L'évolution de la justice traditionnelle dans l'Afrique francophone

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L'évolution de la justice traditionnelle dans l'Afrique francophone Author(s): Étienne Le Roy Source: Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines, Vol. 9, No. 1 (1975), pp. 75-87 Published by: Taylor & Francis, Ltd. on behalf of the Canadian Association of African Studies Stable URL: http://www.jstor.org/stable/484013 . Accessed: 12/06/2014 19:25 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Taylor & Francis, Ltd. and Canadian Association of African Studies are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines. http://www.jstor.org This content downloaded from 188.72.96.55 on Thu, 12 Jun 2014 19:25:08 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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L'évolution de la justice traditionnelle dans l'Afrique francophoneAuthor(s): Étienne Le RoySource: Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines, Vol. 9,No. 1 (1975), pp. 75-87Published by: Taylor & Francis, Ltd. on behalf of the Canadian Association of African StudiesStable URL: http://www.jstor.org/stable/484013 .

Accessed: 12/06/2014 19:25

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L'6volution de la justice traditionnelle dans I'Afrique francophone'

Etienne LE RoY *

ABSTRACT - The Evolution of Traditional Justice in French Speaking Africa

The legal dualism provoked by the introduction of French law into Africa during the colonial period is presently one of the causes of the paralysis of institutional refornms in many countries which got their independence in 1960. The French because of their assimilationist and ethnocentric intervention refused to see any logic in pre-colonial systems. As far as indigenous justice is concerned traditional jurisdictions were combined with a system largely controlled by metropolitan institutions. Since then two trendy have been opposed to each other. On one hand the Senegalese trend is based on the institutional transformation of aboriginal justice, on the other hand in the Congolese trend a great part is given to the internal adjustment of traditional structures to modernity.

After fifieen years of legislative and jurisprudential experiences, it has become thereJore a necessitl' to encourage a transformation of the existing organization in order to assure the citizen equality before the law, the "Africanite" of judicial organization and its efficiencl and to assert state authority and the pereniality of its institutions. So we propose a reform,? giving a great role to arbitration and restricting the intervention of courts being much like the ones of the West, to "exceptional" form of the settlement of conflicts. Being aware of the difficulties of such matter we think that such an approach is liable to transcend the oppositions which become from now onwards out of date.

INTRODUCTION

Les organisations judiciaires precoloniales avaient une logique propre de maintien de I'Jquilibre social. Durant la periode coloniale et selon des facteurs diff6rencies en fonction de l'eloignement geographique des (( centres de civilisation ,,, de l'6volution de

* Laboratoire d'anthropologiejuridique, Universit6 de Paris 1. 1. Extrait d'une communication au IV' Congrbs de I'Association canadienne d'6tudes africaines,

Dalhousie University, Halifax, N.S., du 27 f6vrier au 2 mars 1974. 2. (( Un d6veloppement authentique ne peut &tre en effet que la s'rie de passages pour une population

d6terminee et pour toutes les fractions de populations qui la composent (sous-populations regionales et sous-populations de categories sociales) d'une phase moins humaine a une phase plus humaine, au rythme le plus rapide possible, au coot le moins 6lev6 possible, compte tenu de la solidarit6 entre les sous-populations du pays et I'ensemble des populations des divers pays ,;

, Etudes generales prbliminaires au d6veloppement

du S6n6gal e, dans Europe France Outre-Mer, no 376, mars 1960.

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la politique coloniale ou des attitudes autochtones d'ouverture ou de fermeture 'i la modernit6, la justice traditionnelle va se trouver confrontee ia une autre logique, occidentale, qui, a partir de 1960, se justifiera par l'acces au developpement. Depuis lors, ce que les experts avaient appel (( la decennie du developpement,, s'est rv6l16e etre au mieux une ere de croissance incontr61lable, sectorielle et fragile, et, au pire pour certains Etats, une periode de surexploitation, d'appauvrissement et de recession. L'objectif d'un developpement humain et 6quilibr6, selon la belle definition du pere Lebret 2, est oubli&. Si la deterioration des termes de l'change et l'emprise neo- colonialiste sont des realites quotidiennes qui expliquent de nombreuses difficultes, elles ne justifient pas toutes les carences constatees. A notre avis, parmi les multiples causes de paralysie, on doit souligner l'influence de l'inadequation des moyens juridiques et 6conomiques qui avaient initialement pour rbles d'etre des (( moteurs de developpement,, et se sont beaucoup plus rev6ls en etre des

, freins

,. Qu'en est-il de la justice et plus particulibrement de la justice traditionnelle? Dans une premiere partie, nous allons examiner deux situations representatives des tendances ia la transformation ou i l'adaptation. Puis, dans une seconde partie, nous evoquerons les problemes contemporains qu'implique une justice nouvelle.

I - TRANSFORMA TIONS INS TITUTIONNELLES ET ADAPTA TIONS INTERNES DANS UN PROCESSUS DE DEVELOPPEMENT- EXEMPLES SENEGALAI/S ET CONGOLAIS

Parce que les organisations judiciaires du Senegal et de la Republique populaire du Congo constituent les reponses moyennes 'i deux tendances fondamentales d'insertion de la justice traditionnelle dans un organigramme juridictionnel, elles meritent d'etre ici rappelkes. Notre commentaire sera accompagn6 de quelques indications ethno- sociologiques, recueillies sur le terrain entre 1969 et 1973, qui permettront une compr'hension a la fois du r6le qui est reconnu 'i la justice et des fonctions qu'elle assume effectivement.

