Lettres Persanes

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Lettres Sujets centraux Lectures analytiques I - X Présentation des personnages - Les motifs du voyage. XI - XIV Histoire des Troglodytes. lettre XII XV - XXIII Jusqu'à Paris. XXIV - XLVI Curiosités parisiennes. lettre XXIX XLVII - LXVIII Inventaire de l'Occident. LXIX - XCI A la recherche d'un État harmonieux. XCII - CXI Où l'on découvre le modèle anglais. lettre CVI CXII - CXXXII Apologie du libéralisme. CXXXIII - CXLVI Un constat pessimiste du mal français. lettreCXLVI CXLVII - CLXI Terreur au sérail. lettre CLXI MONTESQUIEU, LES LETTRES PERSANES : RESUME Lettres I à X Usbek et Rica, deux seigneurs persans, quittent la ville d'Ispahan afin de s'instruire au contact de l'occident. Pendant leur voyage, ils échangent une correspondance avec leurs amis (Rhédi, Ibben, Rustan...), avec les eunuques chargés de surveiller le Sérail et avec les épouses (Roxane, Zélis, Zéphis, Fatmé...). Usbek justifie son départ : il ne peut souffrir plus longtemps les inimitiés qu'il s'est créées à Ispahan. C'est avec un certain regret qu'il quitte sa ville. La nostalgie et la jalousie le tourmentent. Comment faire confiance à ses femmes restées seules ? Vont-elles savoir préserver leur vertu ? Les concubines ne sont pas sans se plaindre de ce départ. Elles

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Lettres Sujets centraux Lectures analytiques

I - XPrésentation des personnages - Les motifs du voyage.

 

XI - XIV Histoire des Troglodytes. lettre XII

XV - XXIII Jusqu'à Paris.  

XXIV - XLVI Curiosités parisiennes. lettre XXIX

XLVII - LXVIII Inventaire de l'Occident.  

LXIX - XCI A la recherche d'un État harmonieux.  

XCII - CXI Où l'on découvre le modèle anglais. lettre CVI

CXII - CXXXII Apologie du libéralisme.  

CXXXIII - CXLVI

Un constat pessimiste du mal français. lettreCXLVI

CXLVII - CLXI Terreur au sérail. lettre CLXI

 MONTESQUIEU, LES LETTRES PERSANES : RESUMELettres I à X

Usbek et Rica, deux seigneurs persans, quittent la ville d'Ispahan afin de s'instruire au contact de l'occident. Pendant leur voyage, ils échangent une correspondance avec leurs amis (Rhédi, Ibben, Rustan...), avec les eunuques chargés de surveiller le Sérail et avec les épouses (Roxane, Zélis, Zéphis, Fatmé...).

Usbek justifie son départ : il ne peut souffrir plus longtemps les inimitiés qu'il s'est créées à Ispahan. C'est avec un certain regret qu'il quitte sa ville. La nostalgie et la jalousie le tourmentent. Comment faire confiance à ses femmes restées seules ? Vont-elles savoir préserver leur vertu ?Les concubines ne sont pas sans se plaindre de ce départ. Elles se languissent dans le Gynécée, ce monde d'interdits, de solitude et de frustration.

Lettres XI à XV

Pour illustrer les questions morales, Usbek raconte l'histoire des Troglodytes : Ce peuple fruste avait exécuté roi et magistrats soumettant la tribu à l'anarchie et la brutalité la plus complète. Deux familles s'échappèrent et formèrent une nouvelle tribu où régnaient justice et respect. Bientôt les peuples voisins furent jaloux de leur concorde. Une guerre fut déclarée. La nouvelle tribu se défendit jusqu'à ce que

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triompha la vertu.Victorieuse, la nouvelle tribu choisit un roi, se défiant des erreurs du passé.

Lettres XV à XXIII

Les deux persans continuent leurs périples de la Turquie à Livourne, une ville chrétienne en Italie.

Pendant leur traversée, ils reçoivent de nombreuses mises en garde : qu'ils se préservent contre les vices, qu'ils protègent leurs âmes, qu'ils ne doutent pas des fondements de la religion, qu'ils obéissent aux lois du prophète, qu'ils accomplissent leur devoir et se tiennent éloigné du péché et des mécréants.

Usbek qui s'inquiète de la fidélité de ses épouses fait l'éloge de Roxane dont la vertu est exemplaire.

A Livourne, Usbek observe la relative liberté dont jouissent les femmes.

