Arnika Compagnie

LES YEUX DU LOUP

Adaptation libre du premier chapitre de « La folle Allure » Christian Bobin. Editions Gallimard.

DOSSIER PEDAGOGIQUE

Photos : Florent Brichoux

Arnika Compagnie

1 chemin des longs champs Onay

39110 La chapelle sur furieuse

CONTACT : Cécile Chauvin arnika39@gmail.com

NOTE D’INTENTION

J’ai découvert « La folle Allure », roman de Christian Bobin, voici quelques années. J’ai toujours gardé en mémoire son premier chapitre aux allures de conte. Tout de suite j’ai été séduite par la simplicité et la beauté de cette histoire, ce qu’elle raconte, les questions qu’elle soulève sur les préjugés et les aprioris. Ensuite, Monique Scheigam, marionnettiste, Alain Deroo, scénographe, Kim Vinter comédien/auteur et Muriel Henry comédienne/metteuse en scène ont lu le texte et sont eux aussi tombés sous le charme. J’ai alors entrepris l’adaptation du texte et nous avons commencé ensemble à rêver un spectacle. Dans ce rêve qui devient spectacle, la narratrice est une conteuse, une « passeuse d’histoire », elle se crée un univers fait d’ombres et de mots, d’objets et de marionnettes. Tous ces objets, ces images soigneusement collectées, accumulées, ces souvenirs d’enfance, témoignages de moments de vies passées, emmènent progressivement la conteuse vers une histoire plus lointaine encore et pourtant si proche, la sienne : celle d’un cirque, d’une petite fille et d’un loup, rapportée par Christian Bobin. Lorsque le voile se lève, marionnettes et théâtre d’ombres prennent la relève du conte et nous plongent au cœur même du souvenir.

Cécile Chauvin

L’HISTOIRE

" Mon premier amour a les dents jaunes. Il entre dans mes yeux de deux ans, deux ans et demi. Il se glisse par la prunelle de mes yeux jusqu'à mon cœur de petite fille où il fait son trou, son nid, sa tanière. Il y est encore à l'heure où je vous parle. Aucun n'a su prendre sa place. Aucun n'a su descendre aussi loin. J'ai entamé ma carrière d'amoureuse à deux ans avec le plus fier amant qui soit. Les suivants ne seraient jamais à la hauteur, ne pourraient jamais l'être. Mon premier amour est un loup. Un vrai loup avec fourrure, odeur, dents jaune ivoire, yeux jaune mimosa. Des taches d'étoiles jaunes dans une montagne de pelage noir. Mes parents sortent en criant de la roulotte, c'est la nuit, les autres roulottes, une à une s'éclairent, tous en descendent, le clown, l'écuyère, le jongleur , les femmes, les autres enfants, tous en chemise de nuit, en pyjama ou à moitié nus, ils m'appellent, s'accroupissent sous les camions pour voir si je ne m'y suis pas cachée par jeu et ensuite endormie - c'est déjà arrivé plusieurs fois -, ils s'éloignent sur la place du village, appellent encore, n'appellent plus mais hurlent, des fenêtres commencent à s'allumer aux maisons voisines et des gens se fâchent, crient au tapage nocturne, menacent des gendarmes. C'est ma tante qui me trouve. Elle court aussitôt de l'un à l'autre, impose le silence, fait signe qu'on la suive sans bruit, surtout sans aucun bruit : voilà le cirque au complet qui s'approche de la cage, la porte est entrouverte, je suis allongée sur la paille dorée à l'urine et j'ai les yeux fermés, ma petite tête de deux ans appuyée contre le ventre du loup. Je dors. Je dors d'un sommeil limpide et bienheureux. Le loup venait des forêts de Pologne. On l'exposait pour attirer les spectateurs pendant l'installation du chapiteau. Il n'entrait dans aucun numéro. Un loup ça ne se dresse pas. Les gens emmenaient leurs enfants voir le prince noir des contes de fées, la brute superbe. On ne leur disait pas la vérité : que ce loup était plus aimable qu'un lapin, que l'écuyère lui donnait à manger dans sa main et que rien de grave, pas même un grognement, n'était jamais sorti de la montagne de fourrure et d'étoiles. On avait accroché un écriteau en lettres rouges au dessus de la cage : loup de la région de Cracovie. Les gens étaient plus effrayés par la pancarte que par la bête assoupie au fond de la cage. Mais ils étaient contents, ça leur suffisait comme preuve. Ce

