquoileprogrammes’était-ilarrêté?

Scottyn’avaittouchéàrien,surmonordre,etmoinonplus.

Pourquoilesenfantsavaient-ilsquittél’écran?Pourquoiletrainavait-ildisparu?L’ordinateurn’avaitaucunmoyende«savoir»

queScottyavaitcessédejouer,d’autantplusquelejeuavaitcontinuéàtourneraprèssondépart.

Néanmoins,jen’enparlaiàKristinequelorsquetoutfutfini:ellen’yconnaissaitrienenordinateurs,saufpourallumerlamachineetlancerWordstarsurl’Altos,etelleneserendaitpascomptedecequelejeudeScottyavaitd’étrange.

NousétionsàdeuxsemainesdeNoëlquandlesinsectesrefirentleurapparition.C’étaitanormal:lefroidauraitdûlestuertous;laseuleexplicationquenoustrouvâmesauphénomènefutqu’ildevaitfaireunpeupluschauddanslevidesanitairedelamaisonqu’àl’extérieur.Quoiqu’ilensoit,nouseûmesdenouveaudroitàunepassionnantenuitd’ensachagedegrillons;levieuxdrapn’avaitpasbougédelafissureduplacardoùnousl’avionsfourré:cettefois,lesinsectessortaientdesousl’armoiredelasalledebains;etlelendemain,nouseûmesdesfaucheuxdanslabaignoireaulieudehannetonsdanslafenêtredelacuisine.

«N’enparlesurtoutpasaupropriétaire,suppliai-jeKristine.

Jen’aipasenviederepasserunejournéeavecsonpesticide.

-C’estsûrementsonpèreleresponsable,meditKristine.

Ilétaiticiàpeindrelapremièrefoisquec’estarrivé,tuterappelles?Etaujourd’huiilestvenuposerlesguirlandesélectriques.»

Et,aufonddenotrelit,nousnousmîmesàglousser,tantcetteidéeétaitabsurde.Quandlepèredupropriétaireavaitinsistépourposerlesampoulesànotreplace,nousavionstrouvélapropositionunpeubébêtemaisgentille,aufond.Scottyétaitsortidanslejardinetn’avaitpascesséuneminutedeleregardertravailler:c’étaitlapremièrefoisqu’ilvoyaitdesguirlandesélectriquesaccrochéeslelongdutoit,parcequejesuisàcepointsujetauvertigequ’iln’estpasquestiondemefairemontersuruneéchelledelataillerequisepourceboulot;aussilamaisonrestait-elletoujoursnue,àl’exceptiondesampoulesdusapin,visiblesparlafenêtre.Néanmoins,KristineetmoisommesincapablesderésisteraukitschdeNoël;pensez,nousallonsjusqu’àécouterlesnoëlsdesCarpenters!Alors,quandlepèredupropriétaireaproposédelefaireànotreplace,nousavonstrouvél’idéesuperbe.«J’aihabitéicidesannées,nousdit-il,etmafemmeetmoiposionsdesdécorationstouslesans.Pourmoi,ilmanqueraitquelquechoseàlamaisonsansguirlandesélectriques.»

Enplus,c’étaitunvieuxmonsieurtrèsgentil,pastrèsrapidemaisencorecostaud,quitravaillaitlentementetbien.Lesguirlandesfurentinstalléesenquelquesheures.

LescoursesdeNoëlàfaire,lescartesàenvoyerettoutlebataclan:nousavionsdequoifaire.

Puisunmatin,unesemaineàpeuprèsavantNoël,jepense,Kristineétaitentraindelirelejournalquandjelasentisdevenirparfaitementcalmeetglacée-commelorsqu’ilsepassequelquechosedevraimentgrave.«Scott,lisça,medit-elle.

-Raconte-moiplutôtdequoiils’agit,répondis-je.

-C’estunarticlesurlesenfantsdisparusdeGreensboro.»

Jejetaiuncoupd’oeilautitre:LESENFANTSQUINESERONTPAS

CHEZEUXPOURNOËL.«Jen’aipasenvied’enentendreparler»,dis-je.Leshistoiresdevioloud’enlèvementd’enfantsmemettentdanstousmesétats,etensuitejen’arriveplusàtrouverlesommeil;j’aitoujoursétécommeça.

«Ilfautquetuécoutes,cettefois-ci,répliquaKristine.Voicilalistedespetits

«Ilfautquetuécoutes,cettefois-ci,répliquaKristine.Voicilalistedespetitsgarçonsdontonasignaléladisparitionaucoursdestroisdernièresannées:RussellDeVerge,NicholasTyler…

-Oùveux-tuenvenir?

-Nicky,Rusty,David,Roddy,Peter.Çaneteditrien?»

Jen’aipaslamémoiredesnoms.«Non.

-Steve,Howard,Van.Leseulquinecollepas,c’estledernier,AlexanderBooth.Iladisparucetété.»

Jenesaispourquoi,lafaçondontKristinemeparlaitdecetarticlem’agaçaitauplushautpoint:elleétaitvisiblementbouleverséemaisellenecessaitdetournerautourdupot.«Bon,alorsquoi?fis-jesèchement.

-LescamaradesimaginairesdeScotty,répondit-elle.

-Allonsdonc!»Maisellevérifialesnomsavecmoi-ellelesavaittousnotésaumomentoùlapsychologuenousavaitdemandédetenirunjournalducomportementdenotrefils:ilscorrespondaient,apparemmentdumoins.

«Scottyadûlireunarticleparuavantcelui-ci,dis-je,etçal’auramarqué.Ilatoujoursététrèssensibleauxmalheursdesautres;ils’estpeut-êtreidentifiéàeuxparcequ’ilavaitlesentimentde…jenesaispas,moi,d’avoirétéenlevédeSouthBendetamenécontresongréàGreensboro.»Et,surl’instant,monidéemesemblatrèsplausible-aussiplausiblequeleshistoiresdontlespsysfontleurfondsdecommerce.

Kristinenefutpasconvaincue.«D’aprèslejournal,c’estlapremièrefoisquetouscesnomssontréunisdansunarticle.

-Tuparles!C’estdusensationnalisme.

-Scott,touslesnomscollent.

-Saufun.

-Tum’envoissoulagée!»

Maispasmoi,parcequejevenaisdemerappelercequedisaitScottypendant

Maispasmoi,parcequejevenaisdemerappelercequedisaitScottypendantsonjeudespirates:«Vas-y,Sandy!»JemisKristineaucourant.Alexander,Sandy;çasetenaitautantqueRusselletRusty.Iln’avaitpastrouvéhuitnomssurneuf:illesavaittoustrouvés.

Lesangoissesd’unpèreoud’unemèresontinnombrablesmaisjepeuxvousaffirmerquejen’aijamaiséprouvédeterreurpourmoi-mêmequisoitcomparableàcequ’onressentenapercevantsongamindedeuxansquicourtverslarue,envoyantsondernier-néfaireuneattaqued’apoplexieouenserendantcomptequ’ilyaunrapportentresonfilsetdesaffairesd’enlèvement.Jenemesuisjamaistrouvéàbordd’unavionauxmainsd’ungroupedeterroristes,onnem’ajamaispointéunpistoletsurlatempeetjenesuisjamaistombéduhautd’unefalaise;ilexistedoncpeut-êtredesangoissespires.Néanmoins,jesuispartientête-à-queueavecmavoituresuruneautorouteenneigéeetjemesuisaccrochéauxpoignéesdemonsiègependantquemonavionfaisaitdesbondsdecarpeenpleinvol,etpourtantriendetoutcelan’égalaitcequejeressentisàlirel’article.Desenfantsquidisparaissaientcommeça,sansqu’onvoiepersonnelesemmener,sansqu’onaitremarquéquiconqueentrainderôderautourdechezeux.Lesgossesnerentraientpasdel’école,oubienilsjouaientdehorsetnerépondaientpasquandonlesappelait.

Évanouisdanslanature.EtScottysavaitlenomdechacun,Scottyavaitjouéaveceuxdanssonimagination.Commentlesconnaissait-il?Pourquois’était-ilfixésurcesenfantsperdus?

Nousl’observâmespendantladernièresemaineavantNoël;ilétaitdistant,ils’écartaitdenous,évitaittoutcontactphysique,nesuivaitpaslesconversations.IlsavaitqueNoëlapprochaitmaisilnedemandaitrien,neparaissaitpasimpatient,n’avaitpasenviedenousaccompagnerauxcourses.Onauraitmêmeditqu’ilnedormaitpas:j’entraissouventdanssachambreavantd’allerdormir-àuneoudeuxheuresdumatin,bienlongtempsaprèsqu’ils’étaitcouché-,etilétaitallongésursonlit,toutessescouverturesrejetéesdecôté,lesyeuxgrandsouverts.SesinsomniesétaientpiresquecellesdeGeoffrey.Et,pendantlajournée,ilrestaitdevantl’ordinateuroudehorsdanslefroid.

Kristineetmoinesavionsplusquefaire.L’avions-nousdéjàperdusanslesavoir?

Nouscherchâmesàl’intéresseràlaviedefamille:ilrefusaitd’allerfairelescoursesdeNoëlavecnous.Nousluidisionsderesterdanslamaisonpendantnotreabsence:nousleretrouvionsdanslejardin.J’allaimêmejusqu’à

notreabsence:nousleretrouvionsdanslejardin.J’allaimêmejusqu’àdébrancherl’ordinateuretcachertouteslesdisquettesettouteslescartouches,maisseulsEmilyetGeoffreyensouffrirent:quandj’entraisdanslesalon,Scottyétaittoujoursentraindejoueràsonjeuimpossible.

Ilnedemandarienjusqu’àlaveilledeNoël.

