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L'ÉVOLUTION DU CONSTITUTIONNALISME EN AFRIQUE : DU FORMALISME À L'EFFECTIVITÉ Albert Bourgi P.U.F. | Revue française de droit constitutionnel 2002/4 - n° 52 pages 721 à 748 ISSN 1151-2385 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2002-4-page-721.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Bourgi Albert, « L'évolution du constitutionnalisme en Afrique : du formalisme à l'effectivité », Revue française de droit constitutionnel, 2002/4 n° 52, p. 721-748. DOI : 10.3917/rfdc.052.0721 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour P.U.F.. © P.U.F.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Laurentian University - - 142.51.1.212 - 01/11/2013 10h51. © P.U.F. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Laurentian University - - 142.51.1.212 - 01/11/2013 10h51. © P.U.F.

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L'ÉVOLUTION DU CONSTITUTIONNALISME EN AFRIQUE : DUFORMALISME À L'EFFECTIVITÉ Albert Bourgi P.U.F. | Revue française de droit constitutionnel 2002/4 - n° 52pages 721 à 748

ISSN 1151-2385

Article disponible en ligne à l'adresse:

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Bourgi Albert, « L'évolution du constitutionnalisme en Afrique : du formalisme à l'effectivité »,

Revue française de droit constitutionnel, 2002/4 n° 52, p. 721-748. DOI : 10.3917/rfdc.052.0721

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La nature des régimes politiques et l’ordonnancement constitution-nel ont été, au cours des dernières années (et singulièrement depuis1990-1991) au centre des débats politiques en Afrique. Le souvenir desturpitudes de trois décennies d’exercice autoritaire du pouvoir a conduit,ce qu’on pourrait appeler pour la commodité de l’exposé, les forces duchangement, à prêter une attention plus soutenue à l’élaboration desnouvelles règles constitutionnelles1. Un peu partout sur le continent, etquel que soit le mode de transition2 utilisé, l’objectif était le même :créer les conditions de construction d’un nouvel édifice institutionnelgarant de l’équilibre des pouvoirs et de l’instauration de l’État de droit3.La Constitution, désormais considérée comme le dernier rempart contreles dérives « présidentialistes » de naguère, devait ainsi permettre d’as-surer le respect des libertés fondamentales et le bon fonctionnement dupluralisme retrouvé.

L’autorité conférée à la Constitution, comme fondement du pouvoir,donne désormais tout leur sens aux principes et à un ordonnancement

Albert Bourgi, professeur de droit public à l’Université de Dijon.1. Cf. Les Constitutions africaines publiées en langue française, tomes I et II. Textes ras-

semblés et présentés par J. du Bois de Gaudusson, G. Conac et Ch. Desouches, Paris, LaDocumentation française, 1997 et 1998 ; H. Roussillon, Les nouvelles Constitutions africaines,Presses de l’IEP de Toulouse, 1995 ; A. Cabanis et M.-L. Martin, Les Constitutions d’Afriquefrancophone. Évolutions récentes, Paris, L’Harmattan, 1999.

2. L’Afrique en transition vers le pluralisme politique (sous la direction de Gérard Conac),Paris, Économica, 1993 ; J.-P. Daloz et P. Quantin (études réunies et présentées par), Lestransitions démocratiques africaines : dynamiques et contraintes, Paris, Karthala, 1997 ; G. Conac,« Quelques réflexions sur les transitions démocratiques en Afrique ». Communication pré-sentée au colloque organisé par l’Organisation internationale de la francophonie sur « Lestransitions démocratiques en Afrique » (Cotonou, 19-23 février 2000).

3. Pour une synthèse de cette notion, voir la thèse de Marcelin Nguele Abada, État dedroit et démocratisation. Contribution à l’étude de l’évolution politique et constitutionnelle du Came-roun, Université Paris I, 1995 ; voir aussi G. Conac, in L’État de droit, Mélanges en l’honneurde Guy Braibant, Paris, Dalloz, 1996, p. 106 et s.

L’évolution du constitutionnalisme en Afrique :du formalisme à l’effectivité

ALBERT BOURGI

Revue française de Droit constitutionnel, 52, 2002

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empruntés à la Constitution de la Ve République. Il en est ainsi égale-ment des règles de séparation des pouvoirs, de l’affirmation plus mar-quée du pouvoir judiciaire ou encore de la consécration du poste de Pre-mier ministre et de la délimitation des domaines respectifs de la loi oudu règlement4.

L’influence de la Ve République sur les systèmes politiques africainsfrancophones, plus de quarante après la promulgation de la Constitutiondu 4 octobre 1958, renvoie inévitablement aux origines mêmes duconstitutionnalisme africain. Le processus d’accession à l’indépendancedes anciennes colonies françaises, loin d’être freiné par la création, en1958, de la Communauté, comme on aurait pu a priori le penser, s’estaccéléré avec la mise en place des nouvelles institutions. Il s’est en faitengagé dès le début de 1960 avec la proclamation de l’indépendance dela Fédération du Mali5.

Les liens avec la France restant très forts, la culture politique et juri-dique des nouveaux dirigeants africains étant avant tout française (laplupart d’entre eux l’avaient acquise sur les bancs des Assemblées oudans les rangs des gouvernements français), tout concourt à expliquerque les premières Constitutions africaines furent le plus souvent, àquelques variantes près, un simple décalque du texte de 1958.

S’il en est allé ainsi, c’est aussi pour des raisons politiques : le sys-tème créé à partir des idées exprimées depuis longtemps par le généralde Gaulle convenait parfaitement aux premiers présidents africains quise voyaient ainsi, en toute légitimité successorale, investis de pouvoirstrès importants, leur permettant, entre autres, de canaliser le travail desjeunes Assemblées parlementaires.

L’édifice était pourtant fragile et, dans la plupart des cas, la greffe –plus téméraire sans doute qu’on ne l’avait imaginé – ne prit pas6. Trèsvite, les Constitutions furent mises en sommeil, quand les gouverne-ments civils n’étaient pas tout simplement renversés par des coupsd’État. Le parti unique s’est finalement imposé partout, y compris dansles pays qui, comme la Côte-d’Ivoire, avaient gardé le principe du plura-lisme politique dans leur Constitution.

Le mouvement fut tellement général qu’il suscita des réflexions plusou moins désintéressées sur le pouvoir en Afrique, sa nature et son exer-cice. L’inspiration française étant, tout compte fait, le legs d’une histoireassez récente, c’est dans l’Afrique profonde qu’il fallait également recher-

4. Cf. A. Bourgi, Communication au colloque « Lecture et relecture de la Constitution dela Ve République » organisé par l’Association française des constitutionnalistes et l’Associa-tion française de science politique (Paris, 7-8-9 octobre 1998), « La réalité du nouveauconstitutionnalisme africain ».

5. Voir A. Bourgi, communication au colloque, L’avènement de la Ve République : entre nou-veauté et tradition (Reims, 5-6 octobre 1998), « La France et l’Afrique en 1958 ».

6. B. Badie, L’État importé, Essai sur l’occidentalisation de l’ordre politique, Paris, Fayard,1992.

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cher les racines d’une démocratie « authentique », terme dont le sub-stantif servira bientôt de slogan. Or le chef africain, s’il ne cesse de s’en-tourer de conseillers, s’il use et abuse de la palabre, s’efforçant ainsi deparvenir au consensus le plus large, ne se soumet à personne : en défini-tive, c’est lui, et lui seul, qui décide7. L’ancien Président sénégalais lui-même, Léopold Sédar Senghor, entonnera cette antienne et la résumeraainsi : « il n’y a pas de place pour deux caïmans dans un même marigot ».

Si l’objectif que s’étaient assignés les jeunes États, promouvoir undéveloppement rapide de leurs sociétés au plan économique et social,avait été atteint, les nouveaux régimes auraient peut-être perduré et lepluralisme politique, parfois décrit comme un luxe, n’aurait guère étéd’actualité. Or il n’en fut rien et l’échec de l’autoritarisme fut à lamesure de l’aggravation de la situation économique de la quasi-totalitédes pays africains et, pire encore, des difficultés de survie qu’ont souventconnues les populations du continent.

Même si le retour du constitutionnalisme en Afrique francophone n’apas toujours coïncidé avec la vague mondiale de démocratisation qui asuivi la chute du mur de Berlin, c’est toutefois à partir de 1990 que lemouvement va se généraliser. Il a ouvert la voie à un constitutionnalismeporté à la fois par un réveil de la société civile, des « forces vives » de laNation comme on disait alors à Madagascar, et par des exigences tou-jours plus pressantes des bailleurs de fonds internationaux, soucieux dela sécurité des investissements.

Avec les nouvelles Constitutions, les régimes politiques se sontdiversifiés et certains d’entre eux se sont éloignés du modèle français de19588. Mais quelle que soit leur variété, ces Constitutions demeurent,notamment dans les techniques mises en œuvre, très marquées par laConstitution de 1958. Elles reproduisent souvent ses équilibres et s’atta-chent à reprendre les règles éprouvées du parlementarisme rationalisé.

Mais par-delà ce mimétisme qui ne se réduit plus au seul modèlefrançais (les emprunts sont désormais plus diversifiés, et ils sont toutautant africains que non africains), le nouveau constitutionnalisme afri-cain9 s’incarne dans un double mouvement indissociable l’un de l’autre.Il s’agit d’une part de l’irruption du constitutionnalisme dans le débatdémocratique, d’autre part de la consécration de la justice constitution-nelle. Mais la réalité de ces changements ne saurait dissimuler les mul-

7. Sur le phénomène de personnalisation du pouvoir en Afrique, voir G. Conac, « Portraitdu chef de l’État », in Les pouvoirs africains, Pouvoirs, n° 25, 1983, p. 121 ; égalementJ.-F. Médard, « La spécificité des pouvoirs africains », ibid., p. 20.

8. Voir entre autres Y. Mény, Les politiques du mimétisme institutionnel. La greffe et le rejet,L’Harmattan, Paris, 1993. P.-F. Gonidec, qui évoque « le suivisme, voire le servilisme afri-cain dans le domaine constitutionnel », in « Constitutionnalismes africains », RJPIC, n° 1,janvier-avril 1996, p. 49.

9. Dans son manuel « Droit constitutionnel et institutions politiques », Paris, Montchré-tien, 16e édition, 1999, p. 371, Jean Gicquel parle de « regain constitutionnel africain ».

