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www.memoria.dzLA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 3 )( 3 )LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE www.memoria.dz

Lettre de l'Editeur

Pour une vive mémoire

AMMAR [email protected]

es nations se hissent par le savoir et se maintiennent par la mémoire. C’est cet ensemble d’évé-nements qui se créent successivement aujourd’hui pour qu’un jour on ait à le nommer : Histoire. Sans cette mémoire, imbue de pédagogie et de ressourcement, l’espèce humaine serait tel un atome libre dans le tourbillon temporel et cosmique.

L’homme a eu de tout temps ce pertinent besoin de vouloir s’amarrer à des référentiels et de se coller sans équivoque à son histoire. Se confondre à un passé, à une ancestralité. Cette pertinence va se confiner dans une résistance dépassionnée et continue contre l’amnésie et les

affres de l’oubli. Se contenir dans un souvenir, c’est renaître un peu. L’intérioriser, c’est le revivre ; d’où cette ardeur permanente de redécouvrir, des instants durant, ses gloires et ses notoriétés.

En tant que mouvement dynamique qui ne s’arrête pas à un fait, l’Histoire se perpétue bien au-delà. Elle est éga-lement un espace pour s’affirmer et un fondement essentiel dans les domaines de prééminence et de luttes. Trans-mettant le plus souvent une charge identitaire, elle est aussi et souvent la proie pitoyable à une éventualité faussaire ou à un oubli prédateur. Seule la mémoire collective, comme un fait vital et impératif, peut soutenir la vivacité des lueurs d’antan et se projeter dans un avenir stimulant et inspirateur. Elle doit assurer chez nous le maintien et la perpétuation des liens avec les valeurs nationales et le legs éternel de la glorieuse révolution de Novembre.

Il est grand temps, cinquante ans après le recouvrement de l’indépendance nationale, de percevoir les fruits de l’interaction et de la complémentarité entre les générations. Dans ce contexte particulier et délicat, les moudjahi-date et moudjahidine se doivent davantage de réaffirmer leur mobilisation et leur engagement dans le soutien du processus national tendant à éterniser et à sacraliser l’esprit chevaleresque de Novembre. Ceci n’est qu’un noble devoir envers les générations montantes, qui, en toute légitimité, se doivent aussi de le réclamer. A chaque dispari-tion d’un acteur, l’on assiste à un effacement d’un pan de notre histoire. A chaque enterrement, l’on y ensevelit avec une source testimoniale. Le salut de la postérité passe donc par la nécessité impérieuse d’immortaliser le témoi-gnage, le récit et le vécu. Une telle déposition de conscience serait, outre une initiative volontaire de conviction, un hommage à la mémoire de ceux et de celles qui ont eu à acter le fait ou l’événement. Le témoignage devrait être mobilisé par une approche productive d’enseignement et de fierté. Raviver la mémoire, la conserver n’est qu’une détermination citoyenne et nationaliste. Toute structure dépouillée d’histoire est une structure sans soubassement et toute Nation dépourvue de conscience historique est une nation dépourvue de potentiel de créativité et d’inté-gration dans le processus de développement.

C’est dans cette optique de rendre accessibles l’information historique, son extraction et sa mise en valeur que l'idée de la création de cette nouvelle tribune au titre si approprié : Memoria, a germé. Instrument supplémentaire dédié au renforcement des capacités de collecte et d’études historiques, je l’exhorte, en termes de mémoire objec-tive, à plus de recherche, d’authenticité et de constance.

[email protected]

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Rédaction

Adel FAthi

Ahmed hADJi

Dr Boudjemaâ hAiChOUR

Djamel BELBEY

hassina AMROUNi

Mourad DJiLALi

Zoubir KhéLAiFiA

Direction Artistique

halim BOUZiD

Salim KASMi

Contacts :

SARL COMEStA MEDiA

N° 181 Bois des Cars 3

Dely-ibrahim - Alger - Algérie

Tél. : 00 213 (0) 661 929 726

+ 213 (21) 360 915

Fax : + 213 (21) 360 899

E-mail : [email protected]

[email protected]

Fondateur Président du Groupe

AMMAR KHELIFA

Direction de la rédaction

Zoubir KhéLAïFiA

Coordinatrices

Meriem Khelifa

Chahrazed Khelifa

Reporter - Photographe

abdessamed Khelifa

www.memoria.dz

Supplément offert, ne peut être vendu

HistoireLa situation dans Les aurès après L’arrestation de BenBouLaïd

HistoireamiroucHe, avait-iL mission de Liquider adjaL adjouL ?

portraitadjaL adjouL

HistoireLe règne de cHiHani BacHir et son éLimination

HistoireLe confLit adjaL adjouL, omar BenBouLaïd

p.07

p.21

p.29

p.13

p.17

p.33

p.37

p.41

N°32 - Février - 2015Supplément

AFFAIRE ADJAL ADJOUL

GUERRE DE LIBÉRATION

adjaL adjouL coLoneL amiroucHe

P.12P.06

HistoireLes wiLayas de L’intérieur face à L’offensive de L’armée des frontièresLa guerre des wiLayas, a-t-eLLe eu Lieu ?

HistoireLe raLLiement programmé des wiLayas i, v et vi

HistoireLa wiLaya iientre résistance et désiLLusion

omar benbouLaid

P.20

hadJ LaKhdar

P.18

houari boumediene

P.43

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HistoireLa wiLaya iii sur tous Les fronts

HistoireLa wiLaya ivLe dernier rempart

Histoiremed eL-hadi rézaïmia« Les BegHou ont fourni des armes à L’aLn »

Histoiredécès de La moudJahida JacqueLine GuerroudJune vie de comBat

Histoiremaâmar dJGaGuen Le petit miLitant devenu grand cHef

p.45

p.49

p.53

p.77

p.57

Supplément du magazine ELDJAZAIR.COM

Consacré à l’histoire de l'algérie

Edité par :

LE GRouPE DE PREssE ET DE CoMMunICATIon

Dépôt légal : 235-2008iSSN : 1112-8860

SOM

MA

IRE

taHar zBiri, wiLaya i

P.10

saLaH BouBnider, wiLaya ii

P.41

moHand ouLHadj, wiLaya iii

P.46

rené vautier

P.73

youcef kHatiB a droite, wiLaya iv

P.52

maamar dJGuaGuen

P.57

JacqueLine GuerroudJ

P.77

aÎn Beida, La reine des Haraktasp.83

HISTOIRE D'UNE VILLE

aïn beïda

med hadi rezaïmia

P.53

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L’affaireAdjAl Adjoul

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La situation dans les Aurès après

l'arrestatioN de BeNBoulaïdPar Adel Fathi

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( 8 )Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA.

Histoire

Supplément N° 32- Février 2015.

L’affaire Adjal Adjoul

Toute l’avance qu’a prise la région des Aurès – ini-tialement Zone I, puis Wilaya I – durant la pre-

mière période de la lutte armée, aura été gâchée, depuis la dispa-rition de son précurseur, Mostefa Benboulaïd, survenue le 22 mars 1956, quelques mois seulement après sa sortie de prison.

Membre des six chefs histo-riques qui ont créé le CRUA, en octobre 1954, Mostefa Benboulaïd était, aux yeux des dirigeants de la Révolution, une valeur sûre et celui sur qui ils pouvaient comp-ter pour parachever l’implantation des maquis dans sa région réputée difficile, en raison des rivalités tri-bales qui l’ont toujours marquée. En effet, Benboulaïd a non seule-ment réussi à structurer et à fédé-rer tous les combattants de cette région, mais il a surtout fait des Aurès le berceau de la Révolution. Qui ne sait pas que la première

balle contre le colonialisme fran-çais en Algérie a été tirée dans un des djebels auréssiens ? Dans la nuit du 1er novembre 1954, la ca-serne de la ville de Batna est atta-quée par les moudjahidine. Cette nuit sera appelée par les historiens français «Toussaint rouge». Un caïd et deux enseignants français (école de Tifelfel) vont être abat-tus sur la route de Biskra et Arris par le commando Bachir Chihani qui était le bras droit de Mostefa Benboulaïd

Mais depuis la disparition de ce symbole de l’union, tous les an-ciens atavismes ont ressurgi, à telle enseigne que toute la chronique de la lutte dans cette région sera désormais marquée par des luttes fratricides ravageuses et sans fin.

Arrêté début février 1955 en Tu-nisie, Benboulaïd est condamné à mort par le tribunal de Constan-tine, puis emprisonné à la prison centrale de la même ville. Mais, au bout de huit mois d’incarcération, il réussit à s’en évader avec plu-sieurs autres détenus, dont Tahar Z’biri — futur chef de la Wilaya I – et ce grâce à la complicité d’un geôlier, issu de sa région natale, selon les témoignages.

A son retour au milieu de ses hommes, Benboulaïd s’aper-çoit vite de l’anarchie totale qui y règne et des luttes tribales qui empêchent toute organisation. Il faut, à tout prix, sauver les Aurès de cette «fitna» qui les menace dans leur existence même. Il com-prend que les militants les plus

Photo prise après son arrestation en Tunisie (11 février 1955), Benboulaïd réussit à transmettre un message symbolisant la victoire avec ses deux doigts

Bachir Chihani

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HistoireL’affaire Adjal Adjoul

Photo historique des six chefs du FLN.Prise à Bab-El-Oued : 14, Avenue de la Marne (Colonel Lotfi actuellement), le dimanche 24 octobre 1954.

Debout, de g. à dr. : Rabah Bitat, Mostefa Benboulaïd, Didouche Mourad et Mohamed Boudiaf.Assis : Krim Belkacem à gauche et Larbi Ben M’Hidi à droite.

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Histoire

Supplément N° 32- Février 2015.

dynamiques et les plus aguerris, à leur tête Adjel Adjoul, Abbas Laghrour et Lazher Cheriet, s’op-posent à ce qu’ils appelant, à tort ou à raison, la «mainmise» des Touabas (arch des Benboulaïd) et aux gens de Arris sur le comman-dement de la Révolution dans sa région. D’aucuns accusent notam-ment Omar Benboulaïd, le frère cadet de Mostefa, d’être l’instiga-teur de ce sectarisme dévastateur. L’épisode du Congrès de la Soum-mam confortera cette hypothèse chez beaucoup de moudjahidine, puisque la présence imposée de ce

frère «encombrant» à ce sommet des dirigeants de la Révolution ne fera qu’aggraver la situation déjà assez délétère.

Devant cette situation, le chef de la Zone I s’échinera, pendant les premiers mois, à mettre de l’ordre dans la maison, en appe-lant à l’unité et à la fraternité et en sensibilisant la base sur les enjeux réels de la lutte armée et sur la né-cessité de transcender les clivages tribaux et personnels pour fédérer les énergies contre un seul vrai en-nemi : le colonialisme français. Il réussit tant bien que mal à apaiser

Le Conseil de la Révolution de la Wilaya I de 1960.De dr. à g. : commandant Amer Mellah, commandant Smain Mahfoud, Colonel Tahar Zbiri et le commandant Mohamed Salah Yahiaoui

Adjal Adjoul

L’affaire Adjal Adjoul

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Histoireles esprits, mais sa mort précoce (sans doute préméditée, puisqu’il est mort dans un attentat à la bombe) remet les compteurs à zéro : les rivalités vont alors s’ai-guiser entre les frères ennemis, et provoqueront des dommages irrémédiables, depuis notam-ment la reddition inexpliquée et inexplicable de grand baroudeur qu’était Adjel Adjoul.

Après la mort de Mostefa Ben-boulaïd, le 22 mars 1956, Abdel-hai, Abbas Leghrour, Omar Benboulaïd, Mohamed Tahar Abidi dit Hadj Lakhder, Laskri Amar dit Amara Bouglès, Ta-har Z’biri, Aouacheria, Ahmed

Nouar et Ahmed Draia forment une direction collégiale dans la région des Aurès, devenue désor-mais Wilaya I après le congrès du 20 août 1956, mais aucune figure ne réussit à s’imposer comme rassembleur. Preuve que la frac-ture entre les différents «chefs de guerre» des Aurès et de Nemen-cha va en s’aggravant. Le CCE, au lieu de travailler dans le sens d’une réunification des rangs, ag-gravera la situation. Abdelhaï et Abbas Leghrour seront condam-nés à mort par les partisans du Congrès de la Soummam. Ces af-frontements déborderont même sur le territoire tunisien où se

Abbas Laghrour portant la barbe

Hadj Lakhdar

L’affaire Adjal Adjoul

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Histoire

Supplément N° 32- Février 2015.

sont réfugiés nombre de ces chefs chaouis. Au moins trois d’entre eux, accusés de «travail fraction-nel», seront exécutés par leurs frères d’armes dans la fameuse affaire dites des Colonels.

L’intervention du colonel Ami-rouche dans cette région com-pliquera davantage la situation. Envoyé en janvier 1959 par le CCE pour tenter de trouver une solution à ce conflit fratricide, le chef de la Wilaya III aurait agi maladroitement, certainement du fait qu’il ne maitrisait pas les enjeux du conflit et qu’il se serait

précipité pour imposer l’ordre du «nidham». De nombreux acteurs de cet épisode s’accordent à dire que c’est, en partie, à cause d’une telle attitude que Adjel Adjoul aurait préféré rompre définitive-ment les ponts avec la Révolu-tion, pour se rallier à l’ennemi, à un moment crucial de la guerre avec l’occupant. L’histoire de ce révolutionnaire mythique cris-tallise toute la complexité et la singularité de la révolution dans une région qui l’a vu naître.

Adel Fathi

Adjal Adjoul lâché par ses alliés se rend en famille à l’armée française le 5 novembre 1959

Colonel Amirouche

L’affaire Adjal Adjoul

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Par Adel Fathi

le règNe de Chihani BaChir et soN élimiNatioN

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Histoire

Supplément N° 32- Février 2015.

Natif de la ville de Khroub, près de Constantine, en 1929, Bachir Chihani fut l’un

des premiers compagnons de Mostefa Benboulaïd et un des ini-tiateurs des premières actions qui annoncèrent le déclenchement de la lutte armée dans la région des Aurès. Il structura tous les ma-

quis allant des Nememchas à la région de Souk-Ahras et noua des contacts avec des militants du Parti communiste algérien (PCA), par l’intermédiaire d’Abdelhamid Ben-zine avec qui il a milité en 1945. Avec les autres dirigeants – Med-dour Azoui, Mostefa Boucetta –, il a fait échec aux plans des généraux Parlange et Ducourneau qui vou-laient étouffer les maquis de l’ALN dans les Aurès.

Lors de du premier déplacement de Benboulaïd, alors chef de la Zone I, en Tunisie, celui-ci dési-gna tout naturellement son adjoint pour tenir l’intérim au comman-dement de la zone. Il lui succéda à son arrestation le 11 février 1955 à la frontière libyenne. Mais son règne ne dura que huit mois, puisqu’en mois d’octobre 1955, il sera assassiné, victime sans doute d’un complot ourdi par ses deux rivaux le plus tenaces, qui étaient aussi ses adjoints, à savoir Abbas Laghrour et Adjel Adjoul. A sa mort, Benboulaïd était encore en

prison, ce qui entraina une véri-table débandade dans les maquis des Aurès pendant plusieurs mois.

Huit mois n’auront donc pas suf-fi à Chihani dit Si Messaoud d’apla-nir les différends qui minaient les rangs de l’ALN dans cette région, alors que l’armée coloniale conti-nuait à serrer l’étau sur tout l’Est algérien dès le déclenchement de l’insurrection. C’est, d’ailleurs, pendant cette période que les mou-djahidine de la Zone II (Nord-

Adjal Adjoul

Général Ducourneau à gauche Général Parlange

Bachir Chihani Mostefa Benboulaid

L’affaire Adjal Adjoul

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www.memoria.dzLA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 15 )

HistoireConstantinois) décidèrent, sous l’instigation de Zighoud Youcef, de mener une vaste offensive contre l’ennemi, connus sous le nom de l’offensive du 20 août 1955, dans le but de desserrer l’étau sur les Aurès.

Face à l’armada coloniale, le chef de la Zone II mena une résistance héroïque. Le 22 septembre 1955, Bachir Chihani livre à Djorf, à l’ouest de la ville de Tebessa, son dernier combat. Une bataille me-née, selon un récit officiel, par 400 moudjahidine placés sous le com-mandement de Bachir Chihani et de ses lieutenants, Abbès Laghrour, Adjel Adjoul et Lazhar Cheriet. Cette bataille qui a duré plus d’une semaine, sans interruption, a causé d’importantes pertes humaines et matérielles à l’armée ennemie, qui avait mobilisé un effectif de plus de 25 000 soldats, équipés de blin-dés, d’armes lourdes et appuyés d’avions de chasse et de bombar-diers. Bilan de cette bataille : 700 morts dans les rangs de l’armée d’occupation et une centaine dans les rangs des moudjahidine. Cette bataille est considérée comme l’une des plus héroïques de la guerre de Libération nationale.

La bravoure et les succès de Bachir Chihani ont-ils avivé l’ani-mosité de ses adjoints au point de vouloir l’éliminer ? Si on peut ad-mettre l’existence de rivalités entre les lieutenants de Mostefa Ben-boulaïd, comme il en existait dans toutes les wilayas du pays, il est cependant difficile de s’expliquer cet acharnement contre un homme qui avait fait ses preuves sur le ter-rain et qui, par-dessus tout, avait

la confiance du chef incontestable qui l’avait nommé dès son arresta-tion. C’est pourquoi toutes les hy-pothèses restent à prospecter.

Plusieurs versions sont corro-borées sur sa mort, ou plus pré-cisément, sur son exécution, le 23 octobre 1955. La version plus répandue confirme la thèse de l’exécution à la suite d’une paro-die de procès. Accusé de rap-ports, jugée non-conformes à la morale islamique, Chihani aurait été jugé, selon les partisans de cette thèse, devant une centaine de moudjahidine, et où une fatwa a été prononcée au préalable par un muphti à la demande d’Abbas Laghrour. L’autre version dit que c’est Adjel Adjoul, l’autre rival de Bachir Chihani, qui fomenta une machination contre le successeur de Mostefa Benboulaïd. Pour les partisans de cette thèse, cette or-chestration menée par Adjoul est justifiée par le désir de ce dernier de s’emparer du commandement de la Révolution dans les Aurès, en voulant profiter de l’absence de Benboulaïd. Pour ceux-là, c’est

aussi Adjoul qui aurait comman-dité, pour le même motif, l’attentat à la bombe contre Benboulaïd lui-même à sa sortie de prison.

Or, une autre version approuve l’idée que l’élimination de Bachir Chinani aurait été l’œuvre d’Abbas Laghrour, seul. Il aurait confié à un frère – le moudjahid Mahmoud Guenez –, lorsqu’il était détenu en Tunisie, où il sera lui-même exé-cuté dans l’affaire des officiers de Nemamchas, fin 1956, que c’était lui qui aurait fomenté le coup contre Chihani, et non pas Adjel, en justifiant sa décision par le fait que «Chihani était atteint d’une maladie dont seule la mort pou-vait guérir». Mais tout cela reste à authentifier.

Il y a enfin la version romancée de Mohamed-Larbi Madaci qui, dans son ouvrage-référence, intitu-lée Les tamiseurs de sable, relate les ultimes moments vécus par Bachir Chihani, tenu prisonnier par ses frères : «Adjoul, son prisonnier gar-rotté et son escorte sont accueillis par Bayouche qui évite constam-ment de regarder dans la direc-

Abbas LaghrourZighoud Youcef

L’affaire Adjal Adjoul

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Histoire

Supplément N° 32- Février 2015.

tion du prisonnier. Tous marchent d’un pas vif, quand soudain, coup de théâtre : Bicha, de toute la hau-teur de son indignation, se dresse au milieu du chemin, jambes écar-tées, canon du fusil pointé droit devant : Halte! crie-t-il d’une voix écorchée, lugubre. «Pourquoi avez-vous attaché Si Messaoud?» Il ne s’adresse à personne en particulier. Chihani, de loin, très pâle, lui fait des signes de tête désespérés pour qu’il s’éloigne (…) Adjoul recule légèrement, Bayouche, utilisant son propre corps comme rempart s’interpose entre Adjoul et Bicha, éloigne peu à peu ce dernier à recu-lons, le long du chemin, puis l’aban-donne à une vingtaine de mètres. Maintenant, il fait tout à fait jour.

Ils se sont dispersés, en silence, chacun dans un coin. Bicha désespéré, la bouche sèche, creuse rapidement une tranchée au sommet de la crête, construit un muret pro-tecteur avec des pierres et s’allonge de tout son long, balle au canon (…). A 9 h 30, Chihani est exécuté et enterré tel quel dans ses habits. Sa musette (qui contenait le registre, le sceau, une arme de poing, la machine à écrire por-tative, la correspondance et des documents relatifs aux contacts établis avec le reste de l’Algérie et de l’étranger, toute la docu-mentation de la région) en bâche a disparu». L’auteur

ajoute qu’en 1987, il a posé, pour la millionième fois, la question à

Adjoul pour savoir qui a ordonné la mise à mort de Chihani et pour-quoi, et pour la millionième fois, il reçoit la même réponse évasive: «Le tribunal a jugé puis condamné.» Quand il lui demande qui siégeait à ce tribunal, son interlocuteur ne se rappelle plus et renvoie tout « à Abbas Laghrour ».

Adel Fathi

Mohamed Larbi Madaci

De g. à dr. : Abdelhamid Djouad, Hadj Lakhdar, Youcef Yaâlaoui, Salah Nezzar, Abdelhamid Amokrane et Ali Cheriet

L’affaire Adjal Adjoul

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Par Adel Fathi

Le confLit

Omar BenBOulaïd

adjal adjOul

Le confLit

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Histoire

Supplément N° 32- Février 2015.

