lettres québécoises...Le feu de mon père «Un récit bouleversant, prodigieusement humain, ......

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ISSN : 0382-084X • 8 $ lettres québécoises ANDRÉE A. MICHAUD AUTOPORTRAIT Portrait de l’écrivaine en vieil arbre par ANDRÉE A. MICHAUD ENTREVUE Traverser les lignes par DAVID BÉLANGER PROFIL Les univers insolites d’Andrée A. Michaud par CHRISTIANE LAHAIE ROMAN Sergio, Kokis, Makarius « C’est un livre considérable, fortement charpenté et nourri de considérations étoffées sur divers aspects de l’histoire contemporaine » par ANDRÉ BROCHU RÉCIT Michael Delisle, Le feu de mon père « Un récit bouleversant, prodigieusement humain, touchant, implacable. Un texte qui hante, d’une stupéfiante intelligence » par YVON PARÉ ÉTUDES LITTÉRAIRES Hans-Jürgen Lüsebrink, « Le livre aimé du peuple ». Les almanachs québécois de 1777 à nos jours « Je ne saurais assez louer, in fine, la qualité exceptionnelle de cet ouvrage de Hans-Jürgen Lüsebrink, tant dans le détail que dans la vue d’ensemble » par MICHEL GAULIN Poste-publications convention n o 41868016 Service d’abonnement SODEP C.P. 160, succ. Place d’Armes, Montréal (Québec) H2Y 3E9 Automne 2014 n o 155 la revue de l’actualité littéraire

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ISSN : 0382-084X • 8 $

lettres québécoises

ANDRÉE A. MICHAUDAUTOPORTRAIT

Portrait de l’écrivaine en vieil arbre

par ANDRÉE A. MICHAUD

ENTREVUETraverser les lignes

par DAVID BÉLANGER

PROFILLes univers

insolites d’Andrée A.

Michaudpar CHRISTIANE LAHAIE

ROMANSergio, Kokis, Makarius«C’est un livre considérable, fortement charpentéet nourri de considérations étoffées sur diversaspects de l’histoire contemporaine»par ANDRÉ BROCHU

RÉCITMichael Delisle,Le feu de mon père«Un récit bouleversant, prodigieusement humain, touchant, implacable. Un texte qui hante, d’une stupéfiante intelligence»par YVON PARÉ

ÉTUDES LITTÉRAIRESHans-Jürgen Lüsebrink, « Le livre aimé du peuple ». Les almanachs québécois de 1777 à nos jours« Je ne saurais assez louer, in fine, la qualité exceptionnelle de cet ouvrage de Hans-Jürgen Lüsebrink, tant dans le détail que dans la vue d’ensemble»par MICHEL GAULIN

Poste-publications convention no 41868016Service d’abonnement • SODEPC.P. 160, succ. Place d’Armes, Montréal (Québec) H2Y 3E9

Automne 2014

no 155l a r e v u e d e l ’ a c t u a l i t é l i t t é r a i r e

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Autoportrait 5Portrait de l’écrivaine en vieil arbrepar ANDRÉE A. MICHAUD

Quand j’essaie de me souvenir, je me dis que je dois être née avecles arbres, longtemps avant de naître au milieu de novembre, queje dois être née à la fin d’un jour jaune où l’odeur des pommiersembaumait le temps arrêté. La première fois que je suis morte sesitue plus précisément en mai, en même temps que mon père. C’estlà que tout a dû re-commencer.S’il me faut dessiner mon portrait, je dois donc y mettre des arbres,une odeur de foin mûr et de pommes chaudes, quelques clochessonnant le glas et le glas se répercutant sur un chemin de terre, [...].

Dossier 14Poésie actuelle :les nouvelles voiespar JEAN-FRANÇOIS CARON

Marginalisée dans les médias, souvent confidentielle dans le brouhahadu marché du livre, la poésie québécoise actuelle n’en est pas moinsvive. Elle se fait remarquer sur différentes scènes et est portée pardes initiatives originales. Qui la fait vivre? Est-elle toujours soutenuepar les jeunes? Portée par un vent de révolte? Après la SecondeGuerre mondiale, l’industrie du livre subit soudainement les consé-quences d’une logique de marché de laquelle elle a été tenue à l’écartartificiellement par les lois martiales.

Roman 19Aimer longtemps l’amourpar ANNABELLE MOREAU

Pour son neuvième roman, Hélène Rioux renoue avec l’une de sesnarratrices et lui donne cette fois pour tâche d’accompagner unancien amant dans son dernier combat, celui de la vie, de la mort,mais surtout de l’amour.Gaston Miron a passé sa vie à réécrire, raffiner, peaufiner sa grandeet seule et unique œuvre, le recueil L’homme rapaillé, réédité pasmoins de sept fois. Un peu à la manière de son collègue poète,Hélène Rioux creuse subtilement le même sillon roman après ro-man, récit après récit, recueil après recueil.

Poésie 46Patrice Desbiens, «citoyen de cette folie»par RACHEL LECLERC

À l’automne de 1985, Dans l’après-midi cardiaque, de PatriceDesbiens, nous arrivait d’Ontario comme un coup de poing auventre. Déjà le titre nous ôtait un peu d’oxygène; les poèmes, quantà eux, semblaient contenir des slogans dont on aurait voulu paverle Summit Circle de Westmount. L’éditeur Prise de parole rééditeen un seul livre trois titres de ce poète qui, dès 1979, se disaitatteint du « cancer de la parole ».C’est l’histoire d’un poète happé par le « mécanisme de la panique »(p. 32) aussitôt qu’il sort de chez lui pour assister à la gigue àlaquelle se prêtent, de gré ou de force, ses semblables, [...].

FONDATEUR : Adrien Thério †

DIRECTEUR : André Vanasse

ADJOINT AU DIRECTEUR : Jean-François Crépeau

COMITÉ DE RÉDACTION : Jean-François Caron, Jean-François Crépeau, Annabelle Moreau et André Vanasse

COLLABORATEURS :

DES IMAGES, DES MOTS : François Cloutier

ESSAI ET ÉTUDES LITTÉRAIRES :Michel Gaulin, Maïté Snauwaert

POÉSIE : Sébastien Dulude, Rachel Leclerc, Jacques Paquin

RÉCIT ET NOUVELLE : Sébastien Lavoie, Michel Lord, Yvon Paré

REVUES : Bruno Lemieux

ROMAN : Isabelle Beaulieu, André Brochu, Normand Cazelais, Jean-François Crépeau, Marie-Michèle Giguère, Annabelle Moreau, Hélène Rioux

RESPONSABLE DE LA PUBLICITÉ : Michèle Vanasse

DIRECTION ARTISTIQUE : Alexandre Vanasse • ZIRVAL design

RESPONSABLE DE LA PRODUCTION : Michèle Vanasse

Lettres québécoises est une revue trimestrielle publiée enfévrier, mai, août et novembre par Lettres québécoises.

La revue est subventionnée par le Conseil des arts du Canada (CAC), le Conseil des arts de Montréal (CAM) et par le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ).

Lettres québécoises est répertoriée dans Érudit, Point de repère, MLA International Bibliography et L’Indexdes périodiques canadiens et est membre de la Société dedéveloppement des périodiques culturels québécois(SODEP). [email protected] • www.sodep.qc.ca

Les collaborateurs de Lettres québécoises sont entièrementresponsables des idées et des opinions exprimées dansleurs articles.

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INFOGRAPHIE : Alexandre Vanasse/ZIRVAL design

IMPRESSION : Groupe Litho

PHOTOGRAPHIE DE LA PAGE COUVERTURE : Pascal Dumont

Numéro ISSN : 0382-084X

Poste-publications : envoi no 41868016

Août 2014

Lettres québécoisesENVOI DE LIVRES POUR RECENSIONC.P. 6122, Saint-Jean-sur-Richelieu (Québec) J2W 2A1

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lettres québécoisesAutomne 2014

no 155

REVUEfondée en

1976 Dans ce numéro 155

AUTOMNE 2014 • Lettres québécoises • 1

ANDR É E A . M I C H AUD

H É L È N E R I O U X

PAT R I C E D E S B I E N S

K IM D O R É

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sommaire

MichaelDelisle

Paul ChanelMalenfant

GenevièvePettersen

EmilySchultz

JacquesPaquin

JacquesSavoie

RichardSuicide

ÉD ITOR IALSurproduction et pilonnage, André Vanasse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 3 AUTOPORTRA ITPortrait de l’écrivaine en vieil arbre, Andrée A. Michaud . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 5ENTREVUETraverser les lignes, David Bélanger . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 7PROF ILLes univers insolites d’Andrée A. Michaud, Christiane Lahaie . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 11 DOSS IERPoésie actuelle : les nouvelles voies, Jean-François Caron . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 14ROMAN PRÉSENTAT IONHélène Rioux, Annabelle Moreau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 19ROMANPerrine Leblanc, François Blais, Olga Duhamel-Noyer, Isabelle Beaulieu . . . . . . . . . p. 20Sergio Kokis, Dominique Demers, Pascal Millet, André Brochu . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 22Jacques Benoit, Alain Bernard Marchand, Maxime Olivier Moutier, Jean-François Crépeau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 24Geneviève Pettersen, Maude Veilleux, Miléna Babin, Marie-Michèle Giguère . . . . p. 26M.V. Fontaine, Claudine Dumont, Jonathan Reynolds, Annabelle Moreau . . . . . . . p. 28POLARJacques Savoie, Maxime Houde, Alain Fisette, Normand Cazelais . . . . . . . . . . . . . . p. 30TRADUCT ION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Thomas King, Emily Schultz, Louise Penny, Hélène Rioux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 33RÉC ITMichael Delisle, Jean Charlebois, Sylvie Nicolas, Yvon Paré . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 35NOUVELLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Danièle Vallée et Suzon Demers, France Boisvert, H. Nigel Thomas, Sébastien Lavoie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 38Bernard Lévy, Renaud Jean, Jean-François Aubé, Michel Lord . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 40POÉS IE PRÉSENTAT IONJacques Paquin, Sébastien Dulude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 42 POÉS IEMarcel Olscamp, Aimée Verret, Louis-Karl Picard-Sioui, Sébastien Dulude . . . . . . . p. 44Patrice Desbiens, Louise Warren, Rachel Leclerc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 46Paul Chanel Malenfant, Louis-Philippe Hébert, Mona Latif-Ghattas, Jacques Paquin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 48ÉTUDES L I TTÉRA IRESHans-Jürgen Lüsebrink, Marcel Moussette et Gregory A. Waselkov, Sherry Simon, Michel Gaulin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 50ESSA INicolas Lévesque et Catherine Mavrikakis, Roseanna Dufault et Janine Ricouart, Renée Legris, Maïté Snauwaert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 53DES IMAGES , DES MOTSRichard Suicide, Pascal Girard, Catherine Lepage, François Cloutier . . . . . . . . . . . . . p. 55LES REVUES EN REVUEEstuaire, L’Inconvénient, Nuit blanche, XYZ, la revue de la nouvelle, Bruno Lemieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 57ÉVÉNEMENTLes écrits en fête, Sébastien Lavoie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 58HORS GENRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 60L IVRES EN FORMAT DE POCHE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 61LE MONDE DU L IVRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 62 PRIX ET D IST INCT IONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 64L IVRES REÇUS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 66INDEX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 68PROCHA IN NUMÉRO . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . JIMMY BEAULIEU

PerrineLeblanc

Automne 2014

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Éditorial par ANDRÉ VANASSE

Q uand les grands distributeurs, Socadis etDimedia en tête, ont construit leursentrepôts de livres au cours des années

soixante-dix, ils étaient convaincus qu’ilsauraient de l’espace pour des décennies. Ilsn’avaient pas prévu l’explosion de la produc-tion qui frapperait le marché du livre auQuébec et dans le monde. À titre d’informa-tion, il s’est publié 476 romans québécois en2001 et 802 en 2010, une augmentation deprès de 60 % en dix ans. En littérature jeu-nesse, l’explosion est presque aussi spectacu-laire : 640 titres en 2001 contre 1175 en 2010,soit près de 55 % d’augmentation.