A - Transformation institutionnelle de la justice traditionnelle au Senegal

Par rapport ia une tradition coloniale franqaise, reconnaissant un ordre juridictionnel coutumier parallele et subordonn• i l'ordre judiciaire dit de droit moderne, la novation institutionnelle pouvait se developper dans trois directions diff6rentes: - non-reconnaissance constitutionnelle et institutionnelle des juridictions tradition-

nelles totalement assimilees dans l'ordre moderne; - reconnaissance institutionnelle de la justice traditionnelle, mais integration des

juridictions et du personnel judiciaire dans une organisation unique, polyvalente et hidrarchisde;

- reconnaissance constitutionnelle et institutionnelle des seules juridictions tradi- tionnelles.

Les premiere et troisibme solutions, impliquant respectivement la disparition de la justice ( traditionnelle ,, ou

, moderne ,, auront leurs partisans qui pr6neront soit

1',, efficacit6 n, soit

1', authenticit6

,, mais se heurteront I'une et l'autre i des obstacles

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socio-6conomiques, psychologiques ou techniques3, rendant la seconde solution adoptee par le Stengal des 1960 et par de nombreux Etats de l'Afrique de l'Ouest

4, prfe6rable ia ces divers points de vue.

Comme le note Jean Chabas , le Senegal a integr6, au niveau de la justice de

paix, les tribunaux musulmans du cadi (fondes sur le decret du 20 novembre 1932) et les tribunaux coutumiers du chef de village ou de canton, en creant soit une Chambre

musulmane, en premier ressort (Dakar et Saint-Louis), soit des postes d'assesseurs coutumiers, au niveau de la justice de paix et de la Cour supreme.

On voit ainsi apparaitre deux caracteres particuliers de cette reforme: - d'une part, elle reconnait le role du droit traditionnel dans l'organisation

judiciaire au niveau local (cercle, puis departement, comme circonscription de la justice de paix) et au niveau national pour la Cour supreme, mais l'exclut au niveau regional et intermediaire des tribunaux de premiere instance;

- d'autre part, la reforme modifie la procedure et la titulature, et influe ainsi directement sur la nature des decisions rendues. En effet, la procedure est celle du droit 6crit et le juge est un magistrat forme uniquement au droit francais. Ce qui est une double garantie d'une bonne organisation judiciaire dans l'optique occidentale apparait aux yeux de beaucoup d'autochtones comme des l6ements d'un systeme ((

repressif,, (celui du (( toubab n), valorisant la decision contentieuse

au detriment de la mediation et de l'arbitrage. Les difficultes resultant de l'application de la reforme viendront, d'une part, du

nombre limit6 de justices de paix installees 6 et, d'autre part, des caracteres formaliste et

(, repressif

, de l'institution judiciaire sur le plan local.

Les autorites administratives locales, et particulierement les chefs d'arrondisse- ment, devront donec remedier ia ces inconvenients en organisant soit au chef-lieu, soit dans les villages periodiquement visites, une justice extra-statutaire, fond~e sur les

competences de ce fonctionnaire relative au maintien de l'ordre public. En raison des conditions de travail, le formalisme et la procedure y sont reduits

au maximum, le chef d'arrondissement tenant "a la fois la magistrature assise, I'instruction et le greffe. Le seul personnel annexe est un des deux ou trois membres des forces de securit6 senegalaises, attaches i l'arrondissement et charges alternative- ment de la police de l'audience.

Les affaires se reglent generalement en plein air, en debut de matinee et durant la saison seche. Elles portent sur des problimes matrimoniaux ou patrimoniaux, qui relevaient dans l'ancienne organisation des tribunaux de conciliation ou d'arbitrage des communautes familiales ou musulmanes. L'une des caracteristiques de la decision recherchee est, en effet, de ne point imposer une option qui, contestee, troublerait I'ordre public. Fondie sur le

,bon sensn) et I'accord des parties, susceptible de

3. Cf. sur ce point ((African Conference on Local Courts and Customary Law n, Proceedings of the Conference at Dar es Salaam, Geneve, 1963; H. STUDER, S. A. et S. S. RICHARDSON, (( Wither Lay Justice in Africa ,, dans Ideas and Procedures in African Customary Law, I.A.I.O.U.P., 1969, pp. 123-135.

4. La Haute-Volta et le Togo tranchent, a cet 4gard, avec le Mali, le Niger ou la C6te d'Ivoire en maintenant, A titre provisoire pour le premier ltat (loi no 9-63 du 10 mai 1963, art. 24-30 du 25 mai 1963, p. 332), ou institutionnellement pour le second, la dichotomie de la tradition coloniale. I Is se rapprochent ainsi de la tradition anglo-saxonne illustr6e par l'organisation judiciaire de la Fed6ration de la Nigeria.

5. ((La r6forme judiciaire et le droit coutumier dans les Etats africains n, dans ?tudes de droit africain, Ed. Cujas, Paris, 1966, p. 267.

6. Douze justices de paix sont install6es en 1966 selon Thomas LEE ROBERTS, Judicial Organization and Institutions of Contemporary West Africa, N.Y., 1966, pp. 11-12.

