Lettre Culture Sciences N°26

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MARS 2016 26 Le Costa Rica a produit suffisamment d’énergie non polluante pour fonctionner en autonomie 75 jours d’affilée, début 2015. La Chine, elle, vit au contraire des périodes « d’airpocalypse », terme désormais employé pour décrire les pics de pollution record enregistrés à Pékin. Pourquoi, alors que la technologie semble mature, dans la majeure partie des grands pays industrialisés, la « révolution verte » semble toujours devoir se cantonner à un temps futur ? En partie, parce que réussir sa transition énergétique nécessite des ajustements insoupçonnés du consommateur. Si l’insuffisance d’incitations financières, les barrières idéologiques et les freins économiques jouent leur rôle, ils n’expliquent pas tout. Il ne suffit pas d’installer des éoliennes et des cellules photovoltaïques pour changer de modèle de production énergétique. « Il faut pouvoir intégrer efficacement ces unités de production au réseau », explique le Pr. Georges Kariniotakis, directeur de recherches au Centre Procédés, Énergies renouvelables et Systèmes énergétiques (PERSEE) de MINES Paris Tech. Il faut en quelque sorte lui ajouter une « couche d’intelligence », le rendre plus souple et plus dynamique, améliorer sa capacité d’adaptation. C’est pourquoi les spécialistes et les médias parlent désormais de « réseaux intelligents » ou de « smart grids » pour des villes, des quartiers voire des campus. En juin 2015, Université Côte d’Azur a ainsi obtenu, avec Saclay, Grenoble et Lille le label « Smart campus ». Les quatre sites forment, depuis, un « méta campus » avec chacun ses spécificités. Néanmoins, dans la quête vers un futur plus vertueux, les chercheurs bûchent sur l’intégration des énergies renouvelables depuis des années. Un de leurs défis à d’abord consisté à mettre au point des capteurs, autrement dit des objets capables de transmettre des informations en vrac et en continu, relatives à la consommation, mais également à la production ou même à… la météo. Ce type de projet a valu à Gilles Jacquemod, Professeur à Polytech Nice Sophia, le trophée de la recherche publique Energie-Environnement-Climat 2015. Avec le programme CoCoE (Contrôle de la Consommation Electrique), le chercheur souhaitait élaborer un appareil efficace pour évaluer la consommation électrique d’une façon assez fine, c’est-à-dire avec suffisamment de détails. Une information fine pour des consommateurs éclairés « La technologie, développée, en partenariat avec la société Qualisteo, consiste à placer un seul capteur sur l’arrivée électrique d’un bâtiment. Sciences Culture La Lettre Vers une transition énergetique intelligente

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une publication de l'Université Nice Sophia Antipolis

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Le Costa Rica a produit suffi samment d’énergie non polluante pour fonctionner en autonomie 75 jours d’affi lée, début 2015. La Chine, elle, vit au contraire des périodes « d’airpocalypse », terme désormais employé pour décrire les pics de pollution record enregistrés à Pékin. Pourquoi, alors que la technologie semble mature, dans la majeure partie des grands pays industrialisés, la « révolution verte » semble toujours devoir se cantonner à un temps futur ? En partie, parce que réussir sa transition énergétique nécessite des ajustements insoupçonnés du consommateur. Si l’insuffi sance d’incitations fi nancières, les barrières idéologiques et les freins économiques jouent leur rôle, ils n’expliquent pas tout. Il ne suffi t pas d’installer des éoliennes et des cellules photovoltaïques pour changer de modèle de production énergétique. « Il faut pouvoir intégrer effi cacement ces unités de production au réseau », explique le Pr. Georges Kariniotakis, directeur de recherches au Centre Procédés, Énergies renouvelables et Systèmes énergétiques (PERSEE) de MINES Paris Tech. Il faut en quelque sorte lui ajouter une « couche d’intelligence », le rendre plus souple et plus dynamique, améliorer sa capacité d’adaptation. C’est pourquoi les spécialistes et les médias parlent désormais de « réseaux intelligents » ou de « smart grids » pour des villes, des quartiers voire des campus. En juin 2015, Université Côte d’Azur a