Kristinevintmevoirdansmonbureaualorsquej’étaisentraind’écrirelascèneoùEnderdécouvreunesolutionauproblèmedesdeuxverresduGéant.C’estpeut-êtreàcausedecequevivaitScottyquelesjeuxinformatiquespourenfantsmefascinaienttantdanscelivre:quisaitsijen’essayaispasdemeconvaincrequelesjeuxvidéoavaientunsens?Cequiestsûr,c’estquejemerappelleencoreàquellephrasej’enétaisquandKristineparutàlaporte,totalementcalme,totalementterrifiée.

«Scottyvoudraitquenousinvitionsquelques-unsdesesamispourlanuitdeNoël,dit-elle.

-Ilnousrestedelaplacepourdescamaradesimaginaires?

demandai-je.

-Ilsnesontpasimaginaires.Ilsattendentdanslacourdederrière.

-Tuveuxrire?Ilfaitunfroiddecanard!QuelsparentslaisseraientleursenfantssortirlanuitdeNoël?»

Commeellenerépondaitpas,jemelevaipourl’accompagneràlaportedufond,quej’ouvris.

Ilsétaientneuf,desixàdixans,àvuedenez.Quedesgar-

çons,certainsenchemise,d’autresavecunmanteau,unenmail-lotdebain.Jen’aipaslamémoiredesvisages,maisKristinesi.

«Cesonteux,murmura-t-ellecalmementderrièremoi.Lui,c’estVan;jemelerappelle.

-Van?»fis-je.

Illevalesyeuxetavançatimidementd’unpas.

Illevalesyeuxetavançatimidementd’unpas.

J’entendislavoixdeScottydansmondos.«Ilspeuvententrer,p’pa?JeleuraipromisquetuleslaisseraispasserlanuitdeNoëlavecnous.C’estcequileurmanqueleplus.»

Jemetournaiverslui.«Scotty,onasignaléladisparitiondetouscesenfants.Oùétaient-ils?

-Souslamaison»,dit-il.

JesongeaiauvidesanitaireetaunombredefoisoùScottyétaitrevenucrottél’étéprécédent.

«Commentsont-ilsarrivéslà?demandai-je.

-C’estlevieuxmonsieurquilesyamis.Ilsdisaientquejenedevaisenparleràpersonne,sinonlevieuxmonsieursemettraitencolèreetilsnevoulaientpasqu’ilsemetteencoreencolèrecontreeux;maisj’aiditquetoietmaman,jepouvaisvousenparler.

-Tuaseuraison,dis-je.

-Lepèredupropriétaire»,chuchotaKristine.

Jehochailatête.

«Maiscommenta-t-ilpulescacherlà-dessoustoutcetemps?

Quandleurapporte-t-ilàmanger?Quand…»

Ellesavaitdéjàquelevieuxmonsieurneleurapportaitpasàmanger.Jenevoudraispasqu’oncroiequeKristinenel’avaitpasaussitôtcompris,maisc’estlegenred’idéequ’onnielepluslongtempspossible,etencoreau-delà.

«Ilspeuvententrer»,dis-jeàScotty,etjemetournaiversKristine,quiacquiesçadelatête.J’enétaissûr:onnelaissepasàlaportedesenfantsperduslesoirdeNoël-mêmes’ilssontmorts.

Scottysourit.Onn’imaginepascequecesourirereprésentaitpournous:ilyavaitsilongtempsquecelan’étaitplusarrivé!JenecroispasquejeluiavaisvuuntelsouriredepuisnotreinstallationàGreensboro.Ilcriaauxenfants:«C’est

untelsouriredepuisnotreinstallationàGreensboro.Ilcriaauxenfants:«C’estd’accord!Vouspouvezentrer!»

Kristinetintlaporteouverteetjedégageailepassage.Ilsentrèrentàlaqueueleuleu,certainsaveclesourire,d’autrestroptimidespourcela.«Allezdanslesalon»,dis-je,etScottylesconduisit,fiercommeunmaîtredemaisonquifaitvisitersasplendiderésidenceflambantneuve,etilss’assirentparterre.Iln’yavaitguèredecadeaux,rienqueceuxdesenfants-ceuxdesparents,nousnelesmettonsenplacequ’aprèslecoucherdesgosses-,maislesapinétaitlà,toutilluminé,avecnosdécorationsfaitesmainaccrochéesauxbranches,mêmecellesendentellequeKristineavaitfabriquéeslorsque,enceintedeScotty,ellegardaitlelitlematinàcausedesnauséesquinevoulaientpaslalâcher,mêmelespetitsanimauxenboulesdelainecolléesensemblequidataientdupremiersapindeNoëldeScotty,toutesplusvieillesquelui.Etcelanes’arrêtaitpasausapin:toutelasalleétaitornéedeglandsrougeetvert,devillagesminiaturesenbois;unhippopotameenpeluchedéguiséenPèreNoëltrônaitàcôtéd’untraîneauenosier,d’ungrandramoneur-casse-noixetdetoutlefourbiquenousn’avionspaspunousempêcherd’acheteroudefabriqueraucoursdesannées.

NousappelâmesEmilyetGeoffrey,etKristineallachercherCharlieBenetlecalasursesgenouxpendantquejeracontaisleshistoiresdelanaissanceduChrist,lesbergers,lesroismages,etcelledulivredesmormonssurlesdeuxjoursetlanuitsansobscurité;jepoursuivisenexpliquantlesensdelaviedeJésusetjeparlaidupardonqu’ilfautaccorderpourtouteslesmauvaisesactions.

«Toutes?»demandaundesenfants.

C’estScottyquirépondit.«Non!Pasquandontue.»

Kristinesemitàpleurer.

«C’estvrai,repris-je.DansnotreÉglise,nouscroyonsqueDieunepardonnepasàceuxquituentexprès;et,dansleNouveauTestament,Jésusditquesiquelqu’unfaitdumalàunenfant,ilvaudraitmieuxqu’ils’attacheunegrossepierreaucouetqu’ilsejettedanslamer.

-C’estvraiqueçafaitmal,papa,ditScotty.Ilsnem’enavaientpasparlé.

-C’étaitunsecret»,intervintl’undesgarçons-Nicky,d’aprèsKristinequialamémoiredesnomsetdesvisages.

«Vousauriezdûmeprévenir,fitScotty;jenel’auraispaslaissémetoucher.»

«Vousauriezdûmeprévenir,fitScotty;jenel’auraispaslaissémetoucher.»

Etnouscomprîmesàcetinstantqu’ilétaittroptardpourlesauver,queScottyétaitmortluiaussi.

«Excuse-moi,maman,poursuivit-il.Tum’avaisditdeneplusjoueraveceux,maisc’étaientmescopainsetj’avaisenvied’êtreaveceux.»Ilbaissalesyeux.«Jenepeuxmêmepluspleurer;jen’aiplusdelarmes.»

Iln’avaitjamaisfaitd’aussilongdiscoursdepuisnotrearrivéeàGreensboroenmars.Dansletourbillond’émotionsquim’habitaient,unsentimentamerressortait:nousavionspassétoutecetteannéeànousrongerlessangs,ànousefforcerdel’atteindre,etilavaitfalluqu’ilmeurepourenfinnousparler.

Maisjemerendisalorscomptequecen’étaitpassamortlefacteurdéterminant:c’étaitlefaitque,quandilavaitfrappé,nousluiavionsouvert;que,quandilavaitdemandé,nousl’avionslaisséentrercheznousavecsesamiscettenuit-là.Ilnousavaitfaitconfiance,malgréladistancequis’étaitétablieentrenousaucoursdel’année,etnousnel’avionspasdéçu.

C’estlaconfiancequinousavaitvaluundernierréveillondeNoëlavecnotreenfant.

Cependant,nousnetentâmespasdedébrouillertoutcelacesoir-là:desenfantsétaientlàquiavaientbesoindecedontrêventlesenfantsparunetellenuit.KristineetmoileurracontâmesdeshistoiresdeNoël,puisnousleurparlâmesdestraditionsdeNoëld’autrespaysetd’autresépoques,etpeuàpeuilssedégelèrent,aupointquechacunnousexpliqualescoutumesdesafamille;ilsriaient,bavardaient,plaisantaient.Mêmesic’étaitleplushorribledesNoëls,cefutaussileplusbeaudenotrevie,celuidontchaquesouvenirnousestprécieux,leNoëlparfaitoùêtreensembleétaitleseulcadeauimportant.Kristineetmoin’enparlonsjamaisouvertement,maisnousnel’avonspasoublié,etGeoffreyetEmilyselerappellentaussi:ilsl’ontbaptisé«leNoëloùScottyavaitamenésescopains».Ilsn’ontjamaisvraimentcompris,jepense,etçam’estégals’ilsnecomprennentjamais.

EmilyetGeoffreyfinirentpars’endormiretjelestransportaidansleurlitpendantqueKristinedemandaitauxautresenfantsd’attendredansnotresalonl’arrivéedelapoliceafindenousaideràmettreenprisonlevieuxmonsieurquilesavaitenlevésàleursfamillesetquileuravaitvoléleuravenir.Ilsattendirentletempsquelesinspecteursarrivent,lesvoientetentendentl’histoirequeScotty

letempsquelesinspecteursarrivent,lesvoientetentendentl’histoirequeScottyavaitàleurraconter.

Ilsattendirentletempsquelapoliceavertisselesparents,quiseprésentèrentaussitôt,affolésparcequ’autéléphoneonleuravaitseulementditceci:onavaitbesoind’euxpourunequestionconcernantleurenfantdisparu.Ilsvinrentetrestèrentsurlepasdenotreporte,lesyeuxpleinsd’espoir,effrayés,tandisqu’unpoliciers’efforçaitdeleurexpliquercequisepassait.Desinspecteurssortaientdescorpsabîmésdesouslamaison-lesillusionsn’étaientpluspermises.Etpourtant,silesparentsentraientcheznous,ilsvoyaientquelacruelleProvidencepouvaitaussiêtreclémente,etqu’ilsauraientcettefois-cicequetantd’autresparentsavaientappelédeleursvuxmaisquileuravaitétérefusé:l’occasiondedireadieu.Jetairailesscènesdejoieetdetristessequisedéroulèrentcheznouscettenuit-là:ellesappartiennentàd’autresfamilles,pasànous.