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nouveaux recours tant que le probleme n'a pas et6 regl, l'intervention du chef d'arrondissement s'inscrit directement dans un cadre traditionnel et vise ia satisfaire des besoins qui ne pourraient Stre resolus autrement. Pour certains d'entre eux, anciens chefs de canton integres dans l'administration locale en 1960, la filiation entre leurs interventions actuelles et les responsabilit6s assumres durant la periode coloniale est patente. Une telle action sera aussi durable pour plusieurs raisons.

- Pour des raisons budgetaires, le Sen6gal ne verra pas l'ensemble des arrondisse- ments recevoir une justice de paix avant la fin de ce siecle, d'une faqon reguliere.

- A supposer que le budget senegalais puisse couvrir actuellement une depense non prioritaire dans une 6conomie agricole en crise, beaucoup d'afffaires &chapperont encore a la justice de paix, parce qu'occidentalisee, et seront presentees tant6t aux fonctionnaires locaux s'ils sont reputes sages et integres, tant6t aux anciennes autorites, politiques ou islamiques. La modernit6 de l'institution judiciaire ne peut en effet resoudre des problemes qui, malgr6 les changements intervenus et l'acculturation de plus en plus forte, rel"vent toujours de la traditionnalit6.

- Le recours 'a une justice de forme ou de type traditionnel par pref6rence ai une justice moderniste est la marque d'une resistance au droit et aux institutions nouvelles. C'est un des principaux canaux par lesquels s'exprime le mecontente- ment du paysan senegalais. En depit de louables efforts7 des gouvernants senegalais, des motifs de mecontentement ne manquent pas actuellement et risquent de durer tant que la transformation complete de l'agriculture s6negalaise n'aura pas ete operee.

- Dans la solution adoptee par le Senegal, le choix et le r6le dans l'instance des assesseurs determine la confiance ulterieure des justiciables. Sans mettre en cause

l'honnetet6 de ces assesseurs ou la qualit6 de leurs informations, il faut noter qu'ils se heurtent tant i l'achelon local qu'i celui de la Cour supreme ai une difficult6 majeure de traduire un type de droit dans les concepts, les categories et les fictions d'un systeme tres largement occidentalis&. Or dans l'6tat actuel de l'6tude du droit traditionnel, qui dit ( traduire ,, dit (( trahir ,,. Ces diff6rentes raisons montrent qu'en realit6 le Senegal connait pour de

nombreuses ann6es encore, et empiriquement, un systeme dualiste assez proche de celui de l'poque coloniale.

Les transformations institutionnelles dues ia la reforme de 1960 n'ont fait que d6placer 'e probleme vers le haut de la hierarchie juridictionnelle sans le r6soudre completement. Bien que certains esprits cartesiens puissent s'en desoler, il convien- drait au contraire de s'en rejouir, car une telle situation assure au systeme judiciaire une plasticit6, une dimension d'adaptation continue aux changements internes qu'elle ne connaltrait pas par suite de l'application des principes francais d'organisation juridictionnelle, et qui est indispensable dans une situation de developpement economique et social. Peut-&tre serait-il simplement souhaitable d'en favoriser l'adaptation interne, en fonction des conditions que nous examinerons dans la seconde partie de cet article.

7. Cf. sur ce point, E. LE ROY, SystemeJbncier et developpement rural (these de Droit), Paris, 1970, pp. 240-252.

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B - Adaptation interne de la justice traditionnelle en R6publique populaire du Congo

L'6tude du rl61e et des fonctions actuellement assumees par la justice traditionnelle y est inseparable d'une evocation, meme rapide, de l'6volution de la situation politique depuis l'independance en 1960. En effet, les conditions difficiles qui ont suivi l'acces au pouvoir de Fulbert Youlou, les 6meutes de Brazzaville du 17 fevrier 1959 et la rupture avec le M.S.A. regroupant des el6ments socialisants des regions septentrionales, ont convaincu l'abb6 Youlou de respecter les particularismes ethniques (pour tenter de favoriser un regroupement bakongo avec le Congo belge) et, pour cela, de jouer la carte coloniale. L'organisation judiciaire ne changera donc point fondamentalement, au moins en ce qui concerne l'organisation traditionnelle I jusqu'aux (( trois glorieuses ,, d'aohit 1963 qui verront le renversement de Youlou et I'acces au pouvoir du president Massemba-Debat. Marxiste et originaire du sud, le nouveau responsable se trouvera bloqu6 dans tous les domaines par sa double appartenance. 11 n'est donc pas 6tonnant qu'un immobilisme judiciaire apparaisse, double d'un certain corporatisme et donc d'un conservatisme qui sera consider6, apres le coup d'etat de 1969 et la prise du pouvoir par une equipe de militaires marxistes plus radicaux, diriges par le capitaine Ngouabi, comme reactionnaire. C'est en effet par I'evocation de situations individuel- les de magistrats contestant des ordres requs que le rdle de la justice sera examin6 au bureau politique du parti congolais du travail, ce qui aboutira ai la fin de la meme

annie e (( la revolution culturelle judiciaire ,,. Contestant le principe de la separation des pouvoirs de Montesquieu qui aboutit a une justice (( bourgeoise ,,, ses promoteurs considerent que la justice ne peut &tre qu'un simple service public, dependant du pouvoir politique, porte-parole des masses congolaises. Par ailleurs, le statut du juge ne peut tre que modifi&. Si son independance est reconnue (en depit de critiques, mais en fonction de l'exemple sovietique), elle est limitee a la decision du juge. Par ailleurs, I'apolitisme est contest6 au nom de 1'efficacit6 et du realisme politique. Comme le fait remarquer D. Pouela:

Le magistrat doit jouer un r61le dans la lutte du peuple, d'une part, en militant dans les organisations politiques et, d'autre part, en pretant son concours eclaire au pouvoir politique charge de doter son pays d'une ~1gislation revolutionnaire".

