Lettre Culture Science N11

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une publication de l’Université Nice Sophia Antipolis la lettre Culture Science 11 N°11 - Avril 2014 Alzheimer à lʼheure des nouvelles technologies LʼInstitut Claude Pompidou a ouvert ses portes en mars dernier. Le nouveau bâtiment, centre pilote situé rue Molière à Nice, est lieu dʼaccueil, dʼhébergement, de soins, dʼenseignement et de recherche sur la maladie dʼAlzheimer. Le CHU et lʼUniversité Nice Sophia Antipolis y développent notamment de nouveaux outils, pour une prise en charge non médicameneuse de la pathologie. Une approche peu médiatisée et pourtant très dynamique sur le plan de la recherche, y compris au-delà des murs du tout jeune Institut. Dehors, les grimpantes entament à peine leur course sur l’enceinte grillagée. Le bâtiment repose sur des murs de verre, derrière lesquels le passant distingue tables et chaises, encore largement inoccupées. Mais, depuis le 31 mars, l’équipe de recherche clinique CoBTeK (1), logée à l’Institut Claude Pompidou (ICP), reçoit des patients. Médecins et ingénieurs développent ici des approches non médicamenteuses, pour le traitement des personnes âgées atteintes de démences, avec en première ligne la maladie d’Alzheimer. « L’Inria (2), le CHU et l’Université Nice Sophia Antipolis se sont fixé comme objectif d’utiliser les nouvelles technologies dans l’évaluation et la stimulation des patients », raconte le Pr Philippe Robert, psychiatre et coordonnateur du Centre Mémoire de Ressources et de Recherche (CMRR). Toute la moitié du premier étage de l’ICP révèle ainsi des espaces inhabituels. Au détour des couloirs blancs, un téléviseur mural sert d’écran pour un jeu vidéo intelligent, un serious game maison. Pour jouer à celui-là, grâce à la technologie Kinect développée pour une console de jeux vidéo, il suffit d’utiliser les mouvements de son corps. À quelques pas, la salle pour l’évaluation des troubles comporte du mobilier aux lignes contemporaines et des cartons encore à demi ouverts. « Utiliser la boîte à pharmacie, faire un chèque. Nous allons tester ici la réalisation des activités de la vie quotidienne. Auparavant, nous accédions à ces informations de façon indirecte et subjective, en interrogeant l’entourage », explique le Pr Robert. Des caméras, placées dans la pièce et dans le couloir, filment les patients en train de réaliser des scénarios type. Néanmoins, l’objectif n’est pas pour les scientifiques de visionner les bandes. Carlos Crispim, en thèse au sein de l’équipe STARS (3) de l’Inria, a installé l’équipement et développe des algorithmes capables d’isoler une forme humaine sur l’image ou d’interpréter des actions. « J’essaye d’automatiser un programme pour qu’il ne reste à la fin qu’un résumé de la séance. Où est allé le patient, pour quoi faire, combien de temps cela a-t- il duré? », précise le chercheur. De la même façon, les médecins peuvent étudier par exemple la vitesse de marche des malades. « Ce dispositif vient compléter les consultations mémoire, dans le suivi diagnostic. Mais il y a aussi tout un volet de stimulations possibles. Nous cherchons à réentraîner, sur le plan cognitif, des personnes, à améliorer leur qualité de vie », souligne le P r Robert. Immersion dans le virtuel Avec une seconde équipe de l’Inria, REVES (4), il entend notamment inaugurer une salle d’immersion dans la réalité virtuelle. En 2013, dans les locaux sophipolitains des spécialistes du numérique, il a déjà pu tester, sur des sujets témoins, si cette réalité était acceptable pour le cerveau et si elle pouvait faciliter la réminiscence de souvenirs anciens. Ce projet s’inscrit dans un programme plus étendu, baptisé VERVE, financé par l’Agence Nationale pour la Recherche. Il permettra ici de plonger les personnes âgées dans des lieux clé de la région niçoise, comme la place Masséna ou la Promenade des Anglais. Un autre volet a également permis de développer un serious game exportable au domicile des personnes suivies. Pierre-David Petit, post-doctorant en sciences du mouvement, en a rédigé le scénario clinique. « Il s’agit d’un jeu de cuisine. Les patients ne doivent pas réaliser une recette, mais reconnaître des ingrédients et planifier des tâches, comme de décider quand allumer le four », raconte le chercheur. L’équipe CoBTek prête une tablette tactile aux joueurs et leur demande de se connecter au moins une fois par jour pendant un mois. Pierre- David Petit récupère ainsi pour le moment les données enregistrées pour vingt patients, certains présentant des plaintes subjectives et d’autres des troubles de la mémoire avérés. « À ce jour, nous notons comme point positif que les personnes savent se servir du jeu. En revanche, il est difficile de parler de transfert le P r Philippe Robert (à gauche) avec un patient et un doctorant de l’Inria