Unefoislesparentsarrivés,lesadieuxfaitsetleslarmesversées,lespetitscorpscouvertsdeterreallongéssurdesrectanglesdetissuaumilieudenotrepelouseetclairementidentifiésgrâceàdesboutsdevêtements,onamenalevieuxmonsieur,lesmenottesauxpoignets.Ils’étaitfaitaccompagnerdenotrepropriétaireetd’unavocatensommeillémais,quandilvitlescadavresdanslejardin,ilavouatoutàmotsentrecoupés,etlapoliceenregistrasaconfession.Aucundesparentsnefutobligédeleregarderenface;aucundesenfantsnedutl’affronterànouveau.

Maisilssavaient:ilssavaientquec’étaitfini,qu’aucuneautrefamilleneseraitdéchiréecommelaleur-lanôtre-l’avaitété.

Alors,l’unaprèsl’autre,lesenfantsdisparurent;devantnousuninstant,évanouislesuivant;etlesparentss’enallèrent,muetsdechagrinetdestupeurqu’unteldénouementfûtpossible,quedel’horreurpûtnaîtreunedernièrenuitdemiséricordeetdejusticeàlafois.

Scottyrestaledernier.Nousétionsassistouslestroisdanslesalon,seuls,mêmesilesgyropharesetleséclatsdevoixnousrappelaientquelapolicefaisaitsontravaildehors.Kristineetmoin’avonsrienoubliédesparolesquenousavonséchangées,maisleplusimportantpournousvintàlafin.

«Jem’excused’avoirététellementencolèretoutl’été,ditScotty.Jesavaisquecen’étaitpasvraimentvotrefautesionadéménagéetquec’étaitmald’êtreencolère,maisjenepouvaispasm’enempêcher.»

L’entendrenousdemanderpardonfutplusquenousnepouvionssupporter;nousdébordionsderegretsquinoussemblaientbienplusprofondsetdouloureux,etnousnousépanchâmesdecequenousnousreprochionsd’avoirouden’avoirpasfaitquiauraitpuluisauverlavie.Quandnousnoustûmesenfin,ilrela-tivisanosremords.«Cen’estpasgrave.Cequicompte,c’estquevousnesoyezpasencolèrecontremoi.»Etildisparut.

Nousquittâmeslamaisonlelendemainmatin;desamisnousaccueillirentchezeux,etGeoffreyetEmilypurentenfinouvrirlescadeauxqu’ilsattendaientdepuissilongtemps.MesparentsetceuxdeKristineprirentl’aviondepuisl’UtahpournousrejoindreetlesfidèlesdenotreÉgliseassistèrentàl’enterrement.

Nousnedonnâmesaucuneinterviewàlapresseetaucunedesautresfamillesnonplus;lapoliceneparlaquedeladécouvertedescorpsetdesaveuxdumeurtrier.C’étaittrèsbienainsi,commesiceuxquiconnaissaienttoutel’histoiresavaientaussiqu’ilnefallaitpasl’étalerdanslesjournaux.

Latensions’apaisabientôtetlaviecontinua.LaplupartdesgensignorentmêmequenousavonseuunenfantavantGeoffrey;cen’estpasunsecretmaisc’esttropduràdire.Pourtant,tantd’annéesplustard,j’aiconsidéréquejedevaisracontercettehistoire,àconditiondel’écrireavecdignitéetpourdeslecteurscapablesdecomprendre.Ilfallaitqued’autreslesachent:onpeuttrouverdelalumièremêmedanslespiresténèbres.À

l’instantmêmeoùladouleurlaplusatrocedenotreexistencenousétaitinfligée,Kristineetmoiavonspuprendreplaisirànotredernièresoiréeencompagniedenotrefilsaîné,et,ensemble,nousavonsoffertunbonNoëlàcesenfantsperdus,quinousl’ontrendu.

POSTFACE

Enaoût1988,j’aiproposécettenouvelleàl’atelierd’écrituredeSycamoreHill.Àl’époque,ellecomportaitàlafinundésaveuoùjedéclaraisquel’histoireétaitpureinvention,queGeoffreyétaitmonfilsaînéetqu’aucundenospropriétairesnenousavaitjamaisfaitlemoindremal.Àl’atelier,lesréactionsdesautresécrivainsallèrentdel’agacementàlagrossecolère.

C’estKarenFowlerquim’exposaleursentimentleplussuc-cinctementendisant,sijemerappellebien:«Enracontantcerécitàlapremièrepersonne,avecautantdedétailssurtavieprivée,tut’appropriesquelquechosequinet’appartientpas;tufaissemblantd’éprouverladouleurd’unparentquiaperduunenfant,maistun’enaspasledroit.»

Surlemoment,jetombaid’accordavecelle.Celafaisaitdesannéesquecettehistoiremetrottaitdanslatête,maisjenel’avaismiserésolumentàlapremièrepersonnequel’automneprécédent,lorsd’unefêtedeHalloweenorganiséeparlesétudiantsdeWataugaCollège,àl’universitéd’AppalachianState.Toutlemonderacontaitdeshistoiresdefantômescesoir-làetj’essayaicelle-cisuruncoupdetête;suruncoupdetêteencore,jelarendistrèspersonnelle,parceque,d’unepart,entirantdesdétailsdemavraieviejem’épargnaisl’effortd’inventerunpersonnage,et,d’autrepart,leshistoiresdefantômessontpluspercutantesquandl’auditoireestàdemipersuadéqu’ellespourraientêtrevraies.J’obtinsdavantagedesuccèsqu’avecaucuneautreaffabu-lationquej’avaispuraconter,sibienque,lorsquevintl’heuredelacouchersurlepapier,jel’écrivisdelamêmemanière.

Néanmoins,lesreprochesdeKarenFowlerl’éclairaientd’unjourdifférentetjedécidaidelamodifiersansdélai.Maisdèsl’instantoùjesongeaiàlaréviser,àladépouillerdesdétailsdemapropreviepourlesremplacerparceuxd’unpersonnagefictif,jeressentisuneaffreuseangoisse:unepartiedemoi-mêmeserebellaitcontrelesproposdeKaren.Non,disait-elle,ellesetrompe,tuasledroitderacontercettehistoire,det’appropriercettedouleur.

C’estàcemoment-làquejecomprisquelétaitsonvéritablesujet,pourquoielleavaittantd’importanceàmesyeux.Cen’étaitpasunesimplehistoiredefantômescommelesautres,etjenel’avaispasécriteseulementpourleplaisir.J’auraisdûm’endouter;jen’écrisjamaisriengratuitement.Lanouvelleneparlaitpasd’unfilsaînéimaginairequej’auraiseuetquiseseraitappeléScotty

parlaitpasd’unfilsaînéimaginairequej’auraiseuetquiseseraitappeléScotty:elleparlaitdeCharlieBen,lepetitdernierquej’aidanslavieréelle.

Charliequi,depuiscinqansetdemiqu’ilestdecemonde,n’ajamaispunousdireunmot,Charliequin’apaspusourireavantd’avoirunan,quin’apaspuseserrercontrenousavantsesquatreans,quipasseencoreaujourd’huisesjoursetsesnuitssansbouger,quirestelàoùonlepose,capabledesetortillermaisnondecourir,capabledecriermaispasdeparler,capabledecomprendrequ’ilnepeutpasfairecequefontsonfrèreetsasurmaispasdenousdemanderpourquoi;bref,unenfantquin’estpasmortmaisquipeutàpeinegoûteràlavie,malgrétoutenotreaffectionetnotredésir.

Cependant,detoutelacourteviedeCharlieetjusqu’àcefameuxjouràSycamoreHill,jen’avaispasversélamoindrelarmesurlui,jenem’étaisjamaisdonnéledroitd’avoirdelapeine.Jem’étaisplaquésurlevisageunmasquedecalmeetd’acceptationsiconvaincantquej’avaismoi-mêmefiniparycroire.Maislesmensongesquenousvivonssetrahissenttoujoursdansleshistoiresquenousracontons,etjenefaispasexceptionàlarègle.Untextequej’avaisprispouruneblague,uneplaisanteriedanslatraditionpittoresquedeshistoiresdefantômes,s’avéraitlepluspersonneletleplusdouloureuxdetoutemacarrière-et,inconsciemment,jel’avaisavouéenenfaisant,etdeloin,laplusautobiographiquedemesuvres.

Quelquesmoisplustard,jemetrouvaisdansunevoituregaréedanslaneiged’uncimetièredel’Utahetjeregardaisunhommepourquij’ailaplusprofondeaffections’agenouillerpuisseredresserdevantlatombedesafillededix-huitans.Jenepusm’empêcherderepenserauxparolesdeKaren;eneffet,ilnemerevenaitpasdefeindred’avoirdroitaurespectetàlasympathiedusàceuxquiontperduunenfant,etpourtantjesavaisquejenepouvaispaslaissercettehistoiredansleslimbes,carc’auraitétéaussiuneformedemensonge.Jedécidaidoncd’uncompromis:jel’écriraiscommejesentaisdevoirl’écriremaisensuitejerédi-geraislapostfacequevouslisez,afinquevoussachiezcequiestvraietcequinel’estpas.Jugezcommebonvoussemble;pourmapart,j’aifaitdemonmieux.

Lesécrivainsn’ontpasplusd’idéesquelecommundesmortels:toutlemondevitouentenddesmilliersdesujetsdenouvelleschaquejour;lesécrivainssontsimplementplusentraînésàypercevoirlepotentielquidonneradebonneshistoires.

