L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

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AVANT PROPOS Sur la voûte céleste du temple de Denderah, au nord de l’ancienne Thèbes, on pouvait admirer, il n’y a pas si longtemps encore, une représentation du Zodiaque au moment précis où le Soleil se trouve dans le signe de la Balance. Or, d’après certains hiéroglyphes retrouvés dans le temple, les Anciens Egyptiens avaient observé que le Soleil était revenu trois fois dans ce même signe. Quand on sait qu’en raison de l’inclinaison de l’axe de la Terre par rapport à l’écliptique, il faut 2160 ans pour que le Soleil passe d’un signe à l’autre au moment exact de l’équinoxe du printemps, le cycle complet dans les douze signes est donc de 25920 ans, « année zodiacale ». Tous les bons astronomes vous le confirmeront. Compte tenu de notre calendrier actuel, cela fait remonter la première observation par les Egyptiens à deux cycles et demi, soit… 65000 ans ! Il ne faut donc pas s’étonner lorsque Platon, dans « Timée », rapporte la conversation du sage Solon avec un hiérophante lui révélant que l’Ancienne Egypte connaissait la Sagesse depuis plus de 50000 ans. L’observation des « rythmes » de l’Univers remonte, en fait, à l’aube de l’Humanité. L’homme primitif eut tout d’abord une perception très simple et binaire des lois de la nature auxquelles il était soumis : le jour et la nuit, la lumière et l’obscurité, le bruit et le silence, le chaud et le froid, le sec et l’humide, le haut et le bas, le bien- être et la souffrance… Dès lors, il lui paraissait évident d’en attribuer les causes à des « forces supérieures » opposées : un dieu bienveillant et un dieu nocif se partageant le Monde. Plus tard, ces deux entités n’en feront qu’une, un seul dieu de bonté et de colère, synonyme de récompense ou de punition. Les premières lueurs de la Connaissance furent donc indissolublement liées à la notion de divinité. De là naquit la science sacrée, mère de toutes les sciences. Certains savants contemporains, au demeurant fort instruits mais sans doute mal informés de la Grande Tradition, déclarèrent avec fracas que l’Egypte n’avait rien apporté au monde et que tout venait de Mésopotamie, berceau de civilisation. Certes, les tablettes cunéiformes semblent leur donner raison. Elles portent la preuve de la première forme d’écriture « connue ». Grâce à elles, la tradition orale fut mise en exergue, celle des mythes et des légendes dont la plus célèbre est l’Epopée de Gilgamesh qui inspira Moïse dans son récit du Déluge. Nul ne conteste par ailleurs le haut niveau scientifique et les grands talents de bâtisseurs que possédaient les Babyloniens. A la lumière de ce qui vient d’être dit plus haut, il semble toutefois impensable que l’écriture hiéroglyphique, même balbutiante, n’ait pas vu le jour bien avant les Sumériens. Quant aux « équations du second degré » que ces derniers savaient soit-disant manipuler, les Anciens Egyptiens, en supposant qu’ils en aient eu connaissance, ne semblaient guère s’en soucier. Ils étaient avant tout d’excellents arpenteurs en raison, notamment, des crues régulières du Nil qui les obligeaient sans cesse à reconsidérer les tracés des cultures inondées. Mais ce n’était là que la moindre facette de leur génie. Ils étaient

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AVANT

PROPOS

Sur la voûte céleste du temple de Denderah, au nord de l’ancienne Thèbes, on

pouvait admirer, il n’y a pas si longtemps encore, une représentation du Zodiaque

au moment précis où le Soleil se trouve dans le signe de la Balance.

Or, d’après certains hiéroglyphes retrouvés dans le temple, les Anciens Egyptiens

avaient observé que le Soleil était revenu trois fois dans ce même signe.

Quand on sait qu’en raison de l’inclinaison de l’axe de la Terre par rapport à

l’écliptique, il faut 2160 ans pour que le Soleil passe d’un signe à l’autre au

moment exact de l’équinoxe du printemps, le cycle complet dans les douze signes

est donc de 25920 ans, « année zodiacale ». Tous les bons astronomes vous le

confirmeront.

Compte tenu de notre calendrier actuel, cela fait remonter la première observation

par les Egyptiens à deux cycles et demi, soit… 65000 ans !

Il ne faut donc pas s’étonner lorsque Platon, dans « Timée », rapporte la

conversation du sage Solon avec un hiérophante lui révélant que l’Ancienne Egypte

connaissait la Sagesse depuis plus de 50000 ans.

L’observation des « rythmes » de l’Univers remonte, en fait, à l’aube de

l’Humanité.

L’homme primitif eut tout d’abord une perception très simple et binaire des lois de

la nature auxquelles il était soumis : le jour et la nuit, la lumière et l’obscurité, le

bruit et le silence, le chaud et le froid, le sec et l’humide, le haut et le bas, le bien-

être et la souffrance…

Dès lors, il lui paraissait évident d’en attribuer les causes à des « forces

supérieures » opposées : un dieu bienveillant et un dieu nocif se partageant le

Monde. Plus tard, ces deux entités n’en feront qu’une, un seul dieu de bonté et de

colère, synonyme de récompense ou de punition.

Les premières lueurs de la Connaissance furent donc indissolublement liées à la

notion de divinité. De là naquit la science sacrée, mère de toutes les sciences.

Certains savants contemporains, au demeurant fort instruits mais sans doute mal

informés de la Grande Tradition, déclarèrent avec fracas que l’Egypte n’avait rien

apporté au monde et que tout venait de Mésopotamie, berceau de civilisation.

Certes, les tablettes cunéiformes semblent leur donner raison. Elles portent la

preuve de la première forme d’écriture « connue ». Grâce à elles, la tradition orale

fut mise en exergue, celle des mythes et des légendes dont la plus célèbre est

l’Epopée de Gilgamesh qui inspira Moïse dans son récit du Déluge.

Nul ne conteste par ailleurs le haut niveau scientifique et les grands talents de

bâtisseurs que possédaient les Babyloniens.

A la lumière de ce qui vient d’être dit plus haut, il semble toutefois impensable que

l’écriture hiéroglyphique, même balbutiante, n’ait pas vu le jour bien avant les

Sumériens.

Quant aux « équations du second degré » que ces derniers savaient soit-disant

manipuler, les Anciens Egyptiens, en supposant qu’ils en aient eu connaissance, ne

semblaient guère s’en soucier.

Ils étaient avant tout d’excellents arpenteurs en raison, notamment, des crues

régulières du Nil qui les obligeaient sans cesse à reconsidérer les tracés des

cultures inondées. Mais ce n’était là que la moindre facette de leur génie. Ils étaient

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maîtres dans l’art de la géométrie sacrée, entièrement vouée à une mission qui

revêtait un caractère quasiment obsessionnel : mettre l’immortalité de l’homme en

conformité avec celle des dieux.

Au sommet de la pyramide, Atoum, le dieu créateur. C’est peut être le moins connu

de tous. Pour nous, il est d’une importance capitale, puisque tout est parti de lui.

« Je suis Un devenu deux, Je suis deux devenu quatre, Je suis quatre devenu huit,

mais Je suis Un ». Ainsi parlait-il en s’expliquant lui-même, préfigurant la genèse

des mondes telle qu’elle nous fut transmise dans le Premier Livre.

Tout est dans l’intelligence de son nom : ATouM. Deux lettres initiales et sacrées,

l’Aleph et le Thau, l’Alpha et l’Oméga, le commencement et la fin. La syllabe ouM,

vraisemblablement prononcée en appuyant longuement sur le Mem final,

symbolisait la matière inerte des eaux primordiales, le chaos originel qui s’est

animé sous l’action du Verbe créateur, l’Aleph.

Nous en retrouvons aujourd’hui la trace dans l’« aoum », cette longue et grave

mélopée prononcée par les moines tibétains.

L’explication qui vient d’être donnée est particulièrement significative.

Elle est la troisième voie de compréhension que les « Grands Prêtres ou Mages »

donnaient à leurs hiéroglyphes : le parlant, le signifiant et le caché. Chacune de ces

voies était réservée aux hommes selon leur degré de connaissance et de mérite. Le

parlant et le signifiant aux profanes, crédules ou croyants, et le caché aux initiés.

La Très Ancienne Egypte fut ainsi le creuset du symbolisme initiatique qui se

répandit dans tout l’Occident.

La Franc-Maçonnerie en est l’un des derniers refuges. Héritière de la Grande

Tradition, elle puise ouvertement ses sources au plus profond du

« khem », la terre noire de Misraïm, qui donna son nom à l’« Al-kimia », la

mystérieuse chimie des éléments primordiaux.

Elle en fait jaillir l’esprit de la pierre taillée, matière vivante et sacrée, pour la

construction symbolique de ses sanctuaires, à l’image du Temple de Salomon le

Sage, fils de David, qui inspirera plus tard les Bâtisseurs de Cathédrales.

En déposant l’Equerre et le Compas sur les Saintes Ecritures, les Francs-Maçons

du Siècle des Lumières ont voulu rendre hommage à tous leurs Anciens Frères

Opératifs qui, depuis des millénaires, oeuvraient en silence à la gloire du Créateur.

Riches de leur sapience, ils ont élaboré un système de morale et de philosophie.

Morale orientée vers le Principe, philosophie tournée vers l’action et le

comportement.

Que nous enseignent les Trois Grandes Lumières ?

Dieu, Grand Architecte de l’Univers, a laissé à l’Homme, au soir du Sixième Jour,

la tâche sublime et redoutable de parachever Son Œuvre, de continuer la Création.

Pour cela, il lui a fait don de Sa propre Parole. Un seul mot d’ordre : la recherche

du sens.

Car la parole est vide sans le sens, germe de l’action créatrice.

Aussi le Franc-Maçon regarde-t-il avec une certaine angoisse les hommes

orgueilleux et bavards s’époumoner à reconstruire la Tour de Babel. Le pire, c’est

qu’il n’y peut pas grand chose, englué qu’il est, comme tous les autres, dans la «

matière » du monde profane.

Il n’a qu’une solution : venir se ressourcer dans le Temple à la recherche du sens et

le distiller à ses semblables par la flamme discrète de sa parole et l’exemplarité de

ses actes.

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Autrement dit, soulever doucement le Compas sous l’Equerre, dévoiler peu à peu la

lumière de la conscience devant le grand mystère de l’existence.

Or le monde manifesté, symbole de l’existence, vit en état de crime permanent.

Tel Caïn tuant son propre frère de sang, le temps « tue » l’espace en le vieillissant.

Heureusement, l’espace résiste. Il a cette faculté extraordinaire de se régénérer

constamment, puisqu’il possède en son sein le divin Principe de Vie.

Le Franc-Maçon, infime segment de cet espace dont il est à la fois spectateur et

acteur, participe donc « en conscience » au cycle sans fin de la Création.

En comprendre le sens, c’est comprendre la vie… et la mort, aussi nécessaire

qu’inéluctable.

Cela, les Anciens Egyptiens le savaient depuis longtemps. Et ce d’autant mieux que

tout semblait être « offert » à leur entendement :

l’eau du Nil, le feu du Soleil et l’éther du Ciel, s’unissant en rythmes réguliers pour

féconder la Terre, quatrième élément.

Et que leur rendait la Terre ?

Deux nourritures essentielles et sacrées : la moisson, manne providentielle assurant

la survie de la chair éphémère, et la pierre, gardienne éternelle et muette, à l’ombre

des pylônes et des tombeaux, du grand secret de l’immortalité de l’âme.

Derrière l’apparente simplicité de la raison, quelle formidable richesse de l’esprit !

C’est le principe même de la Connaissance et le début de la Sagesse, cette Sagesse

perdue que nous essayons de retrouver dans l’étude de la science sacrée.

Rien, dans cette science, ne saurait s’expliquer sans le point de départ de tout, le

Principe, l’Arché, le « Bereschit », le Verbe Créateur, Parole de Dieu.

C’est par la Parole que tout fut créé. Les « mystères cachés de la Nature et de la

Science » en portent le vivant témoignage.

Pour retrouver la Sagesse perdue et se fondre avec le Créateur dans l’Harmonie du

Monde, le Franc-Maçon de Tradition se doit donc d’exercer son « devoir de

mémoire » en remontant, le long de ces mystères, au plus près de la Parole Divine.

Certains, avec une pincée d’ironie et un brin de provocation, qualifient cette

démarche, et avec elle la Franc-Maçonnerie de Tradition,

de « rétrograde et génuflexive ».

Sans vouloir attiser de vaines polémiques, c’est tout de même aller un peu vite en

besogne.

La mémoire n’a rien de rétrograde. Elle est le fil à plomb inflexible de la

transmission.

Quant à la génuflexion, elle ne saurait être confondue avec une quelconque

adoration béate ou contemplative. Elle est tout simplement l’expression de la plus

élémentaire humilité.

Que nous croyions aux Cieux ou aux poussières d’étoiles, nous sommes tous

tellement petits devant le Tellement Grand !

Chapitre I

Page 4: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Beau

té et

Har

moni

e

« La Beauté est

la vie lorsque la

vie dévoile son

saint visage.

Elle est

l’éternité se

contemplant

dans un miroir.

»

(Khalil Gibran,

Le Prophète)

Beauté profane et beauté sacrée

La beauté est insaisissable.

Ephémère ou éternelle, ténébreuse ou triomphante,

secrète, sauvage, impudique, insolente, elle se pare

de tous les attributs. Elle peut nous éblouir, nous

transporter de joie ou nous clouer sur place,

fascinés par son irrésistible pouvoir de séduction.

Que ce soit par le jeu des sentiments ou par celui

des mots, on ne sait jamais par quel bout la prendre.

Mais elle ne nous laisse jamais indifférents.

Tous les goûts, dit-on, sont dans la nature. Telle

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chose, en effet, que je trouve belle, ne l’est pas

forcément pour un autre. La beauté serait-elle donc

exclusivement subjective ? Ou bien serait-

elle donnée avant d’être acquise ? Montrée avant

d’être démontrée ?

Nul ne peut contester que la beauté d’un arc-en-ciel,

perçue de tous, est donnée. Mais sa beauté cachée,

mise au jour par le physicien au moyen de la

réfraction chromatique de la lumière, n’est

perceptible qu’aux hommes de science. Elle est «

acquise » et nécessite un apprentissage.

Ce dernier mot nous interpelle.

Pour nous, Maçons de Tradition, rompus aux

efforts du long cheminement initiatique,

l’apprentissage de la beauté est une constante. Car

l’Initiation est lumière, elle est porteuse d’un

message et en éclaire le sens. Ce sens est celui

du Sacré.

Dès lors, la beauté n’est plus considérée, dans son

acception profane, comme la simple expression de

ce qui est beau et procure du plaisir.

Elle n’est ni donnée, ni montrée, mais révélée. Ou,

plus exactement, c’est elle qui révèle. Elle révèle

le Beau, unité principielle et sacrée qui échappe à la

raison sensible, qui ne procède plus de l’âme mais

de l’esprit, et qui est d’essence divine.

Prise dans ce sens, la beauté est la puissance du

Beau. Comme la vérité est la puissance du Vrai, la

justesse celle du Juste, le bien celle du Bien, elle

émane du Verbe, puissance première et volitive de

la Création.

Nombreux sont les hommes qui sacrifièrent leur vie

à sa recherche et à sa gloire.

Ils étaient tous Hommes de l’Art, soulevant

secrètement le voile d’une beauté cachée qu’ils

savaient éternelle. Dépositaires de la Tradition,

gardiens du grand mystère des nombres,

hiérophantes, philosophes, alchimistes, bâtisseurs

de temples, ils oeuvrèrent au clair-obscur des «

mots de puissance ».

Nous en sommes les lointains héritiers. Au delà de

leur savoir transmis sous le manteau de

l’ésotérisme, nous vivons aujourd’hui à la lumière

de leur beauté intérieure. Car si le Beau est dans

l’œil du Divin Créateur, la beauté est aussi dans le

regard de celui qui la contemple.

Assurément, le plus chanceux de tous fut Noé, sage

Page 6: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

parmi les sages, qui marchait avec Dieu. Après le

Déluge, il s’était prosterné, face contre terre, puis

avait érigé un autel et rendu grâce. Alors le

Seigneur, toute colère apaisée, apparut dans Sa

beauté la plus éclatante.

Et Noé vit la beauté de Dieu, arche merveilleuse

irisant tout l’espace, à l’image de son paradigme, la

Divine Arché, cette demeure céleste qui n’est pas

faite de main d’homme, éternelle dans les Cieux…

Et il fit beau, à l’aube de tous les matins du Monde.

Et Dieu nomma la beauté Alliance…

Harmonie divine et eurythmie manifestée

Arrêtons-nous un instant sur notre Planche Tracée

du Premier Grade. Nous y reviendrons souvent, elle

est d’une richesse insoupçonnée.

Nos Loges sont soutenues par trois Grandes

Colonnes qui se nomment Sagesse, Force et Beauté.

La Sagesse qui dirige, la Force qui soutient et la

Beauté qui orne…

L’Univers est le Temple de Dieu que nous servons.

La Sagesse, la Force et la Beauté soutiennent Son

Trône comme les piliers de Son Oeuvre, car Sa

sagesse est infinie, Sa force omnipotente et Sa

beauté resplendit dans l’ordre et la symétrie de

l’ensemble de la Création.

Ordre et symétrie. Ces deux termes ne peuvent se

comprendre dans le sens où nous les entendons

aujourd’hui.

Pour l’homme de Tradition, l’Ordre du Monde n’est

pas un répertoire de genres, une liste exhaustive

d’objets répartis dans l’Univers comme, par

exemple, la classification des éléments de

Mendeleïev. De même, la symétrie ne consiste pas

à exécuter la réplique exacte d’une figure donnée

par rapport à une droite ou à un plan. Il s’agit de

bien autre chose.

On peut en trouver un début d’explication dans

le Timée de Platon, œuvre majeure, s’il en est, de

la philosophie antique.

Platon considère deux mondes bien distincts :

- le monde intelligible ou monde des idées, siège

d’entités non sensibles qui existent « en soi »,

toujours et absolument, pures et sans mélange, et

qui présentent la seule réalité véritable parce

qu’elles sont immuables.

