Lettre 5 de la Commission Droits et Libertés

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Fédération de Paris du PS - Lettre de la Commission fédérale Droits et Libertés 1 Droits & Libertés Editorial De quelque côté que l’on se tourne en ma- tière de droits humains et de libertés pu- bliques, de justice, d’immigration, le constat est accablant. Notre pays est frappé par une multitude de comportements ou de réformes (« ruptures ») qui portent gravement atteinte à nos traditions démocratiques : circulaire ciblant les Roms, refus de nommer un juge d’instruction dans l’affaire Woerth, recours au contre espionnage pour enquêter sur des sources journalistiques, réforme de la garde à vue, projet de loi sur l’immigration, LOPSI 2… L’été, avec le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy, en a vu l’illus- tration la plus média- tique et paroxystique, mais c’est cet automne que sont mises en œuvre, votées ou an- noncées, ces régressions successives, agissant comme autant de diver- sions se voulant rassu- rantes pour un électorat de droite « dure », dans un contexte social en éruption. Même mobilisé contre la réforme des re- traites, le PS ne baisse pas la garde et reste vigilant contre ces attaques répétées à notre modèle démocratique, dont l’écho a dépassé nos frontières et donné lieu à une critique de la France au plan international. La « rupture » est bien là et il est heureux qu’à travers ses conventions thématiques et les nombreux forums qu’il organise, le PS travaille pour pré- parer un autre avenir que celui de la démoli- tion de notre République. Invitation La section PS « Flora Tristan » vous invite à un café politique Pour une autre politique de sécurité Avec F.Y. Boscher, ancien contrôleur général de la police na- tionale, qui a été l’un des artisans de la police de proximité et, en sa qualité de directeur de l’Institut de formation des formateurs de la police, a notamment participé à la concep- tion des formations en direction des policiers de proximité. Homme de conviction et de terrain, il défend l’idée qu’une politique de sécurité de gauche peut être tout à la fois effi- cace et respectueuse des libertés. Mardi 26 octobre à 20 h 00, à la Pierre du Marais angle rue des Archives / rue de Bretagne PARIS 3 e (M° Temple, Arts et Métiers ou République)

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La lettre du Secrétariat fédéral Droits et Libertés rend compte de l'activité de ce secrétariat. Dans ce numéro, vous trouverez des articles sur les jurys populaires, les auditions libres ainsi qu'une invitation au débat organisé par la section du 3e - Flora TRISTAN sur les questions de sécurité.

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Fédération de Paris du PS - Lettre de la Commission fédérale Droits et Libertés 1

Droits & LibertésEditorial De quelque côté que l’on se tourne en ma-tière de droits humains et de libertés pu-bliques, de justice, d’immigration, le constat est accablant. Notre pays est frappé par une multitude de comportements ou de réformes (« ruptures ») qui portent gravement atteinte à nos traditions démocratiques : circulaire ciblant les Roms, refus de nommer un juge d’instruction dans l’affaire Woerth, recours au contre espionnage pour enquêter sur des sources journalistiques, réforme de la garde à vue, projet de loi sur l’immigration, LOPSI 2…

L’été, avec le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy, en a vu l’illus-tration la plus média-tique et paroxystique, mais c’est cet automne que sont mises en œuvre, votées ou an-noncées, ces régressions successives, agissant comme autant de diver-sions se voulant rassu-rantes pour un électorat de droite « dure », dans un contexte social en éruption.

Même mobilisé contre la réforme des re-traites, le PS ne baisse pas la garde et reste vigilant contre ces attaques répétées à notre modèle démocratique, dont l’écho a dépassé nos frontières et donné lieu à une critique de la France au plan international. La « rupture » est bien là et il est heureux qu’à travers ses conventions thématiques et les nombreux forums qu’il organise, le PS travaille pour pré-parer un autre avenir que celui de la démoli-tion de notre République.

InvitationLa section PS « Flora Tristan » vous invite à un café politique

Pour une autre politique de sécurité

Avec F.Y. Boscher, ancien contrôleur général de la police na-tionale, qui a été l’un des artisans de la police de proximité et, en sa qualité de directeur de l’Institut de formation des formateurs de la police, a notamment participé à la concep-tion des formations en direction des policiers de proximité. Homme de conviction et de terrain, il défend l’idée qu’une politique de sécurité de gauche peut être tout à la fois effi-cace et respectueuse des libertés.

Mardi 26 octobre à 20 h 00, à la Pierre du Marais

angle rue des Archives / rue de Bretagne PARIS 3e (M° Temple, Arts et Métiers ou République)

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Vive le Jury populaire !

En cette rentrée, la droite a trouvé un nouveau sujet à ses gesticulations sécuritaires : le Jury populaire. Elle suggère d’intégrer aux Tribunaux correctionnels, chargés de juger les délits, des jurés.