A la mort du chef de la zone I, Mostefa Benboulaïd, le 22 mars 1956, toutes les anciennes riva-

lités entre différents lieutenants ont ressurgi. Ces derniers ont, selon les témoignages, attendu trois semaines, pour se réunir à Tagda, pour examiner la situation et désigner un successeur. Onze responsables y ont assisté, dont le redoutable trio Adjel Adjoul, Abbas Laghrour, Lazher Cheriet. Ouvrant la séance, Mohamed-Tahar Labidi, dit Hadj Lakhdar, proposa Adjel Adjoul, certaine-ment pour ces qualités de chef aguerri et inflexible, pour succé-der à Mostefa Benboulaïd, tout en essayant de convaincre ses « enne-mis jurés », notamment le frère du défunt chef, Omar Benboulaïd, et son compagnon Messaoud Aïssi, présents à la réunion.

A la fin de la réunion, les par-

ticipants conviennent d’instau-rer un commandement collégial, comme solution provisoire. Ce commandement est composé de douze responsables. Deux mois après cette rencontre, Omar Ben-boulaïd prend l’initiative d’entrer en contact avec les dirigeants de

la zone III (la Kabylie) au mo-ment où ils préparent les assises de la révolution, prévu le 20 août à Ifri-Ouzellaguen, dans la val-lée de la Soummam. Ce premier contact lui servira de paravent et aussi de légitimation, auprès de ses pairs, pour tenter de s’empa-

L’affaire Adjal Adjoul

Mohamed-Tahar Labidi, dit Hadj Lakhdar

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Histoirerer du commandement de la Zone I, devenue entretemps Wilaya I. Il entame alors, dès son retour, la constitution d’une délégation qui devrait représenter les Aurès au congrès de la Soummam, dans l’espoir de se faire adouber là-bas chef incontesté. Mais, sur leur chemin du congrès, la majeure partie des membres de la déléga-tion se montrent sceptiques sur cette «autolégitimation» anticipée et préfèrent attendre les résultats du congrès sans y assister. D’où, d’ailleurs, l’absence de la Wilaya I à ces premières grandes assises de la révolution.

C’est le commandant Ami-rouche qui est désigné pour communiquer les résolutions du congrès aux délégués absents de la Wilaya I. Conduits par Omar Benboulaïd. Amirouche, promu entretemps colonel, aaussi comme mission d’aider à nommer une direction unifiée de cette wilaya. Car la nouvelle direction natio-nale issue du congrès savait que le frère de Mostefa Benboulaïd voulait s’autoproclamer chef sans la bénédiction des autres respon-sables des Aurès.

Dans ses Mémoires, Hadj Lakhdar, futur colonel de la Wi-laya I, impute l’échec du colonel Amirouche dans sa mission à la manipulation dont il aurait été objet par Omar Benboulaïd, en lui désignant Adjel Adjoul comme l’origine du mal dont souffrait leur wilaya.

Reçu par Omar Benboulaïd au mois de septembre 1956, Ami-rouche entame sa tournée d’ins-pection, vulgarise les résolutions prises à la Soummam, confirme leur affectation aux responsables des mintaqa (zones), distribue des grades… Nul ne savait que sa visite allait chambouler l’échi-quier de fond en comble. Il écoute alors attentivement les rapports présentés par les Tahar Nouichi, Omar Benboulaïd, Ali Mechiche, Mohammed Lamouri, Brahim Kabouya et Hadj Lakhdar. C’est à ce moment-là qu’il apprend la dissidence de Adjel Adjoul. Il demande alors à le rencontrer. Le rendez-vous a lieu en pleine forêt, vers la mi-octobre. C’est un échec retentissant. Beaucoup pensent aujourd’hui que cette rencontre a été l’erreur fatale.

On reproche également au frère du héros de la Wilaya I, son zèle et aussi son empressement d’impo-ser un homme, Bachir Chihani, au commandement de la région, après l’arrestation de Mostefa Benboulaïd. Car c’est cette atti-tude qui, d’après nombre de té-moignages, a exacerbé les rivalités qui couvaient entre les différents clans et responsables locaux, alors que Chihani était loin d’être un chef consensuel. Omar Benbou-laïd l’a-t-il fait dans le dessein de reprendre les rênes du pouvoir ? La question mérite d’être posée. Pour ceux qui se sont penchés sur le cas de Omar Benboulaïd, l’am-bition ravageuse qu’affichait très tôt ce frère, a semé la zizanie ou, du moins, n’a pas aidé à ressouder les rangs de l’ALN dans les Aurès. Certains lui reprochent même la fin dramatique qu’a connue Ba-

L’affaire Adjal Adjoul

De l’extérieur, la maison qui abrita le congrès de la Soummam

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L’affaire Adjal Adjoul

chir Chihani–exécuté comme on sait à la suite d’une parodie de procès quelque mois seule-ment après avoir été désigné commandant par intérim de la Zone I.

Ce que peu de gens savent aujourd’hui, c’est qu’Omar Benboulaïd a été lui-même condamné à mort par contu-mace, par un tribunal révo-lutionnaire, en même temps qu’Ali Mahsas, alors que les deux n’avaient pas les mêmes positions par rapport aux résolutions du Congrès de la Soummam. Le frère de Mostefa Benboulaïd y était plutôt favorable.

Le conflit entre Omar Ben-boulaïd et Adjel Adjoul de-vrait logiquement prendre fin à la reddition de ce dernier. La question du commandement de la Wilaya I était désormais prise en charge par le CCE, qui décida de désigner Mah-moud Cherif commandant in abstentia depuis Tunis.

Les deux frères ennemis ont survécu à la guerre, mal-gré toutes les affres qu’ils ont subies. Omar Benboulaïd est mort dans un accident de voi-ture après l’Indépendance, tandis que Adjel Adjoul vécut dans l’anonymat total jusqu’à sa mort, survenue en 1992.

Adel Fathi Colonel Amirouche et Omar Benboulaïd

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Par Adel Fathi

amirouche, AvAit-iL mission de Liquider

adjal adjoul ?

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Cette question continue à tarau-der les esprits plus d’un demi-siècle après les faits. Tout

le monde sait que le chef de la Wilaya III, sitôt les travaux du congrès de la Soummam achevés et lui-même promu au grade colo-nel, a été désigné par le CCE pour une mission dans les Aurès, offi-ciellement pour essayer de trou-ver une solution au conflit qui y perdurait, empêcher, une année après la disparition de Mostefa Benboulaïd, la mise sur pied d’un commandement uni et stable et enquêter éventuellement sur la

mort suspecte du héros des Aurès. Le colonel Amirouche est ar-

rivé à la Wilaya I en septembre 1956 et est reçu et guidé par Omar Benboulaïd, qui a toujours l’ambi-tion de prendre la tête de la wi-laya, et qui s’est déjà présenté aux assises de la Soummam, quelques semaines plus tôt, au nom des Aurès-Nemamchas. Après les premières prises de contact, il ap-prend la dissidence de Adjel Ad-joul, un des rivaux les plus sérieux du successeur désigné de Benbou-laïd, à savoir Bachir Chihani, qui venait d’être exécuté. Amirouche demande alors à rencontrer l’in-

trigant Adjoul. Lors de leur ren-contre, en tête à tête dans un lieu isolé dans les maquis, l’émissaire du CCE lui pose des questions précises sur tout ce qui se dit et notamment sur la mort de Moste-fa Benboulaïd. La seule source que nous disposons de cet entre-tien est celle livrée par Adjoul lui-même à Mohamed-Larbi Madaci. Ce dernier rapporte dans son ouvrage-référence (Les tamiseurs de sable - Aurès-Nemencha 1954-1959. Anep, 2002), la teneur de cet interrogatoire, mais n’en donne qu’une seule version, celle de Adjel Adjoul. Ainsi à la question d’Amirouche relative à la mort de

L’affaire Adjal Adjoul

Au congrès de la Soummam : 1- Krim Belkacem. 2-Amar Ouamrane. 3-Colonel Amirouche

1 2

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Mostefa Benboulaïd, le trublion interlocuteur répondit qu’il ne l’avait apprise que deux mois plus tard, soit vers la fin du mois de mai 1956. «C’est la date à laquelle j’ai été contacté par Ali Benchai-ba et Mostefa Boucetta, lui a-t-il précisé. Ces deux hommes ont été gravement blessés par la bombe qui a tué Si Mostefa… »

Revenant à la charge, l’interro-gateur lui rétor-qua : « Est-il nor-mal de rester sans nouvelle de son chef direct pen-dant deux mois ? » Réponse d’Ad-joul : « Avant de quitter Kimmel, il [Mostefa Ben-boulaïd] m’avait

demandé de l’attendre… J’ai obéi à son ordre et je n’ai pas bougé de la mintaqa de Kimmel. » Et l’interrogatoire se poursuit ainsi durant trois jours. A l’issue de ce procès, Amirouche annonce à Adjoul sa mutation qu’il aurait acceptée.

Ce dernier ne précise pas dans ses confessions à Madaci où il aurait été muté. Ce qui complique davantage la quête de vérité dans cet imbroglio historique. Interro-gé sur son conflit avec Omar Ben-boulaïd et Messaoud Benaïssa, Adjoul ne s’en cache pas. C’était, en effet, un secret de Polichinelle, depuis au moins l’arrestation de Mostefa Benboulaïd.

Malheureusement pour Adjoul, et pour l’avenir de toute la région des Aurès, la situation a commen-cé à s’envenimer sérieusement de-puis cette entrevue. Dans la nuit du 19 au 20 octobre 1956, c’est-à-dire deux semaines, après l’arrivée du colonel de la Wilaya III, Adjel Adjoul affirme avoir fait l’objet d’une tentative d’assassinat per-pétré par deux moudjahidine : Ali Mechiche et Ahmed Azeroual. Cette version est confirmée par

L’affaire Adjal Adjoul

De g. à dr. : Hadj Lakhdar, Hocine Mameri, Ali Mechiche, Amar Maâche, Tahar Nouichi,Adjel Adjoul, Mohamed Seghir Hellaïli, colonel Amirouche et Mohamed Tahar Kebaili.

Combattants au maquis de Kimmel

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L’affaire Adjal Adjoul

Hadj Lakhdar qui se trouvait, à ce moment-là, dans le même refuge que Adjoul. Si Amirouche n’est pas directement accusé de cette action fomentée contre Adjoul, il ne s’en est pas moins rendu res-ponsable de la tuerie qui a coûté la vie à trois gardes du corps de Adjoul, qui sont : Sadek Batsi, Abderrahim Thenia et Abder-rahim Hellaili. Amirouche nie toute implication dans cette affaire et reconnaît avoir seule-ment donné l’ordre de l’arrêter. Mais la question que les histo-riens n’ont pu s’empêcher de se poser est de savoir : pourquoi l’arrêter après lui avoir notifié sa mutation. Usant de son au-torité et de sa notoriété auprès

des combattants des différents clans, Hadj Lakhdar mit la pression sur Amirouche pour quitter les Aurès. Celui-ci quitta la région, en la laissant plongée dans une nouvelle crise. La crise née de la dissidence déclarée de Adjel Adjoul et sa reddition.

Pourchassé, acculé, Adjel Adjoul se réfugie chez lui au village Der-moun, au milieu des siens. Ses fidèles com-pagnons ont commencé à l’abandonner les uns après les autres… A un moment, il eut l’idée de fuir vers la Tunisie. Mais la route était coupée. Ré-signé, il demanda à son père – c’est en tout cas la

version tenue par ses proches sur cet épisode – d’aller aviser l’occu-pant qu’il descendait au camp de Zeribet-el-Oued. En novembre, 1956, c’est-à-dire deux ans après le

déclenchement de la lutte armée, dont il était un pionnier, jour pour jour, Adjel Adjoul décida de déposer les armes et de se rendre à l’armée française. L’annonce de sa reddition par la presse colo-niale retentit dans tout le pays chaoui comme un effroyable af-front, même si tout le monde était conscient que Adjel Adjoul n’avait opté pour cette solution que pour échapper à une mort certaine, et non pas par désir de servir le co-lonialisme contre la Révolution.

Adel Fathi

Adjal Adjoul et Amirouche Mostefa Benboulaid

Moudjahidine du maquis de Kimmel

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Par Adel Fathi

mystère et témoigNages

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dans un rare témoignage, enregistré en septembre 1985, c’est-à-dire quelques années avant sa mort, Adjel Adjoul s’est défendu d’avoir fomenté l’attentat qui a emporté le chef des Aurès, mostefa Benboulaïd en juillet 1955, alors que certains continuaient à le lui imputer, arguant des vieilles rivalités qui opposaient les deux hommes. Ce témoignage se recoupe avec les confessions qu’il avait accordées à mohamed-Larbi madaci dans son ouvrage-référence Les tamiseurs de sable (Anep, 2001). mais Adjoul ne fait aucune révélation sur cet épisode crucial de l’histoire de la révolution dans la Wilaya i. il se contente lui aussi de s’interroger sur les circonstances de cette mort : comment le poste radio est-il parvenu jusqu’à lui ? qui l’a ramené dans la région ? Comment a-t-il été trouvé ? Autant de questions qui demeurent à ce jour sans réponse.

Mohamed Seghir Helaili

Mohamed Seghir Helaili, secré-taire particulier d’Adjel Adjoul, était présent le jour de l’attentat contre ce dernier. Il en témoigne dans ses Mémoires parus en 2012 sous le titre Témoin de la Révolu-tion dans les Aurès. Il écrit que le commandant Amirouche, envoyé par le CCE pour résoudre le conflit dans les Aurès, a tenté d’assassiner Adjel Adjoul, après avoir donné des affectations à ses adjoints, dont Mohamed Bouaaza et Salah Goudjil, et s’être entendu avec lui pour partir à la rencontre d’Abbas Laghrour près de la frontière tuni-sienne. Selon lui, tout a brusque-ment changé alors qu’ils avaient parcouru la moitié du chemin. Amirouche aurait, d’après Helaili, reçu un message de la part des res-

ponsables de Nemamchas lui inter-disant le passage en compagnie d’ Adjel Adjoul. L’auteur parle d’un complot cousu de fil blanc. Autre-ment dit, le chef de la Wilaya III serait de mèche et n’attendait qu’un alibi pour « liquider » l’incoercible Adjoul. Pour lui, le message était tout simplement un faux, pour la simple raison qu’il n’y avait aucune trace des Nemamchas dans la zone indiquée. Mohamed Seghir Helaili raconte qu’après cet incident le colonel Amirouche a tenté d’assas-siner Adjoul par l’intermédiaire de quelques responsables locaux. L’objectif de l’émissaire du CCE, selon le compagnon d’Adjoul, était de « créer le vide dans les Aurès » afin de mettre les Aurès sous la tutelle du chef de la Wilaya III et, dans le même temps, éliminer tous les opposants à Abane dans la ré-gion. Après cette tentative, Adjoul a réussi à s’échapper, mais blessé.

Pourchassé par Amirouche qui, se-lon ce témoigne, l’aurait condamné à mort. « Il ne restait plus à Adjoul, écrit Helaili, aucun espoir pour panser ses blessures que de cher-cher refuge chez son père qui l’ac-cueillit à bras ouverts.» Il confirme que ce dernier n’a pas hésité à indi-quer l’endroit où se trouvait son fils à l’officier du poste de Zeriba El-Oued, à son insu.

Salah Goudjil

A l’opposé de cette thèse, celle du moudjahid Salah Goudjil, un ac-teur de premier plan de cet épisode, donne une autre version des faits. Il estime que ni le colonel Ami-rouche ni aucun autre dirigeant de la région n’ont tenté d’éliminer Adjel Adjoul. Selon Goudjil, ces responsables craignaient qu’Adjoul emboîte le pas à Abbas Laghrour,

L’affaire Adjal Adjoul

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Histoirelequel avait tenté d’éliminer les dirigeants de Nemamchas en Tuni-sie. C’est pourquoi, selon l’ancien ministre du Transport sous Cha-dli, les chefs locaux ont décidé de demander à Adjoul d’aller à la ren-contre des membres du CCE à Al-ger. C’est ainsi qu’un petit groupe, composé d’Ali Ben Mechiche, Mes-saoud Belaagoune, Cheikh Youcef Yaalaoui et de deux hommes du colonel Amirouche, est parti voir Adjoul. Ce groupe sera rejoint par Salah Goudjil, Sadek Boukricha et Ahmed Azeroual. A leur arrivée devant une maison en ruine, où s’étaient réfugiés Adjoul et deux de ses gardes, Adjoul sortit son pisto-let, en voyant Ben Mechiche, pen-sant que celui-ci était chargé par Messaoud Benaïssa pour le tuer. Selon cette version de Salah Gou-djil, le premier groupe a riposté au premier coup de feu d’Adjoul, tuant ses deux gardes et blessant Adjoul au niveau de l’abdomen et à la main. Mais ce dernier a réussi à s’enfuir, alors que des tirs groupés venant de la crête où s’étaient em-busqués ses djounoud ont atteint mortellement Azeroual. A la suite de cet accrochage, Amirouche instruisit Ahmed El-Ouahrani de prendre une vingtaine de djounoud pour aller à la poursuite d’Adjoul, en vain. Quelques jours plus tard, Adjoul décide de se rendre à l’en-nemi, et ses hommes sont venus demander la réintégration dans le « nidham ».

Tahar ZbiriPour sa part, le colonel Tahar

Z’biri, dernier chef de la Wilaya I et témoin-clé de ces événements, estime qu’ Adjel Adjoul n’a pas nui à la révolution, bien qu’il ait été for-cé d’indiquer à l’armée coloniale les endroits où pouvaient se trouver les moudjahidine.

Dans ses Mémoires, Z’biri affirme avoir tenté, avec Mohamd-Salah Ya-hiaoui notamment, de convaincre Adjoul, après sa reddition, de reve-nir dans les rangs de l’ALN, en vain. Une fois, Yahiaoui a égaré, lors d’une embuscade avec l’ennemi, une lettre qui était destinée à Adjoul. Elle a été retrouvée par l’ennemi.

Z’biri témoigne également qu’Ad-jel Adjoul continuait à plaider son in-nocence dans l’exécution de Bachir Chihani et de Mostefa Benboulaïd. Même s’il reconnaît que Adjoul n’a jamais apprécié le retour de Benbou-laïd au commandement de l’ALN dans les Aurès, après son évasion, arguant que des rumeurs circulaient disant que tous les évadés de prisons étaient «travaillés» par l’ennemi pour noyauter les rangs de la Révolution.

A l’indépendance, Adjel Adjoul a été arrêté pour collaboration avec l’ennemi et même pour complicité dans l’assassinat de Benboulaïd. En 1963, Tahar Z’biri usera de sa qua-lité de chef des forces terrestres pour demander sa libération, au motif qu’il fallait diligenter une enquête pour élucider les circonstances de la mort de Benboulaïd et que sa reddi-tion n’était pas motivée par le désir de «nuire» à la Révolution.

Hocine Benmaâlam

Ancien secrétaire d’Amirouche et témoin des événements, le général Hocine Benmaalam s’est longue-ment attelé, lui aussi, à éclaircir cette mystérieuse affaire qui a changé toute la donne dans les Aurès. Dans ses Mémoires, Benmaalam affirme que la dissidence d’Adjel Adjoul est apparue lorsque Omar Benbou-laïd a voulu succéder à son frère. Il considère que les chefs locaux n’ont affiché aucune hostilité vis-à-vis du commandant Amirouche. « Tous étaient persuadés de sa loyauté et de son dévouement pour la Révolution », écrit-il.

Prenant partie pour son chef, qu’il a accompagné dans son pé-riple auressien, Benmaalam ne s’empêche pas, d’emblée, d’enfon-cer Adjoul. «Pour connaître la situa-tion, raconte-t-il, Amirouche tenait à rencontrer tous les responsables, y compris Adjoul. La rencontre avec ce dernier a été cordiale, il s’est montré coopératif lorsque Ami-rouche lui a demandé de céder le commandement de sa région pour l’accompagner dans les Nemem-chas et même jusqu’en Tunisie. Il faut souligner qu’Adjoul était un moudjahid de la première heure. Il était l’un des adjoints de Mostefa Benboulaïd ; il était lui aussi can-didat à la succession de ce dernier. La plupart des responsables ren-contrés dans les Aurès l’accusaient d’avoir exécuté Bachir Chihani et d’être aussi à l’origine de l’envoi du poste radio piégé dont l’explosion a provoqué la mort de Mostefa Ben-boulaïd.» Or, aucune enquête n’a

L’affaire Adjal Adjoul

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été menée sur cette affaire. «Malgré cela, enchaîne-t-il, Amirouche l’a ménagé et quand les responsables de la région de Ali Nas l’ont refoulé et lui ont interdit de continuer le chemin avec Amirouche, ce der-nier, pour le protéger, lui a donné la possibilité de se rendre auprès du CCE. Il lui remit un ordre de mission. Il accepta la proposition et nous nous séparâmes. Quelques jours après, nous le retrouvâmes à Kimel. Il avait complètement chan-gé d’avis et il exigeait de reprendre le commandement de sa région. Amirouche l’invita à une grande réunion qui devait avoir lieu à Sidi Ali, le lendemain. Adjoul arriva, mais on constata qu’il était sur ses gardes. Intrigués par cette attitude suspecte, Amirouche et les autres responsables ont pensé qu’Adjoul allait assassiner tous les respon-sables présents pendant la nuit. Donc, ils ont décidé, à titre pré-ventif, de l’arrêter et de l’envoyer au CCE pour statuer sur son cas. Il n’a jamais été question de l’abattre. Mais, comme il était en état d’ex-trême vigilance, il riposta, ainsi que ses gardes du corps quand on a voulu l’arrêter. Une fusillade éclata, trois morts étaient à déplorer, lui-même avait été blessé. Il s’est rendu le lendemain à l’armée française.»

djoudi Attoumi

Cette version du général Benmaa-lam sur la mission d’Amirouche dans les Aurès a inspiré de nom-breux chercheurs, dont Djoudi At-

toumi, ancien officier de la Wilaya III et auteur d’une biographie en deux tomes du colonel Amirouche. Dans Le colonel Amirouche, entre légende et histoire (2004), Attoumi soutient qu’Amirouche a voulu arrêter Adjoul, qu’il consi-dérait comme « la tête pensante » du conflit dans cette région, avant de le muter en Tunisie. «Mais, écrit l’auteur, il était plus malin et il s’était préparé à cette éventua-lité. Bénéficiant de complicité dans le refuge, il réussit à s’échapper et, chose paradoxale, il se rallia à l’ennemi.» Attoumi apporte ici un détail, affirmant : «Aussitôt sa voix avait résonné avec, plus tard, celle d’Ali Hambli, pendant plusieurs jours sur les ondes de « la Voix du Bled», pour demander à leurs com-pagnons de rejoindre les rangs de l’armée française. » L’auteur parle de « ralliement» et non de simple reddition. Il reconnaît néanmoins que ce retournement d’Adjel Ad-joul, le 29 octobre 1956, et celui d’Ali Hambli, en avril 1958, « ont porté un sacré coup à la Wilaya I (…) Même l’activité militaire se trouvait réduite dans la région, malgré sa proximité avec la Tuni-sie et la disponibilité des armes de guerre et des munitions ».