Lettres XXIV à XXVII

Les deux compagnons sont arrivés à Paris. Ils découvrent la ville : Rica s'étonne et rit de tout tandis qu'Usbek analyse les parisiens avec la minutie d'un historien. Les persans critiquent d'emblée les conflits religieux qui scindent le pays (la querelle entre jansénistes et Jésuites).

Dans une lettre à Roxanne, Usbek déplore la décadence de l'occident et loue la constance de sa nouvelle épouse.

Lettres XXVIII à XLV

Rica et Usbek découvrent, amusés, la culture française : le théâtre, la charité, la consommation du vin et celle du café, l'orgueil des français et l'excentricité de certains (un alchimiste).Les deux persans s'interrogent sur les raisons de l'amabilité et la sociabilité des français(es) qu'ils comparent volontiers à l'austérité des perses.Faut-il soumettre les femmes à leurs maris ou au contraire les émanciper ?Les conflits religieux et guerres civiles de France leur font regretter leur pays.Pourtant les similitudes entre la religion Chrétienne et Musulmane sont nombreuses.

Lettres XLVI à LXV

Les étrangers poursuivent la critique de la religion chrétienne : les vaines querelles, le manque de d'humanisme et de générosité des citoyens, la corruption des mœurs, les lois religieuses et les vœux (chasteté, obéissance et pauvreté) qui ne sont ni raisonnables ni respectés. Un entretien satirique avec un ecclésiastique révèle un certain anticléricalisme.Toutefois la tolérance religieuse exprimée envers les Juifs devrait inspirer les musulmans.

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Rica dresse un portrait satirique de la société mondaine fondée sur les faux-semblants, la prétention des uns, l'ambition des autres, le libertinage, l'infidélité.

Une lettre du Sérail parvient à Usbek. Zélis, une épouse provoque son mari : bien qu'elle soit enfermée dans le sérail, elle jouit d'une certaine liberté, tandis que lui est prisonnier de sa jalousie.Plus tard un Eunuque révèle à son maitre que les épouses rivales jettent le sérail dans le désordre le plus complet.

Lettres LXVI à LXXXIV

La satire sociale continue : les français sont de piètres auteurs grandiloquents et oiseux, corruption de la justice, critique de l'Académie Française, critique des lois qui punissent le suicide. Elles vont à l'encontre du libre arbitre de l'homme, de sa complexité et donnent à l'individu une importance démesurée dans la création.

Usbek médite sur le gouvernement idéal (proche de la démocratie) et critique le despotisme.

Lettres LXXXV à XCI

Usbek prône la cohabitation de différentes religions dans un même Etat. Il conseille la tolérance et dénonce le fanatisme. Tous les talents doivent être cultivés et exploités sans distinction. Il critique le despotisme Perse qui n'exalte pas la vertu et l'honneur de l'homme. A contrario, la vie parisienne est ordonnée par une certaine liberté et égalité entre les citoyens dont le sens de l'honneur est exacerbé.

Usbek rapporte une anecdote : un original a réussi à se faire passer pour un ambassadeur de Perse et à s'introduire à la cour du roi de France.

Lettres XCII à CXI

En 1715, le roi de France, Louis XIV meurt. La Régence de Charles d'Orléans prend la tête du gouvernement.

Usbek critique la monarchie européenne et le despotisme oriental. Quand la Monarchie impose son gouvernement par la violence elle s'apparente au despotisme. Le pouvoir d'un seul homme exercé sur tout un peuple de façon absolue et quasi sacrée relève de la tyrannie. Le persan fait l'éloge du modèle anglais où le gouvernement est un échange réciproque et égalitaire entre le souverain et le peuple.Par ailleurs la justice devrait être organisée par le peuple. La justice doit être exercée dans l'intérêt commun et non dans l'intérêt des puissants.

Usbek poursuit sa critique de la religion : il s'attaque à la Constitution, bulle papale condamnant les idées jansénistes.

Lettres CXII à CXXIII

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Usbek déplore les raisons du dépeuplement des terres. Il évoque les causes religieuses de ce drame : les hommes sont fragiles et Dieu décide de leur sort. Les causes socioculturelles : la polygamie, le célibat des prêtres et l'interdiction du divorce nuisent à la reproduction des individus. Les causes politico-historiques : les génocides, la colonisation, la déportation et l'esclavage.Seuls la bienveillance d'un gouvernement, la richesse et la liberté sont les garants de notre survie et de notre accroissement.