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Une publication de l'Université Nice Sophia Antipolis

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une publication de l’Université Nice Sophia Antipolis

la lettreCulture Science 11

N°11 - Avril 2014

Alzheimer à lʼheure des nouvelles technologies

LʼInstitut Claude Pompidou a ouvert ses portes en mars dernier. Le nouveau bâtiment, centre pilote situé rue Molière à Nice, est lieu dʼaccueil, dʼhébergement, de soins, dʼenseignement et de recherche sur la maladie dʼAlzheimer. Le CHU et lʼUniversité Nice Sophia Antipolis y développent notamment de nouveaux outils, pour une prise en charge non médicameneuse de la pathologie. Une approche peu médiatisée et pourtant très dynamique sur le plan de la recherche, y compris au-delà des murs du tout jeune Institut.

Dehors, les grimpantes entament à peine leur course sur l’enceinte grillagée. Le bâtiment repose sur des murs de verre, derrière lesquels le passant distingue tables et chaises, encore largement inoccupées. Mais, depuis le 31 mars, l’équipe de recherche clinique CoBTeK (1), logée à l’Institut Claude Pompidou (ICP), reçoit des patients. Médecins et ingénieurs développent ici des approches non médicamenteuses, pour le traitement des personnes âgées atteintes de démences, avec en première ligne la maladie d’Alzheimer. « L’Inria (2), le CHU et l’Université Nice Sophia Antipolis se sont fi xé comme objectif d’utiliser les nouvelles technologies dans l’évaluation et la stimulation des patients », raconte le Pr Philippe Robert, psychiatre et coordonnateur du Centre Mémoire de Ressources et de Recherche (CMRR).

Toute la moitié du premier étage de l’ICP révèle ainsi des espaces inhabituels. Au détour des couloirs blancs, un téléviseur mural sert d’écran pour un jeu vidéo intelligent, un serious game maison. Pour jouer à celui-là, grâce à la technologie Kinect développée pour une console de jeux vidéo, il suffi t d’utiliser les mouvements de son corps. À quelques pas, la salle pour l’évaluation des troubles comporte du mobilier aux lignes contemporaines et des cartons encore à demi ouverts. « Utiliser la boîte à pharmacie, faire un chèque. Nous allons

tester ici la réalisation des activités de la vie quotidienne. Auparavant, nous accédions à ces informations de façon indirecte et subjective, en interrogeant l’entourage », explique le Pr Robert. Des caméras, placées dans la pièce et dans le couloir, fi lment les patients en train de réaliser des scénarios type. Néanmoins, l’objectif n’est pas pour les scientifi ques de visionner les bandes. Carlos Crispim, en thèse au sein de l’équipe STARS (3) de l’Inria, a installé l’équipement et développe des algorithmes capables d’isoler une forme humaine sur l’image ou d’interpréter des actions. « J’essaye d’automatiser un programme pour qu’il ne reste à la fi n qu’un résumé de la séance. Où est allé le patient, pour quoi faire, combien de temps cela a-t-il duré? », précise le chercheur. De la même façon, les médecins peuvent étudier par exemple la vitesse de marche des malades. « Ce dispositif vient compléter les consultations mémoire, dans le suivi diagnostic. Mais il y a aussi tout un volet de stimulations possibles. Nous cherchons à réentraîner, sur le plan cognitif, des personnes, à améliorer leur qualité de vie », souligne le Pr Robert.