ainsi obtenu, avec Saclay, Grenoble et Lille le label « Smart campus ». Les quatre sites forment, depuis, un « méta campus » avec chacun ses spécifi cités. Néanmoins, dans la quête vers un futur plus vertueux, les chercheurs bûchent sur l’intégration des énergies renouvelables depuis des années. Un de leurs défi s à d’abord consisté à mettre au point des capteurs, autrement dit des objets capables de transmettre des informations en vrac et en continu, relatives à la consommation, mais également à la production ou même à… la météo. Ce type de projet a valu à Gilles Jacquemod, Professeur à Polytech Nice Sophia, le trophée de la

recherche publique Energie-Environnement-Climat 2015. Avec le programme CoCoE (Contrôle de la Consommation Electrique), le chercheur souhaitait élaborer un appareil effi cace pour évaluer la consommation électrique d’une façon assez fi ne, c’est-à-dire avec suffi samment de détails.

Une information fi ne pour des consommateurs éclairés

« La technologie, développée, en partenariat avec la société Qualisteo, consiste à placer un seul capteur sur l’arrivée électrique d’un bâtiment.

SciencesCultureLa Lettre

Vers une transition énergetique intelligente

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Ensuite, au moyen d’algorithmes de retraitement du signal, on va pouvoir analyser chaque transaction enregistrée. On connaîtra la fréquence d’allumage d’un appareil, la vitesse de fonctionnement d’un autre etc. Tout cela laisse une signature spécifique », explique-t-il. Les capteurs génèrent ainsi un nuage de données, qu’il faut stocker, éventuellement sécuriser (cf encadré) et surtout traiter pour les rendre pertinentes. Ensuite, il peut y avoir un retour d’informations directement sur le consommateur et/ou sur l’opérateur électrique.Pendant un an, une trentaine de citoyens de la ville de Biot ont par exemple pu se connecter à une plate-forme numérique où figuraient en temps réel des éléments sur leur consommation. Cette expérimentation était pilotée par Nathalie Lazaric, directrice de recherche au GREDEG et alors chef du projet TICELEC (Technologies de l’Information pour une Consommation Electrique responsable). « Les volontaires pouvaient comprendre, à l’intérieur d’une pièce, quelles étaient les sources « défaillantes » en énergie. Comme un téléphone ou une cafetière électrique. Ils ont souvent été confrontés à des problèmes de vétusté, de maintenance ou de méconnaissance vis à vis de la consommation d’un appareil », commente la chercheuse. En moyenne, à l’issue du programme, les habitants concernés ont réduit leur demande énergétique de 20 à 23%. « C’était la première fois que l’on avait une évaluation quantitative de ces technologies et une publication académique sur les capteurs intelligents en France », souligne Nathalie Lazaric. « Ce travail a permis de combler l’ignorance d’un échantillon de consommateurs vis à vis d’une énergie invisible : l’électricité », analyse-t-elle. La chercheuse s’apprête maintenant à poursuivre ses travaux sur le territoire sophipolitain du smart campus français. Les bâtiments et le réseau électrique du campus Polytech et plus tard de l’Eco campus de la Plaine du Var vont en effet se voir équipés de capteurs intelligents. À terme, des panneaux photovoltaïques intégreront également le paysage. Ceci permettra par exemple de soutenir la formation des Masters orientés sur les énergies renouvelables et sur les systèmes intelligents. L’enjeu consiste également à développer des partenariats avec les entreprises locales spécialisées dans les services et d’encourager l’implantation de start’up. Côté recherche, se dessine un vaste terrain d’expérimentations.

Intégrer les énergies renouvelables au réseau

Nathalie Lazaric a initié un projet de collaboration avec Skema Business School, le programme SMARTENERGY. Cette fois, elle étudiera la dynamique comportementale d’une génération particulière d’individus dans une résidence d’étudiants. Ces derniers vont co-concevoir avec la société GridPocket un jeu, disponible sous forme d’application pour smartphone. L’objectif consiste ici à vérifier si ce genre d’engagement permet de