Lettres CXIV à CXLVI

Rica livre une galerie de portraits satiriques : un géomètre, un traducteur, les « nouvellistes », des savants, des personnalités plus absurdes les unes que les autres qui révèlent les monomanies de chacun.

L'institution religieuse continue d'être une cible pour les deux persans : le paradis chrétien présente une béatitude céleste naïve. A contrario, le conte persan d'Ibrahim et d'Anaïs propose une représentation sulfureuse du Paradis où les plaisirs de la chair sont exaltés.

Les deux voyageurs sont les témoins privilégiés des bouleversements qui agitent la scène politique française : l'arrestation du Duc de Maine, fils de Louis XIV et ennemi politique du Régent, l'instabilité économique du pays qui pose en filigrane l'échec du système de Law.

Lettres CXLVII à CLXI

Soudain une lettre ravive les inquiétudes d'Usbek : l'ordre du sérail est bouleversé. Les femmes se dévoilent et se livrent à l'adultère.Le mari jaloux réclame des sanctions immédiates. Que l'on châtie sans scrupules !

Mais les sanctions tardent à venir. On attend les ordres du maitre.

Usbek renouvelle son souhait d'être vengé : les sanctions doivent être exemplaires. Les femmes sont humiliées, châtiées.Usbek, sage historien et fin moraliste en Occident, devient l'archétype du tyran oriental.Quand un coup de théâtre survient : la chaste et vertueuse Roxane a été surprise en plein adultère.

Dans une lettre à son époux, elle avoue ses sentiments : elle n'a jamais aimé ce tyran dont elle ne peut souffrir l'autorité. Maintenant que son amant est mort, elle va se suicider. Seule la mort pourra lui rendre sa liberté.

I-X  Présentation des personnages - Les motifs du voyage.  Les premières lettres veulent d'abord donner lacouleur localenécessaire : datation, itinéraire, mais aussi notations orientales et érotiques sur la vie au harem qui

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permettent de laisser transparaître cette misogynie d'Usbek sur laquelle nous aurons à revenir. L'impression donnée par ce mélange de registres et de préoccupations est bien celle à quoi Montesquieu nous a préparés dans ses "quelques réflexions préliminaires", nous prévenant d'un roman par lettres « où les sujets qu'on traite ne sont dépendants d'aucun dessein ou d'aucun plan déjà formé», où «l'auteur s'est donné l'avantage de pouvoirjoindre de la philosophie, de la politique et de la morale à un roman. » Si ces réflexions préliminaires nous préparent à la satire, il n'en est ici encore aucune trace. On se souviendra néanmoins des précautions prises par l'auteur : son souci de différencier l'étonnement des Persans et l'idée d'examen ou de critique s'ajoute à sa volonté d'authentifier ces lettres et de se présenter comme un simple traducteur. Artifice bien connu de l'époque par lequel Montesquieu prévient les accusations de légèreté ou d'invraisemblance et excuse l'audace de la satire.

XI - XIV Histoire des Troglodytes.  Voici le premier apologue. La narration s'étale sur quatre lettres, ce qui permet de l'émailler d'un discours où le philosophe pose et illustre la notion fondamentale de vertu : « l'intérêt des particuliers se trouve toujours dans l'intérêt commun ». A la critique sévère des méchants Troglodytes, tout dominés par leurs passions égoïstes, peut donc succéder letableau patriarcaldes familles vertueuses qui ont survécu aux discordes. Nous donnons une lecture analytique de cettelettre XII, à laquelle on se reportera non sans avoir en mémoire ces mots de Jean Starobinski : «L'Utopie n'aura pas lieu, elle est derrière nous». Mais pour établir la nature exacte de l'idéal de Montesquieu et dissiper la fausse impression d'archaïsme et de nostalgie pré-rousseauiste que pourrait donner cette lettre, nous la comparons avec lalettre CVI, tout imprégnée des Lumières.