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tiples ambiguïtés qui entourent encore le discours sur la légalité consti-tutionnelle10 et les non moins nombreux artifices dont est parfois paréela référence constante à l’État de droit.

I – L’IRRUPTION DU CONSTITUTIONNALISMEDANS LE DÉBAT DÉMOCRATIQUE

C’est dans la force du droit que les acteurs politiques engagés dansles processus de démocratisation ont tenté de trouver les voies et lesmoyens d’introduire de véritables changements. En témoigne, parexemple, la grande place qu’ont occupée les questions constitutionnelleslors des travaux des Conférences nationales11 censées marquer la ruptureavec l’ordre politique ancien, ou encore les débats houleux, parfoiscontroversés et toujours passionnés auxquels a partout donné lieu larédaction des nouvelles Lois fondamentales12. Dans pareils cas (au Bénin,au Mali, au Congo ou du moins dans la version politique antérieure à laguerre civile de 1997, voire à Madagascar), les nouvelles Constitutionsont inauguré « l’ère de la démocratie » et ont été le prélude à la mise enplace des institutions pluralistes et à la tenue des scrutins présidentiels,législatifs et communaux.

Ailleurs, notamment dans les pays où il n’y eut pas de conférencenationale (Sénégal, Côte-d’Ivoire, Cameroun), les changements poli-tiques ont été mesurés, à différentes périodes, soit à l’aune des révisionsconstitutionnelles, même lorsque celles-ci portaient en fait la marque desimples aménagements techniques, soit par l’adoption de nouvellesConstitutions. En Côte-d’Ivoire, la décision prise, le 30 avril 1990, parl’ancien Président Félix Houphouët-Boigny, d’instaurer le multipartismea simplement conduit à légaliser les partis politiques sur la base de l’ar-

10. Pendant longtemps, les Constitutions n’ont eu aucune efficacité. Pour MauriceKamto, cette non-effectivité « tenait autant à la transcendance du pouvoir qu’au blocageculturel et politique », in Pouvoir et droit en Afrique Noire : essai sur les fondements du constitu-tionnalisme dans les pays d’Afrique noire francophone, Paris, LGDJ, 1987, p. 439.

11. Il existe une abondante littérature sur ce qui a constitué sans doute l’une des grandesoriginalités du mouvement démocratique. On a dit tout et son contraire à propos de cesAssemblées qui rappelaient les « États généraux » de la Révolution française et ont symbo-lisé, parfois jusqu’à la caricature, la liberté de parole retrouvée. Par-delà les controverses etles critiques sur leur mode d’organisation, leurs procédures parfois surréalistes, la durée desassises (allant de 10 jours au Bénin à 16 mois dans l’ex-Zaïre), leur caractère « souverain »,les Conférences nationales ont incarné la profonde aspiration aux changements des popula-tions africaines. Voir les nombreuses communications présentées lors de la Conférence sur« le bilan des Conférences nationales et autres processus de transition démocratique enAfrique » organisée par l’Agence intergouvernementale de la Francophonie (Cotonou,Bénin, 19-23 février 2000).

12. Cf. P. Manga, Réflexions sur la dynamique constitutionnelle en Afrique, RJPIC,1998, p. 46-69.

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ticle 7 de la Constitution, tel qu’il était libellé depuis 196013. C’est àune démarche identique qu’a procédé le pouvoir camerounais, en annon-çant son intention de reconnaître le multipartisme. Dans ce pays, commeen Côte-d’Ivoire, le système de parti unique, ayant eu cours pendant prèsde trente ans, n’avait aucun fondement constitutionnel, contrairement àce qui était le cas dans la plupart des autres États africains.

A la limite, la nature (présidentielle, semi-présidentielle ou mêmeparlementaire) du régime instauré par les textes constitutionnels adoptésdans le sillage des processus de démocratisation importe peu. Qu’ici oulà, les pouvoirs du Président de la République soient étendus ou réduitsau profit du Premier ministre n’a guère d’importance dès lors que laConstitution prévoit des contre-pouvoirs et que ces derniers sont enmesure de jouer, pour défendre la primauté du Droit.

A – LA POLITISATION DES DEBATS CONSTITUTIONNELS

Il est révolu le temps où les dirigeants ne tenaient aucun compte desaspirations de leurs peuples et considéraient comme des « chiffons depapier » les Constitutions et les règles fondamentales qui y étaient énon-cées. Les Constitutions pour cohérentes, voire séduisantes qu’elles étaientsur le plan formel et sur celui de l’affirmation ou de la consécration desgrands principes – reprenant parfois à la lettre des articles de la Consti-tution française du 4 octobre 1958 – étaient dans la pratique réduites àleur plus simple expression. Cela était d’autant plus vrai que les régimesmilitaires qui succédèrent souvent aux pouvoirs civils n’éprouvèrentguère le besoin, du moins dans un premier temps, de parachever leurvictoire politique, par l’adoption de nouvelles Constitutions. De nom-breux pays, comme le Bénin ou le Congo (Brazzaville), vécurent long-temps sous le règne des ordonnances provisoires qui pour l’essentielconféraient le pouvoir à un homme ou à un groupe de militaires14. Teln’est plus le cas désormais.

Outre qu’elles consacrent le phénomène pluraliste et l’avènement del’État de droit, les nouvelles Constitutions sont devenues des référencesmajeures dans la vie politique. Leur respect est souvent au centre desdébats politiques, et leur violation éventuelle est de plus en plus contes-tée publiquement, voire sanctionnée par les juridictions constitution-nelles même lorsqu’elle est le fait de l’Exécutif et tout particulièrementdu Président de la République.

Ce qui était impensable il y a seulement quelques années est devenumonnaie courante aujourd’hui. Les Constitutions sont désormais perçues

13. Voir J. du Bois de Gaudusson, G. Conac et Ch. Desouches, déjà cité, tome I, p. 268.14. Cf. M. Kamto, Pouvoir et Droit en Afrique Noire. Essai sur les fondements du constitution-

nalisme dans les États d’Afrique Noire francophone, Paris, LGDJ, 1987, p. 278 et s.D

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pour ce qu’elles sont, pour ce qu’elles auraient toujours dû être : le fon-dement de toute activité étatique. C’est à partir des nouvelles règlesqu’elles sont venues poser, et des compétences qu’elles ont fixées, que lavie politique s’ordonne et que les différents scrutins sont organisés. Cetteréalité tranche avec la désinvolture que les dirigeants affichaient jusquelà à l’égard des textes considérés au mieux comme des concessions faitesau discours sur la légalité constitutionnelle attendu par les bailleurs defonds internationaux, au pire comme de simples faire valoir juridiques.

Dans un contexte de « juridicisation des débats politiques »15, l’affir-mation constitutionnelle des droits et libertés des citoyens prend unautre relief. Au-delà de la charge symbolique de telle ou telle dispositionconstitutionnelle (comme par exemple celle qui reconnaît « le droit dedésobéissance et de résistance des citoyens à l’égard d’une autorité illégi-time issue d’un coup d’État »), les articles relatifs à la protection desDroits de l’homme, comme ceux concernant les mécanismes prévus pouren assurer le respect, participent de la confiance désormais placée dans lanorme juridique.

Même lorsque la tentation est forte chez certains dirigeants de reve-nir à des pratiques autoritaires et de s’octroyer des attributions pluslarges, ils sont le plus souvent contraints de leur conférer un fondementjuridique et de leur donner une apparence de conformité avec la Consti-tution. On constate ainsi depuis deux ou trois ans une tendance àremettre en cause quelques acquis politiques de la période de contesta-tion des pouvoirs personnels. Une fois encore – et sans nécessairement yvoir, comme naguère, le signe irréversible d’une dévalorisation pérennedu droit – de telles pratiques montrent que les risques d’une instrumen-talisation de la Constitution sont réels. La logique de restauration del’autoritarisme qui semble poindre, ici ou là, n’a cependant pas, pourl’heure du moins, remis en question le primat de l’ordonnancement juri-dique sur l’ordonnancement politique.

Au Gabon, au Burkina-Faso, au Cameroun, au Sénégal et en Côte-d’Ivoire, pour ne prendre que ces exemples, la Constitution a été ainsiremaniée à plusieurs reprises au cours des dernières années, notammentdans ses dispositions touchant tantôt à la durée du mandat présidentiel(passant le plus souvent de 5 à 7 ans), tantôt au nombre de mandats quele Président de la République peut accomplir, tantôt aux rapports entrece dernier et le Premier ministre, ou tout simplement entre l’Exécutifincarné par le seul chef de l’État et le Parlement.

A cet égard, le but recherché est de lever l’obstacle du nombre limitéde mandats présidentiels (deux, en général) que les constituants, surtoutlorsqu’ils intervenaient dans le cadre d’une Conférence nationale, avaient

15. J. du Bois de Gaudusson, « Les solutions constitutionnelles des conflits politiques »,in Afrique contemporaine, numéro spécial, 4e trimestre 1996, p. 252.

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voulu instaurer. La voie parlementaire utilisée pour retoucher la Loi fon-damentale (même lorsque la majorité à la Chambre des députés est dumême bord politique que le Président) n’a pas étouffé le débat sur laquestion, encore moins fait taire les critiques que celle-ci peut provo-quer. Cette évolution n’est sans doute pas étrangère à l’émergence descènes politiques plus ouvertes, où les partis, à défaut d’être toujoursreprésentés au Parlement, ont une grande capacité de mobilisation, elle-même relayée par une presse plus libre et plus audacieuse. Il n’est plusrare que les questions constitutionnelles figurent parmi les principauxsujets de contestation et qu’elles provoquent même des manifestationspopulaires ou des marches de protestation. Ce fut notamment le cas enCôte-d’Ivoire, en 1998. A l’appel des principales formations d’opposi-tion, plusieurs milliers de manifestants ont ainsi défilé cette année làdans les rues d’Abidjan pour protester contre la modification de laConstitution. Cette contestation visant une vaste réforme de la Consti-tution introduite par le chef de l’État ivoirien (pas moins d’une cin-quantaine d’articles sur les soixante-seize que comptait la Loi fondamen-tale étaient concernés) illustrait les progrès enregistrés sur le terrain dela légalité constitutionnelle. Pendant plusieurs mois, les partis poli-tiques d’opposition ont porté sur la place publique leur querelle avec lepouvoir, à propos notamment de l’extension des compétences du chef del’État, prévue par le projet de révision de la Constitution.