sensibiliser un consommateur qui, souvent, ne paie pas lui-même ses factures. « Nous aurons aussi à repérer les leaders, les faiseurs d’opinion, des individus clés pour les politiques d’innovation », souligne la directrice de recherche du GREDEG. « Nous passerons ainsi de la dynamique comportementale au réseau social », remarque-t-elle. Mais pour amorcer une véritable transition énergétique, en plus de réduire la consommation, il s’avère incontournable d’augmenter l’intégration des énergies renouvelables au réseau existant. Depuis les années 90, Georges Kariniotakis travaille sur les problématiques liées à la prédictibilité de la production des centrales renouvelables, avec des pays comme l’Espagne ou le Danemark. Car si on sait transformer un courant marin, du vent ou de la lumière en électricité, il demeure délicat d’anticiper les conditions météorologiques, donc les quantités d’énergie ainsi produites. Selon les cas de figures, il faudrait ainsi être en mesure de jouer sur le nombre d’unités de production en activité, sur leur nature et de garder en option une réserve d’énergie « classique » disponible. « Pour pouvoir prendre des décisions de façon dynamique, nous élaborons des modèles dans lesquelles nous combinons les prévisions météorologiques à grande échelle avec des mesures récupérées sur les fermes éoliennes ou photovoltaïques. Nous obtenons alors une prévision sur un horizon temporel et avec un certain degré d’incertitude », précise Georges Kariniotakis. Ces travaux ont été amorcés dans les années 90. Il existe donc aujourd’hui des solutions opérationnelles, utilisées par les différents acteurs (gestionnaires des réseaux, operateurs des centrales à énergie renouvelable etc.). Toutefois, les travaux de recherche continuent d’une

manière intensive, afin notamment d’améliorer la prédictibilité de la production, en particulier dans le cas des situations dites « extrêmes ». Il s’agit de cas de figure où d’importantes erreurs de prévision sont susceptibles de perturber la mise en œuvre du système électrique. Quand le smart campus commencera à générer des données, à l’horizon 2017, des nouvelles approches de prévision de production photovoltaïque devraient se développer. « Toutefois, les projets de recherche exploiteront également les données produites ailleurs sur le méta campus français », souligne Georges Kariniotakis.

Laurie CHIARA

Masters associés aux domaines de recherche présentés dans l’article :

Master Spécialisé Énergies renouvelables http://www.mines-paristech.fr/Formation/Masteres-Specialises/Masteres-Specialises-temps-plein/ENR/

Master Spécialisé Alternatives pour l’énergie du futur http://www.mines-paristech.fr/Formation/Masteres-Specialises/Masteres-Specialises-temps-plein/ALEF

Master Spécialisé Optimisation des systèmes énergétiques - http://www.mines-paristech.fr/Formation/Masteres-Specialises/Masteres-Specialises-temps-plein/OSE

Master Informatique, Fondements et Ingénieries (IFI) Parcours Caspar http://informatique.polytechnice.fr/jahia/Jahia/SI/parcoursSI5/CASPAR

Master 2 Économie, Cognition et Innovation - parcours Économie Comportementale, Organisation et Nouveaux Marchés (ISEM)http://unice.fr/formation/formation-initiale/im2fm12124

Skema Master of science spécialité Digital Marketing

Parcours ingénieur en électronique de Polytech Nice-Sophia

Parcours ingénieur Bâtiments durables et intelligents de Polytech Nice-Sophia

Master 2 Management Economique des Territoires (MET) http://unice.fr/isem/scolarite/plan-de-cours/masters/master-2-management-economique-des-territoires-met

L’épineuse question du chiffrement des données

Interrogé sur la sécurité des données véhiculées le long des smart grids, le Professeur Bruno Martin, directeur du département d’informatique à l’Université Nice Sophia Antipolis et cher-cheur au laboratoire I3S, estime que cette question soulève un ensemble de problèmes relati-vement compliqués à traiter. Pour commencer, assurer une sécurité sur un nuage de données coûte de l’énergie… Ensuite, explique-t-il, cette opération ne se résume pas à brouiller cer-taines informations. « Il faut assurer de la confidentialité sur ce qui a été transmis puis stocké et sur ce qui est alors disponible. Il faut aussi garantir l’intégrité de l’information, c’est-à-dire ne pas la modifier. Elle doit correspondre à quelque chose de pertinent. Enfin, simultanément, il faudrait conserver une traçabilité de l’information », énumère-t-il. Les usages associés aux nuages de données relativisent toutefois grandement le recours à la notion de respect de la vie privée.