Page 7: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

- le monde sensible, monde manifesté ou coexistent

des « réalités particulières », instables ou

éphémères, et qui ne peuvent être que des copies,

des images de leur modèle (ou paradigme) dans le

monde intelligible. L’exemple, cité plus haut, de

l’arc-en-ciel et de la Divine Arché, demeure céleste,

est on ne peut plus parlant.

Le monde intelligible est donc le monde de l’être,

le monde sensible celui du devenir. Cette

distinction est essentielle, car elle introduit de facto

la nécessité d’un temps et d’un espace comme

supports « matériels » du monde sensible soumis au

changement incessant.

On le comprend d’autant mieux que le temps et

l’espace peuvent être eux mêmes considérés comme

les images sensibles de l’éternité et de l’infini du

monde intelligible.

Or, dans le monde sensible, la permanence (ou

l’invariance si chère aux mathématiciens), se

manifeste sous ces traits : causalité, stabilité et

symétrie.

Il y a causalité si tout effet dépend d’une cause,

stabilité si la même cause produit toujours le même

effet, et symétrie si ce rapport de causalité se répète.

Causalité, stabilité et symétrie n’affectent pas les

formes intelligibles qui trouvent en elles-mêmes

leur principe d’explication et qui ne changent pas.

Dans l’univers créé, cette triple essence de la

permanence est nommée eurythmie, c’est-à-dire

l’ordre (équilibre) et la symétrie (récurrence) du

monde sensible d’en-bas, reflet de leur paradigme,

la Divine Harmonie du monde intelligible d’En-

Haut.

Le Franc-Maçon y reconnaîtra peut-être la «

régularité » du Pavé Mosaïque et de la Bordure

Dentelée qui l’entoure.

Dans ce sens, pour l’homme de Tradition, Dieu UN

éternel est, Dieu DEUX apparaît dans SA Lumière

en La séparant des Ténèbres, Dieu

TROIS équilibre, c’est-à-dire harmonise le chaos.

Alors, et alors seulement, Dieu crée dans

l’eurythmie du temps et de l’espace manifestés

(QUATRE, CINQ, SIX, SEPT…).

Dans la déclinaison de ce schéma divin (retenons

bien ce mot, nous le retrouverons à la fin de notre

exposé), le Beau (« Dieu », UN) resplendit dans la

Beauté (« de Dieu », DEUX), et la Beauté (« par

Dieu », DEUX) resplendit dans l’Harmonie (« de

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par Dieu », TROIS).

- l’essence divine du Beau, une et nominative, est

représentée par un cercle ou par 1 point

- la Beauté, binaire et adjective, est représentée par

une droite ou par 2 points

- l’Harmonie, ternaire et distributive, équilibre le

tout par un triangle ou par 3 points

Cette trilogie sacrée prélude à toute

création objective dans le temps, d’abord

quaternaire (projection carrée du cercle divin), puis

quinaire, hexagénaire, septénaire, etc.

Francs-Maçons fidèles à la Tradition, nous en avons

gardé la trace. Les trois points en triangle sont en

effet l’un des symboles majeurs de

l’Ordre maçonnique. L’Ordre, qu’il ne faut pas

confondre avec l’Obédience, entité purement

juridico-administrative au service de l’Ordre, est à

la fois le fondement et le principe actif d’une

société harmonieusement ordonnée, produit pur et

sans tache de la verticalité de la Règle (la même

pour tous) et de l’horizontalité des Frères (tous les

mêmes).

Structure de l’harmonie

A la lumière de ce qui vient d’être dit sur

l’harmonie divine, paradigme de l’eurythmie du

monde manifesté, on peut donner de l’harmonie

deux définitions simples et corrélatives :

- l’harmonie est la beauté en équilibre. Beauté des

composantes, équilibre des proportions entre ces

composantes et le tout dont elles participent. Cet

équilibre peut être statique ou dynamique. Le

premier exemple qui vient à l’esprit est, bien sûr,

celui de l’architecture.

L’équilibre statique d’un temple est un équilibre

d’équerre, basé sur la parfaite orthogonalité de ses

lignes de force, et qui assure à l’édifice une stabilité

naturelle, voulue par l’architecte comme

l’expression de sa propre vision de l’éternité.

Ce n’est pas forcément un équilibre mort. Il

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renferme toujours une vie, une dynamique cachée,

celle des proportions entre les divers éléments.

Ces proportions donnent un rythme esthétique à

l’ensemble, justement appelé rythme proportionnel

de la construction. Il est basé sur le choix d’un

module, ou d’une unité de longueur prise pour

référence, qui se décline partout, dans les deux

comme dans les trois dimensions.

Ainsi, l’architectonique du Temple du Roi

Salomon, à l’image du Saint Tabernacle de Moïse,

a-t-elle été conçue, aussi bien dans le temps que

dans l’espace, autour d’un seul et même module : le

carré (et le double carré) et le nombre symbolique

qui lui correspond, le nombre 4 (et son multiple

décimal 40).

Répartition des forces dans l’arc plein cintre et

l’arc croisé

Page 10: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Equilibre statique

Equilibre dynamique

L’équilibre dynamique est, pour sa part, un

équilibre de compas, ou d’arc, ou d’Arche. Il se

fonde sur la dynamique des forces de compression

qui se divisent en forces verticales et horizontales,

ces dernières exerçant une poussée latérale qui

mettrait en danger la stabilité de l’édifice si on ne

l’équilibrait pas par une poussée contraire. Ce qui

explique l’utilisation fréquente des arcs-

boutants dans l’architecture gothique.

Ici, la vie foisonne. Le compas règne en maître.

Ogives, doubleaux, formerets et archivoltes lancent

les claveaux vers l’infini du ciel. Battant à l’unisson

d’un rythme plus haut, les cathédrales deviennent

une véritable symphonie de formes. Elles chantent.

- l’harmonie est l’unité dans le multiple. Cette

définition est, en fait, une synthèse de la

précédente. Elle consiste à rassembler ce qui est

épars et à construire, à partir de plusieurs identités

particulières, une seule et même entité vivante.

La musique en est un premier exemple.

Si nous détaillons, ligne par ligne, la partition

complète de L’Hymne à la Joie de Beethoven, rien

ne peut troubler à priori notre perception sensible

de l’harmonie. Chaque instrument, du plus grave au

plus aigu, possède son propre rythme et sa propre

ligne mélodique, de la plus simple à la plus

complexe, ce qui est le cas pour les cordes dans

l’exemple que nous avons choisi. Mais notre oreille

profane a bien du mal à croire que toutes ces

particularités, en se croisant et en s’interpénétrant,

puissent sonner d’une manière harmonieuse. Nous

avons plutôt tendance à imaginer le contraire, c’est-

à-dire un résultat proche de la cacophonie.

Et pourtant…que d’émotion à l’écoute de

l’ensemble, irrésistible marche en-avant sublimée

par le triomphe des chœurs ! Ici mieux qu’ailleurs,

l’alchimie subtile du Maître de Musique a su

transmuter la somme des unités en unité de la

somme. Ainsi pourrait-on écrire :

1 + 1 = 1 , 1 + 1 + 1 = 1 , 1 + 1 + 1 + 1

= 1 , 1 + 1 + 1 + 1 + 1 = 1 …

Page 11: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Le deuxième exemple est, on l’aura deviné, la Loge

Maçonnique.

Milieu paisible et harmonieux par excellence, la

Loge est un temple dans le Temple. Elle regroupe

autour des Trois Grands Piliers que sont Sagesse,

Force et Beauté, les colonnes vivantes des Frères

qui sont autant de temples intérieurs.

Cette démultiplication, très caractéristique de la

Franc-Maçonnerie, nous aide à mieux sentir

l’absolue nécessité de l’union, celle qui fait battre

les cœurs à l’unisson et avancer d’un seul et même

pas. Et lorsque cette union est parfaite, elle

syncrétise tout au Centre, là où l’harmonie,

l’eurythmie, l’alliance et la concorde se fondent en

un terme ultime : l’égrégore.

Les voies maçonniques de l’Harmonie du

Monde

« Avant le Déluge vivait Lamech. Ses enfants ayant

eu connaissance de l’imminence du Déluge,

gravèrent les Sept Sciences sur deux piliers : l’un

de marbre qui ne pouvait être détruit par le feu,

l’autre de latericia, brique légère qui ne pouvait

être détruite par les eaux. Après le Déluge,

Pythagore trouva l’un des deux piliers, Hermès

trouva l’autre, et ils enseignèrent aux hommes les

sciences qui y étaient écrites. »

Le récit de cette légende biblique (mais est-ce

bien tout à fait une légende ?) figure dans un des

plus vieux textes maçonniques connus à ce jour,

le Manuscrit Cooke, datant de 1410. C’est dire

l’importance que nous devons lui accorder.

Il fait remonter à des temps immémoriaux le

premier épisode de la sauvegarde et de la

transmission du savoir, et met en scène deux des

plus grands noms de l’Histoire, considérés comme

les pères des sciences anciennes.

Comme Imhotep, le génial architecte, Hermès et

Pythagore étaient des daïmones, mi-hommes, mi-

dieux, vénérés par leurs disciples qui les portaient

au firmament des étoiles, cet univers intermédiaire

entre la sphère divine et notre monde sublunaire.

Des stars avant la lettre…

Ils eurent, ont encore et auront sans doute pendant

longtemps une influence considérable sur les

gardiens de la pensée traditionnelle. Leurs

enseignements se sont dilués dans nos rituels

Page 12: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

maçonniques, mais on peut en redécouvrir le sens,

pour peu qu’on veuille bien soulever le voile. Ils

révèlent les mystères cachés de la Nature et de la

Science dans lesquels resplendit l’Harmonie du

Monde.

A l’ombre symbolique de Moïse et du Roi

Salomon, nous allons cheminer le long de ces

deux grandes lignes parallèles, l’une traitant de la

science élémentaire des nombres, l’autre de la

nature numérique des éléments.

Elles se rapprocheront souvent, jusqu’à ne former

qu’une seule et même voie, celle qui, par la magie

des « mots de puissance » enfin retrouvés, remonte

là-haut, tout là-haut, à l’aube de l’Eternelle

Lumière.

Chapitre II

Le

fabul

eux

hérit

age

de

Pyth

Page 13: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

agor

e « Tout est

arrangé d'après

le Nombre »

(Pythagore, Iero

s Logos)

Le Maître de Samos

Comme tout personnage mythique marqué par

le sceau du secret, Pythagore n'a laissé aucune

trace de ses écrits. On lui attribue toutefois le

mystérieux Ieros Logos ou Discours Sacré qui

fut longuement commenté par le monde grec.

C'est donc chez ses adeptes qu'il faut chercher le

contenu de son enseignement. Non pas ceux de

la première heure, mais les néo-pythagoriciens

comme Nicomaque de Gérase ou l'historien

Jamblique. Nous y ajouterons Platon, encore et

toujours Platon dont nous sommes à peu près

certains qu'il fut initié sans jamais avoir prêté

serment.

Pythagore est resté célèbre pour son fameux

théorème sur le carré de l'hypoténuse. Ce n'est

pas lui qui l'a découvert (il était connu depuis

des siècles par les babyloniens et les égyptiens),

mais il eut le génie de le démontrer. On lui doit

l'invention de quelques termes nouveaux

comme, entre autres, philosophie et cosmos,

mots qui, à leur époque, étaient considérés

comme avant-gardistes.

Pythagoras est né à Samos entre 590 et 570

avant Jésus-Christ, en ce premier Siècle des

Lumières qui vit le Gauthama Bouddha,

Zoroastre, Confucius et Lao-Tseu composer

avec lui une pentade étincelante de surhommes.

Encore adolescent, il s'illustre aux Jeux de la

48ème Olympiade. Puis il part pour de longs

voyages, notamment en Egypte, là-même où, un

demi-siècle avant lui, Thalès de Milet s'était

brillamment illustré. La conjonction des Grands

Page 14: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Mystères auxquels il est initié et du très haut

niveau de connaissance de ses hôtes l'amène à

mûrir et à construire dans son esprit une

véritable métaphysique des nombres.

La cinquantaine triomphante, il retourne à

Samos pour y dispenser son enseignement. Ce

qui lui vaut autant d'admirateurs que de jaloux,

parmi lesquels le tyran Polycrate qui l'oblige à

s'exiler. Il s'installe à Crotone, au sud de l'Italie,

grâce aux subsides et à la protection

bienveillante de Philon qui deviendra un de ses

plus fidèles disciples.

La Société qu'il fonde, tournée vers la

réalisation par la Connaissance et l'Amour de

l'harmonie intérieure et de l'accord avec la

Grande Harmonie, acquiert très rapidement un

pouvoir presque absolu, non seulement spirituel

mais aussi politique, sur la plus grande partie de

la Grande Grèce.

Elle continuera ses activités après la mort du

Maître (mal connue et située vers 500), jusqu'au

massacre de Métaponte en l'an 450. Peu

d'adeptes en réchappèrent, parmi lesquels

Philolaos qui, comme son illustre prédécesseur

Hippase, fut considéré comme un traître pour

avoir divulgué les secrets de la secte, alors

qu'elle se reformait dans l'ombre.

Il fut même accusé d'avoir vendu à Denys

l'Ancien et à son frère cadet Dion trois livres

contenant la doctrine secrète, dont Platon aurait

pris connaissance pendant son premier séjour à

Syracuse.

Mais quel était donc le secret des pythagoriciens

? En quoi consistait cette métaphysique des

nombres qui attira tant d'esprits éclairés ?

Cédons la parole à Nicomaque de Gérase, dans

son Introduction à l'Arithmétique :

" Tout ce que la nature a arrangé

systématiquement dans l'Univers paraît, dans

ses parties comme dans l'ensemble, avoir été

déterminé et mis en ordre en accord avec le

Nombre, par la prévoyance et la pensée de

Celui qui créa toutes choses. Car le modèle

était fixé, comme une esquisse préliminaire, par

la domination du Nombre préexistant dans

l'esprit du Dieu créateur du monde, nombre-

idée purement immatériel sous tous rapports,

mais en même temps la vraie et l'éternelle

Page 15: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

essence, de sorte que, d'accord avec le Nombre,

comme d'après un plan artistique, furent créées

toutes ces choses, et le temps, le mouvement, les

cieux, les astres et tous les cycles de toutes

choses. "

A l'instar de Pythagore, Nicomaque distingue

donc deux types de nombres : le Nombre Divin,

ou Nombre Pur, ou Nombre-Idée, et le nombre

scientifique. Le premier est naturellement le

modèle idéal du second. Mais parce que les

formes (dépendant de quantités, de qualités et

d'arrangements) sont dans le monde matériel les

seules choses permanentes, et que leur structure

est leur seule réalité, le Nombre Pur auquel elles

se réfèrent sera aussi, plus généralement,

le Principe, l'Arché ou arché-type directeur de

tout l'Univers créé.

Autrement dit, le Nombre Pur est un nombre

de puissance émanant du Verbe créateur. Il ne

mesure rien, car il n'a rien à mesurer. Sa nature

(et non sa valeur) est absolue. Le nombre

scientifique, de son côté, est un nombre

de mesure. Sa nature (et non sa valeur)

est relative, mais il possède en lui la puissance

de son modèle ou paradigme dans le monde

absolu.

On comprend tout de suite d'ou vient

l'inspiration platonicienne du

monde intelligible et du monde sensible dans

le Timée, déjà exprimée en monde

des idées immuables et monde

des opinions changeantes dans la République !

Pour les pythagoriciens, la théorie des nombres

était ainsi divisée en deux disciplines :

- la première, traitant du Nombre Pur, était

l'Arithmologie ou Mystique du Nombre.

- la seconde, traitant du nombre scientifique,

était l'Arithmétique proprement dite, suivant une

méthode syllogistique rigoureuse, dans le genre

de celle d'Euclide.

Il en existait bien une troisième, mais reléguée

très bas et réservée aux gens d'affaires, celle du

simple calcul. C'est donc aux deux premières

que nous réserverons toute notre attention, en

espérant y trouver non pas l'harmonie du monde

mais l'harmonie desmondes, celui d'en haut et

celui d'en bas, jusqu'à la Grande Harmonie qui

les unit.

Page 16: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

La Décade Prodigieuse

Si vous étiez membre de la confrérie

pythagoricienne et que, triomphant, vous

annonciez au Maître (sans le voir, car il ne se

montrait pas)

" trois fois un, trois ! ", il y a de grandes

chances pour que vous restiez novice toute votre

vie ! En supposant encore qu'il daigne vous

répondre,

il vous dirait " un en trois, trois en un ".

Les pythagoriciens ne comptaient pas au sens

propre du terme. Ils n'étaient pas les champions

de cette gymnastique mentale qui consiste à

aligner des symboles sous forme de chiffres et à

les triturer dans tous les sens, comme nous le

faisons aujourd'hui avec notre système de

numération.

Ils considéraient les nombres comme un flot, un

écoulement d'unités ou monades, reflet de la

démultiplication à l'infini d'une seule et même

Unité divine. Ces unités, représentées par des

points ou des groupes de points, se traduisaient

dans les formes du monde sensible par des

figures géométriques, en deux ou en trois

dimensions. Elles exprimaient les idées, ou

concepts immuables, que l'on peut résumer ainsi

:

- le UN exprimait l'idée d'unité ou monade (1

point, système ou rythme unitaire)

- le DEUX l'idée de dualité ou dyade (une droite

ou 2 points, système ou rythme binaire)

- le TROIS l'idée de trinité ou triade (un triangle

ou 3 points, système ou rythme ternaire)

- le QUATRE la tétrade (un carré ou 4 points,

système ou rythme quaternaire)

- le CINQ la pentade (un pentagone ou 5 points,

système ou rythme quinaire)

Suivaient l'hexéade, l'heptade, l'ogdoade,

l'ennéade et la décade.

Ainsi étaient considérés les nombres

triangulaires, carrés, pentagonaux, hexagonaux

etc., dont on remarquera que le nombre UN

s'applique à tous et en premier, rappelant ainsi

que l'Unité Divine est le point de départ de tout.

Dans ce flot continu émanant du Créateur, les

Page 17: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

pythagoriciens considéraient des nombres ou

des groupes de nombres particuliers : nombres

pairs et impairs, nombres premiers (seulement

divisibles par eux-mêmes ou par l'unité) et leurs

combinaisons en nombresparfaits.