Levraidéficonsisteàbrodersurl’idéeeninventantlespersonnagesetleur

Levraidéficonsisteàbrodersurl’idéeeninventantlespersonnagesetleurenvironnement,enstructurantleplan,endécouvrantlavoixetlepointdevuedunarrateuret,enfin,encouchantl’ensemblesurlepapierd’unemanièreclaireetefficacepourlelecteur.C’estsurcedernierpointquerésideladifférenceentrelesgensquiaimeraientécrireetceuxquiprennentlaplumepourdebonetjettentleursmotsàlarondedansl’espoirdetrouverunpublic.

Autantquemamémoirelepermet,voicilesoriginesdechaquehistoiredecerecueil:

L’HOMMETRANSFORMÉETLEROIDESMOTS

Lagenèsedecettenouvellen’ariendecompliqué.J’habitaisàSouthBend,enIndiana,oùjepréparaisundoctoratàNotre-Dame.UndemesprofesseursétaitEdVasta,undecesenseignantscommeonn’enaquerarementdansuneexistence.NousétionstousdeuxamoureuxdeChaucer,iln’étaitpasinsensibleàmesidéesbiscornuessurlalittératureet,commemoi,ilécrivaitdelascience-fiction,cequicontribuaitencoreànousrapprocher.

Unsoir,jeparticipaisàunefêteorganiséechezlui;auboutd’uneheureoùtoutlemondeavaitronchonnécontrelechoixstupidequ’avaitfaitHesburgdedésignerunenseignantdusupérieurdunomdeGerryFaustcommeentraîneurdel’équipedefootball,nousenvînmesausujetdestarots.Edétaitàdemiconvaincu,c’est-à-direqu’ilnecroyaitpasenunphénomèneoccultemaispensaitenrevanchequelescartesoffraientunpointdefocalisa-tion,uncadrequipermettaitàunecompréhensionintuitivedesefairejour.

Kristineetmoisommestrèsmalàl’aiseavectoutcequitoucheàl’occulte,enpartieparcequelesgensquiycroientnousmettentmalàl’aise.Mais,là,ils’agissaitd’EdVasta,quelqu’undetrèsrationnel,etjeconsentisàmefairetirerlescartes.Jemerappelleavoirtrouvéleprocessusfascinantjustementparcequetoutcequisepassaitpouvaits’expliquerparlesconnaissancespersonnellesd’Edsurmoi;etpourtantcescartesfournissaientlemoyendereliercesconnaissancesentreellesetd’entirerdesinterprétationsàlafoisétonnantesetéclairantes.

Cetteexpériencem’aconduitàécrireunenouvellequicombi-naitlestarotsavecmonobsession,touterécenteàl’époque,desordinateurs.L’histoireproprementditeestuncliché,uneintriguesciemmentdipienneécriteparunauteurpourquileconceptfreudiend’uncomplexed’dipeesttotalementcaduc.C’estl’unedes

raresoccasionsoùj’aisuivimécaniquementunestructuresymbolique,etdecepointdevuelanouvellemelaisseinsa-tisfait;cesontlesidéesquim’intéressaient,enréalité-

l’ordinateuretlejeudetarot-,etj’aiexplorédepuislesrelationsmutuellesentrelesordinateursinventifsetleshommesdansdesromanstelsqueLaStratégieEnderetLaVoixdesmorts.

LESEUMÉNIDESDANSLESTOILETTESDUQUATRIÈME

JetravaillaisàlarevueTheEnsignentantqu’assistant-correcteuretparfoisentantquejournaliste.JayA.Parryyétaitcorrecteur,commeill’étaitdéjàchezBrighamYoungUniversityPressoùavaitdébutémacarrièreéditoriale;c’estmêmeluiquim’avaitsignalélapossibilitédepostulerpourunemploiàTheEnsignetquim’avaitpilotépendanttoutleprocessus.

Luietmoi,ainsiqu’unautrecorrecteur,LaneJohnson,rêvionsdedevenirécrivains;j’avaisdéjàfaitunepetitecarrièred’auteurdepiècesdethéâtre,maisenmatièrederomansnousétionsdesnéophytes.Nousprîmesl’habitudededéjeunerensembleàlacafétériadel’immeubleadministratifdesLOS1;nousprenionsl’ascenseur,descendionsvingt-deuxétages,attrapionsunesaladeauvolet,penchéslesunsverslesautresautourd’unetable,nousparlionsderécitsdefiction.

Naturellement,quandnouslesécrivions,nousnouslessoumettionsmutuellement.Parbiendesaspects,nousétionsl’aveuglemenantl’aveugle:nuld’entrenousn’avaitencorerienvendu;pourtant,nousétionstoustroiscorrecteursprofessionnels,notreroutinequotidienneconsistaitàprendredesarticlesmalécrits,àlesrestructurerpuisàlesréécrireavecunstyleclairetfluide.Nousignorionspeut-êtrecommentvendredelafictionmaisnoussavionsécrire,entoutcas.Noussavionsaussiporterunregardperçantsurl’uvredesautresettrouverl’âmedeleurrécitafindelapréserveràtraverstouteslesincarnationspossibles.

(C’estd’ailleurspeut-êtreàcausedecelaquejerestetoujourssceptiquefaceàlacritiquecontemporainedanssonensemble,1.«LatterDaySaints»,les«saintsdudernierjour»,c’est-à-direlesmormons(NdT).

pourquiletexteestuneespècedemiracleintangiblequ’ilfautrévérerou

pourquiletexteestuneespècedemiracleintangiblequ’ilfautrévéreroudisséquercommes’ilétaitl’histoireellemême.Cequ’onapprendquandonestspécialistedelacorrectionoudurewriting,c’estqueletexten’estpasl’histoire:letexten’estqu’unetentativepourgraverl’histoiredanslamémoiredulecteur;onpeutleremplacerparunnombreinfinidevariantes.

Certainesserontplusréussiesqued’autresmaisaucuntexteneconviendraàtouslespublics,etaucunnesera«parfait».L’histoiren’existequedanslesouvenirdulecteursouslaformed’uneversionmodifiéedel’histoirevoulue-consciemmentounon-

parl’auteur.Ilestpossiblequelepublicsefaçonneunemeilleurehistoirequetoutescellesquel’auteurauraitpucréerparl’écriture:c’estainsiquedesgenssesontprisd’affectionpourdeshistoiresécritesdemanièrelamentablecommeTarzanl’homme-singed’EdgarRiceBurroughs,parcequecequ’ilsyontperçutranscendaitletexte,tandisquebeaucoupderécitsaustylemagnifiqueontdisparusanslaisserdetrace,parcequeletexte,splendideaudemeurant,n’apassuattiserlaflammed’unehistoirevivantedanslamémoiredeslecteurs.)Jeraconteailleurscommentlesautresnouvellesdecerecueilsontnéesdecetteamitiéetdecesréunionsaudéjeuner.Cellequinousoccupeavulejourasseztardivement:j’avaisdéjàquittéTheEnsignpourcommencermacarrièreindépendantemaisjeconservaisencorepasmaldecontactsavecl’équipeéditorialeparcequejedevaisacheverunprojetencoreencourslorsdemadémissionle1erjanvier1978.Lorsd’uneconversation,JayParrymefitpartd’unrêvehorriblequ’ilavaitfait.«Tupeuxt’enservirpourunehistoiresiçatechante,medit-il.Àmonavis,ilyadelamatièremais,pourmoi,ceseraittropéprouvantàécrire.»

Jackn’apaslafibresadiquecommemoi;oualors,celatenaitàcequ’ilétaitdéjàpèreetmoipasencore.Jenesuispascertainquej’auraispuécrirecettenouvelleaprèsqueKristineetmoiavonseudesenfants.Mais,àl’époque,lecauchemardeJayoùapparaissaitunbébéavecdesnageoiresàlaplacedesbrasentraindesenoyerdansunecuvettedeW.-C.meparaissaitàlafoisangoissantetfascinant.

JevenaisdelireledernierrecueildenouvellesdeHarlanElli-son-jenesaispluslequelc’était-,etj’avaisdiscernéunfilconducteurdansseshistoireslesplusduresetlesplusvicieuses,unsystèmepéché/punitiondanslequellespiresatrocitésn’arrivaientapparemmentqu’auxgensquilesméritaientleplus;ilmeparutalorsévidentquelafaçondetirerunrécitdecebébédifformeétaitdele

parutalorsévidentquelafaçondetirerunrécitdecebébédifformeétaitdelefairesurgirdansl’existencedequelqu’unquiméritaitd’êtreconfrontéàunenfantcontourné.

JesoumisnéanmoinslepremierjetàFrançoisCamoin,quiétaitalorsmonprofesseurd’écritureàl’universitéd’Utah.Ilm’étaitdéjàadvenudesuivrecegenredecoursparlepassé,etjem’étaisaperçuqu’endehorsdequelquescommentairesutilesdetempsentempsleurprincipalintérêtrésidaitencequ’ilsm’imposaientdeséchéancesquim’obligeaientàécrire.Françoisn’étaitpascommelesautresprofesseurs:luisavaitnonseulementcommentonécritmaisaussicommentonl’apprendauxautres,sciencepresquetotalementabsentechezceuxquipré-

tendentenseignerl’écriturecréativeenAmérique.Ilnesavaitpastout-personnenesaittout-mais,àcôtédemesconnaissancesdel’époque,c’étaittoutcomme!J’avaisbeauvendremestextesdescience-fictiontrèsrégulièrement,jenecomprenaistoujourspas,saufd’unemanièredesplusvagues,pourquoicertainsmarchaientetd’autrespas;Françoism’aaidéàdisséquermontravailpourendécelertantlespointsfortsquelesfaiblesses.