La (( revolution culturelle judiciaire ) fut appliquee des 1970 dans I'organisation des tribunaux modernes, certains magistrats siegeant au bureau politique et d'autres etant mis en cong6, puis a partir de 1972, dans les tribunaux coutumiers, creant les conditions a une nouvelle adaptation de ces tribunaux.

11 faut toutefois, avant d'en 6tudier les consequences, noter que cette organisation traditionnelle avait dj~i fait l'objet, durant la periode coloniale, d'une premiere serie d'adaptations visant, dans le cadre d'une justice arbitrale: - a assurer la justice de mediation autrefois detenue par le lignage dont

l'clatement prive les individus d'une institution indispensable; - i

succeder t la justice contentieuse autochtone relevant autrefois des tribunaux

des socit~ts L structure semi-complexe supprim&s sous la colonisation au profit

des tribunaux dits ( de droit moderne ,

oi le juge 6tait I'administrateur local.

8. En dehors du statut de la magistrature de 196 1. 9. Recherches sur I'histoire des institutions de I'Afrique noire, sous la direction d'E. Le Roy,

Brazzaville, Ecole de droit, Centre d'enseignement par correspondance, juin 1973, p. 33.

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On obtient, ainsi, une institution hybride qui emprunte aux diff6rentes organisa- tions certains de leurs traits propres.

Avec des comp6tences plus proprement arbitrales, le juge doit repondre aux besoins de ses justiciables qui se limitent tant6t a la recherche d'une conciliation (le juge joue le r6le du chef de famille ou de lignage defaillant I1) et tant6t s'6tend a des

d61its qui devraient relever de l'organisation judiciaire occidentale mais que les parties pr6f&rent voir jug6s dans leur cadre coutumier (le juge peut alors d6passer ses

comp6tences propres et le proces n'aura pas de force 16gale si sa d6cision est contest6e devant un tribunal de droit moderne.

Pour ces raisons, certaines procedures sont emprunt6es au droit judiciaire des

soci6t6s a structure semi-complexe et certaines sanctions sont celles de soci6t6s 616mentaires, alors que le corps de la justice est arbitral.

1 - RELEVANT DES SOCIETES A STRUCTURE SEMI-COMPLEXE

Le recours aux orateurs et les procedures de deroulement de l'instance. - Si chez les Bakamba ruraux ces orateurs peuvent directement remplir la fonction

d'arbitre, au tribunal coutumier urbain de Bacongo, ils assurent le r6le de conseil des parties mais ils sont mandates et pay6s par le tribunal comme personnel r6mun&r6. Ils sont, si l'on veut, (( commis d'office ,,, pour traduire dans des termes juridiques la plainte, rationaliser les arguments de l'une ou l'autre parties et dans certains cas, conseiller la moderation a l'un ou a la reconnaissance des faits par l'autre.

- Le d6roulement de l'instance est celui des soci6t6s "i structure semi-complexe.

Ainsi chez les Bakamba, Pouela note: - le demandeur (ou plaignant) ou son orateur prend le premier la parole "; - l'adversaire intervient en second lieu pour r6pliquer. Chaque partie peut poser

des questions "i l'autre; - suspension d'audience pour r6flexion de chaque partie afin de fixer d6finitive-

ment le point de vue a soutenir publiquement; - declaration des deux parties d6finissant leurs positions; - dl1ib6ration et decision du juge.

2 - C'EST DANS LA DECISION QUE TRANSPARAYT LA MEDIATION PROPRE A LA JUSTICE FAMILIALE

Le juge cherche a concilier les deux points de vue et propose une solution dans ce sens qui peut tres souvent impliquer un appel au f6ticheur qui apparait alors comme un organe annexe du tribunal, ou comme l'institution curative. La responsabilite ne se trouve pas engag6e sur une faute mais en fonction d'un 6cart par rapport aux obligations socio-communautaires, cet 6cart ayant souvent pour origine une action de sorcellerie, I'une ou l'autre des parties 6tant

,, f~tich~es,,.

10. 11 peut aussi &tre saisi par le chef de famille pour des affaires familiales compliquees qui necessitent I'avis d'un sage.

11. Le d6but de l'instance est preced6 par le r6glement des frais de justice, soit au minimum 600 francs C.F.A.

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Mais ce qui fonde l'autorit6 de la justice traditionnelle, c'est l'influence personnelle du juge.

L'autorit6 de certains juges coutumiers est tres etendue et les parties sorit pretes Ai se faire juger par eux plut6t que par les tribunaux de droit moderne, caracterises par leur lenteur des jugements, leur inexecution et les frais plus 6lev6s que devant ces juridictions.