Saïd Sadi

On découvre une synthèse parfaite de ces deux versions du général Benmaalam et de Djoudi Attoumi, dans le livre polémique

de Saïd Sadi : Amirouche : une vie, deux morts, un testament (2010), dans lequel il évoque cet épisode lié au parcours singu-lier d’Adjoul dans les Aurès. Sadi s’est néanmoins référé à d’autres témoins comme Salah Goudjil, Abdelhamid Djouadi, Mohamed-Tahar Bouzghoub pour tenter de percer ce mystère que constituait cette lutte fratricide qui emporta les meilleurs combattants de la région des Aurès-Nemamchas, et arriver à déceler cette propen-sion à la dissidence, dont Adjel Adjoul représentait le symbole le plus retentissant. Se référent à un témoignage de Bouzghoub, qui fut secrétaire d’Adjoul, Saïd Sadi rapporte que le commandant Amirouche n’a pas voulu céder aux pressions qui étaient exercées sur lui par certains dirigeants locaux pour l’amener à élimi-ner Adjoul. Il a préféré patienter pour avancer dans ses investiga-tions. Selon l’auteur, Amirouche était loin d’avoir provoqué la dissidence d’Adjoul. Il aurait, au contraire, géré plusieurs cas de dissidence, à l’image de Messaoud Benaïssa. Amirouche n’a fait, selon cette version, que se sou-mettre à la volonté de l’ensemble des moudjahidine des Aurès de « neutraliser» Adjoul, après toutes les tentatives de le raisonner et de l’amener à accepter les décisions du CCE à son sujet. Mais, il a pré-féré l’arrêter. Chose qu’il n’a pu jamais faite.

Adel Fathi

L’affaire Adjal Adjoul

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Par Hassina Amrouni

Portrait

AdjAl Adjoul

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Portrait

Adjel Adjoul ou Adjoul-Adjoul Ben Abdelhafid, est natif des Au-rès. Il a vu le jour

plus précisément au douar Kim-mel près d’Arris en 1922, au sein d’une famille aisée de la région. Son père était, en effet, proprié-taire de terres cultivables et de forêts. Contrairement aux autres hommes de la famille, Adjel Ad-joul est le seul à avoir accompli en 1943 son service militaire. Au début des années 1950, il rejoint le Parti du peuple algérien puis le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques. A son engagement politique, il parvient à faire prendre conscience à ses concitoyens, notamment les habi-tants de Kimmel, de la nécessité d’adhérer aux idées nationalistes. Quelques mois plus tard, plus pré-cisément en août 1951, il prend la fuite vers Constantine, car il fait l’objet d’intenses recherches à la suite de la découverte de l’OS. Dans la ville du Rhumel, il renoue dès 1953 avec ses activités poli-

tiques, sous la direction de Bachir Chihani, responsable régional. Le 30 avril 1954, il assiste à une réunion convoquée par Mustapha Benboulaïd dans sa ferme, sise à Lambèse, en présence d’autres militants, en l’occurrence Tahar Nouichi, Messaoud Bellaggoune et Abbas Laghrour. Au cours de cette rencontre, ces derniers as-surent de leur engagement entier dans la lutte de libération natio-nale. Puis, le 15 août 1954, il prend part au congrès des centralistes, qui a lieu dans la capitale. Au cours de cette rencontre, il n’hé-site pas à lancer un appel à la lutte armée. Rejoignant le « groupe des 22 », il participe le 20 octobre 1954, à une nouvelle rencontre or-ganisée au domicile de Abdallah Oumeziti à Lokrine (Chemora), à une trentaine de kilomètres de Batna et à laquelle prennent part notamment, Chihani, Laghrour, Nouichi, Hadji et Khantra. C’est là que la date du 1er novembre 1954 est enfin annoncée. Membre incontournable de l’Idara, il sera désigné adjoint de Mustapha Ben-

boulaïd (zone 1 de l’ALN, région Aurès-Sud) aux côtés de Bachir Chihani et Abbès Laghrour.

Lorsque Benboulaïd est arrêté le 11 janvier 1955 à Gabès puis condamné à mort par le tribu-nal de Constantine, Adjel Adjoul sera installé au poste d’adjoint de Bachir Chihani et superviseur général de la région Est des Au-rès. Il prendra part à de rudes et sanglantes batailles dont celle de «Okbet Taâichet». Il sera derrière la prise de décisions importantes, comme la création du journal de propagande (Algérie Libre) mais aussi l’annexion des Nemenchas et l’incitation du Nord Constan-tinois à prendre le chemin de la lutte. Il prendra ensuite part à la bataille d’El Djorf, en septembre 1955. Alors que de nombreux moudjahidine trouvent la mort lors de cette bataille, on reproche à Chihani cette grosse erreur tac-tique qu’on est loin de lui par-donner. Bien qu’ils continuent à exécuter ses ordres et à suivre ses directives, le courant ne passe plus très bien entre Abbas, Adjoul

jouant les premiers rôles au déclenchement de la guerre de libération nationale, dans la Wilaya I, aux côtés de Mustapha Benboulaïd, Tahar Nouichi ou Abbes laghrour, pour ne citer que ces noms, Adjel Adjel sera au centre des décisions jusqu’à sa reddi-tion aux forces coloniales en 1956.

L’affaire Adjal Adjoul

Supplément N° 32- Février 2015.

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www.memoria.dzLA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 31 )

Portrait

L’affaire Adjal Adjoul

et Chihani. Ce dernier meurt le 22 octobre 1955, laissant le champ libre à toutes les courses au pou-voir. C’est, en définitive, Adjel Adjoul et Abbas Laghrour qui as-surent la relève, coordonnant les activités militaires des six zones des Aurès et ce, jusqu’à l’évasion de prison de Mostefa Benboulaïd le 13 novembre 1955 et son retour au maquis parmi ses troupes. Quittant la zone de Kimmel en janvier 1956, Benboulaïd et ses hommes sont repérés par l’armée française à Ifri, ils sont alors bom-bardés par hélicoptère mais mal-gré leur riposte courageuse, une douzaine de combattants périront cette nuit.

Mort de Ben Boulaïd

Le 21 mars 1956, Ben Boulaïd tient une réunion à Nara, dans la région de Menaa. Alors qu’il est dans son refuge en compagnie d’une douzaine de responsables dont Ali Baazi, Abdelhamid Lamrani, Messaoud Benakcha, Mostefa Boucetta et Ali Ben-chaïba, l’explosion d’un poste ra-dio piégé tue Benboulaïd et ses hommes, à l’exception de Mostefa Boucetta et Ali Benchaïba qui se-ront gravement atteints. C’est lors d’une réunion tenue le 15 avril 1956 à Taghedda que sera discu-tée la question de la succession à la tête de l’Idara. A ce moment, Hadj Lakhdar propose le nom de Adjel Adjoul, mais ce dernier ne fera pas l’unanimité, c’est fina-lement Omar Benboulaïd qui

prend la place de son frère, lui aussi sans l’approbation générale. D’ailleurs, lorsqu’ils reçoivent les convocations pour assister au Congrès de la Soummam le 20 août 1956, Adjoul et Abbas re-fusent de s’y rendre. Aussi, Ami-rouche, en tant que délégué du

CCE, se déplace dans les Aurès pour demander des explications à Adjoul. Au terme d’un interro-gatoire, il demande à voir Abbas pour connaître sa version mais ce dernier est introuvable. C’est Adjoul seul, qui devra donner les explications sur la mort de Ben-

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Portrait

boulaïd et expliquer d’autres points liés à sa gestion de la région. Quelques mois plus tard, plus précisément la nuit du 30 octobre 1956, un cer-tain Ahmed Azeroual, armé d’un Garand tente d’assas-siner Adjoul. Ce dernier fait le mort afin de pouvoir s’échapper et rejoindre son groupe stationné à Djeniène vers le sud-ouest mais il fi-nit par se rendre aux forces coloniales. Cet acte de reddi-

tion sera loin de marquer sa rupture avec l’ALN puisqu’il fera parvenir une grande somme d’argent au maquis, alors sous le commande-ment de Hadj Lakhdar. A l’indépendance, il repart vivre dans son village natal jusqu’à son décès en 1992.

Hassina Amrouni

Moudjahidine au maquis aurèsien

Hadj Lakhdar

L’affaire Adjal Adjoul

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les wilayas de l’intérieur face à l’offensive de l’armée des frOntières

la guerre des wilayas Par Mourad Djilali

a-t-elle eu lieu ?

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Supplément N° 32- Février 2015.

Le 11 juillet, eut alors lieu la première sortie du groupe dit de Tlemcen qui a pu rallier un cer-tain nombre de cadres

et hauts dirigeants politiques, au début assez dubitatifs, à l’image de Moha-med Khider et de l’ancien président du GPRA, Ferhat Abbas. Ce premier «bureau politique» mis sur pied pour parer à l’urgence, a même réussi le pari de créer une percée au sein même des états-majors de certaines wilayas de l’intérieur, dont une partie était restée loyale au GPRA, du moins aux chefs historiques de l’ALN qui y étaient représentés. C’était une exigence des dirigeants de l’EMG qui, tout naturel-lement, voulaient s’épargner des résis-tances qui, a priori, risquaient de fragi-liser et de décrédibiliser politiquement

Forte de quelque 36 000 hommes bien équipés et bien prépa-rés, l’armée dite des frontières (ou l’AlN nouvelle organisation) était prête à rentrer en Algérie dès les premières semaines de la proclamation du cessez-le-feu, signé le 19 mars 1962. les chefs de l’Etat-major général (EMG), le colonel Boumediene et ses adjoints, attendaient le moment propice pour donner le signal aux troupes stationnées près des frontières tunisiennes et maro-caines. Tout devait être bien étudié et bien calculé, à tous points de vue, pour ne pas rater l’événement. Il fallait d’abord s’assurer de la stabilité politique dans le pays et surtout de la cohésion du groupe qui, autour d’Ahmed Ben Bella, devait se charger de diri-ger la transition, et pour cela, était appelé à accélérer la mise en place d’une instance politique qui jouisse d’un minimum de consensus entre les différents clans et régions.

Unité d’artillerie de l’Armée algérienne des frontières - Tunisie 1959

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son action. Il est vrai, aussi, que l’échec du conclave convoqué par les chefs des principales wilayas de l’in-térieur, les 24 et 25 juin de la même année, à Zemmoura, pour prendre une décision et tenter de s’opposer collectivement à ce qui leur parais-sait comme étant un «coup d’Etat en marche», avait décidé les chefs de l’armée des frontières et leurs «alliés politiques» à passer à l’action.

Pour les unités de cette armée des frontières, tout devait entrer dans l’ordre, puisque les états-majors de wilayas limitrophes (les Aurès, le Nord-Constantinois et l’Oranie notamment) étaient théoriquement acquis. C’était d’ailleurs leur atout majeur. D’abord, parce que les prin-cipaux dirigeants des dites wilayas avaient rejoint les instances de di-rection en Tunisie, et tous les élé-

ments «récalcitrants», à l’image du colonel Mohamed Lamouri et de on groupe de la Base de l’Est, étaient déjà majoritairement neutralisés. Il y a eu certes quelques tentatives d’opposition à Souk-Ahras et dans le Nord-Constantinois, au temps du colonel Salah Boubnider, où des accrochages ont fait plusieurs vic-times, mais les bataillons blindés de l’armée des frontières n’ont eu aucune difficulté majeure pour ré-duire les résistants et obtenir aussi-tôt le ralliement de ces deux wilayas importantes. Ainsi, dès le 25 juillet, l’armée des frontières s’est empa-rées des principales villes de l’Est (Constantine, Annaba, Skikda..).

Cette résistance a néanmoins ra-lenti l’avancée des bataillons de l’ar-mée des frontières qui n’a pu gagner la capitale que plus d’un mois plus tard, c’est-à-dire le 9 septembre.

Cette armée va rencontrer la résistance la plus farouche sur le territoire de la Wilaya IV (Algé-rois et Ouarsenis), appuyée par les moudjahidine de la Wilaya III (Kabylie), même si les régions de Kabylie avaient été, pour des rai-sons d’éloignement géographique, en grande partie épargnées par les affrontements. Mais les dissensions successives à l’intérieur de la Wilaya IV, le ralliement d’anciens cadres dirigeants de cette wilaya, à l’image du commandant Azeddine, et de la Zone autonome d’Alger, menés par Yacef Saadi, et le relâchement des officiers de la Wilaya III, ont grandement facilité la tâche aux unités combattantes de l’armée des frontières pour écraser les ultimes poches de résistance et conquérir

Alger en un temps record, sans trop de grabuge, si l’on exceptait l’impro-bable tentative de rébellion signalée à la Casbah et vite contenue par les hommes de Yacef Saadi, ancien maître des lieux et dont le rôle a été capital.

En résumé, si la confrontation entre les wilayas de l’intérieur et l’armée des frontières était fatale et somme toute prévisible, la guerre fratricide aurait incontestablement

Mohamed Khider

Ferhat Abbas

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pu prendre une tournure structu-rellement plus dangereuse et occa-sionner beaucoup plus de dégâts et de victimes, si les combattants de l’intérieur n’avaient pas, par sa-gesse ou par lassitude, préféré se retirer et laisser faire l’armée des frontières. Alors que ces affronte-ments avaient déjà fait, en réalité, plusieurs centaines de morts, voire quelques milliers, selon d’autres estimations. Car, beaucoup leur reprochent aujourd’hui cette atti-tude et d’avoir, ainsi, contribué à l’instauration d’une «dictature mili-taire», dès les premiers jours de la reconquête de l’Indépendance. Or, cela aurait pu conduire le pays vers une guerre civile dévastatrice, esti-ment aujourd’hui la plupart de ces acteurs qui ne regrettent pas pour autant d’avoir obéi d’abord à leur conscience et agi par devoir patrio-tique. C’est peut-être la raison pour laquelle nombre d’entre eux re-chignent à trop polémiquer sur cet épisode douloureux de l’histoire de la Révolution

Mourad Djilali

De dr. à g. : Abdelaziz Bouteflika, Rabah Zerrari et Ali Mendjeli

Un document de Hadj Lakhdar, Wilaya I, datant de 1958

Yacef Saâdi

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le ralliement programmé des wilayas i, V et Vi

Par Mourad Djilali

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Face à l’avancée massive des unités de l’Etat-major général de l’AlN, en ce début de juillet 1962, les premières wilayas à s’être opposées à toute forme de résistance, politique, populaire ou militaire, furent bien les Aurès-Nemamchas et l’Oranie, les deux wilayas limitrophes avec la Tunisie et le Maroc, où l’EMG avait ses bases. Cette première «allégeance» a été rendue possible grâce, d’abord, à l’influence qu’exerçaient les officiers de ces wilayas installés en Tunisie, au Maroc ou dans les différentes représentations de la Révolution sur leurs états-majors respectifs dans les maquis de l’intérieur. Il se trouve que la plupart de ces officiers étaient soit membres de l’EMG, soit proches des chefs historiques de l’AlN.

Pour ce qui est de la Wilaya I, la «neutra-lisation» préméditée de la plupart des of-ficiers jugés comme

récalcitrants, à l’image des colo-nels Lamouri et Nouaoura, chefs successifs de la Wilaya I, exécutés le 16 mars 1959, avec le colonel Mohamed Aouachria chef de la Base de l’Est et du commandant Mustapha Lakehal, figure emblé-matique du commando Ali-Kho-dja, aura grandement facilité la tâche aux dirigeants de l’armée des frontières. C’est d’ailleurs à se de-mander, si ce fameux procès, celui des colonels, organisé en terre tunisienne, n’était pas programmé justement pour casser a priori tous les ressorts de la Wilaya I, réputée depuis des lustres pour son esprit de rébellion et d’insoumission. Car, condamnés pour «complot

contre le GPRA», à une époque où les responsables du gouverne-ment provisoire avaient leur as-cendant sur l’état-major de l’ALN, ces officiers auraient certainement constitué un obstacle sérieux à toute tentative d’OPA sur la révo-lution et auraient pu organiser une véritable résistance dans leur fief.

Aussi, les conditions dans les-quelles a été organisée la transi-tion au niveau du commandement de cette wilaya ont plongé toute la région dans une désorganisation totale. Ainsi, ce commandement sera fragilisé successivement par le rappel précipité du colonel Si Lakhdar (de son vrai nom Hadj

De dr. à g. : Chadli Bendjedid, Mohamed Aouachria, Amara Laskri (Bouglez) et Yazid Noubli

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Md Tahar Labidi), successeur du colonel Ahlmed Nouaoura, en 1959, après seulement six mois à la tête de la Wilaya I, puis la mort de son successeur, le commandant Ali Souaï en novembre 1961. La désignation, au pied levé, du colo-nel Tahar Z’biri, alors installé en Tunisie, à la tête de cette wilaya a pu remettre un peu d’ordre dans cette vaste wilaya, mais était loin de pouvoir rétablir son aura d’an-tan.

A l’arrivée donc des bataillons de l’armée des frontières, les hommes de la Wilaya I étaient les premiers à y adhérer. Ils les ont ainsi aidés à « conquérir », presque sans défense, les principales villes du l’Est et du Nord-Constanti-nois, (Constantine, Annaba et Skikda) où les affrontements avec les moudjahidine de la Wilaya II ont fait une cinquantaine de morts et des dizaines de blessés, sans

compter les dizaines d’arrestation. C’est lors de ces affrontements que Mohamed Boudiaf, opposé au groupe de Tlemcen, a été arrê-té dans sa ville natale, Msila. L’ap-port des maquisards de la Wilaya I aura donc été décisif dans cette phase cruciale pour l’état-major général de l’ALN qui redoutait particulièrement la riposte de la Wilaya II, alors commandée par le colonel Salah Boubnider («Sawt Al-Arab»), un adversaire irréduc-tible de Boumediene et de l’EMG.

S’agissant de la Wilaya V (l’Oranie), la plus vaste en super-ficie, l’adhésion de ses dirigeants à la cause de l’EMG ne posait aucun problème majeur, dès lors que son PC, à cette époque, était installé sur le territoire marocain. Même si, à vrai dire, tout le Maroc orien-tal (d’Oujda à Nador) a toujours été considéré comme le prolonge-ment naturel de la Wilaya V. Le

chef de cette wilaya, le colonel Si Othmane (de son vrai nom Ben-haddou Bouhadjar), successeur du colonel Lotfi, mort au combat le 27 mars 1960, était plutôt acquis à la cause, contrairement au colo-nel Lotfi qui avait maintes fois affiché, à Tunis même, sa position hostile à toute velléité d’autorita-risme militaire ou autre. L’Oranie a non seulement servi de base de lancement naturel de cette offen-sive de l’armée des frontières, mais elle a été également le terrain de prédilection pour le «bureau politique» constitué par Ben Bella et ses partisans qui ont choisi de s’installer au début à Tlemcen. Ensuite, c’est tout naturellement qu’une bonne partie des jeunes cadres issus de l’état-major de la Wilaya V et des différents ser-vices de l’ALN basés au Maroc, se retrouve aux côtés de l’EMG. Même si certains membres du

Mohamed Lamouri Ahmed Nouaoura Mustapha Lakehal

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MALG notamment hésitaient à trancher, à cette époque-là, entre l’attachement à leur ministre, le créateur des transmissions de l’ALN, Abdelhafid Boussouf, et leur allégeance à son ex-adjoint en Wilaya V, le colonel Boume-diene. Certains écrits d’anciens «Malgaches» témoignent, en ef-fet, d’un moment de flottement et d’incertitude chez tous ceux qui ne comprenaient pas cette «fitna» qui menaçait de remettre en cause tous les principes fon-dateurs de la révolution, à savoir notamment l’unité et la fraternité. Ils se souviennent des «descentes» effectuées par les hommes de l’EMG dans les différents centres et services de documentation, à Oujda et à Tripoli notamment, pour récupérer de force toutes les archives relatives à la Révolution. Beaucoup d’entre eux ont préféré, à l’Indépendance, demander leur démobilisation.

De l’avis de beaucoup d’an-ciens cadres de la Wilaya V, le départ en Tunisie d’Abdelhafid Boussouf dit Si Mabouk, pour faire partie du premier puis du second GPRA, aura laissé comme un vide politique au niveau de cette wilaya.