Mais il est une série particulière de nombres qui

marquera à jamais le Maître de Samos et ses

adeptes, la sublime tétractys, suite des quatre

premiers nombres qu'ils se représentaient ainsi :

Elle était d'une telle importance pour les

pythagoriciens qu'ils l'invoquaient dans leur

serment : " Je le jure par celui qui a transmis à

notre âme la tétractys en qui se trouvent la

source et la racine de l'éternelle nature ! ".

Elle avait à la fois les qualités transcendantes de

la Décade (1 + 2 + 3 + 4 = 10) et les qualités

dynamiques de la croissance triangulaire, base

de la génération de tous les nombres figurés

plans ou solides. A tel point qu'elle fut identifiée

à l'Harmonie dont Jamblique, citant Aristote,

nous a conservé le verset : " Tétractys,

Harmonie pure, celle des Sirènes… ".

C'est ainsi sous sa forme de Nombre Pur, la

Décade, que la tétractys devient le symbole de

l'Univers. Citons encore Nicomaque dans

son Théologumène :

" Mais comme le Grand Tout était une multitude

illimitée, il fallait un ordre. Or c'est dans la

Décade que préexistait un équilibre naturel

entre l'ensemble et ses éléments. C'est pourquoi

elle servit de mesure pour le Grand Tout comme

une équerre et un cordeau dans la main de

l'Ordonnateur ".

Cette affirmation, pour les Francs-Maçons que

nous sommes, se passe de tout commentaire.

Elle résume en outre et parfaitement notre

double définition de l'Harmonie : la beauté en

équilibre et l'unité dans le multiple.

Page 18: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

nombres triangulaires n (n+1) / 2

nombres carrés n²

nombres pentagonaux n (3n -1) / 3

nombres hexagonaux n (2n - 1)

NOTA

Le nombre 1 s'applique à tous les cas de figure

On remarquera la croissance triangulaire et l'ouverture de l'angle générateur (60°, 90°,

108° etc.),

comme l'Oeil du Grand Ordonnateur regardant le cosmos depuis l'unité jusqu'à l'infini

Les Cinq Corps Platoniciens

Page 19: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Passant de la Décade à sa moitié, nous arrivons

à une des personnalités des plus brillantes de la

Société des Nombres, la Pentade ou

caractéristique du CINQ.

En arithmologie ou mystique du nombre, elle

participe à l'essence de la Décade comme étant

sa moitié et son image condensée. Mais elle est

aussi le nombre d'Aphrodite, déesse de l'union

fécondatrice et, en tant que telle, elle représente

l'archétype abstrait de la génération, l'union du

premier nombre pair, féminin, matrice,

scissipare (DEUX, dyade) et du premier nombre

impair, mâle, asymétrique, complet

(TROIS, triade).

Union de la matière (QUATRE) et de l'esprit

divin (UN), la pentade est aussi le nombre de

l'harmonie dans la santé et la beauté du corps

humain. Son image graphique, le pentalpha ou

pentagramme, si bien traduit par Léonard de

Vinci, est donc à la fois le symbole de l'Amour

créateur et celui de la beauté vivante.

Les pythagoriciens ne s'y étaient pas trompés.

En choisissant le pentagone étoilé pour signe de

reconnaissance, ils exhibaient dans l'ombre le

secret lumineux de la Grande Harmonie entre le

microcosme et le macrocosme.

Secret d'autant plus cher qu'au cœur même de

cette figure géométrique si particulière se

cachait un trésor, une splendeur mathématique

qui deviendra, pour tous les hommes de l'Art, la

véritable clef de l'esthétisme.

La Divine Proportion

Si on veut mesurer le monde sensible, on doit

prendre en considération deux grandeurs au

minimum : la grandeur que l'on mesure et celle

qui sert à la mesurer, prise comme référence.

Ainsi, pour les pythagoriciens, il existait une

relation qualitative entre deux

grandeurs a et b qu'ils nommaient rapport, qui

s'écrit a / b et qui mesure la grandeur a si l'on

prend la grandeur b comme unité de

comparaison.

Par exemple, le rapport 3/2 signifie non pas 1,5

mais 3 unités de " 1 demi " chacune (3 demi-

phlètres, 3 demi-coudées etc.). " 1 demi "

devient donc l'unité de référence.

Page 20: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Il est intéressant d'examiner à ce propos la

tétractys pythagoricienne sous un angle

différent :

Elle synthétise la tétralyre, instrument à cordes

de longueur 1, 2, 3 et 4 qui sont entre elles dans

les rapports 4 à 2 ou 2 à 1 (octave ou δ ι α π α σ

ω ν, diapason), 3 à 2 (la quinte) et 4 à 3 (la

quarte).

La découverte de ces lois acoustiques, qui

jetaient les bases de l'harmonie musicale, fut

attribuée à Pythagore lui-même. Elle fut

considérée par l'Antiquité comme une invention

géniale et développée en architecture selon une

gamme plus complexe, comme en témoignent

les corrections optiques volontairement utilisées

dans certains alignements de colonnes.

Les temples grecs chantaient eux aussi, bien

avant les cathédrales !

La relation entre deux grandeurs est donc

un rapport. L'équivalence entre deux rapports

est une proportion (en grec α ν α λ ο γ ι α,

analogie).

Les pythagoriciens considéraient ainsi deux

types de proportions : la proportion disjointe qui

s'écrit a / b = c / d (le théorème de Thalès en est

l'exemple type) et la proportion continue qui

s'écrit a / b = b / c où b est une médiété assurant

la " continuité " entre a etc.

Il faut donc au moins 3 termes pour obtenir une

proportion. Or, en fonction du principe

d'économie, et c'est là le coup de génie de

l'Ecole de Crotone, on peut obtenir une

proportion continue avec seulement 2 termes, en

y ajoutant un troisième terme qui est tout

simplement… la somme des deux !

Elle s'écrit : (a + b) / a = a / b En l'appliquant

à la division d'un segment de droite, elle se lit :

" le rapport de la somme de deux grandeurs

(a + b) à la plus grande (a) est égal au rapport

de la plus grande (a) à la plus petite (b) "

Dans le Livre VI des Eléments, Euclide

Page 21: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

l'appellera division en moyenne et extrême

raison. Elle deviendra divine proportion en

1509, dans le

De Divina Proportione de Luca Pacioli. Elle est

plus connue aujourd'hui sous le nom de

proportion dorée, qui est la proportion la plus

simple et la plus harmonieuse entre deux

grandeurs et le tout dont elles participent.

Au premier abord, cette équation très simple n'a

rien pour inspirer le profane. Mais en la

résolvant, elle révèle un nombre extraordinaire

et unique dans la nature.

Si, en effet, nous remplaçons a / b par x, nous

obtenons une équation du type x² - x - 1 = 0 qui

admet la solution positive (1 + √5) / 2 =

1,618034... que nous appellerons phi (en

grec φ), nombre d'or.

Il possède des propriétés remarquables, telles

que si φ = 1,618034..., φ' = 1 / φ = 0,618034...

1 + φ = φ²

ou

encore φ =

et bien

d'autres

merveilles.

φ est le nombre même de la beauté en équilibre

et se décline partout, dans les arts comme dans

les sciences. Il synthétise l'Harmonie, c'est-à-

dire la puissance du Beau que tous les hommes

de l'Art ont invoquée dans leurs œuvres sacrées.

Ubiquité de Phi

Soit un triangle isocèle OAB dont l'angle au

sommet est de 36°. Les angles de la base sont

égaux et valent chacun 72°.

OAB est un triangle d'or. Les côtés OA et OB

sont dans le rapport doré avec la base AB. En

particulier, si AB = 1, OA = OB = φ.

Traçons maintenant la bissectrice de l'angle

OBA. Elle coupe le côté opposé OA en C. ABC

est un triangle d'or d'angle au sommet de 36°, de

côté AB = BC = 1 et de base AC = φ'.

OCB est aussi un triangle d'or de base φ, de côté

BC = CO = 1 et d'angle au sommet de 108°. C

est la section dorée de AB.

On pourrait continuer ainsi à l'infini la partition

dorée de ce triangle si singulier. Mais il n'est

pas la seule figure géométrique à posséder ces

Page 22: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

vertus extraordinaires…

Soit un rectangle ABCD de longueur φ et de

largeur égale à 1. ABCD est un rectangle d'or.

Soient les points E et F, respectivement sur AB

et CD, déterminant le carré AEFD de côté 1. E

et F sont les sections dorées de AB et CD.

EBCF est un rectangle d'or de longueur 1 et de

largeur φ'.

Comme dans le triangle d'or, nous pouvons

continuer la partition à l'infini.

Page 23: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Ce sont là deux premiers exemples de beauté

géométrique. Mais quelle n'est pas notre

surprise en constatant que, dans un cas comme

dans l'autre, chaque section dorée de la partition

détermine le centre directeur d'un arc de cercle

qui s'enchaîne avec le suivant dans une spirale

logarithmique !

L'harmonie devient totale. Et bien qu'elle soit ici

cachée, elle se montre en pleine lumière dans

les splendeurs de la nature, comme en

témoignent, entre autres, les fleurs pentamères,

la coquille de certains nautiles ou la spira

mirabilis du tournesol.

Page 24: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Triangle et rectangle d'or constitueront les

canons de la beauté architecturale, depuis les

grecs initiés aux Grands Mystères de l'Egypte

jusqu'à l'Ecole de Beuron de Desiderius Lenz,

en passant par le romain Vitruve et les

Bâtisseurs de Cathédrales.

Page 25: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Triangle d'Or dans la Tombe de

Mira, Rectangle d'Or dans le Parthénon

d'Athènes, Pentagramme dans la Cathédrale

d'Amiens

En poussant plus loin l'analyse, on observe que

les angles de base du triangle d'or ont chacun

une valeur de 72°, soit 1/5ème de 360°.

Dès lors, nous imaginons sans peine la partition

quinaire du cercle, la Grande Roue du Temps, "

Rota " ou Roue Céleste des kabbalistes.

Le résultat est une merveille. Le pentagramme

des pythagoriciens se montre dans sa beauté

flamboyante, chargé de tous ses symboles… et

du nombre φ qu'il contient douze fois !

Le Maître de Samos avait vu juste. Que ce soit

sur la terre ou dans les mers, le symbole majeur

de sa doctrine déployait déjà ses branches

multicolores dans tout le monde sensible,

comme un message divin. En l'élevant dans les

airs au-delà du firmament, il en fait l'Etoile

promise aux daïmones, à la pointe ultime de

l'Axe du Monde.

Nous, Francs-Maçons de Tradition, ne l'avons

pas oublié...

Phi de Fibonacci

Au début du XIIIème Siècle, un jeune italien

fou de mathématiques, Léonard de Pise alias

Fibonacci (du latin filius Bonacci, fils de

Bonaccio), considère la série suivante :

0, 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34, 55, 89, 144…, série

on ne peut plus simple puisque, à partir des

deux termes les plus élémentaires, chaque terme

qui suit est la somme des deux précédents.

Fibonacci constate alors avec triomphe que le

rapport entre chaque terme de la série et celui

qui le précède tend… vers φ, nombre d'or !

Page 26: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

On constate tout de suite que les rapports de

rang impair tendent vers φ par valeur supérieure

et les rapports de rang pair par valeur

inférieure .

En s'armant d'une calculette et d'un peu de

patience, on pourra faire la même expérience en

considérant la suite de Lucas, qui consiste à

prendre deux nombres au hasard (entiers

positifs) et à leur appliquer le principe additif de

Fibonacci.

Graphiquement, le résultat est une double

asymptote. Au-delà de l'esthétisme de la courbe,

c'est la beauté de l'approche qui est intéressante.

Nous voici dans un temple sacré où les nombres

sont des colonnes qui, de part et d'autre, tracent

la voie de la Connaissance, comme le pronaos

égyptien ou le sanctuaire salomonique. Au bout

du chemin de plus en plus étroit, le Grand

Mystère du Nombre infini et transcendant, φ et

la suite d'or

1, φ, 1 + φ, 1 + 2φ, 2 + 3φ, 3 + 5φ, 5 +

8φ… qui, par les vertus du nombre magique,

s'écrit aussi 1, φ, φ2, φ3, φ4, φ5… !

Ici, le rapport un / (un-1) ne tend plus vers φ.

Lumineusement, il EST φ, nombre d'harmonie

pure qui unit deux grandeurs et leur somme

dans une seule et même consubstantialité.

Page 27: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Le nombre d'or est bien un " nombre de

puissance " qui porte en lui son propre principe

générateur. Il est le " sel numéral " de la mesure

harmonique des mondes, à l'image du Mercure

des Sages, " sel minéral " qui régit tout le Grand

Œuvre Alchimique.

L'Ecole de Crotone et ses héritiers

Que ce soit en arithmétique ou en arithmologie,

les descendants spirituels de Pythagore sont

légion. Nous pouvons cependant classer les plus

célèbres dans les catégories suivantes :

- l'Ecole de Crotone (Vème S. av. J.C.)

: Philolaos, Hippase de Métaponte, Hippocrate,

Démocrite, Empédocle, Héraclite, Hippias…

- l'Ecole d'Athènes (IVème S. av. J.C.) : Platon,

Eudoxe, Antiphon, Eudème, Théétète, Archytas

de Tarente, Aristote, Ménechme…

- l'Ecole d'Alexandrie (IIIème S. av. J.C.)

: Euclide, Appolonios, Archimède,

Erathostène… et, au IIème et Ier S. av.

J.C., Hipparque, Théodose, Héron, Vitruve…

- les Néo-Pythagoriciens (IIème) et leurs émules

(IIIème et VIème S. après J.C.) : Nicomaque de

Gérase, Théon de Smyrne, Ptolémée, Ménélaos,

Diophante, Théon d'Alexandrie, Proclus,

Jamblique, Plotin, Boèce (qui aura une

influence considérable pendant le Moyen-

Age)…

- les indo-arabes (du VIIème au XVème S.

après J.C.): al Khwarizmi, al Quayam, al Din al

Tusi, al Kashi, Bhaskara …

- l'Ecole de Bologne (XVIème) : Tartaglia,

Cardan, Ferrari, Bombelli…

- l'Ecole Française (XVIIème) : Fermat, Pascal,

Descartes, Bernouilli… et Ecossaise : Neper…

- le Siècle des Lumières : Newton, Leibniz,

Taylor, Mac Laurin, Euler, Monge, d'Alembert,

Lagrange, Laplace, Legendre…

Sans rien négliger du savoir immense qu'il a

transmis, Pythagore a surtout perpétué la pureté

de la Grande Tradition dont il était légataire à

travers deux principes essentiels : le culte du

secret scellé par un serment solennel et le

symbolisme initiatique.

N'oublions pas qu'il avait été initié par

les Grands Prêtres ou Mages de l'Ancienne

Page 28: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Egypte, dont on sait que " ne voulant pas

exposer leurs mystères aux yeux du vulgaire, ils

les dissimulaient sous des signes ou caractères

hiéroglyphiques qu'ils s'engageaient, par un

serment solennel, à tenir secrets. "

Ce mode de transmission eut une influence

considérable sur le Maître de Samos, puisqu'il

en adapta l'esprit à sa méthode d'enseignement.

Celui-ci commençait, après un sévère examen

d'entrée, par un noviciat de 3 ans où les

candidats étaient formés à la stricte observance

de la Règle, sous un régime d'éducation

physique et morale destiné à mettre en harmonie

le corps et l'esprit. C'est seulement après leur

accession au premier degré que les disciples, qui

entendaient le Maître mais ne pouvaient le voir

encore, étaient initiés pendant 5 ans à la

Métaphysique du Nombre et à l'interprétation

des symboles, telles que nous les avons

exposées.

Par son accession à l'ultime degré l'adepte

pouvait enfin voir la Lumière, la Grande

Harmonie dans l'Amour Universel où l'âme,

soumise à des réincarnations successives,

devenait daïmon, génie semi-divin qui ne

retourne plus ici-bas mais se retrouve dans les

jardins stellaires des bienheureux,

" par delà la Voie Lactée ".

Le pacte du secret, nous l'avons dit, était scellé

par un serment solennel et s'étendait aux signes

de reconnaissance, dont le fameux signe de

ralliement du pentagramme. Quiconque violait

ce pacte était frappé d'excommunication, autant

dire de mort spirituelle. Plusieurs adeptes peu

scrupuleux en firent les frais. L'amour, l'amitié,

la fraternité, la charité étaient sans cesse chantés

sous les accents joyeux de la lyre. Les repas

étaient pris en commun, avec libations et grâces,

et se terminaient par un sermon du presbyte,

membre le plus âgé de la confrérie.

Ce " système particulier d'éducation et de

gouvernement " perdurera après la mort du

Maître et l'incendie de Métaponte. Il s'étendra

dans toute la partie orientale du bassin

méditerranéen avant de gagner l'Occident.

Ainsi, sous la Rome Impériale, Sénèque et

surtout Moderatus de Gadès enseigneront-ils la

doctrine malgré les interdits de Néron. En

Palestine, la secte des Esséniens de Qumran

Page 29: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

utilisera la même méthode d'initiation à degrés

successifs en exigeant la communauté de biens,

la pauvreté, la chasteté, l'interprétation et le

respect absolu de la Loi Mosaïque dans l'attente

d'un messie. Selon certains exégètes et

historiens, Jean le Baptiste aurait été l'un de

ses Maîtres de Justice et Jésus le Nazaréen y "

aurait " reçu l'Initiation.

La Gnose alexandrine, l'Hermétisme et la

Kabbale hébraïque suivront le même chemin,

malgré l'opposition farouche de la jeune Eglise

chrétienne qui, tout en considérant l'Amour

comme lumière et but suprême, n'acceptera pas

la prépondérance donnée à la "Magie " ou à la

" Connaissance " réservées, qui plus est, à un

nombre restreint de privilégiés.

Cela n'empêchera pas les Pères de l'Eglise de

puiser abondamment dans le symbolisme ancien

pour l'adapter aux vérités évangéliques…et

d'intégrer dans ses Canons L'Apocalypse de

Jean, mélange flamboyant de foi cristalline,

d'ésotérisme et d'arithmologie.