Le pronostic de l’UMP sur cette question est simple et traduit tout le mépris qu’inspire le peuple à ce parti « populaire » : l’entrée des citoyens dans les Tribunaux correctionnels donnera une assise plus puissante à sa démagogie sécuritaire. En effet, impossible d’imaginer pour l’UMP d’autres effets à cette réforme qu’une répression encore plus bête et plus aveugle, puisque guidée par le roi des bêtes et des aveugles à ses yeux : le citoyen ordinaire.

A l’inverse, la gauche a toujours vu dans l’exercice du pouvoir par le peuple un gage de Justice plutôt qu’un risque de bêtise. C’est pourquoi elle est traditionnellement sensible à l’institution du Jury populaire et n’a aucune raison de se refuser par principe à envisager son extension, bien qu’il ne s’agisse pas de la réforme la plus urgente à opérer.

Car le Jury populaire est un progrès démocratique formidable produit par la Révolution française. Cette institution, solidement ancrée dans notre système judiciaire depuis deux siècles, juge, aux côtés de magistrats de profession, les comportements humains les plus graves, les crimes.

Toute l’évolution historique du Jury en matière criminelle démontre qu’il est bénéfique et que l’équation selon laquelle plus de Jury signifie plus de

sévérité est erronée. Les hommes qui l’ont institué y voyaient une certitude d’indépendance et de rigueur.

Un juré prend toujours son rôle très à cœur et l’exerce de manière extrêmement consciencieuse et responsable. Le pouvoir qu’il a entre les mains lui inspire d’autant plus de précautions qu’il est lui-même extrait de cette masse de semblables d’où provient l’homme qu’il juge. Il juge ainsi son prochain avec toujours cette idée présente à l’esprit : les foudres qu’il commande au dessus de la tête de cet homme sont les mêmes qui sont appelées à s’abattre sur sa propre tête lorsque il reviendra parmi la foule de ses semblables.

Incompétent sur le droit, qui a ses spécialistes en la personne des magistrats de profession qui l’accompagnent, le juré est en revanche capable de procéder d’égal à égal avec eux à l’examen des faits et des hommes.

Cette personne ment-elle ? Est-il plausible, compte tenu des indices matériels réunis, que le fait reproché ait eu lieu ? Pourquoi cette personne a-t-elle commis cet acte ?

Ces questions constituent le noyau dur de la justice pénale, les écueils sur lesquels, fin juristes ou non, tous les praticiens de cette matière retombent toujours. Les réponses à ces interrogations ne dépendent pas d’un diplôme mais de cette intime conviction qui est le cœur impalpable du jugement en matière pénale. Il est préférable qu’à ces questions réponde une mosaïque de milieux sociologiques, d’histoires personnelles et de sensibilités plutôt qu’un monolithe de « professionnels ».

S’agissant du postulat selon lequel l’extension du Jury entraînerait nécessairement une sévérité accrue, il est faux. Car l’histoire du Jury en matière criminelle, c’est l’histoire des contournements réguliers dont il a été la victime, orchestrés par la loi ou les juges, afin qu’il ne puisse pas exercer sa clémence, dans des domaines où l’on souhaitait une répression exemplaire.

Parce que le Jury est à l’image de la société et a accompagné certaines de ses mutations (cette vitalité démocratique faisant sa principale force),

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il est arrivé qu’il montre de la mauvaise grâce à réprimer des infractions demeurant formellement dans notre système juridique sans que plus rien ne vienne pourtant les justifier socialement.

photo du film de Sidney Lumet Douze hommes en colère (NDLR : heureusement, aujourd’hui il y a aussi des femmes…)

Dans ces cas, le Jury s’est montré clément et visionnaire, se refusant à sanctionner des comportements qui n’avaient plus de raisons d’être incriminés et qui souvent étaient dépénalisés quelques temps après. Face à la clémence du Jury, la loi a souvent choisi de transformer certains crimes en délit, comme la bigamie ou l’avortement (légalisé sous conditions depuis).

Cette tendance au contournement du Jury existe toujours aujourd’hui. Elle se manifeste notamment par une pratique qui consiste, pour certains crimes, à les présenter comme des délits en retirant l’élément qui leur confère une qualification criminelle. Cette pratique, qui suppose l’accord de toutes les parties à la procédure, est illégale puisqu’elle revient, en occultant un élément de l’infraction (par ex. en considérant s’agissant d’un viol qu’il n’y a pas eu d’acte de pénétration mais seulement des attouchements) à faire échec à la compétence d’ordre public de la Cour d’assises, composée de jurés. Là encore, c’est la clémence du Jury que l’on craint, pas sa sévérité.

Alors l’extension du Jury populaire au domaine cor-rectionnel ? Pourquoi pas ?