Immersion dans le virtuelAvec une seconde équipe de l’Inria, REVES (4), il entend notamment inaugurer une salle

d’immersion dans la réalité virtuelle. En 2013, dans les locaux sophipolitains des spécialistes du numérique, il a déjà pu tester, sur des sujets témoins, si cette réalité était acceptable pour le cerveau et si elle pouvait faciliter la réminiscence de souvenirs anciens. Ce projet s’inscrit dans un programme plus étendu, baptisé VERVE, fi nancé par l’Agence Nationale pour la Recherche. Il permettra ici de plonger les personnes âgées dans des lieux clé de la région niçoise, comme la place Masséna ou la Promenade des Anglais. Un autre volet a également permis de développer un serious game exportable au domicile des personnes suivies. Pierre-David Petit, post-doctorant en sciences du mouvement, en a rédigé le scénario clinique. « Il s’agit d’un jeu de cuisine. Les patients ne doivent pas réaliser une recette, mais reconnaître des ingrédients et planifi er des tâches, comme de décider quand allumer le four », raconte le chercheur.

L’équipe CoBTek prête une tablette tactile aux joueurs et leur demande de se connecter au moins une fois par jour pendant un mois. Pierre-David Petit récupère ainsi pour le moment les données enregistrées pour vingt patients, certains présentant des plaintes subjectives et d’autres des troubles de la mémoire avérés. « À ce jour, nous notons comme point positif que les personnes savent se servir du jeu. En revanche, il est diffi cile de parler de transfert

le Pr Philippe Robert (à gauche) avec un patient et un doctorant de l’Inria

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Se former à lʼUNS UFR LASH• Master neuropsychologie et psychologie du

développement•Master psychologie clinique et gérontologie• Diplôme dʼUniversité approche non

médicamenteuse de la maladie dʼAlzheimerUFR STAPS :• Master Recherche sciences du mouvement

humainUFR MÉDECINE : •Parcours médecine spécialité psychiatriePOLYTECH NICE-SOPHIA

•Master Signal pour la Santé, les Télécommunications, Image et Multimédia

(SSTIM).

des compétences sollicitées dans la « vraie » vie », note le post-doctorant. Néanmoins, selon le Pr Robert, « la stimulation cognitive présente un intérêt à tous les stades de la maladie ». Aux premiers signes d’une détérioration ou au commencement de la vieillesse, le but est de mettre en place des automatismes, pour maintenir, améliorer des procédures.

Un peu plus tard dans la maladie, les équipes peuvent encore espérer aller dans ce sens. « Au-delà, il y aura un effet thérapeutique plutôt sur les troubles du comportement », estime le psychiatre. « Notre limite, c’est de ne pas savoir dire si la stimulation obtenue lors de ces séances a un effet à moyen ou à long terme », note-t-il encore. « Dans tous les cas, le personnel accompagnant cherche aussi à aider les personnes à comprendre leur environnement, à leur faire gagner en qualité de vie », termine-t-il. Avec le projet SafEE, Auriane Gros, ingénieure de recherche en neurosciences, s’inscrit dans cette démarche. L’étude, dont le fi nancement a démarré il y a un mois, permettra de proposer à des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de pathologies associées, et ce à des stades avancés de la maladie, une application de géolocalisation sur smartphone. Précisément, les principaux trajets effectués par le propriétaire seront enregistrés. Ainsi, lorsque celui-ci en empruntera un en particulier, l’appareil s’activera et un bouton d’aide s’affi chera. En cas de trouble des repères spatiaux ou « d’absence », un guide vocal se déclenchera.

Chemins de traverseSur un second aspect, le projet SafEE s’adresse également à des individus non Alzheimer, mais avec un « syndrome de fragilité » (apathie, anxiété, fatigabilité, baisse des performances cognitives et de l’autonomie). Grâce à des capteurs installés au domicile des patients, la détection de signaux d’anxiété (par exemple l’agitation) ou d’apathie (comme le fait de rester prostré) déclenchera des diffuseurs d’huiles essentielles. « Cette technologie sera intelligente, surtout car elle utilisera des odorants spécifi ques à un symptôme mais aussi à une personne », affi rme Auriane Gros. « L’aromathérapie est ici destinée à s’attaquer aux troubles émotionnels en réveillant des structures du cerveau un peu « endormies » », poursuit-elle. André Quaderi, Professeur des Universités et psychologue en gérontologie (5), défend également une approche écologique de la pathologie, au sens où il ne dissocie pas la personne humaine de son environnement. Lui, s’intéresse en particulier aux malades arrivés à un stade sévère, y compris en fi n de vie. Or, lorsqu’il débute sa carrière en maison de retraite publique, il se trouve très dépourvu, du fait des troubles du langage rencontrés. « Les patients Alzheimer ne comprennent pas vraiment ce que vous dites. Ils se montrent plus sensibles à l’intonation de votre voix qu’au sens des mots que vous prononcez. À côté de ça, leur vocabulaire se réduit parfois à une centaine de termes, voire moins», explique le spécialiste. Pour autant, André Quaderi ne s’avoue pas vaincu. Il choisit de séparer la détérioration cognitive majeure des effets de