XV - XXIII Jusqu'à Paris.  Ces lettres cernent mieux encore le personnage d'Usbek : parti «chercher la sagesse», il est aussi friand d'une autre lumière que la «lumière orientale». La lettre XVI fait acte d'allégeance à l'égard du mollak Méhemet-Ali, mais la suivante fait état de « doutes ». Ici se devine le philosophe de la relativité des mœurs : dans la simple affirmation du droit pour chacun de suivre l'appréciation de ses sens, n'y a-t-il pas de quoi renverser « les points fondamentaux de la Loi » ? Le « serviteur des prophètes » ne sait répondre aux doutes d'Usbek que par la fable et on devine déjà le sourire de Montesquieu. Mais dans les lettres suivantes, les démêlés d'Usbek avec son sérail établissent  ceparadoxe intenableoù s'enferme le personnage : peut-on mettre en cause par le doute certains aspects de la Loi et se conduire en sultan tyrannique, en d'autre termes n'en appeler à la doctrine que quand elle conforte son orgueil de mâle ?

XXIV - XLVI Curiosités parisiennes.  Ce machisme d'Usbek éclate encore ici : où nous voyons liberté, il voit licence, et pudeur où nous voyons esclavage. Cet éloge de l'innocence et ce souci farouche de préserver la femme de toute impureté ne valorisent que le « nous » impérieux de la gent masculine. Mais Usbek confie aussi des doutes, dessuspensions de jugementqui humanisent le personnage, même si ses contradictions lui échappent. Ainsi la lettre

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XXXV obéit à un autre but que celui avoué : Usbek croit trouver chez les Chrétiens des « semences de ses dogmes » et se félicite qu'un jour la lumière mahométane les illuminera. Mais, « voyant partout le Mahométisme » sans jamais le trouver, il fourbit des armes contre sa prétendue universalité et contribue à mettre toutes les religions à plat, dans la même facticité. Tout au long de cette section, Usbek semble ainsi en route vers unesagesse moyenne, difficilement conquise sur ses doutes.   Nous lui préférons souvent Rica, dont les lettres marquent une curiosité plus vive pour les mœurs et la « vivacité d'un esprit qui saisit tout avec promptitude », comme le note Usbek. Ses lettres, émaillées de périphrases et d'italiques, donnent un bon exemple du« regard persan »qui, faussement naïf, déplace le point de vue et fait éclater la satire sociale et religieuse (voir notre lecture de lalettre XXIX). L'œil de Rica est d'ailleurs plus redoutable de se limiter pour l'instant aux manières et aux mines qu'il dénonce dans lacomédie sociale: la célèbre lettre XXX donne une juste idée de ces coteries mondaines et superficielles où Rica perçoit autant la badauderie et l'engouement que cet ethnocentrisme naïf qui avoue son impuissance à sortir de lui-même («Comment peut-on être Persan ?»). Néanmoins, Rica semble ici de plus en plus gagné, sinon par l'Occident («J'ai pris le goût de ce pays-ci»), à tout le moins par le doute, notamment à l'égard de l'infériorité naturelle des femmes tant proclamée par l'Islam. Parallèlement, cette section donne à lire les lettres de Rhédi, resté à Venise, qui s'instruit et s'applique aux sciences. Son éloge du rationalisme (« Je sors des nuages qui couvraient mes yeux ») paraît plus radical que celui d'Usbek, malgré la réflexion qui échappe à ce dernier : «La Loi, faite pour nous rendre plus justes, ne sert souvent qu'à nous rendre plus coupables» (lettre XXXIII).

XLVII - LXVIII Inventaire de l'Occident.  Cet inventaire commence par une galerie de portraits qui dénonce lesmensonges de la vie sociale: «Les gens qu'on dit être de si bonne compagnie ne sont souvent que ceux dont les vices sont les plus raffinés», note Usbek, trouvant à la fin de la lettre XLVIII un style tout oriental pour envelopper d'opprobre la corruption des mœurs : mensonges des femmes, mensonges des prêtres, mais de quelle vérité le personnage est-il en quête ? C'est au moment où l'eunuque de son sérail l'invite à exercer son autorité que lui parvient un deuxième apologue, l'Histoire d'Asphéridon et Astarté, où Usbek lira la chronique d'un bonheur enfin conquis malgré une liaison contre-nature... De Russie, par le point de vue de Nargum, arrivent d'autres portraits, d'autres nouvelles de la condition des femmes, si bien que ce défilé de mœurs hétéroclites finit par faire songer à celui de Montaigne dans lechapitre XXIIIdu premier livre desEssais:« les lois de la conscience, que nous disons naître de nature, naissent de la coutume...»Cerelativismeparaît encore plus radical chez Rica parce que, comme Montaigne, il l'étend à l'homme lui-même, perdu et misérable dans l'univers (lettre LIX). A travers son style nerveux, Paris, « ville

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enchanteresse », donne plus que chez Usbek l'impression d'un monde grouillant, corrompu et fou.