Entantqu’auteurdethéâtre,onm’avaitditquej’avaistendanceàécrireparsentences;selonlaformuled’unamiàl’espritcritique,mespersonnagesprononçaientdesparolesfaitespourêtregravéesaufrontond’unédificepublic.Cettetendanceaustyledidactiqueetampoulétransparaissaitdansmestextes(etaujourd’huiencore,sansdoute),etc’estFrançoisquim’apermisdecomprendreque,silesévénementsrelatésdansl’histoiredoiventêtreclairs-cequis’estpasséetpourquoi-,lasignificationdoitenrestersubtile,dissimulée;lelecteurdoitêtrecapabledeladécouvrir,maisilnefautpaslaluiimposer.«Tanouvelleparledeculpabilité,meditFrançois;mieux,l’enfant,lapetiteFurie,personnifielaculpabilité.Quandtuasuneidéeincarnéedansunehistoire,lenomdel’idéenedoitjamaisapparaîtredansletexte;parconséquent,n’écrisnullepartlemot“culpabilité”

danstontexte.»

Jecomprisaussitôtqu’ilavaitraison.Ilnes’agissaitpasseulementd’enleverlemotlui-même,naturellement:ilmefallutôterlaplupartdesphrasesoùilapparaissaitet,parendroits,jedusfairesauterdesparagraphesentiers.Cefutunetâcheagréablemaisnondénuéededouleur-unpeucommes’arracherlapeaumorteaprèsunméchantcoupdesoleil.Cequirestaitétaitbeaucoupplusfort.

fort.

LanouvelleparutdansChrysalis,obscureséried’anthologiesconcoctéeparRoyTorgesonchezZébraBooks;maisTerryCarrlachoisitpoursonanthologiedesmeilleureshistoiresdel’année,sibienqu’ellesortitunpeudel’ombre.Elleestsignéedemonnom,maiscesontd’autresquemoiquienontfournilaplusgrandepartie:Jaypourl’imagefondatrice,HarlanpourlastructuredebaseetFrançoispourtoutcequinesetrouveplusdansleprésenttexte.

QUIETUS

CommeLesEuménides,cettenouvelleasasourcedanslecauchemardequelqu’und’autre.Mafemmeseréveillaunmatinbouleverséeparunrêveétrangequ’ellen’arrivaitpasàsesortirdel’esprit.Noushabitionsàl’époqueunemaisonvictorienne,rueJ,danslequartierdesavenuesdeSaltLakeCity,situéeàunoudeuxpâtésdemaisonsdelasallederéuniondelaparoissed’EmigrationWardLDSoùnousallionsàl’église.DanslerêvedeKristine,l’évêquedenotrecirconscriptionnousavaitfaitvenirpournousapprendrequ’onorganisaitl’enterrementd’uninconnulelendemainmaisque,pourcesoir-là,onn’avaitnullepartoùgarderlecercueil;voulions-nousbienleprendrecheznousdansnotresalonjusqu’aulendemainmatin?

Kristinen’apaspourhabitudederefuserquandonluidemandedel’aide,mêmeenrêve,etelleaccepta.Elleseréveillaaumomentoùelleouvraitlecouvercleducercueil.

C’étaittout:lecercueild’uninconnudanslesalon.Pourtant,jesentisaussitôtqu’ilyavaitquelquechoseàentirer,etquelgenrederécit:uncercueilquitrônedansvotresalonnepeutcontenirqu’uncorps,levôtre.Jememisdoncàécrirel’histoired’unhommequihantesapropremaisonsanslesavoir,jusqu’aumomentoùilouvrelecercueilets’yinstalle,acceptantenfinlamort.

Enrevanche,j’ignoraispourquoiildemeureunmomenthorsdesoncercueiletpourquoiilfinitparseréconcilieraveclamort.

Jecommençaidoncàrédigercequejesavaisdel’histoireenespérantuneinspiration;jeracontail’instantdesondécèsdanssonbureau,sansqu’ilserendecomptequ’ilvientdemourir,puisj’évoquaisonretourchezlui,maisjetrouvailesensultimedel’histoireparaccident.Jenemerappelleplusquelleerreurj’avaiscommisedanslepremierjet;quelquechosecommececi:danslascènedubureau,ilétaitsansenfants,mais,quandj’enarrivaisàsonretouràsonlogis,jel’avaisoubliéetjeluifaisaisentendredesvoixd’enfants,voirleursdessinssurlefrigo,bref,quelquechosedanscegoût-là.C’estenfaisantliremondébutdetexteàKristinequejeremarquai(ouplutôtelle,sansdoute)lacontradiction.

C’étaitunedecespetitesnégligencestoutesbêtesquecommetn’importequelécrivain,etmapremièreidéefutdechangerl’uneoul’autredesréférencespourrendreletexteconséquent.

Cependant,alorsquejem’apprêtaisàlereprendre,j’eusl’intuitionquemon«erreur»n’enétaitpasune,maisplutôtmaréponseinconscienteàlaquestionfondamentaledurécit:Pourquoilepersonnageest-ilincapabled’accepterlamort?Ducoup,aulieud’éliminerl’incohérence,jelarenforçaiparunjeudeping-pong:àunmoment,luietsonépouseontdesenfants,ausuivant,ilsn’enontpas.Ilnepeutaccepterlamortqu’unefoisleurprésencedéfinitivementétablie.

Sionveutconsidérerl’histoiresousl’anglepsychologique,Kristineattendaitnotrepremierenfantàl’époque.Mon«erreur»

étaitpeut-êtreleclassiquelapsusfreudienquirévélaitmonambi-valencefaceaufaitirrévocabled’avoiretd’éleverdesenfants.

Leplusimportant,toutefois,n’estpasl’originepersonnelledusentimentmaiscequej’aiapprissurl’artdel’écriture:ilfautfaireconfianceàseserreurs.Àd’innombrablesreprisesdepuislors,jemesuisaperçuque,lorsquejemetrompedansunpremierjet,jenedoispaséliminertoutdesuitelafaute,maisaucontrairel’explorerpourvoirs’ilyamoyendelajustifier,del’amplifier,del’intégreràl’histoire.J’ensuisvenuàconsidérerquelemeilleurd’unauteurprovient,nonpasdesesidéesconscientes,maisdesesimpulsionsetdesesbévues:c’estàcemoment-làquel’inconscientsourdàlasurface;c’estainsiquel’histoires’emplit,nondecequel’écrivains’imaginecroirenideceàquoiilpensedevoiraccorderdel’attention,maisdesesconvictionslesplussincèresetdesesattachementslesplusprofonds.C’estcommecelaqu’unehistoireacquiertsavérité.

EXERCICESRESPIRATOIRES

L’idéedecettenouvellem’estvenueassezsimplement:monfilsGeoffreyétaituninsomniaquené.Touslessoirs,illuifallaitdesheurespourtrouverlesommeil,etnousavionsdécouvertquelemoyenleplusefficacepourl’endormir,c’étaitquejeleprennedansmesbrasetquejeluichantedesberceuses(Dieusaitpourquoi,ilréagissaitmieuxàunevoixdebarytonqu’àunmezzo-soprano).Celas’estpoursuivijusqu’àsesquatreoucinqans;àcettedate,jepassaisdeuxoutroisheurestouslessoirsallongéparterreàlire,éclairéparlavaguelumièreducouloir,toutenfredonnantAwayinaManger;maisquandilétaitbébé,jerestaisdeboutdanssachambreàmebalancerd’avantenarrièreetàchanterdeschansonssansqueuenitêtedanslesquellesonpouvaitentendredetendresparolesdugenre:«Faisdodo,petitsalopiot,papavamourir.»Jem’étaisrenducompteque,mêmequandilavaitl’airenfinendormi,c’étaitdelacomé-

dieetque,sijeleglissaistropvitedanssonlit,ilsemettaitaussitôtàhurler.J’apprécielesrappelsautantquequiconque,maistropc’esttrop-sachantsurtoutqueKristinedormaitpaisiblementdanslachambreàcôté.Laplupartdutemps,jeneleluireprochaispas-elleselevaittôtlematinpours’occuperdeGeoffrey(quiseréveillaittoujoursauxaurores,quellequesoitl’heureoùils’étaitendormi)tandisquejefaisaislagrassematinée,nousétionsdoncàégalité.Enattendant,j’aipassébiendesheuresdebout,àmebalancerd’avantenarrièreet,entredeuxberceuses,àlesécouterrespirer.

Unenuit,jemesuisaperçuquelesouffledeGeoffreysurmonépaulesuivaitexactementlerythmedelarespirationdemonépousequidormaitàcôté:tousdeuxinspiraientetexpiraientavecunensembleparfait.Sanstarder,monimaginations’estemparéedel’idéeets’estmiseàbatifoler.Jemesuisdit:J’aibeauresterdesheuresàchanterdesberceusesaupetit,c’estlelienavecsamèrequidemeureleplusfort,jusqu’aurythmerespiratoire;aprèstout,lamèreetl’enfantpartagentsilongtempslemêmesouffle,riend’étonnantàcequ’unefoissortidelamatricel’enfantchercheencoreàrespireravecelle,às’accrocherauxrythmesdesonpremieretdesonmeilleurabri.Delà,mespenséesontvagabondéjusqu’àl’idéesuivante:l’enfantànaîtreesttellementliéàlamèreque,siellemeurt,ilmeurtavecelle.

AvantmêmequeGeoffreysesoitassoupi,l’histoireétaittouteécritedansmatête:respireràl’unissonestsigne,nonquelesgenssontnésensemble,mais

tête:respireràl’unissonestsigne,nonquelesgenssontnésensemble,maisqu’ilssontirrévocablementcondamnésàmourirensemble.