Je l’ai déjà écrit, le phénomène n’est paspropre au Québec. Il est mondial. À coup sûr,occidental. Il n’empêche qu’il est préoccu-pant. La quantité de livres pilonnés est consi-dérable. Je n’ai pas trouvé de statistiques àpropos de la question du pilonnage auQuébec, mais selon l’étude faite en Francepar Hervé Gaymard à l’intention du ministèrede la Culture et de la Communication dansson rapport intitulé Situation du livre.Évaluation de la loi relative au prix du livre etQuestions prospectives, il appert que 80 à100 millions d’ouvrages ont été pilonnésannuellement en France ces dernièresannées. C’est une quantité phénoménale quicorrespond, selon M. Gaymard, à 25 % deslivres publiés. L’auteur tient à préciser parailleurs que ce chiffre est encourageant si l’onconsidère qu’il atteint 40 % aux États-Unis.Sur la foi de cette affirmation, on peut diresans risque d’erreur sérieuse que ce chiffrede 40 % correspond à la situation que vit leQuébec. Le pourcentage pourrait même êtreplus élevé.

Peut-on freiner ce pilonnage massif ?

Imprimer à l’unité?

Et si les libraires décidaient d’offrir à leur clien-tèle un service à la demande ? Dans un édito-rial antérieur, j’avais fait mention de cettepossibilité. J’avais même assisté, au début desannées quatre-vingt-dix, à la démonstrationd’une « machine », fabriquée par Xerox,capable de produire un livre en quelquesminutes, page couverture incluse. Elle a été

peaufinée pendant plusieurs années. Elle estmaintenant offerte sur le marché sous le nomd’Espresso Book Machine. J’avais aussi pré-cisé, dans une infocapsule, que l’UniversitéMcGill en avait acheté une pour permettre àla bibliothèque de reproduire des livres trèsanciens. Le but : éviter d’abîmer des œuvresd’une grande valeur. Avec raison, si l’on consi-dère que certains livres anciens ne comptentque quelques exemplaires dans le monde etvalent parfois une fortune.

Je ne connais aucune librairie au Québec quiait mentionné l’utilisation de l’Espresso à desfins commerciales, mais des recherches surInternet m’ont permis de constater que lalibrairie de l’Université de Waterloo a fait l’ac-quisition d’une de ces machines-livres et offreainsi aux éventuels acheteurs d’avoir accès àdes œuvres qui ne seraient plus sur le marché.Sur le site, on précise que « les livres soumisaux droits d’auteurs sont publiés avec la per-mission des ayants droit de sorte que les édi-teurs et les auteurs sont dûment payés ».

On y ajoute cependant qu’en agissant de cettefaçon « on court-circuite le processus tradi-tionnel de la chaîne du livre ».

Un nouveau modèle de production?

Peut-on continuer à imprimer des livres dontpresque la moitié est destinée au pilon alorsque les entrepôts des distributeurs croulentsous le poids des nouveautés dont ils doiventse débarrasser parfois un an à peine après lesavoir reçues? Pour un auteur, savoir que sacréation est « indésirable » après si peu detemps est quasi une invitation à cesser d’écrire.À quoi bon consacrer trois, quatre ou cinq ans,pour découvrir que toute cette énergie dépen-sée est devenue de la simple pâte à papierdouze mois plus tard?

L’enjeu de l’impression à la demande est deremettre en cause tout le système du livre telqu’il existe depuis des siècles. D’une certainefaçon, c’est une catastrophe, mais il faut serendre à l’évidence : à mesure que le livrenumérique prendra le pas sur le livre imprimé,les libraires feront face à une baisse de clien-tèle. Effectivement, c’est le cas depuis trois ans

puisqu’on a vu vingt-neuf librairies indépen-dantes fermer leurs portes. Et si on redessinaitla chaîne du livre? Ce serait un changementstructurel majeur, mais il se pourrait que celadevienne une nécessité.

Devant une mutation aussi importante, il yaurait forcément des perdants. D’abord, lesimprimeurs qui, à la limite, pourraient êtrequasi rayés de la carte si jamais les journaux— le groupe Gesca, qui gère plusieurs jour-naux dont La Presse, vient d’annoncer sonintention de le faire — désertaient totalementle format journal au profit du numérique. Lesdeuxièmes qui seraient touchés seraient lesdistributeurs, à moins qu’ils se chargent de lagestion des livres imprimés à la demande.Rien ne les y autorise sauf s’ils prennent lesautres intervenants de court en se procurantles fameuses machines-livres. Quoi qu’il ensoit, les effets « collatéraux » seraient impor-tants.

Prévoir l’avenir…

Je ne suis pas prophète de malheur. Je constateseulement que le livre est à la croisée des che-mins. L’impression à outrance est nocive pourl’industrie de l’édition. Pour les années 2010,2011 et 2012, il y a eu une diminution desventes de livres de 11,5 %. C’est énorme. Si onveut éviter l’effondrement de l’industrie dulivre, l’impression à la demande est la solutionécologique qu’il faut adopter en attendant quele phénomène de la numérisation s’impose aufil des ans. Cela dit, je crois qu’il sera difficilede produire des livres de luxe, qui sont en soides objets d’art, sans le soutien d’une impres-sion de très haute qualité, mais là encore quinous dit que la machine-livre ne pourra pas unjour y parvenir?

Une chose est claire à mes yeux : on ne peutplus surproduire des livres alors que notreplanète s’asphyxie de toutes parts. La Terresouffre, elle aussi, d’une maladie qui n’ajamais été aussi destructrice : le cancer! Il fautopter pour la modération et refuser la pro-duction à perte qui un jour nous tuera si oncontinue à ce rythme. Déjà que, dans cer-taines capitales, on n’arrive plus à respirerconvenablement…

Surproduction et pilonnageTous les auteurs vous le diront : c’est souvent avec colère qu’ils apprennent quele livre, qu’ils ont écrit à la sueur de leur front, sera entièrement ou partiellementpilonné. En guise de consolation, leur éditeur leur offre les livres invendus à unprix plancher. Les plus généreux le fixent à un sixième du prix de sa valeur mar-chande. Mais que feront les auteurs de ces boîtes encombrantes après l’achat?

E X P R E S S O B O O K M ACH I N E D E X E R OX

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4 • Lettres québécoises • AUTOMNE 2014

RomanTraduction

POLARRÉCITNouvellePOÉSIEÉtudes littérairesCONTEActualité

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Portrait de l’écrivaineen vieil arbreQuand j’essaie de me souvenir, je medis que je dois être née avec les arbres,longtemps avant de naître au milieu denovembre, que je dois être née à la find’un jour jaune où l’odeur des pom-miers embaumait le temps arrêté. Lapremière fois que je suis morte se situeplus précisément en mai, en mêmetemps que mon père. C’est là que touta dû recommencer.

S’ il me faut dessiner mon portrait, je dois donc y mettre desarbres, une odeur de foin mûr et de pommes chaudes, quelquescloches sonnant le glas et le glas se répercutant sur un chemin

de terre, jusqu’à ce point aveugle où les échos se perdent, où la pluievient laver l’angoisse, et la foudre enfin apaiser les accords fous de latourmente.

C’est sur ce chemin de terre sèche que j’ai commencé à écrire. Lescoyotes aboyaient par-delà la colline, le soleil se levait derrière l’autrecolline que nous nommions le cap, le soleil se couchait au bout deschamps, au bout si loin des champs, pareil à une éternité vers laquellej’aurais voulu m’envoler. L’été si bref se mêlait à l’automne et je chantaisla liberté avec des crapauds venus d’une autre saison, de la boue pleinles bottes devant la forêt s’embrasant, le chien Miro à mes côtés, parfois,le chien Miro que les matins rendaient heureux dans la lumière décou-pant la montagne. Oui, colline, cap et montagne formant un triangleimparfait, forêts et champs, ruisseaux, un chien parfois me souriant.

Tant de beauté demandait quelques cris, qui allaient tôt ou tard serépercuter sur une surface brute : bois, pierre, toile. La blancheur dupapier l’a emporté, que j’ai enveloppée des éclaboussures de la beauté.

Mais j’oublie l’odeur des perdrix et des feuilles mortes, j’oublie la voixde ma mère chantant La poulette grise pendant que les moineaux pico-rent les morceaux de pain blanc jetés sur la galerie. J’oublie que je suisnée dans les bras chauds de cette voix rassurante et qu’il y a toujoursdes oiseaux dans mon sillage, des hiboux et des buses se nommantCrappy Owl ou Irving.

Reprenons au début, à l’un de mes multiples commencements, puisquequiconque naît une seule fois meurt forcément trop jeune.

Reprenons là où près des arbres il y a de l’eau, un lac où j’allais passerles étés de mon enfance, nager jusqu’aux frissons et jusqu’aux lèvresbleues, avant la première mort, avant que l’enfant voie la nuit et qu’elledéverse l’eau du lac dans une mer agitée. Ce sont là les premiers écrits,où la furie des vagues balaie les arbres, où des corps échouent sur desrivages inventés, Sath, Noth, Euth, car entre les arbres et la mer, il yaura eu l’envoûtement des mots colorés d’images, Le caneton téméraireet Les trois petits cochons déboulant pêle-mêle de l’armoire à livresavec Le géant égoïste. Il y aura eu les années de collège, Réjean

Ducharme et Marie-Claire Blais, la découverte inespérée de MonsieurSonge suivant de près Lol V. Stein et Molloy, un plein rayon de livresblancs liserés de bleu ciel ouvrant de nouveaux horizons aux cris.

Il y aura eu ce jour où j’ai décidé de m’appeler Charlie etde tomber amoureuse à Venise, « Charlie amène-moi enbateau j’ai le mal du pays », où j’ai décidé de m’appelerHarry pour pouvoir siroter mon Jack Daniel’s devant l’en-seigne de Dan’s Pizza, où j’ai décidé de m’appeler Marnieet de nommer mes oiseaux Crappy Owl.

Si je devais me définir, il me faudrait poser aux côtés deCharlie, la tête appuyée sur l’épaule de Bob Richard ou déri-vant sur Mirror Lake avec un homme me demandant si jesuis Bob Winslow ou Bob Moreau. Il me faudrait reproduireun portrait de groupe au bord d’un lac, par une journéemenacée par l’orage et le hurlement des coyotes. Tous mespersonnages seraient là, y compris le chien Jeff, assis sage-ment près de Miro et de Whisky, l’autre chien de ma vie. Àl’arrière-plan, on verrait Butor et Virginia Woolf au milieude mon panthéon, et mon amie Marie-Josée regardant avecmoi la mer de Sath. On verrait l’homme avec qui je suis la

piste des lynx et des chevreuils m’entraîner sur les chemins de Waldenet de Thoreau. Puis on apercevrait Jacques et Yvette, Guy, Réjean,Denise, ceux d’hier et ceux d’aujourd’hui, mon amie Louise prenantun verre avec Duras, dont l’image s’effacerait lentement pour faireplace à William Irish, à la noirceur d’une certaine Amérique recrééepar Faulkner et McCarthy. Sur tous ces gens défileraient des images,le train de Turner traversant la toile pour rencontrer celui des frèresLumière, Gloria Swanson donnant la réplique à William Holden, BorisVian astiquant sa trompinette derrière le fantôme de Charlie Parker,pendant que les forêts du Viêt Nam s’enflammeraient sur la voix deJim Morrison.