LXIX - XCI A la recherche d'un État harmonieux.    On ne sait trop qui écouter ni croire dans beaucoup de lettres de cette section : Usbek y paraît plus déchiré que jamais entre sonscepticismeet son allégeance à l'Islam. «Vérité dans un temps, erreur dans un autre» (lettre LXXV), clame le philosophe, mais ses protestations de tolérance n'excluent pas le sectarisme. Au-delà d'Usbek, c'est le philosophe des Lumières qui exprime la relativité des lois humaines et substitue l'ordre de la nature à celui de la Providence. C'est lui qui dénonce à nouveau l'extrême facticité des valeurs en imaginant et parodiant ce que pourraient être des « Lettres espagnoles » (lettre LXXVIII); c'est lui, plus qu'Usbek, qui, soucieux de raison, définit le meilleur gouvernement comme celui qui sait se maintenir dans ses bornes et se manifeste par la douceur (lettre LXXX). Le philosophe déiste manifeste unoptimisme raisonnableet exprime sa confiance en une Justice éternelle fondée sur un rapport de convenance (lettre LXXXIII). Des guerres de religion, il tire une défiance universelle contre cet « esprit de vertige », cette « éclipse entière de la raison humaine » qu'est le fanatisme : il nous est difficile, tant cette aversion touche aussi bien les Chrétiens que les Mahométans, d'y reconnaître le seul Usbek.

XCII - CXI Où l'on découvre le modèle anglais.  Cette section est la plus nettement politique : elle coïncide avec les débuts de la Régence, où s'affaiblissent le pouvoir royal et celui des Parlements. C'est encore Usbek qui domine l'échange épistolaire, manifestant plus encore ses contradictions. Les premières lettres nous le montrent en quête d'une sorte de droit international qui remédierait à la confusion des pouvoirs et, au nom d'uncode naturel, pourrait légiférer à propos de la guerre comme de tous les autres actes de justice et éviterait la surabondance des lois comme des critères qui les commandent. Les lettres suivantes révèlent son enthousiasme à l'égard des « lois générales, immuables, éternelles » de la science (lettre XCVII); les dernières développent les critiques les plus subversives à l'égard du despotisme et finissent par rêver aumodèle constitutionnelanglais qui assurerait l'équilibre des pouvoirs et limiterait l'autorité de ces monarques qui « sont comme le soleil » (lettre CII). Mais à cette ouverture, à cette critique du despotisme («Malheureux le roi qui n'a qu'une tête»), à cette réflexion sur les châtiments des princes, la lettre CXVI vient opposer de façon cinglante son propre absolutisme au sérail. L'alternance des lettres voulue par Montesquieu trouve ici une de ses justifications : un incessant contrepoint dans l'agencement des expéditeurs suffit à marquer les faiblesses et la mauvaise foi du personnage qui fait de nouveau allégeance à l'Islam après en avoir critiqué les allégories. On pourra néanmoins souligner l'extraordinaire évolution d'Usbek vers les Lumières, que souligne son débat avec Rhédi (lettres CV etCVI), où se lit quelque chose de la polémique qui opposeraVoltaire et Rousseau.

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CXII - CXXXII Apologie du libéralisme. Les lettres CXII à CXXII correspondent à une longue dissertation que Montesquieu a un peu artificiellement divisée en lettres. Elles sont consacrées à la dépopulation de l'univers. Le XVIII° siècle a cru à ce phénomène, mais on reste surpris d'en lire l'analyse sous la plume d'Usbek. Aux causes particulières (épidémies et famines), succèdent les causes générales : c'est en les recensant qu'Usbek en vient à condamner la polygamie musulmane et l'oisiveté des eunuques et des esclaves (lettres CXIV-CXV). Il exprime ici unidéal de mesurequi réprouve ce gâchis d'énergie, entonne l'éloge du commerce qui passe par celui de l'industrie et de l'abondance. Chez les catholiques, Usbek condamne l'interdiction du divorce et le célibat des prêtres (baptisés "eunuques"), leur préfère ouvertement les protestants pour leur libre entreprise et leur énergie marchande. Parmi les causes politiques enfin, il s'insurge contre la colonisation, le nomadisme et l'esclavage, nouvelles occasions de déperdition humaine, et rêve delois naturellesqui reflètent la conscience publique. On notera comme toutes ces critiques - fort audacieuses - se font toujours au nom de la Raison et on leur opposera la lettre CXXVI où Rica écrit : «Je te l'avoue, je n'ai jamais vu couler les larmes de personne sans en être attendri : je sens de l'humanité pour les malheureux, comme s'il n'y avait qu'eux qui fussent hommes». Montesquieu a-t-il voulu séparer en deux têtes ce que la vertu politique exige à la fois de raison et de cœur ?