Aux portes du Moyen Age, deux courants

majeurs vont perpétuer ce mode traditionnel de

transmission : la chevalerie et les corporations

de métiers.

Serments solennels de fidélité et de loyauté

prononcés à genoux, codes d'honneur et de

vertu, professions de foi, adoubements, blasons

et symboles héraldiques, tels étaient, entre

autres, les landmarks des chevaliers d'ordre ou

errants, hommes hors du commun, exaltés par

les légendes mythiques de la Table Ronde et de

la quête du Saint Graal. Campés fièrement sur

leurs montures, ils véhiculaient avec les

troubadours la cabale (du mot cheval), langue

des dieux dite encore gaye science ou gay

savoir.

Les plus énigmatiques d'entre eux furent, bien

sûr, les Chevaliers du Temple. Rendre compte

ici, à travers leur extraordinaire et ténébreuse

ascension, de la spécificité de leurs rites et de

tous les secrets dont ils étaient dépositaires

prendrait beaucoup trop de temps. L'ignorance,

hélas, ayant toujours tendance à diaboliser ce

qu'elle ne connaît pas, se chargera de les vouer

aux flammes de l'Enfer, par un maudit Vendredi

13 de l'An de Grâce 1314. Pour beaucoup, leurs

Page 30: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

ombres fantomatiques hantent encore les ruines

lugubres des châteaux-forts. Nous savons, pour

notre part, qu'ils n'ont pas disparu. La lumière

de leurs âmes bienfaisantes éclaire plus que

jamais les rituels de certains Hauts Grades

maçonniques.

Parallèlement se développent les corporations

de métiers, essentiellement d'artisans, dont on

sait qu'elles existaient déjà trois siècles avant

notre ère sous l'empire romain, qu'elles

perdureront sous l'empire byzantin et qu'elles

résisteront à l'invasion turque. En Europe

occidentale ces corporations fleurissent en

harmonie avec les confréries religieuses et

entretiennent avec elles des liens étroits. C'est

ainsi que naissent, sur les chantiers des

cathédrales, les premières loges opératives

d'artisans tailleurs de pierre.

Sous le regard éclairé du Maître Bâtisseur,

compagnons et apprentis oeuvrent ensemble à la

construction des édifices sacrés. A l'instar des

novices de l'Ecole Pythagoricienne, ce n'est

qu'après plusieurs années d'apprentissage que

les tailleurs de pierre brute sontadmis dans les

loges . Ils y reçoivent alors l'initiation aux

secrets du Métier par les signes, attouchements

et mots de reconnaissance. Ils pourront

désormais marquer la pierre et, en même temps

que le bâtiment, élever leur corps, leur âme et

leur esprit vers le Seigneur Tout-Puissant.

Bien que de plus en plus nombreuses, les loges

opératives restent ponctuelles et se forment au

hasard des chantiers. C'est outre-Rhin qu'elles

commenceront à se structurer, dès la fin du

XIVème Siècle. Les steinmetzen allemands vont

en effet se regrouper au sein de fédérations de

loges dont la plus puissante, la

célèbre Bauhütte, deviendra très probablement

l'un des premiers modèles de Grande Loge

jamais constitués.

C'est très certainement sur ce modèle que

s'appuieront les spéculatifs et latitudinaires

anglais pour fonder la Grande Loge de Londres

en 1717, sous le regard bienveillant de Georges

Ier, Roi d'Angleterre… et Allemand ! Pasteurs

presbytériens et anglicans, ou gentlemen

membres de la Royal Society pour la plupart, ils

vont provoquer le tollé général des Maçons

catholiques écossais et irlandais qui ne tarderont

Page 31: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

pas à se constituer eux-mêmes en Grandes

Loges. La querelle entre les ancients et

les moderns durera près d'un siècle, jusqu'à

l'Acte d'Union de 1813 scellant définitivement

les landmarks et les rites de la franc-maçonnerie

spéculative et régulière, sous l'autorité suprême

de la Grande Loge Unie d'Angleterre.

La Franc-Maçonnerie spéculative, qui se définit

elle-même comme un " système particulier de

morale enseigné sous le voile de l'allégorie au

moyen de symboles ", a su conserver, d'une

manière lumineuse, l'esprit pythagoricien.

Sur la forme comme sur le fond, elle est restée

fidèle au culte du secret et au symbolisme

initiatique. Le serment solennel y rythme

toujours, à chaque Grade, la longue marche vers

la Connaissance. La fraternité est le fil d'Ariane,

la chaîne ininterrompue de la Grande Harmonie

Universelle.

Le symbolisme est pur, fécond et signifiant. Il

se décline dans l'art de bâtir, à l'image du

Temple de Salomon, un temple intérieur fait de

vénération envers le Divin Créateur, d'amour

envers toutes Ses créatures et de fidélité à ses

propres engagements.

Quant aux nombres, ils sont partout présents.

Nous n'en retiendrons que les trois premiers, qui

concernent essentiellement le Grade d'Apprenti,

laissant au Maçon expérimenté le soin de

compléter l'analyse :

- le UN, unité principielle, point de départ de

toute création, le Verbe de la version johannique

de la Genèse, l'Atoum des Anciens Egyptiens,

le Grand Ordonnateur du

Cosmos pythagoricien devenu Grand Architecte

de l'Univers pour les Francs-Maçons de

Tradition.

- le DEUX, premier nombre pluriel,

dédoublement, séparation, principe second de

toute création, ténèbres et lumière, noir et

blanc, immobilité et mouvement, principe passif

et principe actif, les deux colonnes déterminant

le passage entre les deux espaces-temps, le

profane et le sacré.

- le TROIS, équilibre, nombre trinitaire de

l'Harmonie Divine et Universelle, le DEUX

sous le UN dans le triangle et la pyramide, les

Deux Grandes Colonnes du Temple sous la

Voûte Céleste, Couronne ou Kether des

Page 32: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Kabbalistes. Ce sont les Trois Grandes

Lumières, les Trois Lumières Secondaires, les

trois ordres principaux d'architecture,

l'ennéade ou triple triade maçonnique :

Vénérable Maître - Salomon - Sagesse, Premier

Surveillant - Hiram - Force, et Second

Surveillant - Hiram Abi - Beauté.

Ce sont enfin les trois vertus théologales, la Foi,

l'Espérance… et la Charité, celle qui " renferme

le tout " et dont notre Rituel du Premier Grade

révèle que le Franc-Maçon qui la possède

" dans son sens le plus vaste " peut être

considéré à juste titre comme ayant atteint le

sommet de sa profession spirituelle,

symboliquement " une demeure céleste, voilée

aux yeux des mortels par le firmament étoilé,

représenté emblématiquement par sept étoiles ".

Comment ne pas y reconnaître le " jardin

stellaire des bienheureux " réservé aux Maîtres

de l'Ecole de Crotone ? Le Maçon accompli est

bien ici le " daïmon " pythagoricien, élevé au

sublime degré de l'Amour et de la

Connaissance.

Nous ne saurions clore ce chapitre sans évoquer

un des moments forts de la cérémonie

d'Installation au Rite Standard d'Ecosse, lorsque

le Très Vénérable Maître nouvellement installé,

vêtu de son tablier sur lequel resplendit le

pentalpha, investit son Passé Maître.

Il prononce alors cette courte mais magnifique

exhortation qui se passe de tout commentaire :

" Permettez-moi, Vénérable Frère, d'attirer

votre attention sur la profondeur symbolique du

bijou que vous portez : une équerre aux

branches inégales. La plus courte symbolise le

temps qui nous est compté, la plus longue

l'éternité. Sur les pointes du Compas, puissent-

elles vous rappeler notre recherche du bonheur

en ce monde et notre espérance en l'immortalité

dans l'autre. "

Page 33: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Chapitre III

La voie hermétique

du

Grand Oeuvre

« Visita Interiora Terrae Rectifiquandoque Invenies Occultum Lapidem »

Thot-Hermès, dieu

d'Egypte

Page 34: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Du Noun, l'eau primordiale du chaos, surgit la colline originelle. Sur cette colline

apparut Atoum. En tant qu'Atoum-Rê, il créa la lumière en opposition aux ténèbres du Noun.

Par l'union avec son ombre, Atoum-Rê engendra Shou, le dieu de l'air, en le crachant, et

Tefnout, l'humide, en la vomissant. Shou et Tefnout s'unirent et donnèrent naissance à Geb, la

terre, et à Nout, le ciel.

Ainsi furent créés, selon les Anciens Egyptiens, les éléments cosmiques fondamentaux. De

ceux-ci naquit la quatrième génération des dieux de l'Ancienne Egypte, qui complète

l'Ennéade d'Héliopolis : Osiris, Isis, Seth et Nephtys.

Au Panthéon des dieux qui suivirent, Thot, divinité polymorphe à tête d'ibis, tient une place

particulière. Son lieu de culte fut Shmounou, appelée par les Grecs Hermopolis, la capitale du

15ème

nome de la Haute Egypte, le nome du lièvre.

Thot était maître de la Parole et de l'Ecrit. Par la Parole, il était l'avocat des défunts devant les

juges des morts. Par l'Ecrit, il avait consigné dans 42 livres (correspondant aux 42 nomes

d'Egypte) toute la Sagesse du Monde. Seshat, la " maîtresse des livres ", lui fut souvent

adjointe comme sœur et épouse.

On associe cependant plus volontiers Thot à la déesse Maat, qui est l'incarnation même du

principe de l'ordre du monde. Elle est, depuis le début, la structure organique de la création

par opposition au chaos. Représentant non seulement la vérité et la justice, mais aussi le

déroulement exact de tout événement ainsi que l'équilibre des forces opposées, Maat, fille de

Rê et compagne de Thot, garantit la persistance du cosmos. Elle est la Balance de l'Univers et

l'Harmonie du Monde.

Son association avec Thot est on ne peut plus significative, puisque ce dernier fut identifié par

les Grecs à Hermès, le père du Grand Œuvre Alchimique qui est un travail de synthèse de la

matière à l'image de l'harmonisation de la Création. L'Harmonie du Monde, et donc Maat

elle-même, y est permanente… à la seule différence, comme nous le verrons, qu'elle tient tout

entière dans un ballon de verre.

Or l'Hermès grec fut lui-même identifié à Mercure. Pour cette raison, il fut appelé Hermès

Trismégiste, c'est-à-dire " trois fois grand ", par la triple puissance du mercure des sages,

l'agent primordial qui régit tout le Magistère.

La trilogie Thot-Hermès-Mercure peut paraître floue au premier abord, mais elle est loin

d'être fortuite. Au-delà de la fonction commune de messager des dieux qu'on a bien voulu leur

prêter, ces " trois daïmons en un " possédaient le bien le plus précieux pour tout homme ici-

bas épris de vérité : la Sagesse. Cette sagesse, qui leur fut donnée par le Divin Créateur,

préside à l'élaboration du Grand Œuvre, de la première à la dernière opération. Sans elle, rien

ne serait possible. C'est donc en son nom que nous allons tenter de comprendre le Grand

Mystère, sans dévoiler ni trahir quelque secret que ce soit et en montrant, plus qu'en

démontrant, un tout petit bout de lumière à tous les chercheurs sincères qui croient en

l'illumination.

L'Alchimie, science divine de la Création

Nous ne saurions aborder l'Œuvre Alchimique sans nous référer à la " Tabula Smaragdina "

ou Table d'Emeraude, le plus ancien des documents hermétiques.

D'aucuns prétendent que ce témoignage de la Science Sacrée fut découvert après le Déluge

dans une grotte rocheuse de la vallée d'Hébron, ce qui semble confirmer la légende des Deux

Piliers. Ce détail, à l'authenticité évanescente, nous aide à mieux comprendre la signification

secrète de cette fameuse Table qui pourrait bien, d'ailleurs, n'avoir jamais existé autrement

que dans l'imagination subtile et malicieuse des vieux maîtres. Elle est verte par analogie avec

Page 35: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

l'Emeraude des Philosophes, l'agent primordial ou matière saline des sages qui régit tout le

Grand Œuvre. Elle est rédigée par Hermès lui-même, associé, comme nous l'avons dit, à

Mercure. La Table d'Emeraude prend ainsi le caractère d'un discours prononcé par le Mercure

des Sages sur la manière dont s'élabore l'Œuvre Philosophal. Ce n'est donc pas Thot-Hermès

qui parle, mais bien l'Emeraude des Philosophes ou la Table isiaque elle-même. En voici le

texte dans son intégralité :

" Il est vrai, sans mensonge et très véritable :

" Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en

bas, pour faire les miracles d'une seule chose. Et comme toutes choses ont été et sont venues

d'un, ainsi toutes choses sont nées de cette chose unique par adaptation.

" Le soleil en est le père, la lune la mère, le vent l'a porté dans son ventre, la terre est sa

nourrice. Le Père de tout le Thélème est ici. Sa force est entière si elle est convertie en terre.

" Tu sépareras la terre du feu, le subtil de l'épais, doucement, avec grande industrie. Il monte

de la terre au ciel et, derechef, il descend en terre et il reçoit la force des choses supérieures

et inférieures. Tu auras par ce moyen toute la gloire du monde et toute obscurité s'éloignera

de toi.

" C'est la force, forte de toutes forces, car elle vaincra toute chose subtile et pénètrera toute

chose solide. Ainsi le monde a été créé. De ceci seront et sortiront d'innombrables

adaptations, desquelles le moyen est ici donné.

" C'est pourquoi j'ai été appelé Hermès Trismégiste, ayant les trois parties de la philosophie

du monde.

" Ce que j'ai dit de l'opération du soleil est accompli et parachevé. "

Nous imaginons sans peine le sentiment du profane devant tant d'obscurité. Et pourtant, ce

texte est d'une beauté lumineuse car, dans son apparente concision, il explique tout. Et pour

expliquer ce tout, il est nécessaire de commencer par le plus simple, qui est un.

Dieu n'accordant Sa sapience qu'à ceux qui font fi des trésors terrestres, l'alchimie, science

remontant à la plus haute antiquité, est toujours restée incomprise des matérialistes qui ne

voyaient et ne voient toujours en elle qu'un moyen d'enrichissement.

Or le terme al-kimia, la " terre noire " d'Egypte (" khem "), ne semble pas, comme on serait

tenté de le croire au premier abord, provenir seulement des racines arabes al et kimia

signifiant " la chimie ". En réalité, al-chimie a une étymologie beaucoup plus noble et

beaucoup plus ancienne.

Elle désigne non pas LA chimie, mais la chimie de AL, c'est-à-dire la chimie de Dieu.

Nous voici d'un coup au cœur du problème, au " commencement ", le bereschit de la Genèse

Hébraïque, début du processus de la Création…

Pour l'adepte de la Grande Tradition Philosophale, imbu des principes sacrés de celle qu'il

nomme la Sainte Science, deux postulats essentiels doivent être pris en considération :

- Tout part du chaos originel.

Sans une force supérieure, forte de toutes forces, pour le stimuler, le chaos originel resterait le

chaos et n'engendrerait rien d'autre que le chaos.

Or le monde manifesté n'est pas chaotique. Il vit dans l'eurythmie.

Cette eurythmie sensible ne peut donc être que le résultat d'un processus établi d'après

un schéma divin, résultat d'une " pensée " préalable à toute manifestation.

En d'autres termes, l'harmonie du monde d'en-bas est à l'image de son modèle ou paradigme,

Page 36: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

la Divine Harmonie du Monde d'En-Haut.

" 1 Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre.

2 La terre était vide et déserte et les

ténèbres étaient au-dessus de l'océan et l'esprit de Dieu se penchait au-dessus des eaux… "

Les trois éléments terre, air (ciel-ténèbre) et eau (océan) dont il est question dans le deuxième

verset de la Genèse sont bien ceux du chaos originel.

Le quatrième (feu) est l'esprit de Dieu penché au-dessus des eaux primordiales. Ce

feu latent de l'Eternel plane au-dessus des eaux, c'est-à-dire dans les ténèbres du ciel, car Dieu

habite les ténèbres.

Or l'esprit de Dieu est Lumière, LA lumière primordiale qui, en s'éveillant par opposition aux

ténèbres du chaos, engendre, avant de créer, les conditions nécessaires à toute manifestation

sensible.

Nous sommes bien dans " l'engendrement " préalable à la " création ".

" 3 Alors Dieu dit : Que la lumière soit, et la lumière fut.

4 Et Dieu vit que la lumière était

bonne et Dieu sépara la lumière des ténèbres, 5 et Dieu nomma la lumière jour et les ténèbres

nuit et il fut soir, et il fut matin, premier jour…"

Pour les disciples d'Hermès, la Lumière divine du " fiat lux " ne doit donc pas être confondue

avec la lumière " physique ". Ce n'est qu'au quatrième jour qu'Il créera les " lumières nées de

la Lumière ", c'est-à-dire les… luminaires : le Soleil qui préside au jour, la Lune qui préside à

la nuit et le Firmament étoilé (verset 14 et suivants).

Le Franc-Maçon y reconnaîtra aisément les lumières secondaires et la bordure dentelée qui,

dans le Temple, entourent la principale - nous serions même tentés de dire la principielle - des

Trois Grandes Lumières : le Volume de la Sainte Loi.

- Dieu a créé l'homme à Son image.

C'est donc à l'image de Dieu que l'homme se doit de parachever le Grand Œuvre Divin en

" copiant Son exemple ".

Considérant la terre à partir de laquelle l'Eternel l'a créé et l'a doté d'un corps, d'une âme et

d'un esprit, le Sage Hermétiste attribue naturellement à la terre nourricière dont il est issu un

corps, une âme et l'esprit de Dieu qui les unit. Cette terre primordiale, justement appelée par

les alchimistes materia prima ou terre adamique, est leur chaos originel à partir duquel va

s'élaborer tout le Grand Œuvre.

Elle possède un corps sulfureux, une âme mercurielle et un esprit salin.

Le corps sulfureux est Soleil, principe chaud, mâle, actif. L'âme mercurielle est Lune, principe

froid, femelle, passif. Tous deux sont étroitement unis dans une seule et même

consubstantialité par le sel, ou sperme minéral, dont ils détiennent chacun une part

homéopathique. Ces trois composants, enveloppés de leur gangue terrestre, sont inactifs, en

sommeil. Il convient donc de les réveiller, d'abord en les séparant pour les débarrasser de

leurs impuretés, puis en les réactivant par association afin de les dissoudre et les recomposer.