Ce qui est intéressant à relever ici, c’est moins la teneur des disposi-tions de la Constitution ivoirienne révisée, qui faisaient du Président« détenteur exclusif du pouvoir exécutif » un monarque républicain, quela référence permanente à la Loi fondamentale. Cette dernière est deve-nue au fil des ans en elle-même un véritable enjeu politique, et cetteévolution est révélatrice de la perception que l’opinion africaine en géné-ral et les acteurs politiques en particulier ont des lois fondamentales16. Adéfaut d’être en mesure d’empêcher l’Assemblée, au sein de laquelle leparti « présidentiel » est largement majoritaire, de voter le projet de loiportant révision de la Constitution soumis par le Président de la Répu-blique, les députés de l’opposition ont mené une véritable guérilla par-lementaire, notamment au sein de la Commission des affaires généraleset institutionnelles.

C’est également du « calcul politicien » destiné à conforter la pré-pondérance présidentielle que ressortissaient les nombreuses révisionsqu’avait subies la Constitution camerounaise de 1972. A plusieursreprises, et notamment en 1975, en 1979, en 1989 et en 1984, la Loifondamentale a été remaniée dans ses dispositions concernant les rap-ports entre le Président de la République et le Premier ministre, dans le

16. Voir Y.-A. Faure, « Les Constitutions et l’exercice du pouvoir en Afrique Noire »,Politique africaine, n° 1, janvier 1981.

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seul but de prémunir le premier contre toute velléité « d’autonomiepolitique » du second. Deux ans à peine après avoir en tant que Premierministre succédé de plein droit, et jusqu’au terme de son mandat, auchef de l’État démissionnaire, Paul Biya supprimera purement et sim-plement la fonction. Contraint en 1991 d’amender la Loi fondamentale,dans le sens d’un fonctionnement pluraliste des institutions (le gouver-nement était désormais responsable devant le Parlement) ce dernier s’estefforcé, par la révision du 18 janvier 1996, d’affirmer son autorité sur« le chef du gouvernement qui est chargé (article 11, alinéa 1) de la miseen œuvre de la politique de la Nation telle que définie par le Présidentde la République »17.

Les événements de Côte-d’Ivoire d’octobre 2000 et l’alternance inter-venue au Sénégal ont une nouvelle fois démontré l’irruption du consti-tutionnalisme dans le débat politique. En Côte-d’Ivoire, c’est autour ducontenu de la Constitution (notamment à propos des conditions d’éligi-bilité à la présidence de la République prévues à l’article 35) que s’estcristallisée la crise politique. Par-delà la solution finalement retenuedans le projet soumis au referendum le 23 juillet 2000 (adopté à plus de86 % des suffrages exprimés) et la controverse autour de la mise à l’écartde certains candidats, cette phase constitutionnelle a constitué le tempsfort des changements qui ont abouti à l’élection d’un nouveau Présidentde la République, le 22 octobre 2000. Au Sénégal, l’adoption d’unenouvelle Constitution a symbolisé la promesse « d’une nouvelle ère poli-tique » faite par le nouveau chef de l’État, Abdoulaye Wade.

Ces péripéties qu’ont connues les institutions ivoiriennes, camerou-naises, voire gabonaises ne sauraient toutefois faire oublier que l’un desprincipaux acquis du mouvement constitutionnel engagé à partir de1990-1991 est bel et bien l’avènement de l’État de droit. Si à bien deségards les Constitutions de la période considérée n’innovent pas dansleur formulation par rapport aux textes anciens, elles s’en différencientpar la force (pratique) désormais attachée aux règles de droit qui y sonténoncées. Certes, un examen exhaustif des situations qui prévalent enAfrique subsaharienne fait encore ressortir de nombreux manquements àl’État de droit, et autant d’atteintes aux libertés individuelles et collec-tives. Ici et là, les belles proclamations sur le respect des Droits del’homme, sur l’indépendance du pouvoir judiciaire, ou encore sur la por-tée du suffrage universel continuent de se heurter à des réalités moinsnobles. L’actualité la plus immédiate nous offre, hélas, de nombreuxexemples de pratiques contrevenant à la liberté d’expression ou à l’égalaccès à la justice, et qui, d’une manière plus générale, sont à l’opposé deslois les plus élémentaires de la démocratie. Mais ces maux, pour réels

17. Cf. Nguélé M. Abada, « Ruptures et continuités constitutionnelles en République duCameroun : réflexions à partir de la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 », Revuejuridique et politique, septembre-décembre 1996, p. 272-293.

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qu’ils soient et que reflètent les nombreux dysfonctionnements des appa-reils judiciaires, ne doivent pas masquer le nouveau pas franchi par l’ins-tauration de juridictions constitutionnelles. Ces dernières ont petit àpetit réussi à s’imposer face à des Exécutifs désormais plus attentifs àleurs prérogatives, et à faire valoir à travers leurs décisions, désormaissuivies d’effets, la suprématie de la Constitution – ce qui n’a pas empê-ché une prééminence récurrente de la fonction présidentielle.

B – L’AFFIRMATION DE LA PRÉÉMINENCE PRÉSIDENTIELLE

La prééminence du Président de la République dans le constitution-nalisme « démocratique » africain renvoie à première vue à ce qui étaitprévu dans les Lois fondamentales de l’époque autoritaire. Aujourd’huicomme hier, et à quelques différences près (concernant notamment ladurée du mandat présidentiel et la clause de limitation des mandats), lafonction présidentielle est au cœur du dispositif institutionnel. Le statutet les vastes attributions qu’elle recouvre illustrent toujours le rôle essen-tiel dévolu à l’Exécutif (qu’il soit bicéphale ou monocéphale) dans lanouvelle répartition des pouvoirs. Mais cette similitude formelle ne rendpas compte de tous les changements induits par le nouvel ordonnance-ment constitutionnel. Sous l’effet du pluralisme incarné, entre autres,par une représentation parlementaire reflétant mieux les diverses sensi-bilités politiques, de l’émergence des libertés publiques, et de l’affirma-tion du pouvoir judiciaire, l’exercice du pouvoir obéit désormais à desparamètres qui n’avaient guère cours précédemment.

Dans les textes, mais aussi et surtout dans la pratique, le chef del’État doit aujourd’hui composer avec un Parlement (le plus souventmonocaméral) doté d’une légitimité conférée par le suffrage universel, etavec un pouvoir judiciaire, en général la justice constitutionnelle, qui estparvenue à imposer son indépendance au pouvoir politique18. La diversitéet les incertitudes des compétitions électorales ont, de fait, transformétout le paysage institutionnel et instauré des contraintes dans l’exercicedu pouvoir. Même là où la réalité politique demeure encore bien éloi-gnée des règles constitutionnelles, l’existence de contre-pouvoirs, stimu-lés par exemple par l’exercice réel des certaines libertés, permet éven-tuellement d’atténuer les excès de l’autoritarisme.

En règle générale, les nouvelles Constitutions ou les révisions consti-tutionnelles19 mises en œuvre dans le sillage des processus de démocrati-

18. Pour le Bénin, souvent cité en exemple, pour le rôle joué par la Cour constitution-nelle (infra), voir M. Glele-Ahanhanzo, « Le renouveau constitutionnel du Bénin : uneénigme ? », in Mélanges Michel Alliot, PUF, Paris, 2000.

19. Après les changements constitutionnels intervenus en Côte-d’Ivoire (2000) et auSénégal (2001), le Cameroun est à ce jour le seul pays d’Afrique francophone à s’être tenu àla seule révision de la Loi fondamentale.

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sation donnent toujours la préséance au pouvoir exécutif incarné essen-tiellement par le chef de l’État. La place de ce dernier y est d’autant plusprépondérante que sa légitimité se fonde désormais sur une élection ausuffrage universel prêtant moins à contestation qu’à l’époque du partiunique. Le rôle du Président de la République va bien au delà de la fonc-tion d’arbitre retenue par la Constitution française de la Ve République20

et que vient relativiser, en certaines circonstances politiques, la placeaccordée au gouvernement.

Les dispositions relatives au Président de la République renvoientpour l’essentiel à ce qui est inscrit dans la plupart des Constitutionsmodernes. C’est vrai aussi bien du statut que du mode d’élection (au suf-frage universel), ou encore des attributions classiques dévolues au chef del’Exécutif. On y retrouve les mêmes formulations que dans la Constitu-tion française – elles étaient déjà présentes dans les textes adoptés au len-demain des indépendances. En tant que « gardien de la Constitution, ilincarne l’unité nationale. Il est le garant de l’indépendance nationale, del’intégrité du territoire, du respect des traités et accords internationaux.Il veille au fonctionnement régulier des pouvoirs publics et assure lacontinuité de l’État ». Le mandat présidentiel de cinq ans, renouvelableune seule fois est aujourd’hui la règle. Celle-ci souffre encore de quelquesrares exceptions tant en ce qui concerne la durée du mandat que la clauserestrictive du nombre de mandats (au Gabon, par exemple, le Présidentde la République est élu pour sept ans et rééligible sans limitation).

Les Constitutions font du chef de l’État la clé de voûte de l’édificeinstitutionnel. Ses attributions recouvrent la présidence habituelle duConseil des ministres et font de lui le chef des armées et le président duConseil supérieur de la magistrature. Il peut sous réserve de la consulta-tion de certaines autorités (le plus souvent le Premier ministre et le pré-sident de l’Assemblée nationale) prononcer la dissolution de l’Assembléenationale.

Dans tous les cas, la prépondérance présidentielle ressort aussi despouvoirs qui reviennent au chef de l’État dans « les circonstances excep-tionnelles », identiques à celles de l’article 16 de la Constitution fran-çaise. C’est de la même logique de l’affirmation de la fonction de chef del’État que procède la faculté qui lui est reconnue, selon, par exemple, laConstitution malienne significative d’une tendance générale, de recourirau referendum, sous réserve de certains avis pour « toute question d’in-térêt national, tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirspublics… ».

Toutefois, les attributions du Président de la République, aussi éten-dues soient-elles, doivent désormais être appréciées à l’aune des préroga-

20. Cf. à ce propos L. Favoreu et autres, Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 1998, p. 616et s.

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tives reconnues au gouvernement et surtout au Premier ministre. Laconsécration du poste de Premier ministre, après les expériences viterefermées de successorat présidentiel au Sénégal et au Cameroun21, consti-tue l’une des innovations principales du nouveau constitutionnalismeafricain. Si ce changement institutionnel ne remet pas fondamentale-ment en cause le rôle essentiel du chef de l’État, que l’actuelle Constitu-tion ivoirienne22 du 1er août 2000 désigne encore comme le « détenteurexclusif du pouvoir exécutif » (article 41, alinéa 1), il ouvre néanmoinsla voie (encore timide) à un rééquilibrage au sein de l’Exécutif.