Mettre autant que possible le peuple au cœur de l’œuvre de Justice pourrait permettre de faire cesser la démagogie sécuritaire portée par la droite, nourrie avant tout par l’ignorance des dossiers et

des hommes qu’ils renferment. Le peuple se rendra compte que juger n’est pas simple.

Il y aurait à cela des bénéfices du même ordre que ceux engendrés par l’extension de l’instruction publique : recul des clichés, compréhension plus fine des problèmes rencontrés en matière pénale.

Comme ces jurés d’antan qui, devançant les juges de profession et le législateur, épousaient les grandes idées de leurs temps en refusant de réprimer des infractions archaïques, de futurs jurés correctionnels auraient cette faculté de faire correspondre un peu plus harmonieusement la Justice aux mutations profondes de la société qu’ils représenteraient alors, en se montrant tantôt plus cléments tantôt plus sévères que les Tribunaux Correctionnels actuels.

Un jury correctionnel pourrait par exemple, à la grande surprise de la droite, réprimer bien plus sévèrement les infractions politiques, économiques et financières que les actuels Juges de profession.

L’extension de la justice « populaire » ne doit pas faire peur. C’est la justice oligarchique qui représente un danger, la justice exercée par une caste au service d’intérêts particuliers.

La Justice actuelle offre parfois une image guère plus rassurante : celle d’un monde en vase clos, qui n’écoute que l’écho que ses corporatismes et ses rigidités lui renvoie.

Le Jury criminel vieux de deux siècles a passé l’épreuve du temps.

Un Jury correctionnel s’en sortirait aussi bien et permettrait une aération du monde judiciaire que beaucoup appellent de leurs vœux.

Paul LE FEVRE, avocatSection 19ème Jean Jaurès

Vive le Jury populaire !

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Lettre du Secrétariat fédéral Droits & Libertés est une publication de la Fédération de Paris du PS. Les articles publiés n’engagent la responsabilité que de leurs auteurs. Maquette : A. Glogowski, Imprimerie : IPNS, ISSN : en coursFédération de Paris du Parti socialiste - 32 rue Alexandre Dumas 75011 Paris - Tél. 01 42 80 64 40 - Fax 01 42 82 99 32 - [email protected] - www.ps-paris.org4

L’audition libre, un mirage inacceptable

Après le Conseil constitutionnel le 30 juillet dernier, à propos de la garde à vue « de droit commun » (hors cas de terrorisme, trafic de stupéfiants, criminalité organisée), puis la Cour européenne des droits de l’Homme il y a quelques jours, c’est la Cour de cassation qui vient de confirmer la non-conformité au droit européen des dispositions régissant la garde à vue en France et, notamment, l’absence de droit d’accès immédiat à un avocat.

Si l’on se souvient que ce sont plus de 790 000 gardes à vue qui ont été prononcées en 2009 (en croissance exponentielle depuis 2001 où elles s’élevaient à un peu plus de 236 000), on mesure les atteintes ainsi portées quotidiennement aux droits de la défense du fait de la banalisation de cette procédure restrictive de liberté, devenue l’un des indices de la « performance » des commissariats dans le cadre de la « politique du chiffre » mise en œuvre par l’actuel gouvernement.

Comme le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation vient d’accorder au gouvernement un délai (1/07/2011) pour l’adoption d’une réforme respectueuse de ces droits.

Ce n’est pas le chemin que semble emprunter la Garde des Sceaux. En effet, contrairement aux principes consacrés par le droit européen en la matière - droit à garder le silence, droit à une assistance pleine et entière du gardé à vue par un avocat, dès le début et durant les interrogatoires, limitation du recours à la garde à vue, contrôle par un magistrat -, le projet de loi, qui ne porte en l’état que sur la garde à vue « de droit commun », propose la création d’une procédure inédite, « l’audition libre », sans limitation de durée ni aucun droit pour la personne « librement auditionnée ».

S’il est probable que du fait de l’arrêt de la Cour de cassation, le projet de loi soit revu pour intégrer les cas de garde à vue dérogatoires qui concernent les infractions les plus graves (à vérifier tout de même !), il est vraiment à craindre que la novation de « l’audition libre »

n’ait de « libre » que le nom compte tenu des circonstances que l’on imagine aisément.

Sous un vocable séduisant faisant référence à l’autonomie et au libre arbitre des personnes et laissant accroire que l’on peut être interpellé mais choisir sans la moindre pression ni la moindre émotion son statut, les non conformités auxquelles les décisions de justice ont claqué la porte vont rentrer par la fenêtre.

Cette nouvelle procédure vise en outre, à n’en pas douter, à dégonfler artificiellement les statistiques des gardes à vue dont le nombre fait tache dans le paysage des droits de la défense. Ce n’est pas sérieux et les parlementaires socialistes ne se laisseront pas prendre à ce mirage, pas plus d’ailleurs que les nombreux professionnels concernés.

Christine FREYSecrétaire fédérale aux droits et libertés