COMMERCEDEGROS

Onpeutconsidérermaviecommeunlongcombatcontremonproprecorps.Enfant,jenesouffraispasdemauvaisecoordina-tion;sijevoulais,j’étaiscapabledemanierunebattedebase-balloudelancerunballondansunfilet,etj’imaginequesij’yavaistravailléàl’époquej’auraisputenirmonrangdanslescompétitionsd’athlétisme.Maiscertainsnaissentcérébraux,d’autreschoisissentdeledevenir,d’autresenfinledeviennentsansavoirriendemandé;moi,j’aichoisi.Lesportetlesjeuxphysiquesnem’intéressaientpas;enfant,sionmelaissaitlechoix,jepréféraistoujourslireunlivre.Trèsvite,pourtant,j’aicomprisquec’étaituneerreur:arrivédanslesecondaire,jemesuisrenducomptequ’onestimaitlesjeunesAméricainsuniquementàlamesuredeleurcontributionauxcompétitionsdesport-

c’estdumoinscequ’ilmesemblait.Résultat:pouréviterlesdénigrements,j’aiévitélesport.

Puis,auxenvironsdequinzeans,j’aifranchiunesortedeseuilmétabolique.J’avaistoujoursétéungosseexcessivementmaigre,aupointqu’onpouvaitmecompterlescôtesàtraversletissudemeschemises;toutàcoup,sansmodificationapparentedemeshabitudesalimentaires,j’aicommencéàprendredupoids.Pasbeaucoup:justedequoimeramollirleventre.Jemesuismisàacquérircetaspectflasqueetrondouillardtoujourssiséduisantetàlamodesurtoutauprèsdesadolescents.Lesannéespassant,j’aicontinuéàgrossirmodérémentetj’aipeuàpeudécouvertqueladiscriminationdontsontvictimeslesintellectuelspendantl’enfancen’estriencomparéeàl’intolérancefrancheetclairequ’onmanifesteenverslesadultesensurpoids.Desgensquinesongeraientpasuninstantàsemoquerd’uninfirmeniàtenirdesproposracistesn’ontpaslemoindrescrupuleàtapoterouàpincerleventred’unobèseenluifaisantuneremarquegrossièrementpersonnelle.Mahainepourcegenred’individuétaitsansbornes,etcertainesdemesconnaissancesdel’époquen’ontjamaissuqu’ellesavaientfrôlélamortd’uncheveu.

Laseulechosequinousempêche,nouslesgros,denousdéfendre,c’estquenousredoutons,aufonddenous,quenostourmenteursn’aientraison,quenousneméritionsleurmépris,leurdédainabsoludenotrehumanité.Ledégoûtquenousleurinspironsn’estsurpasséqueparceluiquenousnousinspironsnous-mêmes.

J’aieudeshautsetdesbas.JepesaiscentdixkilosquandjemesuisrenduentantquemissionnairemormonauBrésilen1971;àmonretouraupaysdeuxansplustard,aprèsbeaucoupdemarcheàpied,d’exercicephysique,etdesrepasrelativementfrugaux(bienquelesglacesbrésiliennessoientexquises),j’étaisredescenduàquatre-vingt-huitkilos.J’avaisbelaspect,jemesentaistrèsbienetmonpoidsrestaplusoumoinsstablependantplusieursannées.Jedevinspresquesportif:lesdeuxpremièresannéesaprèsmonretourduBrésil,jedirigeaiunetroupethéâ-

traled’étéquidonnaitsesspectaclesdansunesalleenpleinair,leCastle,surlacollinederrièrel’hôpitalpsychiatriquedel’État.

Nousn’avionspasledroitd’ymonterenvoiture,sibienqu’àchaquerépétitionilfallaitgraviràpiedunerouteenzigzag;auboutdequelquessemaines,j’étaisensibonneformequejemontaislapartielaplusraideaupasdecourseaumilieudesplusjeunesetj’arrivaisàlascèneduCastlesansêtreessoufflé.Nousdisposionsd’unpianoquenousrangionsdansunecaissemétalliqueaubasdel’amphithéâtreetquenoustransportions-malgrélesroulettes-parunealléeempierréejusqu’àlascènepourlesrépétitionsetlesspectaclesmusicaux(Camelot,L’HommedelaMancheetmaproprepièce,Father,Mother,MotherandMom).

Jefusbientôtcapabledeporterseuluneextrémitédupiano.Jemedélectaisdem’apercevoirquejepouvaisjouird’uncorpsminceetbienmuscléplutôtquemouetdodu.

Maisensuitedébutamacarrièreéditoriale,etmacompagniethéâtralefermaboutiqueenmelaissantcriblédedettes.Jepassaidésormaismesjournéestendu,àeffectueruntravailsédentaire,avecundistributeurdefriandisesauboutducouloir;monseuleffortphysiqueconsistaitàmettredespiècesdanslamachine.À

l’époquedemonmariage,en1977,j’étaisremontéàcentdixkilos,etmesdébutsd’auteurindépendantnefirentqu’aggraverleschoses:chaquefoisquej’avaisbesoindefaireunepause,jemelevais,jeparcouraisdixmètresjusqu’àlacuisineet,là,jemepréparaisdupaingrilléavecdujusd’orange.Excellentpourlasanté-etàpeineunmilliarddecaloriesparjour.J’étaisàplusdecenttrentekilosquandj’écrivisCommercedegros:c’étaitunexerciced’autoflagellationetd’espoirsansespoir;jemesavaiscapabled’avoiruncorpssainetvigoureuxmaisjen’avaispasladisciplinepourm’ycontraindre.J’avais

sainetvigoureuxmaisjen’avaispasladisciplinepourm’ycontraindre.J’avaispersonnellementconnul’expériencedel’échangedescorps-celameprenaitsimplementpluslongtempsqu’auhérosdelanouvelle,et,d’unecertainefaçon,jecroisquecettehistoireexprimaitmonsouhaitquequelqu’unm’obligeàchanger.

Paruneironiedusort,quelquesmoisaprèsquej’eusécrisCommercedegros,nousavonstraverséunepériodedetransi-tion:nousavonsdéménagépourunemaisonplusspacieuse.

Monpremiergestefutderassemblermesvieuxvêtementsdésormaistropétroitsetdelesdonnerauxorganisationsdecharité:jamaisplusjeneseraismince,jelesavaisbien.Cen’étaitplusunproblème;jeseraisgroslerestantdemesjours,etOrsonWellesétaitmonhéros.

Etpuisjemesuismisàemballerlesmilliersdebouquinsquenouspossédons,àtransporteretàempilerlescartons;chaquejour,cettetâchem’occupaunpeuplus,etjemangeaidemoinsenmoins,n’ayantplusàchercherdeprétextepourinterrompremontravaild’écriture.Quandnousemménageâmesdansnotrenouveaulogis,j’avaisperducinqkilos,commeça,sansfairelemoindreeffort.

Ducoup,jecontinuaisurcettevoie;enmangeantpeu-jesuivaisdorénavantunrégimeéquilibréàmillecalories-etenfaisantdeplusenplusdesport,j’étaisredescenduàquatre-vingt-douzekilosunanplustardetjeparcouraisplusieurskilomètresàvélotouslesjours.Jegardailaligneplusieursannées;cen’estqu’ànotreinstallationenCarolineduNord,oùjedustravaillersousunetensionextrême,quejereprisdupoids.Aumomentoùj’écrisceslignes,jepèsecentvingt-septkilos;maisc’estcinqkilosdemoinsquelemaximumquej’atteinspendantlesvacances.Jefaisduvélod’appartement,jesavourelasensationd’avoirfaimlaplupartdutempset…quisait?

Ensomme,Commercedegrosn’estpasunefiction:c’estmonautobiographiephysique.

Etcen’estpasparhasardquelanouvelleseclôtsurnotrehérosaffectéàdestâchesrépugnantesetbrutales:ilexisteuneviolencesous-jacentetoutàfaitréelle.Jemetsiciengardetoutceuxquinevoientpasdemalàsaluerunamiparcegenredepropos:«Tuasprisdupoids,ondirait!»Imaginezquevousaccueilliezquelqu’unenluidisant«Disdonc,ilestmonstrueux,leboutonquetuassurlenez!»ouencore«Tun’aspaslesmoyensdet’acheterdesvêtementsélégantsoubientun’asaucungoût?»Vousperdriezévidemmentun

vêtementsélégantsoubientun’asaucungoût?»Vousperdriezévidemmentunami.Alors,jevousavertis:votregrossièretéuselapatiencedecertainsd’entrenous.Unjour,l’undevousvaregardernotretailleavecunsourireironiqueet,àcemoment-là-avantquevouspuissiezprononcerlapremièresyllabedevoshabituellesetnauséabondesrailleries-,nousallonsvoustransformerenuntasdepetitscure-dentstoutmaigres.

Etaucunjurydegrosnenousdéclareraitcoupables.

TEMPSMORTS

C’estlorsd’uneconversationavecJayetLane,mesemble-t-il,quenousnoussommesdemandéqueleffetmourirfaisait.Peut-

être,aprèstoutel’angoissequ’ilnousinspire,l’instantprécisdelamort-nonpaslesblessuresquiymènentmaisl’instantlui-même-,peut-êtreest-ilfaitduplussublimeplaisirimaginable.

Auboutdequelquesmoisàlaisserl’idéesedécanteraufonddematête,jetombaisurleconceptduvoyagedansletempscommemoyendefairel’expériencedelamortsansmourir.

Levoyagedansletempsestl’undescouteauxsuissesdelascience-fiction:onpeuttoutfaireavec,suivantlesrèglesquel’onimpose.Moi,jedécidaiquelevoyageursematérialisephysiquementdanslepasséetqu’ilpeutyêtreblessé-maisenréin-tégrantletempsprésentsoncorpsretrouvesonétatdedépart,toutenconservantlessensationséprouvéesjusteavantleretour.