A s’en tenir à la lettre de la plupart des Constitutions, le Premierministre et le gouvernement ont vocation à exercer leurs compétencessous l’autorité du Président de la République. Même si les formules rete-nues pour exprimer cette primauté varient d’une Constitution à uneautre, elles traduisent toutes, parfois de manière confuse, le souci de pré-server l’autorité présidentielle.

Il existe, en gros, deux cas de figure. Le premier reprend, sinon lalettre exacte, du moins l’esprit de l’article 20 de la Constitution françaisede 1958, mais au profit du chef de l’État. Si les Constitutions ivoirienneet sénégalaise ne s’embarrassent pas de formules alambiquées pour affir-mer, l’une que « le Président de la République détermine et conduit lapolitique de la Nation », l’autre « qu’il détermine la politique de laNation », la plupart des autres textes utilisent d’autres rédactions pouraboutir au même résultat. C’est le cas de la Constitution du Burkina-Faso où le chef de l’État « fixe les grandes orientations de la politique del’État », de celle du Cameroun où « il définit la politique de la Nation »,ou encore de celle du Gabon qui dit que « le gouvernement conduit lapolitique de la Nation sous l’autorité du chef de l’État et en concertationavec lui ».

Le second cas de figure concerne les lois fondamentales (congolaise,avant la guerre civile de 1997, malgache, malienne, nigérienne et togo-laise) qui octroient au gouvernement des pouvoirs qui se situent un peudans la lettre et l’esprit de l’article 20 de la Constitution française. Maisla portée de telles dispositions doit être reliée au contexte de politiqueintérieure dans lequel les Constitutions ont été préparées et adoptées.Elles traduisaient, lors de leur élaboration, plus une défiance à l’égarddes pouvoirs contestés ou renversés qu’elles n’impliquaient, comme lapratique ultérieure l’a montré, une réelle volonté de bouleversementinstitutionnel.

21. Il convient de noter qu’après avoir accédé au pouvoir (successivement en 1981 et en1982) dans le cadre du successorat présidentiel mis en place par leurs prédécesseurs Senghoret Ahidjo, Abdou Diouf du Sénégal et Paul Biya du Cameroun, ont vite fait de supprimerles dispositions des Constitutions prévoyant ce type de succession constitutionnelle. Voir àce sujet M. Kamto, « Le dauphin constitutionnel dans le régime politique africain : le casdu Cameroun et du Sénégal », Penant, n° 781-782, 1983.

22. Journal officiel de la République de Côte-d’Ivoire du 3 août 2000, p. 529-538.D

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Pour le constituant africain il importait peu que la rédaction des dis-positions relatives aux rapports entre le Président de la République et legouvernement puissent prêter à diverses interprétations. L’essentiel étaitd’en préserver l’esprit, à savoir que le Premier ministre et le gouverne-ment ont avant tout en charge la gestion quotidienne de l’État. C’estdire qu’on était loin, originellement au moins, d’une formulation à lafrançaise induisant une réduction des pouvoirs du Président de la Répu-blique et l’instauration d’une sorte de dyarchie de l’Exécutif.

Mais d’une manière générale et quel que soit le libellé retenu, la por-tée de cette constitutionnalisation du Premier ministre, chef du gouver-nement, demeure très limitée. Dans les faits, et ce constat est vrai pourla totalité des États, le Premier ministre reste dans une situation dedépendance politique par rapport au chef de l’État. Ce dernier est le plussouvent le chef du parti majoritaire dans le pays et à l’Assemblée natio-nale et celui dont le Premier ministre est presque toujours issu. Pourbien marquer son emprise politique, le Président de la République n’hé-site d’ailleurs pas à conserver la direction de son parti, et à assurer ainsila répartition des rôles au sein du gouvernement.

Une cohabitation à la française, pour possible qu’elle soit dans l’ab-solu, est restée rare en Afrique subsaharienne. Si Madagascar et le Bénin(il est vrai dans un contexte institutionnel très différent pour ce dernierpays23) l’ont expérimentée sans accroc majeur pour le second au moins, iln’en fut pas de même au Niger sous l’empire de la Constitution adoptéele 26 novembre 1992. Le conflit permanent entre les pôles de l’Exécutif,issus de familles politiques différentes, a très vite conduit à une impasseinstitutionnelle24 et a surtout ouvert la voie à un coup d’État militaire,en janvier 1996. Après un intermède de trois ans d’un pouvoir d’excep-tion où, selon la Constitution qui le régissait, « le Président de la Répu-blique est le chef du gouvernement » (article 46) « et nomme le Premier

23. Le poste de Premier ministre n’est pas prévu dans la Constitution béninoise de 1990qui instaure un véritable régime présidentiel caractérisé par une nette séparation des pou-voirs. Le chef de l’État, par ailleurs « chef de gouvernement » (dont il nomme, après unsimple avis consultatif du Bureau de l’Assemblée nationale, les membres et met fin à leursfonctions) a en revanche, souvent été contraint (et c’est encore le cas aujourd’hui) de com-poser avec une majorité parlementaire qui lui est hostile. En réalité depuis 1991, c’est-à-diredepuis l’organisation des premières élections pluralistes dans ce pays, il n’y a pas eu deconcordance entre majorité présidentielle et majorité parlementaire. Cette situation n’estpas étrangère à l’émiettement de la représentation parlementaire : près d’une vingtaine departis se partage, en effet, les 83 sièges de l’Assemblée nationale. A plusieurs reprises, laCour constitutionnelle a été amenée, avec succès, à régler les conflits d’attribution entre lepouvoir exécutif et l’Assemblée nationale, et à exercer ainsi pleinement sa fonction arbitrale(cf. M. Glele-Ahanhanzo, op. cit., p. 328).

24. Aux termes de la Constitution alors en vigueur, le Premier ministre « dirige, animeet coordonne l’action du gouvernement » qui « détermine et conduit la politique de laNation ». Mieux encore, le gouvernement est habilité à contresigner la plupart des actes duPrésident de la République. Cf. J. du Bois de Gaudusson, G. Conac et Ch. Desouches, op.cit., p. 157.

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ministre et les membres du gouvernement », le Niger s’est doté en août1999 d’une nouvelle Constitution25. Celle-ci revient certes à une formu-lation plus classique des attributions du Président de la République etdu Premier ministre mais elle mentionne de nouveau que le Premierministre « chef du gouvernement, dirige, anime et coordonne l’actiongouvernementale » (article 59, alinéa 2). Elle précise également (arti-cle 61) que « le gouvernement détermine et conduit la politique de laNation ».

Malgré toutes les précautions prises pour préserver la fonction prési-dentielle et en affirmer la primauté au sein de l’Exécutif, voire dans lesrapports avec le pouvoir législatif, rien pourtant n’exclut à terme uneévolution dans un sens plus conflictuel des rapports entre le Président dela République et le Premier ministre, dans les systèmes politiques afri-cains. Celle-ci semble même être inscrite dans le processus de matura-tion du pluralisme actuellement en cours, avec en arrière-plan des com-pétitions électorales plus ouvertes et donc des renversements de majoritéà l’occasion de scrutins législatifs. La constitutionnalisation du poste dePremier ministre, chef du gouvernement, renvoie au souci d’équilibrer,voire de limiter les pouvoirs du Président de la République, qui a tou-jours guidé les travaux des rédacteurs des nouvelles Constitutions.Celles-ci, à travers les multiples contre-pouvoirs qu’elles ont instaurés,ont été souvent le fruit de compromis entre les tenants du régime prési-dentiel, considéré comme la traduction institutionnelle d’un État fort, etles partisans d’une prééminence de la représentation parlementaire, gagede respect de la volonté populaire.

C’est précisément de ce registre du compromis politique très précaireentre un chef d’État nouvellement élu (à la suite d’une alternance histo-rique par les urnes) et un Premier ministre refusant de se voir reléguerau rang d’exécutant politique que procède la rédaction de certainsarticles de la Constitution sénégalaise adoptée par referendum le 7 jan-vier 2001.

Les apparences de la nouvelle Constitution sénégalaise26 sont de cepoint de vue trompeuses. Si tout au long de la campagne référendairequi a précédé l’adoption de la loi fondamentale (à une majorité écrasantede plus de 90% des suffrages exprimés) le ton général était à la ruptureavec l’ordre institutionnel en place27, la réalité est tout autre. En fait,rien d’essentiel, sur la forme comme sur le fond, ne sépare la Constitu-

25. Cf. Journal officiel de la République du Niger, numéro spécial, n° 10 du 9 août 1999,p. 223-234.

26. Journal officiel de la République du Sénégal, numéro spécial du 22 janvier 2001,p. 27-42.

27. L’adoption d’une nouvelle Constitution rompant avec le régime présidentiel figuraitdans les accords de désistement en faveur du candidat de l’opposition, Abdoulaye Wade,arrivé derrière le chef de l’État sortant, Abdou Diouf, à l’issue du premier tour.

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tion du 22 janvier 2001 de celle de 1963. On y trouve la même archi-tecture (elle-même calquée sur celle de la Constitution française de laVe République) mettant en relief la séparation des pouvoirs, ou encore leslibertés publiques et l’indépendance de la justice. Mais c’est surtout surle fond que les similitudes sont les plus frappantes. Dans l’un et l’autrecas, il s’agit d’une organisation des pouvoirs qui, par-delà une diversitéde formulation, consacre la prééminence présidentielle. Tout indique, eneffet, que malgré le discours officiel (à consommation intérieure) surl’avènement « d’un régime parlementaire rationalisé », la nouvelleConstitution, comme sa devancière, jette les bases d’un système dont lechef de l’État est toujours la pièce centrale.