Un portrait de famille que je pourrais intituler « Les miens et moi »,pour l’accrocher au mur près d’autres photos de famille, papa etmaman à New York, 1959, mon frère Tom caressant Whisky, sept ans,mes sœurs alignées sur le sofa du salon, moi assise sur les genoux demon père, souliers vernis sur velours vert.

Il me faudrait alors retourner sous les arbres et y graver mes noms,Marie, Mary, Marnie : Andrée. Il me faudrait écrire « papa est mort »et reprendre au début, parler de l’enfant courant pieds nus dans laneige, dire qu’écrire vient des lèvres bleues, du désir de vivre au-delàde l’épuisement. Rappeler que tout s’est installé avant la mort, quetout s’est poursuivi après la chute et son vertige à l’infini.

Il me faudrait ajouter qu’à cinquante-six ans, je suis revenue m’installersous les arbres, non loin de la maison où j’ai grandi, parce qu’on nepeut naître entourée par les épinettes et mourir aveuglée par les néons,parce que l’envie de retrouver l’enfance et ses éblouissements est l’unedes piteuses illusions de l’âge. Et pourtant la jeune fille qui s’est miseà écrire pour rattraper le vent n’a jamais quitté le village. Je l’aperçoisdans le sous-bois quand fleurissent les quatre-temps. Je suis elle quandl’odeur des petites fraises vient me chercher au creux du ventre et medonne envie de pleurer tellement ça sent le bonheur simple. Je suiselle quand je marche dans la Languette et que j’entends gronder lesours. Je suis elle sous ma peau de vieil arbre rugueux et je continue àécrire dans la lumière de la pluie verte, je continue à grimper aux pom-miers pour ramener l’odeur des vergers dans mes histoires, le goût dela terre qui dégèle et de la sève qui colle aux doigts. Et il en sera ainsijusqu’à la dernière mort, avant qu’on m’enterre au pied d’un érabledont on pourra faire un roman à simplement le regarder.

par ANDRÉE A. MICHAUDAutoportrait

ANDR É E A . M I C H AUD

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Traverser les lignesIl y a dans la trajectoire d’Andrée A. Michaud une douce évolution entreses premiers romans, péchant par l’exigence formelle (La femme deSath, Portraits d’après modèles), et ceux qui investissent le mauvaisgenre de la littérature policière, doucement d’abord (Le ravissement,Le pendu de Trempes), franchement ensuite (Lazy Bird, Bondrée). Enentrevue avec elle, ce sont les ruptures et la continuité de cette œuvreque je veux explorer. Il s’agit d’ailleurs de ma première question.

David Bélanger — Comment expliques-tu ces change-ments dans tes romans ?

Andrée A. Michaud — Je sens une légère déception dansta question, à moins que je ne l’imagine, tout simple-ment, la peur de déplaire ou de perdre l’estime de cer-tains pour avoir choisi une voie apparemment plus facile,je dis bien apparemment, nous plaçant parfois dans dessituations où l’on se sent déchiré entre ce que nous dictenotre instinct et ce que nous croyons être l’attente deceux qui suivent l’évolution de notre œuvre. En ce quime concerne, je n’ai cependant aucun regret. Le virageque j’ai pris avec Mirror Lake, roman pour lequelj’éprouve un attachement particulier, même si le cinémal’a quelque peu malmené, n’était soumis à aucun impératifautre que celui de suivre mon instinct et de répondre àcette nécessité première de l’écriture : le plaisir. Je nepeux en effet concevoir l’écriture — et me demande com-ment il pourrait en être autrement — en dehors de ceprincipe de plaisir qui seul est garant de la qualité du résul-tat et du plaisir que prendra lui-même le lecteur. Si l’écri-vain s’emmerde et n’écrit que pour répondre à des diktatsqui orienteront l’opinion de la critique ou de l’intelligentsiauniversitaire, le résultat sera à la mesure de cet ennui, decette tricherie, et le lecteur ne sera pas dupe. L’orientationque j’ai prise dans les années 2000 répondait à ce principe,d’où découlait un besoin d’explorer d’autres formes et dene pas m’enliser dans une spirale où je ne ferais que merépéter. J’ajouterai que ces autres formes, quoique plusconventionnelles, n’excluent pas un travail narratif et for-mel tout aussi exigeant, qui demeure toutefois moins visible du momentqu’il est à l’œuvre dans un récit plus linéaire.

D.B. — Peut-on dire que tes ambitions ont changé ? Que recherchais-tu dans la littérature, dans l’écriture pendant ce qu’on pourrait nom-mer ta première période ?

A.A.M. — Il est vrai que cette première période, de La femme de Sathau Pendu de Trempes, qui pourrait elle-même être subdivisée en sous-périodes, correspond à une époque où j’axais davantage mon travailsur la forme, sous l’influence du nouveau roman, entre autres, si l’ons’en tient à La femme de Sath et à Portraits d’après modèles. Cela s’ac-cordait avec un certain état d’esprit, avec le désir que nous avons tous,je crois, quand nous entamons une carrière d’écrivain, d’émuler ceuxqui sont devenus nos maîtres ou, tout au moins, de suivre leurs traces.Il faut ajouter à cela l’influence encore fraîche des lectures théoriquesconstituant le passage obligé de quiconque fait un détour par l’univer-sité. Je ne critique pas ce passage et ne le regrette pas, bien au

contraire, puisque ce sont ces lectures qui m’ont formée.Je dis seulement que son empreinte ne pouvait qu’orien-ter ma vision de l’écriture avant que j’en conçoive unevision plus personnelle. Je n’ai d’ailleurs pas abandonnéce travail formel, puisque j’y reviens dans le roman queje viens de commencer à écrire, mais après avoir exploréles rapports entre l’écriture et diverses formes artistiques,après avoir plongé au cœur de la folie dans Le ravisse-ment, puis au plus profond d’une noirceur teintée dejudéo-christianisme dans Le pendu de Trempes, j’avaisl’impression d’avoir bouclé une boucle qu’il me fallait

dénouer pour passer à autre chose.

D.B. — Et pour la suite ? Dans ta seconde période, tu assuivi ton instinct, mais où celui-ci t’a-t-il menée ? Quelobjectif littéraire te guide, depuis lors ?

A.A.M. — Dans les romans qui ont suivi, et qui obéissentà ce changement de cap nécessaire, c’est le propos quiprime, peu importe le genre emprunté, et si ce proposn’a plus pour objet un quelconque langage artistique, l’his-toire, contrairement à ce qu’on pourrait avancer, nedemeure qu’un véhicule servant encore et toujours le pro-pos. Le roman, genre fourre-tout s’il en est un, n’a paspour simple but de raconter une histoire. Il est aussi objetde réflexion, de remise en question, objet d’introspectionpermettant à l’écrivain aussi bien qu’au lecteur d’observer

ces microcosmes au sein desquels il se déroule et qui reflètent unepart de cette réalité dont nous tentons tant bien que mal de com-prendre les rouages. Je ne prétends pas que l’intrigue soit sans intérêt,mais elle ne constitue en somme qu’un prétexte me permettant d’abor-der des sujets qui me tiennent à cœur, de reproduire tous ces décors,tous ces paysages qui m’habitent et de créer ces atmosphères troublesqui sont en quelque sorte devenues ma marque distinctive.

D.B. — On voit en effet, dans tes derniers romans, se dessiner unehistoire qui ne fonctionne pas pour elle-même, pour le seul plaisir del’énigme. Elle sert une ambiance, une étrangeté — exacerbée dansMirror Lake —, de telle sorte que le polar semble ne pas être une fin,dans ton écriture, mais un matériau. Est-ce ta perception ?

A.A.M. — Je suis assez d’accord avec toi sur ce sujet. L’intrigue, ainsique je le disais plus tôt, qu’il s’agisse d’une intrigue policière ou d’uneintrigue fondée sur une quête d’identité ou une quête existentielle,sert d’abord de véhicule à l’expression d’un propos qui se traduira dans

par DAVID BÉLANGEREntrevue

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une émotion, dans une réflexion, dans l’expres-sion d’un point de vue qui aura bien sûr un lienavec l’intrigue, mais qui la transcendera. Mais au-delà du propos, des émotions et des réflexionsqu’il génère, je m’attarde également, dans tousmes romans, à mettre en place une atmosphère,un climat particulier qui donnera sa teinte à l’in-trigue. Ce que tu nommes « étrangeté » procèdechez moi d’une volonté avouée de créer unmalaise, d’exploiter certains archétypes, certainsmythes en appelant à nos peurs fondamentales.Le climat qui en résulte est pour moi primordial,car il enveloppe le récit et en détermine la chargedramatique. De ce point de vue, je crois encore medémarquer du polar traditionnel, où il est rare, sil’on exclut la noirceur inhérente au genre, que ledécor et son empreinte sur le destin forcément tra-gique des personnages soient au centre du récit.

D.B. Tu parles du polar traditionnel qui, si tu t’endistancies, réussit quand même à marquer de sescontraintes certains de tes derniers romans. Jepense notamment à la nécessité de la résolution ducrime, de l’ellipse initiale laissée par le récit qu’uneinstance, le personnage d’enquêteur, doit remplir,expliquer, bref, résoudre. Or, dans les romans de tapremière période, mais encore dans RivièreTremblante, tes œuvres refusent de se dénouer, ellesrestent ouvertes ; la trame perdue, celle du crime oucelle d’un passé ténébreux, restera potentielle. Ondit qu’en raison de cette résolution de l’énigme, lepolar est un genre déceptif : les voies plurielles sontréduites à une voie unique et arbitraire. En tant qu’au-teure, ce travail de réduction-résolution est-il difficile?contraignant ?

A.A.M. — Résoudre ou ne pas résoudre, that is the ques-tion. Et je ne blague pas, car l’écriture est toujours sou-mise à ces deux tensions contradictoires, celle consistantà donner la réponse à ce qui se joue dans le roman, etcelle où la structure même de l’intrigue tend vers sanon-résolution, celle où le lecteur ne peut que supposerce qui s’est produit, que spéculer quant à la façon dontla perte sera comblée, si seulement elle est comblée. Ilest toujours possible, bien sûr, d’orienter le récit de façonà donner une réponse aux drames qui s’y sont noués,mais il est des situations où aucun drame ne peut êtrerésolu, où l’écrivain n’a d’autre choix que de laisser planerle mystère ou l’incertitude. Certains lecteurs m’ont parfoisreproché mes fins ouvertes, quand ils auraient préféréque je donne une réponse à ce qui, pourtant, ne peut êtrerésolu. Je ne prendrai ici pour exemple que RivièreTremblante, roman dans lequel le mystère entourant ladisparition de deux enfants n’est jamais levé. J’aurais purésoudre ces énigmes, mais j’aurais de ce fait trahi ce surquoi repose le roman, c’est-à-dire ces drames qui se retrou-vent dans la colonne des faits divers et qui, dans la réalité,ne sont presque jamais élucidés. Il n’y a pas de réponse àl’incompréhensible ou à la cruauté, et vouloir en donnerune est s’octroyer un pouvoir abusif ne menant, dans biendes cas, qu’à un détournement du récit à des fins purementintéressées. Il est ici question d’honnêteté, d’intégrité enverssoi-même et par rapport à la forme choisie. Il est d’autres

cas, par contre, où la forme même du roman, où le genreemprunté — et cela est en effet vrai de Lazy Bird et deBondrée —, déterminée par certains codes et certainsusages, exige la résolution de l’intrigue. Cela n’interdit pasde prendre quelques libertés avec le genre et de le trans-gresser, ce que je m’efforce toujours de faire, mais le jeuauquel je me prête ici exige que je réponde à certainesrègles.