« Dans tous les cas, les informations captées sont traitées chez l’opérateur par des programmes informatiques », explique Bruno Martin. Elles « retournent » ensuite à qui peut en avoir besoin sur une interface de type tableau de bord. « Quand il s’agit d’une application numérique, il n’existe pas forcément de copie ailleurs », souligne le chercheur. « Mais dans tous les cas, même si des données étaient jugées « sensibles », il serait difficile d’assurer un niveau de sé-curité élevé », prévient-il. Assurer la confidentialité consiste à chiffrer l’information sous forme d’une suite de valeurs, accessible au moyen d’une clé secrète, connue seulement de l’émetteur et du récepteur. « Mettre au point ce genre de procédé nécessite des collaborations de plus en plus fréquentes entre informaticiens, mathématiciens et microélectriciens, surtout pour des cap-teurs comme ceux utilisés dans les smart grids », révèle Bruno Martin. Néanmoins, il demeure impossible d’assurer une sécurité absolue, inconditionnelle et infinie. « Par exemple, chaque fois qu’on change le système de chiffrement, on ajoute quelque chose de nouveau et donc on introduit des failles », termine le spécialiste.

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Les 3 et 4 février derniers, un colloque dédié aux plus sombres années du département a eu lieu au Centre Universitaire Méditerranéen. De l’ar-rière-plan aux destins individuels, il a proposé une plongée exhaustive et complexe dans le passé.

Pour les historiens et les témoins vivants, participer à un colloque en mémoire des années noires re-vient à reprendre une vieille conversation. Le dis-cours se mêle à l’implicite. Les noms, les dates, ravivent des souvenirs tus. Mais, même après 70 ans, il arrive que les orateurs éclairent d’éléments nouveaux les scènes rétrospectives dans lesquelles la salle a plongé. Très vite, aussi, le public s’aper-çoit de l’impossibilité de ne pas être exhaustif. Car les détails comptent. La mémoire collective se com-pose d’histoires d’hommes projetés dans un décor inimaginable.L’historien Jean-Louis Panicacci évoque des kilo-mètres de barbelés enserrant la promenade des anglais, le jardin Albert 1er, le quai des Etats-Unis, la colline du château. Soudain, murs de béton et casemates rompent les lignes de fuite urbaines. Les chars supplantent les véhicules privés. 45 000 mines sont disposées le long du Paillon et de la Plaine du Var, sur le littoral. Au bord de mer, s’ajoutent des bris de verre et de béton. Posés là comme des pieux anti-chars, ils s’opposent symbo-liquement au débarquement allié. « Les immeubles du quartier du Port et de la Baie des Anges sont évacués. Des façades avec vue sur mer se voient camoufl ées, des fenêtres murées. Au printemps 44, l’armée nazi laisse derrière elle un paysage dan-tesque », résume l’ancien maître de conférences, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale dans les Alpes-Maritimes. Après lui, Ralph Schor, ancien professeur d’histoire contemporaine à l’université Nice Sophia Antipo-lis, poursuit. L’éclairage devient vite parcimonieux, les femmes se fabriquent des semelles en bois ou en pneu. Elles se colorent les jambes pour imiter le port des bas. Les pantalons et les shorts leur sont interdits. Les queues pour le ravitaillement s’al-longent. Fin 44, c’est la famine. « Les villes méditer-ranéennes sont les plus mal ravitaillées. Défi citaires en viande, en lait, en graisses et en céréales, elles souffrent des bombardements réguliers de la ligne

ferroviaire PLM (Paris-Lyon-Méditerranée) », préci-sera Jean-Marie Guillon, professeur émérite à l’Uni-versité d’Aix-Marseille. Les ponts du Var et de la Manda subissent régulièrement le même sort. Face à la pénurie d’essence, la population assiste alors à l’essor du diesel, des fi acres, des vélos. Quatre trolley-bus voient le jour et connaissent un vif succès. « Les gens ordinaires vivent leur vie avant de vivre l’Histoire », rappelle Jérémy Guedj, chercheur à l’UNS. Les meetings politiques sont annoncés à renfort de haut-parleurs et de calicots. Le Boulevard Bischoffsheim se voit débaptisé, la statue de la reine Victoria est décapitée. Les résis-tants Séraphin Torrin et Ange Grassi seront pendus et exposés aux passants près des arcades des Ga-leries Lafayette. Ralph Schor relève, dans cette rue en guerre, quelques actes de résistance. Il y aura des plastiquages contre les locaux d’organisations collaborationnistes, des manifestations étudiantes spontanées, notamment un 14 juillet, sur la Place Masséna. Mais les Niçois marqueront surtout leur opposition à l’entreprise nazie dans l’assistance aux juifs menacés.