Chaos (UN), séparation (DEUX), recomposition (TROIS) dans les règnes minéral, végétal et

animal sous l'action tétramorphique (QUATRE) de l'agent primordial : solide (terre), liquide

(eau), gazeux (air) et igné (feu).

Tel est le schéma du Grand Œuvre Philosophal, à l'image de celui du Divin Créateur.

Page 37: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Le résultat, lumineux, est la tétractys alchimique, sœur jumelle de la pythagoricienne.

Rappelons que, pour le Maître de Samos et ses disciples, "du chaos naît

l'ordre (cosmos) " sous la forme d'un flot continu d'unités ou monades qui sont le reflet de la

démultiplication à l'infini d'une seule et même Unité divine.

Leurs arrangements " ordonnés " dans le monde sensible en nombres triangulaires, carrés,

pentagonaux etc. ont été réalisés d'après un modèle préexistant, la Décade.

Ici, le modèle préexistant est le chaos primordial de la Genèse dans lequel l'esprit latent de

l'Eternel, reflet de Son universalinité, resplendit d'un coup et féconde le chaos pour créer

l'Univers.

C'est sur ce modèle sacré que le disciple d'Hermès va s'appuyer pour réaliser le Grand Œuvre.

On comprend pourquoi il aura besoin de toute la sagesse du monde…

Le processus du Grand Oeuvre alchimique

Une fois mis en lumière les deux postulats que nous venons d'énoncer, le processus du Grand

Œuvre Philosophal consiste en une technique extrêmement fine de synthèse de la matière à

travers quatre phases bien distinctes : Préparation, Dissolution, Coagulation, Multiplication.

Première phase : PREPARATION

La Préparation réside essentiellement dans la mortification (broyage de la matière), puis dans

la séparation des trois constituants de la Minière des Sages.

Mais qu'est-ce qui peut bien les séparer, sachant que rien d'étranger à leur nature ne peut leur

être ajouté ?

Si l'on se réfère une fois de plus à la Genèse, c'est l'esprit de Dieu planant au-dessus des eaux

primordiales qui porte en lui la Lumière éclatante et féconde de la Création.

C'est donc l'esprit salin, unissant le corps sulfureux et l'âme mercurielle de la Minière, qui va

tenir ce rôle. Mais comme il est inactif et entouré d'une gangue de terrestréités,

c'est ailleurs qu'il faudra le chercher.

Or le Sel Philosophique, de même essence que le Sel des Philosophes qui dort dans la

Minière, se trouve partout dans la nature…

La composition de ce fameux agent primordial est le grand secret des alchimistes.

Ils l'ont toujours dissimulé à l'entendement profane sous diverses expressions plus ou moins

imagées. Ainsi reviennent souvent celles d'Emeraude des Philosophes ou de Lion Vert,

révélant par là-même une couleur évidente…trop évidente, car elle a été volontairement mise

en lumière pour égarer tous les curieux qui ont voulu la prendre à la lettre.

Sauf exception, un sel pur, natif, n'est jamais vert, mais blanc. Quand on sait que les

Page 38: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

spagyristes le représentent souvent par une source d'eau claire jaillissant de l'arbre de vie, on

imaginera sans peine d'où provient la couleur verte. Pour parvenir au blanc, il faut donc une

transformation de la matière, une fabrication artificielle, c'est-à-dire réalisée avec art.

C'est le seul moment, préalable au Grand Œuvre, où l'Artiste peut utiliser le feu vulgaire.

Et si nous ajoutons, comme Basile Valentin dans Les Douze Clefs, que le résultat obtenu est

" l'eau qui ne mouille pas les mains ", le chercheur pourra se faire une idée plus précise sur sa

nature et son aspect.

Agent primordial qui régit tout le Magistère, le Sel Philosophique, à la blancheur étincelante,

est bien à l'image de la Divine Semence Cosmique qui va féconder le Chaos et inonder de vie

la Grande Sphère des Lumières.

Deuxième Phase : SOLVE (dissolution ou volatilisation du fixe)

Ainsi va naître l'Enfant-roi.

Comme le dit justement la Table d'Emeraude, " le Soleil en est le père, la Lune la mère, et la

terre est sa nourrice ".

Le corps sulfureux et l'âme mercurielle de la Minière, débarrassés de leurs impuretés, vont

être de nouveau réunis et mariés par le feu de l'esprit salin enrichi, à l'intérieur d'un

vaisseau hermétiquement clos. Les proportions, extrêmement précises, ont toujours été

gardées secrètes par les alchimistes.

Par la grâce d'un cinquième feu qui n'a rien à voir avec un corps ou composé chimique

quelconque, mais qui est une énergie pure, la réaction en chaîne est amorcée. Sous l'action du

feu spermatique, l'élément mâle et le feu matriciel femelle s'éveillent.

L'eau du chaos hache, broie, calcine, mortifie et sublime la matière.

C'est tout d'abord, dans une chaleur de plus en plus intense, la sublimation des trois corps qui

se traduit par des élévations de vapeurs. Ces trois corps vaporeux trouvent entre eux une

attirance naturelle, mais comme l'un d'eux à tendance à se mettre en boule dès qu'il est séparé

de sa masse, il en résulte de petites sphères se formant au centre des vapeurs. C'est

la granulation ou mondification, à l'image de la création des mondes.

Peu à peu, la réaction diminuant d'intensité, la température s'abaisse et les granules se

déposent au fond du vaisseau en un compôt noir, matière putréfiée et à l'odeur putride. Le

compôt se recouvre alors d'une huile sanguine très grasse, d'un jaune d'or lorsqu'on l'examine

par transparence.

C'est la sublime Quintessence, appelée aussi Sceau d'Hermès car elle isole le compôt de tout

contact avec l'air, Sang du Dragon ou Mercure Teingeant car elle contient en elle-même la

teinture aurique qui servira pour parfaire l'Œuvre Philosophal.

Il s'agit dès lors de " couper la tête du corbeau ", c'est-à-dire de desceller, autrement dit de

séparer physiquement compôt et quintessence, selon un procédé très subtil et gardé secret. On

prendra soin de conserver à part l'huile sanguine dans un vase clos, car elle est très volatile.

Au contact de l'air, le compôt noir et nauséabond, encore humide, se recouvre d'une boue

verte et granuleuse qui sèche peu à peu. C'est le " frai de grenouilles " qui marque la phase de

végétation faisant suite au règne minéral. Nous sommes à la fin de Solve.

Troisième Phase : COAGULA (coagulation ou fixation du volatil)

Ici commence le cycle des lavures, selon l'expression chère à Nicolas Flamel.

Car si l'Enfant-roi est né par la granulation ou mondification issue de la sublimation (" le vent

l'a porté dans son ventre "), il est encore impur et il faut le nourrir.

Avant toute chose, le débarrasser de cette lèpre verdâtre qui le recouvre en lui appliquant

les Sept Bains de Naaman.

Page 39: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

En même temps, nourrir cet enfant qui est bien jeune, en lui apportant sa ration de lait

virginal, autre nom donné par les alchimistes à leur agent primordial d'un blanc étincelant. Il

faudra prendre garde à ne pas trop pousser les imbibitions et attendre, à chaque fois, le retour

à la siccité.

Le résultat est la Pierre au Blanc, d'une odeur suave, appelée encore Etoile du Matin. Une

fois multipliée, elle pourra opérer la transmutation de tous les métaux vils en argent le plus

pur.

Mais l'Enfant a besoin de se fortifier. Il faut lui apporter son alimentation carnée autant de

fois qu'il sera nécessaire pour fixer la Pierre. En prenant, là aussi, toutes les précautions pour

ne pas la noyer, car tout serait à recommencer.

On devine la nature de cet apport sanguin. Sous l'action de la teinture aurique, la Pierre vire

au jaune, puis à l'orangé pour finir au rouge grenat. Elle est appelée alors Sceau de Salomon,

pour marquer la conjonction et la réalisation des deux phases Solve (triangle équilatéral,

pointe vers le bas) et Coagula (triangle équilatéral, pointe vers le haut).

Mais l'Œuvre est loin d'être terminé…

Quatrième Phase : MULTIPLICATION

La Pierre au Rouge ainsi obtenue est un faux prophète. Elle ne réalisera aucun miracle car, si

on la brise, on constate qu'elle renferme encore trop d'impuretés pour avoir un quelconque

pouvoir transmutatoire.

Il faut dissoudre et éliminer les terrestréités rebelles, et donc multiplier la Pierre, c'est-à-dire

recommencer l'opération depuis le début, selon le même procédé. Sa puissance sera ainsi dix

fois, cent fois supérieure en fonction du nombre de multiplications.

L'Enfant-roi doit donc mourir pour renaître. L'Œuvre est un éternel recommencement.

Au stade final, la Pierre Philosophale, d'un rouge éclatant, se réduit en poudre de projection

extrêmement fine et volatile, si bien qu'on doit la fixer avec de la cire d'abeille pour effectuer

la transmutation. Ainsi, le vrai disciple d'Hermès aura-t-il " toute la gloire du monde " et

pourra-t-il réaliser " les miracles d'une seule chose " grâce à " la force, forte de toutes forces

car elle vaincra toute chose subtile et pénètrera toute chose solide ".

Désormais détenteur d'une illuminante richesse intérieure, il pourra rejoindre les aleim, à

l'instar des " daïmones " Pythagoriciens.

De l'Athanor au Temple de Lumière

Manifestement, on a peine à croire que toute l'Harmonie du Monde puisse être réalisée dans

un simple ballon de verre ! Et pourtant, c'est la stricte vérité.

Séparation, Conjonction, Sublimation, Putréfaction, Coagulation, Albification, Rubification,

Multiplication, Projection : telles sont, chronologiquement, les différentes étapes de la

sainte Ennéade Alchimique à laquelle tant de chercheurs sincères ont parfois consacré toute

leur vie.

Dans une liste non exhaustive, nous pouvons citer quelques-uns uns de ceux qui nous ont

légué les fruits de leur sapience :

Geber, Khalid, Arthephius, Synesius, Saint-Thomas d'Aquin, Jean XXII, Philalète, Cyliani,

Trévisan, Nicolas Flamel, Basile Valentin, Dom Pernety, Paracelse, Albert le Grand, Buffon,

Le Cosmopolite, Riplée, Bacon, Raymond Lulle, Arnaud de Villeneuve, Nicolas Valois,

Limojon de Saint-Didier, Grillot de Givry, Kunrath…

Plus proches de nous : Fulcanelli, Canseliet, R+Caro…

Ils tenaient tous leur Connaissance d'un savoir très ancien qui leur fut transmis par Hermès

Page 40: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Trismégiste, leur père spirituel, élu de Dieu.

Khem, la " terre noire " d'Egypte, racine de kimia, en était le creuset.

Bizarrement, on ne trouve que très peu de traces symboliques évidentes du Grand Œuvre de

part et d'autre du Nil. C'est sans doute la preuve que la Voie Sacrée n'était réservée qu'à un

nombre très restreint d'initiés et que ces derniers en occultèrent rigoureusement tous les accès.

Une exception, peut-être :

le tétramorphisme du sphinx, et notamment celui de Gizeh dont la présence au pied des

Pyramides est, au premier abord, aussi énigmatique que la signification. Pas pour les

Philosophes en tout cas, puisqu'ils voient en lui leur " sel secret " par analogie hermétique

avec les quatre éléments : il est Eau par sa tête humaine, Terre par son corps de

taureau, Air par ses ailes et Feu par ses pattes et ses griffes de lion.

Mais beaucoup plus symptomatique est la Création du Monde selon les Anciens Egyptiens.

Quand on se souvient comment Atoum, devenu Atoum-Rê (lumière du Soleil-Feu), surgit sur

la colline originelle dominant les eaux primordiales du chaos, puis s'unit avec son ombre pour

créer les éléments cosmiques fondamentaux, on ne peut s'empêcher de penser à la Genèse

Hébraïque et à toutes ses correspondances avec le Grand Œuvre. Et lorsqu'on sait, de plus,

que la Genèse, comme les quatre autres Livres du Pentateuque (Exode, Lévitique, Nombres,

Deutéronome) pourrait être attribuée à Moïse lui-même, on est en droit de se poser des

questions…

Pour les adeptes de la Grande Tradition Philosophale, particulièrement les Alchimistes

Opératifs et les Kabbalistes, il ne fait aucun doute que Moïse fut un Grand Initié des Temples

d'Amon, à Memphis et à Thèbes !

Si MoShe, ou MShe, ou MoïSe signifie en hébreu sauvé des eaux, le sens égyptien n'en est

pas moins révélateur. MoSou signifie " l'enfant de la chair ", " le conçu ", " le né " comme

nom courant, et Thut Mosou (Thoutmosis) est le nom de cet enfant élevé au titre divin de Fils

de Thot.

De Thot… Hermès, évidemment.

Chacun, bien sûr, pourra porter son propre jugement sur ces " correspondances " pour le

moins surprenantes. Pour notre part, nous ne pensons pas (mais ce n'est là qu'un sentiment

tout à fait personnel) qu'elles soient le fait de simples coïncidences.

De plus, à bien examiner la chronologie biblique, tout semble se passer comme si l'Eternel,

après la chute d'Adam (faux prophète empli d'impuretés), avait décidé non pas de détruire Son

Œuvre dans ce qu'il a de plus beau (l'Homme créé à Son image), mais de le recouvrir par les

eaux dans un nouveau processus de purification.

En somme, le " Grand Alchimiste De l'Univers " semblerait opérer

des multiplications successives se terminant, à chaque fois, par des alliances nouvelles

scellées au sommet de la Montagne Sacrée, à l'image de la montagne originelle émergeant des

eaux primordiales.

Ainsi, la Loi Noachique au sommet du Mont Ararat après les eaux purificatrices du Déluge

(première multiplication) et, plus puissante encore, la Loi Mosaïque sur le Mont Sinaï après

les eaux dissolvantes de la Mer Rouge (deuxième multiplication).

Comment, dans cette perspective, ne pas entrevoir l'" Oméga " du Grand Œuvre Divin dans

l'ultime transmutation apocalyptique où la Jérusalem Terrestre recevrait la projection aurique,

lumineuse et transcendante de la Jérusalem Céleste ?…

Mosou… Moshe, Moïse, Mussa. Vénéré par tous les fidèles des trois religions abrahamiques,

le Grand Prophète est donc, pour les Fils du Trismégiste, une des clefs majeures de la

Tradition Primordiale sur la voie hermétique des Saintes Ecritures.

La place éminente qu'il occupe dans nos rituels maçonniques nous aide ainsi à mieux

appréhender les liens étroits qui unissent les deux Arts Royaux.

Page 41: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Comment les secrets de la Sainte Science se sont-ils transmis ? Comme tout ce qui concerne

les voies sacrées de la Grande Tradition : dans l'ombre des mots et la lumière des cœurs.

Ces " mots de puissance " dont la beauté cachée révèle le Beau, car seul le beau peut voir le

Beau, et cette " lumière intérieure " dont l'innocente pureté dévoile le Pur, car seul le pur peut

voir le Pur. C'est pourquoi le très ancien message hermétique de la Table d'Emeraude, malgré

le nécessaire ésotérisme qui le protège, est à la fois d'une beauté puissante et d'une pureté

lumineuse.

Un nouveau rayon de lumière vient cependant éclairer le silence : le Siphra di Tzeniutha, très

ancien ouvrage araméen qui relate les opérations concernant le Grand Œuvre Alchimique.

Apparu au Concile de Nicée en 325 après J.C., il est le Livre de la Tradition Orale transmise

par Moïse. Il révèle pour la première fois les " mots de puissance " occultés par la Table

Smaragdine.

Il vient surtout jeter un pavé dans la divine mare céleste de la Sainte Trinité en juxtaposant (et

non en opposant) à la Trinité Une des Pères de l'Eglise (Dieu le Père, Dieu le Fils et Dieu le

Saint-Esprit réunis en une seule et même entité divine) l'Unité Trine de la Gnose (séparation

de l'entité Une en trois identités distinctes).

Mais il n'est pas le seul. L'Arianisme, le Nestorisme, le Docétisme, le Manichéisme, et plus

tard le Catharisme, viendront " enfoncer le clou " avec les conséquences funestes que l'on sait.

Nous voici d'un coup aux portes du Moyen Age. Période critique et déchirante de la grande

aventure humaine où, dans la lutte constante entre le Bien et le Mal, le Sacré semble être la

seule issue possible pour sauver les âmes.

Deux personnages caractéristiques vont cependant apporter leurs lumières aux pieds des

citadelles obscures des Grands et Petits Mystères : le Maître Bâtisseur et le Maître Spagyriste.

Apparemment, tout les sépare. Le premier travaille au grand air et en plein jour, le second

dans un espace clos, à la lueur vacillante des chandelles. Mais en réalité, tout les unit.

- ils œuvrent tous les deux à l'accomplissement de l'opération du Soleil.

Nous avons vu, dans une précédente étude, comment le Maître Bâtisseur de Cathédrales

choisissait le Point Sacré de l'Autel, y érigeait un poteau, puis déterminait le Point de Terre à

l'angle Nord-Est au bout de l'ombre du gnomon, à l'heure où le soleil est à son méridien.

L'Alchimiste, de son côté, travaille à la séparation, puis à la conjonction et à la sublimation

des trois constituants de la materia prima : Soleil-soufre,

Lune-mercure et Sel Philosophique. Du règne de Jupiter (œuvre au noir) au règne de Mars

(œuvre au rouge), il passera par ceux de Saturne et de la Lune (œuvre au blanc) pour finir,

après les multiplications successives, par la poudre de projection aurique, parachevant ainsi

l'Oeuvre du Soleil selon les propres termes de la Table d'Emeraude.

Dans les deux cas, l'astre du jour, lumière née de la Lumière, est la réponse divine, symbole

de vie et de perfection.

- ils utilisent le même matériau sacré : la pierre.

L'un va l'extraire de la carrière, l'autre de la minière. C'est exactement la même chose. Chacun

va la chercher au plus profond de la terre nourricière, comme un trésor tombé du ciel qu'il

s'agira de restituer au Tout-Puissant dans sa substantialité la plus pure, afin d'être digne de

Lui.