D.B. — Mais dans ces derniers cas, la résolution agit-elle comme contrainte, ou, pour bien marquer la conno-tation de ma question, est-ce castrant ?

A.A.M. — C’est possible. En réalité, je ne me suis jamaisposé la question. Devoir dire qui a tué, qui est le meur-trier, qui est le responsable d’un drame, ce qui est arrivéou n’est pas arrivé à tel ou tel personnage suppose-t-ilune moindre liberté ? Du point de vue de la structureromanesque, probablement, mais toute forme d’écri-ture comporte des contraintes, toute forme d’écriture,devrais-je dire, est basée sur la contrainte (que je dis-tinguerais de la castration, puisque celle-ci placeraitl’écrivain dans un état d’impuissance totale où touteparole serait impossible). L’écrivain n’est libre que lors-qu’il n’écrit pas. Dès qu’il a écrit la première phrased’un texte, quel qu’il soit, il vient de réduire le champde sa liberté.

D.B. — Cette conscience que tu sembles avoir de lacontrainte, inhérente à toute expression, ne se maté-rialise pas de la même manière selon les médias :la photo, la peinture, le cinéma imposent des rap-ports au langage, à la narration, au temps ou à l’es-pace très différents de ceux de l’écriture. Dans plu-sieurs de tes œuvres tu entretiens un rapport avecces médias, tu engages une réflexion sur lacontrainte de l’écriture même — je pense àPortraits d’après modèles, mais aussi au magni-fique Projections, avec Angela Grauerholz.Question sèche: l’écriture manque-t-elle d’images?

A.A.M. — Bien au contraire. L’écriture est image.Elle est fondée sur l’image, sur la représentationdu réel, ou de ce que nous nommons tel, à l’aided’un matériau qui a le pouvoir de le reproduired’une manière qui lui est intrinsèque. Ce matériaufait appel à toute une série de codes, à une gram-maire littéraire et iconographique commune aulecteur et à l’écrivain et servant à la constitutionde l’image. Mon travail avec Angela illustrait cerapport d’équivalence, forcément partiel, entrel’imagerie photographique et l’imagerie littéraire.

D.B. — Mais que cherches-tu, plus largement,dans cette imbrication des différents médias àl’intérieur de ton écriture ?

A.A.M. — Le recours au langage pictural, photo-graphique ou cinématographique a constituépour moi une façon de mettre en parallèle ceslangages avec l’écriture en tant que telle et devoir en quoi l’écriture peut les reproduire, com-ment elle peut les illustrer, comment on peut,

Entrevue Andrée A. Michaudpar DAVID BÉLANGER

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avec des mots, créer une toile, par exemple, ou faireapparaître les contours d’un visage ainsi qu’ils appa-raissent dans un bain photographique.

J’ai principalement utilisé ces deux médiums, la pein-ture et la photo, dans Portraits d’après modèles, où ils’agissait pour moi d’opposer l’instantanéité de la pho-tographie (je parle ici d’une photographie que l’onpeut dire brute, c’est-à-dire non réarrangée à l’aidedes divers procédés qu’on peut utiliser aujourd’hui),et la vérité qu’on lui associe, avec la perception dutemps dans la peinture, qui ne possède pas cette ins-tantanéité et peut de ce fait mentir plus aisément,interpréter, traduire ou représenter un motif avec unedistance que n’autorise pas aussi facilement la pho-tographie. Dans Alias Charlie, par contre, j’ai cherché,par le recours au langage cinématographique, à don-ner au récit un rythme plus haletant, plus hachuré,comme le permet le montage au cinéma, de transpo-ser certaines scènes en images mouvantes et de voiren quoi cette perception du réel par le truchement del’image animée pouvait modifier le point de vue.

Quant aux nombreuses allusions au cinéma, à la télé-vision, à la musique ou à la chanson qui parsèmentmes romans, elles ne sont qu’une façon d’ancrer mespersonnages dans une époque entièrement tissée deces références à une culture qui envahit nos quoti-diens et nous détermine pour une bonne part,puisque nous sommes entre autres constitués de lasomme des produits culturels que nous consommonstous les jours dans notre salon ou dans divers lieuxpublics. Considérant cette emprise de la culture demasse, mais aussi d’une culture plus marginale, il mesemble impossible de définir un personnage vivant ànotre époque sans créer des liens avec ces produitsculturels qui, jusqu’à un certain point, sont partieintrinsèque d’une identité qui se modèle au discoursmédiatique ambiant ou à un discours plus élitiste.

D.B. — Il est intéressant que tu parles de ces formesd’art comme reflets de l’époque, car on sent cetteprégnance dans tes derniers romans — surtout ceuxqui participent de ce que tu nommes ta trilogie états-unienne : Mirror Lake, Lazy Bird et Bondrée. On nese contente pas de traverser une frontière, dans cesœuvres, on traverse une culture. C’est frappant dansBondrée : l’histoire se déroule très clairement l’annéede Lucy in the Sky with Diamonds, il s’agit de latrame de fond culturelle. Conçois-tu cette culture,populaire et américaine, comme une simple proxi-mité, une influence, un lieu d’énonciation ?

A.A.M. — C’est un peu tout cela à la fois, car je m’ef-force, au lieu de nier cette culture, d’en attester laprésence, sans pour autant en faire l’apologie.Pendant longtemps, nous nous sommes réclamés del’Europe, et particulièrement de la France, pour nousdéfinir et nous affirmer, adoptant en cela une positionoù nous n’arrivions pas à nous départir totalementde l’attitude soumise du colonisé admirativementbéat devant tout ce qui provient de la mère patrie oudevant tout ce qu’elle décrète. On pourrait rétorquer

que l’adhésion à la culture états-unienne participeaussi de ce réflexe du colonisé, mais je le conçoisautrement, car cette adhésion n’est que partielle.Opposer cette culture et la nôtre n’est qu’une façonde faire ressortir nos particularités au sein du conti-nent américain, une façon de montrer comment nousnous réapproprions ce qui est également nôtre etcomment nous l’adaptons à notre réalité propre. Noussommes d’abord et avant tout des Américains, nondes Français d’Amérique.

D.B. — Ton écriture nous rend ces communautésaméricaines de façon limpide; bien que l’anglais soit,j’ai cru le noter, plus présent dans Bondrée, la nar-ration fait fi, généralement, de cet univers anglo-phone. Évidemment, tu écris en français. Mais écrireen français une vie en Amérique, n’est-ce pas trans-gressif ? ne pas sauter complètement la frontière ?…

A.A.M. — Il s’agit là d’un parti pris assumé. Si la nar-ration est supportée par des personnages québécois,c’est que j’entends donner le point de vue duQuébécois francophone devant l’omniprésence de laculture états-unienne, mais aussi devant le fait quenous baignons dans cette culture — l’Amérique nese résume pas aux États-Unis, même s’ils y occupentla position dominante — et que nous la partageonsen grande partie. Je ne parle pas ici des seuls produitsculturels que représentent le cinéma et la littérature,mais d’une façon de vivre, d’une géographie et d’unclimat qui font de nous des Américains à part entièreet qui ne sont pas le seul apanage des États-Uniens.

Je plonge mes personnages dans cet univers états-unien non pour donner la parole à ceux qui y vivent,mais pour mettre l’accent sur nos ressemblances etnos différences, car malgré que notre culture ait denombreux points communs avec celle des États-Unis,elle se fonde aussi sur des différences sensibles queje tente de faire ressortir en plaçant mes personnagesdans un contexte qui les définit et les distingue à lafois.

Dans ma trilogie états-unienne, l’anglais et le françaisse rencontrent dans un univers où l’anglais prédomine,mais où c’est le français qui s’exprime et fait état, parcette prise de parole, d’une affirmation identitaires’opposant à l’assimilation, à l’envahissement. AvecBondrée, on se rapproche d’une frontière, linguistique,géographique et culturelle, où la langue et la culturequébécoises, à travers principalement la jeune narra-trice nommée Andrée, reprennent leurs droits, où ellesaffirment leur existence pleine et entière aux côtés dela présence états-unienne. Le titre du roman, en cesens, n’est pas innocent, car il s’agit du seul titre de latrilogie qui est en français, qui utilise un terme anglais,boundary, que le français s’est approprié.

D.B. Ainsi, je comprends de cette dernière réponsequ’après Bondrée, arrivée au bout de ce cycle,Andrée A. Michaud se tournera vers un nouveauchantier. La promesse d’un mystère, à résoudre oupas.

Andrée A. Michaud

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Nouveautés 2014Jean Royer, La voix antérieure (Coll. Chemins de traverse)

L’arbre du veilleur (Coll. Chemins de traverse) Robert Melançon, (Coll. Chemins de traverse)

Questions et propositions sur la poésieNicole Richard, La clairière

Martine Audet, Tête première, Dos, Contre-dosJacques Ouellet, On ne laisse rien

Pierre Ouellet, RuéesYves Laroche, Fulgurites ou l’e�et haïku France Cayouette, Voix indigènes (Coll. Résonance) David Courtemanche, Jours blancs (Coll. Initiale)

Michel Julien, Une �n en soi (Coll. Initiale)

Nadine Ltaif, Hamra comme par hasard

Éditions du Noroît

Yves Laroche

Fulguritesoul’e et haïku

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Les univers insolitesd’Andrée A. MichaudD’une remarquable cohérence et d’une profondeur rare, l’œuvred’Andrée A. Michaud s’érige lentement, tel un édifice à la fois fragileet intemporel. Ses personnages, tantôt aussi fuyants que des ombres,tantôt plus vrais que vrais, hantent un paysage unique dans la pro-duction littéraire québécoise contemporaine.

E n 1987, Andrée A. Michaud publie son premierroman, La femme de Sath, opus chaudementapplaudi par la critique. L’œuvre arbore une struc-

ture narrative complexe : une femme écrit et observe,puis finit par céder la parole à des témoins qui, commeelle, ont vu se côtoyer un homme et deux femmes,êtres de passage, insaisissables et engagés dans unequête éperdue d’amour. Située dans le village côtierde Sath, lieu inventé formant sur une carte imaginaireun triangle avec ceux de Noth et d’Euth, triangle rap-pelant la dynamique animant les trois inconnus, l’in-trigue baigne dans une atmosphère d’étrangeté, où unetension constante règne entre les villageois, les nou-veaux venus et la mer. Bientôt, la mer rejette uncadavre, celui d’une jeune femme. Or ce n’est pas lapremière fois qu’un tel drame se produit ni la dernière,la fatalité voulant que Sath accueille toutes les souf-frances et toutes les interrogations du monde.