CXXXIII - CXLVI Un constat pessimiste du mal français.  Un grand nombre de lettres dans cette section émane de Rica. Plusieurs visites dans une bibliothèque sont pour lui l'occasion d'une critique vigoureuse des commentaires, fatras et autres compilations qui lui semblent exister au détriment de la Nature et de la Raison. C'est sous sa plume un second et prodigieux inventaire de l'Occident et de sesquerelles idéologiquesdans tous les domaines (lettres CXXXIII à CXXXVII). Usbek de son côté livre une de ses lettres les plus nauséeuses sur lenéant social(voir notre analyse de cettelettre CXLVI), cependant qu'il reçoit de Rica un nouvel apologue, l'Histoire d'Ibrahim et Anaïs. Il s'agit d'une sorte de sérail à l'envers où les femmes sont maîtresses et les hommes tolérants et libéraux. Comme les précédents, cet apologue manifeste une utopie dans laquelle Usbek pourrait avoir à méditer l'exemple d'Ibrahim le divin.

CXLVII - CLXI Terreur au sérail.  Informé des désordres de son harem, Usbek répond par les menaces les plus vives qui, une dernière fois, témoignent de l'impérialisme dont il n'a su se défaire : symboles de sa mauvaise foi et de son impuissance, le motvertuse voit indignement perverti sous sa plume et une de ses lettres s'est égarée. Ses nombreuses interrogations manifestent ce désarroi, où se mêlent colère et inquiétude. La précipitation romanesque est sensible surtout dans l'évolution des femmes jusqu'au dénouement, digne d'une tragédie : la modeste Roxane en vient aux menaces et sa dernière lettre (lettre CLXI) est, par l'arrogance du suicide qu'elle annonce, un cri de liberté : «J'ai réformé tes lois sur celles de la Nature». Tout le propos desPersanesest ici : pourquoi

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avoir voulu qu'elles s'achèvent en tragédie si ce n'est pour infliger sa punition à l'aveuglement d'Usbek ainsi qu'à tout ce qui fait tort à la Nature ?

Lettres persanes de Montesquieu

Contexte

"Mes lettres persanes apprirent à faire des romans en lettres " souligne Montesquieu , non sans fierté, dans ses pensées. Comme l'indique Jeanne et Michel Charpentier, si le roman épistolaire date du XVIIème siècle ( Les Lettres portugaises de Guilleragnes , en 1669, en constituent le premier chef-d'œuvre), l'originalité de Montesquieu se manifeste par le foisonnement des idées et dans l'entrecroisement des lettres.

Les lettres persanes ( 1721) susciteront l'intérêt au siècle des Lumières, pour cette forme de roman . En France, Rousseau publiera La Nouvelle Héloïse ( 1761) et Laclos , les Liaisons dangereuses (1782)

La forme épistolaire permet à Montesquieu, membre du parlement et de l'Académie des Sciences de Bordeaux , d'aborder des sujets philosophiques, politiques et religieux, ce qu'il n'aurait pu faire dans un roman traditionnel.

Résumé des Lettres persanes

Deux seigneurs persans ( Usbek et Rica) entreprennent un voyage d'étude en France. Ils quittent tous d'eux Ispahan , leur ville natale, le 14 mars 1711. Ces deux voyageurs ont des personnalités et des démarches différentes. Usbek, très attaché à sa patrie est un grand seigneur "éclairé". Rica, son compagnon de voyage a une jeunesse, une gaieté et un sens aigu de l'observation qui le portent à rire et à faire rire. Usbek, souhaite venir en occident, à la fois pour échapper aux représailles qui le menacent dans une cour corrompue, où sa franchise lui a valu plusieurs ennemis et aussi avec le désir d'effectuer un voyage d'étude. Usbek quitte presque à regret un sérail de cinq épouses larmoyantes , qu'il confie à plusieurs eunuques despotes . Rica, lui , est libre de toute attache et vient en France avec le souhait de côtoyer les salons, les beaux esprits et les jolies femmes.