Pourunécrivaindescience-fiction,c’estunexercicetrèsamusantd’imaginerdenouvellesvariationssurlesloisduvoyagedansletemps:chacunedonneaccèsàdesmilliersd’histoirespossibles.C’estpourquoiilestsidécourageantdeconstaterquetantdenouvellesetderomansdevoyagedansletempsseserventdeclichésrebattus;leursauteurssontcommedestou-ristesarmésd’appareilsphoto:ilsneviennentpasvraimentfairel’expérienced’unpaysinconnu,ilsseprennentsimplementenphotolesunslesautresetsetransportentjusqu’ausitesuivant.Sic’estpourpondredelascience-fictiondetouroperator,autantrangersaplume.Àquoibonécrireunehistoiredevoyagedansletempssil’onn’explorepasjusqu’auboutlamécaniquedecequel’oninventepourdécouvrirlesimplicationsdesrèglesdusystèmeimaginé?Tantqu’àtraiterdel’impossible,autantlerendreoriginaletintéressant!

Maisjem’égare.Aveccettenouvelle,jemesuisaperçuque,prêcheurdansl’âme,j’avaisrédigéunehoméliesurl’hédonismeentantquetendanceautodestructrice.Lecomportementdecesgenspeutparaîtreabsurde,maisleurrechercheobsessionnelled’unplaisirperversn’estpasplusbizarrequetouteautrequi,parsaséduction,éloignesesadorateursdelasociétédeshommesetdesfemmesnormaux.Drogués,homosexuels,roisdel’OPA,culturistesetathlètesgonflésauxstéroïdes,touscesgroupesont,àunmomentouàunautre,édifiédessociétésdansleseulbutdecélébrerl’uniqueplaisirquidomineleur

édifiédessociétésdansleseulbutdecélébrerl’uniqueplaisirquidomineleurvieetlescoupedurestedumondedontilsméprisentetrejettentlesloisetlesnormes.Deplus,ilsrecherchentleurplaisirauprixd’unrisqueconstantd’autodestruction;etensuiteilss’étonnentquetantdegenslesconsidèrentavecunmélanged’horreuretd’aversion.

JEUXSANSFRONTIÈRES

L’originedecetteidée-ciestassezsimple.Jen’aiapprisàconduirequ’aprèsl’âgedevingtans(l’Étatdel’Utahexigeaitqu’onpassel’examendeconduiteavantdepouvoirobtenirunpermis,monlycéenel’offraitpasetjen’avaispaseuletempsdelepasserseul),sibienquej’aitraversémapériodedeconduiteagressive,nonpasàl’adolescence,maisàvingtetunansrévolus.Parconséquent,alorsmêmequejepiquaisdescrisesdecompétitionetd’agressivitéeffrénéessurl’autoroute,j’étaisassezmûrintellectuellementpourreconnaîtrelafoliedemoncomportementet,troprarement,cetteconscienceintellectuellemedétournaitdemesimpulsionslesplusstupides.Parexemple,longtempsavantqu’ontiredescoupsdefeusurlesautoroutesdeCalifornie,jemesuisrenducomptequ’oncourtd’énormesrisquesenallumantsespleinspharessouslenezduconducteurd’enface.Non,lemeilleurmoyendepunirunchauffardestdes’yprendredefaçonpassive:ilfautlesuivre,c’esttout;paslecoller,lesuivre.S’ilprenddel’avance,inutiledebondiràsapoursuite;ilsuffitdeleremontertranquillement,et,quelquesminutesplustard,onestdenouveauderrièrelui.Silegarsméritequ’onluiflanqueunebonnepétoche,onpeutdistraireunpeudesontemps,prendrelamêmesortiequelui,lesuivredanslesquartiersrésidentielsetleregarders’affoler.

Personnellement,jen’aijamaisétéjusque-là.Jen’aijamaispoussélafilaturehorsdel’autoroute.Maisj’aisuiviquelquesconducteursdudimancheassezlongtempspourlesrendremanifestementinquiets,sansjamaismemontreragressifaupointdelesénerver:monattitudeneleurdonnaitjamaislacertitudequejelessuivaisbeletbien.C’estl’activitélapluscruelle,àmaconnaissance,àlaquellejemesoislivré.

J’aisongéunmomentécrireuntextehumoristiquesurcesjeuxd’autoroute,cettefaçondetuerletempssurdelongstrajets,mais,quandj’enaisoumislepremierjetàKristine,elleadéclaré:«Cen’estpasdrôle,c’esthorrible.»Ducoup,j’ailaissél’idéedecôté.

Plustard,alorsquejesuivaislescoursdestylistiquedeFran-

Plustard,alorsquejesuivaislescoursdestylistiquedeFran-

çoisCamoin,j’aivoulurédigerunenouvelledépourvuedumoindreélémentdescience-fictionoudefantasy.Encherchantunsujet,j’airepenséàmontextesurles«jeuxsansfrontières»,etjemesuisaperçuqu’enlequalifiantd’«horrible»,Kristinevoulaitdirequ’ils’agissaitd’unehistoired’horreur-unehistoired’horreursansmonstresinonl’hommederrièresonvolant,unpersonnagequinesaitpasquandilfauts’arrêter,quipasselesbornesetpoursuitsonpetitjeujusqu’àcequemorts’ensuive.Enunmot,moi-maisincapabledesecontrôler.J’aidoncécritunenouvelleàproposd’unindividunormaletsympathiquequidécouvreunjourqu’ilestunmonstre.

LESCHANTSDUSÉPULCRE

J’aisouvenird’avoirlupléthored’histoiressurdeshumainstransformésencyborgs-desindividusdontonintègrelecerveauàunemachine,sibienque,quandilsbougentunbras,ilsouvrentenréalitélaported’unesoutedefret,quandilsmarchent,ilsdéclenchentunréacteur,etcaetera-,etj’avaistoujoursl’impressionqu’ils’agissait,pourlaplupart,etc’estvalableaussipourquantitéd’histoiresderobotsetd’androïdes,deresucéesdePinocchio:lespersonnagesvoulaienttoujoursdevenirdevraispetitsgarçons.

Lesannéesontpassé,lesmodesontchangéetlesécrivainsdes-fcélèbrentaujourd’huilecorpsmécaniquedavantagequ’ilsnelerenient;cependant,àl’époque,laquestionm’avaitintéressé:nepouvait-onimaginerquelqu’unpourquilecorpsmécaniqueseraitunelibération?J’aidoncécritunenouvellequifaitserencontrerdeuxpersonnages,l’unPinocchiod’unvaisseauspatial,cyborgquiaspireauxsensationsdelavraievie,l’autrehumain,infirmeau-delàdetoutespoirderémission,enfermédansuncorpsincapabled’agiretquirêvedupouvoirqueluidonneraitunsubstitutmécanique;ilséchangentleurplaceaugrandbonheurdechacun.

C’estunsujettoutsimplemaisjenepouvaispaslerédigerainsi;peut-êtreparcequejelavoulaisplusvraiequ’unesimplefable,j’airacontél’histoiredupointdevued’unobservateurquidemeureincapabledesavoirsiunéchangeabeletbieneulieuous’ils’agitd’unsimplefantasmequirendl’existencesupportablepouruneadolescentesansbrasnijambes.C’estdoncdevenuuntextesurleshistoiresquenousnousracontonsànous-mêmesetquinouspermettentdetoutsupporter.

Celasepassaitbiendesannéesavantlanaissancedemontroisièmeenfant,

Celasepassaitbiendesannéesavantlanaissancedemontroisièmeenfant,Charlie.Jen’avaisjamaispenséavoirunjourunenfantquirestedanssonlitsipersonnenelemetsurunechaise,quinepeutsortirdanslejardinquesionl’ytransporte.

Parcertainscôtés,sonsortestmeilleurqueceluidel’héroïnedesChantsdusépulcre:ilaapprisàsaisirlesobjetsetilpeutmanipulerdansunecertainemesuresonenvironnement,sesmembresn’étantpastotalementinertes.Pard’autres,ilestpire:jusqu’àprésent,ilneparlepas,etilestbeaucoupplusisoléetplusdépendantquequelqu’unquipeutaumoinscommuniqueraveclesautres.Mais,parfois,quandjeleprendsdansmesbrasoubienquejem’assoispourleregarder,jerepenseàcettenouvelleetjem’aperçoisque,fondamentalement,ellen’arienàvoiraveclaquestiondesavoirsiuncorpsmécaniqueefficaceseraitpréfé-

rableàunorganismeinfirmedechairetdesang.

Lavéritéqu’ellerenfermeestcelle-ci:lajeunefilleapportejoieetamourdanslaviedesautres,et,quandelles’enva(interprétezsondépartcommeilvousplaira,c’estsansimportance),elleperdcettecapacité.JedonneraispresquetoutpourvoirmonCharliecourir;jemeréveillecertainsmatinslecurgonfléd’uneimmensejoieparceque,dansmonrêvequis’évanouit,Charliemeparlaitetquej’entendaislesmotsissusdesaproprebouche.Pourtant,malgréledésirquej’enai,jesaisautrechose:estimerqu’unevievautd’êtrevécuesemesureuniquementaubienqu’elleapporteauxautresetaubonheurqu’elleenreçoit.

Denombreusespersonnesquijouissentd’uneparfaitesantéphysiquesontmoralementdébilesetsoustraientdubonheuraumondelàoùellespassent,sansêtrecapablespourautantd’enrecevoirguèredesatisfaction.Charlie,lui,donneetreçoitbiendesjoies,etnotrefamilleseraitfortappauvries’iln’enfaisaitpaspartie;nousapprenonsunpeudecequ’estlabontéchaquefoisquenousparvenonsàobtenirunsourire,unriredelui;etrienneleravitplusquequandsacompagnieluivautnossourires,noscomplimentsetnotrejoie.Siunvaisseaucyborgpassaitparlà,imaginaireounon,etproposaitunéchangedecorpsàmonpetitgarçon,jecomprendraisqueCharliedécidedes’enaller;maisj’espèrequ’ilrefuseraitetilmemanqueraitterriblements’ilnousquittait.