Neuf romans ainsi qu’un recueil de fragments plus tard(ce dernier constituant un condensé, sous forme de prosepoétique, des romans de Michaud), force est d’admettreque La femme de Sath porte déjà en lui tous les motifs— obsédants — qui caractérisent l’œuvre à venir : le tri-angle amoureux fatal, la violence tapie au fond des corps,l’absurdité de la mort, l’impermanence de la mémoire,les plans d’eau capables de happer ceux qui s’y mirent detrop près, et les destins qui se reflètent les uns les autrestels des miroirs. S’ajoutent à ces motifs la fluidité de l’écri-ture, le dialogue avec les autres arts tels que la photogra-phie, le cinéma, la peinture, la musique, de même qu’ungoût pour l’intertextualité (Michaud aime citer les auteursqu’elle chérit) et l’intratextualité (tous les noms, lesschèmes formulaires, voire les bouts de phrases qui serépéteront d’un roman à l’autre).

L’œuvre littéraire de Michaud s’apparente donc au travail,lent et patient, de l’archéologue qui cherche à comprendreles choses, en creusant, strate après strate, jusqu’au dévoi-lement de la vérité, vérité qui ne saurait être que provisoire.

La difficile incarnation des êtres

Les trois premiers romans de Michaud, soit La femme deSath, Portraits d’après modèles et Alias Charlie, parlent decette douloureuse présence au monde d’individus trahis pardes émotions qui les dépassent. Dans La femme de Sath, un

triangle amoureux se fait et se défait sans cesse ;de ses ébats se dégage un profond malaise. Cemalaise ressurgit au fil de Portraits d’aprèsmodèles, lequel met en scène un couple ano-nyme partageant une chambre d’hôtel à proxi-mité d’un fleuve : un peintre prisonnier de lamémoire d’une certaine Léna et une femmesans nom qu’il a recueillie. Le couple entretientune relation surtout charnelle, mais le peintrecharge la femme de déchiffrer pour lui des pho-tos datant de son passé, photos hantées par lefantôme d’une certaine Léna. Pour l’homme,la femme anonyme va devoir inventer des his-toires autour de ces photos et, en quelquesorte, donner un sens à la perte. Mais ce devoirde mémoire ne suffit pas à guérir ces êtresécorchés, qui retourneront tous deux au fleuveet au néant.

Si l’eau fait ici figure de lieu originel au fondduquel on peut espérer retrouver la paix, il

par CHRISTIANE LAHAIEProfil

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n’en va pas de même dans Alias Charlie, oùCharles T., cinéaste voyeur et meurtrier, tombeamoureux d’Amelia Landberry, jeune femmesuicidaire qui, sous ses yeux, se laisse coulerdans les eaux glauques de Venise. Charlie s’en-ferme alors dans sa chambre d’hôtel et se metà visionner en boucle les bobines de film oùapparaît la femme aimée, qu’il va se mettre àchercher dans toutes les autres. Entre en scènePaula Santonelli, avec laquelle Charlie couche.Mais elle n’est pas Amelia, et l’homme la sup-prime avant de jeter son cadavre dans l’eau.Enfin, Charles T. rencontre la très jeune EmilyEversley, qui s’éprend de lui pendant que ce der-nier prépare déjà sa sortie : tel un hommagefunèbre à Amelia, Charlie se jette en bas d’unvaporetto et se noie. Dans la chambre d’hôtel deVenise, Emily, ayant remplacé Charles T. dans safolie, se remémore ses amours tumultueuses faceà un écran de cinéma : « Et puis tout devient noir.Tout devient silencieux. » (p. 152)

Ainsi, chez Michaud, Éros et Thanatos cheminentmain dans la main, le corps et ses pulsions pous-sant les êtres à s’incarner et, du coup, à trahir unidéal de pureté, voire d’immortalité.

Chair et transcendance

Avec Les derniers jours de Noah Eisenbaum, Le ravis-sement et Le pendu de Trempes, Michaud entameun nouveau cycle. Bien que les motifs obsédants del’auteure s’y trouvent toujours, le corps en tant quesiège de la jouissance n’en isole pas moins l’individudans sa subjectivité, subjectivité dont on ne sauraittrop se méfier. Pour prétendre à un peu de vérité, ilfaut donc viser la transcendance.

Par exemple, Les derniers jours de Noah Eisenbaumaborde la question de la difficile transcription du réel,à travers un personnage d’écrivain flirtant avec samort prochaine et tentant de mettre en place uneintrigue traversée par de nombreux personnages àl’identité et au statut incertains. Bientôt, une certaineNellie Levinson prend le relais de la narration etraconte qu’elle a épousé Thomas Deligny, puis qu’ellea eu une aventure avec Jérémie Lucas dont elle seraittombée enceinte. Levinson ne garde pas l’enfant, etla mort s’immisce entre elle et Thomas. Au fil despages, toutefois, on ne sait plus qui croire : Nellie ouThomas, qui s’appellerait en réalité Noah Eisenbaum.Et Nellie de se demander à juste titre : « Jusqu’où irale jeu de la fiction ? » (p. 101)

Quand paraît Le ravissement (Prix du Gouverneur géné-ral 2001 et Prix littéraire des collégiennes et collégiens2002), Michaud assortit ce jeu de la fiction à une intriguedans laquelle policier et fantastique ont droit de cité.Deux narrateurs s’y succèdent pour raconter leur destinidentique, soit leur passage aux Bois noirs, lieu où sévis-sent des êtres aux yeux pervenche et qui semblent sereproduire selon une trajectoire aussi incestueuse quefuneste. Les narrateurs, une femme venue se reposer à

la campagne, puis Harry Preston, un enquêteur, se sententirrésistiblement attirés par des amants improbables : l’unepar Hank, un boiteux, et l’autre par Élizabeth, une parentedu premier, à la chevelure de feu. Harry, alias Mike, en vientà croire que ces deux personnages masquent leur crimed’inceste par la mise à mort de leur progéniture. En effet,dans ce village où pèse la loi du silence, une enfant connaîtune mort violente tous les dix ans. En outre, dans la maisonque les narrateurs louent à tour de rôle, des voix en pro-venance du sous-sol se font entendre : Preston, en ouvrantune trappe, y trouve les restes de Talia Jacob et d’AliciaDuchamp. L’une aurait été tuée par la précédente loca-taire, et l’autre, par lui. Incapable de se souvenir de ce quise serait passé et fou de douleur, le policier, exonéré detout blâme, va revenir plus tard aux Bois noirs pour enle-ver Maria, troisième fillette aux yeux pervenche dont ilentend sauver la vie. Mais rien n’indique que Maria existevraiment…

Trois ans plus tard, avec Le pendu de Trempes, Michaudatteint une sorte de quintessence dans l’art d’explorerles limites que le corps et la mémoire imposent à laconscience. C’est sur les traces de Charles Wilson, sortede loque humaine, que le récit entraîne son lecteur,lequel découvre peu à peu ce que le protagonistecherche dans la clairière où l’attend, fidèle, le cadavrependu d’un ami d’enfance. Cette fois, le surgissementdu désir ne sera pas seulement synonyme de mort, maisprétexte à une réflexion sur l’existence du bien et dumal, sur la bienveillance absente de Dieu et l’omnipré-sence apparente du Diable.

Un nouveau ton

Avec Mirror Lake et Lazy Bird, l’univers étranged’Andrée A. Michaud se déploie autrement : on passe,en quelque sorte, de l’exploration formelle à une écri-ture « scénaristique », laquelle offre une intrigue pluslinéaire et des personnages dont on pourrait presquedire que la culture populaire les a rendus familiers : lesolitaire en quête de paix, le voisin envahissant, lepolicier véreux, la femme fatale. Dans Mirror Lake,c’est Robert Moreau qui va se mesurer aux eauxmeurtrières d’un lac, où apparaît puis disparaît àintervalles réguliers un cadavre, puis à un personnagemiroir : son voisin d’en face, Bob Winslow, dont parune sorte de phénomène de métempsycose il va finirpar occuper le corps, ainsi que celui d’une flopéed’autres, notamment celui d’Albert, un raton laveur.Le fantastique et l’humour se côtoient sur les rivesde Mirror Lake, sans pour autant que l’un et l’autres’annulent. Le côté accessible du roman lui a valuune adaptation pour le cinéma en 2013 par ÉrikCanuel, sous le titre de Lac Mystère. Mais l’œuvren’en est pas moins pourvue de qualités littéraires,ce que confirme le prix Ringuet qu’on lui attribue.

Jusqu’à un certain point, Lazy Bird, polar faisantmaintenant partie de la collection « Roman noir »du Seuil, reprend là où Mirror Lake avait laissé :même type de patelin, mêmes personnages déjan-tés, mêmes références fréquentes à l’art mais sur-tout au jazz qui, cette fois, va bercer les faits et

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Profil par CHRISTIANE LAHAIE

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gestes de tout un chacun. L’humour est encore aurendez-vous, bien qu’il se fasse désormais plus grin-çant, et l’intrigue, plus tragique. En effet, BobRichard, un albinos venu jouer les DJ de nuit auVermont, trouve sur son passage de nombreuxcadavres, dont celui d’une jeune marginale qu’il sur-nomme affectueusement Lazy Bird, puis celui de laserveuse du Dinah’s Diner. Aidé de Charlie the WildParker et en dépit de l’officier de police Cassidy,Richard va permettre l’arrestation de l’inconnue leharcelant au téléphone depuis son arrivée à SolitaryMountain et qui, par jalousie, s’emploie à tuertoutes les femmes qui prétendent entrer dans lavie du DJ. Fin de l’histoire ? Rien n’est moins sûr.

De ces morts contre nature

Rivière Tremblante, par sa structure narrative spé-culaire propre à Michaud, provoque la rencontrede Marnie Duchamp et de Bill Richard. Duchampa vu se volatiliser un ami d’enfance dans des cir-constances mystérieuses ; la petite fille de Richardn’est jamais rentrée à la maison. La disparitiond’un troisième enfant précipite ces traumatisésdans la tourmente de leurs souvenirs et de leurculpabilité rampante. Malgré lui, le jeune MichaelSaint-Pierre délivre, par sa mort et tel un agneausacrificiel, ces deux êtres qui, aux prises avec leurpassé, parviennent à s’ouvrir de nouveau à lavie, le roman offrant une fin lumineuse, motifrare dans l’œuvre de Michaud.

On pourrait soutenir que Bondrée débouche surune conclusion comparable, bien que l’intriguefasse ici la part belle à une violence et à unecruauté que seule la folie peut engendrer. Leroman ne se présente pas comme un polar, etpourtant… Boundary Pond, région hantée parle fantôme de Pierre Landry, un trappeur qu’onaurait trouvé pendu dans sa cabane, devientau cours de l’été 1967 le théâtre d’une éton-nante danse macabre: on trouve les dépouillesde Zaza Mulligan, puis de Sissy Morgan, deux

inséparables amies, mortes au bout de leur sang aprèsavoir été « mordues » à la jambe par un piège à ours.Dépêché sur les lieux, l’enquêteur Stan Michaud vatout faire pour trouver le coupable, mais il faudra unetroisième agression pour que soit enfin résoluel’énigme. La petite communauté qui vivait au rythmede Lucy in the Sky with Diamonds des Beatles finit parse disloquer, mais tout indique que Boundary Pond varenaître, le temps et l’oubli aidant. Dans RivièreTremblante et Bondrée, la romancière insiste donc surla disparition d’enfants ou d’adolescents, comme s’ilfallait maintenant faire périr la jeunesse pour soulignerà quel point la mort, quel que soit le moyen par lequelelle advient, demeure révoltante et odieuse.