Les deux voyageurs traversent la Perse, la Turquie et l'Italie et commencent une correspondance polyphonique avec leurs compatriotes restés à Ispahan. Ils arrivent à Paris en mai 1712. Leur absence de préjugés et leur esprit vif et ingénu leur valent de s'intéresser à la pratique

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politique, à l'étrangeté des mœurs, et aux traditions religieuses... Ils en soulignent tous les ridicules. Leur esprit impertinent  les conduit à en critiquer tous les travers. Leur plume acerbe met en cause les fondements même de notre société.

Pendant ces huit années qu'ils vont passer en Occident, les deux seigneurs persans échangent 161 lettres avec un nombre important (vingt-cinq) de correspondants, ce qui leur permet d'aborder tous les grands sujets de leur époque.

Usbek traite de domaines touchant à la politique, la morale, la religion, l'économie ou la sociologie. C'est ainsi qu'avec le mollak Méhémet Ali, il évoque le pur et l'impur; avec Roxane, la première épouse de son sérail, il compare les mœurs des femmes en Orient et en Occident. Avec Rhédi, il dialogue sur la culture et les arts, tandis qu'avec Mirza , il évoque les sources du bonheur.... ils reçoivent également des nouvelles de leur pays; Au travers de ces échanges, l'occident et l'Orient se mesurent.

Puis, Usbek et Rica empruntent des chemins différents, ce qui les amène à établir une correspondance entre eux. Ces échanges permettent de mesurer la différence entre ces deux voyageurs. Là où Rica fait preuve d'une ironie et d'un humour décapant , Ubsek préfère , lui, capter la sagesse, là où il la trouve.

Leur chronique française permet de couvrir les dernières années du règne de Louis XIV et la régence.

Les quinze dernières lettres (147 à 161) relatent la tragédie du sérail d'Usbek durant la période de 1717 à 1720. Nous pouvons y lire différentes versions de ce drame qui couve : celle des femmes, celle des eunuques et celle des serviteurs. On y apprend que Zélis s'est dévoilée à la Mosquée, que Zachi couche avec une de ses esclaves , qu'un jeune garçon a été trouvé dans le jardin du sérail et que Roxane, l'épouse préférée a été "surprise dans les bras d'un jeune homme".  De Paris, Usbek essaye de régler les conflits et de rétablir l'ordre. En vain, Roxane avant de s'empoisonner, crie sa haine de Usbek et revendique son droit à la liberté. " La mise en scène épistolaire du suicide héroïque de Roxane , coup de théâtre ultime, transforme en tragédie un roman jusque-là essentiellement satirique et philosophique."

Le Roman épistolaire est un genre intéressant pour critiquer la société.

• Dans ce Roman, la critique de la société se base sur trois axes : la

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vie sociale, la politique et la religion. Nousallons développer ces trois axes autour de trois paragraphes.La critique de la vie sociale est directement exprimée par Rica qui dira, s'étant rendu à la comédie française: "tout le peuple s'assemblesur la fin de l'après-midi et va jouer une espèce de scène". En fait, Montesquieu pense que la société française se donne en spectacle à elle-même et on peut supposer qu'il dénonce le ridicule de la viemondaine.Cette critique se retrouve jusque dans le milieu intellectuel et lettré avec par exemple l'allusion à la querelle des Anciens et des Modernes. De plus, la lettre 66, dénigre les auteurs deplagia lorsque Rica énonce: "De tous les auteurs, il n'y en a point que je méprise plus que les compilateurs, qui vont de tous les côtés chercher des lambeaux des ouvrages des autres qu'ils plaquentdans les leurs comme des pièces de gazon dans un parterre".

Les Lettres persanes est un roman épistolaire de Montesquieu rassemblant la correspondance fictive échangée entre deux voyageurs persans, Usbek et Rica, et leurs amis respectifs restés en Perse. Leur séjour à l’étranger dure neuf ans.

Au XVIIIe siècle, l’Orient et le goût des voyages sont à la mode. Cependant, le roman fut publié au printemps 1721 à Amsterdam, et Montesquieu, par prudence, n’avoua pas qu’il en était l’auteur. Selon lui, le recueil était anonyme, et il se présentait comme simple traducteur, ce qui lui permettait de critiquer la société française sans risquer la censure.