Le titre III relatif au Président de la République ne laisse planeraucun doute sur la nature présidentielle ou à la limite semi-présiden-tielle du nouveau régime. La fonction présidentielle, à travers l’étenduedes attributions reconnues à son titulaire, est même omniprésente dansla Constitution. L’énoncé de ses prérogatives va bien au-delà de la qua-lité de « premier protecteur des Arts et des Lettres du Sénégal » ou de« garant du fonctionnement régulier des institutions, de l’indépendancenationale et de l’intégrité du territoire » (article 42). Outre les attribu-tions classiques, recouvrant entre autres, la présidence de certainsConseils (dont bien entendu le Conseil des ministres), les activités diplo-matiques, le droit de dissolution de l’Assemblée nationale, l’exercice despouvoirs exceptionnels, la nomination du Premier ministre, le Présidentde la République se voit reconnaître le pouvoir de « déterminer la poli-tique de la Nation » (article 42, alinéa 4).

De cette dernière prérogative découle une subordination du gouver-nement, réduit « à conduire et coordonner la politique de la Nation sousla direction du Premier ministre » (article 53, alinéa 1). Pareille disposi-tion est un subtil compromis entre la formulation restrictive de la précé-dente Constitution (celle de 1963), où le gouvernement ne faisait« qu’appliquer la politique de la Nation sous la direction du Premierministre » (article 36), et celle plus étendue de l’article 20 de la Consti-tution française (« le gouvernement détermine et conduit la politique dela Nation »). Ainsi si le Premier ministre sénégalais exerce, sous certainesréserves (s’agissant des ordonnances et des décrets, non limités à ceuxdélibérés en Conseil des ministres) le pouvoir réglementaire, il partageavec le Président de la République, et de manière minimale (c’est-à-direceux déterminés par la loi) le pouvoir de nomination aux emplois civils.

La constitutionalisation du gouvernement, non inscrite dans la pré-cédente Loi fondamentale, n’entame donc en rien la position hégémo-nique du chef de l’État, illustrée par « la responsabilité du Premierministre devant lui », au même titre que celle « devant l’Assembléenationale » (article 53, alinéa 2). Cette disposition a une finalité avanttout politique : il s’agit de marteler l’emprise du chef de l’État sur le

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chef du gouvernement, et d’une manière plus générale, sur le gouverne-ment pris dans son ensemble. Du reste, derrière cette disposition commedans d’autres articles de la Constitution, s’affiche toujours la volonté derappeler l’autorité suprême du Président de la République, son identifi-cation au pouvoir exécutif, y compris dans ses rapports avec les autrespouvoirs. C’est ainsi, par exemple, que l’article 80 lui reconnaît, ainsiqu’au Premier ministre et aux députés l’initiative des lois. Mieux encore,il a, au même titre que les députés et le Premier ministre, le droitd’amendement. L’article 81 alinéa 1 stipule ainsi que « les amendementsdu Président de la République sont présentés par le Premier ministre etles autres membres du gouvernement ».

Si la fonction de Premier ministre, et l’exemple sénégalais entémoigne, demeure cantonnée dans des limites constitutionnelles trèsétroites, elle doit être rapportée au cadre institutionnel envisagé dans sonensemble. De ce point de vue, la mise en jeu de la responsabilité poli-tique du gouvernement devant l’Assemblée nationale peut contribuer àrenforcer l’assise du gouvernement et du Premier ministre. Les rapportsentre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, relevant naguère du seulregistre du formalisme, revêtent aujourd’hui un autre sens. La diversitépolitique de la représentation parlementaire donne notamment une plusgrande portée au principe d’équilibre entre les pouvoirs et au rôle d’ar-bitre assigné aux juridictions constitutionnelles.

II – LA CONSÉCRATION DES JURIDICTIONS CONSTITUTIONNELLES

La création des juridictions constitutionnelles est venue bouleverserla hiérarchie des pouvoirs. Nombre de ces dernières se voient conférer unrôle plus important que celui naguère reconnu aux Cours Suprêmes28. Sile pouvoir ou l’autorité judiciaire (la terminologie varie selon les textes)est identifié tantôt à une Cour suprême (faisant office de juridictionscivile, administrative et financière), tantôt à une Cour de Cassation,voire à un Conseil d’État, les juridictions constitutionnelles, quant àelles, bénéficient d’un statut privilégié et autonome.

A – L’AVÈNEMENT DES CONSEILSET COURS CONSTITUTIONNELS AUTONOMES

Là où les anciennes institutions faisant office de juridiction civile etadministrative suprême, de juridiction constitutionnelle, ou de Cour des

28. Cf. Les Cours suprêmes en Afrique (sous la direction de G. Conac), Paris, Économica,1989.

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comptes, se contentaient des apparats du pouvoir judiciaire, les Cours etConseils constitutionnels qui sont apparus au cours de la dernière décen-nie s’efforcent de donner un caractère plus effectif à leurs attributions.C’est sans doute sous cet aspect que l’emprunt à la Constitution françaiseprend toute sa signification, que la similitude entre les modes d’organi-sation et de fonctionnement des juridictions constitutionnelles et ceuxde leur homologue française prend toute sa dimension. Sur bien d’autrespoints, comme la place de ces juridictions dans l’édifice institutionnel,l’ordonnancement des lois organiques s’y rapportant, les modes de sai-sine et les procédures qui sont prévues, la justice constitutionnelle afri-caine renvoie pour l’essentiel au modèle français. Mais ce constat formelne traduit que partiellement la réalité du système instauré par les nou-velles Constitutions. Sans parler d’un modèle propre, tant les variantessont nombreuses, la justice institutionnelle africaine emprunte aux sys-tèmes européens (autres que français) et américain certains traits quiassurent en théorie au moins, une meilleure protection des droits fonda-mentaux.

Pour s’en tenir aux pays francophones d’Afrique sub-saharienne, leBurkina-Faso est le seul à avoir conservé l’ancienne dénomination pourdésigner la juridiction constitutionnelle. Comme c’était naguère le cas,un peu partout sur le continent, c’est à une chambre constitutionnellecréée au sein de la Cour Suprême qu’est dévolu le pouvoir « de contrôlede la constitutionnalité des lois » faisant l’objet du titre XIV de laConstitution. En dépit de cette formulation restrictive, les compétencesde cette chambre constitutionnelle englobent d’autres compétences plusclassiques, comme celles relatives au contentieux électoral ou « au res-pect de la procédure de révision de la Constitution ». La Constitutionsénégalaise de janvier 2001, quant à elle, a repris la même architectureque celle figurant dans la précédente loi fondamentale : le Conseil consti-tutionnel y est mentionné dans le titre consacré au pouvoir judiciaire.

En revanche la plupart des Constitutions africaines accordent aujour-d’hui une place autonome aux juridictions constitutionnelles qui, si ellessymbolisent la force désormais reconnue au « pouvoir judiciaire » (etnon à « l’autorité judiciaire » comme c’était le cas dans les précédentstextes), fonctionnent en dehors de l’appareil juridictionnel ordinaire.Cette spécificité se retrouve aussi bien dans leurs compétences ou l’auto-rité reconnue à leurs décisions (qui s’imposent souvent et directementaux pouvoirs politiques) que dans leur composition, le statut de leursmembres ou le mode de saisine. Si les Constitutions africaines repren-nent la formulation française pour évoquer les principaux domaines decompétence des juridictions constitutionnelles, elles s’en séparent quantà leur étendue.

— Le premier groupe d’attribution concerne le contrôle de constitu-tionnalité qui a pour corollaire la protection des droits fondamentaux et

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des libertés. Cette fonction recouvre, comme en France, le contrôle deconstitutionnalité des lois organiques et ordinaires, des engagementsinternationaux, des règlements intérieurs des assemblées parlementaires.A ces compétences s’ajoutent selon les pays, le contrôle des actes régle-mentaires « censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la per-sonne humaine et aux libertés publiques » (Bénin-Gabon) et les règle-ments intérieurs de certains organes comme le Haut Conseil descollectivités ou le Conseil économique et social (au Mali), la HauteAutorité de l’audiovisuel (au Bénin).

— Le contrôle électoral assuré par les juridictions constitutionnellesne concerne pas toujours les seules élections présidentielles, législativeset référendaires. Il recouvre parfois les élections locales (dans la Consti-tution nigérienne de 1999) quand ce n’est pas tout simplement, selonune formulation lapidaire « tout contentieux électoral » (Centrafrique).Les juridictions constitutionnelles se voient parfois confier des préroga-tives plus étendues en matière électorale : elles ne se limitent pas seule-ment à la régularité des scrutins, à l’examen des recours et réclamations,ou encore à la proclamation officielle des résultats. Outre l’établissementde la liste officielle des candidats (remplissant les conditions d’éligibilité),la Cour constitutionnelle du Bénin a également en charge, en coopérationavec la Commission électorale nationale indépendante (CENA) l’organisa-tion et la supervision des processus électoraux (présidentiels et législatifs),incluant, entre autres, les opérations de recensement.

— Certaines Constitutions prévoient au profit des juridictionsconstitutionnelles un troisième bloc de compétence, en tant qu’instancesde régulation des institutions de l’État. Sous cette rubrique, il s’agitessentiellement de régler les conflits d’attributions (Bénin, Mali, Séné-gal), d’interpréter la Constitution (Gabon, Niger).

La charge des contentieux vient s’ajouter à bien d’autres prérogatives,qui pour la plupart d’entre elles, sont identiques à celles prévues, enpareils cas, par la Constitution française de 1958. Il en est ainsi duconstat de vacance de la présidence de la République, de la consultationpréalable à la mise en application de pouvoirs exceptionnels. Les jugesconstitutionnels africains se sont vus en outre confier la responsabilitéd’enregistrer et de rendre publique la déclaration de patrimoine du chefde l’État nouvellement élu.

Les importantes responsabilités désormais dévolues aux juridictionsconstitutionnelles par les constituants africains ont conduit ces derniersà en privilégier le statut, qu’il s’agisse du mode et des critères de dési-gnation des juges, ou des garanties d’indépendance qui leur sont accor-dées pendant leur mandat. Sur toutes ces questions, les solutions sonttrès variées. Le choix des juges constitutionnels est censé se porter enpriorité sur les personnes dont l’autorité dans le domaine du droit estreconnue (professeurs de droit, avocats, magistrats) et bénéficiant d’une

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longue expérience professionnelle (quinze ans de carrière au Sénégal etau Mali). Certaines Constitutions y font figurer des représentants desorganisations de défense des droits de l’homme (Niger) et « des person-nalités de grande réputation professionnelle » (Bénin). Ce qui est remar-quable, c’est la précision des critères de désignation des juges : les textesvont parfois jusqu’à exiger la possession du titre de docteur en droitpublic pour celui qui représente la faculté de droit (Niger) au sein de laCour constitutionnelle.