Rapidit6, efficacit6 et 6conomie caract6risant ces tribunaux, il n'etait pas question, dans la revolution culturelle judiciaire de remettre en cause ces qualites de la

justice traditionnelle, mais plut6t de les r6int6grer dans la vie politique et juridique, de les sortir d'un ghetto judiciaire et social en les faisant contrdler, lA oii les conditions

politiques 6taient r6unies, par le comit6 de quartier, lui-mme el6ment de base du Parti congolais du travail. Par exemple, le tribunal coutumier bateke du chef Denis Malonga d'Ouenz6 (banlieue de Brazzaville) a 6t6 pris en charge par le comite de quartier. Quatre de ses membres siegent donc aux c6t6s du juge traditionnel, l'un d'entre eux presidant officiellement bien qu'effectivement le juge Malonga continue a assumer ses anciennes fonctions. Affaires et procedures d'enquites sont demeurees inchang6es. Par contre, les orateurs ont disparu, le greffe est tenu par 6crit et le r6le dactylographi6 pr6alablement a l'audience. Enfin, la police de l'audience est assur6e par des miliciens. Au niveau de la forme, il y a donc ici une certaine tendance a une assimilation de facto sur l'organisation judiciaire de droit moderne. Mais, fondamen- talement, nous retrouvons les qualit6s et l'esprit de l'organisation traditionnelle.

A l'inverse, le tribunal du chef Kewa (quartier de Bacongo 'a Brazzaville) n'a pas connu une telle prise en charge en raison du peu d'influence du parti dans ce quartier repute' tre ((de l'opposition,,. Mais le juge, homme avis6 et plein d'experience, psychologue et intelligent, sait concevoir son r6le en accord tant avec les autorit6s religieuses qu'avec les responsables civils et politiques. Comme 'a Ouenz6, mais sans comit6 de quartier, on observe de plus en plus une certaine modernisation du cadre judiciaire sans modification appreciable du fond institutionnel 12. Toutes les categories sociales sont impliquees dans de tels proces et acceptent tres generalement la procedure coutumi"re. Loin de paraitre anachronique, le tribunal connait au contraire un renouveau de popularit6. Par ailleurs, dans la situation politique et economique du Congo marquee par le souci du contr6le des moyens de production et de la reconciliation nationale comme par les pressions et influences du puissant voisin zaYrois, la reconnaissance du r6le des institutions autochtones dans le processus de developpement difficile a mettre en ceuvre n'est pas negligeable. C'est pourquoi, sans oublier l'institution judiciaire de droit moderne, qui a un r6le politique et technique ia jouer, les responsables actuels ont decouvert l'avantage psychologique du respect d'un cadre culturel juridictionnel, 'a condition que le tribunal coutumier permette l'initia- tion 'a la vie de citoyen et efface les differences ethniques qui, quatorze annees apres le drame de Brazzaville, paralysent encore les esprits.

Les autorites politiques ont donc, durant une quinzaine d'annees et pour des raisons diff6rentes, laisse s'operer diverses adaptations internes de la justice tradition- nelle, ai la suite des pratiques coloniales. On peut ainsi envisager que de nouvelles adaptations puissent intervenir dans l'avenir. Dans une seconde partie, nous allons en 6tudier les orientations 6ventuelles.

12. Sur I'organisation et le fonctionnement de ce tribunal, cf. E. LE Roy, ( Note sur I'organisation judiciaire du tribunal coutumier de Bacongo-Brazzaville, R6publique populaire du Congo)n, dans Recherches sur l'histoire des institutions d'Afrique noire, Brazzaville, 1973, pp. 19-25.

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II - SENS ET ORIENTATIONS D'IVENTUELLES ADAPTATIONS DE LA JUSTICE TRADITIONNELLE A UN PROCESSUS DE DEVELOPPEMENT

Principal garant de l'6quilibre social, la justice traditionnelle se trouve confront6e ia des series de changements et de mutations de la soci6t6 qui impliquent des desequilibres en chaine. Dans la mesure oii l'acculturation doit &tre maitrisee et contr61oe et que le besoin d'un cadre de reglement des conflits comprenant les tribunaux coutumiers continue a se faire sentir, cette justice traditionnelle doit s'adapter, par une intervention consciente. Or, deux philosophies divergentes, voire opposees, peuvent guider une telle intervention. La premiere consisterait ia repenser un systeme de reglement de conflits autochtones sur la base du droit moderne. Cette solution a fait faillite durant la periode coloniale et ses resultats contemporains sont assez peu satisfaisants pour que ses merites restent discutables. Elle est fondee sur une ideologie de l'assimilation qui, coloree de liberalisme ou de socialisme, de marxisme ou de negritude, est reductioniste et ethnocentrique.

La seconde solution, trop longtemps ignoree, a 6t6 defendue des 1947 par Marcel Griaule. A son sujet, Gerard Leclerc 6crit:

Les prises de position anticolonialistes de Griaule n'6taient, dans son esprit, marquees par aucun conservatisme. La

, modernisation ,, n'6tait pas conque comme uniformisation, mais

comme renaissance et coexistence de cultures souveraines, en maintenant une double exigence contradictoire seulement en apparence: permettre aux societes indigenes d'entrer de plain-pied dans le monde moderne; leur permettre de sauver leur originalite, leur personnalit6 toujours vivante et qui ne doit pas mourir, contrairement i ce qu'avait tendance ia penser l'imperialisme 3

Une telle attitude est fondee sur une ideologie du pluralisme socio-culturel assez proche du relativisme culturel de Melville Herskovits 14. Au lieu d'une reduction des diff6rences, c'est-a-dire en fait d'une negation d'autrui, elle pr6ne un mecanisme d'intervention qu'une citation de Marcel Griaule illustre pertinemment:

Ce que je defends... ce ne sont pas des coutumes inadaptables et retardatrices, ce ne sont pas des langues mortes - mortes bien stir pour ceux qui ne les comprennent pas -, ce que je defends, ce sont des systemes d'expression, des systemes de pens~e valables, perfectibles, vivants et de plus capables d'influencer, dans une mesure heureuse, nos syst&mes

' nous 5

Marcel Griaule distingue ainsi nettement entre les productions humaines et les valeurs qui les fondent. Les premieres sont, pour lui, relatives et perissables, les secondes, fondamentales, imperissables et susceptibles d'enrichir le patrimoine commun de l'humanit6.