Cela dit, tout ne s’est pas passé comme prévu ou souhaité à Oran notamment, où plusieurs Européens ont été tués lors des manifestations célébrant la pro-clamation de l’indépendance, le 5 juillet 1962. Une fusillade attri-buée aux résidus de l’OAS, mais

certains historiens n’ont pas exclu l’implication, directe ou indirecte, de ceux qu’on appelait alors «les anti-benbellistes», autrement dit les pro-GPRA. Alors que cette région de l’Oranie était suppo-sée totalement acquise au tandem

Ben Bella-Boumediene. C’est dire que cet épisode crucial de la lutte pour le recouvrement de la souve-raineté nationale renferme encore de zones d’ombre qui méritent d’être éclairés.

Mourad Djilali

Mohamed-Tahar Labidi, dit Hadj Lakhdar

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la wilaya iieNtre résistaNce

et désillusioN

Par Mourad Djilali

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dans son avancée vers Alger, décidée sitôt le cessez-le-feu proclamé, l’armée des frontières s’attendait à une résistance farouche dans les Wilayas potentiellement hostiles, notamment les Wilayas II, III et IV, dont les chefs s’étaient réunis les 24 et 25 juin à Zemmoura en Wilaya III, pour rechercher une riposte à ce «coup de force annoncé» de l’Etat-major général de l’AlN qu’ils accusaient, dans leur P.-V. de réunion, d’«insoumission». Ces derniers sous-estimaient en fait les capacités de cette ar-mée, bien qu’ils n’aient pas tout à fait confiance dans un GPRA parti en lambeaux.

Le premier grand obs-tacle redouté par les bataillons conduits par Boumediene était le Constantinois, ter-

ritoire de la Wilaya II historique, dont les moudjahidine s’étaient préparés à une confrontation déci-sive. Mais le ralliement de la Wi-laya I (les Aurès) avec l’Etat-major général, a faussé tous les calculs des « résistants ». L’allégeance as-sumée par les dirigeants de cette wilaya pionnière de la Révolution va faciliter la tâche à l’EMG pour s’emparer, dès le 25 juillet 1962, des principales villes de l’Est, An-naba, Skikda, puis Constantine, grâce au ralliement du comman-dant Larbi Berredjem notamment. Celui-ci, en violation des accords passés entre le commandement de son état-major et les représentants de l’armée des frontières, procède à l’arrestation de dizaines de mili-tants et de cadres, dont le ministre Lakhdar Bentobal. Les deux par-

ties s’étaient entendues, dans une première étape, sur la levée de l’état d’urgence décrété dans le Nord-Constantinois, depuis le 24 juin. Or, sur le terrain, chacune des deux parties tentait de gagner du temps et de défendre ses positions, mal-gré un rapport des forces inégal.

Cet épisode, la prise de Constantine, fut décisive pour la suite des événements, et le rôle joué notamment par le comman-dant Berredjem reste à ce jour controversé. Voici ce qu’écrit Mo-hammed Harbi sur cette affaire : « Selon Bentobbal, le commandant Larbi Berredjem a agi sur ordre de Ben Bella et de l’état-major. C’est ce qu’il aurait affirmé lui-même à Bitat. Cette version des événe-ments est mise en cause par le ca-pitaine Abdelhamid Brahimi, qui dépendait de l’état-major : «J’étais au PC d’Ain M’lila avec Si Larbi et Abderrahmane Bendjaber. J’ai eu avec eux un différend au sujet de la prise de Constantine. Je me suis

prononcé contre le projet parce que j’estimais que le renversement de tendance n’était pas à exclure. Il était clair que Si Larbi voulait avoir son domaine. Et il l’a eu. » Ces deux thèses ne sont pas nécessairement contradictoires. Il est possible que Ben Bella et l’état-major aient dé-cidé de conquérir le Constantinois par les armes, dans l’hypothèse où il n’y aurait pas d’issue pacifique. Mais il semble acquis que la viola-tion de l’accord avec Salah Boub-nider n’est pas imputable à Ben Bella qui n’a même pas les moyens de prendre des sanctions contre le commandant Berredjem et avouera lui-même son impuissance à l’an-cien chef de la Wilaya II. »

Dans la Wilaya II, les affronte-ments entre les troupes de «l’armée des frontières» et les combattants fidèles au GPRA, font, selon des statistiques non officielles, 25 morts et 30 blessés. Les combats les plus meurtriers ont eu lieu dans la région de Béni Salah près

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de Guelma, ancien bastion de la Base de l’Est. Toutes les négocia-tions menées, du côté de l’EMG, par les trois émissaires de Boume-diene (Chadli Bendjedidi, Hachemi Hadjeres et Kaïd Ahmed), avec les dirigeants de la Wilaya II dans les monts de Teksana, près de Jijel, n’ont fait qu’exacerber la tension entre les deux camps.

Certaines sources témoignent que Salah Boubnider a tout de suite décidé d’arrêter les trois émissaires et de les ligoter avec des fils bar-

belés durant des semaines. Ce qui dénote le degré de méfiance chez les dirigeants de la Wilaya II envers l’Etat-major général de l’ALN et ses représentants. Il faut rappeler, ici, que Salah Boubnider s’était déjà violemment accroché avec les alliés politiques de Boumediene, lors du congrès de Tripoli, le 7 juin 1962, en prenant vaillamment la défense du président du GPRA, Benyoucef Benkhedda, vertement pris à partie par Ahmed Ben Bella au cours de la même réunion.

Prise en 1957 en wilaya II. Debout de dr. à g. : Ali Kafi, Krim Belkacem, Lakhdar Bentobal, Benyoucef Benkhedda, Hocine Rouibah et d’autres maquisards.

Houari Boumediene

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Au cours de ces combats, le colonel de l’état-major de cette wilaya, Salah Boubnider, dit Sawt El-Arab, sera arrêté, et ses troupes réduites. Ce qui permit aux forces commandées par Boumediene d’avancer plus rapidement après avoir obtenu le ralliement des prin-cipaux officiers de la Wilaya II.

Au plan politique, la Wilaya II perdait toute influence après l’ar-restation, le même jour à Constan-tine, de l’ancien chef de la Wilaya II et ministre de l’Intérieur Lakhdar Bentobal, solidaire de son gou-vernement dans son conflit avec l’Etat-major de l’armée. Sa neutra-lisation politique se traduira vite

par un ralliement en demi-teinte qui renseignait sur le degré de dé-composition du GPRA qui préten-dait faire face au « coup de force » de l’EMG et de ses alliés.

Libéré deux jours plus tard, Bentobal s’empresse de déclarer son allégeance au Bureau poli-tique créé par Ben Bella et ses al-liés, et tente d’apporter la caution indirecte de ses collègues. Dans une déclaration faite à Alger, il donne un signal clair à Ben Bella. Il a déclaré en effet : «Le GPRA avait donné son accord sur la composition du bureau politique et Mohammedi Saïd était parti à Tlemcen en émissaire... Un bureau

politique, c’est mieux que le vide politique. »

Les événements vont alors s’accélérer. Le 27 août, alors que les unités combattantes de l’ar-mée des frontières poursuivaient inexorablement leur avancée vers la capitale, avant de se heurter aux irréductibles de la Wilaya IV, les états-majors des Wilayas I, II, V et VI ainsi que l’EMG annoncent of-ficiellement leur soutien au Bureau politique présidé par Ben Bella. L’annonce a été faite en présence de tous les commandants de ces quatre wilayas à Sétif, capitale des Hauts-Plateaux et fief politique de la Wilaya II.

Mourad Djilali

De dr.à g.: Abdelkader Boucherit, Hachemi Hadjeres, Mohamed Toumi, Hocine Rouibeh, Salah Boubnider dit Saout El Arab.

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la wilaya iii sur tous les FroNts

Par Mourad Djilali

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la Wilaya III a été l’une des premières à s’opposer à l’armée des frontières, et à prendre des initiatives pour réunir les autres wilayas, ou du moins celles qui n’adhéraient pas à la démarche de l’Etat-major général de l’armée (EMG). Car, à vrai dire, seules les Wilayas II (Nord-Constantinois), III (Kabylie) et IV (Algérois) ont affiché une position hostile.

C’est ainsi que la Wi-laya III a pris l’ini-tiative d’organiser la première réunion des chefs de wilaya pour

discuter des possibilités de riposte à l’offensive de l’armée des frontières qui s’annonçait, et que les chefs de ces wilayas qualifiaient déjà de «coup de force». La réunion a eu lieu le 25 juin à Zemmoura, près de Boumerdès, relevant territoria-lement de la Wilaya III. A l’issue de cette rencontre, une délégation du comité interwilayas se rend à Tunis où elle a été reçue par quatre ministres du GPRA. La délégation regroupait les représentants des Wi-layas II, III et IV.

Forts de leur légitimité révolu-tionnaire et de la caution de trois Wilayas importantes, les délégués exigent crânement, outre la disso-lution de l’état-major de l’armée, l’arrestation de ses dirigeants. Cette caution des maquis de l’intérieur – ou du moins d’une partie – dé-cida le GPRA à déclarer la guerre à l’EMG et à dégrader aussitôt le colonel Boumediene ainsi que ses principaux adjoints : les comman-dants Mendjeli et Slimane (Kaïd

Maquis de la Wilaya III. 1- Mouloud Awaqour. 2- Mohand Oulhadj. 3- Aïssa Blindé

Wilaya III. 1- Benakila Belkacem. 2- Commandant Feddal Ahmed. 3- Djennad Amer

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Ahmed). Et c’est à partir de là que Boumediene va quitter son fief, à Ghardimaou, pour se rendre en Wi-laya I commandée alors par Tahar Z’biri, pour chercher le soutien des autres wilayas.

La Wilaya III restera à la pointe de la riposte organisée contre l’of-fensive de l’EMG, et son implica-tion s’illustra néanmoins plutôt au plan politique que militaire. La Ka-bylie étant épargnée par les affron-tements, du fait que le territoire de cette wilaya était géographiquement éloigné des principaux axes emprun-tés par les unités de l’armée des fron-tières à leur retour au pays.

L’autre raison est que ses diri-geants étaient restés très fidèles à leurs anciens responsables installés en Tunisie, et notamment à Krim Belkacem qui était l’une des princi-pales cibles de l’EMG. Sur le terrain, la Wilaya III a pesé de tout son poids pour soutenir la résistance montée par les combattants de la Wilaya IV (l’Algérois-l’Ouarsenis), qui était considérée comme le prolongement naturel de la Kabylie, contre la pro-gression de l’armée des frontières venant du Maroc et qui devait fata-lement affronter les combattants de cette wilaya.

Cela dit, le chef de la Wilaya III, le colonel Mohand-Oulhadj, sera de toutes les initiatives politiques menées tous azimuts pour éviter l’affrontement, et ce dès la procla-mation de l’indépendance. Ainsi, dès le 9 juillet, le comité interwilayas lance un appel à l’apaisement, et propose la mise sur pied d’une nou-velle direction politique, à la place des instances légales (un GPRA en pleine décomposition) ou le pou-voir de facto que voulaient imposer

Wilaya III. Commandant Feddal Ahmed dit Si H’mimi

Au millieu : Krim Belkacem au maquis de la W.III

De g. à dr. : Kaci Hamaï, Krim Belkacem et Mohand Oulhadj

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Supplément N° 32- Février 2015.

Ahmed Ben Bella et ses alliés du Bureau politique. C’est ainsi que Mohand Oulhadj et le colonel Has-san (Youssef Khatib) de la Wilaya IV se joignent à Rabah Bitat et M’hammed Yazid, qui avaient été dépêchés à Rabat pour y rencontrer Ahmed Ben Bella. Mais celui-ci ne pouvait accepter un compromis qui ne lui garantirait pas une issue favo-rable à ses alliances qui ne cessaient de s’élargir à mesure que l’EMG se mobilisait sur les frontières pour le jour « J ».

Mohand Oulhadj prendra éga-lement part à une réunion ayant regroupé toutes les wilayas, qui s’est étalée du 17 au 22 juillet à El Asnam (actuellement Chlef). Mais aucun accord de sortie de crise n’a été dégagé, alors que les bataillons de l’armée des frontières étaient aux portes de Constantine, et né-gociaient le ralliement de la Wilaya II qui s’y était, un moment, oppo-sée par les armes. Durant la même semaine, Krim Belkacem et Bou-diaf tentent de créer un front à Tizi

Ouzou qui s’appelait «Comité de liaison et de défense de la Révolu-tion», en s’appuyant sur les moudja-hidine de la Wilaya III et IV. Mais l’initiative a fait long feu. Boudiaf sera arrêté à M’sila et Krim Belka-cem regagne Tunis pour tenter de ressouder les rangs des opposants.

1er août. Les deux chefs de la Wilaya III historique, Mohaned Oulhadj et Krim Belkacem se réu-nissent avec Mohamed Khider et Rabah Bitat, représentant le Bureau politique présidé par Ben Bella. Les deux parties sont parvenues à un compromis, mais le rapport des forces était en faveur de Bureau politique, qui avait toujours l’appui de l’EMG.

Pendant ce temps-là, les Wilayas III et IV étaient les seules à refu-ser de s’autodissoudre, en faisant peu cas des injonctions du Bureau politique et des déclarations de son secrétaire général, Mohamed Khi-der, affirmant que la conversion de l’ALN présentait désormais «un caractère d’urgence incontestable».

24 août. Les mêmes wilayas insoumises (la III et la IV) annon-cent que leurs conseils respectifs resteront en place jusqu’à la consti-tution d’un «Etat algérien élu léga-lement», tout en se disant détermi-nées à «faire face à toute agression». Annonce qui appellera aussitôt une veillée d’armée dans les wilayas «ad-verses», dont les commandants se sont regroupés à Sétif pour réitérer leur soutien indéfectible à l’EMG et au Bureau politique.

Devant l’impasse, et alors que la population descend dans la rue et exige l’arrêt de la guerre fratri-cide, en scandant le fameux slogan «Sabaa s’nin baraka !», une nouvelle initiative fait son petit bonhomme de chemin. A la demande du colo-nel Mohand Oulhadj, un accord intervient entre le Bureau politique et les Wilayas III et IV. Cet accord prévoit notamment «la démilitari-sation de la capitale et l’organisation d’élections à brefs délais». Les élec-tions seront finalement fixées au 20 septembre. A cette date, l’armée des frontières était déjà à Alger, et Ben Bella pouvait présenter son gouver-nement à l’Assemblée nationale qui l’investira dès le lendemain comme premier président du Conseil des ministres de l’Algérie indépen-dante.

Cet échec de la Wilaya III pour s’imposer sur l’échiquier politique la conduira quelques mois plus tard à tenter de nouveau la rébellion ar-mée, lors que Mohand Oulhadj va rejoindre l’appel de Hocine Aït Ah-med et d’anciens cadres de la Wi-laya IV pour créer, le 29 septembre 1963, le Front des forces socialistes.

Mourad Djilali

Le colonel Si Mohand Oulhadj, Tizi-Ouzou 1963

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La Wilaya iV

le dernier rempart

Par Mourad Djilali

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Face à l’avancée massive des unités de l’armée des frontières, les combattants de la Wilaya IV (comprenant l’Algérois et une partie de l’Ouarsenis) ont été de loin les plus coriaces et les plus déterminés. les dirigeants de l’Etat-major général en étaient bien conscients ; c’est pourquoi ils ont tout essayé pour gagner leur ralliement ou tout au moins leur neutralité. C’est ainsi que Boumediene a d’abord envoyé des émissaires successifs, parmi lesquels son fidèle adjoint le commandant Si Slimane (Kaïd Ahmed), pour négocier avec les dirigeants de cette wilaya, afin de leur faciliter le passage vers la capitale, comme il l’avait déjà essayé en Wilaya II, avec un certain succès.

Aucune de ces tenta-tives n’a, toutefois, abouti. Pis encore, Kaïd Ahmed a même été arrêté par

les combattants de la Wilaya III, pendant un certain temps, avant d’être relâché. Car, c’est connu, les moudjahidine de la Wilaya III se sont lourdement investis dans la Wilaya IV dès sa création. D’autres émissaires, à l’image d’Ahmed Benchérif et Mohamed Chaabani, ont encore tenté de convaincre l’état-major de la Wilaya IV d’un arrangement qui pût permettre un passage sans effusion de sang. Mais peine perdue.

Pour tenter une percée, l’EMG s’est appuyé sur deux anciens diri-geants de la Wilaya IV : le com-mandant Azzedine, ancien chef du mythique bataillon Ali-Khodja et Yacef Saâdi, ancien chef de la Zone autonome d’Alger (ZAA). Mais les combattants de la Wilaya IV ont

tôt fait d’investir la capitale et y ont régné jusqu’au dernier jour. Sur décision du conseil de la Wilaya IV, le commandant Azzedine, nommé alors chef de la Zone autonome d’Alger, est placé en résidence surveillée alors que son adjoint, le

commandant Omar Oussedik, est arrêté. D’ultimes combats ont eu lieu à la Casbah d’Alger et ont laissé plusieurs morts (une trentaine se-lon des statistiques non officielles) et des blessés, dont de nombreux civils. L’issue de l’affrontement

De g. à dr. : Boualem Ouseedik et Kaid Ahmed.

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a permis à Yacef Saadi à et ses hommes de s’emparer de la radio, du port et de toutes les administra-tions stratégiques.

Devant l’impasse des négocia-tions, l’affrontement fut inévitable. Les combats étaient menés, du côté de l’EMG, par le colonel Bou-mediene en personne. Selon les chiffres avancés par le comman-dant Lakhdar Bouragaa, ancien officier de cette wilaya, les combats auraient fait près d’un millier de morts, seulement à Ksar El-Bou-khari, Sour El-Ghozlane et dans la région de Chlef.

Les hostilités n’ont cessé qu’au moment où Ahmed Ben Bella, porte-voix politique de l’armée des

frontières, et le colonel Youcef El-Khatib, chef de la Wilaya IV, sont apparus ensemble devant les belli-gérants. Tout le monde comprend alors qu’un compromis a été trou-vé entre les deux camps et qu’une solution définitive à la crise était à portée de main.

Ce qui était cependant incom-préhensible dans la démarche de la Wilaya IV, c’est que son état-major s’est opposé en même temps aux représentants du GPRA, alors que tout le monde avait compris que cette levée de boucliers des wilayas de l’intérieur contre l’Etat-ma-jor de l’armée des frontières était avant tout pour défendre la légiti-mité du gouvernement provisoire.

C’est ainsi que le 11 juillet 1962, Benyoucef Benkhedda, président du GPRA, fut empêché par le conseil de wilaya de tenir un mee-ting à Blida. De retour au pays, dès la proclamation de l’Indépendance, Benkhedda faisait campagne pour asseoir sa légitimité et celle de son gouvernement mise à mal par le congrès de Tripoli.

Entre-temps, un accord est in-tervenu entre le Bureau politique est ses adversaires, préconisant l’organisation des élections géné-rales, prévue le 2 septembre. Mais, à la publication des listes des candi-dats, la Wilaya IV met ses troupes en état d’alerte et tente de s’oppo-ser à la tenue du scrutin. Jouant la

Photo prise à Sbarnia (Wilaya IV) De g. à dr. : Omar Benmahdjoub, Colonel M’hamed Bougara. Salah Zamoum, Capitaine Zoubir, Ahmed Ghebalou, un infirmier et Mustapha Benamar

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«

carte de la paix civile, à un moment où la population commençait à s’offusquer des luttes fratricides en scandant «sabaa s’nine barakat !» (Sept ans, ça suffit !), les partisans du Bureau politique organisent, dès le 22 août, des manifestations à Alger contre les combattants de la Wilaya IV aux cris de «l’armée dans les casernes !» Dans la foulée, Mohamed Khider, secrétaire natio-nal du Bureau politique, annonce la création de «comités électoraux» et de «comités de vigilance». Cela n’empêchera pas la Wilaya IV d’im-poser sa loi sur ce qu’elle considère comme étant son territoire, en ins-taurant, dès le 23 août, la censure à la radio et à la presse, et en inter-disant notamment les déclarations du Bureau politique. Une guerre de communiqués est alors déclenchée entre la Zone autonome d’Alger et le BP autour de l’autorité sur la capitale, dernier rempart devant les unités combattantes de l’armée des frontières qui attendait le feu vert et que la situation politique soit as-sainie pour donner son assaut final.

25 août. Khider annonce qu’en raison de «l’obstruction» de la Wi-laya IV, le Bureau politique ne peut plus exercer ses responsabilités. Sur décision unilatérale, il ajourne les élections du 2 septembre. Des personnalités politiques de pre-mier rang, à l’image de Mohamed Boudiaf, s’insurgent contre cette décision et démissionnent. La confusion et le désordre règnent à nouveau dans la capitale. D’autres membres du BP sont arrêtés sur

décision du Conseil de la Wilaya IV. De nouveaux affrontements éclatent dans la Casbah. Le Bureau politique profite de la situation, pour organiser un meeting le 1er septembre à la Maison du peuple, contre «la guerre civile». Les hommes de la wilaya IV étaient pointés du doigt comme étant des «trouble-fête» et des «agitateurs» (mouchawichine, dans le langage militant du FLN).

Ce n’est que le 5 septembre qu’un accord a été conclu entre le Bureau politique et les deux Wilayas rebelles (la III et la IV), prévoyant « la démilitarisation de la capitale» et l’organisation d’élec-tions «à brefs délais». Un accord qui signait tacitement l’abdication de ces deux wilayas et permit enfin aux unités de l’armée stationnées aux abords d’Alger d’entrer sans combat, dès le 9 septembre.