« Œuvre éminemment personnelle » : voilà un lieu com-mun qui a l’avantage d’endiguer le flot d’idées qui vien-nent à l’esprit quand il s’agit de commenter les livresd’Andrée A. Michaud. Cliché certes commode, mais donton se doit également de reconnaître qu’il colle parfaite-ment au travail remarquable de l’écrivaine. On pourraittoutefois ajouter : «d’une pertinence et d’une profondeurrares », « d’une élégance qui ne se dément jamais, mêmedans l’évocation de l’abject» ou encore «d’une cohérencepresque suspecte ». Une chose est certaine, l’œuvre deMichaud envoûte… et dérange.

B I B L I O G R A P H I E

La femme de Sath, Montréal, Québec Amérique, [1987] 2012, 184 p.Portraits d’après modèles, Montréal, Leméac, 1991, 160 p.Alias Charlie, Montréal, Leméac, 1994, 184 p.Les derniers jours de Noah Eisenbaum, Québec, L’instant même,1998, 141 p.Le ravissement, Québec, L’instant même, 2001, 216 p.Projections (en collaboration avec la photographe AngelaGrauerholz), Québec, J’ai vu, 2003.Le pendu de Trempes, Montréal, Québec Amérique, 2004, 232 p.Mirror Lake, Montréal, Québec Amérique, [2006] 2013, 368 p.Lazy Bird, Montréal, Québec Amérique, 2009 ; Seuil, 2010, 424 p.Rivière Tremblante, Montréal, Québec Amérique, 2011, 368 p.Bondrée, Montréal, Québec Amérique, 2014, 304 p.

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Dossier par JEAN-FRANÇOIS CARON

Poésie actuelle : les nouvelles voiesMarginalisée dans les médias, souvent confidentielle dans le brou-haha du marché du livre, la poésie québécoise actuelle n’en est pasmoins vive. Elle se fait remarquer sur différentes scènes et est portéepar des initiatives originales. Qui la fait vivre? Est-elle toujours sou-tenue par les jeunes? Portée par un vent de révolte?

Poésie de l’après-guerre

Après la Seconde Guerre mondiale, l’industrie du livre subit soudaine-ment les conséquences d’une logique de marché de laquelle elle a ététenue à l’écart artificiellement par les lois martiales. La guerre de 1939-1945 a effectivement des effets bénéfiques pour l’industrie du livre auCanada français, alors que, par décret, nos éditeurs acquièrent le droitde reproduire les livres publiés en territoire ennemi — ce qu’est deve-nue la France sous occupation allemande.

Or, la fin du conflit mondial sonne le glas de ce privi-lège, et les éditeurs, qui voient se dégonfler la balounede leurs ambitions, subissent en plus une importantehausse des prix du papier et une augmentation dessalaires dans l’industrie. Cette situation cause d’ailleursla faillite de plusieurs d’entre eux, diminuant de moitiéles ventes globales de livres issus de notre territoire.

Une telle période de disette a forcément une incidencesur le nombre de livres édités — ce qui touche parti-culièrement les poètes. Hélène Pilotte, qui est aux pre-mières loges lors de la fondation de l’Hexagone, l’ex-prime en ces mots : « Les maisons d’édition ordinaires[sont] avant tout préoccupées de l’aspect commercialde la chose à publier, puisque ces éditeurs y trouv[ent]leur gagne-pain1. »

Contre-censure

Au-delà des répercussions économiques de l’éclatement de la bulle édi-toriale de la Seconde Guerre mondiale, un autre problème d’importancefreine les ardeurs des auteurs de l’époque, en particulier des poètes.Christine Tellier, dans Jeunesse et poésie. De l’Ordre de Bon Temps auxÉditions de l’Hexagone (Fides), décrit qu’en ces années de l’après-guerre,«un écrivain d’ici qui souhaitait voir son œuvre publiée et diffusée devaitfaire face à une certaine faiblesse du système de l’édition au Québec,qui était principalement entre les mains des autorités religieuses2.»

Effectivement, à cette époque, plusieurs maisons d’édition se montrentfrileuses et, faisant même preuve de censure, vont jusqu’à retirer cer-tains titres de leur catalogue afin de plaire aux élites politique et reli-gieuse. Chez Fides et Beauchemin, on publie bien quelques plaquettes,mais selon André Marquis, elles sont éditées « à condition que leursrecueils véhiculent l’idéologie de ces maisons […]3»

Devant ce phénomène, des poètes cherchent d’autres solutions, s’en-gagent contre cet assujettissement de l’édition de poésie aux lois dumarché et à la censure, et créent différents événements ainsi que de

nouvelles maisons consacrées àl’édition poétique — parmi les-quelles Les Cahiers de la fileindienne, fondée en 1946 par Gilles Hénault et Éloi deGrandmont, qui fera exemple.

Suit notamment Erta, en 1949,ce bel animal auquel RolandGiguère a donné vie. Cette der-nière initiative a toutefois deslimites importantes : elle est

essentiellement artisanale, au sens où Giguère produit lui-même seslivres, mais aussi parce qu’il réalise en moyenne des tirages d’à peine85 exemplaires de chaque livre. Ce qui n’en faisait pas moins le plusgros éditeur consacré à la poésie à l’époque, selon Tellier.

Bien qu’on sente une certaine effervescence avec la création de nou-velles plateformes d’édition, on ne parle évidemment pas ici de la nais-sance de la poésie québécoise, qui préexistait à ces événements. SelonGilles Marcotte, qui signe la préface du livre de Tellier à propos del’équipe qui crée l’Hexagone :

[l]a révolution poétique, au Canada français, est déjà accom-plie par Saint-Denys Garneau, Alain Grandbois, Rina Lasnier,Anne Hébert, et il ne s’agit pas, pour les membres du groupe,ni de la continuer ni de la contester. Leur désir vient d’ailleurs,non pas de la poésie elle-même mais de ce qu’elle permet dedire, non pas de la littérature mais de ce fourmillementd’idées, de sentiments, qui était le propre des mouvementsjeunesse4.

K IM D O R É

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À cette époque, il y a effectivement de grands mouve-ments au sein de la jeunesse, entre autres celui des Clansde Routiers, qui atteint alors son paroxysme. Lorsqu’enjuillet 1953 on célèbre la parution du premier recueilpublié par l’Hexagone (Deux sangs, de Gaston Miron etOlivier Marchand), autour d’un feu de camp qui éclairela berge de la rivière des Prairies, on sent bien quequelque chose se produit. Marcotte dira qu’il ne s’agissaitpas seulement de « la naissance d’une entreprise à pro-prement parler poétique, mais celle d’une voie nouvelle d’expression».

L’institution de la poésie

Cette volonté d’autonomie donne d’ailleurs l’exemple à d’autrespoètes, qui choisissent aussi de créer de petites struc-tures d’édition. Des décisions politiques sont prisesqui favorisent le développement de l’industrie,et si cela ne touche pas exclusivement la poé-sie, elle n’en est tout de même pas exclue.Non seulement est-elle publiée et lue, maison assiste à sa lente institutionnalisation.Depuis la fondation de l’Hexagone (1952)jusqu’à aujourd’hui, en passant par lanaissance des Herbes rouges (1968), desÉcrits des forges (1971) ou du Noroît(1971), une fenêtre s’ouvre dans le mar-ché du livre, qui restera plus ou moinsouverte par la suite.

Depuis les initiatives des années soixante-dix, même si sa situation n’a jamais été« facile », la poésie a vécu un lent processusd’institutionnalisation. On entend bien sûrpar là le fait qu’on l’a reconnue au sein desorganismes gouvernementaux, dont lesconseils des arts qui subventionnent à la foisla création et l’édition de poésie, mais aussidans les établissements d’enseignement, oùelle a été non seulement enseignée mais étudiée jusqu’aux cycles supé-rieurs. De plus, elle a vu s’instituer différentes entités venant en quelquesorte attester son existence propre, comme s’il avait fallu pour cela unsceau.

Parmi ces nouvelles structures consolidant l’institution poétique, onnotera la mise en place de récompenses comme le prix Émile-Nelligan(créé en 1979) et le prix Félix-Leclerc de poésie (dont la première éditionconcordait avec le dixième anniversaire de la mort du poète, laquelleest survenue le 8 août 1988).

Si des prix comme le Athanase-David avaient pu à l’occasion soulignerle travail de poètes auparavant, il aura fallu attendre ces nouvelles ini-tiatives pour que toute la lumière soit faite sur la poésie de la relève.

Initiative du neveu du célèbre poète, le regretté Gilles Corbeil, etd’autres de ses héritiers, la Fondation Émile-Nelligan a pour objectifsd’honorer la mémoire de l’auteur du Vaisseau d’or et d’apporter unsoutien au milieu littéraire. Elle a créé son fameux prix, assorti d’unebourse de 7 500 $, offert à un poète francophone de moins de 35 ans,grâce aux droits d’auteurs accumulés du poète. Avec son Nœud coulant,Michaël Trahan était, cette année, le trente-cinquième jeune poète àen être le lauréat. Plusieurs des noms des poètes ayant reçu le mêmehonneur ont continué de laisser leurs traces dans les glaises littéraires

québécoises – qu’on pense aux Claude Beausoleil,Normand de Bellefeuille, Élise Turcotte, Tony Tremblay,Jean-Simon DesRochers, Kim Doré… Quant au biennal prixFélix-Leclerc de la poésie, aussi adressé à des poètes demoins de 35 ans, il est accompagné d’une bourse de milledollars, et l’auteur est invité à joindre sa voix à celles despoètes rassemblés pour cette autre grande institutionpoétique : le Festival international de poésie de Trois-Rivières (FIPTR).

Initiative sans doute improbable au départ, le Festivalinternational de poésie de Trois-Rivières célèbre pourtantcette année son trentième anniversaire. Incontournable

institution s’il en est une, avec ses nombreuses rencontres et lectures,son École nationale de poésie et ses différents ateliers, l’événement,qui jouit aujourd’hui d’une reconnaissance indéniable, permet auxpoètes québécois de se retrouver sur scène avec des poètes du monde

entier et de faire entendre leurs voix, à tous, à un public de plusen plus connaisseur.

Elle-même fondée en 2000, la Maison de la poésiede Montréal a aussi créé son propre Festival de

poésie de Montréal, pendant lequel se tient leMarché de la poésie, un colloque et son Prixdes lecteurs.

S’ajoutent au portrait de l’institution poé-tique québécoise des événements d’impor-tance comme Nuit blanche sur tableau noir,dont la 19e édition se déroule cette année

du 28 au 31 août, ainsi que la reconnaissanceaccordée à quelques revues dédiées — dont

les plus marquantes sont sans doute Estuaire(1976), Le Sabord (1983), Exit (1994) — qui ontaussi largement contribué à la mise au mondede la nouvelle poésie québécoise en devenantdes espaces privilégiés pour faire connaître lesplumes les plus récentes.

Hors du livre, point de salut ?

Ce processus, lent mais certain, d’institutionnali-sation de la poésie québécoise a eu des avantages indéniables, dont laprofessionnalisation du milieu. Car si les médias sont encore pour plu-sieurs absents du territoire poétique, des réseaux se sont tissés, réelsou virtuels, favorisant les échanges. Et, il faut bien l’admettre, l’aidegouvernementale a jusqu’ici assuré une production de livres de poésierelativement régulière et sérieuse. Mais toute poésie se sent-elle à sonaise au sein de l’institution ? N’est-ce pas d’ailleurs le propre du poèted’interroger ses propres conditions d’écriture, voire d’existence ?