Comme en France, ce sont en règle générale, les autorités politiquesqui désignent les membres des juridictions constitutionnelles dont lenombre va de cinq (au Sénégal) à onze au Cameroun29. Si le Président dela République nomme une partie d’entre eux (au Sénégal c’est même luiqui désigne les cinq membres du Conseil constitutionnel), cette préro-gative est partagée tantôt avec le président de l’Assemblée nationale,voire le président du Sénat (quand il y en a un, comme au Gabon), tan-tôt avec le Bureau de l’Assemblée nationale (au Gabon) ou le Conseilsupérieur de la magistrature (au Mali). Il existe d’autres variantes où, àcôté des membres choisis par le Président de la République et le prési-dent de l’Assemblée nationale, il y a deux magistrats, un avocat et unenseignant de la faculté de droit, désignés par leurs pairs (Niger). Enrègle générale, le président de la juridiction constitutionnelle est élu parle collège des membres.

La durée du mandat des juges est, elle aussi très variable. Très peud’États ont retenu comme le Cameroun la solution française (neuf ans),non renouvelable. Ailleurs, la durée est soit de cinq ans (Bénin, Gabon,Niger), soit de six ans (Côte-d’Ivoire, Sénégal), soit de sept ans (Mali) etle mandat n’est généralement pas renouvelable, sauf au Bénin et auGabon où il l’est une fois. Les juges sont inamovibles et ils bénéficientparfois d’immunités juridictionnelles pendant la durée de leur mandat(article 93 de la Constitution ivoirienne du 1er août 2000).

C’est surtout en matière de saisine que la distinction avec le systèmeconstitutionnel français est sensible. Si toutes les Constitutions africainesse réfèrent au contrôle de constitutionnalité par voie d’action à l’initia-tive d’autorités politiques, en revanche beaucoup d’entre elles prévoientla saisine individuelle, soit par voie d’action, soit par voie d’exception,sous la forme de question préjudicielle de constitutionnalité30.

En ce qui concerne tout d’abord la saisine par voie d’action réservéeaux autorités politiques, elle est ouverte généralement, et sous certainesconditions, au Président de la République, au Premier ministre, aux pré-sidents des Assemblées parlementaires, et à un dixième des membres dechaque chambre (lorsqu’il existe un Sénat, comme au Gabon). Le pour-

29. Ils sont sept en Côte-d’Ivoire, au Niger, au Bénin, neuf au Mali, et au Gabon.30. Cf. L. Favoreu et autres, manuel déjà cité, p. 255 et s.

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centage de parlementaires nécessaires à cette saisine est parfois différent :au Burkina-Faso, il est d’un cinquième, en Côte-d’Ivoire, un groupe par-lementaire suffit et, au Bénin, tout membre de l’Assemblée nationalepeut saisir la Cour. D’autres autorités publiques sont habilitées à saisir lajustice constitutionnelle. Au Gabon31, par exemple, les présidents desCours judiciaires, administratives et Cours des comptes sont autorisés àle faire (pour les lois ordinaires et les actes réglementaires), comme lesont aussi le président de la Cour Suprême, le président du Haut Conseildes collectivités ou un dixième des conseillers nationaux, au Mali.

Mais la grande innovation de la justice constitutionnelle africaineréside dans la consécration de la saisine individuelle, soit par voie d’ac-tion, soit plus souvent, sous la forme de question préjudicielle de consti-tutionnalité. Dans ce domaine, le Bénin fait assurément figure de pré-curseur. La Constitution prévoit, en effet, la saisine individuelle aussibien par voie d’action que par voie d’exception. L’article 122 mentionneque « tout citoyen peut saisir la Cour constitutionnelle sur la constitu-tionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de l’exceptiond’inconstitutionnalité invoquée devant une juridiction ». Partant de là,et en s’appuyant sur le préambule et le titre II de la Constitution relatifaux « droits et devoirs de la personne humaine », la Cour constitution-nelle a adopté une conception très extensive du mode saisine indivi-duelle. Elle en a même facilité l’usage dans son règlement intérieur, enindiquant, entre autres, que la procédure est écrite, gratuite, secrète.Mieux encore, elle a pris l’habitude de se saisir d’office (une sorte d’auto-saisine) chaque fois « qu’une loi ou un texte réglementaire est censé por-ter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et auxlibertés publiques » (article 121, alinéa 2).

Même s’il a le choix entre la saisine directe de la Cour et la voie del’exception d’inconstitutionnalité soulevée devant les tribunaux, lecitoyen a très nettement privilégié la première. La raison principaleréside dans le fait que la procédure de la première voie est plus rapide, etque l’indépendance et l’autorité des juges constitutionnels tranchentavec l’incurie de la justice ordinaire.

La Constitution de la République centrafricaine prévoit cette saisineindividuelle de la Cour constitutionnelle, soit directement, soit par laprocédure de l’exception d’inconstitutionnalité. Il en est de même pourla Constitution gabonaise. Mais dans l’un et l’autre cas, la portée d’un teldroit est restée limitée en raison, entre autres, des nombreux obstacles deprocédure qui l’entourent.

Quant à l’exception d’inconstitutionnalité désormais consacrée pard’autres Constitutions (Côte-d’Ivoire, Niger, Tchad), elle peut certes être

31. Voir J.-C. Nze-Biteghe, Le système gabonais de justice constitutionnelle. L’exemple de laCour constitutionnelle, thèse de doctorat de droit public, Université de Sciences sociales deToulouse, 2000.

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invoquée devant les juridictions ordinaires, mais il appartient en dernierrecours à la haute juridiction constitutionnelle de se prononcer. Sa déci-sion a une portée générale et ne se limite donc pas à l’affaire qui lui a étésoumise. L’expression de « question préjudicielle de constitutionnalité »recouvre mieux la réalité de l’exception d’inconstitutionnalité mention-née dans les Constitutions africaines.

Il est à noter que le Sénégal a opté, en la matière (article 92 de laConstitution de janvier 2001) pour un mécanisme faisant intervenir laCour de cassation ou le Conseil d’État. En l’espèce il appartient à la juri-diction suprême civile ou administrative d’apprécier si « l’exceptiond’inconstitutionnalité » invoquée devant un tribunal ordinaire mérited’être portée devant le Conseil constitutionnel.

B – L’EXERCICE DES COMPÉTENCESDES JURIDICTIONS CONSTITUTIONNELLES

Si c’est en qualité de juges du contentieux électoral que les juridic-tions constitutionnelles africaines se sont souvent faites remarquer (pourle meilleur comme pour le pire), leurs activités dans les domaines de laprotection des droits fondamentaux et des libertés, ainsi que de la régu-lation des institutions de l’État ont été tout aussi importantes. En réa-lité, et c’est là sans doute que réside l’essentiel, les Conseils et les Coursconstitutionnels ont donné un caractère plus effectif à leurs attributions,rompant ainsi avec le constat d’inefficacité qui les frappait jusque-là32.

L’effectivité du contrôle exercé, dans le domaine de la protection desdroits fondamentaux et des libertés, par les juridictions constitution-nelles est étroitement liée à la consécration des libertés par les institu-tions (nouvelles ou révisées). Celles-ci énumèrent de manière souventexhaustive et dans les tout premiers titres « les libertés, les droits et lesdevoirs » (titre I de la Constitution ivoirienne), « les libertés publiques,les droits économiques et sociaux et les droits collectifs » (titre II de laConstitution sénégalaise), « les droits et devoirs de la personnehumaine » (titre I de la Constitution malienne).

C’est par le biais du contrôle de constitutionnalité tant par voie d’ac-tion que par voie d’exception que cette prétention peut être atteinte. AuBénin qui fait office de modèle, les décisions qui s’y rapportent formentle gros de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle33.

La Cour constitutionnelle du Bénin est régulièrement intervenuepour censurer les violations des droits fondamentaux. Elle a ainsi, dès

32. Pambou G. Tchivounda, « Une juridiction constitutionnelle au Gabon (à propos dela Chambre constitutionnelle de la Cour Suprême au Gabon »), in Les Cours Suprêmes enAfrique, RJPIC, Économica, Paris, 1988, p. 437.

33. Près du tiers des décisions rendues par la Cour constitutionnelle sont relatives auxdroits de l’homme et aux libertés (voir M. Glele-Ahanhanzo, article déjà cité, p. 329).

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1994, censuré la violation de la liberté d’association (DCC 16-94) en sefondant sur la Charte africaine des droits de l’homme et des peuplesadoptée dans le cadre de l’OUA, en 1981, et entrée en vigueur en 1986.Elle a également sanctionné l’atteinte à l’égalité d’accès à la fonctionpublique (DCC 18-94) ou réaffirmé (DCC 96-026) l’égalité des citoyensdevant la loi. Bien d’autres décisions condamnant par exemple la déten-tion au-delà des délais légaux (DCC 96-005, DCC 96-006, DCC 96-016,DCC 96-035) ou l’utilisation illégitime de la force sont venues confirmerla vocation désormais avérée de la justice constitutionnelle à donner uncontenu réel au contrôle de constitutionnalité. C’est dans cet esprit quela Cour a rejeté, en 1999 (DCC 99-036)34, la demande du Président de laRépublique d’examiner en procédure d’urgence la loi portant régimeélectoral communal et municipal en République du Bénin. Elle a, entreautres, considéré que la loi en question n’entrait pas dans la catégorie destextes censés, selon l’article 120 de la Constitution « porter atteinte auxdroits de la personne humaine et des libertés publiques ». Dans le mêmetemps, elle n’a pas hésité à soumettre au gouvernement des observationsdont la prise en compte est, à ses yeux, nécessaire à la conformité de laloi à la Constitution.

Dans ce registre, d’autres juridictions constitutionnelles se sontsignalées. C’est notamment le cas de la Cour constitutionnelle du Gabonqui, dès sa mise en place, dans le sillage de la contestation politique de1990, a voulu affirmer son ambition d’assurer une réelle protection desdroits fondamentaux et se démarquer ainsi de l’ancienne Chambreconstitutionnelle de la Cour Suprême. Sa décision du 28 février 199235

est révélatrice de ce nouvel état d’esprit. En contrôlant la constitution-nalité de la loi organique portant organisation et fonctionnement duConseil national de la Communication (CNC), la Cour a censuré les dis-positions limitant le temps d’antenne aux seuls partis politiques repré-sentés à l’Assemblée nationale. Elle s’est fondée pour cela sur un texte (laCharte nationale des libertés de 1990) qui, selon elle, fait partie du« bloc de constitutionnalité », ainsi que sur l’article 95 de la Constitu-tion prévoyant que la CNC est chargée, entre autres missions, de veiller« au traitement équitable de tous les partis et associations politiques »36.