Une telle optique nous concerne directement puisque nous avions pr6ne une demarche qui

...consiste 'a emprunter au passe les cadres fondamentaux de la pensee juridique africaine

et a en adapter le contenu aux techniques modernes du developpement economique et

13. G6rard LECLERC, Anthropologie et colonialisme, Paris, Fayard (Coll. Anthropologie critique), 1973, pp. 165-166.

14. Cf. en particulier, Man and his Works (trad. franqaise): Les bases de l'anthropologie culturelle, Paris, Payot, 1952.

15. Discours de 1949 A l'Assembl6e de l'Union franqaise, cit6 par LECLERC, op. cit., p. 167.

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L'EVOLUTION DE LA JUSTICE TRADITIONNELLE DANS L'AFRIQUE FRANCOPHONE 83

social. C'est pourquoi, elle presuppose une analyse fine et approfondie de la nature et de l'objet des regles du droit pr6colonial afin de d6monter le m6canisme des systemes juridiques et de comprendre l'effet que pourrait avoir la modification d'une regle sur l'ensemble des normes... 1

Dans une premiere d6marche, nous allons tenter, A titre d'hypothese, d'en 6tudier les m6canismes pour, ensuite, en voir les incidences techniques et politiques.

A - Les m6canismes mis en cause dans une adaptation d'un syst6me judiciaire n6gro-africain

En raison de leurs implications mutuelles, une adaptation de la justice ne peut s'op6rer que par celle du Droit. Si l'on se souvient qu'a la maniere de Griaule nous y avons

distingu6, d'une part, le systeme de valeurs, d'autre part, les productions et representations juridiques qui d6terminent l'ordonnancement et le fonctionnement de la soci6t6, on peut essayer, A la lumiere des diverses manifestations contemporaines des soci6t6s n6gro-africaines, de voir quelles significations peuvent prendre ces valeurs pour ensuite tenter d'imaginer des productions ou representations, disons en notre cas, des institutions judiciaires, susceptibles de r6pondre ia nos exigences.

1 - LES VALEURS INTERNES D'UN SYSTEME JURIDIQUE N8GRO-AFRICAIN

Dans la pens6e traditionnelle, nous savons que le ph6nomene de contr6le social total est communautariste, que le principe structural est la parent6, que les structures sociales privil6gi6es sont 616mentaires, semi-616mentaires ou semi-complexes et qu'enfin, I'appareil juridique fait r6f6rence a l'origine, a une temporalit6 r6p6titive et A la filiation des institutions dans le d6veloppement de la structure sociale.

En valorisant la continuit6, la p6rennit6 et l'6quilibre social, le Droit pr6colonial met en oeuvre des m6canismes de ( participation 17 dans le temps et dans l'espace, dont on peut d6couvrir des equivalents dans un monde occidental faisant in61uctable- ment r6f6rence au principe de la causalit6, a une temporalit6 prom6th6enne et A la restructuration sociale.

2 - LES PRODUCTIONS ET REPRtSENTA TIONS JURIDIQUES CONTEMPORAINES ET LES NOUVEAUX

SYST-MES DE VALEURS

Diff6rentes r6formes concernant plus particulierement le monde rural montrent du S6n6gal A la Tanzanie, en passant par le Dahomey ou le Togo que le d6veloppement y est conqu dans le cadre d'un n6o-communautarisme qui inspire la philosophie et l'6conomie des interventions. Si, comme le president Senghor, on condamne

, l'individualisme 6golste ,,, ou que l'on se refuse A une collectivisation sur le moddle chinois, il reste A appliquer syst6matiquement I'id6e communautariste i tous les

16. E. LE ROY, ,c

Droit et d6veloppement en Afrique noire francophone apr&s dix annees d'ind6pendance politique ,,, dans Revue sedngalaise de Droit, 1971, no 9, p. 67.

17. Dans un sens moderne, 6tranger la ,, pens6e pr6-logique

, de L6vy-Bruhl.

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echelons d'une societ6 repensee non au niveau de la famille, du village ou de la region, mais a l'achelon de la cellule de production, d'6change ou de consommation 1I

De plus, le principe structurant le ph6nomene de contr6le social ne peut plus etre la parentalisation des individus. Selon le passe des Etats et la force des organisations sociales, la

,cpolitisation des masses ,, la religion (musulmane dans les pays

septentrionaux), etc. pourra constituer un canal par lequel puisse s'exprimer la participation de tous (jeunes et adultes, hommes et femmes), A tous les niveaux d'organisation communautaire. On soulignera a ce propos qu'une des raisons de l'chec de leaders tels Nkrumah ou Modibo Keita vient de la coupure operee par eux entre la politisation des masses et leur organisation communautaire. Le choix ideologique collectiviste et pseudo-moderniste rendait les participations individuelles fallacieuses au point qu'un regime r6put6 fort voit en quelques instants s'6vanouir les fid6lites escomptees qui, en fait, obeissent A des obediences anciennes beaucoup plus exigeantes.