Le bruit des cintres

« 353 jours d’occupation allemande auront défi gu-ré un paysage de carte postale. 3716 personnes auront été transférées de force sur le territoire du Reich », rappelle Jean-Louis Panicacci. Même le souvenir d’une seule déportation demeurerait inac-ceptable, mais ce nombre témoigne d’un relatif échec nazi dans le département. Car les historiens estiment qu’à l’époque de la Seconde Guerre mon-diale, 20 à 25 000 juifs vivaient sur le territoire des Alpes-Maritimes. Des anonymes, parfois de-venus des Justes, réalisent des sauvetages au coup par coup. D’autres, ecclésiastiques, notables, or-ganisent la fuite en masse des persécutés. Mon-seigneur Rémond, avec Moussa et Odette Abadi, monte le réseau Marcel et parvient à sauver 527 enfants. Bien que rallié au régime de Vichy, pour lui, l’antisémitisme est une impossibilité ontolo-gique. « Il qualifi era l’arrivée au pouvoir d’Hitler de régres-sion pour la civilisation », rapporte Ralph Schor. De son côté, l’armée italienne, chargée d’occuper

la zone libre frontalière entre novembre 1942 et septembre 1943, s’oppose activement aux rafl es commandées depuis l’Allemagne. Un banquier juif italien, Angelo Donati organise avec l’appui de Rome la fuite et le refuge de familles persécutées. Selon Jean-Marie Guillon, l’occupation italienne amène en outre un certain nombre de réseaux de renseignements de la Résistance, dont le princi-pal, Ajax, à se développer à Nice. « Il s’agit là d’une originalité du territoire encore mal étudiée », souligne l’historien. Enfi n, la ville devient aussi un refuge d’intellectuels et d’artistes. Jean Moulin, no-tamment, ouvre la galerie Romanin rue de France. Ce lieu d’expositions lui servira de couverture jusqu’à son arrestation. Pour autant, les conférenciers se gardent bien de céder à l’angélisme. Jean-Marie Guillon souligne un nationalisme d’avant-guerre extrêmement puis-sant à Nice. La ville demeure ainsi, entre 1940 et 1944, un des bastions du Parti Populaire Français, qui jouera un rôle primordial dans la répression sous l’occupation allemande. « L’enga-gement du PPF auprès des troupes nazies est en cours de réévaluation », précise l’historien. L’arri-vée à Nice d’Aloïs Brunner, chef du commando anti-juif et spécialiste de la solution fi nale, le 10 septembre 1943, annonce les heures les plus trau-matisantes des années noires. Alors que les alliés sont de l’autre côté de la Méditerranée, en Corse et en Afrique du Nord, les rafl es se succèdent à une fréquence inconnue jusque là. Aloïs Brunner lance entre septembre et décembre une chasse à l’homme sans précédents. « 72h séparent alors les juifs tirés de leur lit de la chambre à gaz », insiste l’historien et avocat Serge Klarsfeld. Lui-même, ca-ché avec sa mère et sa soeur dans le double fond d’un placard à vêtements, se souvient du bruit des cintres glissant sur la tringle.

Laurie CHIARA

En écho à l’organisation du colloque, le Musée Masséna abrite l’exposition des oeuvres de l’artiste-peintre Charlotte Salomon, déportée et assassinée pendant la seconde guerre mondiale. Accès : 10h-18h tous les jours sauf le mardi, jusqu’au 24 mai.

1940-1944 : Nice, années noires

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Rédaction Laurie Chiara - Service Culture-Sciences - Direction de la Culture Crédits photos : DSD - Service Communication - Christophe Rousseau - Mise en page : Emilie Deplantay

Bastien Vergoni, Emilien Cornillon et Chloé Daudier Wiehe Bereny, étudiants à l’Université, ont eu l’initiative d’organiser une conférence-débat sur l’erreur et le doute en sciences, le 11 février dernier.

Les invités s’adressent à un parterre bondé. Face à eux, attendent des étudiants d’université, engagés dans une thèse ou dans un tronc commun, assis aux côtés d’« anciens » de la fac et de quelques zététiciens. Pour la majeure partie de la salle, erreur rime d’abord avec faute. Le terme désigne un « mauvais » résultat, impossible à soustraire au regard des pairs. Le doute, lui, jalonne chaque piste empruntée en sciences. Il traduit l’angoisse de celui qui cherche, sans savoir tout à fait où son hypothèse de travail le conduira. Mais à l’heure de la sur-médiatisation, parler de l’erreur et du doute permet aussi de s’interroger sur la qualité des sources d’information. Et pour cause, les conférenciers invités à s’exprimer à la faculté des sciences le 11 février dernier, représentaient trois styles de diffusion des connaissances.