sont les noms qui font peur. Les choses sans les noms ce n'est rien, pas même des choses. Donc toute la tribu est là, en demi cercle devant le tableau de la petite fille au loup. D'accord il n'est pas dangereux mais, quand même, il y a des limites, mon père s'approche, entre dans la cage et quand il va pour me saisir, le loup redresse la tête, seulement la tête, aucun mouvement du ventre ou des pattes, comme s'il souhaitait ne pas me réveiller et il se met a grogner pour la première fois, à montrer ses dents jaunies. Nouvelle tentative de mon père, un grognement plus fort, plus net, et les dents qui se découvrent jusqu'aux gencives. Mon père recule, rejoint les autres. On discute, on réfléchit. Le dompteur dit : c'est mon métier, j' y vais. Même réaction, la mâchoire qui claque. On choisi d'attendre. Les heures s'écoulent, silencieuses. Ils sont tous là, grelottant de froid devant la cage, guettant l'instant ou le loup va s'endormir. La scène dure jusqu'au matin. Jusqu'à l'aube le loup veille sur mon sommeil. Lorsque, caressée par les premiers rayons de lumière froide, j'ouvre mes yeux, m'étire et commence à me mettre debout, il s'écarte doucement et va à l'autre bout de la cage, gagner un repos mérité. Je ne sors pas tout de suite. Je regarde les autres derrière la grille, la pâleur de leurs visages, je ris, je chante, toute rafraîchie par ce sommeil immaculé. On m'empoigne, deux claques sur les fesses et on me boucle une semaine dans la roulotte. Depuis on me surveille. On vérifie dix fois par jour la fermeture de la cage. On ne peut m'empêcher de passer des heures devant. Quand l'attention se relâche, vite, je tends mes mains à travers les barreaux et je les lui donne à lécher. Le soir, avant de m'endormir, il faut que mon père m'emporte en pyjama devant la cage et que, quelques minutes, je regarde les yeux jaune soleil dans la nuit d'encre, que je m'avance et que je me perde dans ces yeux-là. Le loup est mort près de Arles. J'avais huit ans. On n'est venu m'en prévenir avec des soins infinis, comme on devait informer un général d'une grave défaite de ses troupes. Je n'ai rien dit. La caravane s'est arrêtée un peu avant Arles, dans une décharge éclairée de coquelicots. Les hommes ont sorti les pelles, c'est moi qui ai guidé le cortège, j'ai choisi le coin le plus ensanglanté de coquelicots, on a creusé un trou, je me suis fâchée avec ma mère, finalement elle a cédé et on a exaucé mon souhait, on a glissé mon pyjama dans le trou, on a enveloppé le loup dedans."

Texte de Christian Bobin. Extrait de « La folle Allure ».

Editions Gallimard

LE PROJET

A partir du texte de Christian Bobin, qui a servit de support au spectacle « Les yeux du loup » s’interroger sur le regard que l’on porte envers le loup. Qui est le loup ? La peur du loup est encrée dans les mémoires et les légendes l’entretiennent. - Faire une carte d’identité du loup. Comment vit-il ? Que mange-t-il ? - Comment est-il perçu dans les contes et les histoires ? - Chercher d’autres contes ou histoires où le loup est le personnage central. - Quel rôle tient-il ? - Que symbolise-t-il ? - Pourquoi cette peur du loup ? - Est-il victime de sa mauvaise réputation ? - Peut--on imaginer un loup gentil ? Objectifs - Ouvrir la recherche vers d’autres histoires où le loup est perçu différemment. - En partant du texte de Christian Bobin, qui nous donne une image plus douce « du prince noir des contes de fées », trouver dans la littérature jeunesse d’autres récits désacralisant le loup.