RésuméEn 17112, Usbek, un philosophe persan, quitte Ispahan pour entreprendre, accompagné de son ami Rica un long voyage enEurope jusqu’à Paris. Il laisse derrière lui les cinq épouses de son sérail (Zachi, Zéphis, Fatmé, Zélis, et Roxane) aux soins d’un certain nombre d’eunuques noirs. En tenant, au cours de leur voyage et de leur séjour prolongé à Paris (1712-1720), une correspondance avec des amis rencontrés dans les pays

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traversés et des mollahs, il dépeint d’un œil faussement naïf – celui qu’une civilisation lointaine pourrait porter sur l’Occident, réduit dès lors lui-même à quelques contrées exotiques – les mœurs, les conditions et la vie de la société française au XVIIIe siècle, la politique en particulier, se terminant par une satire mordante dusystème de Law. Au fil du temps, divers troubles font surface dans le sérail et, à partir de 1717 (lettre 139 [147]), la situation se détériore : lorsque Usbek ordonne au chef de seseunuques de sévir, son message arrive trop tard et une révolte entraîne la mort de ses épouses, y compris le suicide par vengeance de Roxane, sa favorite et, semble-t-il, de la plupart des eunuques.

La chronologie se décompose comme suit :

Lettres 1-21 [1-23]  : le voyage d’Ispahan à Paris, qui dure 13 mois (à partir du 19 mars 1711 au 4 mai 1712).

Lettres 22 [24] -89 [92] : Paris sous le règne de Louis XIV, 3 ans en tout (de mai 1712 à septembre 1715).

Lettres 90 [93] -137 [143] ou [lettre supplémentaire 8 = 145] : la Régence de Philippe d’Orléans, qui couvre cinq années (de septembre 1715 à novembre 1720).

Lettres 138 [146] - 150 [161] : l’effondrement du sérail d’Ispahan, 3 ans (1717-1720).

À Paris, les Perses s’expriment sur une grande variété de sujets allant des institutions gouvernementales aux caricatures de salon. La différence de tempérament entre les deux amis est notable, Usbek étant plus expérimenté et posant beaucoup de questions, tandis que Rica est moins impliqué, tout en étant plus libre et plus attiré par la vie parisienne. Bien que l’action se déroule dans les années de déclin de Louis XIV, on admire encore beaucoup ce qu’il a accompli dans un Paris où les Invalides sont en cours d’achèvement et où cafés et théâtres se multiplient.

Les Perses observent la fonction des parlements, des tribunaux, des organismes religieux (Capucins, Jésuites, etc), les lieux publics et leur fréquentation (les Tuileries, le Palais Royal), les fondations de

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l’État (l’hôpital des Quinze-Vingts pour les aveugles, les Invalides pour les blessés de guerre). Ils décrivent une culture florissante, où la présence de deux Perses devient rapidement un phénomène populaire, grâce à la prolifération d’imprimés (lettre 28 [30]). Le café – où ont lieu les débats : lettre 34 [36] – s’est imposé comme une institution publique, comme l’étaient déjà le théâtre et l’opéra. Il y a encore des gens assez fous pour rechercher à leurs propres frais pour la pierre philosophale tandis que le colporteur de ragots et la presse périodique commencent à jouer un rôle dans la vie quotidienne. Sont décrits aussi des institutions (les universités, l’Académie française, les sciences, la bulle Unigenitus), des groupes sociaux (les dandys, les coquettes) et des personnages archétypiques (le chanteur d’opéra, le vieux guerrier, le roué, et ainsi de suite).

Pour sa part, Usbek est troublé par les contrastes religieux. Bien qu’il ne pense jamais à abjurer l’islam et que certains aspects du christianisme, comme la Trinité ou la communion le troublent, il écrit à d’austères autorités pour s’enquérir, par exemple, pourquoi certains aliments sont considérés comme impurs (lettres 15-17 [16-18]). Il assimile également les deux religions, et même toutes les religions, eu égard à leur utilité sociale.

Certaines séquences de lettres dues à un seul auteur permettent de développer un sujet particulier plus en détail. Ainsi, les lettres d’Usbek 11-14 à Mirza sur les Troglodytes, les lettres 109-118 (113-122) de Usbek à Rhédi sur la démographie, les lettres 128 à 132 (134-138) de Rica sur sa visite à la bibliothèque Saint-Victor. Y sont esquissées des analyses qui seront plus tard développées dans De l'esprit des lois sur de nombreux sujets tels que les types de pouvoirs, l’influence du climat et la critique de la colonisation.