la maladie sur le psychisme. « J’estimais

que les déments, dans leurs troubles du comportement, tentaient de communiquer maladroitement une souffrance », résume-t-il. Son champ de recherche consiste alors, à force d’expérimentations, à trouver des chemins de traverse à la parole pour leur répondre. « J’ai essayé de saisir l’implicite dans leur discours », explique le psychologue. Il s’interroge, par exemple, sur la résurgence systématique de souvenirs assez communs, correspondant à une petite période de la vie, comme le fait d’aller chercher un enfant à l’école ou de devoir prendre un taxi. Confronté à ces ritournelles, il cherche en lui les associations d’idées possibles, en lien avec ses propres expériences. De fi l en aiguille, il réalise, pour les cas cités, que les patients expriment en réalité soit un sentiment de stress, soit un besoin urgent.

Des individus-environnement« En revanche, pourquoi, sur un trouble de la mémoire lexicale, vont-ils chercher des phrases plus compliquées que ce qu’ils ont vraiment à dire? Je ne me l’explique pas », souligne André Quaderi. «Ils témoignent ainsi encore de tout le mystère caractéristique de la pensée humaine. Mais les effets dégénératifs les plongent dans une perpetuelle angoisse : celle de savoir où ils se trouvent, qui ils sont, avec qui, et ce qu’on leur fait», reprend le psychologue.

Par la suite, ce dernier découvre que dans un environnement apaisé, centré sur la relaxation et où tout est validé et non plus réprimandé, les troubles s’éclipsent brièvement. « Peuvent même apparaître subrepticement des sourires, des éclairs de cohérence, en bref une autre personne, qui était déjà là mais masquée par le désarroi », affi rme-t-il. Nait ainsi le concept d’ « individus-environnement ». « Pour moi, le dément a régressé à un stade perceptif. Pour être effi cace, il fallait donc que je le soigne moins lui que son milieu. Et cela va très loin », révèle le praticien. Ainsi, pour réduire le tryptique angoisse, hyperémotivité, asthénie, André Quaderi aimerait mettre en place dans les EHPAD (6) ou institutions volontaires une boucle vertueuse. « Avec tout un appareillage scientifi que de type domotique, il serait possible d’imaginer un accompagnement sensoriel des déments tout au long de la journée, avec des lumières, des odeurs et des sons adaptés à chaque trouble et à chaque moment critique. Sans oublier

les ateliers de médiation thérapeutique qui, judicieusement menés autour de la danse, du jardinage, de la cuisine, créent des moments partagés. », assure-t-il. Enfi n, le psychologue en appelle à une réfl exion autour des stimulations négatives exercées sur les patients. Il loue ainsi les travaux du Professeur Isabelle Prêcheur, responsable du Laboratoire Santé Buccale et Vieillissement à l’UNS. «Il faudrait par exemple travailler sur les bruits des portes qui claquent, sur les mauvaises odeurs, sur les peintures utilisées dans les établissements. Ne pas encombrer la personne âgée de signaux inutiles, car elle ne sait plus s’abstraire de son environnement », achève-t-il.

Laurie CHIARA

In-MINDD : un projet pour la prévention« Il existe des marqueurs biologiques très précoces de la maladie dʼAlzheimer, des tests peuvent théoriquement se faire à des stades pré-symptomatiques. Mais quʼen faire, sachant que pour lʼinstant nous nʼavons pas de traitement? », interroge le Pr Philippe Robert. En revanche, au sein de lʼéquipe CoBTek, Valéria Manera, chef de projet In-MINDD, étudie avec un consortium de pays européens des facteurs de protection contre Alzheimer. Le groupe a ainsi établi une liste dʼéléments susceptibles de favoriser le déve-loppement dʼune démence. Y fi gurent le régime alimentaire gras et pauvre en fruits et légumes, la dépression, le manque dʼactivité physique et/ou cognitive, la pression artérielle, le diabète, le fait de fumer, lʼobésité, le cholesterol, les problèmes rénaux et cardiaques. « Nous essayons dʼattribuer une valeur à chaque facteur de risque, afi n de proposer une stratégie pour contrebalancer par exemple des prédispositions génétiques », développe la psycho-logue, en post-doctorat. Lʼoutil dʼévaluation et de prévention devrait, à terme, être dis-ponible en ligne. Un site Internet indiquera, en fonction des résultats, des conseils « sur mesure », modérés par le médecin généraliste. Une première version devrait être testée en Europe sur 60 personnes.