Mourad Djilali

Colonel Youcef El-Khatib à droite

Si Hassan et Mahmoud Skander en 1964

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Par Zoubir Khélaïfia

Med El-Hadi Rézaïmia, officier de l’ALN, chef de la zone 6

des Aurès-Nememchas

Med El-Hadi Rézaïmia, officier de l’ALN, chef de la zone 6

des Aurès-Nememchas

Med El-Hadi Rézaïmia, officier de l’ALN, chef de la zone 6

des Aurès-Nememchas

« »

les Beghou ont fourni des armes à l’AlNles Beghou ont fourni des armes à l’AlN

Si Layachi Beghou

Khemissi Beghou

Adbelhamid Beghou

Lamine et Nadji

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Mohamed El-Hadi Rézaïmia, maquisard de la première heure dans les Aurès-Nememchas, remonte le temps et fait une halte là où tout a com-mencé dans ce qui est appelée plus tard la zone 4 de la Wilaya I. Il creuse au fin fond de sa mémoire, fouille ses moindres recoins pour raconter en détails tout ce qu’il y a vécu. Nous sommes au début de l’insurrection armée et l’organisation des Aurès venait à peine de commencer. Bien que les moudjahidine soient éparpillés un peu partout dans cette vaste région du pays, leur organisation s’imposait pour partir du bon pied dans une guerre qui s’annonçait longue et meurtrière. Le hasard a voulu que la rencontre avec Mohamed El-Hadi Rézaïmia coïncide avec le décès de Si layachi Beghou, premier contact des moudjahidine envoyés d’El-Ga-laâ, le PC des Aurès-Nememchas, en zone 4 dans une mission ayant pour principaux objectifs le recrutement massif des combattants, la sensibili-sation des citoyens et bien évidemment l’organisation du maquis.

En apprenant la nou-velle de ce décès, Rézaïmia a eu cette réflexion : « Un grand homme vient de nous

quitter. Il appartenait à une famille qui a tout donné à la Révolution. » Le vieux combattant se remet ensuite à égrener les détails de son parcours révolutionnaire qui débute à Khen-chela, le bastion des Nememchas, une tribu très aguerrie au combat. N’est-ce pas que dans cette ville, toutes les actions du 1er novembre ont été menées d’une main de maître par Abbas Laghrour ? Dans les Aurès, Mohamed El-Hadi Rézaïma jouit d’une solide réputation qu’il tient tout naturellement de son passé révolutionnaire autant que de la mau-vaise période traversée postindépen-dance. La tentative du coup d’Etat avortée sur Boumediene et, plus tard, la tentative de son assassinat lui ont valu beaucoup de déboires. Mais le vieux maquisard n’en fait vraiment pas cas malgré les douloureux souve-

La ferme familiale des Beghou au douar Mouellah

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nirs qui reviennent souvent lui rap-peler les ingratitudes des uns et des autres. Il s’en tient à son parcours de combattant, à ceux qui ont épousé très tôt la cause et bien évidemment aux chouhada et aux valeureux com-battants sans qui l’Algérie n’aurait jamais recouvré son indépendance. Son discours s’articule notamment sur les premières années de la révo-lution qu’il considère, à juste titre d’ailleurs, comme les plus glorieuses. A peine l’insurrection armée déclen-chée, Chaâbane Laghrour, Moha-med El-Hadi Rézaïmia, Remili et M’hamed Merad sont investis de la difficile mission de prendre attache avec les Haraktas, la plus grande

tribu chaouie, et Ouled Yaâgoub .« Nous étions 80 maquisards à nous rendre dans cette zone au tout début de la révolution, en 1955. Le groupe de Chaâbane Laghrour dont je fai-sais partie s’est alors dirigé vers Ain Zitoune chez Tita Laïd. Remili, quant à lui, est chargé de se rendre à F’kirina et Ain Beida tandis que M’hamed et son groupe, se sont ren-dus à Lefdjoudj », relate Mohamed El-Hadi Rézaïmia avec beaucoup de peine quand il évoque cette période, la plus cruciale de la guerre de libé-ration. Ces groupes de combattants avaient pour principale charge de propager la guerre. Une tâche ar-due mais pas impossible au vu de leur détermination à faire sortir le pays des griffes de l’oppresseur. « J’ai vécu deux années intenses dans cette région et je peux vous affirmer aujourd’hui que celle-ci a donné le meilleur d’elle-même, offert ses en-fants à la révolution et servie loya-lement la cause. » La guerre n’est encore qu’à ses débuts et le travail de fourmi accompli par ces moudjahi-dine s’avérera plus tard des plus fruc-tueux. La propagation de la guerre n’est certes pas un travail de sinécure mais cette foi inébranlable en la juste cause a fini par porter ses fruits et permettre à la révolution de faite tache d’huile. Le maquisard, à l’âge relativement avancé, n’en garde pas moins la mémoire intacte à laquelle il fait appel à chaque fois qu’un détail le bloque où que celle-ci tente de lui échapper : « En quittant Tita Laïd, nous avons fait escale chez Hadj Ramdane, de la tribu des Djeramnia où à Tibergamine, le groupe Remili nous a rejoints pour y passer la nuit. » Tibergamine est située à mi-chemin entre Oum El Bouaghi et Khenche-

la, à quelques encablures de Arrar, où en 1957, s’est déroulée l’une des plus grandes batailles de la région au cours de laquelle des dizaines de moudjahidine ont été brûlés au na-palm. Hadj Ramdane, qui possédait un fourgon de marque Juva 4, l’a uti-lisé pour ramasser les volontaires et les ramener au maquis. « Ils étaient presque 500 civils à écouter notre discours sensibilisateur et c’est au cours de ce rassemblement que nous avons procédé aurecrutement et défini les responsabi-lités », raconte encore Mohamed El-Hadi Rézaïmia.

la famille Beghou a fourni des armes à l’AlN

En évoquant cette famille, il ne s’empêche pas d’avoir une pieuse pensée pour Si Layachi, décédé le jour-même de cette rencontre. Cette famille plus connue sous le sobriquet des Benjoua a une longue histoire avec la révolution : « A Taghribt, au douar Mouellah, nous avons été re-çus par Si Layachi et Hadj Benjoua. Chaâbane Laghrour nous a devan-cés de deux jours. Plus d’une soixan-taine de combattants sont nourris pendant deux nuits, mis au chaud et totalement pris en charge. Ils ont lavé nos vêtements ils nous ont aussi offert deux fusils mitrailleurs italiens Statti, un fusil de chasse et un colt. » Depuis cette date, l’ALN n’a plus quitté la ferme de cette famille de-venue par la force des choses un lieu incontournable pour les com-battants. « Nous avons décidé d’un commun accord de considérer ce lieu comme un PC de la révolution dans cette région », ajoute Rézaïmia dont le récit s’articulera désormais sur les

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Beghou même si parfois, il bat le rappel de sa mémoire pour conter les actions héroïques effectuées par les moudjahidine. Autrement dit, il rend à César ce qui appartient à César. Une fois que cette ferme est élevée au rang de PC, ces premiers groupes de combattants continuent leur mission en ciblant les tribus réputées pour leur animosité envers la France. Ainsi, ils prennent encore une fois leur bâton de pèlerin vers le nord d’Oum El Bouaghi, à Bir Ammar, chez Segueni Sadek, puis à Djehfa, du côté de Tamlouka. Une fois cette mission accomplie, ils se sont divisés en plusieurs groupes : « Chaâbane Laghrour a pris la direc-tion des Ouled M’tallah, de son côté Remili a pris attache avec d’autres tribus et Rézaïmia chez les Arafa. » Une fois le maquis organisé et les responsabilités définies, l’ennemi est en ligne de mire. Les hostilités sont désormais ouvertes et la première bataille dans cette région va se dé-rouler au mois de juillet 1955 « Un Algérien déserteur de l’armée fran-çaise nous a fait croire qu’il rallie l’ALN, mais, en fait, il a infiltré nos

rangs pour nous dénoncer. » L’ac-crochage a duré de longues heures et les moudjahidine ont réussi à desser-rer l’étau. Le 19 juin 1956, à Djehfa, l’aviation française est entrée en ac-tion pour pilonner le même groupe, Châabane Laghrour et d’autres élé-ments de l’ALN tombent au champ d’honneur et Rézaïma échappe miraculeusement à la mort. « J’ai été touché par des éclats. J’en garde toujours des séquelles » raconte-t-il. Rappelé au PC par Chihani Ba-chir, Mohamed El-Hadi Rézaïmia est nommé chef de cette région en septembre 1955. « M’hamed Merad tombé au champ d’honneur, Remili parti en Libye pour ramener des armes, le choix s’est porté sur ma personne pour diriger la zone 4. » Bien évidemment, Rézaïmia revient sur ses traces. Là où les moudjahi-dine ont trouvé hospitalité. La fa-mille Beghou revient sur les devants de la scène en fournissant le toit aux combattants et la nourriture. « Une famille de révolutionnaires autant que les Djeramnia et les Arafa qui n’ont jamais failli à leur mission », reconnaît le vieux maquisard qui

énumère les accrochages durant son règne. A Oued Charef, l’ALN a tendu une embuscade aux forces ennemies qui s’est soldée par la mort de six soldats français alors que deux moudjahidine sont tombés au champ d’honneur. Les embuscades de Gueltet Ramoul, entre Ksar Sbahi et Oum El Bouaghi, celles de Bir Ammar et Bir Rogaâ et enfin la bataille de Ouled Si Ounis, sont entre autres les plus retentissantes embuscades qui ont eu un considé-rable impact psychologique sur nos troupes. Une fois leurs missions accomplies, ces dernières se replient chez les Beghou pour se reposer et se réunir, le cas échéant. Mohamed El-Hadi Rézaïmia marque une halte, pousse un long souffle à l’évocation de la bataille de Arrar, à la sortie est de la ville d’Oum El Bouaghi où une centaine de combattants, venus de Kaïs, ont été bombardés au napalm. « C’est le pire souvenir de ma vie. On est descendus du maquis pour leur apporter notre soutien, mais le pilonnage intense nous a contraints au repli », relate-t-il avec une amer-tume qui se lit dans ses yeux. La suite du parcours de ce combattant de la première heure sera parsemée d’une foultitude d’événements qui ont commencé en Tunisie où il a été emprisonné pour se terminer en Algérie dans une autre prison, à Sidi Lahouari à Oran où il a passé deux années. Libéré, il est mis sous résidence surveillée jusqu’à l’avène-ment Chadli Bendjedid. Rézaïmia en garde des séquelles, mais tire sa grande fierté de son parcours révo-lutionnaire qui fait de lui l’une des fi-gures les plus sollicitées aujourd’hui dans les Aurès-Nememchas.

Zoubir Khélaïfia

Centre abritant les élèments de l’armée française à Taghribt

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Le petit miLitant Par Zoubir Khélaïfia

MaâMar Djgaguen officier de l’AlN, chef de la zone libre De bliDa

devenu grand chef devenu grand chef

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le passage par le Mouvement national a progressivement forgé la conviction que le seul moyen de chasser l’ennemi est la voie de l’insurrec-tion armée. la crise entre Centralistes et Messalistes au début des années 1950 a sonné le glas pour les partisans de la lutte politique et accentué cette conviction qui, plus tard, s’est traduite sur le terrain, le 1er novembre 1954. Une poignée d’hommes, tous issus du PPA-MTld, s’est démarquée des deux clans en lutte et est passée à la vitesse supérieure. Ils ont mis le train en marche et activé le passage à l’action armée. Une fois la révo-lution éclatée, ce train est rattrapé par la majorité des militants de cette formation politique, à l’image de Maâmar djgaguen, aujourd’hui presque octogénaire à la mémoire phénoménale. « je peux tout oublier, y compris le dîner d’hier, mais pas ce que j’ai vécu durant cette époque », dira-t-il avant de plonger dans le passé pour le remuer d’un seul trait.

Il a pris le premier wagon de la lutte armée bien que ses débuts soient d’abord marqués par le rallie-ment au FLN avant de

rejoindre les rangs de l’ALN en 1957. En termes plus concrets, dès 1955, Si Maâmar avait déjà un pied au maquis et un autre dans la lutte clandestine. Son parcours commence à la fin des années 1940 et tout naturellement sera achevé une fois l’indépendance conquise de haute lutte. « On tra-vaillait, à Blida, chez les frères Mohamed et Hamida Derbala qui avaient une fabrique de cageots et cagettes servant à l’exporta-tion des agrumes. » C’est là que tout a commencé pour si Maâ-mar, entraîné dans le Mouvement national par Mohamed Derbala, militant de la première heure au PPA-MTLD. Bien évidemment, l’influence de ce dernier a joué un grand rôle dans l’adhésion de

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si Maâmar à ce parti autant que plusieurs autres travailleurs, tous convaincus que tôt ou tard ils seront appelés à découdre avec l’ennemi. N’est-ce pas qu’à cette époque l’OS se préparait déjà au combat libérateur n’était son dé-mantèlement à la dernière minute ? La guerre couvait et il ne restait plus qu’à allumer l’étincelle pour que le brasier s’enflamme. Des années avant le jour J, les jeunes militants de Blida activaient sous la coupe de Yahiaoui Ahmed. La répression postélectorale de la fin des années 1940 a, un tant

soit peu, accéléré les choses et les déchirements au sein du parti les ont fait éclater. Si Maâmar Djga-guen, encore très jeune, est choisi en compagnie de plusieurs autres militants pour distribuer les tracts et le journal El-Houria, organe du parti. Toutes ces activités se font tout naturellement dans la clan-destinité autant que les réunions, tenues secrètes. Ils organisaient également d’autres rencontres ayant pour objectif de sensibiliser les militants et de les tenir prêts à toutes les éventualités. Durant plusieurs années, ce futur offi-

cier de l’ALN s’acquitte convena-blement de sa mission jusqu’en 1953, date cruciale où la politique va céder la place aux armes. Aux pires moments de la crise entre les Messalistes et les Centralistes, une troisième voie est née. Celle de la lutte armée. Si Maâmar et ses com-pagnons étaient à l’écoute jusqu’au 1er novembre 1954. « Nous étions sur le qui-vive, aux aguets de la moindre information faisant état du passage à l’action armée. Nous étions certes secoués par la crise du parti mais notre choix a été fait », ajoute encore l’officier de l’ALN.

De g. à dr. : Abdelkader Ben Zehoua, Amlal Djillali et Si Amar Djguagen

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Quelques mois seulement après le début de la guerre, ce dernier était déjà dans les rangs du FLN. « Je l’ai rejoint au début de l’année 1955 mais à vrai dire, j’étais dans une sorte de no man’s land entre le FLN et l’ALN pour la simple raison que nous habitions El-Dje-naïne, juste au pied des montagnes de Bouarfa où les maquisards ont élu domicile. Autrement dit, c’est la révolution qui est venue vers nous », souligne si Maâmar qui tire une débordante fierté d’être parmi les premiers à épouser la voie de la guerre à un âge très précoce. Il n’avait, en fait que 18 ans au début de l’insurrection armée, mais était bien forgé par les années de mili-

tantisme. Il était tellement près de l’ALN qu’il connaissait prati-quement tous les maquisards de la première heure. « Mahfoudh Laïchi, Ali Boukerbane, Musta-pha Sidi Yekhlef dit Staïfi, Tayeb El Berzali, Ahmed Baba Yemma, Rachid Bounif et Boualem Cher-chali sont, entre autres, les mou-djahidine ayant ouvert le bal». Parmi les premières opérations, Si Maâmar citera celle de Musta-pha Sidi Yekhlef, dit Staïfi, dési-gné pour abattre l’inspecteur de police, Benguellil à Blida. « Mira-culeusement ce dernier à échappé à la mort, sauvé par son porte-feuille qui a amorti l’impact des balles », relate Djgaguen. Arrêté,

Si Yekhel est condamné à mort, une condamnation commuée à la prison à perpétuité. En février 1955, d’autres attentats ont été commis à Blida par d’autres com-battants de la liberté. H’mida dit Boukeffa a réussi à abattre le com-mandant Zouitni alors que Omar Ghoul est désigné pour liquider l’inspecteur Toumi. Ce sont là les premières opérations de l’ALN à Blida avant que la guerre prenne de l’ampleur dans cette région, érigée en Wilaya IV à l’issue du congrès de la Soummam. Pendant ce temps, Si Maâmar activait dans la clandestinité, notamment dans le renseignement. La multiplica-tion des actions armées dans cette

De g. à dr. : Si Maâmar Djguagen, Si Lakhdar Bouregaâ, Si Mohamed Bounaâma El Djilali et Si Khaled Aïssa El-Bey

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ville et ses alentours a fait ressortir son nom. Recherché, Si Maâmar Djgaguen s’est replié dans la dense forêt d’El-Fernane. Sa vie prenait alors une autre tournure. Suspecté d’avoir participé aux différents attentats, il ne lui restait désor-mais qu’une seule alternative pour échapper aux mailles des filets de la police française. En 1957, il est incorporé à la Katiba El-Omaria du nom du chahid, Omar Ghoul, tombé très tôt au champ de ba-taille. Cette katiba renfermait des moudjahidine aguerris au com-bat, à l’image de Antar, tombé au

champ d’honneur, Omar Aichou-ri, Benyoucef Maâmar, également chahid, Ramoul Ahmed dit Ha-chhouche et bien d’autres maqui-sards. Elle était dirigée par Abdel-kader Lakehal et Nehaï. A cette époque, le colonel M’hamed Bou-gara régnait sur la Wilaya IV qu’il a réussi à parfaitement organiser. Cette katiba relevant du secteur 2 a tendu plusieurs embuscades à l’armée française dont celle de Oued Ezzeboudj, en 1957, et deux fois à Tiberguent successivement en juin et juillet 1958. A La fin de cette même année, Maâmar Djga-

guen est nommé chef des centres militaires de transit de la même région. Ces centres appelés, El-Oued, El-Amane et Si Mohamed servaient en fait à ravitailler l’ALN en armements et effets vestimen-taires tout comme de centres de soins et bien évidemment de repos pour les moudjahidine de retour d’une quelconque mission. Quelques mois plus tard, c’est-à-dire au mois de février 1959, il est muté à Blida pour chapeauter le secteur 1 avant d’être promu au grade de capitaine en 1960 quand il est nommé chef de la Nahia libre de Blida qui dépendait directement du PC de la wilaya IV. Le parcours de ce guerrier se termine par une mission dont si Maâmar se dit fier : « En été 1962, et alors que l’Algé-rie était sur un brasier à cause de la crise opposant le GPRA à l’armée des frontières, j’ai été mandaté par le PC de notre wilaya auprès de Benyoucef Benkhedda pour lui transmettre le message d’annuler le meeting qu’il avait l’intention d’organiser dans cette ville. Je l’ai rencontré chez Baya Nouari et j’ai réussi à le convaincre. » Cette parenthèse fermée, Si Maâmar a, avant de clore l’entretien, tenu à faire une petite réflexion sur ce qui est communément appelé l’affaire Salah Zamoum : « Contrairement à ce qui a été colporté sur les mou-djahidine ayant rencontré Charles de Gaulle à l’Elysée, je peux affir-mer aujourd’hui que Salah Za-moum et ses compagnons étaient des honorables combattants. »

Zoubir Khélaïfia

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HistoireGuerre de libération

Supplément N° 32- Février 2015.

De g. à dr. : Si Maâmar Djguagen, Abdelkader Salhi, El-Bey Khaled et Abderrahmane Tahtouh.

Si Maâmar Djguagen

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des ouled aidouN-el milia« OMAR CHIdEKH El AIdOUNI »

Par Dr Boudjemâa HAICHOUR

Debout de dr. à g. : Ali Kafi, Krim Belkacem, Lakhdar Bentobal, Benyoucef Benkhedda, Hocine Rouibah et d’autres maquisards. Prise en 1957 en wilaya II.

Dr Boudjemâa HAICHOUR. Chercheur universitaire,

ancien ministre

MEMOIRES D’UN MAQUISARD DE LA WILAYA II

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HistoireGuerre de libération

Supplément N° 32- Février 2015.

lors de mes activités politiques en compagnie de notre frère Si Tahar Bouderbala (dieu ait son âme) dit El Annabi qui ve-nait d’être nommé mouhafedh de la wilaya de Constantine, ma curiosité portait sur quelques événements qui ont caractérisé la Wilaya II historique, qui a été successivement dirigée par di-douche Mourad, Zighoud Youcef, Abdellah Bentobbal, Ali Kafi et enfin Salah Boubnider dit Sawt al Arab (Allah Yarhamhoum).

C’était les années quatre-vingt où une intense activité régnait faisant de Constantine une ville de rencontres des différents ac-teurs de la Révolution armée des Wilayas historiques. C’était une période où les jeunes étudiants et les intellectuels de toute obédience participaient au débat sur l’histoire de la guerre de libération nationale.

Cinema et guerre de libération

L’une des principales actions qui a été menée ce fut « Cinéma et guerre de libération nationale » en présence des moudjahidine et des acteurs-clés de la Révolution. Une façon de réécrire l’Histoire et de permettre à la jeunesse de poser les questions les plus déran-geantes. Je me rappelle, alors que je présidais le symposium à l’au-ditorium Mohamed-Seddik-Be-nyahia de l’Université Mentouri, comment étudiants, universi-taires, cinéastes, écrivains, scéna-ristes abordaient dans l’esthétique des films projetés les batailles me-nées contre les parachutistes par nos moudjahidine.

Le panorama sur le cinéma et guerre de libération faisait la une des journaux nationaux et interna-tionaux. De jeunes responsables veillaient à l’organisation des films projetés notamment Kamel Arioua vice-mouhafedh, Rachid Nafir, Hachemi Zertal, noyau de la Cinémathèque de Constan-tine, Hacène Bouaouiche, Moh-ceni Bachir, Ahmed Benyahia et Abdelmajid Merdaci etc. Il y avait Ali Kafi, Salah Boubnider, Tayeb Boulahrouf, Abdelmadjid Kahl Ras, et des wilayas historiques.