Ainsi Pierre Brute et Pierre des Philosophes, enveloppées de leur gangue terrestre,

deviendront-elles Pierre Cubique et Pierre Philosophale, corps célestes.

Car elle est " pierre ", et sur cette pierre… ils bâtiront un Temple.

Pour le Bâtisseur de Cathédrales, de la pierre d'angle (Equerre) à la clef de voûte (Compas),

Page 42: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

un édifice imposant et superbe, reflet et résumé de l'Univers créé. Pour le disciple d'Hermès,

une sphère de lumière à l'intérieur d'un ballon de verre pas plus grand que la main, reflet et

résumé de l'Univers en création.

- ils sont donc tous les deux hommes de l'Art.

Art Royal, Art Sacré… Art du Royaume Divin. Comme le beau qui seul peut voir le Beau et

le pur qui seul peut voir le Pur, seul l'artiste peut voir l'Artiste, Grand Architecte du Monde,

afin de se réaliser pleinement dans l'Unité trine qui rassemble le Créateur, Sa Créature et

l'Esprit créatif qui les transcende.

Car " ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est

en bas, pour faire les miracles d'une seule chose. "

On ne peut être plus clair sur la définition même de l'Art Sacré, " voie " unique et principielle

de l'Harmonie " des " mondes, celui d'En-Haut et celui d'en-bas, c'est-à-dire de la Grande

Harmonie qui les unit.

Alchimie et Franc-Maçonnerie

Comme on le voit, le Maçon et l'Alchimiste opératifs se ressemblent beaucoup même si,

apparemment, ils ne s'assemblent pas.

La Franc-Maçonnerie spéculative va réparer cette distinction.

Car, ayant à priori tous les arguments pour se réclamer de l'un, elle prouvera à posteriori

qu'elle avait d'excellentes raisons pour ne pas s'isoler de l'autre. Nous voulons parler

essentiellement des Rites dits continentaux où l'hermétisme prend une place particulière et

trouve son plein rayonnement dans le symbolisme rosicrucien.

Encore faudrait-il préciser de quel rosicrucisme il s'agit, tant les racines sont profondes,

parfois obscures, et les ramifications diverses et complexes…

Ici encore, comme en ce qui concerne les origines templières de la Franc-Maçonnerie, la plus

élémentaire prudence est de mise. Nous nous bornerons à dire qu'à l'instar des Chevaliers du

Temple, les Chevaliers Rose+Croix illuminent de leur présence certains Hauts Grades

Maçonniques, et notamment le 18ème Degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté.

Cela n'empêche nullement l'esprit bienfaisant du Sel des Philosophes de se répandre déjà sur

les Colonnes, comme un ciment unificateur, aux Trois Grades symboliques d'Apprenti, de

Compagnon et de Maître. Nous allons tenter d'évoquer brièvement les étapes fondamentales

de son action en laissant au Franc-Maçon, en fonction de son Grade et de son Rite, le soin de

trouver lui-même les " passerelles " qui le conduiront progressivement, dans la lumière de son

temple intérieur, à l'accomplissement de " l'opération du Soleil ".

- Préparation :

Manifestement, le profane à la porte du Temple représente la terre adamique enfouie dans les

ténèbres de la minière. Que ce soit dans le cabinet de réflexion ou sous le bandeau, tout

rappelle cette obscurité et annonce la naissance d'un homme nouveau.

C'est la raison pour laquelle il doit être convenablement préparé, tant par son corps que par

son âme et son esprit.

Les trois éléments qui constituent son être doivent être " concassés ", " broyés " dans

une mortification symbolique. C'est dans cet état mortifère qu'après avoir reçu les bienfaits de

la prière, il effectuera dans l'ombre les différents voyages qui lui signifieront l'obscurité du

monde dont il est issu et la lumière de celui vers lequel il tend.

Cette lumière étincelante lui sera donnée après l'Obligation Solennelle. Elle est l'agent

primordial qui, dans l'Athanor du Temple maçonnique, va effectuer la séparation, permettant

à l'Initié de se trouver dans un nouvel état de conscience et de réaliser son unité trine, c'est-à-

dire ses trois identités distinctes débarrassées de leur gangue profane.

Page 43: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Ainsi n'aura-t-il d'autre but que celui de reconstituer la trinité une de son être propre dans

toute sa pureté, à l'image des Trois Grandes Lumières sur lesquelles il a prêté serment.

- Solve :

Cette " recomposition " débute lorsque l'Initié est revêtu de son tablier d'Apprenti, au Point de

l'Eau baptismal. Car c'est à ce moment précis qu'il devient réellement " maçon ". On le lui

signifie d'ailleurs lors de l'émouvante exhortation qui marque la remise de cet insigne

distinctif.

Le tablier et les gants blancs, symboles d'innocence et de pureté, mais aussi d'une ascèse

nouvelle, vont désormais agir comme des dissolvants dans le vase hermétiquement clos de

son temple intérieur.

Son corps et son âme épurés, de nouveau réunis, vont se sublimer sous l'action ignée de son

esprit, lui-même enrichi par celui de la lumière transmise.

Il est Apprenti. Il s'apprend. Désormais, plus d'idées préconçues, plus de vérités toutes faites.

Un nouvel homme est en train de naître. Il porte un nouveau regard sur le monde, il regarde le

monde nouveau avec lequel il s'identifie. Cette mondification spirituelledurera autant de

temps qu'il le faudra, jusqu'à ce qu'il tire lui-même la première quintessence de son être

revivifié.

Alors, et alors seulement, quand il se sentira prêt, il pourra desceller son Temple intérieur.

- Coagula :

Pour l'ouvrir à qui ? Aux autres, évidemment, dont il a besoin pour se nourrir.

Car sans les autres, il n'est rien. Les autres, ce sont ses Frères qui, dans la Loge-Temple, sont

autant de temples ouverts.

A l'image de ses anciens Frères opératifs qui, rappelons-le, n'étaient pas admis dans les Loges

de chantier, l'Apprenti va quitter son " moi " pour rejoindre le " nous " des Compagnons (de

cum, avec, et panis, pain). Il entre dans le partage. Il apporte sa pierre à l'édifice commun.

Elle sera à la fois pierre d'appoint et pierre de soutien. Elle a donc besoin de se parfaire, de

se fixer au contact des autres.

Ce qu'il fera d'abord grâce à la blancheur étincelante de l'Esprit Divin dont lui-même et ses

Compagnons sont imprégnés, puis avec la quintessence sanguine de tout son être.

Albification, Rubification…

Son Temple a reçu les rayons de lune et les premiers rougeoiements de l'aube. Mais, dans la

pénombre qui cache encore les perspectives de sa vie future, il ne fait pas tout à fait soleil…

- Multiplication :

Car, sous la pierre, aussi belle soit-elle, il n'y a qu'un homme.

Un Frère parmi ses Frères, heureux de son état mais soumis aux impuretés du monde profane

auquel, comme ses Frères, il ne peut échapper. Sa pierre est un faux prophète.

Comme la déesse Nout qui, chaque soir, avalait le soleil et accouchait à l'aube d'un soleil

nouveau, comme le grain de blé tombé de l'épi qui pourrit en terre et porte le germe d'une vie

nouvelle, le Maçon doit savoir mourir pour renaître.

L'Œuvre du Temple est un éternel recommencement et, dans la lueur de son temple intérieur,

le Maître-Maçon, à bien y regarder, est un maçon en recherche perpétuelle de maîtrise.

Revenu au " moi ", il doit repasser par le " nous ", c'est-à-dire se multiplier, recommencer

l'Œuvre depuis le début et " se réunir de nouveau aux anciens Compagnons de ses travaux ".

Ce n'est qu'après de nombreuses " multiplications " qu'il sentira l'effacement progressif de ses

doutes et qu'il tirera les extraordinaires bénéfices de ses remises en question volontaires.

Gravissant les marches qui l'élèvent une à une du haut vers le Haut, il deviendra le gardien des

secrets qui conduisent à l'accomplissement de l'Œuvre Solaire, projetant sur tout ce qui

Page 44: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

l'entoure les rayons auriques et bienfaisants de sa lumière intérieure.

Par la merveilleuse alchimie opérée entre son esprit et celui de l'Eternel, Grand Architecte de

l'Univers, il se dressera alors comme la colonne vivante de l'Harmonie du Monde, un monde

convaincu qu'il est un de ceux à qui les affligés peuvent confier leurs peines, les malheureux

peuvent demander aide et protection, un de ceux dont le bras est guidé par la justice et dont le

cœur déborde d'amour.

Sigillum des Frères Aînés Rose+Croix

Où l'on reconnaît,

en bas, le Pélican qui se perce le flanc pour nourrir ses trois enfants de son propre sang,

au centre de la croix (de " crucis ", creuset),

la rose pentamère (Quinte Essence) entourée de l'Ourobouros

et symbolisant le Grand Œuvre,

en haut, l'inscription INRI qu'il faut lire par " Igne Natura Renovatur Integra "

Chapit

re IV

Page 45: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Le

G

ra

nd

T

ha

u

Dieu dit

alors à

Moïse :

" Je suis

celui qui

suis ".

Et Il

ajouta :

Tu

répondr

as ainsi

aux

enfants

d'Israël

:

" Je suis

"

m'envoie

vers

vous.

(Exode

III, 14)

Page 46: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Science profane et science sacrée

Dans les chapitres précédents, nous avons vu comment des

hommes, divinement inspirés par un schéma préexistant au

processus de la Création, avaient pu dénouer les fils

conduisant aux mystères cachés de la Nature et de la

Science.

On l'aura compris, il ne s'agit en aucune façon de dresser

une liste exhaustive de ces mystères cachés, mais d'étudier

deux voies qui nous sont familières et qui en éclairent,

pour la plupart, la signification : le pythagorisme et

l'hermétisme, sciences sacrées de la Grande Tradition.

Cette Grande Tradition (avec un grand Thau) est

la Tradition Primordiale qui remonte au Principe même du

Grand Tout.

Or le Principe est UN… et le Grand TOUT aussi.

Pris dans ce sens, le terme UN est d'ailleurs assez

impropre. C'est l'idée d'UNITE qui semble la mieux

appropriée, puisqu'elle renferme à elle seule les deux

notions concomitantes d'unité singulière du Principe ( 1 )

et d'unité plurielle du Grand Tout ( 1 + 1 + 1 + … + 1

= 1 ).

Ecoutons à ce propos Hermès dans l'un des chapitres des "

Poïmandres " :

" Rien n'existe sans principe. Quant au principe, il n'est

sorti de rien si ce n'est de lui-même puisqu'il est principe

de tout le reste. Etant donc principe, la monade comprend

tout nombre, sans être comprise en aucun d'eux ".

On comprend mieux maintenant l'origine de la mystique

pythagoricienne du nombre et le vrai sens du bereschit de

la Genèse, c'est-à-dire " en principe ", plus communément

traduit par " au commencement ".

Dans ce sens φ, Nombre d'Or, n'est pas, comme on pouvait

s'en douter, un nombre divin. Pas plus que la Pierre

Philosophale n'est substance divine.

L'un comme l'autre sont le fruit d'un long apprentissage de

l'esprit humain, d'une recherche éclairée. Le but suprême

étant de remonter à la véritable Source de lumière…

Si la proportion dorée fut nommée Divine Proportion et

l'Alchimie Sainte Science, elles n'ont jamais prétendu pour

autant expliquer en substance le grand mystère du

Créateur. Elles portent tout simplement la marque d'un

principe commun avec le Grand Œuvre Divin, celui

de consubstantialité,

c'est-à-dire d'interpénétration des essences telle que, à elles

toutes, elles n'en forment qu'une seule.

Page 47: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

C'est en ce sens qu'elles sont qualifiées de " divines " parce

que révélatrices, au travers de la consubstantialité des

éléments qu'elles réunissent, de l'Harmonie du monde

d'en-bas réalisée à l'image de celle du monde d'En-Haut,

Harmonie dans laquelle resplendit la Beauté qui est elle-

même puissance du Beau.

Et la Beauté se trouve partout dans l'Univers…

Elle est dans l'Arbre de Vie dont jaillit la source d'eau

claire, l'agent salin qui, après avoir épuré les constituants

de la Minière, les sublimera et permettra au Fils d'Hermès

de réaliser en 28 mois philosophiques (durée hermétique

du Grand Œuvre) ce que la nature a mis des millions

d'années à accomplir ! Elle se cache dans le triangle et le

rectangle d'or, dans le pentagramme étoilé du Maître de

Samos, elle se montre en pleine lumière dans leurs

vivantes manifestations. Elle témoigne.

Les sciences sacrées de la Grande Tradition sont des

sciences de " témoignage "… et de transmission du témoin

entre esprits éclairés, comme la flamme olympique passant

de main en main et, lors de son ultime voyage, gravissant

l'Echelle de Jacob jusqu'à la vasque de l'Eternelle Lumière,

étoile flamboyante d'amour. C'est tout ce qui les distingue

des sciences dites " profanes " qui ont perdu le témoin,

délaissé le " pourquoi " au seul profit du " comment "

en involuant dans la matière.

La Franc-Maçonnerie n'est pas une science, mais un art.

Le Franc-Maçon le sait bien, lui qui n'est pas un savant.

Ou, du moins, ne se considère-t-il pas

a priori comme tel.

Que sait-il, au juste ? Qu'il est un homme, tout

simplement, ni meilleur ni plus mauvais qu'un autre. Avec,

cependant, un petit plus imperceptible au fond de l'âme : la

grâce d'une lumière transmise le soir béni de son Initiation.

Depuis, il est en état permanent de conscience. Il veille.

Il s'émerveille aussi, en toute liberté, au grand spectacle de

l'Univers. Comme ses Anciens Frères Opératifs, il en

glorifie le Grand Metteur en Scène, en Lui restituant

l'essence de son propre travail d'artiste. Il rend " Hommage

".

En même temps, il essaie de comprendre. Comprendre la

véritable signification du témoin, du " flambeau " passé

avant lui de main en main, de cœur en cœur, d'esprit en

esprit.

Aussi loin que remonte la mémoire des hommes, un seul

mot semble convenir : la Sagesse.

Hermès et Pythagore (entre autres) étaient de véritables

Maîtres, car ils savaient maîtriser la Sagesse du Monde.

Pour ne pas l'avoir compris, l'Homme orgueilleux est

devenu l'esclave de son propre génie créatif. Il en paye

Page 48: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

aujourd'hui très durement le prix.

A quoi bon, dès lors, rappeler au monde profane ce mot

sacré qu'il a définitivement rayé de son vocabulaire ? Il ne

comprendrait pas.

Alors, le Franc-Maçon lui propose un mot substitué

: l'éthique. L'éthique, c'est le rappel de la loi morale tracée

au cordeau de la conscience des hommes. Une sorte de

ligne jaune à ne pas franchir. C'est toujours mieux que

rien. Mais pour le Franc-Maçon de Tradition, la vraie

sagesse est ailleurs…

La vraie sagesse est Lumière de Dieu. Elle est infinie, elle

n'a aucune limite.

Où donc en est la source ? Peut-être pas aussi loin qu'il le

pense. Au Centre des Centres, le Saint des Saints de son

temple intérieur. Au plus profond des ténèbres de

l'Inconnaissable.

Or rien de connu n'existe qui ne soit " prononcé ". C'est la

loi primordiale de la Création.

Inimaginable puissance du Verbe ! C'est là, oui, c'est

sûrement là que réside le grand secret de la Sagesse et de

l'Harmonie du Monde. Dans le Verbe,

au " point de prononciation " où se confondent l'Alpha et

l'Omega, le premier et le dernier des " mots de puissance ".

Dans le JE SUIS CELUI QUI SUIS. Le Saint Nom de

Dieu Lui-même.

Le Verbe, fondement de la science

kabbalistique

Dieu nomme. Dieu crée.

La Pensée Divine se formule dans le nom et se manifeste

dans la création.

Elle s'exprime par le Verbe, acte volitif et dynamique.

En hébreu, le verbe dire est synonyme de créer. Dieu dit

ce qu'Il fait, Dieu fait ce qu'Il dit.

C'est le principe premier de la Trinité : Pensée Divine,

Verbe émané de la Pensée, Création émanée du Verbe. Il

est à la base de toutes les religions anciennes et semble

trouver son accomplissement dans la Sainte Trinité de

l'Evangile Johannique : Dieu Père, Verbe Fils, Vie Saint-

Esprit.

Dieu ayant créé l'homme à son image lui attribua, par

définition, le pouvoir de créer par le Verbe. Selon la

tradition orale, la langue primitive, dite " langue adamique

" ou wattan dont se servit Adam pour objectiver l'Œuvre

du Créateur, possédait les qualités du Verbe.

Le Verbe était une action volitive ébranlant les éléments

par des vibrations sonores. L'usage du Verbe créateur, les

Page 49: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

combinaisons des ondes pour donner le jour à la forme

inhérente à l'idée, se transmettaient par la tradition orale

dans les sanctuaires.

C'est ainsi que fut créé le rituel religieux dont les

particularités se conservèrent dans les divers cultes

(chants, paroles scandées, signes, gestuelle).

Un moment vint où l'homme, livré à ses instincts, perdit le

Verbe créateur et la faculté de comprendre la Nature. Sa

parole devint un son vide et discordant dans le concert de

l'Harmonie Universelle. Il ne pouvait plus créer, mais

modeler à la sueur de son front le limon de la terre,

matière morte, privée d'âme vivante.

L'idée, cette Etincelle Divine, restait en germe, en

principe, et ne revêtait aucune forme. C'est alors que furent

imaginés les hiéroglyphes. D'abord sous la forme

de pictogrammes pour représenter les objets du monde

visible, puis d'idéogrammes pour représenter des pensées

abstraites. Plus tard fut inventée l'écriture hiératique où les

mots se composaient de lettres, c'est-à-dire de

hiéroglyphes stylisés.

L'écriture hiératique sortit des temples égyptiens. Son

alphabet était strictement composé d'après les lois

fondamentales de l'Univers. Moïse, Grand Initié des

Sanctuaires d'Egypte, l'adopta avec la doctrine dont il fit la

base de son enseignement.

Les guerres et les malheurs du peuple d'Israël mirent en

danger cet alphabet sacré, à tel point qu'il fut perdu, ainsi

que la tradition orale, pendant la captivité de Babylone.