Appel à participation Renaud David et Auriane Gros, de lʼéquipe SafEE du CHU de Nice, lancent un appel au-près de personnes témoins âgées de plus de 50 ans, afi n de tester les applications multi-média développées dans le projet. SafEE est fi nancé par lʼANR et la CNSA. Contact : [email protected]

(1) Cognition Behaviour Technology, équipe d’accueil de l’UNS(2) Institut national de recherche en informatique et en automatique(3) Spatio-Temporal Activity Recognition Systems(4) REndering and Virtual Environments with Sound(5) André Quaderi a publié en octobre 2013 Approche non médicamenteuse dans la maladie d’Alzheimer (Broché).(6) Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes

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Dans les fi lms, il arrive que les images tournent à rebours. Les débris, par exemple, se soulèvent du sol jusqu’à reconstituer un objet intact. L’eau remonte le long du robinet, le son retourne à sa source, les fi ssures se colmatent. D’ailleurs, en physique, dans le monde microscopique et de la mécanique (1), la réversibilité est bel et bien autorisée. Pourtant, dans notre réalité macroscopique, rien ne semble pouvoir jamais retrou-ver exactement un état occupé dans le passé, ne serait-ce qu’une se-conde auparavant. Les physiciens discutent ainsi depuis longtemps cette tendance vers l’irréversibilité, décrite en particulier dans la deuxième loi de la thermodynamique (2). Le physicien et chimiste autrichien Loschmidt proposa ainsi, au 19e siècle, des expériences de pensée faisant appel à de petits démons. « Imaginons un ensemble de petites particules insécables », invite le Pr.Mathias Fink (voir encadré), venu le 7 avril dernier donner une confé-rence à l’Université Nice Sophia Antipolis. « Elles partent dans toutes les directions (comme sur un jeu de billard). Admettons qu’au temps t1 on les arrête et que nous mémorisions le sens de leur trajectoire et leur vitesse. Si à t2 de petits démons interviennent pour renverser les paramètres enregistrés, à t3 nous revoilà dans la position de départ », énonce le physicien. Il y a 25 ans, Mathias Fink s’interroge alors, avec un regard d’ingénieur, sur la possibilité de fabriquer un dispositif permettant de réaliser des expériences avec un aller et retour possible dans le temps. Pour cela, il prend comme modèle les ondes, c’est-à-dire la propagation de mou-vements collectifs de particules. « Pouvions-nous retourner temporelle-ment des éléments de l’échelle de la longueur d’onde? », interroge le physicien. Afi n de le savoir, son équipe invente un miroir à retournement temporel. Précisément, les scientifi ques entourent une source d’onde de capteurs linéaires. Il s’agit de cristal, ou de céramique, permettant de transformer une grandeur physique, en l’occurrence une déformation mécanique, en un signal électrique. Dans l’espace ainsi délimité, l’onde se propage et se déforme parfois, si elle rencontre un obstacle.