LES PISTES :

« Le loup sentimental » Geoffroy de Pennart

« Le loup est revenu ». Geoffroy de Pennart

« Qui a vu le loup ? ». Alex Sanders

« Une soupe au caillou ». Anais Vaugelade

« C’est moi le plus fort ». Mario Ramos

« C’est moi le plus beau ». Mario Ramos.

« L’œil du loup ». Daniel Pennac

« Gentiloup ». Alain Broutin/ Frédéric Sther

LE CIRQUE

La toile de fond du spectacle « Les yeux du loup » est le cirque. - Travailler sur le mode de vie nomade des gens du cirque. - Comment sont-ils perçus ? - Qui sont les personnages du cirque ? Qui est le clown ? L’écuyère ? Le funambule ? L’acrobate ? Le magicien ? Le dompteur ? La trapéziste ? Etc.

IL ETAIT UNE FOIS…

- Ecrire une histoire avec les enfants qui donnerait une image plus positive du loup. L’intervenant servant de guide à la parole des enfants afin de recentrer leurs propositions et de faciliter l’écriture collective.

« Le loup et les enfants »

Histoire écrite par Cécile Chauvin, avec des enfants de CP. « Il était une fois un loup qui s’appelait « Peureux ». Il adorait se promener dans les bibliothèques. Mais dans les bibliothèques, il y avait plein d’enfants et Peureux avait très peur des enfants. Un jour où il déambulait parmi les étagères, un groupe d’enfants entra. Pris de panique, il se cacha dans un grand livre. Lorsqu’il fut à l’intérieur du livre, il rencontra, Pierre et le loup, le petit chaperon rouge, les 7 petits chevreaux, le Petit Poucet et pleins d’autres personnages. Tout le monde fut très surpris de voir arriver ce nouveau loup dans leur livre. Ils lui demandèrent : « De quelle histoire viens-tu ? On ne t’a jamais vu ici ! » Peureux répondit : » je ne viens d’aucune histoire, je me suis caché dans ce livre quand j’ai entendu les enfants ! ». L’un des trois petits cochons lui demanda : » mais pourquoi as-tu peur des enfants ??? ». « Les enfants veulent tuer les loups !! » répondit Peureux. Et il se mit à pleurer à pleurer. Les autres lui dirent : »Arrêtes de pleurer et de t’inquiéter ! Nous allons t’aider ! À la nuit tombée, tu sortiras du grand livre avec nous, à cette heure-ci il n’y a personne dans la bibliothèque, nous pourrons nous promener au milieu des livres et nous trouverons des histoires qui parlent d’enfants, et tu verras qu’ils ne sont pas méchants ! « Dans un livre, le petit chaperon rouge attrapa une histoire qui racontait la vie d’un groupe d’enfants qui sauvaient les animaux et qui parlaient aux oiseaux ! Peureux ne pleurait plus il était rassuré. Le soleil allait se lever et, dans peu de temps la bibliothèque serait pleine d’enfants. Tout le monde rentre dans son livre. Peureux se retrouve seul et ne sait plus quoi faire. Il attend, perdu. Soudain un livre s’ouvre, puis un autre, puis encore un autre et tous les personnages sont bientôt là.

» Que fais-tu Peureux, viens avec nous, il va bientôt faire jour !!! » « Mais je ne suis dans aucune histoire, je ne peux pas venir avec vous !!! » L’un des 7 petits chevreaux lui dit : » Raconte ce qui s’est passé cette nuit dans la bibliothèque, cela fera une nouvelle histoire ». Aussitôt Peureux prend un crayon, s’enferme dans un grand cahier blanc et écrit les moments extraordinaires qu’il a vécu cette nuit. Dès le matin, les enfants se bousculent pour emprunter ce grand livre où était apparue comme par magie une nouvelle histoire, celle du loup et des enfants. Depuis ce jour Peureux n’eût plus jamais peur des enfants, il riait même avec eux et tous l’ont surnommé Courageux. »

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