CONTRAINTEPRÉALABLE

Cettenouvelle-ciestunesortedefantaisiefondéed’unepartsurcertainesréflexionsàproposdelacensureetd’autrepartsurlarelationquej’aieueavec

réflexionsàproposdelacensureetd’autrepartsurlarelationquej’aieueavecDocMurdock,quisuivaitenmêmetempsquemoilescoursdeFrançoisCamoin.Cen’estpasuneinventiondemapart:Docarrondissaitvraimentsesfinsdemoisenjouantauxcartes,bienque,ladernièrefoisquej’aientenduparlerdelui,ilgagnâtsavie,ettrèsbien,enécrivantdesouvragestechniques;tantmieux:c’estunchouettetypeetillemérite.

Jenem’inspirepresquejamais,consciemmentdumoins,depersonnesquiexistentvraimentpourmeshérosnid’événementsréelspourmeshistoires.D’abord,lapersonneconcernées’envexerapresquetoujours,saufàlatraitercommeunpersonnageromanesque,telDocMurdockdansmanouvelle;ensuite,etc’estleplusimportant,onneconnaîtjamaislesgensquel’onfré-

quentedanslavie:c’est-à-direqu’onnepeutabsolumentpassavoircequilesmotive.Et,mêmes’ilsessayentdel’expliquer,c’estsansintérêtparcequ’ilsn’encomprennentpaseux-mêmestouteslescauses.Parconséquent,quandonchercheàsuivreunepersonnequ’onconnaît,ons’enlisesanscessedansdevasteszonesd’ignoranceetd’incompréhension.Jecroisréaliserdeshistoiresbeaucoupplusvéridiquesetefficacesentravaillantavecdespersonnagescomplètementinventés,parcequ’eux,jepuislesconnaîtrejusqu’auxtréfondsetjamaisjenesuisentravépardesréflexionsdugenre«Non,jamaisUntelneferaitça»,ou,pireencore:«Mieuxvautquejenelemontrepasentraindefaireça,sinonMachinvametuer.»

Et,dansunsens,Contraintepréalableprouveque,pourmoi,calquermespersonnagessurdevraisindividusn’estpasunebonneidée,parceque,mêmesijetrouvelanouvelleamusante,jelaconsidèrecommeunedemesuvreslesplussuperficielles:siongratteunpeu,ons’aperçoitqu’iln’yarienendessous;ellenevaguèreau-delàduthèmeconscient.

Àpropos,elleamistrèslongtempsàêtrepubliée.J’enaiécritlapremièreversionautoutdébutdemacarrière,etBenBoval’arefusée,enpartiesousprétextequ’ilfautéviterd’écriredesnouvellessurdesgensquiécriventdesnouvelles,neserait-cequepournepasrappeleraulecteurqu’ilestentraind’enlireune.Ilavaitraisondanslamajoritédescas,bienque,danscertainescirconstances,ilfailleaucontrairerappeleraulecteurqu’ilestentraindelire.Néanmoins,l’idéemeplaisaitmalgrésesdéfauts,etj’aienvoyémontexteàCharlieRyan,deGalileo;ill’aaccepté-

maisGalileoacessédeparaître.Charliem’aécritpourmeproposerdemerendrelanouvelle;jesavaistoutefoisquejenelaplaceraispaschezBenBova

rendrelanouvelle;jesavaistoutefoisquejenelaplaceraispaschezBenBovanichezpersonned’autresansdoute.

Aussi,quandilm’aditqu’ilaimeraitlaconserveraucasoùilpourraitrelancerGalileoouuneautrerevue,jelaluiailaissée.

C’estpresquedixansplustardquej’aireçuunelettreoùCharliemedisaits’apprêteràlancerAboriginalSFetmedemandaitlapermissiond’utiliserContraintepréalable.J’avaisalorsacquisassezdemétierpourmerendrecomptedelarelativefaiblessedel’histoire:ilrisquaitd’êtreunpeugênantqueparaisseuntexteaussiprimitifaumilieud’uvresbeaucoupplusmûres.

MaisCharliel’avaitacceptéàuneépoqueoùlaplupartdesrédacteursnerépondaientmêmepasàmescoupsdetéléphone,voire,danscertainscas,m’opposaientdesrefusinsultants;pourquoin’enprofiterait-ilpasmaintenantquelasituationavaitchangé-dumomentquelanouvellen’étaitpastropmauvaise?

Jel’aidoncpriédem’entransmettreunexemplaireafindevoirsiellemeplaisaittoujours.

Ehbienoui.Ellen’avaitriendesubtilmaisl’idéerestaitvalableet,avecquelquesrévisionspoureffacermesexcèsstylistiquesdel’époque,jelajugeaispropreàêtrepubliéesansenressentirdehonte.Jenesaispassijedoismesentirvexéousoulagédecequenuln’aitparuvoirladifférence-decequepersonnen’aitobservé:«Contraintepréalable,ondiraitduCarddelapremièreépoque.»Peut-êtren’enai-jepasautantapprisdansl’intervallequejelecroyais!

SOUVENIRSDEMATÊTE

Cettehistoireestnéetrèsrécemment,lejouroùLeeZacharias,monprofesseurd’écrituredel’universitédeCarolineduNord,àGreensboro,adéclarélesujetdeshistoiresdesuicidesirebattuchezlesjeunesauteursqu’elledésespéraitd’enlireunebonne.Jemesuisalorsrappeléque,enseignantmoi-mêmeàElonCollègelesemestreprécédent,j’avaiseusouventdroitaudénouementdel’intrigueparlesuicide,aupointd’interdireàmesélèvesdeconclureunehistoireparcegenredefin.C’estunefaçondesedéfiler,leuravais-jedit,c’estl’aveuquel’auteurn’aaucuneidéedelamanièredontl’histoiredoits’acheverenréalité.

Maislà,jemesentaisunpeuméfiant:j’avaisqualifiéleshistoiresdesuicidede

Maislà,jemesentaisunpeuméfiant:j’avaisqualifiéleshistoiresdesuicidedenulles,etvoilàqueLeeabondaitdansmonsens.Pourquoinepasvoirsij’étaiscapabled’enécrireunevalablepeuouprou?Etpourquoinepascorserencoreladifficultéenlamettantàlapremièrepersonneduprésentdel’indi-catif,puisquejedétesteécrireauprésentetquejedéconseillaisformellementl’emploidelapremièrepersonne?

Lerésultatestunedesnouvelleslesplusétrangesquej’aiejamaisécrites-maisellemeplaît.J’aibeaucoupaiméutilisercetteformeépistolairepourraconterl’histoired’unerelationhideusementtordueentredeuxpersonnesdontlaviecommunes’estprolongéebienau-delàduraisonnable.

ENFANTSPERDUS

Cettehistoirepossèdesaproprepostface.Jevoudraisseulementajouterque,depuissapublication,ilestarrivéqu’onlacritiquepourlaprétenduetromperiequ’ellecontient:audébut,jeprometsdedirelavérité,etjememetsaussitôtàmentir.Àcela,jerépondsseulementque,delonguetradition,onfeintderaconterlavéritédanslesrécitsdefantômes;unepartieduplaisirconsisteàobligerlelecteuràsedemandersi,pourunefois,l’histoireneseraitpasvraie.Cellesquej’aileplusappréciéesetquim’ontlaissélesouvenirleplusvifsontcellesquiétaientracontéescommesiellesétaientréellementarrivéesetquelenarrateurenavaitétél’acteur.Àcetteoccasion,jetiremonchapeauàJackMcLaughlin,unétudiantenmaîtrisedelasectionthéâtraledeBYU,quiamerveilleusementréussiàfaireblêmirdeterreurlabanded’étudiantsdelicencequenousétionsgrâceàuneépouvantablehistoired’espritfrappeur«quiluiétaitvraimentarrivée».

Jesavoureégalementlefaitquelesreprochesdetrahirl’attentedulecteursonttousvenusdel’ailelittéraire«expérimen-taliste»delacommunautédesécrivainsdescience-fiction.

Apparemment,cesgens-làaimentl’expérimentationetlaflam-boyancelittéraire,maisseulementdanslamesureoùelless’ins-criventdanslaconformité;oseruneprovocationquisurprendaulieud’êtreprévisible,fidonc!Etc’estainsiquelesradicauxrévèlentleurorthodoxie.

Iln’endemeurepasmoinsqu’Enfantsperdusestlanouvellelaplusautobiographique,lapluspersonnelleetlaplusdouloureusequej’aieeuàécrire.Jeluiaidonnélaseuleformequej’étaiscapabledeluidonner;parconséquent,sicettemanièreconstitueuncrimelittéraire,commel’assurentcescritiques,jenepuisqueplaidercoupable.J’aipourmétierderaconterdeshistoiresvraiesaussibienquepossibleetjen’aijamaisconstatéqu’unedeleursrèglesm’aideàmieuxlesécrire;enfin,sijelesavaissuiviespourcettenouvelle-ci,jen’auraisjamaispularaconter.

Table

Introduction,parl’auteur……………………..7

L’hommetransforméetleroidesmots…………….11

LesEuménidesdanslestoilettesduquatrième……….55

Quietus………………………………..77

Exercicesrespiratoires……………………….97

Commercedegros…………………………107

Tempsmorts……………………………..123

Jeuxsansfrontières…………………………141

Leschantsdusépulcre.………………………159

Contraintepréalable………………………..193

Souvenirsdematête………………………..209

Enfantsperdus……………………………219

Postface,parl’auteur……………………….245

Achevéd’imprimerenseptembre1999

parl’ImprimerieBussière

àSaint-Amand-Montrond(Cher)

pourlecomptede

laLibrairiel’Atalante

N°d’imprimeur:1580

Dépôtlégal:septembre1999