Un miroir qui fait tache

Cependant, pour que l’expérience fonctionne, l’onde ne doit pas enre-gistrer de perte d’énergie, notamment se dissiper sous forme de chaleur. « Nous avons émis un cri (une onde sonore) puis nous l’avons mémorisé sous la forme d’une sorte d’hologramme spatio temporel. Nous pouvions ensuite le relire en verlan ou en chronologie inverse », relate le Pr Fink. Toutefois, sur l’écran de visualisation du signal, l’onde, lorsqu’elle revient à son point de départ, a conservé toute son énergie. En conséquence, au lieu de s’arrêter, elle repart une nouvelle fois. « C’est le phénomène du collapse. L’onde convergente et sa jumelle divergente ont le temps de se croiser et donc d’interférer », révèle le conférencier. Toujours sur l’écran, ce phénomène se manifeste sous la forme d’une « tache focale », un pic d’une demie longueur d’onde, qui a su trouver de multiples applications industrielles. Par exemple, cette propriété de concentration focale permet de rendre une surface «tactile». Des capteurs placés dans le matériau enregistrent dans un premier temps tous les « touchés » possibles (chacun envoie une petite vibration). Par la suite, lorsque notre pulpe appuie, le retour-nement temporel se fait à l’intérieur de la machine. La tache focale, qui correspond à une augmentation d’intensité du signal à la source, se traduit alors par une marque sur l’écran. Mais il existe aussi une foule d’utilisations en optique, en télécommunications ou encore en médecine. Les appareils d’échographies peuvent notamment mesurer l’activité « sismique » du corps humain, c’est-à-dire la propagation des ondes dites de cisaillement. Ces dernières renseignent entre autres sur la dure-té des nodules, sur l’écoulement du sang lors d’une activité fonctionnelle (par exemple dans le cerveau). Le FibroScan, développé par la société echosens, donne accès au degré de fi brose d’un foie sans passer par la biopsie. Outre des appareils innovants, Mathias Fink a ainsi plusieurs start’up à son actif. SuperSonic Imagine, basée à Aix-en-Provence entrait en bourse au mois d’avril.

(1) En physique, la mécanique désigne l’étude des mouvements, des déformations ou des états

d’équilibre d’un système.

(2) En 1824, Sadi Carnot énonce le premier le principe d’irréversibilité des phénomènes phy-

siques, en particulier lors des échanges thermiques.

Conférence grand public

Mathias Fink et le miroir à retournement temporel

ZOOM SUR...

Mathias Fink est spécialiste de l’application des ondes à l’imagerie biomédicale. Il est Professeur de l’ESPCI Paris Tech, ancien directeur de l’Institut Langevin « Ondes & Images », membre de l’Académie des Sciences et a été titulaire de la chaire d’innovation technologique du Collège de France. Son brillant parcours a été récompensé par de très nombreuses distinctions dont très récemment le Prix Yves Rocard (2011) de la Société Française de Physique et la Médaille de l’Innovation (2011) du CNRS.Il était l’invité lundi 7 avril de la section Côte d’Azur de la Société Française de Physique.

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La lettre Culture Science

Sciences publiques

L’AGENDA

Ma thèse en 180 secondes : un défi pour les doctorants !L’UNS participe au concours organisé par le CNRS et la CPU.

Les épreuves auront lieu le 23 mai à partir de 16h au Grand Château de Valrose à Nice. http://www2.cnrs.fr/manifestations/235.htm

Beautés du ciel et phénomènes cosmiquesL’Observatoire de la Côte d’Azur propose une exposition du 7 mai au 30 juin, au Parc

Phoenix (salles Prairial et Floréal).Inauguration le 12 mai à 19h.

Les Sciences à portée de mainDu 7 mai au 3 juin 2014 (salle Emeraude) au Parc Phoenix. Science et Expériences propose une exposition où les enfants peuvent manipuler, accessible dès

le primaire. Inauguration le 14 mai à 17h.

Ma thèse en 180 secondes : un défi pour les doctorants !L’UNS participe au concours organisé par le CNRS et la CPU

Beautés du ciel et phénomènes cosmiquesL’Observatoire de la Côte d’Azur propose une exposition du 7 mai au 30 juin, au Parc