L'organisation de l' Itat et la vie publique sont, par ailleurs, rv61latrices d'un choix d'une structure sociale proche des modeles precoloniaux. En effet, au-deli des justificatifs de rentabilit6 ou d'efficacit6, l'existence de partis uniques ou tres largement dominants, le contr6le du pouvoir judiciaire, la suspension des parlements ou la limitation de leurs competences, l'essai de maitrise nationale des pouvoirs economiques et commerciaux, indiquent une tentative de reduire le nombre des pouvoirs soci6taux A deux ou a un, c'est-A-dire a valoriser une structure sociale dite (( semi-complexe)) ou (( semi-6l6mentaire a dans notre terminologie. En depit des techniques occidentales d'organisation de l'ltat, qui tiennent compte de l'insertion nationale dans le monde moderne, on saisit ainsi le motif de choix operes, en raison d'une filiation inconsciente avec des institutions precoloniales. Si, dans une telle optique, on pourrait developper l'ensemble des incidences qu'une telle approche peut avoir sur l'analyse des comportements des responsables africains I", on doit cependant en limiter notre investigation A ses consequences sur l'appareil juridique des societes negro-africaines contemporaines.

Deux diff6rences devront tre notees:

- tout d'abord le temps prometheen et la ref6rence au principe de causalit6 interdisent l'6mergence d'un appareil juridique formaliste ou coutumier, comme en droit traditionnel;

- par ailleurs, une structure sociale non complexe interdit un appareil juridique legal, de type occidental.

II faut donc imaginer un appareil juridique mettant en cause une A deux sources du droit selon le type de structure sociale. Dans les diff6rentes manifestations juridiques actuelles et plus particulibrement dans les regimes militaires; on reconnait le decret comme source fondamentale du Droit, la jurisprudence en 6tant une source complmentaire, 1A oio l'action judiciaire n'est pas entravee.

18. Cette reorganisation de la societe suppose un de~assement des oppositions tribales ou regionales, non leur negation. Cf. sur ce point, E. LE Roy, (( Reflexions sur une interpretation anthropologique du droit africain

,,, dans Revue juridique et politique, independance et cooperation, 1972, no 3, pp. 437-440.

19. Cf. sur ce point, en particulier, G. BALANDIER, Anthropologie politique, Paris, P.U.F. (Coll. S.U.P.), 1969, insistant sur le fait que

, l'indcpendance a provoque une nouvelle dynamique de la tradition n,

pp. 207ss.

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Quel est alors le r6le d'une organisation judiciaire traditionnelle dans une soci't' communautariste, participante et valorisant un Droit fond6 sur le d6cret ou la jurisprudence ?

B - Incidences techniques et politiques des structures sociales contemporaines sur I'organisation judiciaire traditionnelle

A ces manifestations juridiques politiques et institutionnelles originales tant par rapport aux modeles coloniaux que precoloniaux, il est necessaire de decouvrir des equivalents judiciaires. II faut, en particulier, d6passer I'opposition coloniale et neo- coloniale entre systemes judiciaires traditionnel et moderne, et assurer une certaine filiation des valeurs judiciaires entre les 6poques precoloniales et contemporaines, tout en assurant l'efficacit6 de la justice dans un Etat ouvert sur le monde moderne.

1 - IL FAUT DONC INVENTER UN NOUVEAU SYSTEME DUALISTE PROTEGEANT LES

INT•R-TS DES COMMUNAUTES PARTICULIERES ET DE L'TAT

Au niveau des communautis, I'arbitrage, connu dans les deux univers juridiques et done susceptible de depasser leur opposition, est 6galement la technique fondamentale de reglement des conflits au sein des soci6t6s precoloniales a structure semi-

el1mentaire et semi-complexe. Son utilisation dans les relations contemporaines, commerciales ou internationales, en montre les avantages, des lors que l'on aurait reglk le d6licat problkme de la formation et du choix de l'arbitre. Son intervention dans le systeme judiciaire, comme procedure de droit commun, pourrait ainsi se recommander d'une certaine tendance de la doctrine et de la pratique juridiques. Ce serait l'ordre (( ordinaire ) de reglement des conflits.

Au niveau de I'Etat, en droit traditionnel comme en droit moderne, il est necessaire de prevoir des institutions assurant la securit6 de l'Itat et de ses citoyens, soit par des juridictions propres a la siret6 de l'~tat, soit par des juridictions mettant en cause des faits 6chappant A l'arbitrage en raison de leur caractere d61ictuel ou criminel, soit enfin en assurant un recours des decisions communautaires (en cas de deni de justice par exemple). Par ailleurs, en droit pr6colonial comme dans la pratique contemporaine, il faut assurer le contr6le direct du pouvoir politique sur I'armature juridictionnelle tout en preservant l'6quit6 des decisions rendues.

Par rapport au systeme arbitral, il s'agit cependant d'un ordre judiciaire (( extraordinaire,,.

2 - LE CONTENU DES DEUX ORDRES DE JURIDICTION

L'ordre ordinaire ou arbitral comprendrait des types particuliers de tribunaux propres aux formes communautaires d6gag~es dans la restructuration sociale.