Grâce aux prophètes Daniel et Esdras, une partie de cette

tradition put être reconstituée, mais l'alphabet

hiéroglyphique fut déformé. Les Phéniciens l'exportèrent

en Europe. Les Grecs l'adaptèrent en respectant au plus

près la phonétique et la valeur numérique des lettres

(l'écriture " chiffrée " du nombre n'existait pas encore). Les

Romains le vidèrent de tout son sens dans la langue latine.

Ainsi disparut ce qui, depuis des millénaires, se passait de

main en main, le témoin, le kebbel.

La Kabbale est la science du Verbe.

Son maître à penser est l'Eternel, son champ d'application

est l'Infini.

Vouloir la résumer, encore moins la traiter, en quelques

pages serait donc pure folie. Nous ne pouvons qu'en

exposer certaines bases nécessaires à sa compréhension, en

espérant ne pas oublier l'essentiel. Que les " spécialistes "

veuillent bien, par avance, nous en excuser.

La science kabbalistique comporte, dans sa partie

théorique, plusieurs livres :

- La Tora qui contient la Machora (science occulte des

Page 50: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

lettres) et la Michna (science des lois)

- Le Talmud qui énonce les lois proprement dites

- Le Sepher Ietzirah ou Livre de la Sagesse

- Le Sepher Ha Zohar ou Livre de la Splendeur, le "Char

Céleste"

Dans la kabbale hébraïque (qu'il ne faut pas confondre

avec la cabale hermétique, dont nous avons déjà parlé et

qui, elle, est une véritable langue), trois interprétations

possibles peuvent être découvertes en chaque mot sacré :

- la première, dite Gématria, qui comporte l'analyse de la

valeur numérale ou arithmétique de chaque mot

- la seconde, dite Notarikon, qui établit la signification de

chaque lettre considérée séparément

- la troisième, dite Thémurah, qui emploie certaines

permutations ou transpositions de lettres

Les Saintes Ecritures nous révèlent que Dieu, Grand

Architecte de l'Univers, créa toutes choses avec mesure et

pondération. C'est peut-être ce qui induit le mieux l'idée

de " l'ordre et la symétrie de l'ensemble de la Création ",

telle que nous l'évoquions dans la Planche Tracée du

Premier Grade, au tout début de notre recherche sur la

définition de l'Harmonie.

Le Verbe Créateur, et c'est là le trait caractéristique de la

science kabbalistique, contient en lui-même une harmonie,

une consubstantialité totale entre le nom et le nom-bre.

Pour mieux le comprendre, commençons, comme

d'habitude… par le " commencement ".

LE PREMIER NOMBRE

La première proportion du compas, c'est-à-dire la première

figure géométrique qui lui est associée, symbolise…le

nombre 1O.

Pour réaliser un cercle, il faut nécessairement s'appuyer

sur UN point sans lequel on ne peut agir. Ce point est le "

centre du cercle dont chaque point de la circonférence est

équidistant ".

Comme il y a un infinité de points constituant le cercle, le

point central, nombre UN ou Unité-Principe, est le nombre

générateur de l'infinité des unités qui procèdent de lui.

En dissociant linéairement le point central ( . ) et le cercle

( O ) généré par lui, on obtient le nombre point-cercle .

O (1O, dix), qui est le nombre de l'infini réalisé.

Dès lors, si nous enlevons le point central à l'intérieur du

cercle, nous obtenons un cercle fictif, purement imaginaire

car irréalisable. C'est le seul moyen dont nous disposons

pour exprimer le zéro, c'est-à-dire un cercle fictif sans rien

Page 51: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

dedans !

En ré-associant le un ( 1 ) et le zéro ( O ) dans le nombre

1O, on obtient ainsi 1 + O = 1

Nombre de l'infini réalisé, 1O est aussi celui du retour à

l'Unité-Principe.

Mathématiquement, c'est la base du système décimal.

Kabbalistiquement, c'est l'unité dans le multiple et

le retour du multiple dans l'unité,

loi fondamentale de l'Harmonie Universelle.

LA PREMIERE LETTRE

" Et l'Esprit de Dieu se penchait au-dessus des eaux "

La masse inerte, passive et froide des eaux du chaos

originel est représentée par une ligne droite.

L'Esprit de Dieu qui plane au-dessus de cette ligne est

figuré par le iod (en hébreu י ), symbole de toute puissance

manifestée en même temps que celui de l'éternité, c'est-à-

dire de la vie sans fin des choses créées.

<="" p="">

L'acte créateur est le premier choc de l'Esprit de Dieu

(éther) dans la masse inerte des eaux, celui du iod-principe

vivifiant qui sort la masse inerte de l'état passif et la met

en mouvement.

<="" p="">

Le choc premier du principe vivifiant dans la matière

inerte l'anime et fait jaillir le feu, second iod, porteur à son

tour d'un germe qui doit donner naissance à la vie

éternellement renouvelable.

<="" p="">

Ce hiéroglyphe contient en lui-même les trois éléments de

la matière (air-éther, eau, feu) ou le principe du ternaire

primitif, autrement dit du premier dédoublement idéal et

équilibré.

Il est l'Aleph, première des 22 lettres sacrées de l'alphabet

hébreu.

<="" p="">

Aleph (alif en arabe, alpha en grec) représente le

dynamisme créateur éternel, le Verbe.

Comme telle, elle contient tout ce qui fut créé par Dieu, et

donc tout ce qui peut être exprimé par l'Homme.

Page 52: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

LE SCHEMA

Première de toutes les lettres, Aleph est la lettre-nombre

initiale au sommet des dix Séphiroth, nombres

élémentaires et constitutifs du système décimal.

Elle est aussi, comme nous venons de le voir, la

première lettre-mère, Aer, air ou éther, née du iod et unie

dans le ternaire primitif à l'élément eau et à l'élément feu.

Aleph, mem, schin : Aleph souffle (éther), mem muette

(eau), schin sifflante (feu)

Aleph, mem, schin : trois lettres-mères, Parole de Dieu

Aleph, mem, schin : א מ ש, en hébreu, et lu de droite à

gauche : schin, mem, Aleph

SCHhh-in, Mmm-em, Ahh-leph : SCHMA ou SCHEMA

Tel est le schéma ou Ternaire Divin

d'engendrement préalable au processus de la Création, que

nous évoquons depuis le début de notre étude, paradigme

du triangle générateur des nombres pythagoriciens et des

trois constituants (corps sulfureux, âme mercurielle, esprit

salin) de la materia prima du Grand Œuvre Philosophal.

De là vient le Schema Hamphorasch, ou Schem

Hammephorasch selon les kabbalistes, qui signifie " Nom

bien prononcé et bien expliqué " par le Grand Prêtre du

Temple de Salomon, une fois l'an, le grand jour de

l'expiation des péchés.

LE TETRAGRAMME

Personne ne connaît Dieu dans Son essence si ce n'est Lui-

même.

La Science absolue est dans l'intelligence de Son Nom et

dans la connaissance des noms divins qui se forment de

Lui.

Le Schema ou nom incommunicable est formé de quatre

lettres.

Toute la puissance est dans une seule, Iod

Son reflet est dans une autre, Hé

Il s'explique par la troisième, Vau

Il se féconde par la quatrième, Hé

Ces quatre lettres sacrées forment le Tétragramme que l'on

peut représenter ainsi :

Page 53: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

<="" p="">

Au premier coup d'œil, nous reconnaissons la Tétractys

pythagoricienne et le schéma hermétique du Grand Œuvre.

Il convient cependant d'en faire une double lecture.

La première, ternaire, où l'Eternel inaccessible est au plus

haut de l'Echelle Divine. La deuxième, quaternaire, où

Dieu, en involuant au plus près de l'Homme, s'est révélé à

lui.

Dans ce sens, et au regard de la Trinité Hébraïque :

Iod, I est le Dieu d'Abraham (Ab, le Père, Ibrahim en , י

arabe)

Iod Hé, IE ou IAh est le Dieu d'IsAac (le Fils , י ה

engendré)

Iod Hé Vau, IEV ou IAhO est le Dieu de IAcOb , י ה ו

(Jacob, l'Esprit Saint)

Iod, Iod Hé, Iod Hé Vau

I, IE, IEV

I, IAH, IAHO

Ainsi se développe l'indicible, l'imprononçable, la divine

et première triangulation.

L'adjonction du Hé final et fécondant est le signe de Dieu "

accessible " à l'Homme.

Iod Hé Vau Hé, IEVE ou IAhOuHE est le Dieu de , י ה ו ה

Moïse, apparu dans le Buisson Ardent et qui dicta de Sa

main les Dix Commandements.

Iod Hé Vau Hé

i, a, ou, é ou i, é, ou, a

IEVE, YAHWEH, JEOVAH est le Nom de Dieu révélé

dans le Volume de la Sainte Loi, le Grand Architecte de

l'Univers, Dieu de toutes les Nations qui écrivirent et

écrivent encore Son Nom en quatre lettres saintes : Teos

(Zeus) en Grec, Deus en Latin, Dios en Espagnol, Dieu en

Français, Goth (devenu Gott) en Allemand, Good (devenu

God) en Anglais, Al-lA (Allah) dans le Saint Coran etc.

Le Nom mystérieux en trois lettres (IEV) est celui du Dieu

Page 54: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Dieu unique des trois

religions abrahamiques : Judaïsme, Christianisme et Islam.

Le Nom révélé (JE SUIS CELUI QUI SUIS, IEVE, le

PERE, ALLAh) en quatre lettres est celui annoncé aux

hommes par la bouche des Trois Grands Prophètes :

Moïse, Jésus et Muhammad.

Les 32 voies de la Sagesse

" C'est par trente-deux voies, belles, sages, que Jah, Ieve

Tsebaoth, Dieu d'Israël, Dieu Vivant et Roi Eternel, El-

Schaddaï, Miséricordieux, Pardonnant, Elevé, séjournant

dans l'Eternité, dont le Nom est haut et saint, traça

l'Univers par trois Sepharim (numérations) : Sepher,

Siphor et Sipour.

" Dix nombres immatériels(Sephiroth). Vingt-deux lettres

du fondement : trois mères, sept doubles, douze simples.

" Dix nombres immatériels : dix et non neuf, dix et non

onze.

Comprends par ton entendement et entends par ta

compréhension. Mets-les à l'épreuve, scrute-les, pose-les

chacun comme il faut et mets le Créateur à sa place.

" Dix nombres immatériels, dix qualités infinies :

la profondeur du commencement, la profondeur de la fin,

la profondeur du bien, la profondeur du mal, la

profondeur de la hauteur, la profondeur de la profondeur,

la profondeur de l'Orient, la profondeur de l'Occident, la

profondeur du Nord, la profondeur du Sud. Seul Notre

Seigneur Dieu, Roi Fidèle, règne au-dessus de tous dans

sa demeure, dans l'Eternité.

" Dix nombres immatériels :

leur fin est en puissance d'être dans leur commencement,

car Dieu est seul et Il n'a pas de second, et quel nombre

peux-tu nommer avant Un ?

" Dix nombres immatériels :

le premier " l'Esprit du Dieu vivant ", le deuxième " le

Souffle de l'Esprit (Ether) ", le troisième " l'Eau de l'Ether

", le quatrième " le Feu de l'Eau ".

Les six autres pour les six directions de l'espace : la

Hauteur vers le haut, la Profondeur vers le bas, l'Orient

vers l'avant, l'Occident vers l'arrière, le Sud vers la droite

et le Nord vers la gauche.

" Vingt-deux lettres de fondation : trois mères, sept

doubles et douze simples.

Il les traça, les façonna, organisa leurs combinaisons et

leurs permutations, et créa par elles tout ce qui est créé et

tout ce qui doit être créé.

" Trois mères : Aleph, mem, schin.

Leur trait fondamental : la coupe de la justesse, la coupe

de la culpabilité et la loi qui établit l'équilibre entre elles.

Page 55: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

" Trois mères : Aleph, mem, schin : mem muette, schin

sifflante et Aleph éther qui fixe l'équilibre entre elles.

" Trois mères : Aleph, mem, schin dans l'Univers.

Ce sont l'air, l'eau et le feu. Le ciel est créé du feu, la terre

de l'eau et l'eau de l'éther qui tient l'équilibre entre eux.

" Trois mères : Aleph, mem, schin dans le corps de

l'homme et de la femme : la tête, le ventre et la poitrine.

La tête est créée du feu, le ventre de l'eau et la poitrine de

l'éther qui tient le milieu entre eux.

" Sept doubles : beth, gimel, daleth, kaph, phé, resh, tau.

Selon leur prononciation : la sagesse ou la bêtise, la

richesse ou la pauvreté, la fécondité ou la stérilité, la vie

ou la mort, la domination ou l'esclavage, la paix ou la

guerre, la beauté ou la laideur.

" Sept doubles : beth, gimel, daleth, kaph, phé, resh, tau.

Sept et non six, sept et non huit. Le haut et le bas, l'orient

et l'occident, le nord et le sud, et le Saint Temple au centre

qui soutient tout.

" Sept doubles : beth, gimel, daleth, kaph, phé, resh, tau.

Examine-les, pose-les comme il faut et mets le Créateur à

sa place.

" Sept doubles : beth, gimel, daleth, kaph, phé, resh, tau.

Il les traça, les façonna, organisa leurs combinaisons et

leurs permutations, et créa par elles sept étoiles dans le

monde (Saturne, Jupiter, Mars, le Soleil, Vénus, Mercure,

la Lune), sept jours dans le temps et sept portes dans le

corps de l'homme et de la femme : deux yeux, deux

oreilles, deux narines et la bouche.

" Douze simples: hé, vau, zaïn, heth, teth, iod, lamed, nun,

samech, aïn, tsadé, koph.

Leur fondement : la parole, la pensée, la marche, la vue,

l'ouïe, l'action, la copulation, l'odorat, le sommeil, la

colère, l'appétit, le rire.

" Douze simples : hé, vau, zaïn, heth, teth, iod, lamed,

nun, samech, aïn, tsadé, koph.

Il les traça, les façonna, organisa leurs combinaisons et

leurs permutations, et créa par elles les douze signes du

Zodiaque dans le monde, les douze mois de l'année dans le

temps et les douze guides dans le corps de l'homme et de

la femme : deux mains, deux pieds, huit organes et

viscères. "

Voici donc condensées (autant que faire se peut) les 32

voies de la Sagesse, telles qu'elles sont écrites dans

le Sepher Ietzirah.

10 nombres, 22 lettres. Total : 32

Nous avons déjà vu l'origine de la numération décimale.

Nous y reviendrons.

Mais, tout d'abord, pourquoi 22 lettres, dont 3 mères,

7 doubles et 12 simples ?

Page 56: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Le Verbe Créateur, l'Aleph, émane de l'Unité

principielle iod qui se développe dans le Ternaire Divin,

le schema primordial et mystérieux.

Toute création émanée du Verbe relève donc, " par

nécessité ", du Quaternaire (3 + 1).

C'est le passage du Iod Hé Vau, Ternaire spirituel, au Iod

Hé Vau Hé, Quaternaire de réalisation cosmique.

L'Involution Divine, c'est-à-dire la " pénétration " de

l'Esprit Divin au plus profond de la Création, se fait par

addition (3 + 4 = 7) et multiplication

(3 x 4 = 12) du Ternaire dans le Quaternaire.

Ternaire, Septénaire et Duodénaire sont donc, selon les

kabbalistes, les trois rythmes majeurs de l'Harmonie du

Monde, exprimés dans les 22 lettres de l'alphabet sacré.

LE TERNAIRE

Le Ternaire est un " binaire équilibré " par la Loi qui

maintient la stabilité entre les pôles opposés (coupe de la

justesse et coupe de la culpabilité).

Le + et le - sous l'Unité-Principe génératrice.

Ce sont aussi les trois étapes de la

Création involutive (pénétrante) dans le Macrocosme et

leur reflet respectif dans le Microcosme, l'Homme,

prototype de l'Univers :

Selon le Sepher Ietzirah, le siège de chacun de ces trois

mondes est attribué, dans l'Homme, à la tête créée

du feu (esprit), au ventre créé de l'eau (corps) et à la

poitrine créée de l'éther (âme) qui " tient l'équilibre entre

eux ". C'est le développement de l'Aleph dans l'Adam.

Intelligence en haut, énergie en bas, cœur au milieu.

Sagesse de l'esprit, Force du corps et Beauté de

l'âme. Quod superius tot usque inferius.

L'harmonie du monde d'en-bas est bien à l'image de celle

du Monde d'En-Haut.

LE SEPTENAIRE

Page 57: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

C'est le cycle de la Vie commencée par l'Aleph (Alpha) et

recommencée par le Tau (Omega).

Les Sept Portes dans le corps de l'homme et de la femme

sont les ouvertures par lesquelles cette vie s'engouffre, se

ressent, s'exhale et s'exalte. Elles forment la zone du schin.

C'est le monde astronomique des Sept Planètes et leur

correspondance dans le cycle du Temps : Lundi pour

la Lune, Mardi pour Mars, Mercredi pour Mercure, Jeudi

pour Jupiter, Vendredi pour Vénus, Samedi

pour Saturne et Dimanche pour le Soleil.

On peut y ajouter les sept couleurs du spectre, les sept

notes de la gamme musicale etc.

Chaque lettre des sept est nommée double, car elle porte

en elle le + et le -, la qualité et le défaut. Nous sommes

dans le monde du libre arbitre, de l'initiative humaine qui

peut orienter un événement vers le + ou le - selon la

conscience.

Conscience de quoi, conscience de Qui ? " Sept et non six,

sept et non huit. Examine-les, pose-les comme il faut et

mets le Créateur à sa place :

le haut et le bas, l'orient et l'occident, le nord et le sud, et

le Saint Temple au centre qui soutient tout. "

IEV, EVI, IVE, EIV, VEI, VIE : les 6 anagrammes du

Nom mystérieux IEV, opposés deux à deux, indiquent les

6 directions de l'espace.

Au centre, le Kadosch Hakodaschim, le Saint des Saints,

où le Nom révélé se " prononce ". Ce Centre des Centres

était celui du Temple du Roi Salomon, il est aussi celui du

Temple Maçonnique et du temple intérieur du Franc-

Maçon.