D’autres décisions, notamment sur la liberté de la presse, montrentque le juge constitutionnel a utilisé toutes les ressources offertes par laConstitution, la loi organique et son règlement intérieur, pour étendre lasaisine individuelle (notamment par voie d’exception) et lever les mul-tiples obstacles de procédure que rencontre le justiciable.

34. Les décisions de la Cour constitutionnelle du Bénin sont publiées par année. Lesrecueils de 1993 à 1997 sont disponibles à l’Imprimerie Nationale, à Porto Novo.

35. CC 001-92 du 28 février 1992, RDACC, p. 7.36. Voir les rapports d’activités de la Cour publiés tous les ans.

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Même si l’on ne dispose pas d’informations aussi exhaustives quepour le Bénin, d’autres juridictions constitutionnelles, fortes désormaisdu droit reconnu aux citoyens de les saisir à l’occasion d’un procèsdevant les tribunaux ordinaires, ou directement, se sont plus précisé-ment érigées en juges des libertés. C’est notamment le cas du Conseilconstitutionnel sénégalais ou de la Cour constitutionnelle du Mali.

Cette dernière a ainsi contraint le gouvernement à modifier certainesdispositions de la loi électorale qui lui était soumise. Dans son arrêtCC 96003 la Cour a, entre autres, relevé qu’en instaurant trois modes descrutin pour une même élection (législative), la loi électorale allait àl’encontre de l’article 2 de la Constitution relatif à l’égalité des citoyenset du Préambule de la Constitution disposant que « le peuple souveraindu Mali réaffirme sa détermination à maintenir et à consolider l’uniténationale ». La nouvelle loi électorale (du 14 janvier 1997) a tenucompte des observations de la Cour qui, une fois n’était pas coutumedans un pays qui a longtemps vécu sous un régime autoritaire, se sontimposées à tous les acteurs politiques.

Pour ce qui est du Sénégal, la saisine du Conseil constitutionnel parvoie d’exception, certes prévue par la Constitution (article 92 alinéa 1)mais passant par le Conseil d’État ou la Cour de cassation, saisi par untribunal administratif ou judiciaire, n’a guère connu d’application.Seules deux affaires, dont l’une a été effectivement portée devant leConseil constitutionnel, s’y sont rapportées.

Même si cette avancée des juridictions constitutionnelles, en matièrede protection des libertés, n’est pas encore perceptible partout enAfrique, elle imprègne de plus en plus les décisions prises à l’occasion ducontrôle, classique et obligatoire le plus souvent, de la constitutionnalitédes lois organiques.

Le contentieux électoral échoit généralement à la justice constitu-tionnelle, s’agissant des scrutins présidentiel, législatif et référendaire.Pour ce qui concerne les élections locales, les solutions varient selon lespays : leur compétence relève tantôt des tribunaux ordinaires (notam-ment au niveau des Cours d’appel au Sénégal ou en Côte-d’Ivoire) tantôtde la Cour suprême, comme au Bénin.

Paradoxalement, c’est dans le champ très controversé du contentieuxélectoral, que les avancées ont été, ici et là, les plus sensibles, voire lesplus spectaculaires, au cours des dernières années. En effet, à côté desnombreux pays où le juge électoral continue à avoir du mal à s’affranchirde l’emprise du politique, il y a des États où la justice constitutionnelleest parvenue à imposer son autorité et a acquis une légitimité.

Encore une fois l’expérience béninoise sert de référence principale.Dans ce pays, la Cour constitutionnelle a réussi à faire valoir, parfoisdans un contexte de violence, la « vérité des urnes ». Depuis une dizained’années, c’est sous son autorité que les résultats électoraux ont été

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acceptés par tous les acteurs politiques, et que l’alternance a trouvé sonrythme normal. Du reste, elle exerce son contrôle à tous les stades desprocessus aux côtés d’une Commission électorale nationale autonome(CENA).

C’est dans une totale impartialité que la Cour constitutionnelle s’estainsi acquittée de sa tâche dans un pays habitué jusque-là aux scrutins-plébiscites en faveur des pouvoirs en place. Aux élections présidentiellesde 1996 et de 2001, elle a montré qu’elle était l’ultime rempart contretous les débordements. Elle a, par exemple en 1996, réagi aux menacesdu chef de l’État sortant, Nicéphore Soglo, donné battu37 en publiant uncommuniqué dénonçant de tels agissements. Cinq ans plus tard, et dansun contexte de tension, elle a su, une nouvelle fois, dire le droit et menerà son terme le scrutin présidentiel, dont la régularité avait été mise encause par l’un des principaux candidats. Lors des élections législatives du30 mars 1999, elle a décidé, sans provoquer de réactions, d’annuler prèsdu tiers des bulletins de vote. Constatant des irrégularités diverses(défaut de signature de procès verbaux, absence de scrutateurs, absencede décompte de voix), elle a procédé, selon les termes de la proclamationdes résultats « à des redressements des décomptes des voix ou à l’annu-lation des suffrages exprimés dans les bureaux de vote concernés »38.

Dans ce même esprit, la Cour avait annulé, lors des élections législa-tives de 1995, les résultats de la circonscription dans laquelle s’était pré-sentée l’épouse du chef de l’État en place. Mais le Bénin ne fait pasaujourd’hui exception. Au Mali, la Cour constitutionnelle, pourtant dotéede compétences moins étendues que son homologue béninoise, a pure-ment et simplement annulé le scrutin législatif d’avril 1997, et a donnésuite à une requête dans ce sens introduite par les partis d’opposition39.

La Cour constitutionnelle malienne a fait preuve d’une même fer-meté, lors des scrutins présidentiel et législatif de 2002. Au premier,comme au second tour de l’élection présidentielle qui a finalement portéau pouvoir Amadou Toumani Touré, elle n’a pas hésité à invalider unnombre élevé (entre 15 et 25%) de voix recueillies par les différents can-didats. Quant aux élections législatives, la Cour a été saisie de plusieurscentaines de requêtes en annulation. Elle a tantôt procédé à des correc-tions, notamment au détriment de la majorité parlementaire sortante,tantôt annulé purement et simplement les résultats dans deux circons-criptions (à Sikasso et à Essoko).

On peut certes épiloguer sur les tergiversations, pour ne pas dire surl’impuissance « coupable », dont font encore preuve trop de juridictions

37. Cf. M. Glele-Ahanhanzo, déjà cité, p. 329.38. Document ronéotypé de la Cour constitutionnelle.39. Document ronéotypé figurant dans un dossier établi par l’Agence intergouvernemen-

tale de la Francophonie à l’issue d’une mission d’évaluation du processus électoral malien(1997).

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constitutionnelles face à des fraudes électorales caractérisées qui, danscertains pays se sont révélées destructrices pour la paix civile. Mais il y anéanmoins aujourd’hui une prise de conscience chez nombre de juges dela responsabilité dont ils sont investis, et de la nécessité d’assurer entoutes circonstances la primauté du droit. C’est dans cet esprit que leConseil constitutionnel sénégalais, se fondant sur une jurisprudenceantérieure (de 1988 et 1999) a donné suite à une requête de trois chefsde partis, engagés dans les élections législatives du 29 avril 2001, ten-dant à interdire que l’effigie du chef de l’État et un acronyme tiré duWolof (la langue nationale) rappelant son nom (WAD) figurent sur lesbulletins de vote des candidats de son parti. Malgré les protestations deresponsables politiques de la formation politique dont le Président de laRépublique est toujours le secrétaire général (et en dépit d’un échangeépistolaire entre ce dernier et le président du Conseil constitutionnel), leministre de l’Intérieur a fait immédiatement appliquer la décision dujuge constitutionnel sénégalais. Cet exemple, parmi d’autres, traduit unchangement de comportement qui rejaillit lentement, mais sûrement surle climat politique général.

Au Sénégal, comme au Bénin et dans quelques autres pays où les tra-ditions de juridisme sont plus avérées, l’autorité de la chose jugée atta-chée aux décisions des juridictions constitutionnelles n’est plus un vainmot : au Bénin, les décisions prises par la Cour, entre 1994 et 199840,ont, dans leur quasi totalité, été suivies et appliquées par les autoritésconcernées. Au Tchad, en dépit des suspicions de fraudes, le plus souventfondées, c’est vers le Conseil constitutionnel que les candidats à l’élec-tion présidentielle du 20 mai 2001 se sont tournés pour exiger quesoient réunies toutes les conditions de transparence du scrutin. A Mada-gascar, c’est la force du droit qui a prévalu lors du scrutin présidentiel de1996. Bien qu’acquise à une très faible majorité, l’élection de DidierRatsiraka s’est imposée à tout le monde du seul fait qu’elle avait étéentérinée par la Haute Cour constitutionnelle. C’est en fin de compte dece même registre du respect de la décision de la juridiction constitu-tionnelle que relève, fut-elle tardive, la proclamation officielle de l’élec-tion de Marc Ravalomanana, en 2002.

La fonction de régulation des institutions de l’État a connu elle aussila même évolution. Elle tend à s’imposer dans le fonctionnement dessystèmes politiques, soit sous la forme de décision, soit sous le formed’avis. Le 9 novembre 2000, le Conseil constitutionnel sénégalais, saisipar le Président de la République, a rendu conformément à l’article 46de la Constitution de 1963, un avis favorable à la soumission au referen-dum du nouveau projet de Constitution. Une semaine plus tard, unsecond avis, toujours sur requête du chef de l’État, autorisait ce dernier

40. Elles sont au nombre de 468. Cf. M. Glele-Ahanhanzo, déjà cité, PUF, 2000.D

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« à prendre toutes mesures réglementaires relatives à l’organisation dureferendum »41. Déjà en 1998, le Conseil constitutionnel sénégalais avaitrejeté quatre requêtes de députés de l’opposition contestant le bien fondéjuridique d’une proposition de loi (déposée par le parti au pouvoir) por-tant révision de la Constitution. Celle-ci visait à modifier les articles 21sur le nombre de mandats présidentiels et 28 sur la nécessité, pour êtreélu au premier tour de l’élection présidentielle, de réunir, outre la majo-rité absolue des suffrages exprimés, le quart des électeurs inscrits.