Dans I'exemple pr~c~demment 6voqu6 d'une triade communautaire de base, on verrait apparaitre:

a) des tribunaux du travail pour les communaut~s de production; b) des tribunaux commerciaux pour les communaut~s d'6change; c) des tribunaux locaux au niveau des communaut~s r~sidentielles de consommation

(ville, quartier ou village) jugeant des affaires concernant le patrimoine des

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individus ou les conflits matrimoniaux. Cette juridiction serait la plus proche du module coutumier ancien, mais rendrait ses decisions en fonction de tous les statuts personnels. L'ordre extraordinaire ou etatique comprendrait des juridictions int'ressant

directement l'~tat (cour de suiret' ou haute cour de justice, cour des comptes, voire conseil de contentieux administratif), puis d'autres institutions impliquant les particuliers (tribunal correctionnel, cour d'assise). Ces deux types de juridictions seraient coiff6s par une Cour supreme, saisie directement par pourvoi des individus et dependant directement du pouvoir politique l6gif6rant principalement par decrets ou ordonnances.

3 - QUELQUES AVANTAGES TECHNIQUES, PSYCHOLOGIQUES ET POLITIQUES D'UNE REORGANISA TION JUDICIAIRE PAR LE DEPASSEMENT DE L'ANCIENNE OPPOSITION

Cinq avantages peuvent &tre attendus d'une reorganisation de ce type.

a) L '#galite des citoyens devant la loi

Actuellement, la justice parce qu'essentiellement occidentale, ne sert que les intrrts etrangers, ceux de leurs representants ou des elites occidentalisees pour qui le maintien du systbme actuel est une garantie de la p6rennit6 de leur statut privilegi6.

Ainsi, les interets r6els des masses rurales ou urbaines prolat6risees dans les bidonvilles 6taient masques par le souci d'une codification temeraire, largement marquee par un demarquage des situations autochtones 2). La justice arbitrale ouverte A tous les statuts peut r6duire l'&cart entre les diverses acculturations, progressivement et sans creation de ghettos juridiques.

b) L'africanite de l'organisation judiciaire

Corollaire de l'6galit6, cette africanit6 pourra etre mieux assuree tant pour les procedures et les r6gles de competence 21 que pour le statut de l'arbitre. Si, au niveau local, un risque d'atomisation et de particularisme juridique est ia craindre, l'interven- tion de la Cour supreme pourra rem6dier A ces defauts par une unification et une information jurisprudentielles.

c) L'efficacite judiciaire

La procedure arbitrale est rapide et peu onereuse, A l'inverse des justices d'instance ou d'appel de l'organisation contemporaine des Etats francophones. Par ailleurs, les arbitres n'ayant pas la garantie statutaire de la fonction publique, le corps de la'

20. Pour une discussion des problemes que posent tant la codification, le traitement juridictionnel pr6ferentiel des etrangers que l'int6gration des cat6gories sociales, cf. E. LE ROY,

,( Droit et d6veloppement en Afrique noire francophone

,, op. cit., pp. 65-69.

21. Pour cette raison, toute mise en oeuvre d'une reforme suppose une recherche collective de I'etat du droit traditionnel et une transformation des enseignements juridiques universitaires dans le sons d'une ouverture plus grande vers l'histoire et l'anthropologie des institutions n6gro-africaines.

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magistrature serait considerablement allege ce qui impliquerait a la fois des economies budgetaires substantielles et des mecontentements corporatistes, pour ne pas dire plus.

d) Affirmation de I'autorite de I'Etat

Cette autorit6 serait affirmee directement sur les instances de l'organisation judiciaire (( extraordinaire

, et, par le canal de la Cour supreme, sur les organismes arbitraux.

Tout en respectant certains particularismes, elle permettrait d'assurer I'integration nationale, et le depassement du tribalisme herit6 de la colonisation.

e) Pe'rennite des institutions

II est necessaire, apres quinze ans d'independance, que les institutions publiques trouvent peu a peu leur 6quilibre, A la suite des revolutions, coups de force, prises de pouvoirs, codifications hatives, etc., qui ont marque cette pbriode. Une organisation judiciaire assez souple pour s'adapter aux transformations internes, assurant non seulement la justice mais aussi I'quit6, comme en droit traditionnel et ouverte A tous les justiciables, doit pouvoir r6pondre ia cet objectif commun au droit pr6colonial et A l'opinion publique contemporaine.

Comme on peut le constater, l'organisation judiciaire proposee et ses avantages pr6visibles impliquent une trbs large adaptation de la juridiction traditionnelle, sans etre pour cela une transformation institutionnelle au profit ou au detriment de l'organisation contemporaine ( de droit moderne,,.

CONCLUSION

De telles propositions ne doivent cependant tre considerees que comme une esquisse prlliminaire. Car, si notre organigramme n'apparait pas totalement utopique, il reste encore hypoth6tique et meriterait de nombreux developpements et corrections A la lumiere de propositions nouvelles.

Par ailleurs, notre objectif n'9tait pas ici de dire ce qu'il convenait de faire (ce qui releve des citoyens africains et de leurs responsables) mais de souligner qu'il 6tait possible de concevoir de nouveaux systemesjudiciaires par depassement d'oppositions perimdes. Si, au terme de notre investigation, nous avons r6ussi A sensibiliser les hommes d'action aux virtualit6s propres des syst6mes judiciaires et juridiques autochtones, nous consid6rerons notre contrat comme rempli. En effet, la prise de d6cision suppose des orientations politiques qui 6chappent A notre analyse, une m6ditation de la nouvelle signification de l'intervention juridique, et des choix techniques sp6cifiques. Elle implique aussi, et peut-6tre surtout, le d6passement des preconceptions et des 6goi'smes individuels et nationaux sans lequel ne peuvent tre imagines les nouveaux cadres du dAveloppement Iconomique et social de l'Afrique noire.

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