À la découverte de la photoniqueÉcrans, posters, cordons de plastique et miroirs miniatures se mêlent pour planter un décor éphémère dans deux salles du campus SophiaTech. Sur une quarantaine de mètres carrés, chercheurs, ingénieurs et parfois représentants des ressources humaines animent un showroom. L’asso-ciation PoPSud a organisé, entre le 25 et le 27 mars, des journées de présentation des métiers de la photonique. Car le terme, pointu et un peu obscur de prime abord, recouvre un large champ d’activités. Et pour cause, qui dit photon dit particule élémentaire de la lumière et dit donc images. Or, l’optique et le traitement des signaux trouvent désormais des applica-tions à toutes les échelles de la recherche et du développement. « La microscopie délivre aux biologistes un fl ux d’images tel, qu’il est devenu impossible à analyser manuellement », souligne Xavier Des-combes, membre pour l’INRIA (1) de l’équipe MORPHEME. Son Institut croise ses compé-tences avec deux laboratoires de l’Université Nice Sophia Antipolis et du CNRS, i3S (2) et l’iBV (3). Lui, travaille en particulier à rendre des images lisibles et à créer des modèles dynamiques depuis ce qui passe à l’intérieur d’une cellule jusqu’au tissu. Le chercheur se tourne vers un écran d’ordinateur et affi che des cellules nerveuses. Ici, Xavier Descombes étudie le développement, dans une maladie, de la partie allongée des neurones, l’axone, le long duquel « court » l’information. Celui-ci est entouré dans le cerveau d’une substance blanche. Or, « Une image est une matrice de nombres allant du noir, le « zéro », au blanc, la valeur « 255 ». Nous allons donc chercher cette couleur dans l’image, puis nous affi nerons notre sélection avec des paramètres de contraste et de forme », révèle Xavier Descombes. D’après une série de photos, l’équipe formule ainsi des hypothèses à partir desquelles construire un scénario. Sur l’écran, une vidéo montre une proposition pour la croissance de l’axone chez des sujets « X fragiles », c’est-à-dire porteurs

d’une anoma-lie chromo-somique res-ponsable de retards du dé-veloppement mental. Mais l’objectif des scienti-fi ques, lors de ce showroom, était de commu-niquer leur enthousiasme à des étudiants… Le profi l recherché ? Avoir une formation en maths appliquées, présenter un niveau de program-mation correcte, se montrer ouvert aux problé-matiques du biologique.

L̓ image et le sonÀ quelques pas de là, Jean-Luc Peyrot repré-sente l’équipe mediacoding du laboratoire i3S. Il tient des sortes de jumelles entre les mains. Deux lasers rouges pointent en direction du visiteur. L’objet comporte également deux ca-méras camoufl ées et une série de cercles noirs entourent les lentilles. Grâce à cet appareil, le doctorant peut reconstituer une image 3D, à condition toutefois de « trouver » une surface capable de réfl échir la lumière (par exemple un miroir, un visage, mais pas des cheveux bruns). Les jumelles fi lment deux images en décalé et projettent aléatoirement des points sur l’en-semble. « Cette opération permet par triangu-lation de construire un volume », raconte Jean-Luc Peyrot. En effet, le logiciel décompose la surface cible en triangles, chacun subdivisable en quatre et ainsi de suite, permettant au fur et à mesure d’augmenter la résolution. Cette tech-nique trouve des applications assez variées : détecter des petits défauts sur des carrosseries d’avions autant que de faire varier la précision graphique sur un décor de jeu vidéo. Dans la salle adjacente, Gilles Bogaert, cher-cheur à l’Observatoire de la Côte d’Azur, pré-sente le projet VIRGO, destiné à « écouter les vibrations de l’espace » dès 2016. Thalès Ale-

nia Space est en quête de stagiaires. Vient le site du LPMC (4), où découvrir le fonc-tionnement d’une fi bre optique. Un cordon en plastique d’un millimètre de diamètre abrite un fi l transparent un dixième de fois plus fi n en-core. « 80 millions de conversations télépho-niques peuvent transiter là-dedans en simulta-né », raconte Pierre Aschiéri. Démonstration : Sur la table, un smartphone émet de la mu-sique. Le signal électrique généré est envoyé vers un montage minimaliste au moyen d’un câble micro. Il alimente alors une diode laser, qui convertit l’information en signal optique. En face de la diode, la fi bre placée judicieusement ne touche pas le reste du dispositif. Et pourtant, à son autre extrémité, la musique ressort sur un haut-parleur. « Un signal peut ainsi parcourir une centaine de kilomètres sans perte », af-fi rme le chercheur. Au laboratoire, les scientifi ques fabriquent ainsi des fi bres optiques à partir de silice (du sable ou du verre). Ils développent des cordons sur lesquels le modulateur optique est intégré aux extrémités. Ils cherchent également à faciliter la commutation d’un canal sur l’autre (systèmes de routage) et travaillent sur des applications de cryptographie quantique. Enfi n, s’ils par-viennent à multiplier les « coeurs » (canaux) sur une fi bre, ils pourraient augmenter la capacité de transmission.

(1) Institut national de recherche en informatique et en

automatique

(2) Laboratoire d’Informatique, Signaux et Systèmes de

Sophia Antipolis

(3) Institut de Biologie de Valrose

(4) Laboratoire de physique de la matière condensée