Le Professeur Henri Broch, biophysicien, créateur du laboratoire de zététique de l’Université Nice Sophia Antipolis, aujourd’hui retraité, propose désormais ses démonstrations dans les amphithéâtres publics de la ville (avec le Centre d’Analyse Zététique). Auteur de nombreux ouvrages de zététique (1), il a participé à l’initiative transmedia « Lazarus Mirages » (2). Dans de courtes vidéos, un personnage masqué décrypte d’une voix instrumentalisée des « pièges » pour la raison humaine. Dimitri Garcia, agrégé de biologie, enseigne aux étudiants inscrits en sciences

de la vie et de la terre. Il anime la chaîne youtube Bio Logique. Ses vidéos proposent, sans grands effets graphiques mais dans un format condensé et dynamique, de revenir sur des éléments de cours « clé ».

Le dernier invité s’avère être enfin un duo. Un biologiste de formation, auteur de fantasy humoristique et de pièces de théâtre et un doctorant en musicologie incarnent respectivement une marionnette baptisée Acermendax et un scientifique gentiment allumé, Vled Tapas. « Youtubeurs » sur la chaîne La Tronche en Biais, ils revendiquent une posture sceptique vis-à-vis des allégations « extraordinaires ». Ils souhaitent ainsi s’inscrire dans la démarche des zététiciens et défendent l’utilisation de la méthodologie scientifique dans l’étude des phénomènes « étranges ».

Ne jamais avoir l’air sérieux

Leur ton, en revanche, est celui du divertissement. Ils parlent vite, enchaînent les idées, chacun tourne l’autre en dérision. Le duo prend garde de ne jamais avoir l’air sérieux. Pour la conférence qui les amène à Nice, leur désinvolture semble plus ou moins contrôlée. Des vidéos qu’il était convenu de projeter passent à la trappe, de « fausses expériences » laissent le spectateur perplexe. Le déroulé est brouillon et la présence des autres conférenciers passerait pour superflue. Les showmen lancent à la volée des pistes de réflexion autour du thème annoncé. Ils caricaturent le sacro-saint cerveau humain, désigné comme un amas de cellules « moche », « gourmand », dépourvu

d’autonomie et fragile. Les premiers rires à peine éteints, le duo enchaîne sur la théorie de l’esprit (3), l’agentivité (4), puis la paréidolie (5). Au risque de quelques approximations, il s’agit d’inviter la salle à se méfier d’elle-même, de ses outils d’analyse innés, de sa tendance à voir le monde sous un angle biaisé. L’erreur est intrinsèquement humaine, semblent insister Vled Tapas et Acermendax. Par opposition, la science, en s’appuyant sur le doute méthodologique (6), apparait comme un outil de recherche systématique de l’erreur. Qui plus est, elle confronte la pensée à des systèmes différents de ceux de l’expérience quotidienne (par exemple dans l’infiniment petit ou avec la physique quantique).

Surtout, elle se distingue de la croyance car elle appelle à être réfutée. L’heure tourne et la salle aurait encore des questions, mais il faut finir. Si le thème de la conférence a suscité la curiosité de près de 600 auditeurs, ces derniers, venus de laboratoires ou habitués aux bancs de la fac, resteront donc sur leur faim. Notamment, le discours aura porté surtout sur les sciences «naturelles», sensibles et fondées sur l’expérimentation (comme la biologie, la physique, ou l’archéologie). De fait, qu’en est-il de l’erreur et du doute en mathématiques ou en sciences humaines et sociales ? Enfin, la sérendipité, c’est-à-dire la réalisation accidentelle d’une découverte hisse-t-elle «l’erreur» au rang de processus scientifique ?

Laurie CHIARA

(1) http://book-e-book.com(2) http://www.unice.fr/zetetique/Lazarus-Mirages/Lazarus.html(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Théorie_de_l%27esprit(4) https://fr.wiktionary.org/wiki/agentivité(5) https://fr.wiktionary.org/wiki/paréidolie(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Doute_cartésien

L’erreur et le doute dans les sciences