Une façon d’écrire notre histoire

Des amis de l’Algérie cinéastes tels René Vautier, Pierre Clé-ment, Jacques Charbi mais sur-

tout Ahmed Rachdi, Lakhdar Hamina, Ammar Laskri etc., des comédiens tels Rouiched, Sid Ali Kouiret, Farida Saboundji… – je reviendrais dans un article spé-cial sur cette manifestation d’une hauteur de vue dont le mouhafadh Si Tahar Bouderbala et Hamid Sidi Saïd, ancien wali de Constan-tine, ont été, les initiateurs –, qui sans eux le Panorama « Cinéma et Guerre de libération nationale » n’aurait pas eu lieu.

En fait, j’ai choisi cette fois de parler de Omar Chidekh El Aïdouni, un moudjahid à l’esprit ouvert, avec lequel j’ai écouté quelques récits de la guerre de libération nationale qui se sont déroulés dans le Constantinois, plus précisément à El Mila chez les Ouled Aïdoun.

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Mémoires retraçant l’histoire de la Wilaya II

Et voilà qu’un jour je reçois ses Mémoires Le Royaume des Fellagas, témoignage sur les évé-nements vécus de la Révolution « bénie » dans la Wilaya II, Zone 2, quatrième secteur, achevé d’impri-mer chez les Editions Amar Guer-fi à Batna.

Si Omar Chidekh El Aïdouni ben Ahmed Ben Boulaïd est né le 11 mars 1934 à Mechta Arfa Ouled Aïdoun. Après avoir appris le Co-ran et fréquenté l’école indigène, il intégra très vite la vie active en aidant son père dans un local de couture et la vente de tissus à Aïn El Barid. A 16 ans, Omar Chidekh rejoint, en 1950, le Mouvement national grâce à son oncle El Ho-cine Chidekh, élève de l’imam Ibn Badis. Il le raconte dans le journal An Nasr le 1er Novembre 1980.

les Kétamas « Ouled Aïdoun » ou

les revenants du Caire

Il spécifie qu’El Milia avait une autre appellation Ouled Aïdoun, qui en réalité relevait de la tribu berbère les Béni Koutama qui sont fondé le Caire et bâti l’Uni-versité d’El Azhar sous l’auto-rité Abou Obeïd Allah El Fatimi (Les Fatimides). On les a appelé les « Revenants » Al ‘Adoun. Qui se sont installés sur les bords de l’Oued El Kebir.

L’histoire raconte que le Bey Osman qui a été injuste durant son règne en maltraitant et humi-liant les habitants de la région fut assassiné en 1817 à M’jaz El Bey entre Ouled Aouat et Ladjbala. Par le fait qu’il y a beaucoup de marchands qui venaient de Mila, on a fini par l’Appeler El Milia. A l’arrivée des français avec les turcs Ouled Aïdoun devenait El Milia.

Depuis la bataille de « Bir Laghdar » en 1837 note Omar Chidekh suivie de la révolte de 1871 des Ouled Aïdoun sous le commandement de Benfiala et Boulekhmira rejoingnent celle d’El Mokrani où à dos de mulets par l’envoi de Cheïkh Ben Attik avec plusieurs de ses compagnons rencontrer Cheïkh El Haddad et El Mokrani pour soutenir leur révolution. Beaucoup d’entre eux furent emprisonnés et transférés à Toulon puis en Nouvelle Calé-donie.

Situation des intelectuels durant

la Révolution

La situation des intellectuels fut l’objet d’un soin particulier. Omar Chidekh rapporte que les mou-djahidine Abdelkader Bouchrit et Kouicem Abelhak, natif de Col-lo, ont appelé Lemchellat, réputé pour sa bravoure, à intercéder au-près de Larbi Benredjem pour que cessent les assassinats d’intellec-tuels. Omar Chidekh raconte son baptême du feu en adhérant dans

le mouvement national MTLD dans la cellule présidée par Larbi Lahmar et Ahmed Zouikri allias Belhamlaoui en 1950.

du mouvement national à la Révolution armée

Si Tayeb El Watani venait en-cagoulé, lui qui connaissait bien la région de Jijel, selon les dires de Ammar Boudjeria, et rencon-trait les responsables des Ouled Aïdoun tels Ali Meskaldji, Saâd Zaimeche dit Mostefa, Zidane Arzour, Chaaraoui Messaoud et Abdelhafi Boussouf alias Si Ali qui était membre de la Wilaya, Brahim Hachani alias Si Mahmoud et Am-mar Benaouda, membre de l’OS et Messaoud Guedroudj, membre du Comité central originaire de Ladjbala. Je recevais quelques-uns secrètement dans le local de mon père à son insu. C’est à partir de là que les contrôleurs du Parti com-mençaient à donner l’orientation de collecter des armes à partir de 1953. Salah Boubertakh et d’autres tels Ahmed Abdennour, Saïd Bou-zerdoum alias Boutioua, Khelkhal Omar et Chidekh Ammar ont réussi à acheter un nombre consi-dérable de fusils de chasse.

C’est le prélude à la prépara-tion de la lutte armée. Tous les douars étaient sensibilisés en at-tente du jour « J » tels les Ouled Arbi, les Ouled Salah, les Ouled Annane, Ouled Aouat, El Akbia, Yamiden, Béni Ferguen, Ouled Ali, El Oualdja et Hjar Mefrouch.

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Supplément N° 32- Février 2015.

Avec le début de la Révolution, Khodja Mejdoub et Mahfous se sont mobilisés, alors étudiants en Tunisie, et nous transmettaient les informations.

Abdelhafid Boussouf rencontre les militants

Vers la fin août et début sep-tembre 1954, Abdelhafid Bous-souf nous rendit visite et rencon-tra les militants Ali Bouaroura et Youcef Rabhi au café du défunt Youcef Titah.

Le 1er Novembre 1954 à minuit a été annoncé comme le jour du déclenchement de la Révolution. Le 31 octobre 1954 se tint une réunion sous l’autorité de Larbi Lahmar au lieu dit Ouled Amiour, un groupe de militants dont Salah Boulatika, Rabah Beghidja, Ho-cine et Ali Boudechicha, Ahcène Kerroum, Salah Mellit et bien d’autres.

les premières opérations programmées

le 1er Novembre

Il a été décidé de mener la première opération prenant pour cible la mine de Boulahmam avec pour mission de couper les fils té-léphoniques. Le deuxième groupe dirigé par Salah Boubertakh et Mohamed Baadache est chargé de transporter sur les mulets les minutions et le troisième groupe, commandé par Saïd Zaïmeche et Aïssa Oucief, est chargé de dis-

tribuer la déclaration du 1er No-vembre 1954. Quant à moi j’ai été appelé pour transporter un sac plein de papiers pour le déposer au Hammam du militant Brahim Abdelwahab. Le lendemain tous les tracts ont été distribués.

Au troisième jour, l’autorité coloniale arrêta Mohamed Baa-dache, Ali Boudchicha ben Larbi Kerroum ben Amor et d’autres. Ils furent tous torturés. Abdellah installera Messaoud Bouali alias Si El Hocine à la tête de la région des Ouled Aïdoun (El Milia). Omar Chidekh précisait que « nous n’avons entendu que deux opé-rations la nuit du 1er novembren celle menée par Zighoud Youcef à Smendou et celle de Larbi Lahmar à Boulhamam ouled Aïdoun. »

L’auteur Omar Chidekh rap-porte dans son livre les opérations réussies du 20 Août 1955 sous la direction de Zighoud Youcef, le groupe des Ouled Aïdoun à leur tête Hocine Boudchicha et Ben Ali Djakoun ont détruit une di-zaine d’engins militaires et tué 45 soldats. Dans cette bataille, on enregistra la mort de Guellil Zi-dane. Bentobbal Si Abdellah diri-gea lui-même la bataille d’Arakou et de Badsi en faisant de cette ré-gion une zone libérée. Cet endroit sera choisi par Bentobbal comme lieu de refuge des responsables de la Wilaya II qui verra Zighoud Youcef, Ali Kafi, Salah Boubnider et Ali Mendjeli mettre une sorte de QG.

le 20 août 1955 deuxième souffle de

la Révolution

Le sous-préfet le colonel Re-naud trouvera la mort dans la ré-gion d’ Oudadéne (El Milia). C’est le groupe d’Ammar Alouache, composé de onze personnes, qui mena cette embuscade le 22 août 1955. Après cette opération, Zighoud Youcef alias Youcef El Fergani dira que la Révolution a réussi politiquement, mais elle a remporté un double succès à Ou-led Aïdoun. Ainsi les attaques du Nord Constantinois ont touché presque les régions d’El Milia, de Skikda, Khroub, Aïn Abid et d’autres villages.

A Skikda et Aïn Abid, il y a eu un véritable carnage de la part de l’armée française contre les civils innocents. Un génocide à ciel ou-vert. C’est ainsi que Bentobbal a donné l’ordre de créer un atelier ambulant pour la réparation et l’entretien des armes que gèrera le moudjahid Mahmoud Bennouia dit Benkrika entouré de quinze éléments au lieu dit Bessam entre les monts de Béni Khattab et Ou-led Debbab.

Selon les propos d’Omar Chidekh, le nombre d’avions des-cendus pendant toute la Révolu-tion était de vingt et un.

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la Wilaya II à l’épreuve du combat libérateur

La France a décidé de mettre entre décembre 1955 et mars 1956 le Plan Bigeard « sous le nom d’Eventail ». Les forces françaises devaient intervenir par terre, mer et air et assiéger toute la région al-lant de Oued Z’hor, Béni Ferguen à Ouled Arbi en passant par Tar-sat, Okbet Saadallah et Ladjbala.

La bataille a été décisive à Draa Boulekcher dirigée par Ahmed Be-labed contre les troupes coloniales de Bigeard. Une grande offensive composée de 200 moudjahidine et moussebiline, fut menée à l’échelle nationale. Il y a eu récupération de plus de cinquante armes de diffé-rents modèles. A l’issue de cette bataille, l’armée française a envahi les mechtas environnantes telles Thar Dilemcella, Bin Ladjbala, Raghaoua où une quarantaine de citoyens furent fusillés froidement à l’endroit Dekhssa Dinasser.

Un vieillard du nom d’Ahmed Khérabagé de 90 ans a été arrosé d’essence et brûlé vif. Bigeard a es-suyé échec sur échec trainant dans ses bagages l’humiliation d’un chef de guerre et sa fierté cassée sur les roches des Ouled Aïdoun. Omar Chidekh raconte sa rencontre avec certains membres de la Wilaya II qui ont assisté au Congrès de la Soummam. Il notera dans son livre les noms des différents res-ponsables de la Wilaya II qui se

sont succédé ou sont tombés au champ d’honneur, de même la chute des gouvernements français de 1956 à 1958, Mendes-France, Edgar Faure, Félix Gaillard, Guy Mollet, Pfilmin, Bourgès-Mau-noury et enfin De Gaulle.

l’échec des plans Challe, Suavignac,

Trinquier, Messmer IIl parlera du plan du général

Sauvignac 1957/1958 qui a affamé toute la région d’El Milia, à Set-tara, à Béni Sbih, à Béni Tlilen où plus de 500 chahids furent dénombrés entre enfants, femmes et vieillards. Au village Derdar, l’armée coloniale a tué tous les hommes ne laissant que femmes en plein mois de Ramadhan. Sui-vront les massacres des N’hanah, Ouled Amor Béni Khattab, Bou-moussa près d’Ouled Aïdoun et surtout la bataille décisive de Zakrana près des Béni Sbih. Une bataille qui dura toute une journée où plus de cent soldats français parmi eux des officiers supérieurs furent anéantis. A Sidi Maarouf, sous les commandes de Guenidra, une grande bataille eut lieu et où les forces coloniales ont perdu un avion de combat et plusieurs sol-dats. Une autre à Béni Ftah, diri-gée par Ahmed Guerfi, se solda par la mort de 70 soldats français.

Quant au Plan Challe 1959-1960, un colonel fut désigné pour mater la révolution dans les Ouled

Aïdoun, mais il trouva la mort lors d’une embuscade au lieu dit Zaher. Il était le quatrième colonel mort dans les opérations Challe dans la région. Plusieurs de nos mou-djahidines sont tombés au cours de ces batailles. Le groupe dirigé par Bachir Bourghoud attaqua le point de contrôle dans la région de Nekhla en emprisonnant trois soldats.

La bataille d’El Atka avec le groupe Youcef Millit, qui vit la mort de 30 soldats français, suivie de celle de Asfoura sur la route d’Ouled Arbi et celle de Zarzour sont la fierté de notre Révolution. De même que celle d’Adjenak au lieu dit Chaouche où deus bus transportant des soldats furent détruits, sans oublier celle d’El Djizia dirigée par Boulala Bachir qui a occasionné de grosses pertes à l’ennemi.

Mais la grande bataille était menée contre Trinquier, Challe et Pierre Mesmer. A El Milia, c’est le « Royaume des fellagas », disait Challe.

Si Abdelkader Bouchrit res-ponsable du quatrième secteur de santé, apprit avec les docteurs Mohamed Toumi et Lamine Khen l’organisation d’une telle structure. Il créa des hôpitaux de fortune répartis dans différentes zones avec un paramédical compétent. Le docteur Tidjani Haddam faisait soigner nos blessés à Constantine dans le secret.

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Supplément N° 32- Février 2015.

Boubnider dit Salah Sawt al Arab le stratège

L’homme-clé est Si Salah Sawt El Arab de son nom Salah Boub-nider, chef de la Wilaya II, qui a géré depuis Belhamlaoui les ba-tailles contre Challe et Trinquier. Il jouissait d’un respect et d’une grande réputation. Si Abdellah Bentobbal disait: « La Révolution est un tout. Nous n’étions pas un symbole de la Révolution mais plutôt sa garantie, sa soupape de sécurité et le secret de son succès ».

« Je ne peux pas oublier, note Si Omar Chidekh, la bataille d’Aïn Smara dirigée par Mahmoud Labsir occasionnant des pertes énormes et qui a enregistré, entre Aïn Smara et Aïn El Bey, la mort du moudjahid Tayeb Zater. Pierre Mesmer, ministre de la Défense, s’est rendu à Ouled Aïdoun ins-pectant la zone d’El Milia pour préparer la visite du général de Gaulle.

Sur le chemin du retour, il fut surpris par une embuscade dirigée par Abdellah Boudiaf et Youcef Mellit et y perdit de nombreux soldats qui l’accompagnaient. A Lekhmis Di Sera, on dénombrait de nombreux morts du côté de l’en-nemi, Slimane Mellit est tombé en chahid et Lamchalat(Zaamouche Hocine) a été capturé et trans-féré à la prison d’El Coudiat de Constantine et resta jusqu’à l’indé-pendance.

de Gaulle : « je vous ai compris »

De Gaulle était aux portes d’El Milia avec Challe qui l’a conduit jusqu’au mont de Machatt, ce der-nier a perdu plus de 300 de ses soldats. C’est ainsi que de Gaulle décida de destituer les militaires des pouvoirs civils dans toute l’Algérie à l’exception d’El Milia. Arrivé à Katina et Hjar Mafrouch, De Gaulle parla au général Trin-quier :

« Trinquier, toute passion a ses limites, et si ces foules sont de notre côté, alors qui sont nos ennemis ? Et si c’est la cas, libère tes soldats et enlève les barbelés plantés partout… » Depuis, les généraux français ont opté pour des putschs. Vers la fin de 1960, Trinquier ordonna qu’on tue chaque nuit dix innocents par la Main rouge.

Pour terminer cette synthèse du livre Le Royaume des Fella-gas, dont il réserve quelques pages sur le rôle des femmes d’Ouled Aïdoun et leur engagement dans la Révolution, Omar Chidekh El Aïdouni n’omet pas de souligner le projet du général Crépin – il ve-nait de remplacer Challe – qui ve-nait avec une autre stratégie d’en-cerclement des moudjahidines.

Il termine son livre par la dis-sension qui a eu lieu entre mars 1962 et juillet 1962 après le retour des représentants de la Wilaya II du Congrès de Tripoli dont Salah Boubnider, Larbi Benredjem El

Mili, Abdelmadjid Kahl Ras, Ta-har Bouderbala et Rabah Bellou-cif où l’union des frères s’est fissu-rée après avoir opté les uns pour le GPRA, les autres pour l’EMG. Chacune des deux parties voudrait qu’El Milia des Ouled Aïdoun la rejoigne. L’auteur conclut qu’« il ne nous fait pas honneur de voir l’Algérie de l’histoire, de la Révo-lution et des chouhadas se trans-former en un guêpier de trafi-quants, de voleurs et de criminels assoiffés d’argent sale ».

Dr Boudjemâa HAICHOUR,Chercheur-Universitaire

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Poésie populaire

ou le poète comBattaNt

Par Ahmed Hadji

Mohamed BElKHEIR Mohamed BElKHEIR

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Supplément N° 32- Février 2015.

L’immensité du territoire algérien a vu émerger au fil du temps une panoplie de genres musicaux tous guidés à partir de poèmes mettant en valeur des idées et des traditions. A une certaine époque, le poète représentait pour son entourage l’élément intellectuel par excellence, bien que, dans la plupart du temps, l’auteur ne soit jamais allé à l’école.

Le long de la bande cô-tière, dans la région des hauts plateaux, comme dans le sud, la poésie populaire

s’est perpétuée à travers le temps. Il n’est un secret pour personne que la richesse et l’abondance de la poésie populaire sont considé-rées comme instructives à travers les encyclopédies humaines. D’ail-leurs, pour de nombreux mélo-manes de ce genre, le rai est un dé-rivé du melhoun qui a abandonné le tbel et la ghaita. N’a-t-on pas dit que les poètes arabes en général étaient jadis des journalistes, en quelque sorte car, en l’absence de moyens de communication, leurs textes se répandaient aussi rapide-ment que la prose si ce n’est plus et parfois la réplique était souvent absente. L’histoire rappelle que le Maghreb en général et l’Algérie en particulier ont eu des poètes dont la réputation a toujours dépassé les frontières du pays respectif, bien qu’ils aient tout juste fréquenté l’école coranique. Composée sous la forme religieuse, sentimentale ou satirique, la poésie populaire

en Algérie est restée fidèle à elle-même, à ses traditions originelles et réfractaire à toutes mutations dissolvantes.

A propos du chi’ir el melhoun, l’écrivain et journaliste Amar Belk-hodja, a dans un de ses écrits sur la poésie algérienne, souligné le

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paradoxe que ceux qui savent lire s’instruisent auprès de ceux qui ne le savent point. Dans ce même ordre d’idées, il cite à ce propos l’un des illustres poètes de la ré-gion d’El Bayadh, en l’occurrence Mohamed Belkheir qui n’aurait suivi que quelque temps l’école coranique, mais il a admirablement chanté l’épopée des Ouled Sidi Cheikh. Le poète, qui n’a pas fré-quenté les bancs de l’école publique et encore moins les grandes écoles, ne veut pas dire qu’il était un anal-phabète. En dépit de ce handicap intellectuel, Belkheir comme beau-coup d’autres poètes ont pu à tra-vers leurs vers réveiller bien des consciences. C’est d’ailleurs dans les villes de l’intérieur qu’on rencontre ces génies qui arrivent à emma-gasiner des connaissances parfois enregistrées dans divers milieux et, lorsqu’ils les développent, ils sont qualifiés d’intelligents et de pos-sesseurs de la « hikma », mais pas d’intellectuels. On a cité Belkheir, comme on aurait pu le faire à pro-pos de Beggar Hadda, de Baytar, de Daghmouli, de Benkhlouf qui furent également des poètes de re-nom et parfois même des guerriers. Le soi-disant « modernisme » que la colonisation a tenté d’introduire ne l’a pas emporté sur les traditions et sur le mode de vie de la population indigène. C’est ainsi qu’au Sahara comme dans les hauts plateaux, l’âme locale a été préservée par ces hommes et ces femmes, considérés aujourd’hui comme des déposi-taires d’une culture parfois ignorée. Par le passé, la plupart des écri-vains de la colonisation redoutaient

les poètes algériens pour n’avoir jamais accepté la condamnation de leur passé, de leur islamité, de leur arabité et même de leur amazi-ghité tout en estimant que seuls les faibles, les médiocres se hâtent de suivre la pente des abandons.

De Belkheir à

Djermouni

Les poèmes de Baytar (Bré-sina), Benguitoun (Biskra) Benke-riou (Laghouat), Benbrahim (Sidi Bel Abes), Belkheir (El Bayadh),

La chanteuse Beggar Hadda en 1960

Beggar Hadda avant sa mort

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Supplément N° 32- Février 2015.

El Djermouni (chaouia), Benkhe-louf (Mostaganem) ou encore Ben Messaieb (Tlemcen) qui restent d’actualité sont repris par les chan-teurs sous différentes formes de mélodies. Chez les femmes poètes, c’est beaucoup plus les artisanes en tissage qui face à leur métier à tisser ne manquent pas de trans-crire leur art manuel par des sym-boles tout en le valorisant par des chants. Cheikh Hamza Boubekeur, lui-même natif de la région d’El Bayadh, berceau de plusieurs poètes dont les plus renommés Mohamed Baytar et Mohamed Belkheir, estime pour sa part que la poésie algérienne demeurera le miroir des joies et des peines du peuple algérien. La gloire de ses générations successives, le reflet de ses amours, de ses larmes, de ses refus de reniement de soi-même, si l’on se réfère à des écrits dont ceux de vheikh Hamza Boubekeur sur la vie des poètes.