Ce que nous montre ce succinct rappel historique, c’est sans doute quela poésie ne dépend pas des institutions en place pour exister — elleest toujours là. En entrevue, Kim Doré, poète et fondatrice des éditionsPoètes de brousse en 2003, résume bien la question: «Elle n’a jamaisréellement failli à se créer des lieux.»

Et ces territoires, ils se déploient dans tous les sens depuis quelquesannées. On voit d’ailleurs se créer des événements, des organes dediffusion, des coopératives d’édition — tout y est, tout y passe. PourKim Doré, il y a toutefois un risque :

D’un côté, l’avènement des nouveaux médias et des réseauxsociaux semble avoir contribué à multiplier et surtout diver-sifier les espaces consacrés à la lecture de la poésie, secouantles instances officielles et ouvrant de nouvelles perspectives

PO É S I E A C T U E L L E :

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sur ses horizons d’attente ; on doit s’en réjouir. De l’autre, ilarrive que cette effervescence s’accompagne d’une forme dedésinvolture où les poètes deviennent souvent plus importantsque les poèmes5.

Le test oral

Notamment, une poésie plus proche de l’oralité a pris d’assaut lesscènes qui se sont ouvertes avec le développement du slam. Mêmeles événements de lecture publique, qui n’ont pas toujours eu bonneréputation, parce qu’ils charriaient dans leurs programmes les soiréesd’ennui qu’ils ont accumulées à force d’hermétisme et d’envoléesdéjantées, semblent avoir repris du lustre depuis le fameux Moulin àparoles qui a soufflé au kiosque Edwin-Bélanger des plaines d’Abraham,en 2009.

Cette poésie qui passe par la bouche a aussi retrouvé le chemin deslivres, entre autres avec la création des éditions de l’Écrou par Jean-Sébastien Larouche et Carl Bessette en 2009. Résolument tournés versune poésie orale aux accents jouals, assumant la forte américanité deleurs textes, les deux éditeurs les plus punks du Québec ont créé unlieu répondant exactement à leurs attentes. Bessette rappelle :

On a oublié que la poésie, à la base, c’était oral. Les rimesétaient là pour qu’on s’en souvienne, parce que les gens nesavaient pas écrire… Toutes les grandes œuvres d’époqueétaient faites en poèmes pour qu’on puisse s’en souvenir plusfacilement.

À cela, Kim Doré répond :

Oui, la poésie a une longue histoire marquée à la source parla tradition orale. Oui, il arrive que la poésie contemporainerejoigne plus aisément son lectorat ou de nouveaux lecteursdans un cadre de lecture publique ou de performance. Non,le conte et le slam ne sont pas de la poésie6.

Pour elle, c’est le glissement du point d’attention vers la performancedu texte plutôt que l’intérêt porté au texte lui-même qui fait toute ladifférence.

La jeunesse éternelle

L’un des mythes les plus tenaces à propos de la poésie est qu’elle estportée par la jeunesse, comme si depuis toujours les poètes avaientété jeunes et verts, avaient trépassé avant d’être atteints par le temps.La cofondatrice de Poètes de brousse nous met en garde contre lesabus sur cette question :

Il faut faire attention quand on dit que jeunesse et révoltevont de pair avec la poésie. Parce qu’il y a tous ces clichés, lejeune Rimbaud, ou le jeune Nelligan, complètement fous,exaltés et inspirés, mais qui après en viennent à sombrer…Parmi nos auteurs les plus révoltés, actuellement, ce n’estpas forcément les plus jeunes. Qu’on pense à quelqu’uncomme Jean-Marc Desgent, par exemple… Il y a un esprit derévolte dans sa poésie qui est peu présent chez les jeunespoètes.

N’empêche que, lorsqu’on examine la question, les initiatives les plusintéressantes à surgir dans le milieu de la poésie sont souvent l’œuvrede la jeunesse. Lorsqu’elle a fondé Poètes de brousse avec Jean-FrançoisPoupart, Kim Doré était d’ailleurs dans la jeune vingtaine.

On remarque aussi un projet comme Poème Sale (poemesale. com),un site d’édition et de diffusion de poésie contemporaine, mis aumonde par Charles Dionne (début vingtaine) et Fabrice Masson-Goulet(début trentaine). Beau projet que celui de ces deux jeunes hommesqui souhaitaient rejoindre un lectorat non initié, créer un lieu de réseau-tage virtuel pour les différents milieux poétiques et donner accès àune poésie autrement trop confidentielle. Dionne explique :

Il y a aussi la volonté de sortir de l’institution. En venant surle site, le lecteur a accès à ce qui se fait de plus contemporainen poésie, sans filtre. On est une fenêtre sur la création ultra-contemporaine. Ça permet de prendre le pouls de ce qui sefait maintenant.

Ailleurs, en plein printemps érable, on a vu être éditée une revue inti-tulée Fermaille. Créée par cinq étudiants en études littéraires à l’UQAMlorsque la grève est devenue inévitable, la publication répondait à unecertaine frustration pour les membres du comité de rédaction de larevue de création littéraire de l’UQAM, Main blanche. « On a eu l’idéed’une revue qui pourrait nourrir la grève », se rappelle Zéa Beaulieu-April, l’une des fondatrices. Lancée par cinq étudiants au début de lavingtaine, la revue rassemble aujourd’hui dans ses archives la plus fortetrace poétique des événements qui ont secoué le Québec en 2012.

L’objectif de départ de cette initiative était de créer un lieu de diffusionqui allait permettre à une parole particulière de naître et de se déve-lopper, mais aussi un lieu qui allait mettre le feu à cette parole-là. Ilfallait créer un dialogue, alimenter le discours, en produire un qui seraitdifférent, plus poétique que les discours journalistique ou militant.

Dossier par JEAN-FRANÇOIS CARON

FABR I C E M A S S ON - G OU L E T e t C H A R L E S D I O NN E

C A R L B E S S E T T E e t J E A N - S É B A S T I E N L A R OU CH E

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Depuis, forte de l’expérience de Fermaille, ZéaBeaulieu-April s’est embarquée dans une nou-velle aventure : la coopérative d’édition LaTournure. Ici, c’est la structure même de lamaison d’édition traditionnelle qui est remiseen question. La tentative est prometteuse : lelivre D’espoir de mourir maigre, de CharlesDionne, publié par la coop de solidarité, étaitfinaliste au prix Émile-Nelligan 2014…

Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls à avoir remisen question l’organisation de la majorité desmaisons d’édition québécoises en se tournantvers la coopération, comme en fait foi la mai-son d’édition artisanale En Jachère, qui pro-duit le livre en totalité, jusqu’à son proprepapier.

Rock is dead

La poésie n’est jamais contentée, pourrait-on dire. Et si elle ne rejettepas d’office les décideurs, elle refuse tout de même d’être assujettie àleur bonne volonté et aux lieux convenus. Si on peut par exemple seféliciter qu’une ville comme Trois-Rivières accueille chaque année unfestival de l’importance du FIPTR, on se souviendra de cette controversequi a fouetté l’organisation en 2007, lors de la création du premier OffFestival de la poésie, organisé dans un café-bistro de la place.Le fondateur du Festival international de poésie de Trois-Rivières (FIPTR), Gaston Bellemare, n’avait pas mâchéses mots, traitant les participants du Off de « non-poètes » et de « parasites ». Cela n’avait pasempêché l’événement hors cadre d’êtrereconduit l’année suivante, appuyé par unepublicité satirique où « des gens ordinairesse [voyaient] interdire de lire ou d’écrirede la poésie par un drôle de personnagequi ne se [gênait] pas pour les traiter de“non-poètes” et de “parasites” 7».

Internet recèle aussi des trésors d’initia-tives réactives particulièrement intéres-santes. Qu’on pense à Poème Sale qui adéclaré officiellement la mort de la poésie :

La poésie est dans un état herméneu-tique notable : elle est morte. Complète -ment. Elle s’est même cachée pour mourir.Sa résurrection ne nous intéresse pas. Nous inté-resse une poésie, sale, sanglante et en lambeaux. Nousnous emploierons à en disperser les restes.

Rock is dead, comme disait Jim Morrison.

Et puis, n’est-ce pas Miron qui disait de la poésie des années quarantequ’elle « ne dépass[ait] guère le cercle des amateurs et des initiés » etqu’elle « altern[ait] entre le point mort et les flottements » 8. Commes’il fallait marcher au moins un peu sur les cadavres de ceux qui sontvenus avant.

Pour Fabrice Masson-Goulet, cofondateur de Poème Sale, il y a uneévidente «volonté de sortir de l’institution9». Et Charles Dionne, l’autreinstigateur du site, renchérira dans la même entrevue : « C’est pour ça

qu’on fait ça : pour retrouver les auteurscontemporains, qui veulent sortir des grandscanons de “ce que doit être la poésie” 10. »

Pour Masson-Goulet, l’institutionnalisation — et même le système de subventions qui per-met la création ou la publication de poésie —n’a pas eu que des avantages. Il se montre cri-tique envers ce qui est devenu « l’industrie»du livre : «J’veux pas vendre de livres, j’veuxque le monde lise de la poésie. C’est pas lemême paradigme11.»

Contre le système

Ces remises en question ne sont pas uniques.Selon la Maison de la poésie de Montréal, lemilieu actuel de l’édition serait « composé demicrostructures indépendantes, globalementlésées par un système de subventions privilé-

giant le chiffre d’affaires au détriment de la qualité littéraire et parfoisen proie à un manque de concertation12». Pour contrer cette situation,plusieurs initiatives sont mises de l’avant par des individus et des orga-nismes touchés.

La formule coopérative de La Tournure est d’ailleurs en quelque sorteune façon de libérer la parole poétique de certains auteurs

sans devoir se fier aux subventions gouvernementales.Pour Zéa Beaulieu-April, cette autonomie permet

une plus grande liberté aux membres de lacoopérative :

Ça peut sembler effrayant qu’on n’ait pasde subventions, mais on n’a pas d’obliga-tions non plus. On n’a pas l’obligation depublier cinq livres par année, donc onprend le temps, on publie les livres quandils sont prêts, on les travaille jusqu’aubout. Une fois qu’ils sont prêts et qu’ona l’argent, simplement, on les fait. Ça

nous donne beaucoup de liberté.

Aux éditions de l’Écrou, dont le refus dusystème de subventions gouvernementales

est apparemment viscéral, le constat est lemême, mais les moyens sont différents. Le duo a

choisi de voir leur maison d’édition comme uneentreprise qui doit devenir, à terme, rentable. « Il n’y a

pas un jour où on ne se lève pas le matin en se demandantcomment on peut vendre plus de poésie. On est tout le temps en trainde se demander ça», décrit Jean-Sébastien Larouche. Faisant référenceà l’Hexagone, qui a fonctionné par souscription pour arriver à trouverles fonds nécessaires pour la publication de sa première plaquette en1952, Carl Bessette renchérit :

Ce que ça me dit, c’est que c’était du monde qui faisait commenous autres et qui se levait le matin en se demandant com-ment on peut arriver en vendant de la poésie. Aujourd’hui, lemonde ne se pose plus la question. Comme si la seule solutionétait de sortir cinq livres et, dès que c’est sorti, en septembre,de remplir une demande de subvention… C’est pas normald’avoir besoin de subventions autant que ça.