Au Mali, en mars 1997, le Président de la République a été amené,comme le lui avait suggéré la Cour constitutionnelle, à dissoudre l’As-semblée nationale avant le terme de la législature, afin d’organiser desélections dans les conditions et les délais exigés par la Commission élec-torale nationale indépendante (CENI).

Les juridictions constitutionnelles n’hésitent pas davantage à réglerles conflits d’attributions entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législa-tif. Même si cette compétence est peu exercée dans des contextes poli-tiques où il y a souvent concordance entre majorité présidentielle etmajorité parlementaire, elle ne relève plus du seul registre du forma-lisme. Au Bénin, par exemple, où depuis dix ans, une « guérilla » parle-mentaire rythme la vie politique, la Cour constitutionnelle a été amenéeà plusieurs reprises à trancher des litiges entre l’Exécutif et l’Assembléenationale. En 1994, elle a eu à se prononcer sur la mise en vigueur, parvoie d’ordonnance de la loi de finances ainsi que de la loi de programmed’investissements publics rejetées par le Parlement. En 1996, la Cour acontraint le président Mathieu Kérékou à prêter serment une secondefois dans le strict respect du libellé de l’article 53 de la Constitution. Lemême chef d’État a été rappelé à l’ordre pour avoir promulgué le 3 mai1996 dans des conditions non conformes à la Constitution la loi orga-nique relative à la Haute Cour de justice (décision CC 96.061 du 26 sep-tembre 1996).

Dans le cas de Madagascar, et indépendamment du jugement quel’on pourrait porter sur le bien-fondé, y compris juridique, de sadémarche, la juridiction constitutionnelle n’a pas hésité, en 1996, àconfirmer la destitution du Président de la République (décision n° 17-HCC/D3) que l’Assemblée nationale a prononcée sur une base politique,pour ne pas dire politicienne. C’est d’ailleurs à partir de cette décisionque fut organisé, en conformité avec la Constitution, l’intérim de la pré-sidence de la République, qui allait déboucher sur un nouveau scrutin etsur une alternance acceptée par toute la classe politique42. Le fait, en soi,

41. Affaires n° 3/2000 et n° 5/200 des 9 et 16 novembre 2000, document ronéotypé duConseil constitutionnel.

42. Cf. A. Bourgi, « Madagascar : ombres et lumières d’une transition démocratique »,La Gazette du Palais, n° 275-276. 2-3 octobre 1998, p. 6-15.

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est révélateur des profonds changements de comportement et de la capa-cité des règles de droit à dénouer des crises politiques, dès l’instant oùchacun s’accorde à en reconnaître la primauté. Même si l’on peut, souscertains aspects, regretter l’excès de juridisme pas toujours neutre politi-quement qui a entouré l’épreuve de force entre le chef de l’État et l’As-semblée nationale, il faut néanmoins avoir à l’esprit que l’enchaînementdes événements s’est effectué dans le strict cadre de la légalité. On peut,du reste, tirer la même conclusion des péripéties tumultueuses qui ontentouré le dernier scrutin présidentiel opposant le Président sortantDidier Ratsiraka à Marc Ravalomanana.

Mais la jurisprudence de plus en plus abondante des juridictionsconstitutionnelles, pour révélatrice qu’elle soit des progrès réalisés sur lavoie de l’État de droit, ne doit pas conduire à des conclusions trop hâtives.En effet, l’exemple du Bénin, s’il n’est pas isolé, ne peut être étendu, loins’en faut, à l’ensemble du continent. L’actualité est malheureusement riched’événements illustrant le peu de cas qui est souvent fait du droit, quandce n’est pas l’institution judiciaire dans son ensemble, qui n’est pas enmesure d’assumer correctement sa mission ou n’est pas capable tout sim-plement de s’affranchir de la tutelle du pouvoir politique.

En fait, la réalité du constitutionnalisme se réduit, aujourd’hui, sousdes formes variées, non dépourvues parfois d’ambiguïté politique, auxÉtats (Bénin, Madagascar, Sénégal essentiellement) où les traditions dejuridisme sont enracinées, ainsi qu’aux rares pays qui, comme le Mali,s’efforcent de faire triompher les valeurs de la démocratie43. Ailleurs, lestextes constitutionnels pour parfaits qu’ils soient dans leur libellé, leurordonnancement ou l’affirmation des grands principes républicains, nerendent pas compte des insuffisances qui subsistent sur le terrain de l’ap-plication et de la pratique du droit.

Il faut savoir ainsi que de nombreuses institutions, dont la créationest pourtant prévue par la Loi fondamentale, continuent de relever dudomaine purement théorique. C’est parfois le cas des juridictions consti-tutionnelles dont l’absence se fait souvent sentir sur l’issue des conflitsjuridiques impliquant le « Sommet » de l’État. On peut bien entenduinvoquer le coût financier du fonctionnement de ces organes pour justi-fier le retard dans leur mise en place. Mais il ne s’agit là bien souventque d’arguments derrière lesquels se cachent des intentions moinslouables. Ce faisant, les pouvoirs en place espèrent avant tout se mettreà l’abri des sanctions pouvant être lourdes de conséquences pour leur sur-vie politique. Au Congo-Brazzaville, l’ancien Président Pascal Lissoubas’était ainsi soudainement souvenu, en juillet 1997, que la Constitutionde 1992, sous l’empire de laquelle il avait été élu, avait institué un

43. Cf. Diawara Daba, Les grands textes de la pratique institutionnelle de la IIIe République(édition 1994), Bamako, Société malienne d’édition.

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Conseil constitutionnel. Il l’installera dans la précipitation et dans leseul but de lui faire prendre une décision prorogeant son mandat de troismois.

Le peu d’empressement que mettent certains dirigeants à procéder àla mise en place des instances de régulation juridictionnelle renvoie éga-lement au phénomène d’instabilité constitutionnelle. Même si les révi-sions constitutionnelles ne sont pas nécessairement un signe de faiblesse,comme le note très justement Gérard Conac44, au regard notamment dela diversité et de la complexité des sociétés africaines, elles participentencore trop de la volonté des gouvernants d’en faire un usage instru-mental, tourné exclusivement vers un renforcement de leurs attribu-tions. C’est dans ce sillage que s’inscrivent, par exemple, les réformesvisant l’allongement du mandat présidentiel et la suppression de touteclause limitant le nombre de mandats présidentiels.

Cette pratique de manipulation de la Loi fondamentale est à rappro-cher des risques de politisation que comporte parfois l’intervention dujuge constitutionnel45. Ce risque est d’autant plus grand que dans biendes pays, l’indépendance du pouvoir judiciaire est encore fragile. Sanscompter, et cela n’est pas pour rien dans l’explication de certainesdérives, que la profession judiciaire (toutes catégories confondues) estsouvent dans un état de grande déshérence. L’assaut de légalisme dont afait preuve l’ancien Président congolais en pleine guerre civile, n’était enfait dicté que par son souci de se faire légitimer par un Conseil constitu-tionnel qui lui était totalement dévoué. Il n’est jusqu’à Madagascar où ladestitution prononcée par la Haute Cour constitutionnelle, en 1996, àl’encontre d’Albert Zafy, n’était pas exempte d’ambiguïté.

Le manque d’indépendance de l’instance de régulation est toujourssource de fragilité des institutions, surtout lorsque cette dernière est sol-licitée comme arbitre entre l’Exécutif et le Législatif ou entre les deuxtêtes de l’Exécutif. En ne se montrant pas suffisamment capable de s’af-firmer face au pouvoir politique et de s’affranchir d’une logique parti-sane, la Cour Suprême nigérienne a précipité la crise de 1996 et jeté lediscrédit sur la Constitution. Dans ce même ordre d’idées, il arrive quela paralysie des institutions soit volontairement provoquée et entretenuepar des dirigeants soucieux avant tout de récupérer des prérogatives queles lois fondamentales avaient étroitement limitées et placées sous lecontrôle des pouvoirs législatif et judiciaire.

Malgré ces faits, le regain de constitutionnalisme et le besoinqu’éprouvent désormais les dirigeants politiques d’en appeler aux méca-nismes constitutionnels pour justifier leurs actions même lorsqu’elles

44. In Les Constitutions africaines, tome II, Paris, La Documentation française, 1998, p. 18.45. Cf. J. du Bois de Gaudusson, « Les solutions constitutionnelles des conflits poli-

tiques », déjà cité.D

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sont injustifiables sont aujourd’hui réels. On peut bien entendu épiloguersur l’indépendance des organes de régulation, notamment les instancesconstitutionnelles, et sur les moyens dont ils disposent pour exercer, dansleur plénitude, les compétences qui leur sont attribuées. Tout comme onpeut douter que la seule existence d’une juridiction constitutionnelle suf-fise à dissuader les gouvernants d’outrepasser les pouvoirs qui leur sontdévolus ou même de violer ouvertement la loi fondamentale.

En réalité, les changements réellement perceptibles sur la voie del’État de droit ne peuvent être séparés du contexte politique global et dela confiance que les populations et les acteurs politiques peuvent avoirdans le fonctionnement des institutions46. Mais pour peu que laconfiance disparaisse, et c’est tout l’édifice institutionnel qui s’écroule.Les textes constitutionnels ne produisent leurs effets que s’ils s’inscriventdans un mode de gouvernement articulé autour de la poursuite de l’in-térêt général et de l’exercice par les citoyens de tous leurs droits, notam-ment de vote. Or, dans bien des cas, le détournement dont fait l’objet lesuffrage universel crée les conditions d’une rupture du contrat social etdonc fragilise le ciment constitutionnel.

Une observation attentive de la scène politique africaine montre quela plupart des conflits qui s’y déroulent trouvent leur origine dans lescontestations post-électorales. Poussées jusqu’à leur paroxysme, ellescréent toutes sortes de frustrations, et provoquent des replis communau-taires lourds de menaces pour l’unité nationale. On mesure ainsi la res-ponsabilité qui pèse sur les juges chargés du contentieux électoral etl’importance primordiale que revêt aujourd’hui une stricte applicationdu Droit et de la Constitution.

46. P.-F. Gonidec, « Constitutionnalismes africains », in Revue juridique et politique. Indé-pendance et coopération, janvier-avril 1996, p. 23-50.

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