A propos de Mohamed Belk-heir, quoique certains avancent certaines dates, il est né réelle-ment une dizaine d’années avant que l’Algérie ne soit envahie par la France, soit vers 1822-1823, au lieu dit Oued el Maleh (Rio Salado) entre Aïn Témouchent et Oran. Faisant partie de la tribu des Ouled Daoud, le nomade Belkheir restera à jamais lié solidement non seulement à la littérature populaire algérienne, mais aussi à la résis-tance contre l’occupant à qui il ne manquera pas une occasion pour stigmatiser ses gestes et faits. Dans un écrit dédié à ce poète, Cheikh

Boubekeur regrette que Belkheir ne soit pas considéré comme un parangon algérien, mais comme un simple poète local ou encore comme un guerrier nomade. Et pourtant, encore jeune, Belk-heir profitant de ses escapades au terme d’une journée passée avec son troupeau de moutons et de caprins, il approcha quelques « medadha » (chanteurs bédouins) lors des rencontres amicales ou des fêtes locales, d’où il a vite appris la manière et l’importance de la poé-sie, au cachet sentimental ou sur les personnages de la région. Un jour, tout en chantant un air qui lui plaisait devant une assistance com-posée essentiellement d’hommes venus se distraire, l’un d’eux lui demanda d’opter pour autre chose. Sa réponse fut sèche : « Vous vou-lez autre chose, lui dit-il. Si je me laissais aller, vous seriez tous arrê-tés par les roumis (le colonisateur) et moi avec vous. » Les plus âgés ont évalué la maturité du poète, mais la pression pesait sur eux, car le régime colonial ne leur permet-tait aucune initiative.

Face aux persécutions de l’ad-ministrateur, du percepteur et des gendarmes, sa famille changea de lieu de résidence pour s’installer au lieu dit Guenater (les ponts), toujours dans la région ouest du pays. Tout en étant humble avec les pauvres, il était aussi un bon cavalier. D’ailleurs, il a toujours souhaité mourir en combattant. Ses contacts avec les différentes franges de la société l’incitèrent à s’intéresser au nationalisme et il

approuva la manière par laquelle certaines tribus, à l’image de celle des Hamza qui opta pour le djihad contre la colonisation. Son atta-chement à cette option lui valut une première arrestation en 1880, à 52 ans, avant d’être libéré, puis arrêté une nouvelle fois en 1884 après avoir été dénoncé alors qu’il menait une campagne contre la colonisation. Cette arrestation lui fit connaître des moments diffi-ciles durant les interrogatoires par les militaires à qui il dira : « Vous n’avez pas le droit de nous traiter de la sorte et puis le fait de venir chez nous par intrusion, vous n’êtes pas les bienvenus. » L’offi-cier qui l’interrogeait lui rétorqua méchamment : « Nous allons te montrer qui est le plus fort ici », avant de décider de son transfert sur Oran, puis sur la Corse à Calvi plus précisément. Une fois hors des geôles coloniales et de retour de la Corse, il donna l’impression d’avoir souffert durant sa déten-tion. Si parfois il lui arrivait de rire alors qu’il était en détention, ce n’était que par nécessité, affir-mait-il à ses proches. Sa libération fut un événement dans la région, mais il ne resta pas longtemps en vie, car son cadavre fut découvert abandonné sur un terrain vague dans des circonstances qui n’ont jamais été élucidées. Né présumé et, dans des conditions difficiles, il est mort présumé emportant avec lui beaucoup d’interrogations sur sa vie

Ahmed Hadji

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Cinéma et Révolution : décès de rené Vautier

les yeux de la réVolutioN

éteiNtsPar Hassina Amrouni

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HistoireGuerre de libération

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Un grand ami de l’Algérie, un militant anticolonialiste qui a choisi de lutter aux côtés de ses frères algériens, n’est plus. René Vautier nous a quittés à l’orée de cette nouvelle année, après avoir combattu avec beaucoup de courage une longue maladie. Il s’est éteint le 4 janvier, à l’âge de 87 ans, dans un hôpital de Saint-Malot (Bretagne-France).

Celui qui se reven-diquait comme « le cinéaste français le plus censuré », René Vautier a, de par ses

idées, ses idéaux et ses penchants politiques, connu la fuite, la grève de la faim, la prison. Mais cela ne l’a jamais dévié de ses principes, ni de ses combats démocratiques, lui qui a baigné dans une vie militante dès son jeune âge.

Fils d’un ouvrier d’usine et d’une institutrice, le jeune René entame ses premières activités militantes à partir de 1943, au sein de la Résis-tance.

A peine âgé de 15 ans, il étonne par son courage et son esprit vo-lontariste, ce qui lui vaut plusieurs décorations, notamment la Croix de guerre, à l’âge de 16 ans, un poste de responsable du groupe « jeunes » du clan René Madec, une citation à l’Ordre de la nation par le général de Gaulle pour faits de Résistance en 1944.

Inscrit au lycée de Quimper, il rejoint, à la fin de son cycle secon-daire, l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC), d’où il sort diplômé en réalisation en 1948.

Intégrant le Parti communiste français en 1950 dont il de-

vient fervent militant, il réalise son tout

premier film intitulé

Afrique 50 sur

une de-

mande de la Ligue de l’enseigne-ment. Si le film est initialement destiné à mettre en valeur la mis-sion éducative de la France dans ses colonies, le réalisateur donne

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HistoireGuerre de libération

un tout autre témoignage de ce qu’il constate sur le terrain. Une réa-lité non approuvée par les autorités françaises qui décident d’interdire le film en France pendant plus de 40 ans.

Pour René Vautier, ce sera le pre-mier film d’une longue liste, au tra-vers duquel il affiche ouvertement son anticolonialisme. Bien que considérée comme un chef-d’œuvre du cinéma engagé, cette œuvre vau-dra à son auteur 13 inculpations et une condamnation à la prison. Il est incarcéré à la prison militaire à Saint-Maixent-l’Ecole, puis à Nie-derlahnsein en zone française d’oc-cupation en Allemagne. Il n’en sor-

tira qu’en juin 1952, année où son film est encore une fois salué par les critiques et auréolé de la médaille d’or au festival de Varsovie.

Tournages dans les maquis d’Algérie

Alors qu’il multiplie les tour-nages de films à travers l’Afrique, René Vautier se trouve à Tunis vers la fin 1956, début 1957 où, à la de-mande du gouvernement tunisien, il est chargé de tourner des films sur la nouvelle République indépendante tunisienne. Il est alors introduit par Mahmoud Guennez, dirigeant la première école de cinéma créée à

Tunis par Abane Ramdane, dans la zone V de la Wilaya I, afin de fil-mer les activités des maquisards algériens dans cette zone. Caméra sur l’épaule, il parcourt les Aurès, les Némemchas, jusqu’à la frontière tunisienne.

En février 1958, alors que l’armée française bombardait la ville fronta-lière de Sakiet Sidi Youssef, René Vautier était sur place et en a fait ce témoignage : « Les seuls morts que j’ai filmés, ce sont les morts des bombardements de Sakiet, parce que j’étais là, à côté. J’avais été bles-sé, on me ramenait sur Tunis et on a vu les avions qui allaient bombarder Sakiet Sidi Youssef, qui était un vil-lage en Tunisie à la frontière algéro-tunisienne. Il y avait peut-être une douzaine d’avions. Je suis arrivé à peu près 40 minutes après le bom-bardement et j’étais tout seul comme journaliste, photographe, reporter et j’ai filmé en pleurant comme un veau derrière la caméra, parce qu’il y avait des gens qui venaient faire leur marché, il y avait les camions de la Croix-Rouge française et du Croissant-Rouge algérien qui ve-naient ensemble donner du ravitail-lement ... Qu’est-ce que je vais faire de ces images ? Il fallait les montrer, ne serait-ce que pour mes gosses à moi, pour leur montrer ce que c’est qu’une guerre. » A la suite de cette énième attaque abjecte, Pierre Clé-ment et Djamel Chanderli arrivent immédiatement sur les lieux pour tourner des images sur le vif.

Au printemps de la même année, René Vautier s’envole pour le Caire, où est basée la direction du FLN. Là-bas, il montre toutes ces images

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HistoireGuerre de libération

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rapportées des maquis, des images montrant une Algérie en flammes. La guerre d’Algérie et la lutte du peuple algérien pour son indépen-dance sont ainsi exportées et mon-trées à l’opinion internationale.

Vautier ne s’arrête pas là, il conti-nue à filmer inlassablement, au pé-ril de sa propre vie, allant montrer l’engagement et le sacrifice des com-battants algériens pour le recouvre-ment de leur liberté.

Au lendemain de l’indépendance, un nouveau film documentaire inti-tulé Un peuple en marche viendra faire le bilan de cette guerre meur-trière, à travers l’histoire du Front de libération nationale et l’engagement de tout le peuple pour la construc-tion de cette jeune nation.

Après l’indépendance,l’engagement continue

Installé à Alger dès l’indépen-dance du pays, René Vautier crée le Centre audiovisuel d’Alger, une structure destinée à former les fu-turs cinéastes et techniciens algé-riens. Il y restera jusqu’à son départ en 1966. Egalement secrétaire géné-ral des cinémas populaires, il conti-nue néanmoins à filmer les premiers jours de l’Indépendance algérienne. Reparti en France, il participe en 1968 à l’aventure du Groupe Medve-dkine (collectifs cinéastes-ouvriers), avant de fonder, deux ans plus tard, l’Unité de production cinématogra-phique Bretagne (UPCB) dans la perspective de « filmer au pays ».

C’est cette même année que son film Avoir vingt ans dans les Aurès

obtient le Prix inter-national de la critique au festival de Cannes. Engagé en tant que producteur sur un autre film documen-taire, Octobre à Pa-ris où le réalisateur Jacques Panijel revient sur le massacre des Algériens à Paris le 17 octobre 1961 par les forces de police sous les ordres de Maurice Papon, René Vautier tente d’obtenir un visa d’exploitation. Mais les autorités françaises refusent. Il entame alors une grève de la faim, il finit par faire cesser la censure poli-tique au cinéma en France au terme de 33 jours de grève de la faim. En 1974, il reçoit un hommage spécial du jury du Film antiraciste pour l’ensemble de son œuvre.

Dix ans plus tard, il fonde « Images sans chaînes », une société de production indépendante et poursuit son travail de cinéaste en tournant divers documentaires entre la France et l’Algérie, princi-palement des documentaires sur l’immigration, la citoyenneté fran-çaise, le racisme en France, etc. Il expliquera qu’il s’est toujours attelé à mettre « l’image et le son à dis-position de ceux à qui les pouvoirs établis les refusent », pour montrer « ce que sont les gens et ce qu’ils sou-haitent ».

René Vautier reçoit plusieurs dis-tinctions, dont le Grand Prix de la

Société civile des auteurs multimé-dia (SCAM) pour l’ensemble de son œuvre en 1998.

En novembre 2014, un vibrant hommage lui est rendu par la Ciné-mathèque algérienne, à l’occasion du 60e anniversaire du déclenche-ment de la lutte armée pour l’indé-pendance de l’Algérie. La même année, il réalise avec sa fille Moïra Chappedelaine-Vautier un film documentaire intitulé : « Histoires d’images, Images d’Histoire », ce sera son ultime film.

Cinéaste dont la bravoure légen-daire avait été saluée par plus d’un, René Vautier avait fait de cette cita-tion d’Eluard son crédo : « Je filme ce que je vois, ce que je sais, ce qui est vrai ». Il y est resté fidèle jusqu’à sa mort.

Hassina Amrouni

rené Vautier

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Décès de la moudjahidajACqUElINE GUERROUdj

Une vie de combat Elle était la doyenne des

anciennes condamnées à

mort algériennes, Jacqueline

Guerroudj n’est plus. Elle nous a

quittés le 18 janvier à l’âge de 96 ans.

Par hassina amrouni

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HistoireGuerre de libération

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Née en 1919 à Rouen, dans le nord-ouest de la France, au sein d’une famille de condition modeste, elle mène une vie des plus simples. Arrivée au bac, jacqueline Netter décide d’étudier la philosophie. Son père n’est pas très enthousiaste à l’idée et le lui dit : « Ce n’est pas avec ça que tu vas gagner ta vie, fais du droit comme ça tu pourras trouver un débouché. » Même si ses parents ne lui ont jamais rien imposé, respectant ses choix et ses idées, jacqueline fera philo et droit. Passionnée de voyages car, comme elle aimait à le dire « ils instruisent la jeunesse », jacqueline a parcouru plusieurs pays, allant à la rencontre des gens, apprenant beaucoup à leur contact. Elle sera particulière-ment marquée par un séjour effectué au Sénégal, où elle avait été affectée en tant qu’institutrice. « j’étais à Saint-louis au Sé-négal et là, j’ai fait la connaissance de Senghor et Alioune diop qui allaient devenir d’illustres personnages par la suite. j’avais déjà compris ce que c’était la colonie », confiera-t-elle.

Lorsqu’éclate la Se-conde Guerre mon-diale, elle vivra cette période avec beau-coup de questionne-

ments et de remises en question. Peu après, plus précisément en 1948, elle débarque en Algérie où elle est envoyée en tant qu’insti-tutrice à Négrier actuelle Che-touane, commune de Tlemcen. Là, on lui attribue une classe unique de 50 élèves. Au cours de son séjour, dans ce village de cam-pagne, elle est marquée par la dure condition de vie des paysans algé-riens ainsi que par le traitement inique auquel ils avaient droit de la part des colons français – ses compatriotes. Jacqueline prend

alors véritablement conscience de ce qui se passait en Algérie, on était loin de la mission civilisa-trice qu’on invoquait en haut lieu. Elle confiera à ce sujet : « Le fait colonial quand vous ne l’avez pas vécu, vous ne pouvez pas savoir ce que c’est comme souffrances… J’ai lutté contre une situation que je ne pouvais pas ratifier et pour laquelle je ne voulais pas endosser la responsabilité.» Et d’ajouter : « Quand j’ai foulé le sol algérien, je n’avais aucune appartenance poli-tique. J’avais des orientations, des instincts mais je n’étais structurée dans aucun parti, et par consé-quent, je n’avais pas de capacité d’analyse ». En côtoyant des par-tisans communistes algériens,

jacqueline Guerroudj

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HistoireGuerre de libération

elle finit par adhérer à leurs idées. « Mon entourage était essentielle-ment communiste, ce n’était pas le hasard, mais le jeu des affini-tés. J’étais d’accord avec l’analyse faite par mes futurs camarades qui, contrairement à ce qu’on dit souvent, posaient l’indépendance de l’Algérie comme condition préalable à toute amélioration de la situation. J’étais d’accord aussi avec l’attention qu’ils portaient aux conditions de vie des plus défavorisées et j’appréciais la lutte constante et efficace qu’ils me-naient à leur côté. Au contact des paysans, j’ai beaucoup appris de la vie à Tlemcen, c’était la période la plus féconde de mon existence. Je dois préciser que je n’avais pas adhéré au Parti communiste fran-çais quand je vivais en France. Je ne me sentais sans doute pas assez impliquée pour ressentir le besoin de militer. » Mais la situation délé-tère de la population algérienne sous le joug colonial lui imposera de s’impliquer pleinement dans la vie partisane puis dans la lutte.

Jacqueline expliquera que son adhésion au Parti communiste algérien « était le fruit de mes premiers contacts avec la réalité coloniale qui m’obligeait à prendre position pour ne pas être complice ». C’est auprès de la classe rurale de la région qu’elle commence à militer. « Leur aptitude, alors qu’ils étaient quasiment illettrés et géographiquement isolés, à la réflexion, à l’organisation efficace et à l’entraide, était surprenante », indiquera-t-elle encore.

Bien que les noyaux commu-nistes ne soient pas assez nombreux pour pouvoir exercer une pression quelconque ou une influence sur les événements, Jacqueline, son mari Djilali et leurs cinq enfants sont expulsés par le préfet d’Oran. Ils embarquent alors sur un bateau en partance pour la France. Selon Jacqueline, « les autorités avaient été effrayées par la force qui éma-nait de l’organisation et des activi-tés des fellahs communistes de la région ».

Quelques mois plus tard, au dé-but de l’année 1956, ils obtiennent l’annulation de la détention de bannissement, en lui interdisant toutefois de s’établir dans l’Ora-nie. « J’avais quitté la France, à une époque où il faisait si froid que le linge gelait sur les cordes où je l’étendais pour sécher et devenait raide comme de la tôle. L’arrivée à Alger a été un éblouissement, la baie d’Alger, d’abord puis la plage de Aïn Taya sous le soleil, le ciel bleu pur, le temps doux et ce pre-mier bain délicieux, revigorant.»

jacqueline Guerroudj

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HistoireGuerre de libération

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Djillali, son mari était responsable pour Alger des combattants de la libération, organisation armée du PCA et Jacqueline était son agent de liaison.

De retour en Algérie, les acti-vités militantes deviennent « clan-destines ». Jacqueline était chargée de transmettre des instructions orales et écrites, de ramener des rapports, de transporter des faux-papiers, des armes et des bombes. « La tâche m’était grandement faci-litée parce que j’étais une femme d’origine européenne et d’aspect inoffensif », témoignera-t-elle en-core.

En juillet 1956, le PCA décide de remettre ses forces armées au FLN, sans se dissoudre en tant que formation politique. « Nos groupes étaient donc maintenus intacts mais ils étaient désormais rattachés au responsable FLN de la zone autonome Yacef Saâdi ».

jacqueline évoque

Fernand Yveton

Jacqueline prend part aux opé-rations kamikazes, elle sera notam-ment impliquée dans le projet d’at-tentat, avec Fernand Iveton, visant l’usine à gaz du Hamma, en février 1957. L’objectif était « de placer des bombes sous des tuyaux, à un endroit choisi pour que les dégâts empêchent l’usine de fonctionner, privant ainsi Alger d’électricité. Il n’a jamais été question, contraire-ment à ce qu’affirme Yacef Saâdi, de faire sauter le réservoir de gaz ; la déflagration aurait fait sauter tout le quartier àlentour, dont la

Le gazomètre de l’usine de gaz du Hamma

A la sortie du commissariat d’Alger, brisé par les tortures, le crâne rasé

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HistoireGuerre de libération

population était essentiellement musulmane », écrit encore Jacque-line Guerroudj dans son ouvrage. Et de préciser encore : « Iveton a exprimé à deux reprises son souci de ne tuer personne. Il a proposé que les bombes soient réglées pour exploser après la sortie des ouvriers à dix-huit heures… » Malheureu-sement, l’attentat sera déjoué car, comme l’expliquera encore la mou-djahida, Iveton avait mis sa musette contenant la bombe au placard, en arrivant à l’usine mais « un contre-maître qui se méfiait de lui et qui le surveillait, a entendu le tic-tac du réveil et a prévenu la police. Iveton a été atrocement torturé pour dire où se trouvait la seconde bombe ».

Il donnera de faux renseignements et ne parle pas de ses complices.

Dénonçant la campagne men-songère menée par la police et les médias français à l’encontre de son camarade, Jacqueline rétablira la vérité : « La thèse selon laquelle Iveton était un tueur a été soigneu-sement cultivée et brandie par la police et la justice, en toute mau-vaise foi. Ils n’ont pas tenu compte des déclarations que j’ai faites quand j’ai été arrêtée en janvier 1957. Je n’ai jamais été confrontée à Iveton, dont on aurait dû réviser le procès (…). Il est mort le 2 février 1957 pour que l’Algérie soit indé-pendante, et il l’a proclamé sous la guillotine. Il a été exécuté avec

Mohamed Ouennouri et Moha-med Lakhmèche ».

Quelques mois plus tard, Jac-queline Guerroudj et son mari seront arrêtés. Un an plus tard, ce sera au tour de sa fille Djamila d’être prise alors qu’elle était au maquis.

Univers carcéral

« Ma vie a basculé, je suis pas-sée d’un monde en guerre, dan-gereux, mais normal, avec des hommes, des femmes, des enfants où les murs sont des abris, à cet univers carcéral, monstrueux dans son principe même ». Cependant, dès son arrivée en prison, Jacque-

Fernand Iveton en famille avec son épouse Hélène et leur fils Jean-Claude

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( 82 )Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA.

HistoireGuerre de libération

Supplément N° 32- Février 2015.

line est chaleureusement accueillie par ses sœurs de combat : les Dja-mila, Zhor, Ghania, Djouher, Fa-déla, Houria, Malika et les autres. « C’était fabuleux de se retrouver aussi bien au chaud, dans une vraie famille, alors que je pensais atterrir dans quelque geôle sombre et soli-taire ».

En 1961, après les Accords d’Evian, les prisonniers politiques algériens étaient libres. Les femmes retrouvaient enfin leurs siens sauf Jacqueline et sa fille Djamila. « La justice estimait que nous étions d’origine française, on ne devait pas nous faire bénéficier de cette mesure, que nous devions être assimilées à des ‘droit commun’ et accomplir la peine à laquelle nous avions été condamnées ». Son mari mènera un combat à sa manière pour faire libérer Jacqueline et sa fille. Il enverra des lettres de pro-testation et refusera de quitter la prison, avant qu’elles ne le soient elles aussi.

Finalement, elles accèderont à la liberté, d’abord elles, puis Dji-lali.

Au lendemain de l’indépen-dance, Jacqueline Guerroudj tra-vaillera à la Faculté d’Alger en tant que bibliothécaire. Avec son mari et leur enfants, ils mèneront une vie simple, sur les hauteurs d’Alger ; Alger qu’elle ne quittera jamais jusqu’à sa mort.

Hassina Amrouni

Sources -Jacqueline Guerroudj, « Des douars et des

prisons », ed. Bouchene, Alger 1993, 150 pages-El Watan (mai 2009)

-Le Matin (1993)

jaqueline Guerroudj

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Par Hassina Amrouni

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Histoire d'une ville

Supplément N° 32 - Février 2015.( 84 )Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .

AinE

l Beid

a

D’ailleurs, le nom de Aïn-Beïda ou « source blanche », indique que l’on pouvait s’y désaltérer d’une eau claire et fraîche, avant de reprendre

son chemin.Située à 110 km au sud-est de la ville de

Constantine sur les hauts-plateaux des Se-bkhas, la région de Aïn-Beïda sera peuplée depuis la nuit des temps, en témoignent ces ruines mégalithiques découvertes sur place.