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Engagement

De toute évidence, pour la plupart des poètes interrogés, l’importantest surtout de faire voyager les idées et la poésie, bien plus que des’opposer à quoi que ce soit de préexistant. Pour Zéa Beaulieu-April,par exemple, l’engagement a une résonance particulière : « Pour nous,juste faire de la poésie, en ce moment, et la faire comme on la fait…C’est plutôt dans ce sens-là, notre engagement. »

Kim Doré abonde dans le même sens :

Le simple fait de choisir la poésie en 2014, à l’intérieur d’unsystème d’uniformisation, de néolibéralisation complet, dansun milieu où quelque chose qui fonctionne complètement endehors du profit est presque inconcevable, c’est une formede contestation, c’est un pied de nez au système.

Même les gars du site Poème Sale émettent des réserves quant à unequelconque image de révolte. Selon Fabrice Masson-Goulet,

Poème Sale ne s’oppose pas à une conception plus “propre”de la poésie. Nous ne nous opposons pas directement auxdémarches « plus sérieuses ». Bien sûr, nous favorisons lesexpérimentations sur la forme et sur le langage en essayantde repousser, à notre façon, les limites de la création.

Voix multiples

Et alors, quel est-il, le portrait de cette poésie actuelle ? Il y a la désaf-fection des médias, dont l’espace critique passe aux mains des pres-

cripteurs et du divertissement… Et le revenu moyen des poètes, quifrise le ridicule en permanence… Dans un tel contexte, la poésie peut-elle être satisfaite ? Pourrait-elle l’être de toute manière ? En tout cas,de nouvelles initiatives font leur preuve. Car si la poésie d’aujourd’huisemble rejeter la confrontation qui a souvent été son moteur, c’estplutôt pour faire tonner de concert la multiplicité de ses voix propres.Et ce ne sera pas pour nous déplaire.

1. Citée par Christine Tellier, Jeunesse et poésie. De l’Ordre de Bon Temps auxÉditions de l’Hexagone, Montréal, Fides, 2003, p. 191.2. Christine Tellier, idem, p. 19.3. André Marquis, « Conscience politique et ouverture culturelle. Les éditionsd’Orphée», dans L’édition de poésie. Les éditions Erta, Orphée, Nocturne, Quartz,Atys et l’Hexagone, Sherbrooke, Ex Libris, coll. « Études sur l’édition », 1989,p. 89, cité dans Christine Tellier, op. cit., p. 20.4. Gilles Marcotte, in Christine Tellier, op. cit., p. 8.5. Kim Doré, «Dix idées reçues à propos de la poésie contemporaine», conférenceprésentée dans le cadre du Marché de la poésie de Montréal, 3 avril 2013.6. Kim Doré, op. cit.7. Karine Gélinas, « Entretenir de vieilles rancunes », Voir Mauricie, 8 octobre2008, voir. ca/chroniques/entre-guillemets/2008/10/08/entretenir-de-vieilles-rancunes/. [consulté le 12 mai 2014].8. Gaston Miron, «Situation de notre poésie. Son sort est lié à celui du fait ethniquequi la porte», La Presse, 22 juin 1957, p. 67, dans Christine Tellier, op. cit., p. 21.9. Jean-François Thériault, « Entrevue avec Poème Sale : prendre une marcheavec la poésie », Les Méconnus, 18 janvier 2013, www.lesmeconnus.net/entre-vue-avec-poeme-sale-prendre-une-marche-avec-la-poesie/. [consulté le 12 mai2014].10. Ibidem.11. Ibidem. 12. Maison de la poésie de Montréal, www.maisondelapoesie.qc.ca/archives/economie-mediation.html. [consulté le 14 mai 2014].

Dossier par JEAN-FRANÇOIS CARON

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AUTOMNE 2014 • Lettres québécoises • 63

À cela s’ajoute une agence de presse dédiée au livre.

Il s’agit, en tout cas sur papier, d’un projet d’envergure si l’on en jugepar le communiqué de presse. Il se pourrait fort bien que M. Guayarrive à ses fins étant donné son expertise. Il gère un catalogue delivres numériques, une librairie sur Internet, un service d’édition etd’autoédition et un centre d’information et d’actualité. Il offre mêmedes livres gratuits en format PDF.

Le quotidien Appui-Livres est diffusé depuis le 23 avril dernier.

La maison d’édition virtuelle Inouï

Cette nouvelle maison d’édition réinventera-t-elle l’industrie du livreavec des titres à 2,99 $ comme le suggère le communiqué ?

Cela se peut.

Marc-André Sabourin, journaliste et étudiant à l’UQAM, croit avoirtrouvé la formule gagnante en reprenant celle de l’éditeur états-unienAtavist. Son idée est d’autant plus porteuse qu’on ne trouve aucunéquivalent au Québec. La formule ? Publier des livres numériques surdes « histoires vraies » et qui peuvent se lire en une heure. Ce genrelittéraire fait fureur aux États-Unis. C’est du reste pendant qu’il consul-tait le catalogue de la maison Atavist que l’idée lui est venue de produiredes livres du même genre en français. Non seulement M. Sabourin a-t-il été séduit par la maison Atavist, mais il a signé une entente lui per-mettant d’utiliser sa technologie pour la diffusion d’Inouï, de sorte queles nouvelles publications françaises pourront être lues par « l’applica-tion iPhone d’Inouï, sur son site Web ou encore via les boutiquesd’Amazon ou de Kobo » (Julien Brault, Les Affaires, 23-04-2014).

Des cinq titres que Marc-André Sabourin s’apprête à publier, un seul estquébécois. Il s’agit de «l’histoire vraie» de Roger Tétrault, un imposteurqui avait réussi à se faire passer pour un spécialiste du monde nucléaire.Il avait été invité à Radio-Canada pour traiter du désastre de Tchernobyl!Marc-André Sabourin en est l’auteur. Le titre: Le maître de l’intox.

On signale que les auteurs recevront 50 % du produit de la vente quandles livres seront vendus par Inouï et 35 % quand ils passeront par l’in-termédiaire d’Amazon ou de Kobo. Fort généreuse comme formulepar rapport aux pratiques habituelles au Québec.

Tout ce qu’on peut souhaiter est que le fondateur de la maison trouvevite d’autres sujets issus du milieu francophone. Pour l’instant, lesquatre autres titres à paraître ont été traduits de l’anglais après uneentente avec la maison Atavist.

En terminant, puis-je me permettre une remarque ? Pourquoi avoirchoisi un nom d’affaires avec un tréma alors que l’informatique, domi-née par la langue anglaise, a horreur des accents ?

S E RG E - A NDR É G UAY

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64 • Lettres québécoises • AUTOMNE 2014

Prix Le Droit 2014

Le 27 février dernier, on assistaitau grand départ du Salon du livrede l’Outaouais qui s’est poursuivijusqu’au 2 mars. Ce fut l’occasionde remettre les prix Le Droit 2014.Le prix « Fiction » est allé à Marie-Josée Martin pour le roman Unjour, ils entendront mes silences(David) ; ce l ivre est aussi legagnant du Prix du livre d’Ottawaet du prix Christine-Dimitriu-van-S a a n e n . D a n s l a c a t é g o r i e« Poésie », les honneurs sont allésà Andrée Christensen pour sonrecueil Racines de neige (David).Enfin, le prix « Jeunesse » a étédécerné à Andrée Poulin pour Laplus grosse poutine du monde(Bayard Canada). Notons que c’estla quatr ième fois que cetteauteure reçoit ce prix en dix ans.

Prix de la nouvelle SRC 2014

Sarah Desrosiers, auteure de lanouvelle Un entrefilet, est lagagnante du Prix de la nouvelleRadio-Canada 2014. Son texte aété choisi parmi près de 900 nou-velles soumises en français auconcours cette année.

Prix 2014 du meilleur éditeurjeunesse d’Amérique du Nord

Martin Brault et Frédéric Gauthier,éditeurs et cofondateurs de LaPastèque, ont reçu, le 25 mars der-nier, le Prix 2014 du meilleur édi-teur jeunesse d’Amérique du Nordde la Foire du livre jeunesse deBologne, en Italie.

Prix de création littéraireBibliothèque de Québec/Saloninternational du livre de Québec

Le Prix de création littéraireBibliothèque de Québec/Salon

international du livre de Québeca été attribué à Hans-Jürgen Greifpour son roman La colère du fau-con (L’ instant même, 2013).Accompagné d’une bourse de5 000 $, le prix lui a été remis le25 mars dernier.

Prix Adrienne-Choquette

Le prix Adrienne-Choquette 2014a été décerné à Françoise Major

pour son recueil de nouvelles inti-tulé Dans le noir jamais noir (LaMèche).

Bédéis Causa 2014

Michel Rabagliati a remporté lePrix hommage Albert-Chartierpour l’ensemble de son œuvre.Moment marquant annuel dans lavalorisation des créateurs debédé, les Bédéis Causa cuvée 2014ont également mis à l’honneur

Zviane qui, pour son plus récentalbum, Les deuxièmes (Pow Pow),est repartie de la cérémonie, qui

avait lieu à l’Observatoire de lacapitale, avec le Prix du meilleuralbum de langue française publiéau Québec.

Prix littéraire des collégiens 2014

Guano (l’Hexagone, 2013), pre-mier roman de Louis Carmain, a

remporté le Prix littéraire des col-légiens.

Prix du livre politique 2014

L’historien Réal Bélanger est lelauréat du Prix du livre politique

2014 pour son ouvrage HenriBourassa : le fascinant destin d’unhomme libre (1868-1914) (PUL). Ils’agit là du prix de la présidencede l’Assemblée nationale, unebourse de 5 000 $ l’accompagne.

Prix Hubert-Reeves

Les prix littéraires de l’Associationdes communicateurs scientifiquesd u Q u é b e c s o n t a l l é s àL’apparition du Nord selon GérardMercator (Septentrion), signéconjointement par Louis-EdmondHamelin, Stéfano Biondo et JoëBouchard , dans la catégorie« Adulte ». Dans la catégorie« J e u n e s s e » , A u l a b o , l e s

Débrouillards! (Bayard Canada) deYannick Bergeron a remporté lapalme.

Bourses de création de l’EFA

Deux bourses de création ont étédécernées par les Écrivains fran-cophones d’Amérique en partena-riat avec Joey Cornu, une pre-mière pour l’Association déjàconnue pour le Prix des écrivainsfrancophones et le prix Adrienne-Choquette.

Les lauréats 2014 sont FrédéricTremblay avec un projet intituléDéroutes, un road novel d’antici-pation et Gino Levesque avec unprojet intitulé Les pléonasmes del’écho, exercice oulipien de réécri-ture du roman Je ne le répéteraipas. Les deux bourses — offertespar Joey Cornu Éditeur et parl’EFA — totalisent 1 000 $ etvisent à soutenir l’émergence deprojets neufs.

Prix Jacques-Brossard 2014

Philippe Arseneault a reçu le prixJacques-Brossard 2014 pour son

roman Zora. Un conte cruel (VLB).Accompagné d’une bourse de3 000 $, le prix, qui récompensechaque année l’auteur de la plusremarquable production dans leslittératures de l’imaginaire, lui aété remis à l’occasion du congrèsBoréal de mai dernier.

Prix littéraires Metropolis bleu

Le Grand Prix Metropolis bleu aété remis cette année à l’auteuraméricain Richard Ford, inter-viewé pour l’occasion par MichaelEnright de CBC Radio. Le prixMetropolis Azul, remis à un auteurayant exploré les thèmes de la cul-ture ou de l’histoire hispanique, aété décerné à Luis Alberto Urreaau cours d’une émission spécialed’Eleanor Wachtel, toujours à la

Prix et distinctions

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