Page 58: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

" Les us et coutumes des Francs-Maçons ont toujours eu

une grande affinité avec ceux des Anciens Egyptiens… / …

la forme de la Loge est un parallélépipède s'étendant en

longueur le l'Est à l'Ouest, en largeur entre le Nord et le

Sud, et en hauteur depuis la surface de la Terre jusqu'à

son centre et même aussi haut que les Cieux… ".

En enracinant d'emblée la Franc-Maçonnerie de Tradition

dans le creuset de l'Ancienne Egypte et en affirmant

aussitôt son universalité à l'image de celle du Grand

Architecte, la Planche Tracée du Premier Grade se révèle,

sans le dire, profondément kabbalistique !

LE DUODENAIRE

Les douze simples représentent les quatre trigones du

Zodiaque dans le Macrocosme. Nous sortons du monde

astronomique pour entrer dans le monde astrologique. En

ce sens, les douze simples ne sont pas équilibrées sur un

point quelconque, car leur stabilité est naturelle et leurs

rapports mutuels sont fixés immuablement. Elles forment

la zone du mem dans laquelle viennent se développer

les manifestations de la vie.

Ici, plus de libre-arbitre, de + ou de -, le déterminisme est

invariable. C'est la soumission naturelle aux lois de la

Divine Providence.

Le nombre 12 se décline constamment dans les Saintes

Ecritures : les Douze Tribus d'Israël, les Douze Apôtres du

Christ, les Douze Portes de la Jérusalem Céleste, les

Douze Imam …

Ce sont aussi les douze havioth, anagrammes de IEVE, le

Nom révélé, gravées sur les douze pierres mystérieuses qui

ornaient le pectoral du Grand Prêtre, et à l'aide desquelles

il obtenait les oracles (Exode XXVIII, 17 et suivants).

Vingt-deux lettres pour chanter la beauté de l'Infini, la

profondeur de la profondeur…

Ce n'est plus de la science, c'est de la poésie.

LES DIX SEPHIROTH

Page 59: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Le tableau des 22 lettres sacrées de l'alphabet hébreu peut

se lire de deux façons :

- horizontalement en trois lignes représentant

successivement de l'Aleph au teth les 9 unités,

du iod au tsadé les 9 dizaines et du koph au tsadé final, en

passant par le thau, les 9 centaines élémentaires,

conformément au système de numération décimale.

Ce sont les trois zones des trois lettres-mères, de l'Aleph,

du mem et du schin, c'est-à-dire du monde invisible

(nechama), du monde visible (rouach) et du monde

élémentaire (nephesch) sur chacun desquels règnent les

différents ordres des anges ou émanations divines :

. les intelligences souveraines recevant les influences de la

lumière éternelle attribuée au Père de qui tout émane

(première ligne)

. les intelligences du monde astrologique attribué au Fils,

divine Sagesse maintenant l'ordre et l'harmonie de

l'Univers (deuxième ligne)

. les intelligences du monde astronomique attribué

au Saint-Esprit, souverain Etre des êtres qui donne l'âme et

la vie à toutes les créatures (troisième ligne)

- verticalement en neuf colonnes lues de droite à gauche et

représentant, de l'Aleph au teth, les neuf lettres-

nombres élémentaires qui se déclinent respectivement dans

chacune des trois zones horizontales, suivant ainsi le divin

principe trinitaire (1 point pour les unités, 2 points pour les

dizaines,

3 points pour les centaines).

Page 60: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Il n'en fallait pas plus aux kabbalistes pour réaliser une

lecture croisée de ce tableau et sceller la consubstantialité

des lignes et des colonnes dans une nouvelle grille,

appelée Aïn BeCar, qui, comme son nom l'indique, est un

" ABéCédaire " sacré ressemblant étrangement… à

l'alphabet secret des Francs-Maçons !

Toute la Création est concentrée dans cette grille un peu

obscure. Mais une fois décomposée, elle nous aide à y voir

plus clair dans l'immensité du Grand Œuvre Divin.

Ici encore, une double interprétation peut en être faite :

- la première, chronologique, nous montre le déroulement

de la création symbolique de l'Univers, les noms divins,

les signes et les nombres correspondants.

- la deuxième interprétation, sephirique, plus connue et

plus représentative de la science kabbalistique, est l'Arbre

Séphirotique qui symbolise l'Involution Divine, autrement

dit la pénétration " en profondeur " de l'Esprit Divin dans

la Création avec, à chaque niveau, les noms et les attributs

correspondants, émanations du Principe Absolu.

Page 61: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)
Page 62: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

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Sur le tableau de gauche, les trois premières séphires (ou

séphiroth) sont dites " de création ". Elles représentent le

fameux schéma préalable que nous ne cessons de rappeler

depuis le début de notre étude (unité principielle,

dédoublement, équilibre).

Les six autres, formées de deux groupes de trois, sont dites

" de formation ".

La dixième et dernière, dite " de réalisation ", ne figure

pas sur le tableau car elle symbolise le retour à l'Unité-

Principe.

Il est intéressant, a ce propos, d'examiner les premiers

versets du Chapitre II de la Genèse en utilisant la

technique du Notarikon :

"les cieux furent achevés le sixième jour"

Haschamaim Waiekullou Haschischi Yom

Lus de droite à gauche, nous y reconnaissons le

Tétragramme Iod He Vau Hé (YHWH) à travers les

Page 63: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

initiales de chaque mot, annonçant ainsi le

" quaternaire divin " du Septième Jour (3 + 4) et la

dixième séphire de réalisation cosmique.

Dans l'arbre séphirique, on reconnaît les trois séphires de

création sous la forme d'un triangle pointé vers le haut,

ainsi que les six autres de formation regroupées en deux

triangles pointés vers le bas, confirmant par là-même le

sens de l'involution de l'Esprit Divin jusqu'à la dixième

séphire de réalisation, qui figure bien ici en dernière place

pour marquer la fin du monde angélique.

Parmi les divins attributs représentés, le Franc-Maçon de

Tradition aura tout de suite repéré Sagesse (Hochma),

Force (Gebourah) et Beauté (Tipheret), les trois Grands

Piliers soutenant la Loge Maçonnique.

Aussi nous a-t-il paru intéressant de nous arrêter, une fois

encore, sur la Planche Tracée du Premier Grade. Chacun,

bien sûr, pourra se forger une opinion en fonction de son

Rite et de ses connaissances, mais il faut bien avouer que

l'analogie était tentante !

Page 64: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)
Page 65: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

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Nous bornerons notre commentaire à trois réflexions

simples mais importantes, car elles expliquent bien des

choses et conditionnent tout ce qui va suivre :

- il existe, à l'évidence, un axe commun.

Dans l'Arbre Séphirique, de Kether (la Couronne, séphire

1) à Malkout (le Royaume, séphire 10), cet axe passe

par Tipheret (la Beauté, séphire 6) et Iesod (l'Equilibre,

séphire 9). Beauté, Equilibre… Harmonie. Harmonie entre

les deux mondes, celui d'En-Haut et celui d'en-bas.

Dans la Planche Tracée du Premier Grade, l'Echelle de

Jacob, des Trois Grandes Lumières à l'Etoile

Flamboyante, trace la " voie " directe entre les Saintes

Ecritures (disposées sur la Chaire du Vénérable Maître,

humble représentant du Roi Salomon) et le Trône de la

Grâce.

Page 66: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

- les trois triangles sont orientés vers le Très-Haut pour

exprimer l'idée d'Evolution, seule " réponse spirituelle " à

l'Involution Divine.

- l'Evolution (élévation) apparaît dès lors comme le reflet,

l'image inverse de l'Involution… à l'instar du Temple

Maçonnique, reflet du Temple de Salomon.

Adam retrouvé

ATouM, ABraM, ADaM… Ces trois noms sacrés

résonnent à notre oreille de manière identique. Ils

commencent tous par la lettre-mère Aleph et se terminent

par le Mem final. Ce sont des noms géniteurs.

- ATouM, c'est l'explosion créatrice surgie du NOuN dont

la double négation rappelle le chaos primordial, le NON-

être, l'incréé. La Création, elle, est continue et universelle.

Elle se génère dans l'Aleph, l'Alpha, et se régénère dans

le Thau, l'Omega.

- ABraM, c'est Ab, le père, celui des trois religions du

Livre. L'adjonction du Hé fécondant fera de lui Abra-ha-m

par la volonté de YHWH qui le fit

" père d'une foule de peuples " (Genèse XVII, 5).

- ADaM est le père de l'Humanité.

Concernant ce dernier, il semblerait logique, en Gématrie,

de développer son nom comme suit :

A-leph = 1, D-aleth = 4, M-em final = 600, total 605 = 11

= 2

Or la kabbale le développe ainsi : A-leph = 1, D-aleth =

4, M-em simple = 40, total 45 = 9 correspondant à la

neuvième séphire du Sixième Jour (voir tableau).

Y aurait-il donc deux Adam ? C'est ce que nous allons

tenter de comprendre.

L'ADaM avec un grand M, le Mem final synonyme

d'accomplissement et de plénitude, c'est l'Adam Kadmon,

le Fils engendré, le Premier-né, l'Androgyne, l'Etre

Parfait… l'Homme-Dieu réalisé " à l'image " du Créateur

lorsque, par la manifestation de Sa seule volonté, " la Face

décida de contempler la Face ".

Il est bien le 2, contraction du 11, symbole de l'Unité-

Principe face à son reflet.

L'Adam avec un petit m,… c'est l'homme, tout

simplement. L'homme de chair et de sang. L'image de

l'Image. L'Adam du monde sensible, reflet éphémère de

son paradigme, l'AdaM Primordial et éternel du monde

absolu, auquel Dieu donna le pouvoir de créer, comme

Lui, par le Verbe.

Page 67: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

On sait ce qu'il advint. Mais par le jeu des miroirs, nous

gardons une part de l'Etincelle Divine. Il nous appartient

d'en sublimer le feu afin de retrouver le vrai sens du verbe

créatif.

C'est ce qu'avaient compris, bien avant nous, le Maître

Bâtisseur et le Maître Spagyriste, élevés tous deux à

l'école pythagoricienne et hermétiste :

- Adam est matière, nombre sensible et mesurable, Pierre

Brute et Pierre des Philosophes, corps terrestre.

- AdaM est esprit, Nombre Pur et absolu, Pierre

Cubique et Pierre Philosophale, corps céleste.

Dès lors, la voie était toute tracée : remonter de l'impur

vers le Pur, de l'Adam terrestre à l'AdaM céleste, répondre

à l'involution par l'évolution, c'est-à-dire l'élévation de

l'esprit, passage obligé de l'immanence à la transcendance.

Hermès et Pythagore en avaient déjà déterminé les

principes.

La Franc-Maçonnerie en fournira les outils : l'Equerre et le

Compas.

Nous avons essayé de retrouver les deux ADAM dans le

Temple. Deux remarques préliminaires s'imposent

cependant :

1°) La plupart des kabbalistes représentent le symbolisme

adamique dans le seul Temple de Salomon, ce qui les

conduit parfois à des résultats quelque peu déconcertants.

Ainsi sont-ils amenés, par le jeu des correspondances avec

le microcosme, à situer l'Autel des Holocaustes au beau

milieu du Sanctuaire !…

Peut-être n'avons-nous pas su saisir le message, mais il

nous a semblé évident que nous ne pouvions faire

l'économie de la consubstantialité " Temple de

Salomon/Temple Maçonnique ", le second étant le reflet

inverse du premier.

2°) Dans cette perspective, nous avons " redéployé "

l'Arbre Séphirique d'une manière différente, comme une

double colonne de part et d'autre de l'axe central des

DEUX temples. C'est là, reconnaissons-le, une vision très

personnelle. Et si elle peut étonner les puristes, elle n'a

cependant d'autre but que de rendre les choses plus

évidentes au Franc-Maçon.

Page 68: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Ainsi apparaît clairement la triple analogie :

. Sagesse (Hochma) de l'Esprit (Nechama) et Saint des

Saints (Debir)

. Force (Gebourah) du Corps (Nephesch)

et Vestibule (Oulam) ET Parvis-Loge Maçonnique

. Beauté (Tipheret) de l'Ame (Rouach)

et Sanctuaire (Hekal)

L'harmonie est totale.

Elle se poursuit dans la structure même des deux Grandes

Colonnes, où l'on retrouve la Sagesse et l'Intelligence

(Binah) dans la sphère, la Force et la Stabilité (Iesod) dans

le fût et la Beauté et la Grâce (Hessed) dans le chapiteau.

Quant aux embases, elles équilibrent le Royaume d'en-bas

(Malkout) entre le Calme (Hod) et le Mouvement

(Netzah), le Yin et le Yang dans le Tao.

Dès lors, l'unité trine des trois Grands Piliers de la Loge

Maçonnique se confond avec la trinité une de l'ADAM

dans le Temple, véritable " colonne vivante ".

Page 69: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

Car, on l'aura compris, ce qui vaut pour l'AdaM céleste du

Temple Salomonique (en rouge) vaut pour son reflet,

l'Adam terrestre du Temple Maçonnique (en bleu).

Pour l'un comme pour l'autre, on reconnaîtra, le long de

l'axe, les trois zones du schin (la tête créée du feu, Saint

des Saints), du mem (le ventre créé de l'eau, Vestibule) et

de l'Aleph (la poitrine créée de l'air " qui tient l'équilibre

entre eux ", Sanctuaire).

Schin, Mem, Aleph : schema.

Le schéma divin se décline dans le Temple et

dans l'Homme-Temple.

Enfin, toujours le long de l'axe, on notera que la Septième

Porte (la bouche) correspond à l'endroit précis où s'exerce

la Parole Divine : l'Arche d'Alliance dans le Saint des

Saints et le Volume de la Sainte Loi sur l'Autel de l'Orient

Maçonnique.

Ce sont des points de prononciation.

De même le cœur marque-t-il l'endroit exact de l'Autel des

Parfums dans le Sanctuaire et de l'Autel des

Serments (selon les Rites) au centre de la Loge.

N'ayant pas souhaité surcharger le dessin par la

superposition des deux ADAM, nous laissons le lecteur

entrevoir sans peine les points de génuflexion que

constituent les deux Autels, lieux d'offrande, d'humilité

devant le Tout-Puissant Créateur et de fidélité à Sa Parole.

Ultime remarque, et non des moindres car elle suscite en

nous une intense émotion : comment ne pas reconnaître

le Fils de la Veuve, Grand Architecte et Pilier Spirituel du

Temple qui en façonna les deux Grandes Colonnes dans

les terres glaises du Jourdain, et fit preuve d'une

inébranlable fidélité au dépôt sacré qui lui avait été

commis ?

Et comment ne pas reconnaître son émule, qui le

personnifie dans le Temple Maçonnique au cours d'une

des plus émouvantes cérémonies que nous offre notre

Rituel ?

Il y a là, nous le pensons, matière à une réflexion

profonde.

Elle conduit le Franc-Maçon spéculatif à la seule voie

possible pour retrouver les "mots de la Maîtrise" :

la maîtrise des mots.

La Parole et le Sens

Abracadabra !

Ce terme kabbalistique contient deux mots hébreux dont

l'étymologie se perd dans la nuit des temps : bara (créer)

et dabar (la Parole, l'Oracle, qui donna son nom au " Debir

Page 70: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

", le Saint des Saints du Temple de Salomon où reposait

dans l'ombre la Sainte Arche d'Alliance de Moïse

renfermant le Décalogue, c'est-à-dire les " Dix Paroles ").

Rien ne saurait mieux définir la Création par le Verbe.

Aujourd'hui, hélas, ce mot a perdu toute signification et n'a

d'autre but que de faire s'émerveiller les enfants. Nous

sommes bien loin de la Haute Magie des Grands Prêtres de

l'Ancienne Egypte.

Pourtant, nous en avons gardé la trace. Il ne s'agit pas, bien

sûr, de jouer les illusionnistes. Mais nous conservons,

ancrée au plus profond de notre mémoire collective,

l'empreinte première du processus divin de la Création :

pensée, verbe émané de la pensée, création émanée du

verbe.

Le Franc-Maçon de Tradition en fait régulièrement

l'expérience dans le Temple Maçonnique. Comment ? Par

l'exercice du Rituel. Le Rituel, parole émanée d'une pensée

traditionnelle et sémantique, est l'Outil par excellence, la

Matière Première de la " création consciente ".

Chaque mot y est une pierre liée à l'autre par le ciment de

l'esprit créatif. Il est un élément constitutif d'un tout, c'est-

à-dire d'un édifice structuré et structurant.

Il n'est pas étonnant, dès lors, que nos Planches, tracées ou

à tracer, soient considérées comme de véritables

" morceaux d'architecture ".

Par le symbolisme initiatique, le Rituel Maçonnique

réinvente l'art de bâtir à l'exemple de nos Anciens Frères

Opératifs et sert de modèle, de référence, pour la

construction de notre temple intérieur.

Très paradoxalement ce temple, où siège la Parole Sacrée,

est fait de silence. Un silence primitif où germe le sens.

Car à l'image de celle du Créateur, notre parole se forge

dans le silence de la pensée consciente. Sans cette pensée,

elle est vide de sens et n'est que pure spéculation. Sous les

pointes du Compas, elle devient spéculation pure,

constructive et vivifiante.

Spéculer, c'est donc donner du sens par la parole. Acte

volitif, prélude indispensable à l'acte créatif. Et donner du

sens, donc tendre vers la création, c'est offrir. Mieux

encore : dédier.

" Daigne, Père Tout-Puissant, Maître Suprême de

l'Univers, étendre Ta protection sur nos Travaux et

accorder à ce candidat à la Franc-Maçonnerie de dédier

et de consacrer sa vie à Ton service afin qu'il devienne un

Frère loyal et fidèle parmi nous. "

Telle est la vibrante invocation que chacun d'entre nous a

pu entendre le soir de son Initiation. Elle nous exhorte à ne

jamais oublier cette grande vérité : créer par le verbe c'est,

Page 71: L'Harmonie du Monde (livre maçonnique)

au nom du devoir sacré de mémoire, mettre nos actes en

parfaite conformité avec notre parole.

Avec, toujours en filigrane, l'éternelle et lumineuse

vibration du Verbe Divin.

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