La ville de Aïn-Beïda a été érigée sur les ruines de l’antique Marcimeni. De cette an-

cienne province numide sub-sisteront quelques vestiges tels qu’un temple dédié à Hercule, plusieurs inscrip-tions latines, un carreau de terre cuite datant de l’époque romaine, des rampes de basse époque ainsi que divers objets usuels offrant un aperçu sur le quotidien de ses habitants à cette époque lointaine de l’histoire. La ville tombe aux mains des Vandales en 439, elle restera sous leur domina-tion jusqu’en 533, à la faveur d’un traité datant de 442 et établi entre Valentinien III et le roi vandale Genséric, à

travers lequel l’empereur romain cède les pro-vinces de la proconsulaire de Byzacène et la moitié Est de la Numidie.

Avènement de l’islam dans la région

A l’époque de l’invasion musulmane, le fond de la population appartenait à la tribu des Houara, une tribu guerrière berbère tri-politaine. Après sa dispersion à travers tout le Maghreb, une partie des Houara se mêla à la

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Histoire d'une

ville

www.memoria.dzLA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 85 )

tribu arabe de Soleim, adoptant par la même leur langue ainsi que leurs us et coutumes. Cette der-nière, dominée par la famille des Kaoub, exerçait une domination tant religieuse que politique sur les autres membres de la tribu qu’ils parvinrent à s’extraire à l’influence hafside de Tunis. Vers le XIVe siècle, ils proclament leur indépendance du pouvoir hafside et prennent le nom de leur pays d’adoption, en l’occurrence Chabbia, une

confédération qui étend son hégémonie de l’Ifri-kiya jusqu’aux environs de Constantine et des Ziban jusqu’au littoral d’El Kala.

A la faveur de bouleversements politiques et de guerres intestines, d’autres familles vont, dès le XVIe siècle, se mettre en tête de partisans comme les Hanencha, Nemamcha, Harakta, Se-gnia ou Kherareb afin de se libérer de la domi-nation des Chabbia.

AinE

l Beida

La mosquée de la ville, El-Attik actuellement

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Histoire d'une ville

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AinE

l Beid

a

De nombreuses familles Houara trouvent refuge dans les montagnes des Aurès avant de fusionner, dans le temps, avec des familles de la plaine de Aïn-Beïda.

Après la prise de Constantine par les Turcs, ils s’allient aux Harakta et proposent à leur chef Ben Oumet-Allah d’accepter un bur-nous d’investiture en échange de quoi il rece-vrait le commandement de tout le pays allant de Constantine-Guelma jusqu’à Bône. A son retour dans sa région, il essuie des critiques et finit même par être assassiné. Les Harakta choisissent ensuite un chef parmi les familles les plus représentatives, à savoir les Ouled Sioun ou les Ouled Amara, mais cela n’amè-nera pas pour autant la paix dans la région qui vivra dans une atmosphère trouble jusqu’au XVIIIe siècle. En effet, vers 1720, le bey de Constantine s’allie à cette tribu, en faisant élire à sa tête l’un de ses fils, le caïd El Aouissi. Cela ne fera pas forcément plaisir aux Harakta qui ne tarderont pas à se révolter et à se heurter au beylick.

Arrivés en Algérie, les Français donnent naissance à la ville de Aïn-Beïda en 1855, sur les ruines de l’antique Marcimeni. A cette époque, les autochtones sont des tribus nomades et n’ont pas cette tradition de la sédentarité. Leur nombre avoisinait les 28000 personnes dont 7000 guerriers. Ce sont ces mêmes guerriers qui repoussent en 1838 une tentative d’incur-

sion menée par le général Négrier et qui récidivent une année plus tard face aux hommes du général Galbois.

Mais il faut noter que les Français ne s’implanteront dans cette région qu’à partir du 23 mars 1848.

Deux bordjs furent ainsi érigés dont l’un fera office de résidence du khalifat de Si Ali Ba Ahmed, chargé du commandement de la tribu des Harakta. Cependant, ce

dernier sera dépossédé de son titre, suite à la révolte des tribus de l’est en juin 1852 et sera remplacé par le capitaine Bonvalet. En 1853, la localité ne se composait encore de quelques ba-raques, entourées de jardins. Mais elle connaî-tra vite un essor, englobant près d’une centaine de maisons bâties selon le tracé du génie mili-taire mais aussi un marché arabe et un village « nègre ». Elevée au rang de commune en 1868, Aïn-Beïda comptera une population de 4051 habitants dont 386 Français. Cependant, dès 1880 et suite à la suppression du commandant supérieur des Harakta, trois communes mixtes voient le jour, en l’occurrence Sedrata, Meskia-na et Conrobert (actuelle Oum El-Bouaghi).

Jusqu’en 1948, les trois communautés qui constituaient la population de Ain Beïda comptaient 26000 musulmans, une impor-tante communauté juive de 6000 personnes et 4000 Européens fonctionnaires, commer-çants et propriétaires terriens mais surtout une majorité d’autochtones qui seront expropriés de leurs terres, privés de leurs biens, délestés de leurs droits et humiliés au quotidien. Ceci jusqu’au déclenchement de la lutte armée qui, en débutant un certain 1er novembre 1954, aboutira sept ans plus tard à la libération de tout le peuple algérien du joug colonial.

Hassina Amrouni

Diligence Arabe

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Histoire d'une

ville

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Patrimoine d’Aïn-Beïda

Du matériel et de l’immatériel

Capitale des Harakta, Aïn-Beida possède un riche pa-trimoine matériel et immatériel que les Beïdis se trans-mettent de génération en génération afin de le pérenni-ser et de le sauver de l’oubli.

Par Hassina Amrouni

L’ancien marché de la ville

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AinE

l Beid

a Outre les pierres héritées du passé et qui racontent des pans entiers de l’histoire millénaire de la région, comme le parc

archéologique de Aïn-Beïda, hérité de l’antique Marcimeni ou encore les mosquées, les zaouïas, le théâtre, la gare, le marché de la ville et on en oublie encore dont les plus récents remontent au XIXe siècle de notre ère, Aïn-Beïda est également connue pour sa poterie traditionnelle, notamment ses célèbres tadjines sur lesquels les femmes de la région préparent les délicieuses galettes ou encore les pâtes entrant dans la confection d’un célèbre plat de la région, en l’occurrence la chekhchoukha, sans oublier la berboucha,…

Cependant, il est indéniable que c’est pour son célèbre tapis traditionnel, connu sous le nom de tapis des Harakta, que Aïn-Beïda fait plus parler d’elle. En effet, en raison de sa vocation agro-pastorale, la région a vu le tissage se développer dans la région où, à une certaine époque, il était facile de s’approvisionner localement en laine. Outre le tapis, Aïn-Beïda s’est fait connaître par la confection d’habits traditionnels en laine pure comme le burnous, la kachabiya, la mlahfa…

Malheureusement, pour des raisons multiples, à commencer par le manque de matière première, sa cherté et une relève qui s’est étiolée au fil du temps, le tissage à Aïn Beïda d’une manière générale et le tapis des Harakta, plus particulièrement sont aujourd’hui, menacés de disparition. Les difficultés multiples ont fini par décourager les plus téméraires. Gageons que l’ouverture d’une maison de l’artisanat à Aïn-Beïda en début d’année, suscitera un regain d’intérêt pour les métiers de la laine.

Hassina Amrouni Photos de l’ancienne ville

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Histoire d'une

ville

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Aïssa El-Djermouni Le chantre de la chanson chaouie

Connu pour être l’un des portes-flambeau de la

chanson chaouie, le chantre Aïssa El-Djermouni a eu un parcours

artistique remarquable,

transportant la guesba

et le guellal sur les plus

prestigieuses scènes

mondiales.

Par Hassina Amrouni

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AinE

l Beid

a Né à Sidi Rghis (Mechta Ali Ouidir Oum El Baouaghi, à quelques

kilomètres de Ain-Beida), en 1885, Aissa El Djermouni est, en effet, le premier artiste arabe, voire africain à s’être produit sur la scène mythique de l’Olympia.

Son frère aîné, qui aimait chanter en gardant le troupeau, encouragera son cadet qui avait à l’époque 6 ans, à en faire de même d’autant qu’il avait une voix qui s’y prêtait bien. Dix ans plus tard, le jeune homme est déjà connu dans toute la région où il chante toujours accompagné de son cousin, le virtuose de la flûte Hadj Mohamed Ben Zine Tir. Entre 1901-1902, les deux jeunes hommes commencent par se produire dans les fêtes de mariage à Aïn-Beïda, puis sur les terrasses de café où ils sont applaudis chaleureusement par le public. Le succès est au rendez-vous et les invitations pour se produire en dehors de leur ville natale commencent à pleuvoir. Ils animent des soirées à Annaba, Sétif, Guelma, Biskra…

Il enregistre sa première chanson « Ya Hadda Khouiti ma t’gouliche ikhaf » en 1930 en Tunisie. Dans cette chanson, il loue un rebelle –Ben Zelmat- retranché dans les montagnes des Aurès. Viendront d’autres chansons dans des thématiques similaires où il fait fi des lois du colonisateur. En 1936, il se rend à France, il chante à l’Olympia, enregistre un 78-tours. De retour en Algérie, il poursuit ses tournées, se marie avec sa cousine qui lui donne deux filles. Mais lorsque celle-ci décède (à l’âge de 26 ans), il se remarie avec la fille d’un Européen converti à l’islam. Louisa Ferrari lui donnera trois autres filles. Il meurt le 16 décembre 1946 à Aïn-Beïda, à l’âge de 61 ans des suites d’une maladie. Il repose au cimetière de Aïn-Beïda. Il laisse derrière lui un riche répertoire dont plus d’une trentaine de titres enregistrés.

Hassina Amrouni Source :Amar Khamar Jeudi 18 Avril 2002.

El Harkati

Ali el-Khencheli avec sa troupe

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ville

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Personnalités d’Aïn BeïdaTerreau d’homme de culture

NATIFS DE AÏN-BEÏDA, LA CAPITALE DES HARAKTA, RACHID BOUDJEDRA, MOHAMED EL-AÏD AL-KHALIFA, HAFSA ZINAI KOUDIL, RACHID KORAICHI, ABDELOUHAB SALIM OU ENCORE AÏSSA EL DJERMOUNI, POUR NE CITER QUE CES QUELQUES NOMS PARMI LES DIZAINES D’AUTRES, SONT CONSIDÉRÉS COMME DES FIGURES DE PROUE DU PAYSAGE INTELLECTUEL ALGÉRIEN.

Par Hassina Amrouni

Mohamed Laïd el-Khalifa

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AinE

l Beid

a

Chacun d’eux a, grâce à son génie créatif, gravé son nom sur les tablettes de la culture nationale, devenant pour certains des références incontournables pour des générations d’Algériens.

AL-KHALIFA, LE POÈTE RÉFORMATEUR

Considéré avec Moufdi Zakaria comme le plus grand poète algérien de langue arabe, Mohamed Laïd Al-Khalifa est né à Aïn-Beïda en 1904. Poète réformateur, il fut l’un des membres influents de l’association des oulémas musulmans algériens et ce, dès sa création en 1931. Formé à l’université de la Zitouna, il revient en Algérie où il enseigne à la médersa de Biskra région où ses parents se sont fixés quelques années auparavant. En parallèle, il écrit dans plusieurs journaux réformistes tels que Sada Sabra, Al Muntaqid, Al Chihab et Al Islah. Il occupera ensuite pendant dix ans le poste de directeur de la médersa de la Jeunesse musulmane d’Alger, participera également à la création de l’association des oulémas

musulmans algériens. Au début de la Seconde Guerre mondiale, il part pour Biskra, Batna, avant de s’installer à Aïn M’lila et ce, jusqu’au déclenchement de la guerre de libération nationale. Arrêté à plusieurs reprises, il sera emprisonné à Constantine où il rencontre le chahid Mostefa Benboulaïd, avant d’être assigné à résidence à Biskra jusqu’à l’indépendance.

KORAÏCHI, ZINAÏ, SALIM, LES ARTISTES

Ils sont tous artistes mais dans des domaines d’expression différents. Rachid Koraïchi est un artiste plasticien contemporain qui, après

des études à l’Ecole des beaux-arts d’Alger, est parti préparer un autre diplôme à l’Ecole

Mohamed Laïd el-Khalifa

Rachid Koreïchi

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Histoire d'une

ville

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Ain E

l Beida

nationale supérieure des arts décoratifs de Paris. Exposant depuis les années 1970 un peu partout à travers le monde, il est considéré comme l’un des peintres majeurs de la scène plastique contemporaine algérienne. Très imprégné de culture soufie, il travaille beaucoup autour du signe, ses peintures souvent accompagnées de poèmes d’auteurs célèbres comme Massoudy…

Née en 1951, Hafsa Zinaï Koudil a d’abord été romancière (La fin d’un rêve, Le papillon ne volera plus, Le pari perdu) avant de bifurquer vers le cinéma, réalisant un long métrage (Le démon au féminin), pour lequel elle obtiendra une distinction au festival d’Amiens.

Exposition de Rachid Koreïchi

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AinE

l Beid

aLe regretté Abdelwahab Salim

de son vrai nom Abdelwahab Chahati est considéré comme l’un des grands maestro algériens. Né en 1931, il se passionne très jeune pour la musique mais ne pouvant se payer des cours, il n’entrera au conservatoire qu’après l’indépendance. Il obtiendra en tout cinq diplômes du Conservatoire d’Alger dont celui de chef d’orchestre symphonique international. Depuis, il dirige plusieurs orchestres nationaux et étrangers. Passionné de musique orientale, au début de sa carrière, il s’orientera, à partir des années 1970, vers le patrimoine musical algérien surtout le style arabo-andalou. Décédé en 1999 et enterré à Bou-Ismaïl où il a vécu les dernières années de sa vie, le Centre culturel du Chenoua (Tipasa) porte son nom.

De nombreuses autres personnalités natives d’Aïn-Beïda sont considérées aujourd’hui comme les ambassadeurs de leur région natale, comme le célèbre écrivain Rachid Boudjedra, l’écrivain et universitaire Mohamed-Lakhdar Maougal, l’ancien ministre de l’Education Aboubakr Benbouzid,…

Hassina Amrouni

Rachid Boudjedra

Zinaï Koudil Hafsa

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ville

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Portrait de

Hadj Belgacem Zinaï

Homme de savoir et révolutionnaire

Mohamed ben Tahar ben Ahmed ben Ali Zinaï fait partie des grands personnages de la ville de Aïn-Beïda. Connu pour sa grande religiosité, sa grande érudition, il a baigné dans un environnement sain, fait de piété et de quête du savoir et ce, dès son jeune âge.

Par Hassina Amrouni

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AinE

l Beid

a Natif de Hanchir Douames douar Oued Nini (Fkirina) dans la commune de Aïn-Beida, où il a vu le jour le 29 janvier 1903, il rejoint

la zaouïa de son grand-père où il est initié au Coran, avant d’aller à Aïn-Beïda, puis Constantine, plus précisément à la Kettania ainsi que la mosquée « El Akhdar » auprès de cheikh Abdelhamid Ibn Badis dont il sera l’élève.

Enrôlé en 1920 par l’armée coloniale pour l’accomplissement du service militaire, il effectue d’abord un séjour au plateau de Mansourah à Constantine, avant d’être envoyé en France et en Allemagne. Le jeune homme fera la connaissance de compatriotes venus de différentes régions d’Algérie, avec eux, il découvrira « le bouillonnement des nationalismes de l’Europe » au lendemain de la Première Guerre mondiale. A la fin de son service, il reprend ses études à Constantine avant de faire la rencontre à Aïn Beïda de l’Emir Khaled, petit-fils de l’Emir Abdelkader et fondateur de l’Etoile Nord-africaine.

A la fin des années 1920, il intègre la prestigieuse université de la Zeitouna à Tunis, où il parfait son instruction. Mais à cette époque, cette université et la capitale tunisoise sont les plaques tournantes du nationalisme arabe et les militants ont pour habitude de se retrouver et de débattre de leurs idées au café Dinar dont le propriétaire n’est

autre que le père de l’écrivain Rachid Boudjedra. Une fois son diplôme en poche, Mohamed Zinaï met le cap sur Damas, pour d’autres formations instructives, il en profite pour visiter El Qods Eccharif avant de poser ses malles à El Madina El Mounaouara pour un long séjour, couronné par un pèlerinage à la Mecque.

Naissance de l’association des Oulémas

Dès son retour au pays, Mohamed Zinaï assiste à la création de l’association des oulémas algériens sous l’impulsion des cheikhs Ibn Badis, Kheireddine, El Ibrahimi, El Okbi et El Mili. Il créé à son tour la médersa de Aïn Beïda qui sera inaugurée par l’imam Ibn Badis. El Hadj Zinaï, qui en est le premier responsable, y dispense aussi les cours, faisant très vite de cet établissement un haut lieu de savoir et de science mais aussi un espace où se développe le nationalisme à Aïn-Beïda. C’est donc tout logiquement que Mohamed Zinaï adhère au Parti du peuple algérien (PPA) et dès lors, il sera désigné sous le nom d’ « El Hadj Belgacem El Baidhaoui » par les adhérents et militants du PPA. Se faisant très vite remarquer par ses prises de position et ses engagements, il est arrêté le 8 mai 1945 lors des sanglants événements qui ont fait des dizaines de milliers de morts et sera emprisonné à Djeniene Bou Rezg (Aïn Sefra). Après sa libération, le PPA a déjà été dissout par les autorités coloniales remplacé

Hadj Belgacem Zinaï

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Histoire d'une

ville

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AinE

l Beida

par Messali Hadj par le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques MTLD, toujours avec les même cadres et militants du PPA.

En 1947, il se fait élire sur la liste MTLD à Aïn-Beïa mais en raison de la fraude généralisée des émeutes s’en suivront. El Hadj Belgacem est arrêté et assigné à résidence à Afflou. Après sa libération, il sera à nouveau arrêté suite aux événements de Tébessa. Sa médersa sera fermée sur ordre de la préfecture de Constantine mais il se mobilisera énergiquement pour sa réouverture ce qui lui vaudra, de la part des militants du parti, le surnom de « préfet de Constantine ».

Lors du conflit qui éclatera au sein du parti entre centralistes et messalistes, Hadj Belgacem pèsera de tout son poids pour réunifier les rangs. Cependant, lorsque Mostefa Benboulaïd l’informe de l’existence

Association des Oulémas

Cheikh Bachir El-Ibrahimi

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AinE

l Beid

ad’une troisième voie (ni centralistes ni messalistes et passage immédiat à la lutte armée), il obtient de Boudiaf, Ben Mhidi, Benboulaïd et Didouche de le laisser faire une tentative auprès de Messali Hadj pour l’amener à l’union et à la déclaration de la révolution car jouissant d’une grande aura au niveau international et arabe. Le 23 février 1953, il se rend, en compagnie de Mostefa Benboulaïd à Niort pour négocier avec Messali Hadj, cependant ce dernier se montrera intransigeant avec les centralistes, voulant leur abdication, sinon leur radiation.

El Hadj Belgacem retentera une autre médiation en juillet 1954 mais en vain. Il rendra compte de l’échec de sa mission à Didouche Mourad et lui fera part de son adhésion à l’idée d’un engagement dans la lutte armée.

Déclenchement de la Révolution algérienne

Pleinement engagé dans la lutte de libération nationale, cheikh Belgacem entreprend d’abord de fixer les objectifs aux militants montés au front avant de se préparer lui aussi à monter au maquis. Toutefois, il est arrêté le 21 décembre 1954 et transféré à Skikda où il subira d’atroces séances de torture. Il ne sera jugé que le 16 avril 1955 par le tribunal militaire de Skikda qui prononce à son encontre une peine de 10 ans d’emprisonnement, assorti de 10 ans de privation de droits civiques et 10 ans d’interdiction de séjour, jugé à nouveau pour atteinte à la sécurité de l’Etat à Guelma cumulant en définitive 30 années de peine. Transféré à la prison du Coudiat, il a pour voisins de cellule Mostefa Benboulaïd, Tahar Z’biri et le groupe de condamnés à mort. C’est ensemble qu’ils fomenteront leur

plan d’évasion et nombreux sont ceux qui tomberont au champ d’honneur.

Hadj Belgacem est transféré à Lambèse où il se fera remarquer par son indocilité et son esprit de rébellion. Il y restera jusqu’en 1961, année à laquelle il sera à nouveau renvoyé à la prison de Skikda. Durant sa période de détention, il ne manquera pas de faire un travail de sensibilisation auprès des détenus, notamment ceux de droit commun afin de les amener à s’engager dans la bataille. Il ne retrouvera la liberté qu’après les accords d’Evian et le cessez-le-feu du 19 mars. Il retourne dans sa ville natale où il sera accueilli avec les honneurs.

Au lendemain de l’indépendance

Après le recouvrement de l’indépendance de l’Algérie, Tedjini Haddam, alors ministre des Habous, lui propose le poste d’inspecteur général des Habous dans les Oasis (Sahara oriental) avec poste à Touggourt puis à Biskra. Après 1965, il démissionne pour se consacrer exclusivement à l’enseignement.

Hadj Belgacem s’engagera également dans la construction de la mosquée du quartier Bab El Kantara de Constantine et sera également à l’origine de la construction de la mosquée Emir Abdelkader de la même ville. Pour cela, il sollicite des personnalités algériennes à l’image du président Houari Boumediene qui lui transmet un chèque de 300 000 DA. Alors que le projet de cette mosquée est en voie de finalisation, il tombe malade. Il meurt le 27 mars 1969 et sera enterré à Aïn Beïda au milieu d’une foule très nombreuse.

Hassina Amrouni

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Jacqueline Netter Guerroudjdécédée le 18 janvier 2015